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N°64 FÉVRIER 2017 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 EUROS dOSSieR P. 32 LE GRAND ENTRETIEN DE QUOI LA « FAGE» EST-ELLE LE NOM ? Gérard Streiff UN OBJECTIF COMMUN POUR L’EUROPE : LE PROGRÈS HUMAIN Anne Sabourin JOHN RAWLS, DU LIBÉRALISME À L’ÉGALITÉ SOCIALE Rima Hawi P. 38 COMBAT D’IDÉES P. 54 LIRE Parti communiste français QUeLLe POLiTiQUe ( VRaiMeNT ) aNTiTeRRORiSTe ? © Frédo Coyère

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N°64 FÉVRIER 2017 • REVUE POLITIQUE MENSUELLE DU PCF • 6 EUROS

dossier

P. 32 LE GRAND ENTRETIEN

DE QUOI LA «FAGE» EST-ELLE LE NOM ?Gérard Streiff

UN OBJECTIF COMMUN POUR L’EUROPE : LE PROGRÈS HUMAINAnne Sabourin

JOHN RAWLS, DU LIBÉRALISME À L’ÉGALITÉ SOCIALERima Hawi

P. 38 COMBAT D’IDÉES P. 54 LIRE

parti communiste français

Quelle politiQue (vraiment)antiterroriste ?

© F

rédo

Coy

ère

SOMMAIRE

La Revue du projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacDirecteur : Guillaume Roubaud-Quashie • Rédacteurs en chef : Davy Castel, Jean Quétier, Gérard Streiff • Secrétariat de rédac-tion :Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Aurélien Aramini, Hélène Bidard, Victor Blanc, Vincent Bordas, Mickaël Bouali, ÉtienneChosson, Séverine Charret, Pierre Crépel, Camille Ducrot, Alexandre Fleuret, Josua Gräbener, Florian Gulli, Nadhia Kacel, CorinneLuxembourg, Stéphanie Loncle, Igor Martinache, Michaël Orand, Léo Purguette, Marine Roussillon, Bradley Smith • Directionartistique et illustrations : Frédo Coyère • Mise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathu-rin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19) • Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex)

Dépôt légal : février 2017 - N°64 - ISSN 2265-4585 - N° de commission paritaire : 1019 G 91533.

La rédaction en chef de ce numéro a été assurée par Davy Castel

La rEvuEdu ProJEt

FÉvriEr 2017

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3 ÉditoDavy CastelEnrayer la domination de classe

4 PoÉsiEsKatherine L. Battaiellie issa

5 rEgardNaïm RhimiBruno serralongue

6 u30 LE dossiErQuELLE PoLitiQuE (vraimEnt )antitErroristE ?Mickaël Bouali et Quentin Corzani Faire cause commune face au terrorismeYann Le Pollotec « Faire la guerre au terrorisme » est un non-sensJenny Raflik-Grenouilleau Le terrorisme : de quoi parle-t-on ? Anne-Clémentine Larroque Le terrorisme islamiste : la nouvelle offreidéologique de la révolte et de la barbarieFrançois-Bernard Huyghe La chimère daechPierre Barbancey L’État islamiqueSlavoj Žižek rage, cynisme et violence post-politiqueAlain Badiou Le monde doit changer de basePhilippe Bonditi « guerre au terrorisme » : solution dangereuse à unproblème mal poséRaid Fahmi Les défis de l’après-daech en irakÉliane Assassi Comment assécher le financement du terrorismeLaurence Blisson La justice française face à l’enjeu du terrorismeAlexandre Langlois (CGT police) Penser les forces de sécuritéHubert Wulfranc Comment réagir après un attentat ?

31LECtriCEs/LECtEursLes paradoxes de l’oligarchie

32u35travaiL dE sECtEursLE grand EntrEtiEnAnne Sabourin un objectif commun pour l’Europe : le progrès humainPuBLiCations dEs sECtEursSecteur Écologie Pollution : rendons à l’air sa bonne qualité sur la durée

36 ParLEmEntÉliane Assassi Les élections sénatoriales, un moment clef de la viepolitique trop souvent méconnu

38 ComBat d’idÉEsGérard Streiff de quoi la FagE est-elle le nom ?

40 CritiQuE dEs mÉdiaAcrimed interview fleuve de david Pujadas dans Society : un torrent d’inepties

42 FÉMINISMEMaïté Mola une campagne européenne

44 PHILOSOPHIQUESHenriette Simonowski Le freudo-marxisme

46 histoirESylvain Piron Les fraticelles (Xiiie–Xve siècles)

48 ProduCtion dE tErritoirEsCorinne Luxembourg La ville et le développement soutenable

50 sCiEnCEsPascal Bellanca-Penel Comment accéder à la physique desparticules ?

52 sondagEsGérard Streiffdes Français très attachés à la sécurité sociale

53 statistiQuEsFanny ChartierLes logements à mayotte sont loin des standardsnationaux français

54 LirERima Hawi John rawls, du libéralisme à l’égalité sociale

56 CritiQuEs• Audrey VernonComment épouser un milliardaire• Jean-Numa Ducange, Razmig Keucheyan (dir.)La Fin de l’Étatdémocratique, Nicos Poulantzas, un marxisme pour le XXIe siècle • Caroline Rolland-DiamondBlack America Une histoire des luttes pourl’égalité et la justice (XIXe-XXIe siècle)• Pauline GallinariLes Communistes et le cinéma. France, de laLibération aux années 1960

58dans LE tEXtE (LÉninE)Florian Gulli et Aurélien Aramini il y a compromis et compromis

60Commandez des numéros et abonnement

62organisez des débats

Après une conférence le 24 février à la Bourse du Travailde Toulouse, Florian Gulli et Jean Quétier participerontau Printemps marxiste nîmois, le 25 mars, inititiativeorganisée par le Parti communiste du Gard.

DÉCOUVRIR MARX continue son tour de France

ÉDITO

Enrayer la domination de classe

À peine investi, le présidentfraîchement élu des États-unisd’amérique, donald trump,semble bien décidé à mettre en

œuvre avec rage plutôt qu’avec raisonses menaces de campagne : constructiondu mur à la frontière mexi caine, réou -verture de guantanamo et discoursfavorable à la torture, sanctions interna -tionales unilatérales et politique isola -tionniste, suspension de l’entrée sur leterritoire états-unien de ressortis santsde « pays musulmans », menace de retraitde l’accord sur le climat, mesures anti-avortement… il y a des moments commecelui-ci où l’on préférerait nettement qu’unhomme politique élu s’affranchisse deses promesses électorales. mais celui-cisemble croire aux bêtises qu’il profère.Ce qui ne le rend que plus inquiétantencore.

tout ceci augure d’heures sombres pourle monde que nous partageons. Quoiqu’en disent ceux qui, aux États-unis ouici en France, partagent les vues de donaldtrump, cela démontre, non sans unecertaine ironie, que les frontières n’ontaucunement le pouvoir de nous protégerdes remous qui secouent nos voisins :nous subirons toutes et tous dans lesannées à venir les consé quences de cetteélection états-unienne. il n’est pas dedémonstration plus claire du fait que,aujourd’hui encore plus qu’hier, lespeuples du monde sont liés par un sortcommun ; ce n’est donc qu’ensemblequ’ils peuvent influer sur leur sort. Ce n’estpas moins de contact avec l’autre qu’ilnous faut, mais davantage.

ainsi, le repli sur soi, l’intolérance,l’indifférence, la violence et la dominationsont élevés au rang de valeurs cardinales,assumées, portées et propa gées par lapremière puissance mondiale parl’intermédiaire de son chef d’État. de plus,ce dernier n’est pas le seul à se fairel’ambassadeur de ces valeurs rétrogrades.La première ministre Britan nique partageses conférences de presse et beaucoupde ses prises de position. Poutine et assadne démarrent pas 2017 acculés, loin s’enfaut. daech et les autres organisationsdjihadistes ne sont pas réduits àl’impuissance (cf. notre dossier centralsur le terrorisme). Et la liste n’est pas close,malheureu sement…

La France ne doit pas s’engager sur lechemin, qu’incarnent par leurs discoursles candidats de la droite extrême et del’extrême droite à l’élection présidentielle,de l’autoritarisme et de la libération despulsions de haine et de revanche. Et non,sur ce point, le combat n’est pas perdud’avance : à travers la primaire du Ps semanifeste un réel désir d’espérance ; ladroite, si sûre d’elle d’habitude, connaîtun coup d’arrêt, sur fond de petitsarrangements entre amis ; et l’extrêmedroite ne progresse plus, même s’il resteencore un très grand nombre de nosconcitoyens qu’il nous faut convaincrequ’ils se trompent de colère. dans cecontexte, les communistes ne ratent pasle rendez-vous de l’histoire et prennenttoutes leurs responsabilités en œuvrantau quotidien au rassemble ment du peuplede France autour des valeurs d’émanci -pation, de dignité, d’espoir et de

combativité. Quelle que soit l’issue desélections présidentielle et législatives àvenir, ce travail de terrain, de conscien -tisation et de mobilisation, se révélerad’une importante capitale pour nourrir lanécessaire résilience de notre peupleface aux multiples dangers et défis qui leguettent. C’est incontestablement l’enjeucapital de la période : restaurer laconscience de classe pour faire naîtredes solidarités, distinguer le véritableadversaire du bouc émissaire etdévelopper collectivement les moyensde résister et d’inventer.

oui, les combats à mener risquent d’êtreencore plus nombreux, plus intenses, etplus périlleux dans les semaines, les moiset les années à venir. oui, les risques dedérive fasciste et de recul socioculturelmajeur semblent plus aigus que jamais.mais nous avons le pouvoir et le devoir defaire naître un nouvel espoir. Comme nousy invite Jean-Louis aubert : « N'oublionsjamais qu'au bout d'une nuit. Qu'au boutde la nuit, qu'au bout de la nuit.Doucement, l'aube revient quand même.Même pâle, le jour se lève encore. »Préparons l’éclipse, et préparons l’aube. n

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DAVY CASTELRédacteur en chef

de La Revue du projet

POÉS

IES

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Issa

un homme tout seulet seule aussi une mouchedans la grande salle

dans le caniveaucourt par-dessus le verglasl’eau de cuisson du riz

ne possédant riencomme mon cœur est légercomme l’air est frais

En village de miséreux,Éditions gallimard, 1997

traduction : Jean Cholley.

dans mon villagejusqu’aux mouchesqui me harcelaient

nous sommes au mondeet nous marchons sur l’enferregardant les fleurs

ce monde de roséeest un monde de roséeet pourtant pourtant

Mon année de printemps,Éditions Cécile defaut, 2006

traduction : Brigitte allioux.

Bien avant que le Japon soit le pays de la  high-tech, ila été celui de la poésie. au Xvie siècle y est née uneforme poétique brève (trois petits vers de 5/7/5 syl-labes), héritée de formes anciennes plus complexes,et vouée à une impression fugitive, une scène banale,voire prosaïque, traditionnellement liée à une saison.dans ce petit poème qui suspend le temps, l’auteur,écartelant son regard et celui du lecteur sur un détail,cherche à atteindre à la fois l’intime et l’universel, àrenouveler notre vision, rompre notre accoutumance(et « Poète est celui-là qui rompt pour nous l’accoutu-mance », nous précise justement le grand poète saint-John Perse).

Les premiers haïkus sont publiés en français en 1902,et le genre connaîtra un très grand succès dans le mondeentier. Cette forme poétique séduira des écrivains aussidifférents que Jack Kerouac, Louis Calaferte, PhilippeJaccottet, roland Barthes, Philippe Forest, qui s’y livre-ront et/ou tenteront d’éclairer les origines de leur fas-cination. ainsi roland Barthes y verra « une forme exem-plaire de notation », réalisant, « malgré sa brièveté, unevéritable photographie du présent ».

Ces trois vers constituent un laboratoire exigu pourdire le monde. une bataille serrée avec la langue s’yjoue. il faut élaguer le superflu (une syllabe de trop peuttout détruire) jusqu’à ne plus laisser qu’un petit noyaude sens.

issa (son prénom de plume), considéré comme l’undes maîtres du haïku, est né en 1763 dans un petit vil-lage de montagne. orphelin, après une enfance mal-heureuse où il a été cependant initié par un aubergisteà la poésie et aux textes bouddhiques, il quitte son vil-lage natal à 14 ans pour rejoindre tokyo où il travailledurement comme domestique ou apprenti, moquépour son parler montagnard et son allure de paysan. ilcommence alors à se consacrer au haïku, fréquentantune école dirigée par un disciple du maître Bashō. Partiensuite pour de longues années d’errance, il revientfinalement se fixer dans son village, où, malgré sa renom-mée, il finira sa vie dans la pauvreté et la maladie. il semarie tardivement, voit ses quatre enfants mourir enbas âge ainsi que sa première épouse, et contractedeux nouveaux mariages. À la suite d’un incendie de samaison, il passe les six derniers mois de sa vie dans unegrange. il meurt en 1827, ou 1828, laissant sa troisièmefemme enceinte.

avec des Journaux et des Carnets, où la poésie se mêleà la prose, Kobayashi issa est l’auteur d’environ 20 000haïkus, rompant avec les conventions fixées par lesmaîtres précédents (Bashō, Buson), revivifiant le genreen y intervenant personnellement, souvent avec humourou dérision. sur sa tombe on peut lire : « alors c’est doncça/ma demeure pour la vie/cinq pieds de neige » (tra-duction : Joan titus-Carmel).

KATHERINE L. BATTAIELLIE

REGARD

exposé à la galerie Le Bleu du ciel à Lyon, Bruno serralongueest connu pour avoir réalisé des photographies d’événe-

ments politiques en décalage avec celui des média. au croi-sement entre la photographie documentaire et l’art concep-tuel, il s’intéresse depuis plusieurs années à des luttes socialescomme celles des ouvriers de new Fabris et de Florange, aux

migrants de Calais ou aux zapatistes du Chiapas. Chaque fois,il essaye de montrer une image de ces combats d’une manièredifférente. Loin de images médiatiques habituelles, cettesérie, consacrée aux naturalistes, permet de comprendrecomment une lutte se construit aussi dans les rapportshumains et le partage de connaissances.

un cheval

© Bruno serralongue

Bruno Serralongue

NAÏM RHIMI

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il n’est pas question plus actuelle que celle du terrorisme. À reboursdes média se contentant de compter les victimes et contribuant,ce faisant, à la diffusion de la terreur, La Revue du projet donne laparole aux experts afin d’aller à la source et de comprendre com-ment endiguer le phénomène.

Quelle politiQue (vraiment)antiterroriste ?

DOSSIER

PRÉSENTATION

Faire cause commune face au terrorisme

vier 2015, huit attaques terroristesdevaient être perpétrées sur notre sol,occasionnant près de deux cent qua-rante trois morts et plus de mille bles-sés. Cela étant, on ne peut faire l’éco-nomie d’une mise en perspective pourcomprendre le phénomène et toute

comparaison, incomplète soit-elle,souligne un point fondamental : laportée d’un acte terroriste se mesuremoins par les moyens engagés que parl’effet provoqué sur les États et lespopulations.

de l’usage de la terreurNotons tout d’abord qu’il n’y a pas deconsensus sur la définition du terro-

risme tant celle-ci est riche en arrière-pensées idéologiques. Ainsi, le tempsn’est pas si loin où le bloc de Varsovieet le bloc occidental s’affrontaient àl’ONU à propos de « la large interpré-tation du terme “terrorisme interna-tional” destiné à couvrir des mouve-

ments de libération nationale ou desactes commis en résistant à un agres-seur dans des territoires occupés ».

Précisons ensuite que ce mode opé-ratoire n’est pas nouveau. Si on s’ac-corde pour le définir comme l’usagede la terreur par un groupe minori-taire au service d’objectifs politiquesou religieux, on peut alors faire remon-

PAR MICKAËL BOUALIET QUENTIN CORZANI*

« Un terroriste, c’est comme unemouche qui veut détruire un maga-sin de porcelaine. Petite, faible, lamouche est bien incapable de dépla-cer ne serait-ce qu’une tasse. Alors,elle trouve un éléphant, pénètre dansson oreille et bourdonne jusqu’à ceque, enragé, fou de peur et de colère,ce dernier saccage la boutique. C’estainsi, par exemple, que la mouche Al-Qaïda a amené l’éléphant américainà détruire le magasin de porcelainedu Moyen-Orient. »

C’est par cette comparaison que l’uni-versitaire israélien, Yuval Noah Hararirésumait la stratégie des organisationsterroristes comme Al-Qaïda et Daechaux lendemains des attentats deBruxelles. Il est vrai qu’une telle rela-tivisation peut paraître douloureuseau moment où le phénomène a bru-talement surgi dans notre horizon etsemble s’y installer durablement.Ainsi, après le triste mois de jan-

« La portée d’un acte terroriste se mesure moins par les moyens engagés

que par l’effet provoqué sur les États et les populations. »

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morts, donc la démonstration restevalable…). À eux seuls, l’Irak, la Syrie,le Nigeria, l’Afghanistan et le Pakistanconcentrent l’écrasante majorité deces attaques et donc de ces victimes,même si des pays comme la Turquiesemble de plus en plus exposés.

Que Faire pour en Finiravec ces massacres ?Évidemment, exposé, notre pays l’estégalement et le caractère répétitif desderniers attentats a pu installer un cer-

tain sentiment d’impuissance. Ainsi,nous ferions face à un phénomènesans frein avec lequel il faudraitapprendre à vivre. Sentiment renforcépar des actions gouvernementalesdont l’utilité et l’efficacité peuvent lais-ser sceptique. Citons ici la déchéancede la nationalité, la mise en place del’état d’urgence depuis maintenantdeux années consécutives et la sur-mobilisation des policiers et de l’ar-mée que l’on retrouve dans les lieuxpassants. Pourtant, le terrorisme restele fait des hommes et à ce titre, seulela volonté humaine peut enrayer cettemachine infernale. Alors, que faire ?

Que faire pour en finir avec ces mas-sacres ? Cette question étant posée, ils’agit de complexifier, sans les rejeter,deux idées, toutes faites, qui ont coursdans notre camp politique à proposdu terrorisme.

Sur le plan international, l’idée la plusen vue serait que ces attentats sontdirectement liés à l’intervention de lacoalition internationale en Irak et enSyrie, et plus largement, aux guerresde l’OTAN au Moyen Orient. L’inter-vention américaine en Irak en 2003fut effectivement un événementdéclencheur. D’abord d‘un point devue organique. Paul Bremer, gouver-neur de l’Irak mis en place par lesÉtats-Unis, a purgé l’État irakien et

l’armée de ses composantes sunnites.Plus de soixante mille soldats sontainsi évincés de l’armée, beaucoupd’entre eux intégreront par la suite lanébuleuse djihadiste. Ensuite, le pro-fond ressentiment va nourrir lesactions violentes contre le nouvel Étatirakien, déchirer la population laconduisant à la guerre civile et alimen-ter une organisation nouvellement(depuis 2004) installée sur ce terri-toire : Al-Qaïda en Irak (AQI). Cettemême organisation qui se transfor-mera le 13 octobre 2006 en État isla-mique d’Irak.À cela s’ajoute la terrible guerre civilequi a transformé la Syrie en terrain dejeu des grandes puissances régionaleset internationales. Mais cette destruc-tion méthodique du Moyen-Orientvaut moins comme cause que commecarburant, certes spectaculaire, du ter-rorisme contemporain. En effet, lesdjihadistes n’ont pas attendu la chutede Falloujah en Irak pour répandre lamort et la terreur en Afghanistan à par-tir de 1979 et en Algérie dans lesannées 1990. Les organisations quiaujourd’hui sévissent au Proche-Orient et en Afrique en sont directe-ment les héritières.Par ailleurs, si les différents États quiaujourd’hui sont présents en Irak eten Syrie font preuve d’opportunismepolitique, faisant évoluer leurs allianceset soutenant des groupes selon leurspropres intérêts, les forces progres-sistes kurdes ne sont-elles pas, pour lemoment, appuyées par les avions de

la coalition internationale ? À ces dif-férents points, les réponses sont mul-tiples. L’aspect militaire est une dimen-sion importante, surtout à court terme,mais la réponse doit être guidée pardes objectifs politiques et confortéepar une action diplomatique.

La deuxième idée, à une échelle natio-nale, est celle du lien de causalité systématiquement établi entre les iné-galités socio-économiques et l’engage-ment de jeunes dans des organisationsterroristes. Probablement que dans lasociété française, un profond ressenti-ment – dû à l’absence de perspectives– alimente ce phénomène. Pourtant,les chiffres ne corroborent cette thèseque partiellement. Dans un rapport

ter son origine à la tradition antiquedu tyrannicide et l’action de groupecomme les Zélotes. Au Ier siècle, cettesecte politico-religieuse juive envoyaitses sicaires (du nom de l’arme utili-sée) assassiner les troupes d’occupa-tion romaines et les dignitaireshébreux jugés trop modérés dans lebut assumé de chasser l’envahisseurétranger. Dix siècles plus tard, c’est lasecte ismaélienne des Hashishins (àl’origine du mot assassin) qui terrori-sait toute la région comprise entre la

forteresse d’Alamut en Iran et leur bas-tion de Masyaf en Syrie.

C’est cependant véritablement à par-tir du XIXe siècle qu’on date la nais-sance du terrorisme moderne, plusprécisément avec l’attentat de la rueSaint-Nicaise à la charrette piégéecontre le Premier consul Bonaparteen 1800. Visant d’abord exclusivementles dignitaires du pouvoir, les terro-ristes vont progressivement prendreles « civils » pour cible du fait de l’évo-lution générale des structures poli-tiques et de l’avènement de média deplus en plus diffusés. Ainsi, les anar-chistes français de la Belle Époquepourront tout aussi bien assassiner leprésident Sadi Carnot que poser desbombes dans les cafés et théâtres pari-siens. Au cours du XXe siècle, ce modeopératoire va être repris par de nom-breuses organisations issues de toutle spectre politique, des sionistes del’Irgoun aux progressistes du Frontpopulaire de libération de la Palestine(FPLP) palestinien en passant par l’Ar-mée républicaine irlandaise (IRA) etle Sentier lumineux péruvien. À cetitre, le tournant 1970-1980 fut parti-culièrement meurtrier et durant les« années de plomb », l’Italie a vécu aurythme des attentats provoqués parles néofascistes, des organisationsd’extrême gauche comme les Brigadesrouges ou encore la Cosa Nostra.

Cependant, force est de constaterqu’au cours des cinq dernières années,le nombre d’attaques a explosé, entraî-nant une mortalité toujours plusgrande (32 658 victimes en 2014 contre18 111 en 2013 et 3 329 en 2000 – peut-être faudrait-il prendre le chiffre de2001, qui intègre les attentats de NewYork ? Il se situe entre 5 000 et 10 000

« Le terrorisme reste le fait des hommes et à ce titre, seule la volonté humaine

peut enrayer cette machine infernale. »

« Cette destruction méthodique du moyen-orient vaut moins

comme cause que comme carburant, certes spectaculaire,

du terrorisme contemporain. »

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publié en novembre 2014, l’anthropo-logue Dounia Bouzar montre que 67 %des jeunes candidats au djihad sontissus de la classe moyenne et 17 % decatégories socioprofessionnelles supé-rieures. Ces chiffres doivent être prisavec prudence car ils reposent sur unéchantillon peu représentatif, mêmes’ils intègrent plus de cent soixantefamilles. Le biais statistique se nichedans le fait que ces familles sont cellesqui ont volontairement contacté le cen-tre de déradicalisation alors dirigé parla chercheuse. Toutefois, ces chiffrespermettent de déceler des grandes ten-dances qui ne sont pas exactementcelles que l’on croit. Et la prédominancede jeunes issus des classes moyennesest encore plus visible dans le terro-risme d’extrême droite qui garde touteson actualité, comme l’atteste triste-ment la tuerie d’Utøya en Norvège en2011 ou plus récemment l’attentat com-mis dans une mosquée au Québec.

Fondamentalement, la réponse auQue faire pour lutter efficacementcontre ces massacres nous apparaîtcomme étant d’abord politique. Poli-tique en matière d’offre de projet.Nous croyons pour notre part en lathèse défendue par le philosophemarxiste allemand, Walter Benja-min qui affirmait que « chaque mon-tée du fascisme témoigne d’unerévolution manquée ». Parce quecette idée change l’angle avec lequelon appréhende le réel. Il ne s’agitplus simplement de scruter la poli-tique étrangère des États-Unis et desÉtats européens, ni celle des gouver-nements successifs dans notre pays.Il s’agit aussi de dresser le bilan del’action du mouvement communisteet du camp progressiste depuistrente ans et de sa capacité à créerl’alternative et à susciter l’espoir. Ence début de siècle, la réussite desentreprises les plus réactionnaires

est la manifestation évidente d’unéchec.

Les fragilités de l’antiracisme qui voitles forces xénophobes exercer uneforte pression idéologique et poli-tique en Europe et aux États-Unis,parfois, jusqu’à la conquête du pou-voir. Le recul du féminisme qui voitles groupes anti-avortement concré-tiser leurs projets dans certains payset les droits des femmes régresser. Larégression de l’anticapitalisme quivoit aujourd’hui le projet capitalisterepousser ses propres frontières.Répondre à tous ces maux dont noussouffrons exige de faire cause com-mune dans l’élaboration d’un projetprogressiste. n

*Mickaël Bouali et Quentin Corzanisont membres du comité de rédac-tion de La Revue du projet. Il ontcoordonné ce dossier.

DOSSIER

dates lieux victimes auteurs

déc. 1994 marseille - aéroport de marignane(vol alger-Paris) 16 blessés groupe islamique armé

(gia)

juil. 1995 Paris - station saint-michel, rEr 8 morts - 117 blessés gia

sept. 1995 villeurbanne - Ecole juive 14 blessés gia

déc. 1996 Paris - station Port-royal 4 morts - 91 blessés gia

mars 2012 toulouse et montauban 3 blessés - 6 morts al-Qaïda

7 janv. 2015 Paris - siège de la rédaction de Charlie Hebdo 12 morts - 11 blessés al-Qaïda au Yemen

8 janv. 2015 montrouge 1 mort - 1 blessé État islamique (Ei)

9 janv. 2015 Paris - Porte de vincennes (magasin hyper Cacher) 4 morts - 4 blessés Ei

avril 2015 villejuif (94) 1 mort Ei

juin 2015 saint-Quentin-Fallavier (38) 1 mort Ei

août 2015 train thalys amsterdam-Paris 5 blessés Ei

nov. 2015 10e et 11e arrondissements de ParisBataclan et stade de France (saint-denis)

130 morts 414 blessés Ei

janv. 2016 marseille 1 blessé Ei

juin 2016 magnanville (78) 2 morts Ei

14 juil. 2016 nice 86 morts - 434 blessés Ei

26 juil. 2016 saint-Étienne-du-rouvray (76) 1 mort - 3 blessés Ei

Source : Anne-Clémentine Larroque, Jean-Baptiste Guégan, Charles Nadaud, Sortir du Bataclan, Éditions Bréal, 2016.

ATTENTATS SUR LE SOL FRANÇAIS DEPUIS 1994

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L’opération Sentinelle participe d’unclimat anxiogène délétère. Elle estconsidérée en off par les militairescomme inutile, contre-productive,démoralisante, dangereuse et coû-teuse(1 million d’euros par jour). Sen-tinelle constitue une victoire pourDaech car elle immobilise plus de10 000 soldats sur une mission inu-tile. Les bombardements ont le coûtprohibitif d’un million d’euros parterroriste abattu, et font des victimesciviles, ce qui renforce la résilience deDaech. Il en serait autrement si cesbombardements étaient uniquementciblés contre le trafic de pétrole versla Turquie, source principale de finan-cement de Daech. Les assassinatsciblés, dont se vante avec obscénitéHollande, sont inefficaces contre uneorganisation réticulaire commeDaech. Seule la présence de batteriesde 155 mm de l’armée française enappui des combattants kurdes pourle siège de Mossoul a du sens militaireet politique.On peut s’étonner de la mollesse del’action de la France contre les cir-cuits de financement de Daech et lafourniture d’accès à Internet via satel-lites. Une enquête du Spiegel Onlinemettait en particulier en cause la res-ponsabilité de trois fournisseurs d’ac-cès : le français Eutelsat dont la Caissedes dépôts et consignation est action-naire à 26 % (sic), l’anglais AvantiCommunications et le luxembour -geois SES. Or s’attaquer au finance-

ment et au principal médium de dif-fusion de la propagande de Daech luiferait très mal.Les actions du pouvoir n’ont été quepostures de communication politique

pour donner à la population françaisel’illusion que le gouvernement agit.Inefficaces, elles renforcent le senti-ment de toute-puissance de Daech.

Elles participent indirectement du cli-mat qui provoque une multiplicationdes agressions contre les musulmanset leurs lieux de culte, ce qui fait le jeude Daech dans son prosélytisme.Combattre Daech passe par compren-dre pourquoi il est apparu, pourquoiil s’est développé, quels sont sa stra-tégie et ses objectifs politiques et mili-taires et comment le terroriste s’y ins-crit, pourquoi un nombre significatifmais marginal de jeunes Français lerejoignent pour faire le djihad.Lutter contre Daech implique unestratégie nationale coordonnant l’en-semble des moyens de l’État. La seuleréaction politique, judiciaire, mili-taire, policière ou liée au renseigne-ment ne peut suffire, dès lors queDaech se positionne dans un registreidéologique et politique, mais aussistratégique.En réduisant l’action de Daech à sonseul aspect criminel, on oublie sa stra-tégie : mettre la société française encontradiction avec ses valeurs démo-cratiques et créer en son sein unesituation de guerre civile. Daech tented’exploiter le décalage qui existe entreles promesses de liberté, d’égalité, defraternité de la République et la réa-

PAR YANN LE POLLOTEC*

l a « guerre au terrorisme » est uneexpression qui empêche de pen-ser et qui dépolitise les situations

de conflit au profit d’une vision poli-cière de l’histoire. La condamnationsans appel des crimes terroristes estnécessaire, mais non suffisante, carcombattre et éradiquer les organisa-tions qui les ont commis implique des’attaquer aux racines des causes poli-tiques qui les ont produites. Sinon ons’enferme dans un engrenage de vio-lence sans fin où la guerre et la bar-barie nourrissent la guerre et la bar-barie. Il faut désigner précisément l’en-nemi que l’on combat, en l’occurrenceDaech et Al-Qaïda dans la péninsulearabique (AQPA) car ils ont perpétréles attentats de 2015 et 2016. (Concer-nant AQPA responsable de la tuerie deCharlie Hebdo, force est de constaterque le gouvernement français n’a abso-lument rien fait contre lui.)

les actions du gouvernement, des postures de communication,ineFFicacesLa réponse du gouvernement aux actesterroristes de 2015-2016 a été l’étatd’urgence sans fin, l’opération Senti -nelle, le bombardement des territoiresoccupés par Daech, des assassinatsciblés et médiatisés par le président

de la République. L’état d’urgence adivisé les Français, portant atteinte auxlibertés fondamentales, sans apporterde plus-value à l’action de la police, dela justice et de l’armée.

« La “guerre auterrorisme” est une

expression quiempêche depenser et quidépolitise les

situations de conflitau profit d’unevision policière de l’histoire. »

« Faire la guerre au terrorisme » est un non-sensLe terrorisme est un mode opératoire de la guerre et non un ennemi. Le ter-rorisme avec un grand t n’existe pas. Chaque terrorisme a été lié à des situa-tions historiques données et portées par des organisations particulières,avec des modes d’action et des objectifs différents.

« L’état d’urgence a divisé les Français,portant atteinte aux libertés

fondamentales, sans apporter de plus-value à l’action de la police,

de la justice et de l’armée. »

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lité quotidienne de la société fran-çaise avec ses discriminations et sonascenseur social en panne. L’objectifde Daech est de cliver la société fran-çaise entre non-musulman et musul-man, et de faire la démonstrationqu’islam et République sont incom-patibles. Cette « stratégie de la ten-sion » ne recherche pas de victoiremilitaire, mais la déstabilisation poli-tique de la société par la terreur, l’ef-froi et la brutalisation.Dans une guerre qui déchire leProche-Orient depuis cent ans où laFrance a une part de responsabilitéshistoriques (accords Sykes-Picot,mandat colonial français sur la Syriede 1920 à 1946, bombardement de

Damas en 1945), elle doit inscrire sesactions militaires et politiques contreDaech dans un cadre multilatéral etmultinational, qui dépassent etremettent en cause l’actuelle coali-tion.Ce qui implique d’inclure néces-

sairement l’ONU, la Russie, l’Iran, lesKurdes, les forces politiques progres-sistes arabes et la Chine à travers sonprojet de nouvelle route de la soie. Ilfaut revisiter nos alliances militaireset en finir avec les fournitures d’armesaux amis de nos ennemis comme laTurquie, membre de l’OTAN, l’Arabiesaoudite et le Qatar.

la résilience, un Facteurde dissuasionNotre pays a un levier pour mettre enéchec la stratégie terroriste de Daech :la résilience. La résilience est un fac-teur politique de dissuasion : « Vouspouvez frapper, mais votre action seravouée à l’échec : vous ne nous abat-

trez pas, vous ne ferez que conforterles valeurs qui fondent notre répu -blique . » La résilience doit être le faitde la société française dans sa totalité,afin d’éviter toute paranoïa collectivequi ne nourrirait que le complotisme,

le racisme et l’extrême droite. On nepeut mettre en œuvre une politiquede défense résiliente sans penser édu-cation, recherche et développement,politique industrielle et technologique,santé, culture, sociale… et sans parti-cipation citoyenne.Ce qui demande aussi une armée dis-posant des moyens matériels ethumains d’assurer la défense du ter-ritoire. Cela implique de sortir del’OTAN, de revoir et de restreindre nosengagements dans des opérationsextérieures au regard d’une vraie poli-tique étrangère de sécurité collective,de renationaliser l’armée en la dépro-fessionnalisant et la déprivatisant. Enaucun cas, l’usage par l’État de la vio-lence ne doit être délégué à des entre-prises privées de sécurité. C’est pour-quoi il faut ouvrir le débat sur uneforme nouvelle de conscription popu-laire, mixte et universelle.Le peuple français a su montrer sarésilience avec la manifestation du11 janvier 2015, et les rassemblementsspontanés qui ont suivi les massacresde novembre 2015. Mais la pérennitéde cette résilience est liée à la capa-cité de la société française à dépasserce qui la divise, en particulier enmatière d’égalité réelle, d’émancipa-tion et de politique étrangère. n

*Yann Le Pollotec est membre duComité exécutif national du PCF. Ilest responsable de la commissionDéfense nationale et paix.

« En réduisant l’action de daech à son seulaspect criminel, on oublie sa stratégie :

mettre la société française encontradiction avec ses valeurs

démocratiques et créer en son sein une situation de guerre civile. »D

OSSIER s

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QUELLE POLITIQUE ( VRAIMENT)ANTITERRORISTE ?

pour qualifier ceux qui attaquentl’État. C’est ainsi que le dictionnaireLarousse de 1876 évoque le « terro-risme du comité d’action polonais »,terrorisme en l’occurrence indépen-

dantiste, sur fond de partage de laPologne entre la Russie, l’Autriche etla Prusse.

un enjeu des relationsinternationalesAvec cette évolution du mot, la défi-nition même du terrorisme est deve-nue très vite, en tant que telle, unenjeu des relations internationales.Lors de la conférence internationaleorganisée en 1898 contre le terrorismeanarchiste, les Russes et les Allemandsveulent cibler l’anarchisme dans sonensemble, alors que la France ou laGrande-Bretagne veulent unique-ment lutter contre la violence anar-chiste, en la distinguant de la violencepolitique. Car la définition a des impli-cations juridiques : elle peut remet-tre en cause la notion même de droitd’asile pour les réfugiés politiques.L’instrumentalisation possible estimmédiatement évidente. Les

régimes autocratiques entendentqualifier tous leurs opposants de ter-roristes, pour les poursuivre partout,y compris dans les démocraties où ilsont trouvé refuge.Dans l’entre-deux-guerres, la Sociétédes Nations se penche à son tour surla question, notamment après l’as-sassinat du roi de Yougoslavie et duministre français des Affaires étran-

gères, Louis Barthou, à Marseille, en1934. Mais l’enjeu est là aussi com-plexe : la Hongrie demande la révi-sion des traités de paix et oppose au« terrorisme » de l’assassin la culpa-

bilité du traité de Trianon. Prudem -ment, la Société des Nations secontente d’établir des listes d’actesou de cibles terroristes. En mêmetemps, elle propose, pourtant, inno-vation intéressante car jusqu’ici tom-bée dans l’oubli, de confier le juge-ment des crimes en question à uneCour pénale internationale.Des listes, et non des définitions, c’estce qu’établissent après 1945 la plu-part des organisations internatio-nales, incapables, elles aussi, de par-venir à un accord sur la notion entermes juridiques. Les Nations uniesont buté sur les écueils de la décolo-nisation et de la guerre froide. Avec ledroit des peuples à disposer d’eux-mêmes se posait la question de la légi-timité de l’action violente. Avec laguerre froide se posait celle de l’ins-trumentalisation de la violence parles deux blocs, comme mode d’affron-tement indirect.Au final, depuis 1898, jusqu’à aujour -d’hui, les États et les organisationsinternationales se sont heurtés à ladifficulté de définir un phénomènequi est sans conteste pluriel et enévolution permanente. Certes, onpeut définir quelques « familles »d’organisations terroristes, notam-ment à partir de la nature de leursrevendications. Ainsi s’opposent desgroupes clairement indépendan-tistes, régionalistes ou nationalistes,et d’autres plus idéologiques, poli-tiques. Mais la réalité est plurielle etles généralisations impossibles. Onaboutit donc à la rédaction de ces« listes » qui se juxtaposent les unesaux autres, quand elles ne s’oppo-sent pas entre elles.Ensuite, la définition du terrorismese heurte à la dialectique légitimité-illégalité. L’instrumentalisation récur-

PAR JENNY RAFLIK-GRENOUILLEAU*

c ertains mots sont si omnipré-sents dans l’actualité, qu’onfinit par ne plus les interroger,

voire ne plus les définir. Ils s’impo-sent seulement comme une évidencedu quotidien. Il me semble que le ter-rorisme relève de plus en plus de cecas de figure. Il s’est progressivementimposé dans nos vies, en plusieursétapes, depuis 2001. Il est devenu unélément de notre vie quotidienne, nonen lui-même, mais par l’épée deDamoclès qu’il maintient au-dessusde nos têtes, justifiant des mesuresde sécurité exceptionnelles, notam-ment depuis la mise en place de l’étatd’urgence.

l’évolution du motEt pourtant, de quoi parle-t-on ? Dèslors que l’on interroge le mot et sonhistoire, l’évidence devient com-plexité. L’étymologie nous renvoie àune notion clé : terrere, « faire trem-bler », donc terroriser. Mais le mot lui-même n’apparaît qu’au moment dela Révolution, pour désigner, sous laplume de ses détracteurs, la politiquemenée par Robespierre. Faisant suiteà des usages du mot que l’on repèredès la fin du XVIIIe siècle, Le Littré(1860) définit le terroriste comme le« partisan, agent du système de la ter-reur » et renvoie à Babeuf. La mêmesource réduit le terrorisme au « sys-tème de la terreur pendant la Révo-

lution française ». À ce moment, ter-rorisme tend à définir une politiquemenée d’en haut, par un gouverne-ment vis-à-vis de son propre peupleou d’une fraction de celui-ci, afind’imposer son pouvoir coûte quecoûte. Le terrorisme est ainsi d’abordd’État. Puis, progressivement, le sensdonné au mot s’inverse, pour dési-gner un moyen de pression sur l’État,

« depuis 1898, jusqu’à aujourd’hui, les États et les organisations internationales

se sont heurtés à la difficulté de définir un phénomène qui est sans conteste pluriel

et en évolution permanente. »

le terrorisme : de Quoi parle-t-on ?L’articulation des notions de violence politique et de terrorisme reste un vastesujet de réflexion pour nos sociétés et nos systèmes politiques.

« L’instrumentalisation récurrente du motpar des régimes autoritaires en a rendu

l’utilisation parfois très compliquée dans les régimes démocratiques. »

s

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DOSSIER rente du mot par des régimes autori-

taires en a rendu l’utilisation parfoistrès compliquée dans les régimesdémocratiques. L’articulation desnotions de violence politique et deterrorisme reste un vaste sujet deréflexion pour nos sociétés et nos sys-tèmes politiques. En cela, le débatdépasse d’ailleurs les enjeux juri-diques. Il est aussi éthique et philo-sophique.

Enfin, la définition, à l’échelle inter-nationale, se heurte aux intérêts par-ticuliers des États, qui font que le ter-roriste des uns est le résistant, voirel’allié, des autres. Or, sans définitionjuridique universelle du terrorisme, ilne peut y avoir de coopération inter-nationale efficace dans la lutte contrela menace terroriste. Mais il ne peutnon plus y avoir de garantie contrel’instrumentalisation possible, par des

États autoritaires, de cette menace.Au total, la définition même du motterroriste reste un enjeu fondamen-tal de la lutte antiterroriste et de laréaction que nos sociétés démocra-tiques peuvent lui opposer. n

*Jenny Raflik-Grenouilleau est his-torienne. Elle est maître de confe-rences en histoire contemporaine àl’université de Cergy-Pontoise.

le terrorisme islamiste : la nouvelle oFFre idéologiQue de la révolte et de la barbarieL’islamisme, ce néologisme à la sémantique plurielle, ne se limite pas à laconcrétisation radicale et violente incarnée par l’Ei ou al-Qaïda, il est por-teur d’une idéologie politicoreligieuse et sociale visant l’organisation tota-litaire de la communauté mondiale des croyants.

PAR ANNE-CLÉMENTINE LARROQUE*

d epuis fin 2015, Paris, Bruxelleset Berlin ont été touchées enleur cœur par une organisa-

tion terroriste désormais mondiale-ment connue : l’État islamique (EI).Dans les années 2000, Madrid et Lon-dres avaient également pâti desattaques de la mère porteuse de l’EI :Al-Qaïda. Ces deux groupes sont juri-diquement qualifiés de terroristes, leterrorisme constituant une contesta-tion violente d’une forme d’autoritéet du système politique qui endépend. Ils sont aussi caractérisés parleur appartenance idéologique à l’is-lamisme radical. Aujourd’hui, le ter-rorisme islamiste, dit « djihadiste »,existe non seulement dans la concré-tisation d’attaques, mais s’organiseaussi grâce aux réseaux sociaux parlesquels est présentée la mise enscène macabre des décapitationsappelant les musulmans du mondeentier à faire le djihad. Les responsa-bles des cellules terroristes invoquentla raison fondamentaliste basée surles thèses salafistes mais ils s’appuientaussi sur le facteur politique, en pré-tendant incarner une alternative auxsystèmes économiques et politiques

fabriqués par les kuffars (mécréants)d’Occident. À cet égard, par exemple,les partisans de l’État islamique ontannoncé la création d’une monnaiepropre en 2014 : le dinar d’or, ledirham d’argent et le fills de cuivre ;par ce biais, ils ont tenté, disent-ils,de « concurrencer le système moné-taire tyrannique occidental qui asser-vit les musulmans ».la bataille des conceptsde la doxa islamisteDepuis l’attentat contre le journalCharlie Hebdo en janvier 2015, lesconcepts utilisés pour qualifier lesassassins se multiplient et fusent dansles média internationaux tandis queles confusions s’enchaînent dans la

société. Rappelons donc des nuancescentrales pour comprendre le phéno-mène ; le terrorisme n’est absolumentpas corrélé à l’islamisme qui peut êtrepolitique ou quiétiste (missionnaire)et donc non violent. En effet l’isla-

misme, ce néologisme à la séman-tique plurielle, ne se limite pas à laconcrétisation radicale et violenteincarnée par l’EI ou Al-Qaïda. Le suf-fixe -isme désigne la revendicationidéologique d’un groupe à un systèmede valeurs ancré dans un principephilosophique, religieux, politique,économique : par exemple, le fémi-nisme. Le mot islamisme prend ainsi,aujourd’hui, plusieurs sens et la for-mation de cette notion à partir de saracine – islam – fait l’objet de nom-breuses critiques de la part desadeptes mêmes de la religion musul-mane, non islamistes dans leurgrande majorité.Dans l’islamisme, l’islam constitue la

clé de voûte du système de pensée,d’où la confusion entre la religion etle message idéologique et politique.Ainsi, le mot « islamisme » est unconcept occidental traduisant la mon-tée de l’idéologie politicoreligieuse

« Le terrorisme n’est absolument pascorrélé à l’islamisme qui peut être

politique ou quiétiste (missionnaire) et donc non violent. »

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QUELLE POLITIQUE ( VRAIMENT)ANTITERRORISTE ?

ainsi désignée après la chute de l’Em-pire ottoman en 1920. Cette idéolo-gie est aussi politicosociale, elle visel’organisation de la communautémondiale des croyants, elle porte enelle un caractère total.

Deux grandes doctrines nourrissentle discours islamiste ; le wahhabismeet le salafisme. Toutes deux sont fon-damentalistes, c’est-à-dire qu’ellesjustifient leurs règles très strictes parune interprétation littérale du Coran,en excluant toute prise en compte ducontexte d’évolution des sociétés danslesquelles elles s’expriment. Ces doc-trines religieuses ultra-rigoristes sefondent sur une lecture fondamen-taliste du Coran et de la Sunna et rejet-tent toute innovation dans le dogme(bida’a en arabe). Le wahhabismes’est développé en Arabie saoudite àpartir du XVIIIe siècle et se réclamede l’école hanbalite née juste après lanaissance de l’islam. Ce fut l’écolejuridique sunnite la plus rigoriste etradicale des quatre structures exis-tantes après la mort du Prophète(malékite, chaféite, hanafite et han-balite). À la différence des salafistes,les wahhabites acceptent l’autoritéd’un dirigeant qui ne conçoive pasexclusivement la dimension religieusedans sa politique, en l’occurrence leroi d’Arabie saoudite. L’anti-occiden-talisme y est présent, en lien avec lesrelations existantes entre l’Arabiesaoudite et les États-Unis. Les sala-fistes ont constitué leur doctrine surune lecture fondamentaliste du Coranet de la Sunna basée sur l’imitationdes pieux ancêtres, « salaf al-salih »,les compagnons du Prophète. Il fautdistinguer les salafistes réformistesdu XIXe siècle, prônant le réveil de lacommunauté islamique et l’épura-tion des préceptes suivis, des sala-fistes actuels divisés entre mouve-ments quiétistes, groupes politiqueset mouvances djihadistes. La dimen-sion anti-occidentale fait partie inté-grante de la doctrine salafiste, ils n’admettent pas non plus l’idée d’in-novation (bida’a). Comme les wah-habites, les salafistes se réclament del’école hanbalite.

Le contexte historique et géopolitiquedu Moyen-Orient depuis le XIXe siè-cle au moins, et la présence plus oumoins marquée de l’Occident ontjoué un rôle de taille dans la construc-tion de ce que l’on appelle la nébu-

leuse islamiste. Au départ, cette idéo-logie s’est organisée sur un projetpolitique en plaçant le message cora-nique au centre de sa doctrine. Ainsi,le projet politique émane du messagereligieux, mais s’en détache aussi. L’is-lamisme n’est pas l’islam. Pour tant,l’amalgame prévaut souvent, car si

l’islam est avant tout une religion deloi et donc du droit, elle est aussiempreinte de l’idée de gouvernement,dès les origines.

les liaisons dangereusesde l’islamisme radical et du terrorismeL’islamisme radical tire son essenceidéologique du takfirisme, une idéo-logie visant à placer le djihad au cen-tre de l’action en excommuniant toutepersonne jugée impie. Cette idéolo-gie apparaît dans les années 1950 etse diffuse dans les décennies sui-vantes dans le monde musulman.Fondée sur cette matrice radicale, cetype d’islamisme utilise la violencepour revendiquer son objectif prin-cipal : l’instauration d’un califat mon-dial et l’imposition de la charia dansle monde entier par des moyens vio-lents. Aujourd’hui, les moyens d’ac-tion terroristes de ces activistes fana-tisés sont identifiés dans le mondeentier. La barbarie des attaques à labombe, au couteau ou à l’aide d’en-

gins qui foncent dans la foule,entraîne la terreur des populationsvisées : soit en Europe, soit au Moyen-Orient où l’EI tente de s’implanterdepuis 2003 (invasion de l’Irak par lesÉtats-Unis). En France, depuis lesattaques perpétrées par MohammedMerah en mai 2012 et revendiquéespar Al-Qaïda, la France vit sous lamenace terroriste et l’Europe entièreest devenue la cible d’attaques en lienavec la progression de cet islamismeradical.Le djihadisme est né au Moyen-Orient, dans des circonstances où ledéveloppement de l’idéologie reli-gieuse islamiste en tant que puissancepolitique avait été tué par les mou-vances panarabistes (idéologie poli-tique et culturelle laïque visant àdéfendre l’identité arabe et fédérerles États du monde arabe entre eux).Mais il a muté clandestinement dansles territoires d’exclusion grâce à lamondialisation des moyens de com-munication et à la diffusion des idéessalafistes. La salafisation du mondemusulman est devenue réelle depuis

le moment où l’islam a pu devenirune réponse à des situations écono-miques, sociales et politiques trèspréoccupantes, au Moyen-Orientcomme en Afrique ou en Asie. Le terrorisme islamiste se prétendaujourd’hui porteur d’une véritableidéologie alternative à ce que nossociétés occidentales proposent, plusque les classiques revendications poli-tiques des terroristes. Le djihadismea une dimension totalitaire nouvelleet transforme les modes d’action(opérations suicides issues de la mar-tyrologie) et le sens du terrorisme telque l’on se le figurait jusqu’alors. n

*Anne-Clémentine Larroque estmaître de conférences en relationsinternationales à Sciences-Po.

« Le djihadisme est né au moyen-orient,dans des circonstances où le

développement de l’idéologie religieuseislamiste en tant que puissance

politique avait été tué par les mouvances panarabistes. »

« Le contexte historique et géopolitiquedu moyen-orient depuis le XiXe siècle

au moins, et la présence plus ou moinsmarquée de l’occident ont joué un rôle de taille dans la construction de ce que

l’on appelle la nébuleuse islamiste. »

Réagissez aux articles, exposezvotre point de vue.

Écrivez à [email protected]

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prime surabondamment (via, parexemple, ses revues en ligne, Dabiq,Dar al-Islam ou al-Rumiyah sur cequ'elle est et sur ce qu'elle veut.

ennemis et utopiesSi nous avons du mal à nommer l'en-nemi, lui produit, au nom d'une hos-tilité illimitée, des listes de gens àcombattre par degrés de déviation parrapport à un monothéisme pur. Lecoupable – l'adversaire ne saurait être

que coupable de refuser la loi divineet il ne peut invoquer l'excuse d'igno-rance – se nomme suivant le casmécréant ou hypocrite, taghout, asso-ciateur, houti, chirk, apostat et autrescatégories dont relèvent tous ceux quirefusent la vraie foi. En clair, sauf àêtre salafiste pur, engagé dans le dji-had et désireux de faire la hijrah (émi-gration obligatoire vers le « pays deCham » seul soumis à la vraie chariah)

et sauf à avoir fait allégeance à alBaghdadi, vous tombez, ami lecteur,dans une des catégories et votre sangest « licite ». L'absurdité apparente decombattre tout le monde en mêmetemps ne freine en rien la combati-

vité des mouhadjiidnes, au contraire.Classiquement, un acteur historiquequi se dit « en guerre » est censé vou-loir obtenir par les armes une certainepaix qui perdurera, par exemplelorsqu'il aura conquis une terre ouéliminé un danger politique. Celas'appelle, d'ailleurs, la victoire. De fait,Daech dit bien vouloir instaurer unnouveau cours de l'histoire, maiscelui-ci implique à la fois la conquêtede toutes les nations et de toutes lesâmes, et doit précéder la fin des tempset le jugement dernier. Daech veutsimultanément tout, tout de suite,mais se prépare pour une guerre sansfin, y compris en pensant à la repro-duction démographique qui fournirales futurs « lions » triomphants.De même, Daech est à la fois territo-rialisé (un califat dont le slogan ditqu'il durera et s'étendra) et mondia-lisé (le champ de bataille est partout).Il lutte ici-bas pour la domination dela terre et dans une dimension mys-tique, reproduisant les premièresbatailles de l'islam et réalisant desprophéties. En vertu du même prin-cipe du tout et tout de suite, « l'offre »idéologique de Daech inclut à la foisla vie éternelle au combattant, la« libération » du monde dominé parles ennemis de Dieu (les démocraties,par exemple) et la possibilité de ven-ger des siècles d'humiliation (dont lesbombardements français ne sontqu'un épisode récent mais quidésigne notre pays pour un châtimentparticulier).Par comparaison le discours d'Al-

Qaïda qui n'envisageait « que » de com-battre l'ennemi lointain pour créer àla fois un chaos contagieux et une soli-darité de l'Oumma, le tout dans laperspective lointaine d'un État musul-man, est d'un minimalisme frappant.

PAR FRANÇOIS-BERNARD HUYGHE*

d ire « le califat » ? Ce serait luiconcéder une légitimité reli-gieuse qu'il n'a pas. État isla-

mique (variantes : État islamique enIrak et au Levant ou ISIS, Islamic Statefor Iraq and Syria) ? Mais pour lasoixantaine de puissances censéesêtre coalisées pour l'écraser, cepseudo-État ne saurait être reconnumême verbalement (même s'il sem-

ble battre monnaie, rendre justice,administrer sa population et, pourquelque temps encore, défendre sesfrontières) ; et il ne faudrait pas luiconcéder le moindre caractère isla-miste pour ne pas dire islamique (ilest notoire que les gouvernementsoccidentaux savent distinguer l'es-sence d'une religion authentique deses déviations doctrinales si absurdesqu'elles se révèlent de simples alibis).D'où la tentation de dire que « nous »sommes en lutte contre l'extrémismeviolent, la barbarie, l'islamo-fascisme,le salafisme djihadiste, le nouveautotalitarisme, le terrorisme… Il est iro-nique de noter que certaines desnotions comme « radicalisation »« guerre au terrorisme », « islamo-fas-cisme » ou « extrémisme violent » quiservent d'euphémismes pour parlerde l'entité califat ont été produitesdans les années 2000 par les milieuxsécuritaires ou néoconservateursoutre-Atlantique. Or ledit principes'incarne en un lieu et un temps, àtravers des forces matérielles et létalesau service d'objectifs et d'intérêts. Desurcroît, c'est une organisation bu -reau cratique et hiérarchique qui s'ex-

« il est ironique de noter que certaines des notions comme “radicalisation“

“guerre au terrorisme”, “islamo-fascisme”ou “extrémisme violent” qui servent

d'euphémismes pour parler de l'entitécalifat ont été produites dans les années

2000 par les milieux sécuritaires ounéoconservateurs outre atlantique. »

« Comment le message djihadisteparvient-il, notamment via les réseaux

sociaux dont nous répétions au moment du printemps arabe qu'ils étaient les

fourriers de la démocratie, jusque cheznous, avec un tel effet de croyance. »

la chimère daechQuelle sorte d'animal est daech ? assurément une chimère, hybride, com-binée de plusieurs espèces. À preuve la difficulté qu'ont ses adversaires àle nommer.

DOSSIER

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QUELLE POLITIQUE ( VRAIMENT)ANTITERRORISTE ?

lutte et FascinationÀ ce stade, le lecteur est sans doutetenté de recourir à des catégoriescomme délire ou aliénation idéolo-gique, voire d'aller chercher des expli-cations psychanalytiques ou sociolo-giques d'un phénomène aussi aber rantpar rapport à tout ce que nous avonsconnu... Mais il nous semble surtoutque Daech nous pose deux questionsinédites.La première est stratégique : l'impuis-sance de toutes les puissances mili-taires – certes, désunies – qui, aumoment où nous écrivons, sont tou-

jours tenues en échec par quelquesdizaines de milliers de combattants. La seconde est rhétorique et médio-logique. D'où provient l'invraisembla-ble attractivité d'un discours califal sitotalement à rebours de celui – hédo-niste, apaisé, individualiste, tolérant,optimiste, moderne, soft...– que sontcensées diffuser nos sociétés ? Et com-ment le message djihadiste parvient-il, notamment via les réseaux sociauxdont nous répétions au moment duPrintemps arabe qu'ils étaient les four-riers de la démocratie, jusque cheznous, avec un tel effet de croyance.

Ceux qui sauront répondre à la pre-mière question aideront à éliminer– mais à quel prix de sang et de res-sentiment contagieux ? – un dangertrès concret. Mais la réponse à laseconde question semble encore horsde portée de nos sociétés, dites deséduction et de communication, maisconditionne peut-être une lutte deplusieurs générations. n

*François-Bernard Huyghe estdirecteur de recherche à l'IRIS.

LOIS RÉCENTES RELATIVES À LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME

année loi apport juridiQue contexte

2012LOI n°2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la luttecontre le terrorisme

Prolonge un dispositif mis en place en 2005 permettant la surveillance des données de connexion.instaure la possibilité depoursuivre des ressortissantsfrançais à l’étranger ayantcommis des actes terroristes ou participé à des campsd’entraînement.

attentats à toulouse.

2014LOI n°2014-1353 du 13novembre 2014 renforçant lesdispositions relatives à la luttecontre le terrorisme

Crée la possibilité d’interdire leterritoire français à desprésumés candidats au djihad.

2013 : explosion de deuxbombes à l’arrivée dumarathon à Boston.2014 : fusillade au musée juifde Belgique à Bruxelles,attribuée à un militantislamiste français.

2015LOI n°2015-912 du 24 juillet2015 relative au renseignement

Facilite le recueil d’informationspar les services derenseignement.

7 janvier 2015 : attentatsperpétrés contre CharlieHebdo.

2015

LOI n°2015-1501 du 20 novembre 2015prolongeant l’application de la loi n°55-385 du 3 avril1955 relative à l’état d’urgenceet renforçant l’efficacité deses dispositions

Prolonge l’état d’urgence pourtrois mois, élargit le dispositifd’assignation à résidence. donnela possibilité de dissoudre desassociations.

13 novembre 2015 : de multiples fusillades etattentats-suicides à Paris et àsaint-denis revendiqués pardaech.

2016

LOI n°2016-731 du 3 juin 2016renforçant la lutte contre lecrime organisé, le terrorismeet leur financement, et améliorant l’efficacité et lesgaranties de la procédurepénale

Permet d’incorporer des mesures issues de l’Etatd’urgence au droit commun.

Source : Marie Grillon et Hugo Touzet, État d’urgence démocratique, Espaces Marx / Éditions du Croquant, 2016.

ou le retour de l’Histoire, La Décou-verte, 2015), à cause des contrôlesincessants subis par les habitants lorsde leurs déplacements en ville ou àl’extérieur. C’est aussi ce qui expliquequ’à Mossoul comme à Falloudja ouRamadi (dans la province d’Anbar),les djihadistes ont été accueillispresque comme des libérateurs. ÀMossoul, par exemple, l’État isla-mique s’est bien gardé d’user de lamanière forte, du moins au début. Lesélites tribales ont été intéressées aupouvoir et la non-observation des loisreligieuses par les sunnites d’abordpunies par des amendes. Pour leschiites ou pour les non-musulmans,en revanche, la violence s’est appli-quée immédiatement : crucifixions,décapitations, exécutions, viols…À cela il faut ajouter l’attitude du pou-voir kurde d’Erbil. Conscient que l’ap-parition de l’EI allait favoriser une

communautarisation du conflit, leParti démocratique du Kurdistan(PDK) du clan Barzani aurait passéun accord avec l’EI. Aucune entraven’est faite à l’entrée dans Mossoul desdjihadistes de la part des peshmer-gas (les combattants kurdes), encontrepartie, ces derniers peuvents’installer dans des zones peupléesde minorités comme les yézidis ou leschrétiens, voire dans des zones mixtesarabes-kurdes et sunnites-chiites. Siaccord il y a eu, il a de toute façon étébattu en brèche par Daech qui a atta-qué le Sinjar aussi bien que la ville deKirkouk et a même tenté de prendreErbil.En réalité, pendant cent jours, trèsexactement entre le 10 juin (prise deMossoul) et le 23 septembre 2014(premières frappes américaines enSyrie), l’État islamique a pu se déve-lopper sans vraiment rencontrer d’op-position et s’est installé aussi bien enIrak qu’en Syrie. En 2015, son terri-

toire s’étendait sur 90 800 km², soit àpeu près la superficie du Portugal ! Àl’automne 2016, il ne contrôlait plus« que » 65 500 km², l’équivalent de lataille du Sri Lanka. Cela pourrait appa-raître comme une perte relativementfaible. On se tromperait. D’abordparce que l’EI n’est plus dans uneposition de conquête. Il ne parvientplus à s’emparer de nouveaux terri-toires et doit au contraire défendre cequi lui reste. Par ailleurs, les pertessubies sont d’une importance straté-gique considérable. En Syrie, parexemple, Daech a perdu son accès àla frontière turque. En Irak, les djiha-distes ont dû quitter la région d’An-bar, leur première conquête, qui étaitune tête de pont pour une éventuelleattaque sur Bagdad. Et la liaison entreses fiefs de Raqqa (Syrie) et Mossoul(Irak) est très sérieusement compro-mise depuis l’offensive lancée surMossoul, bien que les plans initiauxfussent différents.L’attaque sur Mossoul a débuté le17 octobre 2016. Peuplée de 1,5 mil-lion d'habitants au moment de labataille, contre 2 millions au débutdu conflit, Mossoul est la seconde villed’Irak et la plus grande tenue par l’Étatislamique. Ce n’est que le 22 janvierque le ministère irakien de la Défensea annoncé avoir le contrôle total nonpas de la ville entière mais seulementde la partie est. C’est dire si la résis-tance des djihadistes est terrible. Voi-tures et camions piégés, bâtimentsminés, snipers, kamikazes, tout estutilisé par les combattants de Daech.Ils savent que la mort est au bout.D’abord parce que les chancelleriesoccidentales ont fait comprendre augouvernement irakien qu’ils ne sou-haitaient pas voir revenir sur leurs ter-ritoires les djihadistes étrangers (fran-çais, britanniques, belges, allemands,américains…). Mais, surtout, il sem-ble que les plans initiaux établis parl’armée irakienne avec les « conseil-lers » américains prévoyaient de lais-ser ouvert l’ouest de la ville, pour lais-ser la possibilité aux djihadistes defuir en Syrie. Mais ce qu’on appelleles Forces de mobilisation populaire,qui se sont constituées après la fatwaémise par le grand ayatollah Ali Sis-tani, des milices chiites en quelquesorte, ont contrarié ces plans en cou-

PAR PIERRE BARBANCEY*

a pparu en 2006, l’État isla-mique en Irak s’est transforméen État islamique en Irak et au

Levant (EIIL plus connu sous sonacronyme arabe, Daech) en 2013,jusqu’à la proclamation du califat enjuin 2014. Le signe d’une expansiongéographique de ce groupe mais éga-lement d’une volonté structurellecomme annoncé : être un État. À biendes égards d’ailleurs on peut dire queDaech revêt beaucoup de caractéris-tiques d’un État. Contrairement à Al-Qaïda, dont il est d’une certainemanière issu, l’EIIL contrôle effecti-vement un territoire. Sur celui-ci ontété créés une administration et destribunaux, même si ceux-ci sont régispar des lois religieuses. Il existe unehiérarchie civile avec calife et son cer-cle rapproché, et une hiérarchie mili-taire, principalement issue du rangdes officiers de Saddam Hussein.Enfin, et ce n’est pas la moindre descaractéristiques, un impôt est pré-levé. Une monnaie aurait même étébattue et un drapeau existe. L’orga-nisation djihadiste s’est ainsi trans-formée en « État islamique », incluantdes territoires en Irak et en Syrie.Après une période de gain terrestreet d’expansion incontestable, lacontre-offensive s’est menée sur deuxfronts et de manière totalement dif-férente.

une implantation en reculC’est en Irak que l’État islamique estné et s’est le plus implanté. Enjuin 2014, il s’est imposé sur les troisquarts des zones arabes sunnites del’Irak, pratiquement sans combattre.Et c’est depuis Mossoul – qui va deve-nir la capitale de l’État – que AbouBakr al-Bagdadi se proclame calife.Cela est notamment dû à la politiquesectaire menée par le Premier minis-tre irakien de l’époque, Nouri al-Maliki, dont l’armée, essentiellementchiite, s’est rendue coupable de nom-breuses exactions contre les popula-tions sunnites. Une armée souventconsidérée dans ces zones commeune check point army, pour repren-dre l’expression de Pierre-Jean Lui-zard (Le Piège Daech. L’État islamique

« C’est en irak quel’État islamique est

né et s’est le plusimplanté. »

l’état islamiQueL’organisation djihadiste est devenue un véritable État, incluant des terri-toires en irak et en syrie. si son implantation géographique est actuellementen recul, les signaux émis ne poussent pas à l’optimisme.

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pant la route reliant Mossoul à la fron-tière syrienne. En Syrie, l’EI a renforcéses défenses à Raqqa et assiège tou-jours Deir ez Zor mais le scénario n’estpas le même qu’en Irak. La coalitionmenée par les États-Unis qui bom-barde Daech en Syrie n’est pas alliéeavec le pouvoir de Bachar El-Assad.Celui-ci, renforcé par la reprise d’Alepet soutenu par la Russie, l’Iran et le

Hezbollah libanais, n’entend pas selaisser déposséder d’une nouvelle vic-toire. À Raqqa cette fois. La batailleest cependant loin d’être engagée.D’autant que les forces kurdes, lesYPG/YPJ (soutenus par les États-Unis), qui constituent maintenant legros des Forces démocratiquessyriennes dans lesquelles on trouvedes milices arabes, se sentent flouéespar les nouveaux développements encours : la Turquie, longtemps soutien

de Daech, considère maintenantcomme une priorité d’empêcher laconstitution d’une zone autonomekurde à ses portes. Pour cela, Ankaras’est rapprochée de Moscou et deTéhéran. Les Kurdes de Syrie, déjàécartés des discussions entamées à Genève auxquelles participaitWashing ton, sont également exclusdes pourparlers d’Astana (Kazakh -

stan) parrainés par la Russie, la Tur-quie et l’Iran.

des cellules dormantesprêtes à semer la terreurTôt ou tard, Mossoul sera totalementreprise. Cela signifiera la fin de l’Étatislamique en tant qu’État mais pascelle de l’organisation qui disposeraencore de moyens terribles. Des cel-lules dormantes sont en Europe et auMoyen-Orient, prêtes à semer la ter-

reur et à commettre des attentats. Celasera d’autant plus facile que l’après-Mossoul risque d’être très compliqué,particulièrement en Irak. Bagdad etErbil se disputent des territoires (lespeshmergas ont annoncé qu’ils nebougeraient pas des zones où ils ontpris position) et les différentes miliceschiites, dont les unes soutiennentl’Iran, les autres ont pris le parti deMoktada al-Sadr, pourraient s’affron-ter durement. Enfin, il est à craindreque la Turquie et le PDK de Barzanin’utilisent la situation pour tenterd’éradiquer les bases du Parti des tra-vailleurs du Kurdistan (PKK) qui setrouvent en Irak, sur le mont Qandil,à Marmoukh et au Sinjar.Bref, malgré l’affaiblissement deDaech, les signaux émis ne poussentpas à l’optimisme. Et tout ce qui pré-cède ne doit pas faire oublier l’autreorganisation djihadiste, tout aussidangereuse et monstrueuse, le Frontal-Nosra (rebaptisé Front Fatah Al-Cham), lié à Al-Qaïda, soutenu par lespétromonarchies du Golfe et toujourslié à des groupes armés de l’opposi-tion considérés comme modérés.Jusqu’à présent, le peuple syrien estle grand perdant de toutes cesmanœuvres de puissances régionaleset internationales. C’est avec cetteconception-là, celle d’un Moyen-Orient ballotté au gré des intérêtsextérieurs, qu’il faut en finir. n

*Pierre Barbancey est grand reporterà l’Humanité.

« En réalité, pendant cent jours, très exactement entre le 10 juin

et le 23 septembre 2014, l’État islamique a pu se développer sans vraiment

rencontrer d’opposition et s’est installéaussi bien en irak qu’en syrie. »

rage, cynisme et violence post-politiQuePourquoi des jeunes qui paraissent intégrés régressent dans le terrorisme ?

PAR SLAVOJ ŽIŽEK*

comprendre les causes proFondes des actes violents Ali Sonboly, l'homme qui tua neufpersonnes dans un centre commer-cial de Munich (citoyen allemand etiranien de 18 ans, décrit par les médiacomme « un adolescent perturbé etsolitaire obsédé par le massacre demasse ») eut cette conversation (ou,plutôt, cette joute verbale) juste avantla fusillade :Homme sur un balcon : Espèce de salecon.

Ali : À cause de gens comme toi j'aiété persécuté pendant sept ans.Homme sur le balcon : T'es un salecon. T'es un putain de sale con.Ali : Maintenant je vais devoir ache-ter un flingue pour te buter.Locuteur inconnu : Merde ! Enculésde Turcs !Homme sur le balcon : Merde ! Encu-lés d'étrangers.Ali : Je suis allemand (...) Oui, quoi, jesuis né ici.Homme sur le balcon : Oui et qu'est-ce que tu crois que tu fais, hein ?Ali : J'ai grandi ici dans les « Hartz 4 »(aide au logement social).

La signification évidente de « Je suisallemand… Je suis né ici » semble que,bien que formellement citoyen alle-mand, l'homme n'a jamais été réel-lement accepté et reconnu commetel. Mais reste la question : quel étaitson propre désir ? Voulait-il réelle-ment devenir allemand ? Et quel typed'Allemand ? La référence d'Ali à saposition sociale qui a fait de lui ce qu'ilest (J'ai grandi ici dans les «Hartz 4» )rappelle le mantra sur les program-mes sociaux et les efforts d'intégra-tion négligés qui ont privé la jeunegénération d'immigrants de perspec-tives claires. On devrait s'efforcer de s

mis et le respect mutuel. Le racismeest ici attribué à l'autre, tandis que l'onoccupe la position confortable de l'ob-servateur neutre et bienveillant, sin -cèrement consterné par les horreursqui se passent là-bas. Enfin, il y a leracisme inversé, qui célèbre l'authen-ticité exotique du musulman, qui, aucontraire de l'Occidental inhibé etanémique, continue à exhiber uneprodigieuse soif de vivre.

Cela nous amène à un point clé duracisme attribué concernant la dis-tinction entre le mépris culturel del’autre et le racisme stricto sensu.Habituellement, le racisme est consi-déré comme la version la plus forteet la plus radicale du mépris culturel :nous avons affaire au racisme lorsquele simple mépris de la culture de l’au-tre amène à l’idée que l’autre groupeethnique est par nature inférieur ànous. Toutefois, aujourd’hui le racis -me attribué est paradoxalement capa-ble de s’articuler en termes de respectde la culture de l’autre : n’était-ce pasl’argument officiel pour l’apartheiden Afrique du Sud que les culturesnoires devaient être préservées dansleur unicité, et non dissoutes dans lemelting-potoccidental ? Y compris lesracistes européens contemporainscomme Le Pen n’insistent-ils pas surle fait qu’ils demandent uniquementle même droit à l’identité culturelleque les Africains et les autres deman-

dent pour eux-mêmes ? Il est bien tropsimple d’évacuer de tels argumentsen affirmant que le respect de l’autreest ici simplement « hypocrite ». Enréalité, le mécanisme en jeu est plu-tôt symptomatique de la part dereniement que contient le fétichismede la séparation : « Je sais très bienque la culture de l’autre mérite lemême respect que la mienne. Mais je

les méprise néanmoins avec pas-sion. »Le point essentiel ici se situe dans lanotion introduite par Balibar decruauté excessive et non fonctionnelle,caractéristique de la vie contempo-raine : une cruauté dont les figuresvont du racisme « fondamentaliste »ou massacre religieux aux manifesta-tions de violence « sans raison » desadolescents et sans-abri dans nos

mégalopoles ; une violence qui netrouve pas ses racines dans des rai-sons idéologiques ou utilitaires. Toutle débat au sujet des étrangers quinous volent notre travail ou de lamenace qu’ils représentent pour nosvaleurs occidentales ne devrait pasnous duper : examiné de près, ildevient rapidement clair que ces pro-pos fournissent une rationalisationsecondaire plutôt superficielle. Laréponse ultime que nous obtenonsd’un skinhead est que ça lui fait dubien de battre des étrangers, que leurprésence le dérange… Ce que nousrencontrons ici c’est de la cruautéidentitaire, c’est-à-dire la cruautéstructurée et motivée par le déséqui-libre le plus élémentaire de la relationentre l’égo et la jouissance. Ce quinous gêne chez « l’autre » (juif, japo-nais, africain, turc) est qu’il puisseentretenir une relation privilégiée àl’objet de désir – soit il possède l’ob-jet convoité, soit il nous l’a dérobé,soit il constitue une menace enversnotre possession de cet objet.

la haine politiQue utile, celle dirigée vers l’ennemi politiQuecommunAinsi, plus les théories socialescontem poraines proclament la fin dela nature, plus la référence implicite àla « nature » imprègne notre discoursquotidien : affirmer que nous entronsdans une ère pragmatique « post-idéo-logique » ne revient-il pas à dire quenous entrons dans un ordre post-poli-tique dans lequel les seuls conflits légi-times sont ethniques et culturels ? Typi-quement, dans les discours critiqueset politiques contemporains, le terme« travailleur » a disparu du vocabulaire,substitué par « immigrants/ travail-leurs immigrants » – ainsi, la problé-

comprendre les causes profondes desactes violents plutôt que de se satis-faire d'idées revanchardes : peut-onimaginer ce que cela signifie vraimentd'être un jeune homme dans unebanlieue pauvre et métissée, suspec-té a priori et harcelé par la police,vivant dans une grande pauvreté, enrupture familiale, sans emploi et sou-vent inemployable, et sans espoird'avenir ?La limite toutefois d'une telle appro -che est qu'elle ne fait que lister lesconditions objectives de la révolte,ignorant ses dimensions subjectives :se révolter implique une prise de posi-tion, une déclaration au moins impli-cite de la façon dont on se situe parrapport à ses conditions objectives,de la façon dont on les subjectivise.Nous vivons une telle époque decynis me que nous imaginons aisé-ment un protestataire qui, pris la maindans le sac en train de piller et brûlerun magasin et pressé de s'expliquersur les raisons de sa violence, com-mencerait soudainement à parlercomme un travailleur social : citantla mobilité sociale réduite, l'insécu-rité grandissante, la désintégration del'autorité paternelle, le manqued'amour maternel durant la petiteenfance, Il saurait ce qu'il fait (que cequ'il a fait est mal), mais néanmoinsle ferait.

les diFFérents types de racisme contemporainsPour bien comprendre ce point, il esttout d'abord nécessaire de discernerdans une sorte d'analyse spectrale lesdifférents types de racisme contem-porains. D'abord, il y a le traditionnelrejet du – despotique, barbare, ortho-doxe, corrompu… – musulman aunom des valeurs authentiques – occi-dentales, civilisées, démocratiques,

chrétiennes, etc. Ensuite, il y a le poli-tiquement correct « racisme attribué » :la perception multicultura liste del'islam comme le terrain des horreursethniques et de l'intolérance, des pas-sions de guerre irrationnelles et pri-mitives ; en opposition au processuslibéral-démocratique post-États-nations de résolution des con flits parla négociation rationnelle, le compro-

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« nous avons affaire au racisme lorsque le simple mépris de la culture de l’autre

amène à l’idée que l’autre groupe ethniqueest par nature inférieur à nous. »

« une cruauté dont les figures vont duracisme “fondamentaliste” ou massacrereligieux aux manifestations de violence

“sans raison” des adolescents et sans-abridans nos mégalopoles. »

s

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matique de classe de l’exploitation destravailleurs est transformée en uneproblématique multiculturaliste del’« intolérance de l’autre ». Et l’inves -tis sement excessif des libéraux multi-culturalistes dans la protection desdroits ethniques des immigrantsdétourne leur énergie de la défense dela classe aliénée.Bien que la thèse de Francis Fuku -yama sur la « fin de l’histoire » soitrapidement tombée en désuétude,nous continuons silencieusement àprésumer que l’ordre global capita-liste libéral-démocratique est enquelque sorte le régime social « natu-rel » ultime. Nous continuons à conce-voir implicitement les conflits dansles pays du tiers-monde comme unesous-espèce de catastrophe naturelle,comme les manifestations de pas-sions violentes quasi naturelles, ou

comme des conflits basés sur uneidentification fanatique aux racinesethniques (et qu’est-ce que « l’eth-nique » ici si ce n’est un nom de codepour nature ?). Pour cette raison, face

à la haine, à l’intolérance et à la vio-lence ethnique, d’aucuns devraientrejeter fermement l’idée multicultu-raliste standard selon laquelle il fau-drait apprendre à respecter et vivreavec l’autre et l’altérité, développerla tolérance envers différents stylesde vie, etc. Le moyen de combattreeffectivement la haine ethnique n’estpas à travers son pendant immédiat,la tolérance ethnique. Nous avons aucontraire besoin d’encore plus dehaine, mais la haine politique utile,celle dirigée vers l’ennemi politiquecommun.Et ne devrions-nous pas placer dansla même catégorie Andreas Lubitz, lecopilote de la Germanwings quiécrasa son avion dans les Alpes fran-çaises et tua cent cinquante passa-gers, lui compris ? Étant donné qu’iln’avait aucun lien avec quelque

groupe ou organisation politique,idéologique ou religieuse, les soi-disant experts ont tenté de lui attri-buer des désordres psychologiques,dépression etc. Mais reste le fait qu’il

était un parfait homme libéral mo -derne, sans idéologie, travaillant dur,se levant tous les matins à 5 heurespour 5 km de jogging, ayant debonnes relations avec ses amis, vivantune vie disciplinée… Donc, peut-êtrequ’au lieu de chercher dans les tré-fonds de l’islam, nous devrions por-ter notre attention sur le nihilisme denos propres sociétés : quelque chosene doit pas aller chez nous si nosjeunes qui paraissent intégrés régres-sent dans le terrorisme. D’où leurhaine vient-elle ? Souvenez-vous desémeutes des banlieues françaises àl’automne 2005. Dans ces protesta-tions, ce qui frappait était l’absencetotale de perspectives utopiques posi-tives : si mai 1968 fut une révolte avecdes visées utopiques, les révoltes de2005 furent des manifestations sansaucune vision d’avenir. Le fait qu’iln’y avait aucun programme dansl’embrasement des banlieues pari-siennes est en soi un fait qui doit êtreinterprété. Il nous en dit beaucoupsur l’impasse idéologico-politiquedans laquelle nous nous trouvons.Quel est cet univers qui s’autovalo-rise comme une société du choix,mais dans laquelle la seule alterna-tive disponible au consensus démo-cratique imposé consiste en des agis-sements aveugles ? n

*Slavoj Žižek est philosophe. Il estprofesseur de philosophie à l'univer-sité de Ljulbjana (Slovénie).Traduit de l'anglais par Davy Castel.

« La problématique de classe de l’exploitation des travailleurs

est transformée en une problématiquemulticulturaliste de l’ “intolérance

de l’autre”. »

Notre temps est sombre, parce quenous laissons croire partout, commele répète une propagande incessante,que la principale contradiction poli-tique est entre dictature et démocra-tie. Mais la contradiction principalede notre monde est entre sa construc-tion oligarchique autour des déten-teurs de capitaux, et sa constructionégalitaire autour de l'idée d'un mondecommun. La contradiction entredémocratie et dictature existe certesau niveau de l'État. Mais au niveaudu monde historique réel, elle est

subordonnée en dernière instance àla contradiction qu'il faut bien nom-mer, celle qui oppose le capitalismeau communisme, si on redonne aumot « communisme » sa significationpremière : contre la dictature de lapoignée de détenteurs de capitaux,imposer la loi de ce qui est communà tous.

contradiction des culturesUne autre idée très répandue par lapropagande est qu'en plus de lacontradiction entre dictature et démo-cratie, il y a la contradiction des cul-tures. C'est une autre façon de dissi-muler que la contradiction principaleest entre capitalisme et communisme.On va dire : il y a une « guerre des civi-lisations ». Cette prétendue guerre descivilisations est la même chose que lafameuse « guerre contre le terrorisme »déclenchée par George Bush et qui ajustifié les guerres épouvantables ettotalement inutiles en Irak ou enAfghanistan, guerres qui aujourd’huise poursuivent dans tout le Moyen-Orient, et jettent sur les routes des mil-lions de gens désespérés.Nous sommes aussi dans un sombretemps politique, avec des menacesgrandissantes de nationalisme racia-liste et fascisant, parce que l'idée que

les autres ne sont pas comme nousinterdit justement de combattre, aunom de l'égalité universelle, lesvisions du monde bornées et diviséesqui viennent du nationalisme, duracisme, ou de l'interprétation réac-tionnaire, voire fascisante, des reli-gions.Si nous sommes partisans de l'exis-tence d'un monde commun à tous,de l'idée égalitaire d'un monde quiappartient à l'humanité tout entière,nous devons partir du principe quetous ceux qui l’habitent doivent être

considérés comme du même mondeque soi. C'est un point capital. Exac-tement comme Marx, lorsqu'il crée,contre le marché capitaliste mondialet contre les nationalismes, la pre-mière organisation interna tionale desouvriers et tire les conséquences quis’imposent de son affirmation : lesprolétaires n'ont pas de patrie. Lesprolétaires sont de tous les pays. Lesprolétaires sont internationaux. Et laseule organisation politique possiblepour les prolétaires est une interna-tionale.Autrement dit : nous devons refuserabsolument que la politique trouveson point de départ dans des identi-tés. Non, la politique, si elle est com-mune, et donc communiste, part dece qui est commun à tous, et donc dece qui est universel. L'identité, en poli-tique, est toujours rétrograde etmenaçante.

un combat Franc et ouvert contre les politiQuesidentitairesCe qui fait notre sombre temps est lenaufrage provisoire de l'idée égali-taire. Ce qui fait éclaircie est qu'existeet existera victorieusement, si nousle voulons, un combat franc et ouvertcontre les politiques identitaires.

PAR ALAIN BADIOU*

l e monde « démocratique » occi-dental a pour base matérielleabsolue la propriété privée. Sa

loi, c'est qu’1 % des gens possèdent46 % des richesses mondiales et que10 % en possèdent 86 %. Commentfaire un monde avec des inégalitésaussi féroces ? Dans les démocratiesoccidentales, la liberté, c'est d'abordla liberté sans limite de la propriétéet de l'appropriation de tout ce quia de la valeur. Et puis c'est la libertéde la circulation des objets et dessignes monétaires. Mais jamais cen'est l'égalité des hommes et desfemmes qui habitent ce monde. Laconséquence fatale de cette concep-tion est la séparation des corps vivantspar et pour la défense acharnée, impi-toyable, des privilèges de la richesse.

contradiction entredictature et démocratieCertains, chez nous, prétendent quele remède est « l’élargissement » de ladémocratie au monde entier, le ren-versement des « dictatures ».Mais nous connaissons parfaitementla forme concrète de cet « élargisse-ment » de la démocratie. C’est, toutsimplement, la guerre. La guerre enYougoslavie, en Irak, en Afghanistan,en Somalie, au Soudan, au Congo, enLibye, en Syrie… Ce sont les dizainesd'interventions militaires de la Franceen Afrique. Tout cela en réalité, nonpas pour élargir le champ de l'égalitéentre tous et pour créer un mondecommun, mais pour réaliser partoutla loi du marché mondial et pouragrandir encore les inégalités en ins-tallant partout la concurrence achar-née et violente pour les matières pre-mières. Tout cela, non pas pour queles femmes et les hommes de cemonde puissent circuler librement,vivre et travailler où ils peuvent et veu-lent. Mais pour que le blé et l'uranium,le pétrole et les diamants, le café et lecuivre soient cotés en Bourse et vien-nent eux aussi enrichir sans mesureles détenteurs du capital.Le prétendu « élargissement de la démo-cratie » est en réalité la conquête de nou-veaux moyens d'enrichir une toutepetite oligarchie, constituée au plus par10 % de la population mondiale.

le monde doit changer de baseLa politique, si elle est commune, et donc communiste, part de ce qui estcommun à tous, et donc de ce qui est universel. L'identité, en politique,est toujours rétrograde et menaçante.

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« La contradiction principale de notremonde est entre sa construction

oligarchique autour des détenteurs de capitaux, et sa construction égalitaireautour de l'idée d'un monde commun. »

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Nous pouvons ainsi récapituler enquatre points notre vision et notreproposition :1. Le « monde » du capitalismedéchaîné et des démocraties richesest de plus en plus, depuis le reculdésastreux de l'idée communiste,engagé dans une voie négative. Nereconnaissant l’unité que des pro-duits et des signes monétaires, ilrejette la majorité de l’humanitédans un « autre » monde dévalué,dont il se sépare par des murailles

et par la guerre. Il n'y a que desmurs, des noyades, des haines, desguerres, des zones de pillage, deszones abandonnées, des zones quise protègent de tout, des zones detotale misère… et sur ce chaos pros-pèrent les idéologies criminelles.

2. Donc, affirmer l'unité fondamen-tale du monde, et ne concevoir l'ac-tion politique qu'au niveau inter-national, est un principe d’action,

un impératif politique. Ce principeest aussi celui de l’égalité, en toutlieu, des existences.

3. Le principe internationaliste necontredit pas le jeu infini des iden-tités et des différences. Il entraîneseulement que les identités subor-donnent leur dimension négative(l’opposition aux autres) à leurdimension affirmative (le dévelop-pement du même).

4. La masse des ouvriers étrangers etde leurs enfants témoigne dans nos

vieux pays fatigués de la jeunessedu monde, de son étendue, de soninfinie variété. C’est avec eux ques’invente la politique à venir. Sanseux nous sombrerons dans laconsommation nihiliste et l’ordrepolicier. Nous nous laisserons domi-ner par les petits lepénistes et leursflics, comme une partie du peupleaméricain croit voir son salut dansle brutal milliardaire qu’est Trump.

Certains objectent que tout cela estbien beau, mais que l'ennemi capi-taliste est puissant, peut-être mêmetout puissant, et que ce que nous dési-rons imposer contre sa toute-puis-sance n’arrivera jamais.À ceux-là, il faut dire et redire unpoème de l'écrivain communiste alle-mand Bertolt Brecht :De qui dépend que l’oppressiondemeure ? De nous.De qui dépend qu’elle soit brisée ? Denous.Celui qui s’écroule abattu, qu’il sedresse !Celui qui est perdu, qu’il lutte !Celui qui a compris pourquoi il en estlà, comment le retenir ?Les vaincus d’aujourd’hui sont demainles vainqueursEt jamais devient : aujourd’hui.Celui qui vit encore ne doit pas dire :jamais !Ce qui est assuré n’est pas sûr.Les choses ne restent pas ce qu’ellessont.Quand ceux qui règnent auront parlé,Ceux sur qui ils régnaient parleront.Qui donc ose dire : jamais ? n

*Alain Badiou est philosophe.Il est professeur émérite de philoso-phie à l’École normale supérieure.

« affirmer l'unité fondamentale du monde,et ne concevoir l'action politique qu'au

niveau international, est un principed’action, un impératif politique. »

« guerre au terrorisme » : solutiondangereuse à un problème mal poséLa nouvelle martialisation du discours-terrorisme déplace le concept de guerreet enferme ce que l’on veut appeler le terrorisme d’une part et l’antiterrorismed’autre part dans un cycle ascensionnel de la violence que plus rien ne sem-ble pouvoir arrêter.

PAR PHILIPPE BONDITTI*

l e choix – car c’en est un – d’en-gager plus avant la France dansla « guerre au terrorisme » a sus-

cité de nombreuses réactions et devifs débats. Une première discussiona porté sur l’opportunité de recou-rir à l’appareil militaire et aux forcesarmées pour répondre aux attaquesdites « terroristes ». Une seconde a étél’occasion d’interroger l’usage mêmedu concept de « guerre » pour décrireet désigner les formes d’hostilités

engagées dans le cycle infernal terro-risme/antiterrorisme. Deux ques-tions, étroitement liées entre elles,sous-tendent ainsi ces débats. La pre-mière a trait aux moyens susceptiblesd’être mobilisés pour lutter contrele « terro risme ». Doivent-ils êtreexclusivement policiers et judiciaires,ou bien doit-on (désormais) recouriraux forces armées ? Et quelle place,en outre, doit être donnée au rensei-gnement, et à quel renseignement :militaire (DGSE, DRM) ? Policier(DGSI) ? Les deux ? Et dès lors com-

ment, puisque l’échange d’informa-tion entre services de renseignementmilitaire et policier répond à desrègles strictes garantes de l’État dedroit ? La seconde question ne portepas tant sur les moyens de la luttecontre le terrorisme, que sur la qua-lification des actes et les manièrespossibles de nommer la violence miseen jeu : cette violence qui surgit brus-quement et que nous voulons dire« terroriste », et celle aussi des Étatslorsque ces derniers, par la voix deleurs représentants légitimes, disent s

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« répondre au terrorisme. » Dans cesjeux de qualification, la martialisa-tion de ce que nous appelons le « dis-cours-terrorisme » contribue à dépla-cer le sens même de la guerre d’unemanière qui appelle à repenser l’an-titerrorisme à sa racine.

QualiFication etdéFinition du problèmeComme en toute matière, le choix desmoyens de la lutte contre le terrorismedépend de la qualification et du sensque l’on donne aux termes du pro-blème à traiter. C’est bien pourquoil’action est toujours précédée delongues et souvent vives discussionsqui visent la qualification et la défi-nition des problèmes. En matière de

« terrorisme », tout pousse à croireque le problème est mal posé depuisle départ. Les efforts définitionnels,nous le savons, n’ont jamais débou-ché sur une réponse satisfaisante.Jamais la question de savoir si la vio-lence ainsi nommée relevait du crimeou de la guerre n’a été clairement tran-chée. Certainement les États se sont-ils progressivement dotés d’une défi-nition juridique du terrorisme : lesÉtats-Unis dès 1978, la France un peuplus tard, en 1986, à la suite desactions violentes conduites par legroupe Action directe sur le sol natio-nal. Pour autant, et comme l’ont dés-ormais bien montré de nombreux tra-vaux, jamais la violence ainsi qualifiéen’a été assimilée absolument à uncrime de droit commun ou à la guerre,ni les moyens militaires totalementécartés de la lutte contre le terrorisme.

La raison en a été que la violence dite« terroriste » a toujours été considé-rée comme une violence aux motiva-tions fondamentalement politiquesdans la mesure où, par-delà ses vic-times immédiates, ses entrepreneursvisaient en fait les structures de l’Étatou ses représentants. Considérécomme violence politique, le « terro-risme » ne pouvait donc être traitécomme un crime de droit commun,mais tant qu’il n’était pas non plus le

fait de soldats en uniforme apparte-nant à l’armée régulière d’un État, iln’a pu être totalement assimilé à laguerre malgré les nombreuses tenta-tives des milieux militaires états-uniens d’en faire une forme renouve-lée de la guerre dont ils défendaientdans les années 1970 et jusqu’audébut des années 1980 qu’elle étaittéléguidée par Moscou à l’échelle pla-nétaire. Ni vraiment crime, ni totale-ment guerre, le concept bâtard de ter-rorisme – bâtard, au sens plein etpremier de ce qui est de caractèreintermédiaire entre deux genres dif-férents – s’est progressivement ins-tallé dans le discours politique etmédiatique et au cœur des savoir-fairepoliciers, militaires et de renseigne-

ment. Il donna naissance à une formehybride et renouvelée d’interventioncoercitive des États, aujourd’huiencore largement en formation : l’an-titerrorisme.

Si, en matière de lutte contre le ter-rorisme, la France a toujours fait valoiren priorité des moyens policiers etjudiciaires plutôt que militaires, cesderniers n’ont pour autant jamais ététotalement absents de la réponse anti-

terroriste. Ainsi, faut-il le rappeler,depuis les attentats à la station RERSaint-Michel à Paris en 1995, les forcesarmées sont mobilisées en continusur le sol national dans le cadre duplan Vigipirate, récemment renforcépar l’opération Sentinelle lancée en

2015. Certes, en 2003, la France s’étaitopposée à l’intervention militaireétats-unienne en Irak par la voix deson Premier ministre de l’époqueDominique de Villepin à l’occasiond’un discours aux Nations Unies restécélèbre. Mais dix ans plus tard, c’estbien la France qui lança ses opéra-tions militaires, Serval au Mali (jan-vier 2013-août 2014), puis Barkhanedans la région du Sahel (depuis le1er août 2014), au prétexte de luttercontre le terrorisme. Depuis 2015,nous le savons, la France s’est jointeaux États-Unis pour frapper militai-rement Daech en Irak et en Syrie. Dèslors, l’année 2015 n’est pas tant celled’une militarisation de la lutte anti-terroriste qui a toujours eu sa dimen-sion militaire et même si cette der-nière s’est densifiée, que celle d’unenouvelle martialisation du discours-terrorisme après celle opérée par l’ad-ministration Bush dans les années2000.

le discours-terrorismeQu’appelle-t-on discours-terrorismeet quels sont les effets de sa martiali-sation ? Le discours-terrorisme se dis-tingue des discours sur le terrorisme.Personne ne le prononce. Il fait par-ler en équipant les commentateurs,hommes politiques, journalistes etexperts de ses catégories abstraites etautres concepts sous-spécifiés telsque « armée terroriste » ou « ennemiterroriste. » Ce faisant, il ne fait pasparler du « terrorisme » comme on lepourrait croire, mais de la violence, etplus spécifiquement encore de cesréalités de la violence qui échappentaux concepts établis du crime et dela guerre. Cette violence-là est sonunique objet. Aussi, ne parle-t-onjamais du terrorisme, mais de vio-

lence et au moyen du concept de ter-rorisme autour duquel s’agrègent lesrécits sur le terrorisme depuis plusd’un demi-siècle. C’est là une nuancecruciale pour la compréhension dece qui arrive. Elle suggère en effet dedéporter l’analyse de l’univers des

« Comme en toute matière, le choix desmoyens de la lutte contre le terrorisme

dépend de la qualification et du sens quel’on donne aux termes du problème à

traiter. En matière de “terrorisme”, toutpousse à croire que le problème est mal

posé depuis le départ. »

« L’année 2015 n’est pas tant celle d’une militarisation de la lutte antiterroriste

qui a toujours eu sa dimension militaire et même si cette dernière s’est densifiée,

que celle d’une nouvelle martialisation du discours-terrorisme après

celle opérée par l’administration Bush dans les années 2000. »

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réalités de la violence au continentdu discours au sein duquel s’opèredepuis le milieu du XXe siècle un nou-veau partage de la violence opéré parle concept de « terrorisme » ; conceptqui prend place à l’intérieur du dis-cours moderne sur la violence tel quece dernier s’est historiquement trouvéaccrédité en distinguant le crime etla police d’un côté, la guerre et le mili-taire de l’autre.

La nouvelle martialisation du dis-cours-terrorisme à laquelle nous assis-tons depuis 2015 et dont le conceptde « guerre au terrorisme » est l’unedes expressions (avec aussi ceux« d’ennemi terroriste » ou « d’arméeterroriste ») a deux effets étroitementliés entre eux : il déplace le conceptde guerre et enferme ce que l’on veutappeler le terrorisme d’une part etl’antiterrorisme d’autre part dans uncycle ascensionnel de la violence queplus rien ne semble pouvoir arrêter.Eu égard au déplacement du conceptde guerre, il convient avant toutechose d’écarter l’argument selonlequel on ne pourrait pas nommer« guerre » l’enchaînement de la vio-lence tel qu’il s’établit depuis unequinzaine d’années dans le cadre ducycle terrorisme/contre-terrorismepour cette raison qu’il ne mettrait pasaux prises les armées convention-nelles d’États entre eux. Un tel argu-

ment ne résiste pas à l’analyse histo-rique et conceptuelle. La guerre eneffet, comme mot et comme conceptà la fois, a existé bien avant que sesréalités matérielles ne prennent laforme de la guerre moderne, c’est-à-dire bien avant que la guerre nes’identifie absolument et exclusive-ment à la guerre interétatique. Rien,dès lors, n’interdit de penser, et toutindique même que la guerre est denouveau en train de se muer, de pren-dre de nouvelles formes faisant qu’elleéchappe chaque jour un peu plus àson concept moderne.

Dans ce contexte, la martialisation dudiscours-terrorisme, avec sesconcepts d’ « ennemi terroriste » oud’ « armée terroriste », tente derecréer sémantiquement ce qui fai-sait la caractéristique de la guerre àl’époque mo derne, mais déplace enfait le concept de guerre d’unemanière inquiétante. Jusqu’à uneépoque récente, en effet, ce conceptdésignait un duel entre entités poli-tiques assimilables entre elles dudouble point de vue de leur forme(États territoriaux) et de leur statutdans la guerre (ennemi). La théori-sation clausewitizienne de la guerreavait ainsi posé l’unité des belligé-rants sous le concept d’ennemi : ilsse différenciaient dans la guerre enacte (quand l’un attaque, l’autre

défend et inversement), mais s’iden-tifiaient sous le concept d’ennemitant qu’ils étaient chacun l’ennemide l’autre. Aussi existait-il dans lathéorisation moderne/clausewit-zienne de la guerre, d’une part unprincipe de réciprocité dont RenéGirard a bien montré qu’il était à lafois ce qui provoquait et suspendaitla montée aux extrêmes, d’autre partun principe de symétrie par lequelles belligérants se reconnaissaientl’un l’autre et qui autorisait de pou-voir mettre un terme à la guerre ensignant avec son ennemi un traité depaix. Ainsi la guerre était-elle bornéedans le temps. En appliquant leconcept de guerre à la lutte contre leterrorisme dans laquelle aucunesymétrie n’existe (États vs réseaux),pas même une dissymétrie, la mar-tialisation du discours-terrorismelève ainsi tous les principes d’auto-limitation avec lesquels la guerremoderne avait pu fonctionner. Ellenous laisse dans la guerre, une guerreoù chacun des belligérants chercheà éradiquer l’autre et dont personnene peut dire aujourd’hui si elle s’ar-rêtera un jour.n

*Philippe Bonditti est docteur ensciences politiques. Il est maître deconférences à l’université catholiquede Lille.

les déFis de l’après-daech en irakau fur et à mesure que des avancées interviennent dans les batailles contredaech, notamment celles de libération de la deuxième ville irakienne, mossoul,et que la défaite militaire totale semble envisageable dans un futur proche, lesspéculations vont bon train à propos des menaces et des opportunités aux-quelles vont faire face l’irak en premier lieu, mais aussi la région.

PAR RAID FAHMI *

la sécuritéet la paix civilePour l’Irak, les défis après la libéra-tion des territoires conquis par Daechsont énormes. Les plus immédiatsportent sur la capacité des servicesde sécurité à localiser et à mettre horsd’état de nuire les cellules terroristesdormantes et à empêcher Daech dese reproduire ailleurs en Irak sousd’autres formes ; assurer le retour des

centaines de milliers de personnesdéplacées dans leurs villes et leurshabitations, remettre rapidement enétat le minimum requis pour la res-tauration de la vie normale, et trou-ver les fonds et les ressources néces-saires pour la reconstruction des villeset villages dévastés d’où Daech a étéchassé.

À cela s’ajoutent des questions et desproblèmes plus graves, plus compli-qués d’ordre politicosocial et institu-tionnel qui pourraient porter atteinte

à la structure de l’État irakien, à laconfiguration des forces politiques,les rapports de pouvoir et à la paixcivile. Bien que la probabilité d’uneremise en cause des frontières issuesdes accords secrets de Sykes-Picot,conclus en 1916 entre la France et laGrande-Bretagne sur le partage duProche-Orient, s’est amenuisé, le pro-jet demeure de restructurer l’État ira-kien en un État fédéral constitué derégions disposant de larges pouvoirset d’un gouvernement fédéral doté depouvoirs réduits, qui peut avoir le sou- s

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tien de certains pays voisins et desÉtats-Unis. Plus concrètement, con -cer nant le statut administratif de Mos-soul, les équipes qui doivent prendrele relais en matière de sécurité et degestion des affaires de la ville après leretrait de l’armée et des forces depolice fédérale font l’objet de projets

différents qui se disputeront l’in-fluence sur la détermination de l’ave-nir de Mossoul.

Par ailleurs, les rapports entre le gou-vernement central et le gouverne-ment régional du Kurdistan peuventêtre envenimés par le refus des forcesde Peshmergas de se retirer des « ter-ritoires contestés » que les forceskurdes ont libérés de Daech. Ces ter-ritoires sont soumis aux dispositionsde l’article 140 de la Constitution ira-kienne qui prévoit une procédure deréférendum pour permettre à lapopulation de se prononcer sur le rat-tachement à la région autonome duKurdistan.

la Question de laréconciliation L’après-Daech posera la question deréconciliation nationale et sociétaled’une manière plus urgente au vu desdéchirures dans le tissu social cau-

sées par les crimes horribles et lesexactions perpétrées par les hordesde Daech contre l’ensemble de lapopulation, notamment contre lesfemmes et les minorités ethniques etreligieuses.La future intégration des formationsparamilitaires de la « Mobilisation

populaire », à domination chiite, ausein des forces armées suscitequelque inquiétude quant au rôlequ’elles peuvent, ou vont, jouer si ellesdevenaient une force parallèle à l’ar-mée.Sans sous-estimer les difficultés, lacomplexité et les incertitudes qui

caractérisent la situation du paysaprès Daech, les victoires militairesremportées contre l’organisation ter-roriste mettront le pays dans unemeilleure disposition pour affronterles défis qui émergeront. Cependant,pour que la victoire militaire se trans-forme en victoire politique qui met-

trait le pays sur la voie de l’éradica-tion des sources du terrorisme, la res-tauration de la paix, de la stabilité etde la reconstruction et du dévelop-pement, un ensemble de conditionspolitiques, économiques, sociales,culturelles et médiatiques doit êtreréunies.

un modèle degouvernementgénérateur de crisesOr le pays connaît une crise de naturestructurelle profonde. Les causes sontmultiples, mais la principale résideactuellement dans un mode de gou-vernement fondé sur le partage eth-nique et sectaire des pouvoirs, l’ins-trumentalisation des identitésconfessionnelles et religieuses dansla vie politique, et dans la construc-tion, le fonctionnement et la conduitede l’État. L’expérience des douze der-nières années a montré de manièreconcluante les inepties et l’incapa-cité de ce modèle de gouvernement

à apporter des solutions aux pro-blèmes du pays. Bien au contraire, ila été générateur de crises, un terreaupour la corruption, incitateur deconflits incessants entre les partis etles groupes politiques au pouvoir,pour le partage des pouvoirs et desprivilèges.

« Les victoires militaires remportéescontre l’organisation terroriste mettront lepays dans une meilleure disposition pour

affronter les défis qui émergeront. »

DOSSIER

« un mouvement populaire de protestation se poursuit sans

interruption depuis dix-huit mois. »

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QUELLE POLITIQUE ( VRAIMENT)ANTITERRORISTE ?

De plus en plus d’Irakiens rejettentce système de gouvernement, ainsique ceux qui le dirigent. Ils sont encolère contre la « classe politique »qu’ils tiennent pour corrompue,incompétente et avide. Une partie dela population a un sentiment de frus-tration quant à la possibilité de délo-ger les forces au pouvoir, en raisondes énormes moyens politiques etfinanciers dont elles disposent ; enraison aussi de leur emprise sur lesmédia et du soutien de puissancesétrangères.

vers un état civildémocratiQueUn mouvement populaire de protes-tation se poursuit sans interruption

depuis dix-huit mois. Ses principauxmots d’ordre sont l’exigence deréformes politiques profondes et detous les pouvoirs, la traduction desresponsables politiques corrompusen justice, l’amélioration des servicespublics qui sont en piteux état, etl’établissement d’un État civil démo-cratique.À l’issue de son Xe congrès qui s’esttenu en décembre dernier, le Particommuniste irakien appelle au chan-gement vers un État civil démocra-tique et la justice sociale. Mais le pas-sage de l’État actuel à un État fondésur le principe de citoyenneté ne peutse réaliser sans des modifications pro-fondes dans les rapports de forces enfaveur des forces civiles démocra-

tiques, et sans le reflux de la vague deconfessionnalisme politique qui adétenu les principaux leviers du pou-voir au cours des dix dernières années.Une telle perspective exige l’unitéd’action des partis, des forces et despersonnalités démocratiques, l’ac-croissement de la pression populaireet le développement des mouvementssociaux. Les communistes irakiens etleurs alliés dans le mouvement démo-cratique sont en première ligne danscette lutte. n

*Raid Fahmi est ancien ministre ira-kien des Sciences et Technologies ; Ilest membre du Parti communisteirakien.

comment assécher le Financement du terrorismeLes groupes terroristes ont recours à des méthodes de financement qui,pour être endiguées, exigent clarté et courage politique.

PAR ÉLIANE ASSASSI*

l a question terroriste fait désor-mais partie, et c’est regrettable,de notre quotidien. Les attaques

auxquelles la France et les autres paysont dû faire face ces dernières annéessont notamment le fait d’un terrorismeorganisé et transfrontières. Parce qu’il procède de l’emploi sys-

tématique de la violence à grandeéchelle, et ce, ne l’oublions jamais,afin d’atteindre un but politique, leterrorisme a besoin de ressources.Après la chute du mur de Berlin, ladéréglementation progressive desmarchés économiques et financiers,mais aussi le développement desréseaux numériques ont permis l’es-sor d’un terrorisme international, se

finançant voir agissant dans les autrespays.Pourtant, parmi tous les dispositifsmis en œuvre année après année pourlutter contre le terrorisme, on ne peutque constater la faiblesse des mesuresvisant à s’attaquer à son financement.Jean- François Daguzan, chercheur àla Fondation pour la recherche stra-tégique, évoquant les décisions prises

après le 11 septembre, relevait que la« lutte contre le financement desgroupes activistes est le parent pau-vre du combat global contre le terro-risme international ». Cela semble êtretoujours le cas aujourd’hui. Il s’agit ainsi de mettre en œuvre devéritables dispositifs qui permettraientd’assécher les racines financières duterrorisme. Pour cela, il est nécessaire

de prendre la mesure de la diversitédes modes de financement, qui appelledonc des réponses adaptées. C’est ainsique la méthode du « micro-finance-ment » s’est développée. Néanmoins,les groupes terroristes ont aussi recoursà des méthodes de financement plus« traditionnelles », qui, pour être endi-guées, exigent clarté et courage poli-tique.

ce nouveau terrorisme en « Facilité de paiement » si diFFicile à détecterPhénomène nouveau, certainesactions sont menées avec très peu demoyens, via une stratégie de micro-financement. La décision d’aller fairele djihad ou encore d’organiser uneaction de façon quasi individuelle,comme ce fut les cas des attaques dejanvier 2015, constitue ce que notrepropre ministre des Finances a appeléun « terrorisme à bas coût ». Sontmobilisées alors de nombreusespetites ressources comme des écono-mies personnelles ou familiales, descrédits revolving ou à la consomma-tion. Ce fût le cas d’Amedy Coulibalyqui avait contracté, afin de se procu-rer armes et véhicule, un crédit à la consommation à hauteur de

« Les groupes terroristes profitent de la réticence de la communauté

internationale à mettre en place une véritable transparence financière

des flux de capitaux. »

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6 000 euros. Le blanchiment de proxi-mité par Internet, via l’usage de lamonnaie virtuelle bitcoin, ou mêmevia le recours à un crowdfounding estaussi de plus en plus utilisé par lesterroristes afin de financer leursplans !

donner des moyens au système d’enQuêtejudiciaire Avec ces méthodes quasi invisibles,les individus peuvent facilement pas-ser inaperçus. Pour cause, même siun plan d’action nationale contre lefinancement du terrorisme a étédécidé il y a quelques mois, les agents

des services de renseignement finan-ciers du Traitement du renseignementet action contre les circuits financiersclandestins (TRACFIN) ne disposentpas encore de moyens adaptés pourêtre véritablement efficaces. La loi du3 juin 2016 relative à la lutte contre leterrorisme, le crime organisé et leurfinancement, a ainsi instauré de nou-veaux seuils de vigilance concernantles retraits en liquide, les transfertsd’argent, voire les cartes prépayées. Mais deux écueils, et non des moin-dres, demeurent dans ce dispositif.D’une part, TRACFIN ne peut tou-jours pas s’autosaisir d’un cas sus-pect. Ainsi, l’alerte relève de la res-ponsabilité des organismes financiersqui, selon la norme internationalecontre le blanchiment d’argent, ontun devoir de vigilance et l’obligationde transmettre aux autorités unedéclaration de soupçons. Si l’on neveut pas présupposer un manqued’honnêteté des organismes ban-caires et assuranciels, on peut douterde l’entière efficacité du dispositif,ceux-ci pouvant manquer un mou-vement trouble faute de temps ou demoyens. D’autant que la techniquedu smurfing qui consiste à fraction-ner les virements et retraits pour pas-ser au-dessous du seuil légal d’alerteest de plus en plus employée. Autreécueil, et il s’agit là d’un problème quitouche des domaines qui vont bienau-delà du financement du terro-risme : les renseignements financiers

n’ont un intérêt que dans le cas où ilssont partagés. Et ce n’est malheureu-sement pas toujours le cas, car ledépartement judiciaire de la Direc-tion générale de la Sécurité intérieure(DGSI) ne dispose pas des moyenshumains nécessaires afin de pouvoirprendre en charge l’intégralité desdossiers qui leur sont transmis parTRACFIN.

mettre au pas la Finance internationale Si les financements à très petiteséchelles semblent donc très difficilesà endiguer, il en va de même pour lesressources plus traditionnelles. Mais

pas pour les mêmes raisons. Les Étatsparaissent même parfois peu enclinsà condamner, voire à contrôler destransferts de fonds pourtant issus detrafics relevant de la criminalité orga-nisée, source plus commune de finan-cement du terrorisme : contrebande,trafic d’êtres humains, de drogue,vente d’armes…

Ainsi, les groupes terroristes profitentde la réticence de la communautéinternationale à mettre en place unevéritable transparence financière desflux de capitaux. La lutte contre leblanchiment d’argent, et donc, contrele terrorisme, pâtit ainsi de l’absencede politiques volontaristes afin d’in-terdire les paradis fiscaux. La dernièreaffaire Swissleaks, qui a dévoilé desfichiers appartenant à la HSBC Pri-vate Bank, dont certains comptesétaient ceux de « trafiquants d’armeset de stupéfiants, ainsi que des finan-ciers soupçonnés d’accointances ter-roristes », nous prouve une fois encoreque la lutte contre les paradis fiscaux,

et l’interdiction des sociétés écranssont plus que jamais nécessaires.

diplomatie cohérente ou gros contratsPar ailleurs, rien n’est fait pour dénon-cer le jeu obscur des pays relais,notamment les pétromonarchies dontl’action est de notoriété publique etfait l’objet de nombreuses enquêtesdocumentées. Au contraire, des payscomme la France sont on ne peut pluscomplaisants… Et pour cause, notrepays a signé en octobre 2015 descontrats d’armements pour un mon-tant de 10,3 milliards de dollars. Le juged’instruction David Bénichou, du pôleantiterroriste de Paris, regrette d’ail-leurs de ne toujours pas disposer de lapossibilité de « lancer des enquêtesindépendantes visant les grands argen-tiers qui sont abrités par des États decomplaisance avec la possibilité deconfisquer leur patrimoine en France ». Je ne reviendrai pas sur le cas inéditde l’organisation État islamique qui,par le biais de la conquête territo-riale, a trouvé le moyen de disposerde ressources financières stables,renouvelables, et difficiles à assécher(voir le choix cornélien devant lequels’est trouvé le gouvernement irakienqui, un temps, avait pensé à arrêterle versement des pensions aux per-sonnes vivant dans les territoiresconquis par l’EI). Enfin, au-delà de s’attaquer à sonfinancement, il demeure certain, ànotre sens, que lutter contre le terro-risme, c’est aussi offrir des perspec-

tives d’avenir heureuses et émanci-patrices. Pour cela, il est nécessairede remettre les véritables enjeux denotre société au cœur du débat poli-tique : ceux du racisme, du déclasse-ment, des inégalités sociales et éco-nomiques. n

*Éliane Assassi est sénatrice (PCF)de Seine-Saint-Denis. Présidente dugroupe CRC du Sénat, elle est mem-bre de la Commission d'enquêtesénatoriale sur l'organisation et lesmoyens de la lutte contre les réseauxdjihadistes en France et en Europe.

« Le blanchiment de proximité par internet, via l’usage de la monnaie

virtuelle bitcoin, ou même via le recours à un crowdfounding est aussi

de plus en plus utilisé par les terroristes afin de financer leurs plans ! »

« rien n’est fait pour dénoncer le jeuobscur des pays relais, notamment lespétromonarchies dont l’action est de

notoriété publique et fait l’objet denombreuses enquêtes documentées. »

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QUELLE POLITIQUE ( VRAIMENT)ANTITERRORISTE ?

ENTRETIEN AVEC LAURENCE BLISSON*

Quand un attentat est commis surnotre territoire, à quel moment la jus-tice est-elle saisie ? Quel est son tra-vail ?À partir du moment où l’attentat estcommis sur notre sol, une interven-tion policière est organisée visant àprotéger les victimes mais égalementà mettre en place une enquête pourdéterminer l’identité des auteurs etles interpeller au plus vite.Dans ce cadre, l’action des policiersest coordonnée par le procureur dela République car l’autorité judiciairepeut être amenée à prendre desmesures qui nécessitent son inter-

vention : perquisition de nuit, écoutetéléphonique, géolocalisation desvéhicules, etc. C’est le procureur quidécide de l’orientation à donner à laprocédure. Le code de procédurepénale rend obligatoire la saisine d’unjuge d’instruction pour tous les crimes– les actes qualifiés comme tels par lecode pénal : les meurtres, les assassi-nats, etc., et donc en l’occurrence lesattentats.Le procureur de la République peutaussi décider de saisir un juge d’ins-truction dans le cas d’une associationde malfaiteurs à visée terroriste. Dansce cas, l’enquête est menée par unjuge d’instruction, qui est un jugeindépendant dans ses conditions denomination. Dans le cadre des pro-cédures d’instruction, les personnesmises en examen peuvent être pla-cées en détention provisoire, desmesures d’écoute téléphonique peu-vent être mises en place sur desdurées plus longues.Ici, ce qui est important, c’est que lesservices de la justice ne sont pas seu-lement saisis pour les attentats com-mis. Ils sont parfois aussi saisis de pro-

jets d’attentats ou d’associations demalfaiteurs à visée terroriste, c’est-à-dire la mise en examen ou la condam-nation de personnes qui ne sont paspassées à l’acte.

comment sont organisées la justice etla police antiterroriste ?En France, le parquet, les juges d’ins-truction antiterroriste et les jugesd’application des peines antiterro-ristes sont centralisés à Paris. On adonc une centralisation et une spé-cialisation en la matière qui est éga-lement vraie pour les services depolice avec plusieurs services depolice chargés de l’antiterrorisme : laDGSI (Direction générale de la sécu-rité intérieure), la SDAT (Sous-direc-

tion antiterroriste), l’UCLAT (Unitéde coordination antiterroriste).Cela n’est pas sans poser des pro-blèmes sur le plan politique. En effet,la centralisation conduit à un fonc-tionnement en vase clos dans lequella forte proximité organisée entre lesservices de police , les services de ren-seignement, le parquet de Paris et lesjuges d’instruction chargés de ces

contentieux fait naître le risque d’unamoindrissement du contrôle exercépar les autorités judiciaires sur lesactivités de police.On peut donc s’interroger sur la per-tinence d’une telle organisation etenvisager, au contraire, des juridic-tions nationales disposant à la foisd’une spécialisation et d’une connais-

sance approfondie du terrain. Un cer-tain nombre de « foyers» ne sont pasparisiens et la connaissance desréseaux de délinquants locaux, parexemple, peut être utile.

la justice est-elle suffisamment outil-lée pour répondre au phénomène ter-roriste ?La France est un des pays dans les-quels l’arsenal répressif antiterroristeest extrêmement développé. Nousn’avons pas grand-chose à envier auxÉtats-Unis. C’est en 1986 que naîtl’édifice juridique antiterroriste.Depuis cette date, plus d’une ving-taine de lois sont venues étoffer le sys-tème pénal antiterroriste. Il fonctionnepar dérogation au droit commun etest censé préserver un équilibre entrela protection des libertés individuelleset les possibilités d’atteinte en matièrede pouvoir de police, de durée desdétentions provisoires et des gardes àvue. Dans les faits, il y a clairement undéséquilibre.La répression est très large dans lamesure où elle est construite autourd’une infraction pénale retenue dansprès de trois quarts des affaires de ter-rorisme : l’infraction d’association demalfaiteurs en lien avec une entrepriseterroriste. La particularité de cette infra-ction est qu’elle vise un projet qui n’apas été mis en œuvre. Ainsi, des per-sonnes peuvent être condamnées alorsqu’en l’état rien d’illégal n’a été com-mis. Cela conduit à ce que l’on saisissetrès en amont ou à un stade de l’inten-tion des personnes qui sont condam-

nées à des peines très lourdes. Cetteinfraction a été complétée par la loi du13 novembre 2014 qui a introduit «l’en-treprise individuelle à vocation terro-riste » qui est une forme solitaire decette association de malfaiteurs. Denouveau, il n’y a pas d’actes répréhen-sibles en soi mais uniquement desactes préparatoires légaux.

la justice Française Face à l’enjeu du terrorismeLa qualification juridique de terrorisme ouvre le champ à tout un dispositif pro-cédural dérogatoire.

« L’acte terroriste c’est “Le fait d’êtreintentionnellement en relation avec une

entreprise individuelle ou collective ayantpour but de troubler gravement l’ordre

public par l’intimidation ou la terreur.” »

« Chacun des termes de cette définitionentretient un flou quant à ce qui relève

ou non du terrorisme dans la mesure où l’on parle d’une intention et d’un but. »

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Les autres éléments tiennent au choixacté en matière pénale antiterroriste :établir une liste d’infractions clas-siques et affirmer que ces infractionspeuvent constituer des actes de ter-rorisme si elles sont en relation avecune entreprise terroriste : vols, dégra-

dations (affaire de Tarnac), recels, etc.Le champ est déjà large et d’autresinfractions ont été incluses commela consultation fréquente de sites fai-sant l’apologie du terrorisme ou ladétention des biens culturels obte-nus sur le théâtre d’opérations degroupements terroristes. Toute unesérie d’infractions devenant extrême-ment périphérique.

la définition juridique de l’entrepriseterroriste est donc un véritable enjeu.pouvez-nous en dire un peu plus ?La définition de l’entreprise terroristeest tout le problème ! La liste des infra-ctions est réalisée en lien avec la défi-nition de l’acte de terrorisme. Cettedéfinition est très flexible. L’acte terro-riste, c’est « le fait d’être intentionnel-lement en relation avec une entrepriseindividuelle ou collective ayant pourbut de troubler gravement l’ordrepublic par l’intimidation ou la terreur ».Chacun des termes de cette définitionentretient un flou quant à ce qui relèveou non du terrorisme dans la mesureoù l’on parle d’une intention et d’unbut. Qu’est-ce que l’intimidation ?Qu’est-ce que la terreur ? Autant il estfacile d’identifier l’acte terroriste dansles attentats de Nice ou du Bataclan,autant d’autres actes moins évidem-ment terroristes doivent davantagenous interroger quant à leur nature. Dèslors, on peut se demander s’il est per-tinent de distinguer sur le plan pénalles actes de terrorisme des autres actes.Ce qui s’est passé au Bataclan et à Nicepeut relever d’assassinats commis enréunion. Ce sont des crimes parmi lesplus graves dans l’échelle des infractionspénales. La qualification juridique deterrorisme ouvre le champ à tout undispositif procédural dérogatoire : lesdurées de garde à vue sont allongées(jusqu’à cent vingt heures) ainsi que ladurée de la détention provisoire, lespouvoirs procéduraux (perquisitionsde nuit, les écoutes téléphoniques, infil-trations, géolocalisations) sont accrues.

Les dernières lois accélèrent ce pro-cessus dérogatoire : la loi du13 novembre 2014 et la loi du 3 juin2016 n’ont cessé de confier des pou-voirs toujours plus importants à lafois au juge d’instruction mais aussiau parquet dans le temps où la pro-

cédure est suivie par le magistrat duparquet.

comme vous l’avez expliqué l’inten-tion de l’acte suffit pour être poursuivi.n’est-ce pas nécessaire compte tenudu type de menace ?Le mécanisme de « l’association demalfaiteurs à visée terroriste » n’existepas partout en Europe et dans lemonde. Elle conduit la justice à se sai-sir à un stade qui précède l’action.Des abus avaient été constatés dansun rapport de Human Rights Watchsur la justice antiterroriste. Il expli-

quait, par exemple, que dans l’affaireChalabi ou l’affaire des Moudjahidindu peuple iranien des personnesavaient été interpellées en nombreet beaucoup placées en détentionprovisoire sur des bases extrême-ment ténues. Au final, certaines deces personnes avaient fait l’objet, soitd’un non-lieu, soit d’une relaxe. Lejuge d’instruction au pôle antiterro-riste, Jean-Louis Bruguière – aujour -d’hui élu LR –, annonçait à l’époqueque ce type d’intervention permet-tait de mettre un « coup de pied dansla fourmilière ». C’est-à-dire saisirdes gens qui ne sont pas forcémentcoupables et contre qu’il n’y a pasd’éléments ; cela permettait, selonlui, de déstabiliser des réseaux. Leproblème : la justice détient un cer-tain nombre de pouvoirs, notam-ment celui de priver les personnesde liberté en contradiction avec leprincipe de légalité. Il ne peut pas yavoir d’infraction sans définitionlégale de cette infraction.

Quel type de risque prennent nos socié-tés à se doter d'outils judiciaires de cetype?En saisissant des faits avant qu’ilsaient été commis, on court le risquede saisir des personnes qui n’auraientpas commis d’actes contre la sociétéou en tout cas d’interpeller des per-sonnes sur des éléments trop peudéterminés. L’état d’urgence vaencore plus loin dans cette logiqueprédictive. Au nom de la prévention,on aboutit à un affaiblissement totaldes critères qui justifient l’interven-tion de l’État. Les privations de libertédans le cadre de l’état d’urgence com-portent intrinsèquement le risque del’arbitraire. Un état d’urgence audemeurant inefficace : 4 200 perqui-sitions administratives et à peine 20enquêtes administratives ouvertes.Des personnes peuvent être privéesde liberté, peuvent voir leur droit àl’inviolabilité du domicile bafoué, surla base d’une vague suspicion. On voitbien ici le risque de l’arbitraire et dela discrimination à l’encontre de per-sonnes en raison de leur croyance, deleur pratique religieuse réelle ou sup-posée. Confusion dans de nombreuxcas entre ce qui relève d’une pratiquerigoriste – c’est la liberté de chacun –et le choix de la violence djihadiste.

Pour lutter contre le terrorisme, il n’estsurtout pas nécessaire et, au contraire,dangereux de renoncer à un certainnombre de garanties de l’État de droitparce que l’on aura renoncé à qui l’onest. On doit avoir la garantie que, siune personne est privée de sa libertési elle fait l’objet d’une mesure intru-sive, c’est en raison d’éléments suffi-sants. C’est tout le sens du droit à lasûreté, défini à l’article 2 de la Décla-ration des droits de l’homme et ducitoyen. Le droit à la sûreté c’est ledroit à la protection des citoyenscontre le risque de l’arbitraire del’État. Un citoyen doit avoir l’assu-rance que l’État – qui dispose demoyens de coercition extrêmementforts – ne les utilisera que dans uncadre défini par la loi, équilibré et pro-portionné. n

*Laurence Blisson est juge d’appli-cation des peines et secrétaire géné-ral du Syndicat de la magistrature.

« Les privations de liberté dans le cadre de l’état d’urgence

comportent intrinsèquement le risque de l’arbitraire. »

« un état d’urgence inefficace : 4 200 perquisitions administratives

et à peine 20 enquêtes administratives ouvertes. »

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QUELLE POLITIQUE ( VRAIMENT)ANTITERRORISTE ?

Quelles évolutions majeures ontconnues les services de renseignementdans leur organisation ?Avant la réforme de Nicolas Sarkozyen 2008, il y avait deux directions durenseignement : les RG (Renseigne-ments généraux) et la DST (Directionde la surveillance du territoire). Il yen avait également une troisième quiest spécifique à la préfecture de Paris :la DRGP (Direction des renseigne-ments généraux parisiens). NicolasSarkozy avait annoncé la fusion de la

DST avec les RG. Selon lui, ces deuxdirections réalisaient du travail endoublon et c’était une perte d’éner-gie et de moyens. Pourtant, lesméthodes de la DST et des RG étaientcomplètement différentes.Les RG font du renseignementhumain. Leurs agents voient les res-ponsables associatifs, religieux, lesélus, les chefs d’entreprise et les syn-dicalistes. 99 % des gens en France

penser les Forces de sécuritéLe terrorisme pose des questions sécuritaires évidentes que les progressistessoulèvent rarement par crainte de jouer le jeu de la droite. La Revue du projeta rencontré alexandre langlois, gardien de la paix dans le renseignement ter-ritorial et secrétaire général de la Cgt-Police, qui montre les enjeux et l’actionqui pourrait être celle d’un gouvernement de gauche.

veulent vivre paisiblement. Quand unindividu a un comportement qui peutmettre en péril la communauté àlaquelle ils appartiennent, ils peuventle signaler. Le rôle des RG était de véri-fier si cette personne restait dans leslimites républicaines de la liberté. Lesagents de la DST, en caricaturant, res-tent cloisonnés dans leur métier. Parexemple, ils portent une valise d’unpoint A à un point B, sans poser dequestions et sans connaître le sens deleur acte.

D’abord, pour faire simple, concer-nant l’information générale, NicolasSarkozy a laissé 90 % des missionsavec 10 % des effectifs. Ensuite, le ren-seignement humain des RG était untravail de très longue haleine, c’étaitun réseau de contacts important. Mal-heureusement, les contacts ne selivrent plus à ceux qu’ils ne connais-sent pas. Nous avons donc perdu enefficacité sur ce plan. Enfin, le fichier

des RG était soumis à la CNIL, il étaitconsultable en fonction des besoinsde l’agent. Dans le cadre de la DCRIla protection des libertés individuellesest plus légère.Puis la DCRI a été transformée enDGSI sous l’impulsion de ManuelValls. Cette direction est directementrattachée au Premier ministre. La loiUrvoas (2016) a transformé l’infor-mation générale en renseignementterritorial, ce qui implique plus deprévision et d’anticipation.

d’après vous, de quelle réforme du ren-seignement aurions-nous besoin ?La technologie ne remplace pas leshommes. Elle ne remplace pas lecontact humain, la connaissance deterrain, dans les quartiers, par exem-ple. Il faut remettre en place une vraiepolice de proximité en contact avecles populations. Les patrouilles depolice devraient pouvoir rentrer danstous les quartiers et discuter avec lesgens. La police de proximité de Jean-Pierre Chevènement, c’était bien maiselle ne faisait que de la prévention. Si,par exemple, un policier de proximitévoyait un jeune à moto sans casque,il n’y avait pas de course-poursuite.

« il faut remettre en place une vraie police de proximité

en contact avec les populations. »

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comment réagir après un attentat ?après la tragédie survenue à saint-Étienne-du-rouvray la municipalité a dûfaire converger dans un laps de temps très court un appel politique et uneréaction citoyenne.

ENTRETIEN AVEC HUBERT WULFRANC*

Quel effet cet événement a-t-il eu surla population locale ? Quelles ont étéles réactions ?Immédiatement, la réaction c’est lechoc. Plus que le choc, c’est l’incom-préhension. Un profond désarroiapparaît dès la tragédie et dans lesheures qui suivent.Notre responsabilité était de faireconverger dans un laps de temps trèscourt un appel politique et une réac-tion citoyenne. En effet, la multipli-cation des attentats a affaissé les réac-tions populaires. Nous avons renduun hommage le 28 juillet, deux joursaprès la tuerie dans l’église. La réac-tion était d’ampleur et très digne, lestade de la ville était plein. Mais, enmême temps, ces mobilisations pas-sent sous silence ceux qui ne se sontpas déplacés à cet hommage.

Qu’entendez-vous par « affaissementde la réaction populaire » ?Quelques jours après les attentats dejanvier 2015, des millions de per-sonnes ont défilé dans la rue. Aprèsle Bataclan, on connaît l’effroi certes– peut-être est-il plus grand encore –mais la réaction politique des masses

populaires est moins puissante. C’estpourtant à ce moment-là que se jouele réflexe républicain, progressiste etdémocratique. Il faut faire convergerles émotions sur un axe politique fort.

à la suite d’un tel événement, commentun élu local peut-il éviter la division ?En ce qui nous concerne, dans le moisqui a suivi, nous nous sommes davan-tage concentrés sur la rentrée sco-laire. C’est une étape décisive dereprise des liens entre tous. Lesfamilles se rencontrent et se côtoient,elles échangent. Et, évidemment, c’estune étape essentielle pour les enfantsqui renouent avec l’école. Nous avonsappuyé sur l’idée que, plus encorequ’hier, c’est là que tout se joue.

comment lutter contre le phénomèneterroriste ?À l’échelle d’un maire, c’est d’aborddes politiques publiques généralistesqui en aucun cas ne peuvent se subs-tituer à l’action de l’État. Les éluslocaux se démènent sur de nombreuxfronts : dans le domaine du sport, dela culture, de l’éducation et de l’édu-cation populaire. Mais nous n’avonsque peu de leviers pour agir dans ledomaine du terrorisme. Ces événe-ments requièrent une expertise poli-

cière et judiciaire qui est en dehorsde notre sphère de compétence et deconnaissance.

comment analysez-vous ce phéno-mène ?C’est la responsabilité de l’État répu-blicain qui est directement interro-gée, en matière de politique inté-rieure, dans le champ de l’économie,du social et de la sécurité.Par exemple, nous sommes le premierdes pays exportateurs de matérielsmilitaires très sophistiqués. Notrepays passe contrat sur contrat avecdes pays fauteurs de guerres régio-nales, ou de guerres civiles. Les ventesd’armes alimentent des théâtresd’opérations militaires où les factionsextrémistes et mafieuses s’alimententdirectement, étroitement liées qu’ellessont par des intérêts de pouvoir etd’argent avec des États ultraconser-vateurs. Ces factions sont dans la bou-cle de ce marché que la France est undes tous premiers à fournir et à entre-tenir. Un pays comme le nôtre nedevrait-il pas s'interroger sur le rôlequ'il joue dans le monde ? n

*Hubert Wulfranc est maire (PCF) de Saint-Étienne-du-Rouvray (76).

Il allait voir les parents et il leur disaitde resserrer la vis. En général, cela suf-fisait pour recadrer les enfants. Et siles parents étaient dépassés, les ser-vices sociaux pouvaient intervenir.Par ailleurs, ces gens pouvaient pas-ser des informations aux services surla vie du quartier. Aujourd’hui, c’estimpossible. L’organisation est pluscentralisée autour de commissariatsd’agglomération qui sont de plus enplus éloignés des populations avecdes traitements en ligne et des contra-ventions informatisées. Le contacthumain est coupé.Le modèle de Paris est intéressant. Leservice comprend à la fois du rensei-gnement du type DGSI et du type RG

dans une seule et même direction. Defait, les agents se connaissent, celafluidifie le travail. Si j’ai besoin d’uneinformation, il suffit que j’aille dansle bureau concerné, je n’ai pas besoinde formuler une demande et d’atten-dre une hypothétique réponse.

Que pensez-vous de l’état d’urgence ?était-ce un mal nécessaire ou inutileet dangereux ?Éventuellement, dans les premierstemps qui ont suivi l’attentat du13 novembre, l’état d’urgence pou-vait présenter une utilité. Les servicesont pu faire des vérifications sur cer-tains individus. Après, cela n’a faitqu’envenimer la situation. Les ser-

vices agissent par instruction inter-posée, vous devez tenir un plan, avoireffectué un certain nombre de per-quisitions par semaine pour présen-ter à la presse des résultats. Cetteméthode peut être contre-productive.Des personnes injustement traitéespeuvent vouloir se venger. D’autantplus qu’au bout d’une semaine l’ef-fet de surprise est diminué. Ceux quipréparent un coup continuent à sepréparer avec encore plus de discré-tion. Ensuite, je pense que les écoutesglobales ne servent à rien, les écoutesciblées selon l’appréciation du jugesuffisent. n

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aux membres de La Revue du projet,

avant toute chose, je voudrais vous remercier. Quelplaisir de vous lire chaque mois !La lecture des derniers numéros de l’année 2016 et dupremier numéro de l’année 2017 est en ceci riche qu’ilss’inscrivent dans un contexte d’accélération de la décom-position de notre système politique :

– après le renoncement de l’actuel Président à se pré-senter, son (ancien) Premier ministre pourrait ne pasêtre investi par le Parti socialiste. Pis encore, l’explo-sion du principal parti de gauche du pays pourraitavoir lieu, quel que soit le vainqueur qui ressort desprimaires.

– Pendant ce temps, le candidat de la droite va peut-être rejoindre la longue litanie des responsables poli-tiques des «  républicains  » mis en examen etcondamnés.

Pour l’instant, et de manière assez ironique, ce sont lesdeux (purs) représentants des maux de la scène poli-tique française qui semblent tirer les marrons du feu :

– d’une part la candidate de l’extrême droite (qui pour-tant elle aussi salarie son compagnon comme assis-tant parlementaire, hérite de la dynastie familiale etgère un parti de corrompus notoires, si l’on s’en tientau casting et non au fond politique, qu’il n’est évidem-ment pas nécessaire de rappeler ici) ;

– d’autre part le candidat « En marche ». Et là se nouetoute la contradiction de la période. Ce dernier appa-raît (trop ?) souvent comme le candidat « indépen-dant des partis » et comme le candidat « disruptif »de notre modèle politique si suranné. Jugeons surpièce :

• À peine sorti de l’Ena, à peine nommé inspecteurgénéral des Finances, à peine terminé son pantou-flage dans une grande banque, que le futur candi-dat travaille un temps pour la droite, un temps pourla gauche. Comme si choisir un bord politique consti-tuait « un plan de carrière » qu’il faudrait bien jauger.travailler pour la gauche ou la droite serait commechoisir de travailler pour airbus ou Boeing. Est-ce siinhabituel ? Poser la question c’est déjà y répondre.rappelons-nous la vidéo de Bourdieu à propos deségolène royal. si le cumul dans le temps des man-dats et des responsabilités est un vrai sujet en France,la principale caractéristique du personnel politiquetraditionnel de notre pays est en fait son « apoli-tisme » de rigueur. Certes le candidat en marche estjeune, on ne pourrait le nier, mais aurions-nous étésurpris de le retrouver bon apparatchik du Parti socia-liste (ou du Parti radical) dans une époque plus clé-mente ?

• un candidat disruptif ? Pour le moment, on ne connaîtdu programme du candidat en marche que des pon-cifs traditionnels. Est-ce surprenant ? Poser la ques-tion, c’est une nouvelle fois déjà y répondre.

Quel lien avec la Revue? Peut-être que cette drôle d’iro-nie (ou ce triste paradoxe) pourrait faire l’objet d’uneétude croisée, et la revue dispose des outils en ce sens :– comprendre comment et pourquoi les purs repré-

sentants de l’oligarchie se renforcent quand tout va àvau-l’eau,

– proposer une prise de recul historique et pointer lessimilarités.

En tout état de cause, encore merci pour vos articlesde qualité et au plaisir de vous lire le mois prochain ! n

Ana Meinex, 26 janvier 2017.

Les paradoxesde l’oligarchie

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PROPOS RECUEILLIS PAR LÉO PURGUETTE

le grand entretien

où en est le pge après deux mandatspendant lesquels un communistefrançais, pierre laurent, était son pré-sident ?Pierre Laurent s'était fixé comme objec-tifs d'approfondir les convergences poli-tiques autour d'un projet commun alter-natif à l'union européenne libérale et demettre le Parti de la gauche européennedans l'action pour en faire un acteurreconnu. Beaucoup reste à faire, maisplusieurs pas ont été franchis. Le PgEdispose d'un ensemble d'«  axes derefondation » de l'édifice européen dontle sens général est résumé ainsi dans ledocument d'orientation politique ducongrès : « L'Europe doit devenir uneunion de nations et de peuples dont lasouveraineté est respectée, dont l'ob-jectif commun est le progrès humain. »des débats « originels » demeurent surle cadre européen actuel et les moyensde le dépasser. mais tout le monde s'ac-corde sur le besoin de lutter avec desparts toujours plus larges de nos socié-tés si nous voulons changer quelquechose. C'est pour cela que dans la der-

nière période, nous avons concentrénos efforts de dialogue et de rassem-blement avec les forces progressisteseuropéennes – à travers notamment lacandidature d'alexis tsipras à la prési-dence de la Commission européenneen 2014, ou le Forum européen des alter-natives en 2015 – et même mondialesavec la structuration d'une activité inter-nationale intense. notre parti européena mené ses premières campagnes, dont

une – remarquable – sur le droit à l'avor-tement libre et gratuit en Europe.La présidence de Pierre Laurent a étéchaleureusement saluée pendant lecongrès. Je crois qu'il a su créer unebonne ambiance de travail, de confianceet d'écoute, propice aux efforts poli-tiques indispensables pour trouver des

positions communes acceptables partous, ce qui n'est pas simple avec un« parti de partis » aux histoires, traditionset sensibilités politiques différentes.C'est maintenant gregor gysi, camaradeallemand de die Linke, avec quatre vice-présidents dont Pierre Laurent, qui devrapoursuivre ces objectifs à la présidence.Et le PgE s'est doté de nouvelles struc-tures plus réactives à l'actualité politiqueet capables de s'adapter aux évolutions

de la situation en Europe. À noter la tenuechaque année d'une assemblée géné-rale, la création d'un secrétariat politiquede dix membres (dont sept femmes !).huit organisations ont « intégré » le PgElors de ce congrès, en tant que mem-bres, observateurs, ou partenaires (dontEnsemble !).

un objectifcommun pourl’europe : le progrès humainLe ve congrès du Parti de la gauche européennea eu lieu à Berlin du 16 au 18 décembre. annesabourin, membre du Comité exécutif du PgE,précise le sens des évolutions de ce « parti departis » et des combats qu’il va permettre demener.

« Le signal du congrès est celui de l'unité face à l'adversité. »

tous azimuts dans l'uE, notre boussoledemeure celle de l'émergence d'un frontcommun des forces de progrès. un frontqui peut s'élargir encore  : «  Le PgEaffirme sa volonté de travailler avectoutes les forces de gauche engagéesdans l'opposition d'austérité, mêmequand des débats les traversent sur lessolutions à la crise européenne. il affirmeaussi sa volonté de travailler avec lessociaux-démocrates qui n’acceptentpas de renoncer aux valeurs de la gaucheet refusent de relayer l’offensive néoli-bérale. Le PgE souhaite approfondir lesrelations avec les forces écologistes quine se résignent pas au “capitalisme vert”et qui partagent le souci d’allier trans-formation sociale et transformation éco-logique. »La délégation du PCF (isabelle dealmeida, Lydia samarbakhsh, annesabourin, Camille Lainé, hélène Bidard,Fabienne Lefebvre, Pierre Laurent,Patrick Le hyaric, Frédéric Boccara,Jacques maréchal, vincent Bouget,maxime Benatouil) y a joué un rôleconstructif et enthousiaste, participant

à toutes les échelles à la bonne tenuede l’événement, contribuant énergique-ment au débat de contenu et à laconception des initiatives politiquesmajeures adoptées par le congrès. noussommes intervenus essentiellement surle terrain du projet, en proposant parexemple l'organisation d'une campagnecontre la traite des femmes en Europe,ou en plaidant pour une alternative ausystème économique et monétaireeuropéen ; et pour apporter des élé-ments d'analyse sur la situation poli-tique en France, le mouvement contrela loi travail, la lutte contre le Fn.

Quels enseignements les progres-sistes du continent tirent-ils du sortfait à la grèce et du brexit ?mis bout à bout, ces deux événementsmajeurs nous indiquent l'accélérationde la crise que connaît l'union euro-péenne et les réponses que le capitalet ses représentants politiques y appor-tent. d'une part, avec la grèce, l'usagede la violence, du chantage, de la pres-sion financière pour étouffer une alter-

Que retenez-vous des échanges du congrès du pge ? de quel(s)message(s) la délégation du pcFétait-elle porteuse ?Le signal du congrès est celui de l'unitéface à l'adversité. Le « document poli-tique » a été adopté par 81 % des délé-gués. Fruit de plus d'un an de travail col-lectif, il présente une analyse communede la situation extrêmement dangereusedans laquelle se trouve l'Europe et del'impasse de la construction libérale del'union européenne. un moment histo-rique caractérisé par le Brexit, la pous-sée des forces d'extrême droite, et l'in-capacité des forces dominantes à sortirde la logique austéritaire, du tout mar-ché et de la domination de la finance.Le texte insiste alors sur la nécessitéabsolue de faire émerger une voie pro-gressiste à l'échelle européenne. Poury parvenir, le renforcement de la coo-pération et de la solidarité à gauche estindispensable. malgré des débats qui sesont polarisés en son sein, à l’aune del'expérience douloureuse de la grèceet de l'approfondissement des crises

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native sociale et démocratique. unemanifestation crue et visible de laconfrontation de classe.avec le Brexit, c'est plus pervers, c'estla tentative de faire bifurquer les classespopulaires de leurs intérêts. objecti -vement, il y a un compromis entre esta-blishment néolibéral et les forces natio-nalistes, xénophobes et populistes pourenfermer les peuples dans une alterna-tive qui ne mette pas en cause le capi-tal. Cette deuxième caractéristique s'estmatérialisée dans la question posée auxBritanniques, mais elle s'exprime à tra-vers d'autres convergences dans lessommets européens, notamment surla question migratoire.nous pouvons en tirer deux grandesleçons qui, dans le même temps nousinvitent à agir. d'abord, quand un pays,un peuple, un gouvernement progres-siste est agressé, il ne faut pas quitterle navire. nous sommes tellement ensituation d’interdépendance que celarevient à nous tirer une balle dans le pied.Concernant la grèce, voici ce que dit le

texte du congrès : « L’arrivée au pouvoird’un gouvernement de gauche en grècemontre tout à la fois que des victoiressont possibles et que le changement

des rapports de forces politiques dansun seul pays ne suffit pas. il faut ouvrirdes brèches dans les autres pays pourrenverser le rapport de force en Europe.L'expérience de la grèce est en courset le peuple grec aura à nouveau besoinde gagner des batailles européennesface à la troïka et dans l'Eurogroupe ».Les destins des peuples européens sontliés ; toute volonté émancipatrice affron-tera de puissants intérêts, nous devonstravailler à la formation de majorités poli-tiques de progrès et à l'unité des classespopulaires de nos pays. Et concernant

le Brexit, une bataille idéologique d'am-pleur est engagée, nous devons y pren-dre notre part pour sortir les peuplesdu piège que constitue la seule alterna-

tive entre poursuivre avec cette unioneuropéenne ou en sortir pour mener lamême guerre économique.

parmi les décisions prises, l'idéed'un forum annuel a été retenue. dequoi s'agit-il ?C'est un projet très enthousiasmant quivise à ouvrir un nouvel espace politiqueà l'échelle européenne. inspirée duForum de sao Paulo, notre ambition estde regrouper un panel très large de par-tis de gauche, d'organisations syndi-cales et sociales, d'ong, d'intellectuels,

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« L'Europe sera le sujet d'une des grandes initiatives nationales

de notre campagne autonome. »

depuis des semaines, plusieurs régions de France subis-sent, avec persistance, des pics de pollution de l'air qui por-tent atteinte à l'état sanitaire des populations. C'est le résul-tat de la conjonction de conditions atmosphériques par-ticulières et de certaines activités humaines liées à notremode de production actuel. Comme toujours ce sont lesfamilles des quartiers populaires qui payent plein pot carelles disposent des plus mauvais cadres et conditions devie par manque de moyens.Les mesures ponctuelles prises lors des pics de pollution,si nécessaires et utiles qu'elles soient, ne doivent pas mas-quer les conséquences des pollutions atmosphériques toutau long de l'année. des solutions pérennes sont nécessaires.Pourtant nombre de dispositifs de planification existent(plans régionaux de la qualité de l'air, plans de déplacementsurbains, zones d'actions prioritaires pour l'air…) mais leurefficacité est toute relative du fait de la faiblesse de la mobi-lisation de l'argent public.nous sommes donc bien au cœur d'enjeux de société ausein desquels les appétits financiers sont loin d'être mineurs.Que faut-il faire ? arrêter le chauffage au bois ? En finir avecle diesel ? imposer les péages urbains afin de limiter la concen-tration de véhicules automobiles en cœur de ville ?

Pour les communistes, assurer le bien-être du plus grandnombre passe par rendre à l'air sa bonne qualité au plus viteet sur la durée.L'urgence est au développement d'un ensemble de solu-tions durables parmi lesquelles : le développement dufret pour les marchandises, l'accélération de la rénova-tion thermique des logements, la modernisation constantedes modes de production industrielle, l'accroissement desprocessus des circuits courts industriels comme agricoles,la création de nouvelles filières industrielles dont celle de lamotorisation propre, tendre à la gratuité des transportsen commun et à l'amélioration de leur maillage, notammentpériurbains, au lieu d'étendre les bus macron...il est également nécessaire de bâtir de nouvelles règles de fis-calité environnementale plus incitatives et, dans le mêmetemps, d’utiliser l'argent de l'évasion fiscale pour développerla recherche afin de réduire les émissions de particules fines,les piéger, produire des véhicules propres à bas prix.Les communistes sont disponibles pour débattre de cespropositions afin que nous respirions mieux ! n

Secteur Écologie.

PUBLICATION DES SECTEURS

pollution : rendons à l'air sa bonne Qualité sur la durée

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de mouvements citoyens de toute l'Eu-rope, pour débattre, dégager des idées-forces, des actions communes visantl'émergence du « front commun desforces de progrès » évoqué plus haut. ils'agit d'envoyer un signal, un espoir, àtoutes celles et à tous ceux qui luttent,de travailler des convergences et descomplémentarités entre des forces quiévoluent dans des secteurs différents,dans des pays différents, et quiaujourd'hui butent sur leurs limites bienqu'elles aient, au fond, une certaine viséecommune : le progrès social, écologiqueet démocratique. Ce que nous propo-sons, c'est que, face aux dangers de lapériode, nous nous mettions « en tas »,libérions notre créativité, concrétisionsnos solidarités.sur la forme, tout est encore à définir.Le Forum européen des alternativestenu à Paris en mai 2015 était une pre-mière expérimentation, plus « événe-mentielle ». aujourd'hui, nous souhai-tons une construction pérenne, quipermette une continuité du travail deconvergence et ouvre la possibilité decampagnes, d'actions communes.

Chaque année, un nouveau pays pour-rait accueillir le forum. La première édi-tion se tiendra à marseille en novem-bre 2017.

comment faire vivre le débat sur l'en-jeu européen pendant les échéancesélectorales de 2017 ?À coup sûr, la question européenne seraau cœur des échéances de 2017, avec,en toile de fond, la procédure de Brexit.theresa may, la Première ministre duroyaume-uni a annoncé que le proces-sus de sortie de l'uE serait enclenchéavant la fin mars. une actualité brûlanteet pleine d'incertitude qui fera coulerde l'encre. Plus généralement, personnene peut prétendre avoir un projet pourla France sans se positionner sur l'ave-nir de l'uE et la politique européenne denotre pays.d'ores et déjà, Fillon, macron et l'ensem-ble des candidats à la primaire socia-

liste convergent sur une idée – il fautsauver ou relancer l'union européenne– et sur deux « réformes » concrètes :un renforcement du « gouvernement »de la zone euro et la construction d'uneEurope de la défense. Entendre un ren-

forcement des mécanismes de soumis-sion aux critères de stabilité et une esca-lade guerrière dans la plus grandeconfusion entre immigration, sécurité,lutte contre le terrorisme et militarisa-tion des relations internationales. il nousfaudra donc faire connaître notre fermeopposition à cet approfondissementplein de dangers de l'intégration euro-péenne.

Et si valls sort gagnant de la primaire, laconvergence avec Fillon se fera égale-ment sur l'austérité et un nouvel abais-sement du « coût du travail ». une desbatailles que nous pouvons gagner dansle débat présidentiel est de rendre majo-ritaire l'idée qu'il faut sortir de l'austé-rité et que les Français ne veulent pasd'une autre loi travail. si c'est un autrequi gagne la primaire, alors le débat dela gauche devra porter sur l'alternativeà l'austérité.Le Fn se sert du Brexit comme modèlede démarche gouvernementale endirection de l'uE. Le Pen a lissé son dis-cours mais sa logique est la suivante :aller à Bruxelles récupérer « des souve-rainetés », et en premier lieu la souve-raineté monétaire. En cas de refus, ceserait le référendum sur le Frexit.Compte tenu de la tournure que prendla sortie du royaume-uni de l'uE, il estclair que marine Le Pen peut perdre des

points. Le pourcentage de Français sou-haitant rester dans l'uE a augmenté detrois points depuis le Brexit (65 à 68 %).Bien évidemment, pour nous, la diffi-culté consistera à démontrer l'impassede son projet et les risques qu'il fait

encourir au peuple, tout en portant for-tement la critique de l'uE actuelle.L'enjeu majeur est donc de faire émer-ger une troisième hypothèse dans ledébat national : celle d'une France à l'of-fensive pour la construction d’une unionde peuples, libres, souverains et asso-ciés, investissant pour le développe-ment commun, la garantie des droitshumains élémentaires, et agissant pourchanger le cours de la mondialisation.notre projet est « original » dans le pay-sage car il est le seul à se préoccuperdu sort des travailleurs, hommes etfemmes, et des besoins sociaux. LaFrance en commun a été construiteautour de batailles prioritaires et d'ini-tiatives gouvernementales que devraitmettre en œuvre notre pays dans cetteoptique. Quelles que soient les diver-gences – et elles sont importantes –avec Jean-Luc mélenchon sur l'Europe,nous allons défendre notre vision deschoses. assumons cette différence !L'Europe sera le sujet d'une des grandesinitiatives nationales de notre campagneautonome. Enfin, concernant les légis-latives, il y a au moins deux grandes ques-tions à soulever : celle de la situation desFrançais de l'étranger et, dans le cas duroyaume-uni, qui doivent bénéficierd'une attention particulière comptetenu des annonces de theresa mayvisant une limitation de l'immigrationvenue des pays européens (300 000Français vivent outre-manche) ; et laplace du Parlement national dans lesprocessus décisionnels de l'uE. EnFrance, l'exécutif ne prend pas ses man-dats du Parlement avant les sommetseuropéens. Cette anomalie antidémo-cratique doit prendre fin ! n

« il y a un compromis entre establishmentnéolibéral avec les forces nationalistes,

xénophobes et populistes pour enfermer les peuples dans une alternative

qui ne mette pas en cause le capital. »

« Ce que nous proposons, c'est que faceaux dangers de la période, nous nous

mettions “en tas”, libérions notre créativité,concrétisions nos solidarités. »

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La rEvuEdu ProJEt

FÉvriEr 2017

PARLEMENT

les élections sénatoriales,un moment clef de la viepolitique trop souventméconnu

PAR ÉLIANE ASSASSI*

L e Sénat, pour beaucoup, est un lieu qui permetà quelques retraités de la politique de finir tran-quillement leur carrière politique au « train de

sénateur » cher à La Fontaine. Si l’influence des notablesfut le marqueur de la seconde chambre depuis la créa-tion de la chambre des pairs sous le Directoire pour maî-triser une Assemblée nationale jugée trop soumise à l’in-fluence populaire, elle areculé depuis quelquesannées, en particulier depuisl’extension de la proportion-nelle qui concerneaujourd’hui une large majo-rité des sièges au Palais duLuxembourg.

évolution liée à laproportionnelle et à la paritéLa proportionnelle liée àl’obligation de parité a per-mis un rajeunissement etune féminisation réels bienqu’encore largement insuf-fisants. La proportionnelle apermis également de restreindre l’influence d’une formede clientélisme lié à la notabilisation de la fonction, quele mode de scrutin indirect, seuls les grands électeurs,élus et délégués votant, favorise bien entendu. Là où lescrutin majoritaire à deux tours demeure, dans les dépar-tements ruraux, les jeux politiques sont parfois obscurs.Cette évolution limitée mais positive, qui n’élude en rien

la nécessite d’un chambardement démocratique dansle cadre d’une VIe République plus urgente que jamais,n’est sans doute pas sans lien avec un renforcement dudébat démocratique, du travail législatif dans cette assem-blée depuis 1958. Si la Constitution de la Ve Républiquelui confère d’emblée des compétences que peu de nosconcitoyens ont à l’esprit : examen de l’ensemble deslois dans le cadre de la « navette » parlementaire, droitde veto sur les réformes constitutionnelles soumises au

Parlement, pouvoir decontrôle similaire à celui del’Assemblée nationale(commissions d’enquête,missions d’information,question d’actualité télévi-sées, questions orales ouécrites) et droit de saisinedu Conseil constitutionneldans les mêmes conditionsque les députés, la part duSénat dans l’élaboration dela loi en particulier s’esteffectivement accrue depuistrente ans.Les statistiques produiteschaque année sur le travailsénatorial soulignent cette

grande influence. Partage à parts égales de l’examen destextes en premier lieu entre l’Assemblée et le Sénat, 65 %des amendements adoptés au Sénat retenus par les dépu-tés et, c’est important, près de la moitié des commissionsmixtes paritaires ont abouti positivement lors de la der-nière session parlementaire. La commission mixte pari-taire (CMP) est une instance qui regroupe à parité sept

Le 24 septembre prochain, la moitié des sièges du sénat sera renouvelée. Per-sonne ou presque n’évoque cette échéance importante qui concerne pour-tant la seconde chambre du Parlement qui tient une place discrète mais consi-dérable dans le meccano institutionnel français.

« dix ans après le vote de cetterévision le renforcement du poidsdu sénat dans la rédaction même

de la loi a pu être constaté ainsique la richesse des débats du

point de vue de l’étude précisedes textes et du caractèrepluraliste des échanges. »

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sénateurs et sept députés ; elle est chargée au terme dela première lecture dans le cadre de la procédure accé-lérée, ou de la seconde lecture dans le cadre de la pro-cédure normale, de proposer un texte de compromisentre les deux assemblées. En casd’échec une lecture se dérouledans chaque chambre et l’As-semblée nationale a le derniermot. Les parlementaires com-munistes ont toujours demandéla suppression de cette instance,peu transparente qui confie unpouvoir exorbitant à l’assembléeélue au suffrage universel indi-rect.L’expérience a montré que lorsde l’accession de la gauche aupouvoir, le poids du Sénat dansles institutions et son caractèresempiternellement conservateur,à l’exception de l’intervalle 2011-2014 où la gauche avaitarraché une courte majorité, ont trop souvent servi deprétexte au renoncement. Le Sénat se transforme alorsen chambre du consensus entre une gauche sans déter-mination et la droite.

la réForme constitutionnelle de 2008Cette réforme a, à mon sens, accru l’influence du Sénat.En effet, elle a pour la première fois placé au cœur d’unerévision constitutionnelle la« rationalisation » du travail par-lementaire, c’est-à-dire son accé-lération. L’objectif, confirmé parFrançois Hollande cet automneétait de mieux légiférer sans per-dre de temps dans d’inutilespalabres. On l’aura deviné cetteadaptation de l’institution à uneinflation législative réelle, deuxmille pages de projets de loi paran, à la fin des années 1990contre quatre mille aujourd’hui,inflation due aux bouleverse-ments des normes résultant dela dérégulation tous azimuts, apour première conséquence de remettre en cause le plu-ralisme et la qualité du débat qui en résulte y comprissur le plan de l’élaboration de la loi du point de vue pure-ment technique. En 2008 cette « rationalisation » absurdedu point de vue démocratique, a été poussée à l’extrêmequant à l’organisation des débats à l’Assemblée natio-nale. L’instauration de la règle du crédit-temps qui limiteimpérativement le débat dans sa durée a vidé fortementla qualité, voire l’existence de l’examen des articles desprojets de loi, les groupes préférant réserver leur peu detemps pour la discussion générale.Cette règle du crédit temps ne s’applique pas au Sénat.

La raison donnée est l’impossibilité pour les sénatriceset sénateurs de renverser le gouvernement à la différencedes députés. La vraie raison est sans doute dans la volontéde museler l’expression démocratique dans l’assemblée

demeurant malgré tout la pluspuissante et qui conserve sur lestextes politiquement cruciaux ledernier mot. Cette nouvelle orga-nisation des débats cumulée avecle tristement célèbre article 49-3de la Constitution interroge surl’état réel de la démocratie par-lementaire en France.

un paradoxePrès de dix ans après le vote decette révision, le renforcementdu poids du Sénat dans la rédac-tion même de la loi a pu êtreconstaté ainsi que la richesse des

débats du point de vue de l’étude précise des textes etdu caractère pluraliste des échanges. Il s’agit d’un para-doxe difficilement acceptable, celui d’une assemblée aumode de désignation discutable, qui prend le dessus surle plan de la qualité du débat démocratique.Le Groupe communiste républicain et citoyen (CRC) apu et dû développer dans ce contexte une grande rigueurd’activité en portant sur tous les textes, dans tous lesdébats la voix du peuple.

Notre travail est utile pour aler-ter, je pense en particulier auxdiscussions sur la loi Macron, etaccompagner les luttes, les por-ter dans l’hémicycle, et là,j’évoque la loi El Khomri dontnous demandions encore l’abro-gation, le 11 janvier dernier.Maintenir la présence au plushaut niveau possible du Groupecommuniste républicain etcitoyen le 24 septembre prochainest donc un enjeu de taille. Le défiest réel au regard des résultatsdes dernières élections locales etdu nombre important de sièges

renouvelable dans notre groupe : 19 sur 21.Il ne s’agit pas d’un simple enjeu partisan mais d’un enjeudémocratique, pour assurer au sein de ce Sénat à la puis-sance méconnu des représentants déterminés des forcesde transformation sociale. n

*Eliane Assassi est sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis. Elleest présidente du groupe CRC.

PARLEMENT

« Le groupe communisterépublicain et citoyen a puet dû développer dans ce

contexte une grande rigueurd’activité en portant sur

tous les textes dans tous lesdébats la voix du peuple. »

« maintenir la présence auplus haut niveau possible du

groupe communisterépublicain et citoyen le

24 septembre prochain estdonc un enjeu de taille. »

Le 29 novembre dernier, aux

élections des Crous, la FagE,avec 76 sièges, devançaitl'unEF, 66 sièges, et l'unionnationale interuniversitaire(uni), ancrée à droite, 12 sièges,

sur un total de 196 sièges. il s'agit d'unmandat de deux ans dans les 28 Crousde France. Cette information fit quelquestitres de presse : on parla de « tournant »,de « séisme », de « cataclysme » au seinde la jeunesse étudiante. gardons raisonet voyons d'un peu plus près.

1. La première caractéristique du scru-tin de l'hiver dernier, c'est l'abstention.il y a eu 7 % de votants, 93 % d’absten-tion. un chiffre effarant. Certes, le faitn'est pas nouveau dans ce genre descrutin ; et le phénomène participed'un mouvement de défiance qui segénéralise envers toutes les formesd'institutions. Cela ramène, pour lemoins, à de plus justes proportionstoute leçon globale que l'on voudraittirer de cet événement.L'abstention, disent certains, a pourcause le manque de démocratie dansles instances universitaires : les étu-

de quoi la Fage est-elle le nom ?a l'issue des élections au Conseil national des oeuvres universitaires et sco-laires (Cnous) le 31 janvier, la FagE ( Federation des associations généralesétudiantes) est passée devant l'unEF (union nationale des étudiants deFrance)… ici ou là, on a tiré des enseignements définitifs, et prématurés, surce fait. reste qu'il dit quelque chose sur l'air du temps et l'adaptation à la crise.

diants ne sauraient pas très bien à quoisert le Crous, et les représentantsétudiants dans ces structures n'yauraient presque aucun pouvoir.

2. dans le cadre d'une si faible partici-pation, toute structure un tant soit peuorganisée peut faire un score. C'est le

cas de la FagE et ce n'est pas tout àfait une surprise. À plusieurs reprises,ces dernières années, cette organisa-tion a talonné l'unEF. née en 1990, laFagE a tenu son XXviie congrès annuelen 2016. au fil des ans, elle a confirméune forme d'implantation de plus enplus précise. La FagE est née en alsace(elle est d'ailleurs déclarée sous un« statut » alsace-moselle). Elle sembleplutôt bien implantée dans des facul-tés de médecine, de pharmacie, desinstituts universitaires de technologie(iut), des écoles d'ingénieurs ; elleserait moins forte dans les universitésde lettres ou de droit.

PAR GÉRARD STREIFF

COMBAT D’IDÉES

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3. dans l'air du temps, elle tient un dis-cours « anti-appareil », alors mêmequ'elle a su se structurer durablementcomme organisation. Elle ne se veutpas un « syndicat », terme tenu à dis-tance, mais une fédération d'associa-tions locales et de filières. Cette fédé-ration ne se revendique pas comme

un syndicat étudiant mais comme« une association de jeunesse et d'édu-cation populaire » qui regroupe desantennes régionales (FédEa, Fé2a,arB3…). une « assoc » d' « assoc » enquelque sorte. Ça sonne nettementplus « moderne », plus fun, même si onpeut retrouver là un vieux discours anti-syndical et antiparti.

4. La FagE est-elle « apolitique » ? Fus-tigeant ses concurrents prisonniersd'idéologies diverses, dit-elle, elle seveut pragmatique, autre mot magique,et plus acceptable qu'  «  opportu-niste ». En vérité, sous réserve d'in-

« Le 29 novembre dernier, aux électionsdes Crous, la FagE, avec 76 sièges,

devançait l'unEF, 66 sièges et l'unionnationale interuniversitaire (uni), ancrée à

droite, 12 sièges, sur un total de 196 sièges. »

COMBAT D’IDÉES

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ventaire, elle semble très adaptableou compatible avec les diversesfacettes de l'autorité. on la voit tra-vailler avec la droite en alsace ou avecle Ps en Bourgogne. Elle revendiqued'ailleurs ce statut. Coralie Binder, pre-mière vice-présidente de la FagE,déclare : « nous ne sommes pas apo-litiques, car on considère que, quandune association se positionne sur unbudget d'université ou sur une capa-cité d'accueil, et qu'on descend dansla rue, c'est déjà une action politique.mais on ne reçoit d'argent d'aucunparti : il y a des villes où on travaille trèsbien avec la droite, d'autres très bienavec la gauche. »

5. Ce pragmatisme, on a pu le mesurergrandeur nature lors de la bataillecontre la loi travail. dans une trajec-toire proche de celle de la CFdt, laFagE a d'abord pris une posture cri-tique puis, dès la première esquissed'ouverture du gouvernement, elles'est retirée du front commun syndi-cal et a soutenu le texte de myriam ElKhomri. son argumentaire est rodé :face aux organisations sectaires et horssol, la FagE est réaliste et concrète.Elle, elle connaît la vie, dit-elle, la pré-carité étudiante, et elle sait y répon-dre.

6. de la même manière, elle dit privilé-gier le terrain. C'est, semble-t-il, sonpoint fort, en tout cas l'argument quirevient le plus souvent chez ses sym-pathisants. dans ses tracts, la FagEinsiste sur sa présence en bas, dansles amphis et son désir de rendre ser-vice aux étudiants. Elle entend déve-lopper ce qu'elle appelle des « ago-raé », des lieux de vie et des « épiceriessolidaires », novation dont elle parlebeaucoup. Elle met en avant « l'inter-médiation locative », notamment avecle logement intergénérationnel (un des« dadas » de macron), la réforme dusystème des bourses ; elle s'occupedes « polycopies » (qu'elle fait payercher, répondent ses critiques), orga-nise volontiers des soirées (arroséeset aux affiches de tonalité parfois« sexiste »).

7. dans une tribune, discutable mais sti-mulante, parue sur le site « regards.fr »

début décembre (voir extraits), l'as-sociatif Frédéric amiel parle de « cata-clysme discret à l'université ». il voit– sans doute un peu vite – dans cescore le triomphe « du pragmatismeet de l'action de terrain », du refus dese positionner politiquement (« 90 %des problèmes qui concernent les étu-diants ne sont pas placés sur l'échi-quier droite/gauche », disait un desprésidents de la FagE). « Ce signal,venu du monde étudiant, est un échotrès clair à la défiance généralisée quis'installe dans notre pays vis-à-vis despartis politiques. Les électeurs de tousâges en ont assez de voter pour desthéoriciens hors sol, des donneurs deleçons à la carrière jalonnée de man-dats. ils cherchent à se tourner versceux qui font, ceux qui sont capablesde démontrer qu'ils peuvent changerleur quotidien par des actes plutôt que

par des paroles. [...] Les partis poli-tiques comme les associations seraientbien inspirés de garder un œil sur cequi se passe dans les universités. »

Propos un tantinet hâtifs qu'on ne par-tage pas complètement mais qui poin-tent de vrais problèmes et caractérisentassez bien la crise de la politique tellequ'elle se manifeste aujourd’hui, expli-quant notamment le phénomène de la« macromania » par exemple. Ce textea suscité sur la toile un assez vif débat.Les uns ont mis l'accent sur le caractère« corpo » de la FagE, la « réaction tran-quille » que signifie sa progression, signeaussi d'une certaine démobilisation étu-diante. d'autres saluent la présence dela FagE sur le terrain, sa proximité avec« les préoccupations quotidiennes ». undébat qui ne fait que commencer. n

changer le Quotidienon connaissait les étudiants bouillonnants, subversifs – certainsdiront idéalistes, aux avant-postes des grands combats sociaux,assoiffés de démocratie, animant des assemblées générales inter-minables… or ces étudiants, cette relève traditionnelle du corpspolitique, choisissent aujourd'hui pour représentants les mem-bres d'une corporation qui a fait de l'apolitisme son cheval debataille. à rebours, on pourrait lire le résultat des élections étu-diantes comme un camouflet infligé à l'uneF, comme le rejet d'unsyndicat trop proche du parti socialiste, trop prompt à recaserses cadres dans les mairies et les ministères, trop maladroit dansses tentatives de noyauter les mouvements étudiants de ces der-nières années. en ce sens, les scores de l'uneF seraient le refletdes tristes cortèges de cette ex-première organisation étudianteincapable de rassembler plus d'une poignée de militants dans lesmanifestations contre la loi travail. mais une telle analyse ne suf-fit pas à expliquer pourquoi des syndicats plus militants ou plusintègres n'ont pas profité du rejet de l'uneF ni pourquoi les étu-diants (du moins ceux, peu nombreux, qui votent aux électionsdes crous) se sont tournés vers la Fage. peut-être l'explicationest-elle à chercher dans la nature même d'un syndicalisme étu-diant devenu le lieu d'un carriérisme d'antichambre qui mènetout droit à la politique. à travers l'uneF et les autres syndicats« classiques », c'est en réalité tout un modèle politique qui estrejeté. ce signal, venu du monde étudiant, est un écho très clairà la défiance généralisée qui s'installe dans notre pays vis-à-visdes partis politiques. les électeurs de tous âges en ont assez devoter pour des théoriciens hors sol, des donneurs de leçon à lacarrière jalonnée de mandats. ils cherchent à se tourner vers ceuxqui font, ceux qui sont capables de démontrer qu'ils peuventchanger leur quotidien par des actes plutôt que par des paroles.

Frédéric amiel, regards.fr, 5 décembre 2016.

CRITIQUE DES

MÉD

IA

interview fleuve de david pujadas dans Society : un torrent d’ineptiesdans sa livraison du 9 décembre, Society, le quinzomadaire d’actualité dugroupe so Press (so Foot, so Film, etc.), proposait un entretien fleuve avecdavid Pujadas, annoncé en « une ». dans cette interview plutôt étrange, hési-tant entre le très personnel et le professionnel, le présentateur du 20h de France 2 depuis seize ans, affectueusement rebaptisé « La Puje » par lejournal, expose une vision et une analyse du métier de journaliste, ainsi que de sa propre pratique, qui laissent songeur à bien des égards… revue de détail.

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PAR ACRIMED

des Questions très inégalement(im)pertinentesavant tout, il faut faire crédit aux deuxjournalistes de Society d’avoir su oserquelques questions (relativement) inci-sives. ils interrogent ainsi la réaction duprésentateur face aux images de l’atten-tat du 11 septembre 2001 (« Waouh !génial ! »), lâchée devant les camérasde Canal +. Certes, on aurait aimé queles intervieweurs relancent leur interlo-cuteur après sa réponse pour le moinssurprenante – « Pour moi, cet avion,c’était juste un petit coucou qui venaitde s’écraser et je ne pensais même pasqu’il y avait des morts » (sic) – mais sansdoute l’impertinence face à un ténor del’information a-t-elle ses limites, mêmepour Society.À propos des «  dîners avec Claudeguéant » que lui prêteraient certainesrumeurs, là encore les journalistes sesatisfont de la dénégation expéditive de

david Pujadas (« Je n’ai bien sûr jamaisdîné chez guéant ou qui que ce soit d’au-tre ») et omettent soigneusement de lerelancer sur sa fréquentation des dînersdu siècle1, autrement plus significativede son intégration au sein de l’élite diri-geante et des diverses formes de conni-vence qui peuvent s’y nouer.Enfin, sont également évoqués les« reportages racoleurs sur l’insécuritéet sur les banlieues » de l’émission detF1, « Le droit de savoir », où david Puja-das apprit les ficelles du métier avant des’envoler sur LCi. un programme qui estl’ancêtre de toutes les formes de jour-nalisme sécuritaire qui ont envahi lesécrans depuis au moins quinze ans etqui, aux yeux du présentateur, « était sur-tout un formidable magazine d’investi-gation qui n’avait pas froid aux yeux »…simple provocation, embellissementrétrospectif de ses débuts à l’antenne,ou sincère admiration pour ce que l’in-formation télévisée peut produire depire ? on ne le saura pas puisque, unefois encore, les représentants de Societypréfèrent ne pas aller plus avant dansl’effronterie.

Pour contrebalancer ces trois questionsquelque peu déplaisantes, les deux jour-nalistes en avaient concocté pas moinsde quinze (sur les quarante-cinq posées),qui ne portaient que sur la vie privée dedavid Pujadas, et qui allaient lui permet-tre de se montrer sous son meilleur jour.Florilège : « vous avez la tête du mec quia été premier de la classe. » « La poli-tique, ça ne vous a jamais tenté, mêmeplus jeune ? » « vous dites souvent à vosamis que vous manquez de culture clas-sique. C’est une frustration ? » « d’ail-leurs, il paraît que vous avez eu unegrosse période new wave ? » « À 52 ans,vous vous êtes donc mis à la guitare » ou« dans votre livre, vous écrivez que, plusjeune, vous aviez les cheveux longs etqu’à l’école, vous étiez davantage portésur les soirées enfumées que sur lescommentaires composés. vous fumiezbeaucoup de pétards. »L’interview mêle à la fois la politique, le jour-nalisme et des aspects très intimes de labiographie de Pujadas, à tel point qu’onpeine à en saisir le véritable cadre. maisfaut-il s’étonner de ce ton très personna-lisant de la part d’un magazine qui promet-

chaque mois, La Revue du projet donne carte blanche à l’association acrimed(action-critique-médias) qui, par sa veille attentive et sa critique indépendante,est l’incontournable observatoire des média.

CRITIQUE MÉD

IA

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tait « des histoires, de l’humain, de l’hu-mour » ? mélanger les genres semble êtreune marque de fabrique de ce titre.

des réponses édiFiantesnous ne nous attarderons pas sur la viedu petit david (« Quand j’étais en Cm2,la prof m’avait demandé ce que je vou-lais faire plus tard et j’avais répondu cui-sinier ou journaliste ») ni sur ses (nom-breuses) satisfactions personnelles(« Quel a été le déclic ? » – « Peut-êtrela réussite »), mais plutôt sur sa concep-tion du journalisme et du programmequ’il anime et conçoit largement, dont ilrésume le succès ainsi : « s’il y a unerecette miracle à mes yeux, c’est la péda-gogie. » La pédagogie, rappelons-le aupassage, est cet «  ensemble desméthodes utilisées pour éduquer lesenfants et les adolescents » (Larousse).une « pédagogie » censée expliquer « lamarche du monde et ses ressorts » à unpublic infantilisé.il faudra tout de même nous expliquerce que des sujets comme « Finlande :tous au sauna ! » ou « truite fumée : meil-leure que le saumon ? » du journal dujeudi 15 décembre 2016 (au hasard) ontà voir avec « la marche du monde et sesressorts ». on y verrait plutôt d’ailleursle signe de « cette vision du monde » que« véhicule le journal », selon david Puja-das : « L’idée implicite que le salut et lebonheur résident dans la consomma-tion ou l’accumulation des richesses. »Et le journaliste de faire « un mea culpa »quant à cette « idéologie cachée ». unmea culpa bien commode qui n’empê-chera évidemment pas david Pujadasde proposer les mêmes informationsfrelatées chaque soir pendant encoredes années…malgré cette idéologie consuméristeimplicite benoîtement confessée, celuiqui incarne le service public d’informa-tion, pas gêné par les contradictions, serévèle intransigeant sur les grands prin-cipes. alors que ses intervieweurs lui fontpart d’une critique plutôt acerbe à sonencontre (« un journaliste de votre rédac-tion nous a dit […] : "Pujadas fait partied’une génération pour qui tout se vaut.il considère qu’à partir du moment oùl’histoire est bonne, il faut la raconter" »),david Pujadas rassure le lecteur et resteferme sur l’essentiel : « non. Je suis, etnous sommes très attentifs à la hiérar-

chie de l’info. il n’y a pas de faits diversdans le journal, sauf énorme exception. »il faut croire que chaque jour qui passeest l’occasion d’une « énorme excep-tion » si l’on s’en réfère à un petit travaild’observation que nous avions mené enfévrier 2014 : en deux semaines, parmiles 282 sujets diffusés dans les journauxde 20 heures de France 2, pas moins de26 % traitaient des faits divers – enten-dus au sens large – ou le sport. Et le télé-journaliste ne s’en tient pas là : « regar-dez avec quel contenu on progresse :l’international, l’économie. » Pourtant,dans notre classement, les questionséconomiques et sociales représentaient18,5 % de l’ensemble des sujets, tandisque l’international ne dépassait pas les11 %. En deux ans, Pujadas aurait ainsiremanié de fond en comble les som-maires de son Jt… voilà qui donne envied’aller vérifier !Comme tout grand professionnel, davidPujadas est aussi un observateur avisédes formats médiatiques et des pra-tiques journalistiques. généreux et péda-gogue, il n’hésite pas livrer le produit deses intenses réflexions. À partir d’unequestion abordant l’émission « une ambi-tion intime » présentée par Karine Lemarchand, david Pujadas digresse toutseul et lâche : « Je pense sincèrementque la vie politique n’est pas menacéepar la peopolisation, qui reste marginaleen France. » au hasard, le 15 novembre2016, la veille de l’annonce de la candi-dature présidentielle d’Emmanuelmacron, david Pujadas lance un sujet :« Les racines d’une ambition » abordantles études et le parcours professionneldu candidat, mais aussi, et presque pudi-quement, « son épouse », « son premieragent électoral ».Par ailleurs, un petit tour par google actua-lités nous renseigne sur l’intérêt « margi-nal » de certains médias d’informationpolitique et générale pour « Brigitte, l’au-tre macron » (lexpress.fr, octobre 2015) ;« Emmanuel macron : trois choses à savoirsur sa femme Brigitte » (lci.fr, novem-bre 2016) ; « Brigitte macron : la présiden-tielle, elle n’en rêve pas la nuit  !  »(leparisien.fr, novembre 2016) ; « Brigittemacron : l’âge fait beaucoup à l’affaire »(libération.fr, septembre 2016) ; « Com-ment Brigitte macron envisage sa « placed’épouse » de politique » (bfmtv.com,octobre 2016). Et notre préféré : « Brigitte

macron, Carla Bruni, isabelle Juppé… lematch des primaires dames » (sur le sitede L’Obs, octobre 2016).La peopolisation, un phénomène mar-ginal ? un grand merci pour cette ana-lyse si clairvoyante !

pujadas au sommetrépondant à une question sur le traite-ment des banlieues par l’émission « Ledroit de savoir », david Pujadas évoquela situation actuelle : « Cela dit, c’est finila banlieue, et c’est dommage. Ça n’in-téresse plus personne. on a du mal àtrouver des journalistes que ça pas-sionne. Exactement comme le conflitisraélo-palestinien : avant, c’était traitéen basse intensité car on sentait que çadivisait les Français, maintenant on letraite encore moins car tout le mondeest découragé. C’est le syndrome del’alpe d’huez : à chaque lacet, on croitqu’on est arrivé. mais ça n’en finit pas. »Cette analogie entre, d’une part, le conflitopposant israël aux Palestiniens ou laquestion des banlieues et, d’autre part,une course cycliste qui finit par ennuyertout le monde est aussi consternanteque révélatrice d’une « déformation pro-fessionnelle » qui défigure l’informationet piétine les bases du journalisme. davidPujadas apparaît comme un promoteurde spectacle, réduisant l’information àun pur divertissement, à une fiction, àun match de hockey sur glace, avec undébut, un milieu et une fin. un bon conflitest un conflit qui ne dure pas ; prévenonsimmédiatement les acteurs de la guerreen syrie : surtout, ne soyez pas trop longs,david Pujadas ne va pas tarder à se las-ser. Et que les habitants des quartierspopulaires se le tiennent pour dit : ils n’in-téressent plus david Pujadas et ses amis– sauf évidemment à ce qu’éclate uneémeute, ou que soit fermée une mos-quée, événements à même de fournirdes images suffisamment télégéniquespour attirer l’œil de ces grands profes-sionnels de l’information !Pour david Pujadas, tout passe, toutlasse, sauf l’audimat. n

1. Le Siècle est un club d’influence,fondé en 1944 par Georges Bérard-Quélin, qui regroupe des dirigeantspolitiques, économiques, culturels et médiatiques français.

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FÉvriEr 2016

ENTRETIEN AVEC MAÏTÉ MOLA*

le pge a mis la parité comme principed’organisation, peux-tu nous dire com-ment ça se concrétise (statuts et cam-pagnes précédentes) ?Pour le Parti de la gauche européenne,la parité a toujours été une question fon-damentale et ce, depuis sa création. dansles statuts du PgE, il est clairement ins-crit qu’il doit y avoir au moins 50 % defemmes au sein du comité exécutif, quiest l’organisme le plus important entreles congrès qui se tiennent tous les troisans. Ce désir d’égalité de genre se reflèteégalement dans la composition de la pré-sidence et du secrétariat. actuellementnous avons un président homme, qua-tre vice-présidences à parité, une tré-sorière et parmi les dix membres dusecrétariat, on compte sept femmes ettrois hommes. même ainsi, avec notreconception des plus réaliste de la parité,je pense que nous devons lutter pourune double présidence, avec un hommeet une femme.En ce qui concerne l’action politique duPgE, en rapport à sa politique d’égalité,il est nécessaire de dire que, ces der-nières années, il y a toujours eu parmi lesprincipaux axes de travail annuels celuiconsacré à l’égalité entre femmes ethommes, avec des campagnes spéci-fiques. nous avons mené une impor-tante bataille européenne pour ladéfense du droit à l’avortement en

une campagne européenne

Espagne, quand il fut menacé en 2014 ;et l'année dernière également, enPologne, car si nous n’avons pas de partipolonais au sein du PgE, nous avons debonnes relations avec les féministespolonaises.Je veux également mentionner la cam-pagne pour un travail digne, que nousavons menée en 2015, en nous focali-sant sur la situation de précarisation etle travail temporaire des femmes dansl’ensemble de l’union européenne, avecdes actions dans différentes parties de

l’Europe, surtout au sud où le problèmeest particulièrement grave. Bien entendu,durant toute cette campagne, nousavons mis en avant la revendication àtravail égal, salaire égal, en consacrantaussi un espace à la question de la gardedes enfants et des personnes âgées ethandicapées qui presque toujoursincombe aux femmes.La question de l’éradication de la vio-lence de genre a été, bien entendu, unélément de travail ces dernières années,tout comme celle de l’éducation dans

l’égalité sans laquelle nous ne pourronsdépasser l’inégalité entre les hommeset les femmes.

vous avez voté une motion pour unecampagne du pge contre la traite desfemmes ; peux-tu nous dire les raisonsdu choix de cette thématique en lienavec les enjeux féministes ?Le trafic de personnes concerne le trans-fert d’une personne vers un lieu où ellene réside pas et l’obtention pour un telfranchissement des frontières d’avan-

tages financiers ou d’un autre type ; tan-dis que la traite implique l’obtention d’ungain financier en échange de travail forcé,de prostitution ou d’exploitation sexuelle,d'esclavage, de servitude ou de prélè-vement d’organes.La traite d’êtres humains et surtout decelle des femmes et des jeunes fillespour les soumettre, dans la plupart descas, à l’esclavage sexuel est l’affaire laplus lucrative dans le monde. Le traficd’armes ou de drogues est beaucoupplus dangereux, du point de vue de la loi,

Le ve congrès du Parti de la gauche européenne a eu lieu à Berlin du 16 au 18décembre 2016. À cette occasion, une motion pour une grande campagnecontre la traite des femmes a été adoptée.

FÉMINISME

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« La traite d’êtres humains et surtout de celle des femmes et des jeunes filles

pour les soumettre, dans la plupart des cas,à l’esclavage sexuel est l’affaire la plus

lucrative dans le monde. »

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FÉvriEr 2017

« je n’ai jamais réussi à définir le féminisme. tout ce que je sais, c’est que les gens me traitent de fémi-niste chaque fois que mon comportement ne permet plus de me confondre avec un paillasson. »

rebecca West, écrivaine et essayiste anglo-irlandaise.

c’est pourquoi les mafias sont plus à l’aiseavec le trafic des personnes.il est important de signaler que tant quela prostitution existera il y aura de la traite.La prostitution est un phénomène qu’il

faut abolir et éradiquer de la société, parceque c’est une vision de la femme commeun objet que les hommes peuvent ache-ter et vendre pour leur satisfaction per-sonnelle et qui justifierait donc la traitedes femmes comme un fait naturel.Le PgE affirme que la traite est une desformes les plus brutales d’inégalité dueau genre, de même que la prostitution ;nous avons décidé de lutter de toutesnos forces contre ces deux phénomènesqui sont liés entre eux. Je voudrais éga-lement ajouter que ce sont les femmesles plus pauvres et provenant de zonesde conflits armés qui sont soumises à latraite, de sorte que la lutte pour unesociété en paix et libérée du systèmecapitaliste est vitale pour parvenir à notreobjectif final d’une société entre égaux.

Quelle est l’ampleur de la traite desêtres humains en espagne et quelle estla législation ? Que demande ton parti ?mon parti, le Parti communiste d'Espagne(PCE), de même que iu (gauche unie),sont radicalement pour l’abolition de laprostitution et contre la traite. Pour nous,la lutte contre le patriarcat est liée à l’im-possibilité d’acheter le corps des femmes.nous ne comprenons pas un féminismequi parle de liberté de décision alors queles femmes sont victimes du trafic ou dela pauvreté et ne se voient dans le mondede la prostitution que par nécessité desubsistance et non par choix. Comparerla prostitution à un travail est la versionpatriarcale et capitaliste du « tout est àacheter et à vendre ».L’Espagne est un pays de transit et dedestination pour les femmes victimesde la traite à des fins d’exploitationsexuelle ; ce sont des femmes en pro-venance, majoritairement, d’amériquecentrale et du sud, de l’Est européen etde l’afrique subsaharienne. Les femmes

victimes de la traite sont criminaliséeset rendues responsables d’être prosti-tuées par d’autres, ce qui les met dansune situation de grande vulnérabilité. EnEspagne, il est nécessaire que le débat

concernant la traite soit visible et soitdénoncé comme une situation de vio-lence, d’esclavage et de violation de droitsqui affecte plus de 300 000 femmes.Le PCE et iu sont en lutte tant dans larue que dans les institutions.

avec quels partis va s’organiser la cam-pagne ?J’espère qu’elle pourra être organiséedans la plupart des pays où le PgE dis-pose de partis organisés et surtout dansceux où il y a le plus de sensibilité concer-nant cette thématique. Je crois que l’Es-pagne avec iu et le PCE, la France avecle PCF, ou la grèce avec syriza, serontprobablement les pays pionniers danscette bataille féministe que nous devonsentreprendre pour faire prendreconscience à la société que l’égalité estinséparable de la dignité des femmes,ce qui implique leur autodéterminationsexuelle, au travail, et dans tous lesdomaines de la vie. n

*Maïté Mola est vice-présidente du Parti de la gauche européenne(PGE).

Propos recueillis par Nadhia Kacel.

FÉMINISME

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« La prostitution est un phénomène qu’ilfaut abolir et éradiquer de la société, parce

que c’est une vision de la femme comme unobjet que les hommes peuvent acheter et

vendre pour leur satisfaction personnelle. »

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FÉvriEr 2017

en Finir avec la traite des Femmesla traite des êtres humains concerne 2,5 millions d'êtres humains àtravers le monde, principalement des femmes. si sa forme la plus répan-due est l'exploitation sexuelle, il s'agit également de travail ou de men-dicité forcés, de servitude pour dettes et de prélèvement illégal d'or-ganes. en europe, ce sont 120 000 femmes et jeunes filles qui, princi-palement pour des raisons économiques, sont dans les filets des trafi-quants, et les deux tiers d'entre elles sont originaires de pays de l'unioneuropéenne.l'abolition de la traite est un objectif prioritaire du combat progres-siste en europe. ces trafics brisent les vies de celles qui en sont vic-times et constituent une menace pour toutes les autres. ces trafics sontd'importantes ressources financières pour les réseaux criminels orga-nisés. elles installent, au cœur de nos sociétés, la négation de tous lesprincipes de justice, d'égalité et d'espoir. elles tendent à y normaliser laviolence, l'abus, la marchandisation des êtres humains et de leurs corpssur le grand marché mondial.c'est pourquoi le pge lance une grande campagne pour en finir avec latraite des femmes. il s'agit de faire gagner, dans chaque pays et à l'échellede l'europe, la reconnaissance et l'accompagnement des victimes,mais également la mise en œuvre de moyens financiers et législatifs nou-veaux, ainsi qu'une coopération européenne pour démanteler les réseaux.cette campagne prendra pour point de départ les législations nationalesles plus favorables contre la traite, les plus fermes contre les réseaux,et qui donnent les meilleures garanties aux victimes.le pge se dote d'une équipe chargée de la préparation et l'animationde cette campagne, en coopération avec el Fem. ce groupe de travailassurera l'élaboration de la campagne, au plan de l'état des lieux de lasituation comme au plan programmatique. il sera également en contactpermanent avec les différents partis qui composent le pge. le « réseaude villes libres du trafic », initié en espagne, mérite d'essaimer partout.

motion adoptée par le ve congres du Parti de la gauche européenne sur proposition du PCF, du PCE, de l’iu, de la gauche bulgare

et du Parti suisse du travail ( Pst).

PHILOSOPHIQUES

le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. les conditions de ce mouvement résul-tent des prémisses actuellement existantes. » Karl marx, Friedrich Engels - L’Idéologie allemande.

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FÉvriEr 2017

44

PAR HENRIETTE SIMONOWSKI*

L’expression «  freudo-mar -xisme » contient explicitementles noms de Freud et de marx.Elle a été forgée pour rendrecompte des tentatives deconciliation de la psychana-

lyse et du marxisme, exprimant d'unepart le besoin de développer les impli-cations sociales de la psychanalyse etd'autre part le besoin de développer cer-tains concepts marxiens, tels qu’« idéo-logie » ou « facteurs subjectifs », afin decontrecarrer une vision trop économistedes luttes politiques.

la psychologie sociale La psychologie sociale que pratique Wil-helm reich (1897-1957) est la tentativela plus systématique de réaliser cettearticulation. il adhéra au Parti commu-niste allemand en 1930 et dut fuir l’alle-magne nazie en 1933, en raison de sesorigines juives. Cette psychologie estune science auxiliaire à la sociologie,devant permettre de « discerner l’in-fluence des idéologies sociales sur ledéveloppement psychique de l’individu »(Matérialisme dialectique et psychana-lyse). Contrairement à la sociologie, lapsychologie sociale s'intéresse au « pour-quoi » des phénomènes sociaux, et nonau « comment », privilégiant non les opé-rations, les calculs, les statistiques, etc.,

le freudo-marxisme

qui sont les outils principaux de la socio-logie, mais la subjectivité des hommesdont l’activité s’incarne dans des faitsobjectifs.La prise de pouvoir par les fascistes alle-mands en 1933 est l'occasion pour reichde mettre en pratique la psychologie desmasses. ses analyses prennent nais-sance à la suite d'un débat très impor-tant au sein du Parti communiste alle-mand de l'époque concernant la naturede l'adhésion des masses au fascisme.Les communistes étaient convaincusque les masses appauvries, jetées auchômage par la crise économique de1929, se précipiteraient dans le combatsocialiste et révolutionnaire à leurs côtés.Les conséquences de cette méconnais-sance de la nature du fascisme furentgraves : ni les socialistes ni les commu-nistes n'opposèrent de résistance. maisau lieu de donner des explications « objec-tivistes », qu’il prétend être des échecsà rendre compte du réel, reich dévelop-pera l’hypothèse selon laquelle l’adhé-sion des masses au fascisme se fait surdes bases profondes : caractérielles,morales, idéologiques, liées au fonction-nement de la personne, dont la struc-ture est non pas biologiquement déter-minée mais le fruit d'une constructionhistorique.L'illusion selon laquelle les masses appau-vries se lanceraient dans le combat pourle socialisme est fondée sur une concep-tion de l'humain et de la société très cou-rante au sein de la gauche. on y dénoteune influence du positivisme scienti-fique dans l'analyse des rapports humains,

réduits à des rapports entre individusconsidérés non comme des personnes,des êtres à la mécanique complexe etprofonde, mais comme des producteurs,des individus rationnels dont les actionssont analysables et ainsi facilement pré-visibles.tout l'intérêt des théories de reich résidedans sa prise en compte des facteurssubjectifs de l'adhésion au nazisme parla grande majorité des allemands, toutesclasses confondues, mais tout en res-tant dans un cadre matérialiste qui donneaux rapports de production sociaux laprimauté dans la genèse des représen-tations et des idées humaines. ainsi, dansle cas du fascisme, reich affirme qu’il fautse rapporter à son corrélat économiquequi est l’impérialisme, celui d’une couchedominante confrontée à des difficultéséconomiques : le fascisme est expan-sionniste, et l’expansionnisme nationa-liste doit être compris comme la néces-sité de l’expansion du « grand capital ».mais si l'origine de l'idéologie fascistepeut s'expliquer par des causes maté-rielles, il n'en va pas de même pour l'adhé-sion des masses à cette idéologie, dontles intérêts économiques diffèrent parrapport aux détenteurs de grands capi-taux. Pour reich, le fascisme n'est pasun exploit d'hitler ou de mussolini. hit-ler et mussolini ne réalisent pas d'exploitscar le fascisme est porté par les foules,contrairement au militarisme qui peutêtre imposé aux masses de l'extérieur,par la force. non seulement le fascismeest consenti par les masses, mais en plusil est désiré. Leur adhésion au fascisme

thème qui connait son heure de gloire dans les années 1968 sur les cam-pus gauchistes (avec, notamment, le célèbre ouvrage La Révolution sexuelle: pour une autonomie caractérielle de l'homme), le freudomarxisme, forma-lisé par Wilhelm reich, naît en fait d'une réflexion sur le rapport des massesau fascisme allemand. une réflexion hétérodoxe, sans doute datée, sur unsujet, hélas, toujours fécond.

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FÉvriEr 2017

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PHILOSOPHIQUES

doit se comprendre en termes de désir.reich insiste sur la dimension irration-nelle de l’idéologie fasciste, telle que « lesentiment religieux, la soumission à desidéaux abstraits et moraux, la croyanceà la mission divine du Führer » qui se rap-portent à une couche plus profonde« caractérisée par un attachement auto-ritaire à un idéal de leader ou de nation ».C’est cet attachement qui se déploie entermes de désir du fascisme qu’il fautdonc expliquer.

le patriarcat, source du Fascisme pour reichreich détermine en premier lieu l’exis-tence d’un terrain nourricier de la dicta-ture dans la sphère de la psychologie demasse, qui constitue la force du fascisme.Le terrain nourricier dont parle reich,autrement dit les conditions matériellesqui permettent le fascisme, est, non pasle système capitaliste à proprement par-ler mais la cellule familiale, c'est-à-direla famille patriarcale. Le patriarcat est àla source du fascisme pour reich : il enest la condition matérielle.or le patriarcat est caractérisé pour reichpar trois choses : il transforme la sexua-lité en marchandise ; il impose des rap-ports de domination au sein de la familleentre sexes ; il réprime la sexualité desfemmes et des jeunes (enfants, filles ou

garçons). Le patriarcat serait à l'origined'une structure de caractère-type chezl'humain moyen, structure faite de plu-sieurs couches : une première couchesuperficielle définie par les qualités sui-vantes : l'homme est « réservé, courtois,compatissant, conscient de son devoir,consciencieux ». Cette première coucheest soutenue par une deuxième qui secompose exclusivement d'impulsionscruelles, sadiques, lubriques, cupides,envieuses. Enfin, une troisième coucheforme le noyau biologique de l'êtrehumain : « un animal honnête, travail-leur, coopératif, aimant, qui, dans uncontexte rationnel donné, sait aussi haïr ».Le fascisme serait l’expression de ladeuxième couche.

La relation autoritaire entre le chef defamille et ses autres membres est à lafois compréhensible en termes decontrainte mais aussi d'attachement. Etc'est ce double rapport à la contrainte età l’attachement qui se retrouve à tous lesniveaux de la sphère sociale. L’adhésionau fascisme se réalise sur la base d'undésir d'autorité qui se double d’un sen-timent de culpabilité lors de la transgres-sion de l'ordre instauré par l'autorité. Larépression sexuelle au sein de la famillepatriarcale déterminerait une soumis-sion des individus au père, qui se pour-suivrait par une soumission à l'État, à l'ar-mée, à la direction de l'entreprise et quiengendrerait, principalement dans lesclasses moyennes, tout à la fois le besoindu chef et l’attachement au Führer.reich va plus loin en reliant le patriarcatet sa morale sexuelle répressive auracisme nazi et à son fantasme de lapureté. Pour lui, « l’idéologie de l’“âme”et de la pureté est l'idéologie mondialede l’asexualité, de la pureté sexuelle, ou,pour appeler les choses par leur nom,une forme de refoulement sexuel et d’an-goisse sexuelle, émanations d’une sociétépatriarcale autoritaire ». Poursuivant sonanalyse, il relie le « mélange des races »à celui du mélange entre les couchesdominantes et les couches oppriméesde la société et donne ainsi à la répres-

sion sexuelle dans la société de classesun rôle de clef dans le maintien des classeslaborieuses dans un état de soumission,empêchant ainsi la potentialité socia-liste et avec elle l'égalité de tous leshommes de se réaliser. « Le refus de lafonction de plaisir dans le cadre de lasociété autoritaire, […] la répression dessatisfactions sexuelles [étaient] desti-nés à créer une mentalité d’humilité etd’abdication générale aussi dans ledomaine économique. »Par l’analyse du fascisme en termes depsychologie de masse, reich montre quel'idéologie n’est pas seulement un sys-tème argumenté et articulé de raisonmais un mécanisme plus profond deconstruction d’une structure mentale

qui façonne les choix politiques et éco-nomiques. reich jette ainsi les bases théo-riques d’une conception de l'État pourvud’« appareils idéologiques » efficacesqu'althusser saura développer dans sonfameux texte traitant de la question (LaPensée, n° 151, 1970).

une Fidélité proclamée au MANIFESTE COMMUNISTEsur la base de ces analyses, plusieurssolutions concrètes peuvent être pro-posées, mais reich adopte la solutionla plus radicale qui reste fidèle au pro-gramme du Manifeste du parti com-muniste de marx et Engels, et qui appa-raît aujourd'hui comme un programmetrès utopique, le moins susceptibled'être réalisé. Fidèle au matérialismehistorique de marx, il propose la sup-pression du patriarcat et du capita-lisme qui l'instrumentalise à ses fins,suppression qui serait synonyme desuppression de toute répression quirend les masses humaines « abouliques,biopathiques, obséquieuses par larépression de la vie depuis des millé-naires ». un programme ambitieuxcaractérisé par l'abolition de la pro-priété privée et par l'abolition de lafamille et l'éducation intégrale desenfants par la société. Comme on peutle lire dans le Manifeste : « L'abolitionde la famille ! même les plus radicauxs'indignent de cet infâme dessein descommunistes. sur quelle base reposela famille bourgeoise d'à présent ? surle capital, le profit individuel. La famille,dans sa plénitude, n'existe que pour labourgeoisie ; mais elle a pour corollairela suppression forcée de toute famillepour le prolétaire et la prostitutionpublique. La famille bourgeoise s'éva-nouit naturellement avec l'évanouis-sement de son corollaire, et l'une etl'autre disparaissent avec la dispari-tion du capital. nous reprochez-vousde vouloir abolir l'exploitation desenfants par leurs parents ? Ce crime-là, nous l'avouons. mais nous brisons,dites-vous, les liens les plus intimes,en substituant à l'éducation par la famillel'éducation par la société. Et votre édu-cation à vous, n'est-elle pas, elle aussi,déterminée par la société ? détermi-née par les conditions sociales danslesquelles vous élevez vos enfants, parl'immixtion directe ou non de la société,par l'école, etc. ? Les communistesn'inventent pas l'action de la sociétésur l'éducation ; ils en changent seule-ment le caractère et arrachent l'édu-cation à l'influence de la classe domi-nante. » n

*Henriette Simonowski est docteureen philosophie.

« L’adhésion des masses au fascisme se fait sur des bases profondes :

caractérielles, morales, idéologiques liéesau fonctionnement de la personne,

dont la structure est non pasbiologiquement déterminée mais le fruit

d'une construction historique. »

HISTOIRE

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« l’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

PAR SYLVAIN PIRON*

malgré le talent d’umberto Eco qui lesfait apparaître dans Le Nom de la rose àtravers le personnage d’ubertin deCasale, le courant des dissidents fran-ciscains communément désignéscomme « spirituels » ou « fraticelles »n’a guère pris place dans l’imaginaire col-lectif, faute d’avoir suffisamment retenul’attention des historiens. La raison dece désintérêt se comprend facilement.Ces religieux étaient trop catholiquespour entrer dans le schéma classiqued’une hérésie comprise comme un mou-vement populaire réprimé par l’Église ;dans le même temps, l’odeur de soufreattaché à leur nom les laissait à l’écartd’une histoire du mouvement francis-cain, longtemps menée de façon trèsconfessionnelle. Pourtant, du dernierquart du Xiiie siècle au début du Xve,cette sensibilité a eu un effetnotable dans le sud de la France commeen italie et son héritage intellectuel esttout sauf négligeable.

une résistance à lanormalisation del’expérience FranciscaineLa meilleure façon d’entrer dans cette his-toire consiste à partir de son moment leplus tragique. Le 7 mai 1318, dans le cime-tière des accoules à marseille, l’inquisi-teur franciscain de Provence, michelLemoine, prononça la condamnation pourhérésie de quatre de ses confrères, quifurent remis aux autorités municipales etbrûlés publiquement le lendemain. L’ob-jet du litige peut sembler insignifiant. Lesrebelles refusaient d’abandonner leurhabits, jugés trop courts et difformes, etde conserver le grain et le vin dans desgreniers et des celliers. au-delà de cespoints concrets de désaccord, leur

les fraticelles (xiiie-xve siècles)Les fraticelles étaient des franciscains de la branche dite des « spirituels » : oppo-sés à la « normalisation » de doctrine du ministre général de l'ordre, ils prônentun mépris absolu des richesses et, par l’affrontement avec les puissances tem-porelles, évoluent peu à peu dans l'insoumission et l'hérésie.

condamnation tient avant tout au ressortde leur refus. Les rebelles affirmaient nepouvoir obéir à quiconque, pas même aupape, contre des engagements pris faceà dieu seul. aucune autorité n’était fon-dée à restreindre leur vœu de vivre selonla pauvreté évangélique vécue par leChrist, donnée en modèle aux apôtres etrénovée par François d’assise – les habits« difformes » qu’ils portaient imitaient latunique courte et pauvre portée par Fran-çois. La conscience qu’ils avaient ducontenu de leur vœu constituait doncpour eux l’instance normative la plus éle-vée. d’une formule cinglante, l’inquisiteurtranche le cœur du débat. La règle fran-ciscaine n’est pas identique à l’Évangile ;

elle n’est qu’une forme de vie louable,approuvée par les souverains pontifes,qui tire sa force de cette approbation. End’autres termes, l’ordre franciscain est unordre religieux parmi les autres, dans lequelles inférieurs se plient sans discussion auxordres du supérieur.Cette sentence marque le point culmi-nant de tensions accumulées depuis unequarantaine d’années dans les couventsde Languedoc et Provence. Pour en com-prendre l’origine, il faut remonter au pro-jet de François d’assise. Le premier grouperéuni autour de lui ne formait qu’un mou-vement pénitentiel local de laïcs, souventillettrés, caractérisé par une inférioritéqu’exprimait le nom de « frères mineurs ».La soumission et l’obéissance au clergé

faisaient partie des traits fondamentauxde leur identité, au même titre que l’exté-riorité sociale : ils ne devaient avoir aucunepossession, vivre de leur travail et de lamendicité et, au moins les premiers temps,prendre soin des lépreux. François a sansdoute été la figure la plus charismatiquede toute l’histoire chrétienne. son suc-cès fulgurant tient également à son posi-tionnement, au cœur de la logique d’in-version du christianisme. À suivre à la lettreles conseils de perfection évangélique,l’humilité et la pauvreté la plus grande pro-duisaient un état supérieur à toute autreforme de vie religieuse, aussi séduisantque problématique pour l’institution ecclé-siale. L’approbation de la première frater-

nité par innocent iii en 1208 n’a poséaucune difficulté. mais il a ensuite falluune longue négociation pour donner uneforme stable à ce nouvel ordre. il étaitaussi impossible pour François de faireentrer son projet dans une règle monas-tique classique, qu’à la papauté de tolé-rer une vie « selon l’Évangile ». Peu aprèsl’approbation d’une règle en 1223, Fran-çois abandonna la direction de l’ordre etlivra dans un autre texte, son testament,ce qu’avait été son intention. après samort et sa canonisation (1226-1228), l’érec-tion d’une grande basilique à assisecontredisait ouvertement son message.dans les décennies suivantes, l’ordreconnut une cléricalisation rapide, les maî-tres en théologie y prenant le pouvoir en

« du dernier quart du Xiiie siècle au débutdu Xve, cette sensibilité a eu un effet

notable dans le sud de la France comme en italie et son héritage intellectuel

est tout sauf négligeable. »

HISTOIRE

La rEvuEdu ProJEt

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1240. Les groupes qui convergent dans lecourant des « spirituels » expriment doncune résistance à cette normalisation del’expérience franciscaine.

pierre de jean olividénonce la richesse et la corruption de l’égliseLe théoricien le plus marquant de cettesensibilité est un frère né près de Béziers,Pierre de Jean olivi (Pèire Joan oliu enoccitan – 1248-1298). doté d’une forma-tion universitaire, il est l’auteur d’uneœuvre intellectuelle de premier plan quicouvre de nombreux domaines, de l’exé-gèse biblique à la théorie économique.Le point qui lui a valu de se retrouver chefde file d’un courant important dans saprovince d’origine est sa conceptualisa-tion de l’expérience vécue par François,décrite comme rénovation de la vie évan-gélique. une notion décisive, et contro-versée, est celle d’usage pauvre. Par sonvœu, le franciscain prend un engage-ment indéterminé à ne faire qu’une uti-lisation modique des biens dont il n’a quel’usage, dans une limite dont il est jugeen sa conscience en dernier ressort. Lesrebelles de 1318 n’ont rien inventé ; ils onttiré toutes les conséquences d’une doc-trine énoncée par olivi, dans un toutautre contexte, en 1279. sa force tientaussi à la théologie de l’histoire à laquelleelle s’adosse, inspirée de Joachim deFlore ; les frères mineurs observant fidè-lement la règle tiennent le rôle d’uneavant-garde de l’âge de l’Esprit, qui sedéploiera sur toute la terre après la venueet la chute prochaine de l’antéchrist. Lecommentaire de l’apocalypse qui

énonce ce programme donne à olivi l’oc-casion de dénoncer la richesse et la cor-ruption de l’Église, et les compromis-sions franciscaines. s’il a subi descritiques et des attaques, il a échappéde son vivant à toute condamnation, atti-rant au contraire autour de lui et de sespartisans, des cercles de laïcs des villesde Languedoc, Provence et Catalogne,à qui il adressait des écrits des conseilsspirituels, traduits en vernaculaire. Ces« béguins » se recrutaient aussi bien dans

la petite et la grande noblesse que dansla bourgeoisie marchande et les métiersdu textile.Parallèlement, des préoccupations simi-laires s’exprimaient en italie, notammentdans les marches. disposant d’une assisesociale plus réduite, quelques frèresfurent emprisonnés à ancône, exilés enorient. durant le bref pontificat de Céles-tin v (1294), ils obtinrent de former unordre distinct, qui fut aussitôt dissouspar Boniface viii (1294-1303). Leur figurecentrale est ange Clareno, d’une spiri-tualité plus austère, traducteur de textesascétiques grecs. Leur inspiration vientégalement de la mémoire des compa-gnons de François, qui lui ont longtempssurvécu dans des ermitages d’ombrie.Frère Léon a ainsi diffusé, jusqu’à sa morten 1271, le souvenir des dernières annéesde la vie du saint, critiquant l’évolutionde son ordre et prophétisant son déclin.

des héros de la libertéL’appellation de « spirituels », qui s’ap-plique aux Languedociens dans la pre-mière décennie du Xive siècle, fait réfé-rence aux « hommes spirituels » annoncéspar Joachim de Flore, destinés à résisteraux persécutions de l’antéchrist pour ins-taurer l’âge de l’Esprit. Persécutés parleurs supérieurs, leur appel au pape porteses fruits lors du concile de vienne (1311-1312), où leur défense fut principalementassumée par ubertin de Casale (qui avaitété proche d’olivi lors de son enseigne-ment à Florence). ils obtiennent d’obser-ver la règle à leur façon, dans les couventsde narbonne et Béziers. Le pèlerinaged’ange Clareno à narbonne sur la tombe

d’olivi en 1314 marque une convergencedes différents groupes. dès son élection,à la demande des autorités de l’ordre,Jean XXii (1316-1334) reprit la situation enmain en convoquant les « spirituels » àavignon au printemps 1317, pour leurdemander de rentrer dans le rang. seulsquatre frères semblent avoir délibéré-ment choisi le martyre, l’essentiel dugroupe passant dans la clandestinité, enorient ou dans le royaume de naples. Latombe d’olivi fut détruite, ses cendres

dispersées de nuit dans le rhône. moinsmobiles, les béguins furent les principalesvictimes d’une intense répression inqui-sitoriale entre 1318 et 1325 : près d’unecentaine d’entre eux périrent sur lesbûchers, entre toulouse et montpellier.hors des frontières du royaume de France,des communautés catalanes et proven-çales semblent avoir subsisté plus long-temps au cours du Xive siècle.En italie, ceux que l’on désigne alorscomme « fraticelles » forment une nébu-leuse complexe et encore mal étudiée.une branche est fondée sur le réseauinformel qu’avait constitué ange Clareno(mort en 1337), dont certains poursui-vent le même projet sous couvert d’ap-partenance aux ermites de saint augus-tin. Les descendants des Languedociens,dont les troupes se renouvellent conti-nuellement, circulent dans le sud de lapéninsule, protégés par différents sei-gneurs ou des princes. dans le désordrepolitique causé par le déplacement dela papauté à avignon, ils sont parfoisaccueillis à bras ouverts par des villes enopposition aux papes, comme à Florencedans les années 1370. Leur productiontextuelle n’est pas négligeable puisquec’est en leur sein qu’il faut placer la com-position des fameux Fioretti de Françoisd’assise, traduction vernaculaire d’épi-sodes de la vie du saint. ayant conservéavec eux la bibliothèque de narbonne,ils lisent encore olivi et ubertin.À partir des années 1370, en ombrie eten toscane, émerge un nouveau mou-vement prônant l’observance littéralede la règle, inscrit cette fois au sein del’ordre. L’interaction des deux courantspeut se décrire comme une rivalitémimétique, qui tourne peu à peu à l’avan-tage des groupes soutenus par l’institu-tion. avec le retour des papes à rome,sous martin v (1417-1431), les « obser-vants » sont au premier rang des persé-cutions subies par les fraticelles, refu-giés pour finir dans quelques villages desmarches. mais les vainqueurs récupè-rent également les livres de leurs rivaux.Bernardin de sienne (1380-1444) y puiseabondamment et fait passer dans desœuvres très largement diffusées du Xve

au Xviiie siècle quantité de thèmes oli-viens – de sa morale économique à sadoctrine des droits de la conscience. Endépit de leur attachement austère à lapratique de la pauvreté volontaire, cesfraticelles peuvent être pensés commedes héros de la liberté. n

*Sylvain Piron est historien. Il estdirecteur d'étude en histoiremédiévale à l'EHESS.

« Par son vœu, le franciscain prend un engagement indéterminé à ne faire

qu’un usage modique des biens dont il n’aque l’usage, dans une limite dont il est juge

en sa conscience en dernier ressort. »

PRODUCTION DE TERRITOIRES

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PAR CORINNE LUXEMBOURG*

Le développement durable res-

semble de plus en plus s’yméprendre à une nouvelleidéologie applicable à touteactivité humaine. il faut sansdoute revenir aux premières

esquisses pour en comprendre lescontours et les détournements possi-bles. Les années 1970, marquées pardeux chocs pétroliers et quelques catas-trophes industrielles et environnemen-tales (seveso, amoco Cadiz,…). il devientmanifeste d’une part que les ressourcesfossiles ont une fin, d’autre part que larelation entre environnement et déci-sions politiques et économiques est iné-vitable. En 1972, le Club de rome, créé

en 1968, rassemblant économistes,scientifiques comme alexander Kingancien directeur scientifique de l’or-ganisation de coopération et de déve-loppement économique (oCdE), indus-triels comme aurelio Peccei, alors mem-bre du conseil d’administration duconstructeur automobile italien Fiat,

Concilier les besoins en matière de logement et les activités dans la ville.

publie un Rapport sur les limites de lacroissance soulignant les risques de lacroissance économique et démogra-phique sur l’écologie. s’il ne remet, bienévidemment, pas en cause le fonction-nement du système capitaliste, iltémoigne d’une prise de conscience despays industrialisés. En 1983, l’organi-sation des nations unies met en place laCommission mondiale sur l’environne-ment et le développement sous la direc-tion de l’ancienne Première ministre tra-vailliste de norvège, gro harlem Brundt-land. des travaux de cette commissionrésultent, en 1987, le rapport Notre ave-nir à tous ou rapport Brundtland qui posela définition du développement soute-nable (traduction préférée par la Com-mission à celle de développement dura-ble la plus couramment usitée) : « le

développement soutenable est un déve-loppement qui répond aux besoins sanscompromettre la possibilité, pour lesgénérations à venir, de pouvoir répon-dre à leurs propres besoins ». Les conclu-sions du rapport aboutissent à la convo-cation du sommet de la terre à rio deJaneiro en 1992. Cette réunion rassem-

blant les représentants de 178 pays etde plus de 2000 organisations non gou-vernementales adopte la déclaration derio sur l’environnement et le dévelop-pement. Elle fixe ce que doit être le déve-loppement durable et la nécessité del’intégrer à tout processus de dévelop-pement (économique, social, humain,environnemental…). Elle adopte un pro-gramme d’actions pour le XXie siècle,appelé agenda 21.

la charte d’aalborgLa ville n’y échappe pas. En 1994, estsignée dans la ville danoise d’aalborg laCharte des villes européennes pour ladurabilité enjoignant chaque communesignataire à se doter d’une forme localede l’agenda 21. Près d’une soixantained’années après la Charte d’athènes, cettecharte se conçoit comme le nouveautexte de référence pour un urbanisme« durable », des politiques urbaines moinssectorielles. La Charte d’aalborg reposesur le renversement de cinq principesstructurants de la Charte d’athènesLa géographe Cyria Emelianoff, spécia-liste des politiques urbaines de dévelop-pement durable analyse la démarcheproposée par la Charte d’aalborg : « L’in-version assez systématique des prin-cipes de la charte d’athènes n’est pasexclusive au développement durable,bien qu’il y participe activement, ni à pro-prement parler inédite. Certaines pro-positions de l’urbanisme naissant, il y aun siècle, opposées à la vision ultérieuredes Ciam (Congrès international d’ar-chitecture moderne), pourraient êtrerapprochées sans peine de celles des

la ville et ledéveloppementsoutenable

« Le développement soutenable est un développement qui répond aux

besoins sans compromettre la possibilité,pour les générations à venir, de pouvoir

répondre à leurs propres besoins. »

les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. du global au local les rap-ports de l’homme à son milieu sont déterminants pour l’organisation de l’espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... la compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d’un savoir populaire émancipateur.

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villes durables, ce dont témoignent parexemple les écrits de l’urbaniste Patrickgeddes. mais l’amnésie qui a touchécette alternative précoce a interdit ledéploiement de cette vision urbaine. Lespropositions corbuséennes se prêtaientbien mieux à la culture des ingénieursqui allaient prendre en main l’urbanisme. »Cette définition revient à dire que le déve-loppement durable est une forme dedéveloppement économique où seraientréunies les conditions de justice sociale,de croissance économique et de res-pect environnemental, sans, bien entendu,remettre en question le système éco-nomique actuel qui a prouvé et prouveencore son incapacité à tenir ces troisaxes.

écoQuartiers et ville durabledans sa forme urbaine, le développe-ment durable s’intéresse aux frichescomme moyen de développer une villedurable. Ces friches, industrielles ou non,offrent une occasion de reconstructionde la ville sur la ville, qui n’était plus envi-sagée depuis longtemps. La plupart desopérations d’aménagement urbain, dereconstruction ou reconversion, sontprogrammées pour être des écoquar-tiers. sans réelle cohésion de critèressur ce qu’ils doivent être, les proposi-tions ne s’harmonisent que sur les condi-tions techniques et la multiplication denormes de construction toujours plusexigeantes. ainsi peut être qualifiée d’éco-quartier telle opération prévoyant la moi-tié ou plus de logements sociaux, deslogements en accession sociale à la pro-priété, des services publics (écoles,médiathèque, gymnase…) et telle autredessinant un quartier de standing repliésur lui-même avec des modes de fonc-tionnement l’apparentant plus à un quar-tier fermé (gated community) qu’à unecontinuité urbaine. Le nom est identique,mais l’effort pour construire une villepour tous n’est pas le même.

À l’échelle du quartier, il s’agit aussi d’unprojet de société. Penser la ville durable,indépendamment de ses fonctionnali-tés, n’a pas plus de sens que les écoquar-tiers s’ils ne sont conçus que commedes fragments, au risque de créer, assezvite, de nouvelles discontinuités phy-siques, fonctionnelles et sociales. Fina-lement, nombre d’écoquartiers favori-sent l’embourgeoisement. La fabriqueurbaine est alors indiscutablement liéeà la conception de ses fonctions, de laplace des habitants et des salariés dans

le processus de décision, à la concep-tion de l’organisation du territoire pluslarge. La proposition de la ville compactepour limiter l’emprise au sol, les distances-temps et les transports automobiles doitêtre prise en compte pour reposer laquestion de la production, de l’approvi-sionnement et de la proximité du traite-ment des déchets.

des normes deconstruction toujoursplus exigeantestout comme doit être soumise à laréflexion la prolifération de normes deconstruction toujours plus exigeantesqui participent à faire entrer pleinementle logement dans les modes de produc-tion capitaliste en le rendant de plus enplus rapidement obsolète, plus coûteux.Cette évolution est antinomique avecl’idée de soutenabilité. Elle porte les

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germes d’une ville en reconstruction surelle-même de plus en plus fréquemment,selon des normes de plus en plus coû-teuses, en même temps que les facteursd’étalement urbain. au fur et à mesureque les normes de construction du loge-ment évoluent, et ceci de plus en plusrapidement, les constructions déjà réa-lisées deviennent obsolètes et commechaque nouveau produit de consom-mation, les nouvelles sont plus coûteusesque les anciennes. Le mécanisme despéculation immobilière, déjà connu

lorsque de nouveaux logements sontconstruits, n’en est que renforcé. Le pro-cessus de gentrification qui relègue lespopulations les moins aisées à l’extérieurdes centres-villes, voire des villes, setrouve conforté et participe mécanique-ment à l’étalement urbain. L’accéléra-tion de la péremption des normes deconstruction, associée à la spéculation,pousse à construire de l’urbain en péri-phérie loin des équipements et des ser-vices culturels, sociaux, sportifs, trans-ports… présents en ville. La périphériephysique se double alors d’une périphé-rie ressentie et vécue par une popula-tion contrainte à l’éloignement des cen-tres urbains. n

*Corinne Luxemborug estresponsable de la rubriqueProduction de territoires.

« L’accélération de la péremption desnormes de construction, associée à la spé-culation, pousse à construire de l’urbain enpériphérie loin des équipements et des ser-

vices culturels, sociaux, sporrtifs, trans-ports… présents en ville. »

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la culture scientifique est un enjeu de société. l’appropriation citoyenne de celle-ci participe de la construc-tion du projet communiste. chaque mois un article éclaire une question scientifique et technique. et nous pen-sons avec rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sans science n’estsouvent qu’une impasse.

ENTRETIEN AVECPASCAL BELLANCA-PENEL*

au lycée, parle-t-on spontanément desciences, en dehors du programmeet des examens ?rarement. on est fortement contraint,happé par les tâches scolaires, il y a peude latitude pour la réflexion de fond etl’ouverture aux sciences, à l'histoire cul-turelle et sociale. il faut un dispositif particulier, comme « Eureka-débatscitoyens ». La région auvergne rhône-alpes soutient par ce moyen, chaqueannée, les établissements de formationen encourageant des projets éducatifsn’intervenant pas strictement dans lechamp des programmes. J’ai eu la chancede construire un tel dispositif avec desélèves du lycée ampère. Le projet por-tait sur le nucléaire et ses risques ensociété. Cette réflexion a débouché surune table ronde associant deux univer-sitaires, un responsable politique, un res-ponsable de la sûreté nucléaire, un mem-bre de la « société civile » et un enseignant.mais ce ne sont que quelques euros et,en regard, beaucoup d’investissement

et d’énergie de la part des élèves. on nesait pas trop ce que ça deviendra avecLaurent Wauquiez à la tête de la région.Quand c'est bien fait, on peut parvenirà ce que les sciences physiques soientdiscutées en famille, hors de l'école, et

comment accéder à laphysique des particules ?

à éveiller la curiosité intellectuelle, à ceque certains grands débats scientifiqueset techniques (nucléaire, organismesgénétiquement modifiés, gaz de schiste,etc.) ne soient pas que des joutes ora-toires entre des pour et des contre oudes affrontements de spécialistes qu'onne comprend pas.

tu viens de soutenir une thèse sur unphysicien nucléaire très peu connu,jean thibaud (1901-1960). pourquoil'avoir étudié ?il est indispensable de s'intéresser aussiaux perdants, de comprendre pourquoiils ont disparu de la scène. Les sciencesne doivent être ni relativisées, ni idéali-sées. Pour le XXe siècle, on nous présentesurtout en modèle des savants idéaux :désintéressés, dreyfusards, résistants,hérauts des droits de l'homme. or lessciences ne sont pas peuplées seule-ment par de tels savants. il faut penserles deux bords. Jean thibaud a été unatomiste expérimentateur de tout pre-mier ordre. il était créatif, très entrepre-nant et sûrement très ambitieux. il a faitdes découvertes importantes, la princi-pale étant celle de la mise en évidence

de ce qui se passe lorsque la matière (unélectron) rencontre l’antimatière (unpositron) : la matière disparaît pour lais-ser place à de la lumière ! Comment alorspenser l'oubli de ce savant ? Bien sûr,l’histoire est un filtre ; elle ne peut ni ne

doit tout retenir. Le cas thibaud me sem-blait intéressant. il y a eu trois temps derelégation dans sa vie, à des niveaux trèsdifférents. d'abord, le fait de ne pas avoirété convié aux réunions du conseil sol-vay d’octobre 1933 consacrées auxnoyaux atomiques : c'est déjà un déclas-sement académique. Ensuite, son atti-tude pendant la guerre, où il a choisi d'unbout à l'autre le camp de l’accommoda-tion avec le régime du maréchal, ce quilui a valu quelques ennuis à la Libération,dont il s'est à peu près sorti. Enfin, l’épi-sode du plagiat dont il a été convaincupar l’académie des sciences, face à deuxélèves de Frédéric Joliot (george Char-pak et Francis suzor) en décembre 1950- janvier 1951. Cet épisode lui a coûté lehaut-commissariat à l’énergie nucléaireaprès le limogeage de Joliot. Évidem-ment, il est un peu difficile de « fairecorps » avec lui aujourd'hui, mais l'étudede ses travaux et de son action pour l'or-ganisation de la science n'en est pasmoins instructive, comme les méca-nismes sociaux de la science ordinaire :on apprend beaucoup sur la naturehumaine et les relations sociales entretous les hommes.

un tel travail peut-il avoir quelqueretombée sur la diffusion des scienceset de l'esprit scientifique vis-à-vis desélèves ou du grand public ?directement, assez peu. mais je suis entrain d'en adapter une version abrégéesous forme de bande dessinée, dans lecadre d'un partenariat avec le masterd'illustration scientifique et techniquede l’école Estienne (Paris), spécialiséedans les arts graphiques. Ce sera dansl'esprit de la collection « sociorama »chez Casterman, lancée par les socio-logues de l'École normale supérieure deLyon. il s'agit, dans ce cas, d’une rencon-tre entre la bande dessinée et la socio-

Peut-on entrer dans la physique des particules sans être, dès le début, sub-mergé par les grands mots et les concepts abstraits réservés, dit-on, auxesprits supérieurs ?

« mettre les sciences physiques en sociétéet en culture, en tissant des liens entre

le passé, le présent, est un moyen puissantde faire vivre une discipline qui sinonressemblerait à une langue morte. »

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logie. L'objectif est d'aider à la réflexioncritique, en alliant récit, recherche et artgraphique. aujourd'hui, la plupart desgens ne lisent guère de livres entiers, nimême de longs paragraphes, ils sonthabitués à des phrases courtes et à desimages. Cela veut-il dire que la curiositéintellectuelle s'est effondrée ? Ce n'estpas sûr. En tout cas, il ne sert à rien dese lamenter, il faut tenter d’autres modesde diffusion de la recherche. avec moncoauteur, l’illustrateur Louis Pelosse,nous mettons en place un récit graphiqueassociant la trajectoire de Jean thibauddans le siècle, telle que je la comprends,avec une enquête sur les sciences.

mais pourquoi la physique des parti-cules est-elle si peu intuitive ?il n'y a aucune raison pour que les sché-mas qui marchent à l'échelle de la méca-nique dans la vie quotidienne ou à celledu système solaire soient aussi valablesà l'échelle microscopique. on voudraitbien qu'à l'intérieur de noyaux il y ait sim-plement des billes plus petites qui sereposent ou qui tournent, mais ce n'estpas ça. déjà, avec un microscope quigrossit cent ou mille fois, ce qui parais-sait lisse et calme devient souvent irré-gulier, tourmenté, grouillant de partout.alors, il est bien normal qu'à l'échelle dumilliardième, ou de bien plus petit, leschoses marchent tout autrement.

pourquoi s'intéresser à une anciennephysique des particules alors que nosconnaissances ont beaucoup évoluédepuis ?ma réponse sera subjective. J'ai du mal àcomprendre une théorie scientifique sansavoir remonté les fils qui mènent de sesdébuts à aujourd'hui. Choisir un momentintermédiaire est assez efficace : on n'estpas trop loin d'une époque antérieure deconfusion totale, de désarroi, de systèmesimaginés audacieusement et largementfaux ; on n'est pas trop loin non plus del'état actuel de la science. si on ne veutque la dernière théorie, même simplifiée,on bascule trop vite dans l'abstraction eton ne touchera que les gens vraimentmotivés. donc, à moins de faire son deuil,face à la désaffection pour les carrièresscientifiques et au repli de l'intérêt sur lesseuls événements spectaculaires (arri-vée à destination d'une mission spatiale,catastrophe nucléaire, etc.), il faut tenterd'autres approches.

plus précisément dans ce cas ?dans les années 1920, l'appareil centralpour observer des particules, c'est la« chambre à condensation de Wilson ».rutherford disait que c'était l'instrumentle plus extraordinaire de toute l'histoiredes sciences. son principe est simple :on a de la vapeur d'eau et d’alcool ; quandelle est soumise à une certaine pression

qui devrait juste commencer à la liqué-fier (sans que ce soit ici possible en rai-son de l'absence de poussière), si alorsil y passe une particule chargée, cetteparticule réalise la condensation etdépose des gouttelettes qui permettentde suivre sa trajectoire. Ce dispositif aété remplacé vers 1950 par celui des« chambres à bulles », où il y a, à l'inverse,des bulles de gaz dans un liquide. Et puisil y a eu les « chambres à fils » de Char-pak, en 1968.autre aspect : la notion de « champ » en

physique n'est pas si difficile à saisir, c'estelle qui permet de décrire les interac-tions à toutes les échelles. tout le mondecomprend qu'à chaque point de l'es-pace corresponde la température qu'ily fait, c'est un champ de nombres, cequ'on appelle un « champ scalaire ». onvoit à peu près aussi ce que signifie unchamp magnétique ou le champ de lagravitation : chaque particule est attiréepar d'autres dans certaines directionsselon une certaine loi, c'est ce qu'onappelle un « champ de vecteurs ». Laphysique des particules, à très petiteéchelle, peut être décrite dans le mêmeétat d'esprit, c'est plus compliqué, maisdes intermédiaires de la théorie peuventservir d'inspiration et de points de repèrepour aller plus loin.

était-il important de créer un insti-tut de physique atomique, puis un ins-titut de physique nucléaire à lyon vers1930 ?En 1910-1930, tout se passait à Paris, lascience physique était aux mains dequelques personnes : Langevin, Perrin,Borel, de Broglie, etc. Langevin était pro-fesseur au Collège de France, il dirigeaitle laboratoire de l’École de physique etchimie de Paris, il présidait aussi lesconseils solvay. il n'y avait qu'une cen-taine de licenciés de physique en France.C'était un milieu très fermé, contrôlé parune gérontocratie. une nouvelle géné-ration arrive, qui veut s'émanciper, quicomprend l'arrivée d'une discipline d'ave-nir. implanter un laboratoire ailleurs, c'estune volonté personnelle de Jean thi-baud. En ce sens, il est pionnier : l'orga-nisation européenne pour la recherchenucléaire (CErn) à genève, les grands

campus provinciaux, les gros labora-toires de grenoble, tout cela c'est bienaprès la guerre, voire après le colloquede Caen de 1956, lorsqu'on a prisconscience de graves retards de la sciencefrançaise.d'un autre côté, après la guerre, la Franceet en particulier le général de gaulle ontquelque ambition à devenir une puis-sance nucléaire. une trop grande concen-tration locale des savoirs dans cesdomaines pouvait être handicapante.L’histoire des sciences dans les provinces

est déjà un champ très actif et je ne doutepas que les recherches futures nous enapprendront certainement davantageà cet égard.

l'enseignement de la physique contem -poraine intéresse-t-il les élèves ? lestravaux de ta thèse pourraient-ils lesaccrocher ?Parfois pas du tout, même en filière scien-tifique (ce qui en dit long sur le recrute-ment de celle-ci). L'attention des jeunesest éveillée surtout quand c'est entouréd'un certain mystère. ils sont plutôtcurieux des dernières théories physiquesou astrophysiques : matière noire, trounoir, voyage dans le temps. J’aime tra-vailler en donnant du sens, du corps, àce que je dis, au-delà de l’aspect tech-nique ou scolaire ; les élèves se mon-trent plus volontiers présents à la tâche.À cet égard, mettre les sciences phy-siques en société et en culture, en tis-sant des liens entre le passé, le présent(pas uniquement matériel), est un moyenpuissant de faire vivre une discipline quisinon ressemblerait à une langue morte.Par ailleurs, parler aux élèves de l’enquêteque j’ai menée, les faire pénétrer dans lelaboratoire de maurice de Broglie en 1925,ce sont aussi des points d'entrée dansdes questions scientifiques. C'est pour-quoi j'espère beaucoup de la bande des-sinée en cours, qui devrait être prête enmai et mise sur la toile, puis éventuelle-ment sortir en librairie. n

*Pascal Bellanca-Penel est docteur enhistoire des sciences. Il est professeurde physique au lycée Ampère (Lyon).

Propos recueillis par Pierre Crépel.

« Jean thibaud a fait des découvertesimportantes, la mise en évidence

de ce qui se passe lorsque la matière (un électron) rencontre l’antimatière

(un positron) : la matière disparaît pour laisser place à de la lumière ! »

PAR GÉRARD STREIFFSONDAGE

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L’institut odoxa, à la demande du quotidien Le Parisien(4 décembre 2016), a sondé les Français sur la sécu. Le sys-tème d’assurance maladie français est plébiscité. 84 % desFrançais considèrent que c’est un bon système ! La mêmeproportion de sondés (84 %) jugent ce système « meilleur »que celui des autres pays.

« En cette période de montée des périls, les Français sontplus que jamais attachés à ce pilier rassurant qu’est l’as-surance maladie, née après guerre », souligne la journa-liste odile Plichon dans son commentaire. Laquelle ajoute :« En France, nul besoin d’avoir une carte bancaire sur soipour être opéré en urgence : notre samu ultrarapide s’ex-porte dans le monde entier et, fait méconnu, le nombrecroissant de patients pris en charge à 100 % pour causede maladies lourdes ou chroniques (cancers, diabète, hyper-

tension, etc.) s’est soldé par une hausse du taux moyende remboursement dans l’hexagone ces dernières années. »si l’avenir inquiète les sondés, et qu’ils s’attendent à payerplus, en même temps, s’ils sont d’accord pour des« réformes », ils refusent catégoriquement que l’on toucheaux pratiques de remboursement et, sur ce plan, ils ren-voient Fillon dans les cordes. « La surprise de ce sondage,dit Frédéric Pierru, sociologue et spécialiste des ques-tions de santé, c’est que la principale proposition de Fran-çois Fillon visant à séparer le ”petit risque ” – qui ne seraitplus remboursé – du ”gros risque” fait office d’épouvan-tail. Pour les Français, les acquis ne peuvent être bradés.Fillon devra revoir sa copie. »« La proposition de Fillon, rajoute le journal, cristallise tousles rejets. Cette greffe-là, à l’évidence, ne prendra pas dansl’opinion publique. » n

des Français très attachés à la sécurité sociale

comment évaluez-vous le système d’assurance maladie Français ?Très bon : 15 %Plutôt bon : 69 %Plutôt mauvais : 14 %Très mauvais : 2 %

pour chacun des QualiFicatiFs suivants, dites s’il s’appliQue plutôt bien à l’assurance maladie :Meilleur que celui des autres pays : 84 %Efficace : 70 %Égalitaire : 53 %Juste : 51 %En danger : 79 %Suscite de nombreux abus : 78 %

êtes-vous Favorable ou opposé à ces mesures visant à réduirele déFicit de l’assurance maladie ?

AUGMENTER LA PRISE EN CHARGE DES FRAIS DE SANTÉ PAR LES MUTUELLES :favorables : 41 %opposés : 58 %

NE PLUS REMBOURSER QUE LES MÉDICAMENTS POUR LES MALADIES LES PLUS GRAVES :favorables : 11 %opposés : 89 %

Meilleur que celui des autres pays : 84 %Efficace : 70 %Égalitaire : 53 %

Juste : 51 %En danger : 79 %

Suscite de nombreux abus : 78 %

Très bon : 15 %Plutôt bon : 69 %

Plutôt mauvais : 14 %Très mauvais : 2 %

Force est de constater que les départements et territoiresd’outre-mer font trop peu souvent l’objet de l’attention desjournalistes, des hommes et des femmes politiques mais aussides scientifiques. Pourtant, un rapide regard sur la situationéconomique et sociale de ces territoires devrait nous convain-cre que les conditions d’existence de nos concitoyens d’outre-mer sont pourtant loin d’être satisfaisantes. Pour l’il-lustrer, nous vous proposons de revenir sur les conditions delogement à mayotte.situé dans l’archipel des Comores, dans l’océan indien etproche de madagascar, mayotte est un ensemble d’îles quicomptait 226 900 habitants au 1er janvier 2015. La majoritédes ménages vivant à mayotte sont dans des conditions delogement difficiles, souvent très éloignées des standards desautres départements français. En effet, plus d’un tiers des53 200 résidences principales sont des maisons en tôle. mêmesi les accès à l’eau et à l’électricité se sont améliorés, près de30 % des ménages n’ont pas encore accès à l’eau courantedans leur logement et 57 % vivent sans électricité ou avec uneinstallation électrique dégradée. Les deux tiers des logementsde mayotte sont dépourvus d’un des trois éléments de confortsanitaire de base : l’eau courante, une baignoire ou une douche,et des toilettes à l’intérieur du logement. si l’on intègre l’ab-sence de cuisine, l’absence d’électricité ou une installationélectrique dégradée, ce sont près de 75 % des logements demayotte dans lesquels il manque au moins l’un de ces élé-

ments de confort. seulement 12 % des logements à La réu-nion et 5 % en métropole sont dans le même cas. Ce sont prin-cipalement les maisons en tôle qui sont concernées : 97 %n’ont pas de toilettes à l’intérieur du logement, 79 % sont sansélectricité ou avec une installation électrique dégradée.une autre caractéristique des logements à mayotte est leursurpleuplement, c’est-à-dire qu’ils sont trop petits par rap-port à la taille du ménage : plus de six logements sur dix sontsurpeuplés, contre un sur dix en métropole. une fois encore,ce sont principalement les maisons en tôle qui sont concer-nées (9 sur 10) mais c’est aussi le cas pour la moitié des loge-ments en dur. or ce sont les logements surpeuplés qui sontles plus défectueux : 88 % des logements surpeuplés ont aumoins un défaut et 46 % en ont quatre ou cinq. À mayotte,35 % des logements sont en surpeuplement accentué : ilsdevraient disposer d’au moins deux pièces supplémentaires. Finalement, on observe une segmentation du marché du loge-ment mahorais. d’un côté, on trouve des logements prochesdes normes nationales, c’est-à-dire présentant au maximumun défaut (43 % des logements en location) où les loyers men-suels sont plus élevés (660 euros pour les logements sansdéfaut et 420 euros pour ceux avec un défaut). de l’autre, ontrouve des logements ayant au moins deux défauts et qui ontdonc des loyers mensuels nettement inférieurs (90 euros enmoyenne et 60 euros pour un logement qui cumule les cinqdéfauts). n

PAR FANNY CHARTIER

STATISTIQUES

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les logements à mayotte sont loin des standardsnationaux français

part des logements où manQuent des éléments de conFort, en %

Lecture : 59 % des logements n’ont pas de toilettes à Mayotte (2 % à La Réunion). Dans le détail, 36 % des logements endur à Mayotte et 97 % des maisons en tôle ne sont pas équipés de toilettes à l'intérieur du logement.

source : insEE, Enquête Logement Mayotte, 2013.

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lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d’hier et d’aujourd’hui, faire connaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d’autres, les analyses et le projet des communistes.

john rawls, du libéralismeà l’égalité sociale

ENTRETIEN AVEC RIMA HAWI*

pourquoi avoir choisi de faire votre thèse sur l’œuvre dejohn rawls ?C’était presque par un simple hasard. Quand j’étais encoreà Beyrouth, dans le cadre d’un cours d’économie publique,on nous a présenté les théories utilitaristes et de justicesociale. J’ai fait des recherches à la bibliothèque pour allerplus loin et j’y ai trouvé un livre intitulé Théorie de la jus-ticede John Rawls. Sur le chemin du retour, je l’ai fait tom-ber dans une flaque d’eau. J’ai essayé de le nettoyer pagepar page, ce fut d’une certaine façon le début de ma lec-ture. Ensuite, je suis venue en France où j’ai réalisé monDEA d’histoire de la pensée économique et fait un mémoiresur les utilitaristes. J’ai continué mon travail sur Rawls caril a rapport avec la théorie utilitariste.

le choix de traiter rawls avec un angle progressiste s’ins-crit-il dans le cadre d’un engagement politique ?Non, je n’étais pas engagée quand j’ai commencé ce tra-vail. De plus, en France, cet auteur est clairement présentécomme un libéral. Il n’y a donc aucune raison de faire lelien entre un engagement personnel progressiste et JohnRawls.

c’est un ouvrage d’économie mais la démarche n’est-elle pas plutôt littéraire ?C’est bien une thèse d’économie. Mais, dans un soucid’exactitude, on pourrait affirmer qu’il s’agit d’une thèsede philosophie-économie. Les deux disciplines sont inti-mement liées lorsqu’on aborde la justice sociale. JohnRawls fait également ce lien. Les « grands utilitaristes »,selon ses propres termes, contre lesquels il se positionne,sont économistes. Par conséquent, s’il voulait contrer leursthéories, il était dans l’obligation de compléter sa forma-tion philosophique par des cours d’économie. Ce livreretrace dans un premier temps le parcours des influenceséconomiques et philosophiques de Rawls, ensuite le débatqu’il a suscité dans les deux disciplines et enfin les pers-pectives progressistes que l’on peut tirer de son œuvre.

Concernant la méthodologie, j’ai fait le choix de ne passeulement traiter son ouvrage principal (Théorie de la jus-tice) mais de travailler aussi sur ses premiers écrits dudébut des années 1950 jusqu’à son dernier ouvrage. J’aidécouvert qu’il avait un parcours intellectuel très intéres-sant qui n’est pas linéaire, contrairement à ce qui peut êtredit. Ce que j’essaye de démontrer dans ce travail est dif-férent de ce que la littérature secondaire a l’habitude deprésenter. Amener John Rawls vers le dépassement du sys-tème capitaliste est malheureusement vu comme un posi-tionnement dogmatique. Donc ne devant pas faire l’ob-jet de considération.

pourriez-vous définir en quelques mots l’utilitarisme ?Trotski écrit dans sa biographie : « L’utilitarisme de Ben-tham me semblait être le dernier mot de la penséehumaine. Durant quelques mois, je me sentis irrésistiblebenthamiste. » Cela montre quel attrait peut avoir la théo-rie utilitariste. D’après Rawls, il y a effectivement quelquechose de naturel et rationnel à affirmer que la finalité del’individu consiste dans la recherche de son bonheur indi-viduel, c’est-à-dire de maximiser ses plaisirs et diminuerses peines. Dans la théorie utilitariste cette idée est éten-due au collectif, il s’agit de maximiser le plus grand bon-heur du plus grand nombre, tout en prenant en compteque chaque personne ne compte que pour un. Cela jus-tifie les politiques économiques dites conséquentialistes.C’est-à-dire la conséquence que peut avoir une politiqueéconomique sur le bonheur du plus grand nombre. Audépart, John Rawls se situe dans la citadelle utilitariste.

comment rawls se positionne par rapport à cettethéorie ?Il se différencie des penseurs utilitaristes sur la questionde la justice sociale et de la redistribution des richesses.Il résume la théorie utilitariste au fait qu’elle ne soit pasdistributive. D’abord, « le plus grand bonheur du plusgrand nombre » signifie qu’on ne s’intéresse pas au petitnombre. Ensuite, cette théorie ne s’intéresserait pas à lafaçon dont on redistribue et distribue les droits, les devoirs,les privilèges, les chances et les richesses. Tout au plus,

John rawls (1921-2002) est un philosophe américain qui a inspiré de nom-breux théoriciens libéraux, des plus radicaux comme Friedrich hayek jusqu’auxmodérés tel amartya sen. Pourtant, dans son dernier ouvrage John Rawls, iti-néraire d’un libéral américain vers l’égalité sociale, rima hawi dresse un por-trait bien plus nuancé de cet auteur. rawls évoquerait même dans son dernierouvrage la nécessité de dépasser le système capitaliste, un aspect de sonœuvre bien moins prisé par les théoriciens du libéralisme.

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l’utilitarisme dans sa version égalitaire préférera la répar-tition égale parmi deux répartitions qui produisent lamême satisfaction totale. Mais ce n’est pas la probléma-tique principale.C’est donc sur ce point précis qu’il se positionne. Mais audébut de Théorie de la justice, il commet l’erreur de vou-loir formuler une réponse systématique aux utilitaristes.C’est trop large. Il réduit le champ de comparaison dansson second ouvrage (Libéralisme politique) pour finale-ment abandonner la comparaison avec l’utilitarisme. Sathéorie étant devenue fiable (donc critiquable en soi) sanscomparaison nécessaire.

d’après votre travail, john rawls connaît une grande évo-lution intellectuelle. Quels en sont les moments clé ?Du point de vue des écrits, il y a deux Rawls : celui deslivres et celui des notes de bas de page. Dans ces dernièresse trouvent ses inspirations théoriques, ses rectificationset ses limites théoriques. Il y a aussile Rawls des archives et je suis alléedirectement à Harvard pour lesconsulter. J’ai découvert une auto-biographie, un cahier des obsèquesmais aussi des index qu’il réalisaitlui-même sur chaque ouvrage qu’illisait. Cette matière nous donne desindications sur les notions et lesauteurs qui l’interpellaient. Troismoments peuvent être déduits àl’appui de ces différentes sources.Les travaux jusqu’à son premierouvrage et celui-ci y compris carac-térisent le premier moment. Celuide l’établissement de sa théorie : lajustice comme équité et le travail surces principes de justice (égale libertépour tous, égalité des chances et principe de différenceou amélioration de la situation des plus défavorisés) etleur validation théorique. À ce moment le point impor-tant est de présenter sa théorie comme une théorie ducontrat social. Entre son premier et son deuxième ouvrage,il travaille essentiellement sur la stabilité de sa théorie. End’autres termes, il se demande comment s’assurer de lastabilité d’une société au regard des principes qu’il a défi-nis. Enfin, son dernier moment est le passage entre ledeuxième et le troisième livre. Il s’interroge sur les sys-tèmes et les régimes socio-économiques capables de met-tre en œuvre les principes de justice.À ce stade, il qualifie son travail d’utopie réaliste. Il se posela question du régime politique pouvant mettre en placeles principes de justice qu’il a développés dans les années1950. Il définit cinq types de régime : 1) le capitalisme dulaisser-faire ; 2) le capitalisme de l’État-providence ; 3) lesocialisme d’État avec économie dirigée ; 4) le socialismelibéral démocratique ; 5) la démocratie de propriétaires.

il est aisé de saisir à quoi se réfèrent les trois premièrescatégories, pouvez-vous nous en dire plus sur les deux der-nières ?Avant, j’aimerais ajouter une précision. Cette typologieest une reprise de ce qu’il avait déjà travaillé dans Théo-rie de la justice et qui a parfois été dévoyée, je cite : « Cer-taines personnes ont pu interpréter ma théorie commeétant une théorie qui pouvait s’associer à un capitalismed’État-providence. » C’est le chemin pris par une grandepartie de la littérature secondaire. Dans son dernierouvrage, il se distingue donc du capitalisme de type « lais-ser-faire » à la Hayek mais aussi du capitalisme d’État-pro-vidence.

Le capitalisme du « laisser-faire » s’intéresse seulementaux questions d’efficacité et laisse de côté les questionsde justice sociale. Le capitalisme d’État-providence sepréoccupe de l’égalité des chances mais n’organise pasles politiques nécessaires pour la réaliser car ce systèmeest dirigé par une minorité possédant les pouvoirs éco-nomiques et politiques, de sorte qu’une majorité (les défa-vorisés, les travailleurs) est exclue du processus politique,donc des décisions. C’est très important de le souligner,rappelons-nous que John Rawls est une référence incon-tournable pour bon nombre d’auteurs libéraux, voire ultra-libéraux !Par conséquent, il reste deux systèmes : la démocratie depropriétaires et le socialisme libéral (ou de marché). Ladémocratie de propriétaires, qu’il défend, fait le constatque dans la société capitaliste il y a une inégalité de pro-priété des moyens de production. Cette inégalité engen-dre nécessairement des « défavorisés ». Il faut donc répar-

tir la propriété pour que les individusdéfavorisés aient la possibilité d’accéderà des revenus et des richesses supérieurset puissent réaliser leur projet de vie. Lesocialisme de marché, à la différenced’un socialisme dirigé, n’est pas un socia-lisme de parti unique, le pouvoir poli-tique est partagé. C’est une économiede marché avec des institutions enarrière-fond. On peut penser à des entre-prises qui seraient dirigées par des tra-vailleurs.

va-t-il plus loin dans la caractérisationde son projet ?Non, malheureusement, il s’avance peusur ces deux derniers régimes qu’il dif-férencie uniquement comme différents

du capitalisme. Toutefois, il fait une ouverture assezincroyable à la fin de son ouvrage, La Justice comme équité :une reformulation de la Théorie de la justice. Dans la sec-tion 52, à propos de la critique marxienne du libéralisme,il se demande : « Quelles sont les deux objections que sou-lèverait Marx par rapport à la démocratie de proprié-taires ? » Il met en évidence deux limites auxquelles, d’ail-leurs, il ne répond pas. Premièrement, un régime fondésur la propriété privée engendre nécessairement des forceséconomiques et politiques qui l’éloignent des exigencesde justice sociale, entre autres, parce que ce régime pro-meut la compétitivité et le désir d’augmenter son capital.La deuxième limite est exprimée dans la section 52.3.D’après lui, le modèle des institutions d’une démocratiede propriétaires n’a pas pris en compte la démocratie surle lieu de travail. Il affirme que Marx soulèverait la ques-tion de la démocratie sur le lieu de travail et son rôle dansla détermination du cours général de l’économie. Cela leconduit à se demander : est-ce qu’une entreprise dirigéepar des travailleurs changerait le système ? Cette questionexige un examen minutieux. Les perspectives à long termed’un régime constitutionnel juste pourraient bien dépen-dre d’elle.C’est ainsi le constat de Rawls que la limite de tout le tra-vail qu’il a accompli pendant des décennies sur les insti-tutions reste que les portes de l’entreprise n’ont jamaisété ouvertes. Là où la confrontation entre les plus défavo-risés – les travailleurs – et les plus favorisés – les capita-listes – a lieu et est la plus violente. n

*Rima Hawi est économiste. Elle est maître de conférencesà l’université de Versailles- Saint-Quentin-en-Yvelines.Propos recueillis par Quentin Corzani.

« Le socialisme de marché, à ladifférence d’un

socialisme dirigé,n’est pas un

socialisme de partiunique, le pouvoir

politique estpartagé. »

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qui l'utiliserait à sa guise pour maintenir sa domination.L’État dispose d'une autonomie relative par rapport à laclasse dominante. Ce qui ne l'empêche pas, paradoxale-ment, de continuer à être un État de classe, un État capita-liste. L’État n'est pas l'instrument de « la » classe dominantepour cette raison simple que celle-ci n'est pas homogène,qu'elle est divisée en fractions de classes aux intérêts trèsdivers. D'où la nécessité d'une instance extérieure, l’État,qui coordonne ces différents intérêts. État qui soit capable,aussi, d'organiser l'intérêt à long terme de la classe domi-nante, contre sa tendance spontanée au court terme. À celail faut ajouter que l’État a été en partie façonné par les luttespopulaires. La Sécurité sociale par exemple n'est en rienl'expression de la volonté de la classe dominante.D'où la formule fameuse : « L’État est la condensation maté-rielle d'un rapport de force entre les classes et les fractionsde classes. » L’État est tout entier traversé, dans chacune deses fonctions, dans chacune de ses institutions, par ces rap-ports de forces entre classes et fractions de classes. Il n'estl'instrument d'aucune classe mais un champ de lutte. n

Black AmericaUne histoire des luttes pourl’égalité et la justice (XIXe-XXIe

siècle)

Éditions La Découverte, 2016

CAROLINE ROLLAND-DIAMOND

PAR IGOR MARTINACHE

Tandis que Barack Obama vient de quitter la Maison-Blanche après huit années au pouvoir, d’aucuns ont relevénon sans paradoxe que l’élection du premier président« noir » s’était accompagnée d’un regain des tensions racialesaux États-Unis. Tensions qui se sont en particulier cristal-lisées dans une série de mouvements émeutiers systéma-tiquement déclenchés par l’assassinat par des policiers oumiliciens de jeunes hommes noirs désarmés et innocents.Un scénario malheureusement bien rodé dans ce pays etqui ne constitue que la face émergée de l’iceberg d’unerelégation socio-économique tous azimuts des Africains-Américains, qui persiste jusqu’à aujourd’hui en dépit desproclamations de certains. Pour saisir les racines de cette« question raciale », il s’avère comme souvent indispensa-ble de regarder vers le passé. C’est ce que propose oppor-tunément l’historienne Caroline Rolland-Diamond enretraçant la constitution progressive d’un mouvement cul-turel noir au cours du siècle et demi écoulé. Elle revientainsi largement sur les multiples violences physiques,légales, symboliques et sociales, qui se sont poursuiviesbien après la fin de l’esclavage en 1865, mais aussi et sur-tout sur les diverses mobilisations des femmes et hommes« de couleur » pour conquérir une égale dignité. L’auteuredétaille ainsi les différentes figures de cette lutte émanci-patrice qui ne doivent cependant pas occulter le rôle decentaines de milliers de bien mal qualifiés d’anonymes. Àcôté des Martin Luther King, Marcus Garvey ou Malcolm X,il ne faut pas oublier le rôle déterminant d’Ida B. Wells, deGloria Richardson ou évidemment de Rosa Parks. Militantecommuniste chevronnée, celle-ci était d’ailleurs bien éloi-gnée de l’image de passivité qu’on en a conservée – elle-même d’ailleurs en partie forgée par les militants d’alors,soucieux de donner des gages de respectabilité pour gagnerle soutien de « l’opinion ». De même, Martin Luther King

Comment épouser un milliardaireFayard, 2016

AUDREY VERNON

PAR PATRICK COULON

En seulement quatre-vingt-quinzepages, Audrey Vernon, comédienne,

réussit à nous faire sourire, tout en nous détaillant la méca-nique du capitalisme mondialisé et les inégalités l’accom-pagnant.S’inscrivant dans la veine de cette nouvelle générationd’humoristes de talent et engagés à leur façon (SophieAram, Guillaume Meurice, Charline Vanhoenacker, NicoleFerroni), elle jette un regard cruel et dévastateur sur cemonde délirant des milliardaires.Ce livre reprend le texte de son spectacle où elle brocardeles ultra-riches.Issue d’un milieu aisé, elle révèle dans une interview à L’Hu-manité -Dimancheque l’idée de ce spectacle lui est venueen 2006 : « Depuis, en dix ans, la pauvreté a explosé à Paris.Souvent je vois des mères et des retraités faire les poubelles.Ce n’était pas le cas avant. Jamais une telle injustice n’avaitexisté dans l’histoire du monde. Même à l’époque féodale,ces disparités n’étaient pas aussi astronomiques. Quelquesriches ont réussi à posséder 40 % de la richesse mondiale.(Les lecteurs et lectrices du dernier livre de Pierre Laurent99 %apprécieront.) Comment être heureux dans ce monde. »Quelques extraits qui vous inciteront certainement à vousprocurer l’ouvrage ou à savourer son spectacle qui fut d’ail-leurs programmé lors de la dernière Fête de L’Huma.« On ne prend pas l’avion à Roissy ou à Orly ; non ça faitplouc ! On prend l’avion au Bourget… pas à Beauvais. » Eton dit : « Mon chéri, t’as pas vu les clefs du Falcon ? Fautque j’aille faire une course… Ah, tant que j’y suis, tu vou-drais pas qu’on change d’avion ? J’aime pas en avoir un del’année dernière. J’ai l’impression de voler dans une vieillerobe. » « À propos de la crise, faut que je vous dise : c’estpas une crise, c’est une arnaque. La crise, c’est ça : on faitdisparaître du faux argent, et on demande aux gens de rem-bourser avec du vrai. » n

La Fin de l’Étatdémocratique, Nicos Poulantzas, unmarxisme pour le XXIe siècleActuel Marx / PUF, 2016

JEAN-NUMA DUCANGE,RAZMIG KEUCHEYAN (dir.)

PAR FLORIAN GULLI

Ce petit livre est issu d'un colloque organisé à l'universitéParis IV. Il est l'occasion de découvrir un penseur marxisteimportant mais parfois difficile : Nicos Poulantzas.Poulantzas est d'abord connu pour être l'un des principauxthéoriciens de l’État au XXe siècle. L’État pour Poulantzasn'est pas un instrument entre les mains de la bourgeoisie

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communiste et la presse spécialisée (L’Écran français, heb-domadaire consacré au cinéma, 1944-1952), ou encore denombreux entretiens.L’intérêt du PCF pour le cinéma est précoce, comme leprouve la figure de Léon Moussinac qui adhère au parti en1924 et publie en 1928 une histoire du Cinéma soviétique.À partir de la deuxième moitié des années 1920, des filmssont réalisés à l’initiative du PCF ou de municipalités com-munistes de la banlieue parisienne, à l’instar de La vie està nous (1936) de Jean Renoir, commandé à l’occasion duFront populaire. Les communistes se montrent égalementattentifs à la diffusion en créant en 1937 des sociétés commela Marseillaise ou les Films populaires. Ceci contribue àcréer un « contrechamp » cinématographique s’opposantaux productions dominantes.Après la Seconde Guerre mondiale le PCF investit direc-tement le champ principal afin de lui donner un sens pro-gressiste. Cet investissement est permis par la nomina-tion de sympathisants ou de communistes à des postesclés, comme Jean Painlevé à la tête de la Direction géné-rale de la cinématographie en 1944, mais aussi par l’at-trait et l’influence qu’ont le parti et la CGT chez de nom-breux professionnels. Aucun autre parti ne peut alorsrivaliser avec le PCF dans le champ cinématographique.Cependant, le parti ne parvient pas à peser suffisammentsur le cinéma français, par manque de poids économiquemais aussi politique, surtout après 1947. Les films pro-duits ou diffusés ne sont pas rentables et ne touchentqu’un public réduit, limitant fortement leur portée.Malgré l’influence que le PCF conserve chez de nombreuxprofessionnels du cinéma, malgré les campagnes visantà défendre le cinéma français, progressiste, contre le cinémahollywoodien favorisé par les accords Blum-Byrnes, lesfilms produits ou défendus par le parti ou par des com-munistes ne rencontrent qu’un écho limité dans la Francede la fin des années 1940-1950. Cela s’explique en partiepar la censure qui les touche après la fin du tripartismemais aussi par une rigidification interne qui tend, avec leréalisme socialiste, à condamner de nombreux films endécalage avec le message ou le ton politiques du moment,marqués par un contexte de guerre froide.À partir du milieu des années 1950, une certaine distancese crée : la critique est moins inféodée, voire hostile auparti, à l’instar de la revue Positif, fondée en 1952. Lesdécès de certains professionnels communistes ou lesdéparts volontaires suite aux événements de Budapest(1956) entraînent également un changement génération-nel. De plus, se développe un cinéma militant – parfoiscommuniste – en dehors des cadres du parti, tel que Sucreamer, documentaire réalisé par Yann Le Masson en 1963.S’il n’y a qu’une conclusion à tirer de ce riche ouvragequi s’inscrit dans le renouvellement des études consa-crées à la culture communiste, c’est probablement l’échecde la tentative d’investissement du champ cinématogra-phique – et plus largement artistique – par le PCF, ou unparti politique, échec à la fois en termes politiques puisquele message propagandiste passe peu, en termes écono-miques puisque les films produits sous ce signe sont descharges financières et cinématographiques. Cela ne signi-fie pas que les deux sphères doivent être distinctes. Il fauttrouver une juste distance, permettant à la fois une auto-nomie artistique (esthétique) et la défense d’un messagepolitique ou civique, sans renoncer à une forme de « com-merciabilité », qui relève de la valeur de l’art et permetsurtout une diffusion plus ample. n

était-il bien éloigné de la version affadie qu’en a promueune administration Reagan acculée dans les années 1980au vote d’un jour férié en l’honneur du pasteur baptiste.Ces deux figures majeures incarnent d’ailleurs à elles seulesles principales tensions qui ont traversé ce vaste mouve-ment noir fait de multiples organisations et de tournantssoigneusement restitués par Caroline Rolland-Diamond.La première concerne en effet la place des femmes et plusprécisément la difficile émergence d’un féminisme noir àcôté de l’exaltation de valeurs viriles que les escouadesparamilitaires du Black Panthers Party ont sans doutepoussé à leur paroxysme. Le rapport à la violence et à laradicalité politique constitue justement l’autre grande frac-ture interne dès le début du XXe siècle, entre d’une part lestenants de la recherche d’une promotion sociale (uplift)individuelle plus que collective, passant par l’éducation etla réussite économique dans la lignée de Booker T. Washing -ton, et ceux revendiquant l’égalité civile et politique immé-diate, davantage inspirés par W.E.B. Du Bois. Une telle ten-sion ne doit cependant pas faire oublier le fait, comme yinsiste l’auteure, qu’il s’agit bel et bien des deux ramifica-tions indissociables d’un même mouvement, de mêmequ’il ne faut pas occulter l’importance des activités cultu-relles, et notamment sportives, dans la formation progres-sive d’une conscience commune des femmes et des hommesnoirs états-uniens, de même que le soutien sans ambagesdu Parti communiste américain, même si l’accusationd’être des « rouges » a pu servir à plusieurs reprises à délé-gitimer militantes et militants noirs. Bref, malgré sa tailleintimidante, cet ouvrage sans équivalent se lit comme unroman – édifiant et révoltant – et représente une lectureindispensable à qui veut comprendre l’une des fracturesmajeures qui travaille la société états-unienne contempo-raine et plonger sous la surface des grandes représenta-tions médiatiques pour tirer les différents linéaments d’uncombat pour l’égalité encore inachevé. n

Les Communistes etle cinéma. France, dela Libération aux années1960Presses universitaires deRennes, 2015

PAULINE GALLINARI

PAR STÈVE BESSAC

D’emblée, Pauline Gallinari, dans son ouvrage issu de sathèse de doctorat, justifie son objet d’étude en rappelantque, d’après Lénine, « le cinéma est le plus important detous les arts » touchant un vaste public. Pour mener à bienses recherches sur les liens qu’entretient le PCF avec lechamp cinématographique et sur les productions du parti,l’auteure s’appuie sur de riches et nombreuses sources.Parmi celles-ci, citons Ciné-Archives – dont le but est deconserver et promouvoir les films communistes –, des fondsd’archives personnels (dont ceux de Georges Sadoul, deJean-Paul Le Chanois et de Charles Chézeau), les comptesrendus des réunions des instances centrales du parti, lessociétés de production et de diffusion, l’association France-URSS – chargée de diffuser le cinéma soviétique –, la presse

DANS LE TEXTE

( LÉn

inE)

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le projet communiste de demain ne saurait se passer des élaborations théoriques que marx et d’autres avec luinous ont transmises. sans dogme mais de manière constructive, La Revue du projet propose des éclairages contem-porains sur ces textes en en présentant l’histoire et l’actualité.

PAR FLORIAN GULLI ETAURÉLIEN ARAMINI

il est impossible derenoncer à toutcompromisDans la lutte politique pour prendre lepouvoir et le conserver, le parti révolu-tionnaire doit prendre des décisions etse positionner vis-à-vis des autres forcesen présence. Or, au sein des rapportsde force constitutifs de la politique, unedes parties peut être amenée à faire uncompromis, c’est-à-dire à accepter unarrangement avec une autre force enabandonnant une partie de ses reven-dications et en acceptant de faire desconcessions. Dans la perspective d’éla-borer une tactique révolutionnaire,Lénine combat la position qui consisteà rejeter par principe les compromis.En 1920, une telle attitude, que Engelscritiquait déjà chez les communardsblanquistes clamant « Pas de compro-mis ! », se retrouve chez les « puristes »du Parti communiste anglais quirefuse de participer à l’action parle-mentaire avec le Labour Party. Ainsila camarade anglaise Sylvia Pankhurstaffirme-t-elle : « Le Parti communistene doit pas conclure de compromis…Il doit conserver pure sa doctrine etimmaculée son indépendance vis-à-vis du réformisme. »Dans le cadre de la politique inter-nationale, la question du compro-mis s’est imposée au parti révolu-tionnaire lorsqu’il a pris le pouvoiren novembre 1917. L’une des reven-dications majeures du parti dirigépar Lénine était de mettre fin à laguerre. Or les « Empires centraux »menés par l’Empire allemand, ontimposé au gouvernement russe desconditions très dures : le traité deBrest-Litovsk, signé le 3 mars 1918,

Aujourd'hui, lorsque j'entends attaquer, comme le font par exemple les "socia-listes-révolutionnaires", la tactique que nous avons suivie en signant la paixde Brest-Litovsk, ou lorsque j'entends cette remarque que me fit le camaradeLansbury au cours d'un entretien : nos chefs anglais des trade-unions disentque les compromis sont admissibles pour eux aussi, puisqu'ils l'ont été pour le"bolchevisme", je réponds généralement tout d'abord par cette comparaisonsimple et "populaire " :Imaginez-vous que votre automobile soit arrêtée par des bandits armés. Vousleur donnez votre argent, votre passeport, votre revolver, votre auto. Vous vousdébarrassez ainsi de l'agréable voisinage des bandits. C'est là un compromis,à n'en pas douter. "Do ut des" (je te "donne" mon argent, mes armes, monauto, "pour que tu me donnes" la possibilité de me retirer sain et sauf). Maison trouverait difficilement un homme, à moins qu'il n'ait perdu la raison,pour déclarer pareil compromis "inadmissible en principe", ou pour dénoncercelui qui l'a conclu comme complice des bandits (encore que les bandits, unefois maîtres de l'auto, aient pu s'en servir, ainsi que des armes, pour de nou-veaux brigandages). Notre compromis avec les bandits de l'impérialisme alle-mand a été analogue à celui-là […].La conclusion est claire : rejeter les compromis "en principe", nier la légitimitédes compromis en général, quels qu'ils soient, c'est un enfantillage qu'il est mêmedifficile de prendre au sérieux. L'homme politique désireux d'être utile auprolétariat révolutionnaire doit savoir discerner les cas concrets où les com-promis sont inadmissibles, où ils expriment l'opportunisme et la trahison, etdiriger contre ces compromis concrets tout le tranchant de sa critique, les dénon-cer implacablement, leur déclarer une guerre irréconciliable, sans permettre auxvieux routiers du socialisme "d'affaires", ni aux jésuites parlementaires de sedérober, d'échapper par des dissertations sur les "compromis en général", à laresponsabilité qui leur incombe […].Il y a compromis et compromis. Il faut savoir analyser la situation et les condi-tions concrètes de chaque compromis ou de chaque variété de compromis. Ilfaut apprendre à distinguer entre l'homme qui a donné aux bandits de l'argentet des armes pour diminuer le mal causé par ces bandits et faciliter leur cap-ture et leur exécution, et l'homme qui donne aux bandits de l'argent et des armesafin de participer au partage de leur butin. En politique, la chose est loind'être toujours aussi facile que dans mon exemple d'une simplicité enfantine.Mais celui qui s'aviserait d'imaginer pour les ouvriers une recette offrant d'avancedes solutions toutes prêtes pour toutes les circonstances de la vie, ou qui assu-rerait que dans la politique du prolétariat révolutionnaire il ne se rencontrerajamais de difficultés ni de situations embrouillées, celui-là ne serait qu'uncharlatan.

La Maladie infantile du communisme (Le « gauchisme ») (1920),

Œuvres complètes, tome 31, Éditions sociales, Paris,

Éditions du progrès, Moscou, 1960, p. 31-32.

il y a compromis et compromis Faire un compromis en politique, c'est abandonner certaines revendications, en vue deconclure un accord avec d'autres partis, d'autres groupes sociaux ou d'autres nations.L’action politique révolutionnaire implique-t-elle de renoncer, par principe, à toute formede compromis ou, au contraire, certains compromis sont-ils parfois nécessaires pour fairetriompher la révolution ? Lénine considère que refuser tout compromis relève d’une formed’infantilisme politique. il faut en revanche savoir bien distinguer, parmi les compromis,ceux qui sont nécessaires et ceux qui sont des trahisons.

DANS LE TEXTE

La rEvuEdu ProJEt

FÉvriEr 2017

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pés à dissimuler leur trahison sous unephraséologie révolutionnaire.« Gauchisme » et « opportunisme » serejoignent sur un point. Ils abordentla question du compromis de façonabstraite. Pour le gauchisme, tout com-promis est une compromission, unetrahison. Pour l'opportunisme, le com-promis est bon « en général ». Aucundes deux ne se prononce après ana-lyse de la situation et des « conditionsconcrètes » du compromis.Il convient pour Lénine de quitter cetteabstraction. Il faut savoir distinguerles compromis nécessaires et les com-promis de trahison, expliquer les pre-miers, condamner fermement lesseconds. Mais aucune « recette »,aucune formule théorique générale,ne permet d'opérer cette distinctionen toutes circonstances. On ne peutcontourner le moment de l'analyse dessituations concrètes. Celles-ci peuventêtre particulièrement « embrouillées » :les forces en présence très nom-breuses, leurs intérêts multiples, lesréactions des autres forces difficiles àanticiper, les conséquences des déci-sions presque incalculables, etc. Dansde telles conditions, la distinction desvariétés de compromis est malaisée.La doctrine, toujours générale, n'aidepas à saisir les particularités de la situa-tion. Il faut s'en remettre à « l'expé-rience », au « flair politique », des mem-bres du parti. « Le devoir d'un partivraiment révolutionnaire, écrit Léninedans un article de 1917, n'est pas deproclamer une renonciation impossi-ble à tout compromis, mais bien desavoir rester, à travers tous les com-promis, dans la mesure où ils sont iné-vitables, fidèle à ses principes, à saclasse, à sa mission révolutionnaire, àsa tâche de préparation de la révolu-tion et d'éducation des masses en vuede la victoire révolutionnaire. » n

cipes, en faisant donc totalement abs-traction des rapports de forces définis-sant la situation historique concrète.La question s'est posée très tôt, bienavant 1917. En 1905, Lénine proposeune alliance des ouvriers avec les pay-sans pour faire tomber le tsarisme. Cequi implique de faire un compromis :accéder aux revendications paysannes– la division en propriétés privées desterres féodales – et donc renoncer à larevendication socialiste de collectivi-sation des terres. Ce compromis se jus-tifie, aux yeux de Lénine, par la priseen compte des rapports de forces danscette grande nation paysanne qu'est laRussie. Pas de victoire contre le tsa-risme sans l'union des ouvriers et despaysans. Et si la victoire n'est pas encoresocialiste, elle est néanmoins un pro-grès historique.Indifférent aux rapports de forces, l'in-fantilisme l'est aussi aux conséquencesdes actions. Il les évalue exclusive-ment en fonction de leur conformitéaux principes sans jamais prendre encompte leurs résultats. En quoi il estnaïf, imaginant qu'il suffit de vouloir,de bien vouloir, pour faire advenir unmonde conforme à ses idées. C'estoublier l'ironie de l'histoire, c'estoublier que l'application mécaniquedes principes peut faire obstacle à leurréalisation progressive. Refuser le com-promis avec les paysans en 1905 aunom du socialisme, c'est contribuer àla victoire des forces réactionnaires etajourner toute perspective socialisteen Russie. L'infantilisme de gauche estimpatient : il veut aujourd'hui, immé-diatement, ce qui ne peut advenir queprogressivement, c'est-à-dire aumoyen de compromis.Mais la critique du refus incondition-nel de tout compromis est ambiguë.Elle peut conduire à « l'opportu-nisme », c'est-à-dire à la justificationde n'importe quel compromis. Lénineen a pleinement conscience. N'est-cepas au nom des nécessaires compro-mis que la plupart des dirigeants despartis sociaux-démocrates ont votépour la guerre en 1914 ? Alors que legauchisme se recroqueville sur lesprincipes doctrinaux et adopte uneposture ultra-révolutionnaire enparole, l'opportunisme est une poli-tique qui a renoncé à tout principerévolutionnaire. Il s'agit de privilégierles intérêts à court terme, de faire desconcessions permanentes, en sesituant toujours dans le cadre du capi-talisme sans plus chercher à le dépas-ser. Les opportunistes – « vieux rou-tiers du socialisme "d'affaires" »,« jésuites parlementaires » – justifientpar de longues « dissertations » les« compromis en général ». En quoi ilssont aussi des doctrinaires, tout occu-

a ampu té le pays d'immenses terri-toires et d'une partie de sa population,sans compter le versement d'indem-nités. Un tel compromis était-il accep-table ? Non, aux yeux des « commu-nistes de gauche » qui ont combattule projet de paix car ce serait faire uncompromis avec les puissances impé-rialistes, compromis contraire auxprincipes du parti du prolétariat révo-lutionnaire. À cela Lénine répond que« c’était bien, en effet, un compromisavec les impérialistes, mais il était jus-tement celui que les circonstances ren-daient obligatoire ».Pour justifier la nécessité de faire par-fois des compromis, Lénine a recoursà une analogie simple, qui correspondà la volonté d’écrire un « essai de cau-serie populaire sur la stratégie et la tac-tique marxistes » (il s’agit du sous-titredu manuscrit de l’ouvrage). La situa-tion dans laquelle se retrouve un auto-mobiliste menacé par des bandits etabandonnant ses biens pour avoir lavie sauve est analogue à celle de la Rus-sie dépouillée par les puissances impé-rialistes. Comme l’automobiliste faceaux bandits, la Russie a dû faire desconcessions aux Empires centraux quimenaçaient sa propre vie. De la mêmemanière que l’automobiliste, la Russien’avait pas le choix : il aurait été suici-daire de refuser ce compromis qui était« imposé par des conditions objec-tives ». Alors que l’armée russe étaittotalement désorganisée et l’Arméerouge en phase de constitution, l’Étatsoviétique n’aurait absolument pas étéen mesure de mener la « guerre révo-lutionnaire » prônée par les « commu-nistes de gauche » bientôt nommés« gauchistes ». Le peuple, quant à lui,était épuisé par trois années de car-nage.

« gauchisme » et« opportunisme »Le gauchisme, par son refus intransi-geant de tout compromis, est « unenfantillage qu'il est même difficile deprendre au sérieux ». Ce thème – l’en-fantillage ou l'infantilisme – revientsouvent sous la plume de Lénine. L'in-fantilisme est le nom d'une maladie :la persistance à l'âge adulte de carac-tères propres à l'enfance. L'infan ti -lisme en politique consiste à ne pasassumer les contraintes imposées parles situations. Il est une sorte de fuitedevant la réalité. Lénine le nommeaussi parfois « doctrinarisme degauche » pour souligner cette tendanceà se réfugier dans la doctrine, dansl'univers réconfortant des purs prin-cipes, plutôt que d'affronter les exi-gences du réel.L'infantilisme politique consiste às'orienter en fonction des seuls prin-

rédigé en 1920, La Maladie infan-tile du communisme (Le « gau-chisme ») paraît un peu avant leiie congrès de l'internationalecommuniste créée en 1919. enformulant les principes straté-giques et tactiques de la lutterévolutionnaire, lénine justifie lapolitique menée par le parti bol-chevik depuis son arrivée au pou-voir et répond à l'accusation detrahison, suite à la signature parle gouvernement révolutionnaired'un traité de paix avec le gou-vernement impérialiste allemandà brest-litovsk le 3 mars 1918.

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Il n’y a pas de GUERRE DES CIVILISATIONS • septembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°50 : 4 essais sur LA GAUCHE • octobre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°51 : CLIMAT, le temps des choix politiques • novembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°52 : LAÏCITÉ, outil d’émancipation • décembre 2015 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°53 : ÉDUCATION, état d’urgence • janvier 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°54 : POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA FRANCE: de la guerre à la paix • février 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . X ...... ex. o N°55 : LOGEMENT, le droit au bien-être • mars 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°56 : (ANTI-)PRODUCTIVISME? De quoi parle-t-on • avril 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°57 : Nouvelles vagues en MÉDITERRANÉE • mai 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°58 : LE BONHEUR • juin 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°59 : JEUNESSE sacrifiée ? ou engagée ! • septembre 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°60: COMMUN ET/OU COMMUNISME ? • octobre 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°61 : LE TRAVAIL dans tous ses états • novembre 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°62 : JUSTICE pour qui et pourquoi ? • décembre 2016 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.o N°63 : De NOUVEAUX DROITS dès maintenant ! • janvier 2017 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .X ...... ex.

TOTAL . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ......... ex. = .............. €

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