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    Avant-propos

    I l n o u s a p p a r t i e n t d e f a i r e d u J u b i lde l I n d pe n d a n c e u n m om e n t h i s t o r i q u e p r i v i lg i, e t d e m a r q u e r u n e p a u s e p o u r va l u e r l e s ta p e s f r a n c h i e s p a r n o t r e p a y s d u r a n t u n d em i - s ic l e , e n m a t ir e d e dve l o p p em en t h u m a i n , e n f a i s a n t l e p o i n t d e s s u c cs , d e s d i f f i c u l ts , e t d e s am b i t i o n s , e t e n t i r a n t l e s en se i g n em en t s d e s ch o i x oprs du r a n t c e t t e pr i o d e h i s t o r i q u e ,e t d e s g r a n d s t o u r n a n t s q u i l o n t m a r q u e . N o t r e o b j e c t i f e s t d e c o n s o l id e r n o s ch o i x e t o r i e n t a t i o n s d a v e n i r , c l a i r e m e n t e t e n t o u t e c o n f i a n c e , e n s o u l i g n a n t a u p a s s a g e , e n t o u t e o b j e c t i v i t,l e s e f f o r t s e x t r a o r d i n a i r e s q u i o n t tco n s e n t i s p o u r m e t t r e l e Ma r o c s u r l a v o i e d e l d i f i c a t i o n d e l Et a t m o d e r n e . Te l l e e s t l a

    p lu s b e l l e m an ir e d 't r e f i dle la m m o i r e t e r n e l l e d esa r t i s a n s d e l ' i n dpen d a n c e d e l a p a t r i e .

    Cest en ces termes que Sa Majest Le Roi Mohammed VI, dansSon Discours du 20 Aot 2003, inaugura un projet collectif et participatifdtude, de rflexion et de dbat sur lvaluation rtrospective dudveloppement humain au Maroc depuis son Indpendance, et sur lavision de ses perspectives pour les vingt prochaines annes. Ce projetprit la forme dun rapport intitul 50 ans de dveloppement humain auMaroc et perspectives pour 2025 .

    La finalit premire de ce projet est dalimenter un largedbat public sur les politiques mettre en uvre dans le futurproche et lointain, et ce la lumire des enseignements delexprience des russites et des checs du pass.

    Cette offre de dbat est anime par une triple conviction :

    - La destine de notre pays est entre nos mains. Notre paysest la croise des chemins. Il a aujourdhui les moyens desengager rsolument sur la voie dune grande ambition nationale,partage par tous, et articule autour du dveloppement humain.Pour ce faire, la collectivit nationale a lardente obligation

    doprer des choix cohrents, dacclrer le rythme etdapprofondir lampleur des rformes, et rompre dfinitivementavec des pratiques et comportements qui ont jusque l contrarison dveloppement.

    - Les vertus du dbat public sont inestimables. Rien neremplace, dans la gestion de la vie publique, ces forums o ides,concepts et analyses sagrgent au service dun projet nationalpartag.

    - Seule la pratique dmocratique consolide peut engager demanire irrversible notre pays sur les voies de la russite.

    Exerce avec constance, porte par la responsabilit de chacun etla vigilance de tous, elle nest ni un luxe ni une utopie.

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    Conduit dans le respect des principes de participation,

    dindpendance scientifique et ditoriale, le projet a mobilis plus decent comptences nationales, relevant de luniversit, de ladministrationet de la socit civile.

    Le concept fdrateur du projet, celui du dveloppementhumain, a permis dembrasser un large ventail de thmatiques et dequestions, souvent interdpendantes et difficilement accessibles par desapproches uni-disciplinaires. Lutilisation de ce concept, relativementrcent et toujours en cours dapprofondissement, a indniablementenrichi les travaux mens dans le cadre du rapport.

    Ces travaux ont t mens un moment o dimportantschantiers de rforme sont lancs. Le pays traverse une tapehistorique marque par de multiples processus transitionnels :

    dmocratiques et politiques, dmographiques et socitaux, conomiqueset culturels. Cest une priode de questionnements en profondeur,propice la formulation de grands desseins, au renouveau du projetnational et lacclration du rythme de dveloppement du pays.

    Pour autant, le Rapport ne perd jamais de vue que les dimensionsqui dterminent le dveloppement humain sont elles-mmes largementdtermines, non seulement par les enjeux et les choix politiques, maisaussi par les diffrents contextes et conjonctures intrieurs etextrieurs, qui ont conditionn ou conditionneront ces choix. Procder une lecture de notre pass et de notre Histoire la lumire derfrentiels juridiques, thiques et conceptuels daujourdhui, sansrelativiser lanalyse des politiques publiques par leurs diffrentscontextes ou par les doctrines de dveloppement qui prvalaient aumoment de leur laboration, aurait fait courir au rapport le risque demanquer dquit et de loyaut envers les acteurs de cette priode.

    Le Rapport sur 50 ans de dveloppement humain auMaroc et perspectives pour 2025 propose une base deconnaissance et dargumentation pour alimenter le dbat, en tirantles leons de lexprience passe du pays et en indiquant des pistes derflexion pour les deux dcennies venir. Il se veut une contributioncitoyenne, anime tout autant par lesprit patriotique que par lexigencedobjectivit.

    Son message fondamental est daffirmer quavec le reculque confre la rflexion sur le demi-sicle coul, le Marocdaujourdhui, en paix avec lui-mme et avec son pass, fort deses succs revendiqus et des leons de ses checs assums,port par ses femmes et ses hommes, par ses jeunes et sesanciens, est en mesure demprunter, avec confiance etdtermination, le chemin qui mne vers un niveau dedveloppement humain lev.

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    Introduction GnraleConcepts et Trame

    Anim par la volont dclairer lavenir de notre pays dans les domaines du

    dveloppement humain, ce rapport se propose didentifier les mutations quont connuesla socit et lconomie marocaines durant le demi-sicle pass, de rendre compte desprogrs raliss et des blocages rencontrs durant cette priode. Cette introductionvise dresser un premier bilan de la performance du Maroc indpendant et expliciter la richesse et la porte du concept qui traverse et structure ceRapport : le dveloppement humain.

    1.LE CHEMIN PARCOURU DE 1955 A 2005 : QUESTIONS PREMIERES.

    Ni entirement rose ni irrmdiablement noir : au terme de cinquante ansdefforts, le tableau des indicateurs du dveloppement humain au Marocmontre un pays qui a profondment chang. Le Maroc actuel est bien diffrent decelui de 1955. Rappeler cet tat de fait, aujourdhui, relve, dabord, dun devoir demmoire envers les hommes et les femmes qui ont uvr pour mettre le pays, meurtripar le choc colonial, sur les rails du dveloppement, face aux responsabilits nouvellesinduites par la souverainet retrouve. Cependant, si cette conviction est porte par lasrnit du regard historique, elle ne doit pas se rduire une autosatisfaction batequi inhiberait toute valuation rtrospective, objective et quilibre. De mme que nousnous permettons aujourdhui dvaluer ce quont entrepris les gnrations successivesdurant le demi-sicle pass, nous devons aussi mesurer quels taient leurs contextes,leurs contraintes et leurs ambitions.

    Peut-on dire pour autant que le Maroc sest dvelopp pendant cette priode ?La rponse est un oui franc. Cependant, sur tous les fronts du dveloppement, les

    diffrents oui sont assortis de mais restrictifs. Mis ensemble, ils reprsententautant de dfis relever. Dans le corps de ce Rapport, plusieurs indicateurs illustrentlampleur du chemin parcouru par notre pays et ltendue de celui qui reste faire.

    Une question tout aussi essentielle est celle-ci : sur 50 ans, aurait-on pu fairemieux ? La rponse dun observateur daujourdhui sera un oui tout aussifranc. Il pourra en prendre pour exemple lvolution de notre Indice deDveloppement Humain (IDH). En effet, bien que rel et tangible, notreprocessus de dveloppement, mesur par cet indice, a t trop lent pourrpondre aux besoins dune population qui a tripl dans le mme laps detemps. La trajectoire compare du Maroc fait apparatre une progression poussive denotre IDH par rapport dautres pays similaires ou au mme niveau du dveloppement

    la fin des annes 1950. LIDH de notre pays tait ainsi de 0,427 en 1975, puis de0,506 en 1985, et 0,567 en 1995 avant de stablir 0,631 en 2005. Rsultat : leMaroc perd des places au classement mondial de lIDH. Car en matire dedveloppement humain, comme ailleurs, qui navance pas recule.

    Mais, supposer que nous pouvions atteindre un niveau de dveloppementhumain plus en adquation avec nos attentes, que ne la-t-on pas fait ? Nousne saurions nous suffire du constat que nous tions certes en mesure demieux faire, un constat dont la brutalit ne rend pas justice la complexitinhrente aux problmatiques de dveloppement humain.

    Les vraies questions sont ailleurs : Pourquoi na-t-on donc pu pas mieux faire,alors que notre pays recle des atouts quaucun observateur ne pourrait nier ?

    A quoi sont restes en butte les promesses de notre potentiel au lendemain delIndpendance ? Quels dficits nous ont lests et quels obstacles na-t-on passu franchir ? Ce sont l les questions centrales qui traversent ce rapport. Elles

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    appellent une analyse plus lucide, plus pertinente et plus porteuse, mieux mmedidentifier les dterminants profonds de nos retards passs et les leviers rels de nosprogrs futurs. Cest cette analyse qua tent dentreprendre le rapport, en faisantappel au puissant prisme quest le concept de dveloppement humain.

    2.

    DEVELOPPEMENT HUMAIN

    :UNE CLARIFICATION CONCEPTUELLE

    Il est difficile de rendre compte, ici, de toute la richesse du concept de dveloppementhumain, de ses soubassements thoriques, de ses applications pratiques, desdveloppements et des critiques scientifiques et mthodologiques dont il fait encoreaujourdhui lobjet. Une clarification conceptuelle peut, nanmoins, tre propose,taye par un regard rtrospectif sur lvolution des performances du Maroc surlchelle du dveloppement humain que constitue lIDH, dsormais popularis par lesrapports du PNUD et devenu universellement accept comme mesure des progrsraliss par tous les pays du monde.

    Le concept de dveloppement humain ne peut revendiquer, en tant que cadreanalytique formalis et en tant que fondement des indices de mesure utiliss, quunequinzaine dannes dexistence. Ce concept est, en effet, n dans le cadre des travauxde lconomie du bien-tre (welfare), notamment ceux du prix Nobel indien AmartyaSen. A partir de 1990, un cycle de confrences et de sommets organiss sous lgidedes Nations Unies a permis de concevoir et denrichir progressivement ce nouveauconcept, travers la conception de lIDH, et plus tard dune multitude dautres indicescomplmentaires ou alternatifs.

    Lhypothse du dveloppement humain pose comme pralable que ce derniernest pas rductible au revenu. De mme, le principe de justice sociale fond sur laredistribution des revenus est, terme, inefficient sil ne prend pas appui sur un niveausuffisant de potentialits humaines lmentaires. Dans une telle optique, la pauvreten termes de revenus , ou la pauvret montaire , nest quune composante de la

    privation de capacits. A linverse, llargissement de la palette de choix desindividus, de leurs liberts et de leur participation aux dcisions est mmedinduire un processus autoentretenu de croissance conomique etdamlioration du revenu par tte. Le dveloppement humain est undveloppement de la population, par la population, pour la population.

    Fond ainsi sur les notions dopportunits et de capacits humaines, ledveloppement humain part dune vision qui consiste concevoir ledveloppement comme libert . Tout dabord, la pertinence de la perspective dela libert rside dans la distinction quelle permet doprer entre liberts ngatives ou formelles et liberts positives ou relles : ces dernires englobent, outre lesdroits politiques et civiques lis la dmocratie (droit de vote, dexpression,participation, etc.), les possibilits quont les individus mettre en uvre leurs droits etliberts, faire fonctionner les ressources dont ils disposent. En dautres termes, lesliberts positives traduisent une situation de capacit relle (et non pas seulement

    juridique) des individus ou des communauts traduire leurs positions formelles endispositions relles, en fonctionnements. Dans cette optique, les liberts sont prendre la fois comme processus et comme possibilits de dvelopper les facultsindividuelles.

    Ensuite, il sagit dune perspective essentialiste du dveloppement mettant enjeu et articulant trois valeurs ou importances de la libert : une valeurintrinsque, une valeur instrumentale et une valeur constitutive. En effet lesliberts publiques, la participation politique, les droits dmocratiques doivent treconsidrs du point de vue de leur importance intrinsque, comme des biens

    premiers et sans chercher les justifier par leurs effets positifs sur ledveloppement (Sen, 1999). Mais la composante pratique et instrumentale de lalibert nest pas moins importante dans le dveloppement : les droits dmocratiques

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    constituent autant dincitations politiques favorisant les initiatives des individus, leurengagement compter sur leurs propres forces et leur implication positive dans ledveloppement.

    Dans la mme optique, les opportunits conomiques, la justice sociale, lascurit protectrice et la durabilit accroissent la capacit dun individu de

    vivre librement. Un troisime rle de la perspective de la libert rside dans le faitque les liberts fondamentales politiques et sociales (libert de participation oudexpression, libre accs lducation lmentaire, la sant) ne sont pas de simples conducteurs ou catalyseurs du dveloppement ds quils sont constitutifs dudveloppement.

    Une dfinition qui rsume ce background conceptuel du dveloppement humain estpropose par le Rapport arabe sur le dveloppement humain (2002) :

    Le dveloppement humain peut tre dfini simplement comme un processusdlargissement des choix. Chaque jour, chaque tre humain fait toute unesrie de choix dordre conomique, social, politique ou culturel. Si les treshumains sont bien au centre des activits entreprises en vue du

    dveloppement, celles-ci devraient tre orientes vers llargissement deschoix dans tous les domaines de lactivit humaine au bnfice de tous.

    Ainsi dfini, le dveloppement humain est une notion assez simple quicomporte pourtant des implications considrables. En premier lieu, les choixhumains sont accrus lorsque les tres acquirent des capacitssupplmentaires et jouissent dopportunits supplmentaires dutiliser cescapacits. Il vise non seulement largir les capacits et les opportunitsmais, aussi, maintenir un quilibre appropri entre celles-ci afin dviter lafrustration qui rsulterait dune grande disparit entre elles .

    Ce concept, objet dlaboration continue travers le monde et sujet de lectures tantt

    restreintes, tantt extensives, a le mrite de runir au moins quatre vertus essentielles,qui ne rduisent en rien les autres conceptions du dveloppement dominantestrictement conomique, politique ou socioculturelle :

    Il traduit une proccupation humaniste permanente selon laquelle la vritablerichesse dune nation, consiste avant tout en ses femmes et ses hommes ;

    Il part dune conception assez large que celle de la croissance conomique,en lui intgrant justice sociale, durabilit et contrle des personnes sur leurdestine ;

    Il dploie des indicateurs simples et accessibles pour apprhender ltatcompar du dveloppement national ou rgional ;

    Il sappuie, enfin, sur une dmarche dappropriation des processus et dediffusion des bonnes pratiques, et ne procde pas dun quelconque modleformalis et fig en matire daction.

    Cependant, il faut lever certains raccourcis qui conduisent souvent des oppositionserrones entre le dveloppement humain et la croissance conomique ou entre ledveloppement humain et les politiques sectorielles et sociales, ainsi qu desconfusions avec un spectre smantique comprenant, entre autres, dveloppement desressources humaines , capital humain , aide sociale , protection sociale . Ledveloppement humain se caractrise par larticulation entre les logiquesquantitatives de croissance conomique et financires et les processusqualitatifs du bien tre social. Il doit permettre toutes les catgories sociales etnotamment aux plus faibles, un accs plus facile la sant, lducation et aux

    ressources ncessaires la qualit de la vie.Le dveloppement humain ne saurait, par ailleurs, se rduire la lutte contre lapauvret et lexclusion, qui nen constituent quun aspect, certes significatif. Cest, au-

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    del, une autre manire de concevoir le dveloppement et le bien-tre, holistique etcomprenant un contenu thique vident. Le dveloppement humain comporte aussi unedimension de durabilit : il a pour objet de crer un environnement incitatif au seinduquel chaque tre humain pourra accrotre ses capacits et largir ses choix sansremettre en cause ceux des gnrations futures. La libration de ces capacitshumaines et son corollaire, le renforcement de la responsabilisation des

    individus, doivent ainsi se faire dans un environnement incitatif, qui nentraveni ne vient contrarier les efforts des individus qui visent prendre en mainleur propre dveloppement.

    3.ARCHITECTURE DU RAPPORT

    Sappuyant sur les lments contextuels et conceptuels dclins plus haut, leprsent rapport tente de rendre compte de litinraire du pays en matire dedveloppement humain et ce, travers le dploiement du concept sous-

    jacent quil propose : le potentiel humain.

    Le potentiel humain peut tre dfini ici comme tant lensemble descapacits humaines, effectives et possibles, intrinsques aux individus ouprovenant de leurs communauts dappartenance et qui concourent leurdveloppement et leur bien-tre . Le processus de dveloppement humainconsisterait alors principalement librer le potentiel humain, le valoriser et le

    mobiliser.Fondant cette manire de voir le dveloppement humain, le concept de potentielhumain est avant tout un concept opratoire. Il sapparente plusieurs autres conceptsdj consacrs, sans toutefois sy rduire, comme celui du capital humain , de ressources humaines , capacits humaines Le potentiel humain, en tant queconcept, renferme un sens positif et un contenu dynamique. Celui-ci lui confre uneconnotation de volont et daction.

    Partant, le Rapport sarticule autour de ce concept de potentiel humain en leconsidrant la fois comme le moteur et la finalit du dveloppement humain. Lesprogrs et les dficits du pays, Etat et socit, en la matire y sont valusrtrospectivement selon 5 axes:

    LIndice de Dveloppement Humain (IDH)

    Plusieurs indices nont cess dtre formuls depuis llaboration de lindice du dveloppement humaindans le premier rapport du PNUD sur le dveloppement humain (1990). Ces indices tentent de synthtiserdes dimensions cls du dveloppement humain et, partant, doffrir des chelles de classement et de

    diffrenciation des nations et des rgions.LIDH, par exemple, focalise le dveloppement humain sur trois aspirations essentielles :

    vivre longtemps et en bonne sant, objectif apprhend travers lesprance de vie lanaissance ;

    accder aux savoirs lmentaires, objectif mesur par les taux danalphabtisme et descolarisation ;

    disposer de ressources matrielles suffisantes pour mener une vie dcente, objectifapprhend travers le niveau du PIB par habitant.

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    Lvolution du potentiel humain du pays en tant que peuple :dmographie et population, socit et patrimoine collectif, physique etculturel ;

    La libration du potentiel humain du pays en tant quEtat : trajectoireinstitutionnelle, construction dmocratique et gouvernance;

    La valorisation du potentiel humain en tant que vie et intelligence : sant, ducation, accs aux services de base, protection sociale et luttecontre la pauvret ;

    La mobilisation du potentiel humain en tant que force de cration desrichesses : conomie et emploi ;

    Le potentiel physique en tant que ressources et cadre dudveloppement humain : gestion des patrimoines naturels et physiques,territoires et infrastructure.

    Au terme de lexamen des volutions, des dficits et des acquis dans cesdiffrents domaines, le Rapport propose une description synoptique de ltatdu Maroc en 2005 et des grands questionnements qui le traversent. Il met envidence les tendances lourdes impactant le devenir du pays et identifie les nudsdu futur , qui constituent autant de problmatiques majeures appelant des inflexionsdcisives.

    Il dcline ensuite deux visions contrastes de notre pays lhorizon 2025,selon notre capacit russir ou non la consolidation des transitions dj amorces et engager avec succs les rformes nouvelles dont nous avons besoin.

    Enfin, des pistes stratgiques et des axes de dpassement sont formules.Lensemble de ces propositions constitue une base pour llaboration dunAgenda 2025 qui devrait tre le fruit dun large dbat entre tous les acteurspolitiques, conomiques et sociaux de notre pays. Le Rapport a dlibrmentvit de verser dans un discours prospectif ou programmatique, tant entendu quecest aux acteurs politiques dlaborer de tels programmes et den dbattrelgitimement.

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    50 ans de dveloppement humainau Maroc et perspectives pour 2025

    Chapitre I

    Evolution du potentiel humain

    Population, Mutationssociales et Dynamique culturelle

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    1.DETOUR DHISTOIRE ET DE GEOGRAPHIE HUMAINE

    Il est courant de prsenter le Maroc (A l M a g h r i b A l A q s a ) comme un pays auxmille contrastes, sefforant de combiner lattachement une identit sculaireaux multiples confluents et une dtermination sinscrire dans la modernit et

    prendre sa pleine place dans le monde contemporain. Le Maroc est, en effet, unpays dont la gographie a t tantt une source dintrt, dattrait ou de convoitises,tantt un facteur de difficult ou disolement. Son histoire, lointaine ou rcente et qui nefut pas un long fleuve tranquille, a t marque par des priodes diverses dexpansion etde faiblesse, douverture et de repli, mais aussi par des mouvements humains, culturelset matriels qui ont faonn le peuplement du pays et forg son socle identitaire.

    Sans sappesantir sur lhistoire lointaine du pays, il importe de retenir, de prime abord,que la nation et lEtat au Maroc ne sont pas une pure cration post-coloniale. LEtat-nation marocain prend racine, au sein de frontires certes fluctuantes, bien avant lapriode coloniale qui na dur, par ailleurs, que moins dun demi-sicle.

    Conjugue aux facteurs religieux et ethniques qui ont assur, des degrsvariables dans le temps et dans lespace, lunit de la nation et le contrle delespace, la continuit dynastique a pu maintenir la profondeur historique delEmpire Chrifien et nourrir la personnalit dun Maroc qui cultive sa diffrenceet qui sest soustrait au Califat de lOrient, puis lEmpire Ottoman. La constancedans les formes de lgitimit de lEtat ( Baya , Imarat Al Mouminine , ) et laflexibilit de ses rapports avec les pouvoirs locaux tribaux, surtout en priodes de crise,ont constitu deux mcanismes importants de la gense et de la consolidation historiquede lEtat/Nation au Maroc.

    Le peuplement du Maroc rend compte de cette forte personnalit, relle oucultive, et montre que le pays peut bien se prvaloir dtre une grande

    civilisation, qui a su entretenir une continuit tant de son organisation politiqueque de ses traits culturels et de ses traditions sociales : en tmoignent la richesseet la vivacit de son patrimoine architectural, vestimentaire, culinaire, artistique,artisanal, etc. Un autre dterminant de cette personnalit, qui fonde aujourdhui encore lesentiment dappartenance nationale, a t la capacit du Maroc prserver unpluralisme, mme symbolique certaines poques, se traduisant par la cohabitationsculaire de composantes diverses et dorigines multiples.

    Pays carrefour, appartenant au monde mditerranen, enracin au Sahara et enAfrique, sensible lOrient et simpliquant Outre-atlantique, le Maroc a connu desflux et des reflux importants de populations, dorigines diverses, qui ont connu unbrassage singulier dont les dbuts remontent plusieurs milliers dannes. La terre et le

    peuple marocains ayant ainsi t, de tout temps, la rencontre de mondes multiples etchangeants qui les ont entours. Le pays reprsente ainsi un vritable creuset decivilisations richement varies.

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    Le Maroc : une sdimentation historique, lointaine et fconde

    A partir du Nolithique, on note lexistence dune civilisation amazighe (berbre) qui date dau moins 5000 ans. LesImazighens (littralement hommes libres) constituent la population la plus ancienne du Maroc. A ces amazighs sont venussajouter, puis se fondre, des apports orientaux, europens et africains. Au gr de lhistoire, en effet, la terre marocaine at frquente et mme partiellement occupe par les phniciens, les carthaginois et les romains. Ces trois civilisationsmditerranennes antiques ont laiss des traces dorganisations urbaines brillantes (Tingis, Lixus, Sala, volubilis et biendautres).

    Les Vandales et les Byzantins nont fait que transiter un court instant par le pays : ni eux ni les trois civilisationsprcdentes nont particip au peuplement du pays de faon significative. Ce nest pas le cas de lapport Arabe partir dela fin du septime sicle du calendrier universel.

    Les arabes ont amen au Maroc plusieurs lments essentiels, savoir : une nouvelle ethnie de peuplement, unenouvelle langue et surtout une religion vhicule par cette langue : lIslam.

    Les arabes se sont aussi allis aux troupes amazighes islamises pour conqurir la pninsule ibrique, liant, ce faisant,lhistoire de cette rgion avec lhistoire du Maroc pendant des sicles.

    En 789, un descendant du Prophte, Idriss 1er, fonde le royaume Idrisside et la ville de Fs, premire forme de lEtat-nation au Maroc et premire capitale, qui allait avoir par la suite un rayonnement incomparable.

    Pendant plusieurs sicles, le Maroc et lEspagne musulmane vont avoir destin li, les souverains Almoravides, Almohadeset Mrinides venant souvent au secours de lAndalousie musulmane. Les flux de populations andalouse et marocaine ontfcond tour tour les villes par del les deux rives du Dtroit de Gibraltar.

    Le peuplement arabe du Maroc ne sest vraiment effectu de faon consistante quau XIIme sicle avec la tribu des BniHilal et au XIIImeavec celle des Maqil. Le brassage va ensuite continuer avec lapport massif des andalous musulmans etjuifs en deux phases, suite au reflux conscutif la chute de Grenade la fin du XVme sicle, et larrive des morisquesexpulss dEspagne au XVIIme sicle. Ces nouveaux immigrants contribueront au renouveau de la civilisation urbainemarocaine.

    Le Maroc a constitu aussi une destination pour de nombreux juifs dEspagne refluant avec les arabo-andalous, ou fuyantlInquisition. Ces populations juives vont venir alimenter les communauts judo-berbres qui taient prsentes au Marocbien avant larrive de lIslam. La terre marocaine a constitu un creuset ayant permis ce brassage de populations juivesdethnies diverses, qui se manifeste encore aujourdhui par une forte spcifi culturelle et historique.

    Enfin, ce melting pot national a bnfici continuellement dapports noirs en raison de la permanence des relations duMaroc avec lAfrique subsaharienne par lentremise de sa profondeur saharienne. Le mtissage avec les ethnies noirestait surtout le fait des rgions mridionales du pays. Avec les corps expditionnaires quenvoyrent les sultans MoulayIsmail, et Ahmed Al Mansour Ed Dehbi, ce mtissage allait tre diffus dans le reste du pays.

    A partir du milieu du XIXme sicle le peuplement du Maroc ne va subir que des ajustements mineurs : sous la forme deflux et de reflux de minorits europennes et algriennes.

    Ce bref dtour met en perspective le faonnage historique de la nation et du peuplemarocains, pralablement la description et lanalyse de leur volution durant les 50dernires annes. Linterpellation de lhistoire, voire de lanthropologie, procure despossibilits de comprhension et dexplication des phnomnes sociaux et conomiques.Mais, le caractre intensif et indit des changements qua connus le sicle dernier, avecles acclrations auxquelles ils ont donn lieu, doit constituer un lment principal detoute lecture de litinraire du Maroc daprs lIndpendance.

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    Concernant la priode rcente,lidentit marocaine sest forgegalement travers la lutte pourlIndpendance et travers lamobilisation pour le parachvementde la dcolonisation du pays,

    notamment avec la rcupration desprovinces sahariennes. Les luttescontre le colonisateur ( pacification entre 1912 et 1934, foyers multiples dersistance souvent coordonnes,) ontraviv lappartenance marocaine et ralliles nergies populaires un dessein plusnational, transcendant les vellitsrgionales et tribales existantes.

    Soumise au rythme acclr duchangement qui caractrise notre

    poque, la socit marocaine aconnu, connat et connatra destransformations profondes dans sadmographie, ses structures et son systme de valeurs et de comportements.Elle a connu galement, durant les cinquante dernires annes, une redynamisation deson patrimoine et de son activit culturelle. En outre, la diaspora marocaine affirmeaujourdhui, son apport lconomie nationale, et agit en tant quacteur du pays et entant que facteur de changement social.

    Les sections ci-aprs abordent ltat et lvolution du potentiel humain national, souslangle de ces transformations. La priode tudie est celle qui stend de lIndpendance nos jours.

    2.UNE DEMOGRAPHIE EN TRANSITION AVANCEE

    Le Maroc sinstalle aujourdhui dans une transition dmographique avance. Lergime dmographique de la population marocaine a profondment chang enun demi-sicle et a tendance voluer, avec une certaine acclration, sur lespas des pays transition accomplie. Les projections dmographiques laissentprsager la poursuite de cette tendance qui ne manquera pas dinduire de nouvellesdonnes, avec un impact sur lensemble de la socit et des consquences sur lconomiedu pays.

    2.1. Evolution de la population marocaine depuis lIndpendance

    Le premier recensement de la population organis aprs lIndpendance futcelui de 1960. Depuis, le Maroc entreprend chaque dcennie un recensement gnral dela population et de lhabitat, dont le dernier a eu lieu en septembre 2004. Cesrecensements permettent une meilleure connaissance, entre autres, du comportementdmographique de la population marocaine. Le dispositif statistique national (enloccurrence la Direction de la Statistique), ainsi que lorgane danalyse et de projectiondmographiques (Centre dEtudes et de Recherches Dmographiques) ont acquisaujourdhui une expertise reconnue en la matire.

    Selon certaines estimations, la population marocaine slevait prs de 5millions dhabitants au dbut du sicle dernier et prs de 9 millions en 1952,soit une croissance de 4 millions pendant toute la premire moiti du 20mesicle. Au cours de la deuxime moiti du mme sicle, il a fallu seulement un peu plusdune dcennie (1952-1964) pour enregistrer un accroissement quivalent.

    Recouvrement de lIndpendance du Royaume

    Ds son indpendance, le pays a naturellement tent derecouvrer son intgrit territoriale. Cette politique lgitime

    de restauration de la souverainet nationale sur lesterritoires spolis par la colonisation, a t marque parplusieurs tapes : intgration de Tanger en 1957 en mettantfin au statut international de la ville ; rcupration deTarfaya (en vertu du trait de Cintra du 12 Avril 1958) puisde lenclave dIfni (en vertu du trait du 4 Fvrier 1969) etenfin du Sahara Marocain (en vertu de laccord de Madriddu 14 Novembre 1975).

    Aujourdhui encore, certaines villes et lesmditerranennes sont sous domination espagnole.Egalement, lentretien dun conflit autour de la question duSahara marocain prouve que les convoitises sur le pays

    nont pas cess et quelles ont simplement chang denature.

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    RDH50 Chapitre 3 13

    De 1960 2004, la populationmarocaine a t multiplie par 2,6,passant de 11,6 millions 29,9millions. Son taux daccroissementannuel moyen a volu en baissantde 2,6% au cours de la priode

    1960-1970 1,4% entre lerecensement de 1994 et celui de2004.

    Laccroissement dmographiqueest plus prononc en milieuurbain quen milieu rural. Lapopulation urbaine sest accrue,entre les deux derniersrecensements, un rythme annuelmoyen de 2,1%, tandis que ce tauxna t que de 0,6% pour la

    population rurale. Il sagit dunediffrence importante, qui ne permettoutefois pas encore de parler dunedcroissance dmographique dumonde rural, ni a fortiori dun dbutde dpeuplement des campagnes.

    Lacclration de la croissancedmographique, observesurtout pendant les deuxpremires dcennies delIndpendance, a accentu la pression sur les ressources et a fini par peser sur les

    efforts entrepris en matire du dveloppement conomique et social. Cest l un fait,certes rvolu aujourdhui, qui ne doit pas tre perdu de vue dans toute entreprisedvaluation de leffort de dveloppement entrepris dans le pays ces 50 dernires annes.

    La dclration du taux daccroissement de la population est la manifestation laplus vidente de la transition dmographique, mme si elle nen constitue pas laseule expression. Celle-ci sopre en effet par le biais dune transition croise de lamortalit et de la natalit et se traduit par une affectation du rythme de la croissancedmographique et par une modification de la structure par ges de la population.

    2.2. Caractristiques et implications de la transition dmographique

    Au lendemain de lIndpendance, la population marocaine se caractrisaitencore par des niveaux levs de mortalit et de fcondit. Mais cette poquedj, et sous leffet des progrs sanitaires, la mortalit a commenc baisser et creuser lcart avec la fcondit, ce qui a gnr une croissance plus rapide de lapopulation pendant les deux premires dcennies de lIndpendance.

    A partir du milieu des annes 1970, la deuxime phase de la transitiondmographique fut entame, avec une fcondit qui na pas cess de dcliner.Les derniers recensements et enqutes ont confirm cette tendance et ont mme montrque la transition de la fcondit au Maroc tait lune des plus rapides au monde.

    Evolution de la population du Maroc(1900-2004)

    0

    5 0 0 0

    1 0 0 0 0

    1 5 0 0 0

    2 0 0 0 0

    2 5 0 0 0

    3 0 0 0 0

    1 9 0 0 1 9 1 2 1 9 3 6 1 9 5 2 1 9 6 0 1 9 7 1 1 9 8 2 1 9 9 4 2 0 0 4

    A n n e s

    Effectifdelapopulation(enmilliers) Ensemble

    Urbain

    Rural

    Source: RGPH (2004) et CERED (1997), Situation et perspectivesdmographiques du Maroc

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    Un e m o r t a l i te n r e c u l

    La mortalit est la composante ngative de la dynamique dmographique. Sonvolution est le reflet du degr damlioration des conditions sanitaires des populations,de leur accs aux infrastructures dassainissement et dhygine et de la qualit des soinsprventifs et curatifs dispenss. Les donnes disponibles situent le taux brut de mortalit 25,7 entre 1950 et 1955 et 18,7 en 1962. Lesprance de vie ne dpassait pasles 43 ans pour la premire priode et 47 ans pour la seconde. La mortalit infantile et

    juvnile atteignait, quant elle, des niveaux trs levs. Ce sont ces deux paramtresqui rsument le mieux la baisse de la mortalit. En effet, lesprance de vie lanaissance des Marocains sest inscrite en hausse rgulire depuislIndpendance, passant de 47 ans au dbut des annes soixante 71 ansaujourdhui (72,5 ans pour les femmes contre 68,5 ans pour les hommes), soit un gainmoyen de plus de deux trimestres par an durant le demi-sicle pass.

    Il en a t de mme pour la mortalit infantile qui a baiss un rythme trs rapide,passant de 149 pour 1000 naissances vivantes (170 en milieu rural et 100 enmilieu urbain) en 1962 47,9 en 2004 (56,7 en milieu rural et 38,6 en milieuurbain). Lamlioration de linfrastructure sanitaire et les campagnes de vaccination desenfants en bas ge contre les maladies de lenfance (tuberculose, diphtrie, ttanos,coqueluche, poliomylite et rougeole) ont jou un rle primordial dans cette baisse.

    La ch u t e d e l a fcon d i t

    La deuxime phase de la transition dmographique a t enclenche par la baisse de lafcondit. Entame avec un certain retard par rapport la mortalit (vers la fin desannes 1970 et le dbut des annes 1980), la chute de la fcondit au Maroc a t, limage des autres pays du Maghreb, lune des plus rapides au monde. Le Maroc na, eneffet, mis que 20 ans pour parvenir des rsultats quasi-similaires ceux obtenus encinquante ans par certains pays dAsie. La fcondit atteint aujourdhui des niveaux quitendent vers celui du remplacement des gnrations, comme cela est dj le cas pour lemilieu urbain. Certes, lindice synthtique de fcondit, qui mesure lintensit dela fcondit des femmes, est pass de 7 enfants par femme en 1962 2,5 en2004 (2,1 en milieu urbain et 3 en milieu rural).

    Il est ds lors clair que lecomportement procrateur des femmes marocaines qui aconnu une transformation profonde durant les 50 dernires annes, explique en grandepartie le changement du rgime de fcondit et, par consquent, la transitiondmographique densemble. Ce changement peut aussi tre considr comme le refletdune certaine mancipation des femmes, rurales comme urbaines, par rapport lafonction reproductive dans laquelle elles taient confines des sicles durant. Ce nouveaucomportement procrateur sest gnralis mesure que se sont gnralises lespratiques contraceptives. Estime seulement 8% dans les annes soixante, laproportion de femmes qui utilisent des moyens contraceptifs dpasse aujourdhui les60%. Dtermin largement par le niveau dinstruction, le taux de prvalencecontraceptive est aussi lgrement plus lev dans les villes que dans les campagnes (66% contre 60 %).

    La nuptialit, de plus en plus tardive, constitue ainsi lun des facteurs principaux duchangement du comportement procrateur des femmes marocaines. Le recul de lge aupremier mariage, chez les femmes comme chez les hommes, durant les 50 derniresannes, figure parmi les changements les plus remarquables au sein de la socitmarocaine : lge moyen au premier mariage, qui tait de 24 ans pour leshommes et de 17,5 ans pour les femmes en 1960, est aujourdhui de 31,2 anspour les hommes et de 26,3 ans pour les femmes. Le taux de clibat des femmesges de 20 24 ans et de 25 29 ans est aujourdhui respectivement de 61% et de41%, alors quil ne slevait en 1960 qu 6% et 2,3%. Pour les hommes, aujourdhui,

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    9 jeunes sur 10 de la tranche 20 24 ans, et prs de 7 sur 10 pour celle des 25 29ans, sont clibataires. Il y a un peu plus de 40 ans, ces rapports ntaient que delordre de 6 sur 10 pour le premier groupe dge et dun peu plus de 2 sur 10 pour ledeuxime. Cest dire quel point ces changements au niveau de la nuptialit pourraientinfluencer la variable de fcondit, sans parler de leurs implications sociales et socitales.Cette tendance se confirmant, la transition dmographique ne fera que se

    poursuivre, vraisemblablement long terme.

    Sagissant des autres dterminants et motivations du changement du rgime defcondit, plusieurs facteurs semblent intervenir concomitamment : lamlioration duniveau de vie et du niveau dinstruction des femmes, le planning familial, la matrise de lamortalit infantile, etc.

    Sur le plan des politiques publiques, il y a lieu de souligner la prise de conscience prcocechez les dcideurs de la ncessit de matriser la variable dmographique (daucunsparlaient d explosion dmographique ou de pril dmographique ). Troisvnements historiques illustrent cette prise de conscience : le Mmorandum Royal,rendu public en avril 1965, soumettant au gouvernement, aux partis politiques et aux

    organisations syndicales un programme d'action visant mettre en pratique le contrledes naissances ; la signature par Sa Majest le Roi Hassan II, en 1966, de la dclarationdes chefs d'Etat sur la population ; la cration, la mme anne, de la CommissionSuprieure et des Commissions Locales de la Population. Des dcisions cruciales ont tprises permettant ainsi ladoption dun programme de planification familiale en abrogeantla loi interdisant la propagande anticonceptionnelle (Dcret de juillet 1967). En outre, lesdiffrents Plans de dveloppement conomique et social adopts au Maroc au cours desquatre dernires dcennies n'ont pas manqu de soulever la question de la croissancedmographique et de plaider plus directement en faveur dune politique de population mme de rduire la croissance dmographique du pays (Plan 1965-67, Plan 1968-72).

    Dautres facteurs sont intervenus en toile de fond pour retarder les mariages ou

    pour rationaliser le nombre denfants. La scolarisation, le prolongement de lapriode des tudes et lentre sur le march du travail sont des manifestationsdirectes dune amlioration du statut de la femme qui a eu un effet net sur le reculde lge au mariage et sur le comportement procrateur des couples. Le durcissementdes conditions conomiques et sociales (chmage, logement, ) constitue un autrefacteur non moins dcisif.

    Par ailleurs, il faut noter que le dbat public sur la question dmographique na pas tmarqu, comme ce fut le cas dans beaucoup de pays, par des crispations idologiques etpolitiques tranches. Sans tre absente du dbat public, la dmographie na pasconstitu, malgr son caractre crucial pour le dveloppement conomique et social dupays, un sujet majeur de polarisation pour les acteurs politiques et la socit civile

    Con squ e n c e s d e c e s c h a n g em e n t s s u r l a st r u c t u r e d e s g e s

    Si les dynamiques dmographiques passes et actuelles intressent le prsent, elles sontgalement redoutables pour lavenir, de par leur lourdeur et de par les phnomnesdmographiques et sociaux nouveaux dont elles sont porteuses. Cest ainsi que lamodification de la structure par ge de la population est lune des implications profondeset critiques de la transition dmographique. Des problmatiques fondamentales, tellesque lducation, lemploi, lpargne, les dpenses publiques, la sant, la protection socialeet lamnagement du territoire, en dpendent trs troitement et de manire durable.

    Consquence de la croissance dmographique assez rapide durant les deux premiresdcennies de lIndpendance, le profil dmographique par ge de la populationmarocaine se caractrise aujourdhui encore par sa jeunesse et par la croissance destranches en ge dactivit. La part des moins de 15 ans atteint actuellement les 30%,

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    tandis que celle des 15-59 ans slve plus de 62%. Quant la proportion despersonnes ges, il y a lieu de remarquer sa relative stabilit sur les 50 dernires annes,stablissant aujourdhui 8%. Si cette jeunesse de la population a constitu un potentielhumain considrable, elle a nanmoins impos des dfis quantitatifs aux diversespolitiques publiques, notamment dans les domaines de lducation, de la sant et delemploi. Cependant, les effets de la transition amorce ces 30 dernires annes sont

    surtout porteurs denjeux pour le futur.

    Lenjeu de cette fentre dopportunit dmographique est capital pour notre pays quidevrait en tirer pleinement profit, en mettant au travail les cohortes de jeunes quiarrivent sur le march de lemploi. Si tel nest pas le cas, la population marocaine vieillirainluctablement un rythme plus rapide que sa capacit crer de la richesse. En effet,la population ge de 60 ans et plus va commencer augmenter sensiblement partir de

    2015-2020 (les nombreuses cohortes nes en 1955-1960 arrivant toutes lge de laretraite). Au-del de cet horizon, le pays va connatre un processus de vieillissementacclr et le rapport de dpendance actifs/inactifs se dgradera singulirement. LeMaroc ne vieillira pas seulement par la base (suite la rduction des gnrations jeunes),mais galement par le sommet (suite un allongement de lesprance de vie).

    2.3. Lurbanisation et la dynamique des villes

    Au dbut du sicle pass, le Maroc tait encore caractris par un taux durbanisationrelativement faible, qui ne dpassait gure 8%. Le premier recensement de 1960 estimaitle taux durbanisation environ 29%, contre 55,1% en 2004 ; ceci est le rsultat du crotnaturel de la population citadine et, principalement, de la dynamique migratoire des

    campagnes vers les villes et des reclassements administratifs qui ont tendu lesprimtres urbains des villes ou promu des centres ruraux au statut urbain. Ainsi, lapopulation urbaine, qui ne dpassait pas 3,4 millions en 1960, a presque quintupl pourstablir 16,5 millions en 2004.

    Lanalyse comparative montre cependant que le rythme durbanisation au Maroc, certesplus lev que celui de la croissance dmographique elle-mme, est rest relativementmodr. En plus, et comme soulign plus haut, lurbanisation sest droule sans que lemonde rural ne voie sa population, en nombre absolue, se ralentir de manire prononceou dcliner, bien au contraire.

    Une fentre dmographique jusqu 2015

    Le rapport entre inactifs et population en ge actif, dit taux de dpendance dmographique, renseigne sur la charge oulopportunit quinduit une structure des ges en matire de dveloppement. Cet indicateur cl de la transitiondmographique a amorc une tendance la baisse qui devrait se poursuivre jusqu 2015. Il rsume, en fait, troisconsquences majeures dj perceptibles :

    - la diminution de la part des moins de 15 ans ;- lexpansion extraordinaire de la part des 15-59 ans, avec une dclration partir de 2015 ;- le vieillissement, plus important, de la population.

    Cettebaisse du rapport de dpendance est limite dans le temps. La priode qui lui correspond est qualifie de fentredopportunit dmographique quil sagit de transformer en dividende dmographique , comme cela fut le cas dansplusieurs pays notamment en Asie.

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    La multiplication des villes et des centres urbains est une ralit qui seconfirme au Maroc, avec des rythmes diffrencis selon les rgions du Royaumeet une concentration sur le littoral. En 1960, le Maroc comptait 112 villes, dont 11grandes villes et moyennes (plus de 50 000 habitants). En 2004, ce nombre dpasse les350 villes, dont 54 ont une taille deplus 50 000 habitants. La

    population urbaine marocaine seconcentre dans ces dernires.Cette catgorie de villes quireprsente, aujourdhui, 15 % delensemble des localits urbainesmarocaines abrite, elle seule,prs de 8 citadins sur 10. La chaneurbaine atlantique regroupe 14villes, dont une agglomration depresque 3 millions dhabitants quiest celle de Casablanca ; trois villesdun peu plus de 500 0000

    habitants (Rabat, Sal etTanger) et enfin 9 villes dun peuplus de 100 000 habitants.

    La dynamique urbaine au Maroc, processus historique appel se poursuivre,pose ainsi plusieurs questions de fond en termes damnagement du territoire,dorganisation des activits productives et de comptitivit. Cette question estdautant plus cruciale que lmergence de grands ples urbains constitue aujourdhui,avec la mondialisation, un critre dterminant dattractivit et que nos grandes villesaffichent une tendance la saturation. Les deux grandes villes du Royaume, quiattiraient dans le pass dimportants contingents de migrants ruraux, affichent des tauxdaccroissement global faibles : 0,8% pour Casablanca et 0,1% pour Rabat. Cette

    saturation sest effectue au profit de villes satellites, ce qui pose la question delintgration des diffrentes fonctions urbaines de ces villes et des mtropoles (questionsabordes au chapitre 6 du prsent Rapport).

    La migration rurale a t un facteur et un corrlat de la dynamique urbaine. Depuis ledbut du sicle, les campagnes nont cess de perdre de leur population en faveur desvilles. Partant denviron 8.000 personnes annuellement au dbut du sicle dernier, lesolde migratoire a connu une augmentation progressive, passant 45.000 annuellemententre 1952 et 1960 et 106.000 personnes par an entre 1994 et 2004 . La scheresse,couple un sous-quipement patent du monde rural, a t un des facteursdterminants de la migration vers les villes et les centres urbains.

    Cependant, selon des tudes ralises par le CERED, la migration ruralenexpliquerait que 34 40% seulement de la croissance urbaine. Ce constatpousse temprer la thse de lexode rural massif, phnomne que le Maroc na pasconnu durant son pass rcent. Mais tout pousse galement redouter un tel phnomne lavenir au regard des mutations que devra connatre lagriculture marocaine, sous leseffets conjugus de la scheresse et de la libralisation du commerce des produitsagricoles. Dans le contexte conomique et social actuel, une aggravation de lexoderural risque de compromettre la comptitivit des villes et daccentuer la pauvreturbaine et priurbaine. Lavenir du monde rural est ainsi une question dordre stratgiquequi se dgage de la lecture spatiale de la dmographie nationale. Il ne saurait treenvisag quen rapport avec celui des villes, dautant plus que les expriences trangresindiquent que cest dans les villes que se jouera le sort du dveloppement des pays.

    Par ailleurs, lexprience historique montre aussi que lurbanisation, outre le transfert durservoir du potentiel humain vers les villes, constitue un vecteur puissant de

    Dynamique des villes au Maroc

    Nombre Poidsdmographique

    (%)

    Taille desvilles

    1960 2004 1960 2004100 000 et plus 8 26 64,6 66,750 000 100 000

    3 28 7,1 11,8

    20 000 50 000 12 60 11,5 11,3Moins de 20 000 89 238 16,8 10,3

    Total 112 352 100,0 100,0Source : Haut Commissariat au Plan, RGPH 1960, 2004.

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    transformation sociale et de dveloppement humain. En surbanisant, la socitmarocaine sest ouverte de nouvelles valeurs et connat de multiplesmutations.

    3.UNE SOCIETE QUI CONNAIT DES MUTATIONS PROFONDES

    Tout ce qui traverse la socit marocaine, comme valeurs et normes, comportements etpratiques, acteurs et nergies internes, fait partie intgrante du potentiel humain dupays, et plus prcisment sa composante qualitative ( capital social ).

    La dynamique interne de la socit marocaine connat des mutations profondes.Cest une socit qui surbanise et dont les modes de vie changent ; une socit quiconnat des changements notables sur le plan de la structure familiale et de laparticipation fminine, une socit qui dveloppe de nouveaux canaux dexpression et quiconnat lmergence de nouveaux acteurs et une transformation de ses registres devaleurs. Si la gographie et lhistoire spcifiques du pays ont contribu faonnerprogressivement le socle identitaire du peuple marocain, cest le contact avec la

    colonisation qui a initi le grand tournant dans les mutations que connat la socitmarocaine depuis plusieurs dcennies.

    3.1. Le changement des modes de vie et la diversification des occupations sociales

    Mme sil a volu un rythme infrieur celui dautres nations, le niveau de vie moyendes Marocains a progress de manire rgulire depuis lIndpendance. En tmoignentles Enqutes nationales sur le niveau de vie des mnages, mais aussi les diffrentschangements observables au niveau des modes de consommation, de mobilit, delogement et de pratiques sociales en gnral.

    En termes de consommation totale des mnages, une amlioration du niveau desdpenses par tte ainsi quun changement dans la structure de ces dpenses ont tenregistrs. En effet, et sans inclure les pratiques encore prsentes dautoconsommation,de production domestique et dchanges non montariss, la dpense moyenne par ttesest inscrite la hausse (en labsence de donnes sur les revenus, le niveau de vie desmnages reste approch indirectement par le volume de leurs dpenses). Cette volutiona toutefois t attnue par lrosion qua connue le pouvoir dachat des famillesmarocaines pendant certaines priodes dinflation. Elle est reste tributaire desperformances agricoles surtout en milieu rural. La socit marocaine est galementtraverse par une progression des ingalits, en termes de niveau de vie, entrecatgories de mnages, entre hommes et femmes, mais surtout entre villes etcampagnes.

    Un signe non ngligeable de lvolution du niveau de vie, et surtout des modes de vie, at la modification, mme relative, de la structure des dpenses des Marocains. Laproportion de la dpense alimentaire sy est aujourdhui rduite, alors que les biensalimentaires taient prpondrants dans le panier de consommation dans les annes 60.Les autres dpenses relatives lquipement et aux loisirs commencent prendre unpoids significatif. Couple au dveloppement de la scolarisation, lamlioration gnraledu niveau de vie a permis la socit, surtout dans les villes, de sinstaller dans uncertain consumrisme. Lalimentation, lhygine, lhabillement, la mobilit, le logementsont autant daspects de la vie sociale qui ont subi des transformations profondes. Maisce sont aussi autant despaces qui expliquent, ou dans lesquels sexprime une certainedualit de la socit marocaine ; une dualit perceptible entre groupes ou qui est vcue

    lintrieur des mmes groupes, voire des niveaux individuels quand il sagit des valeurset des comportements.

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    Le changement a concern galement les formes du travail et les occupationssociales en gnral. Beaucoup de mtiers ont bascul dans les secteurs modernes delconomie. Paralllement, le salariat, forme moderne du travail introduite avec leProtectorat, a continu se dvelopper, mme si sa base sest vite essouffle, affichantaujourdhui une stagnation, voire un recul. Les difficults de lconomie assumer ladmographie ont progressivement nourri le secteur informel (lemploi informel

    reprsenterait aujourdhui prs de 40% de lemploi total non agricole) et maintenu lesformes de sous-emploi dans les campagnes. Le sous-emploi et linformellisationdes activits ont servi, certes, dagents de rgulation sociale et de soupapes enpriodes de crise, mais ils ont nanmoins impact lconomie, le fonctionnementde la socit et les stratgies des individus et des groupes.

    3.2. Les mutations de la famille et la participation fminine

    D e s t r a n s f o r m a t i o n s s t r u c t u r e l l e s d e la f am i l l e m a r o c a in e

    La famille marocaine, trame de base et agent de reproduction et de socialisation, a t

    un champ de grandes transformations durant les 50 dernires annes. Celles-ci onttouch autant sa structure que les rapports entre ses membres, bousculant ainsi lemodle familial traditionnel patriarcal, caractris par son tendue et par la concentrationde lautorit du pre, chef de famille, sur les femmes et les enfants. Certains traits de cemodle gardent toutefois une certaine continuit. Il en est ainsi de la rfrence qui estfaite la religion et la tradition et de lattachement quasi exclusif la structure familialeet linstitution du mariage. LEnqute Nationale sur les Valeurs (ENV), mene dans lecadre des travaux du prsent Rapport, a confirm le constat que, malgr ceschangements, la solidarit familiale en gnral, tout comme limportance donne au liendu mariage, sont toujours fortement valorises par la grande majorit des marocains.

    La famille au Maroc a volu, dabord, dans sa structure, devenue plus diversifieet tendant vers le modle de famille nuclaire. Les donnes de lEnqute Nationale sur laFamille rvlent lexistence de 282 types de mnages structures complexes, parmilesquels, 183 se caractrisent par la cohabitation dau moins trois gnrations. Cesmnages complexes sont plus nombreux en milieu rural quen milieu urbain. Ainsi, lafamille nuclaire (compose de deux parents et de un ou plusieurs enfants nonmaris) tend se dvelopper, reprsentant aujourdhui plus de 60% delensemble des mnages (51% en 1982).

    Lavenir des familles tendues, au sens de proximit rsidentielle et de cohabitation,savre dores et dj compromis, cause notamment des difficults de la viequotidienne et du penchant des jeunes couples lautonomie rsidentielle. Il sagit icidune tendance qui devra saffirmer lavenir, puisquelle ne sest pas encore opre auMaroc. En effet, en dpit de la rgression du nombre denfants par femme, la taillemoyenne des mnages a continu progresser jusqu la fin des annes 1990, passantde 4,8 membres en 1960 6 membres en 1995 ; les effets de la croissancedmographique antrieure ont continu peser sur la taille moyenne des mnages. A cetgard, on pourrait se demander si la crise socio-conomique et surtout la monte duchmage des jeunes et linsuffisance des revenus nauraient pas entran unralentissement de la dcohabitation familiale .

    Cette volution ne prjuge en rien du sort de la solidarit familiale qui, elle, continuedexister sous des formes diverses et varies, au-del des frontires domestiques etnotamment en situations de crise. Cependant, quelques constatations au niveau nationalet lexprience des pays dvelopps donnent penser que lampleur et les manifestationsde la solidarit familiale sexposent des mutations ncessitant, ds prsent, decommencer mettre en place des mcanismes de protection sociale et de solidaritorganise en services publics, notamment en faveur des enfants victimes de divorces,des seniors vivants seuls et des personnes aux besoins spcifiques. La catgorie des

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    RDH50 Chapitre 3 20

    familles monoparentales et celle des familles dont le chef de mnage est une femme fontleur apparition dans le champ social marocain. Les dernires enqutes indiquent queplus de 20,2% des mnages sont dirigs par une femme ; 8% des mnages sontmonoparentaux (9% en milieu urbain).

    Un e t r a n s f o r m a t i o n d e s r a p p o r t s i n t e r n e s l a f am i l le

    La famille marocaine a aussi volu sur le plan de ses rapports internes,notamment entre hommes et femmes et entre parents et enfants. En effet, lesrapports intergnrationnels au sein de la famille sont en train de changer dans le sensdune plus grande individualisation et autonomie des adolescents et des jeunes parrapport leurs parents. En outre, les profils traditionnels des clibataires et despersonnes ges ne sont plus ce quils taient auparavant et les pratiques de lacohabitation et du mariage relvent de nouveaux modes dagencement entre la nouvellegnration et la prcdente.

    Cette volution ne se passe pas sans crer des tensions au sein de la famille, du fait duncertain nombre de phnomnes nouveaux, tels le recul de lautorit du pre et lesconflits qui sen suivent avec les enfants, le travail rmunr des femmes au sein descouples qui introduit de nouvelles formes de ngociation autour des dpenses et leramnagement des rles au sein de la famille. Ces tensions saccompagnent parfois depathologies sociales, perceptibles travers la violence contre les enfants ou encore laviolence contre les femmes et la propulsion des enfants dans des situations de pauvret,surtout visibles dans les rues des grandes villes.

    Bien que la famille continue constituer un cadre dappartenance et de scuritpour ses membres, on assiste une volution vers lindividualisme et lmergence de catgories diversifies et souvent fragiles. Cest le cas notammentdes enfants, dont la perception de la valeur strictement conomique est en train dergresser et pour lesquels un nouveau statut social est en train de se construire. Il en estgalement ainsi des adolescents, des femmes clibataires, des femmes chefs de mnageset des personnes ges. Ces dernires gardent encore leur statut symbolique et souventun pouvoir de dcision ; mais certaines tudes indiquent que la vieillesse au Maroc seraitmieux vcue par lhomme que par la femme.

    Lindividualisme dans les rapports familiaux ne veut toutefois pas direlindpendance complte des individus. En effet, tandis que linterdpendancematrielle entre parents et enfants va en diminuant, du moins chez les catgoriessociales moyennes et suprieures, linterdpendance affective et motionnelle rsiste,

    jusqu un certain point, aux effets des transformations conomiques et sociales. Mmeles parents, et parfois leurs enfants disposant dune certaine aisance matrielle prfrentencore rsider proximit de leurs proches. En mme temps, les jeunes, et la socit engnral, trouvent encore honteux demmener leurs vieux dans des hospices (LEnqutesur les Valeurs montre bien cette rsistance). Cest dire que lindpendanceconomique des parents et des enfants nexclut pas linterdpendancemotionnelle. Cest dire, en somme, que la modernisation nemprunte pasncessairement une voie unilinaire et ne dbouche pas forcment sur la familleoccidentale. La famille marocaine constitue ainsi une composante essentielle dupotentiel humain de notre pays ; elle est encore un rservoir de solidarit .

    D e s ch a n g em e n t s q u i r e df i n i ss e n t l e s r a p p o r t s h om m e / f e m m e

    Les changements que connat la famille marocaine ne sont rendus possibles que grce un changement parallle des rapports entre les sexes, du statut de la femme et de saparticipation sociale. Des indices tels que le travail fminin, le comportement matrimonialet la violence domestique en rvlent la nature et la porte.

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    Mises part les disparits bien connues entre hommes et femmes en matiredinstruction, demploi et de revenu, certaines enqutes ralises sur le travail fminin auMaroc montrent limpact du travail des femmes, hors ou dans le mnage, sur les relationsmaritales. Le travail de la femme est, pour elle-mme, source dautonomie conomique,de considration sociale et dopportunit de participation la vie publique. Il est, pour lafamille, source de soutien financier et douverture largie sur son environnement

    socioculturel. Il constitue un passage oblig pour relever le statut social de la femme etpromouvoir son pouvoir de dcision. Il constitue, pour lensemble de la socit, unecontribution dcisive au dveloppement conomique, la justice et la cohsionsociales, la gnralisation du bnfice des liberts et des droits fondamentaux et auprogrs global de la dmocratie.

    Cependant, et loin dinduire une nouvelle division des tches entre les poux, le travailfminin hors du foyer semble plutt en reproduire certains aspects traditionnels, ds lorsque le travail domestique est toujours peru comme une activit essentiellementfminine. Il nest ainsi pas surprenant de remarquer que mme les femmes qui intgrentle march de lemploi consacrent encore une proportion importante de leur temps autravail au sein de leur foyer. En effet, selon lEnqute nationale sur le budget temps

    (1998), 22% du temps des femmes marocaines est consacr aux travaux mnagers et lentretien de la famille.

    Le comportement matrimonial des Marocains a connu lui aussi des changementsnotables, la tte desquels se trouvent la monte progressive du clibat et lechangement affectant les pratiques du mariage. Comme cela a t dj soulign plushaut, la proportion des clibataires au Maroc est passe entre 1960 et 2004 denviron20% 46% pour les hommes et de 17% 34% pour les femmes. Ce phnomne declibat, perceptible notamment chez les 25-35 ans, est souvent expliqu par des facteursconomiques, sociaux et culturels, tels que les dures dtudes, les dlais dattente dunemploi stable, la difficult daccder un logement dcent et indpendant, le cot de ladot et des festivits de mariage et, pour certaines jeunes filles, la crainte de tomber dans

    la situation de divorce, largement dprcie par la socit.. Soulignons au passage quele clibat, comme le divorce, constituent aujourdhui deux phnomnes sociaux malvcus dans notre socit, surtout par les femmes dont ils affectent le statut social.

    Les pratiques du mariage au Maroc ont aussi connu des transformations dcisives. A ladiffrence de leurs anctres, les jeunes daujourdhui matrisent nettement davantage lechoix de leur partenaire, autant que le moment du mariage, et russissent beaucoupmieux faire passer leur bonheur individuel avant les exigences de la cohsion groupale,comme la soulign une tude du CERED sur la famille Fs (1991).

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    Rfo r m e d u c o d e d u s t a t u t p e r s o n n e l

    Lensemble des changements ayant affect le statut des femmes et le fonctionnementdes familles ont t favoriss, par ailleurs, par une modernisation du cadre lgislatifrgissant la sphre familiale, en loccurrence le Statut personnel (la Moudawana). En2004, et au terme dun long parcours damlioration progressive des droits de la femme,souvent sem de rsistances et dincomprhensions, la famille marocaine a pu disposerdun nouveau Code qui institue la rciprocit des droits et des devoirs entre les conjointset qui fonde dsormais le rapport conjugal sur lgalit, le consentement, la concertationet le partage des responsabilits domestiques et familiales. En rorganisant le divorce, enprotgeant les droits des enfants et en imposant des restrictions la polygamie, lenouveau code renforce galement le rapport conjugal. La nouvelle Moudawana est le fruitdun mouvement fminin dynamique, de la vision sage et du courage politique de SaMajest Mohammed VI. Un autre long chemin reste cependant parcourir entre le texteet la pratique.

    3.3. Les jeunes dans la dynamique du changement

    La jeunesse constitue un atout formidable pour le pays et constitue sa chancepour lavenir. Jamais la conjugaison de lavenir et de la jeunesse na eu une tellesignification et une telle porte que celle quelle revt pour le Maroc daujourdhui.Aujourdhui les moins de 30 ans reprsentent plus de 60% de la population ; les 15-34ans 40%.

    Au-del de leur catgorisation statistique, les jeunes reprsentent un potentielhumain considrable, dont la valorisation constitue un dfi crucial pour lacollectivit nationale.

    Paradoxalement, ce formidable potentiel davenir est mal connu en termessociologiques et culturels. Le dficit de connaissances que le Maroc a accumul sursa jeunesse est patent et doit tre combl si lon veut tre la hauteur des enjeux. Les

    rares tudes qui ont t consacres la jeunesse mettent notamment en vidence sadsaffection proccupante vis--vis de la politique (aprs les deux dcennies 60 et 70o une frange de la jeunesse a connu un engouement parfois mme excessif en la

    Le nouveau Code de la Famil le

    Le Code de la famille repose sur un principe de base, celui de rendre justice la femme, de consolider laprotection de l'enfant et de prserver la dignit de l'homme. La responsabilit est dsormais partage entre homme etfemme au sein du foyer. La femme nest plus assujettie, au mme titre que ses enfants, la protection de lhommeavec qui elle partage dsormaiscette aptitude de responsabilit. Son statut de mineure, notamment en matire designature contractuelle de lacte de mariage, disparat avec celle de lhabilitation du tuteur. De mme, le Code de lafamille reconnat la femme un statut de citoyenne, rpondant en cela la stipulation de larticle 6 de la DclarationUniverselle des Droits de lHomme qui reconnat une galit en termes de droits et de devoirs.

    Le Code sillustre galement par la fixation gale de lge au premier mariage (relev de 15 18 ans pour lesfemmes). La rforme a aussi permis au mineur de 15 ans de choisir le parent en charge de sa garde, en cas dedivorce. Dans ce cadre, lpouse autant que le mari, est habilite dissoudre les liens du mariage, sous contrle

    judiciaire. En outre, la polygamie est dsormais soumise des conditions trs difficiles runir.Par ailleurs, le code de la famille a expurg de son texte toute connotation smantique qui assujettirait la

    femme un statut dgradant par rapport lhomme. A ce propos, rappelons que dans lacception prcdente de laMoudawana, son droit tre prise en charge conomiquement tait notamment justifi par lobligation de satisfaire ses besoins primaires (alimentation, soins de sant, habillement), dans lunique but, clairement stipul, de rcompenserson obissance. En instaurant les nouveaux tribunaux de la famille, le lgislateur vise ce que ces derniers renforcentles droits individuels et la cohsion au sein des familles.

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    matire). On note aussi une certaine prise de distance par rapport au systme devaleurs des gnrations prcdentes. La situation et les proccupations des jeunesruraux sont souvent diffrentes de celles des jeunes citadins, linsuffisance desopportunits et les difficults que connat le monde rural ne faisant quaggraver cesdiffrences.

    De mme, malgr les nombreux dfauts du systme ducatif, la jeunessemarocaine est de plus en plus instruite et de plus en plus qualifie. Le taux dechmage qui laffecte aujourdhui en est dautant plus choquant et inacceptable. Au-del du chmage, les problmes vcus par la jeunesse sont si nombreux et sicomplexes quils dpassent les comptences de quelques dpartements ministriels(jeunesse, ducation, sports, culture).

    Le Maroc doit aujourdhui se mettre en harmonie avec sa jeunesse. Le pays setrouve, cet gard, interpell par des questions que le temps ne fait quaccentuer etposer en des termes de plus en plus pressants. Dabord, le maintien dun certaindsintrt peru envers les questions des jeunes risque de compromettre lerenouvellement de la classe politique et lmergence de nouveaux leaders ; il risqueaussi de pousser ce potentiel entre les mains des extrmismes ou dans les voies de la

    drogue et de la migration par le bas ("harragas") ou par le haut (fuite des cerveaux).Ces trois signaux deviennent aujourdhui alarmants et appellent des rponsesspcifiques fortes.

    Partant, linclusion de la jeunesse doit tre totale et multidimensionnelle :politique, conomique, sociale, culturelle et socitale. Le pays parviendra-t-il dvelopper des chantiers conomiques et sociaux ddis cet impratif dinclusion :dans lconomie du savoir, travers la culture, les arts et le sport ?

    Dautre part, la problmatique de la jeunesse et celle de lemploi ont destinli ; la cohsion sociale, la stabilit politique du pays et le dveloppement conomiqueet humain en dpendent largement. Comment faire aujourdhui pour que lconomiemarocaine intgre loffre additionnelle, principalement jeune et de plus en plus

    nombreuse, qui arrive sur le march du travail ? Le dynamisme entreprenarialconnatra-t-il le sursaut quappelle ce grand enjeu, cette poque particulire ?

    Enfin, la question de la jeunesse se pose en termes de ses rapports avec lasocit et de lattitude de celle-ci envers ses jeunes. En particulier, la socitpermettrait-elle aux jeunes suffisamment despaces dexpression, de diversit etdinnovation ? Aurait-elle suffisamment confiance dans ses jeunes pour quils puissentprendre bras le corps les chantiers du dveloppement du pays ?

    3.4 Le changement social et le rapport la religion

    LIslam, religion de la quasi-totalit des Marocains, constitue une composante

    essentielle de leur identit. La religion, aussi bien que son rapport la socit et auchangement social, peut tre aborde comme une Norme/Valeur ; il sagira alors dechercher jusqu' quel point la socit correspond la norme. Une autre approcheconsiste prendre la socit, travers lhistoire rcente, comme point de dpart, etdanalyser ce que les musulmans marocains, individus et groupes, font du religieux. Si lapremire approche est une affaire normative (qui ne sinscrit pas dans le cadre de cerapport), la deuxime est plutt dordre sociologique et anthropologique, visant saisirlvolution des expressions de la religion, en relation avec les changements qua connusla socit marocaine depuis lIndpendance. Dans la section qui suit, cest cette deuximeapproche qui est retenue.

    Par le fait que la religion est imbrique dans le social, le culturel et le politique,

    la socit marocaine a toujours produit plusieurs expressions du fait religieuxdans le respect de lunit cultuelle et politique. On ne peut pas parler uniquementde ses expressions savante et populaire, comme cela a t tay dans le discours

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    colonial. Si les interprtations et les adaptations de la religion au dbut du Marocindpendant se focalisaient sur des ples distincts : celui des fouqaha traditionnels, celuides tendances salafia appelant la rforme et lis au mouvement nationaliste, et celuides adeptes du soufisme, elles voluent aujourdhui vers dautres expressions au sein dela socit.

    La religion constitue dabord une voie daccs la pit et la spiritualit pourtout musulman, travers un ensemble de pratiques et de rituels. Elle est aussiune rfrence culturelle et un marqueur identitaire. Elle stend dans la dynamiquesociale au politique et parfois la mobilisation idologique qui y a recours pour lgitimeret revendiquer une position dans lchiquier politique et celui des dbats dides. Lareligion est ainsi au centre des enjeux sociaux et politiques, nationaux et internationaux.La socit marocaine na pas chapp ces tendances.

    Si la majorit des Marocains continuent vivre leur islamit en bons musulmans , unetranche de la jeunesse instruite, qui a profit des acquis de lducation, estime quelleconnat mieux la religion que ses parents et revendique aujourdhui le droit de laborderautrement, par exemple par le retour aux sources de lIslam ou par une vision plutt

    librale ou encore par une approche dintgration du champ religieux dans les institutionsde lEtat. A partir des annes 1970, la gnralisation relative de la scolarisation a produitdes transformations radicales dans le tissu social. La majorit des jeunes adultes nsaprs lindpendance sont alphabtiss, alors que leur parents ne le sont pas, ou le sontautrement. Cela a conduit revisiter la culture des pres, ou sa reconstitution sur denouvelles bases et partir de nouvelles comptences acquises par lducation. Cestainsi que les tudes qui ont t ralises sur les jeunes ont montr que lareligion est au centre des enjeux intergnrationnels.

    Le rapport de la socit marocaine la religion nest pas aujourdhui tanche limpact des influences internationales, aux montes des intgrismes globaliss,ni leffet de louverture librale du march des produits religieux (livres,

    cassettes, CD, Sites web, mdias tlvisuels). Cest ainsi que la politique religieusenationale et le rfrentiel de la tradition religieuse local ne demeurent point seuls uvrer au niveau de lencadrement religieux du citoyen. On assiste une rorganisationdu champ religieux qui se traduit par diffrentes expressions, lgitimes parfois par desinterprtations de lIslam.

    En effet, la diversit des interprtations autour de la religion, et qui a toujours existdans la socit musulmane, a produit travers les pays musulmans, et mme au-del deces pays, une profusion dinterprtations qui ont parfois abouti aux drives des fatwa, cequi a pouss les pays occidentaux mme crer des instances reprsentatives. Au Maroc,si linstitution de Imarat Al Mouminine constitue, comme cela a t le cas traverslhistoire de la dynastie Alaouite, une source de lgitimit, elle se prsente aujourdhui

    comme une institution garante de lunit cultuelle des marocains. Ainsi il uvre sur leplan conceptuel et pratique rsoudre la problmatique de la relation religion/politique.

    Il est souligner que les dbats qui se crent autour du rapport de la socit la religion dgagent au moins trois tendances : la premire fort majoritaire qui placelinstitution de Imarat al Mouminine au centre de lEtat marocain, la deuxime est unetendance qui consiste islamiser tous les niveaux de la socit en revendiquant unelecture de la religion atemporelle transcendant lhistoire ; et une troisime qui appelle une scularisation de la socit, seule mme, selon ses tenants, de garantir la libertdes interprtations, corollaire de dmocratie et de libert dexpression. Par del cestendances, dautres voix essaient de nuancer lune ou lautre. Lobservation des pratiquesreligieuses des marocains autant que celles des institutions (lEtat et ladministration)

    montre que le pays sans renoncer ses rfrences religieuses est en voie dintgrerlinstitution religieuse dans lespace public. Ce processus mrite quon sy arrte etsurtout quon laccompagne par un effort dijtihadpour permettre la religion de garder

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    sa centralit et dtre un vecteur de progrs et conscration des valeurs universelles dedignit et de libert de la personne humaine.

    3.5. La question de la mobilit sociale

    La morphologie de la socit marocaine traditionnelle a t profondment bouscule ettransforme suite au contact avec la colonisation. Mais, les changements se sontacclrs depuis lindpendance du pays, limage de la stratification sociale : les modesde mobilit sociale ont donn lieu lmergence de nouvelles lites et de nouvellescouches moyennes et la rorganisation des solidarits.

    De n o u v e l l es c o u c h e s s o c i a l e s

    Tout en maintenant, voire en renforant, les structures sociopolitiquestraditionnelles, marques par des hirarchies de droits ou de pouvoirs (Cads, Ayan,Chorfa, Ulama), le Protectorat a contribu, travers de nouvelles activitsconomiques, en milieu urbain, dans les mines, lindustrie et les fermes de colonisation,

    lapparition de nouvelles formes de diffrenciation et de stratification, engendrant denouvelles couches sociales.

    Ce changement sest effectu principalement dans la socit urbaine, dabord parlapparition dun salariat nourri par la migration rurale, ensuite par la cration progressivede couches moyennes issues de linstruction moderne et des nouveaux secteurs delconomie et, surtout, de ladministration. Dans lespace urbain, se dessine la nouvelleconfiguration sociale : Mdinas, villes nouvelles et bidonvilles ont constitu des espacessur lesquels se sont greffes des catgories sociales diverses.

    En milieu rural, larchitecture sociale demeura longtemps base sur la tribu, dans laquellese trouve une multitude de dtenteurs locaux de pouvoirs et de chefferies, allant des

    petits amghars aux grands Cads, comme ceux de lAtlas. Le Protectorat fit le choixdoprer travers les structures et les hirarchies existantes (caidat, jmaa, orf, zawya,). Cependant, les structures sociales rurales nchapperont pas la dynamique dechangement, relativement plus lente quen ville, travers la colonisation des terres, lecontact avec les colons, le travail salarial (mme occasionnel) dans les fermes,lintroduction de nouveaux biens de consommation et moyens de production et lamontarisation graduelle des changes.

    Le recul du rle institutionnel et social de la tribu a constitu un des grands changementsque le Maroc a connus depuis son indpendance. Ce recul est diffrenci selon les rgionset naboutit pas encore la disparition totale des fonctions politiques et de solidarit delinstitution tribale.

    Une m o b i l i t so c i a l e f a c i l i te p a r l a dm i n i s t r a t i o n , l du c a t i o n e t l co n om ie

    Au cours des premires dcennies de lIndpendance, la socit marocaine aconnu de nouveaux modes de mobilit sociale, consquence de la dynamiqueenclenche au temps du Protectorat et du dveloppement de ladministration et denouveaux secteurs de lconomie. En outre, la mobilit spatiale, phnomne li lattraitque reprsente la ville pour les ruraux et au manque dopportunits dans les campagnes,a t galement vcue comme une sorte de mobilit sociale.

    Si durant le Protectorat, les rouages essentiels de lconomie furent contrls par les

    trangers et laccs des marocains aux nouveaux statuts et fonctions dlite, y compris lafonction publique, demeura fort restreint (comme en tmoigne le nombre limit de fils denotables qui ont pu recevoir une instruction et rejoindre de telles lites), avec

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    lIndpendance, lEtat est peu peu devenu une source principale dopportunits, demobilit et dascension sociales, en tant que pourvoyeur dducation, demplois, decapitaux, de fonds fonciers, de marchs publics, de licences diverses, etc. Ledveloppement de ladministration et des services publics a t un vritable gnrateurdes lites actuelles et notamment des nouvelles couches moyennes. Par exemple, leseffectifs du personnel de lEtat ont connu une croissance rapide : de 32 000 en 1954,

    parmi lesquels beaucoup dtrangers, ils sont estims en 2002 679 638, tousmarocains, soit une multiplication par plus de 21 en un demi sicle.

    Jusquau dbut des annes 1980, lducation a t un facteur majeur demobilit sociale, procurant laccs des diplms aux nombreuses opportunits demploisdans le secteur priv et, surtout, dans le secteur public. Partant, elle a permis sesbnficiaires damliorer leur niveau de vie et, le cas chant, daccder aux cercles dedcision. Comme cela va tre abord plus loin, le systme ducatif national a pu, malgrles difficults qui ont jalonn son histoire, procurer ladministration et lconomiemarocaines des cadres qui ont assur la relve et contribu au dveloppement et lagestion du pays.

    La mobilit et lascension sociales ne se sont pas uniquement opres par le biais de cestrois canaux principaux que sont lcole, ladministration et lconomie formelle. Plusieursautres leviers ont t utiliss, tels que lconomie informelle et lmigration. Mais, lerevers de la course la mobilit et lascension sociales se reflte dans ltendue ducommerce illicite, de la contrebande et des rseaux corporatistes et clientlistes. Lamobilit sociale reste toutefois un des thmes les moins apprhends par lesstatistiques et les sciences sociales au Maroc, demeurant ainsi un vritablechamp pour la recherche lavenir. Il en est de mme de la question centrale dela classe moyenne.

    L e r l e cr u c i a l d e s c o u c h e s m o y e n n e s

    Une des consquences les plus importantes de cette mobilit sociale est laformation de couches moyennes, souvent prsentes comme un potentieldterminant en matire de dveloppement conomique et social, de dmocratisation etde dynamisme social en gnral. Ces rles de la classe moyenne sont cependant difficiles apprhender dans le cas du Maroc, dautant plus que cette classe reste encore unesrie de couches ou de strates mal identifies. Elle se dfinit principalement par dfaut etde manire rsiduelle : sont considres comme couches moyennes de la socit toutescelles qui nappartiennent ni llite suprieure ni aux pauvres et aux vulnrables.Certaines estimations la situent 44,2% de la population en comparaison aux couchespauvres et vulnrables (47,3%) et aux couches suprieures (la bourgeoisie daffaires,llite politique et llite du savoir-faire moderne : 8,5%).

    La formation des couches moyennes doit beaucoup aux mesures prises aulendemain de lindpendance. En effet, la marocanisation des cadres, associe desrecrutements massifs de fonctionnaires, la distribution des terres de colonisation, lamarocanisation, le lancement de grands travaux et de projets industriels publics ontfacilit la mobilit sociale au cours des annes 60 et jusquau milieu des annes 70. Aucours des dcennies 70 et 80, le secteur priv, particulirement le secteur des services, afait largement appel des cadres moyens et, dans une moindre mesure, des cadressuprieurs. Cette demande, conjugue celle de ladministration publique qui continuait recruter, notamment dans les secteurs sociaux, a permis lducation de jouer son rledascenseur social donnant aux couches moyennes leur morphologie actuelle. Il estdifficile, nanmoins, daffirmer que ces couches reprsentent une classehomogne, ayant une conscience dappartenance commune et un systme de

    valeurs et de comportements uniformes. Il sagirait davantage dune nbuleuse quiregroupe un large spectre de catgories socioprofessionnelles dont les conditions socialeset le mode de vie sont variables : cadres, professions librales, fonctionnaires et cadres

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    moyens, commerants, petits et moyens entrepreneurs, agriculteurs, artisans,prestataires de services, etc.

    Si le rle des couches moyennes est sans doute crucial, il demeure cependantdifficile, dans ltat actuel des connaissances sociologiques, den rendre comptede manire rigoureuse. Certaines interviennent en tant que locomotive de la socit,

    vecteur de modernit et des valeurs de progrs, amortisseur social et espace efficace desolidarit. Dautres paraissent plutt conservatrices et passistes, rticentes touteadaptation aux mutations technologiques et socioculturelles, voire sensibles aux appelsextrmistes. Mais le poids sociopolitique de ces couches, dans leur ensemble, est attestpar leur prsence dans les circuits administratifs et la bureaucratie (majorit defonctionnaires), le secteur de lducation et de la formation des nouvelles gnrations(majorit dinstituteurs et denseignants), le secteur des mdias qui contribuent lafaonnage de lopinion, la tte de nombreuses PME du pays, et enfin, dans lesformations politiques et dans les organisations syndicales et professionnelles.

    Partant de nos retards en matire de dveloppement humain et connaissant, par ailleurs,le rle davant-garde et de moteur qua jou la classe moyenne dans le dveloppement

    de beaucoup de pays, on est aujourdhui en droit de se demander si notre classemoyenne sest suffisamment largie pour jouer pleinement ses rles en matire dedveloppement conomique, social et politique du pays ; ou bien si elle a failli dans cerle stratgique en ne russissant pas tirer la socit vers le haut, cause notammentdun conservatisme qui laurait caractrise. Chacune de ces deux thses peut paratreplausible jusqu un certain point. En outre, on peut penser que lEtat na pas russi mobiliser massivement les couches moyennes et en faire un partenaire largement actifet suffisamment innovant dans la stratgie du dveloppement. En tout tat de cause, denombreuses expriences montrent que cette classe devrait tre hisse au rang dacteurcritique et de cible privilgie des politiques de dveloppement, ce qui est dj enbauche, travers les rcentes politiques publiques en faveur de la promotion des PME,par exemple, ou encore travers les mesures dextension de la protection sociale.

    Mme en labsence de donnes chiffres, plusieurs analyses attirent lattentionaujourdhui sur le phnomne de pauprisation qui touche certains pans des couchesmoyennes au Maroc. En tmoigne, en particulier, le transfert de la pauvret et duchmage qui sopre par des mcanismes divers vers les catgories les moins bien lotiesde cette classe. Aujourdhui, avec la crise de lcole, lessoufflement du recrutement dansladministration et lincapacit du secteur priv prendre le relais lchelle requise,lascenseur social semble connatre un blocage qui aggrave ainsi la perception desingalits et fragilise la cohsion sociale. Cette question est mettre, par ailleurs, enperspective avec le dlitement amorc des solidarits traditionnelles. En effet, lecapital latent de solidarit qui caractrisait la famille et la socit marocaines tendaujourdhui saffaiblir sous leffet du changement social, de lvolution conomique et de

    la monte de lindividualisme. Bien que la famille, par ncessit conomique, demeure unrefuge pour les jeunes, limage des rseaux familiaux traditionnels, producteurs devaleurs de solidarits et de scurit pour les individus, nest plus aujourdhui aussi forteque par le pass.

    3.6. Lmergence de nouveaux acteurs et de nouveaux canauxdexpression sociale

    Devant linsuffisance des solidarits institutionnelles par rapport lampleur desbesoins sociaux, on a assist lmergence de nouvelles formes de solidaritportes par de nouveaux types dacteurs qui animent aujourdhui le vastespectre de la socit civile du pays. Celle-ci ne se rduit dailleurs pas aux seuls

    acteurs oprant dans les domaines de laction de solidarit sociale directe, maiscomprend aussi de nombreuses associations de dbat, de plaidoyer et de revendication.

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    La socit civile impacte aujourdhui le fonctionnement de toute la socitmarocaine et simpose comme acteur central du dveloppement humain. Il enest de mme, particulirement, des autres acteurs nouveaux et des autresgroupes sociaux qui saffirment : acteurs locaux, mouvements des femmes, jeunes,etc. Coupls au dveloppement des mdias, sur lequel ils sappuient, ces divers acteursconstituent aussi de nouveaux canaux dexpression sociale.

    Em e r ge n ce e t dv e l o p pe m en t de l a so c itci v i l e

    Le Maroc, qui dispose