Reeves Rosnay Yves Coppens La Plus Belle Histoire Du Monde

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    Hubert Reeves Jol de Rosnay Yves Coppens

    Dominique Simonnet

    La plus belle histoire du monde

    Les secrets de nos origines

    Editions du Seuil 27, rue Jacob, Paris VIe

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    ISBN 2-02-026440-4

    Editions du Seuil, avril 1996

    Le Code de la proprit intellectuelle n'autorisant, aux termes des paragraphes 2 et 3 de l'article L.122-5, d'une part, que les copies ou reproductions strictement rserves l'usage priv du copiste et non destines une utilisation collective et, d'autre part, sous rserve du nom de l'auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifies par le caractre critique, polmique, pdagogique, scientifique ou d'information, toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette reprsentation ou reproduction, par quelque procd que ce soit, constituerait donc une contrefaon sanctionne par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la proprit intellectuelle.

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    Sommaire (la pagination est celle de ldition sur papier)

    Prologue Page 9

    ACTE 1

    L'univers Scne 1. Le chaos Page 21 Scne 2. L'univers s'organise Page 37 Scne 3. Terre ! Page 51

    ACTE 2

    La vie Scne 1. La soupe primitive Page 67 Scne 2. La vie s'organise Page 79 Scne 3. L'explosion des espces Page 93

    ACTE 3

    L'homme Scne 1. Le berceau africain Page 113 Scne 2. Nos anctres s'organisent Page 128 Scne 3. La conqute humaine Page 141 pilogue Page 153

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    Prologue

    D'o venons-nous ? Que sommes-nous ? O allons-nous ? Voil bien les seules questions qui valent la peine d'tre poses. Chacun a cherch la rponse sa manire, dans le scintillement d'une toile, le va-et-vient de l'ocan, le regard d'une femme, ou le sourire d'un nouveau-n... Pourquoi vivons-nous ? Pourquoi y a-t-il un monde ? Pourquoi sommes-nous ici ?

    Jusqu' prsent, seules la religion, la foi, la croyance offraient une solution. Aujourd'hui, la science, elle aussi, s'est fait une opinion. C'est peut-tre l'un des plus grands acquis de ce sicle : elle dispose dsormais d'un rcit complet de nos origines. Elle a reconstitu l'histoire du monde.

    Qu'a-t-elle dcouvert de si extraordinaire ? Ceci : c'est la mme aventure qui se poursuit depuis 15 milliards d'annes et qui unit l'univers, la vie, l'homme, comme les chapitres d'une longue pope. La mme volution, du Big Bang l'intelligence, qui pousse dans le sens d'une complexit croissante : les premires particules, les atomes, les molcules, les toiles, les cellules, les organismes, les tres vivants, jusqu' ces curieux animaux que nous sommes...

    Tous se succdent dans une mme chane, tous sont entrans par un mme mouvement. Nous descendons des singes et des bactries, mais aussi des astres et des galaxies. Les lments qui composent notre corps sont ceux qui nagure fondrent l'univers. Nous sommes vraiment les enfants des toiles.

    L'ide drange videmment, car elle s'en prend aux anciennes certitudes, elle corche les prjugs : c'est ainsi, depuis l'Antiquit les progrs de la connaissance n'ont cess de remettre l'homme sa juste place. Nous nous croyions au centre du monde ? Galile, Copernic et les autres sont venus nous dtromper: nous habitons en ralit une plante banale, situe dans la banlieue d'une modeste galaxie. Nous pensions tre des crations originales, l'cart des autres espces vivantes ? Las ! Darwin nous a perchs sur l'arbre commun de l'volution animale... Il va donc nous falloir une fois encore ravaler notre orgueil mal plac : nous sommes les dernires productions de l'organisation universelle.

    C'est cette nouvelle histoire du monde que nous allons raconter ici, la lumire de nos connaissances les plus avances. On dcouvrira, dans ce rcit, une surprenante cohrence. On verra les lments de la matire s'associer en structures plus complexes, qui, elles-mmes, vont se combiner en assemblages encore plus labors qui, eux-mmes...

    C'est le mme phnomne, celui de la slection naturelle, qui orchestre chaque mouvement de cette grande partition, l'organisation de la matire dans l'univers, le jeu de la vie sur la Terre et mme la formation des neurones dans nos propres cerveaux. Comme s'il y avait une logique de l'volution.

    Dieu dans tout a ? Certaines dcouvertes rejoignent parfois d'intimes convictions. C'est entendu, on ne mlangera pas les genres. La science et la religion ne rgnent pas sur le mme domaine. La premire apprend, la seconde enseigne. Le doute est le moteur de l'une, l'autre a la foi pour ciment. Elles n'en sont pas pour autant indiffrentes.

    Notre nouvelle histoire du monde n'vite pas, loin de l, les questions spirituelles et mtaphysiques. On apercevra, au dtour d'un chapitre, un peu de la lumire biblique, on entendra l'cho d'un mythe antique et l'on croisera mme Adam et Eve dans la savane africaine. La science actualise les dbats, elle les rafrachit. Elle ne les tue pas. A chacun de faire son choix.

    Notre rcit s'appuie sur les dcouvertes les plus rcentes, qui bnficient d'outils rvolutionnaires : les sondes qui explorent le systme solaire, les tlescopes spatiaux qui fouillent l'intimit de l'univers, les grands acclrateurs de particules qui en retracent les premiers moments...

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    Mais aussi les ordinateurs qui simulent l'apparition de la vie, les technologies de la biologie, de la gntique, de la chimie qui rvlent l'invisible et l'infiniment petit. Ou encore, les rcentes dcouvertes de fossiles, les progrs des datations, qui permettent de reconstituer le cheminement des anctres de l'homme avec une tonnante prcision.

    Si elle se nourrit de ces dernires trouvailles, notre histoire s'adresse tous, et surtout aux profanes, adultes et adolescents, quel que soit leur niveau de connaissance. On a vit ici toute attitude de spcialiste, banni tout terme compliqu. Et l'on n'a pas hsit, la manire des enfants, poser des questions naves : Comment connat-on le Big Bang ? Comment sait-on ce que mangeait l'homme de Cro-Magnon ? Pourquoi le ciel est-il noir la nuit ? On n'a pas voulu croire les scientifiques sur parole : ils sont pris de mettre leurs preuves sur le tapis.

    Chaque discipline est en qute d'une origine: les astrophysiciens traquent celle de l'univers ; les biologistes, celle de la vie ; les palontologues, celle de l'homme. C'est pourquoi notre histoire se joue, comme un drame, en trois actes - l'univers, la vie, l'homme - balayant ainsi quelque quinze milliards d'annes. Ils comportent chacun trois scnes, o sont convoqus, dans l'ordre chronologique, tous les acteurs, inertes et vivants, de cette longue aventure. Nous les suivrons dans un dialogue avec trois personnalits, les meilleurs spcialistes franais de chacune de ces questions. Il y a quelques annes, nous avions, tous les quatre, esquiss une premire conversation, pour le magazine L'Express. Que ce journal en soit lou ! l'exprience nous a mis en apptit. Le temps d'un t et de quelques soires, nous avons retrac l'aventure du monde avec plaisir et passion. Puisse le lecteur en hriter.

    Au premier acte, donc, notre histoire commence... Mais peut-on vraiment dire commencer ?

    On verra que cette notion de dbut n'est pas accessoire, loin de l. Elle est au coeur des dbats mtaphysiques et pose la fascinante question du temps. Nous l'aborderons par le plus lointain pass auquel la science peut accder : quinze milliards d'annes avant notre re, le fameux Big Bang, cette obscure lumire qui devance les toiles. Et l'exemple des enfants, on se posera cette question pertinente : qu'y avait-il avant ?

    Ds ce dbut , la matire en incandescence se combine sous l'action de forces tonnantes qui prsident encore nos destines. D'o viennent-elles ? Pourquoi sont-elles immuables alors que tout change autour d'elles ? Tout au long du rcit, elles dirigent le grand meccano universel. Et, mesure que l'univers se dtend et se refroidit, elles dclenchent des combinaisons singulires, les toiles, les galaxies, jusqu' engendrer, la priphrie de l'une d'elles, une plante pronse un joli succs. Que sont ces forces mystrieuses ? D'o vient ce mouvement irrsistible de la complexit ? Ont-elles prcd l'univers ?

    Hubert Reeves nous aidera y voir clair. L'astrophysicien, auteur de merveilleux ouvrages sur le sujet, allie, avec une exceptionnelle affabilit, la prcision du scientifique et la simplicit du vulgarisateur. Serait-ce parce que, loin des ordinateurs qui meublent sa vie professionnelle, il lui arrive encore de contempler le ciel de Bourgogne avec un modeste tlescope, en simple amateur ? Est-ce force de regarder loin dans l'espace, c'est--dire loin dans le pass, qu'il a appris la vraie mesure du temps ? Il va en tout cas droit l'essentiel : la beaut d'une quation, l'clat d'une galaxie, la plainte d'un violon, le velout d'un chablis... Qui a le privilge de l'approcher dans l'intimit ne peut en douter: sa sagesse n'est pas feinte. Hubert Reeves est un honnte homme, c'est--dire un spcimen en voie de disparition qui s'obstine rechercher l'quilibre entre la science et l'art, la culture et la nature et sait que la qute de nos origines connat une dimension que ne peut saisir aucune formule, qui ne s'enferme dans aucune thorie: celle de notre merveillement devant le mystre et la beaut.

    Le deuxime acte s'ouvre, il y a 4,5 milliards d'annes, sur cette plante singulire, situe ni

    trop prs ni trop loin d'un Soleil opportun. La matire poursuit son oeuvre frntique d'assemblages.

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    A la surface de la Terre, dans de nouveaux creusets, s'amorce une autre alchimie : les molcules s'associent en structures susceptibles de se reproduire et font natre d'tranges petites gouttes, puis les premires cellules qui se groupent en organismes se diversifient, foisonnent, colonisent la plante, enclenchent l'volution animale, imposent la force de la vie.

    Que cette dernire soit ne de l'inanim, l'ide n'est certes pas facile admettre. Pendant des sicles, le monde vivant a t considr comme trop complexe, trop divers, en un mot trop intelligent , pour avoir pu apparatre sans un petit coup de pouce divin. Aujourd'hui, la question est tranche : il rsulte de la mme volution de la matire, il n'est pas le fruit du hasard. Comment alors est-on pass de l'inerte au vivant ? Comment l'volution a-t-elle invent la reproduction, le sexe, et la mort, insparable compagne ?

    Jol de Rosnay est sans doute l'un des mieux placs pour rpondre. Docteur s sciences, ancien directeur l'Institut Pasteur, aujourd'hui directeur la Cit des sciences et de l'industrie, il fut l'un des premiers faire la synthse de nos connaissances sur les origines de la vie dans un ouvrage qui a marqu une gnration. Chimiste organicien de formation, mais vulgarisateur par vocation, infatigable agitateur, il se trouve toujours en avance d'une dcennie et butine les dernires ides dans le monde entier. Aptre de la thorie des systmes, pionnier de la communication globale, il a toujours cherch, lui aussi, harmoniser l'cologie et la modernit, le monde vivant et la technologie, comme s'il savait voir la plante mieux que ses semblables, avec le recul ncessaire. Et il a gard sa passion pour les origines et la rigueur du chercheur.

    Au troisime acte, dans un beau dcor de savane assche, le dernier avatar du vivant occupe

    toute la scne. Voici l'homme, le vrai. Animal, mammifre, vertbr et primate qui plus est... Que nous soyons tous des singes africains, cela est dsormais certain. Fils de singes donc, ou plutt de cet individu archaque qui jadis, en Afrique, s'est pour la premire fois dress sur ses pattes arrire et s'est mis regarder le monde d'un point de vue plus lev que ses congnres. Mais pourquoi l'a-t-il fait ? Quelle pulsion l'y a incit ?

    Certes, il y a plus d'un sicle que l'on connat notre ascendance simiesque et que l'on tente, avec difficults, de l'accepter. Mais ces dernires annes, la science des origines a explos et notre arbre gnalogique en a t fortement secou: quelques espces poilues en sont mme tombes... Aujourd'hui, on tient enfin une unit de temps et de lieu pour mettre en scne ce troisime acte, celui de la comdie humaine. Comme s'il avait pris le relais de la matire, l'homme a utilis une poigne de millions d'annes pour voluer son tour et inventer des choses de plus en plus compliques : l'outil, la chasse, la guerre, la science, l'art, l'amour (toujours) et cette trange propension s'interroger sur lui-mme qui ne cesse de le dmanger. Comment a-t-il dcouvert toutes ces nouveauts ? Pourquoi son cerveau s'est-il dvelopp sans discontinuer ? Que sont devenus nos anctres qui n'ont pas russi ?

    Yves Coppens, professeur au Collge de France, est, lui, tomb trs petit dans la marmite de la palontologie : enfant, il collectionnait dj les fossiles et rvait devant les sites gaulois. Il n'a eu de cesse de chercher les traces du passage de ses lointains anctres et est entr dans la science des origines au moment o celle-ci vivait, en Afrique, sa plus grande pope. Avec d'autres, il a mis au jour le plus clbre de nos squelettes : Lucy, la jeune (et jolie ?) australopithque, ge de 3,5 millions d'annes, morte en pleine force de l'ge. Pour ce chercheur d'os, courtois et dbonnaire, comme pour ses confrres, la naissance de l'humanit ne fut pas un accident, elle participe de ce mme cheminement de l'univers dont nous sommes les derniers fleurons. Et comme ses confrres, il connat la mesure du temps : que sont nos millnaires de civilisation compars aux millions d'annes qu'il a fallu l'homme pour se dgager de l'animalit ? Que valent nos actuelles facties face aux quinze milliards d'annes qui furent ncessaires pour faonner notre complexit ?

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    Notre histoire n'est certes pas termine. Oserait-on dire elle commence. Car il semble bien que la complexit continue de progresser, et l'volution de galoper. Nous ne pouvions donc pas interrompre le rcit sur notre drle d'poque sans nous poser cette ultime question : o allons-nous ? Comment cette longue aventure qui fut cosmique, chimique, biologique et devient maintenant culturelle, va-t-elle se poursuivre ? Quel est l'avenir de l'homme, de la vie, de l'univers ? La science, bien sr, n'a pas rponse tout. Mais elle peut tenter quelques jolies prdictions. Comment le corps va-t-il continuer voluer, que sait-on sur l'volution de l'univers ? Y a-t-il d'autres formes de vie ? Nous en dbattrons tous les quatre, en guise d'pilogue.

    Une prcaution, encore. Nous avons voulu viter ici toute tentation dterministe, tout parti pris finaliste. Que le lecteur nous pardonne si parfois, pour simplifier la comprhension, des mots scabreux nous ont chapp : non, on ne peut pas dire que la matire invente , que la nature fabrique ou que l'univers sait . Cette logique de l'organisation n'est qu'un constat. La science se refuse y discerner une intention. A chacun de l'interprter sa faon. Si notre histoire semble malgr tout avoir un sens, on ne peut pas affirmer pour autant que notre apparition tait inluctable, du moins sur cette petite plante-l. Qui peut dire combien de pistes infructueuses l'volution a suivies avant de clbrer notre naissance ? Qui peut nier que ce rsultat-l est encore d'une extrme fragilit ?

    Oui, c'est assurment la plus belle histoire du monde, puisque c'est la ntre. Nous la portons au plus profond de nous-mmes : notre corps est compos des atomes de l'univers, nos cellules enferment une parcelle de l'ocan primitif, nos genes sont, en majorit, communs ceux de nos voisins primates, notre cerveau possde les strates de l'volution de l'intelligence, et quand il se forme dans le ventre maternel, le petit d'homme refait, en acclr, le parcours de l'volution animale. La plus belle histoire du monde, qui pourrait le nier ?

    Mais quelle que soit la vision, mystique ou scientifique, que nous portons sur nos origines, quelle que soit notre conviction, dterministe ou sceptique, religieuse ou agnostique, il n'y a qu'une seule morale qui vaille dans cette histoire, une seule donne essentielle : nous ne sommes que de drisoires tincelles au regard de l'univers. Puissions-nous avoir la sagesse de ne pas l'oublier.

    Dominique Simonnet

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    ACTE 1 ________

    L'univers

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    SCENE 1

    Le chaos

    La scne est blanche, infinie. Partout, ce n'est qu'une clart implacable, la lumire d'un univers en incandescence, le chaos d'une matire qui n'a encore ni sens ni nom...

    Mais qu'est-ce qu'il y avait avant ? Dominique Simonnet: Une explosion de lumire dans la nuit des temps, c'est le dbut de notre histoire, l'origine de l'univers dont la science nous parle depuis quelques annes. Avant de nous intresser ce phnomne, on ne peut s'empcher de se poser cette question nave : qu'est-ce qu'il y avait avant ? Hubert Reeves: Quand on voque le dbut de l'univers, on se heurte invitablement au vocabulaire. Pour nous, le mot origine indique un vnement qui se situe dans le temps. Notre origine personnelle, par exemple, est le moment o nos parents ont fait l'amour et nous ont conus. Elle connait un avant et un aprs . Nous pouvons la dater, l'inscrire dans le fil de l'histoire. Et nous admettons que le monde existait avant cet instant. - Mais l, nous parlons de l'origine des origines, la toute premire... - Et c'est justement la grande diffrence. On ne peut pas la considrer comme un vnement semblable aux autres. Nous nous trouvons dans la situation des premiers chrtiens qui demandaient que faisait Dieu avant d'avoir cr le monde. La rponse populaire tait Il prparait l'enfer pour ceux qui se posent cette question ! ... Saint Augustin n'tait pas d'accord. Il avait bien vu la difficult d'une telle interrogation. Elle supposait que le temps existait avant la cration. Il rpondait que la cration tait non seulement celle de la matire, mais aussi celle du temps ! Ce point de vue est assez voisin de celui de la science moderne. Espace, matire et temps sont indissociables. Dans nos cosmologies, ils apparaissent ensemble. Si origine de l'univers il y a, c'est aussi l'origine du temps. Il n'y a donc pas d'avant . - Si origine de l'univers il y a , dites-vous... Ce n'est donc pas certain ? - Nous ne le savons pas. La grande dcouverte de ce sicle, c'est que l'univers n'est ni immuable ni ternel, comme le supposait la majorit des scientifiques du pass. On en est aujourd'hui convaincu : l'univers a une histoire, il n'a cess d'voluer en se rarfiant, en se refroidissant, en se structurant. Nos observations et nos thories nous permettent de reconstituer le scnario et de remonter dans le temps. Elles nous confirment que cette volution se poursuit depuis un pass lointain que l'on situe entre 10 et 15 milliards d'annes selon les estimations. Nous disposons maintenant de nombreux lments scientifiques pour tablir le portrait de l'univers ce moment-l: il est totalement dsorganis, il ne possde ni galaxies, ni toiles, ni molcules, ni atomes, ni mme de noyaux d'atomes... Il n'est qu'une bouillie de matire informe porte des tempratures de milliards de milliards de degrs. C'est ce que l'on a appel le Big Bang . - Et rien avant ? - Nous ne possdons pas le moindre lment qui remonte une priode antrieure cet vnement, pas le moindre indice qui nous permettrait de reculer davantage dans le pass. Toutes les observations, toutes les donnes recueillies par l'astrophysique s'arrtent cette mme frontire.

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    Cela signifie-t-il que l'univers a dbut il y a quinze milliards d'annes ? Ce Big Bang est-il vraiment l'origine des origines ? Nous n'en savons rien. - C'est pourtant ce que l'on enseigne dsormais dans les coles: l'univers a commenc par le Big Bang, une formidable explosion de lumire, il y a quinze milliards d'annes. Et c'est bien ce que rptent les chercheurs depuis quelques annes... - Nous nous sommes probablement mal exprims, et nous avons t mal compris. Nous pourrions parler d'un dbut, d'un vritable commencement, si nous tions certains qu'avant cet vnement il n'y avait rien. Or, ces hautes tempratures, nos notions de temps, d'espace, d'nergie, de temprature ne sont plus applicables. Nos lois ne fonctionnent plus, nous sommes totalement dmunis. - C'est un peu une drobade de scientifiques, non ? Quand on raconte une histoire, il y a toujours un commencement. Puisque l'on parle maintenant de l' histoire de l'univers, il n'est pas stupide de lui chercher un dbut. - Certes, chez nous, toutes les histoires ont eu un commencement. Mais il faut se mfier des extrapolations. On peut dire la mme chose de l'horloge de Voltaire: son existence prouvait, selon lui, l'existence d'un horloger. Ce raisonnement, impeccable notre chelle, l'est-il encore pour l' horloge de l'univers ? Je n'en suis pas certain. Encore faudrait-il savoir si, comme l'a dit Heidegger, notre logique est la suprme instance, si les arguments valables sur Terre peuvent tre extrapols l'univers tout entier. La seule vraie question, c'est celle de notre existence, celle de la ralit, de notre conscience : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutt que rien ? se demandait Leibniz. Mais c'est une question purement philosophique, la science est incapable d'y rpondre.

    L'horizon de nos connaissances - Pour contourner ce casse-tte, pourrait-on alors dfinir le Big Bang comme le dbut de l'espace et du temps ? - Dfinissons-le plutt comme le moment o ces notions deviennent utilisables. Le Big Bang, en ralit, c'est notre horizon dans le temps et dans l'espace. Si nous le considrons comme l'instant zro de notre histoire, c'est par commodit, et faute de mieux. Nous sommes comme des explorateurs devant un ocan : nous ne voyons pas s'il y a quelque chose au-del de l'horizon. - Si je comprends bien, le Big Bang est en fait une manire de dsigner, non pas vraiment la limite du monde, mais celle de nos connaissances. - Exactement. Mais attention, n'en concluons pas non plus que l'univers n'a pas d'origine. Encore une fois, nous n'en savons rien. Convenons, pour simplifier, que notre aventure commence il y a quinze milliards d'annes, dans ce chaos infini et informe qui va lentement se structurer. C'est en tout cas le dbut de notre histoire du monde telle que la science peut aujourd'hui la reconstituer. - Les spcialistes peuvent se contenter d'une abstraction pour figurer le Big Bang. Mais les autres ont besoin d'une mtaphore. On le dcrit souvent comme une boule de matire concentre qui explose dans un grand clair de lumire et emplit tout l'espace... - Comparaison n'est pas raison. Cette reprsentation supposerait l'existence de deux espaces, l'un plein de matire et de lumire, qui envahirait progressivement un second espace, vide et froid. Dans le modle du Big Bang, il n'y a qu'un seul espace, uniformment rempli de lumire et de matire, qui est en expansion partout : tous ses points s'loignent uniformment les uns des autres. - Difficile imaginer. Quelle reprsentation visuelle peut-on avoir du Big Bang alors ?

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    - On peut la rigueur garder l'image de l'explosion si l'on admet que celle-ci se produisait en chaque point d'un espace immense et peut-tre (pas certainement) infini. Difficile imaginer bien sr, mais faut-il s'en tonner ? Quand nous abordons de telles chelles, nos facults se trouvent en terrains inhabituels et nos reprsentations sont quelque peu inadaptes.

    Et Dieu ? - Infinie ou pas, cette image correspond joliment celle de la cration du monde propose par la Bible : Et la lumire fut ... - Cette similitude a d'ailleurs longtemps nui la crdibilit de la thorie du Big Bang quand celle-ci fut propose au dbut des annes 1930. Surtout aprs les dclarations du pape Pie XII : la science a retrouv le Fiat lux (que la lumire soit !). L'attitude des communistes de Moscou cette poque fut galement rvlatrice. Aprs avoir refus totalement ces neries papales , ils prirent conscience que cette thorie pouvait confirmer le dogme communiste du matrialisme historique. Lnine l'avait bien dit ! ... Pourtant, en dpit de ces tentatives de rcuprations religieuses et politiques, le Big Bang a fini par s'imposer. Les preuves en sa faveur n'ont cess de s'accumuler au cours des dcennies et la quasi-totalit des astrophysiciens reconnat maintenant cette thorie comme le meilleur scnario de l'histoire du cosmos. Sauf l'astrophysicien anglais Fred Hoyle, ardent dfenseur d'un univers stationnaire : c'est lui qui, par drision, l'a surnomme Big Bang . Le nom est rest... - Que la science retrouve la religion sur sa route, ce n'est pourtant pas scandaleux. - A condition de ne pas confondre leurs dmarches. La science cherche comprendre le monde; les religions (et les philosophies), elles, se sont gnralement assignes pour mission de donner un sens la vie. Elles peuvent s'clairer mutuellement condition de rester chacune sur son territoire. Chaque fois que l'glise a essay d'imposer son explication du monde, il y a eu conflit. Rappelons-nous Galile, qui disait ses adversaires thologiens : Dites-nous comment on va au ciel, et laissez-nous vous dire comment "va" le ciel. Et rappelons-nous l'opposition des ecclsiastiques aux thories darwiniennes. La science s'intresse aux faits visibles et perceptibles. Elle ne permet pas d'interprter ce qu'il y a au-del du visible. Contrairement une opinion rpandue, elle n'limine pas Dieu. Elle ne peut prouver ni son existence ni son inexistence. Ce discours lui est tranger. - Il reste que non seulement la religion chrtienne mais aussi de trs nombreuses mythologies expliquent la cration du monde par une explosion de lumire ? C'est quand mme troublant, non ? - L'image d'un chaos initial qui se mtamorphose progressivement en un univers organis se retrouve en effet dans plusieurs rcits traditionnels. Elle est commune de nombreuses croyances ; on la retrouve chez les gyptiens, les Indiens d'Amrique du Nord, les Sumriens. Ce chaos est souvent reprsent par une image aquatique, par exemple un ocan plong dans l'obscurit. Rien n'existait, sauf le ciel vide et la mer calme dans la nuit profonde raconte la tradition maya. Toute la Terre tait mer dit un texte babylonien. La Terre tait sans forme et vide, l'obscurit s'tendait la surface des profondeurs, et l'esprit de Dieu se mouvait sur l'tendue des eaux lit-on dans la Gense. La mtaphore de l'oeuf est aussi frquemment utilise. A l'intrieur de l'oeuf, un liquide apparemment informe devient un poussin. C'est une belle image de l'volution de l'univers. Chez les Chinois, l'oeuf se spare en deux moitis qui vont constituer l'une, le ciel, et l'autre, la Terre. Cependant, dans ces mythologies, le chaos est associ l'eau et l'obscurit. Dans la cosmologie moderne, il est au contraire constitu par la chaleur et la lumire.

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    - Pourtant les analogies entre le rcit scientifique et ces mythes sont indniables... - S'agit-il d'une concidence ? Ou d'un savoir intuitif ? Aprs tout, nous le verrons au fil de cette histoire, nous sommes nous-memes composs de la poussire du Big Bang. Peut-tre portons-nous en nous la mmoire de l'univers ?

    La dcouverte de l'histoire - Comment en est-on arriv l'ide d'un chaos originel et d'une volution de l'univers ? - Pendant deux millnaires, la tradition philosophique a considr que l'univers tait ternel et inchangeant. Aristote s'est exprim clairement sur ce sujet et ses ides ont domin la pense occidentale pendant plus de deux mille ans. Pour lui, les toiles sont faites d'une matire imprissable et les paysages clestes sont immuables. Aujourd'hui nous savons, grce aux instruments modernes, qu'il avait tort. Les toiles naissent et meurent, aprs avoir vcu quelques millions ou milliards d'annes. Elles brillent, en consumant leur carburant nuclaire, et s'teignent quand celui-ci est puis. Nous pouvons mme leur donner un ge. - Personne n'avait jamais mis l'ide que le ciel pouvait changer ? - Si. Plusieurs philosophes le supposaient, mais leurs vues ne se sont pas imposes. Lucrce, philosophe romain du 1er sicle avant Jsus-Christ, affirmait que l'univers tait encore dans sa jeunesse. Pourquoi avait-il cette conviction trs en avance sur son poque ? Il suivait un raisonnement astucieux. Depuis mon enfance, se disait-il, j'ai constat que les techniques se sont perfectionnes autour de moi. On a amlior les voilures de nos bateaux, on a invent des armes de plus en plus efficaces, on a fabriqu des instruments de musique de plus en plus raffins... Si l'univers tait ternel, tous ces progrs auraient eu le temps de se raliser cent fois, mille fois, un million de fois ! Je devrais donc vivre dans un monde achev, qui ne change plus. Puisque, au cours des quelques annes de mon existence, j'ai pu voir autant d'amliorations, c'est donc bien que le monde n'existe pas depuis toujours... - Jolie dduction... - La cosmologie la confirme aujourd'hui par trois constats : 1) le monde n'a pas toujours exist ; 2) il est en changement ; 3) ce changement se traduit par le passage du moins efficace au plus efficace, c'est--dire du simple au complexe.

    La machine remonter le temps - Sur quelles dcouvertes la science moderne se fondent-elle ? - Grce nos instruments, ceux de la physique et de l'astronomie, nous retrouvons des traces du pass de l'univers. Nous pouvons en reconstituer l'histoire, comme les prhistoriens reconstituent le pass de l'humanit partir des fossiles abandonns dans les grottes. Mais nous avons sur les historiens un immense avantage: nous, nous pouvons voir directement le pass. - Comment cela ? - A notre chelle, la lumire voyage trs rapidement, 300 000 kilomtres-seconde. A l'chelle de l'univers, cette vitesse est drisoire. La lumire nous parvient de la Lune en une seconde, du Soleil

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    en huit minutes, mais elle met quatre ans pour cheminer depuis l'toile la plus proche, huit ans depuis Vga, des milliards d'annes depuis certaines galaxies. Nos tlescopes nous permettent maintenant d'observer des astres trs lointains, les quasars, par exemple, dont la luminosit atteint dix mille fois celle de notre galaxie tout entire. Certains d'entre eux sont situs 12 milliards d'annes. Nous les voyons donc dans l'tat o ils taient il y a 12 milliards d'annes. - Quand vous braquez vos tlescopes sur une rgion de l'univers, vous observez donc un moment de son histoire. - Exactement. Le tlescope est une machine remonter le temps. Contrairement aux historiens, qui ne pourront jamais contempler la Rome antique, les astrophysiciens peuvent vritablement voir le pass, et observer les astres tels qu'ils taient autrefois. Nous voyons la nbuleuse d'Orion telle qu'elle tait la fin de l'Empire romain. Et la galaxie d'Andromde, visible l'oeil nu, est une image vieille de deux millions d'annes. Si les habitants d'Andromde regardent en ce moment notre plante, ils la voient avec le mme dcalage : ils dcouvrent la Terre des premiers hommes. - Cela signifie que le ciel que nous observons la nuit, les astres que nous voyons, ces myriades d'toiles, ces galaxies ne sont que des illusions, une superposition d'images du pass ? - Strictement parlant, on ne peut jamais voir l'tat prsent du monde. Quand je vous regarde, je vous vois dans l'tat o vous tiez il y a un centime de micro-seconde, le temps que la lumire a mis pour me parvenir. Un centime de microseconde, c'est trs long l'chelle atomique, mme si cela est imperceptible notre conscience. Mais les tres humains ne disparaissent pas dans ce laps de temps, et je peux poser sans risque l'hypothse que vous tes toujours l. C'est la mme chose pour le Soleil : il ne change pas pendant les huit minutes du trajet accompli par sa lumire. Les toiles que nous voyons l'oeil nu la nuit, celles qui composent notre galaxie, sont elles aussi relativement proches. Mais pour les astres lointains, ceux que l'on dtecte avec de puissants tlescopes, il en va diffremment. Le quasar que je vois 12 milliards d'annes-lumire n'existe vraisemblablement plus aujourd'hui. - Pourrait-on alors voir encore plus loin, encore plus tt, jusqu' ce fameux horizon, le Big Bang ? - Plus on recule dans le pass, plus l'univers devient opaque. Au-del d'une certaine limite, la lumire ne peut plus nous parvenir. Cet horizon correspond une poque o la temprature est d'environ 3 000 degrs. A l'horloge conventionnelle du Big Bang, l'univers a dj environ 300 000 ans.

    Les preuves du Big Bang - Le Big Bang reste donc trs abstrait. On peut mme se demander s'il n'est pas le pur produit de l'imagination des scientifiques, s'il a une vraie ralit. - Comme toute thorie scientifique, celle du Big Bang est fonde la fois sur un ensemble d'observations et sur un systme mathmatique (la relativit gnrale d'Einstein) capable d'en reproduire les valeurs numriques. Si cette thorie est crdible, c'est parce qu'elle a dj prdit correctement le rsultat de plusieurs observations, et que ces prdictions ont t confrrnes ; ce qui montre que le Big Bang n'est pas seulement un produit de l'imagination des scientifiques, mais qu'il touche la ralit du monde. - Soit. Mais comment peut-on le dcrire si l'on ne peut pas le voir ? - On en voit de nombreuses manifestations. Vers 1930, un astronome amricain, Edwin Hubble, a constat que les galaxies s'loignent les unes des autres, des vitesses proportionnelles leur distance. Un peu comme un pudding que l'on met au four : mesure qu'il gonfle, les raisins

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    s'cartent les uns des autres. Ce mouvement d'ensemble des galaxies, nomm expansion de l'univers, a t confirm jusqu' des vitesses de dizaines de milliers de kilomtres-seconde. Selon la thorie de la relativit gnrale d'Einstein, cette expansion traduit un refroidissement progressif de l'univers. Sa temprature actuelle est d'environ 3 degrs absolu, c'est--dire moins 270 degrs Celsius. Et ce refroidissement se poursuit depuis environ quinze milliards d'annes. - Comment le sait-on ? - Essayons de reconstituer le scnario, en passant le film l'envers. Plus on remonte dans le temps, plus les galaxies se rapprochent : l'univers est de plus en plus dense, de plus en plus chaud, de plus en plus lumineux. On arrive ainsi un moment, vers quinze milliards d'annes, o la temprature et la densit atteignent des valeurs gigantesques. C'est ce que l'on appelle conventionnellement le Big Bang. - Notre pudding est une boule de pte ? - Les comparaisons, on l'a dit, sont trompeuses. Celle du pudding aux raisins suggre que l'univers tait plus petit que celui d'aujourd'hui. Rien n'est moins certain. Il pourrait bien tre infini et avoir toujours t infini... - Attendez! Comment peut-on imaginer un univers qui soit infini ds l'origine et qui va se mettre grandir ? - Le mot grandir n'a pas de sens pour un espace infini. Disons simplement qu'il va se rarfier. Pour mieux comprendre, on peut imaginer un univers une seule dimension : une rgle gradue qui s'tend jusqu' l'infini gauche et droite. Imaginons qu'elle entre en expansion, c'est--dire que chaque marque de centimtre s'loigne de sa voisine. Les traits vont s'espacer de plus en plus, mais la rgle restera infinie. - On imagine que la dcouverte de ce mouvement des galaxies n'est pas la seule preuve du Big Bang. - Il y en a plusieurs autres. Prenons par exemple l'ge de l'univers. On peut le mesurer de diffrentes manires. Soit par le mouvement des galaxies, soit par l'ge des toiles (en analysant leur lumire) et par l'ge des atomes (en calculant la proportion de certains d'entre eux qui se dsintgrent au fil du temps). L'ide du Big Bang exige que 1univers soit plus vieux que les plus vieilles toiles et que les plus vieux atomes. Eh bien ! l'on trouve, dans les trois cas, des ges voisins de 15 milliards d'annes, ce qui renforce la crdibilit de notre thorie. Et puis, nous avons nous aussi nos fossiles...

    Les fossiles de l'espace - Des fossiles ? On imagine que ce ne sont pas des coquillages ni des ossements... - Il s'agit de phnomnes physiques qui datent des temps les plus anciens du cosmos et dont les caractristiques nous Permettent de reconstituer le pass, comme les prhistoriens le font avec des fragments d'os. Par exemple, le rayonnement fossile qui a t mis une priode o l'univers tait des tempratures de plusieurs milliers de degrs. C'est un vestige de la formidable lumire qui existait ce moment-l, peu aprs le Big Bang, une ple lueur rpartie uniformment dans l'univers. Elle nous arrive sous la forme d'ondes radiomillimtriques dtectables avec des antennes appropries dans toutes les directions du ciel. C'est l'image du cosmos d'il y a 15 milliards d'annes, la plus vieille image du monde. - L'espace entre les toiles n'est donc pas vide ?

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    - La lumire est constitue de particules que l'on appelle des photons . Chaque centimtre cube d'espace contient environ 400 de ces grains de lumire, dont la trs grande majorit voyage depuis les tout premiers temps de l'univers, les autres ayant t mis par les toiles. - Comment a-t-on pu les compter ? - Nous mesurons en ralit la temprature de l'espace. Nous pouvons le faire avec une trs grande prcision grce aux sondes spatiales notamment : 2,716 degrs absolus. Or, il existe une relation simple entre la temprature et le nombre de photons. Le calcul nous donne 403 grains de lumire dans chaque centimtre cube d'espace. Joli, non ? - Pas mal, en effet. - Ajoutons que l'existence de ce rayonnement fossile avait t prvue par l'astrophysicien George Gamow en 1948, soit dix-sept ans avant qu'on ne l'observe vraiment. Ce rayonnement tait, selon lui, une consquence ncessaire de la thorie du Big Bang. - Ce que prvoyait la thorie est donc conforme ce que l'on observe aujourd'hui ? - Le tlescope spatial Hubble nous a apport encore de nombreuses confirmations. Un exemple rcent : nous voyons une galaxie lointaine comme elle tait une poque o l'univers tait plus chaud. Grce ce tlescope, on a pu dterminer la temprature du rayonnement dans lequel baigne une galaxie situe 12 milliards d'annes-lumire. On a trouv 7,6 degrs. C'est tout fait la temprature prdite par la thorie. Pendant le temps du voyage de la lumire de cette galaxie jusqu' nous, la temprature est tombe 2,7 degrs, preuve que nous vivons dans un univers en refroidissement.

    Le noir de la nuit - D'autres arguments ? - Celui-ci. Les atomes d'hlium sont galement des fossiles ; leurs populations relatives dans l'univers sont elles aussi en accord avec la thorie et indiquent que l'univers du pass a atteint une temprature d'au moins 10 milliards de degrs. Il y a aussi des preuves indirectes, comme l'obscurit du ciel nocturne. - En quoi est-ce une preuve de l'volution de l'univers ? - Si les toiles taient ternelles et inchangeantes comme le prtendait Aristote, la quantit de lumire qu'elles auraient dgage pendant un temps infini serait, elle aussi, infinie. Le ciel devrait donc tre extrmement lumineux. Pourquoi ne l'est-il pas ? Cette nigme a tourment les astronomes pendant des sicles. On sait maintenant que si notre ciel est obscur, c'est bien parce que les toiles n'ont pas toujours exist. Une dure de quinze milliards d'annes, ce n'est pas assez long pour emplir l'univers de lumire, surtout quand l'espace entre les toiles grandit sans cesse. L'obscurit de la nuit est une preuve supplmentaire de l'volution de l'univers. - Et encore ? - Un argument indirect en faveur d'un univers en changement nous vient directement de la relativit gnrale. Cette thorie, formule en 1915, ne permet pas l'univers d'tre statique. S'il avait su lire correctement le message de ses propres quations, Einstein aurait pu prdire que notre univers tait en volution, quinze ans avant que d'autres ne le dcouvrent. - Rien ne s'oppose donc plus aujourd'hui la thorie du Big Bang ? - Disons plutt que, sur le march des thories cosmologiques, le Big Bang est - de beaucoup - le meilleur choix. Aucun scnario rival n'explique d'une faon aussi simple et naturelle l'ensemble

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    impressionnant d'observations qui ont t ralises. Aucun n'a fait autant de prdictions russies... Certes, le scnario du Big Bang est loin d'tre entirement satisfaisant, il comporte beaucoup de faiblesses et de points obscurs. Il s'agit d'un programme en train de se perfectionner au travers de ses hsitations et de ses ttonnements. On le modifiera sans doute encore, et peut-tre l'englobera-t-on dans un schma plus vaste. Mais l'essentiel devrait subsister. - En quoi consiste cet essentiel ? - En quelques affirmations simples : l'univers n'est pas statique, il se refroidit et se rarfie. Mais surtout, et c'est pour nous un lment central, la matire s'organise progressivement. Les particules des temps les plus anciens s'associent pour former des structures de plus en plus labores. Tel que Lucrce l'avait devin, on passe du simple au complexe , du moins efficace au plus efficace. L'histoire de l'univers, c'est l'histoire de la matire qui s'organise.

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    SCENE 2

    L'univers s'organise

    Par ordre d'entre en scne: des particules infimes, dans un dsordre indescriptible. Puis, rsultats de leurs accouplements, les premiers atomes qui tentent, eux aussi, des liaisons explosives au coeur d'astres brlants.

    La soupe aux lettres -L'histoire de la complexit commence. Nous sommes l'horizon de notre pass, il y a quelque quinze milliards d'annes. De quoi l'univers est-il fait ce moment-l ? - L'univers est une pure homogne de particules lmentaires : il s'agit des lectrons (ceux de notre courant lectrique), des photons (les grains de lumire), des quarks, des neutrinos, et d'une panoplie d'autres lments appels gravitons, gluons, etc. On les appelle lmentaires parce que l'on ne peut pas les dcomposer en lments plus petits, du moins le croit-on. - C'est une pure primitive, dit-on habituellement. Ce qui veut dire que tout cela est mlang, dsordonn, dsorganis. - J'aime la comparer ces potages de mon enfance composs de ptes en forme de lettres de l'alphabet avec lesquelles nous nous amusions crire nos noms. Dans l'univers, ces lettres, c'est--dire les particules lmentaires, vont s'assembler en mots, les mots s'associeront leur tour pour former des phrases qui s'agenceront elles aussi plus tard en paragraphes, en chapitres, en livres... A chaque niveau, les lments se regroupent pour former de nouvelles structures un niveau suprieur. Et chacune d'elles possde des proprits que n'ont pas individuellement ses lments. On parle de proprits mergentes . Les quarks s'assemblent en protons et neutrons. Plus tard, ceux-ci s'associeront en atomes, qui formeront des molcules simples, qui composeront des molcules plus complexes qui... C'est la pyramide des alphabets de la nature. - Combien de temps cela a-t-il pris ? - Pendant les premires dizaines de microsecondes aprs le Big Bang, l'univers est un vaste magma de quarks et de gluons. Vers la quarantime microseconde, au moment o la temprature descend en dessous de 1012 degrs (un million de million), les quarks s'assemblent pour donner les premiers nuclons : les protons et les neutrons.

    La premire seconde

    - Quelle prcision ! Comment peut-on connatre la premire seconde de l'univers, et mme les infimes fractions de la premire seconde, alors qu'on ne sait mme pas si l'univers a 10 ou 15 milliards d'annes ?

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    - Quel que soit le moment o elle a eu lieu, il s'agit pourtant bien de la premire seconde. Il faut comprendre le sens prcis des mots. La premire seconde indique la priode o l'univers tait une temprature de 10 milliards de degrs. Avant la premire seconde, il tait une temprature plus leve encore. La difficult, c'est de situer cette seconde dans notre histoire : disons environ quinze milliards d'annes. Les grands acclrateurs de particules nous permettent de reconstituer, pendant des instants trs brefs, les fortes densits d'nergie qui existaient cette poque. Elles correspondent des tempratures de 1016 degrs. Dans le scnario cosmique, elles n'ont rgn que le temps d'une micro-microseconde. Mais encore une fois, il s'agit d'un chronomtrage qui n'a de sens que dans la thorie du Big Bang. C'est une horloge conventionnelle, une sorte de reprage. - Nous constations pourtant que la physique touchait ses limites et qu'elle tait dmunie face l'vnement Big Bang. - Nous disposons de deux bonnes thories : la physique quantique, extrmement prcise, qui dcrit le comportement des particules condition que celles-ci ne soient pas plonges dans un champ de gravit trop fort ; et la thorie de la gravit d'Einstein, qui, elle, rend compte du mouvement des astres, mais qui ignore le comportement quantique des particules. Les limites de la physique se situent des tempratures d'environ 1032 degrs (c'est la temprature de Planck ). A cette temprature, les particules sont justement soumises de trs forts champs de gravit ! Nous ne savons plus calculer leurs proprits... Personne encore n'a rsolu ce problme. C'est notre limite depuis cinquante ans. Il nous faudrait un nouvel Einstein. - En attendant, contentons-nous de la premire seconde. Pourquoi l'univers n'est-il pas rest l'tat de pure ? Qu'est-ce qui l'a incit s'organiser ? - Ce sont les quatre forces de la physique qui ont prsid l'assemblage des particules, puis celui des atomes, des molcules et des grandes structures clestes. La force nuclaire soude les noyaux atomiques ; la force lectromagntique assure la cohsion des atomes ; la force de gravit organise les mouvements grande chelle - ceux des toiles et des galaxies ; et la force faible intervient au niveau des particules appeles neutrinos. Mais aux premiers temps, la chaleur dissocie tout et s'oppose la formation des structures. Tout comme, nos tempratures, elle empche la formation de la glace. Il a donc fallu que l'univers se refroidisse pour que les forces puissent entrer en action et tenter les premires combinaisons de la matire.

    La force est avec nous - Mais d'o viennent-elles, ces fameuses forces ? - Vaste question, la limite de la mtaphysique... Pourquoi y a-t-il des forces ? Pourquoi ont-elles la forme mathmatique que nous leur connaissons ? Nous savons maintenant que ces forces sont partout les mmes, ici et aux confins de l'univers, et qu'elles n'ont pas chang d'un iota depuis le Big Bang. Ce qui pose question dans un univers ou tout est en changement... - Comment sait-on qu'elles n'ont pas chang ? - On a pu le vrifier de plusieurs faons. Il y a quelques annes, des ingnieurs miniers ont dcouvert, au Gabon, un dpt d'uranium avec une composition tout fait spciale. Tout indiquait que ce minerai avait t soumis une intense irradiation. Une sorte de racteur naturel s'tait dclench spontanment dans cette mine il y a environ 1,5 milliard d'annes. En comparant l'abondance de ces noyaux atomiques avec celle de nos racteurs, on a pu montrer que la force nuclaire avait, cette poque, exactement les mmes caractristiques qu'aujourd'hui. De mme, on

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    peut savoir si la force lectromagntique a chang en comparant les proprits des jeunes et des vieux photons. - Comment peut-on faire cela ? - Nos spectroscopes nous permettent de dtecter des photons mis par des atomes de fer provenant d'une galaxie lointaine. Ce sont de vieux photons qui voyagent, disons, depuis douze milliards d'annes. - C'est une ide difficile comprendre. On reoit vraiment des vieilles particules que l'on peut attraper ? - Oui. Et en laboratoire, on peut comparer leurs proprits avec celles de jeunes photons mis par un arc lectrique avec des lectrodes de fer. Rsultat : la force lectromagntique n'a pas chang pendant la priode qui spare ces deux gnrations de particules. De mme l'analyse de l'abondance des noyaux lgers montre que la force de gravit et la force faible n'ont subi aucune modification depuis la priode o l'univers tait 10 milliards de degrs, c'est--dire il y a quinze milliards d'annes. - Comment peut-on expliquer que les forces soient ce point immuables ? - Sur quelles tables de pierre, comme celles de Mose, ces lois existent-elles ? Se situent-elles au-dessus de l'univers, dans ce monde des ides chres aux platoniciens ? Ces questions ne sont pas nouvelles ; on en discute depuis deux mille cinq cents ans. Les progrs de l'astrophysique ont remis ce dbat philosophique l'ordre du jour sans nous permettre pour autant de le rsoudre. Tout ce que nous pouvons dire, c'est que, contrairement l'univers qui n'arrte pas de se modifier, ces lois de la physique, elles, ne changent pas, ni dans l'espace ni dans le temps. Dans le cadre de la thorie du Big Bang, elles ont prsid l'laboration de la complexit. De surcrot, les proprits de ces lois sont encore plus tonnantes. Leurs formes algbriques et leurs valeurs numriques paraissent particulirement bien ajustes. - En quoi sont-elles ajustes ? - Nos simulations mathmatiques le montrent: si elles avaient t trs lgrement diffrentes, l'univers ne serait jamais sorti de son chaos initial. Aucune structure complexe ne serait apparue. Pas mme une molcule de sucre. - Pour quelle raison ? - Supposons que la force nuclaire ait t un petit peu plus forte. Tous les protons se seraient rapidement assembls en noyaux lourds. Il ne resterait pas d'hydrogne pour assurer au Soleil sa longvit et pour former la nappe aquatique terrestre. La force nuclaire est juste assez intense pour produire quelques noyaux lourds (ceux du carbone, de l'oxygne), mais pas trop pour ne pas liminer compltement l'hydrogne. Le bon dosage... On peut dire, d'une certaine manire, que la complexit, la vie et la conscience taient dj en puissance ds les premiers instants de l'univers, comme inscrites dans la forme mme des lois. Non pas en tant que ncessit mais en tant que possibilit. - N'est-ce pas un raisonnement a posteriori ? Nous constatons aujourd'hui que les lois ont conduit l'volution jusqu' l'homme. Cela ne signifie pas qu'elles taient faites pour cela. - C'est la question mille balles : y a-t-il une intention dans la nature ? Il ne s'agit pas d'une question scientifique, mais plutt d'une question philosophique et religieuse. Personnellement, je suis port rpondre oui. Mais quelle forme prend cette intention et quelle est cette intention ? Ce sont l des questions qui m'intressent au plus haut point. Mais je n'ai pas de rponses. D'une faon allgorique, on peut dire, avec beaucoup de guillemets : si la nature (ou l'univers, ou la ralit) avait eu l' intention d'engendrer des tres conscients, elle aurait fait exactement ce qu'elle a fait. Bien sr, c'est un raisonnement a posteriori, mais cela ne lui enlve pas son intrt.

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    La leon de la Lune - Depuis quand connat-on l'existence de ces lois de la nature ? - Il a fallu de nombreux sicles pour les reconnatre. Les philosophes grecs recherchaient dj les lments premiers qui avaient prsid, selon eux, l'laboration du cosmos. Aristote divisait le monde en deux: le monde en dessous de la Lune (le ntre), soumis au changement, o le bois pourrit et le mtal rouille ; et l'espace au-del de la Lune , o habitent les corps clestes, parfaits, immuables et ternels. - Tout tait pour le mieux dans le meilleur des mondes. - Cette notion de perfection des corps clestes a longtemps influenc la pense occidentale. Les taches solaires, visibles l'oeil nu et connues des Chinois anciens, ne sont jamais mentionnes en Occident avant Galile. La phrase je le croirai quand je le verrai peut galement s'inverser: je le verrai quand je le croirai. Quand Galile, avec sa lunette, observe pour la premire fois les montagnes de la Lune, tout est remis en question. La Lune est comme la Terre. La Terre est un astre. Il n'y a pas deux mondes, mais un monde unique rgi partout par les mmes lois. Newton va plus loin : pour lui, c'est la mme force qui fait tomber la pomme et qui retient la Lune en orbite autour de la Terre, ainsi que la Terre autour du Soleil. C'est la gravitation universelle , qu'il utilisera pour expliquer le mouvement des plantes. Les lois de la physique terrestre s'appliquent au monde tout entier. - Mais cela ne faisait qu'une seule force... - Au XIXe sicle, on connaissait depuis longtemps la force lectrique qui attire le duvet sur l'ambre ; ainsi que la force magntique qui oriente les aiguilles des boussoles. Le travail de nombreux physiciens a montr qu'il s'agissait en fait d'une seule force nomme lectromagntique, qui se manifeste de faon diffrente selon les contextes. Au XXe sicle, on a dcouvert deux nouvelles forces : la force nuclaire et la force faible. On a dmontr, vers 1970, que la force faible et la force lectromagntique n'taient, elles aussi, que des manifestations de la force dite lectrofaible . Les physiciens aimeraient unifier toutes les forces, mais ce n'est pour l'instant qu'un rve... - On a trouv deux forces dans notre sicle. Pourquoi n'y en aurait-il pas d'autres ? - C'est possible. Le physicien rpertorie les forces comme le botaniste les fleurs. Rien ne nous permet de dire que nous avons termin l'inventaire. Il y a dix ans, on voquait l'ide d'une cinquime force, mais elle n'a pas rsist l'analyse.

    Les premires minutes - Comment ces quatre forces universelles interviennent-elles au dbut de notre histoire ? - Quand la temprature est trs leve, l'agitation thermique dissocie rapidement toutes les structures qui peuvent se former. A mesure que la temprature dcrot, les forces entrent en jeu par

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    ordre de puissance. D'abord la force nuclaire : les quarks s'assemblent trois par trois pour former les nuclons (neutrons et protons) quand l'univers a environ 20 microsecondes. - Pourquoi trois par trois ? - Ces particules s'associent au hasard. Mais certaines combinaisons ne tiennent pas. S'ils s'assemblent deux par deux, les couples qu'ils forment sont instables et se dsintgrent rapidement. Seules deux sortes de trios rsistent: un assemblage de deux quarks de type up et un de type down , qui forment un proton et deux down et un up , qui forment un neutron. Un peu plus tard, la force nuclaire va inciter ces nouvelles structures former leur tour des assemblages de deux protons et deux neutrons, pour composer le premier noyau atomique, celui de l'hlium. La temprature est alors descendue 10 milliards de degrs et l'univers a dj une minute d'ge. - Il a fallu une minute pour en arriver au premier noyau atomique - Les forces ne peuvent se manifester que dans certaines conditions de temprature, un peu comme l'eau pour former de la glace. S'il fait trop chaud, elles n'agissent plus. S'il fait trop froid, non plus. Aprs ces premires minutes, l'univers s'est refroidi, il inhibe nouveau l'activit de la force nuclaire. La composition de l'univers est alors de 75 % de noyaux d'hydrogne (des protons) et de 25 % de noyaux d'hlium. Sur le plan de l'organisation, il ne se passera rien pendant plusieurs centaines de milliers d'annes. - Une minute d'agitation, et des centaines de milliers d'annes d'attente ! C'est une volution plutt saccade ! - La complexit n'avance pas d'un pas rgulier. Quand la temprature descend en dessous de 3 000 degrs, la force lectromagntique entre en opration. Elle met les lectrons en orbite autour des noyaux et cre ainsi les premiers atomes d'hydrogne et d'hlium. La disparition des lectrons libres a pour effet de rendre l'univers transparent : les photons, ces grains de lumire, ne sont plus affects par la matire du cosmos. Ils errent dans l'espace et se dgradent progressivement en nergie. Ils sont toujours l aujourd'hui, vieillis et dgrads, constituant le rayonnement fossile... L'volution fait ensuite une deuxime pause. Il faudra attendre encore cent millions d'annes pour qu'elle reparte.

    Les premires galaxies - Qu'est-ce qui va lui donner le coup de fouet cette fois-ci ? - Sous l'action de la force de gravit, la matire qui, jusque-l, tait homogne, commence former des grumeaux. Depuis que les lectrons ont t capts par les noyaux, le champ est libre, des structures grande chelle vont pouvoir se former. Auparavant, toute tentative de concentration de matire tait rapidement neutralise par le jeu des photons sur les lectrons. Cette fois, elle va pouvoir se condenser en galaxies.. - Une fois encore, on ne peut s'empcher de se demander: mais pourquoi ? - Il faut l'avouer, nous connaissons trs mal cette priode de l'histoire. Les chercheurs anglo-saxons la qualifient d'ailleurs d'ge noir de la cosmologie . Les observations du satellite COBE nous ont montr que, ce moment-l, la matire n'est pas parfaitement homogne et isotherme. Des rgions lgrement plus denses que la moyenne jouent alors le rle de germes de galaxies. Leur attraction draine progressivement vers elles la matire environnante. Leur masse va en s'amplifiant. Cet effet boule de neige leur permet de S'accrotre jusqu' former les magnifiques galaxies que nous voyons aujourd'hui dans le ciel.

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    - Ce phnomne s'est produit partout, au mme moment ? Il n'y a donc pas de dsert dans l'univers ? - L'univers est hirarchis en amas de galaxies, en galaxies, en amas d'toiles et en toiles individuelles. Notre systme solaire, par exemple, appartient une galaxie, la Voie lacte, compose de centaines de millions d'toiles, dont l'ensemble forme un disque de 100 000 annes-lumire de diamtre. - Une poussire dans l'univers... - Elle fait partie d'un petit amas local, compos d'une vingtaine d'autres galaxies (dont Andromde et les deux nuages de Magellan), lui-mme intgr un amas plus grand, celui de la Vierge, qui regroupe pour sa part plusieurs milliers de galaxies. Ce super-amas hberge, en son centre, une galaxie gante, cent fois plus grosse que la ntre, vers laquelle les autres galaxies sont attires. On parle d'une galaxie cannibale... - Charmant... - A une chelle suprieure au milliard d'annes-lumire, l'univers est extrmement homogne. Tout est peu prs uniformment peupl ; il n'y a pas de dsert et rien ne ressemble plus une section d'univers qu'une autre section d'univers. - A cette poque, l'univers change donc de visage. - Environ cent millions d'annes aprs le Big Bang, il ne se prsente plus sous la forme de pure homogne, comme dans les premiers temps. Il a la physionomie que nous connaissons : un vaste espace, peu dense, parsem de ces superbes les galactiques, un million de fois plus denses que lui. A l'intrieur de celles-ci, la matire se condense sous l'action de la force de gravit et forme des astres. Cela provoque une augmentation de la temprature. Les astres chappent ainsi au refroidissement gnral qui se poursuit autour d'eux. Ils se rchauffent, dgagent de l'nergie : les toiles se mettent briller. Les plus grosses, cinquante fois plus massives que notre Soleil, puiseront leur carburant atomique en trois ou quatre millions d'annes. Les moins grosses vivront pendant des milliards d'annes. - Pourquoi ont-elles pris la forme de boules ? - Que fait la force de gravit ? Elle attire la matire. Quelle est la configuration dans laquelle tous les lments sont les plus proches les uns des autres ? Une boule ! C'est la raison pour laquelle les toiles sont sphriques, comme les plantes, si elles ne sont pas trop petites. A l'intrieur d'un objet cleste de plus de 100 kilomtres de rayon, les forces de gravit prennent le dessus sur les forces chimiques qui donnent la matire sa rigidit et obligent celle-ci adopter une forme sphrique : la Lune est ronde, les satellites de Jupiter aussi. En revanche, ceux de Mars, plus petits, ont une gravit insuffisante pour que leur masse rocheuse soit arrondie. Ils ne sont pas sphriques. - Mais les galaxies, elles, ne le sont pas. Pourquoi ? - C'est leur rotation qui les aplatit et leur donne la forme de disque que nous leur connaissons. Notre Terre elle-mme est lgrement aplatie par sa rotation. Et le Soleil aussi.

    Pourquoi les toiles ne tombent pas - Pourquoi toutes ces toiles n'ont-elles pas t attires les unes par les autres ? - Newton s'tait pos la question. Puisque les toiles sont des objets massifs, se disait-il, elles s'attirent mutuellement. Pourquoi ne tombent-elles pas les unes sur les autres ? Si la Lune ne

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    s'crase pas sur la Terre, c'est parce qu'elle tourne autour de nous : la force centrifuge, associe son mouvement, contrebalance la force de gravit. Mme chose pour la Terre et le Soleil : c'est la rotation de notre plante autour de l'astre qui l'empche de s'craser sur lui. Qu'en est-il des toiles ? Newton n'a jamais rsolu cette nigme. - Et quelle est la rponse ? - A l'poque de Newton, on ne connaissait pas l'existence des galaxies. Aujourd'hui, on sait que le systme solaire tourne autour du centre de notre Voie lacte. C'est ce mouvement qui le retient en orbite et l'empche, ainsi que les cent milliards d'autres toiles, de tomber vers le noyau central. - Mais qu'est-ce qui empche alors les galaxies de tomber les unes sur les autres ? Il n'y a pas de centre de l'univers, que l'on sache. - Non. La rponse se trouve, cette fois, dans l'expansion de l'univers, dans le mouvement gnral des galaxies. On observe que celles-ci s'loignent les unes des autres. La cause de cette impulsion initiale est encore un sujet de spculation. - Pendant combien de temps ce mouvement va-t-il se poursuivre ? - On n'a pas de rponse dfinitive cette question. Imaginez que vous voyez un caillou dans le bleu du ciel au-dessus de vous. Il y a deux possibilits : ou bien ce caillou est en train de tomber vers vous, ou bien ce caillou s'lve. Dans ce cas, qu'est-ce qui va se passer ? Il y a encore deux possibilits : ou bien il va bientt retomber sur la Terre, ou alors il va s'arracher son attraction et ne reviendra jamais au sol. Tout dpend de la vitesse laquelle il a t lanc. Si celle-ci est infrieure 11 kilomtres-seconde, il retombera. Sinon, il s'chappera de l'attraction terrestre. - Ce serait donc la mme chose pour les galaxies ? - Elles s'loignent de nous, mais leur mouvement est ralenti par la gravit qu'elles exercent sur elles-mmes. Leur attraction mutuelle dpend de leur nombre et de leur masse, c'est--dire de la densit de matire cosmique : si celle-ci est faible, les galaxies vont continuer s'loigner indfiniment (c'est le scnario de l' univers ouvert ) ; si elle est forte, les galaxies vont finir par inverser leur mouvement et revenir les unes vers les autres (c'est le scnario de l' univers ferm ). Ce sont les deux avenirs possibles de l'univers. - Et vers lequel penche-t-on ? - Vers le premier. L'univers va continuer s'tendre et se refroidir indfiniment. Ce rsultat n'est cependant pas dfinitivement tabli. Mais de toute faon, nous savons dj que l'expansion va durer encore au moins quarante milliards d'annes.

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    SCENE 3

    Terre!

    Dans le dsert spatial, les premires molcules engagent une ronde ininterrompue et engendrent, dans la banlieue d'une modeste galaxie, une plante singulire.

    Le creuset des toiles - Un dsert infini, avec et l des lots de galaxies fragmentes en toiles... Un milliard d'annes aprs le Big Bang, la pure de matire s'est organise et prsente une physionomie plus reconnaissable. Tout cela semble stable, et l'univers aurait trs bien pu en rester l. Pourtant, une fois encore, l'volution va se remettre en marche. Pourquoi ? - Ce sont les premires toiles qui reprennent le flambeau. Alors que, partout ailleurs, l'univers poursuit son refroidissement, elles connaissent, elles, une lvation de temprature considrable. Elles deviennent des creusets pour l'laboration de la matire et vont lui faire franchir une nouvelle tape de l'volution cosmique. Les assemblages des toutes premires secondes de l'univers vont se rejouer dans les toiles. - Elles se comportent en quelque sorte comme des petits Big Bang locaux ? - En un certain sens. Le rchauffement est provoqu par la contraction de l'toile sous son propre poids. Quand la temprature atteint environ 10 millions de degrs, la force nuclaire s'veille nouveau. Comme dans le Big Bang, les protons se combinent pour former de l'hlium. - L'univers des origines, on s'en souvient, s'tait arrt ce stade-l... - Ces ractions nuclaires dgagent une grande quantit d'nergie dans l'espace sous forme de lumire. L'toile brille. Notre Soleil carbure ainsi l'hydrogne depuis 4,5 milliards d'annes. Les toiles plus massives brillent beaucoup plus et puisent leur hydrogne en quelques millions d'annes. Alors l'toile reprend sa contraction. Sa temprature monte jusqu' dpasser les 100 millions de degrs. L'hlium, cendre de l'hydrogne, devient son tour un carburant. Un ensemble de ractions nuclaires va alors permettre des combinaisons indites : trois hliums s'associent en carbone et quatre hliums en oxygne. - Mais pourquoi ces ractions n'avaient-elles pas pu se produire au moment du Big Bang ? - La rencontre et la fusion de trois hliums est un phnomne trs rare. Il faut beaucoup de temps pour y arriver. Dans le Big Bang, la phase d'activit nuclaire n'a dur que quelques minutes. C'est trop court pour fabriquer une quantit importante de carbone. Cette fois, dans les toiles, les assemblages vont pouvoir se jouer sur des millions d'annes. - Chaque toile va donc se mettre fabriquer du carbone et de l'oxygne ? - Pendant les millions d'annes suivants, le centre des toiles se peuple effectivement en noyaux de carbone et d'oxygne. Ces lments vont jouer un rle fondamental dans la suite de l'histoire. Le carbone en particulier, avec sa configuration atomique particulire, se prte facilement la fabrication de longues chanes molculaires qui interviendront dans l'apparition de la vie. L'oxygne entrera dans la composition de l'eau, un autre lment indispensable la vie.

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    Poussires d'toiles - Et pendant ce temps, l'toile continue de se contracter ? - Le coeur de l'toile s'affaisse sur lui-mme, tandis que son atmosphre se dilate rapidement et passe au rouge. Elle devient une gante rouge. Quand elle dpasse le milliard de degrs, elle engendre des noyaux d'atomes plus lourds, ceux des mtaux, le fer, le zinc, le cuivre, l'uranium, le cuivre, le plomb, l'or... jusqu' l'uranium, compos de 92 protons et de 146 neutrons, et mme un peu au-del. La centaine d'lments atomiques que nous connaissons dans la nature sont ainsi produits dans les toiles. - Cela aurait pu continuer longtemps. - Non, car maintenant le coeur de l'toile s'effondre sur lui-mme. Les noyaux des atomes entrent alors en contact et rebondissent. Cela provoque une gigantesque onde de choc qui entrane l'explosion de l'astre. C'est ce que l'on appelle une supernova, un clair qui illumine le ciel comme un milliard de soleils. Les prcieux lments que l'toile a produits en son sein tout au long de son existence sont alors propulss dans l'espace, des dizaines de milliers de kilomtres par seconde. Comme si la nature avait extrait les plats du four au bon moment, juste avant qu'ils ne soient brls. - En faisant sauter le four ! - C'est ainsi que meurent les toiles massives. Elles laissent cependant sur les lieux un rsidu stellaire contract, qui deviendra une toile neutrons ou un trou noir. Les petites toiles, comme le Soleil, s'teignent plus doucement. Elles vacuent leur matire sans violence et se transforment en naines blanches. Elles se refroidissent lentement et se transforment en cadavres clestes sans rayonnement. - Que deviennent ces atomes chapps des toiles mourantes ? - Ils errent au hasard dans l'espace interstellaire et se mlent aux grands nuages parpills tout au long de la Voie lacte. L'espace devient maintenant un vritable laboratoire de chimie. Sous l'effet de la force lectromagntique, les lectrons se mettent en orbite autour des noyaux atomiques pour former des atomes. A leur tour, ceux-ci s'associent en molcules de plus en plus lourdes. Certaines regroupent plus d'une dizaine d'atomes. L'association de l'oxygne et de l'hydrogne va donner de l'eau. L'azote et l'hydrogne forment l'ammoniac. On y trouve mme la molcule d'alcool thylique, celle de nos boissons alcoolises, compose de 2 atomes de carbone, 1 atome d'oxygne et 6 atomes d'hydrogne. Ce sont les mmes atomes qui plus tard, sur Terre, se combineront pour former des organismes vivants. Nous sommes vraiment faits de poussires d'toiles.

    Le cimetire des astres - A cette poque-l, il n'y a dans l'univers que des gaz, des boules de feu stellaires, mais pas encore de matires solides. - Elles arrivent. En se refroidissant, certains atomes issus des toiles, comme le silicium, l'oxygne, le fer, vont s'associer pour former les premiers lments solides : des silicates. Ce sont

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    des grains minuscules, de dimensions infrieures au micron (un millime de millimtre) qui contiennent des centaines de milliers d'atomes. La force de gravit agit sur les nuages interstellaires et les amne s'effondrer sur eux-mmes, provoquant la gnration de nouvelles toiles. Certaines d'entre elles auront un cortge plantaire comme le ntre. Et ces plantes contiendront en leur sein les atomes engendrs par les toiles dfuntes. - Il faut donc que les toiles meurent pour que d'autres naissent. L'apparition du neuf exige la mort du vieux, dj dans l'espace ! - Les atomes de notre biosphre ont forcment t crs dans les creusets d'toiles, et librs dans l'espace leur mort. Ces gnrations entremles d'toiles et d'atomes dbutent quelques centaines de millions d'annes apres le Big Bang. Elles se poursuivront encore pendant des dizaines de milliards d'annes. L'espace devient une sorte de fort d'astres : il y en a des grands, des petits, des jeunes et des vieux qui meurent, se dsagrgent et enrichissent le terreau pour nourrir de nouvelles pousses. Il se forme encore en moyenne trois toiles par anne dans notre galaxie. C'est ainsi qu'assez tardivement, il y a 4,5 milliards d'annes seulement, une toile qui nous intresse particulirement, notre Soleil, natra la priphrie d'une galaxie spirale, la Voie lacte. - Pourquoi spirale ? - C'est la rotation rapide des toiles autour de son centre qui a donn notre galaxie sa forme de disque aplati. L'origine des bras spiraux est due des phnomnes gravitationnels, mais on les connat mal. La Voie lacte, cette grande arche lumineuse qui traverse la nuit toile, est l'image de toutes ces toiles tales le long du disque de la galaxie qui tournent autour de son centre : notre systme solaire accomplit un tour complet en 200 millions d'annes environ.

    Une toile ordinaire - Qu'est-ce qui distingue notre Soleil des autres astres ? - C'est une toile tout fait moyenne dans notre galaxie. Sur cent milliards d'toiles, au moins un milliard lui ressemble s'y mprendre. Quand le Soleil nat sur un bras extrieur de la Voie lacte, il y a 4,5 milliards d'annes, il est beaucoup plus gros qu'aujourd'hui et il est rouge. Petit petit, il se contracte, devient jaune et sa temprature intrieure augmente. Aprs une dizaine de millions d'annes, il commence transformer son hydrogne en hlium, comme une bombe H gante, mais dont le dbit est contrl. Ce phnomne de fusion nuclaire va lui assurer sa stabilit et sa luminosit. - Cette toile banale a quand mme russi s'attirer des plantes et constituer un systme autour d'elle. - Il s'agit probablement d'un phnomne assez gnral dans la galaxie, bien qu'avec nos moyens limits nous n'en ayons encore dtect que quelques cas. La formation de plantes comme la Terre ne peut tre que relativement rcente. Les corps solides de notre cortge plantaire sont constitus surtout d'oxygne, de silicium, de magnsium et de fer; des atomes se sont forms progressivement par l'activit de gnrations d'toiles successives. Il a fallu plusieurs milliards d'annes pour qu'ils s'accumulent en quantit suffisante dans les nuages interstellaires. On a mesur l'ge de la Lune ainsi que celui de nombreuses mtorites. Les valeurs sont exactement les mmes : 4,56 milliards d'annes. Le Soleil et ses plantes sont apparus en mme temps, une priode o notre galaxie avait dj plus de huit milliards d'annes. - Comment les plantes se forment-elles ?

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    - Nous ne le savons pas trs bien. Les poussires inter-stellaires se disposent autour des embryons d'toiles et forment des disques analogues aux anneaux de Saturne. Puis, peu peu, ces petits corps s'assemblent pour constituer des structures rocheuses aux dimensions toujours croissantes. Les collisions sont frquentes. Les pierrailles s'entrechoquent, se brisent ou se capturent. Certains blocs, plus massifs, attirent les autres et finissent par s'agglomrer en plantes. Les innombrables cratres de la Lune et de beaucoup d'autres corps dans le systme solaire gardent la trace de ces chocs violents qui ont augment leur masse. Ceux-ci dgagent une grande quantit de chaleur, laquelle s'ajoute l'nergie due la radioactivit de certains atomes. - Tout cela tait encore en fusion ? - A leur naissance, les grandes plantes sont des boules de feu incandescentes. Plus la plante est massive, plus la chaleur est importante, et plus il faut de temps pour l'vacuer. Pour les trs petits corps, comme les astrodes, cela se passe trs rapidement. La Lune et Mercure ont dissip leur chaleur initiale dans l'espace en quelques centaines de millions d'annes. Depuis longtemps, ces astres n'ont plus de feu intrieur et donc plus d'activit gologique. La Terre, elle, a demand davantage de temps. Aujourd'hui, elle garde en son coeur un brasier qui provoque des mouvements de convection de la pierre encore fluide. Ces phnomnes sont l'origine des dplacements de continents, des ruptions volcaniques et des tremblements de terre. Cette instabilit gologique est d'ailleurs prcieuse : elle entrane des variations du climat, qui joue un rle important dans l'volution des tres vivants.

    De l'eau liquide - Qu'est-ce qui distingue notre plante des autres ? - Elle est la seule possder de l'eau liquide. De l'eau, il y en a beaucoup dans le systme solaire : sous forme de glace, dans les satellites de Jupiter et de Saturne o la temprature est trs basse ; et sous forme de vapeur, dans l'atmosphre torride de Vnus, plus proche du Soleil. L'orbite de la Terre la maintient une distance adquate pour que l'eau reste liquide. - Mars, galement, possdait de l'eau liquide, comme semblent le montrer ses canaux, ces oueds asschs que les sondes spatiales ont rvls. - Vraisemblablement, il y a au moins un milliard d'annes, des fluides se sont couls sa surface. Il n'y en a plus depuis longtemps. Pourquoi ? On ne sait pas trs bien. A cause de sa petite masse, son activit tectonique est maintenant trs faible. - Mais d'o vient l'eau de la Terre ? - Revenons ces torrents de matire projets dans l'espace la mort des toiles. Des poussires se forment, sur lesquelles des glaces d'eau et de gaz carbonique se dposent. Quand ces poussires s'agglutinent pour donner naissance aux plantes, les glaces se volatilisent et s'chappent au-dehors sous forme de geysers. De surcrot, des comtes largement constitues de glaces vont tomber sur elles. - Et la Terre va conserver cette eau ? - Son champ de gravit est suffisant pour retenir ces molcules d'eau sa surface, et sa distance au Soleil lui permet de la maintenir partiellement liquide. Dans ses premiers temps, elle est bombarde en permanence par les rayons ultraviolets mis par le tout jeune Soleil, son atmosphre est parcourue par d'immenses cyclones, de puissants clairs la zbrent, comme sur Vnus aujourd'hui.

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    Le don de l'eau - Pourquoi alors Vnus n'a-t-elle pas connu la mme histoire ? - On ne le sait pas vraiment. Les deux plantes se ressemblent beaucoup. Elles ont pratiquement la mme masse et la mme quantit de carbone... Sur Vnus, cependant, ce carbone se trouve dans l'atmosphre, tandis que sur la Terre il est au fond des ocans sous forme de calcaires. Les compositions atmosphriques initiales des deux plantes taient pourtant largement semblables. - D'o vient alors la diffrence ? - On pense que l'eau liquide, la surface de notre plante, a jou un rle crucial. Grce cette nappe aquatique, le gaz carbonique de l'atmosphre initiale a pu se dissoudre et se dposer au fond des ocans sous forme de carbonates. Vnus est un peu plus proche du Soleil que nous. La diffrence de temprature est vraisemblablement responsable de l'absence initiale d'eau liquide. Son enveloppe de gaz carbonique cre un immense effet de serre qui maintient sa temprature 500 degrs. Ces deux plantes presque identiques ont donc volu de manire trs diffrente. - Sans l'eau liquide, il n'y aurait pas de suite cette histoire. - Je le pense. L'eau liquide a jou un rle primordial dans l'apparition de la complexit cosmique. Dans la nappe ocanique, l'abri des rayonnements ionisants de l'espace, une intense chimie va se mettre en oeuvre. Elle produit, par rencontres et associations, des structures molculaires de plus en plus importantes. Dans ces premires tapes de l'volution prbiotique, le carbone, n des gantes rouges, va jouer un rle de premier plan.

    Une gueule d'atmosphre - Pourquoi un tel succs du carbone ? - C'est l'atome idal pour les constructions molculaires - il possde quatre crochets avec lesquels il joue un rle de charnire entre de nombreux atomes. Les liens qu'il cre sont suffisamment souples pour se prter au jeu des associations et des dissociations rapides, indispensables aux phnomnes vitaux. Le silicium possde galement quatre crochets, mais les liens qu'il noue sont beaucoup plus rigides. Il cre des structures stables comme le sable, mais ne saurait se plier aux contraintes du mtabolisme. - Il est donc absurde d'imaginer qu'il y a, quelque part dans l'univers, des formes de vie base de silicium ? - C'est trs, improbable. Dans notre galaxie comme dans les galaxies voisines, les molcules de plus de quatre atomes identifies au radiotlescope contiennent toujours du carbone et jamais de silicium. Cette observation suggre fortement que, si la vie existe ailleurs, elle est galement construite avec du carbone. - Une fois l'atmosphre terrestre constitue, la vie ne va pas tarder, n'est-ce pas ?

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    - A la naissance de la Terre, il y a 4,5 milliards d'annes, les conditions ne sont gure favorables. La temprature du sol est trop leve. De plus, cette poque, l'espace fourmille de petits corps qui seront plus tard absorbs par les astres plus massifs (le systme solaire a fait son propre mnage). Le bombardement de mtorites et de comtes est d'une extrme violence. Les tudes de la comte de Halley, lors de son dernier passage en 1986, Ont montr la prsence d'une quantit importante d'hydrocarbures. Les collisions du Premier milliard d'annes Ont vraisemblablement apport la surface terrestre, en plus de l'eau, une quantit importante de molcules complexes. Ces comtes, considres dans les sicles passs comme annonciatrices de mort et de destruction, ont Probablement jou un rle bnf ique dans l'apparition de la vie. Moins de un milliard d'annes aprs la naissance de la Terre, l'Ocan foisonnera d'organismes vivants dont les Premires algues bleues.

    La grossesse de l'univers - Fin du premier acte, le plus long, le plus lent. Nous sommes arrivs sur Terre, aprs plusieurs milliards d'annes dhistoire de lunivers. Sur cette plante, ds lors, les choses vont considrablement s'acclrer. - Les assemblages molculaires vont se raliser cette fois avec des centaines, des milliers, des millions d'atomes. Depuis le Big Bang, la matire a gravi les chelons de la pyramide de la complexit. Seule une fraction infime des lments qui ont atteint un palier russit rejoindre le palier suivant. Seule une minuscule Partie des Protons du dbut de l'histoire ont form des atomes lourds. Seul un tout petit nombre de molcules simples s'est agenc en molcules complexes, et seule une infime partie de celles-ci participera aux structures de la vie. - En mme temps, il semble qu'il y ait eu une grande uniformit dans ce premier acte de l'volution. - Oui. L'univers a difi les mmes structures partout dans l'espace. Nous n'avons jamais observ, dans les toiles et dans les galaxies les plus lointaines, un seul atome qui n'existe pas en laboratoire, - Ce qui suggrerait que la mme histoire ait pu se drouler ailleurs, et que la vie existerait sur d'autres plantes. - On remarque que partout les quarks se sont associs en protons et neutrons, que ceux-ci se sont associs en atomes, ceux-ci en molcules. Et partout les nuages de matire interstellaire s'effondrent pour donner des toiles. On peut imaginer que certaines d'entre elles possdent des cortges de plantes, dont quelques-unes reclent de l'eau liquide propice l'apparition de la vie. Tout cela est plausible, mais encore non dmontr.

    La journe de la Terre - Le temps galement s'est contract : plus on avance dans notre histoire, plus l'volution va vite.

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    - Oui. Si l'on ramne les 4,5 milliards d'annes de notre plante une seule journe, en supposant que celle-ci soit apparue 0 heure, alors la vie nat vers 5 heures du matin et se dveloppe pendant toute la journe. Vers 20 heures seulement viennent les premiers mollusques. Puis, 23 heures, les dinosaures qui disparaissent 23 h 40, laissant le champ libre l'volution rapide des mammiferes. Nos anctres ne surgissent que dans les cinq dernires minutes avant 24 heures et voient leur cerveau doubler de volume dans la toute dernire minute. La rvolution industrielle n'a commenc que depuis un centime de seconde ! - Et nous sommes entours de gens qui croient que ce qu'ils font depuis cette fraction de seconde peut durer indfiniment. On ne peut s'empcher de voir une logique dans le droulement de ce premier acte, une sorte de pulsion de la complexit, qui lance l'univers vers des organisations successives, embotes comme des poupes russes, du chaos l'intelligence. Un sens, oserait-on dire... - Force nous est de constater que notre univers a transform son tat informe du dbut en un ensemble de structures de plus en plus organises. Cette mtamorphose pourrait s'expliquer par l'action des forces de la physique sur une matire en refroidissement. Sans l'expansion de l'univers, sans le grand vide interstellaire, il n'y aurait pas de deuxime acte cette histoire. Mais cela ne fait que reculer l'interrogation d'un cran et nous ramne nos rflexions sur les lois. La question pourquoi y a-t-il des lois plutt que pas de lois me parat tre dans la squence logique de la fameuse question de Leibniz : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutt que rien ? - L'apparition de la vie tait-elle inscrite dans le droulement de ce scnario ? - On disait dans le pass que la probabilit d'apparition de la vie tait aussi faible que celle de voir un singe plac devant une machine crire l'oeuvre de Shakespeare. Aujourd'hui, on a de nombreuses raisons de penser que l'apparition de la vie sur une plante approprie est loin d'tre improbable. Quoi qu'il en soit, probable ou improbable, on peut affirmer que, ds les premiers temps du cosmos, la possibilit (mais non pas la ncessit) d'apparition de la vie, dont Jol de Rosnay va conter l'aventure, tait inscrite dans la forme mme des lois de la physique.

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    ACTE 2 _______

    La vie

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    SCENE 1

    La soupe primitive

    Pas trop prs ni trop loin d'un astre opportun, la Terre s'isole derrire son voile et prend le relais des toiles pour faire voluer la matire.

    La vie nee de la matire - L'ide d'une continuit entre l'volution de l'univers et celle de la vie est rcente. Pendant des sicles, on a spar rigoureusement la matire et le vivant, comme s'il s'agissait de deux mondes diffrents. - Jol de Rosnay : La vie est capable de se reproduire, d'utiliser l'nergie, d'voluer, de mourir... La matire, elle, est inerte, immobile, incapable de se reproduire. En regardant, d'un ct, le monde vivant et, de l'autre, le monde minral, on ne pouvait s'empcher de les considrer comme opposs. Mais jadis, on ne savait pas que les molcules taient faites d'atomes, ni que les cellules taient faites de molcules. Alors, on expliquait que la vie tait apparue sur Terre par la volont des dieux ou par un hasard extraordinaire. C'tait en fait une manire de cacher son ignorance. - Pas de hasard donc, dans ce deuxime acte ? - Rcemment encore, certains scientifiques parlaient d'un hasard crateur : selon eux, dans la Terre primitive, certaines substances chimiques se seraient combines accidentellement pour donner les premiers organismes, ce qui en ferait un vnement uniquement terrestre. Aujourd'hui, cette hypothse n'est plus de mise. - Et l'on peut affirmer sans rserve que la vie est ne de la matire ? - Depuis quelques annes, de nombreuses dcouvertes et expriences ont confirm cette grande ide mise dans les annes 1950 : la vie rsulte de cette longue volution de la matire, qui, depuis les premiers assemblages du Big Bang, se poursuit, sur Terre, avec les molcules primitives, les premires cellules, les vgtaux, les animaux. Ce cheminement du vivant, qui a dur des centaines de millions d'annes, est donc bien une tape de la mme histoire, celle de la complexit. Aprs la naissance de la Terre, les molcules vont s'organiser en macromolcules, celles-ci en cellules, les cellules en organismes. La vie rsulte de l'interaction et de l'interdpendance de ces nouveaux constituants.

    La ncessit, sans le hasard - Pourrait-on dire alors, comme le suggre Hubert Reeves, que l'apparition de la vie tait tout fait probable ?

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    - Jacques Monod parlait de ncessit : dans des conditions donnes, les lois qui organisent la matire engendrent ncessairement des systmes de plus en plus complexes. On peut considrer que, si on la compare un caillou, l'apparition d'un organisme vivant est effectivement improbable. Mais elle ne l'est pas si on la considre dans la dure, dans le fil de notre histoire. - Ce qui suggre que la scne que nous allons dcrire a pu se drouler ailleurs, dans l'univers. - C'est juste. Imaginons une plante situe une distance d'un astre approprie pour produire de la vie. Imaginons qu'elle est assez grosse pour retenir une atmosphre dense, compose d'hydrogne, de mthane, d'ammoniac, de vapeur d'eau et de gaz carbonique. Imaginons que le refroidissement de cette plante provoque un dgazage interne et une condensation qui produit de l'eau liquide. Imaginons encore que les synthses chimiques qui se jouent dans son atmosphre contribuent accumuler dans cette eau des molcules qui soient protges des ultraviolets. Toutes ces conditions ne sont pas exceptionnelles et peuvent tre runies dans de nombreuses rgions de l'univers. Eh bien ! il y a, dans ce cas, une forte probabilit d'apparition de systmes vivants. C'est la raison pour laquelle de nombreux scientifiques, tel Hubert Reeves, pensent que la vie a pu apparatre ailleurs, dans notre galaxie ou dans une autre. - La ncessit, sans le hasard. - Oui. Toute plante qui possde de l'eau et se trouve une distance optimale d'une toile chaude a la possibilit d'accumuler des molcules complexes et des petits globules qui changeront des substances chimiques avec leur milieu. De ncessit en ncessit, l'volution chimique aboutit des tres vivants rudimentaires.

    Recette pour faire une souris - La vie qui surgit de la matire, c'est un peu ce que l'on disait autrefois en parlant de gnration spontane. Nos anctres n'avaient donc pas compltement tort... - C'est vrai. Mais ils pensaient que la vie naissait, comme a, spontanment, de la matire en dcomposition. Que les vers surgissaient de la boue, et les mouches de la viande avarie. Au xviie sicle, un clbre mdecin a mme donn la recette pour faire des souris : vous prenez des grains de bl et une chemise sale, bien imprgne de sueur humaine, vous placez le tout dans une caisse, et vous attendez vingt et un jours. Simple non ? Et puis, grce aux tout premiers microscopes, on dcouvrit l'existence d'organismes trs petits, des levures, des bactries qui prolifrent dans les substances en dcomposition. Alors on a affirm que la vie naissait en permanence de la matire sous une forme microscopique. - Ce n'tait pas compltement stupide. - L'ide de base tait juste, mais le raisonnement tait faux : la vie ne nat pas spontanment, elle a demand beaucoup de temps pour apparatre. En 1862, Pasteur montre que des germes microbiens sont prsents partout dans l'environnement, non seulement dans l'air, mais aussi sur nos mains, sur les objets. Les minuscules organismes que l'on observe dans les bouillons de culture rsultent donc d'une contamination. Pasteur a concoct un bouillon de betteraves, de lgumes, de viande ; il l'a enferm dans un ballon avec un trs long col en forme de cygne pour l'isoler de l'air extrieur, il a fa