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Recueil de poèmes lyriques (oral) 1) DU BELLAY, « Heureux qui comme Ulysse… » Mouvement littéraire de La Pléiade : Inspiration antique, sonnet (16 ème siècle) NOSTALGIE, « Je » Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage, Ou comme cestuy-là qui conquit la toison, Et puis est retourné, plein d'usage et raison, Vivre entre ses parents le reste de son âge ! Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village Fumer la cheminée, et en quelle saison Reverrai-je le clos de ma pauvre maison, Qui m'est une province, et beaucoup davantage ? Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux, Que des palais Romains le front audacieux, Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine : Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin, Plus mon petit Liré, que le mont Palatin, Et plus que l'air marin la douceur angevine. 2) Victor HUGO, « Après la bataille » Mouvement littéraire : le Romantisme (19 ème siècle) : générosité de son père Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait à cheval, le soir d'une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit. C'était un Espagnol de l'armée en déroute Qui se traînait sanglant sur le bord de la route, Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié. Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! " Mon père, ému, tendit à son housard fidèle Une gourde de rhum qui pendait à sa selle, Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. " Tout à coup, au moment où le housard baissé Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père en criant: "Caramba! " Le coup passa si près que le chapeau tomba Et que le cheval fit un écart en arrière. " Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.

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Recueil de poèmes lyriques (oral) 1) DU BELLAY, « Heureux qui comme Ulysse… »

Mouvement littéraire de La Pléiade :

Inspiration antique, sonnet (16ème siècle) NOSTALGIE, « Je » Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,

Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,

Et puis est retourné, plein d'usage et raison,

Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village

Fumer la cheminée, et en quelle saison

Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,

Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,

Que des palais Romains le front audacieux,

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :

Plus mon Loir gaulois, que le Tibre latin,

Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,

Et plus que l'air marin la douceur angevine.

2) Victor HUGO, « Après la bataille » Mouvement littéraire : le Romantisme (19ème siècle) : générosité de son père

Mon père, ce héros au sourire si doux,

Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous

Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille,

Parcourait à cheval, le soir d'une bataille,

Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit.

Il lui sembla dans l'ombre entendre un faible bruit.

C'était un Espagnol de l'armée en déroute

Qui se traînait sanglant sur le bord de la route,

Râlant, brisé, livide, et mort plus qu'à moitié.

Et qui disait: " A boire! à boire par pitié ! "

Mon père, ému, tendit à son housard fidèle

Une gourde de rhum qui pendait à sa selle,

Et dit: "Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé. "

Tout à coup, au moment où le housard baissé

Se penchait vers lui, l'homme, une espèce de maure,

Saisit un pistolet qu'il étreignait encore,

Et vise au front mon père en criant: "Caramba! "

Le coup passa si près que le chapeau tomba

Et que le cheval fit un écart en arrière.

" Donne-lui tout de même à boire ", dit mon père.

3) Victor HUGO, « Oh ! je suis comme fou… »

Oh ! je fus comme fou dans le premier moment,

Hélas ! et je pleurai trois jours amèrement.

Vous tous à qui Dieu prit votre chère espérance,

Pères, mères, dont l'âme a souffert ma souffrance,

Tout ce que j'éprouvais, l'avez-vous éprouvé ?

Je voulais me briser le front sur le pavé ;

Puis je me révoltais, et, par moments, terrible,

Je fixais mes regards sur cette chose horrible,

Et je n'y croyais pas, et je m'écriais : Non ! --

Est-ce que Dieu permet de ces malheurs sans nom

Qui font que dans le coeur le désespoir se lève ? --

Il me semblait que tout n'était qu'un affreux rêve,

Qu'elle ne pouvait pas m'avoir ainsi quitté,

Que je l'entendais rire en la chambre à côté,

Que c'était impossible enfin qu'elle fût morte,

Et que j'allais la voir entrer par cette porte !

Oh ! que de fois j'ai dit : Silence ! elle a parlé !

Tenez ! voici le bruit de sa main sur la clé !

Attendez! elle vient ! laissez-moi, que j'écoute !

Car elle est quelque part dans la maison sans doute !

4) Marceline DESBORDES VALMORE, « Les Séparés »

Poétesse du mouvement romantique (sentiments, luttes lyonnaises…) N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre. Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau. J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre, Et frapper à mon cœur, c'est frapper au tombeau. N'écris pas ! N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes. Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais ! Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes, C'est entendre le ciel sans y monter jamais. N'écris pas ! N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ; Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent. Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire. Une chère écriture est un portrait vivant. N'écris pas ! N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire : Il semble que ta voix les répand sur mon cœur ; Que je les vois brûler à travers ton sourire ; Il semble qu'un baiser les empreint sur mon cœur. N'écris pas !

5) Alfred de MUSSET, « Se voir le plus possible »

Mouvement littéraire du Romantisme (19ème siècle) : je, SONNET

lyrique Se voir le plus possible et s'aimer seulement, Sans ruse et sans détours, sans honte ni mensonge, Sans qu'un désir nous trompe, ou qu'un remords nous ronge, Vivre à deux et donner son cœur à tout moment ; Respecter sa pensée aussi loin qu'on y plonge, Faire de son amour un jour au lieu d'un songe, Et dans cette clarté respirer librement - Ainsi respirait Laure et chantait son amant.

Vous dont chaque pas touche à la grâce suprême, C’est vous, la tête en fleurs, qu'on croirait sans souci, C'est vous qui me disiez qu'il faut aimer ainsi. Et c'est moi, vieil enfant du doute et du blasphème, Qui vous écoute, et pense, et vous réponds ceci : Oui, l'on vit autrement, mais c'est ainsi qu'on aime.

6) Gérard de NERVAL, « El Desdichado » 19ème siècle, le Romantisme

Référence à la mythologie : par amour, il a traversé tout cela. Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé, Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie : Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé Porte le Soleil noir de la Mélancolie. Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé, Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie, La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé, Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie. Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ? Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ; J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène... Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron : Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

7) Charles BAUDELAIRE, « Parfum exotique », Les Fleurs du mal

mouvement littéraire du Symbolisme () Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d'automne,

Je respire l'odeur de ton sein chaleureux,

Je vois se dérouler des rivages heureux

Qu'éblouissent les feux d'un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne

Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;

Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,

Et des femmes dont l'œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,

Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,

Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

8) Charles BAUDELAIRE, « Recueillement »

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :

Une atmosphère obscure enveloppe la ville,

Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,

Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,

Va cueillir des remords dans la fête servile,

Ma Douleur, donne-moi la main ; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,

Sur les balcons du ciel, en robes surannées ;

Surgir du fond des eaux le Regret souriant ;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,

Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,

Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

9) Charles BAUDELAIRE, Le Spleen de Paris , « Un

hémisphère dans ta chevelure » Symbolisme : la femme

lui permet de voyager.

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y

plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une

source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour

secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout

ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum

comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de

mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me

portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus

profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles

et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de

chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de

navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et

compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des

longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau

navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de

fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

10) Paul VERLAINE, « Mon rêve familier » Mouvement

littéraire du Symbolisme (sentiments : rêve d’amour) Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime Et qui n'est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m'aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon cœur, transparent Pour elle seule, hélas ! cesse d'être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse ? - Je l'ignore. Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila. Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a L'inflexion des voix chères qui se sont tues.

11) VERLAINE, « Après trois ans »

nostalgie

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle, Je me suis promené dans le petit jardin Qu'éclairait doucement le soleil du matin, Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle. Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle De vigne folle avec les chaises de rotin... Le jet d'eau fait toujours son murmure argentin Et le vieux tremble sa plainte sempiternelle. Les roses comme avant palpitent ; comme avant, Les grands lys orgueilleux se balancent au vent, Chaque alouette qui va et vient m'est connue. Même j'ai retrouvé debout la Velléda, Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue, - Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.

12) Arthur RIMBAUD, « Roman »

I

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans. - Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! - On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin ! L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ; Le vent chargé de bruits - la ville n'est pas loin -

A des parfums de vigne et des parfums de bière...

II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon D'azur sombre, encadré d'une petite branche,

Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête... On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête...

13) Arthur RIMBAUD, Une Saison en Enfer Symbolisme

(poème en prose, il se révolte contre l’image de la Beauté)

écrit à 14 ans.

"Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous

les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j'ai assis la Beauté sur

mes genoux. — Et je l'ai trouvée amère. — Et je l'ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que

mon trésor a été confié !

Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance

humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête

féroce.

J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de

leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le

sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je

me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot.

Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier

couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je

reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. — Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !

"Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si

aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme

et tous les péchés capitaux."

14) Renée VIVIEN, « Ondine » fin du 19ème mouvement du

Parnasse l’amante est comparée à la Nature.

Ton rire est clair, ta caresse est profonde, Tes froids baisers aiment le mal qu'ils font ; Tes yeux sont bleus comme un lotus sur l'onde, Et les lys d'eau sont moins purs que ton front. Ta forme fuit, ta démarche est fluide, Et tes cheveux sont de légers réseaux ; Ta voix ruisselle ainsi qu'un flot perfide ; Tes souples bras sont pareils aux roseaux, Aux longs roseaux des fleuves, dont l'étreinte Enlace, étouffe, étrangle savamment, Au fond des flots, une agonie éteinte Dans un nocturne évanouissement.

15) Guillaume APOLLINAIRE, « Nuit rhénane », Alcools début 20ème siècle Le poète est inquiet à cause du fleuve.

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme Écoutez la chanson lente d'un batelier Qui raconte avoir vu sous la lune sept femmes Tordre leurs cheveux verts et longs jusqu'à leurs pieds

Debout chantez plus haut en dansant une ronde Que je n'entende plus le chant du batelier Et mettez près de moi toutes les filles blondes Au regard immobile aux nattes repliées

Le Rhin le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter La voix chante toujours à en râle-mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été

Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire

16) APOLLINAIRE, « Sous le pont Mirabeau », Alcools Lyrisme : « je » + sentiment : peine de cœur

Sous le pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne La joie venait toujours après la peine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Les mains dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure L'amour s'en va comme cette eau courante L'amour s'en va Comme la vie est lente Et comme l'Espérance est violente Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure Passent les jours et passent les semaines Ni temps passé Ni les amours reviennent Sous le pont Mirabeau coule la Seine Vienne la nuit sonne l'heure Les jours s'en vont je demeure

17) Paul ELUARD, « La courbe de tes yeux » : 20ème

siècle Poète surréaliste : il dépend de son amour. La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau nocturne et sûr, Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs, Parfums éclos d'une couvée d'aurores Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l'innocence Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards.

18) Paul ELUARD, « Je t’aime »

Lyrique : thème de l’amour, un amour universel

Je t’aime pour toutes les femmes Que je n’ai pas connues

Je t’aime pour tout le temps Où je n’ai pas vécu

Pour l’odeur du grand large Et l’odeur du pain chaud Pour la neige qui fond

Pour les premières fleurs Pour les animaux purs

Que l’homme n’effraie pas Je t’aime pour aimer

Je t’aime pour toutes les femmes Que je n’aime pas

Qui me reflète sinon toi-même Je me vois si peu

Sans toi je ne vois rien Qu’une étendue déserte

Entre autrefois et aujourd’hui Il y a eu toutes ces morts

Que j’ai franchies Sur de la paille

Je n’ai pas pu percer Le mur de mon miroir Il m’a fallu apprendre

Mot par mot la vie Comme on oublie

Je t’aime pour ta sagesse Qui n’est pas la mienne Pour la santé je t’aime

Contre tout ce qui n’est qu’illusion Pour ce cœur immortel Que je ne détiens pas

Que tu crois être le doute Et tu n’es que raison Tu es le grand soleil

Qui me monte à la tête Quand je suis sûr de moi

19) Louis ARAGON, Les yeux d’Elsa 20ème siècle

Lyrisme : les yeux de la femme l’attirent et l’inquiètent Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire

J'ai vu tous les soleils y venir se mirer

S'y jeter à mourir tous les désespérés

Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé

Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent

L'été taille la nue au tablier des anges

Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur

Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit

Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie

Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée

Sept glaives ont percé le prisme des couleurs

Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs

L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

20)Robert DESNOS, J’ai tant rêvé de toi 20ème siècle, le Surréalisme et le mouvement dada.

Poème en prose avec des images surprenantes (rêve)

J'ai tant rêvé de toi

J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur

cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?

J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués en étreignant ton ombre

à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton

corps, peut-être.

Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne

depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

Ô balances sentimentales.

J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je

m'éveille.

Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et

de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je

pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières

lèvres et le premier front venu.

J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme

qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme

parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se

promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.

20)Nazim HIKMET, , « Les ennemis », poète turc qui a été emprisonné pour avoir prôné la liberté.

Poésie engagée

Ils sont les ennemis de l'espoir ma bien-aimée De l'eau qui ruisselle, de l'arbre à la saison des fruits,

de la vie qui pousse et s'épanouit. Car leur front marqué du sceau de la mort,

- dent pourrie, chair décomposée - ils vont disparaître à jamais.

Et bien sûr ma bien-aimée, bien sûr, Sans maître et sans esclaves

Ce beau pays deviendra un jardin fraternel! Et dans ce beau pays la liberté

Ira de long en large Magnifiquement vêtue de son bleu de travail.

Ils sont les ennemis de Redjeb, tisserand à Brousse, Les ennemis de Hassan, ajusteur à l'usine de Karabuk, Les ennemis de la vieille Hatdjen , la paysanne pauvre,

Les ennemis de Suleyman, l'ouvrier agricole, Les ennemis de l'homme que je suis, que tu es,

Les ennemis de l'homme qui pense. Mais la patrie est la maison de ces gens-là,

Ils sont donc ennemis de la patrie, ma bien-aimée. Nos bras sont des branches chargées de fruits,

L'ennemi les secoue, l'ennemi nous secoue jour et nuit, Et pour nous dépouiller plus facilement, plus tranquillement,

Il ne met plus la chaîne à nos pieds, Mais à la racine même de nos têtes, ma bien-aimée.

21) Pablo NERUDA, Cent poèmes d’amour

poète chilien (20ème siècle)

C’est le matin plein de tempête au cœur de l’été.

Mouchoirs blancs de l’adieu, les nuages voltigent, et le vent les secoue de ses mains voyageuses.

Innombrable, le cœur du vent bat sur notre amoureux silence.

Orchestral et divin, bourdonnant dans les arbres, comme une langue emplie de guerres et de chants.

Vent, rapide voleur qui enlève les feuilles, et déviant la flèche battante des oiseaux,

les renverse dans une vague sans écume, substance devenue sans poids, feux qui s’inclinent.

Volume de baisers englouti et brisé que le vent de l’été vient combattre à la porte.

22) Pablo NERUDA, Cent poèmes d’amour poète chilien (20ème siècle)

Fille brune, fille agile, le soleil qui fait les fruits, qui alourdit les blés et tourmente les algues, a fait ton corps joyeux et tes yeux lumineux

et ta bouche qui a le sourire de l'eau.

Noir, anxieux, un soleil s'est enroulé aux fils de ta crinière noire, et toi tu étires les bras.

Et tu joues avec lui comme avec un ruisseau, qui laisse dans tes yeux deux sombres eaux dormantes.

Fille brune, fille agile, rien ne me rapproche de toi.

Tout m'éloigne de toi, comme du plein midi. Tu es la délirante enfance de l'abeille, la force de l'épi, l'ivresse de la vague.

Mon coeur sombre pourtant te cherche,

J'aime ton corps joyeux et ta voix libre et mince. Ô mon papillon brun, doux et définitif, tu es blés et soleil eau et coquelicot.

23) David DIOP, « Afrique »

poète africain (20ème siècle) : poète de la « Négritude » exaltation du continent africain

Afrique mon Afrique Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales

Afrique que chante ma grand-mère Au bord de son fleuve lointain

Je ne t`ai jamais connue Mais mon regard est plein de ton sang

Ton beau sang noir à travers les champs répandu Le sang de ta sueur

La sueur de ton travail Le travail de l` esclavage

L`esclavage de tes enfants

Afrique dis-moi Afrique Est-ce donc toi ce dos qui se courbe

Et se couche sous le poids de l’humilité Ce dos tremblant à zébrures rouges

Qui dit oui au fouet sur les routes de midi Alors gravement une voix me répondit

Fils impétueux cet arbre robuste et jeune Cet arbre là-bas

Splendidement seul au milieu des fleurs Blanches et fanées

C`est l` Afrique ton Afrique qui repousse Qui repousse patiemment obstinément

Et dont les fruits ont peu à peu

L’amère saveur de la liberté.

24) SENGHOR, « Femme noire » poète sénégalais //

poète du mouvement de la Négritude Femme nue, femme noire

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté J'ai grandi à ton ombre; la douceur de tes mains bandait mes yeux

Et voilà qu'au cœur de l'Eté et de Midi, Je te découvre, Terre promise, du haut d'un haut col calciné

Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l'éclair d'un aigle

Femme nue, femme obscure Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais

lyrique ma bouche Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du

Vent d'Est Tamtam sculpté, tamtam tendu qui gronde sous les doigts du

vainqueur Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l'Aimée

Femme noire, femme obscure

Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l'athlète, aux flancs des princes du Mali

Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau.

Délices des jeux de l'Esprit, les reflets de l'or ronge ta peau qui se

moire A l'ombre de ta chevelure, s'éclaire mon angoisse aux soleils prochains

de tes yeux.

Femme nue, femme noire Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l'Eternel

Avant que le destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.

25) Aimé CESAIRE, « Partir » poète martiniquais Amour de son pays

Il me suffirait d’une gorgée de ton lait jiculi pour qu’en toi je découvre toujours à même distance de mirage – mille fois plus natale et dorée d’un soleil que n’entame nul prisme – la terre où tout est libre et fraternel, ma terre.

Partir. Mon coeur bruissait de générosités emphatiques. Partir… j’arriverais lisse et jeune dans ce pays mien et je dirais à ce pays dont le limon entre dans la composition de ma chair : « J’ai longtemps erré et je reviens vers la hideur désertée de vos plaies ».

Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : « Embrassez-moi sans crainte… Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai». Et je lui dirais encore : « Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. »

Et venant je me dirais à moi-même : « Et surtout mon corps aussi bien que mon âme, gardez-vous de vous croiser les bras en l’attitude stérile du spectateur, car la vie n’est pas un spectacle, car une mer de douleurs n’est pas un proscenium, car un homme qui crie n’est pas un ours qui danse… »

26) Nichita STANESCU, poète roumain (20ème siècle)

La lionne est une métaphore de l’amour. Jeune lionne, l’amour a sauté sur moi. Elle m’avait guetté, toute tendue, depuis quelque temps déjà. Ses blancs crocs, elle me les a enfoncés dans la face, aujourd’hui la lionne m’a mordu la face. Et brusquement la nature se tourna en cercles tout autour de moi, tantôt plus large et tantôt plus près tout comme des eaux serrées. Et le regard jaillit en haut, arc-en-ciel coupé en deux, par l’ouïe aussi rencontre, des alouettes tout près. J’ai porte la main à mon sourcil, à ma tempe, à mon menton aussi, mais la main ne les reconnaît plus. Et elle glisse inconsciemment sur un désert rayonnant, sur lequel passe en douceur une lionne cuivrée aux perfides mouvements, pour un temps et un autre temps...

Leoaica tânără, iubirea

Leoaica tinara, iubirea

mi-ai sarit în fata.

Mă pindise-n incordare

mai demult.

Coltii albi mi i-a infipt în fata,

m-a muscat leoaica, azi, de fata.

Si deodata-n jurul meu, natura

se facu un cerc, de-a-dura,

când mai larg, când mai aproape,

ca o stringere de ape.

Si privirea-n sus tisni,

curcubeu taiat în doua,

si auzul o-ntilni

tocmai lângă ciorcarlii.

Mi-am dus mâna la sprinceana,

la timpla si la barbie,

dar mâna nu le mai stie.

Si aluneca-n nestire

pe-un desert în stralucire,

peste care trece-alene

o leoaica aramie

cu miscarile viclene,

inca-o vreme,

si-nca-o vreme...

27) Yves BONNEFOY, « Le Bel été » poète contemporain Lyrisme : tristesse et mort

Le feu hantait nos jours et les accomplissait, Son fer blessait le temps à chaque aube plus grise, Le vent heurtait la mort sur le toit de nos chambres, Le froid ne cessait pas d'environner nos cœurs. Ce fut un bel été, fade, brisant et sombre, Tu aimas la douceur de la pluie en été Et tu aimas la mort qui dominait l'été Du pavillon tremblant de ses ailes de cendre. Cette année-là, tu vins à presque distinguer Un signe toujours noir devant tes yeux porté Par les pierres, les vents, les eaux et les feuillages. Ainsi le soc déjà mordait la terre meuble Et ton orgueil aima cette lumière neuve, L'ivresse d'avoir peur sur la terre d'été.

28) René CHAR, « Allégeance » Dans les rues de la ville il y a mon amour.

Peu importe où il va dans le temps divisé.

Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.

Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?

Il cherche son pareil dans le voeu des regards.

L'espace qu'il parcourt est ma fidélité.

Il dessine l'espoir et léger l'éconduit.

Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse.

A son insu, ma solitude est son trésor.

Dans le grand méridien où s'inscrit son essor,

Ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour.

Peu importe où il va dans le temps divisé.

Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler.

Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et

l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?

Fureur et Mystérieux (1988)

29) Charles Péguy, « L’amour ne disparaît pas » La mort n'est rien : je suis seulement dans la pièce d'à côté..

Je suis moi, vous êtes vous..

Ce que j'étais pour vous, je le resterai toujours..

Donnez-moi le prénom que vous m'avez toujours donné.

Parlez moi comme vous l'avez toujours fait..

N'employez pas un ton différent..

Ne prenez pas un ton solennel ou triste..

Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble..

Priez, souriez, pensez à moi..

Que mon prénom soit prononcé à la maison..

Comme il l'a toujours été.

Sans emphase d'aucune sorte, sans trace d'ombre !

La vie signifie ce qu'elle a toujours signifié..

Elle est toujours ce qu'elle a été..

Le fil n'est pas coupé..

Pourquoi serais-je hors de votre pensée

Simplement parce que je suis hors de votre vue?

Je vous attends..

Je ne suis pas loin,

Juste de l'autre côté...

30) Canon Henry Scott HOLLAND, « L’amour ne disparaît jamais » La mort n’est rien.

Je suis seulement passé dans la pièce d’à côté.

Je suis moi, tu es toi :

Ce que nous étions l’un pour l’autre,

Nous le sommes toujours.

Donne-moi le nom que tu m’as toujours donné.

Parle-moi comme tu l’as toujours fait.

N’emploie pas un ton différent.

Ne prends pas un air solennel ou triste.

Continue à rire de ce qui nous faisait rire ensemble.

Prie, souris, pense à moi, prie pour moi.

Que mon nom soit prononcé à la maison

Comme il l’a toujours été,

Sans emphase d’aucune sorte,

Sans trace d’ombre.

La vie signifie tout ce qu’elle a toujours signifié.

Elle est ce qu’elle a toujours été.

Le fil n’est pas coupé.

Pourquoi serais-je hors de ta pensée

Parce que je suis hors de ta vue ?

Je t’attends, je ne suis pas loin,

Juste de l’autre coté du chemin.

Tu vois tout est bien.

31) Philippe JACCOTTET, « Sois tranquille » Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches,

tu brûles ! Car le mot qui sera à la fin

du poème, plus que le premier sera proche

de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin.

Ne crois pas qu'elle aille s'endormir sous des branches

ou reprendre souffle pendant que tu écris.

Même quand tu bois à la bouche qui étanche

la pire soif, la douce bouche avec ses cris

doux, même quand tu serres avec force le noeud

de vos quatre bras pour être bien immobiles

dans la brûlante obscurité de vos cheveux,

elle vient, Dieu sait par quels détours, vers vous deux,

de très loin ou déjà tout près, mais sois tranquille,

elle vient : d'un à l'autre mot tu es plus vieux.

(L'Effraie, éditions Gallimard)

31) Birago DIOP, « Souffles »

Ecoute plus souvent

Les choses que les êtres,

La voix du feu s'entend,

Entends la voix de l'eau.

Ecoute dans le vent

Le buisson en sanglot:

C'est le souffle des ancêtres.

Ceux qui sont morts ne sont jamais partis

Ils sont dans l'ombre qui s'éclaire

Et dans l'ombre qui s'épaissit,

Les morts ne sont pas sous la terre

Ils sont dans l'arbre qui frémit,

Ils sont dans le bois qui gémit,

Ils sont dans l'eau qui coule,

Ils sont dans la case, ils sont dans la foule

Les morts ne sont pas morts.

Ecoute plus souvent

Les choses que les êtres,

La voix du feu s'entend,

Entends la voix de l'eau.

Ecoute dans le vent

Le buisson en sanglot:

C'est le souffle des ancêtres.

[…]

Leurres et lueurs (1960)