Récits de campagne du 3 e Régiment de Chasseurs d’Afrique · 1932, armés d'un canon de 37 mm...

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Récits de campagne du 3 e Régiment de Chasseurs d’Afrique « les Officiers, les Sous-officiers, Brigadiers et Cavaliers du 3 e Chasseurs d’Afrique aux Militaires du Régiment morts au service – Priez pour eux – mai 1892 » Inscription que l’on peut lire sur ce monument toujours en l’état au Cimetière de Constantine. Par Henri GARRIC Ancien du 3 e Régiment de Chasseurs d’Afrique Président départemental l’Association Nationale des Anciens et Amis de l’Indochine et du Souvenir Indochinois Président du Comité d’Entente d’Associations d’Anciens Combattants et Patriotiques du Pays d’Aix.

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Récits de campagne du 3e Régiment de Chasseurs d’Afrique

« les Officiers, les Sous-officiers, Brigadiers et Cavaliers du 3e Chasseurs d’Afrique aux Militaires

du Régiment morts au service – Priez pour eux – mai 1892 »

Inscription que l’on peut lire sur ce monument toujours en l’état au Cimetière de Constantine.

Par Henri GARRIC Ancien du 3e Régiment de Chasseurs d’Afrique

Président départemental l’Association Nationale des Anciens et Amis de l’Indochine et du Souvenir Indochinois

Président du Comité d’Entente d’Associations d’Anciens Combattants et Patriotiques du Pays d’Aix.

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C’est sans doute pour l'Armée française, les dernières missions de la

cavalerie montée qui ont été engagé en Tunisie entre le mois de novembre 1942 et le mois d'avril 1943, contre les Italo-allemands de Rommel.

Parmi d’autres unités engagées sur ce même format, j’ai voulu remémorer le récit de mes grands anciens du 3e RCA.

Le 8 novembre 1942, Anglais et Américains débarquent en Algérie et au Maroc ; les Allemands ripostent en débarquant en Tunisie. Trois jours plus tard, la France est entièrement occupée. Le cours de la guerre va changer !

Aux côtés des Alliés et malgré les moyens dérisoires laissés par l'armistice de 1940, l’empire français va reprendre le combat pour tenter d’effacer la honte de la défaite et de l’Armistice.

En garnison à Constantine, le 3e Régiment de Chasseurs d'Afrique est un régiment de cavalerie mixte dont l'ordre de bataille est constitué par 2 groupes d'escadrons : Un groupe motorisé formé des 1er et 2ème escadrons, équipé d'automitrailleuses Panhard, modèle 1932, armés d'un canon de 37 mm et d'une mitrailleuse Reibel. Aux pelotons AM s'ajoutent des pelotons motocyclistes sur motos Gnome Rhône, et sur side-cars armés de FM.

Un 2ème groupe à cheval, composé des 3ème et 4ème escadrons. L'effectif par escadron est de 3 pelotons de combat et un peloton de mitrailleuses et d’engins (peloton mitraille). Chaque peloton de combat a 3 groupes de combat et un groupe de commandement ce qui porte à un effectif de 40 hommes. Chaque groupe est armé d'un fusil mitrailleur «modèle 1924 modifié

1929», une bonne arme robuste mais qui n'a pas la vitesse de tir de son homologue allemand.

L'armement individuel se compose du mousqueton Lebel modèle 14/18, du sabre-baïonnette, et enfin du sabre de cavalerie légère fixé à la selle à la manière arabe. L'ensemble n'est guère différent de celui de la cavalerie montée à la fin de la guerre 1918.

Le peloton mitraille dispose de 4 mitrailleuses Hotchkiss (modèle ayant servi en 14/18) et de 2 mortiers de 81 mm (modèle ancien, sans appareil de visée).

Enfin pour l'habillement, les hommes sont en tenues de drap d'hiver et ne dispose comme linge de rechange que d’une chemise et d'un caleçon.

Les montures sont des chevaux barbe, excellents petits chevaux robustes adroits passant partout et qui seront de merveilleux compagnons de campagne.

Voici donc les conditions matérielles dans lesquelles ce Régiment va reprendre le combat. Mais la pauvreté des moyens, n'entame en rien le moral des hommes.

Allemands et Italiens débarquent à Tunis et Bizerte. Obéissant aux ordres du gouvernement de Vichy, le Résident laisse faire. Le choc entre les alliés et les forces italo-allemandes est donc inévitable.

En cette fin d’après-midi d’espérance, l’un des escadrons à cheval embarque, l’autre, récemment reconstitué doit assurer la garde du dépôt régimentaire. Une violente secousse

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ébranle les vieux wagons, la campagne du 3e escadron du 3e R.C.A. commence. Cette première liaison par le rail les conduit tout près du terrain d'aviation de Bône et sur lequel un bataillon de parachutistes américains doit sauter. L’escadron en assurera la protection, ce qui implique d'en empêcher l’occupation par les Allemands.

L'escadron est à cheval, les pelotons se dirigent vers le premier acte de ce qui va être la campagne de Tunisie de l'armée française d'Algérie. Arrivé à destination, tous mettent pied à terre, les montures sont mises à l'abri, et chaque groupe de combat s’installe, F.M. en batterie dans la direction d'où l'ennemi pourrait surgir.

De cette première mission de guerre, tous retiendront l’arrivée vrombissante des appareils aux ailes et aux fuselages frappés de l'étoile blanche, marque de l'US Air Force. Ils garderons à tout jamais gravé dans leur mémoire le spectacle réconfortant de ces centaines d'hommes dans le ciel bleu qui descendent lentement sur une terre qui n’est pas la leur, mais pour laquelle ils ont choisi de sacrifier leur vie !

Mission terminée, retour à la gare d’accueil et rembarquement.

Au petit matin, Gardimaou, la Tunisie est ouverte. Mais où sont Allemands et Italiens ?

Dans l’immédiat même mission que la veille, à Souk El Arba se trouve un important terrain d'aviation que les parachutistes américains doivent occuper dans la journée. Cette fois les risques de heurt avec les Allemands sont plus que probables.

Souk El Arba est la première localité importante depuis la frontière et s’y replient déjà quelques éléments de l'armée française de Tunisie qui, dès le débarquement des Allemands et des Italiens, ont tenté de rejoindre l’Algérie. Il s'agit essentiellement de troupe de D.C.A. avec leurs canons légers montés sur camionnettes, matériel relativement récent.

A leur poste de combat, les Chasseurs ont droit au même brillant spectacle de “lâché de parachutiste”. Mais très vite ils sont ramenés à la réalité de la guerre. En effet, une dizaine d'appareils, rapidement identifiés comme étant les bombardiers allemands “stukas”, piquent

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vers le sol et de violentes explosions retentissent. La voie ferrée d'Alger-Tunis à été touchée, le trafic ferroviaire venant d'Algérie est interrompu. Les avions repartent en direction de Tunis sans avoir été inquiétés…

À Pont du Fahs, les troupes françaises qui avaient réussi à s'échapper de Tunis et de Bizerte ont été attaquées par les Allemands. L’armistice de 1940 ainsi rompu, la France est donc de nouveau en guerre… Espérons que la DCA française sorte de sa neutralité.

Le général Giraud assure le commandement en chef de toutes les forces militaires d'Afrique du Nord et le général Juin celui des troupes Française dirigées vers la Tunisie.

Le groupe motorisé du 3ème RCA, après avoir reçu l’ordre de se diriger sur Alger, fait demi-tour et rejoint à toute vitesse le sud tunisien en direction de Gafsa.

Dans l’immédiat, l’escadron monté est toujours en recueil et protection des éléments français de Tunis se repliant sur Souk El Arba. Les groupes de combat en place, assisteront ébahi au déballage de l’Armée Américaine à commencer par l’arrivée massive des avions de chasse et la découverte de 2 véhicules bizarres peints en vert avec sur les côtés une étoile blanche, on dirait une caisse portée par 4 roues, c’est pour les français, ce qui deviendra la fameuse Jeep

Nouvelle mission et nouveau secteur pour l’escadron à cheval. Par étapes et de nuit afin d'échapper aux regards de l'aviation allemande ou italienne, L’escadron s’engage sur les contreforts de la dorsale en direction du sud. Il s'allonge sur la route, le peloton mitraille et les arabas formant l'arrière garde. Toutes les heures, une marche à pied d’une quinzaine de minutes, pour reposer les chevaux et éviter l’endormissement au rythme du pas régulier des chevaux. Une cinquantaine de kilomètres sont ainsi parcourus pour atteindre l'étape fixée et cela va se répéter plusieurs nuits durant, pour rejoindre le Kef, puis les collines dominant Maktar.

Quelques événements divers vont parfois troubler la monotonie de cette progression :

Une nuit l'escadron est stoppé sur une route, des autocars semblent l’attendre. En effet, l'ordre est donné de mettre pied à terre et de prendre les dispositions de combat. Les chevaux à l’abri, les hommes s'installent dans les cars et partent dans la nuit. Arrivé dans un petit village inconnu ils reçoivent l'ordre d'en organiser la défense. Des Italiens seraient en train de patrouiller dans le secteur ; R.A.S, le jour se lève et ils regagnent les cars sans avoir tiré un coup de mousqueton. De retour à leurs chevaux, ils terminerons l'étape et ne sauront jamais ce qui s'est passé…

C'est au cours d'une halte de quelques jours sous les chênes liège que va se produire un fait assez exceptionnel. Le soir, de retour du PC, un Chef de Peloton rassemble ses hommes et désigne un groupe de combat qui va l'accompagner à cheval. Ils n’ont pas d'autres explications, mais apprendront qu'il est chargé d’effectuer une reconnaissance, seul dans les lignes ennemies, dans la plus pure tradition de la cavalerie. Il s'éloigne avec le groupe qui doit l'escorter jusqu'à un oued à la limite des positions françaises ; au-delà les Italiens dont les positions sont mal définies et qu'il a pour mission de reconnaître en 48 heures. Au petit jour le groupe revient ayant pour ordre de retourner chercher leur chef à l'expiration de ce délai. Au-delà il devra être porté disparu.

Décembre a commencé, dans le djebel Tunisien l'hiver est froid et pluvieux. Sous l'abri précaire de la toile de tente ou de quelque gourbi, les hommes sont vite trempés sans espoir de se changer ou de se sécher, car, l’activité de l’aviation ennemie interdit tous feux. Les longues marches sur les routes empierrées ont mise à mal l’unique paire de chaussures. Les chevaux ont maigri et supportent stoïquement la pluie qui tombe sans arrêt ; leur rusticité, heureusement les protège.

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Tous prés de là, les «boys», étonnés de rencontrer une troupe qui leur semble d'une autre époque, rendent visite à nos Chasseurs. Au pays des «cow-boys», ils ont beaucoup de mal à imaginer que l'on puisse encore faire la guerre à cheval. A quoi les Cavaliers de répliquer que “dans le djebel, les chevaux peuvent passer là où leurs engins ne le pourraient sans doute pas”. Ne parlant pas un mot de français, mais comme tous les soldats, ils fraternisent et sont fascinés par les sabres de nos braves Cavaliers. Tout s'acquiert aux USA, pourvu qu'on y mette le prix, aussi très vite proposent-ils de les acheter ; surpris et amusés d'une telle offre les Chasseurs refuserons.

Autre surprise de taille quand le capitaine US, ayant constaté l’état pitoyable dans lequel sont nos troupes, annonce offrir à l’Escadron tous les sous-vêtements et des chaussures destinées à ses hommes. La distribution d'un gilet, d'un caleçon de laine et d'une paire de chaussures ravie nos cavaliers. Enfin vont-ils être au chaud et au sec. Ils recevront également en cadeau un stock de rations alimentaires made in USA et c'est ainsi que l’armée Française fait connaissance avec la « ration K » boîte de carton paraffinée contenant l'essentiel d’un repas.

Le soir arrive et il est temps d'aller rechercher le lieutenant. Le groupe s'équipe pour retourner à l'oued où il l'avait laissé. Dans la nuit, ils reviennent avec leur Chef de Peloton, qui rejoint immédiatement le PC pour rendre compte. Il est probable que les informations qu'il ramène vont avoir des conséquences sur la destination future.

Depuis le bivouac où est installé l’escadron, à tour de rôle les pelotons montent en position pour une semaine auprès des unités d'infanterie de la division installées sur les pitons, et y effectuer la mission des cavaliers, exécution des patrouilles de reconnaissance entre les lignes ennemies.

Le 27 décembre, le Peloton en mission sur ces positions, envoi une patrouille vers les lignes italiennes. Il est bientôt midi, la patrouille débouche au sommet d'une crête et découvre en contre bas, dans le fond d'une cuvette, toute une compagnie de soldats italiens en train de « casser la croûte ». Pas une sentinelle ne les protège. Les hommes ont posé leurs armes et discutent bruyamment. Le chef de patrouille dispose ses cavaliers et son FM dans le plus grand silence tout autour de la cuvette, et fait ouvrir le feu. Les Italiens surpris lèvent les bras et se rendent. Bilan : un Italien tué et leur capitaine blessé à la main. La patrouille ramène, triomphalement, pas loin d'une centaine de prisonniers.

Et inlassablement, ces missions se sont déroulées tout au long du mois de janvier au bénéfice des unités de la Division installées sur la dorsale Tunisienne et face aux Troupes Italiennes.

Dans la nuit du 20 au 21, Tout dort quand vers une heure du matin les hommes de garde réveillent tous l’Escadron et recommandent le plus grand silence. Scellement immédiat des chevaux, se tenir prêts à partir. Le motif de ce branle-bas de combat ; une colonne blindée allemande vient, par la route de Fahs, d’atteindre le carrefour d'Oussëltia. Le téléphoniste de garde, avant d’être fait prisonnier a donné l'alerte générale en apercevant un « énorme » char stopper devant la mechta.

La Division se trouve pratiquement encerclée et vraisemblablement par une Division de panzers ; l’Escadron étant la seule unité au contact, c'est à lui que revient l'honneur de tenter d'empêcher les chars allemands de progresser plus avant vers les positions françaises, voire les retarder dans l’attente des renforts pour les stopper.

Dans le plus grand silence, direction le 1er carrefour, puis à 100 m à droite pour longer les bas-côtés de la route de Pont de Fahs. Malgré l'épaisseur de la nuit les hommes ont la certitude d’être tout prés des Allemands en les entendant parler distinctement, sentiment très vite confirmé lorsqu’ils aperçoivent se découper dans le ciel les silhouettes de chars gigantesques stoppés en colonne sur la route. Heureusement les chevaux ne font pas de bruit

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et peuvent ainsi s’écarter au plus vite de cette zone. Il n'en va pas de même pour le peloton mitraille qui suit, le bruit que font mitrailleuses et mortiers, brinquebalés sur le bât des Chevaux, alerte les Allemands. Ceux-ci ouvrent le feu et chacun recherche la meilleure solution pour se mettre à l’abri.

Le calme retrouvé, l’escadron reprend sa progression jusqu’à une suite de monticules et un oued qui se fraye un chemin au fond d'un petit ravin. C'est l'endroit idéal pour mettre pied à terre et les chevaux à l'abri. A gauche, un piton assez élevé qui domine la route où sont arrêtés les Allemands. Le carrefour et la route de Kairouan sont tout proches. Ce piton est la position que doit occuper le 1er Peloton monté, le sommet est parsemé de quelques rochers qui procureront un abri tout relatif. Les groupes de combat sont en position, les FM mis en batterie, les objectifs définis.

Aux premières lueurs du jour le point sur la situation est plus précis : le piton domine la route remontant vers Tunis d'où les Allemands ont surgi, route qui pour le moment est vide. A droite un second piton, couvert de quelques arbres, qui domine également la route. Entre les deux, la route de Kairouan remontant vers l'est dont l’escadron doit en interdire le passage aux Allemands. Sur ce piton est installé le 2ème Peloton monté. Le dispositif pour remplir la mission est en place.

Sur la route de Kairouan, un canon antichar de 25 mm vient s'installer. Il est certainement détaché par le secteur de la Division, mais que pourra-t-il faire contre les énormes chars aperçus cette nuit. Sans se douter de ce qui les attend les servants se mettent en batterie et sont prêts à faire leur devoir.

Assurément, l’attente va bientôt prend fin ; au loin sur la route un nuage de poussière s'élève autour d’une colonne de véhicules dont la couleur sable se confond presque avec le décor environnant. Ce sont de gros engins d'infanterie portée, des hommes en uniforme de l'Afrika Corps les occupent. Ils avancent à petite vitesse. L'alerte est donnée sur toute la ligne de défense. Les voici à la hauteur du 2ème Peloton et atteignent presque le carrefour ; c'est alors que ce peloton ouvre un feu violent de FM et de mousquetons : les Allemands s'arrêtent, sautent de leurs véhicules et sont rapidement masqués par un épais nuage de fumigènes… Lorsque la fumée se dissipe, les Allemands ont déjà entrepris l’assaut de la position, les tirs redoublent de violence. De son côté le petit canon de 25mm a ouvert le feu, sans doute sur le véhicule de tête et ses coups secs résonnent dans le ravin. Mais bientôt l’intensité des tirs diminue, puis c’est le silence… que ce passe-t-il ? Est-ce la fin de ce Peloton ?

Après une brève accalmie les premiers sifflements passent au-dessus de la tête des Cavalier du 1er Peloton, des obus de mortier éclatent à quelques dizaines de mètres derrière eux. Les coups sont maintenant plus courts et tombent sur la pente se rapprochant dangereusement des hommes. Les prochains seront certainement au but, les protections des plus précaires, il va y avoir de la casse. La supériorité de l'ennemi est telle que toute résistance est inutile si non à subir le même sort que celui du 2ème Peloton. Devant cette perspective l’ordre de repli est donné. Il était temps, car quelques instants après, une salve énorme labourait le piton.

Retrouvant leurs chevaux, ils sautent en selle et par un sentier à flanc de montagne se dirigent vers les positions de la division. Bientôt à l'abri des vues de l'ennemi, ce peloton s'en est tiré de justesse et sans perte.

Sur la route, le petit canon a cessé de tirer, son sort est sans doute le même que celui du 2ème Peloton.

De ce combat inégal, une seule certitude, celle d’avoir stoppé la colonne allemande près d'une heure en lui causant quelques dommages.

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Arrivé dans les positions françaises, tous espéraient obtenir des nouvelles rassurantes sur leurs compagnons de combat. Hélas ! Personne n’a vu un seul de nos braves Chasseurs. L'anéantissement du peloton est de plus en plus probable : 40 hommes et leurs chefs disparus. Quant au peloton mitraille, depuis cette nuit personne ne l'a revu. L'escadron se trouve désormais réduit à deux Pelotons, dont un en position dans le djebel, et sans liaison.

Que s'est-il passé en réalité cette nuit ? Tous cherchent à comprendre…

Au nord l'armée du général Nehring a enfoncé le front Anglo-français à sa charnière à pont du Fahs. C'est avec leur avant-garde que les Chasseurs ont été en contact. Dans cette opération les Allemands ont engagé leur nouveau super char baptisé «Tigre» char de 50 tonnes armé d’un canon de 88 mm dont les munitions ont une grande vitesse initiale et

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invulnérable de par l’épaisseur de son blindage. C’est incontestablement le char le plus puissant de toutes les armées en guerre. Heureux, qu’il n’y en a qu'une cinquantaine lancée dans la bataille !

Au sud les divisions de l'Afrika Corps ont bousculé les Américains à la passe de Kasserine et à Seibtla, s'ouvrant ainsi la route de Gafsa, ils remontent vers le nord pour faire jonction avec la colonne descendante.

L'objectif des Allemands est classique, encercler les troupes françaises qui se trouvent sur la dorsale tunisienne et les faire prisonniers comme en 40. Puis ces premiers succès acquis faire demi-tour à l'ouest et foncer vers la frontière Algérienne distante d'une cinquantaine de kilomètres.

La situation deviendrait alors très difficile pour les alliés, l'armée de Montgomery encore trop loin pour être d’un quelconque secours. L'inquiétude du haut commandement allié fut telle que le général Eisenhower aurait envisagé le repli général de toutes ses forces en Algérie ?

Le Peloton monté faisant mouvement par le djebel, retourne au bivouac. Arrivé en milieu de nuit, il y retrouve le peloton mitraille, mitrailleuses en batterie, qui y est déjà retranché et prend place dans le dispositif de défense.

Au loin le grondement de moteurs trouble le calme de la nuit. Probablement les chars allemands qui se déplacent. Mais aussi, certainement les chars Américains se préparant à la contre-attaque ?

Les vestiges de l’escadron sont installés à la lisière d'une grande plaine orientée nord-sud, de quelques kilomètres de largeur, dominée à l'ouest par les contreforts culminants à 1200 mètres du Djebel Belouta, dernier obstacle important avant la frontière algérienne, et qui s'étend sur une dizaine de kilomètres du carrefour d'Oussëltia au village de Pichon (Haffouz). Dans le dos, la dorsale et les positions françaises. Au débouché du carrefour les énormes chars allemands, rangés en ordre de bataille, donnent une terrible impression de supériorité. En face d'eux, à quelques kilomètres, les chars américains. Ce sont pour la plupart des «Général Grant» d'un type nettement inférieur aux chars Allemands. Ce char est armé d'un canon de 75 mm classique monté en tourelle fixe sur le flanc du char, ce qui oblige à déplacer celui-ci pour le pointage en direction, et d'un canon de 37 mm sous tourelle pivotante. Quelques «Sherman» font leur apparition mais eux aussi, malgré leur nouveauté, resteront malheureusement inférieurs aux « Tigres ». Les français seront aux premières loges pour assister à la première grande bataille de chars américains et allemands de la guerre ! Celle-ci ne tarde pas à se déclencher, les «Tigres » ouvrent le feu avec leurs canons de 88 et dans la plaine les premiers chars américains explosent et s'embrasent. Les survivants ripostent de leur mieux mais sans grand succès contre l’épais blindage du «Tigre». Il faudrait l'intervention de l'aviation pour les soutenir, curieusement absente malgré le temps idéal. Les Américain constatent leur impuissance et replient les chars intacts en direction du sud. Les Allemands restent maîtres du champ de bataille, l’encerclement de la Division est presque réalisé, sauf au sud où la liaison avec l'Algérie n'est peut-être pas encore coupée…

En attente sur les positions, tous redoutent l’intervention de l'infanterie ennemie, mais elle ne se produira pas… et la journée s'achève sur l’ordre de faire mouvement. Mais au lieu de remonter à l'est vers les positions françaises, l’axe de repli est plein sud vers Pichon (Haffouz), puis remontée nord-ouest, vers la forêt de Kessera. Ce qui reste de l'escadron démarre silencieusement dans la nuit tombante et au petit matin atteint la forêt qui les met hors de la tenaille allemande. Entrecoupée de petits ravins et d'oueds desséchés, c’est l’abri idéal pour les hommes et les chevaux.

Après un rapide bilan, la situation matérielle est la suivante : l'armement est complet et en bon état, il s'est même accru de plusieurs FM et de carabines des Italiens faits prisonniers

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et la dotation en munitions suffisante. Si les chaussures cédées par les Américains tiennent encore le coup, l’habillement lui est à la limite du portable. Plusieurs cavaliers n’ont plus de culotte, et montent à cheval en caleçon, d'autres ont remplacé leurs manteaux de cavalerie par des capotes italiennes et hélas ! Nul espoir de voir l'intendance fournir un équipement décent. Ce qui n'empêche pas le moral de demeurer au beau fixe.

De plus que ce soir là, un miracle s’est produit, deux survivants du 2ème peloton ont rejoint le bivouac. Le récit de leur aventure permet de découvrir ce qui c’est réellement passé il y a trois jours : le Lieutenant capturé le premier, trahi par les boutons d'argent de son manteau qui brillaient sous la Lune, puis l’assaut et une défense courageuse du peloton sous les ordres d’un Sous-officier. Peu à peu blessés et tués ont réduit considérablement l'effectif à une petite poignée d'hommes qui ont été fait prisonniers. Seuls ces deux hommes ont pu échapper à la capture, rejoindre leurs chevaux, emmener avec eux un Sous-officier blessé aux deux jambes et regagné les lignes françaises. Ne voulant pas subir un nouvel encerclement, ils ont décidé de partir à la recherche de leur unité. Après les plus vives félicitations ils sont affectés au seul peloton encore opérationnel.

Quant au peloton resté dans le djebel, toujours aucune nouvelle…

L’escadron restera au bivouac quelques jours dans la forêt de Kessera à l'affût des nouvelles et dans une inaction forcée, le commandant ne voulant pas lui donner de mission pour l'instant en raison de l'état où il se trouve. Les chevaux en particulier font pitié, ils sont maigres, fatigués et seraient incapables de fournir un effort soutenu. Aléas de la guerre, plus au nord vers le pont du Fahs le Régiment de Spahis vient d'être anéanti dans l'attaque allemande, les chevaux frais qui lui été destinés sont donc disponibles et proposés aux Chasseurs d’Afrique.

Un incident va venir rompre la monotonie du séjour dans la forêt. Tous prés du bivouac, été installé un dépôt de munitions américain, dépôt d'obus de 105 mm éparpillés sur un terrain à peine couvert par quelques arbres sans camouflage et sans protection anti-aérienne. Il est prés de trois heures de l'après-midi, un bruit d'avion va en s'amplifiant, plusieurs appareils Stukas et chasseurs bombardiers Messerschmitt passent en rase motte. Tous se précipitent dans le fond des ravins prés des chevaux, les avions après avoir pris de l'altitude reviennent en piqué. Les bombes détachées des fuselages, tombent directement sur le dépôt de munitions. Les vagues se succèdent pendant quelques minutes dans un fracas épouvantable. La précision des Allemands est remarquable. Tous les projectiles vont au but, pas une ne tombe sur les Chasseurs, mais leur malheur ne fait que commencer ; c'est maintenant le dépôt qui commence à exploser, les obus américains sifflent au-dessus de leurs têtes.

Plusieurs heures ils demeureront ainsi bloqués au fond des oueds tentant de calmer les chevaux. Plus tard dans la nuit les explosions diminuant d'intensité ils pourront enfin sortir d’une position inconfortable et constater que l'escadron s'en tire indemne. Le dépôt est entièrement détruit, le terrain n'est plus qu'une succession de trous et de cratères que contemplent ahuris les américains rescapés.

Les trois jours suivants, à 7 heure précise, une patrouille de Messerschmitt survolera la route en rase motte, tirant des rafales de mitrailleuses. Les allemands ont découvert le bivouac, mais se contentent de cette petite démonstration ; seul victime un cavalier blessé.

L’attente continue, les nouvelles de la zone des combats sont rares. Seul information, la contre offensive visant à rompre l'encerclement des troupes de la dorsale est en cours.

Sur la route, se dirigeant vers le front, une colonne de chars américains, plus gros, un canon supérieur à celui connu jusqu'à présent, une tourelle tournée vers l'arrière en raison de la longueur du tube, ce sont des « tank Destroyer », char antichar américain armé d'un canon de 90mm ; leur vue rassure et laisse enfin envisager une issue heureuse à la guerre. L'aviation elle aussi déploie une grande activité, qui ne peut que faire céder la pression allemande.

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Les succès remportés par la division de Constantine et les Américains dans la région de Gafsa sur l'Afrika Corps, empêche la tenaille de se refermer et desserrer l'étau qui menaçait. Dans ces succès, les Escadrons motorisés du Régiment y inscriront chacun une première action d’éclat ; l'affaire du train de Mahares pour l’un et la capture à Gabès des commissions d'armistice allemande et italienne pour l’autre.

La liaison est enfin établie avec les troupes quelque peu abandonnées dans le djebel, ce qui permet au 3ème peloton de se replier et de venir enfin rejoindre l’escadron, sans pertes.

La rumeur est devenue réalité… l’escadron rentre à Constantine. Encore quelques étapes à cheval pour rejoindre Tébessa, c’est l’embarquement dans le train du retour. Après deux longues journées coupées d'arrêts

fréquents, ils atteignent la gare du Khroub, à 12 Kms de Constantine.

Le Quartier GALLIFFET attend ses “héros”, au cœur du dispositif l'étendard du Régiment et les trompettes. Le colonel fait rendre les honneurs, les trompettes sonnent « aux champs ». La scène ne manque pas d'allure malgré les tenues hétéroclites, les capotes italiennes et tout le fourniment ramené sur les chevaux de bât. Pour tenter de cacher les caleçons, chacun se redresse fièrement sur sa selle.

La cérémonie d'accueil achevée, direction les écuries où la paille fraîche et l'orge attendent les braves chevaux qui eux aussi méritent d'être à l'honneur.

La nuit tombe sur le plateau de Mansourah, la Tunisie n'est déjà plus qu'un souvenir.

Dés le mois de juin, renforcé et doté de matériels Américain, le 3° R.C.A. deviendra le Régiment de Reconnaissance de la 1er DB et poursuivra la guerre jusqu’en Allemagne et la victoire finale.

“Tant qu’il en restera un”, par fidélité nous continuerons à crier haut et fort : « Et par Saint Georges, vive la Cavalerie. »