Réalisatrice de Victor Jara, n°2547 -...

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Elvira DIAZ, Réalisatrice de « Victor Jara, n°2547 » : ‘’La désobéissance citoyenne pour sauver un peu d’humanité’’ Entretien réalisé par Abdelmadjid KAOUAH Victor Jara par son engagement et son martyre est aujourd’hui une icône au Chili. Il venait d’un milieu populaire. Militant du Parti communiste chilien, il fut l'un des principaux soutiens de l'Unité Populaire et du président Salvador Allende. Ce dernier l’avait nommé ambassadeur culturel du Chili. Ses chansons critiques contre l’ordre bourgeois, la guerre du Vietnam et ses hommage aux grandes figures révolutionnaires latino-américaines) ont fait le tour du monde. Ses chansons comme « Vientos del pueblo », et « Te recuerdo Amanda » demeurent des hymnes à l’amour et au peuple. Arrêté par les militaires lors du coup d'État du 11 septembre 1973, il est emprisonné et torturé à l'Estadio Chile (aujourd’hui Estadio Víctor Jara) puis à l'Estadio Nacional avec de nombreuses autres victimes de la répression qui s'abat alors sur Santiago Après avoir été horriblement torturé, il est assassiné le 15 septembre .Son poème « Estadio de Chile » dénonce la dictature imposée par Pinochet. Il est resté inachevé. Mais son corps, grâce à un geste héroïque d’un modeste citoyen chilien, n’a pas disparu comme ce fut le cas pour des milliers d’autres victimes. La réalisatrice Elvira Diaz a consacré un film documentaire à cet acte de bravoure citoyenne qui vient d’être projeté dans le cadre de la dernière édition de Cinélatino à Toulouse. Elle nous en parle.

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Elvira DIAZ,

Réalisatrice de « Victor Jara, n°2547 » :

‘’La désobéissance citoyenne pour sauver un peu d’humanité’’

Entretien réalisé par Abdelmadjid KAOUAH

Victor Jara par son engagement et son martyre est aujourd’hui une icône au

Chili. Il venait d’un milieu populaire. Militant du Parti communiste chilien, il

fut l'un des principaux soutiens de l'Unité Populaire et du président Salvador

Allende. Ce dernier l’avait nommé ambassadeur culturel du Chili. Ses

chansons critiques contre l’ordre bourgeois, la guerre du Vietnam et ses

hommage aux grandes figures révolutionnaires latino-américaines) ont fait le

tour du monde. Ses chansons comme « Vientos del pueblo », et « Te

recuerdo Amanda » demeurent des hymnes à l’amour et au peuple. Arrêté

par les militaires lors du coup d'État du 11 septembre 1973, il est emprisonné

et torturé à l'Estadio Chile (aujourd’hui Estadio Víctor Jara) puis à l'Estadio

Nacional avec de nombreuses autres victimes de la répression qui s'abat alors

sur Santiago Après avoir été horriblement torturé, il est assassiné le 15

septembre .Son poème « Estadio de Chile » dénonce la dictature imposée par

Pinochet. Il est resté inachevé. Mais son corps, grâce à un geste héroïque d’un

modeste citoyen chilien, n’a pas disparu comme ce fut le cas pour des milliers

d’autres victimes. La réalisatrice Elvira Diaz a consacré un film documentaire

à cet acte de bravoure citoyenne qui vient d’être projeté dans le cadre de la

dernière édition de Cinélatino à Toulouse. Elle nous en parle.

Algérie News : Victor Jara est au Chili une icône militante, voire une

légende de l’épopée de L’Unité populaire. Mais il aura fallu près de 40

ans pour accéder à ce témoignage poignant qu’est « Victor Jara,

n°2547 ». Pourquoi ?

ELVIRA DIAZ : Hector Herrera qui est le personnage principal du film

documentaire a enterré Victor Jara de façon totalement clandestine mais

légalement, au péril de sa vie, au nez et à la barbe des militaires. Au sortir

du cimetière, il a fait promettre à Joan Jara, l’épouse de Victor Jara de ne

jamais citer son nom, pour se protéger.

Et ce secret est resté scellé entre eux jusqu’en 2009. Ils se rencontrent

pourtant tous les ans quand Hector va au Chili, mais Joan lui a demandé de

témoigner en 2009 seulement car le procès n’avançait plus. C’est une

histoire entre eux… Toujours est-il que ce témoignage a relancé l ‘enquête

et a permis l’exhumation du corps de Victor Jara. Pour ma part, j’ai eu

connaissance de cette histoire en 2008, juste avant qu’il ne témoigne.

Pouvez-vous rappeler aux jeunes d’aujourd’hui ce qu’a représenté

Victor Jara dans le Chili des années de l’unité populaire ?

ELVIRA DIAZ : Victor Jara était un artiste engagé auprès de Salvador Allende

dès sa campagne présidentielle. Homme de théâtre et musicien, il faisait

partie du courant nommé La nouvelle chanson chilienne, qui rompait à

l’époque avec les traditions en chantant des textes engagés contre la guerre

au Vietnam, contre la bourgeoisie en place ou qui dénonçait l’impérialisme

américain déjà. Victor Jara venait d’un milieu rural très modeste et chantait

aussi à l’amour de la terre et à l’amour aussi. Dès son élection, Allende l’a

fait ambassadeur culturel. Il avait en 1973 une carrière déjà internationale,

tous ses morceaux sans exception étaient des succès au Chili.

Comment s’est concrétisée la rencontre avec Hector Herrera le

protagoniste principal ?

ELVIRA DIAZ : C’est un ami de mon père, qui est lui aussi ancien réfugié

politique chilien. Je connaissais Hector depuis des années mais je ne

connaissais pas son histoire avec Victor Jara. Hector est un homme discret

et humble. C’est mon père qui m’a raconté cette partie de sa vie un jour où

on mangeait au restaurant d’Hector, Le Rinconcito, dans le centre

historique de Nîmes. Puis Hector nous a rejoint pour discuter à table et

immédiatement, j’ai vu la nécessité de faire un film ensemble. Pour lui

comme pour moi, c’était le bon moment. Et la confiance était là.

Les conditions de réalisation du film au Chili ?

ELVIRA DIAZ : Le tournage a été extraordinaire et nous avons été reçus par

les institutions et les protagonistes bien au-delà de mes espérances. Nous

avons pu filmer des endroits que je n’espérais même pas, comme la morgue,

qui est la morgue actuelle. Le seul endroit où nous n’avons jamais pu

obtenir d’autorisation, c’est le commissariat central où Hector a été

emprisonné pendant un mois et demi. Toutes les portes au chili ne

s’ouvrent pas quand il s’agit de dénoncer les méfaits de la dictature…

Peut-on dire que votre film « Victor Jara, n°2547 » se veut à la fois un

témoignage historique sur le martyre de Victor Jara, et une réflexion

sur la responsabilité citoyenne ?

ELVIRA DIAZ : Sur la responsabilité citoyenne certainement. On peut résister.

En septembre 1973, mais aussi partout, tout le temps, c’est une partie de

mon intention. D’autres films parlent très bien du martyr Victor Jara. Pour

moi, c’est une victime parmi des milliers, le citoyen qu’on a fiché n°2547

une fois abattu, personnage emblématique au Chili, certes, une figure que

l’on a abattu pour ses idées, mais c’est surtout le geste d’Hector qui m’a

poussée dans ce projet. La désobéissance d’un citoyen lambda pour sauver

un peu d’humanité. Le sauvetage d’un cadavre, on ne peut pas faire plus

ultime, c’est ça qui m’a impressionnée.

Vous insistez sur le mot « graver » qui en espagnol a une résonnance

particulière. Est-ce le fait que vous êtes vous-mêmes issue d’une

« fracture » historique qui vous a orienté vers le témoignage sur le Coup

d’Etat de Pinochet et ses conséquences ?

ELVIRA DIAZ : Oui, tout à fait, mon père n’est jamais retourné au Chili et je

sais parfaitement, c’est conscient, que c’est une partie de mes racines que

j’explore en faisant ce travail sur cette cassure de 1973.

Votre film a trouvé une audience remarquable en France. Vous vivez et

travaillez en France, pensez-vous que le drame chilien 40 ans après

intéresse toujours avec autant d’intensité l’opinion publique ?

ELVIRA DIAZ : Je suis toujours impressionnée à quel point les chiliens ou les

personnes qui ont été touchées par l’histoire du Chili, sont encore

marquées. C’est hier en fait. Concernant mon travail, j’ai tenté de fabriquer

cette histoire avec j’espère, le plus d’universalité possible. L’histoire de cet

acte résistant dépasse moi le contexte chilien de 1973 et vaut pour

aujourd’hui. Des épurations et des massacres ont lieu partout dans le

monde depuis toujours et les états totalitaires emploient les mêmes

tactiques d’effacement et de négation de l’individu encore aujourd’hui. Je

n’ai pas voulu faire un pamphlet daté et ciblé mais pointer du doigt la folie

des hommes et comment l’humain peut survivre et se relever avec dignité

pour préserver un peu d’humanité malgré l’ampleur de la tâche.

« Les fantômes du passé »- les personnes assassinées ou disparues sous

la dictature de Pinochet continuent hanter le Chili d’aujourd’hui.

Pensez-vous que le cinéma documentaire est pour beaucoup dans la

sauvegarde de leur mémoire et de l’exigence de leur rendre justice.

ELVIRA DIAZ : Dans un pays comme le Chili où les médias et la moitié du

pays étouffent cette partie de l’Histoire, je trouve que c’est crucial. C’est

pourquoi, j’ai tenu à faire cette toute première projection au musée de la

mémoire et des droits de l’Homme le 11 mars dernier, pile le jour de la

prise de pouvoir de Mme Bachelet, la présidente qui vient d’être élue. 2000

personnes se sont rendues à cette projection gratuite en plein air, le musée

n’avait jamais vu ça. Pour les chiliens, Victor Jara est toujours un symbole de

la lutte. La prochaine projection sera une projection privée pour des

lycéens. Nous avons envie avec Hector, de faire une tournée de projections

qui donne du sens à notre démarche de fond.

Vous présenterez bientôt un nouveau film, Y VOLVERE, consacré au

parcours militant de votre oncle. Est-ce une manière de traiter de ce cet

autre drame dans le drame chilien qu’est l’exil et le déracinement ?

ELVIRA DIAZ : Mon premier film « Y volveré » est déjà sorti, exactement en

même temps que « Victor Jara N°2547 », cette année, en septembre, pour

les 40 ans du coup d’Etat. C’est un film qui raconte le premier retour de mon

oncle au Chili après 30 ans d’exil en France. Je suis née en France en 1975 et

ma mère est française, donc oui, ce thème est mon histoire, je suis née de ce

déracinement, donc pour moi, c’était très puissant pour ce film d’aller au

Chili pour la première fois avec quelqu’un de ma famille. C’est un film que

j’ai monté toute seule pendant des années, faute de moyens et pour moi,

c’est très émouvant que mes 2 films sortent en même temps.

Un dernier mot ?

ELVIRA DIAZ : Je pars dans 3 semaines au Chili pour préparer mon prochain

film sur la mémoire de 1973, ça devient une trilogie !

Paru dans Algérie News du 3 Avril 2014