Recueil des détenus 2012 "Qui d'autre?"

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monsieur, famille, professeurs, autrui, enfant, conjoint, amis, cardinal, étranger, voisinage, l’invité, le président, mister, la société, le monde, moi, eux, une ville, un pays, amateur, frères, troupe, damnés, comédiens, régisseur, les gens, je, l’inconnue, le père, grand, marié, mère, tu, certains, univers, nous, proches, nouveau né, â me, commerçants, jeune, homme, cher, elle, chouchou, un, maman, vous, certains, conquérants, filles, soldats, diable, occupant, vieille, maîtres, pauvres, riches, seul, peuple, grand- mère, mon amour, me, village, vendeur, mon semblable, ennemi, canaille, soi-même, voisin, on, clandestin, institution, association, passager, les morts, adultes, la France, un afro, le vieux, le chauve, chérie, le premier, gentleman, avocat, le gentil, la girl, la petite, vouvoyer, tutoyer, papa, sportifs, adolescent, badauds, darling... Qui d’autre ? Textes écrits par des détenus de la maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis, recueil offert par la ville de Villepinte.

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Recueil de textes écrits par les détenus de la maison d'arrêt de Villepinte

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monsieur, famille, professeurs, autrui, enfant, conjoint, amis,cardinal, étranger, voisinage, l ’invité, le président,mister, la société, le monde, moi, eux, une ville, un pays,amateur, frères, troupe, damnés, comédiens, régisseur,les gens, je, l’inconnue, le père, grand, marié, mère,tu, certains, univers, nous, proches, nouveau né, â me,commerçants, jeune, homme, cher, elle, chouchou, un,maman,  vous, certains, conquérants, fil les, soldats, diable,occupant, vieil le, maîtres, pauvres, riches, seul, peuple, grand-mère, mon amour, me, vil lage, vendeur, mon semblable,ennemi, canail le, soi-même, voisin, on, clandestin, institution,association, passager, les morts, adultes, la France, un afro,le vieux, le chauve, chérie, le premier, gentleman, avocat,le gentil, la girl, la petite, vouvoyer, tutoyer, papa, sportifs,adolescent, badauds, darling...

Qui d’autre ?Textes écrits par des détenus

de la maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis,recueil offert par la ville de Villepinte.

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Ce recueil est le fruit d’un travail individuel et collectif entre écrivains etdétenus.

Je soutiens pleinement cette actionqui permet de créer des momentsd’échange, de rencontres, de temps deparole, de travail dans ce centre

pénitentiaire situé sur notre commune.

La culture est un droit pour tous. Elle permet à tout unchacun de s’élever, de s’évader, même entre quatre murs.Ces ateliers de lecture et d’écriture mis en place entrela compagnie Issue de Secours et la maison d’arrêt sontaussi des moyens d’ouverture. S’ouvrir aux autres, s’ouvrirau monde participe à l’insertion sociale.

Cette nouvelle édition sur le thème « Les autres » confronteles genres, les styles d’écritures, les mots et fait vivrela richesse du monde à travers les lignes.

Je vous souhaite une bonne lecture.

Nelly Roland IriberryMaire de Villepinte1ère Vice-présidente de Terres de France

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Le nouveau roman d’Anne Luthaud sortira en mars pro-chain je crois, il s’appellera Les épinards crus. On y trouveun petit garçon qui vit avec le gardien du cimetière italiende Gènes. Dans la petite maison en haut du cimetière.Il joue avec les tombes, avec les ombres, avec les fantômesdes vivants et de ceux qui reposent là. Il y court, il y vit.Il reconstruit des histoires… Chaque atelier commençaitpar la lecture d’un passage du roman, nous avancionsdans l’histoire, pas à pas, comme pas à pas nous sentionsl etravail de l’auteur, juste à côté. L’échange à l’arrêt de lalecture, les questions posées sur les choix, l’interprétationou la fable marquaient l’instant où tout pouvait commen-cer. Les feuilles distribuées, les crayons, l’attente de ce quiva se passer maintenant, l’impatience et l’envie d’écrire…Deux personnages, l’un dit : J’ai pas compris vous avez ditquoi ? C’est parti ! S’enchaînent les propositions d’écritureet les lectures d’autres auteurs, d’autres formes (AntonioLobo Antunes, Leïla Sebbar, Atiq Rahimi, Sylvain Levey,Daniel Keene, Bernard-Marie Koltès, Laurence Vielle…). Et les mots deviennent joyeux ou tristes mais deviennentmatière à exprimer et à rêver. Les mêmes rêves parfoisque ceux du petit garçon qui se ballade sur les tombes ducimetière de Gènes et qui joue avec les noms, les statues,les stèles et reconstruit l’histoire pour en faire partie.Les autres ? Qui d’autre ?

Pascale PoirelCompagnie Issue de secours

L’ATELIER D’EcRITuRE

I

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Les autres c'est eux. Les autres c'est nous. Et on est ensem-ble. Le temps de dix ateliers de quatre heures chacun, ons'est apprivoisés les uns les autres. On a appris à s'écouter,à s'entendre. Une nouvelle fois, une fois encore, on a ri. Ona ri et on s'est étonnés que les autres existent à ce point là,pour nous. Une nouvelle fois, au cours de ces séances delecture - écriture menées avec Pascale Poirel, comme on lefait ensemble depuis quatre ans à la maison d'arrêt deVillepinte, j'ai été heureuse de la qualité du travail accom-pli, de l'attention portée par tous à la voix de Pascale lisantromans, théâtre ou poésie, de la concentration des corps,des visages penchés sur les feuilles à la recherche d'un mot,d'une phrase qui prolongeraient la proposition que j'avaisfaite, faisant ainsi naître un texte."Les autres" - thème choisi cette année - c'est ceux del'enfance, ceux des rencontres du cours de la vie, ceux d'au-jourd'hui, maintenant. Ce sont les proches et les plus loin,ceux que l'on reconnaît ou ceux que l'on ignore. Lesdifférents et les mêmes. Ceux qui nous tiennent ou ceux quel'on tient. Les autres ont au palais le goût de plats que l'onne soupçonne pas et dans les yeux d'autres couleurs.En trois vêtements, en trois pensées, un autre est en facede moi. Et que dit-il ?Des paroles et des pensées, des regards et des mouve-ments, des sensations et des sentiments ont été, ici, inventés.Et ce n'était pas rien que le plaisir de les découvrirensemble, les uns avec les autres.

Anne LuthaudAuteur

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... vit à Paris. Elle a participé à la création de la Fémis avantd’en devenir directrice des études, puis travaillé dansl'édition et elle dirige aujourd’hui le GREC (groupe derecherches et d’essais cinématographiques). Elle est l’au-teur de romans publiés aux Éditions Verticales : Comme unmensonge, 2009, Blanc, 2006, Garder, 2002 (Prix del'INFL, 2002; Prix de l'ENS Cachan, 2003), d’un court récitLe jour, Marin, fait mal aux yeux (Inventaire/Invention,2007), d’un album pour enfants, Le Bleu de Madeleine(Gautier Languereau, 2007). Son prochain roman, Lesépinards crus est à paraître en 2013 aux éditions Buchet-Chastel.Elle écrit aussi pour le théâtre : Le Bleu de Madeleine(nominé aux Molières Jeune Public 2006), Les clés, lagrand-mère et la haine… mises en scène par Anne-MarieMarquès, ainsi que des fictions pour France Culture. Ellemène régulièrement des résidences, notamment avec leCRLFC, le CG de Seine-Saint-Denis, l’Académie Fratellini.

AnnE LuThAuD...

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Mot du Maire

L’atelier d’écriture

Fares

Rodrigue Norman

Khaled

Leïla Sebbar

Les plats des autres

Céline Spector

Greg

Kaouther Adimi

Dingo

Véronique Ovaldé

Pascal

Les rencontres d’auteurs

p. 3

p. 4 à 5

p. 9

p. 14

p. 21

p. 30

p. 36

p. 40

p. 47

p. 54

p. 59

p. 66

p. 75

p. 80 à 81

SommAIRE

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BLEUblue

parce que c'est la couleur d'une bonne journéeparce qu'elle représente l 'infini du ciel et de l 'espaceparce que c'est ainsi qu'on nous appelleparce que du coup on a l 'air tout neuf

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Les autres, c’est l’image, le cadre, le paysage dèsl’ouverture des paupières jusqu’au coucher.Les autres c’est également les voisins, les badauds,les commerçants…Les autres c’est tout le reste excepté ceux qu’on aime.La famille, les amis, le conjoint, les enfants, nos profes-seurs, nos éducateurs.

Quand je suis né ce 10/10/78 à Villepinte, qui auraitdit que j’écrirai cette phrase plus de 30 ans plus tardà Villepinte non pas dans mon cabinet de généraliste oucelui d’architecte comme je l’avais prévu, mais belet bien dans la maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis ?Détenu dans la ville où vous êtes né. Je ne pense pas quela sage-femme l’avait prévu, ni ma maman d’ailleurs.Après l’hôpital, le club de football CSN ViII, le lycée JeanRostand, la prison, ensuite ? Il reste que le Leclerc ?Vais-je terminer caissier ? Et la boucle sera bouclée.

Quand j’ai rencontré cette personne, notre professeuravait fait des duos le jour de la rentrée scolaire, afin demieux se connaître, cela fait plus de 17 ans, on étaiten seconde.

FARES

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On devait se raconter d’où on venait, qui on était,simplement.Quand j’ai rencontré cette autre, nos yeux brillaient, toutnous rapprochait, nos histoires s’entremêlaient, on neparlait pas d’un autre à un autre.17 ans plus tard, je viens de quitter à l’instant Sophia, quin’est plus une autre mais ma moitié, qui en sortantretourne dans le monde de l’autre. Qui repart avec uneautre qui a 2 ans et qui appartient à nous deux, entreautres.

Deux autres : ● Chapeau, cape, épée, bottes, une plume, une ceinture :un mousquetaire. ● Robe rouge, col blanc, collier à croix, chapeau rouge,sabot, bible, ceinture, corde : Cardinal de Richelieu.

- Vous êtes là depuis quand, d’Artagnan ? Depuis votredépart pour Londres pour récupérer le collier de la reineque cette dernière a laissé à son amant ? Le bal a lieudemain, vous lui avez sauvé la tête.D’Artagnan rétorqua au cardinal avec un sourire mali-cieux :- Jamais, son collier est toujours resté à Paris, noussommes allés là-bas avec mes comparses pour régler undifférend avec la garde rapprochée du roi.Le Cardinal hocha la tête, sa robe traînant au sol, avecune démarche lente et courbée, il s’en va désabusé.- La tête de la reine est sauvée, mais vous, la potencevous attend, préparez-vous à retirer votre coupole sur la

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tête, vous vivez vos dernières heures, dit d'Artagnan.Le cardinal répondit :- Ma tête, je l’ai perdue y’a bien longtemps le jour oùvous êtes né.- Tu l'as eu où cette sagesse ? Je te pose cette questioncar tu restes d'un calme olympien quoi qu'il arrive, à touteépreuve.- Je suis né avec, je ne pense pas que ça changera, c'estimprégné.

L'un l'a, l'autre pas- Tu l’as eu où cette raclette ?- Je l’ai récupérée au service buanderie, c’est superpratique en cellule.- J’en avais une, mais ils me l’ont prise, je me voyais surle sol tellement il était ciré. J’espère pour toi que tula garderas un max de temps.- Ah oui, je l’espère, d’ailleurs je fais en sorte de lacacher, qu’elle ne soit pas trop visible.

Là-bas où j’ai grandi, il y avait du béton, des zonesd’ombres plutôt sombres, de la tristesse supérieure à lajoie, une ambiance multiculturelle avec ses qualités etses défauts. Il y avait aussi de la justesse, une convivialitéqui rimait souvent avec criminalité. Là-bas, un mondequi dépasse le fantastique, le féerique et même l’étrangede Todorov.Là-bas où je vis il y a de la verdure, de l’eau, des rues

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piétonnes flamboyantes, un glacier célèbre, des badaudssouriants et respectueux, un voisinage apaisant, desgrandes villas avec de grands portails, des sportifsréguliers, de la tenue, des galas, de la compétence.On passe d’une ville à une autre, si proche par ladistance, là-bas ne ressemble pas à là-bas, pourquoi ?Le soleil ne reste que là-bas et ne vient jamais là-bas,pourtant, ce n’est pas si loin.Ici je ne vois que des gens de mon enfance là-bas.

Vous avez peur d’eux, vous les craignez, pourquoi ?Sachez qu’il y a des pestiférés dans chaque corps quecompose cette société, des brebis galeuses égarées danstout domaine, ne généralisez point. Il y a des bons et desmauvais, y compris chez nous, dans notre cher et aima-ble département si décrié, c’est le reflet de la société quiest ainsi composée."Ne jugez point les gens", "ne stigmatisez point les gens"devraient faire partie d’une sorte de deux commande-ments envoyés non pas à Moïse au Sinaï, mais à vous, auMont-blanc. D’ailleurs, hier, des hauts fonctionnaires ontmultiplié les perquisitions dans divers domicileset bureaux. Drôle de pied de nez. Vous avez peur d’euxaujourd’hui, vu que vous êtes au Canada, il ne faut pasavoir peur d’eux, la justice est juste, rien ne l’arrête, elleest plus forte que tout. Rentrez et réparez votre portequi est fracturée comme des milliers avant. Vous avezpeur d’eux ? Vous étiez l’exemple, vous auriez donnél’exemple si vous aviez peur d’eux…

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L'un chante...- Happy birthday Mister président...- Ça raconte quoi ?- C’est pour fêter votre anniversaire.- Pourquoi tu chantes ça ?- Pour vous charmer Mister Kennedy.- Tu veux que je te chante quelque chose Marilyn ?- T’en as pas marre de m’écouter fredonner ?

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RoDRIguE noRmAn...

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... est né au Togo en 1980. Il s’est très tôt engagé dans lethéâtre, exerçant à la fois les métiers de comédien, dedramaturge, de metteur en scène et de directeur de troupe.Ses pièces sont montées et diffusées en Afrique, en France,en Belgique, en Angleterre ou en Tchéquie alors queTrans’aheliennes et Tobbie, frères et soeurs ont la douleursont publiées aux éditions Lansman. En 2010, il répond àla commande du Théâtre de Sartrouville et écrit Venavi oupourquoi ma soeur ne va pas bien, pièce pour jeune publicmise en scène par Olivier Letellier et qui sera en tournéedès 2012 à travers la France.Aujourd’hui, installé à Bruxelles, il développe ses propresprojets et collabore avec différents artistes. Sa prochainecréation a pour titre Quand Beny est parti, pièce écrite enrésidence en 2008 au Couvent des Récollets à Paris.

Rodrigue norman est venu à la rencontre des détenusde la maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis le samedi 15octobre 2011.

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Tu veux que je te parle des autres ?

Tu veux que je te parle des autres, c’est ça ? Je vaiste parler d’eux, même si ce n’est pas l’exercice que jepréfère. Mais alors vite. D’abord dis-moi, tu as connu quiet qui ? Quand est-ce qu’on s’est rencontrés ? Je veuxdire en quelle année ? J’ai besoin de savoir parce que jene peux pas me mettre à te parler de tout le monde, maisseulement de ceux que tu as connus, parce que pour moi,les autres, c’est trop vague, tu comprends ? Les autrespar rapport à moi ne sont pas les autres par rapport à toi.Tu as dû nous rencontrer quelque part, dans une ville, unpays, un festival, où on a dû donner une représentationthéâtrale et c’était une année forcément, une année donttu te souviens, probablement et qu'il me faut connaître…Ah, mais voilà ! Voilà qui me situe dans le temps et aussidans l’espace. Ah, ce fameux festival… Inoubliable ! Onne devrait pas être loin de nos débuts, les débuts de latroupe. Sur scène, on était six, plus le régisseur, rien à voirdéjà avec notre période faste, période « amateur » maispériode faste quand même où nous avons été jusqu’àseize sur scène ! Tu vois que les autres, c’est un peu vaguepour moi car autrefois nous avons été jusqu’à seize surscène ? Et pas que sur scène d’ailleurs, mais dans la vie :seize hommes et femmes soudés dans la vie comme desfrères, une fraternité propre aux troupes de cette époque-là. Tu ne m’imagines pas te parler, là maintenant, deseize frères et soeurs dont tu ne connais pas la plupart !Tu comprends maintenant pourquoi c’était important quetu précises en quelle année et où tu nous as croisés ?

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Donc cette année-là, on n'était plus que sept dans latroupe, six comédiens plus le régisseur, les autresn’étaient déjà plus là. Tu ne les as donc pas connus. Celadit en passant, ils t’auraient marqué tous autant que lesautres t’ont marqué, chacun à sa manière, c'est sûr !Cette année-là donc, il y avait Violette, Sylvestre, Albert,Anne-Rodolphine, Olivier, Prunus et moi, c’est cela ? …Lequel de nous t’avait marqué le plus ? Tu t’en souviens ?Cela n’a pas pu être moi puisque j’étais en régie… Ouiévidemment nous tous, on t’avait marqué, d’une manièreou d’une autre. Nous tous, nous t’avions marqué commenous avions marqué l’esprit de tous les festivaliers avecnotre pièce au titre si mémorable : La race des damnés.Un titre qui rappelle les damnés de la terre de FranzFanon, tu connais ?... Inoubliable festival ! Mais l’und’entre nous doit t’avoir marqué plus que les autres…Quoi ? Cela n’a pas d’importance, dis-tu, parce que tute souviens de nous tous ? C’est bien là une rare qualité,se souvenir de tous les gens qu'on a croisés à un festival.Jusqu’au régisseur ! J’avoue que je suis étonné… Oui,bien sûr, c’est très important un régisseur. Je ne dis pas lecontraire, je suis juste étonné parce qu’en plus du faitqu’en général on ne voit pas souvent les régisseurs à cessortes de fêtes - parce qu'il faut bien le dire, ce sont unpeu des fêtes quand même - moi, à l’époque, je me sou-viens que j’étais encore timide et je ne parlais pasà beaucoup de monde… Mais bon, si tu le dis...Les autres alors, je vais te parler des autres mais il fautque je me dépêche, le train part dans...

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Violette qui jouait la narratrice dans la pièce est partievivre au Ghana, un pays limitrophe. Elle est partied’abord pour étudier et ensuite elle s’est mariée... Deuxenfants, je crois. Elle travaille dans une banque.Son départ de la troupe remonte à l’année qui a suivinotre participation au festival.

Sylvestre, le plus âgé de nous tous, qui jouait le pèreinconnu, lui, après avoir rendu cinq autres années deloyaux services à la troupe – loyaux services, cela on peutbien le dire de ce cher Sylvestre - a décidé de se consa-crer à son métier de conducteur de taxi moto pourpouvoir subvenir à la scolarité de ses nombreux frères etsoeurs. En nous quittant, il a promis qu’il reviendrait unjour au théâtre. Je n’ai plus eu de ses nouvelles.

Albert, celui qui jouait le fils parti à la recherche de sonpère dans la pièce a gagné à la loterie visa et est partivivre aux Etats-Unis dans l’état appelé Iowa. A ce qu’ilparaît, il travaille dans un grand cabinet là-bas commeavocat.

Anne-Rodolphine, la femme d'Albert dans la pièce quiattendait un enfant dont les répliques fétiches étaient « j'aifaim... j'ai soif... je veux faire pipi », est devenue unefemme d’affaires à la tête d’une florissante société dedistribution d’eau minérale en sachet. Elle a démissionnéde la troupe à la suite d’un incident mémorable. Ellevoyageait beaucoup à cause de son activité commerciale.Une fois, elle était en voyage d'affaire à Dubaï, elle a

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pensé pouvoir nous rejoindre à temps à Casablanca oùnous devions donner une représentation importante dansl'histoire de la troupe. Elle a raté sa correspondance àParis. Conséquence, nous n’avons pas pu honorer notrereprésentation pourtant capitale pour la troupe. Après cetincident, elle a arrêté.

Olivier… Tu te souviens d'Olivier n'est-ce pas ? Il jouait àla fois le rôle du scribe et celui du destin. Eh bien, il a éténommé ministre récemment au pays... Devine, ministrede quoi, je te le donne en mille... non, ministre de l'envi-ronnement... Comment ? Bien sûr, cela me fait plaisir.

Prunus, qui jouait la mère et dont les prouesses vocalesavaient ému le public cette année-là au festival, est res-tée dans la troupe avec moi jusqu'à l'année dernière.Véritable tragédienne, elle travaille comme secrétaire à lagrande mairie de la capitale. Elle a jeté l'éponge non pasà cause de son travail mais à cause de la maladie de samère qui s'était aggravée. Avant de s'en aller, elle a dit :le temps est venu pour moi de m'occuper de ma mère.Pas mariée, pas d'enfant.

Les autres, voilà ce qu'ils sont devenus, les autres. Dutemps a passé, hein, depuis le festival ! Ah, le temps...Parlant du temps, je dois y aller sinon je vais rater montrain... Quoi ? ... Moi ? ... Te parler de moi ? Je ne peuxpas, je vais rater mon train. Je repasse de temps entemps par ici pour aller travailler. Si un jour, je repasse etje te croise, je te parlerai de moi et toi, tu me parleras

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de toi... Bien sûr, si tu es encore là... Comment ? Tu seraslà, c'est sûr... Alors, c'est sûr je repasserai. Je repasseraiet on pourra même traîner ensemble ici dans cette gare...Comment ? ... C'est ici que tu vis... Alors, c'est encoremieux, je m'installerai ici, peut-être avec toi et on pourrarejouer les rôles, tous les rôles qu'on a vus toi et moi aufestival... Si tu veux bien.

Rodrigue norman

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BLEUblueazur

parce que c'est la mer et le cielparce que c'est la couleur des durs labeursparce que le soleil pas loinparce qu'elle est belle

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Les autres, c’est pour moi ce qui m’entoure, ce quim’arrive chaque jour, ce qui m’inspire, ce qui me déve-loppe. C’est dans les autres que l’on puise ce que l’onest. C’est dans les autres que l’on devient nous. Certainsse composeront en opposition aux autres. D’autresmimeront ce qui leur plait des autres. Tous puiseront dansles autres ce qu’ils veulent devenir, transformer leuravenir, savoir ce qu’ils ne veulent pas être.

Quand je suis né, je me souviens de la première fois oùj’ai pris conscience des autres. Le moment où un visageétranger, le moment où une odeur autre sont venus àmoi, où un visage étranger a violé mon univers, assezâgé pour distinguer les autres et les séparer des proches.Quand je suis né, je ne me rappelle plus de la prise deconscience des autres. Mais garder les repères, plein desaveurs de ce qui fait partie de nous. Les odeurs quim’accompagnent et me rassurent me font distinguerl’inconnu, l’étrange, ce qui pour la première fois,va devenir pour moi les autres.

Quand il est né, ce fut pour moi la révélation. Pour lapremière fois j’assiste à la naissance d’un enfant, pascomme les autres. Moi qui n‘avais pourtant pas d’idées

KhALED

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préconçues, j’allais assister à ma première expérience,ma première découverte, celle dont plusieurs m’ontparlé, celle de la différence que jusqu'ici j'ignorais.Quelle surprise pour moi fut de voir que rien ne chan-geait et que finalement j’étais plein de préjugés, jusqu’àla métamorphose de ce nouveau né - différent de moi,il prenait l’apparence de ce qu’il est, l’effervescence desa mélanine lui donna une jolie mine, il n'était désormaisplus comme les autres et son appartenance se manifestait.

Deux autres :● Igor : un manteau en fourrure, pull col roulé.Un pantalon noir velours. Une écharpe à damier, desbottes fourrées, et une paire de moufles, un bonnet russe. ● Matt : tee-shirt blanc hard rock café Sydney, paréoexotique, paire de tongs en paille, bob en paille…

Sur une plage en plein été : La SphèreIgor :- Vous êtes là depuis quand ?Matt :- Depuis l’ouverture, l’environnement ne peut medéplaire. Ici, on oublie où nous sommes.- Et vous travaillez ici ?- Oui, c’est bien cela, je loge sur le quai ouest, côté plagepacifique.- Pouvez-vous m’indiquer les boutiques car je me sensridicule ?- Je n’osais pas vous le dire, vous ne semblez pas connaî-

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tre la Sphère, c’est votre premier séjour, je vois !Vous n’avez pas besoin d’aller faire les boutiques, l’écrande votre chambre dispose de toutes les marques disponi-bles sur le marché, le scanner corporel pour ajuster lesvêtements est dans la salle de bain et vous êtes livré dansl’heure, via le hublot Colidays. Une tenue est mise àdisposition pour vous mettre à l’aise.Vous devrez vous faire tatouer le code de prélèvement etlaisser votre carte en caution.Vous serez systématiquement scanné à chaque achat ouactivité. Bien entendu vous avez des forfaits selonvotre choix.- Je trouve tout de même tout ceci un peu aseptisé. Je mesens comme dans un centre commercial, tout le mondeest préoccupé par le culte du bien être, plage, sauna,aquagym, jeu aquatique pour les enfants, stationthermale. On retrouve tout dans cette sphère sans âme,où la seule discussion est le nombre de crédits.

- J’ai pas compris, vous avez dit quoi ?- SORTEZ !- Mais pour qui tu te prends ?- Vous sortez maintenant et je ne vous ai pas tutoyé mon-sieur !- Puis quoi encore, va traire les vaches, espèce de bou-seux, c’est pas un gros lard comme toi qui me fait peur.- Jeune homme, vous dépassez les bornes, si vous sortezpas j’appelle vos parents.- Va cafter ! Balance !

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Le commerçant perd patience et sort le jeune adolescentde sa brasserie.- Tu me lâches ! Tu me touches pas !- Sors, maintenant, dehors !- Et puis d’abord des flippers il y en a partout !

L'un l'a, l'autre pas- T’aurais pas une cigarette ?- Non c’est ma dernière.- On la fume ensemble ?- Vois-tu cher ami, je suis quelqu’un de très magnanimeet par souci pour ta santé, je préfère t’offrir du temps àvivre plutôt que de t’empoisonner.- Je pense que ta générosité devrait plutôt se porter sur leplaisir de cet instant que tu vis plutôt que de te soucier dece qui me reste à vivre.- Bien, à vrai dire, tu me pousses dans une introspectionsur le fait que : ai-je vraiment envie de diminuer monplaisir ? Ou bien le plaisir que je t’apporte me frustrerait-il autant que d’en être privé ?- J’aurais jamais pensé ça de toi. Pour un bout de ciga-rette, tu as déçu un ami, un ami qui te voit aujourd’hui àla lumière de la consommation de ta cigarette.

Quand je l’ai rencontrée, mon regard gela l’espace d’uninstant. Pourtant, elle ne m’avait pas remarqué. J’ai su toutde suite qu’elle serait désormais actrice de mon devenir,premier rôle de l’acte présent qui est en train de s’écrire.

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Pourtant, tant de choses, tant de périples restent à venir,avant de lui attribuer la place qui lui est réservée. Je mesuis donc mis à changer mes habitudes, trouver l’instantoù je deviendrai plus que l’inconnu. Capter le momentoù mon rôle serait attribué même en tant que figurantdans sa vie. Bref, modifier sa fable comme ce fut le caspour moi.Face à elle, je suis devenu le client habituel. Celui qui l’afait sourire, celui qui l’invita un jour, celui qui l’hébergeaensuite, celui avec qui elle voyagea, celui qui l’a aiméedu premier jour, celui qu’elle aimera longtemps. Et après,celui qui la quitta pour une autre, celui qu'elle s'empressad'oublier avec d'autres, celui qui sera la cause de sondrame, celui qui l’enterra.

Deux autres :● Cheveux longs lisses châtains, yeux verts, peau mateavec de légères rides. Sourire constant.● Visage d’enfant, traits fins, peau claire, yeux marrons.Crâne rasé.

Assis sur une pierre, face à une marmite sur le feu.- Tu viens d’où ?- De là-bas.- Tu es seul ?- Mes parents sont au fond de cette allée, on est venufaire du chameau. Vous faites quoi ?- A dîner, et qui t’a appris notre langue ?- Papa. Ma grand-mère habitait ici, c’est pour ça que l’on

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est revenu voir le désert.- Tu viens d’où ?- De la France, je suis en vacances avec papa, maman,mamie, ma soeur et mon frère. Vous faites quoi à diner ?- Mad Gonna, tu connais ?- Oui, ma mamie le fait aussi chez elle.- Tiens goûte ! C’est pas cuit mais tu m’en diras tout.- Mmmm ! Elle est meilleure que celle de mamie.- Ben oui mon garçon, mes épices et légumes viennent denos champs. J’ai cueilli ça moi-même ce matin. Et qui estta famille ? Comment tu t’appelles ?- Ben moi c’est l’étranger, chouchou l’étranger.- C’est ton nom de famille ça ?- Oui !Et l’enfant tire la langue et se sauve en courant.- Et bien, t’as bien des manières étranges, vermine !Et en disant cela, elle perd son sourire et crache sur lecôté.Un quart d’heure plus tard, la famille au complet passeà travers le champ où la dame cuisine toujours.- Bonheur !- Bonheur !- Tante Rokayen !- Oui… T’es qui toi ? Ha ! Manou ! La fille de Hadj.Bonheur ! Bonheur à qui te vois !- Je te présente mon fils avec sa femme et ses petitsenfants.Tout le monde dit bonjour et s'embrasse et arrive àChouchou en l’embrassant.- Ah ben voilà ! Je sais à qui tu appartiens maintenant.

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- Maman, la dame elle cuisine trop bien...

L'un chante...- Layam wal maktoubLithnin biya rarouLayam ya l'ashabfrag el haya ma marou- Ça raconte quoi ?- La tristesse de la vie qui déchante, la destinée morosede ma vie.- Pourquoi tu chantes ça ?- Une déception qui reflète ma vie d’aujourd’hui.- Tu es déçu de quoi ?- De mon maktoub qui tarde à arriver, je me sens tropseul.- Et tu veux que je te chante quelque chose ?- Oui, tiens, ça me changera. Tu connais quelque chosede plus gai ?- Bien, viens ! Je t’emmène, tu verras ça vaut la peine !- Tu m’emmènes où ?- Viens ! Tu verras bien, tu as besoin de vie.- Cours pas si vite !- Viens, tu verras, tu verras ! Tout recommencera, tu ver-ras, tu verras !- Mais tu m’emmènes où ?- ...

Là-bas les autres font partie de nous et nous sommes lesautres. « Nous » est notre mode de vie car les autres ne

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seront plus les autres sans nous. Là-bas, notre apparenceest commune, nos pensées semblables, notre confortidentique, mais notre destin différent, car les autres nepensent pas à moi mais à nous et nous ne pensons pasà nous mais aux autres. Mais moi je ne pensais pas auxautres mais à moi, moi qui voulais voir d’autres, quemes autres, d’autres qui sont là-bas. D’autres qui sontdésormais ici et qui me font regretter là-bas.

Vous avez peur d’eux, pourquoi ?Ne seriez-vous pas mieux avec eux ? Ne fuyez pas lesautres par peur d’être jugé, peur d’être montré du doigt.Vous subirez tout au long de votre présence une pressionsociale des autres, car eux sont chez eux et regardentavec inquiétude votre arrivée.Malgré nos bonnes attentions, elles ne seront pas inter-prétées par les locaux de la même manière. Leurs avis survous est déjà calqué sur leurs courtes expériencesdes autres comme vous.L’amalgame est donc consommé, la stigmatisation estfaite. Comme d’autres, vous allez bien sûr vous justifier,comme d’autres vous allez bien sûr leur apporter,et comme certains, lorsque vous aurez tout puisé, vouspartirez, heureux d’avoir pris et donné, développé etconstruit, transformé et bâti, appris et transmis, changécertains esprits, mais pour les sages, vous aurez détruitl’âme singulière qui érigeait leurs vies.

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LEILA SEbbAR...

... est un écrivain engagé et prolifique. Elle est née enAlgérie en 1941, d’une mère française et d’un pèrealgérien. Elle quitte son pays pour la France en 1961, oùelle poursuit des études de lettres à Aix-en-Provence. Elles’installe ensuite à Paris où elle enseigne la littératurefrançaise parallèlement à son travail de recherche. Elle estl’auteur d’essais et de nombreux romans faisant œuvre demémoire et d’invention à partir de l’irréparable que consti-tue l’exil. Son dernier roman, La confession d’un fou,est paru en 2011 (éditions Bleu autour).Leïla Sebbar a reçu en avril 2011 les insignes d’officierdans l’ordre national du mérite par l’historienne MichellePerrot.

Leï la Sebbar est venue à la rencontre des détenus dela maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis le samedi 17décembre 2011.

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Les yeux bleus

Que savait-elle de ceux qui vivaient dans des maisons depierre, un jardin autour, parfois un haut mur qui bornaitle regard, que se passait-il derrière ce rempart et pour-quoi un rempart si solide ? Ce n’était pas la guerre,elle avait entendu raconter ces guerres anciennes dont onsavait si peu, sinon que l’ennemi à cheval avait gagné,oreilles coupées pour le collier baroque et sanglant duvainqueur. Grottes enfumées, aucun survivant ni femmeni enfant, vergers détruits, arbres arrachés, les oliviersde la colline coupés, ils ne repousseraient pas, moissonsincendiées, il fallait affamer le peuple rebelle déjàdécimé par les épidémies.Ils avaient gagné. Malgré les insurrections des confrérieset des tribus, malgré le grand chef de guerre poète etmystique.Ils avaient gagné. Et elle ne savait pas qui avait gagné. Comment étaient-ils ces conquérants ? Ceux qui les avaient affrontés,depuis longtemps, ils n’étaient plus et ils n’avaient pas eule temps de dire ni d’écrire l’épopée. Qui la raconteraitun jour ?De femme en femme jusqu’à elle, petite fille, ils étaientbeaux, les étrangers, les soldats de Bugeaud, grands,des uniformes exotiques, blonds sous le képi, les yeuxclairs, les soldats étaient tous des officiers ? Ils étaientbeaux mais c’était le diable, il fallait les fuir, toujours plusloin, abandonnant terres et maisons jusqu’à ces plateauxinconnus. Ils avaient habité des terres fertiles et elles

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ne leur appartenaient plus. Aujourd’hui au service del’occupant, c’est ainsi que parlait l’aïeul entre rage etamertume, des maisons en torchis protégées des chacalset des hyènes par les hauts cactus serrés, ouvriersagricoles, les hommes, les femmes occupées à un minus-cule jardin qui nourrissait une famille toujours plusnombreuse, mais que faire, des enfants mouraient toutpetits, il en restait encore et encore. Elle, la dernière,la mère trop vieille pour d’autres enfants, enfin tranquille,la mère. Elle serait bergère. Elle est bergère.Le domaine est immense, les machines géantes, ondit qu’elles viennent d’Amérique. L’Amérique ? C’est où ?Un pays au-delà des pays et des mers. Si elle était alléeà l’école, dans un livre une carte, on lui aurait dit« C’est là, l’Amérique » « Et nous, c’est où ? » « C’est là,chez nous, il faut traverser deux mers ».Avec ses moutons, elle parcourt les hautes plaines.Pour aller jusqu’à la bergerie du domaine, elle traversedes cours avec des bâtiments, les hommes qu’elle voit nesont pas des hommes de son peuple, ils conduisent lesmachines à moissonner, à semer, les camions, lestracteurs, elle les aperçoit, elle baisse la tête, ses foulardsnoués la protègent du soleil trop près d’elle et du regardde ces hommes. « Que fait-elle cette petite fille, seule,où va-t-elle ? » La dernière cour ouvre sur la bellemaison, la grande maison du domaine avec terrasses etvérandas et jardins. Elle marche moins vite, les hommesne sont plus là, des femmes qui ressemblent à sa mère,bavardent sous un arbre, dans la langue des maisonspauvres. Elle n’écoute pas ce qu’elles se disent, les

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servantes de la maison des maîtres. Avant la bergerie,elle sait que sur la petite terrasse, une enfant joue, seule.Chaque jour, à la même heure, elle passe là et chaquejour elle voit cette enfant-là, jambes nues, socquettesblanches, sandales blanches, un ruban noué dans sescheveux blonds, un ruban de trois couleurs. Elle ne parlepas. Sinon avec une poupée pas comme la sienne,en roseaux, habillée de chiffons rapportés dans lesmaisons des ouvriers agricoles par les voisines de samère, les jours de couture dans la maison blanche,la couturière distribue les chutes aux servantes qui regar-dent par la porte entrebâillée, des morceaux detissu qui n’habilleraient pas une enfant à peine née.Si un jour la petite aux yeux bleus n’était pas là. Si elle nel’entendait plus parler avec sa poupée dans la langue desmaîtres, la langue de l’école si elle allait à l’école.Elle ne pense pas que l’enfant qui joue dans le silence etla solitude, elle ne pense pas que cet enfant-là pourraitne plus être sur sa terrasse. Elle, si fragile, si blanche,si dorée, une apparition chaque matin. Elle ne veut pasl’approcher, lui parler, la toucher, jouer avec elle.Non. Elle la veut tout près et infiniment loin.L’enfant de la terrasse ne s’étonne pas de cette petite fille,une bergère, qui la regarde fixement, sans rien dire,et elle ne dit rien, elle sait que la petite fille, deboutdevant l’escalier qui mène à la terrasse ne tenterarien pour être avec elle, assise sur le carrelagefrais, de grands carreaux avec des dessins en triangle,jaune, vert, rouge. Est-ce qu’elle l’attend le matin, avantle grand soleil ? Est-ce qu’elle a une mère, un père

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et beaucoup de frères et soeurs comme elle ?Ce matin, elle voit, derrière l’enfant, une femme des pla-teaux qui l’appelle. Elle n’a pas retenu le nom. L’enfant selève, suit la femme, elles disparaissent dans l’ombre dela porte.Elle est sûre, la petite fille, que le bleu étincelant des yeuxde l’enfant est pour elle, il est à elle, comme un trésor,un secret, un don.

Leï la Sebbar

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LE pLAT pREFERE DE FARESLa grande prairie de ma grand-mère où se trouvait son jardin sur les plaines des Aurès.Pendant les vacances scolaires d’été, la prairie de magrand-mère, composée de son jardin : grenades,poivrons, tomates et d’une source naturelle, où je déambulais, une véritable oasis de nature. Ces poivrons,tomates, marinés à l’huile d’olive avec quelques goussesd’ail, les odeurs de ces plaines m’envahissent l’espritencore aujourd’hui. C’est mon plat favori, même ici, d’ailleurs je vais en manger à midi, car j’en ai dans un plat recouvert de quelques brindilles de persil.Je ne changerai ce plat pour rien au monde, d’ailleurs il m’a suivi jusqu’ici contrairement à d’autres recettes qui sont restées à la porte d’entrée.

LE pLAT pREFERE DE gREgKhaoh Mangkai, un plat à base de riz, de poulet,de concombre et recouvert d’une sauce au citron et au piment. C’est un plat thaïlandais de base, un plat simple qui me rappelle la liberté et surtout la personneavec qui je le cuisinais. Il y a longtemps déjà. Je n’aijamais autant apprécié ce plat depuis que j'en suis privé.

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Les plats des autres

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FARES gouTE LE pLAT pREFERE DE gREg

Je m’en approche délicatement, il n’est pas minuit,mais midi (il me fait déjà penser à mes vacances à

Bangkok), un poulet délicieusement préparé, je m’en approche délicatement, il faut respecter

l’intensité culinaire que ce dernier va me procurer, je vais le déguster et non le dévorer, ce qui devrait

être le cas en temps normal, la fraîcheur des concombres marinés, au poulet citron et au riz.

Il m’envahit le palais, d’ailleurs j’en mangerai un jour c’est certain en appliquant le mode

préparatoire suivant : la dégustation…

gREg gouTE LE pLAT pREFERE DE FARES

Un parfum de potager plane au dessus du plat, les couleurs entremêlées des légumes lui donnentun aspect carnavalesque, c’est une marinade de

poivrons et tomates à l’huile d’olive dans laquellenagent quelques gousses d’ail… L’odeur de l’Algérie

éveille mes sens. C’est un plat de grand-mère(je m’apprête à y goûter lorsque je me réveille).

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L’AccEnT Au chocoLAT DE KhALEDMon amour du chocolat m’amena à goûter cettepâtisserie qui m’a tant marqué, sa courbure et son allurefière donnent déjà le ton de son arrogance au milieu des autres qui l’entourent. Il se distingue par l’équilibrequi maintient cet accent dont il porte le nom.Posé sur un socle, composé d’une onctueuse ganache brillante qui recouvre une première couche d’un chocolatau lait très fin et qui est séparée par une fine génoise crémeuse, indescriptible, tellement elle ne ressemble à rien d’autre. Le tout repose sur un biscuit vanillé moelleux imbibé d’un sirop de cacao.

KhALED gouTE LES FRITES DE DIngoMe voilà à la recherche d’un repas dans ce village demontagne perdu où tout est périmé. Errant dans les ruesdésertes de cette bourgade savoyarde, je suis tombé surle seul kebab ouvert dans cette après-midi provinciale où tout le monde faisait la sieste. D’un pas soutenu, je me suis jeté aux portes de cet ancien bistrot à peine transformé. Au premier coup d’oeil, l’état de sa broche à kebab reflétait l’aspect d’une viande avariée. J’ai doncsenti la gêne d’un client qui rentre dans un établissementayant l’obligation d’acheter. Je me suis rabattu sur uneboisson et demandai une barquette de frites pourl’accompagner. N’ayant pas attendu assez longtemps,le vendeur me servit donc ces fameuses frites que l’huile pas assez chaude teignit d’un caramel poivré. Seul monregard les dégusta, ce qui suffit pour me rassasier.

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pAScAL gouTE LE pLAT DE bAKER

Les grands saladiers disposés sur la table à l’ombre de l’acacia débordent.

Les couleurs des légumes se marient et attirent l’oeil. Je me sers copieusement, arrose le tout de vinaigrette,

ajoute deux rondelles de chorizo à l’assiette et bois une gorgée de vin rosé frais avant de goûter.

Dans les saladiers posés sur la table à l’ombre du grandacacia, les concombres, tomates, poivrons, laissent

éclater leurs piments, marient leurs couleurs. Les tranches de chorizo, jambon, charcuteries, couchés

sur des assiettes attendent. Cornichons et olives leurs donnent une touche de couleur.

Je finis mon verre de rosé avant de commencer.

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cELInE SpEcToR...

... est une ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure,actuellement maître de conférences en philosophie àl’Université Bordeaux III et membre de l’Institut Universitairede France. Ses travaux portent pour l’essentiel sur laphilosophie française du XVIIIe siècle et sur la philosophiepolitique contemporaine. Un de ses derniers livresMontesquieu : liberté, droit et histoire (Michalon, 2010)a été primé par l’Académie Montesquieu.

céline Spector est venue à la rencontre des détenus de lamaison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis le samedi 11 février2012.

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Humeur Pascalienne

Autrui – mon proche, mon amour, mon semblable, monfrère – mon ennemi, cette canaille, je le hais si souvent.Ce n’est pas que je puisse esquiver : jouer le « soi-mêmecomme un autre », ou le « moi est un autre ».Autrui est celui que je ne suis pas.Il est là.

Rien ne sert de dire que je ne vois d’autrui que sonregard, sa bouche, son visage, sa silhouette, son ombre,ses actes. Car j’aime plus que tout scruter ses intentions :que pense-t-il au juste, que veut-il au fond ? Commentcomprend-il le monde, ce que je dis, ce que je crois ?Comment interprète-t-il mon désir, mon espoir, mondésespoir, ma peine, ma joie ?Ces intentions que je ne perçois pas.Pourquoi est-il si différent de moi ? Et pourquoi est-ilpossible que je ne le comprenne pas ?Pourquoi est-il celui qui me ment, me leurre, m’inhibe,m’agresse, me blesse – autrui cet imposteur, ce faux-monnayeur, ce censeur.Autrui est un simulacre.Je le rencontre parfois.Est-ce à dire que je doive me contenter de cela ? De ces bribes de phrases, de ces fragments dérobés,de ces regards faussés, de ces lettres volées ?Dois-je me dire envers et contre tout que l’intérioritén’existe qu’en imagination, en vision, en fiction ?

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Que la sienne, si elle est existe, est à tout prendre opaque ?Que son regard m’échappe, que son sourire peut-êtreironise ou méprise, que sa voix ne monte ou ne descendque pour mieux m’égarer – comme tu as des grandesdents, mon enfant ?Et pourtant.Et pourtant nous parlons.Nous dialoguons.Nous nous caressons.Nous moralisons.Il y a un « on ».Le malentendu, la domination, la manipulation, la déla-tion, l’humiliation : je connais la chanson. Dira-t-on quel’amour, le respect, la sollicitude sont un doux rêve, uneimpatiente illusion ? Que je ne désire que m’approprier,que dominer, que bousculer, que violenter ? Et pourquoinon ? Ne fais-tu pas de même, au bout du compte ?Sans doute ai-je faim, soif, je t’aime, je dépends de toi.Mais coopérer équitablement – disent-ils – pour quoifaire ? Quel pacte de dupes ! N’est-il pas plus avanta-geux, plus divertissant, plus excitant enfin d’être lepassager clandestin des associations, des institutions ?Me voici éludant la vigilance, échappant à la prise,toujours ailleurs, toujours en fuite. Mais au nom de quoim’immobiliserait-on ?Que dis-je ? Me voici fixé, ligoté, attaché : je suis parent,je suis enfant, je suis citoyen, je suis travailleur, je suisami, je suis amant.J’ai des devoirs. Des obligations.Alors je fais un peu semblant : je dis oui, bien sûr, je suis

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poli, je suis prévenant.Je suis attentif, bienveillant, discipliné, investi, conscient,vigilant.Je ne laisse pas faire. J’agis au bon moment.Mais la question reste en suspens : pourquoi ne paspréférer la destruction du monde à cette égratignure là –sur mon petit doigt ? Pourquoi préférer à mon désirl’intérêt de cette famille, de ce village, de cette tribu,de cette nation ?Autrui, au fond, ne compte pas.Il n’y a que moi.Il n’y a que ceux que j’ai choisis : ces autrui, ceux qui meplaisent, ceux que j’aiment, ceux qui eux aussi m’ontchoisi.Mes enfants, mes parents, mes amis, mes amants.Mais voilà : là où je vis ils ne sont pas toujours là.Des étrangers moraux, voilà ce que je vois.Ils ne pensent pas comme moi.Ils ne croient pas comme moi.Ils ne veulent pas comme moi.J’ai peine à y croire : c’est avec eux que je devraiséchanger, partager, travailler, voter.Nous formerons une grande société.Nous irons au marché.Nous nous affronterons.Nous nous mentirons.Nous dirons : « ceci est à moi ». Et nous nous battrons.Puis nous réfléchirons : puisque c’est ainsi, n’ygagnerions-nous pas à nous unir, à prescrire, à nousdonner des liens, à nous lier les mains ?

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Des lois. Voilà ce dont nous avions besoin.Nous ne serons pas justes. Nous ne serons pas libres.Nous ne nous aimerons peut-être pas.Mais nous arrêterons de nous torturer.Un petit espace de temps.Un instant.

céline Spector

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ROUGEredsi-deng

parce que c'est la couleur du soleil, du feu, il représente la chaleurparce que c'est la couleur du coeurparce que c'est la couleur du sangparce que c'est la couleur de la colère, de la timidité

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Shan mai lou dja tam yang naiMeuan djai man dja kranShit wit man dou han wengWang when pai touk yangMeua kon ti di yo dai pan gamlang rak teur- Ça raconte quoi ?- C’est une histoire d’amour.- Pourquoi tu chantes ça ?- Parce que ça me rappelle de bons moments passés avecma famille, mes amis, il y a très longtemps, quand j’étaisun homme libre.- Et tu veux que je te chante quelque chose ?- Oui, pourquoi pas.- J’y vais,- Vas-y !- Le petit bonhomme en mousse qui s’élève et qui…- Mais c’est horrible.- Ouais je sais, mais comme tu avais l’air déprimé, je mesuis dis qu’en te chantant ça tu allais peut-être sourire.- Bah, c’est raté !

Quand je suis né, j’étais un autre au milieu d’autres, puisje suis devenu moi et j’ai découvert les autres, très peu audébut. Ma mère, mon père, mes soeurs, puis les autres à

gREg

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l’école primaire avec qui je jouais, apprenais, avançais,plus je grandissais, plus je prenais conscience du nombreincalculable des autres. J’ai donné plus d’importance àcertains qu'à d’autres, à mes amis par exemple et à mesennemis aussi, puis un jour il y a eu l’autre au milieu desautres, elle était belle, elle est devenue de moins enmoins un autre et de plus en plus un peu de moi, alorson a fait naître un autre parmi les autres.

Quand il est né, il était petit, fripé et pour être honnête,pas très beau. Puis il a grandi, découvert les autres, sessoeurs, son père et moi (dans un premier temps), puis lesautres à l’école. Aujourd’hui il est grand et pas fripé dutout. Il est très beau, ce qui n’a pas échappé à l’autre,celle qui à ses yeux est plus qu’une autre et qui vadonner naissance à un petit autre, non, à mon petit autre.

Quand je suis mort ils n’ont rien fait de ce que je leuravais demandé, je souhaitais être incinéré et eux ils m’ontenterré.Je voulais une grande fête joyeuse avec musique, alcool,troubadours, acrobates et chapiteaux et eux ils ont orga-nisé un apéro triste et sans alcool. On ne sait jamais,un mort par semaine c’est suffisant, et l’alcool, ça tue.Je désirais plus que tout que mes cendres soientdispersées aux quatre coins du monde et eux me jettentdans un pauvre cimetière, dans un village déserté parses habitants, où je vais me décomposer et servir denourriture aux asticots. Ils sont tout tristes alors que c’estmoi qui devrait l’être. Je suis mort, c’est con quand

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même, ils ont fait ce qu’ils voulaient et gâché ma mort. Lepire dans tout ça, c’est que moi je ne pourrai même pasêtre là pour gâcher la leur.

Là-bas lorsque nous avons acheté notre immeuble surles hauteurs de Bombay, nous avions à respecter unaccord un peu particulier avec le propriétaire. Nous nepouvions obtenir les papiers de la vente sans avoir signéun document certifiant que nous ne délogerions jamais lelocataire du premier ainsi que la vieille dame et sa vachequi vivaient dans la cour.L’immeuble était si spectaculaire, avec son jardin fleuri,sa façade sculptée et sa vue panoramique sur la ville, quenous ne nous sommes pas opposés à cette étrangerequête.Au début nous avons eu un peu peur de ces hôtes impo-sés, mais rapidement nous avons compris que sans eux,l’immeuble aurait été une vieille bâtisse sans âme, lelocataire du premier en était le gardien, il le protégeait,l’entretenait, et elle, la vieille dame, elle le faisait vivre,faisait en sorte qu’il s’y passe toujours quelque chose.De ces autres nous avons tant appris, ces autres si loinlà-bas.

- Je n'ai pas compris, vous avez dit quoi ?- J’ai dis « sa wa di krap ».- Qu’est ce que ça veut dire ?- Bonjour en langue thaïe.- Vous parlez thaï ?

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- Oui, couramment.- Ça doit faire longtemps que vous vivez ici.- Quelques années en effet.- Combien de temps il vous a fallu pour apprendre cette langue ?- Quelques mois pour l’apprendre, puis, quelquesannées pour la perfectionner.- Ah oui ! Quand même ! Moi je suis nul en langue,je parle à peine anglais.- Moi aussi j’étais nul en langue, mais une fois la motivation trouvée, on arrive à tout.- Oui peut-être,- Vous ne descendez pas à cet arrêt ?- Oh si ! merci, merci !

Deux autres :● L'autre :- Une paire de vieilles chaussures en cuir usé.- Un pantalon trop court.- Des chaussettes dépareillées.- Un pull délavé sur une chemise sale.- Et pour donner de la hauteur au mauvais goût, un noeud papillon.● Jean-Louis :- Baskets délassées.- Jogging trop grand.- Chaussettes trop hautes.- Sweat-shirt trop large.- Casquette.

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- Vous êtes là depuis quand ?- À vous attendre ?- Oui.- Bien trop longtemps à mon goût !- Pardonnez-moi mon retard je suis très occupé.- Ce qui n’est plus mon cas grâce à vous.- S’il vous plait Jean-Louis, ne soyez pas si…- Si quoi ? Vous me virez après 45 ans de bons et loyauxservices.- Mais personne ne vous a viré Jean-Louis, à 65 ans, vousêtes à la retraite.- Mais je ne suis pas mort que je sache.- Ecoutez Jean-Louis, cela fait deux semaines que vousn’êtes plus employé dans cette entreprise, mais que jevous vois traîner dans les ateliers, j’ai fermé les yeuxjusqu’à aujourd’hui, mais je ne peux pas le faire pluslongtemps. Rentrez chez vous maintenant.- C’est ici chez moi !- Non !- Un peu quand même.- Non.- Alors je m’en vais mourir seul dans ma triste maison.- Vous devriez faire du théâtre Jean-Louis.- Dans une autre vie peut-être, quand je serai un autre...

Vous avez peur d’eux et vous avez raison, ils sontextrêmement dangereux. Vous ne devriez pas rester ici,croyez en mon expérience, j’aurais toujours mes deuxbras si je m’étais enfui à temps. Allez, partez pendantqu’ils dorment, allez-y courez misérables, courez, sinon

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ils vous rattraperont et croyez-moi, nul supplice ne vousfera souffrir plus que celui infligé par ces démons, allez,courez, courez.

Les autres c’est toutes les personnes qui m’entourentet qui ne sont pas moi, celles que j’aurais pu être, maisque je ne serai jamais.Je les aime, les déteste, les copie, sans avoir choisi devivre avec et ne pouvant choisir de vivre sans, les autres…L’autre c'est moi.

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KAouThER ADImI...

... est née à Alger en 1986, elle a vécu entre Alger, Oran,Grenoble et Paris, où elle a fait des études de lettresmodernes et où elle réside actuellement. Ses nouvelles ontété distinguées à deux reprises par le Prix du jeune écrivainfrancophone de Muret (2006 et 2008). En 2008, elle a reçuson premier prix algérien au Festival international de lalittérature et du livre de jeunesse d’Alger et c’est le Prix dela Vocation Littéraire qui lui a été décerné en 2011 par laFondation Marcel-Bleustein-Blanchet.A l’âge de 25 ans, elle publie L'Envers des autres, son pre-mier roman précédemment édité en Algérie sous le titreDes ballerines de papicha, qui raconte le désoeuvrementet le mal-être d’une famille algéroise en quête d’une viemeilleure et dresse en creux un portrait lucide et sanscomplaisance de la société algérienne d’aujourd’hui.

Kaouther Adimi est venue à la rencontre des détenus de lamaison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis le samedi 7 avril 2012.

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Les autres, ces absents

Soyez bannis.J'attends, bien au chaud. Cachée entre les feuilles demon cahier, j'écoute les bruits sourds dehors, les bruitsdes autres. Ils peuvent continuer, rien ne m'atteindra tantque mes rêves seront là.Dehors, dedans, partout, les autres disent que je suisétrange, bizarre, tarée, étonnante, terrifiante.Les plus gentils disent que je suis juste rêveuse.L’esprit ailleurs, les yeux perdus dans le vide, la main cou-rant sur le papier, j’invente des mots qui racontent un ail-leurs. J’invente des dunes de sable, des villes blanches,des îles enchantées. J’invente un ailleurs sans ces autresaux voix assourdissantes. Bien raide sur ma chaise enbois près de la fenêtre aux barreaux gris, je m’appliqueà imaginer très fort cette vie, la vraie.Souvent, un bruit me réveille, me fait remonter à lasurface. Je jette alors un coup d’oeil par la fenêtre.J'observe les hommes qui courent dehors. Le gris et le vertmilitaire de leurs vêtements bougent vite. Cela faitcomme des tâches de couleurs mouvantes. Des animauxapeurés. Ce n'est pas tout ça que je raconte. Pas besoin.Ils existent vraiment, pourquoi s'amuser à caricaturerquand on peut inventer ? Surtout lorsqu'on peut inventerune nouvelle vie, qu’on peut partir très loin dans sa tête.J’aimerais ne jamais revenir. J’aimerais m’échapper dansle trou de ma tête et ne jamais plus en sortir.Tout y est ordonné. Peut-être un peu trop, et cela donnecomme une fausse note. On sent que personne n'y

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vit vraiment dans cette faille fictive. On sent qu’un troun’est jamais un vrai lieu d’habitation. Mais un trou çapeut être tout de même réconfortant. Alors, peu importela fausse note. Peu importe la sensation de trou. Exutoireirréel ou bref fantasme, la faille est là comme uneincision dans ma chair où je fuis. J'y trouve des maisonsaux toits rouges, des pelouses vertes, des petites fillesaux cheveux blonds. J'y trouve un conte de mon enfanceque je savoure avidement. Alice et Sophie, angeslumineux dans le chaos de ma vie.Maman a lu mes histoires. Elle a crié sur ce qu'elleappelle des gribouillis de gamine. Elle a hurlé :Que diront les autres, si ces histoires tombaient entreleurs mains ?J’ai caché mes cahiers pour que personne ne puisse lesrevoir. C'est ma vie. Il ne faut pas me forcer à dévoiler mavie dans la faille. Mais à vous je peux la raconter.Juste à vous avec votre promesse de ne jamais rien dire.Dans le trou de ma tête où je ne cesse d’aller, rien n'existequi ne soit clair et de couleur. J'ai rayé le noir, le gris et leblanc. Il n'existe pas d'hommes, ni même de femmes.Il n'y a que des enfants. Les adultes, ces autres, à forcede se faire la guerre sont tous morts.Dans mon chez moi, nous ne crions jamais. Et surtout,il n'existe pas ce que vous appelez des drames.Tout ça on vous l'a laissé. Nous, on n'en a pas besoin.Je suis désolée mais dans ma vie, vous n'existez toutsimplement pas.Maman m'a pris par la main et m'a traîné dans les escaliers.Heureusement que je dors avec mon cahier sinon je

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n'aurais pas eu le temps de le prendre. Papa est restédans notre maison. Il était rouge. Lui aussi en avait marredu noir et de ses variantes. Mais le rouge non plus cen'est pas ce qu'il y a de mieux. D'ailleurs depuis quej'ai vu papa dans le rouge je n'arrive plus à rejoindre monautre vie. Ma faille m'a quittée. Bouchée, cloîtrée, perdue.Je ne sais plus comment faire afin d’y retourner.J'ai abandonné les rêves. Ou plutôt c'est eux qui m'ontabandonnée. Mais ce n'est pas très grave, parce quefaille ou pas, je vous ai tous bannis de ma vie, vousles adultes.

Kaouther Adimi

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NOIRbirkanpreto

parce que c'est la couleur d'une nuit sans luneparce qu'habit de lumièreparce qu'il nous protège de la lumièreparce qu'il nous amincit

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DIngo

Quand il est né, le temps s’est arrêté 93 secondes.Le temps que Dieu lui écrive sa destinée. Quand je voisce qu’il est devenu, je me demande si Lucifer n’a pas écritcertains chapitres de sa vie. Il avait déjà une coupe afro,loin d’être Afro, il attirait déjà toute l’attention. Même aubled on savait qu’il était né le jour où les gens sortaientleurs pétards, je ne parle pas de flingue, ni de joints, il estné un 14 juillet. On pouvait croire que la France entièrefêtait sa naissance car une naissance se partage, il n’y aque la mort qui est personnelle.

Je ne veux pas cramer, même si j'ai pêché j'espère êtrelavé car je ne suis pas une merguez de barbak pourgriller. Je ne veux pas finir en enfer.

Je ne veux pas de camisole, ou qu’on me prenne pour unfou à chaque parole sortie de ma bouche. Je ne veux pasqu’on croit que j’ai craqué, je ne veux pas finir à l’asile.

Je ne veux pas finir mes jours là-bas avec d’autres genscomme moi qu'on vient voir de temps en temps commedes animaux.Comment oublier que tu les as élevés, fait tout pour qu’ilsne manquent de rien et pour te remercier, ils t’envoientdans une maison de retraite.

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L'un l'a, l'autre pas- Tu l’as vu où ?- Dans le local à poubelle, en train de fumer du crack.- Putain, je suis passé trois fois à côté sans ouvrir la porte.- Tu auras le prochain Bobby, pleure pas !- Ça fait longtemps que j’arrive plus à être au top, plusde voleurs, plus de primes et aussi plus mes week-ends.- C'est rien Bobby, on va faire un tour au 903, y'a toujoursune fusillade là-bas.Une heure plus tard :- C'est rien Bobby, t'as failli l'avoir, c'est rien.- 3 fusillades, je me mange une balle, c'est pas rien, enplus j’ai plus mon portable et mes menottes.- Je t’en donne un si tu veux, j'en ai deux, Bobby.- Arrête de toujours dire Bobby quand tu me parles.- Oui M. Bobby.- Ni Monsieur, oh là là… Tu vois p’tit, quand j’avais tonâge, moi aussi j’avais pas peur, moi aussi j’aimais le dan-ger, là je me fais vieux, j’ai plus ta jeunesse.- Tu fais toujours du bon boulot Bobby !- Non, j’ai plus cette envie, y aura toujours une guerreentre les criminels et la police, les hommes et les femmes,le chien et son maître et j’ai plus la force de changer ça.- Tu viens boire un coup Bobby ?- Non, je rentre chez moi, pleurer sur mon sort commetous les jours depuis dix ans.- C’est pas parce t’es vieux, sans femme qu’il fautdéprimer Bobby.

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- Merci de me rappeler que j’ai pas de femme, pasde chance, et en plus pas eu de criminel aujourd'hui.- Tu vas pas te noyer dans la baignoire en rentrant Bobby ?- Non, mais dans l’alcool comme chaque soir.

- J’ai pas compris, vous avez dit quoi ?- J’ai dit faites gaffe, y a des picpockets dans le métro !- Quel métro ?- Celui-là.- Quoi ?- CELUI-LÀ !!- Celui-là ? C’est qui ? Je connais pas.- Non, j’ai dit... oui celui là, il a un beau chapeau.- Quoi ? Tu veux ma peau ?- Non, un chapeau, un beau chapeau.- Tu veux ma peau de crapaud ? Tu veux mon héritageavant l'heure ? Au secours ! À moi !- Oh ! M. Smit, faut arrêter un peu vos conneries, ou vousn'aurez pas de cigare ce soir.- Oui je veux bien m'asseoir, mais y a pas de place, la jeunesse n’a plus de respect.- Et on se demande pourquoi.- Quoi, quoi ?- On va plus parler pendant tout le trajet papi.- Si tu fais pipi sur moi garçon...- Non non papi, t’as rien compris !- Ils ont pris qui ?- Bon, les gens nous regardent, moi je mets mon Ipod tuvas parler tout seul.Il met ses écouteurs, puis la musique.

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Le vieux le regarde et sourit :- Si y a des gens dans le métro qui veulent boire un coup,j’ai une adresse !

Face à face● Peau caramel- Tête ronde- Yeux verts- Petite bouche fine- Nez rond- Cheveux noirs courts

● Peau mate- Tête carrée- Yeux marron foncé- Grosse bouche- Nez normal- Chauve

Ils se regardent, prêts à en découdre.- Vous venez d’où ?- Ça te regarde pas.- Ne me tutoyez pas, on ne se connaît pas.- Je viens de Lyon.- Je m’en fous, monsieur, j’ai vu le taxi avant vous.- Eh oh mais je vous rappelle que c’est moi qui ai sifflé,qui ai fait un signe pour qu’il s’arrête.- Oui mais il s’est arrêté devant moi et je suis montéela première.- Peut-être mais mon bagage était dans le coffre de la

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voiture, avant même que tu ne touches à la portière pourt'installer à l'intérieur, chérie !- Gardez vos métaphores pour vous et ne me tutoyez pas !- Écoute jolie dame, le taco est pour moi mais on peutpartager si vous voulez, alors, tu viens d’où ?- J’ai pas que ça à foutre moi, vous montez ou jeme casse, dit le chauffeur agacé.- On baisse d’un ton si vous êtes gentleman, vous direz àcet homme de me céder le taxi, dit-elle.- Gentleman avec un animal pareil ah ah ah !- Laisse-moi rire, c’est l’hôpital qui se fout de la charité.C’est mon taxi, c’est moi qui monte.Quand soudain, l’homme et la femme qui se disputent letaxi n'ont pas fait pas attention, le chauffeur sort du taxi,avec un gabarit qu’on ne peut que remarquer :- Hop, on arrête !L’homme fait une grimace à la femme en lui disant :- Tu ressembles à ça !La femme lui tire la langue, prend ses mains, les metchacune sur une joue, avant de le dévisager et fait la plusmoche grimace que l’on ait jamais vu, d’ailleurs il lui dit :- T'es encore plus belle comme ça !- Ah bon ? Arrête de me tutoyer !Il s'approche d'elle et... :- Je m'en vais !- Non, reste, je viens d'Italie.

L'un chante...- Na Belaka ! Pousana Quiti.

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Na Vandela !- Ça raconte quoi ?- C’est l’histoire d’un mec qui tombe souvent malade etqui demande une chaise pour s’asseoir.- Pourquoi tu chantes ça ?- Parce que même si la chanson parle d’un mec qui estmalade, ça reste une chanson pour faire la fête, quandje suis triste, je me dis que y a rien, et ça va mieux.- Comment on dit "chose" ?- Kitt.- Kitt veut dire la voiture de Michaël Knight dans K2000.- Au BELAKA.- Tu veux que je te chante quelque chose ?- Oui mais pas de gangsta rap.- Parfum de vanille, parfum de vanille, on sent ma famille,on sent ma famille, y a pas plus gentille, y a pas plus gen-tille, que cette petite fille…- C’est qui ça déjà ?- François Feldman « Joy ».- Tu écoutes ce genre de musique toi ? Je suis étonné.- Dis rien à personne, ok ? En plus, c’est un peu du funk!

Vous avez peur de l’amour ?Je vous comprends très bien, car l’amour est la plus bellechose qu’on peut donner à une personne, dans ce basmonde, c’est d’ailleurs pour ça que ça fait mal de pas sesentir aimé, pire encore, d’être aimé puis trahi, oh non !Encore un ou une qui se consolera avec de l’alcool ou ladope, quelques larmes, une boîte de chocolats, bonjour

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les kilos.Vous avez peut-être même trop aimé pour plaiderle crime passionnel, l’amour rend aveugle, pauvre fou !Attiré, envoûté, faut aimer pour le faire, pas désiré, carquand le moment de folie, le petit coup de coeur estpassé, tu peux avoir mal au coeur, alors fais-le avecquelqu’un que t’aime, t’auras moins de peur et de chagrin.

Quand je suis mort ils ont pleuré, donc ils tenaientun peu à moi. Ils sont tous venus, même le vieux Sonyqui me devait de l'argent, et celui qui m'a tué.Il y avait même mon premier grand amour à la fête :l'alcool ! Car les gens te pleurent mieux bourrés.Tout le monde a prévu un petit discours. C'est gentil etnaïf de croire que ma place est au paradis car il n'y a pasde bon avocat aux portes de l'éternité. Qui sait, j'auraipeut-être des cornes et des ailes.Pleurez car on se retrouvera, oui on se retrouvera tôtou tard.Y a même des gens que je ne connais pas, ils se sontincrustés à mon enterrement attirés par les odeursalléchantes de la bouffe.Bon appétit et noyez-vous bien le gosier, c'est moi quipaie.Pleurez-moi, pas mon argent, je m'en vais presquecomme je suis venu.Alors s'il vous plaît pensez à moi quand vous n'aurez rienà penser ou à faire car c'est bon de vivre dans vos sou-venirs mes soeurs et mes frères.

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VERonIQuE oVALDE...

... ses ouvrages connaissent un succès grandissant et,depuis le début de sa carrière littéraire, elle bénéficie d’unereconnaissance de la librairie et de la critique. En 2008,son cinquième roman Et mon coeur transparent est récom-pensé par le Prix France Culture-Télérama. En 2009, sonseptième roman Ce que je sais de Vera Candida, reçoit le18e prix Renaudot des lycéens, le prix France Télévisions2009 et le Grand Prix des lectrices de Elle en 2010.Ses romans sont traduits dans de nombreuses langues(italien, espagnol, allemand, roumain, portugais, anglais,coréen, chinois, finnois, etc.).Véronique Ovaldé est égale-ment éditrice chez Albin Michel. Elle a notamment travaillésur Le club des incorrigibles optimistes de Jean-MichelGuénassia (Prix Goncourt des Lycéens 2009).

Véronique ovaldé est venue à la rencontre des détenusde la maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis le samedi2 juin 2012.

I I

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Eclisse

Quand elle rencontra Filomena, Maria Cristina futéblouie par sa décontraction, sa façon d'être toujours àmoitié nue, de porter des mules à talons qu'elle traînaiten marchant – le bruit de ce raclement de talon évoquaitpour Maria Cristina un épuisement sexuel – ses cheveuxqu'elle teignait en blond et lissait avec un fer à repasseren pestant contre la proximité du Pacifique qui la faisaitfriser, ses foulards et le cliquetis de ses bracelets, lamanière dont elle gardait sa cigarette à la commissuredes lèvres en fermant un oeil et en levant légèrementle menton, parce qu'elle avait souvent les mains prises,se faisait les ongles, peignait ou feuilletait un magazine.Filomena ressemblait si peu aux gens que Maria Cristinaavait fréquenté jusque-là que ce fut un soulagement pourMaria Cristina qu'elle accepte de partager un apparte-ment avec elle. Maria Cristina n'avait finalement rencon-tré dans sa vie que les quelques habitants de son villagenatal, qui lui semblaient si frustes maintenant face à ladésinvolture et la sophistication de Filomena.Filomena lui dit :– Moi je cherche plutôt une coloc sérieuse. Une filletranquille. Une étudiante comme toi. J'ai mené jusque-làune vie de patachon alors j'ai besoin de calme.Filomena n'avait que trois ans de plus que Maria Cristina.On pouvait se demander ce qu'elle avait pu vivre pourêtre déjà si fatiguée à cet âge précoce. Elle vivait dans unrez-de-chaussée sur cour vers Divina Rovidencia, àquelques blocs de la plage, à tel point que du sable ren-

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trait en permanence dans l'appartement et se déposaitsur les objets. Elle n'avait plus les moyens de vivre danscet appartement, ne voulait pas le quitter, l'idée de semettre à la recherche d'un nouveau lieu la déprimait,disait-elle, et l'épuisait à l'avance, elle se résolvait donc àle partager. Elle allait se mettre à travailler sérieusementet cesser de passer son temps sur la plage à fumer del'herbe avec des garçons venus d'un peu partout– comme si Tijuana était la limite de leur dérive, ce boutdu grand Ouest, qui tremble et menace de s'effondrerchaque jour, qui s'écarte peu à peu du continent maître,à cause de toutes ces failles au milieu du désert. Imagine,disait Filomena, que tu es planquée dans une cabane surpilotis, à 150 mètres de hauteur, et que ces pilotis, quipourtant te protègent du monde réel, ces pilotis vacillentet vont finir par te faire chavirer, et Maria Cristina nesavait pas si elle parlait de la drogue ou du Mexique oude la Californie en général. Je suis fatiguée, disaitFilomena, je suis la seule à avoir un appart, ils vivent toussur la plage, ils dorment sur la plage, ils dansent sur laplage, ils baisent sur la plage, moi je veux dormir dansun lit et ne plus les avoir sur le dos, je suis comme unepetite vieille et je crois que tu seras la bonne personnepour m'aider dans ma nouvelle vie.Et Maria Cristina se disait que d'une certaine façon cetteconviction de Filomena était vexante, il lui semblait queson village lui collait à la peau, les jupes bleu marine etles sermons de la Rédemption Lumineuse, et que toutesses minuscules rébellions n'avaient plus aucune valeur,et Filomena lui avait tout de suite demandé, mais tu

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veux faire quoi dans la vie toi ? et Maria Cristinaavait répondu, je veux écrire, et Filomena avait dit, despoèmes des chansons ? et Maria Cristina avait dit, deslivres, je veux écrire des romans, je veux écrire des his-toires, et Filomena avait dit, tu ne peux pas écriredes histoires, il ne t'est rien arrivé encore, tu n'as rienà raconter, ne faut-il pas exclusivement écrire que sur cequ'on connaît le mieux ?Filomena pouvait être offensante sans le vouloir. C'étaitune différence cruciale avec ce qu'avait vécu précédem-ment Maria Cristina. Sa soeur ou sa mère ou chacune deses tantes étaient blessantes en permanence, ce qui étaitdit n'était jamais ce qui était prononcé, c'était un langagerusé, oblique, épineux, le langage des familles où l'onne vous fera jamais crédit.Les premiers mois furent difficiles. Maria Cristina n'arri-vait pas à prendre ce que Filomena appelait de lahauteur. Elle allait en cours, rentrait des cours, retournaiten cours. Prends de la hauteur, lui répétait Filomenaconstamment en fumant des joints sur le canapé.Mais Maria Cristina se débattait.Maria Cristina se débattait avec ce désir de plaire etd'être aimée de tous ces professeurs, elle voulait se fairedes amis et être l'élève la plus brillante de sa promotion.Elle rêvait qu'un jour tous les lecteurs qui tomberaientsur l'un de ses livres se retrouvent sous son charme.Maria Cristina était le contraire d'une personne insouciante.Et finalement ce qui revenait à chaque fois qu'elleapprenait qu'une soirée s'était organisée sans elle– intentionnellement sans elle, puisque non seulement

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on ne l'y avait pas conviée mais toute l'organisation de lasoirée s'était faite pour éviter qu'elle ne s'y pointât – c'étaitcette douleur lancinante de l'exclusion.Elle ne se rendait pas compte que son allure paraissaitréprobatrice aux yeux des étudiants. Son sérieux et satimidité leur paraissaient revendicatifs : personne n'avaitenvie de la fréquenter. Maria Cristina tenait toujours seslivres serrés sur sa poitrine comme si on allait les lui voler,elle s'habillait anthracite et bleu marine, elle sursautaitdès qu'on lui adressait la parole, elle ne s'était jamaisépilé les sourcils et ne se lavait qu'une fois par semaine –sale habitude contractée dans son village où l'eaucourante était aussi hoquetante que l'électricité.On appelait Maria Cristina Jehovah Girl et ce n'était pasabsolument amical.Filomena lui dit un jour que si elle ne dégageait plus cetteforte odeur de transpiration et de friture (Maria Cristinaeffectuait des remplacements dans le snack du campuspour payer sa part du loyer) et qu'elle faisait deux troispetits efforts elle serait acceptée avec grand plaisir.– Leur ouverture d'esprit tient à bien peu de choses, ditFilomena pensivement comme si elle parlait d'une espècerare de perruche.– Je ne comprends pas, dit Maria Cristina.– Leur ouverture d'esprit tient à une odeur d'aisselles,précisa Filomena.– C'est l'odeur du labeur, dit Maria Cristina en rougissant.– Tu n'es pas terrassier, dit Filomena. Si c'était le cas, ilst'accueilleraient avec plaisir. Ce serait pour eux tout aussiexotique. Mais ils ont une certaine forme d'exigence

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envers les jeunes femmes du tiers-monde.– Du tiers-monde ?– Pour eux c'est comme si tu venais du tiers-monde.– Et qu'exigent-ils des filles du tiers-monde ?– Elles doivent être belles, désespérées et ne pas sentirmauvais.Les premiers mois furent donc difficiles pour MariaCristina, parce que Maria Cristina faisait partie de cesgens pour lesquels les débuts en toutes choses sontdifficiles, il lui fallait s'acclimater et renoncer à ce qu'elleétait précédemment, il lui fallait se projeter dans unenouveauté et son anxiété naturelle l'étreignait.Je sais qu'un jour, disait-elle à Filomena, les angoissesm'étoufferont et m'empêcheront définitivement de voir lemonde tel qu'il est, ce sera comme une cataracte de l'oeil,quand une membrane pousse sur la cornée, et je devien-drai insupportable, d'une anxiété asphyxiante. Je neverrai plus rien et plus personne. J'aurai peur.Continuellement peur. Pour tout et rien. Parce que leslumières seront allumées, et que je ne saurai pas où sontles ampoules, parce qu'on annoncera un orage et queje ne saurai pas changer les plombs, parce que la portefermera mal et que j'aurai entendu du bruit dehors, parceque j'aurai vu deux fourmis sur le parquet le jour-mêmeet qu'elles seront sans doute venues coloniser la maisonafin d'installer leur fourmilière au milieu du salon, parceque j'aurai cette drôle de douleur dans la jambe gaucheet qu'elle sera peut-être en train de se paralyser, et onne pourra plus me parler, je serai en circuit fermé, je seraiune petite vieille perpétuellement affolée, sur le qui-vive,

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ressassant et remâchant, avec des lèvres qui pépienten silence et les mimiques de celle qui converse avec sesfantômes, et on ne pourra plus me parler, je n'entendraiplus rien de ce qu'on me dit, mes oreilles bourdonnerontenvahies par mon angoisse, je serai coupée du monde.Comment échapper à une si piteuse vieillesse ?Et Filomena lui tapotait la main. De toute façon il n'estpas du tout certain que Maria Cristina ait eu le cran etl'impudeur de déballer tout cela à son amie, il est plusprobable qu'elle disait simplement en rentrant, Je suisclaquée, et dans cette phrase était contenue la totalitéde son désarroi. Le désarroi d'être une et disjointe,minuscule et distincte.

Véronique ovaldé

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ROUGEredrosso

parce que la vieparce que c'est le beaujolaisparce que c'est la couleur de la vie, l 'amour, le sangparce que la colère

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Il me regarde et c’est depuis que je me suis assis etque je me suis plongé dans la lecture de Libé, impossiblede me concentrer avec ce regard que je sens peser surmoi. Je lève les yeux. Le grand mec en jean et blouson decuir continue de m’observer du regard froid de ses yeuxverts derrière les lunettes aux fines montures d’acier. Enfouillant dans ma mémoire, sa tronche ne me dit rien.Je plie le journal, examine mon pull, pas de taches, demiettes, la braguette de mon jean est bien fermée. Pasenvie d’entamer une conversation, trop tôt, trop froid.Changer de compartiment… Non, avant ça, aller aux toi-lettes, un coup d’oeil dans le miroir me dira si ce n’estpas une crotte de nez, un poil oublié, qui attire sonregard.Quelques instants plus tard, je sais que ce n’est pas lecas. Je m’apprête à sortir des toilettes, la rame ralentit,j’ouvre la porte, la main sur la poignée, le grand type melance un dernier regard avant de sortir...

L'un l'a, l'autre pas- Vous l'avez eu où ?- Qu …- Quel coucher de soleil, ces couleurs, c’est un spectacleinoubliable et sans cesse renouvelé, je ne m’en lasse pas

pAScAL

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et vous ?- ...- Ça vous laisse muet, une telle beauté, un tel spectacle,exprimez-vous mon vieux !- ...- Ou peut-être êtes-vous de ces êtres insensibles à labeauté et aux spectacles que nous offre la nature, je vousplains.- ...- Ou peut-être que vous ne voulez pas partager vos émo-tions avec d'autres ?- Non mec, je suis aveugle de naissance.

Deux autres :● Mike : jean coupé aux genoux, tee-shirt Hugo Beco(copie), tongs aux pieds● Chang : pantalon treillis, débardeur noir, Nike, Rolex(copie) et deux chaînes en or avec amulette.

La scène se passe sur le pont de Sunat Thum, sud de la Thaïlande.C : Bonjour, d’où venez-vous ?M : J’arrive de Bangkok en train. Je suis Suisse et je rejoins mon amie à Lamaï Beach.C : Moi je viens de Samui.M : Ah ! Je pensais que tu y allais… On se tutoie si vous voulez ?C : Pas de problème, en fait je suis parti de Samui avant-hier.

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M : Et tu y retournes aujourd’hui ?C : Je suis heureux, j’ai gagné un combat à Chawing.M : Je connais bien le Chawing stadium juste à côtédu Reggae pub.C : Oui et comme j’ai touché une bonne prime, jevoulais retourner à Kerat chez moi passer quelques tempsdans ma famille et laisser de l’argent à ma femme età mes parents.M : Tu as fait un aller et retour en avion ?C : En fait j’ai rencontré des amis sur le bateau enquittant Samui, on a fêté ma victoire et arrivés ici, ona fait la tournée des bordels.M : Et tes potes ?C : Je sais pas trop, à un moment je me suis réveillé seulau lit avec deux filles. C’était ce matin.M : Bon plan.C : Plutôt oui, j’avais pas envie de partir, mais il faut queje refasse un combat, j’ai tout claqué.M : Tu retournes à Samui ?C : Ben oui, comme toi, mais le bateau ne part que dansdeux heures, allons boire une bière !M : Volontiers, dis-moi, elles étaient si bonnes que çales filles ?C : Tu sais quoi, le Bexen est tout proche, dans les ruelleslà derrière, on boira une bière là-bas.M : On a le temps ?C : Sans problème.M : Let’s go ! Juste je coupe mon portable.C : Il faudra que j’appelle ma femme à Lerat, je pourraisemprunter ton phone, le mien je l’ai oublié quelque

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part ?- J’ai pas compris, vous avez dit quoi ?- Allez d’abord au guichet 12, c’est pas ici pour les man-dats. Il faut d’abord remplir le formulaire 3421B avant devenir ici- Et alors ?- Guichet 12 pour le formulaire.- Mais je viens juste pour un mandat.- Écoutez ! Je parle français, revenez avec le formulaire.- Mais, je vais pas aller au guichet 12, vous avez vu laqueue qu’il y a ?- Pas de formulaire, pas de mandat.

Quand j’ai rencontré Teuk, elle était la star speedée detous les déjantés qui s’agitaient sur la piste de danse duReggae pub.Petite, peau mate, physique quelconque, mais un pier-cing dans le nez, son énergie et un quelque chose d’in-définissable faisait qu’on ne voyait qu’elle. C’est peut êtreparce que j’étais presque aussi alcoolisé qu'elle qu’ellem’a remarqué. Jusqu’à la fin de la nuit, nous étions enosmose. Tout était possible, rien ne pouvait foirer. Tarddans l’après-midi suivant, quand sa voix éraillée par tropd’alcool et de tabac m’a tiré du coma :- Darling, tu veux bien me commander une bière à laréception !J’ai réalisé.

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Quand je suis mort, ils m’ont débranché.Deng sur ma dépouille s’est jetée.Une dernière fois elle m’a embrassé.Mike, mon frère, mon ami s’est approché.Il l’a relevéechez lui l’a emmenéeToute la journée ils ont parléSeule il ne l’a pas laisséeAu matin dans le même litIls se sont éveillés.Un café il lui a préparéEt puis une ligne d’héro donnéeEt déjà elle m’avait presque oublié.Quand je suis mort ils ont débranché les machinesDeng a beaucoup pleuré et encore plus téléphonéCe furent de belles obsèques, toute sa famille, quelquesamis y ont assisté.Quelques heures plus tard, devant la maison vide,les pick-up débordèrent de meubles, et autres effets.Deng avait tout partagé, ses proches, presque tous,se frottaient les mains. Ils n’étaient pas venus pour rien.Et Deng a su éviter les conflits, expliquer, consoler,se fâcher pour que tout se passe au mieux.Elle avait l’air moins désespérée, la carte de crédit,qu’elle a conservée, les comptes en banques qu’elle peututiliser lui font retrouver un semblant de sourire.Elle doit sûrement penser à toutes ces futures soiréesqu'elle passera au casino. Elle y assouvira sa passion,oubliera son chagrin, et qui sait... peut-être qu'il luiarrivera de gagner.

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Novembre 2012

Qui et quoi d’autre autour de ces rencontres ?

Huit ans que nous traçons la route des rencontres avec desauteurs tous les deux mois, à la Maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis. Un chemin parfois semé d’embuches, decontraintes liées à la structure carcérale, mais un chemin surlequel on avance malgré tout, les détenus, les auteurs et nous.Ce projet continue de se poursuivre grâce aux soutiensprécieux du Conseil général de la Seine-Saint-Denis, dela DRAC Ile-de-France, du Service Pénitentiaire d’Insertionet de Probation de Seine-Saint-Denis.

Le principe est d’inviter un auteur à passer une journéeà Villepinte. ● La rencontre du  matin à la maison d’arrêtse déroule en trois temps : Une lecture (par les comédiens dela Cie Issue de Secours) d’extraits d’un texte de l’auteur invité,suivie d’une discussion avec les détenus présents puis dédi-cace par l’auteur du texte lu, offert à chaque détenu● Déjeuner-rencontre à la ferme Godier● L’après-midi la rencontre a lieu à la médiathèque pour lepublic (souvent une classe de collège ou de lycée participe àla rencontre suite à un travail sur le texte en classe,un livre de l’auteur leur est aussi offert)

A la suite de ces rencontres, chaque auteur est invité àrédiger un court texte sur le thème de l’atelier d’écriture suivipar les détenus ; cette année, « Les autres » avec l’auteur AnneLuthaud et la comédienne Pascale Poirel. Ces textes inéditsfigurent dans ce recueil parmi les textes des détenus.

LES REnconTRES D ’AuTEuRS

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Retrouvez le programme des prochaines rencontres d’auteurssur : http://mediatheque.centreculturel-villepinte.fr/et sur www.issue-de-secours.net

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REmERcIEmEnTS

La Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires de Paris

La Directrice du Service Pénitentiaired’Insertion et de Probation de Seine-Saint-Denis

Le Directeur de la maison d’arrêt de la Seine-Saint-Denis

La Direction de la Culture, du Patrimoine,du Sport et des Loisirs du Département de la Seine-Saint-Denis

La Direction Régionale des Affaires Culturelles d’Ile-de-FranceMinistère de la Culture et de la Communication

Le président du Centre national du livre

Et tous les auteurs !

SERVICE PÉNITENTIAIRE D’INSERTION ET DE PROBATION DE SEINE-SAINT-DENIS

MINISTERE DE LA JUSTICEET DES LIBERTÉS

Page 83: Recueil des détenus 2012 "Qui d'autre?"

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Atelier d’écriture :Anne Luthaud – Auteur

Pascale Poirel – Compagnie Issue de secours

Organisation des rencontres avec les auteurs : Pascale Poirel – Compagnie Issue de secours,

Nathalie Bastat, comédienne Agnès Bajard et Christelle Merlin, médiathèque de Villepinte

Coordination éditoriale : Agnès Bajard et Christelle Merlin, médiathèque

Suivi du dossier : Fiona Imbratta – Service communication

Maquettage : Flore-Anne Morgant – Service PAO

Imprimerie : Direct Impression

Textes : Fares, Khaled, Greg, Dingo, Pascal

et les auteurs : Rodrigue Norman, Leïla Sebbar, Céline Spector,Kaouther Adimi, Véronique Ovaldé

Directeur de la publication : Nelly Roland Iriberry, Maire de Villepinte

Page 84: Recueil des détenus 2012 "Qui d'autre?"

Avec la contribution des auteursRodrigue norman, Leïla Sebbar,céline Spector, Kaouther Adimiet Véronique ovaldé.

Rien ne sert de dire que je ne vois d’autrui que son regard, sa bouche,son visage, sa silhouette, son ombre, ses actes. car j’aime plus que toutscruter ses intentions : que pense-t-il au juste, que veut-il au fond ?comment comprend-il le monde, ce que je dis, ce que je crois ?comment interprète-t-il mon désir, mon espoir, mon désespoir, ma peine,ma joie ?

céline Spector

Novembre 2012