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3 ÉDITOGuillaume Roubaud-Quashie Les habits des municipales

4 POÉSIESKatherine L. Battaiellie Louise Labé

5 REGARDInvité : Costa-Gavras

6 u 36 DOSSIERSOUS LES PAVÉS, L’EUROPEPrésentation : Caroline Bardot et Renaud Boissac Démystifier l’EuropePatrick Le Hyaric Refonder l’Europe pour un nouveau projet humainAlexis Coskun Engager un autre rapport de forcesAlexis Tsipras Un vote d’espoir le 25 maiMarie-Christine Vergiat Budget européen : Quel poids des élus ?Francis Wurtz Une coopération solidaireMaïté Mola Construire des convergencesDenis Durand Financer un projet progressiste européenYves Dimicoli Quel sort pour l’euro ?Anne Sabourin IVG : face à la lame de fond réactionnaire, une contre-offensive européenneCosta-Gavras L’exception culturelle : un exemple de mobilisation Anicet Le Pors Service public et intérêt généralJosua Gräbener La formation professionnelle, un moyen desubversionMarine Roussillon Mettre les savoirs au service de l’émancipationXavier Compain Pour une politique agricole et alimentaire du XXIe siècleHervé Bramy L’environnement : la bonne conscience de l’Europe libéraleJacky Henin Sortir la politique industrielle du dogme concurrentielViolaine Carrère Quelle politique des migrations ?Lydia Samarbakhsh L’union européenne et la paixPatrick Margaté Reconstruire les rapports Union européenne-MéditerrannéeLes mots de la crise : extrait de Léonard Vincent,Athènes ne donne rien

39 LECTEURSOlivier Gebuhrer Remarques sur quelques questions abordées dansle numéro 34 de La Revue du Projet consacré au thème de la peur

40 u43 TRAVAIL DE SECTEURSLE GRAND ENTRETIENAlain Obadia L’industrie au cœur du projet communisteBRÊVES DE SECTEURHervé Bramy Pic de pollution atmosphérique : toutes les leçonsdoivent être tiréesAlain Hayot Le gouvernement doit s’engager à préserver le régimedes intermittentsLydia Samarbakhsh Solidarité avec les communistes ukrainiens

44 COMBAT D’IDÉESGérard Streiff La place des femmes dans l’art. Le poids des stéréotypes

46 MOUVEMENT RÉELJacques Bidet La structure de classe et la dynamique des partis

48 HISTOIREMarie-Claude L’Huillier Du bon usage de la commémoration : Augusteet la mémoire de Rome

50 PRODUCTION DE TERRITOIRESGalila El Kadi Les places de la colère et du changement en Égypte.Une analyse de la géographie d’une révolution (1/2)

52 SCIENCESVincent Barrellon et Éric Guichard Les « humanités numériques » (1/2)

54 DROITFrédéric Bardel L’avortement : une question complexe, mais une réponse simple

56 SONDAGESNina Léger Jeunes, femmes, précaires

57 STATISTIQUESMichaël Orand La famille traditionnelle encore largement majoritaireen France

58 REVUE DES MÉDIAAnthony Maranghi Euromaïdan : couvrez ces extrémistes que je ne saurais voir

60 CRITIQUESCoordonnées par Marine Roussillon

• LIRE : Florian Gulli Les vertus démocratiques du tirage au sort !• La guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe

Edward Palmer Thompson• Peut-on sauver les forêts tropicales ? Romain Pirard• « Les philosophes et le communisme » Philosophie Magazine • Les droites et la rue. Histoire d’une ambivalence de 1880 à nos jours, Danielle Tartakowsky

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Réagissez aux articles, exposez votre point de vue. Écrivez à [email protected]

Le hors-série de La Revue du projet« Refonder l’Europe » qui rend compte de la première convention nationale duprojet du 16 novembre 2013.

À commander sur www.projet.pcf.fr

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ÉDITO

Les habits des municipales

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l est des progressistes qui abhorrent les munici-pales : on y ferait peu de politique, évoquant sur-tout la figure et la personnalité du maire ; on y par-lerait peu de sujets structurants, abordantessentiellement des problèmes très étroits. Sans

dénier toute vérité à ce tableau, je voudrais, fondamen-talement, le prendre à contrepied.

J’ignore bien sûr tout des résultats au moment où j’écrisces lignes mais je sais que, malgré d’indéniables diffi-cultés familiales localisées, nous avons fait, dans toutle pays, de très remarquables campagnes ces derniersmois en vue de ces élections municipales.

Ces campagnes ont été marquées par une participa-tion considérablement élargie par rapport à la plupartde nos actions. Le nombre était de la partie. L’intensitéaussi. Combien d’heures combien de personnes danstout le pays ont bien voulu donner pour cette cam-pagne ? Ces chiffres, si on en disposait, seraient, à n’enpas douter, proprement énormes.

Pourquoi ? Bien sûr parce que l’horizon d’une victoirepossible, de « la gagne », a dynamisé des dizaines demilliers d’adhérents qu’on voit parfois rarement et quiont senti là leur irréfragable utilité. C’est là, me semble-t-il, une première raison : mon porte-à-porte, ce soir,va servir à quelque chose, vraiment, une victoire, uneavancée à portée de main.

Deuxième raison, et elle est bien sûr liée : la proximité.Une élection municipale, ça se joue aussi dans monimmeuble et mon immeuble rapporté à une ville, çacompte. Mon action dans ce cadre que je connais bienet qui a un poids réel, vaut la peine d’être menée.

Poursuivons crescendo dans la puissance des raisonset l’horizon de ceux qu’elle touche (adhérents, sympa-thisants, population municipale…) : la participation auprojet. Combien de nos projets ont été écrits au plusprès des citoyens, en déployant mille efforts pour les yassocier ? Quand nous y parvenons, quelle énergie nou-

velle peut se déployer dans des rangs élargis ! Mon actionvaut la peine car je me bats pour mon projet.

Enfin, ce fameux « concret » car, irrécusablement, lesélections municipales présentent des enjeux concrets.Une crèche pour mes enfants ? Un accès large aux acti-vités sportives à prix abordable ? Pour une vraie part,ça se joue là. Que la droite l’emporte dans une ville debanlieue dont le maire est communiste et je risque fortde devoir quitter la ville, emballement spéculatif obligeavec restructuration sérieuse des types de logement…Mon action vaut mobilisation car ce qui est en jeu esttrès précisément palpable, touche ma vie quotidienne.

Reste une question, qui n’est pas oratoire : est-ce quetout cela, c’est de la politique ? Disons-le tout net : oui,et très profondément. Disons mieux : la vie politiquenationale crève de ne pas revêtir davantage les habitsdes municipales. Les discours technocratiques et abs-traits régalent un bien petit public. Effectivité et proxi-mité : voilà bien les piliers d’une politique qui peuventsusciter de l’élan dans de larges couches de la popula-tion. De la politique donc et de la plus belle eau ; anthro-pologues et historiens lui ont même donné un nom : lapolitique du peuple.

Est-ce à dire qu’il faudrait abandonner toute perspec-tive générale, avec son nécessaire niveau d’abstrac-tion ? Résolument non, mais pareil discours quand iln’est pas appuyé sur de bien concrètes incarnationsrisque fort de tourner à vide, loin des oreilles d’une popu-lation qui a tant fait l’expérience des grandes « phrasesde changement » et d’un dur quotidien continué aprèselles.

Certes donc, le printemps est là et il est de saison decommencer à se dévêtir. Il serait toutefois bien dom-mage de remiser pour six ans les habits des munici-pales… n

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GUILLAUME ROUBAUD-QUASHIE,Rédacteur en chef

La Revue du Projet - Tél. : 01 40 40 12 34 - Directeur de publication : Patrice BessacRédacteur en chef : Guillaume Roubaud-Quashie • Secrétariat de rédaction : Noëlle Mansoux • Comité de rédaction : Caroline Bardot,Hélène Bidard, Davy Castel, Igor Martinache, Nicolas Dutent, Amar Bellal, Marine Roussillon, Côme Simien, Renaud Boissac, ÉtienneChosson, Alain Vermeersch, Corinne Luxembourg, Léo Purguette, Michaël Orand, Pierre Crépel, Florian Gulli, Jean Quétier, SéverineCharret, Vincent Bordas, Nina Léger, Franck Delorieux, Francis Combes • Direction artistique et illustrations : Frédo CoyèreMise en page : Sébastien Thomassey • Édité par l’association Paul-Langevin (6, avenue Mathurin-Moreau 75 167 Paris Cedex 19)Imprimerie : Public Imprim (12, rue Pierre-Timbaud BP 553 69 637 Vénissieux Cedex) • Dépôt légal : avril 2014 - N°36.

ISSN 2265-4585 - Numéro de commission paritaire : 1014 G 91533.

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1555 : à Lyon, cité alors effervescente, paraît un petit livred’une dénommée Louise Labé, fille et femme d’artisans

cordiers. Cet opuscule se compose d’un Débat de Folie etd’Amour (comédie ironique sur l’amour), de trois élégies, de24 sonnets, et de pièces d’éloges à l’auteur. Il connaît immé-diatement un vif succès : quatre éditions en un an, et l’œu-vre, entrée dans les manuels scolaires, traversera les siècles.

Cependant Louise Labé représente un des plus grands mys-tères de la littérature française. En effet, on connaît peu savie : née en 1523, ou 1524, elle est mariée par son père, cordierillettré mais cossu (Pierre Charly, dit Labbé) à un autre cor-dier, dont elle devient veuve. Elle ne donne aucune suite à sesécrits et meurt en 1566. Vérité ou légende : elle fut d’un carac-tère assez singulier pour se former auprès de son frère dansles arts équestres et s’entraîner aux armes auprès de lui. Comment une femme de sa condition sociale a-t-elle pu par-venir au degré d’érudition impliqué par son œuvre ? Est-elleaussi la Belle cordière, femme de mœurs légères connue dumilieu des imprimeurs lyonnais ? Cette œuvre est-elle en réa-lité la mystification d’un cercle d’écrivains, dont MauriceScève, gravitant autour de l’imprimeur lyonnais Jean deTournes ?

Mais quoi qu’il en soit de l’identité réelle de leur auteur (et endéfinitive ce qui importe est le texte), plus de 450 ans plustard, ces écrits nous parlent. Ils nous parlent d’abord parce qu’ils revendiquent hautementle droit au désir charnel des femmes et leur droit au savoir.

Dans son épître dédicatoire à la jeune Mademoiselle Clémencede Bourges, Lyonnaise, Louise Labé prie « les vertueusesDames d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs que-nouilles et fuseaux ». Nous pouvons y lire, dans une prosemerveilleuse :« S’il y a quelque chose recommandable aprèsla gloire et l’honneur, le plaisir que l’étude des lettres a accou-tumé donner nous y doit chacune inciter ; qui est autre queles autres récréations desquelles, quand on en a pris tant quel’on veut, on ne peut se vanter d’autre chose, que d’avoir passéle temps. Mais celle de l’étude laisse un contentement de soiqui nous demeure plus longuement. » Si à la Renaissance ceplaidoyer pouvait s’entendre pour des femmes de la noblesseou de la très riche bourgeoisie, il était peu concevable pourdes femmes issues de milieux modestes.

Les Elégies et les Sonnets (genre tout nouveau pour ces der-niers lors de leur parution) appartiennent à la poésie d’amourde la Renaissance, une poésie traditionnelle d’imitation, deLatins comme Catulle, d’Italiens comme Pétrarque. Mais unegrande maîtrise de la construction, leur fluidité, leur grâce,les hissent au-dessus de beaucoup d’autres de la mêmeépoque. Des accents simples et touchants (« Tu es, tout seul, toutmon mal et mon bien… ») annoncent le passage d’une écri-ture d’imitation à une écriture de l’intime (pas pour autantencore de l’autobiographique), qui sera une des marques dela modernité.

LOUISE LABÉ

KATHERINE L. BATTAIELLIE

Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie

De celui-là pour lequel vais mourant ;

Si avec lui vivre le demeurant

De mes courts jours ne m’empêchait envie ;

Si m’accolant, me disait : Chère Amie,

Contentons-nous l’un l’autre, s’assurant

Que jà tempête, Euripe, ni courant,

Ne nous pourra déjoindre en notre vie ;

Si, de mes bras le tenant accolé,

Comme du lierre est l’arbre encercelé,

La mort venait, de mon aise envieuse,

Lors que souef plus il me baiserait,

Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,

Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.

Sonnet XIII

Louise Labé, Œuvres poétiques, Gallimard, 2006

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REGARD

Début mars, Costa-Gavras nous recevait dans son logement parisien. Dans son salonbaigné de lumière où tout témoigne de son appétit pour l'art et le cosmopolitisme, leréalisateur nous accordait, affable, un long et riche entretien. L'occasion de faire le pointsur l'avenir de l'exception culturelle et de la construction européenne. (voir p. 23).

©Nicolas Dutent

Invité : Costa-Gavras

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Démystifier l’Europe

La convention nationale du PCF de novembre 2013 adessiné le contour de notre projet pour l'Europe. Il nousfaut maintenant approfondir ce travail dans la perspec-tive des prochaines élections européennes mais aussi etsurtout sur le long terme pour refonder l'Europe. Le dos-sier de ce mois-ci se propose de donner des pistes pourconstruire cette alternative.

contexte de guerre contre les Perses.Autre exemple plus récent: ce sont lescartographes de l’Empire russe qui,au XIXe siècle, ont déplacé les fron-tières de l’Europe jusqu’à la merCaspienne afin de justifier l’annexionde la Géorgie et de l’Arménie.Une définition géographique del’Europe paraît dès lors très com-plexe. D’ailleurs, on ne trouve nullepart trace, dans le droit européen pri-maire, de ce que doivent être leslimites de cette Europe. Le traité deRome indiquait bien que « tout Étateuropéen peut demander à devenirmembre de la communauté ». Si lesfrontières sont nettes au Nord et àl’Ouest, elles sont plus floues à l’Estet au Sud si bien que le Maroc avaitfait acte de candidature en 1992, laTurquie en 1986 ou encore laMacédoine en 2004.S’il n’est donc pas aisé de délimiterl’Europe géographique, il n’est pasplus facile d’en donner une naturepolitique, un cadre juridique et ins-titutionnel. Organisation internatio-nale régie par le droit internationalpublic ? Nouvelle forme d’État ? Desjuristes en viennent même à parler« d’objet juridique non identifié » tantl’ambiguïté est grande. Ainsi, si lesÉtats Nations du « vieux continent »se voient dépossédés de certainescompétences propres et si l’intégra-tion grandit, il serait faux de limiterle débat au classique « souverainistescontre fédéralistes » tant la part de

l’intergouvernemental et du dialoguedes juges entre les Cours jouent unrôle important aujourd’hui.Y aurait-il donc un fond communeuropéen fondant une Europe desconsciences ? Les enquêtes menéessur le sentiment d’appartenance àl’Europe montrent que celui-ci estpeu affirmé alors même que de plusen plus de gens aspirent à voyager,étudier, vivre librement partout enEurope.Ainsi, si l’Europe est devenue un objethistorique, elle demeure une réalitéà géographie et à significations varia-bles, un horizon politique porté aunom d’une prétendue paix et prospé-rité économique alors que dans saforme actuelle elle ne répond ni à cesobjectifs et ne sert pas non plus lesintérêts des peuples… Nous voilàproches, à nouveau, de la définitiondu mythe ! C’est justement ce mythede l’Europe libérale, cette croyancedans la règle d’or budgétaire, cettefuite en avant dans la régressionsociale, cette mise en concurrenceentre les peuples, qu’il nous fautdéconstruire. Car n’est-ce pas au nom de ce mythe,que les oppositions se cristallisentencore aujourd’hui et notammenten Ukraine ? Jean Geronimo, spécia-liste des questions économiques etgéostratégiques russes expliquait,dans un article paru dans L’Humanitédernièrement, que l’enjeu caché durenversement de pouvoir en Ukraine

PAR CAROLINE BARDOTET RENAUD BOISSAC*

ommençons par le com-mencement, le mythed’Europe. Les textes et lesreprésentations iconogra-phiques sont aussi diversque les interprétations

auxquelles cette figure a pu et peutdonner lieu. Donnons une des ver-sions récurrentes, qui fait d’Europeune princesse phénicienne enlevéepar Zeus métamorphosé en taureaublanc.Pourquoi repartir de ce mythe : faut-il y voir un lien entre cette figureféminine et le continent ? Si les his-toriens n’établissent pas de lienclair entre le mythe et le continent,d’autres qu’ils soient poètes ou poli-tiques le font. Alors l’Europe : mytheou réalité ? Autrement dit, l’Europen’est-elle in fine qu’une construc-tion politique fluctuante à traversles âges ?

L’EUROPE COMMECONSTRUCTION POLITIQUEDans l’Antiquité, Hérodote etHippocrate la font s’étendre del’Adriatique à la Mer Noire, soit,approximativement, le périmètre desBalkans. Et déjà cette définition n’estpas tant géographique que géopoli-tique puisque l’on se situe dans un

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PRÉSENTATION

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est la réduction de la puissance russeet l’affaiblissement de sa ceinturepériphérique, en vue de renforcerl’Europe dite démocratique et de dis-suader toute velléité de « retourimpérial » de l’ancienne puissancecommuniste ; autrement dit, lecontrôle par l’axe euroatlantiqued’un espace stratégique, sur les planspolitique et énergétique.Faisons nôtre cette analyse de RolandBarthes qui écrivait que « la bourgeoi-sie se masque comme bourgeoisie etpar là même produit le mythe ; larévolution s’affiche comme révolu-tion et par là même abolit le mythe. »À nous donc de démystifier cetteconstruction de l’Europe et deconstruire un Europe des peuples.

UNE AUTRE EUROPE EST POSSIBLEIl est flagrant de constater aujourd’huil’absence d’adhésion populaire àl’Europe politique, d’où l’autorita-risme qui vise à dessaisir les assem-blées élues et les peuples de leur pou-

voir de décision. Ainsi, en France lalarge victoire du « non » au référen-dum sur le projet de Traité constitu-tionnel en 2005 aura été bafouéequelques années plus tard. Avec lacrise, les élites politiques européennesont renforcé cette double oppression:celle de l’austérité et celle de l’atteinteau droit de décider librement de sonavenir.Cette crise de légitimité, crise poli-tique par essence, est amplifiée parune crise sociale où même l’activitéhumaine perd son sens. Un certainnombre de discours préfère laissercroire qu’il est impossible d’influersur le cours des choses dans uneUnion européenne qui serait exclu-sivement à la solde de « technocratesou de groupes de pression ».C’est pourquoi il faut que ces aspira-tions au changement trouvent unerésurgence politique. Les opportuni-tés existent pour mener une bataillesur les causes de la crise. Les résis-tances sociales sont fortes, et il enémerge une conscience européenne

de la lutte, c’est-à-dire de la nécessitéde mener les luttes au niveau natio-nal et européen.Il est aisé de constater que la volontédes gouvernements nationaux influesur les politiques européennes etqu’inversement celles-ci se mènentavec la complicité de ces mêmes diri-geants. La bataille se joue donc biensur le terrain du rapport de forcespolitique à construire du niveau leplus local jusqu’au parlement euro-péen, des batailles syndicales à venirjusqu’aux élections européennes. Il nous revient de proposer cette alter-native, c’est-à-dire de travailler à uncontenu différent mais aussi au che-min pour l’atteindre. n

*Caroline Bardot est membre duComité exécutif national du PCF,rédactrice en chef adjointe de LaRevue du projet. Renaud Boissac est responsable de la rubrique Droit. Ils sont lescoordonnateurs de ce dossier.

Union européenne

Candidats à l’UE

Plan d’action adopté, accompagné d’un statutavancé ou d’un accord renforcé

Plan d’action adopté

Plan d’action comportant un volet migratoireen cours de négociationEngagement commun sans accordspécifique

Espace Schengen

DES LIMITES EUROPÉENNES À GÉOMÉTRIE VARIABLE ?

Sources : Union européenne, et La documentation française (2010)

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PAR PATRICK LE HYARIC*

L’ ambition est certes de rassem-bler, de solidariser et de mobi-liser en Europe les salariés, les

jeunes, les paysans, les retraités ettoutes les catégories victimes des choixactuels pour défendre avec eux, pied àpied, les acquis et les droits sociaux ethumains et elle est tout autant d’enga-ger un processus démocratique detransformations économiques, sociales,écologiques et politiques.

LE CHANTIER EST IMMENSEPour le mener à bien, il s’agit ni plus nimoins, pour les forces sociales et poli-tiques se réclamant du progrès socialhumain et démocratique, que de met-tre à l’ordre du jour de leurs débats etde leurs combats, l’invention d’un pro-jet d’un aussi haut niveau que l’ont étéles grandes révolutions des Lumièresou les reconstructions au lendemainde la Seconde Guerre mondiale. Ellesdoivent le faire dans un contexte où lescrises appellent un monde nouveaualors que le développement capitalistea de plus en plus interconnecté les éco-nomies, les réseaux et les systèmes deproduction. Désormais, la résolutionde grandes questions posées aux êtreshumains et à la nature passe par plusde partage, de mise en commun, dansla recherche, l’éducation, l’énergie oule travail et la production.

Ces réalités et ces besoins nouveauxne trouveront de solution ni dans unrepli national, ni dans la fuite en avantd’une « concurrence » à outrance dutous contre tous, ni dans des projetsfédéralo-autoritaires et ultralibéraux.Le modèle capitaliste actuel deconstruction européenne est en échecet les décisions prises ces dernièresannées, de l’acte unique aux traités deMaastricht et de Lisbonne, puis celuiréglementant et contrôlant strictementles budgets des États, des collectivitésterritoriales et de la sécurité sociale, serévèlent être des impasses lourdes dedangers. Ces dernières éloignent lescitoyennes et citoyens du continentd’un projet coopératif et solidaire euro-péen qui pourtant ne pourra réussirque s’ils s’y impliquent. Comment

pourrait-il en être autrement alors quel’Union européenne est le seul espaceéconomique au monde où il n’y a pasde relance ! Pire ! La récession et le chô-mage se développent partout. C’estpourtant la voie choisie par FrançoisHollande pour satisfaire toujours mieuxles demandes du Medef. Son choix dit« de l’offre », tout en préservant la hautefinance et les grands actionnaires, par-tout où il est mis en œuvre, est syno-nyme de régression sociale sans pourautant s’avérer efficace au plan écono-mique. De surcroît, il est à l’opposé detout projet écologique.

LE CHANTIER EST URGENTTout retard pris dans un changementdémocratique et progressiste des stra-tégies actuelles des instances euro-péennes se traduira par des dégâts tou-jours plus difficiles à réparer ensuite.Ces stratégies s’articulent autour dequatre grands axes : réduction des pou-voirs des parlements et même des Étatspour les concentrer dans les mainsd’instances européennes non élues,comme la commission européenne, laBanque centrale européenne flanquée

désormais du Fonds monétaire inter-national, baptisée « la Troïka » ; contrôlede tous les budgets nationaux en vuede réduire les dépenses publiques etsociales pour transférer des richessesnouvelles vers le grand capital indus-triel, bancaire et financier sans contre-partie pour l’emploi ; recherche d’untype de croissance basé sur une « com-pétitivité » fondée exclusivement surla réduction du « coût du travail » quiinduit baisse des salaires directs et indi-rects, diminution de l’emploi et aug-mentation de la précarité. Tout ceci se

fait au nom de la réduction des dettes,qui ne cessent d’augmenter du fait dela charge de la dette et d’une diminu-tion des recettes due à la quasi-réces-sion et au chômage. Le parfait cerclevicieux ! En vérité, les milieux dirigeantsen Europe se servent résolument de lacrise pour tenter de transférer la tota-lité des pouvoirs à des instances tech-nocratiques et bancaires européennes,indépendantes des pouvoirs élus etpour mettre en cause ce que l’on aappelé le « modèle social européen ».

UNE « UNION DE NATIONS ET DE PEUPLES LIBRES, SOUVERAINS ET ASSOCIÉS »La question est moins de le préserverque d’en inventer un nouveau, adaptéà notre époque, beaucoup plus soli-daire, efficace et écologique, ce quisuppose de créer des formes inéditesde démocratie permettant aux popu-lations de se faire entendre et d’êtrerespectées. Nous avons la convictionqu’il n’y a pas d’issue à la crise géné-rale sans répondre aux demandesintérieures par une augmentation dessalaires et des prestations sociales. Il

y faut une volonté politique nouvellepour une autre répartition desrichesses entre les revenus du capi-tal et ceux du travail, bien plus favo-rable à ce dernier. C’est une desconditions essentielles de la réduc-tion des inégalités sociales. Mais c’estle modèle même de croissance qui esten crise et qui lui-même aggrave lacrise écologique. L’enjeu d’une trans-formation des modèles productifsindustriels et agricoles, pour une nou-velle manière de créer des richesses,en préservant les ressources natu-

REFONDER L’EUROPE POUR UN NOUVEAU PROJET HUMAINIl n’y a pas d’autre voie pour sortir des multiples crises européennes que derompre nettement avec les politiques antidémocratiques et austéritairesactuelles, pour refonder un projet européen.

« Un ou des gouvernements de gauche quiporteraient le projet d’une refondation de

l’Union européenne en appelant au débat età la mobilisation sociale et populaire

créeraient des conditions nouvelles pourmettre tous les gouvernements européens

au pied du mur. »

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PaysForce politique

Extrêmegauche

Communisteshors PGE

PGE PSE Verts euro-péens ALE

Libéraux (ELDR& PDE)

PPE Extrême droite

Allemagne 8,6% (64) 25,7% (192) 8,4% (63) 4,8% (0) 41,5% (311) 4,7% (0)

Autriche 27,10% (53) 11,50% (22) 4,8% (9) 23,80% (46) 27,20% (53)

Belgique 21,23% (38) 9,09% (13) 17,74% (31) 16,95% (27) 29,46% (40)

Bulgarie 26,22% (85) 9,93% (34) 32,04% (97) 8,50% (24)

Chypre 32,67% (19) 8,93% (5) 2,21% (1) 19,64% (11) 34,28% (20)

Croatie 40% (80) 11% (12) 23,5% (19) 8,8% (1)

Danemark 6,7% (12) 24,9% (44) 9,2% (16) 14,5% (26) 32,4% (55) 12,3% (22)

Espagne 6,92% (11) 28,73% (110) 3,71% (12) 8,76% (21) 44,62% (186)

Estonie 17,1% (19) 5,9% (0) 50,1% (59) 20,5% (23)

Finlande 15,3% (24) 21,1% (44) 24,8% (51) 19% (39)

France 1,08% (10) 43,99% (302) 4,19% (19) 7,19% (34) 39,77% (209) 3,79% (3)

Grèce 4,50% (12) 26,89% (71) 12,28% (31) 6,25% (17) 29,66% (129) 14,43% (38)

Hongrie 19,30% (59) 7,48% (16) 52,73% (263) 16,67% (47)

Irlande 1,1% (2) 11,1% (16) 19,4% (37) 1,8% (0) 17,6% (20) 36,2% (76)

Italie 29,5% (340) 25,5% (108) 10,5% (45) 29,1% (124)

Lettonie 28,37% (31) 12,22% (13) 23,24% (22) 18,83% (20) 13,88% (14)

Lituanie 18,56% (38) 30,48% (39) 14,77% (33) 17,28% (20)

Luxembourg 1,64% (0) 4,92% (2) 20,28% (13) 18,25% (13) 33,68% (23)

Malte 54,83% (38) 1,80% (0) 43,34% (29)

Pays-Bas 9,6% (15) 24,7% (39) 4,2% (5) 34,4% (53) 21,9% (33) 2,1% (3)

Pologne 8,19% (26) 9,94% (40) 47,51% (236) 32,21% (157)

Portugal 5,17% (8) 28,04% (74) 7,91% (16) 50,35% (132)

Républiquetchèque

14,91% (33) 20,45% (50) 47,42% (87) 14,6% (30)

Roumanie 58,61% (273) 21,67% (74) 13,98% (47)

Royaume-Uni 0,6% (5) 29,4% (261) 3,3% (10) 23,1% (58) 36,1% (306) 2,5% (8)

Slovaquie 44,41% (83) 8,55% (16) 12,77% (13) 19,16% (38) 4,55% (0)

Slovénie 10,50% (10) 38,42% (36) 44,91% (42) 1,80 (0)

Suède 5,6% (19) 30,9% (113) 13,8% (47) 7,1% (24) 35,6% (126) 5,7% (20)

RÉSULTATS OBTENUS LORS DES DERNIÈRES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DES 27 PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE

(EN POURCENTAGE DE SUFFRAGES RECUEILLIS ET EN NOMBRE DE SIÈGES)

Tableau élaboré par Anthony Maranghi - Sources : Fondation Robert Schuman et commissions nationales.

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relles, la santé humaine et les condi-tions de travail, en investissant dansl’éducation et la culture, est devenuun enjeu majeur que l’on pourraittraiter dans le cadre d’une coopéra-tion européenne d’un nouveau type,à l’opposé de la « concur rence libreet non faussée ». L’enjeu social ethumain a bien partie liée avec l’en-jeu écologique.Un ou des gouvernements de gauchequi porteraient le projet d’une refon-dation de l’Union européenne en appe-lant au débat et à la mobilisation socialeet populaire, créeraient des conditionsnouvelles pour mettre tous les gouver-nements européens au pied du mur, enles faisant se confronter à la montée desaspirations populaires dans toutel’Europe. De ce point de vue, on ima-gine mal le niveau de la déception queprovoquent les choix du gouvernementfrançais parmi les peuples européens,particulièrement ceux du sud.

Une Europe refondée serait une Europedémocratique et coopérative. Nousproposons qu’elle devienne une« Union de nations et de peuples libres,souverains et associés ». Des innova-tions démocratiques devraient êtredécidées pour garantir notammentqu’aucun peuple ne puisse êtreentraîné dans un processus condui-sant à un modèle de société opposé àses choix fondamentaux, ce qui inclutle droit de ne pas appliquer une direc-tive tant que le débat n’a pas été pousséà son terme.Des principes démocratiques essen-tiels sont à appliquer comme le respectdes droits de chaque citoyenne etcitoyen, quel que soit le poids écono-mique, démographique, politique deson État. L’implication des parlementsnationaux dans l’élaboration des loiset règles européennes. Ou encore ledroit d’initiative législative du parle-ment européen en lien avec les parle-ments nationaux.Autant de progrès qui appellent despossibilités nouvelles offertes auxpopulations de s’impliquer dans la viede l’Union pour la changer. Il y aurgence car les nationalismes prospè-rent sur le terreau de la crise. Ils prô-nent le repli sur soi, la sortie de l’Europece qui ne peut qu’exacerber la concur-rence entre les peuples, le dumpingsocial et monétaire.

UN FONDS DE DÉVELOPPEMENT SOCIAL ETÉCOLOGIQUE EUROPÉEN Face au capital globalisé, aux multina-tionales et aux marchés financiers, uneEurope refondée serait un espace poli-tique et économique pouvant fairecontrepoids. Construction solidaire et

coopérative, elle incarnerait une alter-native à l’austérité et au chômage. Danscette perspective, le rôle de la Banquecentrale européenne doit être trans-formé. Son pouvoir de création moné-taire doit être mis au service d’un nou-veau développement humain, socialet écologique. Nous faisons la propo-sition de créer un fonds de développe-ment social et écologique européenqui permettrait de racheter des dettesd’État et de financer le développementde services publics pour le bien com-mun de la santé à l’éducation, auxtransports, à l’énergie et des projets

pour la transition écologique dans l’in-dustrie, l’agriculture, les océans, le loge-ment. Ce fonds serait contrôlé démo-cratiquement et chargé de répartir defaçon différenciée suivant les besoinspropres de chaque pays des crédits àdes taux avantageux, dès lors qu’ils ser-vent l’emploi, le progrès humain et éco-logique.À l’opposé de la concurrence sauvage,du moins-disant social et fiscal, uneEurope refondée ferait du progrèssocial, de la sécurité de l’emploi et dela formation, du bien être des indivi-dus, une priorité. Promouvoir l’Europesociale, c’est considérer la protectionsociale, le salaire minimum, les droitsdes salariés, comme autant de pointsd’appui pour une avancée de civilisa-tion et non comme des obstacles à l’ef-ficacité économique. Nous avançonsl’idée d’appliquer dans chaque paysune clause de non-régression socialeet un salaire minimum se situant aumoins à 20 % au-dessus des seuilsnationaux de pauvreté.

UN GRAND PACTE SOCIALEUROPÉEN Nous soutenons l’objectif de conclureun grand Pacte social européen pourla promotion du plein-emploi, dusalaire minimum, de la protectionsociale de haut niveau, de la réductiondu temps de travail, de la sécurisationdes parcours professionnels, de la pro-motion du dialogue social accompa-

gné de droits et de pouvoirs nouveauxpour les travailleurs dans leur entre-prise, du renforcement, de la présencesyndicale dans les multinationales etl’extension des comités d’entreprise etde groupe européens. Il est nécessairede réorienter de grandes politiquesindustrielles européennes ou de l’éner-gie, en lien avec la recherche et le déve-loppement d’investissements dans lecadre d’un nouveau projet écologique.De même, la Politique agricole com-mune doit permettre de garantir desprix de base, défendre la qualité et lasouveraineté alimentaire.

Une Europe refondée serait une Europedes droits humains. Elle devrait porterhaut le respect des droits de l’Hommealors que ceux-ci sont durement misen cause avec la montée d’idéologiesrétrogrades comme à l’égard desfemmes en Espagne, où le droit à l’in-

terruption volontaire de grossesse a étéabrogé, ou à l’égard des droits desmigrants. Les droits à l’éducation, àl’accès à la santé, à la culture, au tra-vail doivent être réhabilités. L’Europe,héritière des Lumières ne peut accep-ter les régressions auxquelles nousassistons.

« Les milieux dirigeants en Europe seservent résolument de la crise pour tenterde transférer la totalité des pouvoirs à des

instances technocratiques et bancaireseuropéennes, indépendantes des pouvoirsélus et pour mettre en cause ce que l’on a

appelé le « modèle social européen ». »

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« Nous avançonsl’idée d’appliquer

dans chaque paysune clause de non-régression sociale

et un salaireminimum se situantau moins à 20 % au-

dessus des seuilsnationaux de

pauvreté. »

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UNE « MONDIALISATION DES COOPÉRATIONS »L’Europe refondée pourrait devenir unacteur essentiel pour peser dans lesnégociations internationales, pour desinitiatives nouvelles en faveur de lapaix ou face au réchauffement clima-tique. Elle agirait pour une « mondia-lisation des coopérations », avec denouvelles stratégies d’alliances, notam-ment avec les pays que l’on appelle les« BRICS ». L’Amérique latine, les paysafricains, la Chine, l’Inde voient leurpoids grandir sur la planète ce quiappelle l’Europe à beaucoup plus coo-pérer avec ces nations. Partout il s’agitde remplacer la finalité du libre-échange par celle de la coopérationpour le développement humain.En ce sens, l’Europe refondée feraitcesser le projet actuel de libre-échangeavec le Canada et le projet de marchéunique transatlantique. Une Europerefondée serait une Europe active pour

le désarmement et la paix dans lemonde, avec comme priorité, la des-truction des armes de destructionmassive et en premier lieu celles ins-tallées au Moyen-Orient. L’heure est àunir les efforts de toutes les forcessociales, syndicales, citoyennes, poli-tiques progressistes pour se solidari-ser, pour dégager des axes communsde combat pour une alternative à l’aus-térité, pour transformer la Banque cen-trale européenne et le système ban-caire, contre les marchés financiers etpour un nouveau projet démocratiquepour les peuples européens.

UN « FORUM EUROPÉEN DESALTERNATIVES »Comme il en a été décidé lors du der-nier congrès du Parti de la Gaucheeuropéen, le colloque de la mi-avrilcontre la dette et le projet de réunirannuellement un « Forum européendes alternatives », c’est-à-dire un espace

de dialogue et de travail politique com-mun à toutes les forces qui rejettentl’austérité et cherchent une issue deprogrès à la crise seront des points d’ap-pui pour les salariés et les populations.Permettre que s’exprime le fort mécon-tentement, voire la colère que suscitel’Europe actuelle, et aussi l’aspirationà de profonds changements, à ouvrirun espoir en crédibilisant une constru -ction européenne radicalement nou-velle : voilà ce qui peut changer ladonne. Ainsi on porterait un coup d’ar-rêt aux politiques d’austérité, aux reculsdémocratiques et on jetterait les basesd’une Europe des travailleurs et despeuples. n

ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE 2014 :RÉPARTITION DES SIÈGES DE DÉPUTÉS ENTRE LES 28 ÉTATS MEMBRES

*Patrick Le Hyaric est responsabledu projet européen du Particommuniste français. Il est députéeuropéen (PCF).

Slovénie / 8 Lettonie / 8 Estonie / 6 Chypre / 6 Luxembourg / 6 Malte / 6

Finlande / 13 Irlande / 11 Croatie / 11 Lituanie / 11

Bulgarie / 17 Danemark / 13 Slovaquie / 13

Autriche / 18

Suède / 20

Hongrie / 21 République tchèque / 21

Portugal / 21 Belgique / 21 Grèce / 21

Pays-Bas / 26

Roumanie / 32

Pologne / 51

Espagne / 54

Italie / 73

Royaume-Uni / 73

France / 74

Allemagne / 96-3

-1

-1 -1 -1 -1 -1

-1-1

-1-1-1

-1

Les chiffres en blanc indiquent les modifications intervenues

par rapport à la mandature précédente.Les trois sièges supplémentaires alloués à l'Allemagne

faisaient partie d'un accord transitoire.

SOURCE :http://www.europarl.europa.eu

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PAR ALEXIS COSKUN*

LES SOURCESIl existe globalement trois sourcesdont découlent le modèle institution-nel et le fonctionnement de l’Union.Il s’agit d’abord des traités, depuisRome en passant par Maastricht etjusqu’au plus récent, celui deLisbonne en 2009, ils constituent ceque l’on appelle le droit primaire, unensemble d’articles qui régissent lesprincipes, les institutions, le marchéintérieur ou encore la concurrencedans l’UE. En pratique, du traité deLisbonne sont nés deux textes : leTraité sur l’Union européenne, ras-semblant les principes majeurs àl’image de la subsidiarité ou propor-tionnalité, et le Traité sur le fonction-nement de l’Union européenne insis-tant notamment sur les libertéséconomiques et sur la concurrence.

La deuxième source principale de l’or-ganisation de l’Union européenneréside dans la jurisprudence des juri-dictions européennes et principale-ment de la Cour de Justice de l’Unioneuropéenne. À titre d’exemple, desprincipes aussi importants que la pri-mauté du droit communautaire surle droit national est issu d’une affairede 1964, dite « Costa contre ENEL ».Enfin les directives et les règlements,sources de droit, dit dérivé, partici-pent également de la création desnormes qui encadrent l’action del’Union. Les directives doivent pas-ser par une transposition dans l’or-dre juridique national tandis que lesrèglements sont d’applicabilité directedans tous les États membres.D’autres sources existent, qu’il s’agissedes principes généraux du droit euro-péen ou de la toute nouvelle méthodeouverte de coordination qui tend à

faire converger et à évaluer les diffé-rentes situations et réglementationsdes États membres, mais il est désor-mais nécessaire de dresser un pano-rama des différentes institutions quiexistent dans l’Union.

LES INSTITUTIONSLe conseil européen est l’institutionpolitique par excellence. Lancé parValéry Giscard d’Estaing et HelmutSchmidt, il rassemble les chefs d’Étatset de gouvernements. Son présidentest élu à la majorité qualifiée pourdeux ans et demi-renouvelables unefois. Le rôle du conseil n’est pas légis-latif, il s’agit de dégager des grandespistes, de tracer des lignes directricespour l’avenir et l’orientation généralede l’Union, notamment au travers desconclusions publiées après chaquesommet. Les conseils européens cor-respondent souvent à de grands som-mets qui permettent d’évaluer et de

résoudre une problématique poli-tique importante, leur rôle d’impul-sion et d’arbitrage est officialisé parles traités tardivement, soit en 2009.Il ne faut pas confondre cette institu-tion avec le conseil des ministres del’Union européenne, dénommé clas-siquement sous le vocable de conseilde l’Union européenne. Il est composéde représentants des États membresqui doivent être habilités à engagerjuridiquement leur gouvernement etest présidé en fonction des pays à tourde rôles tous les six mois. Le conseilrecèle plusieurs formations relativesaux sujets abordés : les affaires étran-gères, l’agriculture, l’économie et lesfinances ou encore les affaires géné-rales lorsqu’il s’agit de mettre en cohé-rence les différents travaux. Le conseila ceci de particulier qu’il cumule fonc-tions législatives et exécutives. Ainsi iladopte la législation de l’UE, signe les

accords avec les pays tiers, approuvele budget de l’UE, et définit la politiqueétrangère et de défense de l’Union.Dans leur action les ministres sontassistés de conseillers, notamment dediplomates et hauts fonctionnairesreprésentant leurs États d’origine, quipréparent en coulisses les réunionsdu conseil dans une instance biendéfinie, le Coreper, ou comité desreprésentants permanents, ce qui ren-force le caractère intergouvernemen-tal du conseil. Il est également impor-tant d’aborder le mode de vote auconseil, qui a fortement évolué dansle temps et qui est révélateur des chan-gements de conception de la prise dedécision. À l’issue du traité de Romele mode de vote principal était l’una-nimité et la France du général deGaulle a longtemps protégé une telleorganisation en pratiquant la politiquede la chaise vide contre les tentativesd’évolution vers le vote majoritaire.Au-delà de cette période le débatconcernant le mode de vote entrereprésentants des gouvernements ausein du conseil est important. Aujourd’hui, suite au traité deLisbonne, la plupart des décisions sontadoptées à la majorité qualifiée, quece soit au sujet du marché intérieur,de la politique énergétique ou spatiale.La majorité qualifiée correspond à unerépartition des voix en fonction dupoids démographique des pays, de 29voix pour les plus grands États, dontla France, à 3 pour Malte. Le vote àl’unanimité est à l’heure actuelle extrê-mement réduit et ne concerne quequelques champs restreints commeles matières constitutionnelles.

Le parlement européen est la seuleinstitution directement élue par lescitoyens depuis 1979. Chaque pays sevoit attribuer un certain nombre dedéputés en fonction de sa populationet les parlementaires siègent dans dif-férents groupes politiques. Le parle-ment vote les textes soumis par lacommission mais ne bénéficie pas del’initiative législative. Il peut se saisirde certaines questions mais les textesadoptés n’auront alors pas de forcejuridique. Ses compétences se sontélargies au fil des traités et il participeaujourd’hui à la procédure de codé-cision, procédure ordinaire de prisede décision en lien avec le conseil etla commission. Du traité de Lisbonneil faut souligner qu’il renforce les pou-voirs du parlement européen dans laprocédure budgétaire, ainsi c’est luiqui approuve en dernier recours lebudget de l’Union européenne.

ENGAGER UN AUTRE RAPPORT DE FORCESL’analyse de l'architecture de l'Union euro-péenne montre aussi quel rôle pourrait jouer uneinversion du rapport de forces et la rupture duconsensus actuel.

« Les clivages politiques dans cette arènene sont que relatifs tant il existe, mis à part

sur des sujets restreints, une cogestionassumée entre sociaux-démocrates et

conservateurs. »

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Il demeure une dernière grande ins-titution de l’Union européenne à pré-senter : la commission européenne.Elle regroupe un collège de 27 com-missaires, un par pays, qui ont cha-cun un portefeuille de compétencespour une durée de quatre ans. Lecommissaire français actuel estMichel Barnier, en charge du marchéintérieur et des services financiers.Un président de la commission estdésigné sur la proposition du conseileuropéen et la tradition veut qu’ilappartienne à la même couleur poli-tique que celle de la majorité du par-

lement. Lors des élections de 2014, leprésident de la commission sera éluselon une procédure nouvelle.Chaque parti politique européen pro-posera un candidat, rattaché à deslistes dans chaque État membre etcelui qui aura obtenu le plus de suf-frages additionnés sera désigné pré-sident. Enfin le président, une foisdésigné, propose une liste bloquée decommissaires au parlement, lequelapprouve ou rejette l’entièreté de cetteliste avant que formellement leconseil des ministres n’approuve ladésignation du collège. Dans les faitsil est extrêmement rare qu’une pro-position de commission soit rejetée.La commission est réputée être gar-dienne des traités de l’Union euro-péenne et elle bénéficie d’une vérita-ble arme juridique : si un État membrene se conforme pas à un avis motivéqu’elle aurait émis, elle peut saisir laCour de Justice de l’Union euro-péenne. Les compétences de la com-mission sont larges : formellement leconseil des ministres ne peut pas déli-bérer en l’absence de proposition dela commission qui bénéficie ainsi del’initiative de toute proposition légis-lative. Les États membres ont tentéde limiter et d’encadrer cette situa-tion au travers du principe de subsi-diarité. La commission bénéficie enfinde compétences exclusives pour desmatières cardinales comme la poli-tique de concurrence, la politiquemonétaire des États membres de lazone euro ou encore la politique com-merciale commune. Enfin, elle par-tage certaines compétences avec lesÉtats membres, par exemple la poli-

tique régionale, la politique socialeou de cohésion. L’article 17 du traitésur l’Union européenne lui confèreles principaux pouvoirs d’exécutiondu droit de l’Union.

Au-delà des textes adoptés directe-ment à l’initiative du parlement euro-péen et qui ne bénéficient d’aucuneffet juridique, la procédure législativeordinaire est la suivante : la commis-sion rédige une proposition, il s’en suitune première lecture au parlement quitransmet sa proposition au conseil. Sice dernier est d’accord avec les amen-

dements des députés il adopte le texteà la majorité qualifiée. En cas de dés-accord du conseil, celui-ci adopte uneposition commune transmise au par-lement. La deuxième lecture débutealors par une période de trois mois oùle parlement peut accepter la positiondu conseil à la majorité simple des suf-frages, et dans ce cas l’acte est réputéadopté. Si les parlementaires rejettentla proposition du conseil à la majoritéabsolue, l’acte est refusé. Ils peuventégalement décider de l’amender à lamajorité absolue et le texte est alors

transmis au conseil et à la commis-sion. Un second délai de trois mois estalors ouvert, où le conseil peut accep-ter les amendements soumis par leparlement ou ne pas les approuver.Dans ce dernier cas une troisième lec-

ture est lancée : un comité de conci-liation réunissant les trois institutionsest alors mis en place. Le parlement etle conseil doivent s’accorder sur unprojet commun dans un délai de sixsemaines pour que le texte soit réputéadopté.

UNE COGESTION ASSUMÉEENTRE SOCIAUX-DÉMO-CRATES ET CONSERVATEURSNous avons brossé rapidement lessources et la structure institutionnellede l’Union européenne. Bien entendu,de la théorie à la pratique, il y a des dif-férences fondamentales. Ainsi lors desnégociations finales sur les textes, éga-lement appelées « trilogue », le poidsdu parlement est faible. De la mêmemanière les clivages politiques danscette arène ne sont que relatifs tant ilexiste, mis à part sur des sujets res-treints, une cogestion assumée entresociaux-démocrates et conservateurs.Enfin, si la commission bénéficie d’unrôle important dans le fonctionne-ment institutionnel de l’Union il estindéniable que les États membresbénéficient d’un poids majeur etnotamment les plus grands d’entreeux. S’il est indéniable que des com-pétences nouvelles ont été accordéesau parlement européen dans le traitéde Lisbonne, un exemple éclairantpermet de relativiser toute opposition,toute contradiction entre l’action desparlementaires et celle des autres ins-titutions. Le dernier budget plurian-nuel de l’U.E. (couvrant la période2014-2020) recèle la particularité d’êtreun budget en baisse par rapport à lapériode précédente. Lors de sa pré-sentation initiale le parlement euro-péen a exprimé sa forte désapproba-tion, a menacé de s’y opposer, de lerejeter en dernier recours comme ilen a le droit, cela a entraîné de la partdes commentateurs de nombreusesspéculations… pour qu’en définitiverien ne change et que les parlemen-taires sociaux-démocrates et conser-vateurs votent le budget de concertaprès l’avoir tant décrié.La base du fonctionnement actuel del’Union européenne est un consen-sus politique entre les forces qui gou-vernent dans l’ensemble du territoireet qui défendent toutes le même inté-rêt de classe à l’échelle du continent.Nous sommes également face à unesymbiose idéologique, la grandemajorité des acteurs institutionnelseuropéens ne peuvent pas imaginerqu’une autre Europe soit possible, quel'on puisse mettre en place des poli-tiques économiques et sociales diffé-rentes, ils sont prisonniers de leur pro-pre conscience. Ne tombons donc pasdans le piège qui nous ferait croire à

« Sans les gouvernements nationaux rien n’est possible dans l’Union européenne

car sans le conseil des ministres aucunedécision ne peut être réellement

entérinée. »

« Cela montre bienque, s’il le

souhaitait, legouvernement

français pourraits’affranchir des

oukases européenset engager un

rapport de force àl’échelle

continentale. »

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des différences structurelles et fon-damentales de lignes entre les diffé-rentes institutions.

ENGAGER UN RAPPORT DEFORCES AU SEIN DE L’EUROPEEn conclusion il faut souligner qued’un point de vue institutionnel,l’Union européenne repose sur deuxpiliers principaux. Les États membresbénéficient toujours d’une positioncentrale dans le dispositif européen,sans eux, sans les gouvernementsnationaux, rien n’est possible dansl’Union européenne car sans leconseil des ministres aucune décisionne peut être réellement entérinée. Leconcours des gouvernements natio-naux est donc requis pour toute déci-sion, qu’il s’agisse des plans d’austé-rité ou de n’importe quelle directive.Au-delà des discours classiques etdéfaitistes cela montre bien que, s’ille souhaitait, le gouvernement fran-

çais pourrait s’affranchir des oukaseseuropéens et engager un rapport deforce à l’échelle continentale. Cetaspect est important car les gouver-nements nationaux essayent toujoursde cacher leur responsabilité, leurparticipation et leur accord avec lesdécisions prises au niveau européen.

Le deuxième pilier sur lequel reposele fonctionnement de l’Union euro-péenne est sans conteste la commis-sion européenne. Celle-ci bénéficiantde l’initiative législative et budgétaire,elle possède un pouvoir majeur etaucune pression démocratique etpopulaire ne pèse sur elle. Dans lesfaits, personne ne peut réellementcontrôler ses décisions qui vont s’ap-pliquer partout en Europe. Cependantson pouvoir n’a pas de base réelle si cen’est les traités européens. Siaujourd’hui ses compétences sontétendues elle n’est qu’une émanation

juridique. La commission européennen’existe et ne peut exister que parcequ’il existe à l’heure actuelle dans lesdifférentes classes dominantes despays européens un consensus sur lapolitique économique et sociale àmener, renversons le rapport de forcesdans nos pays et en Europe et les fon-dations de la commission ne tarderontpas à s’écrouler.

Il est important de savoir commentfonctionne l’Union européenne, maisil l’est tout autant pour nous, com-munistes, de ne pas se laisser enfer-mer dans un système institutionnelfigé, disons-le avec Bertolt Brecht :« l’avenir de l’humanité n’a d’intérêtque vu d’en bas ». n

*Alexis Coskun est juriste. Il estdoctorant en droit européen àl'université de Strasbourg.

Amis et camarades,C’est un vrai plaisir pour moi qu’unedes premières étapes de notre cam-pagne pour les européennes et pourma candidature, au nom du Parti dela gauche européenne (PGE), sedéroule ici à Paris.Le Paris des grandes luttes sociales,des grandes révolutions et des grandsbouleversements. Une révolutionsimilaire, pacifique, un grand boule-versement est nécessaire pour lespeuples d’Europe aujourd’hui. Parceque l’Union européenne a besoind’une réorientation radicale de sespolitiques. Cela nécessite un grand

changement du rapport des forces,quelque chose qui constituera un pre-mier pas vers un virage radical àgauche. Pour sa refondation. Et pourson retour aux valeurs de solidarité,de démocratie et de cohésion sociale.

UN GRAND VOYAGE DE L’ESPOIRNous sommes aujourd’hui ici, tous ettoutes ensemble, compagnons deroute de ce grand, difficile, mais aussifascinant voyage de l’espoir et duchangement. Pour changer l’Europe.Pour changer notre vie. Et afin dechanger l’Europe il faut l’immergerde nouveau dans les principes et lesvaleurs des Lumières. Dans les impé-ratifs politiques de la Révolution fran-çaise. Dans le radicalisme, toujourspertinent aujourd’hui, du gouverne-ment Herriot – le gouvernement decoalition du peuple de la Gauche qui,

au début des années 1920, a mené labataille contre les banquiers voraces.Contre « le mur de l’argent » que laBanque de France avait bâti face auxréformes économiques et sociales deson gouvernement.

Et, aujourd’hui, un nouveau « mur del’argent » est bâti en Europe par le néo-libéralisme et son « gros bras » – la soi-disant « Banque Centrale Européenne »qui est seulement la réplique parfaitede la Bundesbank (Banque fédéraleallemande). Un « mur de l’argent » quine stabilise pas mais, au contraire,menace la zone euro et favorise lesantagonismes nationaux, écono-miques et aussi sociaux desquels sontsorties deux guerres sanglantes pourl’Europe. Elles ont éclaté, la premièreil y a exactement 100 ans, en 1914 etla deuxième, il y a 75 ans en 1939.Nous devons reconstruire l’Europeen démolissant ce nouveau mur dedivision entre le Nord riche avec lesexcédents commerciaux et le Sudpauvre avec les déficits commerciaux,entre créanciers et emprunteurs, endémolissant le nouveau mur euro-péen qui divise nos sociétés en socié-tés des « deux tiers », c’est-à-dire ensociétés dont les deux tiers souffrenten permanence à cause de l’austéritése trouvant à la limite de la survie, etau même moment, un tiers se com-porte comme s’il n’y avait pas de crise,il s’enrichit par et pendant la crise.

UN VOTE D’ESPOIR, LE 25 MAI 2014Discours d’Alexis Tsipras*, candidat au nom du PGE à la présidence de lacommission européenne, au siège du PCF, le 3 février 2014.

« Nous pouvons envahir la Bastille dunéolibéralisme global, qu’est l’actuelle

Europe néolibérale. »

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BUDGET EUROPÉEN : QUEL POIDS DES ÉLUS ? Le budget de l’Union européenne est un tout petit budget,moins de 1 000 milliards pour 7 ans à répartir entre 28 Étatsmembres, comparativement aux 300 milliards annuels dubudget de la France. Il représente environ 1 % du PIB de l’Unioneuropéenne. Ce budget n’est pas simplement adopté chaqueannée pour l’année à venir mais il est intégré dans un cadrefinancier pluriannuel (CFP) d’une durée de 7 ans. Les grandescatégories de dépenses votées chaque année ne peuvent pasdépasser les plafonds fixés par ce CFP. Politiquement, les grandes orientations budgétaires des actionsde l’Union européenne pour les années à venir sont donc trèsencadrées. D’autant plus que le CFP est proposé par la com-mission européenne, qui a seule l’initiative législative, le par-lement européen doit ensuite l’approuver dans le cadre d’unaccord institutionnel entre les trois principales institutionseuropéennes et le Conseil décide en définitive à l’unanimité.Le premier CFP avait été établi sur cinq ans, la même périodeque le mandat d’un élu au parlement européen. Aujourd’huila programmation budgétaire se fait sur sept ans. Cela poseun problème démocratique important : ce cadre financiervenant d’être adopté fin 2013, les députés européens qui serontélus en mai 2014 n’auront donc pas la possibilité de modifierce cadre budgétaire.

BUDGET 2014-2020 : UN BRAS DE FERINSTITUTIONNEL ?Dès 2011, la commission européenne a fait une première pro-position en légère augmentation par rapport à la programma-tion précédente pour les années 2007 à 2013. En février 2013,à la suite de longues négociations entre les États membres, leConseil a répondu par un budget revu drastiquement à labaisse. La politique agricole commune a subi une baisse de16 %, la politique de cohésion permettant un minimum de soli-darité entre les territoires de 8 %. L’Union européenne s’estretrouvée prise au piège de ses propres politiques austéri-taires : les États membres refusant de donner les moyens bud-gétaires supplémentaires à une Union européenne à qui ilsdemandent sans cesse de financer des politiques qu’ils nepeuvent plus mener. En mars 2013, face au blocage institutionnel sur le CFP, le par-lement européen a menacé de refuser de voter sur le budgetrectificatif 2013, seule option pour boucler le budget de l’an-née 2013 en grave déficit. Mais la critique du parlement euro-péen est restée focalisée sur le respect par les autres institu-tions de ses prérogatives. Le président du parlement européen,

le socialiste allemand Martin Schulz, a même en définitive faitadopter au forceps par un vote bloqué une version du CFP duConseil modifiée à la marge. On peut voir derrière cette manœu-vre du président du parlement une tentative de se concilierles États membres alors qu’il est candidat à la future prési-dence de la commission européenne.S’il est clair que le parlement européen ne joue pas à armeségales avec le Conseil, il a cependant vu ses pouvoirs budgé-taires renforcés par le Traité de Lisbonne. Encore faut-il qu’ilsoit décidé à utiliser réellement l’ensemble de ses préroga-tives. En l’espèce cela n’a pas été le cas.

UNE CAPITULATION DU PARLEMENT POUR UNBUDGET D’AUSTÉRITÉReste la possibilité d’une révision du CFP en 2016 obtenue parle parlement européen au cours des négociations, mais elledevra rester dans le cadre des plafonds fixés initialement. Lorsdes négociations, le parlement européen a montré qu’il pou-vait influer sur les politiques européennes, en modifiant uncertain nombre d’équilibres, mais il a également montré quela majorité des députés du parlement soutient aujourd’hui lespolitiques d’austérité.Dans un système proportionnel, le rôle des groupes parlemen-taires est loin d’être négligeable. Quelques améliorations ontété obtenues grâce au travail de la GUE-NGL. Si l’aide alimen-taire a été maintenue, (bien que le programme concerne 28États au lieu de 17), la forte mobilisation des associations,relayée au sein du parlement européen par la GUE-NGL, etnotamment par Patrick Le Hyaric en commission emploi etaffaires sociales et Younous Omarjee en commission déve-loppement régional, a permis de sauver ce programme et delimiter la casse par rapport aux propositions initiales.Pour la première fois dans l’histoire de l’UE, c’est un budget enbaisse qui a été adopté, moins 6.5 % environ par rapport àl’exercice précédent. Et ce, alors que 23 % de la population del’UE est menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale et que lechômage explose.En mai prochain, faisons en sorte d’envoyer au parlement deStrasbourg des députés déterminés à peser de tout leur poidscontre les politiques d’austérité et à utiliser l’ensemble desprérogatives du parlement européen.

PAR MARIE-CHRISTINE VERGIAT,député européen (Front de gauche).

Beaucoup pensent que nous sommesexcessivement optimistes ou, même,des marchands de mots. Ils nousdisent : vous n’êtes pas capables degagner face à de si énormes adver-saires, les banques et les marchés,mais nous le savons bien que nouspouvons envahir la Bastille du néoli-béralisme global, qu’est l’actuelleEurope néolibérale. Tout ce qu’il fautc’est profiter de la sagesse de l’expé-rience collective, accumulée par desannées de luttes sociales des peuplesd’Europe. Tout ce qu’il faut c’est éva-luer de manière critique les leçons des

gouvernements importants de lagauche au XXe siècle. Comme, parexemple, le Front populaire en 1936ou le gouvernement du « programmecommun de la gauche » en 1981. Aujourd’hui, certainement, les condi-tions de 1981 sont, malheureusement,renversées.Les socialistes rejettent leurs mandatsprogressistes et, au contraire, ils sontles « comanagers » du consensus néo-libéral, ensemble avec Madame Merkel.Or, nous sommes obligés de leurdemander avec force : aux côtés dequelle Europe êtes-vous ? Êtes-vous

avec l’Europe des marchés et du capi-tal, ou avec l’Europe des peuples ?L’Europe de l’austérité qui divise entreNord et Sud, par quelques frontièresvirtuelles au long du Rhin, ou avecl’Europe de la cohésion sociale et de lasolidarité qui unit tous les peuples ?C’est ça le dilemme. Et ce dilemme estsymbolisé aujourd’hui en Europe, d’uncôté par Mme Merkel et ses soutiens et,de l’autre côté, par Syriza et le Parti dela gauche européenne. Et quand onarrive à ce dilemme, on ne peut pas êtreà bord des deux bateaux à la fois. Quipropose de le faire finira dans les eaux. s

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UNIR NOS FORCESNotre but est de réunifier l’Europe,cette Europe que le néolibéralismeaujourd’hui divise. Unir toutes lesforces de la gauche partout. Ce quicompte pour la gauche aujourd’huic’est tout ce qui unit. Et nous, pourréunifier l’Europe, il faut d’abord unirnos forces. Nous l’avons fait en Grècegrâce à Syriza. Et cette unité a crééune dynamique sociale et politique,autosuffisante et forte, inattenduemême pour nous. Nous pouvons, touset toutes ensemble, changer l’Europe.Nous pouvons travailler pour uneEurope démocratique, sociale et éco-logique. Avec des priorités :

- l’arrêt immédiat de l’austérité et l’an-nulation des memoranda. Pour arrê-ter la redistribution la plus violentedes revenus, de la richesse et du pou-voir, contre le monde du travail et enfaveur du capital ;- la refondation démocratique de lazone euro. Afin que la Banque cen-trale européenne devienne une véri-table banque centrale, à savoir, uncréancier de dernier ressort pas seu-lement pour les banques mais aussipour les États ;- une conférence européenne sur ladette. Pour une solution collective etsolidaire au surendettement dans lazone euro ;- un New Deal européen. Pour le déve-loppement équilibré et durable ducontinent ;- la transformation écologique de laproduction ;- la réforme du « cadre » européen surl’immigration.

LE GOUVERNEMENTHOLLANDE, MULTIPLICATEURPOLITIQUE DU GOUVERNEMENT MERKELChers amis, chers camarades, permet-tez-moi d’avouer quelque chose queje crois profondément. Si le gouverne-ment de François Hollande était dif-férent, toute l’Europe aujourd’huiserait différente. Mais, au lieu d’être lecontrepoids et l’obstacle face au néo-libéralisme et « l’Europe allemande »,le gouvernement Hollande fonctionnecomme le multiplicateur politique dugouvernement Merkel et commedéfenseur de la politique la plus àdroite que l’Europe ait jamais subieparce que dans la photo de famille dela droite européenne, plus à droite queMadame Thatcher se trouve MadameMerkel et encore plus à droite ontrouve Monsieur Scheuble. Ça fait seu-lement quelques jours que FrançoisHollande lui-même a annoncé descoupes budgétaires de 50 milliardsd’euros pour la période 2015 – 2017

c’est-à-dire une austérité qui conduiraà la récession, et réduira la – déjà fai-ble – croissance de la France. Et,puisque l’économie française a unpoids spécial en Europe l’austérité deM. Hollande est, pour nous tous dansla zone euro, encore une poussée dansla récession. Est-il possible queM. Hollande n’ait rien entendu dudébat international sur l’échec del’austérité en Grèce ? Il ne voit pas quela seule chose que l’austérité arrive àfaire est d’approfondir la crise écono-mique en nourrissant la récession ? Etde créer, en même temps, un problèmede démocratie ?

LE DISCOURS POLITIQUEÉTROIT ET DIVISEUR DE L’EXTRÊME DROITE Parce que du chômage, de la pauvretéet de la difficulté à survivre survien-nent la peur et le désespoir, malheu-reusement, de plus en plus de per-sonnes ouvrent les oreilles au discourspolitique étroit et diviseur de l’ex-trême droite. L’extrême droite qui nereprésente pas une solution mais, aucontraire, est un plus grand dangerencore pour les peuples de l’Europe.Avec un programme politique telle-ment intolérant, qui se limite à l’im-migration et au recul de l’intégrationde la démocratie dans l’Union euro-péenne, qui dirige la peur générale dela crise vers « l’autre », vers l’étranger,vers le frère. Les fascistes et lesracistes, qui cherchent les votes deces parties de la population touchéesfortement par l’austérité, prétendentque l’immigration est une dimensioncruciale de la crise, rendant ainsiinnocente l’austérité néolibérale. Car,dans tous les autres champs, l’ex-trême droite est entièrement néoli-bérale. Et c’est pour ça que son fonc-tionnement politique est celui de laforce de réserve tactique du néolibé-ralisme. C’est un rôle qui, en Grèce,a été prouvé avec l’organisation néo-nazie « Aube Dorée » qui prétend êtreune force antisystème, alors qu’elleest en réalité le bras armé du système.C’est pour cette raison-là que, nonseulement Mme Merkel mais aussiMme Le Pen doivent se féliciter del’austérité imposée par M. Hollande.Cela lui offre le carburant dont elle abesoin pour répandre son obscuran-tisme partout en Europe.

VOTER POUR REMPLACER LA PEUR PAR L’ESPOIRLe 25 mai, le vrai dilemme est trèsclair : d’un côté, les dirigeants poli-tiques de la crise, ceux qui appliquentle consensus néolibéral, la politiquede la peur, de la récession et du reculde la démocratie en Europe, la droite,ensemble avec les sociodémocratesde M. Hollande et de M. Schulz, et del’autre côté, les peuples d’Europe qui,indépendamment de leur origineidéologique ou leur préférence parti-daire, chacun et chacune, nous regar-dent : la gauche européenne de l’es-poir et du changement.

C’est pour cette raison que nous nousadressons à chaque citoyen actif,chaque démocrate, progressiste, degauche, social-démocrate et socia-liste pour qu’il participe aux élections,qu’il vote. S’ils ne votent pas, d’autresvont voter à leur place, ce sont les sim-ples mathématiques de l’urne. Nousappelons chacun à voter avec sonesprit et avec son cœur. La gaucheeuropéenne est la seule force crédi-ble de pouvoir, alternative au néoli-béralisme des conservateurs et de lasocial-démocratie. À venir avec nouspour remplacer la peur par l’espoir.À venir avec nous pour reconstruirel’Europe de la démocratie et des droitshumains.

Amis et camarades, aujourd’hui, avecvotre présence combative vous avezdonné de l’espoir au changement,vous avez donné de la force à la démo-cratie, vous avez donné de la perspec-tive à la gauche européenne. Le25 mai nous serons la surprise heu-reuse et positive. Nous serons hautspour lever aussi haut le drapeau de ladémocratie en Europe. n

Salut et merci à tous et à toutes.

« Si le gouvernement de FrançoisHollande était différent, toute l’Europe

aujourd’hui serait différente. »

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*Alexis Tsipras est président de lacoalition de gauche radicale (Syriza)en Grèce. Il est candidat, au nom duPGE, à la présidence de lacommission européenne.

Réagissez aux articles,exposez votre point de vue.

Écrivez à [email protected]

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PAR FRANCIS WURTZ*

L a question des institutions àconcevoir dans l’esprit d’une« refondation » de la construc-

tion européenne est très logique-ment sujette à controverses. Nonseulement en raison de l’expériencevécue au quotidien par tout un cha-cun, des effets profondément per-vers des structures en vigueur dansl’actuelle Union européenne, maisdu fait des contradictions inhérentesà tout projet d’association de paysaussi différents de par leur histoire,leur culture, leur organisation socialeque le sont les « 28 ». Ce débat –essentiel – ne peut se réduire à deschoix binaires du type « fédéralisme »ou « souverainisme ». Ce sont là desmots-valises qui prêtent à confusionet figent les représentations au lieude stimuler la créativité institution-nelle qu’appelle nécessairement unprojet d’Union refondée. La conven-tion nationale du Parti communistefrançais sur l’Europe du 1erNovembre 2013 a élaboré dans sondocument Refonder l’Europe auquelcet article se réfère – des proposi-tions concrètes à verser à la réflexioncollective sur ce grand sujet d’actua-lité. Examinons-en trois aspectsmajeurs – et indissociablement liés– : la maîtrise par chaque peuple deson destin ; le respect des principesessentiels de la démocratie ; l’impli-cation des citoyens.

LA MAÎTRISE PAR CHAQUEPEUPLE DE SON DESTINLe premier d’entre eux est celui de lasouveraineté, entendue comme lagarantie pour chaque peuple de pou-voir maîtriser son destin. Le docu-ment évoqué plus haut souligne avecla même force « le besoin impérieuxd’un cadre européen dans la mon-dialisation » et la nécessaire garantieà chaque nation « de préserver sesspécificités et la maîtrise de son des-tin ». Articuler ces deux exigencessuppose des innovations démocra-tiques audacieuses en rupture avecdes éléments fondamentaux desstructures actuel les et, à bien deségards, étrangères à la conceptionmême de l’Union européenneaujourd’hui.

Ainsi, nous jugeons indispensable deremettre en cause toutes les disposi-tions conçues pour verrouiller le sys-tème en entravant la faculté descitoyens de changer, dans leur proprepays, les orientations, notammentéconomiques, de leur État. C’est enparticulier le cas des traités européens,puisqu’ils organisent dans le détail unmodèle économique (libéral) prédé-terminé. Un processus de refondationimplique que les futurs traités soient« exclusivement consacrés à affirmerles principes et objectifs essentiels dela démocratie européenne et à défi-nir ses institutions ». Voilà une exi-gence de bon sens à faire grandir dansl’opinion : c’est le seul moyen qui per-mette la coexistence et la coopérationdurables, au sein d’une même Union,de nations ayant choisi des optionspolitiques différentes ou susceptiblesde décider démocratiquement d’enchanger à l’avenir. Naturellement,cette innovation en entraîne beau-coup d’autres. Une fois libérés de cecarcan, bien des Européens s’engage-raient dans un débat aujourd’hui

impossible : quels sont ces « principeset objectifs essentiels » – autrementdit les finalités – que nous souhaite-rions, au-delà de nos différences, assi-gner à l’Europe ? Toutes les enquêtesd’opinions le confirment : ce qu’at-tendent majoritairement lesEuropéens, c’est un type de coopéra-tion solidaire permettant avant toutde porter un modèle social et écolo-gique avancé dans la mondialisation(c’est-à-dire face au pouvoir exorbi-tant des marchés financiers et à l’im-pitoyable guerre économique) ; et c’estd’avoir prise sur les décisions euro-péennes, qui leur échappent pour l’es-sentiel aujourd’hui. Voilà un sujet de

débat salutaire et rassembleur quidonnerait de l’élan à de multiplesdemandes de réorientations s’inscri-vant dans une perspective de refon-dation de l’Europe !

Par exemple, qui dit liberté pourchaque pays membre de choisir sonmodèle de société dit liberté de par-ticiper ou non à tel ou tel champ de lapolitique européenne ! Ainsi, il doitêtre possible non seulement d’adhé-rer ou non à la zone euro ou de parti-ciper ou non à la défense européenne(certains pays ont déjà négocié de tels« droits de retrait »), mais aussi, parexemple, de gérer ses services publicsconformément à ses choix de société :chaque pays qui le souhaite doit pou-voir les adosser à des entreprisespubliques non soumises aux règles deconcurrence. Cela briserait un impé-ratif catégorique du « marché unique »libéral. Et rien n’empêcherait des coo-pérations européennes maîtriséesentre services publics vraimentpublics et « services d’intérêt écono-mique général ». Cela ne pourrait que

tirer vers le haut la reconnaissance des« biens communs » en Europe.Ce type de construction européenne« à géométrie choisie » pourrait êtrele chantier du processus de refonda-tion. Les rapports de force s’y exerce-raient nécessairement contre les paysdésireux d’explorer de nouvelles voies.Aussi faut-il prévoir des moyens deprévenir autant que possible la tenta-tion d’un ou plusieurs États d’impo-ser leurs vues à d’autres. Dans cetesprit, nous pensons utile de fairegrandir l’idée que tout pays membrequi estimerait avoir été « entraîné dansun engrenage aboutissant à unmodèle de société violant ses choix

UNE COOPÉRATION SOLIDAIREAu delà du choix entre « fédéralisme » ou « souverainisme », la conventionnationale du PCF Refonder l’Europe opte pour une « Union de nations et depeuples souverains et associés ».

« Toutes les enquêtes d'opinions le confirment : ce qu'attendent

majoritairement les Européens, c’est untype de coopération solidaire permettantavant tout de porter un modèle social et

écologique avancé dans la mondialisation. »

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*Francis Wurtz est député européen(PCF) honoraire.

fondamentaux » puisse activer une« clause de sauvegarde » lui permet-tant de rediscuter la décision contes-tée, voire, en cas d’impasse, de ne pasappliquer les mesures en passe de luiêtre imposées indûment. Il ne s’agitpas, à nos yeux, de banaliser l’usagede cette clause. Mais nous pensonsque la simple existence d’un tel ultimerecours aurait un effet dissuasif surquiconque serait tenté par un passageen force. Toutes ces dispositions nevisent pas à limiter les coopérationsau sein de l’UE, mais au contraire àles consolider dans la mesure où ellesseraient librement choisies, claire-ment assumées et armées contre leséventuelles tentatives de dominations.D’une façon générale, nous préconi-

sons un régime « d’exercice partagédes souverainetés ». Cela concerne toutparticulièrement les lois ou orienta-tions européennes les plus structu-rantes. Dans ces cas-là, le processusde décision européen doit, à nos yeux,être précédé par une authentiqueconcertation dans tous les pays mem-bres, selon les procédures à détermi-ner par chaque pays lui-même : de pré-férence, par le biais d’un débat publiclarge (impliquant les organisationssyndicales, le mouvement associatif,les élus locaux, les citoyens) et plura-liste (pour faire ressortir les enjeux dudossier concerné) ; mais en tout étatde cause, tous les parlements natio-naux seraient appelés à « faire connaî-tre les principes qu’ils entendent voirrespecter » lors de l’examen des textesen question sur le plan européen. Lesinstances de décision européennes –parlement et conseil des ministres —auraient à tenir dûment compte decette « feuille de route » collective, aurisque d’avoir à compter avec lerecours, ici ou là, à la « clause de sau-vegarde ». Sans doute que cette pra-tique engendrerait plus de « compli-cations » qu’aujourd’hui. C’est larançon de la démocratie. Aujourd’hui,l’Allemagne impose ses vues au conseileuropéen, la Troïka met sous tutelle laGrèce et la commission gère depuis

Bruxelles la mise en « conformité » desbudgets nationaux. C’est apparem-ment plus « simple »... On connaît lerésultat !

LE RESPECT DES PRINCIPESESSENTIELS DE LA DÉMOCRATIELa dimension cruciale de l’enjeu de lasouveraineté ne nous fait pas oublierpour autant les autres fondements dela démocratie, dont une Europe « refon-dée » doit naturellement respecter lesprincipes essentiels, tels que : l’égalitédes droits de chaque citoyenne et dechaque citoyen ; un mode de scrutinréellement proportionnel dans chaqueÉtat membre ; un parlement européendisposant du droit (aujourd’hui mono-polisé par la commission) de prendrel’initiative des lois ; une commissionstrictement soumise aux législateurs ;une « codécision parlement européen-conseil des ministres laissant, en casde blocage, le dernier mot au parle-ment européen après consultation desparlements nationaux. »En outre, la Banque centrale euro-péenne (BCE) doit être soumise aucontrôle effectif du parlement euro-péen et des parlements nationaux. Ils’agit, en effet, de l’une des institutionsles plus puissantes de l’UE puisqu’ellea le pouvoir de créer la monnaie,de prêter cet argent au taux qu’elle fixeelle-même, de décider des orientationspour la politique monétaire qui sontd’application obligatoire pour lesbanques centrales nationales, d’infli-ger des amendes aux entreprises en casde non-respect de ses décisions, et biend’autres choses encore. Pourtant, elle

est aujourd’hui totalement inaccessi-ble. Les traités actuels interdisent àtoute institution publique de lui don-ner la moindre consigne et lui confientdes missions ignorant ce qui devraitêtre la raison d’être de l’Union euro-péenne : la promotion des capacitéshumaines (emploi, formation,recherche, services publics en géné-

ral). L’exigence d’une transformationprofonde et de son statut et de ses mis-sions est un élément fondamental d’unprocessus de refondation démocra-tique de l’UE. La mise au service dudéveloppement social et écologiquede son pouvoir de création monétairepour libérer les États de la toute-puis-sance des marchés est précisément lameilleure illustration de ce que peutapporter comme plus-value une Unioneuropéenne coopérative et solidaireaux pays membres. Sans même atten-dre un changement de traité, nous pro-posons la création d’un « Fonds dedéveloppement social et écologiqueeuropéen » pouvant se financer auprèsde la BCE (à un taux proche de zérocomme les banques privées), entière-ment dédié au financement des ser-vices publics des pays membres, et gérédémocratiquement (participation dereprésentants syndicaux, de parlemen-taires européens et nationaux).Enfin, la « gestion économique » miseen place depuis la crise de la zone euro(traité budgétaire, « semestre euro-péen », « six pack, two pack »...) est unautre verrou antidémocratique à fairesauter : les parlements nationaux doi-vent non seulement recouvrer toutesleurs prérogatives mais les élargircomme nous l’avons vu plus haut. Lachancelière allemande a lancé leconcept de « démocratie conforme aumarché » : nous demandons, quant ànous, le respect de la démocratieconforme aux choix des citoyens.

L’IMPLICATION DES CITOYENSL’implication des citoyens dans cesenjeux est décisive, car c’est d’elle quedépend la maturation de tout le pro-cessus de refondation de l’UE. Le« modèle » en la matière est l’expériencesans équivalent de démocratiecitoyenne de 2005 à propos du projetde traité constitutionnel. Elle a reposésur un « secret »: l’appel à l’intelligenceen partant de la vie réelle. C’est danscet esprit que nous proposons de favo-riser l’implication permanente descitoyennes et des citoyens à tous lesniveaux de la vie de l’UE : « l’élabora-tion des politiques en amont du travailparlementaire et durant celui-ci ; lesuivi des décisions à l’issue du proces-sus parlementaire ; l’évaluation deseffets des politiques adoptées, dans ladurée ». Le document de la conventionnationale du PCF sur l’Europe a résuméle type de construction nouvelle quenous venons d’ébaucher par une for-mule qui exprime bien notre démarched’ensemble : « Une Union de nationset de peuples souverains et associés ». n

« Aussi faut-ilprévoir des moyensde prévenir autant

que possible latentation d'un ou

plusieurs Étatsd'imposer leurs

vues à d'autres. »

« Sans mêmeattendre un

changement detraité, nous

proposons lacréation d'un

“Fonds dedéveloppement

social et écologiqueeuropéen” »

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PAR MAÏTÉ MOLA*

A u sein du Parti de la gaucheeuropéenne (PGE) noussommes clairement convain-

cus que nous ne sortirons de cettecrise qu’à la condition que les peu-ples d’Europe soient unis. Puisque lecapitalisme, avec ses transnationalesqui ont plus de pouvoir que n’importequel gouvernement du monde, agitde manière globale, nous devons,nous aussi, agir de manière globale.Nous savons que les résultats despolitiques d’austérité ne se manifes-tent pas de la même manière ni avecla même intensité au Dane mark, enFrance ou en Allemagne qu’en Grèce,en Bulgarie ou en Espagne… maisnous assistons tous au même scéna-rio d’involution démocratique, depaupérisation des couches popu-laires, en particulier les femmes, deperte des droits et services sociaux etle moteur de tout cet engrenage estle néolibéralisme et son porte-parolela Troïka. En résumé, nous sommesdans une lutte de classes et nousdevons lutter unis. Nous sommesdéjà trente-trois membres au sein duParti de la gauche européenne (dontsept en tant qu’observateurs) et noustravaillons à la recherche d’une alter-native commune. Les propositionset les espaces que nous partageons

avec les syndicats et les mouvementssociaux sont de plus en plus nom-breux car aujourd’hui l’unité est indis-pensable et ce n’est pas le momentde tergiverser.

Nous sommes dans une Europe enproie à une énorme crise humanitairedont les marchés et la banque sontresponsables, avec des gouverne-

ments soumis, qui méprisent ladémocratie, en mettant fin aux avan-cées sociales conquises de hauteluttes, après la Seconde Guerre mon-diale. La pauvreté touche des millionsd’êtres humains ! Nous devons ouvrirdes perspectives.Par ailleurs, dans notre Europe lesforces d’extrême droite, démagogueset xénophobes, parfois ouvertementfascistes ou néonazis, progressent auxélections et leur message séduit unepopulation en manque de repères,

sensible à un discours simpliste etultranationaliste. Le cas du Frontnational en France en est l’image.En Espagne ce sont les attaquescontre les droits des femmes à traversla réforme de la loi sur l’avortementbasée sur une idéologie sexiste etpatriarcale ; sans oublier le rôle jouépar une Église catholique réaction-naire.

Il faut rompre avec le néolibéralisme.En mettant l’humain au centre des pro-jets, d’autres politiques sont possibleset ce n’est pas une utopie. Dans d’au-tres régions du monde elles sont misesen place au bénéfice des populationsqui progressent au niveau des droitset de la participation démocratiquedans la vie politique, et je pense sur-tout à l’Amérique Latine : le Venezuela,la Bolivie, Cuba et l’Équateur.

CONSTRUIRE DES CONVERGENCESRompre avec le néolibéralisme en Europe n’est pas une utopie. Les forces réu-nies au sein du Parti de la gauche européenne travaillent à ouvrir une perspec-tive politique dès les élections de mai.

« Il faut rompre avec le consensusnéolibéral et impérialiste qui nous a plongés

dans cette crise, et dans cette spirale deguerre d’un bout à l’autre de la planète pour

des intérêts purement économiques etgéostratégiques. »

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FINANCER UN PROJETPROGRESSISTE Avec sa riche histoire politique et sociale, son poids dans l’éco-nomie mondiale et dans les échanges internationaux, sa prisede conscience précoce des enjeux écologiques, ses possibili-tés de coopération avec les voisins du Sud et de l’Est, l’Europepourrait être à l’avant-garde dans la construction d’une nou-velle civilisation, où les ressources serviraient en priorité audéveloppement des êtres humains et non à la rentabilité descapitaux, et où « le libre développement de chacun serait lacondition du libre développement de tous ». Ces potentialités se heurtent à la domination des marchésfinanciers. L’Union économique et monétaire, fondée sur unebanque centrale indépendante de tout pouvoir démocratiqueet sur une austérité budgétaire obsessionnelle, est un échectotal. Non seulement la zone euro est devenue durablementune zone de dépression dans l’économie mondiale mais, entre2010 et 2012, c’est contre elle que s’est déchaînée la spécula-tion née, aux États-Unis, de la crise des subprimes !

UN FONDS DE DÉVELOPPEMENTÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ÉCOLOGIQUEEUROPÉEN Pour sauver l’existence même de l’euro, la BCE a été contraintede mobiliser son pouvoir de création monétaire de façon toutà fait inusitée. L’annonce qu’elle pourrait procéder de façonillimitée à des rachats de titres publics a joué un rôle impor-tant pour calmer provisoirement les marchés, témoignant dela puissance que confère l’émission de la deuxième monnaiedu monde. Mais tant que ce pouvoir servira à sauver la misede la finance, il continuera de nous enfoncer dans la crise. Ilfaudrait au contraire l’utiliser pour libérer l’économie euro-péenne de la dictature des marchés.La BCE ne devrait pas se contenter d’annoncer son intentionde racheter des titres publics ; elle devrait procéder massive-ment à de tels rachats pour réduire la dépendance des Étatseuropéens envers leurs créanciers privés. Mais c’est surtout pour financer la création de richesses futuresqu’on a besoin de son soutien. C’est l’objet du Fonds de déve-loppement économique, social et écologique européen pro-posé par le programme L’humain d’abord ! du Front de gauche.Ce fonds serait strictement réservé à deux usages : financerle développement des services publics et participer au finan-cement d’investissements, publics et privés, répondant à des

critères bien définis en matière économique (création devaleur ajoutée dans les territoires), sociaux (emploi, forma-tion, salaires) et écologiques (économies d’énergie et dematières premières). Ses ressources seraient apportées pardes titres acquis, dès leur émission, par la BCE. Cette pratiqueest interdite par les traités européens actuels : il est doncurgent de rendre irrésistible l’exigence d’une refondation dela construction européenne. Dès aujourd’hui, on peut exigerqu’un Fonds européen de ce type soit financé par la Banqueeuropéenne d’Investissements qui, elle-même, peut se refi-nancer auprès de la BCE. Changer la politique monétaire européenne viserait, en com-binaison avec d’autres instruments (modulation des cotisa-tions sociales patronales et de l’impôt sur les sociétés en fonc-tion de la politique d’emploi et de formation des entreprises…),à désintoxiquer en profondeur la société des critères de ges-tion capitalistes. C’est en effet dans chaque entreprise et danschaque service public que les citoyens doivent conquérir despouvoirs d’intervention pour mobiliser les moyens financiers– crédit bancaire, profits des entreprises, et argent publiccomme outil d’incitation à une autre utilisation de l’argentprivé – au service d’objectifs sociaux.

DES LUTTES SE DÉVELOPPENTCela commence aujourd’hui. En France, des syndicalistes exi-gent le financement par les banques des investissementsnécessaires au redémarrage de leur entreprise, et interpel-lent la Banque de France pour que ces crédits soient refinan-cés à 0 % par la BCE. Des élus locaux émettent des revendica-tions analogues pour le financement de leurs équipementscollectifs et de leurs services à la population. Ils se pronon-cent pour la constitution d’un pôle financier public, mettanten œuvre de tout autres ressources et de tout autres critèresque ceux de la Banque publique d’investissements actuelle,en liaison avec des fonds régionaux et nationaux pour l’em-ploi et la formation. Des voix convergentes s’élèvent en Europe, qu’il s’agisse desfoules dénonçant la Troïka dans les rues de Lisbonne ou deMadrid, de la Confédération européenne des syndicats, duDGB allemand, ou encore de Syriza.Ainsi, non seulement les moyens de financer un projet pro-gressiste en Europe existent mais aussi les forces pour enimposer la mise en œuvre.

PAR DENIS DURAND, économiste, membre du Conseil national du PCF.

AMENER LES CITOYENS À CHANGER D’OPINIONLa question clé est : comment ouvrirle chemin vers la formation d’unemajorité émancipatrice et créer desperspectives politiques ? C’est là quele Parti de la gauche européenne a unrôle fondamental à jouer, comme lefont ses partis membres, aux côtésdes organisations sociales et syndi-cales avec lesquelles nous avons tissédes liens. Il faut cependant approfon-dir le travail en commun de manièrecontinue. La plateforme programma-tique du PGE pour les élections euro-péennes de 2014 est la base qui doitpermettre l’élaboration, avec ces orga-

nisations, de propositions de défenseet d’amélioration des conditions devie et de travail tant pour les salariésque pour les populations en général.Les citoyens ne changeront d’opinionque s’il existe une alternative clairede gauche en prise avec les mobili-sations sociales et les luttes des tra-vailleurs, des chômeurs, des expul-sés, des immigrés, des jeunes, desfemmes, des mouvements pour lapaix, des antifascistes et anti-racistes.Pour cela il faut rompre avec leconsensus néolibéral et impérialistequi nous a plongés dans cette criseet dans cette spirale de guerre d’unbout à l’autre de la planète pour des

intérêts purement économiques etgéostratégiques. Nous avons pourobjectifs d’aider les peuples d’Europeà triompher de cette nouvelle formede lutte de classes. Le Parti de lagauche européenne est l’instrumentpolitique aux côtés des organisationsqui s’engagent à lutter pour uneEurope solidaire, juste et égalitaire,dans un front européen social et poli-tique contre l’austérité, en faveur d’al-ternatives concrètes et à plus longueéchéance vers le socialisme. n

*Maité Mola est vice-présidente du PGE.

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ENTRETIEN AVEC YVES DIMICOLI*

Tout le monde paraît s’accordersur le non-fonctionnementactuel de l’Union monétaire

européenne et sur ses conséquencesnéfastes sur l’économie : commentanalysez-vous la situation ?

Le passage à l’euro, tel que conçu,débouche sur un gigantesque fiasco.Loin de servir à répondre aux besoinsde solidarités des peuples face auxmarchés financiers pour se frayer, encoopération, les voies d’un nouveau

type de développement de progrèssocial et écologique, émancipé de ladomination du dollar, l’euro a été uti-lisé pour promouvoir un grand mar-ché financier. Pour le faire accepterainsi, ses promoteurs se sont préva-lus de buts généreux : paix, « plein-emploi », « modèle social européen »,maîtrise de la mondialisation, pros-périté partagée…C’est pourvu de cesdeux faces, l’une, cachée, à viséefinancière dominatrice, l’autre bril-lant de promesses verbales de pro-grès et de solidarités, que l’euro a étéadopté. La crise financière dite « desdettes publiques » en zone euro, a faitse révéler cette ambivalence. Face aurisque d’éclatement de l’euro, loin debifurquer, ses promoteurs se sontacharnés à le sauvegarder, au servicede la domination de la finance.Le résultat ? La zone euro est tombéeen récession en 2012, alors que le restedu monde continuait de croître. Fin

2013, on y comptait 19,241 millionsde chômeurs. Aujourd’hui, la sortiede récession est très lente et inégale,tandis que la colère contre l’austéritémonte de partout. C’est dire la néces-sité, non de reculer par rapport auxbesoins de solidarité de progrès entreEuropéens, mais d’utiliser et refon-der l’euro dans ce but.

Les pays de la zone euro sont dans unesituation économique, sociale etindustrielle très différente, n’est-ilpas illusoire de penser que l’on peutcontinuer à avoir une monnaieunique ?

Autant la création d’une monnaiecommune avait du sens comme alter-native à la monnaie unique quand cen’était qu’un projet, autant il est vaind’espérer revenir au point de départen effaçant les vingt ans qui se sontécoulés depuis Maastricht, les dégâtsqui en ont résulté, les liens étroitsnoués entre économies de la zoneeuro et la puissance de feu que la spé-culation peut déchaîner contre elles.L’euro a été construit sur un systèmeeuropéen de banques centrales natio-nales (Euro-système). La BCE, certes,monopolise le pouvoir de créationmonétaire, mais elle ne peut le fairesans l’appui sur les banques centralesnationales. C’est là une porte ouvertepour faire reculer le fédéralisme niantles diversités nationales pour un nou-veau type de confédéralisme respec-tant les besoins de chaque peuple.Le pouvoir de « battre monnaie » dela BCE est autrement plus étendu que

celui de chaque Banque centralenationale. Il dispose d’une base pourune croissance européenne solidairede progrès qui serait suffisammentimportante et solide pour s’émanci-per des marchés financiers et de laspéculation.Au lieu d’un repli illusoire, il s’agit dechanger radicalement le fonctionne-ment de ce système en développantles luttes nationales et leurs conver-gences européennes sur l’utilisationde l’argent et, en particulier, pour uneautre utilisation de la monnaie crééepar la BCE. Partir du principe que celaparaît impossible à réaliser revient àfuir ce combat national et internatio-naliste de notre temps.

Il y a un débat à gauche entre sortirde l’euro, repenser l’euro ou encoreavoir un système monétaire différentau Nord et au Sud de l’Europe. Vousdites qu’un autre euro est possible,mais qu’est-ce que cela signifieconcrètement ?D’un côté, le refus de sortir de l’euroest très majoritaire. Mais, d’un autrecôté, gronde la protestation contrel’utilisation faite de l’euro si favora-ble à la domination des marchésfinanciers. Il s’agit de répondre à cettedouble interpellation en prônant uneautre utilisation de la création moné-taire de la BCE, au lieu de céder à desillusions démagogiques et dange-reuses.À partir des protestations contre l’aus-térité et le pacte de stabilité, exigeonsque la BCE finance directement unallégement des dettes publiques et,surtout, un grand essor des servicespublics en Europe. Pour cela, chaquepays émettrait des titres de dettepublique rachetés par la BCE. L’argentserait alors affecté à un Fonds social,solidaire et écologique de développe-ment des services publics européensqui le répartirait démocratiquemententre chaque pays proportionnelle-ment à ses besoins.À partir des luttes pour l’emploi et lessalaires, exigeons que la BCE cesse derefinancer les crédits accordés auxspéculateurs et aux entreprises quisuppriment des emplois. Exigeonsqu’elle refinance les crédits pour lesinvestissements matériels et derecherche des entreprises à des tauxd’intérêt d’autant plus abaissés,jusqu’à 0 % voire moins, que cesinvestissements programmeraientplus d’emplois et de formations cor-rectement rémunérés. Pour prendrefinement en compte les besoins natio-naux, réclamons que soit attribuée àchaque banque centrale nationaleune « enveloppe » annuelle de mon-naie de la BCE à répartir. Exigeons

QUEL SORT POUR L’EURO ?D'un côté, le refus de sortir de l'euro est très majori-taire. Mais, d'un autre côté, gronde la protestationcontre l'utilisation faite de l'euro si favorable à ladomination des marchés financiers. Il s'agit derépondre à cette double interpellation en prônantune autre utilisation de la création monétaire de laBCE, au lieu de céder à des illusions démagogiqueset dangereuses.

« Nos propositions pour changerl’utilisation de l’euro sont articulées à despropositions pour changer l’utilisation de

l’argent, le crédit en particulier et à la miseen place de Fonds publics régionaux jusqu’à

celle d’un pôle financier public. »

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pour la BCE un contrôle politique, àl’opposé de son indépendance statu-taire, avec de nouveaux pouvoirs desaisine, par les travailleurs et leursorganisations représentatives, des ins-titutions nouvelles de crédit.

On vous répond souvent que, comptetenu des règles strictes édictées parl’Union européenne, il est impossiblede changer le système monétaireactuel. Comment, dès les prochainesélections européennes, pourrons-nous agir concrètement pour allerdans cette voie ?En rassemblant sans attendre contreles politiques d’austérité et pour uneautre utilisation de l’argent en Franceet en Europe. Aucune règle, aucuneloi, aucun traité n’est immuable faceaux poids des nécessités de la crise etdes luttes pour des alternatives. Déjà,la BCE, transgressant ses propresdogmes, a dû intervenir pour soute-nir les pays européens en difficulté,sans révision des traités.Nos propositions pour changer l’uti-lisation de l’euro sont articulées à despropositions pour changer l’utilisa-tion de l’argent, le crédit en particu-

lier, en France et dans ses régions, dela mise en place de Fonds publicsrégionaux jusqu’à celle d’un pôlefinancier public. Ils développeraient

un nouveau crédit pour les investis-sements des entreprises dont le tauxd’intérêt serait d’autant plus abaissé,jusqu’à 0 % voire moins, que cesinvestissements programmeraientplus d’emplois et de formations. On

pourrait utiliser, pour cela, une par-tie des fonds publics gâchés et pous-sant aux bas salaires, comme ceux desallégements de cotisations sociales,au lieu d’étendre cette pratique avecle « pacte de responsabilité ». Celapourrait se conjuguer à des taxationsdissuasives et incitatives.Avancer sans attendre dans cette voieconduirait la BCE à refinancer cesnouveaux crédits. En effet, l’article123-2 du traité de Lisbonne préciseque « les établissements publics decrédit, dans le cadre de la mise à dis-position de liquidités par les banquescentrales, bénéficieront, de la partdes banques centrales nationales etde la BCE, du même traitement queles établissements privés de crédit ».La voie serait ainsi ouverte pour destransformations radicales en liaisonavec les luttes et les votes des autrespeuples européens, jusqu’à de nou-veaux traités. n

« À partir desluttes pour l'emploi

et les salaires,exigeons que la BCEcesse de refinancerles crédits accordésaux spéculateurs etaux entreprises qui

suppriment desemplois. »

*Yves Dimicoli est membre duComité exécutif national du PCF. Il estresponsable du secteur Économie etfinances du Conseil national du PCF.

PAR ANNE SABOURIN*

Si nous en discutions le caractèreeffectif – compte tenu de l’as-phyxie financière de l’hôpital

public – voir surgir la remise en causedu droit à l’avortement chez nos voi-sines espagnoles et la « manif pourtous » emboîter le pas en France estun coup de massue pour toutes cellesqui se sont battues pour ce droit. Lestrentenaires, les jeunes femmes de magénération ont pris une claque. Pournous ce débat paraissait anachronique.La réalité est revenue comme un boo-merang : rien n’est jamais acquis. Onse souvient de la rudesse de la lutte desfemmes françaises pour aboutir à laloi Veil. On se souvient qu’en Espagne,l’avortement était illégal… sous la dic-tature franquiste. Nous nous croyions

à l’abri, nous avions tort. Si cette loipasse, nos sœurs espagnoles perdrontle droit de choisir leur maternité, aubon moment, avec la bonne personne,dans de bonnes conditions. Les richesiront à l’étranger. Les autres, l’immensemajorité dans une Espagne en crise etsous l’austérité, basculeront dans laclandestinité, le charcutage, le dangerde mort.

UN CLIMAT DE RÉGRESSIONQuand un droit est attaqué dans unpays européen, ayons bien conscienceque le nôtre est menacé. Nous étionsnombreuses et nombreux dans la ruele 1er février par solidarité. Mais aussiparce que le climat de régression estpesant en France. Dans notre pays onpeut entendre Marine Le Pen sur uneradio publique raconter que l’avorte-ment est utilisé par les femmes comme

un « moyen de contraception ».Rappelons tout de même que l’avor-tement est une décision difficile et unacte médical aux conséquences mul-tiples sur le corps et la psychologie dela personne. Qui pourrait le prendre àla légère ? La polémique sur la soi-disant « théorie du genre », l’incroya-ble SMS et les encore plus incroyablesdéclarations de Jean-François Copésur le contenu de l’enseignementpublic doivent nous faire bien mesu-rer que ce qui se trame à droite, c’estune remise en cause profonde de l’éga-lité femmes/hommes.

Cette lame de fond réactionnaire estprésente dans toute l’Europe. L’avor -tement est encore interdit à Malte, enPologne et en Irlande. Le parlementeuropéen a rejeté au début de l’année,le rapport Estrela sur « la santé et lesdroits reproductifs et génésiques » qui

IVG : FACE À LA LAME DE FOND RÉACTIONNAIRE,UNE CONTRE-OFFENSIVE EUROPÉENNEQuand un droit est attaqué dans un pays européen, ayons bien conscienceque ce droit est aussi menacé en France. Le Parti de la gauche européennea décidé de lancer une campagne dans la durée pour l'avortement légal,libre et gratuit en Europe.

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*Anne Sabourin est membre del’exécutif du PGE.

prévoyait que « des services d’avorte-ment de qualité soient rendus légaux,sûrs et accessibles à toutes dans le cadredes systèmes de santé publics des Étatsmembres, y compris aux femmes non-résidentes ». Le gouvernement espa-gnol de Mariano Rajoy a déclaré qu’ilmènerait cette bataille contre l’avorte-ment au plan européen. En Hongrie,le gouvernement Orban, allié aux fas-cistes du Jobbik, a intégré des thèsesnaturalistes des pro-vie dans la consti-tution. Les réacs s’organisent, parta-gent leurs argumentaires, leurs « planscom ».En Belgique et en Suisse, des votationscitoyennes se préparent sur une ques-tion : « la santé publique doit-elle payerles avortements ? ». Comme s’il s’agis-sait de caprices ou des conséquencesde comportements irresponsables defemmes délurées ! Mais l’avortementpeut survenir à toutes les étapes de lavie d’une femme, tant dans sa jeunesse

qu’après avoir choisi une ou plusieursmaternités. Ce que nous disent les casBelge et Suisse, c’est que la bataille pourles droits des femmes à maîtriser leurmaternité est indissociable du combatcontre l’austérité. Le dogme de laréduction des dépenses publiques, meten cause le seul modèle capable degarantir l’accès de toutes aux droits,c’est-à-dire un système de santé public,avec les structures adéquates et la priseen charge financière à 100 %.

UNE CAMPAGNE POURL’AVORTEMENT LÉGALPlus que jamais, il faut une contreoffensive de dimension européennepour le droit des femmes à disposerde leur corps. Les élections euro-péennes seront un moment de politi-sation de cet enjeu majeur. Le Parti dela gauche européenne a décidé de lan-cer une campagne dans la durée pourl’avortement légal, libre et gratuit en

Europe. Nous rappellerons qu’il est undroit fondamental et que par consé-quent, il ne doit pas être restreint selonles religions ou les conditions sociales.Nous lierons donc cette question aurefus des fondamentalismes et del’austérité ainsi qu’à l’affirmation dubesoin d’un nouvel essor des servicespublics. Deux principes qui tendent àla convergence vers le haut peuventnous guider : la « clause de non-régres-sion », qui permettrait de ne pas reve-nir sur un droit existant dans un pays ;et la « clause de l’européenne la plusfavorisée » qui permettrait de prendrecomme objectif de convergence leniveau de droit du pays le plus élevé.Des initiatives diverses seront organi-sées dans plusieurs pays, démarrantde Berlin le 8 mars et terminant le10 mai à Madrid. À nous de jouer ! n

ENTRETIEN AVEC COSTA-GAVRAS*

Commençons par revenir surl’année 2013 et la mobilisationcontre la libéralisation du sec-

teur culturel dans le cadre du grandmarché transatlantique.Les membres de l’ARP [Société civiledes auteurs, réalisateurs et producteurs]connaissent bien José Manuel Barroso(président de la commission euro-péenne) depuis longtemps, nousl’avons rencontré à plusieurs reprisesen délégation, dont deux fois, àBruxelles. Lorsque le climat s’est tendu,on a même provoqué un dîner avec luiau cours duquel il nous a tout promis.Cet orateur formidable est un très bonvendeur de voitures d’occasion (rires).Il cite Pessoa sans arrêt, les anciensgrecs… En privé il vous approuve surle mode: « tout ce que vous voulez, jesuis avec vous » mais rien n’est jamaissuivi d’effets. Pire, il avance des idéesabsurdes, comme le fait que l’excep-tion culturelle ne devrait concerner quele cinéma, faisant fi de tout le reste, dontl’audiovisuel. C’est un piège terrible.Sur le fond ce monsieur se fout de laculture et il a tenté pendant plusieursannées de nous endormir avec degrands discours. Heureusement, unegrande mobilisation s’est rapidementdéclenchée contre le grand marchétransatlantique. Dans la foulée il a fait

une déclaration en me traitant de « réac-tionnaire » pour disqualifier la résis-tance du cinéma français à ce marché.À mes yeux, cette histoire est terminéesans l’être vraiment. [En juin 2013, lamobilisation a permis une modifica-tion du mandat donné à la commissionpar les États membres et de retrancherculture et audiovisuel de ce marché.NDLR]. En ce moment, il y a des négo-ciations dont personne ne parle. C’estune bombe qui se prépare et qui exige-rait qu’on suive les choses de très près.Le risque est qu’on nous fasse à nou-veau un enfant dans le dos, comme cefut le cas avec le GATT (Accord généralsur les tarifs douaniers et le commerce).Tout d’un coup, on apprenait que tousles produits, y compris culturels, étaientmis sur le même plan et jetés dans lebain de la mondialisation.

En quoi la culture ne saurait-elle êtreréductible à sa dimension profitable ?En quoi les biens culturels font-ilsexception sur les autres produits mar-chands ? Quand on produit des voitures enFrance, en Chine, en Amérique, c’estle même produit. Ce sont des voitures.Quand on réalise un film dans un deces pays, il parle de la société et de lavie intime d’un territoire. Ce travailexige une liberté totale et des moyens,notamment ceux mis à disposition parl’État. Il est important de se nourrir

avec nos propres images et pas seu-lement avec celles d’autres sociétés.Au lendemain du GATT, Régis Debray,alors conseiller de Mitterrand, avaitvu un grand magnat du cinéma amé-ricain qui lui disait : « Vous, en France,vous produisez des fromages formi-dables, du champagne, de la cuisine.Nous savons produire du spectacle.Pourquoi ne pas orienter nos sociétéscomme ça?» En clair, vous vous occu-pez du ventre ; nous nous occuponsde la tête. Non, il faut que la tête, ons’en occupe nous-mêmes.

Un grand défenseur de la culture, JackRalite, écrivait récemment dans une let-tre adressée à François Hollande « quela culture n’est pas un luxe dont enpériode de disette il faudrait se débar-rasser », qu’elle est le « meilleur anti-dote contre toutes les pensées régres-sives ». La culture est-elle une armecontre les obscurantismes ?Absolument. C’est même à mon avis,avec l’éducation, le seul moyen. Raliteest un homme admirable dont les posi-tions sont toujours parfaites. Dans lemouvement culturel français c’est sansdoute l’élu le plus pertinent sur cesquestions.

Suite à la mobilisation victo rieuse contrele marché transatlantique, y a-t-il unevolonté de structurer ces acquis àl’échelle européenne ?

L’EXCEPTION CULTURELLE : UN EXEMPLE DE MOBILISATION

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Avec l’ARP, on mène un travail sous-ter-rain: on est en relation avec des met-teurs en scène qui agissent auprès desministres de la Culture de leur pays(quand il y en a) et des gouvernements.Au moment de la bataille face à Barroso,on a grignoté des positions, y comprischez des gens qui étaient très rétifs àl’exception culturelle : les Hollandais,les Allemands, sans parler des Anglais.Je crois que certains ont commencé àréfléchir au sens de l’exception cultu-relle. C’est un long travail mais leschoses avancent. Nous ne sommes pasencore structurés sur le plan européenmais il y a des ponts solides : des gensimmédiatement mobilisables.

Dans un article du Figaro de 2012titrant «  Le monde de la culturegrecque appelle au secours », ZetaDouka s’interrogeait: « La Grèce a léguéune richesse culturelle de plusieurssiècles au monde et on doit la détruireà cause des spéculateurs ? Il y aurgence et il faudrait aussi que lesEuropéens ouvrent les yeux au plusvite. » Les Européens ont-ils assezouvert les yeux ? Pas du tout. Je peux même dire quela commission européenne a encou-ragé les mauvaises dépenses enGrèce, en se moquant complètementdes résultats. Combien d’Européensont été les acteurs de la corruptionen Grèce? Ils sont complètement res-ponsables, avec eux les grands par-tis grecs corrompus, parfaitementinsouciants de l’avenir, parfaitementincapables de mener une politiquesociale avec l’argent récupéré par lebiais européen. Ceux qui sontaujourd’hui au pouvoir ont engen-dré ce désastre : aussi bien les socia-listes que la droite. Ce n’est pas avecdes ministres qui achètent des avionset des sous-marins pour l’armée ens’enrichissant personnellement aupassage, que le pays se relèvera.

Au regard de votre film Le Couperet,comment percevez-vous la lourdequestion du chômage qui ne cesse degagner du terrain en Europe ?Le chômage, pour le système capita-liste dans lequel nous vivons, c’est unauxiliaire, ça aide beaucoup. Plus il ya de chômeurs, moins on paie. Mais ily a un point où la société ne peut plusle supporter car les chômeurs descen-dent dans la rue et n’ont plus rien àperdre. En Grèce, le chômage a étéaussi l’effet d’hommes politiques quiont mené une politique clientéliste degrande envergure : en plaçant parexemple leurs proches dans la fonc-tion publique… Aujourd’hui, la Troïkavoudrait corriger cela mais pour s’yprendre elle casse tout avec une vio-

lence inouïe et antidémocratique.Quand vous êtes fonctionnaire depuisdes années et que du jour au lende-main on vous met dehors c’est undrame terrible, c’est l’incohérenceabsolue.

Certains ont mis en avant l’idée quel’austérité pourrait être un bon sti-mulant pour le cinéma. La bataille quevous avez gagnée, c’est celle du statuquo mais le cinéma européen ne res-pire plus.Le cinéma européen est en effetétouffé. À tel point que le Centre natio-nal du cinéma (CNC), en France, adécidé d’aider le Portugal, la Grèce,l’Espagne, etc.… Le seul pays où il y aune volonté politique d’avoir uncinéma national, c’est la France. Celaa commencé au lendemain de laSeconde Guerre mondiale, des cen-taines de films américains sont arri-vés et ont étouffé complètement lesautres productions. Il a alors été décidéde revendiquer un cinéma national.En ce moment, on traverse une passeun peu difficile : on produit 270 films,peut-être un peu trop ? En mêmetemps on ne peut pas réunir une com-mission pour décider qui a droit et quin’a pas droit de faire un film? Ce sontdes investissements et un puissantmoteur économique. Nos films se ven-dent très bien à l’étranger parce qu’ily a une volonté politique acceptée partout le monde d’avoir un cinéma hexa-gonal. L’idée, c’est que l’Europe se dotede cinémas européens. C’est pour celaqu’ont été créés plusieurs mécanismesimparfaits, Eurimages par exemple, àqui nous devrions accorder davantagede moyens. Quant aux télévisions, onpourrait penser que les chaînesdevraient diffuser au moins 40 à 50 %de cinéma national ou européen. EnFrance, c’est plus ou moins respectémais pas ailleurs.

qu'est-ce qui vous paraîtrait pertinentà l’échelle européenne ?Deux choses me paraissent essen-tielles : imposer une sorte de quotanational et européen sur les films àprésenter aux télévisions. Ça créeraitdes cinématographies nationales et çadonnerait du travail à beaucoup demonde ! Nous faisons beaucoup decoproductions en France, nombre defilms se font dans d’autres pays grâceaux coproductions françaises. Tous lesjours, il surgit un type qui veut présen-ter un film pas cher. Mais ce dont ona besoin, c’est d’argent pour que toutle monde puisse réaliser des films dansles meilleures conditions. Il y a unmouvement à déclencher par rapportaux diffuseurs. Enfin, garantir l’excep-tion culturelle, c’est se prémunir des

monstres envahissants que sontGoogle, Amazon et Netflix. S’il fautimposer des règles et des quotas à latélévision c’est que sans ce système,les télévisions ne vont passer que desfilms américains. 350 000 personnestravaillent dans l’audiovisuel français,un apport indéniable pour l’écono-mie… Il faut préserver notre culture,ce que nous sommes, ce que nous pen-sons, ce que nous aimons... On ne peutpas devenir américain tout le temps !

Votre film Eden à l’ouest interroge lafigure de l’étranger. Comment jugez-vous cette place très incommoderéservée aux étrangers en Europe ?Accueillir l’étranger c’est une décla-ration de paix, ce n’est jamais unedéclaration de guerre. C’est le présup-posé de beaucoup de mes films.Quand on pense aux capacités qu’ilsont pour traverser des continentsentiers pour atteindre leur rêve, celaen dit assez sur leur courage et leurténacité. Par contre si on ne leurdonne pas du travail, s’ils sont pour-suivis par la police, si on leur répètesans arrêt que ce sont des voleurs, desmonstres ils vont finir par le devenir...

Quel regard portez-vous plus largementsur la société française ?D’une manière générale, en Franceaussi malheureusement, la réussite etl’argent ont éradiqué l’éthique sociale.Réussir à tout prix est devenu une phi-losophie nationale. Un ministre ne veutpas être un bon ministre... il veut deve-nir président. En attendant ce sont lesgrosses compagnies qui dirigent lasociété. Il y a un changement profonddu monde politique, un détournementde la politique. Ce que je constate, c’estque nous manquons d’hommes poli-tiques exemplaires. C’est valable pourles artistes…

Un mot sur la cinémathèque pour finir ?On va fêter les 100 ans de la cinéma-thèque. À 22 ans, Henri Langlois (avecGeorges Franju) a créé la cinéma-thèque pour sauver le cinéma muet.La cinémathèque a eu des hauts et bas.On a actuellement de nombreusesactivités, une offre très variée de films,des expositions, 450 000 personnes(plus 50 000 enfants) fréquentent lacinémathèque chaque année. SergeTubiana et son équipe effectuent untravail formidable. Nous avons aussides projets, dont le souhait de nousouvrir sur d’autres villes. n

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*Costa-Gavras est un réalisateur decinéma français. Il est président de laCinémathèque.Entretien réalisé par GuillaumeRoubaud-Quashie et Nicolas Dutent.

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SERVICE PUBLIC ET INTÉRÊT GÉNÉRALL’écart entre la conception française du service public et lesprincipaux objectifs de la construction européenne alimentece que l’on peut appeler une crise du service public ou du ser-vice d’intérêt économique général selon la terminologie com-munautaire courante. Alors que la construction française duservice public s’est traditionnellement référée à trois principes :égalité, continuité, adaptabilité, une autre logique lui est oppo-sée. Cette logique est de nature essentiellement économiqueet financière, c’est l’option d’une économie de marché et deconcurrence dont les critères sont essentiellement monétaires :taux d’inflation et fluctuations monétaires, déficit des financespubliques, taux d’intérêt à long terme.

Pourtant l’objectif de production de « la cohésion économiquesociale et territoriale » figure à l’article 3 du traité sur l’Unioneuropéenne (UE) tandis que l’article 14 du traité sur le fonction-nement de l’UE associe valeurs communes et services d’inté-rêt économique général : « Sans préjudice de l’article 4 du traitésur l’Union européenne et des articles 93, 106 et 107 du présenttraité, et eu égard à la place qu’occupent les services d’intérêtéconomique général parmi les valeurs communes de l’Union,ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans la promotion de la cohésionsociale et territoriale de l’Union, l’Union et ses États membres,chacun dans les limites de leurs compétences respectives etdans les limites du champ d’application des traités, veillent à ceque ces services fonctionnent sur la base de principes et dansdes conditions, notamment économiques et financières, quileur permettent d’accomplir leurs missions. »

MARGINALISATION DE L’INTÉRÊT GÉNÉRALDANS LES TRAITÉS La traduction juridique de cette démarche conduit à une mar-ginalisation des mentions relatives à l’intérêt général ou au ser-vice public dans les traités de l’Union européenne. De fait, le ser-vice public n’est expressément mentionné qu’à l’article 93 dutraité sur le fonctionnement de l’UE au sujet du remboursementde servitudes dans le domaine des transports. Les quelquesarticles qui font référence à la notion, sous des vocables divers,traduisent son caractère d’exception. Ainsi l’article 106 relatifaux entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt éco-nomique général les assujettit aux règles de la concurrence enne formulant qu’une réserve de portée limitée : « dans les limitesoù l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplisse-ment en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été

impartie. Le développement des échanges ne doit pas êtreaffecté dans une mesure contraire aux intérêts de l’Union. » Ildonne mandat à la commission de veiller au respect des règlesde concurrence, en adressant « les directives ou décisions appro-priées aux États membres. Le champ au sein duquel doiventprévaloir les règles de la concurrence est conçu d’une manièretrès extensive. La Cour de Justice de l’UE a ainsi considéré parl’arrêt Höfner du 23 avril 1991 que devaient entrer dans ce champles services audiovisuels des chaînes de télévision italiennes.

On peut toutefois noter une certaine prise de conscience pro-gressive favorable à la notion de service d’intérêt général. L’arrêtCorbeau du 19 mai 1993 décide qu’un opérateur, distinct del’opérateur d’un service d’intérêt général, peut offrir des ser-vices spécifiques dissociables du service d’intérêt général dedistribution du courrier mais seulement dans la mesure où cesservices ne mettent pas en cause l’équilibre économique duservice d’intérêt général. L’arrêt Commune d’Almélo du 27 avril1994 prévoit qu’une entreprise régionale de distribution d’éner-gie électrique peut passer une clause d’achat exclusif « dans lamesure où cette restriction à la concurrence est nécessaire pourpermettre à cette entreprise d’assurer sa mission d’intérêt géné-ral ». On peut encore citer l’arrêt Altmark du 24 juillet 2003 quia considéré que les compensations accordées en contrepartied’obligations de service public et dont le montant ne dépassepas ce qui est nécessaire à l’exécution de ces obligations ne sontpas interdites.

C’est donc une conception restrictive du service d’intérêt géné-ral qui continue de prévaloir au sein de l’UE comme en a témoi-gné la réforme structurelle des services de télécommunicationsqui a fait éclater ce service en trois catégories : le service uni-versel (téléphone en poste fixe, annuaire), les missions d’inté-rêt général (relatives aux fonctions de sécurité de l’État, police,armée) et les services obligatoires imposant l’existence d’uneoffre des nouveaux services sur l’ensemble du territoire, maissous la contrainte de l’équilibre financier, ce qui ôte toute garan-tie que le principe d’égalité soit effectivement respecté.

Enfin, le Protocole n° 26 sur le service d’intérêt général annexédepuis 2008 au traité sur le fonctionnement de l’Union euro-péenne distingue, au sein des services d’intérêt général, les ser-vices d’intérêt économique général des services non écono-miques d’intérêt général.

PAR ANICET LE PORS, conseiller d’État honoraire.

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LA FORMATIONPROFESSIONNELLE,UN MOYEN DESUBVERSIONLes États membres de l’Union européenne consacrent chaqueannée plusieurs milliards d’euros à la formation profession-nelle continue des adultes. En France et en Italie, la plupartdes employeurs versent des cotisations patronales aux orga-nismes paritaires qui financent les actions de formation pourles salariés, tandis que les collectivités publiques prennent encharge la formation des demandeurs d’emploi et la formationinitiale des jeunes (apprentissage…). Ce partage des tâches aété rudement mis à l’épreuve suite aux crises économiquessuccessives et aux coups portés sur les acquis sociaux.

TRANSFORMATION DE LA MAIN-D’ŒUVRE EN VARIABLE D’AJUSTEMENT DESENTREPRISES PRIVÉES Plus encore que la formation initiale, la formation profession-nelle répond largement à des impératifs économiques secto-riels, territoriaux et souvent à court terme : ce que certainsauteurs ont pu qualifier de « doctrine adéquationniste ». Cetteévolution témoigne plus largement d’une tendance préoccu-pante à la transformation de la main-d’œuvre en variabled’ajustement des entreprises privées : le « coût du travail »peut ainsi être réduit par des dispositifs de flexibilité. Contratscourts, périodes d’essai, temps partiel subi,  contratto di col-laborazione a progetto  (co.co.pro) en Italie, gels des salaires,extension continue de l’âge légal de départ à la retraite… tan-dis que les garanties collectives régressent, les formes de tra-vail atypiques se sont multipliées, et constituent souvent lanorme pour les classes populaires. Face à cela, les pouvoirs

publics ont trop souvent répondu par des politiques centréessur l’offre de travail. D’une part, de très importantes subven-tions, directes ou déguisées (via les exonérations de « chargessociales »), sont accordées aux employeurs pour favoriserl’embauche des catégories les plus fragilisées : c’est sans sur-prise que le « Pacte de responsabilité » proposé par FrançoisHollande séduit tant le Medef. D’autre part, c’est à l’échelleeuropéenne qu’une double dynamique est promue : la pro-motion de l’« employabilité » tous azimuts est une manifes-tation de plus de la culpabilisation des chômeurs ; la mise enconcurrence des travailleurs en Europe encourage une courseeffrénée vers le moins-disant social. Il en va ainsi du « modèleallemand » que les responsables souhaitent imiter et généra-liser, induisant une extension du précariat en l’absence d’unejuste distribution de la richesse issue du travail. Absence dedroits pour les travailleurs détachés, issus des pays de l’Est ;absence de salaire minimum, frappant d’abord les femmes etles actifs dits « peu qualifiés ».Dans ce contexte, la formation professionnelle peut devenirun outil de subversion de la convention capitaliste du travail.Mais pour pouvoir résister collectivement au chantage à l’em-ploi, cet outil doit être accompagné d’une ambition allant au-delà de la « flexicurité » promue partout en Europe. Une recon-naissance commune des titres doit être favorisée, afin depermettre une amélioration statutaire et salariale. Le Fondssocial européen constitue une opportunité de promotion desdroits collectifs, à condition d’être indexé non plus tant sur lefantasme de l’ « économie de la connaissance » et sur les apo-ries de la « compétitivité », que sur des garanties de protec-tion des individus. Seuls des efforts de solidarité et de coopé-ration politique transnationales, telles que portés par la GUE,permettront de sortir de la spirale infernale de la casse socialeinternationale et du repli nationaliste.

PAR JOSUA GRÄBENER, doctorant en science politique àl'université de Grenoble.

PAR MARINE ROUSSILLON*

Le besoin d’une main-d’œuvre deplus en plus formée, pour répon-dre aux défis nouveaux posés par

la place des savoirs dans la productionde valeur ajoutée, entre en contradic-tion avec la volonté de réduire le coûtde cette main-d’œuvre et de ne pas luidonner le pouvoir qui va avec la maî-trise des savoirs.

« L’ÉCONOMIE DE LACONNAISSANCE LA PLUSCOMPÉTITIVE DU MONDE » La politique menée par l’UE en matièred’enseignement et de recherche répondà cette contradiction en mettant la pro-duction et la diffusion des connais-sances au service de la compétitivité

des entreprises et de la guerre écono-mique. Il s’agit de faire de l’Europe« l’économie de la connaissance la pluscompétitive du monde ».Cette politique est organisée par destextes cadres – le processus de Bologne(1999), la stratégie de Lisbonne (2000)et la stratégie « Europe 2020 » (2010).L’évaluation comparative régulière dessystèmes éducatifs permet à l’UE depiloter les systèmes nationaux. Ainsi lesenquêtes PISA, en évaluant la maîtrisede compétences fondamentales chezles élèves de toute l’Europe, ont contri-bué à imposer un enseignement parcompétences déconnectées des savoirs.

Pour la production des savoirs, l’UEpromeut l’ innovation : les résultats dela recherche doivent pouvoir être rapi-dement traduits en inventions techno-

logiques marchandisables. La recher -che est de plus en plus coupée de laformation et des besoins sociaux et ins-crite dans le temps court du finance-ment sur projet et des évaluations àrépétition. La diffusion des savoirs estorganisée sur le modèle de la sélection.L’objectif ambitieux d’amener 50 %d’une génération au niveau licence sedouble d’une sélection de plus en plusprécoce qui permet d’économiser surles frais de formation. Enfin, l’UEpousse à l’individualisation des par-cours et à la fragmentation des savoirs.Avec la définition de compétences fon-damentales et la mise en place du LMD(licence-maîtrise-doctorat) entreautres, les savoirs sont éclatés en petitsobjets utiles sur un poste de travail pré-cis, mais déconnectés de la compré-hension réelle des phénomènes.L’individualisation des formations(avec la prolifération des options et leremplacement progressif des diplômes

METTRE LES SAVOIRS AU SERVICE DE L’ÉMANCIPATIONLes connaissances sont au cœur de la contradic-tion structurante du capitalisme contemporain.

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nationaux par des référentiels indivi-duels de compétences, jusque dans lesconventions collectives – voir parexemple la convention collective destravailleurs de l’informatique ou ledébat récent sur la convention collec-tive des infirmiers) garantit auxemployeurs un niveau de formation

sans garantir aux salariés la reconnais-sance d’une qualification commune.Tout cela va de pair avec la casse ducadre national des services publicsd’enseignement et de recherche auprofit d’une mise en concurrence desélèves, des personnels et des territoires.

L’APPROPRIATION DESCONNAISSANCESNous nous battons pour que lescitoyens prennent en main l’avenir deleur pays et de l’Europe, pour que lestravailleurs conquièrent de nouveauxpouvoirs dans l’entreprise : la questiondes connaissances est au cœur de cecombat. Il est urgent de mettre la pro-duction et la diffusion des savoirs auservice de l’émancipation individuelle

et collective, de la prise de pouvoir parle peuple.Quel rôle peut jouer l’UE dans ce ren-versement de situation ? Nous avan-çons une proposition phare, qui peutservir de matrice à une tout autre poli-tique européenne de la connaissance :l’extension progressive de la scolarité

obligatoire de 3 à 18 ans dans les Étatsmembres. L’objectif est réaliste : enFrance, plus de 90 % d’une générationest déjà scolarisée jusqu’à 18 ans. Et ilfixe pour les politiques européennesune ambition forte : celle de l’élévationcontinue du niveau des connaissancesdans la société. L’UE œuvrerait alorspour favoriser l’accès du plus grandnombre à des études longues et pourmettre les connaissances au cœur dela vie démocratique.En rupture avec les politiques libéralesactuelles, qui fragmentent le salariat etla société, l’objectif d’une scolarité pluslongue, assorti de la garantie qu’unemême formation soit reconnue par unequalification égale partout en Europe,permettrait l’émergence d’une culture

commune, de solidarités nouvelles etde luttes collectives à l’échelle del’Europe. Elle modifierait en profon-deur l’emploi et le salariat de demainen favorisant le développement d’unemploi qualifié de qualité.Ce projet implique le développementdes services publics nationaux de l’édu-cation, de l’enseignement supérieur etde la recherche. L’UE peut travailler àce développement en facilitant les coo-pérations à grande échelle et les mutua-lisations d’équipements coûteux et enmobilisant les moyens financiersnécessaires, notamment grâce à lacréation d’un fonds européen de déve-loppement social.Les savoirs jouent un rôle de plus enplus important dans nos sociétés, nonseulement dans l’économie, mais aussidans le débat démocratique et dans lavie quotidienne. Parallèlement, les iné-galités dans l’appropriation des savoirsse creusent. La question de l’appro-priation de savoirs toujours plus com-plexes par tous devient cruciale pourpenser un projet politique émancipa-teur : la démocratisation de l’appro-priation des savoirs est la condition dela démocratie politique comme de ladémocratie économique, en France,en Europe et dans le monde. n

« Les enquêtes PISA, en évaluant lamaîtrise de compétences fondamentales

chez les élèves de toute l’Europe, ontcontribué à imposer un enseignement parcompétences déconnectées des savoirs. »

*Marine Roussillon est membre duComité exécutif national du PCF. Elle est responsable du secteurÉducation du Conseil national PCF.

PAR XAVIER COMPAIN*

«C haque progrès de l’agri-culture capitaliste est unprogrès non seulement

dans l’art d’exploiter le travailleur, maisencore dans l’art de dépouiller le sol ;chaque progrès dans l’art d’accroîtresa fertilité pour un temps, un progrèsdans la ruine de ses sources durablesde fertilité. » Karl Marx, Le Capital.Ainsi s’ouvre la motion présentée parle groupe agriculture du Parti de lagauche européenne et majoritaire-ment approuvée au Congrès deMadrid, le 15 décembre dernier.

Il revient aux politiques publiques dedéfinir cette liberté de faire. La Gaucheeuropéenne défend une politique agri-cole qui permette aux paysans de vivrede leur travail en leur assurant des prixrémunérateurs leur garantissant unevie sociale stable et enrichissante. Ellesdoivent assurer une répartition terri-toriale des productions qui empêchela concentration agro-industrielle,favorise la relocalisation des produc-tions, les circuits courts, le développe-ment de l’emploi, l’aménagementenvironnemental, et la ré-humanisa-tion des campagnes. Le financement des activités agricoles

de production doit être renouvelé. Laseule véritable garantie que peuventavoir les peuples est d’avoir en faced’eux un nombre suffisamment grandd’exploitants agricoles de types fami-liaux à taille humaine, dont la diver-sité et la répartition leur permettrontd’assurer une réelle souveraineté ali-mentaire. Les paysans, entrepreneurscréatifs et autonomes, doivent être encapacité de mettre en valeur leursavoir-faire, libres de contracter et d’or-ganiser comme ils le souhaitent leursfilières aval et amont de l’autoproduc-tion et la vente directe à l’organisationen coopérative.

POUR UNE POLITIQUE AGRICOLE ET ALIMENTAIRE DU XXIe SIÈCLEUne agriculture paysanne garantissant le droit à la souveraineté alimentaire doitêtre placée au centre des préoccupations de la politique agricole et alimentaireeuropéenne du XXIe siècle.

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La Gauche européenne se place dans uneperspective de solidarité à l’échelle pla-nétaire. Nos revendications concernentles organisations supra européennescomme l’Organisation mondiale ducommerce (OMC) et l’Orga nisation desNations unies pour l’alimentation etl’agriculture (FAO). L’agriculture doits’affranchir des politiques libérales etdes marchés spéculatifs. En ce sens,nous portons l’émergence d’une nou-velle organisation mondiale de l’agri-culture, une nouvelle politique agri-cole et alimentaire en Europe.

POUR UNE AGRICULTURESOCIALEMENT ET ÉCOLOGIQUEMENT DURABLEIl nous faut un nouveau modèle agri-cole ! Les scandales alimentaires desdernières années montrent que lemodèle agrolibéral n’est pas en mesurede répondre aux demandes d’alimen-tation saine des consommateurs. LaGauche européenne s’engage pour lerenforcement des droits des consom-mateurs. Nous voulons promouvoirles comportements de consommationresponsables et solidaires et nous sou-

tenons les projets de lutte contre legaspillage alimentaire et les pertes derécoltes. L’agriculture intensive pré-sente de graves inconvénients pour lanature, l’environnement et la santéhumaine. L’emploi à doses élevées depesticides et d’engrais chimiquesconduit à des pollutions irréversibles.Les politiques agricoles du XXIe siècledoivent préserver la diversité géné-tique de la faune et de la flore, proté-ger le droit à l’utilisation et à la multi-plication des semences paysannes,encourager élevage et agro-écologie.

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L’ENVIRONNEMENT : LA BONNE CONSCIENCEDE L’EUROPE LIBÉRALEDès l’origine, la prise en compte des enjeux environnemen-taux s’est traduite, pour l’Europe libérale, par de généreusesorientations pour la préservation de la planète et des res-sources naturelles. Ce fort engagement politique marqueune volonté de combler le déficit des politiques sociales,pourtant si cruciales au développement humain durable.Mais, cette perspective a subi, et subit encore, de sérieuxinfléchissements. Les enjeux liés à la « transition » écolo-gique, doivent mobiliser d’énormes besoins financiers,inconciliables avec la politique de réduction des déficitspublics.Or, l’efficacité commande de mener, dans un même mouve-ment, une lutte résolue contre les inégalités sociales et envi-ronnementales. L’urgence environnementale appelle d’impor-tantes évolutions avec pour corollaire une autre répartition desrichesses, une autre utilisation de l’argent et un rôle nouveaupour l’euro intégrant des paramètres sociaux et environnemen-taux.

DES ORIENTATIONS ENVIRONNEMENTALESAU TAMIS DU LIBÉRALISMELes traités constituent la colonne vertébrale du contenu desdirectives élaborées par la commission. Pas question de s’enécarter, même si cela aboutit à des échecs flagrants comme,avec le « système communautaire d’échange de quotas d’émis-sions carbone » (SCEQE), un des axes majeurs de lutte contrele changement climatique en Europe.Les problèmes du SCEQE sont connus et dénoncés depuis sacréation par les députés de la GUE. Le vice originel provientdu choix, par les États membres, d’un système basé sur desbesoins estimés d’émissions de Co2, et non sur des objectifsà atteindre en matière de réduction d’émissions. Les entre-prises ne sont pas incitées à investir dans des technologiespropres. Pire, ces « droits à polluer » excédentaires peuventêtre cotés en bourse et vendus à d’autres entreprises pourpolluer davantage encore. Cette réponse libérale de l’UE s’avèreincapable, et même contre-productive, pour relever le défid’une diminution des gaz à effet de serre (GES).La commission, au nom d’une concurrence « libre et non faus-sée », casse et privatise les services publics dans des secteursstratégiques comme ceux des transports ou de l’énergie. Cettelogique laisse miroiter aux usagers une baisse des prix, rare-ment vérifiée, mais encourage toujours le moins-disant socialet environnemental pour maximiser les profits. Nous avons

bien raison de combattre ces déréglementations, ces libéra-lisations qui desservent l’intérêt général.Les directives, juridiquement contraignantes, peuvent aussidevenir un outil de casse du service public, en imposant uneinflation normative sur les investissements. Les directives surla préservation de la ressource aquatique en sont un exem-ple. Sans l’organisation d’une solidarité financière nationaleet européenne, les collectivités locales en charge de « l’eau »ne pourront mettre leurs installations aux normes, à moins dedéléguer cette compétence aux groupes privés.

REFONDER L’EUROPE AU SERVICE DUDÉVELOPPEMENT HUMAIN DURABLELa refondation de la politique européenne environnementaledoit impérativement s’inscrire dans la perspective d’un dépas-sement du capitalisme et d’une lutte résolue contre le modèleactuel de mondialisation. Il est urgent d’ouvrir la voie à un nou-veau mode de développement, de production et de consom-mation qui réponde à l’intérêt général, aux besoins sociaux età l’urgence écologique. Or, encore aujourd’hui les traités euro-péens interdisent, par exemple, toute démarche de relocali-sation permettant de rapprocher les lieux de production desconsommateurs.Une approche plus globale devrait permettre d’éviter le « sau-cissonnage » actuel. Comme en matière d’agrocarburants, dedéchets ou de biodiversité, la révision de la politique relativeaux substances chimiques, « la directive REACH », n’a pas rem-pli ses promesses. Elle rate le coche d’une protection globaledes salariés et des consommateurs, en écartant l’évaluationdes substances produites en petites quantités et s’accom-pagne, pour le plus grand plaisir des industriels, de nombreusesexemptions, comme c’est scandaleusement le cas pour lespesticides.La santé humaine et la préservation des écosystèmes n’ontpas de prix. C’est pourquoi nous préconisons, comme prin-cipe premier d’intervention, l’élaboration de fortes politiquesde prévention en matière environnementale. Et le cas échéantil convient de mettre en vie des politiques réparatrices.Nous voulons repenser la démocratie européenne afin que lagestion commune des intérêts, projets et biens communsrésulte de choix souverains, faits en pleine connaissance decause après information et consultation des citoyens et dessalariés.

PAR HERVÉ BRAMY, responsable du secteur Écologie duConseil national du PCF.

Cet article est une synthèse des critiques et propositionscommunistes sur l’environnement en Europe. L’intégralité

de cet article est disponible dans la contribution du PCF,Refonder l’Europe.

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Il faut une réforme du système éduca-tif agricole et une considération plusforte des sujets agricoles et alimen-taires dans les écoles. Il est égalementnécessaire d’accroître fortement lesmoyens de la recherche agronomiqueconsacrés à l’agriculture biologique etau développement.

UNE REFONDATION DE LA POLITIQUE AGRICOLE COMMUNELes moyens de la PAC peuvent être uti-lisés pour le soutien à une agriculturepaysanne et à la conversion sociale etécologique de l’agriculture. Le plafon-nement des aides directes doit tenircompte du travail fourni par les exploi-tations. Les réformes foncières peu-vent être une étape importante versplus de souveraineté alimentaire. Ellespeuvent aider à mettre en œuvre ledroit à l’alimentation. L’UE doit défi-nir des prix planchers pour les produc-teurs et des prix plafonds pour lesconsommateurs. Les dispositions dudroit du travail et les salaires minimums

doivent aussi s’imposer à l’agriculture.Les conditions de travail des saison-niers et des personnels sont souventinsupportables. Nous plaidons pourdes normes sociales contraignantesdans toute l’Europe. Une nouvellecroissance économique devra être défi-nie de manière à satisfaire en prioritéles besoins humains fondamentaux,et en particulier celui d’avoir une ali-mentation suffisante et de qualité. Denouveaux concepts de gestion dura-ble sont nécessaires, et il n’existe pasde réponse simple à toutes les ques-tions. Le Parti de la gauche européennepuise dans l’histoire et l’identité ruraledes partis qui l’ont fondé, pour avan-

cer aujourd’hui vers les chemins dupossible. L’enjeu agricole en est un.Nous encourageons, dans l’action,l’ensemble des forces de gauche enEurope à afficher leur ambition agri-cole et alimentaire. C’est pourquoinous souhaitons engager le dialogueavec tous les acteurs de ce secteur, lesproducteurs agricoles et les consom-mateurs, les syndicats, les ONG, lesassociations et les autres forcessociales. Cette plateforme est une invi-tation à ce dialogue. n

« Les politiques agricoles du XXIe siècledoivent préserver la diversité génétique

de la faune et de la flore, protéger le droit à l’utilisation et à la multiplication des

semences paysannes, encourager élevage et agro-écologie. »

*Xavier Compain est responsable dusecteur Agriculture, pêche, forêt duConseil national du PCF.

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AVRIL 2014

PAR JACKY HÉNIN*

L’ Union européenne mène unepolitique industrielle, ou plu-tôt un ersatz de politique indus-

trielle. Le premier mémorandum surla politique industrielle de l’Unioneuropéenne remonte à 1970. En 1990la commission européenne déclarait :« Seule une industrie compétitivepourra permettre à la Communauté demaintenir sa position dans l’économiemondiale ». Combien d’autres com-munications, de résolutions, de livresblancs ont suivi? 1990, 1994, 2002, 2005,2010, 2012… Mais ce qui guide toutesles actions de l’Union dans le domainereste identique depuis les années 1980:la recherche de la « compétitivité indus-trielle ».

CONCURRENCE ET DÉCLIN DEL’APPAREIL PRODUCTIFCet objectif clé de la constructioneuropéenne fait de la concurrence lemode d’organisation de la produc-tion à l’échelle continentale. Dans ladoctrine européenne il s’agit de« favoriser l’allocation optimale desrichesses », dans les termes d’un com-missaire répondant à mes questionslors d’une réunion de la commissionparlementaire de l’Industrie, de laRecherche et de l’Énergie au parle-ment européen, il s’agit de laisserdécider le marché de qui doit vivre oumourir. Cette volonté d’axer toujoursla politique industrielle sur une réduc-tion des coûts, en privilégiant en per-manence le capital sur le travail seretrouve dans toutes les législationseuropéennes et fait l’objet d’un largeconsensus parmi les députés siégeantà Strasbourg.

Pourtant notre appareil productif n’afait que décliner, détruit par des para-sites uniquement intéressés par larentabilité maximum. Aux fermeturesd’usines se sont succédé les plans delicenciements. Au plan international,nos pays réunis dans le collectif del’Union perdent du terrain face auxautres compétiteurs, notamment laChine, et les délocalisations conti-nuent. Des dizaines de milliers d’em-

plois sont en jeu, des savoir-faireuniques sont en passe de nous êtredérobés, des territoires entiers vontse retrouver dans des situationssociales dramatiques…

PLAN DE RELANCE INDUSTRIELL’industrie européenne a besoin d’au-tres réponses. Des réponses qui pren-nent d’abord en considération lesbesoins des salariés et des popula-tions avant de répondre aux impéra-tifs de rentabilité financière des

groupes internationaux. Certains sec-teurs devront être examinés en prio-rité. Il s’agit notamment de la sidé-rurgie européenne, victime d’unevampirisation financière sans précé-dent, d’une concurrence déloyale etqui fait l’objet d’une casse organisée.Et ce alors que l’acier est un matériauimportant pour l’ensemble du tissuproductif européen, que ce soit laconstruction navale, le secteur du BTPou encore l’automobile, il n’est paspossible de faire sans. Il s’agit égale-ment de l’énergie, et des technologiespropres au niveau environnemental.Dans les entreprises, les forces vivesexistent qui réclament une alterna-tive, qui aspire à d’autres cheminspour un redressement industriel enEurope. Les syndicalistes portent desrevendications très concrètes. Face àla fermeture des aciéries Mittal dessyndicalistes luxembourgeois, fran-çais et belges avaient, de concert,porté l’idée d’une entreprise euro-péenne gérée par des représentantsdes salariés des trois pays. Sur chaque dossier les députés com-munistes et progressistes de la GUEproposent avec les syndicats desmesures permettant de favoriser lesproductions européennes, de confor-

ter et d’étendre les droits des salariés,d’interdire toute modification dansle lieu de production, dans les horairesde travail et dans les montants desalaires sans approbation des repré-sentants des salariés.La doctrine industrielle actuelle estinjuste et inefficace. Elle n’est pas àmême de répondre aux défis duXXIe siècle, aux intérêts de nos popu-lations, de nos territoires et de larecherche scientifique. Pour retrou-ver le chemin du progrès et de la réin-dustrialisation il faut sortir du tout

marché et du cantonnement de lasubvention publique à certains sec-teurs de pointe. Rappelons que lesgrandes réussites industrielles commeAirbus et Ariane n’ont pu se dévelop-per que par le soutien et la volontédes États membres.Il est nécessaire de proposer un plande relance industriel dans nos paysen coordination avec tous les Étatsmembres, en Europe. Salariés, syndi-calistes, élus, tous doivent être asso-ciés à la définition des enjeux et desbesoins d’aujourd’hui et de demainet tous doivent être associés auxobjectifs à atteindre. Le politique doitreprendre la main sur le financier,c’est bien là la seule manière de déve-lopper l’industrie dont nous avonsbesoin. N’ayons pas peur de dire qu’ilexiste des dumpings auxquels il fautmettre fin. N’ayons plus peur desmots nationalisation et planification.Partir des besoins des populations etdes territoires et définir démocrati-quement et collectivement les objec-tifs pour mieux les satisfaire, voilà uneperspective d’avenir pour la sidérur-gie européenne. n

SORTIR LA POLITIQUE INDUSTRIELLEDU DOGME CONCURRENTIELPour retrouver le chemin du progrès, l'industrie européenne a besoin de définirun plan de relance industriel qui prenne d'abord en considération les besoinsdes salariés et des populations avant de répondre aux impératifs de rentabilitéfinancière des groupes internationaux.

*Jacky Hénin est député européen(PCF).

« Les députés communistes etprogressistes de la GUE proposent avec les

syndicats des mesures permettant de favoriser les productions européennes,

de conforter et d’étendre les droits des salariés »

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ENTRETIEN AVEC VIOLAINE CARRÈRE*

Comment se manifeste laliberté de circulation des per-sonnes au sein de l’Union

Européenne ?

Le concept de libre circulation despersonnes est aux origines même del’Union Européenne. C’est l’idée delibre circulation au sein d’un espace,l’espace Schengen. Toutefois, on peutremarquer que plus le temps passe,plus on en est venu à veiller aux fron-tières externes de l’espace Schengen.Dès lors des États « protégés géogra-phiquement » reportent la responsa-bilité du contrôle des frontièresexternes aux autres États en bordurede cet espace. Les instances euro-péennes mettent aujourd’hui au pre-mier plan la question du contrôle desfrontières externes de l’espaceSchengen. C’est là tout l’objectif del’agence Frontex, du programmeEurosur, du dispositif Mare nos-trum…

Peut-on donc dire que les limites dela politique migratoire européenne semanifestent par un manque de coo-pération entre les États ?Au contraire, la coopération est maxi-mum, et à ce sujet les États s’enten-dent très bien. Concernant lesmesures de lutte contre « l’immigra-tion illégale » on peut même parlernon seulement d’harmonisation auniveau européen mais même large-ment de « communautarisation ».Bien évidemment, il existe quelquesdirectives garantissant des droits fon-damentaux par exemple pour les rési-

dents de longue durée, ou pour l’ac-cueil des demandeurs d’asile, maisl’essentiel de la production norma-tive européenne harmonisée seconcentre autour de la lutte contrel’entrée illégale sur les territoires, letravail illégal…

Et pour le droit d’asile ?Concernant l’asile on est là, encore,au-delà de la coopération. Depuis lerèglement Dublin II, les pays del’Union Européenne s’entendent pourdécider quel pays a la charge – pourreprendre le vocabulaire des institu-tions – de l’examen d’une demanded’asile. Cet État instruit la demandeet se prononce dessus. Sa décisionengage ensuite l’ensemble des autrespays. On voit donc bien une grandevolonté d’harmoniser, de lier les com-pétences. Toutefois, chaque État veilleaussi sur ses propres intérêts.Regardons par exemple le nombre decas où un État membre a menacé desortir de l’espace Schengen, voiremême en est sorti effectivement. Parexemple, lorsqu’en 2011 le peupletunisien a fait sa révolution, la Francea décidé de s’absoudre des règles deSchengen à sa frontière avec l’Italie,craignant un afflux d’immigrés tuni-siens. À ce niveau-là, chaque État jouela même partition. L’Europe est pré-sentée par les responsables politiquescomme une instance autonome alorsque chaque État joue un rôle au seindes instances de l’UE et y a son motà dire, et n’hésite pas, quand ça l’ar-range, à s’exonérer des règles euro-péennes. Les gouvernants préfèrentstigmatiser l’immigration en liantcette question à celle de la sécurité.En définitive cette politique empêcheles individus ayant besoin de protec-tion de venir et contredit forcémentdes conventions internationales rati-fiées par les États membres telles quela convention de Genève ou laconvention sur les droits de l’enfant.Pour notre part à Migreurop nousnous prononçons [NDLR : voir l’ap-pel] pour une libre circulation sansentraves des personnes.

Peut-on compter dans les entraves lapolitique des visas ?La politique des visas est le préalableau contrôle des frontières. En effet,aujourd’hui, le nombre de pays sou-mis à visa s’est multiplié et un visa nesuffit plus à entrer sur un territoire.

Les instances européennes dans ledroit dérivé, de même que les ambas-sades des États membres utilisent àfoison la notion de « risque migra-toire ». En conséquence, les États sonttoujours plus exigeants en matière degaranties que les personnes autori-sées à venir ne resteront pas. Aux fron-tières, les personnes sont placées dansdes zones d’attente pour des duréesde plus en plus longues avant l’ad-mission sur le territoire, ou leur refou-lement. Ce contrôle a priori est for-tement problématique et entrave enparticulier l’exercice effectif du droit

d’asile, qui n’existe pas si les per-sonnes concernées ne peuvent accé-der au territoire du pays auquel ellesveulent demander la protection dontelles ont besoin Par exemple, il sem-blerait aujourd’hui que la France nepermet plus à un Syrien ou uneSyrienne d’entrer sur le territoireautrement que pour y demanderl’asile. Il y aurait d’abord une pré-instruction dans le pays de départet la personne serait conduite à s’ex-pliquer, au moment de sa demandede visa, sur les motifs qui la pous-sent à demander l’asile. Tout est ainsiexternalisé !

Sommes-nous donc dans le cadre del’humanitaire ou du politique ?Ce serait un grave tort de considérerces questions comme relevant del’humanitaire. Il y a tout d’abord desdroits internationaux, des obligations,des conventions précises. Et nombred’entre elles ne sont pas respectées !L’asile est un droit, ce n’est pas de l’hu-manitaire. Le respect des droits relèved’une volonté politique. Et pour quesoient vraiment respectés les droitsdes personnes nous disons qu’il y aune solution et qu’elle est simple :c’est la liberté de circulation. C’estune question d’égalité des droits.

QUELLE POLITIQUE DES MIGRATIONS ?Pour que soient vraiment respectés les droits des personnes il y a une solutionsimple : c'est la liberté de circulation. C'est une question d'égalité des droits.

« L'essentiel de laproductionnormative

européenneharmonisée se

concentre autourde la lutte contre

l'entrée illégale surles territoires, letravail illégal… »

« Les gouvernantspréfèrent

stigmatiserl'immigration en

liant cette questionà celle de lasécurité. »

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Et que dites-vous face au discoursdominant préférant des frontièresplus fermées mais une coopérationavec les pays tiers ?

C’est le sens de la politique de voisi-nage de l’Union et des accords deréadmission. Ces conventions ouaccords sont signés avec des contre-parties en matière de « développe-ment durable » ou « codéveloppe-ment ». Mais il faut être conscient queles aides au développement n’ontcessé de diminuer. En outre, ces aidessont souvent surtout des prétextes àl’installation ou aux projets degrandes sociétés dans les pays duSud… Il faut briser un mythe et biendire que les personnes qui viennenten Europe sont pour la pluparturbaines, diplômées et qualifiées, et

qu’elles contribuent, de même d’ail-leurs que l’ensemble des migranteset migrants, au développement deleurs pays. Et puis, s’agissant des effetsattendus du codéveloppement, onsait que les personnes ne vont pasrenoncer à prendre la route de l’exiljuste parce que le développementpromet de s’accroître d’ici X annéesdans leur pays !

Peut-on d’ailleurs être bien sûr desmotifs de départ des individus ?Les gens veulent pouvoir se dépla-cer normalement. Comme partoutailleurs. Donc avoir les mêmes droitsd’aller et de venir, comme des mil-liers de touristes par exemple. Il fautbien se rendre compte de l’humilia-tion terrible qu’est le refus d’un visa !Pourquoi les ressortissants des pays

du Sud ne pourraient-ils pas profi-ter comme les autres des joies dutourisme ? Pourquoi ne pourraient-ils pas échanger avec les populationsdu Nord, venir pour découvrir, expé-rimenter ? Qui dit qu’ils décideraienttous et toutes forcément de s’instal-ler durablement en Europe ? Sansdoute que le fait pour les popula-tions du Sud de se savoir libres, derevenir sans problème permettraitdes allers-retours enrichissants pourtout le monde. n

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*Violaine Carrère est chargéed'études au Groupe d'information etde soutien des immigrés (GISTI) etmembre de MIGREUROP.

Entretien réalisé par Renaud Boissac

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PAR LYDIA SAMARBAKHSH*

«L a violence de la premièremoitié du XXe siècle acédé la place à une

période de paix et de stabilité sansprécédent dans l’histoire européenne.La création de l’Union européenne aconstitué le facteur essentiel de cetteévolution », proclamait la Stratégieeuropéenne de sécurité (SES) adop-tée au Conseil de l’Europe en décem-bre 2003, et qui a marqué un tournanten matière de politique extérieure etde défense pour chacun des mem-bres de l’Union, à commencer par laFrance. Ce texte signé des deux mainspar tous les représentants des Étatsmembres trouve son origine dans letraité de Maastricht qui instituecomme l’un des trois fondements del’intégration régionale européenne,immédiatement après l’organisationde l’union économique et monétaire,celui « d’affirmer son identité sur lascène internationale, notamment parla mise en œuvre d’une politiqueétrangère et de sécurité commune[PESC]».

ALLIANCE IDÉOLOGIQUE ET POLITIQUE AVEC LES ÉTATS-UNISEntre 1992 et 2003, deux événementsauront permis de préciser et de poserles jalons de cette politique qui pré-tend lutter contre le terrorisme, sécu-riser les frontières de l’UE et prévenirou contenir les conflits régionaux.Cette politique émane d’une allianceidéologique et politique avec les États-Unis, et se concrétise par un partena-riat stratégique conclu avec l’OTANen décembre 2002. Il y eut d’abord laguerre, en Europe même, en ex-Yougoslavie qui a entraîné l’interven-tion au Kosovo, puis les attentats du11 septembre avec la politique amé-ricaine qui en a découlé et la multi-plication des interventions dites exté-

rieures. « Les États-Unis ont joué unrôle capital dans l’intégration et lasécurité européennes, notammentpar le biais de l’OTAN. La fin de laguerre froide a laissé les États-Unisdans une position dominante en tantqu’acteur militaire. Aucun pays n’esttoutefois en mesure de faire face, seul,aux problèmes complexes de notretemps » (SES-2003) – c’est cela le« multilatéralisme » selon les États-Unis et leurs alliés. Cela et des accordsdits de partenariat avec des « acteursclés » hors de l’UE adoubés par l’OMCet les institutions financières inter-nationales.

La « paix » serait par conséquent l’ab-sence de conflit militaire, un peucomme une empreinte laissée sur lesol après le passage d’un char… Bienqu’on affirme dans tous ces textes quele développement est la condition dela paix, les injustices sociales, les pré-dations avec les humiliations qu’ellesengendrent, l’immense pauvreté depopulations entières est vue commedes conditions données dont il fautsavoir se préserver des conséquences.Les dirigeants de l’UE en sontconvaincus : « L’Europe n’a jamais étéaussi prospère, aussi sûre, ni aussilibre », il s’agit donc de préserver àtout prix cette prospérité au lieu d’enfaire un moteur du développement

en Europe et de la solidarité interna-tionale.Ainsi, parmi les causes d’un monde« risqué et incertain » dans lequelnous serions plongés sans pouvoir lechanger, l’UE pointe spécifiquementla prolifération des armes de destruc-tion massive (l’intervention duColonel Powell au Conseil de sécuritéde l’ONU pour intervenir en Irak n’estpas si loin), le délitement des États(en prenant pour exemples l’Afriquede l’Ouest ou la République centra-fricaine…) et le crime organisé.Le nucléaire est un problème maisposé par les « autres » : des Étatscomme la Corée du Nord ou desrégions comme l’Asie du Sud-est sontpointés du doigt et, au contraire,silence absolu sur le fait que l’Europeest à présent le seul continent aumonde à ne s’être engagé dans aucuntraité de dénucléarisation. C’est qu’iln’est pas question de revenir surl’arme nucléaire des grandes puis-sances « occidentales » pour lesquelles« la dissuasion, articulée autour d’unecombinaison appropriée de capaci-tés nucléaires et conventionnelles,demeure un élément central de ladéfense collective de l’OTAN ». La« paix » serait dès lors garantie par unebonne maîtrise de la dissuasion dansun contexte où de nouveaux États ten-tent d’acquérir la bombe – concep-tion états-unienne par excellence,conception de dominant.

L’OTAN, UNE LOGIQUE INSOU-TENABLE POUR LES PEUPLESDes évolutions stratégiques de l’OTANrésultent celle de l’UE dont la feuillede route est toute tracée :« Développer une culture stratégiquepropre à favoriser des interventionsen amont, rapides et, si nécessaire,robustes. Une UE qui assume des res-ponsabilités accrues et qui est plusactive aura plus de poids politique ».En réalité, et des situations enAfghanistan, Irak ou Libye le mon-trent, l’OTAN n’est pas garant de la

L'UNION EUROPÉENNE ET LA PAIXL'une des légendes contemporaines les plus tenaces affirme que l'Unioneuropéenne (UE), en établissant et régissant un vaste marché commun deconcurrence libre et non faussée, a permis à la paix de régner sur le continentdepuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cette légende, c'est l'UE elle-même qui se l'est forgée alors qu'elle s'est littéralement placée sous la coupede l'OTAN, alliance politique et militaire conçue par et pour les États-Unis pourla survie et l'expansion du capitalisme. Pour contribuer à un monde de paix,l'UE devra s'affranchir de cette alliance et de la domination américaine.

« Des situations en Afghanistan,

Irak ou Libye le montrent, l'OTANn'est pas garant dela paix mais facteur

d'insécurité dans le monde, et en Europe. »

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paix mais facteur d’insécurité dans lemonde, et en Europe. Le programmede boucliers antimissile, par exem-ple, est facteur de relance de la courseaux armements en particuliernucléaire et non de sécurité, favori-sant d’ailleurs systématiquement lesindustries américaines de l’armementet du renseignement. La guerre enSyrie, les opérations françaises au Maliet en Centrafrique, et la déstabilisa-tion de l’Ukraine donnent l’occasionde prôner la mise en place définitived’une défense commune européenneet l’avènement d’une politique exté-rieure commune, comme si ellesn’existaient pas du tout. Ce serait une

fuite en avant vers le parachèvementde l’otanisation de l’UE quand il s’agitau contraire d’en sortir totalement.L’OTAN est un anachronisme. Salogique manichéenne et bipolairen’est pas seulement obsolète, elle estdangereuse, elle se fabrique des oppo-sants pour justifier la poursuite deson existence, et entretient un« chaos » qui, organisé ou non, n’endemeure pas moins insoutenablepour les peuples.Pour construire une Europe de paixet de solidarité, le premier pas à fran-chir serait d’œuvrer à la dissolutionde cette alliance politique et militaireconçue par et pour les États-Unis pour

la survie du système capitaliste. Il fauttout à la fois parvenir à « démilitari-ser » la politique extérieure de nospays et de l’UE, et les affranchir de ladomination idéologique de la sacro-sainte loi du marché.Comment y parvenir quand cettelogique est si avancée et que le mondevit au quotidien avec sa mise enœuvre ? Il faudrait une volonté poli-tique forte pour que « l’ Europe »reprenne son indépendance, pourqu’un pays comme la France sorte del’OTAN et que cette dernière soit dis-soute. Cette volonté politique ne tom-bera pas du ciel mais d’une implica-tion citoyenne démocratique à

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RECONSTRUIRELES RAPPORTS UNION EUROPÉENNE-MÉDITERRANÉEAvec le processus de Barcelone en 1995, l’Union européenne(UE) a mis en place un partenariat en direction des paysde la rive Sud de la Méditerranée. Ce processus se prolongeaujourd’hui sous l’appellation « Union pour la Méditerranée »(UPM) regroupant quarante-cinq pays dont les vingt-huitde l’UE et dix-sept pays du Sud dont Israël et l’Autoritépalestinienne.

L’UPM, UN HABILLAGEMalgré des objectifs plutôt consensuels, l’UPM a beaucoup demal à exister en dépit des efforts de la France, de Sarkozy àHollande. Car l’essentiel est ailleurs. D’abord l’environnementrégional qui traverse une succession de crises majeures : lapolitique coloniale d’Israël bloquant le processus de paix etl’État palestinien, les révolutions arabes qui ont bouleversé ladonne, et enfin une conception dépassée des rapports Nord-Sud, heurtant de plein fouet les aspirations des peuples auprogrès social, à la démocratie et à la dignité. À cela, il fautajouter une situation en Europe marquée par une dégrada-tion générale de la situation, du fait de la politique libérale etaustéritaire.

Aujourd’hui, l’UPM joue le rôle d’habillage de ce qu’est la réa-lité de la politique de l’UE à l’égard de ses voisins du Sud. Tousles accords qui lient les deux parties sont guidés par l’objec-tif d’intégrer les pays du Sud dans une logique néolibérale,conditionnant les aides financières à des mesures d’ajuste-ments structurels draconiens, labellisés par le FMI. Les « révo-lutions arabes » en sont d’ailleurs les conséquences directestant la situation était devenue insupportable pour ces peu-ples : chômage, misère, reculs des services publics, privatisa-tions… Pire, l’UE s’est satisfaite, durant des années, des régimesdictatoriaux en place, foulant ses propres valeurs démocra-tiques, pourtant incluses dans ces accords, mais jamais res-pectées. Suite à ces révolutions, l’UE s’est interrogée sur son« aveuglement » devant ces régimes, alliés dociles et fidèles,dans la marche forcée à faire rentrer leur pays dans la mon-dialisation néolibérale… Pourtant, la suite montre que rien n’achangé dans l’attitude de l’UE. Au contraire !

L’ALECA, UNE MISE SOUS TUTELLE DES PAYS DU SUDLes nouveaux accords qu’elle soumet pour plusieurs pays encontrepartie des aides financières sont pires que les précé-dents, tant au plan social, économique et financier. Ils portentbien leur nom : accord de libre-échange complet et appro-fondi (ALECA). De nouveaux domaines jusqu’alors restés endehors des accords d’association y sont maintenant intégrés,comme la protection des investissements et les marchéspublics. Les discours vertueux de François Hollande en Tunisieou au Maroc ne feront pas oublier la réalité de ces accords,véritable mise sous tutelle de ces pays.Il en est d’ailleurs de même pour la question de l'immigration.La Méditerranée doit cesser de se transformer en cimetière.Le principe universel de libre circulation des individus estbafoué chaque jour. L’UE multiplie les dispositions pour ren-forcer ses barrières, en s’assurant « l’aide » des pays du Sudface à la venue d’hommes et de femmes fuyant la guerre. Quantaux questions de sécurité, la France, revenue au sein du com-mandement de l’OTAN, se donne le rôle de gendarme de larégion, de l’Afrique sub-saharienne jusqu’au Golfe persique.Le bras armé, en quelque sorte, des intérêts de l’UE en crise,face à la colère des peuples qui dépasse le seul combat néces-saire contre le terrorisme. Comme on le voit, le bilan de l’UEest désastreux, que ce soit en matière de développement duSud, de défense des droits humains.

ROMPRE AVEC LES POLITIQUES LIBÉRALESIl faut sortir de cette spirale destructrice, refonder l’UE et unenouvelle définition de ses relations extérieures. Cela signifiese décider à rompre avec ces politiques néocoloniales, moder-nisées sous le vocable libérales, qui appauvrissent les peuplesdu Sud et du Nord, et sont des facteurs permanents de crise,de tensions, de montée de la violence. Nous posons la néces-sité d’un grand programme de coopération politique et éco-nomique euro-méditerranéen pour développer notammentles infrastructures et la formation, avec les financements cor-respondants et une politique du crédit favorable. Ce ne peutêtre que l’affaire des forces progressistes des deux côtés de laMéditerranée. Un projet commun à construire ensemble autourd’une vision nouvelle.

PAR PATRICK MARGATÉ, responsable Maghreb, Proche et Moyen-Orient du secteur International

du Conseil national du PCF.

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*Lydia Samarbakhsh est membre du Comité exécutif national du PCF. Elle est responsable du secteurInternational au Conseil national du PCF.

l’échelle de celle du peuple françaispour les référendums sur le traité deMaastricht ou du TCE en 2005 : lespeuples doivent pouvoir se réappro-prier ces domaines dont ils ont étéexclus.

L’URGENCE DU RETOUR AUPOLITIQUE ET L’IMPÉRATIFDÉMOCRATIQUENotre combat est de travailler à fairevaloir l’union, le partage et la solida-rité comme chemins et objectifs detoute politique commune. La SESpostule une défaite a priori du poli-tique pour tout miser sur la force mili-taire, et même de police. Nous pos-tulons au contraire l’urgence duretour au politique et l’impératifdémocratique avec pour premièretâche de combattre les causes deconflits, c’est-à-dire les inégalités

sociales, la mise en concurrence, lesspoliations et spéculations, c’est-à-dire l’accaparement des ressources.Cela implique un engagement mon-dial, multilatéral, pour la protectiondes ressources naturelles et desmatières premières, à commencer parl’eau, à déclarer bien commun uni-versel. Le monde y est prêt, pourpreuve les Objectifs du millénairepour le développement, oubliés denotre gouvernement. Les accords ditsd’association de l’UE avec les pays dupourtour méditerranéen et d’Europecentrale et orientale, pénalisant paravance tout effort de développementendogène, doivent être fondamenta-lement révisés.Il ne suffira pas de « prendre le pou-voir » et de décréter de « bonnes » lois.La transformation à opérer est telledans un registre où l’autoritarisme et

l’élitisme sont règles de fonctionne-ment que cela nécessitera des effortsconsidérables d’invention et de pra-tiques démocratiques dans chacunde nos pays et dans l’UE entière. Lesforces politiques, associatives, syndi-cales, citoyennes existent pour y par-venir, prenons l’initiative. n

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Maxime Bernard, dit Maxdepuis qu’il est enfant, estparvenu au bout du chemin.

Du moins c’est ainsi qu’il se formule,sans beaucoup d’élégance, la situa-tion dans laquelle il se trouve. Fils depetits-bourgeois sans exigence,bachelier de justesse, diplômé sansprestige d’une université, employédurant quinze ans par une entreprisearrogante, chômeur désormais, ils’ennuie, comme tout le monde.

Charmeur, parfois bavard, l’amours’est pourtant dissous dans la fatigueet le refoulement de sa fureur sexuelle.Physiquement, il a quelques soucis.Le corps s’amollit. Il voudrait brunirau soleil mais sa peau est trop rosepour qu’il vive à l’air libre. Il réside àParis, c’est-à-dire dans la brutalité etla séduction. Boire et ramener desfilles chez lui est un passe-temps heb-domadaire dont il ne parvient pas àse défaire, faute d’autres paradis àconquérir. Mais ses quelques histoiresd’amour se sont achevées dans d’af-freuses douleurs ou une froide indif-férence, rien d’intermédiaire. Il n’ajamais assez d’argent pour n’être pasendetté. Max est un homme ordinaire,en somme. La campagne, il ne laconnaît que par les longs dimanchesd’ennui qu’il s’inflige volontairementau printemps et en automne. Plutôtque se laisser ronger par l’anxiété, ilemprunte au hasard les trains degrande banlieue pour aller respirer,seul, le bon air des bars-tabacs del’Oise ou de Seine-et-Marne, dans desrues piétonnes, méditant sur lespublicités des éditions locales desjournaux. Au hasard des petites villes,il observe les bosquets d’arbres, leschamps au parfum d’engrais, lesenvols de corbeaux et les amas nua-geux de l’Île-de-France. Alors seule-ment son esprit plonge dans la tris-tesse, un chagrin libérateur, ledélivrant de l’angoisse quotidienne.Il retourne à Paris apaisé, chérissantcette mélancolie. Son départ brusquepour Athènes, c’est la quête d’un éter-nel dimanche.Max est sûr que personne ne chercheà savoir où il se trouve aujourd’hui.Depuis son arrivée en Grèce, son télé-phone n’avait pas sonné une fois, ses

e-mails étaient sans intérêt. Rien nipersonne ne l’attend, sinon son chô-mage et ses dettes. Ce n’est certes pasla première fois. Mais il lui est désor-mais impossible de s’en accommo-der comme d’habitude. Asséché,purgé, vidé en même temps que levieux Dimitris s’est tué sous ses yeux,Max cherche depuis deux jours desraisons de continuer à exister.Pourtant, il ne se résout pas à renon-cer tout à fait. Cette ultime résistancese nourrit du plaisir qu’il trouve dansle silence, l’anonymat, la dissémina-tion, il le sait. La solitude est son gre-nier aux trésors, son refuge pour lalongue nuit des questions. Depuis sonenfance, il y déniche toutes sortes devertiges, de collines spirituelles, decités idéales, de rivages indiens, defemmes incandescentes, de fumeries.Athènes s’est engouffrée dans cettebrèche et la peuple tout entière.Il pioche dans son assiette de saladeet pense à tout cela. La métaphysiqueest saupoudrée d’origan. La fraîcheurdouceâtre des tomates, les médaillonsde concombre, les olives capiteuses,la rauque blancheur du fromage, lefumet aigrelet des oignons rouges, lesbouchées éclatent entre ses dents,une à une. Il collecte des morceauxvariés du bout de sa fourchette, glissele tout dans l’huile et le jus, arracheun émiettement de feta. Odeur de cor-dage mouillé, plongeon dans l’eaufraîche, jupe des filles. Assis à unetable, sous les arcades du boulevard,Max mange seul. Quelques hommesobèses sont cantonnés dans un coin.La salade ravive ses entrailles, refaittourner le sang dans ses veines, dis-sout ses névralgies. En avalant, ilpense à lui-même, à cette table cras-seuse sur le boulevard Panagi-Tsaldari, à sa vie arrêtée. Il sait trèsbien que son choix est pathétique,voire absolument crétin. Mais il esttrop tard pour renoncer. L’épreuvedurera encore sept jours, ou moins siun bon génie décide de se poser surson épaule. Mais Max n’y croit pas. Àl’heure qu’il est, seules quelques pen-sées tournent en boucle. La chambrepayée jusqu’à dimanche. Les quatreou cinq paquets de cigarettes qui luirestent. Soixante-dix ou quatre-vingtseuros en poche. La révolution.

Mais c’est vrai, la révolution, c’estaujourd’hui, pense-t-il soudain. Maxlève les yeux. Le kiosque d’en face estfermé. Il y a peu d’Athéniens dans lesrues. Il y a surtout des motos et destaxis. Le ciel orange s’affadit. La der-nière fois qu’il a croisé une horloge,en quittant Panayotis, il était dix-huitheures. Il a décidé de manger avantl’annonce des résultats du scrutin. Ilparie que la gauche révolutionnaireva gagner et que de grands incendiessalutaires seront allumés ici. Il attendcela avec impatience, sans douteparce qu’il associe tout ce que ladroite revendique à tout ce qui luidonne envie de disparaître. Raisonnement aberrant, mais lestemps ne sont pas aux nuances, levieux Dimitris s’est fait sauter la cer-velle. En se disant cela, il se lève etjette une poignée de billets froisséssur la table. Il pense avec ironie que,dans son adolescence, il avait détestéles dictatures de droite comme il avaithaï le totalitarisme policier desSoviétiques. Autant que possible, sanstrop remuer dans les brancards, il aessayé de construire sa vie d’hommedans un univers bien policé et pavéde bonnes intentions. Et le voici main-tenant jurant que notre monde courtà sa perte, en appelant à la révolutionà quarante ans passés. Naguère social-démocrate sans histoire, le voilà trans-formé en prophète Jérémie. n

*Extrait de Léonard Vincent, Athènesne donne rien, Éditions desÉquateurs, publié avec l’aimableautorisation de l’auteur.

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L’Europe imprègne la littérature... Nous avons choiside clore ce dossier par ce court extrait du roman deLéonard Vincent Athènes ne donne rien, significatifdes ravages que cause l’Europe d’aujourd’hui...

LES MOTS DE LA CRISE

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Qu’on ne prenne pas ce qui suit comme expression de désac-cords mais tout au plus d’une discussion ; la thématique choi-sie – à la réception – m’a fait… peur, je l’avoue ; la lecture m’a,pour une part, rassuré. Quelques observations : Jean Quétiercosigne avec Florian Gulli deux articles très distincts à ce sujetet j’approuve très largement ce qui y est dit ; le sentiment de« peur » n’est pas qu’illusion.

Tout d’abord, le monde tel qu’il va fait peur et ce n’est pas ce quise passe au centre de l’Europe qui va affaiblir ce sentiment. Maisjustement parce que ce sentiment s’appuie non pas sur du dif-fus, de l’improbable, mais sur une réalité tangible, il est étonnantque cette dimension ne soit pas scrutée ; le monde, construitpour l’essentiel par des politiques drastiques visant à étendreencore et encore la domination capitaliste – au sein d’une guerreéconomique exacerbée et entretenue – est un monde instableet dangereux. Il est dangereux parce que la guerre économiquevoisine avec la guerre tout court, dont les contours se rappro-chent dangereusement de notre continent. Il y a donc de quois’angoisser même si ce n’est sûrement pas une réponse degauche, raison de plus pour en traiter en grand. Or, le numéron’en parle pas si j’ose dire.

De plus, les deux articles cosignés par Jean Quétier et FlorianGulli mériteraient une lecture côte à côte, pas séparée ; je m’enexplique : la peur jetée en pâture constamment à nos conci-toyennes et concitoyens pour prétendre y apporter desréponses « modernes » (surveillance vidéo, etc.) est l’exactpendant de la philosophie du « risque », fort bien dessinée dansl’un des deux articles. Les deux aspects correspondent auxmêmes déterminants mais ne s’adressent pas aux mêmespublics. Au demeurant, si la pensée de Nietzche est fort biencondensée, on ne trouve qu’allusion à celle de Heidegger ; maisun observateur sans aucune prétention philosophique, commec’est mon cas, a pu constater la diffusion nouvelle et massivedes œuvres de Heidegger au Quartier latin. Cela fait des années,et cela ne pouvait pas être le fruit du hasard. La réapparitionde cet auteur proscrit pendant des années a un sens à monavis que nous n’investiguons pas suffisamment ; des penseurssitués à gauche, même s’ils ne s’en réclament pas, le citentdorénavant, sans complexe. Y a-t-il là quelque idée qui puissede près ou de loin être reprise dans le patrimoine progressiste ?Ou bien la phrase citée par l’article ne donne-t-elle pas la clédu plongeon philosophique ? Il y a là un continent à explorer

sérieusement. En Ukraine des forces ouvertement fascistessont soutenues à bout de bras par les dirigeants actuels del’Union européenne, pour ne rien dire des États-Unis où celainquiète des forces qui sont à des années-lumière des com-munistes. Aux États-Unis cela inquiète, mais en France, onconsidère massivement à gauche qu’achever la destructionde l’Union soviétique et combattre la Russie passe avant touteautre considération, pour ne rien dire de ceux – toujours àgauche – qui balaient d’un revers de main pareilles objectionset s’agenouillent devant un « gouvernement » autoproclaméne résultant d’aucune élection. C’est sans doute une réalisa-tion de l’idée selon laquelle « seul le péril peut inciter à ce qu’ily a de plus haut ». Pas de hasard ici non plus. Accessoirementun glissement sémantique qui n’est pas innocent a fait de lacrise « Un monde d’opportunités », devise de la banque HSBC…Je ne développe pas ce point mais il y aurait matière.

Mon troisième point concerne l’article de Jean-François Bolzingerdont le titre ou sous-titre m’a fait sursauter : « La démocratiepour réhabiliter la science ». Il poursuit : « Le scientifique n’existeplus. Il n’y a plus que des travailleurs scientifiques. Est-ce cettedésacralisation qui fait peur ? La science, tout comme Dieu, nedéfinit plus une vérité sécurisante, mais toujours précaire. » Ilfaut parfois des raccourcis saisissants pour être lu, l’effet ici estgaranti. Lisant l’article, je n’ai pas trouvé le moindre développe-ment par rapport aux annonces du titre. Cela ne signifie pas queje sois en total désaccord avec ce qui est écrit mais on s’atten-dait à tout autre chose qu’à un développement sur le principede précaution à propos duquel d’ailleurs il y aurait à dire. Ce qu’endit Jean-François Bolzinger ne me heurte pas mais ne me satis-fait pas non plus ; ce n’est cependant pas là le principal objet dema réaction. Réhabiliter la science ? Auprès de qui ? On ne saurapas. Qui l’a mise en accusation ? Quelles forces politiques enjouent, tantôt pour l’asservir, tantôt pour l’accuser ? Voilà quimérite examen. Ensuite, « Le scientifique n’existe plus. Il n’y aplus que des travailleurs scientifiques ». Comme je l’ai dit, lesraccourcis saisissants peuvent avoir leur utilité mais là, à monhumble avis, celui-ci dessert. J’en dis un mot. J’ai mis ailleurs defaçon répétée en garde contre l’idée que les scientifiques pour-raient rêver en quelque sorte d’une exonération de la crise ducapitalisme et je suis convaincu que le mépris – auquel ils sontextrêmement sensibles – n’est en rien différent de celui que l’onvoit lors des plans sociaux qui déferlent. En ce sens c’est bienleur nature de « travailleurs scientifiques » qui est là convoquée.Mais de là à dire que les scientifiques n’existent plus en dehorsde leur qualité de travailleurs scientifiques, il y a un pas qu’il nousfaut nous garder de franchir. Ce n’est pas seulement contre-productif, c’est une conception erronée. On ne comprend rienà l’attachement à leur cœur de métier en raisonnant de la sorte ;si on ne comprend pas ce qui les met en mouvement, commentpourrait-on prétendre les gagner ? Je pourrais développer trèslonguement mais ce qui précède est déjà trop long. Je suis cer-tainement disposé à en débattre avec l’auteur et je ne fais pascondition de ce que ce débat, si débat il y a, soit public. n

*Olivier Gebuhrer est membre du LEM.

Remarques sur quelques questions abordéesdans le numéro 34 de La Revue du Projet

consacré au thème de la peur

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« Mais justement parce que lapeur s'appuie non pas sur

du diffus, de l'improbable, maissur une réalité tangible, il est

étonnant que cette dimensionne soit pas scrutée. »

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ENTRETIEN RÉALISÉ PAR LÉO PURGUETTE

LE GRAND ENTRETIEN

L’industrie au cœur du projet communisteLe PCF s'apprête à tenir sa convention nationale sur l'industrie après celle qu'ilavait consacré à l'automne à son projet européen.

Entretien avec Alain Obadia, responsable national « Production, industrie etservice » et président de la Fondation Gabriel-Péri, sur la réflexion des com-munistes à propos du déclin industriel de la France et de la perspective detransformation du modèle productif dont ils sont porteurs.

es plans de licenciementsdans l’industrie s’enchaînent,les pouvoirs publics ne peu-vent-ils donc rien ?

2013 a été une année noirepour les suppressions d’emplois et lesfermetures de sites. Plus de 1 000 plans« sociaux » ! L’industrie a payé un lourdtribut : plus de 40 000 suppressions depostes directes sans compter les emplois« induits » ainsi que les dégâts provo-qués sur le tissu local. Et comment nepas souligner la faiblesse des investis-sements sur notre sol qui constitue unepart essentielle de la désindustrialisa-tion !Au-delà des effets de manches d’ArnaudMontebourg, force est de constater quele gouvernement reste d’une passivitéconsternante. Le pouvoir s’est explici-tement aligné sur le crédo patronalautour du triptyque baisse des « char -ges » / compétitivité/ création d’emplois.La probabilité est nulle que cetteapproche qui a conduit à l’échec depuisdes années se transforme soudain ensolution efficace.En réalité, les pouvoirs publics pourraient,s’ils en avaient la volonté politique, sedonner les moyens d’intervenir. Interdireles licenciements dans les entreprises

qui réalisent des profits (licenciementsboursiers), à tout le moins obliger lesgroupes souhaitant fermer un site dansces conditions à trouver un repreneur(et pas seulement à le chercher !), éta-blir un droit de véto suspensif des élusdu personnel en cas de fermeture ou dedélocalisation et l’obligation d’examiner

les propositions des salariés, instaurerle droit de reprise de l’activité par les sala-riés en coopérative s’ils le souhaitent ;voilà quelques instruments dont laconcrétisation serait possible à courtterme et qui permettraient de peser posi-tivement sur la situation.

Pourquoi défendre l’outil industrield’aujourd’hui ? N’y a-t-il pas une forme

d’attachement nostalgique du PCFdans sa défense d’industries vouéesà la disparition ?La démonstration est malheureusementfaite qu’un pays qui accepte de voir som-brer son industrie s’enfonce dans unespirale de déclin et de régression socialecatastrophiques. Le mythe de la « société

postindustrielle » développé durant qua-tre décennies par la pensée dominanteapparaît pour ce qu’il était vraiment : unsupport idéologique aux stratégies definanciarisation et de délocalisation pourmaximiser le taux de profit. Quand unenation n’est plus capable de satisfairedans des proportions significatives sespropres besoins, et que dans le mêmetemps elle est de moins en moins apte

L« Le mythe de la “société postindustrielle”

développé durant quatre décennies par la pensée dominante apparaît pour ce

qu’il était vraiment : un support idéologiqueaux stratégies de financiarisation

et de délocalisation pour maximiser le taux de profit. »

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à vendre à l’extérieur des produits recher-chés pour leur qualité et leur spécificité,elle s’appauvrit et les destructions d’em-ploi deviennent structurelles. Nous avonsdonc besoin d’une base industrielle fortepour redonner vie et dynamisme à l’en-semble de l’activité du pays.

Il est par ailleurs inexact de présenterl’industrie comme vétuste et polluanteet d’assimiler sa défense à un combatd’arrière-garde. L’industrie d’aujourd’huimet le plus souvent en œuvre des tech-nologies très avancées. Les modèlesindustriels contemporains intègrent dansles processus de production la préoc-

cupation environnementale. Quand teln’est pas le cas, ce n’est pas principale-ment une question technique mais unemanifestation de la stratégie du capitald’abaisser à tout prix les coûts pour causede rentabilité. Il en va de même s’agis-sant du refus d’investir pour déplacerles créations de capacités nouvelles versdes pays à bas coûts. Par ailleurs, nous

ne sommes pas démunis concernantles activités et les emplois qu’il est indis-pensable de reconvertir. C’est notam-ment pour répondre à ce problème quenous avons avancé nos propositions desécurité d’emploi ou de formation.

La préservation de l’industrie et sondéveloppement sont-ils possiblessans rompre avec les dogmes libre-échangistes de l’Organisation mon-diale du commerce (OMC) ?À franchement parler, je pense que non.En effet, les règles de l’OMC ont étéconçues et appliquées pour favoriser le

développement du capitalisme libéralfinanciarisé et mondialisé qui domine laplanète depuis plusieurs décennies.L’effet est structurellement destructeurpour l’industrie de pays comme le nôtreayant un haut niveau d’acquis sociaux,fruits des luttes du mouvement ouvrier.Ne pensons pas pour autant que le libre-échange généralisé constitue la pana-

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cée pour le développement des paysémergents. Il ordonnance un dévelop-pement distordu essentiellement tournévers le marché international et non versla satisfaction des besoins des popula-tions. Plus de 1 000 morts à Dacca en2013 dans l’effondrement d’un immeu-ble-usine ! Cela illustre le caractère insup-portable du coût humain de ce moded’organisation du commerce mondial.Une bataille de haut niveau doit doncêtre menée pour montrer la malfaisancedes règles de l’OMC. Elle doit être fon-dée sur la promotion d’un modèle dedéveloppement plus endogène – c’est-à-dire tourné prioritairement vers la satis-faction des besoins de chaque peuple,tout en laissant une place significativeaux échanges internationaux – et d’unmodèle plus solidaire favorisant les coo-pérations. Dans cette bataille nous pou-vons nous appuyer sur l’une des reven-dications majeures du mouvementsyndical mondial : l’obligation de respec-ter des clauses sociales et environne-mentales pour réguler les échanges inter-nationaux. Cela permettrait de donnercorps à un processus de relocalisationsolidaire.

Quels seraient les leviers de la poli-tique industrielle alternative que vousproposez ?Nos propositions s’inscrivent dans uneconception du développement remet-tant en cause la domination des objec-tifs de rentabilité sur l’activité humaine.Elles comportent plusieurs dimensionsinséparables et qu’il faut faire avanceren synergie.À l’opposé de la vision à court terme dela financiarisation, il faut redonner toutesa place à la réflexion sur le long terme.C’est pourquoi il est indispensable dedévelopper une nouvelle planification

« Ne pensons pas que le libre-échangegénéralisé constitue la panacée pour ledéveloppement des pays émergents. »

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BRÈVES DE SECTEUR

PIC DE POLLUTIONATMOSPHÉRIQUE : TOUTES LESLEÇONS DOIVENT ÊTRE TIRÉESPendant une semaine, une partie de la France a subiun pic de pollution atmosphérique avec des seuilsdépassant largement les normes sanitaires admisespour des millions de Français. Toutes les leçons doi-vent être tirées de cet épisode qui concerne la santédes citoyens et la préservation de notre environnement.Face à cette situation d'urgence, les mesures de gra-tuité des transports publics, pour quelques jours seu-lement, de circulation alternée, de diminution de lavitesse de circulation – et l'esprit civique dont ont faitpreuve de nombreux automobilistes – sont nécessaires,mais ne répondent pas aux pollutions quotidiennesqui ont lieu, elles, toute l'année.

Cela démontre la nécessité de politiques de long termepour des transports publics, en faveur du fret ferroviaireau détriment de la route, et engageant dès maintenantun grand plan de transition vers des filières industriellesproduisant des automobiles hybrides, électriques et àtrès basse consommation, à un prix abordable pour lesfamilles populaires. Cela pointe aussi la nécessité demoderniser nos systèmes de chauffage, l'importanced'un plan de rénovation énergétique des logements ainsiqu'une transition énergétique qui transfère les énergiesfortement polluantes et carbonées, pétrole, gaz et char-bon, vers des énergies plus propres. C'est un enjeu essen-tiel qui s'inscrit dans le cadre d'une campagne mon-diale, citoyenne et politique que nous organisons afinde parvenir à un accord global sur la réduction des GES,

lors de la conférence Paris-Climat 2015.Le PCF dénonce depuis des années les politiques dedéréglementations actuelles et les baisses de moyensalloués aux transports publics. Il ne se passe pas un joursans qu'un projet d'équipement ne soit annulé ou revuà la baisse dans une région, un département ou une ville.

L'écologie a pourtant besoin d'importants investis-sements et de services publics de qualité pour que lescitoyens aient vraiment le choix de leur mode de trans-port : c'est possible. C'est une question de volontépolitique.

C'est aussi le combat quotidien de nos militants avec lescitoyens, et de nos élus, dans les institutions et auprèsdes salariés des filières concernés en lutte, pour inver-ser ces logiques de court terme, qui ne privilégient queles profits et les privatisations.

HERVÉ BRAMY

ÉCOLOGIE

LE GOUVERNEMENT DOITS'ENGAGER À PRÉSERVER LERÉGIME DES INTERMITTENTSLe PCF apporte tout son soutien aux artistes et techni-ciens du spectacle vivant et enregistré face à l'offen-sive d'un patronat qui se croit tout permis puisque cegouvernement ne cesse de répondre à ses demandes.Le Medef se sent pousser des ailes et tente d'avancersur tous les fronts, une déréglementation sociale géné-

démocratique. Cette approche permet-tra de soutenir et de promouvoir lesfilières industrielles ainsi que les tech-nologies les plus déterminantes pour laréponse aux besoins ou qui condition-nent notre avenir. Des pôles publics doi-

vent être constitués dans les filièresstratégiques pour orienter les politiquesd’investissements et de développe-ment. Ils peuvent impliquer des natio-nalisations ou s’appuyer, selon les sec-teurs, sur des modalités plus diversifiéesd’appropriation sociale. Le pôle finan-cier public pour lequel nous agissonsest de nature à jouer un rôle décisif. Sonadossement à des fonds régionaux fonc-tionnant sur la base d’un système de

crédit sélectif permettrait de soutenirdes priorités enclenchant un cercle ver-tueux de développement pour le pro-grès humain. Par les besoins d’équipe-ments nécessaires pour assurer leursmissions, les services publics adressent

une demande stimulante au nouveausystème productif intégré que consti-tuent l’industrie et les services. Leur pro-motion et leur démocratisation sontdonc indispensables. De la mêmemanière, la question des pouvoirs nou-veaux des salariés sur laquelle nousavons insisté plus haut est un élémentmajeur pour définir des stratégies d’en-treprises permettant d’ouvrir les trans-formations nécessaires. Couplée à une

véritable responsabilité territoriale desfirmes – au moyen notamment ducontrôle de l’utilisation des fonds publicsqui leur sont attribués – elle peut êtreun des moteurs d’une nouvelle concep-tion du développement humain.

Développement industriel et protec-tion de l’environnement sont-ils com-patibles ?Le respect des écosystèmes, comme lavitalité durable des territoires dans les-quels les sites industriels sont implan-tés sont des objectifs qu’une activitéproductive digne des enjeux de notreépoque doit considérer comme essen-tiels. Dans la perspective d’une trans-formation des modèles productifs aurebours des logiques productivistes etconsuméristes, un renouvellement struc-turel est nécessaire à toutes les étapesde la production : - conception des produits en ruptureavec la logique de l’obsolescence pro-grammée ; ce qui conduit à insister surles impératifs de qualité, de durabilité etde modularité ;- intégration de la préoccupation de sécu-

« Parler de l’industrie c’est parler de lacréation des richesses indispensables pourrépondre aux besoins de chacun et de tous,

c’est parler du travail et de l’emploi. »

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ralisée. Voilà qu'il annonce à nouveau sa volonté desupprimer les annexes 8 et 10 qui régissent le régimespécial de chômage des artistes et techniciens duspectacle.

Les luttes ont jusqu'alors empêché le patronat deremettre en cause cet outil essentiel du soutien de lanation à la création et à la culture. A l'instar de VictorHugo nous dirons « que fermer un théâtre c'est ouvrirune prison ».

Les paroles d'Aurélie Fillipetti et Michel Sapin sontinsuffisantes. Il faut des actes et le gouvernement doits'engager à préserver le régime des intermittents et àouvrir des négociations sérieuses sur cette question.Des propositions, réformant dans un sens mutualisteet non assurantiel, sont sur la table et le parti commu-niste entend faire en sorte qu'elles soient entendues.

ALAIN HAYOT

CULTURE

SOLIDARITÉ AVEC LESCOMMUNISTES UKRAINIENS Le Parti communiste français exprime une nouvellefois sa profonde inquiétude quant à l'évolution de lasituation en Ukraine qui a conduit à une escalade dela violence et à une ingérence des puissances étran-gères dans les affaires de ce pays.

Le PCF alerte sur l'extrême gravité des agissementsdes forces organisées de l'extrême droite fasciste qui

se sont traduits par des menaces et des tentatives d'in-terdiction, des intimidations et des agressions phy-siques contre des membres, des députés, des repré-sentants et dirigeants du Parti communiste d'Ukraine,et des actes intolérables de vandalisme contre les locauxde ce parti, en particulier à Kiev.

Le PCF réitère sa solidarité active avec les commu-nistes ukrainiens qui mènent une lutte courageusetout autant contre le régime Ianoukovitch que contreles nationalistes et l'extrême droite ukrainienne, ainsique sa solidarité avec les forces démocratiques et pro-gressistes ukrainiennes, et avec le peuple ukrainien.

Le PCF demande au gouvernement français decondamner de tels actes totalement contraires auxdroits fondamentaux et à la démocratie qu'il prétenddéfendre en Europe, d'agir auprès des autorités gou-vernementales ukrainiennes pour que les auteurs detels actes soient poursuivis et traduits en justice, defavoriser ainsi le rétablissement d'un processus démo-cratique permettant au peuple ukrainien de repren-dre la main sur son destin.

Le Parti communiste français apporte son soutien ence sens à l'initiative du Parti communiste d'Ukrained'un référendum qui puisse permettre aux Ukrainiensde décider souverainement de toutes les questions depolitique intérieure et extérieure, et économiques quiengagent l'avenir de leur pays.

LYDIA SAMARBAKHSH

INTERNATIONAL

rité pour les consommateurs, les salariéset l’environnement dès la conception ;- extraction et gestion économes desmatières premières, des matériaux et desressources naturelles. Souci de leur subs-tituabilité pour éviter les ruptures écolo-giques (exemple de la chimie végétale) ;- lutte contre les pollutions de toutessortes, préservation des sols ;- économies d’énergie et efficacité éner-gétique ;- gestion et recyclage des matériaux, descomposants et des déchets ;- création de filières de réparation et demaintenance ;Comme on le voit, le cahier des chargesde la nouvelle conception industrielleest exigeant. Mais il est désormais impé-ratif. Dans une logique « circulaire » desprocessus productifs il faut développerles mises en réseaux pour organiser lacomplémentarité des besoins et lescoopérations mutuellement profitablescar les déchets des uns peuvent et doi-vent devenir les matières premières desautres. Un nouveau paradigme indus-triel est en train de naître. Il faut en déve-lopper toutes les potentialités.

Quelles filières industrielles d’aveniridentifiez-vous ? Quelle place le déve-loppement du secteur industrieloccupe-t-il dans le projet commu-niste ?Nous devons tout d’abord partir desnœuds technologiques qui apparaissentdéterminants pour l’avenir. Sans préten-tion exhaustive, nous pouvons mention-ner les nanotechnologies qui irriguentpar exemple aujourd’hui l’ensemble del’électronique mais qui s’appliquent bienau-delà, les biotechnologies, les nou-veaux matériaux, la chimie végétale oule biomimétisme (imitation de proces-sus présents dans la nature pour lesappliquer à des procédés industriels).Nous ne sommes qu’au début de la miseen œuvre des potentialités que portentles technologies de l’information et dela communication. Développement dela robotique, puces communicantes inté-grées dans les vêtements, les lunettes,les montres, explosion de la domotique,aide aux personnes âgées fragiles oudépendantes, automobiles en pilotageautomatique, l’actualité quotidienne illus-tre en permanence cette réalité mon-

tante qui change déjà et changera plusencore demain notre existence. De cefait, la question de la maîtrise sociale duprogrès technologique est et deviendrade plus en plus prégnante. Au-delà, biendes filières sont concernées par la révo-lution technologique en cours : les indus-tries de la santé mais aussi la médecine,l’automobile, l’énergie, le BTP, l’aérospa-tiale, la chimie, le textile, l’agro-alimen-taire. Cela illustre le rôle crucial de larecherche comme la nécessité impé-rieuse d’un effort massif de formation.Comme on le voit, parler de l’industriec’est parler de la création des richessesindispensables pour répondre auxbesoins de chacun et de tous, c’est par-ler du travail et de l’emploi. Agir pourtransformer le modèle productif c’estagir en même temps pour transformerla conception du développement au ser-vice d’un progrès humain durable et soli-daire. C’est pourquoi nous voulons valo-riser la place de cette question dans leprojet communiste. n

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a place des femmes dans l’artet la culture : le temps est venude passer aux actes, ou rap-port n°704, se compose desrecommandations politiquesformulées par la sénatrice et

son groupe de travail, une soixantainede pages, du compte rendu des audi-tions de personnalités (plus d’une cen-taine de pages) et d’une série d’annexes,avec chiffres et graphiques, sur « l’éga-lité hommes femmes dans la culture etla communication ».

Le principe d’égalité a été reconnu dansla Constitution de 1946 ; la première loisur l’égalité de rémunération ne date quede 1972 : la question de l’égalité profes-sionnelle a pris de l’ampleur dans lesannées 2000.Dans le secteur culturel, ce sont deux

La place des femmesdans l’artLa force desstéréotypesUn rapport d'information de la sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin, au nom de la délégation aux droits des femmes, remis l'hiver dernierau ministre de la Culture, dénonce les inégalités persistantes dont sont victimes les femmes dans la culture et préconise des pistes alternatives.

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rapports de  2006 et  2009 qui ont« révélé à l’opinion publique l’ampleurdes déséquilibres » dans ce domaine. Ilsétaient signés Reine Prat, inspectricegénérale de la création, des enseigne-ments artistiques et de l’action cultu-relle au ministère de la Culture. Cesétudes montraient que si la parité étaitatteinte entre hommes et femmes pourles postes d’administration des grandesinstitutions culturelles, les postes dedirection étaient presque toujours occu-pés par des hommes. La dénonciationde ce système inégalitaire fit l’effet d’unebombe. Pourtant, les années passant,non seulement rien n’a changé mais par-fois la situation a empiré. Devant ceconstat, des collectifs d’alerte se consti-tuèrent. La Société des auteurs et com-

positeurs dramatiques (SACD) publia,l’été 2013, une brochure «  Théâtre,musique, danse : où sont les femmes ? »qui joua comme un détonateur dans lemilieu du spectacle vivant. Les inégali-tés fortes aux postes stratégiques de

l’administration culturelle sont parfoisscandaleuses dans le domaine artis-tique.« Dans certains secteurs artistiques,on peut parler de véritable discrimina-tion » dit à présent le rapport du Sénat,qui pointe également une pratiquescandaleuse apparemment générali-sée : la banalisation des comporte-ments sexistes dans les écoles d’art.Lequel rapport identifie trois chantiersde travail : 1- donner leur place aux créatrices.L’invisibilité des créatrices (auteures,compositrices, peintres, réalisatrices)est une question qui a traversé l’histoirede l’art ; leur éviction relève d’abord d’unebataille idéologique. Les femmes sonttrop souvent absentes des « rétrospec-tives », « grands prix » et des « festivals ».Reste l’interrogation : faut-il créer un lieude création « dédié » à la productionféminine ?2- promouvoir la place des femmes dansles postes de direction des institutionset industries culturelles, aujourd’huimonopolisées par les hommes.3- combattre les stéréotypes.

DES VERROUS INTÉRIEURSCette dernière approche évoque despratiques persistantes dans le milieu cul-turel, héritées d’un autre siècle (exem-ple, le «  protecteur  » bienfaiteur« de petites danseuses » ou les « men-

« Les inégalités fortes aux postesstratégiques de l'administration culturelle

sont parfois scandaleuses dansle domaine artistique. »

PAR GÉRARD STREIFF

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tors » faisant la loi sur des générationsde « Lolitas ») mais aussi les « clichés »stéréotypés qu’on retrouve dans lesreprésentations de la femme dans lesmédia (l’idiote, l’hystérique, la « blonde »,la courtisane…). « On ne peut que s’in-quiéter de la puissance de ces verrousintérieurs de nos comportements, quifonctionnent comme des normes,venant de la reproduction inconscientede clichés intériorisés » dit le rapport.Lequel définit le stéréotype comme une« caractérisation symbolique et sché-matique d’un groupe, qui s’appuie surdes attentes et des jugements de rou-tine. Ces stéréotypes constituent des

images qui bloquent, qui figent à un ins-tant donné, qui empêchent d’avancer etqui portent atteinte à l’estime de soi. [...]Ils fonctionnent, à longueur de temps,comme des messages subliminaux quiconfortent les rôles sociaux tradition-nels et les pérennisent. » Le rapport défi-nit l’image des femmes dans les médiacomme « une normalité du corps et dusexe (femme jeune, mince, blanche) quijoue comme normativité » (voir extraitjoint). La question des stéréotypes véhi-culés dans les représentations fait l’ob-jet d’études universitaires. C’est le caspar exemple d’une étude de la socio-logue Sylvie Cromer sur « les représen-tations sexuées dans les spectacles pourle jeune public », portant sur 729 spec-tacles (saison 2006-2007) et 1 262 per-

sonnages. Elle montre que ces specta-cles sont créés majoritairement par unhomme (52 %, 14 % par des femmes, 34 %par des équipes mixtes) ; que les per-sonnages représentés sont majoritaire-ment des hommes (45  %, 28  % desfemmes, 14 %, des garçons, 12 % desfilles). Il y a un déséquilibre numériqueet un traitement asymétrique entre lessexes, avec une « extension du mascu-lin » grâce à des portraits variés et un« effacement du féminin ». Les auditionsont porté sur l’image de la femme dansle répertoire classique, à l’opéra, dans ladanse. Comment agir sur les représen-tations ? Question délicate : « Sous cou-vert de l’effort légitime de déconstruc-tion des représentations sexuéesnormées, on peut vite dériver jusqu’àfaire injonction aux artistes de prendreen charge la représentation du féminin ».Pour la délégation, poursuit le rapport,la lutte contre les stéréotypes doit sur-tout prendre la forme d’une politique deprévention et de sensibilisation, menéeen particulier en direction des jeunes.Le rapport se conclut par une vingtaine

de recommandations. Devant l’ampleurdes inégalités et les verrous existants, ilfaut explorer de nouvelles pistes, dit-il :« Les seules obligations quantitatives etla politique des ”quotas” ne suffisent pascar elles ne permettent pas une évolu-tion des mentalités et une prise deconscience responsable de la nécessitéde faire évoluer les choses. [...] Permettreaux femmes de trouver une nouvelleplace dans la sphère culturelle, sphèredans laquelle la puissance des représen-tations est omniprésente, passe par unedémarche à plusieurs voix, dont les maî-tres mots sont : sensibiliser, responsa-biliser, réguler et contrôler », soit renfor-cer la prise de conscience et lasensibilisation à ces questions en asso-ciant l’ensemble des acteurs publics etprivés à l’élaboration de l’état des lieuxdes inégalités ; responsabiliser l’ensem-ble des acteurs, publics et privés ; envi-sager des mesures plus contraignantesde régulation ; et contrôler leur applica-tion. n

FEMMES ET MÉDIA« Majoritairement, dans la presse féminine – et cela est valable également pourles magazines pour adolescents et people du corpus – les femmes représen-tées sont jeunes, minces et de peau blanche. La couleur des cheveux est unindice particulièrement représentatif : si l'on considère que seulement 10 % desFrançaises sont blondes, représenter ou photographier 50 % de femmes avecdes cheveux blonds ne reflète pas la réalité de la population féminine française.On est en droit de parler de la présentation d'un corps unique dans la presseféminine. Si, comme le souligne le rapport précité, l'analyse des contenusd'Internet montre une incitation massive au conformisme de genre, l'analysede l'image de la femme dans la publicité et dans les séries télévisées montreune exacerbation de modèles souvent obsolètes qui les renvoie à un narcis-sisme de pacotille et reflète l'insuffisante mise en valeur de modèles nouveaux.[…] Dans la bande dessinée féminine existe un phénomène éditorial, la BD girly,fruit du succès de certaines dessinatrices qui ont inventé la « bande dessinéede femmes pour les femmes ». Des journaux au titre racoleur comme Bisou ontconfirmé le caractère affligeant de cette production. La BD girly s'inspire de lapresse féminine dans ce qu'elle a de plus avilissant, en resserrant sa cible surles adolescentes et les femmes trentenaires « mal dans leur peau ». Elle ne pro-pose que des sujets « réservés » aux femmes : la mode, le sexe… »Rapport d'information, pp 22-24. LA REVUE

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« Le rapport définitl'image des femmes

dans lesmédias comme

“une normalité ducorps et du sexe

(femme jeune,mince,

blanche) qui jouecomme

normativité”. »

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e m’adresse ici à des communistes.Nous sommes du même parti. Le« parti » au sens ancien, large, dessympathisants et militants de lamême cause. Il regroupe à mes

yeux, pour ce qui est de la France, non seu-lement le Front de gauche et ses largesenvirons (écolos, féministes, etc.), maisaussi tout le mouvement syndical, asso-ciatif et culturel qui va dans le même sens.Il y a place pour un parti du peuple exploité,qui est aussi celui qui produit, qui crée etqui invente. Et cette lutte entre trois forcespolitiques confronte deux classes sociales.

NÉCESSITÉ D’UNE ANALYSE DE CLASSEOn ne peut, en effet, comprendre cetteconfiguration politique que sur la based’une analyse de classe. Et c’est cela, mesemble-t-il, qui fait défaut dans le vaste« parti » qui est le nôtre. On y parle de« classe », de domination capitaliste, maisdans un sens incomplet et mal établi. Laquestion est pourtant au fond assez sim-ple, mais elle doit être analytiquementargumentée. Le marxisme nous prépareà le comprendre. Mais, dans l’analyse héri-tée de Marx, il y a aussi une face obscure.Je propose donc de reprendre la questionde plus haut. J’ai commencé à m’expliquerdans le N° 16 de La Revue du projet (ren-voyant à mon récent livre, L’État-monde,

La structure de classeet la dynamiquedes partis

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ELLe communisme n'est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler.

Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel. Les conditions de ce mouvementrésultent des prémisses actuellement existantes. » Karl Marx, Friedrich Engels - L'Idéologie allemande.

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qui aborde cette question de front). Jeréponds ici aux demandes d’éclaircisse-ment qui m’ont été faites, notamment surla « classe fondamentale », ses divisions,et le rapport entre classe et parti.Marx n’analyse pas une classe comme ungroupe social.Reportons-nous au Capital.

L’exploitation capitaliste permet au sala-rié d’assurer son existence ; mais elle assureen même temps la perpétuation du cli-vage entre ceux qui possèdent les moyensde production (et d’exploitation, et dontla logique est l’accumulation du profit) etceux qui ne possèdent que leur force detravail. Le « rapport de classe » est ce cli-vage de classe (coupant en deux le corpssocial) toujours reproduit lors même quedivers groupessociauxse succèdent danscette position de classe, comme en France

la classe ouvrière relayée par un ensem-ble salarié plus vaste, ou le patronat dehouillères reculant devant les hedge funds(fonds de couverture). La puissance del’analyse de Marx tient à ce qu’il ne s’en tientpas à ces groupes sociaux concrets (avecleur puissance éphémère et leur style devie particulier), mais appréhende la dyna-mique sociale et historique à partir de cli-vages plus profonds et plus durables.Mais son analyse, fondée sur ce schèmebinaire, est incomplète et incorrecte. Ellefavorise une illusion qui se trouve renfor-cée par le fait que le principe démocra-tique moderne implique un pouvoir àmajorité, à 51 % contre 49 %. On devraitpourtant à cet égard s’étonner que lesdeux moitiés ainsi produites le soient, dumoins à mesure que s’affirme la moder-nité, dans les termes d’une « droite » etd’une « gauche », la première se récla-mant davantage du marché capitaliste,la seconde d’une organisation publiquede la vie sociale. Le curseur se trouve selonle temps et le lieu en positions variées,mais toujours sur le même axe. La raisonen tient à la structuration profonde de lasociété moderne, que Marx n’a qu’impar-faitement comprise. À y regarder de plusprès, en effet, ce clivage politiquedroite/gauche ne correspond pas au cli-vage de classe capitalistes/salariés, maisd’abord à un sous-clivage au sein de laclasse dominante. Car celle-ci comportedeux « pôles », correspondant à deux pri-vilèges distincts, ceux de la propriété etceux de la compétence, au sens non pasde l’être compétent (car les inventions

« Ce clivagepolitique

droite/gauche necorrespond pas au

clivage de classecapitalistes/salariés,

mais d’abord à unsous-clivage ausein de la classe

dominante. »

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On veut nous enfermer dans un bipartisme officiel droite/gauche, où « lagauche » désigne les socialistes et leurs associés. Il y a bien une troisièmeforce, il y a place pour une gauche populaire distincte de la gauche élitaire,et dont le potentiel est immense, car il est celui du peuple ordinaire,dépourvu des privilèges du pouvoir-propriété (capitaliste) et du savoir-pouvoir (pour reprendre le concept de Foucault).

PAR JACQUES BIDET*

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qui bouleversent la science sont le fait degens « ordinaires »), mais de l’avoir com-pétence. Ce second privilège ne se repro-duit pas seulement par le système sco-laire, mais par son exercice même, par leréseau de relations dans lequel il s’exerce.Il ne pousse pas vers l’accumulation de la« richesse abstraite », mais vers cetteautre abstraction : la folie de l’ordre et desgrandeurs (on veut son grand aéroport,ses pôles d’excellence où triomphent lesmeilleurs…). Cela est facile à percevoir,plus difficile à cerner dans son caractèreprofond de rapport de classe coordonnéau rapport capitaliste.Pour en rendre compte, il faut se repor-ter à la façon dont Marx procède dansLe Capital. Il commence non pas parexposer le clivage de classe capitaliste,mais par donner, sur 150 pages, un

tableau de la société moderne comme« société de marché ». Puis il montre quesi la société est entièrement marchande,alors la force de travail est elle-mêmeune marchandise, qu’on achète pour entirer profit. Il donne ainsi à comprendrecomment les relations marchandes,échangistes, entre tous, forment le pré-supposé d’un rapport de classe qui clivela société entre deux forces antagonistes.Ensuite, quand il en vient à l’analyse his-torique des tendances de la société capi-taliste, de la manufacture à la grandeentreprise industrielle, il montre que lacoordination a posteriori par le marché,par le jeu des anticipations, tend à lais-ser place en interne à une coordinationa priori par organisation, par des plansarticulant des moyens à des fins. Il enconclut que les travailleurs, toujours plusinstruits, rassemblés et unis par ce pro-cès organisationnel, finiront par être enmesure de le prendre eux-mêmes enmains, et de l’élargir à l’ensemble de lasociété. C’était là au fond la convictionrévolutionnaire du «  mouvementouvrier ». Elle est juste en partie.

CLASSE DOMINANTE À DEUX PÔLES ET CLASSE FONDAMENTALECe qui n’est pas compris dans ce schéma,c’est que, si la « coordination rationnelle àl’échelle sociale » s’opère par ce couplede « médiations » (marché et organisa-tion), toujours plus ou moins entremêlées,elle donne lieu à deux sortes de privilègesqui se trouvent monopolisés et reproduitscomme monopoles : ceux de l’avoir-pro-

priété, qui permettent d’acheter, de ven-dre, d’embaucher et de licencier, et ceuxde l’avoir-compétence, qui donne auto-rité pour diriger, contrôler, commander, etcela bien au-delà de la sphère de la pro-duction. C’est là le pôle des « compétents-dirigeants », celui du savoir-pouvoir, dontla sorte de savoir donne lieu à pouvoir. Laclasse dominante est donc sous-clivée endeux « pôles », celui de propriété sur lemarché et celui de la « compétence » dansl’organisation de la production, de l’admi-nistration et de la culture. Ces deux forceséconomico-politiques sont à la fois conver-gentes, mais aussi concurrentes.La classe fondamentale est dépourvuede tels privilèges. Elle possède cependantune capacité démocratique sociale etpolitique qui s’exprime en propositionsavancées dans sa lutte contre cette dou-

ble tutelle. Et elle peut faire la différenceentre les capitalistes, dont la logique estle profit, la richesse abstraite accumulée,et les « compétents », dont le pouvoir nes’exerce malgré tout qu’en s’expliquant,et dont elle n’est séparée que par unefrontière incertaine et mouvante. Sa pers-pective d’émancipation (des rapports declasse) est nécessairement de se rassem-bler, de dépasser ses divisions internespour constituer une force capable de s’al-lier, en position hégémonique, avec cepôle de la « compétence ». C’est en serapprochant de ces conditions qu’elle apu jouer un rôle décisif dans le sens d’ob-jectifs sociaux, culturels et politiques uni-versels (le programme de la Résistance,par exemple, est principalement redeva-ble à la grande utopie communiste qui achangé le monde dans les années vingt,trente et quarante). C’est toute l’histoiredu « mouvement ouvrier ».La classe dominante, avec ses deux pôles,représente structurellement une mino-rité. La classe populaire est constituée dupeuple dans sa masse. Mais elle est elle-même traversée par un sous-clivage (pri-maire : à l’arrière-fond de beaucoup d’au-tres divisions, entre plus ou moins qualifiés,protégés, etc.) qui tient à ce que la domi-nation et l’exploitation s’exercent selon lecas plutôt à travers des rapports mar-chands (indépendants, artisans…), ouorganisationnels(fonctionnaires…) ou plusmélangés (salariés du privé). Les pauvresmodernes, les exclus, sont ceux qui nepeuvent faire valoir leur profitabilité sur lemarché ou leur compétence compétitivedans l’organisation.

Mais ces deux modes primaires de la domi-nation et de l’exclusion sociales, le marchéet l’organisation, instrumentalisés en « fac-teurs de classe » dans le rapport modernede classe, sont en réalité d’abord les deuxgrandes ressources de notre raison socialecommune. L’émancipation des rapportsde classe, ce n’est rien d’autre que la réap-propriation collective de ces deux « média-tions » du produire, gouverner et vivreensemble. La maxime générale de l’éman-cipation des rapports de classe ne visedonc pas l’abolition du marché, comme lepensait Marx, mais la maîtrise du marchépar l’organisation et la maîtrise de l’organi-sation par la démocratie entre tous. Ce quipasse par des processus d’expropriationde la propriété et d’appropriation de la com-pétence. La lutte entre les deux classes estdonc un affrontement entre trois parte-naires. Abattre la classe dominante, c’estla briser en deux, disjoindre ses deux pôles,briser leur connivence. Cela suppose quela classe populaire hégémonise le pôle des« compétents », pour s’unir à lui dans uneGauche méritant ce nom.

TROIS PARTIS SE CONFRONTENTTelle est du moins la visée qui doit guider,dans sa lutte politique, une gauche popu-laire. Mais on notera que les trois partisqui se confrontent n’ont aucune raisonde ressembler aux trois forces sociales,corrélatives au rapport de classe. Chacunede ces forces génère son parti propre,mais qui ne peut prétendre à diriger ques’il présente une certaine légitimité, fon-dée sur une aptitude visible à communi-quer avec les diverses composantes ducorps social. Dans le cadre de leurs par-tis, les « capitalistes » ont besoin de fonc-tionnaires dirigeants et aussi de gens dupeuple, les « compétents » ont besoin deprinces de l’industrie et de la finance. Leparti de la classe populaire n’est pas dansune situation complètement différente :il attire des acteurs relevant de diversessituations de classe. Pour toutes sortesde raisons, d’intérêts, d’ambitions et desentiments (de comptes à rendre à desentourages prochains ou lointains), lespersonnes singulières choisissent spon-tanément de s’engager et de s’illustrer auxyeux de leurs proches dans tel ou tel camp.Il reste que le parti de la classe fondamen-tale doit faire la preuve qu’il est bien cequ’il dit être, et manifester sa capacité àsusciter dans le peuple le désir et la capa-cité de prendre le pouvoir. Cela supposequ’il sache, au-delà de ses composantesconcurrentes issues d’une longue histoireet de sa diversité sociale, reconnaître cequi fait son unité. Cela implique une ana-lyse de classe. n

« Le parti de la classe fondamentale doitfaire la preuve qu’il est bien ce qu’il dit être,

et manifester sa capacité à susciter dans le peuple le désir et la capacité de

prendre le pouvoir. »

*Jacques Bidet est philosophe. Il estprofesseur émérite à l’universitéParis-Ouest Nanterre-La Défense.

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héritier de César divinisé,Octave devenu prince du Sénaten 28 avant notre ère, autoriséà porter le surnom sacralisantd’Auguste en 27, peut se préva-loir d’avoir mis un terme aux

guerres civiles qui ont affecté la Républiqueromaine pendant plus de 50 ans et d’avoirrestauré la paix. Fondateur du Principat, ilmodifie le régime oligarchique en profon-deur et use avec maestriades armes sym-boliques héritées de la République. À Romeet dans tout l’Empire, mosaïque de peu-ples et de cultures, la figure charismatiquede l’empereur et celle de sa lignée, incar-nation de la puissance romaine dans letemps et l’espace, domine désormaistoutes les célébrations.

LA CITÉ DES MYTHESLa commémoration publique d’événe-ments et de quelques grands personnages,jeu complexe d’histoire et de mémoire (lestermes commemorare/commemoratio,au sens de se rappeler sont d’usage cou-rant) s’insère dans le calendrier liturgiquede la Ville qui réunit les citoyens pour lesfêtes réservées aux dieux. La remémora-tion y est construite comme le présent etl’avenir sur deux conceptions complémen-taires : le destin de Rome, berceau du peu-ple élu depuis ses origines, promise à l’éter-nité, et la geste collective d’une histoire

Du bon usage de lacommémoration :Auguste et la mémoirede RomeL’exposition du Grand Palais (Moi, Auguste, empereur de Rome, du 19 marsau 13 juillet 2014), réunissant des collections des musées du Louvre et duCapitole à l’occasion du bimillénaire de la mort d’Auguste le 19 août 1914,rappelle opportunément l’importance de la commémoration au cours de lalongue histoire de Rome.

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nationale, illustrée par les hauts faits defigures glorieuses qui ont forgé la grandeurde la cité. Chaque année, le 21 avril, jourd’une antique fête pastorale, revient le rituelanniversaire de sa fondation par Romulusen l’an I de Rome, fixée par les éruditsromains au 21 avril 753 avant notre ère. Lespoètes ont chanté cette destinée tel Ovidedans sesFastes :« La ville naît qui devait unjour poser sur le monde son pied victo-rieux », ou Virgile, au chant VI de l’Enéide :« Toi, Romain, souviens-t’en, tu gouverne-ras les nations sous ta loi – ce seront tesarts à toi –, et tu imposeras la coutume dela paix». La réécriture des origines dans unmonument symbolique, verbal et figuratif,a donné lieu à de longues controverses surles trois interprétations de l’héritage, qui neprendront fin qu’avec la chute de l’Empire :une Rome troyenne, issue du pieux fonda-teur Enée, qui rattache Rome aux mythesgrecs, une Rome italienne, fille de Romulus,ville ouverte et accueillante, et une Romevictorieuse, fille de Vénus et de Mars.Portée par la légende dorée de la traditionaristocratique, éclairée par le travail consi-dérable des historiens de la fin de laRépublique, la patrie se montre reconnais-sante à ses grands hommes, la geste répu-blicaine magnifiant de grandes figuresexemplaires dans la commémoration pri-vée et publique. Ainsi Camille, l’adversairedes plébéiens, instauré « second fonda-teur de Rome » pour son combat victo-rieux contre les envahisseurs gaulois, auIVe avant J.-C., dont la statue veille sur la tri-bune du Forum. Ainsi Cincinnatus, retour-

nant à sa charrue après une dictature de16 jours et un triomphe, ou encore les deuxScipions, vainqueurs de Carthage et de laGrèce. La mémoire collective est aussi for-tement sollicitée par ces portraits de cireréservés aux grandes familles de l’oligar-chie sénatoriale dont les lignées démon-trent à l’envi leur ancienneté, leur puissanceet leur gloire, gages de reconnaissancepublique et d’admiration populaire. La gra-titude envers les plus éminents des citoyenss’exprime par d’autres symboles pérennesqui peuplent l’espace civique. Rome regorgede statues et de colonnes commémora-tives, honorant même des femmes, augrand scandale de certains, telle Cornélie,fille de Scipion l’Africain et mère desGracques. Des statues parfois si dange-reuses par leur charge symbolique qu’ellessont renversées et détruites lors de com-bats et contestations de rue.

LA GUERRE COMMÉMORÉE : LE TRIOMPHE DE LA VICTOIREGuerres menées à l’étranger et guerresciviles ont ravagé et ensanglanté Rome,l’Italie et les régions destinées à devenirprovinces du peuple romain au Ier siècleavant J.-C., le « siècle de fer » pour l’histo-rien grec Dion Cassius. Bon gré mal gré, leSénat les confie à des généraux ambitieux,pourvus de pouvoirs exceptionnels et d’ar-mées dévouées, bâtisseurs d’empire, deleur carrière et de leur gloire, ainsi propul-sés au centre de la vie politique. Légitiméspar la victoire et ses profits, jouissant d’uneaura divine d’homme providentiel et pré-

PAR MARIE-CLAUDE L'HUILLIER*

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« L’histoire enseigne aux hommes la difficulté des grandes tâches et la lenteur des accomplissements, mais ellejustifie l’invincible espoir. » Jean Jaurès

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destiné, quand ils s’affrontent pour le pou-voir s’engage une bataille décisive pour lerégime : celle du droit au triomphe et à lacélébration des victoires, mises en scènecomme preuves tangibles de leur légiti-mité. Sylla «  l’Heureux  », Pompée «  leGrand » comme Alexandre, ou César pro-tégé de Vénus Génitrice puis divinisé à samort, un aigle l’ayant emporté au ciel, ontimposé la figure de l’Imperator dont la vic-toire ne doit rien au hasard de l’événementmais tient à la personne même du chef pré-destiné au succès. Pour convaincre et orien-ter la commémoration à leur seul profit, illeur faut impressionner, surpasser. Portraitsofficiels, colonnes commémoratives, tro-phées, triomphe et jeux de plus en plusgrandioses s’y emploient avec méthode.Victoire, la déesse dont le culte se diffusepartout, les accompagne sur toutes lesreprésentations figurées, revers moné-taire ou statuaire. En 46, lors de la proces-sion des jeux, la statue de la Victoire et cellede César, bientôt élu dictateur, avancentcôte à côte. La célébration enfin échappeà l’événementiel pour être pérennisée sousla forme de jeux perpétuels commémo-ratifs : des jeux de la Victoire de Sylla sontinstitués en 82 pour rappeler le souvenirde l’élimination des « populaires », les nou-veaux Jeux de la Victoire créés par Césaren 46 associent jeux annuels et jeux qua-driennaux pour l’ensemble de ses vic-toires. Ou encore les Jeux d’Apollon quefonde Octave pour sa victoire d’Actiumsur Marc Antoine (en 31 avant notre ère).Ces manifestations de plus en plus somp-tueuses, de plus en plus longues, mobili-sent le temps des citoyens jusqu’à occu-per 65 jours par an sous César, et exigentun cadre approprié pour rassembler lepeuple, le convaincre et lui plaire. Pompéecomme César l’ont parfaitement com-pris en offrant à la Ville des édifices quiproclament à la fois leur grandeur et lavocation œcuménique de la cité.

LE SIÈCLE D’OR DE LA PAIX AUGUSTEAuguste doit, lui aussi, conquérir le peupleromain pour assurer le régime qui margi-nalise ses droits politiques. Les artistes lesplus réputés du monde romain et les plusgrands poètes s’y consacrent. Virgile,Horace, proches du riche ami du prince,Mécène, chargé du ralliement et de laséduction des élites, se font les chantreset les soutiens du pouvoir. La vulgate augus-téenne, qui leur doit tant, travaille à établirles bases symboliques du Principat autourd’une trinité organisatrice de l’ensembledes rapports sociaux et politiques : unmythe de fondation rattachant Rome àVénus, la matrice ; un passé mythique ethistorique incarné dans la gens Julia, celledu divin père d’Auguste, Jules César ; lenouvel Enée accompagné de la Victoire.Cette mystique, qui doit cimenter un Empiredisparate et canaliser des courants divers,

scelle une promesse d’avenir et annonceun « siècle d’or » conforme aux croyancescommunément répandues. La célébra-tion se recentre alors autour du prince, nou-veau fondateur de Rome, grand maître detoutes les formes de commémoration.Commémorations rituelles, autour d’au-tels dédiés par les cités de Pergame,Narbonne, Cologne, aussi bien qu’anniver-saires des événements du règne intégrésdans le calendrier, telle l’accession au pou-voir le 13 janvier 27 av. notre ère, célébrétous les ans et marqué par de grandesfêtes tous les dix ans, ou le « Retour » de

l’empereur ramené sain et sauf de la guerrepar la Fortune. La commémoration se sur-passe quand deux mois du nouveau calen-drier julien sont consacrés Juillet à JulesCésar et Août à Auguste, qui balisent alorsle temps à l’égal des dieux. La mystiqueaugustéenne se saisit également des spé-culations astrologiques très en vogue, desprésages et prédictions. La comète quipasse lors des jeux donnés pour l’anniver-saire de César divinisé en juillet 44, pré-sage manifestement heureux pour sonfils, est rappelée sur les monnaies. Augustea fait un usage systématique de son horo-scope, publié en 11, et de son signe zodia-cal, la Balance (il est né un 23 septembre)auquel il associe le Capricorne, momentde sa conception et son signe ascendant,sur ses frappes monétaires et le caméede Vienne consacré à la dynastie.Les jeux, essentiels au fonctionnement dela cité ont fait l’objet de toute l’attention duprince, qui intervient sur leur vocation, ledéroulement des cérémonies, et fixe mêmela hiérarchie sociale des places des gradins.La nouvelle orchestration de jeux anciensculmine avec les jeux séculaires de 17 avantJ.-C., clôturant un siècle de 110 ans. Pendant« trois jours radieux et autant d’aimablesnuits » selon Horace, choisi pour écrire laprière finale, les cérémonies cultuelles célè-brent passé et présent, Apollon, Diane etAuguste et annoncent un nouvel âge d’or.Autour de la famille impériale la sociététout entière est réunie, matrones et enfants,garçons et filles, gage d’avenir que chantele chœur entourant le meilleur :« O dieux, accordez des mœurs vertueusesà la jeunesse docile, accordez le repos à lavieillesse apaisée et à la race de Romulus,richesse, postérité et gloire de toute sorte »« déjà la Bonne foi, la Paix, l’Honneur, laPudeur antique et la Vertu délaissée osent

revenir et l’on voit paraître la bienheureuseAbondance avec sa corne pleine ».Ces mêmes thèmes inspirent les pro-grammes des édifices, plus pérennes quele cérémoniel de jeux. Sur l’autel de la PaixAuguste, dédié en 9 avant J.-C., confié àdes sculpteurs grecs, l’image de la Paix estassociée au mythe des origines, à la pros-périté de l’Italie sous la domination univer-selle de Rome et à la dynastie du fonda-teur. Le nouveau forum inauguré en 2 avantnotre ère, reprend la vulgate mais y ajoutel’interprétation officielle de l’histoire en fai-sant place aux grandes figures de l’époque

républicaine dont les effigies sont identi-fiées par deux inscriptions présentant leurnom et leur carrière, leur éloge et leursexploits. Scipion Emilien, Marius, Sylla,Lucullus, Pompée, réconciliés, y sont unisà l’histoire des Julii et portent leur regardsur le char triomphal d’Auguste, au centrede l’espace du forum.Rome a su cultiver le souvenir et construiresa propre histoire en la fondant égalementsur l’oubli, le silence et la condamnation dela mémoire de ses hommes politiques vain-cus ou plus tard de ses empereurs déchus.En éliminant ou en réinvestissant le réfé-rentiel culturel, le dispositif de la commé-moration augustéenne a créé un réper-toire de mythes, d’archétypes et de formesdont la plasticité et le polymorphisme ontété enrichis et transformés par les dynas-ties successives, qui y ont puisé objets,expressions, liturgies. Le christianisme enrécupérera l’efficience et en donnera unesignification plus proche du vocable « com-mémoration » français actuel. Il se trans-mettra bien au-delà de la disparition del’Empire, recomposé, à toutes les époques,Moyen-Âge, Renaissance, Révolution,XIXe siècle jusqu’aujourd’hui. Du mythe d’unpeuple élu, d’une cité promise à l’éternité,emblème de la paix comme de la guerre,« mère des lettres, des arts et des lois », dela cité-monde universelle et cosmopolite,aux grandes figures emblématiques de rup-tures ou de continuité, de liberté ou d’or-dre et de domination, les Gracques,Spartacus, César, Brutus, ces référencesont constamment nourri nos imaginaireset nos panthéons. n

« Le dispositif de la commémorationaugustéenne a créé un répertoire de mythes,

d’archétypes et de formes dont la plasticité et le polymorphisme ont été enrichis

et transformés par les dynasties successives,qui y ont puisé objets, expressions, liturgies. »

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*Marie-Claude L'Huillier esthistorienne. Elle est professeurémérite en histoire romaine àl'université du Maine.

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a révolution égyptienne du25 janvier 2011 n’a que deuxans et demi d’existence, troptôt pour mesurer soninfluence, cependant, deschangements socio-spatiaux

majeurs ont pu être décelés. Ils furentcristallisés par une extraordinaire prisede conscience de la force de la présencecollective, massive et assidue dans uneforme, l’espace public, comme vecteurdu changement. Au fil des jours, dessemaines et des mois, les articulationsentre, d’une part, des forces explosives,et d’autre part des formes inamovibles,entre ce qui est déterminant et ce qui setrouve déterminé, entre les aspirationsà l’expression démocratique et la réalitéde la répression, s’est trouvée donc pous-sée à son paroxysme, la naissance de laPolis, configuration que ces peuples n’ontjamais connue dans leur histoire. Ainsil’espace public est devenu le lieu parexcellence de la libre expression, del’exercice de la résistance, de la contes-tation et de la joie, et de la lutte contrel'exclusion. Loin de pouvoir parler detransformations morphologiques, lesinteractions entre les masses en colèreet l’espace de leurs mouvances, a générédiverses formes d’appropriation, d’adap-tation, d’attribution de nouvelles fonc-tions, d’usage et de hiérarchisation, dusens et des valeurs qui marqueront àjamais la mémoire des lieux. C’est de cesrelations dialectiques entre espace,

Les places de la colère etdu changement en ÉgypteUne analyse de la géographie d’une révolution (1/2)

Les révolutions constituent des jalons importants dans l'histoire desnations. Au cours de leurs longues trajectoires sinueuses, marquées pardes flux et des reflux, les peuples recréent l’espace et le temps et redéfinis-sent leurs devenirs.

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temps et mouvements de masses qu’ilsera question dans l’exposé qui suit.

PASSÉ ET PRÉSENT D’UNESPACE PUBLIC DIVERSIFIÉLes grandes places centrales ont tou-jours été dans les villes les lieux d’expres-sion de la puissance du pouvoir, proces-sions religieuses ou parades militaires,de festivité, de manifestation de joie etde douleurs, et de contestation. Au Caire,à l’époque moderne, la contestation ainvesti d’autres places, petites et grandes,dont on peut suivre l’évolution à traversla littérature égyptienne. Naguib Mahfouz place son premier théâ-tre de la contestation dans son romanHekayat Haretna à Beit El kadi, une placecentrale dans la vieille ville du Caire, oùmourut l’enfant Salouma, au cours d’unedes manifestations. Il y a là une référenceclaire au sort d’un autre enfant, Gavroche

dans Les misérables de Victor Hugo. Dansun autre contexte historique, au coursde la révolution de 1919, les manifesta-tions de la colère se déroulent dans d’au-tres places à l’extérieur de la vieille villetels que : Sayéda Zeinab et Bab El Hadid

où l’étudiant révolté Fahmi trouve la mort.On note aussi une extension des contes-tations vers la place Abdine où se trouvele palais royal.Ces places publiques ont donc précédéla place Tahrir comme réceptacles de lacolère, au XIXe et au début du XXe siècle.Mais elles seront reléguées au secondplan au profit de cette dernière. Celle-cijouera dorénavant le rôle de contenantet d’acteur principal au cours des évé-nements qui ont jalonné la lutte pour l’in-dépendance.La place Tahrir a été créée au milieu duXIXe siècle dans le cadre d’un projet urbaind’extension et de modernisation du Cairelancé par le Kédive Ismail en 1865. Elleprit tout d’abord le nom d’Ismailyah, etétait située à la lisière de la ville moderneen rive est. Mais c’est celle de l’Opéra,créée à la même époque à la charnièreentre Le Caire ottoman et la ville nouvelle

qui servait de lieu de rassemblement prin-cipal de la population pendant les grandsévénements festifs et politiques. Quantà Tahrir, bordée par les casernes militairesde l’occupant britannique, elle servaitexclusivement aux parades militaires.

« Au Caire, à l’époque moderne, la contestation a investi d’autres places,

petites et grandes, dont on peut suivre l’évolution à travers la littérature égyptienne. »

PAR GALILA EL KADI*

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Les territoires sont des produits sociaux et le processus de production se poursuit. Du global au local les rapportsde l'Homme à son milieu sont déterminants pour l'organisation de l'espace, murs, frontières, coopération,habiter, rapports de domination, urbanité... La compréhension des dynamiques socio-spatiales participe de laconstitution d'un savoir populaire émancipateur.

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Selon les sources historiques, la placeTahrir n’a acquis ses titres de noblessecomme site de contestation et théâtrede faits marquants qu’avec le transfertdu siège de l’université du Caire sur larive ouest et l’extension urbaine qui l’aaccompagné. De place marginale, Tahriroccupe désormais une position centraleentre les deux rives du fleuve. Qui plusest devenue le passage obligé des étu-diants en colère sur leur parcours versle palais d’Abdin, le Beit El Omma et larésidence du représentant de laCouronne à Garden City. À partir de 1935les premiers affrontements violents entrela foule enragée et les forces de l’ordreont porté Tahrir sur les fonts baptismauxcomme étant le site de la colère, de laliberté et du changement à l’échelle detoute la patrie. Elle a continué à jouer sonrôle jusqu’en 1952, où l’avènement durégime militaire plombe la vie politiqueet interdit les regroupements sans auto-risation préalable. Les places principales,Abdine, Opéra et Tahrir, qui ont subi d’im-portants changements fonctionnels etmorphologiques, sont devenus des sim-ples ronds-points. À certaines occasions

la foule était autorisée à s’y rassemblerpour écouter un discours présidentielou pour participer à des funérailles natio-nales. La polarisation des fonctions decommandement sur Tahrir, se doublepar la concentration des flux de circula-tion ; sept artères y convergent, on yimplante la station principale des auto-bus. La nouvelle place de la libération,devient le centre névralgique et l’épicen-tre de la capitale.Mais Tahrir a très sporadiquementretrouvé son rôle de lieu de contesta-tion à trois reprises avant la révolutionde janvier 2012, respectivement en 1973,1977 et 1992, avant de sombrer de nou-veau dans l’oubli. En février 1972, à l’oc-casion du mouvement estudiantin contrel’état de non guerre ni paix, les étudiantsavaient occupé la place pendant troisjours. Les 17 et 18 janvier 1977, les émeutesdu pain, les foules en colère ont occupéla place pendant plusieurs jours. En mars1992, les autorités ont permis la tenued’un grand rassemblement à Tahrir à l’oc-casion de l’inauguration d’un café cul-turel, Wadi Al Nil, qui avait été la cibled’un attentat suite à sa rénovation.

LES SITES DE LA CONTESTATION À LA VEILLEDE LA RÉVOLUTIONIl a fallu attendre 2005, la date de la créa-tion du mouvement Kéfaya, littérale-ment « ça suffit », pour que la colère selibère et recrée son réseau de lieux d’ex-pression. Ce fut d’abord le parvis du syn-dicat des journalistes au centre-villedu Caire, qui focalisa la majorité des mou-vements de contestation pendant sixans. À quelques centaines de mètres, unautre espace est né, à la place TalaatHarb, devant la célèbre librairie deMadbouli. Ici, comme ailleurs, le nombredes manifestants était très réduit, etc’était toujours les mêmes figures del’élite culturelle et politique.En 2007, la contestation de rue prendune nouvelle tournure avec le sit-in orga-nisé devant le conseil des ministres par400 fonctionnaires du service desimpôts, il a duré plus de 3 semaines. Suiteà l’attentat contre l’église des Deux Saintsà Alexandrie la veille du premier jan-vier 2011, le carrefour du quartier nordde Choubrah fait son entrée comme lieude rassemblement et point de départvers la grande place. S’y joint le parvis dutribunal de cassation au dos du palaisde justice et proche des syndicats desjournalistes et du barreau. Des nébu-leuses se forment déjà autour de Tahrirà la veille du 25 janvier. Un autre espacelinéaire apparaît aussi à la faveur de l’évo-lution des modes de mobilisation, celuides cours d’eau. On assiste donc à l’or-ganisation de chaînes humaines le longdes fronts du fleuve, des canaux et de lacôte méditerranéenne dans la majoritédes villes du Delta et de la vallée.

ET DEPUIS LE 25 JANVIERAu soir du vendredi 28 janvier 2011 quis’est terminé par le retrait de la police etson remplacement par l’armée, les révo-lutionnaires ont occupé la place Tahriren y prévoyant un long séjour et en latransformant en une petite cité. Pendantdix-huit jours, les activités culturelles etles débats politiques qui avaient lieu àTahrir ont indéniablement donné nais-sance à la Polis en Égypte. Et en dépitdes attaques des nervis de l’État qui ontculminé le 2 février, baptisé le mercredisanglant, pour déloger les manifestants,les révolutionnaires ont tenu bon,l’Égypte écrivait une nouvelle histoire,elle faisait son entrée avec fracas dansle troisième millénaire. n

*Galila El Kadi est directeur derecherche à l’Institut de recherchepour le développement (IRD).

Manifestation culturelle qui se déroule sur place Abdine tous les premiers samedis. Photos © G.EL Kadi.

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ue sont donc ces humani-tés numériques (digitalhumanities) ?

Vincent Barrellon : Dans leManifeste des humanitésnumériques

(http://tcp.hypotheses.org/318), les« humanités » et l’informatique sont pla-cées, en tant que disciplines acadé-miques, sur un pied d’égalité. Il ne s’agitpas d’une simple numérisation d’écritsavec ajout d’un moteur de recherche,d’une utilisation de solutions informa-tiques préexistantes, mais d’une « trans-discipline », d’un questionnement à dou-ble sens. De nouvelles possibilitéséditoriales peuvent être envisagées etfont émerger de nouvelles pratiques enSHS. À l’inverse, les problèmes posés parces sciences constituent autant de ques-tions inédites, potentiellement fonda-mentales en informatique. Ce dialogueentre chercheurs en informatique et enSHS constitue l’un des principaux défisà relever.Éric Guichard : Il faut aussi s’interrogersur les mots. Le terme « humanités », quifait référence à Pétrarque, à laRenaissance et aux études du XIXe siè-cle, n’était plus guère usité en France ; ilnous vient des États-Unis (humanities).

Les « humanitésnumériques » (1/2)

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« Numérique » est également confus outrompeur. Il renverrait essentiellementau travail avec des ordinateurs et enréseau. On pourrait parler de « méthodesdigitales pour sciences sociales ».

Que peut-on donc atteindre ou espé-rer de nouveau ? Les chercheurs ensciences humaines vont-ils s’effacerou se recycler douloureusement enpseudo-informaticiens ?

É. G. : On peut produire des travaux fas-cinants avec les ordinateurs, y comprisen sciences sociales, mais les disciplinesd’origine restent à l’œuvre. Par exemple,des études historiques sur les universi-tés d’Europe déboucheront sur un atlasanimé en ligne, mais cela reste de l’his-toire. Les climatologues traitent des don-nées innombrables avec les ordinateurs,mais ils font de la géographie et de la phy-sique. Sur L’Avare de Molière, on aconstruit des graphes des interactionsentre les personnages, qui améliorentnotre compréhension de l’œuvre, maisc’est toujours de l’analyse littéraire. Il y aeu un travail colossal sur L’Heptaméron

de Marguerite de Navarre, son vocabu-laire, ses champs sémantiques, maisc’était dans le registre de la langue fran-çaise.V. B. : Une édition numérique critique ougénétique est un résultat de rechercheen SHS. Elle repose sur des structuresde données inédites, ou sur des solu-tions de navigation et d’affichage inno-vantes tenant compte par exemple desdifficultés de lecture sur écran (ergono-

mie), ou visant à faciliter l’exploration decorpus éclatés par des novices (ergo-nomie cognitive), ou permettant la miseen relation de fragments documentaireséparpillés, leur annotation, etc. (infor-matique plus fondamentale). Elledébouche sur des publications et desthèses en informatique. Le numériquepeut apporter aussi une rénovation desusages et du mode de fonctionnementdes communautés impliquées, ou mêmeleur apparition. L’un des enjeux concernele travail collaboratif de recherche surun même objet (pas seulement avecwikipédia et wikisource), la capitalisation(dans le bon sens du terme) et la mise à

« Il ne faut pas confondre les humanitésnumériques, en tant que discipline, et leurs

produits : une édition électronique, unebibliothèque numérique, un portail d'accès

vers une telle bibliothèque. »

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Quelques expressions d'informaticiens, souvent en anglais, envahissent lessciences humaines et sociales (SHS) : digital humanities, open access,open source, open data, etc. Le grand public et les littéraires eux-mêmes s'yperdent un peu. Va-t-on transformer Molière en chiffres ? Tout informati-ser ? Est-ce une mode ou une révolution ?

La culture scientifique est un enjeu de société. L’appropriation citoyenne de celle-ci participe de laconstruction du projet communiste. Chaque mois un article éclaire une actualité scientifique et technique. Etnous pensons avec Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et conscience sansscience n’est souvent qu'une impasse.

ENTRETIEN AVEC VINCENT BARRELLONET ÉRIC GUICHARD*

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jour, toutes deux dynamiques, des conte-nus. En outre, la « circulation » des savoirssera, elle aussi, probablement, activéedynamiquement : les flux RSS, etc. per-mettent de solliciter les lecteurs ; desétudiants peuvent décider de « suivre »,dans le langage de Twitter, l’activité d’an-notation d’un corpus donné par leur pro-fesseur. Ce dynamisme n’est certes passans poser de problèmes. Il ne faut pasconfondre les humanités numériques,en tant que discipline, et leurs produits :une édition électronique, une biblio-thèque numérique, un portail d’accèsvers une telle bibliothèque.É. G. : On voit trop souvent les scienceshumaines comme un bloc homogène(les humanités ?), ce n’est pas le cas : lesdisciplines évoluent, émergent, décli-nent, renaissent, se métissent. Leursméthodes aussi. Par exemple, le marke-ting ou la gestion, souvent discutablessur le plan éthique et partis de bien bas,sont aujourd’hui parfois plus pertinentsque les travaux des sociologues portantsur l’Internet : parce que ces derniers nes’y sont pas intéressés. En sciencessociales, l’utilisation de méthodes infor-matiques pertinentes peut bousculer lesavoir. Le corporatisme ou la routinedans certaines disciplines ou certainsmétiers (comme l’édition) peuvent han-dicaper la recherche en relation avec lenumérique et, de fait, laisser un boule-vard à ceux qui veulent faire de l’argentdans de nouveaux secteurs de la vie cul-turelle ou sociale.

On numérise les bibliothèques : enFrance, Gallica, un service public dela Bibliothèque nationale de France(BNF) le faisait gratuitement  ;aujourd’hui, celle-ci a passé un accordavec une entreprise privée qui va ren-dre ses services payants au moinspour dix ans. D’autres bibliothèques,comme celle de Lyon, ont fait appel àGoogle. Est-ce privatiser hypocrite-ment le patrimoine ?É. G. : Qu’est-ce qu’une bibliothèqueaujourd’hui ? Comment les bibliothèquespubliques, semi-publiques, privées peu-vent-elles être mises en réseau, en par-ticulier de façon « immatérielle » ? Faut-il exclusivement raisonner en matière defonds (basculer sous forme numériquedes ouvrages imprimés), et oublier lesbases de l’informatique, comme le cata-logage ? Toutes les bibliothèques ne dis-posent pas de ce dernier outil. Parfois,elles en constituent un, sans concerta-tion, ce qui revient à donner beaucoupd’argent à des entreprises privées pourréaliser des choses que pourrait faire lafonction publique. Par ailleurs, certaines

bibliothèques se sentent propriétairesde leur fonds et ont des réticences à lemettre en ligne. Et rares sont celles quipensent à l’augmenter, avec des outilsde comparaison des textes, par exem-ple. Bref, la situation est complexe.V. B. : En abdiquant sa souveraineté surson patrimoine intellectuel, l’État et parsuite les citoyens, perdent le droit dulibre accès. Cela dit, un droit que l’onn’utilise pas ou que l’on ignore n’est plustout à fait un droit partagé : en clair, toutle monde avait-il vraiment accès à la

BNF ? Avec la mise en ligne, l’accès réelest en principe plus large. C’est sur ce« en principe » qu’il faut réfléchir. La pri-vatisation du patrimoine, malgré le numé-rique (ou à cause de lui), se trouve à mesyeux incarné aussi par des logiques de« propriétaires » de certaines grandesbibliothèques publiques qui font payeraux chercheurs l’utilisation de leurs fonds,pour des œuvres anciennes échappantnaturellement au droit d’auteur, sousprétexte que les « images numériques »sont protégées, comme toutes lesimages d’ailleurs… C’est un obstacle pourles humanités numériques.É. G. : Il faut reconnaître que Google acompris des choses, en satisfaisant desbesoins que les puissances publiquesont laissés en friche, volontairement oupar incompétence. Reste à voir les condi-tions de cette sous-traitance. Qu’en est-il au niveau des droits des fichiers géné-rés, à qui appartient le résultat ? ��

L’Union européenne parle d’openaccess pour les travaux actuellementpubliés dans des revues. On nous ditque les chercheurs, payés par leursinstituts, doivent mettre tous leursrésultats en ligne gratuitement : est-ce souhaitable ? Y a-t-il un piège ?É. G. : Il faut prendre le problème autre-ment : comprendre que les chercheurs,leurs instituts et leurs bibliothèques sontaujourd’hui spoliés par les éditeurs pri-vés de revues scientifiques, qui souventne font plus aucun travail, mais qui tirentdes bénéfices exagérés de la diffusion(en ligne) de leurs revues. Aux XIXe et audébut du XXe siècles, les savants étaientfavorables à la délégation d’un travailadministratif et technique à des éditeurs.

*Vincent Barrellon est doctorant eninformatique à l'INSA de Lyon.Éric Guichard est est maître deconférences à l'ENSSIB de Lyon etdirecteur de programme au Collègeinternational de philosophie.

Propos recueillis par Pierre Crépel.

Pour autant, les savants étaient eux-mêmes les évaluateurs des travaux deleurs collègues. Aujourd’hui, c’est pareilmais en sus, la mise en page est aussiréalisée par les chercheurs et leurs biblio-thèques doivent payer les revues qu’ilséditent scientifiquement et matérielle-ment. Des groupes comme Elsevier ouSpringer ont bâti ainsi des monopolesqui leur permettent des bénéfices ini-maginables et imposent de lourdescontraintes : les bibliothèques doivents’abonner à des « bouquets » de revues,

dont la plupart leur sont inutiles ; par-fois, si elles se désabonnent, elles per-dent l’accès aux numéros antérieursqu’elles avaient pourtant payés.V. B. : Un autre aspect est à prendre encompte. Il y a le contenu informationnelstatique (les textes et images diffusés),mais aussi les modalités d’affichage/d’ex-ploitation et les solutions informatiquesinnovantes. Se pose alors la questiondes droits sur le code (c’est-à-dire lasource) et de son accessibilité. Dans lemonde du logiciel, l’open source  est unealternative à l’open access : il impliquela libre réutilisation du code, et/ou salibre modification. Cela pose divers pro-blèmes, par exemple, des licences pro-venant du monde de l’édition logicielleet appliquées ensuite à d’autres objetspeuvent, dans leurs versions les pluslibres, contredire certains points du droitd’auteur à la française (droit de pater-nité, droit de respect de l’intégrité dutexte, droit de repentir et de retrait, droitde divulgation - dont certains sont noncessibles et inconditionnels). Tout celafait l’objet de débats et d’expériences.É. G. : En conclusion, les questions d’in-formatisation en sciences sociales, éten-dues à celles de l’édition scientifiquenous rappellent que pensée et techniquesont étroitement liées. De ce fait, les ana-lyses matérialistes conservent toute leurvigueur. n

« En abdiquant sa souveraineté sur sonpatrimoine intellectuel, l’État, et par suite les

citoyens, perdent le droit du libre accès. »

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n effet, il s’agit d’une questioncomplexe qui ne peut, ni nedoit être présentée de façonsimpliste, mais à laquelle il estpossible d’apporter uneréponse simple. L’interruption

de grossesse, qui tend, selon le diction-naire juridique de référence de GérardCornu « à empêcher le développementet à provoquer l’accouchement avantterme du fœtus » se décompose, en réa-lité, en trois hypothèses distinctes. Eneffet, l’avortement est dit thérapeutiquelorsqu’il a lieu pour protéger la santé dela mère, eugénique lorsque le fœtus estatteint d’une maladie grave et incurable,et volontaire dans les autres hypothèses.

AVORTEMENT THÉRAPEUTIQUE, EUGÉNIQUEET VOLONTAIRELes avortements dits thérapeutiques eteugéniques ne posent pas vraiment pro-blème et peuvent se pratiquer à toutmoment de la grossesse. Le premiernécessite que « la poursuite de la gros-sesse [mette] en péril grave la santé dela femme » et il est admis dans la quasi-

L’avortement :une question complexe,mais une réponse simpleÀ l'heure où l'avortement revient au premier plan de l'actualité en France,où il est question d'en renforcer la dépénalisation, et ailleurs comme enEspagne où il s'agit au contraire d'en réduire les aspects licites, il sembleessentiel de s'intéresser aux considérations qui sous-tendent les avis sur laquestion.

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totalité des pays membres du Conseilde l’Europe depuis les années 1950. Onconsidère alors, sans difficulté, que lasanté de la mère doit primer sur l’exis-tence du fœtus, qui n’est qu’un enfantfutur. L’avortement eugénique, lui, estréservé aux cas où « il existe une forteprobabilité que l’enfant à naître soitatteint d’une affection d’une particulièregravité reconnue comme incurable au

moment du diagnostic ». La précisionde la formulation permet d’éviter toutedérive relevant du choix de l’enfant par-fait, dérives potentielles dénoncéesrécemment, à tort ou à raison, par le bio-logiste Jacques Testart au propos de lafécondation in vitro. Plus récent, ce motifd’avortement date de la loi Veil du 17 jan-

vier 1975. Dans ces deux hypothèses, leconsentement de la mère à l’interrup-tion de grossesse est indispensable.La dernière hypothèse d’avortement estcelle qui est aujourd’hui contestée enEspagne et en cours de modernisationen France. Il s’agit de l’interruption volon-taire de grossesse (IVG).Avant 1975, le fait pour une femme de sefaire avorter l’exposait à une condam-

nation pénale, et le même sort étaitréservé aux faiseurs d’anges. Suite à l’évo-lution des mœurs et au Manifeste des343, la loi Veil du 17 janvier 1975 a opéréune dépénalisation partielle de l’IVG, per-mettant à « la femme enceinte que sonétat place dans une situation dedétresse » de demander à un médecin

PAR FRÉDÉRIC BARDEL*

E« Plutôt que de lutter pour le maintien d'une

condition ineffective, ces « protecteurs de la vie » ne devraient-ils pas plutôt penser

à la femme qui avorte et proposer la création d'un accompagnement

obligatoire et gratuit de la femme en raisondu traumatisme psychologique

qu'elle ne manque pas de subir ? »

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de procéder à un avortement « avant lafin de la dixième semaine de grossesse ».Il faut cependant noter que jusqu’en 1993,la femme qui se faisait avorter en dehorsdes trois cas prévus par la loi risquait laprison ferme, alors qu’elle est aujourd’huiin susceptible de poursuites pénales.Cependant, les personnes lui apportantune aide quelconque sont toujourspunissables. En 2001, la loi a étendu ledélai de l’IVG à douze semaines, et il estaujourd’hui question de supprimer lacondition de détresse. À propos de lacette dernière, le Conseil d’État consi-dère qu’elle est laissée à la libre appré-ciation de la femme, ce qui en paralysel’effectivité, faisant de l’IVG un acte pure-ment volontaire. Notons, au passage,que l’avortement a été dépénalisé enURSS dès 1920.

La question de l’avortement volontaireest des plus complexes pour une raisonsimple : la science ne parvient pas àdéterminer avec certitude le momentoù commence la vie. Si certains intérêtspeuvent légitimer l’atteinte à la vie d’unepersonne, tels la légitime défense, la pro-tection d’une vie en cours face à une vieà venir ou encore la qualité de la vie àvenir, il est évident qu’une déclarationde volonté discrétionnaire ne peut entraî-ner la mort d’un individu. L’alternativeest alors simple : tant que l’embryon n’estpas une personne humaine vivante, l’IVGest possible, dès que l’embryon vit, l’IVGdevient une atteinte à sa vie. La difficultévient de la détermination du seuil dudébut de la vie. Sur ce point, la science n’a pas encorede réponse. Le Comité national d’éthiquedéclare que l’embryon est « une per-sonne humaine potentielle » réponseconsacrant à la fois la qualité d’êtrehumain à l’embryon et son caractèrepotentiel et non certain, et n’apportantdonc rien au débat. En tout état de cause,il semble difficile de considérer qu’unamas de cellules informes, non viablesen dehors de l’utérus soit un être humainvivant, tout comme il semble absurdede considérer qu’un fœtus ayant l’appa-rence d’un nourrisson et étant viablemalgré le fait qu'il ne soit pas complète-ment à terme ne soit pas une personnehumaine à part entière. La réponse se

situe vraisemblablement entre ces deuxextrêmes, un groupe scientifique del’Organisation mondiale de la santé (OMS)posant la limite de viabilité du fœtus à26 semaines, et recommandant que lesavortements n’interviennent pas après20 semaines en raison des risques accruspour la mère.

LES DIFFÉRENTES LÉGISLATIONS EN EUROPELes législations des pays d’Europe varientaujourd’hui d’une prohibition constitu-tionnellement garantie de l’avortement,en Irlande où la vie commence dès lafécondation, à un délai de vingt-quatresemaines au Royaume-Uni, la plupartétablissant un délai de douze semaines,comme en France. Cependant, l’inter-ruption illégale de grossesse est moinsgravement réprimée qu’un meurtre,notamment en France, où l’auteurencourt deux ans d’emprisonnement etnon trente ans de réclusion.De plus, en France, l’IVG est soumise àdes formalités, notamment l’informa-tion des risques médicaux encourus parla mère, la nécessité d’un consentementécrit renouvelé après un délai de réflexiond’une semaine et l’obligation d’uneconsultation auprès d’un psychologueou d’une association agréée pour lesmineures. En principe, ces formalitésont un but légitime d’information, maisil arrive qu’il s’agisse, comme enAllemagne, d’une véritable propagande

anti-avortement. Il a ainsi été constatéun recul de l’accès à l’avortement danscertaines régions.Si la question est complexe, rien n’em-pêche que la réponse soit simple. Eneffet, puisqu’il est indéniable que la viecommence au plus tard à la vingt-sixièmesemaine, autant laisser la femme dispo-ser librement de son corps jusqu’à cettelimite certaine, plutôt que de la limitersur des suppositions incertaines quantau caractère vivant de l’embryon. Seulela préconisation des experts de l’OMSdevrait permettre d’abaisser le seuil delégalité de l’IVG à vingt semaines en consi-dération des risques encourus par lamère au-delà.

Lors de la récente discussion àl’Assemblée nationale, de nombreuxanti-avortements se sont élevés contrela suppression de la condition dedétresse, craignant la création d’un avor-tement de confort. Ils n’ont à l’évidencepas eu à supporter le traumatisme phy-sique que constitue un avortementmédicamenteux, qui n’incite pas à renou-veler l’expérience, bien moins agréableque celle de la conception. Plutôt quede lutter pour le maintien d’une condi-tion ineffective, ces « protecteurs de lavie » ne devraient-ils pas plutôt penserà la femme qui avorte et proposer la créa-tion d’un accompagnement obligatoireet gratuit de la femme en raison du trau-matisme psychologique qu’elle nemanque pas de subir ? La discussion duprojet de loi prévue au Sénat le 17 avril2014 semble dès lors tout indiquée, etpermettrait également de rappeler quel’entrave à l’IVG est un délit puni d’em-prisonnement. n

*Frédéric Bardel est étudiant endroit de second cycle.

« Puisqu'il estindéniable que la vie

commence auplus tard à la vingt-sixième semaine,

autant laisser lafemme disposerlibrement de son

corps jusqu'à cettelimite certaine. »

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PAR NINA LÉGER

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Sondage Opinion Way pour le Conseil économique, social et environnemental :Le dialogue social : arme contre le chômage et pour la croissance ?, janvier 2014.

Et voilà un sondage comme on les aime : les questions sontfaites pour donner les réponses. Mais entre les lignes, c'estune autre réalité du pays qui se lit. Commandée par le Conseiléconomique, social et environnemental, cette enquêteOpinion Way est assez étonnante : le mot syndicalisme aété remplacé par « dialogue social ». Voici la formule : « Diriez-vous que les relations actuelles entre les syndicats et lesemployeurs sont un atout, un frein ou sans effet... » sur lacroissance, les conditions de travail, les salaires, l'emploi...

Ce n'est pas le syndicalisme, c'est l'échange qui fait tout !Ce n'est pas la lutte, c'est le dialogue ! Bien, mon but n'estpas de m'appesantir là-dessus. Ce sont les résultats quiinterpellent. Quelle que soit la question, voici les trois caté-gories qui sont les plus enclines à considérer ce fameux« dialogue » – c'est à dire le syndicalisme, comme un atout :les femmes, les 18-24 ans, les employés des services. Ceux-là ont, plus que les autres, le regard tourné vers le syndica-lisme. Pardon, vers le dialogue...

DIRIEZ-VOUS QUE LES RELATIONS ACTUELLES ENTRELES SYNDICATS ET LES EMPLOYEURS SONT UN ATOUT,

UN FREIN OU SANS EFFET... ?

MOYENNE

30 %

FEMMES

32 %

18-24 ANS

34 %

SERVICES

33 %Pour l’améliorationdes conditions de travaildes salariés

17 % 18 % 18 % 18 %Pour l'emploi

15 % 16 % 17 % 16 %Pour la croissanceet la performance des entreprises

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Que les défenseurs autoproclamés de la « famille tradition-nelle », que l’on a décidément beaucoup entendus ces der-niers mois, se rassurent : leur modèle reste encore largementpréservé en France. C’est ce que montre, en tout cas, l’en-quête Familles et logements 2011 de l’INSEE, dont les pre-miers résultats ont été publiés à la fin de l’année dernière.

En effet, plus de 70 % des familles avec des enfants mineurssont des familles traditionnelles, c’est-à-dire, dans la défini-tion statistique, des familles où tous les enfants présents sontceux des deux membres du couple. Cette proportion est enlégère baisse, d’environ deux points, par rapport à 2006. Lesautres familles sont soit des familles recomposées (9,3 % desfamilles avec mineur), c’est-à-dire où au moins un des enfantsn’est pas l’enfant de l’union actuelle, ou bien des familles mono-parentales (20,3 %).

Les familles recomposées ayant plus d’enfants que les famillestraditionnelles (2,3 enfants en moyenne contre 1,9), la pro-

portion d’enfants vivant dans une famille recomposée estlégèrement plus importante. Ainsi, ce sont 11 % des enfantsde moins de 18 ans vivant en France métropolitaine, qui viventdans une famille recomposée, soit environ 1,5 million d’entreeux. 9,8 millions d’enfants vivent dans une famille tradition-nelle, et 2,5 millions d’entre eux vivent dans une famille mono-parentale, la plupart du temps avec leur mère.

D’après la définition adoptée par l’INSEE, vivre dans une famillerecomposée ne signifie pas nécessairement vivre avec desdemi-frères ou des demi-sœurs. En fait, parmi les 940 000enfants qui résident avec un beau-parent (la plupart du tempsun beau-père), 430 000 vivent sans demi-frère ni demi-sœur.Pour les 510 000 autres enfants, la cohabitation se fait soitavec des enfants dont ils partagent un parent (410 000 d’en-tre eux), soit avec des enfants de leur beau-parent avec les-quels ils n’ont aucun lien de parenté direct (100 000 enfants,on parle alors de quasi-frère ou quasi-sœur).

PAR MICHAËL ORAND

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La famille traditionnelle encorelargement majoritaire en France

RÉPARTITION DES ENFANTS VIVANT EN FRANCE SELON LEUR TYPE DE FAMILLE

Source : Insee, enquête Familles et logement

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orsque l’on aborde la questionukrainienne, l’appel au silencesemble être de mise. Les jour-nalistes ont été appelés à « seconsacrer à des sujets moinsambivalents » que le mouve-

ment contestataire de la place Maïdan.Ceci afin de ne pas servir « une formed’impérialisme ultra-national de soucherusse » selon les mots d’un collectif dechercheurs ukrainiens, relayés par Jean-Christophe Marty de Mediapart (24/02).Toute remise en question du nationa-lisme des acteurs du mouvementEuromaïdan et de leur ancrage dans legouvernement provisoire d’ArseniiYatseniuk annoncé sur la place del’Indépendance de Kiev, le 26 février der-nier, semble être prohibé. Oser lecontraire nous assimile d’emblée au« réseau pro-russe » qui regrouperaitaussi bien des journalistes de média alter-natifs de gauche américains comme AlecLuhn de The Nation, le sulfureux – carmarxiste – Seumas Milne du Guardian,et le controversé Centre pour larecherche sur la mondialisation, connunotamment pour accueillir des conspi-rationnistes comme Thierry Meyssan,basé à Montréal (Nouvelles d’Ukraine,5/02). Cette population bigarrée estaccusée de discréditer le mouvementd’Euromaïdan en le présentant commeétant une manifestation d’extrême droite.Pendant ce temps, Bernard-Henri Lévy,docteur honoris causa en mouvementsnationalistes et ministre des Affairesétrangères bis de la France, clamait surle plateau d’ITélé de Laurence Ferrari du

Euromaïdan : couvrezces extrémistes que je ne saurais voir

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25 février dernier que « Svoboda » était« moins fasciste que le Front National ».Il ajoutait même que le parti Svobodaétait en « perte de vitesse » alors quel’on retrouvait le lendemain, lors de l’an-nonce de la composition du gouverne-ment, un de ses membres, OleksandrSych, au poste de vice-premier ministreauquel il faut rajouter sept autres por-tefeuilles tenus par l’extrême droite.

QUI SE CACHE DERRIÈRE LES MANIFESTANTSD’EUROMAÏDAN ?Si on observe la composition sociale desmanifestants de la place Maïdan, elle aévolué au cours des mois, passant d’unemajorité de membres issus des classesmoyennes pro-occidentales, partisansdes partis d’opposition au régime deIanoukovitch, à des classes plus popu-laires, en réponse aux répressions poli-cières (Article 11, 28/02). Si on pouvaitretrouver parmi eux des agents de sécu-rité, des instituteurs ou encore des ven-deuses de supermarché (Le NouvelObservateur du 27/02 au 5/03), on a sur-tout assisté à une instrumentalisation par-tisane de la contestation. Un manifestantet syndicaliste de l’Union autonome desouvriers d’Ukraine a dit avoir observé quec’était chez les classes moyennes et lajeunesse étudiante de la place Maïdanque les partis d’extrême droite ont recrutéleurs activistes (avtonomia.net, 20/02).C’est ainsi que le parti Svoboda (Liberté)– et son chef Oleh Tyahnybok –a pu gagnerune certaine importance au cœur de lacontestation. Quant à Dmytro Yarosh, lea-der du groupe paramilitaire Praviy Sektor(Secteur droit) – une bannière quiregroupe quatre groupuscules d’extrêmedroite Tryzub (Trident), UNA-UNSO,Patriotes de l’Ukraine et Billy Molot – il aimplanté son mouvement national-socia-liste chez les travailleurs précaires et les

chômeurs d’Ukraine occidentale. Ces filsembarrassants de la place Maïdan (FranceInfo, 10/03) sont dans les coulisses dupouvoir et se sont vus proposer les postesde vice premier ministre pour OlehTyahnybok, et de vice-secrétaire duConseil de sécurité national pour DmytroYarosh. Les deux hommes ont décliné cesoffres, préférant placer des proches aucœur du pouvoir en attendant mieux peut-être pour eux.

UNE RÉVOLTE NATIONALISTE ENCADRÉEPAR DES EXTRÉMISTESLe mouvement s’est limité au square bap-tisé Euromaïdan, il n’y a eu aucune mobi-lisation générale de la population et on aignoré l’autre Ukraine qui n’est pas mon-tée sur les barricades et celle qui peut êtreà la fois russophone et patriote commel’ont clamé des étudiants de l’Universitéde Donetsk, dans la partie orientale dupays (Télérama, 22/03). La vie en Ukrainea suivi son cours, seuls quelques étudiantsont tenté de lever des mouvements degrève dans les universités qui furent touscassés par des milices d’extrême droite.Dans les premiers jours de la contesta-tion, les partis de l’opposition n’ont pas suréagir et ont laissé à Svoboda et aux autresgroupes nationalistes et racistes la main-mise sur le mouvement de la place Maïdan(Asheville FM Radio, 4/01). Comme le sou-ligne Emmanuel Dreyfus, dans Le Mondediplomatique du mois de mars, Maïdans’est rapidement métamorphosée, pas-sant d’un rassemblement pro-européenà une révolte de tous bords contre lerégime de Ianoukovitch mais égalementcontre les partis d’opposition. Les groupesextrémistes ont réussi à rapidement inves-tir toutes les activités de l’occupation deMaïdan, en mettant en place des groupesparamilitaires, les Sotnia, dans le but d’as-surer l’autodéfense de la place. Ces

PAR ANTHONY MARANGHI

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groupes – restés sous la direction de chefsde Svoboda qui excluaient toute autremilice « racialement impure » (Article11,28/02) – ont organisé la prise de la mai-rie et n’ont pas voulu la rendre, s’oppo-sant ainsi à d’autres manifestantsd’Euromaïdan. Pétro, qui se présentecomme anarchiste, est désillusionné :«  Maintenant, on voit des gens del’Euromaïdan qui s’opposent à des gensde l’Euromaïdan. On n’a même plus besoinde la police pour s’affronter » (Libération,16/02). Après la fuite du présidentIanoukovitch et de ses proches, le 23février dernier, il n’a pas été étonnant devoir que ces derniers se sont égalementemparés des bâtiments officiels avec lesoutien de la police de Kiev qui s’est ran-gée à leurs côtés.

UN GOUVERNEMENT EN MALDE DÉMOCRATES ET DECASIERS VIERGESSi l’instauration d’un gouvernement pro-visoire – composé de 21 membres – aété présentée comme une victoiredémocratique, il célèbre aussi l’arrivéeau pouvoir de toute une frange extré-miste accolée à des leaders plus atlan-tistes que pro-européens, du parti del’ancienne Premier ministre IouliaTymochenko installée par l’OTAN, ayantdéjà trempé dans des scandales de cor-ruption et de collusion avec des oli-garques. Aux finances, Oleksandr Shlapakancien ministre de l’Économie sous laprésidence de Leonid Kuchma, a égale-ment été à la tête d’un conglomérat debanques – dont PrivatBank, premièrebanque d’investissement du pays –auprès de l’oligarque Kolomoïsky, prin-cipal actionnaire de Privat Group. Et onretrouve à des postes stratégiques pasmoins de sept ministres apparentés àSvoboda et Priviy Sektor.

Commençons le tableau des nazillonsavec un poste clé et non des moindres,celui de second vice-premier ministre,occupé par Oleksandr Sych, membre duparti Svoboda élu à la Rada (le parlement)en 2012. Outre le fait qu’il veuille abolirl’avortement même en cas de viol, Sychs’est aussi illustré pour son anticommu-

nisme virulent via l’interdiction du Particommuniste d’Ukraine dans sa régiond’Ivano-Frankisvk. À la présidence duConseil de sécurité nationale, on retrouveAndriy Parubiy, le fondateur du Parti natio-nal-social, ancêtre de Svoboda, en 1991avec Oleh Tyahnybok. Ancien « Com -mandant » des groupes paramilitaires dela place Maïdan et paranoïaque, Parubiya décrété que le pays était « infiltré » pardes Russes à tous les niveaux (Kyiv Post,14/03). On retrouve à ses côtés, au postede ministre de la Défense, Ihor Tenyukh,membre de Svoboda et ancien comman-dant en chef de l’armée navale ukrai-nienne qui – lors du mouvementEuromaïdan – a appelé les forces arméesà commettre des actes illégaux (BBCNews, 19/01). À un autre poste majeur,celui de procureur général, on retrouveégalement un autre membre de Svoboda,Oleh Makhnitsky, qui dispose du pouvoirsuprême sur le plan judiciaire et qui peutinculper tout élu, ce qu’il a déjà fait enaccusant de « criminel » Sergueï Aksionov,leader criméen pro-russe (Time,10/03/2014). Pour ce qui est du minis-tère de l’Agriculture, il a été confié à IhorShvaika, député du parti Svoboda élu àla Rada en 2012 et l’un des hommes lesplus riches du pays en tant qu’oligarquede l’agroalimentaire. Vous avez dit conflitsd’intérêts ? Le ministère de l’Écologierevient également à un membre du partiSvoboda, Andriy Mokhnyk, ancien envoyéspécial dans les partis extrémistes euro-péens et connu pour être un faroucheopposant aux énergies renouvelables,ce qui satisfera les multinationales dusecteur énergétique traditionnel. À l’Édu-cation, Serhiy Kvit a fréquenté diversesorganisations néonazies dont le« Trident », mouvement d’extrême droitedont Praviy Sektor utilise le site Internet(Slate, 23/01). À la tête de la prestigieuseuniversité ukrainienne de Kyiv Mohyladepuis 2007, il n’a jamais eu le soutiende la communauté étudiante qui préfé-rait un autre ministre (Kyiv Post, 27/02).Aux Sports, on retrouve un des leadersde la place Maïdan, Dmytro Bulatov,connu pour ses liens étroits avec legroupe fasciste Praviy Sektor.Enfin, pour couronner le tout, plusieurs

personnalités déjà accusées de corrup-tion et de détournements de fonds ontété reconduites au pouvoir. LyudmylaDenysova, ministre des Affaires sociales,poste qu’elle a déjà occupé sousTymoshenko, n’est pas étrangère auxcontroverses. En 2012, une campagnenon-gouvernementale pour la transpa-rence a déclaré la « haute probabilité »que Denysova ait été impliquée dansune affaire de népotisme, d’abus de pou-voir et de détournement de fonds de60  millions de hryven (environ4 600 000 euros) sans qu’aucune affairejudiciaire n’ait été ouverte. Arsen Avakov,ministre de l’Intérieur et ancien chef decampagne de Ianoukovitch, a été accuséde privatisation illégale de terres et d’abusde pouvoir. Bien qu’en étant sur la listedes personnes recherchées par Interpol(Kyiv Post, 21/03/2012), cela ne l’empêchepas d’être l’un des membres les plusinfluents de l’Union panukrainienne« Patrie », parti dirigé par Tymochenko,depuis la contestation.

Il faudra attendre l’élection présiden-tielle du 25 mai, pour qu’il y ait un quel-conque changement dans ce petit théâ-tre des horreurs dont on souhaite effacerles idées néonazies à travers la pseudo-respectabilité d’un gouvernement « révo-lutionnaire » à l’image de la mutation desextrêmes droites en Europe, commenous le rappelle Jean-Yves Camus (LeMonde diplomatique, mars  2014).Pourtant, comme l’ajoute EmmanuelDreyfus dans le même numéro, on faitbien face à un « malaise identitaire » oùle succès de Svoboda sur la place Maïdancomme au gouvernement s’est accom-pagné de celui de groupes néofascistescomme Praviy Sektor. Enfin, aucune élec-tion législative n’a été prévue alors quela Rada est en décomposition, qu’elleest soumise à des groupes de pressionextérieurs et aux influences extrémisteset que le retour à la Constitution de 2004lui restitue des pouvoirs importants faceau président. n

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Lire, rendre compte et critiquer, pour dialoguer avec les penseurs d'hier et d'aujourd'hui, faireconnaître leurs idées et construire, dans la confrontation avec d'autres, les analyses et le projetdes communistes.

Les vertus démocratiques du tirage au sort

PAR FLORIAN GULLI

Nombreux sont les observateurs qui diagnostiquent unecrise de la politique, un « désenchantement » ou encoreune « fatigue » démocratique. Parallèlement à cette crise,on assiste à une floraison d’expériences démocratiquestémoignant d’une puissante imagination institutionnelle:des « jurys citoyens » berlinois aux « sondages délibératifs »australiens en passant par l’ « assemblée citoyenne » deColombie britannique au Canada. Toutes ces expériencesont un air de famille. Elles misent sur la participation descitoyens plutôt que sur la délégation de pouvoir à des repré-sentants. Elles placent aussi au cœur de la dynamiquedémocratique le tirage au sort des citoyens amenés à par-ticiper aux délibérations. L’insistance sur la participationcitoyenne n’est pas étonnante ; l’utilisation du tirage ausort l’est davantage. N’est-ce pas abandonner le procédémême qui définit la démocratie? Les mots « démocratie »et « élection » ne sont-ils pas synonymes?

DÉMOCRATIE ET ÉLECTIONEn réalité, « démocratie » et « élection » sont devenues syno-nymes au début du XIXe siècle, après s’être longtemps oppo-sées. Pour s’en convaincre, il suffit de lire Montesquieu: « Lesuffrage par le sort est de la nature de la démocratie; le suf-frage par choix est de celle de l’aristocratie ». Nous sommesen 1748. Le philosophe considère que l’élection est un pro-cédé aristocratique. Rousseau parlera, quant à lui, « d’aris-tocratie élective », expression si curieuse aux oreilles desmodernes, mais qu’un citoyen de l’Athènes démocratiqueaurait tenue pour une évidence. Les membres du Conseildes Cinq-Cent, ceux du Tribunal du peuple, les magistrats,étaient tous tirés au sort parmi les citoyens. On recourait lemoins possible à l’élection qui paraissait bien peu compa-tible avec la démocratie. Aristote reconnaît d’ailleurs expli-citement le caractère oligarchique de l’élection. Pourquoila démocratie grecque a-t-elle donné une telle place autirage au sort? La sélection aléatoire est la seule procéduregarantissant l’égalité des chances d’accéder au pouvoir. Ladémocratie est alors « le pouvoir de n’importe qui » (JacquesRancière). L’élection est par contraste inégalitaire; l’accèsau pouvoir est réservé à une minorité. Elle favorise les indi-vidus dotés de qualités les distinguant du reste de la popu-lation. Elle favorise ceux qui sont déjà connus. Elle favorise

enfin la richesse puisque la diffusion des idées et des pro-grammes suppose de l’argent.Que s’est-il donc passé? Comment en sommes-nous venusà considérer comme éminemment démocratique, la pro-cédure qui avait jusque-là été regardée comme aristocra-tique? Comment expliquer que nous ayons presque finipar oublier la désignation par tirage au sort qui ne subsisteplus aujourd’hui que pour la sélection des jurés aux jurysd’assises?

Il faut d’abord revenir à la Révolution Française. C’est à cemoment que le système politique que nous connaissonsse met en place. Ce système est le « gouvernement repré-sentatif », explicitement pensé par opposition à la « démo-cratie ». L’ouvrage de Bernard Manin, Principes du gouver-nement représentatif, s’ouvre sur ces mots: « Les démocratiescontemporaines sont issues d’une forme de gouvernementque ses fondateurs opposaient à la démocratie ». Sieyès,par exemple, ne cessera de souligner la « différence énorme »entre les deux types d’organisation. Au même moment, del’autre côté de la Manche, le philosophe Burke, se souve-nant des procédures démocratiques antiques, lui fera écho:tout ce qui « va dans le sens du tirage au sort ou de la rota-tion ne saurait convenir à un gouvernement qui s’occupede choses sérieuses ».Le seul gouvernement légitime à l’aube du XIXe siècle sem-ble donc être le gouvernement représentatif : désignationpar élection de représentants et non participation directedes citoyens et sélection aléatoire. Le suffrage est censi-taire ; il faut s’acquitter d’un impôt élevé pour élire et sefaire élire. Les luttes sociales vont se déployer dans ce cadre.Elles porteront la revendication d’un élargissement du suf-frage mais elles ne questionneront pas le principe électiflui-même. Avec les victoires du mouvement ouvrier, onassistera à une démocratisation de l’élection. Démo -cratisation problématique étant donné le caractère aris-tocratique de la procédure élective.Comment comprendre que les partisans de l’égalité auXIXe siècle ne se soient pas approprié le tirage au sort quigarantit pourtant l’égalité devant le pouvoir? Pourquoi latradition socialiste a-t-elle si souvent misé sur la partici-pation directe en oubliant la désignation aléatoire? Et paral-lèlement, comment expliquer que les expérimentationsdémocratiques les plus contemporaines aient renoué aveccette procédure?

Démocratie et élection de représentants n'ont pas toujours été synonymes.Dans l'antique démocratie athénienne notamment, c'était le tirage au sort quiservait à désigner les responsables politiques. Avec la crise de la démocratiereprésentative telle qu'elle existe aujourd'hui en France, les réflexions sur letirage au sort peuvent acquérir une actualité nouvelle.

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Bibl• MICHEdu Mede• BENOITsecrète d« RéprimAgone, n

• ANNIE sous l’oc• YVES Ctransnatil'autorité• HERVÉdécideur• MICHAhommes • JEAN-Cdes patro• RENAUPatrons

Première raison avancée par Bernard Manin: ce qui légi-time désormais l’autorité chez les modernes, ce n’est plusla religion, mais le consentement et la volonté des hommes.Or le sort ne fait intervenir ni l’un ni l’autre. Il est indénia-ble par ailleurs qu’il avait une forte coloration religieusepour les Grecs: être désigné par le sort, c’était être choisipar les dieux.Autre raison. Dès lors que le gouvernement légitime, legouvernement représentatif, est pensé comme gouverne-ment des « meilleurs » et des plus capables, le tirage au sortperd tout son intérêt. « Même dans une optique démocra-tique radicale, écrit Yves Sintomer, au nom de quoi aurait-on pu donner de façon aléatoire à une fraction restreintede citoyens, plutôt qu’aux autres, la possibilité de gouver-ner? Tant qu’à faire de confier le pouvoir à quelques-uns,n’était-il pas plus logique de la confier aux plus capables? ».Dans un ordre social où les individus ont grosso modo lesmêmes savoirs et les mêmes compétences, le tirage au sortpeut sembler pertinent. Dans une société fortement dif-férenciée où le travail est très divisé, il ne l’est plus.Ces deux premières raisons semblent condamner l’usagepolitique du tirage au sort, le renvoyant à une période his-torique révolue. Mais il y a une troisième raison expliquantà la fois l’oubli du tirage au sort au XIXe siècle et sa réap-parition récente. Pour Yves Sintomer, le tirage au sort rede-vient intéressant lorsqu’il est relié à l’idée « d’échantillonreprésentatif ». Cet outil statistique est aujourd’hui banal,mais il n’a été élaboré scientifiquement qu’à la fin duXIXe siècle. L’idée est simple: « un échantillon de 1000 per-

sonnes choisies de façon aléatoire permet d’avoir un micro-cosme de la population française, avec une marge d’er-reurs de quelques pour cent ». Le tirage au sort acquiertdonc une nouvelle signification: il n’est plus seulement lemoyen de nous mettre à égalité devant le pouvoir, il estsurtout désormais un instrument permettant de construiredes « microcosmes représentatifs ». Dans une assembléetirée au sort, il y a aura la même proportion d’hommes, defemmes, d’ouvriers, de cadres, de jeunes, de moins jeunes,etc. que dans la population. L’assemblée est à l’image dela société. La sélection aléatoire est alors un bon moyen deremédier à la sous-représentation des classes populairespar exemple dans l’espace public.

DES PROPOSITIONS DE TRANSFORMATIONSINSTITUTIONNELLESS’appuyant sur les caractéristiques du tirage au sort (l’éga-lité et le microcosme représentatif) et sur les expérimen-tations démocratiques les plus contemporaines, David VanReybrouck propose, dans un livre récent, quelques voiesde transformations institutionnelles. Il plaide en particu-lier en faveur d’un « système bireprésentatif » : une assem-blée élue et une assemblée tirée au sort. « Le système bire-présentatif est actuellement le meilleur remède ausyndrome de fatigue démocratique dont souffrent tant depays. La méfiance réciproque entre gouvernants et gou-vernés diminue lorsque les rôles ne sont plus séparés dis-tinctement. Les citoyens qui obtiennent l’accès au pou-voir par tirage au sort découvrent la complexité de lanégociation politique. Le tirage au sort est une formidableécole de démocratie. De leur côté, les politiciens décou-vrent aussi un aspect de la population qu’ils sous-estimentle plus souvent: sa capacité à prendre des décisions ration-nelles, constructives. Ils constatent que certaines lois sontadoptées plus facilement quand les citoyens sont impli-qués d’emblée. Quand le soutien de l’action publique serenforce, la capacité d’action augmente. En somme, lemodèle bireprésentatif est une thérapie relationnelle pourgouvernants et gouvernés ».Les réflexions autour du tirage au sort, si elles n’apportentpas de solutions miracles à ce que de nombreux observa-teurs nomment « la crise de la politique », peuvent néan-moins venir nourrir notre imagination institutionnelle.Faudra-t-il accorder une place à ce mode de désignationdans la VIe République? n

Bibliographie• BERNARD MANIN, Principes du gouvernementreprésentatif, Champs Flammarion, 1996.

• YVES SINTOMER, Petite histoire de l'expérimentationdémocratique, Tirage au sort et politique d'Athènes à nosjours, La découverte, 2011.

• DAVID VAN REYBROUCK, Contre les élections, Actes sud,2014.

La guerre des forêts Luttes sociales dansl’Angleterre du XVIIIe

siècleLa Découverte, 2014 (1reversion en anglais en 1975)

EDWARD PALMER THOMPSON,PRÉFACE ET POSTFACE

PHILIPPE MINARD.

PAR STÈVE BESSAC

Ce livre est la version traduite (et abrégée) de Whigs etHunters, deuxième livre phare de l’historien anglaisEdward Palmer Thompson après La formation de la classeouvrière (1963 en anglais, 1988 en français). À la foissavant et engagé politiquement, ne délaissant jamaisl’étude approfondie du passé pour une dogmatique, E. P.Thompson concilie sa profession d’historien et ses préoc-cupations civiques en cherchant à comprendre les luttessociales dans les forêts anglaises de la première moitié

du XVIIIe siècle. Pour ce faire, il part d’une loi particu-lière, le Black Act de 1723 et, dans cet ouvrage, de deuxétudes cas, les forêts de Windsor et de Hampshire.E. P. Thompson s’intéresse donc au Black Act car cettelégislation, adoptée très facilement par le parlement, estextrêmement répressive, condamnant à la peine de mortles auteurs de braconnage et de tous les actes « contrel’ordre public, contre l’administration de la justice pénale,contre la propriété, contre la personne [du propriétaire],certains dommages malveillants faits à la propriété ». Entout, plus d’une cinquante de délits sont passibles de lapeine capitale. L’auteur démontre que cette loi a pourobjectif de consacrer la propriété privée individuelle etainsi de permettre l’accumulation primitive de capital.Avant 1723, le braconnage est déjà considéré comme undélit, pratiqué par de nombreuses couches de la popu-lation mais moins sévèrement réprimé, une sorte d’ac-cord tacite autorisant une utilisation personnelle des res-sources forestières. Or, à partir de 1716, un train de loisvise à lutter de manière énergique contre le braconnageavec des mesures de plus en plus répressives. Cela conduità une meilleure organisation de la part des braconniersavec le passage d’un braconnage individuel à un bracon-

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nage collectif, le nombre permettant de dépasser la sur-veillance des gardes forestiers. E. P. Thompson analysecette pratique du braconnage – le blacking (car les bra-conniers se peignent le visage en noir) – comme une luttecontre le grignotage seigneurial des droits coutumiersde la part de la communauté paysanne : les Blacks sontalors « des habitants de la forêt, armés, qui imposaientpar la force la définition des droits à laquelle le peupledes campagnes avait été habitué, et qui résistaient […]à la mise en place de clôtures menaçant leur libre utili-sation des terres cultivées, des sources de chauffage etde pâturages ». La sévérité du bloody code (code sanglant)de 1723 est alors liée, d’une part, à la redéfinition de lapropriété, opposant droit de propriété coutumier et droitde propriété individuelle, utilisateurs et exploiteurs et,d’autre part, à la crainte qu’a le gouvernement face à cemouvement qui bénéficie d’un fort soutien populaire.Dans sa conclusion qui a donné lieu à de nombreuxdébats et méprises, E. P. Thompson mène une réflexionsur le droit et s’oppose aux « marxistes structuralistes »c’est-à-dire aux althussériens et en premier lieu à PerryAnderson. Pour ces derniers, le droit n’est que la super-structure qui reflète les rapports de production et sertalors d’instrument de domination. Renouvelant la théo-rie marxiste du droit, l’historien de « l’École de Warwick »démontre, à partir de son étude, que le droit n’est pasuniquement cela mais peut aussi être un instrument auservice des dominés (cela est confirmé par l’ouvrage desynthèse de Liora Israël, L’arme du droit) : ces derniersse battent aussi « pour leurs droits par le droit » et obtien-nent parfois gain de cause. En somme, pour E.P. Thompson, les conflits de classe s’expriment égale-ment sur le terrain du droit.

Peut-on sauver lesforêts tropicales ?Presses de Sciences-po,2013

ROMAIN PIRARD

PAR IGOR MARTINACHE

Au nom de la lutte contre le chan-gement climatique, celle contrela déforestation a été inscrite à

l’agenda politique international, et en particulier parl’Organisation des nations unies, à travers plusieurs dis-positifs, dont le principal s’intitule Redd+ (réduction desémissions dues à la déforestation et à la dégradationforestière). Celui-ci regroupe en réalité un ensemble assezdisparate d’initiatives locales dont certains présupposéssont quelque peu problématiques. Économiste spécia-liste de l’Indonésie, l’auteur met ainsi en évidence à tra-vers cette thématique un certain nombre d’enjeux plusgénéraux des politiques écologiques. Après avoir mis enévidence les enjeux concernant la mesure – plus com-plexe qu’il n’y paraît – de la déforestation et de ses consé-quences, Romain Pirard met en particulier en évidenceles limites des mécanismes dits « de marché » – cettenotion y étant cependant comprise avec une géométrievariable – qui sont aujourd’hui largement dominants enla matière. Ceux-ci consistent en résumé à donner unprix à la nature, en valorisant « les services écosysté-miques » rendus par ses éléments ou organisant le négoce« de droits à polluer ». Cette vision utilitariste et préten-dument pragmatique est aujourd’hui assumée par la plu-

part des gouvernants – y compris le gouvernement équa-torien de Rafael Correa dont l’auteur critique vertementl’initiative Yasuni-ITT, aujourd’hui avortée, qui consis-tait à demander à la « communauté internationale » dedédommager sa renonciation à exploiter les ressourcespétrolières présentes sous le parc naturel du même nom.Mais elle échoue pourtant bel et bien à atteindre sesobjectifs. Constatant que là aussi l’invocation de la tech-nicité économique contribue à évacuer le débat poli-tique, l’auteur en appelle ainsi à substituer à cette appli-cation de rustines un véritable changement de cap enmatière de développement économique. S’il reste assezévasif sur les contours que pourrait prendre ce dernier,son ouvrage contribue néanmoins à mettre en évidenceun choix politique primordial, ce qui n’est déjà pas rien.

Les philosopheset lecommunismePhilosophie Magazine

PAR ÉLIAS DUPARC

Philosophie magazine, paru-tion assez grand public (autirage annuel frisant les90 000 exemplaires), consa-

cre un hors-série entier au communisme. Une publica-tion intéressante pour ce qu’elle révèle de l’époque.Surtout quand ledit numéro « se vend très bien » (au diredu kiosquier de la station de métro Réaumur-Sébastopolqui le met en avant sur ses présentoirs). Vivrions-nousune certaine « résurrection du communisme » – l’expres-sion est d’Alain Badiou dans une livraison récente desLettres Françaises – au point que la presse traditionnellese sente obligée de prendre sa part au phénomène ? C’estce que pourrait laisser penser ce hors-série. La couver-ture de ce « Les philosophes et le communisme » ne prendcependant personne en traître : s’y alignent dans le pluspur style « réaliste soviétique » les profils de Marx, Engels,Lénine, Staline et Mao.« L’idée a-t-elle survécu à l’Histoire ? » demande un ban-deau rouge. On comprend vite l’angle du dossier. Auxrêveries bien légitimes des philosophes (Platon, Fourier,Marx), l’histoire n’a-t-elle pas opposé une cinglante« épreuve des faits » ? C’est en tout cas le titre du deuxièmetiers du dossier consacré aux moutures soviétiques ouchinoises du « totalitarisme », à l’errance des intellec-tuels ayant soutenu le communisme et à la lucidité deses dénonciateurs précoces. Ainsi, Philosophie Magazinenous propose un débat « pour/contre » entièrementbiaisé, puisque les textes choisis de penseurs favorablesà l’émancipation (Sartre, Merleau-Ponty, Desanti) datenttous de l'époque où ils défendaient le stalinisme ou sesavatars. Présentation très insidieuse qui permet de mon-trer que les « pro » étaient évidemment mystifiés…La tonalité générale de ce dossier ne tranche malheu-reusement pas avec le traitement médiatique anticom-muniste et libéral habituel. Ainsi, Alain Badiou, citécomme grand prêtre de « l’idée communiste » renais-sante, peut tranquillement affirmer que « Marx ne pos-sède pas de pensée politique forte » (p. 17). On a connudes communistes plus enthousiastes. Si les « pro » sontdonc mal représentés, aucun des « anti » ne semble man-quer à l’appel. Jusqu’à l’inévitable Bernard Henri-Lévy,élogieusement cité comme « écrivain et philosophe fran-

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çais » aux côtés d’André Gide ou de Michel Foucault. Enrevanche, à un philosophe marxiste vivant aussi essen-tiel que Lucien Sève, le dossier ne consacre que 21 mots,sous l’appellation grotesque de « gardien du temple ».Enfin, dans le dernier tiers censé explorer l’actualité ducommunisme, on trouve des entretiens avec des figurestelles qu’Antonio Negri ou Jean-Luc Nancy où les luttessemblent perdre beaucoup de leur sens. On y apprendainsi que Toni Negri « met la métropole à la place del’usine comme lieu de production de la valeur ajoutée ».De Jean-Luc Nancy, que ce qu’il faut entendre par « com-munisme », « c’est que d’abord nous sommes en com-mun, et qu’ensuite nous devons devenir qui noussommes ». De Svetlana Alexievitch (auteure de La fin del’homme rouge, soutenue par la fondation du milliar-daire Georges Soros) que « la seule réalité du commu-nisme est en l’homme ». C’est à qui édulcorera le plus lesens du communisme pour le rendre soluble dans le néo-libéralisme… À quand de petits guides Marabout de déve-loppement personnel intitulés « Aller mieux grâce aucommunisme » ou « Guérir le stress avec Engels » ?

Les droites et la rueHistoire d’uneambivalence de 1880 ànos joursLa Découverte, 2014.

DANIELLE TARTAKOWSKY

PAR STÈVE BESSAC

De l’aveu même de DanielleTartakowsky, historienne spécia-

liste des mouvements sociaux, l’écriture de cet ouvragea été stimulée par les manifestations de droite contrele mariage pour tous en 2012-2013. D’emblée, l’auteurprécise que ce n’est pas une nouveauté que les droitesinvestissent la rue. Au contraire, parmi les manifesta-tions les plus importantes dans l’histoire de laRépublique française, beaucoup sont des manifesta-tions de droite comme le 6 février 1934, le 13 mai 1958à Alger, le 30 mai 1968 à Paris ou encore en juin 1984 àpropos de l’école privée. Parmi la typologie qu’elledresse, entre la « manifestation-pétition » qui prend lespouvoirs publics comme interlocuteurs ; la « manifes-tation-insurrection » qui prend l’État ou le gouverne-ment comme cible ; la « manifestation-procession » quin’a pas d’autre interlocuteur que le groupe de manifes-tants qui se créent une image de soi et ; enfin, la « levéeen masse », Danielle Tartakowsky se demande à queltype de manifestations ont recours les droites.Dans un premier temps, l’auteur constate que différentescomposantes de droite privilégient la manifestationcomme moyen d’expression dès le XIXe siècle. Ainsi, alorsque les conservateurs ou les républicains opportunistesau pouvoir considèrent la manifestation comme illégi-time et vecteur de désordres, les catholiques de droiteoptent pour cette modalité d’action. Les manifestations-processions apparaissent alors comme un moyen de s’ap-proprier l’espace public pour en faire un espace religieuxcontre la politique laïque des républicains. Les interdic-tions se multiplient donc dans les années 1880, en paral-lèle des politiques anticléricales, mais cela ne déboucheque rarement sur des violences de rues comme à Nantesen 1903, les catholiques privilégiant « l’arme du droit »(Liora Israël). L’extrême droite se mobilise également dans

la rue, notamment au moment de l’Affaire Dreyfus pen-dant laquelle les ligues sont à l’origine de nombreusesmanifestations violentes et meurtrières en province et enAlgérie. L’Action française, groupuscule fondé par CharlesMaurras en 1898, reprend alors ce répertoire d’action,transformant la violence de rue en un culte.Dans l’entre-deux-guerres, les manifestations de droitesont de plus en plus nombreuses, d’abord contre le Carteldes gauches (1924-1926) puis contre le néo-Cartel (1932-1934). Cette « routinisation des usages de ce mode d’ac-tion » n’empêche pas d’obtenir des résultats politiquescontribuant à renverser des gouvernements comme celuidu néo-Cartel en 1934. D’ailleurs, les années 1934-1935apparaissent comme l’apogée des manifestations de droitepuisque, pour la première fois, les manifestations poli-tiques de droite sont plus nombreuses que celles degauche. Cela débouche sur la journée du 6 février 1934au cours de laquelle les ligues manifestent violemmentdevant le Sénat. L’auteur conclut cette première partieallant de 1880 à 1935 en soulignant que les manifesta-tions-processions et manifestations-insurrections seraienttypiques des droites : alors que les catholiques évitentd’affronter l’État et privilégient les manifestations-pro-cessions en province, les ligues, essentiellement pari-siennes, sont à l’origine de manifestations-insurrections.Par ailleurs, les manifestations de droite relèvent d’unrégime d’historicité différent des manifestations degauche, les premières mettant en avant un mythe des ori-gines, un ordre immuable qu’il faudrait conserver alorsque les secondes sont orientées vers le futur.Dans une deuxième et troisième partie, l’auteur analyseles manifestations de droite depuis 1935. Sous Vichy, ellessont empreintes d’ambiguïté, le régime interdisant cemode d’action mais tolérant les manifestations d’ex-trême droite. Après-guerre, deux types de manifestationsdominent de 1945 à 1958 : d’une part, les manifestationspoujadistes de faible ampleur et locales, nombreuseslors des contrôles fiscaux de 1953 à 1958, d’autre part,les manifestations gaullistes, de nature hybride puisqu’ils’agit davantage de rassemblements statiques, sans ban-deroles ni pancartes. Trois grandes manifestations mar-quent l’histoire du gaullisme : le 13 mai 1958 à Alger quifait suite à « la journée des tomates » (6 février 1956) etcontribue à la prise de pouvoir du général de Gaulle, le4 septembre 1958 lorsque les gaullistes se rassemblentplace de la République à Paris pour annoncer laVe République et enfin, le 30 mai 1968, « levée en masse »afin de soutenir le gouvernement suite aux événementsde mai 1968. Danielle Tartakowsky souligne que sous laVe République les manifestations des groupuscules d’ex-trême droite se poursuivent, notamment dans les milieuxétudiants parisiens (avec Occident qui devient le Groupeunion défense, GUD), alors que la guerre scolaire de 1982à 1984 marque le retour des catholiques de droite dansla rue avec un million de manifestants le 24 juin 1984.C’est dans cette tradition que s’inscrit alors la « Manifpour tous ».L’auteur conclut qu’au cours du siècle, « les différencesformelles entre manifestations de droite et de gauchetendent indéniablement à s’estomper. Les mots et leslieux, longtemps spécifiques, sont devenus interchan-geables ». Les différences persistantes sont d’une partles temporalités, les manifestations de droite étant essen-tiellement organisées en fin de semaine, alors que cellede gauche, s’appuyant sur la grève, se déroule tout autanten semaine et, d’autre part, les régimes d’historicité, lesdroites manifestant pour conserver un présent ou res-susciter un passé tandis qu’à gauche, les manifestationssont tournées vers un futur meilleur. n

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