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1 RAPPORT AU PREMIER MINISTRE SUR L'ATTRACTIVITE DU TERRITOIRE FRANCAIS Michel CHARZAT Parlementaire en mission - Juillet 2001 -

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RAPPORT AU PREMIER MINISTRE

SUR L'ATTRACTIVITE DU TERRITOIRE FRANCAIS

Michel CHARZAT Parlementaire en mission

- Juillet 2001 -

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RAPPORT AU PREMIER MINISTRE

SUR L'ATTRACTIVITE DU TERRITOIRE FRANCAIS

Michel CHARZAT

Parlementaire en mission

Rapporteurs :

Pierre HANOTAUX Claude WENDLING Inspecteur des Finances Inspecteur des Finances

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PREMIERE PARTIE :MESURES DE LA FRANCE /FORCES ET FAIBLESSES DE LA SOCIETE FRANCAISE DANS LA COMPETITION MONDIALE 8

A. LES FONDEMENTS DE L’ATTRACTIVITE FRANCAISE 8 I. Valoriser nos atouts 8

I.1. Le territoire français 8 I.2. La qualité des hommes et des femmes 9 I.3. La qualité de vie 10

II. Assurer nos positions 11 II.1. Renforcer l’effort de la recherche et de développement 11 II.2. Elargir l’accès à la formation professionnelle 12

III. Identifier nos faiblesses 12 III.1. Une fiscalité jugée dissuasive 12 III.2. Un environnement juridique et social considéré comme peu propice 13 aux affaires 13

B. UNE STRATEGIE DE COMPETITIVITE AU SERVICE DE LA VOIE FRANÇAISE 13 I. Une voie qui a démontré sa faculté à réagir 13 II. Une voie renforcée par les options de politique économique choisies depuis 1997 14 III. Une voie confrontée à de nouvelles échéances 16 IV. L’impératif : mobiliser la société française 17

DEUXIEME PARTIE : LES PROPOSITIONS 19 Premier principe : Rendre l’action publique plus efficace 19 Deuxième principe : Penser l’Europe comme nécessaire prolongement de la France 21 Troisième principe : Promouvoir un nouveau contrat social 23

A. RENFORCER LA vocation mondiale DE LA FRANCE 26 I. Améliorer notre image et la promouvoir 26

I.1. Une image qui ne correspond pas à la réalité 26 I.2. Promouvoir une stratégie de communication séduisante 27 I.3. Faciliter la vie de nos impatriés 31 I.4. Stimuler les échanges internationaux pour développer la francophilie 35 des décideurs étrangers 35

II. Redonner à la recherche industrielle les moyens d’une grande ambition 38 II.1. Le constat : une domination américaine renforcée 38 II.2. Une réponse : une action volontaire à l’échelle européenne et française 41 - Une collaboration encore insuffisante 50 - Assurer la pérennité des incubateurs 52 - Mettre au point un système d’évaluation de la recherche performant 55

III. Adapter la formation pour la rendre attractive 66 III.1. Préserver la qualité et le volume des formations initiales technologiques et 66 scientifiques 66 III.2. Elargir l’accès à la formation continue 69

IV. Assurer la stabilité juridique aux acteurs économiques 71 IV.1. Sécurité et stabilité juridiques 71 IV.2. Pour le recours à la loi du contrat 77

V. Simplifier la pratique administrative 80 V.1. Quatre principes à suivre 80 V.2. Faciliter la création d’entreprises 82 V.3. Alléger les problèmes de trésorerie des PME 83

VI. Deux exemples particuliers en recherche d’attractivité 88

B. CONSOLIDER L’ENRACINEMENT NATIONAL DE NOS ENTREPRISES 91 I. Maintenir le centre de gravité des intérêts économiques en France 92

I.1. Attirer ou retenir les sièges sociaux des entreprises en France 92 I.2. Promouvoir la place financière de Paris au service de l’économie française 103

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II. Agir contre la délocalisation des entrepreneurs et des experts 110 II.1. La fiscalité des revenus 114 II.2. L’impôt de solidarité sur la fortune 126

III. Reconquérir au moins partiellement le capital de nos entreprises 131 III.1. Réorienter l’épargne de l’assurance vie et de l’épargne logement vers les actions 133 III.2. Continuer à promouvoir l’épargne salariale et l’actionnariat salarié 138 III.3. Renforcer notre actionnariat domestique par son développement et par l’implication patrimoniale des salariés 140

IV. Redonner une place centrale à l’action syndicale 141

RESUME DU RAPPORT 144

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« Il n’est de richesses que d’hommes »

Jean Bodin (1530-1596) « Il n’est de richesse que d’hommes » : à l’époque où Jean Bodin énonçait cet aphorisme, la France connaissait, d’une certaine manière, la première expérience d’une « mondialisation ». Avec ses heures de gloire – Jacques Cartier partant pour les Amériques, où son expédition donnerait naissance à ce qui allait devenir le Québec – mais aussi ses moments d’infamie – les débuts de la traite des Noirs qui atteindrait son plein essor au XVIIIème siècle. La maxime de Jean Bodin était vraie au XVIème siècle, époque où la richesse de la France se mesurait avant tout au nombre de bras disponibles pour son agriculture. Elle l’est encore bien plus aujourd’hui, alors que la France est devenue un acteur à part entière d’une économie moderne fondée sur le savoir et l’intensification des échanges de toutes sortes. Echanges commerciaux et financiers bien sûr, mais aussi et surtout échanges humains sous toutes les formes de leur commerce : culture, tourisme, immigration, expatriation temporaire ou définitive. Novation radicale de notre époque : le cerveau humain se trouve désormais assisté de moyens prodigieux pour calculer, commander à distance, pénétrer les secrets du vivant et du cosmos, intervenir sur notre propre patrimoine héréditaire. L’informatique, la robotique, les télécommunications, les biotechnologies, avec une dépense minime en énergie, nous font entrer dans le monde inédit de la reproduction à faible coût de nombreux biens et services, du stockage et du traitement instantané de l’information. Le rétrécissement de l’échelle de l’espace comme du temps contraint les institutions financières à réagir à la seconde, les Etats au jour le jour. L’ancienne économie ne disparaît pas mais devient la matière première du système économique qui se met en place. En résulte une vaste redistribution des rôles sur la planète qui coïncide par ailleurs avec une transformation du capitalisme. Le nouveau capitalisme accélère de façon inouïe un certain nombre de mutations qui affectent la totalité de l’expérience humaine. Le choc des mutations technologiques se double de la brutalité avec laquelle le marché conduit les entreprises à exploiter les innovations pour accroître leur compétitivité. De plus en plus, les emplois se créent à partir du développement des services immatériels et non plus à partir de l’industrie au sens classique du terme. Dans un proche avenir, ne subsisteront que quelques grandes industries organisées en réseaux. Déjà la logique de chaque marché n’existe qu’à travers un réseau complexe d’interventions techniques, financières, sociales et politiques qui dépassent l’entreprise, et, de plus en plus souvent le cadre national. On entre ainsi dans un monde nouveau qui apparaît propice pour la technique, encore énigmatique pour la politique. Nos convictions éthiques, forgées lentement par l’Histoire, notre « écosystème » politique ne sont pas préparés à répondre aux enjeux d’une technique domestiquée par des intérêts commerciaux. « Tout devient du contenu : nous payons pour les histoires qui viennent emplir notre vie. La culture devient la principale ressource. Mais qu’adviendra-t-il si nous épuisons cette ressource ? »1 La question qui se pose est désormais la suivante : « Pouvons nous considérer l’homme, cette apparition souveraine dans l’histoire de l’univers, comme responsable de son évolution » 2. 1 Jérémy Rifkin – Le Monde Diplomatique – Juillet 2001 2 Ernst Jünger. Les prochains Titans. Grasset 1998

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Nous ne devons pas adopter une attitude frileuse face à la mondialisation ou nous contenter d’en dénoncer de façon académique les dangers. La mondialisation est notre présent. Sa régulation est notre avenir ! Selon nous, l’économie ne peut se passer de régulations qui appellent l’agencement d’une nouvelle organisation mondiale. La question de la finalité de la mondialisation en cours reste ouverte pour autant que nous le voulions. « Le sens de la mondialisation dépendra de ce que nous en ferons. Car si la mondialisation est un fait, elle n’est pas une fin en soi. Elle suit un cours que nous devons maîtriser, pour en tirer les bénéfices et pour en prévenir les revers »3. Dans cette nouvelle Grande Transformation du monde que nous vivons, les principaux atouts de la France sont constitués par le talent et la créativité de ses femmes et de ses hommes, fruit d’une riche et ancienne culture. Elles et eux, seuls, feront de la mondialisation ce qu’elle doit être pour notre pays : une occasion d’accroître son rayonnement, en donnant l’exemple d’un dynamisme économique respectueux de l’environnement, des équilibres sociaux comme des droits et des devoirs de l’homme en société, mais aussi d’une création culturelle échappant aux mécanismes exclusifs du marché. La partie est engagée. La France a déjà bougé. Les Français ont affirmé leurs capacités : une grande réussite des dernières années tient à l’émergence de très grandes entreprises de taille mondiale. Une autre est que pour la première fois depuis trente ans, le retour au plein emploi apparaît désormais une perspective crédible. Cependant une constatation demeure préoccupante : depuis le début des années 1990, l’évolution de l’effort de recherche et de développement, celle des investissements, sont en deçà de celle des Etats-Unis ou du Japon. Pour redresser cette situation, il est nécessaire de procéder à une accumulation du capital plus rapide et à une meilleure valorisation dans l’économie du savoir. Pour cela, il s’agit de rendre le territoire national, pour un certain temps, plus attractif que celui des autres pays voisins, qu’il s’agisse des compétences comme des capitaux. La place de la France, son influence, sa prospérité dépendent, en dernier recours, d’une détermination : la capacité de notre pays à mobiliser la créativité individuelle et collective. L’enjeu – pour nous – est d’attirer ou de maintenir sur notre territoire les talents, les capitaux, les centres de décision économique, scientifique et culturel. Cette lutte pour être pacifique, n’en est pas moins sans merci. Ne pas se donner les moyens d’y participer mettrait en danger le bien-être des Français, leur emploi, leurs sécurités, leur art de vivre. Nous ne sommes pas de ceux qui concèdent qu’il faudrait travailler plus pour donner de meilleurs rendements aux retraités de Floride. En revanche, nous considérons qu’il convient de travailler mieux pour pouvoir continuer à proposer cette « sorte d’écologie du bien vivre » qui selon Théodore Zeldin caractérise notre pays. Il appartient donc au Politique de se saisir du débat. C’est à cette fin que le Premier Ministre nous a demandé, suite aux propositions formulées par le rapport sur l’entreprise et l’Hexagone (rapport Lavenir) de mener une mission de réflexion sur les moyens de renforcer l’attractivité du territoire français. Nos principaux partenaires européens ont déjà tiré les leçons du nouveau contexte créé par l’arrivée de l’Euro et l’élargissement vers l’Est de l’Europe. Ils ont fait de l’attractivité de leur territoire un enjeu majeur du débat public et adopté une stratégie offensive dans ce domaine. Il importe de réagir pour renforcer nos points forts et corriger nos faiblesses. La société française doit porter son regard, au-delà de ses frontières, à l’horizon du vaste monde et concevoir la chance que lui

3 Lionel Jospin – Allocution au « Centre brésilien des relations internationales ». 06/04/2001

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offre le renforcement de l’Union européenne, espace pertinent pour mieux maîtriser son avenir. Les enjeux d’un nouveau contrat social doivent être rendus visibles, les choix explicités, les conflits assumés. Il est normal que des intérêts, que des forces antagonistes se confrontent au sein de notre société, pluraliste et démocratique. Mais le moment est sans doute venu de mieux faire prendre conscience que tous et toutes peuvent être gagnants dans une stratégie d’attractivité, que les emplois de demain sont gagés par une croissance durable, que la justice sociale et la solidarité le sont par une société d’initiative. Il s’agit de créer des richesses pour assurer et harmoniser la redistribution. Moins d’inégalités, plus de créativité : dans cette perspective, il faut à la fois assurer la mise en place d’une société de formation continue et favoriser l’épanouissement de tous les talents. De même, il faut à la fois reconnaître la légitimité de la réussite matérielle et développer d’autres valeurs, d’autres modèles d’accomplissement. Au terme de cette mission, des quelque quatre-vingts auditions et rencontres des personnalités françaises comme étrangères que nous avons réalisées, nous refusons les discours trop souvent rebattus d’un déclin annoncé de la France, d’une fuite de ses cerveaux. Notre pays obtient de remarquables résultats. Nous avons un devoir de lucidité pour discerner les difficultés et nous avons la volonté de les surmonter. Dans cette perspective, nous affirmons que le problème de l’image de la France n’est pas moins déterminant que celui de sa compétitivité, celui de la fiscalité des personnes physiques pas moins que celui des entreprises. Nous avons choisi de proposer une pédagogie et une stratégie s’appuyant sur de multiples propositions ciblées et coordonnées plutôt que de proférer de vains effets d’annonce. Certains, pour se défausser de leurs responsabilités, organisent le procès d’une France prétendument paresseuse, oubliant qu’en mettant le peuple en accusation, c’est leur propre procès qu’ils instruisent. Notre conviction est qu’existe une large base de mobilisation des forces vives de notre pays sur quelques objectifs majeurs en matière d’attractivité du site France : réussir le pari de l’excellence, renforcer l’appareil de production, créer une nouvelle alliance entre l’économie et l’agir collectif, le local et le global. Les prochaines échéances électorales nationales constitueront un temps fort de la discussion publique qui devra mettre la question de l’attractivité dans la perspective du projet France à l’ère de la mondialisation. Penser un avenir possible et souhaitable, fixer le cap, indiquer le cheminement approprié est une responsabilité éminemment politique.

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PREMIERE PARTIE :

MESURES DE LA FRANCE : FORCES ET FAIBLESSES DE LA SOCIETE FRANÇAISE DANS LA COMPETITION MONDIALE

Le rapport Lavenir sur « L’entreprise et l’Hexagone », qui a constitué la base de départ pour nos travaux, faisait lui-même suite à une série d’études telles que celles du Commissariat général au Plan, d’Avenir 2000, examinant les forces et les faiblesses de la France dans la compétition mondiale. S’agissant aussi bien des handicaps de la France que de ses points forts, ces différents ouvrages aboutissent à un diagnostic largement partagé. Les entretiens que nous avons réalisés ont été l’occasion de vérifier la pertinence de ces appréciations : la France a des atouts incontestables, elle doit les faire connaître et les valoriser. Elle n’en souffre pas moins de faiblesses, qu’il lui appartient de surmonter. Une stratégie de compétitivité à long terme est nécessaire pour que la voie française conciliant réussite économique et justice sociale poursuive son chemin.

A. LES FONDEMENTS DE L’ATTRACTIVITE FRANCAISE

I. Valoriser nos atouts

I.1. Le territoire français Les atouts de la France proviennent d’abord d’un territoire qu’elle a su

intelligemment valoriser. Au croisement de l’Europe du Nord et de l’Europe du sud, du continent

nord-américain et du sud-est asiatique, la France tire largement profit de sa situation géostratégique. Au cœur de l’Europe occidentale qui constitue avec l’Amérique du Nord l’un des deux principaux pôles économiques du monde, le territoire français est une plaque tournante des flux d’échanges. Il constitue une localisation privilégiée pour toutes les entreprises qui entendent, d’un lieu de production ou d’un quartier général unique, desservir l’ensemble de ce marché. C’est, parmi d’autres, l’un des éléments qui expliquent la décision de Toyota de s’installer à Valenciennes.

Les 60 millions d’habitants de la France sont autant de consommateurs

disposant d’un niveau de vie parmi les plus élevés du monde. Ils font du marché intérieur français un marché capital pour toute entreprise – qu’elle soit originaire d’un autre pays d’Europe, américaine ou japonaise – désireuse d’acquérir une véritable dimension européenne. De plus, un tiers de la population de l’Union européenne, soit 100 millions de consommateurs, se trouve dans un rayon de 500 km autour de Paris. C’est, par exemple, l’un des facteurs qui a justifié l’implantation de Disney à Marne la Vallée.

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Au-delà de l’Europe, la France reste largement ouverte sur le reste du monde : sa façade maritime et ses ports lui offrent l’accès tant sur l’Atlantique que sur le monde méditerranéen, ses départements et territoires d’Outre-mer assurent sa présence dans l’hémisphère occidental, dans l’océan indien et dans le Pacifique.

Enfin le territoire français est remarquablement mis en valeur par des

infrastructures d’une grande qualité. La France est, dans le contexte européen, un pays qui dispose de vastes espaces : la densité moyenne de sa population est deux à trois fois inférieure à celle du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou de l’Italie. Elle a su aménager son territoire en rétrécissant les distances par un effort volontariste en matière d’infrastructures de transport : le train à grande vitesse certes, mais aussi les infrastructures routières – à peine 8 % de la population habitent à plus de 50 km d’une voie rapide ou aéroportuaire -, avec une centaine de plates-formes à vocation commerciale.

I.2. La qualité des hommes et des femmes Au-delà des données géographiques et de la taille de son marché, un atout

de la France revient comme un leitmotiv chez les interlocuteurs – français ou étrangers – que nous avons rencontrés : c’est la qualité des femmes et des hommes qui compose la force de travail française.

Conséquence de l’effort considérable de formation amplifié depuis une

vingtaine d’années, cet effort a permis de porter l’espérance de scolarisation à temps plein en France (16,5 ans pour un enfant de 5 ans) à un niveau supérieur à ce qu’elle est aux Etats-Unis (14,8 ans) ou au Royaume-Uni (14,2 ans). Les jeunes Français – et pas seulement ceux ayant reçu la formation dispensée dans nos « grandes écoles » – sont, aussi bien et même davantage que la plupart des Européens, capables de tenir leur place dans une économie du savoir. Cela se lit dans les succès que rencontre une nouvelle génération en prise avec la mondialisation : la French touch, mélange de créativité et d’excellence technologique, est appréciée dans la Silicon Valley ; une bonne part des opérateurs sur produits dérivés à la City de Londres est de nationalité française. Certes, on peut s’interroger – et nous le ferons plus tard – sur ces départs : pourquoi de jeunes Français, pour réaliser leurs projets, sont-ils amenés parfois à quitter l’Hexagone, quelque fois définitivement ? Mais pour que l’expatriation soit un succès, encore faut-il détenir une qualification appréciée : c’est incontestablement le cas, et cela témoigne de la qualité des formations dispensées en France.

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Mais la qualification n’est pas la seule composante de la qualité des actifs. Une remarque revient fréquemment : le salarié français travaille efficacement, sait prendre des initiatives, s’implique dans son travail et a ainsi une excellente productivité4. Les entreprises disposent donc, auprès de leurs salariés, d’un véritable capital de dévouement et d’attachement, supérieur à ce qu’on peut rencontrer ailleurs – notamment dans les pays anglo-saxons. Ce qui ne va pas sans imposer aux entreprises certains devoirs : le retentissement que connaissent les suppressions d’emplois annoncées récemment par le groupe Danone s’explique notamment parce que les salariés concernés ont eu l’impression que ce groupe faisait bon marché de ce dévouement et de cet attachement à l’entreprise qu’ils avaient toujours manifesté.

I.3. La qualité de vie La France n’est pas seulement un territoire sur lequel travaillent des

hommes et des femmes. C’est aussi – et surtout – un lieu de vie, et même le lieu d’une qualité de vie appréciable. Certes, une entreprise américaine ne choisira pas d’implanter son quartier général européen à Paris pour que ses cadres puissent déguster leur croissant le matin ! Mais la qualité de vie pourra constituer le petit « plus », qui conduira un investisseur à trancher en faveur de la France.

Malgré sa prodigieuse diversité, malgré ses contradictions et ses passions, la

France et sa civilisation témoignent d’une unité, fruit d’une longue expérience collective de l’histoire. Notre pays reste celui d’un « art de vivre » envié dans un monde en voie d’uniformisation. Or la diversité culturelle est aussi importante que la biodiversité. Les réflexions de Friedrich Sieburg5 auxquelles font écho de nos jours les travaux de Théodor Zeldin6 soulignent ce qui fait différence : la composante culturelle, conviviale de la société française contemporaine constitue un puissant facteur d’attractivité pour nombres de décideurs étrangers.

Encore convient-il que notre pays ne se transforme pas en lieu de mémoire

et en aire de détente pour leaders de la mondialisation. La France ne doit pas accepter une place au sein de la nouvelle organisation du monde qui en ferait le musée d’un art de vivre fossilisé.

La France peut également, dans le cadre de sa politique d’attractivité, faire

fond sur la qualité et l’accessibilité des services collectifs non marchands : au-delà du système éducatif, mentionné plus haut, il faut citer notre système de santé et de protection sociale. C’est certes l’un des plus coûteux du monde, puisque la place des dépenses de santé dans le produit intérieur brut situe la France au quatrième rang mondial, derrière les Etats-Unis, l’Allemagne et la Suisse, au-dessus de la moyenne de l’OCDE (9,6% en 1997 contre 8,0%). Mais c’est l’un des plus efficaces, comme le manifeste une espérance de vie à la naissance de 78,5 ans en 1999, la deuxième au monde, et l’excellente tenue des principaux indicateurs sanitaires.

4 La compétitivité – coût de la France résulte de la comparaison de l’évolution de ces coûts unitaires et de ceux de ses partenaires commerciaux après conversion dans une monnaie commune. Selon l’INSEE, elle a augmenté de 4 % au premier semestre 2000 et de 2,5 % au second – INSEE . L’économie française – Edition 2000/2001 5 Friedrich Sieburg a été l’auteur en 1930 d’un livre au titre significatif « Dieu est-il français ?» qui renvoie à une expression populaire allemande selon laquelle le comble de la félicité serait de « vivre comme Dieu en France » 6 Théodor Zeldin - Les passions françaises – Le Seuil – 1975-1980 – 2 tomes

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La qualité de vie française, c’est aussi l’attachement à un certain nombre de

valeurs qui cimentent une voie française, fondée sur la solidarité et le refus d’une société trop inégalitaire. Au cours de la dernière décennie, la mise en place du revenu minimum d’insertion et de la couverture maladie universelle, ainsi que la promotion de l’épargne salariale, sont venues consolider ce modèle. La question, comme on le verra plus bas, est de savoir maintenant comment adapter la voie française à une économie mondiale globale et déréglementée qui sécrète de ce fait des ferments inégalitaires.

II. Assurer nos positions

II.1. Renforcer l’effort de la recherche et de développement

Réussir l’entrée dans l’économie du savoir, c’est aussi – c’est avant tout – maintenir une capacité de recherche et de développement forte, meilleur moyen de se positionner sur les créneaux les plus riches d’emplois qualifiés et de valeur ajoutée.

Or, selon les statistiques les plus récentes de l’OCDE (1997), l’effort de

recherche français, mesuré par la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD), marque le pas : 2,5% en 1993, 2,2% du PIB en 1997. Dans le même temps, aussi bien le Japon (2,9%) que les Etats-Unis (2,7%) maintiennent ou accroissent leur effort. Le fait que les autres pays européens – Italie (1,0%), Royaume-Uni (1,9%) – soient distancés ou que l’Allemagne fasse à peine mieux que nous (2,3%) ne doit pas nous conduire à relâcher notre effort en la matière7.

Plus préoccupant, cet effort financier ne semble pas, au vu des performances

technologiques, d’une pleine efficacité : baisse de la part de la France dans les brevets déposés (aussi bien aux Etats-Unis qu’au sein de l’Union européenne), érosion des parts de marché françaises dans les secteurs les plus dynamiques : NTIC, industrie pharmaceutique.

A cet égard, on parle souvent d’un paradoxe européen, qui est au premier

chef un paradoxe français : bonne tenue de la recherche académique, mais incapacité à exploiter ses résultats au travers d’un « système national d’innovation » suffisamment performant, qui associerait de manière harmonieuse et efficace l’Etat, les entreprises, les universités et laboratoires de recherche. Ne pas y remédier, c’est se vouer à un sort analogue à celui qu’ont connu les laboratoires Bell (« Bell Labs ») aux Etats-Unis, inventeurs du transistor en 1947 (directement à l’origine de toute la révolution électronique) et incapables d’en tirer le profit commercial.

7 Cette dégradation de la situation en matière de recherche est confirmée par le rapport remis par Philippe Busquin, commissaire à la recherche, à l’occasion du conseil de recherche le 26 juin 2001. Selon ce rapport, la situation européenne, apparaît à de nombreux égards inférieure à ce qu’elle est aux Etats-Unis. Et au sein des Quinze, la France est très souvent mal placée, mettant en évidence une situation qu’il est nécessaire d’améliorer – Le Monde du 3 juillet 2001.

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II.2. Elargir l’accès à la formation professionnelle

On l’a vu, la qualité des hommes et des femmes joue incontestablement en

faveur du site France. Encore faut-il se donner les moyens de l’entretenir, dans un contexte où les ruptures professionnelles et technologiques se multiplient et alors que, contrairement au « flux » des jeunes arrivant sur le marché du travail, le « stock » - c’est-à-dire la population active actuelle – n’a reçu qu’une faible formation initiale. En 1996, la population active comptait 19% de personnes sans aucun diplôme, et 66% n’étaient pas allés au-delà du CAP ou du BEP. L’arrivée des générations plus jeunes, mieux formées, ne changera cet état de fait que très progressivement : ce n’est qu’en 2010 que la moitié de la population active aura dépassé le niveau V (CAP ou BEP).

L’enjeu de la formation professionnelle est de permettre à chacun – même

s’il n’a pas de diplôme scolaire – de développer de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire. En effet, il s’agit de corriger les inégalités liées à la formation initiale par une formation continue renouvelée. Il apparaît souvent qu’une grande partie des inégalités trouve son origine dans l’école et la formation initiale. Le système instauré par la loi de 1971 est à la hauteur des enjeux : 143 milliards de francs, soit 2% du PIB, dépensés par les entreprises, l’Etat, l’UNEDIC ou les régions. Pour autant, il atteint ses limites. Opaque, il ne garantit pas une allocation optimale des moyens entre le foisonnement d’organismes de formation recensés (45 000 en 1998). Inégalitaire, il bénéficie davantage aux salariés les plus qualifiés (50% des cadres ont suivi une formation en 1999 contre 12% des ouvriers non qualifiés) et à ceux des grandes entreprises (un salarié d’une entreprise de plus de 500 personnes a trois fois plus de chances de suivre une formation que son homologue dans une entreprise de moins de dix salariés). Les restructurations industrielles en sont d’autant plus douloureuses : la perspective d’un reclassement, pour une ouvrière qui a fait le même travail pendant quinze ans sans recevoir de formation est limitée ; le discours sur l’adaptabilité et l’employabilité reste trop souvent incantatoire. Il faut maintenant innover en favorisant un rééquilibrage des relations entre formation initiale et continue au bénéfice des non-diplômés. Les avantages seraient multiples : meilleure maîtrise des nouvelles technologies, accès à la société de l’information, développement de la citoyenneté. Etre performant en matière de certification professionnelle est gage de plus de justice pour les salariés en réduisant les inégalités par l’accès facilité à l’acquisition de savoir-faire et de meilleure productivité pour l’entreprise.

III. Identifier nos faiblesses

III.1. Une fiscalité jugée dissuasive

La fiscalité vient au premier rang des facteurs dissuasifs dans la littérature consacrée à l’attractivité du site France. Le poids des prélèvements fiscaux et sociaux serait ainsi, pour 93% des 350 dirigeants de filiales françaises de groupes internationaux interrogés dans le cadre d’une l’enquête réalisée fin 2000 par Ernst & Young8, le premier handicap de la France.

8 Etude Ernst & Young réalisée du 18 septembre au 20 octobre 2000 auprès de 350 dirigeants de filiales françaises de groupes internationaux et actualisée le 3 avril 2001 par entretiens auprès de ces dirigeants.

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Davantage qu’un impôt en particulier, c’est l’accumulation des « mauvais points » qui est à l’origine de ce jugement sévère. Fiscalité des entreprises, impôt sur le revenu, fiscalité de la transmission et de la détention du patrimoine : la France est parmi les pays qui imposent le plus lourdement. Là où d’autres pays ont profilé leur fiscalité en faveur de telle ou telle catégorie (les entreprises financières pour le Royaume-Uni, les riches particuliers pour la Suisse, les entreprises familiales du Mittelstand pour l’Allemagne…), la France impose, à peu près uniformément, un niveau de prélèvement élevé.

Circonstance aggravante : la fiscalité française est jugée peu cohérente,

évoluant parfois de manière réactive, sans dessein stratégique clairement affirmé.

III.2. Un environnement juridique et social considéré comme peu propice aux affaires

A côté des remarques sur la fiscalité, la principale faiblesse mentionnée est

l’environnement juridique et social perçu comme complexe et opaque qui complique la conduite des affaires en France. Les dirigeants de filiales étrangères interrogées par Ernst & Young citent ainsi les rigidités sociales (85%), les 35 heures (84%), la législation sur la gestion des effectifs (63%) et les lourdeurs administratives (62%) parmi les faiblesses du site France9.

Il ne faut pas voir seulement dans ces opinions une demande de « moins-

disant social ». Les interlocuteurs rencontrés comprennent généralement que le compromis social, en France, puisse être différent de ce qu’il est ailleurs en Europe ou aux Etats-Unis. Selon eux, même avec les meilleures intentions du monde, une réglementation, si elle est mal conçue, ou mal appliquée, peut entraîner des effets non voulus. A cet égard, la législation relative aux suppressions d’emplois constitue une matière délicate : les entreprises, au moment de monter un projet d’investissement, ont besoin de stabilité, de prévisibilité. Une législation mouvante, des procédures longues, l’intervention toujours possible du pouvoir judiciaire, sans même qu’un accord entre les partenaires sociaux puisse constituer une garantie de sécurité juridique constituent autant de facteurs susceptibles de faire hésiter un investisseur.

B. UNE STRATEGIE DE COMPETITIVITE AU SERVICE DE LA VOIE FRANÇAISE

I. Une voie qui a démontré sa faculté à réagir

La voie française ne part certainement pas battu d’avance. Elle a au

contraire – et nos interlocuteurs étrangers le notent – engrangé de remarquables succès.

9 Cf Etude Ernst & Young précitée

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Première illustration : la force et la persistance de nos excédents industriels, témoignage de la bonne santé de notre appareil de production. Ils ont permis à la France de surmonter un troisième choc pétrolier, à l’égal de ceux survenus en 1973 et en 1979-1980 : l’excédent de la balance commerciale s’est réduit (108 MdF en 1999, 13 MdF en 2000) mais le commerce extérieur n’a pas été déséquilibré, malgré l’envolée de la facture énergétique (+ 79 MdF en 2000), la hausse du dollar et le dynamisme de la demande intérieure.

Deuxième illustration : la bonne santé des entreprises françaises, qui se

manifeste depuis 1998 par un effort d’investissement soutenu, par le renforcement de groupes français d’envergure internationale, au travers notamment d’investissements directs à l’étranger qui ont connu en 2000 une progression sans précédent (175 MdEuro, chiffre incluant deux opérations exceptionnelles : le rachat de Seagram par Vivendi et celui d’Orange par France Telecom).

L’internationalisation de l’économie française ne se réalise pas à sens

unique, bien au contraire : les investissements directs étrangers en France ont également bondi en 2000, à 48 MdEuro (+50% par rapport à 1999). Et la place de la France comme première destination touristique mondiale reste l’indicateur d’une attractivité qui s’exerce tant sur les personnes que sur les entreprises.

II. Une voie renforcée par les options de politique économique choisies depuis 1997 Ces résultats sont bien entendu liés au premier chef à l’action des entreprises

françaises et des Français eux-mêmes, qui ont su faire jouer leurs atouts dans la compétition internationale. Mais ils doivent aussi beaucoup aux choix de politique économique effectués par le gouvernement depuis juin 1997.

Au-delà d’une bonne gestion d’ensemble du « policy mix »10, qui a permis

le retour à la confiance et à une croissance soutenue – surmontant ainsi les accidents de la conjoncture, tels que la crise asiatique de 1997-1998 ou l’envolée du prix du pétrole en 2000 -, l’action du gouvernement a notamment permis des progrès dans cinq domaines : la fiscalité, le soutien à l’innovation et à la recherche, les simplifications administratives, le financement des entreprises et l’approfondissement du marché européen.

En matière de fiscalité, les initiatives prises découlent notamment de deux

objectifs : alléger la fiscalité des entreprises qui investissent et embauchent, favoriser l’emploi. A l’horizon 2003, les entreprises bénéficieront ainsi de 12,3 Mds € d’allègements par rapport à 1999, notamment concentrés sur la suppression de la surtaxe sur les bénéfices (2,1 Mds €), sur la suppression de la part des salaires dans l’assiette de la taxe professionnelle (2,7 Mds €) et sur les allègements liés à la réduction du temps de travail (5 Mds €). Le gouvernement a par ailleurs allégé l’impôt sur le revenu, notamment sur les bas salaires, et instauré une ristourne sur la CSG et la CRDS (3,8 Mds €) afin de faciliter le retour à l’emploi des travailleurs peu qualifiés.

10 Dosage délicat de la politique monétaire, budgétaire et sociale.

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Dans le domaine de l’innovation et de la recherche, la loi dite Allègre a renforcé les liens entre la recherche publique et le monde économique. Les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) permettent aux « jeunes pousses » d’attirer et de conserver le personnel très qualifié dont elles ont besoin pour leur développement, dans un environnement fiscal plus favorable. Relèvent de la même préoccupation la création d’un fonds public pour le capital risque géré par la Caisse des dépôts et consignations, la constitution dans certains domaines jugés prioritaires de réseaux de recherche et d’innovation technologique (RRIT) pour favoriser les contacts entre professionnels, entreprises et chercheurs issus de l’université ou des organismes publics.

Des efforts ont été également consentis sur le front de la simplification

administrative : on citera, dans un domaine qui intéresse au premier chef les investisseurs potentiels, la création d’une agence française des investissements étrangers (AFIE), qui pilotera l’effort de prospection et de communication de la France en ce domaine. Mais la création d’une direction des grandes entreprises au sein de la direction générale des impôts, qui sera, pour les grands groupes, un véritable interlocuteur fiscal unique, constitue également une avancée remarquable. Signalons enfin le développement, au sein de l’administration et dans ses relations avec les usagers, des procédures électroniques.

Concernant le financement des entreprises, l’effort réalisé pour drainer

l’épargne longue des Français vers le secteur productif, en particulier vers les PME/PMI, mérite d’être relevé : création de fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et des fonds communs de placement à risque (FCPR), institution des « contrats DSK » permettant de réorienter l’assurance vie vers les investissements en actions… Le succès de ces mesures est démontré par l’envolée du montant des fonds gérés par les FCPR : 7,7 MdEuro en 2000, soit 56% de plus qu’en 1999. Ils sont, de ce fait, devenus un outil décisif dans la création et le développement des jeunes entreprises. Dans le même temps, la relance de l’épargne salariale, avec la création des PPESV (plans partenariaux d’épargne salariale volontaire), fournit des occasions favorables supplémentaires de financement pour les entreprises, tout en permettant aux salariés de percevoir une part accrue des fruits de la croissance de l’économie en général et de leur entreprise en particulier.

Enfin, les efforts se sont poursuivis pour approfondir la construction du

marché européen, et fournir ainsi aux entreprises françaises et européennes la base territoriale dont elles ont besoin pour lutter contre leurs concurrents américains ou asiatiques. Des progrès ont été réalisés en matière de législation communautaire sur l’épargne ou sur les brevets, et tout récemment encore par l’adoption de la directive sur les rapprochements transfrontaliers d’entreprises, facilitant ainsi la constitution de groupes européens puissants. Dans le même esprit, l’action résolue du gouvernement français pour identifier et prohiber les pratiques fiscales dommageables au sein de l’Union européenne doit permettre aux entreprises implantées en France d’être placées sur un pied d’égalité avec celles des autres pays.

Ces initiatives – et d’autres encore, non reprises dans ce bref aperçu -

convergent pour rendre le site France plus attractif. Mais ce travail est sans cesse à reprendre dans un environnement qui évolue et où nos principaux partenaires – qui sont aussi nos concurrents – cherchent à se donner les moyens de réussir.

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A l’heure où la croissance fléchit, il s’agit de réfléchir au rôle que l’Union

européenne doit jouer dans les mois à venir. Il nous semble que c’est à elle de définir et d’impulser une stratégie collective, en matière de politique monétaire mais aussi de productivité. L’Europe est le niveau pertinent d’action pour agir sur les structures de notre système productif, pour restaurer et conserver notre compétitivité dans les secteurs tels que les nouvelles technologies de l’information, la génétique, les biotechnologies (en particulier vis-à-vis des Etats-Unis). L’Europe doit être aussi un territoire où co-existent les droits de la négociation collective et certains domaines de la fiscalité, où s’harmonisent les droits des sociétés et de la propriété industrielle.

III. Une voie confrontée à de nouvelles échéances Deux échéances majeures viennent questionner la voie française. La première échéance – la plus proche, la plus visible – est l’introduction

effective de l’euro à compter de janvier 2002, qui entraînera la disparition des monnaies nationales de la zone euro. La portée réelle de l’événement dépasse largement sa portée symbolique. Même si depuis 1999, le franc et le mark sont indissolublement liés, nos structures mentales évoluent encore dans le cadre confortable de nos monnaies nationales. En ce sens, l’introduction effective de l’euro est la condition indispensable pour voir réellement émerger un espace intégré de 300 millions de consommateurs, à la hauteur du marché nord-américain.

La contrepartie du passage effectif à la monnaie unique est que les choix de

localisation se feront d’une manière beaucoup plus transparente : pour l’implantation d’unités de production ou des fonctions stratégiques d’une entreprise, pour la domiciliation des cadres internationaux, pour les investissements de portefeuille, la comparaison – entre systèmes fiscaux, sociaux, coûts de production – sera immédiate et n’empruntera plus le détour d’une conversion en une autre monnaie. Dans le même temps, les choix de localisation seront également beaucoup plus volatiles : pour atteindre la taille critique au niveau européen et mondial, les fusions – notamment transfrontalières – sont vouées à se multiplier11. Elles conduiront à une redistribution des lieux de décision, des emplois et de la valeur ajoutée. Car la constitution d’un véritable marché européen, si elle est une chance pour les entreprises françaises, fait également que certains des atouts de la France comme site d’implantation vont diminuer : davantage qu’hier, les entreprises pourront bénéficier du marché français sans s’implanter en France. Paradoxalement, la qualité de nos infrastructures leur facilitera la tâche !

11 A cet égard, la fin de l’année 2000, marquée par une certaine baisse des opérations transfrontalières, participe davantage d’un mouvement de consolidation à un niveau élevé que d’une inversion de tendance.

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La deuxième échéance, plus lointaine et encore entourée d’incertitudes, est l’élargissement de l’Union européenne aux pays d’Europe de l’Est. Ceux-ci disposent, à quelques centaines de kilomètres de Paris, d’une main-d’œuvre abondante, généralement bien formée et d’un coût inférieur à celui des pays de l’Union européenne. Les dirigeants de groupes internationaux rencontrés ne tarissent pas d’éloges, par exemple, sur la compétitivité de leurs implantations polonaises. Avec l’élargissement – aujourd’hui freiné par la qualité médiocre de leurs infrastructures, et par les barrières commerciales qui subsistent avec l’Union européenne – ces pays deviendront des zones d’implantation encore plus attractives. Dans le même temps, l’un des avantages de la France – la centralité de sa position géographique – diminuera dans une Europe élargie, dont le centre de gravité pourrait se déplacer vers l’Allemagne.

Face à ces échéances, nos principaux voisins européens ont pris la mesure

des enjeux. Le Royaume-Uni se donne les moyens de faire vivre son modèle économique – la place financière de Londres, les services et la tête de pont européenne des investissements américains ou asiatiques – tout en annonçant sa volonté d’en corriger certains travers– la dégradation des services publics. L’Allemagne surtout, après plusieurs années d’introspection consécutives au retentissant rapport sur le Standort Deutschland, qui avait pointé les faiblesses du site de production allemand (1993), a repris l’initiative : réforme fiscale d’envergure, réforme des retraites, exonération des plus-values sur titres de participation, qui donne au « cœur financier » de l’économie allemande (Allianz, Deutsche Bank…) les moyens de financer son expansion internationale.

Autant dire que l’autosatisfaction n’est pas de mise : il faut certes se réjouir

des performances actuelles de la France - où la croissance est supérieure à celle de l’Allemagne depuis 1997 – mais il faut se donner les moyens d’assurer leur pérennité. Cela n’ira pas sans mener une politique résolue pour remédier à nos handicaps : on peut regretter et même condamner la compétition fiscale, chercher à obtenir une plus grande harmonisation du droit entre les pays européens, un droit partagé qui nous renforcera collectivement. Mais l’urgence commande de prendre les mesures qui maintiennent la compétitivité de notre pays.

IV. L’impératif : mobiliser la société française La tentation serait de se convaincre, au vu des bons résultats économiques

engrangés depuis quatre ans, que rien ne presserait. Le ralentissement en cours de l’économie mondiale et ses répercussions sur le niveau de l’activité en Europe et en France nous rappellent que nous ne pouvons, moins que jamais, baisser la garde.

Nous considérons qu’il convient non pas d’alarmer mais d’alerter l’opinion :

tendance à la détérioration de l’image de la France à l’étranger, alors que les réformes structurelles allemandes ont – aussi – été une opération de relations publiques réussie ; dégradation relative de notre compétitivité fiscale portant sur les entreprises – érosion de notre compétitivité salariale (en trois ans, perte de 3 points de compétitivité-coût par rapport à l’Allemagne et de 12 points par rapport à l’Italie) ; dépendance financière de nos entreprises vis-à-vis des investisseurs étrangers, qui détiennent en moyenne 45% de la capitalisation des sociétés du CAC 40.

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Ce dernier constat n’a rien d’académique : la propriété du capital est, avec la localisation du siège et des centres de décision stratégiques, l’un des éléments-clé susceptibles de faire basculer le centre de gravité et les quartiers généraux d’une entreprise vers l’étranger. Combien de temps une entreprise telle que Vivendi Universal, désormais détenue à 62% par des actionnaires non-résidents, et dont l’essentiel de l’activité est réalisé outre-Atlantique, gardera-t-elle son centre de gravité en France ? Ce n’est pas, loin s’en faut, une question d’amour-propre. Qui dit centre de gravité, dit aussi emplois à forte valeur ajoutée et – de manière plus diffuse – attachement à un mode de régulation sociale. Il est donc important, vital pour notre prospérité et pour le bien-être de chacun qu’il y ait le plus grand nombre possible d’entreprises multinationales à dominante française. Il faut également œuvrer, dans la mesure du possible, pour que les entreprises extra-européennes qui s’implantent en Europe fassent de la France leur tête de pont et y implantent les fonctions stratégiques correspondantes.

La France dispose de réels atouts, qu’il faut se garder de sous-estimer, voir

de nier, en se livrant à ce travers français qu’est l’auto-flagellation ou le dénigrement. La France n’a pas à avoir de complexe, comme c’est encore trop souvent le cas : un article paru dans la revue Futuribles disséquait ainsi le classement de référence établi par l’IMD12 sur la compétitivité des différents pays, essentiellement sur la base d’une auto-évaluation des forces ou des faiblesses de chaque nation par ses hommes d’affaires ; il parvenait à la conclusion que le médiocre classement de la France venait avant tout d’un penchant à l’auto-critique qui conduisait, par exemple, les hommes d’affaires français à classer leur propre système d’éducation derrière celui de la Pologne ou de l’Espagne ! Les étrangers sont du reste les premiers à reconnaître et à identifier nos points forts : la Lettre de l’Expansion du 11 juin 2001 cite ainsi Jack Welch qui, s’il avait à choisir entre la France et ses grands voisins européens, affirme qu’il investirait plutôt dans l’Hexagone en raison principalement de la qualité de son infrastructure de transport et de son niveau de recherche. Selon le patron de General Electric, ces deux facteurs viennent compenser les handicaps du site France : la fiscalité et l’excès de réglementation.

La prise de conscience, que nous appelons de nos vœux, n’ira pas sans un

ample débat démocratique, préalable à une mobilisation des forces vives du pays. Il importe avant tout de tracer des perspectives suffisamment attrayantes pour tous, car seule la somme des actions collectives pourra rendre possible un futur où la voie française conciliant prospérité économique et justice sociale sera préservée.

Pour que ce débat ait lieu, il faudra avant tout faire preuve de pédagogie. A

défaut de pouvoir s’appuyer pleinement, comme en Suède ou en Allemagne, sur les partenaires sociaux, c’est à l’opinion publique tout entière qu’il conviendra de s’adresser.

Nous espérons avoir apporté notre – modeste – contribution à ce débat.

12 International Institute for Management Development, Lausanne. L’article en question était paru en mai 1995 dans le numéro 198 de la revue Futuribles.

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DEUXIEME PARTIE : LES PROPOSITIONS

Il importe que des mesures soient rapidement prises pour montrer que la

France reste accueillante aux investisseurs étrangers, et qu’elle est prête à faire des efforts pour que les entreprises à base hexagonale conservent leur centre de gravité sur notre territoire.

A plus long terme, c’est une véritable stratégie d’ensemble qu’il faut mettre

en place pour conserver – ou redonner – à la France, et notamment à la place financière de Paris, une place prépondérante au regard des flux d’échanges, de la création d’emplois et de valeur ajoutée au sein de l’Union européenne.

Avant toute autre considération, ce préambule a pour objet de rappeler trois

principes qui, selon nous, conditionnent le succès des propositions de la mission.

Premier principe : Rendre l’action publique plus efficace

« Il faut rendre notre Etat et nos services publics plus simples, plus efficaces et plus réactifs »13. Notre appareil productif entre en concurrence avec les autres, même sur les fonctions les plus « régaliennes » - la production de normes juridiques et la capacité de les faire respecter, la collecte de l’impôt… L’efficacité de l’Etat, le rapport qualité prix des services publics sont un élément clé de toute politique d’attractivité ; négliger ces impératifs reviendraient à accepter un lent déclin de l’économie française, et partant du modèle social que cette vitalité économique a jusqu’à aujourd’hui permis de financer.

Ajoutons que les mesures proposées dans ce rapport ont un coût en termes

de recettes pour l’Etat, ou de dépenses supplémentaires ciblées là où l’intervention de l’Etat peut permettre de suppléer aux imperfections du marché. Certes, on peut espérer – c’est notre conviction – que le surcroît de dynamisme économique ainsi généré fera qu’au final, aussi bien la collectivité nationale dans son ensemble que les finances publiques seront gagnantes. Toutefois, il importe que, même à court terme, la stabilité acquise grâce à une politique macro-économique durable ne soit pas remise en cause. Sacrifier cette stabilité, résultat des vingt dernières années, serait faire bon marché des efforts consentis par tous les Français, au moment même où ils commencent à porter leurs fruits, sous forme d’un différentiel de croissance – et donc de création d’emplois – positif avec la plupart de nos grands partenaires européens.

La mise en œuvre de nos propositions implique une nouvelle efficacité de

l’Etat et des services publics permettant un équilibre dynamique des finances publiques. On se plaît souvent à souligner que le poids de la dépense publique et des prélèvements obligatoires reflètent un « compromis social » et une appétence pour la dépense publique différents de ceux qui prévalent chez la plupart de nos partenaires. Sans aucun doute, mais des pays pourtant peu suspects d’ultra-libéralisme – la Suède et les nations

13 Laurent Fabius . Le temps des projets. Le Monde – 31 mai 2001

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scandinaves en général, inventeurs de l’Etat-providence et du modèle social européen – se sont rendus compte de deux réalités nouvelles. D’une part, dans une économie mondiale ouverte, un poids excessif des prélèvements pesant sur les facteurs de production délocalisables – le capital, le travail hautement qualifié – finissait par devenir contre-productif et par desservir ceux-là même – les travailleurs les plus vulnérables et les moins qualifiés – que le système prétendait aider. D’autre part, même si le rôle de la sphère publique dans la fourniture de services collectifs peut varier suivant les pays, une chose est sûre : partout, les collectivités publiques, comme n’importe quel prestataire de services, sont confrontées à des interlocuteurs – citoyens, entreprises nationales et étrangères – qui sont autant de consommateurs, et des juges vigilants du rapport qualité-prix des services offerts.

Le remède à ces défis, identifiés depuis longtemps, est souvent qualifié de

« réforme de l’Etat ». L’Etat peut avoir l’illusion de son éternité, et la tentation de différer indéfiniment les changements – aidé en cela, de manière perverse, par le raccourcissement des cycles électoraux. Mais il n’en est pas moins, étant soumis à la concurrence d’autres Etats et aux attentes évolutives d’une société de plus en plus complexe, susceptible de dépérir s’il s’avère incapable de promouvoir une démarche de changement permanent.

La difficulté de conduire la réforme du ministère des finances montre à quel

point il est difficile de concrétiser une modernisation pourtant jugée nécessaire, notamment parce que chaque renoncement rend plus difficile la tentative suivante. Comme le souligne Roger FAUROUX dans l’introduction du livre Notre Etat, la France « n’a jamais entrepris la réforme de l’Etat et continue à tolérer que la nation traîne son administration comme un boulet. Dans la compétition européenne, c’est (…) probablement notre plus lourd handicap. Il est urgent d’engager nous–mêmes cet immense travail de décolonisation intérieure avant que la pression des libéraux de Bruxelles nous oblige à accomplir dans la précipitation et le chaos »14.

La conception de l’aménagement du territoire compris comme un jeu à

somme nulle où renforcer l’Ile-de-France ne pourrait se faire qu’au détriment des autres régions doit évoluer. Notre politique d’aménagement du territoire doit faire son aggiornamento : les enseignements de l’économie géographique nous montrent que le développement d’un territoire, c’est avant tout son aptitude à susciter un effet de place, à créer, dans tel ou tel secteur d’activité, une masse critique, une dynamique de développement. Un aménagement du territoire entendu comme saupoudrage et répartition égalitaire des activités sur le territoire n’est plus d’actualité : il doit au contraire permettre à chaque ville, à chaque région de trouver son modèle de développement, sa voie vers l’excellence. Paris et l’Ile-de-France sont, dans cette perspective, un atout majeur de l’Hexagone.

Enfin l’idée selon laquelle une société bâtie sur des oppositions, doit

nécessairement et systématiquement donner lieu à intervention de l’Etat mérite d’être corrigée. L’intervention des corps intermédiaires – syndicats, associations – doit permettre d’inventer de nouvelles formes de régulation sociale dans une société pluraliste. L’actionnariat des salariés peut également y contribuer, en retournant au profit du travail le grand mouvement favorable à l’actionnaire observé ces dernières années.

14 Notre Etat de Roger Fauroux et Bernard Spitz aux éditions Robert Laffont, 2001.

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Deuxième principe : Penser l’Europe comme nécessaire prolongement de la France

Pour être pleinement opérationnelle, notre politique doit s’inscrire dans une

dynamique européenne. Il s’agit à la fois d’une exigence juridique et politique, compte tenu des obligations communautaires de la France, et d’un impératif d’efficacité économique : comme le soulignait le rapport sur « L’entreprise et l’Hexagone », ce n’est que parce qu’une entreprise est pleinement européenne qu’elle peut rester française. Seul le passage à l’échelle de l’Union européenne permet de bénéficier d’un marché et de capacités de financement suffisantes pour faire face aux géants américains ou asiatiques : EADS et Airbus, dont le dernier salon du Bourget a mis en lumière les succès dans l’aéronautique civile et militaire, en sont le témoignage le plus éclatant. Encore faut-il que l’Europe accepte de se réformer et ne se dilue pas.

Penser l’Europe : Un impératif en matière de recherche et

d’innovation. La taille critique est devenue européenne, comme le remarque le rapport sur les technologies clés à l’horizon 200515. Aucun pays européen ne représente en effet plus de 5 % du PIB mondial alors que les Etats-Unis en totalisent 20%, et une part encore plus significative du marché pour les hautes technologies. Il faut donc soutenir la politique de recherche européenne mise en place à travers le programme cadre de recherche et de développement (PCRD), dont le fonctionnement doit être amélioré dans sa cohérence et la détermination de ses objectifs. Le rapport précité dégage trois séries de pistes pour améliorer l’efficacité de la politique de recherche européenne, et accroître ainsi ses retombées positives pour les groupes français. Ces pistes sont rappelées dans l’encadré N° 1.

15 Technologies clés 2005 – DIGITIP, Service de l’innovation et de la qualité – Septembre 2000

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Encadré N°1 : trois priorités pour une recherche européenne plus efficace La première priorité concerne la normalisation, qui a une incidence réelle sur les

succès européens enregistrés dans les technologies de pointe : le succès de la norme de téléphonie mobile européenne GSM est l’exemple d’une politique normative intelligemment conduite, qui a permis le décollage des groupes européens – Ericsson, Nokia – dans ce domaine. Le difficile lancement du téléphone mobile de 3ème génération en Europe – où les « effets d’annonce » ont largement précédé les produits commerciaux – en fournit a contrario une illustration. Ces normes doivent être élaborées et négociées sur la scène européenne ; la France doit jouer un rôle moteur pour définir des positions communes avec nos partenaires et apporter une réponse crédible à l’offre américaine.

Il faut également encourager l’élaboration de bases et de banques de données

européennes. Permettre ainsi la mise en commun des savoirs dispersés dans l’ensemble de l’Europe sera un appréciable gain de temps pour l’ensemble de la communauté scientifique européenne, à un moment où la rapidité des évolutions technologiques oblige les politiques d’investissement à anticiper de plus en plus les résultats des recherches en cours pour maintenir la compétitivité des entreprises. Cette information sera précieuse pour l’ensemble des chercheurs et autorisera une réponse plus efficace aux défis technologiques industriels.

Enfin, l’harmonisation des nomenclatures économiques doit être recherchée afin

d’autoriser des comparaisons fiables en Europe. Les nomenclatures actuelles ne permettent pas d’identifier avec précision les laboratoires ou les entreprises qui développent un nouveau champ d’activité : les nomenclatures NAF sont ainsi historiquement datées et pratiquement inutilisables dans un souci de recommandations pratiques et/ou politiques. Par ailleurs, la mise en place de benchmarks européens réguliers, d’une part sur les meilleures pratiques de recherche, et, d’autre part, sur les procédures d’évaluation adoptées, permettrait une émulation profitable à l’ensemble des pays membres.

Penser l’Europe : Un impératif en matière de fiscalité : L’importance des

comparaisons fiscales européennes pour l’attractivité de la France ne peut être ignorée. A cet égard, il convient de faire preuve d’un souci de compétition loyale avec nos partenaires, mais sans angélisme et en se gardant de prendre nos désirs pour des réalités.

La ligne directrice de toute stratégie française a été clairement tracée par le

Premier ministre le 28 mai 2001, dans son intervention sur l’avenir de l’Europe élargie : s’attaquer aux comportements qui attentent à l’intérêt général européen et lutter contre le dumping fiscal en éliminant les pratiques fiscales dommageables16. La France doit jouer un rôle moteur dans les négociations avec les autres Etats européens au sein des procédures Ecofin, pour aboutir à une harmonisation globale des pratiques européennes tant en matière de fiscalité que de charges sociales et éviter une politique de « moins-disant » dont tous les Etats de l’Union européenne sortiraient perdants.

Il convient toutefois d’éviter tout malentendu. Premièrement, l’harmonisation ne tend pas à l’unification de tous les impôts

et de tous les taux, mais doit simplement garantir un minimum d’équité dans les règles du jeu, pour l’ensemble des activités soumises à une grande mobilité. Chaque Etat reste – et restera – libre de profiler son système fiscal pour attirer tel ou tel type d’activités –

16 D’après le code de conduite du Conseil ECOFIN de l’Union européenne : « sont potentiellement dommageables, les mesures fiscales établissant un niveau d’imposition effective nettement inférieur au niveau général du pays concerné, y compris une imposition nulle ».

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de supprimer tout impôt sur le patrimoine s’il veut attirer les gros patrimoines, de ramener son taux d’imposition sur les sociétés à 10% s’il préfère imposer les ménages, etc. Il ne faut donc pas attendre de l’harmonisation fiscale qu’elle impose un « modèle fiscal français » à l’ensemble de nos voisins. L’harmonisation ne sera pas le deus ex machina qui sauvera un système fiscal non compétitif, elle ne nous exonérera pas d’une réflexion sur le niveau et la structure des prélèvements obligatoires, et ses liens avec la compétitivité du site France.

Deuxièmement, il ne faut pas perdre de vue les buts recherchés. L’objectif

est de bâtir le meilleur système fiscal possible – le plus cohérent, le plus juste, le plus rentable. Mais les réalités, le comportement l’emportent sur les principes. C’est pourquoi, même si la compétition fiscale est regrettable, les positions françaises doivent rester attentives aux intérêts des particuliers comme des entreprises et se garder de toute approche naïve dans ses relations de la France avec ses partenaires. A défaut, l’harmonisation risque d’être obtenue une fois les choix de localisation des entreprises effectués au profit de pays moins vertueux. La position de l’Irlande sur le traité de Nice et le refus anglais de l’harmonisation fiscale européenne en sont deux illustrations. Dans ces conditions, il serait inopérant de se lier les mains et de renoncer à utiliser les marges de manœuvre que nous laisse la réglementation européenne17.

Enfin, nous souhaiterions balayer une idée erronée, qui voudrait que les

mesures prises pour affirmer la place de la France se fassent au détriment de l’idée européenne. Nous ne partageons en rien ce point de vue : il faut être Européen et Français sans complexe. Ce qui est bon pour l’Europe est bon pour la France, mais la proposition inverse est également vraie. L’Europe a tout à gagner d’une France dynamique et puissante en terme d’attractivité et de compétitivité. C’est la constitution en France de grands groupes « champions nationaux » dans les années 1980 et au début des années 1990 qui permet désormais les rapprochements transnationaux, créateurs de leaders européens qui comptent sur la scène économique mondiale et la dominent parfois.

Troisième principe : Promouvoir un nouveau contrat social

L’éclatement de l’entreprise industrielle par la filialisation des grands groupes, le recours à la sous-traitance, la délocalisation, l’instauration de nouvelles méthodes de gestion ont profondément modifié les relations sociales dans les entreprises.

Ce dont a besoin notre économie pour résister aux assauts de la concurrence internationale, c’est de réussir la mobilisation de tous ceux qui apportent par leur travail une contribution irremplaçable à l’activité productive.

17 On rappellera que si le dossier du code de conduite adopté dans le cadre du conseil ECOFIN vise la fiscalité des entreprises, la fiscalité des personnes n’a pas encore fait l’objet d’une tentative d’harmonisation fiscale. Au reste, les discussions sur ce thème sont toujours longues. Le code de conduite contre la concurrence fiscale dommageable en matière de fiscalité des entreprises a été adopté par le conseil ECOFIN le 1er décembre 1997 mais les mesures dommageables ne seront pas démantelées avant le 1er janvier 2003 et les effets de ces régimes devront cesser au plus tard le 31 décembre 2005, soit huit ans après les premiers travaux. Encore sera-t-il possible en fonction de circonstances particulières de voir certains de ces régimes dommageables se prolonger après accord par le conseil ECOFIN.

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Le moment est venu sans doute de définir un nouveau contrat social impliquant les pouvoirs publics, les partenaires sociaux. Nous sommes convaincus que les partenaires sociaux, et notamment les organisations syndicales ont expressément intérêt au développement d’une politique négociée de contrat s’inscrivant dans les règles du jeu fixées par la loi. Dans le fil de certaines réflexions18, il s’agirait de corriger les inégalités liées à la formation initiale, de stimuler une gestion prévisionnelle de l’emploi et de favoriser une « implication patrimoniale » des salariés qui parviennent dans le même temps à protéger la relation salariale des aléas de la finance. Les représentants des salariés n’ont certes pas à faire le métier des chefs d’entreprise à leur place, mais il n’est pas de domaine qui, par nature, doive leur échapper. S’il veut négocier les conséquences sociales des choix stratégiques de la direction, le syndicalisme doit assurer une fonction de contrôle et de proposition. Dans cette perspective, le développement de l’épargne salariale pourrait marquer une avancée en terme de nouveaux droits sociaux.

L’ensemble des propositions de ce rapport s’articulera autour de deux

horizons temporels. Dans l’immédiat, les dispositifs actuels peuvent être aménagés, pour les uns

à la marge, pour les autres en profondeur. Autant et même plus que de mesures législatives, qui pourraient être votées dans les prochaines lois de finances ou de mesures réglementaires, il s’agit de changer certaines pratiques administratives pour renforcer l’attractivité du site France.

Simultanément, des mesures plus globales s’inscrivant dans le moyen terme

sont discutées. Leur mise en œuvre nécessitera cependant une expertise technique plus complète et s’inscrira dans des perspectives budgétaires meilleures.

L’ensemble des mesures proposées a pour ambition de répondre à deux

objectifs : - affirmer la vocation mondiale de notre pays en consolidant et en

valorisant ses atouts - renforcer l’enracinement national de nos entreprises afin que leur

centre de gravité reste sur le sol français. Précisons qu’il n’était pas dans l’intention de la mission d’étudier

l’ensemble des critères d’attractivité. C’est pourquoi le champ de la politique sociale et la question des infrastructures, deux vecteurs d’une politique d’attractivité globale, ont été délibérément exclus des propositions du présent rapport. Le premier est trop vaste par rapport à l’objet de cette mission, le second est apparu lors des entrevues comme

18 Jean-Louis Beffa - Robert Boyer – Jean Philippe Touffut – Les relations salariales en France – Notes de la fondation saint-simon – juin 1995

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prêtant le moins le flanc à la critique. Même si de nombreuses améliorations19 sont possibles et nécessaires, l’urgence est ailleurs.

Il n’existe pas de fatalité. Les entreprises et les industries américaines à la

fin des années 1980 étaient mal en point et leur faiblesse apparente alimentait un discours sur le déclin américain20, dont la dernière décennie a montré ce qu’il avait d’exagéré. En revanche, la croissance japonaise faisait l’admiration de l’Occident et seuls les observateurs les plus pénétrants21 étaient capables de voir, au sein du « modèle japonais », les ferments de la longue crise qu’a connu ce pays depuis lors.

De même, les performances flatteuses de l’économie française depuis 1997,

dans le contexte européen et international, ne doivent pas nous conduire à relâcher l’effort pour créer une dynamique à long terme de compétitivité et d’attractivité. En économie, il y a en effet toujours un décalage entre les effets et les conséquences. Ce n’est qu’à partir de 1997 que la France a pleinement récolté les fruits de quinze ans d’une politique de désinflation compétitive, pendant laquelle la France a souvent fait figure d’homme malade de l’Europe face à une Allemagne riche, accumulant les excédents extérieurs et assise sur une monnaie mondiale – le mark – devant laquelle le franc français n’était qu’un satellite. Pour l’avenir, l’Allemagne, aujourd’hui en difficulté, ne vient-elle pas de créer les conditions d’une croissance forte et durable en menant à bien, en quelques mois, trois réformes en gestation depuis près de dix ans : assainissement des finances publiques, fiscalité et retraites ? Il revient à la France, si les Français se mobilisent autour d’un tel objectif, de faire de même et de poser dès aujourd’hui les fondations de la compétitivité pour les années à venir.

19 On citera notamment comme l’a fait le rapport « L’entreprise et l’Hexagone » précité, le réseau d’échange d’informations numériques et le réseau logistique des places aéroportuaires nationales, mais également l’amélioration des infrastructures de fret et le développement des ports autonomes. 20 Paul Kennedy, Naissance et déclin des grandes puissances, transformations économiques et conflits militaires entre 1500 et 2000, édition française de 1989, Petite Bibliothèque Payot, Coll. Document. 21 Karel van Wolferen, L’énigme de la puissance japonaise, édition française de 1990, Robert Laffont.

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A. RENFORCER LA VOCATION MONDIALE DE LA FRANCE

La France fait preuve à l’heure actuelle d’une certaine capacité à attirer les

investissements étrangers, mais cette dynamique paraît insuffisante pour compenser les flux de capitaux français vers l’extérieur. Confrontée à un environnement concurrentiel, la France doit faire valoir ses atouts. Il est donc nécessaire se donner les moyens d’une politique de compétitivité globale en adoptant des mesures profitant à l’ensemble des entreprises.

L’attractivité de la France réside d’abord dans sa capacité à séduire les

investisseurs étrangers. A cet égard, l’image de la France est un facteur primordial. Or, il existe une réelle inadéquation entre les potentialités françaises et la perception de notre pays à l’étranger.

D’autre part, nos atouts, que ce soit l’innovation, la recherche ou la qualité

professionnelle des hommes, doivent être renforcés. Ils peuvent s’affaiblir si nous n’y prenons garde.

Enfin, les étrangers, mais aussi beaucoup d’entrepreneurs français,

brocardent notre penchant à légiférer sans vision à long terme, notre allergie au contrat social, notre tendance à tout compliquer22. Les entreprises ont besoin d’un environnement stable et lisible pour investir. Il faut donc éviter de changer trop fréquemment les règles du jeu économique et fiscal.

I. Améliorer notre image et la promouvoir

I.1. Une image qui ne correspond pas à la réalité La France constitue la première destination touristique au monde. Elle

bénéficie ainsi d’une position exceptionnelle qui devrait lui valoir une médiatisation et une attractivité uniques au monde. Pourtant, on constate un décalage entre ce capital objectif et la perception des investisseurs et des leaders d’opinion étrangers : c’est cette image subjective qui doit être corrigée, car elle est le premier facteur d’attractivité.

L’image négative provient de la lecture des journaux anglo-saxons et des

études comparatives réalisées sur des critères économiques de compétitivité qui nous placent parmi les plus mauvais élèves des pays industrialisés. Pour autant nos détracteurs condescendent à énoncer le « paradoxe français » : comment un pays aussi réglementé et aussi fiscalisé parvient-il à obtenir des performances économiques plus qu’honorables ?

La plupart du temps, les enquêtes, fondées sur des indicateurs économiques,

fiscaux ou sociaux souvent partiels et des présupposés (« un pays où l’on empêche les gens de travailler », « …où l’on surtaxe la réussite »), participent de cette image

22 Il n’est besoin que de feuilleter un code général des impôts pour comprendre que la fiscalité est une science ésotérique réservée à quelques initiés.

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dégradée23. Du reste, peut-on reprocher aux autres pays cette médiatisation de nos défauts réels ou supposés ? Il faut admettre que chaque pays défende son espace économique par rapport aux autres espaces nationaux : la gestion de l’information fait partie de la compétition24.

En outre, lorsqu’elle n’est pas mauvaise, l’image de la France est peu

pertinente, voire décalée, sur le plan économique. La France est la quatrième nation exportatrice du monde et la deuxième en terme de services. Ses réussites technologiques – sans prétention à l’exhaustivité, l’aéronautique et l’espace, l’audiovisuel, le train à grande vitesse – sont reconnues. Pourtant, la France est rarement citée lorsqu’il s’agit d’illustrer les performances industrielles, technologiques ou la capacité d’innovation d’un pays. Son image reste faite de stéréotypes qui vont du béret et de la baguette aux Etats-Unis25, à la seule évocation des produits de luxe et des parfums au Japon. Il est rarement question d’industries de pointe ou de hautes technologies. Comme l’a démontrée une étude du cabinet DDB Brand & Business en 1996, la France n’a pas vu son image évoluer depuis un demi-siècle. Cette image ne nous est guère favorable et constitue un handicap réel pour attirer les investisseurs étrangers.

De plus, cette perception évolue plutôt négativement ces dernières années26.

La France est trop souvent perçue comme un pays dirigiste et bureaucratique, périodiquement agité de poussées de fièvre sociale et incapable de comprendre les réalités économiques. On peut toujours regretter cette vision, qui ne reflète que très partiellement la réalité du site France. Il n’en demeure pas moins qu’elle fonde l’impression qu’éprouvent les étrangers – et même une part importante des Français, si l’on en juge par les notes très négatives qu’attribuent les hommes d’affaires français, interrogés dans le cadre des enquêtes économiques du style de celles de l’IMD, au site France.

Si l’on veut améliorer cette image décalée par rapport à la réalité, les

pouvoirs publics doivent adopter une politique dynamique de promotion nationale.

I.2. Promouvoir une stratégie de communication séduisante Pour lutter contre la tendance à la dégradation de notre image, il faut

envisager la mise en place d’une véritable stratégie de communication. Ce qui

23 La plupart des études qui comparent notre fiscalité par rapport à celles de nos partenaires nous placent parmi les pays les moins compétitifs. A titre d’exemple, les classements élaborés par le World Economic Forum ou l’Institut du management de Lausanne (IMD) calculent un indice global synthétique de compétitivité et relèguent le plus souvent la France entre la 20ème et la 25ème place. De même, l’étude de l’institut allemand ZEW de Mannheim (Zentrum für Europäische Wirtschaftforschung) calcule l’impôt reposant sur l’entreprise et sur l’actionnaire entre des régions frontalières d’Allemagne, de Suisse et de France et nous place bon dernier de l’échantillon. 24 Ainsi, Londres se décrit comme la métropole européenne prédominante et Amsterdam fait sa promotion en s’érigeant porte d’entrée de l’Europe. 25 C’est ainsi par exemple que sont représentés les Français au parc Disneyland en Floride… 26 La mise à jour de l’étude DDB Brand & Business précitée a même démontré une détérioration du « Made in France » à la limite du caricatural, avec des présupposés tel que l’absence d’innovation et de fiabilité (voir les principaux tableaux de cette étude en annexe).

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manque à la France par rapport aux pays étrangers, notamment anglo-saxons27, c’est une politique active de marketing autour de l’image du site France et de ses atouts.

a) Proposer une approche affective de la France Quand nous voulons faire venir des investisseurs étrangers, nous nous

appuyons sur une approche objective de nos performances économiques étayée par des critères rationnels : la qualité de nos infrastructures, nos performances économiques et nos coûts de main d’œuvre. Nous savons vanter nos performances mais peut être pas suffisamment inspirer confiance.

Tout en conservant cette approche, gage de rigueur et de fiabilité, notre

esprit cartésien doit également intégrer une composante plus émotionnelle et également plus commerciale.

En premier lieu, l’approche commerciale et émotionnelle de

l’investisseur doit l’emporter sur une logique trop bureaucratique. Plusieurs investisseurs étrangers rencontrés ont dit apprécier la promotion faite par l’Espagne en raison d’un accueil chaleureux et enthousiaste, et la forte attractivité actuelle de Barcelone ou Madrid le prouve. Notre succès dépendra donc d’abord de l’aptitude à créer un environnement positif et de l’enthousiasme avec lequel nous aborderons et assisterons les investisseurs.

Pour cela, la France doit chercher à correspondre à tous les critères de

sélection des sites utilisés par les entreprises, et pas uniquement à ceux qui lui permettent d’être généralement retenue dans la liste courte 28 des pays attractifs. En effet, si dans un premier temps le processus de choix de localisation recourt à des critères purement rationnels comme la qualité de la main d’œuvre, la fiscalité, les infrastructures, la décision de l’entreprise laisse en définitive une part importante à des motifs plus subjectifs – et rarement avoués en tant que tels dans les conseils d’administration : l’instinct grégaire29, la qualité des contacts avec les équipes locales, enfin les sentiments d’attirance ou d’aversion à l’égard du pays sélectionné.

27 Pour de nombreux pays, l’attraction des investissements est devenu un enjeu important de leur politique économique et a conduit à définir très tôt des stratégies nationales cohérentes et ciblées. Cf. à ce sujet l’étude de Paris Ile-de-France Capitale économique sur les stratégies de communication des grandes métropoles européennes pour attirer les investisseurs. 28 Le processus décisionnel en matière de localisation de l’investissement pour un pays est réalisé généralement en deux phases: d’abord choix selon des critères stratégiques (taille du marché, source d’approvisionnement, environnement industriel, qualité des infrastructures…), qui permettent d’établir une liste courte (short list) provisoire sur la base de l’évaluation du potentiel du territoire, puis élimination de certains pays en fonctions de facteurs légaux et réglementaires comme la fiscalité, les charges sociales, stabilité politique et réglementaire, flexibilité du travail…, on peut y ajouter en outre un critère psychologique qui est la perception de tous ces critères. 29 Un facteur important d’attractivité est la présence d’autres entreprises de la même nationalité ou du même secteur dans la même localisation. Ceci est, en jargon économique, générateur d’externalités de proximité ; c’est aussi – et surtout – pour un investisseur un formidable moyen de se rassurer au moment de prendre une décision lourde de conséquences, par définition anxiogène.

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Or la France tend à négliger les critères affectifs qui revêtent pourtant une réelle importance dans le choix final30. Son approche est encore trop « ingénieur/production » et pas suffisamment « clientèle/service ». L’effort doit donc porter sur notre capacité à valoriser nos atouts.

En second lieu, la communication doit se concentrer sur l’image

économique d’une France moderne. La perception de nos points forts est celle d’un pays traditionnel (luxe, agroalimentaire, tourisme), ce qui méconnaît nos pôles d’excellence comme la haute technologie ou la recherche. La France ne fait pas assez valoir ses réussites dans les secteurs industriels : en 1998, parmi les 100 premières entreprises industrielles et de services européens, la France occupe la première place avec 27 groupes devant la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Des groupes comme EADS, TotalFinaElf, France Télécom, Michelin ou Aventis sont parmi les premiers mondiaux de leur secteur.

b) Apprendre des investisseurs et de nos concurrents pour améliorer notre stratégie La France a également beaucoup à apprendre de ses partenaires et

concurrents qui ont eux aussi mis en place des politiques pour attirer les investissements : d’une part, il est nécessaire de connaître les motivations des investisseurs internationaux pour comprendre la localisation de leurs implantations, d’autre part, les méthodes et les actions de promotion des autres pays doivent être analysées afin de mieux orienter nos propres efforts.

Les pouvoirs publics ont de plus en plus recours à la méthode comparative,

qui permet de situer notre pays en distinguant nos points forts de nos points faibles. Même s’il faut se garder de tout jugement hâtif ou biaisé et ne pas négliger les spécificités nationales, l’expérience de nos partenaires est précieuse pour la conduite des réformes.

Il conviendrait donc de mettre au point un dispositif de veille des pratiques

et comportements de nos voisins visant à la promotion de leur image à l’étranger. Les embryons d’informations disponibles sont d’ores et déjà riches

d’enseignements. Ainsi, dans une étude de 1998, l’association Paris Ile-de-France Capitale Economique a demandé à 45 entreprises pourquoi, après l’avoir envisagé, elles avaient finalement renoncé à s’implanter en région parisienne. L’une des principales faiblesses de l’Ile-de-France ressort nettement des analyses des investisseurs : l’impact des agences de développement sur le choix final est décisif, et les agences françaises sont perçues comme trop bureaucratiques et peu ouvertes sur une approche internationale31.

30 Voir à ce titre l’étude « Douce France, que fais-tu pour vendre ton charme » réalisée par Pauline LECLERC-GLORIEUX et Marc HERUBEL, ingénieurs des mines, sous la responsabilité de Michel BERRY. 31 Les autres reproches étaient les suivants : réglementations administratives et sociales trop contraignantes, fiscalité inadaptée et non fiable, coût de la main d’oeuvre, maîtrise des langues étrangères insuffisante.

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A contrario, une seconde étude de la même association, réalisée en 200132, portait sur la communication des autres grandes métropoles pour attirer les investisseurs. Elle souligne leurs avantages suivants : communication en plusieurs langues, accueil chaleureux, sérieux du suivi des implantations et du « service après vente ».

Ce type d’étude est utile pour comprendre les handicaps qui ont provoqué

l’échec des tentatives d’implantation33 en France et pour les corriger. Il est nécessaire que cette veille soit réalisée régulièrement afin de surveiller le positionnement de la France et d’adapter notre discours et nos pratiques aux projets d’investissements que nous cherchons à attirer.

L’examen des pratiques des agences étrangères met en lumière un autre

constat important : la plupart de leurs sites Internet (qui sont en quelque sorte la première « vitrine » auprès des investisseurs potentiels) donnent la priorité aux témoignages d’investisseurs étrangers déjà installés. La raison en est simple : un entrepreneur accordera plus facilement son écoute et sa confiance à ses compatriotes, a fortiori s’ils sont des investisseurs comme lui, qu’à des administrations étrangères chargées de faire la promotion de leur territoire. Il convient donc de privilégier également le témoignage des entreprises étrangères installées chez nous dans toutes nos actions de communication. Les expériences couronnées de succès doivent être régulièrement mises à jour.

Dernier constat, les pays ont su adapter leurs discours selon que les activités

en cause étaient en amont ou en aval du cycle de production : pour les opérations en amont (production et recherche et développement) le critère du coût et des charges fiscales et sociales est mis en avant s’il est compétitif. Pour les opérations en aval (distribution et centres de services), ce sont les critères opérationnels et la qualité de la main-d’œuvre qui prévalent. La France doit donc adopter sa stratégie au type de localisation.

c) Ne pas laisser nos partenaires faire notre publicité

Comme nous l’avons déjà signalé, la plupart des analyses fiscales comparatives sur l’attractivité de la France procèdent d’initiatives de nos partenaires et ne sont, de ce fait, jamais dépourvues d’arrière-pensées. Plutôt que de laisser se développer des analyses parfois peu objectives ou ne communiquant que sur nos points faibles (fiscalité, contraintes réglementaires), la France gagnerait à confier à un organisme indépendant, doté d’une réelle crédibilité scientifique, le soin de comparer notre fiscalité et plus généralement notre attractivité à celle de nos principaux partenaires et de publier régulièrement le résultat de ses travaux.

32 Cette étude a pour thème : « comment communiquent d’autres grandes métropoles pour attirer de nouveaux investisseurs ? », les métropoles étudiées sont les suivantes : Amsterdam, Barcelone, Bruxelles, Dublin, Francfort, Londres et hors Union Européenne, Atlanta. 33 On y apprend ainsi que le critère de la fiscalité est largement prédominant pour l’implantation des sièges sociaux ainsi que pour la localisation des centres de R&D (cf. infra).

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Cette évaluation comparative déterminerait un nombre limité d’indicateurs qui, au-delà de la fiscalité, pourraient porter sur les domaines suivants : infrastructures, soins et système médical, qualité de vie (environnement, culture, …), niveau de formation et de qualification de la main d’œuvre, innovation34 et recherche ... Autant d’atouts qui justifient en partie notre niveau de prélèvements obligatoires. Ceci permettrait d’établir un véritable baromètre international de l’attractivité avec le positionnement de la France comparé à celui de ces concurrents. Ce travail ferait l’objet d’un compte rendu en plusieurs langues35, serait diffusé à l’étranger par les postes d’expansion économique et les consulats, et permettrait d’organiser des actions de communication auprès des principaux journaux économiques.

I.3. Faciliter la vie de nos impatriés Les investisseurs potentiels ont besoin d’un suivi et d’un service après-vente

de qualité, qui répondent à leur attente et leur simplifient les formalités administratives d’installation. Parmi les questions les plus souvent posées figurent les demandes suivantes : où vais-je loger mes impatriés ? Qu’est-il prévu pour la scolarité de leurs enfants ? Quelle est la procédure pour que leurs conjoints obtiennent rapidement un permis de travail ? Ces questions, au demeurant simples, doivent trouver une réponse rapide. La possibilité pour la France d’y répondre efficacement constituerait un atout indéniable pour l’attractivité : les bonnes – et les mauvaises – expériences font rapidement le tour de la petite communauté des managers internationaux, et influencent consciemment ou inconsciemment les choix futurs.

I.3.1. En amont : un seul interlocuteur L’étude précitée de P. LECLERC-GLORIEUX et M. HERUBEL signalait

que la première question que posait l’investisseur à un organisme de promotion était de pouvoir identifier son interlocuteur. Or à l’inverse du système britannique de l’interlocuteur unique, en charge de toutes les formalités36, il n’existait pas de guichet unique en France. L’investisseur se heurtait d’emblée à trois adresses différentes, ce qui compliquait sa tâche et pouvait susciter sa méfiance quant à la qualité et la fiabilité de l’information transmise.

Parmi ces organismes, certains, comme l’association Invest in France,

dépendaient du ministère de l’aménagement du territoire et de la DATAR, d’autres étaient rattachés au ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, comme l’ancienne délégation aux investissements internationaux et les postes d’expansion économiques (PEE).

La création récente de l’Agence française pour les investissements

internationaux dans la loi sur les nouvelles régulations économique devrait permettre de remédier à cette dispersion. Il conviendra toutefois de s’assurer qu’elle joue bien le rôle

34 Il existe d’ailleurs déjà un tableau de bord de l’innovation établi par la DIGITIP mais celui-ci ne reprend aucune comparaison internationale et ne permet donc pas de situer la France. 35 A Amsterdam, les communications (site web, brochures, vidéo) aux investisseurs sont faites en six langues. 36 Sur ce point, la préférence des investisseurs pour le site anglais par rapport aux sites français ressort également de l’étude de 1998 de Paris Ile-de-France Capitale économique.

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de guichet unique en fédérant l’ensemble des efforts des agences concernées. Il ne s’agit pas nécessairement d’unifier les agences elles-mêmes37, mais véritablement d’offrir un interlocuteur unique aux investisseurs lors de leur première approche, afin de détruire une fois pour toutes le mythe tant décrié de la « bureaucratie à la française » : c’est à l’aune de la simplification des procédures que se lira le succès – ou l’échec – du nouvel organisme.

I.3.2. En aval : un seul guichet

La simplification des rapports des investisseurs étrangers avec l’administration ne doit pas s’arrêter à la première approche, mais concerne toutes les étapes du processus d’installation en France. La complexité déjà reconnue par les entreprises françaises ne peut qu’être encore plus durement ressentie par des étrangers peu rompus aux subtilités administratives françaises, et se heurtant généralement à la barrière de la langue. L’attente la plus forte des entreprises étrangères porte sur ce point. Elle ne se limite pas aux administrations financières, mais porte aussi sur les administrations sociales 38.

Aussi, la mission propose l’établissement d’un service d’accueil

unique39 pour l’ensemble des formalités. Il comprendrait une annexe du ministère de l’intérieur pour les différentes formalités de séjour, une annexe des services fiscaux, une annexe des URSSAF et des centres de formalités des entreprises. Il appartiendrait ensuite aux différentes administrations de gérer leurs propres complexités. Les contours de ce service sont dessinés dans l’encadré n° 2 ci-après. Il semble également possible de développer une implantation de ce service d’accueil par région (ou par département si la situation le justifie), pour prendre en charge l’ensemble des problèmes des investisseurs et des impatriés susceptibles de venir s’installer en France. Il reviendrait ainsi à l’Etat lui-même de gérer, en interne, les problèmes de transmission des informations pour l’accomplissement des formalités administratives. La simplicité est un facteur aussi fort d’attractivité que la fiscalité ; il est grand temps de s’en rendre compte et d’en tirer les conséquences.

37 En revanche, la prise en charge des détails pratiques doit être faite par des relais au niveau de chaque capitale régionale, une fois que le site France figure dans la « liste courte ». L’implication des collectivités locales dans cette politique est donc primordiale. 38 Les projets de création de l’interlocuteur fiscal unique ont été spontanément – et très favorablement – évoqués par certains interlocuteurs rencontrés lors de la mission, qui y ont notamment opposé le désordre et les coûts liés à la multiplicité des interlocuteurs actuels, notamment en matière sociale. 39 Il serait souhaitable que ce service puisse pratiquer l’anglais et plusieurs autres langues pour une réception plus individualisée des investisseurs.

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Encadré n° 2 : le service d’accueil unique des étrangers

précurseurs et conditions de mise en œuvre L’idée du guichet unique n’est pas nouvelle et elle revient périodiquement à l’ordre du jour lorsque la complexité de l’administration est trop criante. Il faut d’ailleurs reconnaître que l’administration a fait de réels progrès en la matière. Des systèmes proches ont déjà été mis au point par l’administration Les réseaux de développement économique (RDE), qui regroupent sous l’autorité des préfets différents services de l’Etat dont les missions concourent au développement économique (prospection d’entreprises, mises en commun d’informations, répartition des dossiers) Les réseaux de diffusion technologique (RDT) comparables dans leur organisation, mais mettant l’accent sur les technologies et financés par l’ANVAR L’interlocuteur fiscal unique : avec la réforme-modernisation en cours au sein du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, chaque catégorie de contribuable disposera d’un interlocuteur fiscal unique ; cette réforme repose sur l’établissement d’un compte fiscal unique et de liaisons informatiques entre les deux grandes administrations chargées du recouvrement et de l’assiette de l’impôt (DGI et DGCP)40, ce qui évitera au contribuable de se déplacer pour traiter des demandes simples : changement d’adresse, réclamation, demande de délai de paiement, mensualisation. Cette coordination sera complète pour les grandes entreprises, grâce à la création récente de la direction des grandes entreprises L’interlocuteur économique unique : ce service qui se met actuellement en place au profit des PME rassemblera les spécialistes du développement économique au sein du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie (trésoreries générales, directions des services fiscaux, Douanes, INSEE, DRIRE, DRCE, DRCA, DGCCRF). Ses objectifs sont de traiter de manière fiable et rapide toutes les demandes formulées par les entreprises, quel que soit leur point d’entrée (donc un seul contact) grâce à un Intranet qui mettra en œuvre une coopération inter-directionnelle Des dispositifs identiques existent également à l’étranger comme les « business links » pour l’industrie (Grande Bretagne) L’enjeu est donc de fédérer les différents services dont un impatrié peut avoir besoin.. L’arrivée des technologies nouvelles du type Internet ouvre des occasions favorables qui n’existaient pas auparavant avec la possibilité de fonctionner en réseau. Autour de ce guichet, qui aurait une mission d’accompagnement et d’accueil de l’impatrié, chaque service garderait en back office, ses responsabilités et ses compétences réglementaires, avec seulement des obligations de qualité et de délai Pour les problèmes plus complexes, le service devra être en mesure d’orienter vers le service extérieur, membre du réseau compétent Il est certain qu’un tel type d’organismes est plus difficile et plus long à mettre en place puisqu’il concerne plusieurs ministères. Il sera nécessaire de trouver une forte volonté politique, comme elle a été affichée dans la réforme du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, la nécessité de la mise en place d’un réseau inter-ministères s’imposant moins facilement aux services.

40 Direction générale des impôts et Direction générale de la comptabilité publique.

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I.3.3. Trois autres problèmes à résoudre Parmi les autres problèmes à régler, trois points méritent une attention toute

particulière. Il convient d’une part de prévoir un statut des conjoints d’impatriés.

L’attention que les pays apportent au statut des conjoints est une préoccupation fréquente des investisseurs. Beaucoup de pays se sont attaqués à ce problème. Les Pays-Bas et le Canada ont simplifié leur législation en 199841, et le Congrès des Etats-Unis vient de déposer un projet de loi sur ce point. Le Royaume-Uni et la Suède accordent d’ores et déjà automatiquement un permis de travail aux conjoints d’impatriés.

D’autre part, la création d’écoles et de lycées internationaux doit être une

priorité pour rendre notre territoire plus attractif. Ainsi, la brochure concernant les établissements scolaires internationaux en Ile-de-France est, d’assez loin, le dépliant le plus demandé par les investisseurs potentiels. La qualité et la quantité de l’offre pédagogique à caractère international sont un élément déterminant dans les décisions des investisseurs. Les contraintes familiales et les difficultés d’accès au système scolaire en l’absence d’école internationale sont souvent sous estimées par les pouvoirs publics.

A titre d’exemple l’absence d’école internationale à Grenoble, malgré la

présence d’organismes internationaux de recherche42, a ralenti la mobilité des chercheurs étrangers allemands et anglais et a dégradé les relations entre la France et ses partenaires, jusqu’à susciter des démarches du ministre des affaires étrangères allemand43. En Ile-de-France, la demande de création d’une école internationale dans l’Est parisien n’a toujours pas abouti. Plusieurs investisseurs ont signalé que cette absence freinait l’extension de leur localisation en France. En revanche, la possibilité de bénéficier d’une école internationale dans le département du Nord a été l’un des éléments majeurs de l’installation de Toyota à Valenciennes.

Enfin, les difficultés éprouvées par les investisseurs extra communautaires

pour obtenir dans des délais raisonnables la carte de commerçant sont également un repoussoir pour nombre d’investisseurs. Les mesures de simplification adoptées dans le décret de 1998 ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. Les préfectures et les consulats n'ont pas été suffisamment sensibilisés. Il serait nécessaire que les demandeurs puissent obtenir une carte provisoire deux semaines au maximum après le dépôt du dossier. Dans la pratique, les délais dépassent encore plusieurs mois pour les entreprises américaines ou japonaises qui désirent envoyer un dirigeant dans leur filiale en France. La meilleure mesure à adopter serait une simplification radicale du dossier (qui serait réduit au certificat de « moralité » du dirigeant).

Enfin nous aborderons plus loin les caractéristiques du régime fiscal

applicable aux impatriés qui disposent d’un haut revenu.

41 Désormais pour ces deux pays, la procédure pour le permis de travail des conjoints peut être satisfaite en moins de six semaines. 42 ESRF, ILL. 43 Les accords de constitution de l’ESRF prévoyaient en effet la mise en place d’une telle école.

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I.4. Stimuler les échanges internationaux pour développer la francophilie des décideurs étrangers

Le développement de la francophilie des dirigeants de demain est une

priorité. Le fait que les responsables étrangers aient acquis grâce à leurs études une inclination en faveur de la France est un avantage certain. Mais ce préjugé traditionnellement favorable des élites étrangères à l’égard de notre culture est en train de se perdre avec l’arrivée de managers plus jeunes, sans doute moins sensibles à l’art de vivre à la Française. Or, les facteurs d’ordre culturel interviennent de manière importante dans les choix d’investissement.

A l’étranger, la politique des réseaux culturels et scolaires (instituts

culturels, établissements scolaires, Alliance française, consulats, etc.…) doit être dynamique : ce sont les vecteurs traditionnels de l’influence française dans le monde. Ils constituent un outil performant qui pourrait être utilisé plus activement. Les crédits de nos réseaux d’influence et de communication internationaux pourraient être augmentés très significativement, pour un coût assez faible au regard de l’effet attendu.

On gagnerait à sélectionner avec méthode les personnes susceptibles de

renforcer l’attractivité de la France par leur attachement à notre pays. Comme le précisait le conseil économique et social44, ce n’est pas le public étranger qui fait l’image de la France, mais les relais d’opinion. La première cible doit donc être les leaders d’opinion comme les médias, les décideurs politiques et administratifs, les milieux universitaires et les milieux d’affaires.

Ainsi, les journalistes anglo-saxons comme les décideurs nous connaissent

mal et nous caricaturent. Cela n’est pas un fait d’éternité. Il convient de les sensibiliser en leur démontrant que la France a changé. Il faudrait que l’ensemble des éléments de communication sur les performances de la France leur parvienne. Il paraît utile que les consulats et les postes d’expansion économique gardent ou développent des contacts étroits avec cette communauté.

Il convient également de faire venir les futurs décideurs étrangers en

France. L’étude DDB précitée de juillet 2000 montre que, quelle que soit la culture d’origine (anglophone ou non), la France n’arrive qu’en troisième ou quatrième choix, loin derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, voire derrière la Suisse45. Pour rattraper ce déficit d’image, nous pouvons :

I.4.1. Créer les « Villa Médicis » du management, de la culture ou de l’innovation

Des personnes que les ambassades, les universités ou les professionnels

français auraient sélectionnées en raison de leur potentiel ou du rayonnement qu’ils ont dans leur spécialité, seraient invitées à passer un séjour sur notre territoire, pris en charge par la France46. Il serait souhaitable que ces actions se fassent en concertation avec les secteurs professionnels concernés afin de garantir le suivi de telles actions de

44 Avis du 14 avril 1993 sur l’image de la France à l’étranger. 45 Pour les pays du Moyen-Orient et de l’Afrique. 46 Ce système est très utilisé par les Américains.

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promotion. A ce titre, l’action du comité Colbert dans cette approche mérite d’être encouragée (cf. encadré N°XX). Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour aider ce type d’initiative doté d’un effet de levier.

Encadré N° 3 : Deux initiatives proposées par le Comité Colbert pour que la

France devienne un lieu de référence international de création et d’excellence La première initiative serait une Villa Colbert, lieu d'échanges et de rencontres autour de la création, dans tous les métiers de l'art de vivre. Cette villa serait largement ouverte aux autres industries françaises, de l'automobile au numérique, qui partagent cet impératif de création, d'innovation et d'excellence. Une telle villa accueillerait, chaque année, les créateurs les plus prometteurs, français et internationaux, pour les former au management global de leur création. De même, la Villa accueillerait des managers pour les sensibiliser et les former à l'enjeu de la création dans leurs entreprises, afin de favoriser des croisements entre univers professionnels différents. La seconde initiative serait un forum international sur la création, annuel ou biennal, pour faire de la France et de Paris le lieu de rencontre de tous ceux qui s'intéressent à la création, sous toutes ses formes et partout dans le monde, et qui accordent à cette valeur une dimension primordiale pour le développement des produits et des services dans notre société économique. Un tel événement n'existe nulle part au monde aujourd'hui, sous cet aspect à la fois global et généreux. Une place est à prendre ; la France est en mesure de le faire. L'attraction de la France et celle des entreprises françaises, peuvent ainsi être confortées dans ces domaines de la création et de l'art de vivre, pour un coût modique. Cette ambition est en effet peu coûteuse : une Villa Colbert coûterait de l'ordre de 5 à 15 millions de francs pour son démarrage, l'immobilier et les équipements y compris. Elle devrait ensuite s'autofinancer par ses activités de formation et de rencontres. Un forum mondial de la création coûterait, par événement, environ 12 millions de francs. Le succès devrait ensuite permettre, également, de le financer en grande partie par ressources propres. Une répartition par tiers des investissements initiaux (Comité Colbert, partenaires industriels et pouvoirs publics) permettrait de mettre en place ces projets pour 2002.

Pour les chercheurs, des avancées en terme d’accueil ont déjà été prises : les

facilités administratives existent puisque la loi du 11/05/1998 a assoupli les modalités administratives d’entrée, d’accueil et de séjour pour les chercheurs étrangers et leurs familles. Toutefois, il n’existe pas encore de véritable politique d’accueil. Ainsi, les conditions matérielles de l’accueil ne prennent pas en compte les besoins spécifiques des chercheurs : par exemple, les questions matérielles liées au logement sont particulièrement aiguës en Ile-de-France qui accueille la moitié des chercheurs venant en France. Il faut créer un organisme ou une antenne de la nouvelle agence des investissements internationaux sur le modèle de la fondation Kastler (Strasbourg) qui prendrait en charge l’accueil, l’information et le suivi des chercheurs étrangers ainsi que la recherche de logements adaptés à leurs séjours.

I.4.2. Maintenir des réseaux d’influence et de communication internationaux par des opérations de prestige

Ces opérations globales de « marketing » autour de l’image et des valeurs de

la France permettraient de renforcer l’image de la France à l’étranger. La réussite

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d’ensemble, malgré l’échec commercial et financier du « Millenium Dome », du thème « Cool Britannia » popularisé par Tony Blair et son gouvernement, est une bonne illustration de ce type de démarche : définition de quelques messages-clés que l’on souhaite diffuser, suivie d’une mise en valeur systématique d’un ensemble de réalisations dans le tourisme, la culture, la mode, les nouvelles technologies qui convergent autour de ces thèmes centraux. Comme le disait le chef d’une grande entreprise rencontré par la mission, « la France aujourd’hui intéresse parce qu’elle intrigue ». C’est sur cette image de singularité que l’on pourrait capitaliser. Le coût en valeur absolue serait faible et l’effet à l’étranger très significatif.

I.4.3. Favoriser l’accueil des étudiants étrangers en France La politique d’échange d’élèves et d’étudiants avec l’attribution de bourses

par la France pourrait être développée. Une telle politique est un investissement finalement peu coûteux car elle conforte l’influence de la France à l’étranger comme le notait l’avis du Conseil économique et social47 : les étudiants qui viennent en France acquièrent la connaissance de notre langue, de notre mode de vie et de raisonnement et sont finalement les meilleurs ambassadeurs de la culture artistique ou scientifique française.

A ce titre, il pourrait être intéressant de cibler tout particulièrement le

management technologique et technique, où les formations de niveau bac+2 à bac+6 dispensées en France (BTS, DUT, diplôme d’ingénieur) ont une qualité reconnue au niveau international. Beaucoup d’étudiants étrangers seraient intéressés par une formation diplômante en France ; leur présence aurait des retombées positives pour l’influence de la France à l’étranger, mais serait également un facteur d’enrichissement culturel pour les formations dispensées à leurs condisciples français.

Encore conviendrait-il de lever trois séries de barrières en agissant de façon

à : - limiter l’investissement en temps en autorisant les étudiants étrangers,

suivant dans leur pays une formation de niveau technique reconnu, à obtenir une formation diplômante en deux semestres

- limiter l’investissement linguistique en prévoyant un trimestre d’accueil dans la langue d’origine ou en anglais, et en ouvrant la possibilité de composer pour les examens dans la langue d’origine ou en anglais

- limiter l’investissement financier en permettant aux étudiants étrangers de travailler (comme surveillants, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, chargés de travaux dirigés…) afin de « solvabiliser » ainsi la demande.

La réciproque est d’encourager les jeunes étudiants français à se former

dans les universités étrangères, notamment par une politique volontariste d’octroi de bourses48. Les grandes écoles et quelques universités l’ont bien compris et se sont

47 Avis de 1993 précité. 48 Les pouvoirs publics peuvent encourager cette circulation, en multipliant les aides à des séjours à l'étranger comme les bourses de l'INRIA ou de la DRET (d'autant plus que le flux des Coopérants du Service National en Entreprise est en voie de tarissement), ou en faisant qu'un travail post-doctoral à l'étranger ne soit pas pénalisant pour le scientifique qui aspire à un poste à l'Université ou au CNRS. Ils peuvent aussi faciliter le retour des

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engagées dans des politiques volontaristes sur ce point en nouant des accords internationaux ambitieux. Ainsi, on permet aux étudiants français d’acquérir une connaissance des meilleures pratiques développées à l’étranger.

II. Redonner à la recherche industrielle les moyens d’une grande ambition La recherche représente les bases de la compétitivité de demain. C’est, de ce

fait, l’un des rares domaines où l’intervention publique recueille l’assentiment des plus libéraux : la recherche est en effet génératrice d’externalités positives, c’est-à-dire qu’elle a un rendement social bien supérieur à son rendement financier pour la seule entreprise qui engage la dépense. D’où les vertus de la dépense publique dans ce domaine, pour parvenir à un niveau de recherche optimal pour la croissance économique et le progrès social, supérieur à celui que décideraient les seuls acteurs privés laissés à eux-mêmes.

Or le soutien des pouvoirs publics n’est pas en mesure de remplir

pleinement son rôle au service de la croissance. Trop longtemps concentré sur quelques programmes phares, il ne se diffuse encore que faiblement dans l’ensemble de l’économie et reste d’un montant insuffisant.

Certes, un réel effort a été consenti par le gouvernement depuis plusieurs

années. Effort en faveur des sciences de la vie, orientation qui doit être approuvée et maintenue compte tenu de l’enjeu lié aux biotechnologies, notamment en matière de santé. Effort également sur les grands équipements, avec la construction du synchrotron de troisième génération Soleil. Néanmoins, c’est maintenant surtout sur la recherche technologique de base et les nouvelles technologies de l’information et de la communication que la France doit porter son attention. L’enjeu y est, au travers de partenariats entre le public et le privé, de créer les conditions de la croissance et de l’emploi de demain.

II.1. Le constat : une domination américaine renforcée De bons esprits font de la recherche le domaine par excellence du

« dépensons moins mais mieux » ; ils sont ainsi pour le secteur de la recherche les avocats éloquents d’une cure d’austérité budgétaire rarement appliquée dans des secteurs où les budgets sont sans doute moins utiles à la préparation de l’avenir, mais politiquement plus difficiles à réduire…

expatriés et l'accueil en France de chercheurs d'origines diverses (voir Thierry Weil : les entreprises face aux nouveaux enjeux de l’innovation).

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Or une chose est certaine : même si la manière de dépenser – et notamment d’identifier, d’intégrer et de mettre en œuvre les technologies utiles – revêt une importance capitale, le niveau même de l’effort financier – public et privé confondus – est aussi un indicateur déterminant. A cet égard, rien d’étonnant à constater que les deux seuls pays européens qui consacrent à la R&D une part de leur produit intérieur brut proche de la norme américaine, à savoir la Finlande et la Suède, sont également ceux qui semblent les mieux placés pour tirer parti du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

De manière plus générale, l’évolution de l’effort financier consacré à la

recherche par les pays les plus importants – ceux du G7 – est la suivante :

PAYS DIRD (dépense intérieure de recherche et de développement) en % du PIB

1993 1997 1998 Japon 2,9 2,89 3,03 Etats-Unis 2,6 2,71 2,74 Allemagne 2,4 2,29 2,29 France 2,5 2,21 2,18 Royaume-Uni 2,2 1,84 1,83 Canada 1,6 1,61 1,64 Italie 1,1 0,99 1,02

Les enseignements de ce tableau sont sans appel : de 1993 à 1998, la

dépense intérieure de recherche et développement décroît ou stagne dans tous les pays du G7, sauf aux Etats-Unis, qui partaient pourtant d’un niveau d’effort financier supérieur à celui de tous les autres pays du G7, à l’exception du seul Japon. L’accélération de l’effort américain, déjà significative en pourcentage du PIB, est encore plus impressionnante en valeur absolue, car elle s’applique à un PIB en forte croissance, contrairement à la faible croissance européenne et au marasme japonais. Ce n’est qu’à compter de 1997 qu’un retournement de tendance semble s’amorcer dans les pays les plus importants, notamment au Japon. La France et le Royaume-Uni semblent rester à l’écart de ce mouvement.

Cet effritement de l’effort financier européen en matière de recherche n’est

pas sans conséquence : il a une influence directe sur la géographie des activités industrielles les plus créatrices de valeur et les plus stratégiques à l’aube du 21ème siècle.

Ainsi, l’effort de recherche américain, puissamment soutenu par les

pouvoirs publics (par le canal notamment de la National Science Foundation), est aux sources de la prééminence américaine dans les industries du vivant : en douze ans (1988-2000), l’industrie pharmaceutique s’est concentrée de manière spectaculaire (les dix premiers groupes mondiaux passant du quart à 46% du marché mondial) et a vu la domination américaine s’affirmer, puisque six des dix premiers mondiaux sont désormais américains (contre quatre seulement en 1988).

Dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication,

l’hégémonie américaine est encore plus prononcée (cf. encadré n° 4). Les firmes dominantes sont américaines ; le marché de référence est le marché nord-américain ;

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une seule entreprise sur les vingt premières mondiales du marché du progiciel est européenne49. S’agissant des équipementiers, les seuls groupes européens qui résistent n’y parviennent qu’au prix d'une américanisation rapide, tant par leur stratégie de croissance externe que par l’implantation de leurs centres de recherche : ce jugement vaut pour Alcatel, Siemens, Ericsson, Nokia, Thomson Multimedia… L’un des facteurs explicatifs, pour ne pas dire le principal, est le niveau élevé des aides indirectes liées à l’importance des commandes publiques en matière de recherche, génératrice d’un effet de place50 et d’une pression à la localisation des centres de recherche.

Encadré n° 4 : nouvelles technologies clés et retard européen : L’exemple des logiciels Les logiciels jouent un rôle croissant dans l’économie et la société et nous ne sommes sans doute encore qu’au début de leur avènement. L’industrie du logiciel connaît un taux de croissance de l’ordre de 15 % au cours des dernières années51 et augmente son poids relatif dans l’économie. Le logiciel est une composante essentielle d’évolutions majeures, telles que le développement de l’Internet et des services associés, l’électronique grand public ou l’informatique. Comme le note le rapport sur les technologies clés 2005, « le développement du logiciel contribue fortement à la compétitivité des entreprises des autres secteurs, non seulement parce qu’il permet des gains de productivité mais aussi parce qu’il se traduit par d’importants avantages concurrentiels en termes de nouvelles applications et de nouveaux services ». Ainsi, des logiciels de plus en plus complexes sont au cœur de l’activité dans les banques ou assurances, les transports, la défense. Avoir une position forte dans les logiciels est donc la meilleure garantie d’une compétitivité industrielle globale. Or la France – et l’Europe – sont peu présentes sur les segments les plus dynamiques du marché des logiciels. Pour les logiciels sur étagère ou « packaged software52 », si l’Europe représentait en 1998 31 % du marché mondial, elle ne comptait que pour 14 % de la production53 avec seulement une entreprise allemande dans les vingt leaders mondiaux. Les efforts de la recherche publique française, avec la création d’un réseau national de recherche en technologies logicielles (RNTL) chargé de renforcer la synergie entre la recherche industrielle et les laboratoires publics, ne constituent qu’un élément de réponse à une problématique plus vaste. Il convient de noter que la clarification de la protection des inventions dans le domaine du logiciel n’a toujours pas eu lieu. Il faudra pourtant s’interroger sur l’opportunité, l’impact et les modalités d’une éventuelle protection. A défaut, le système américain dominera et son hégémonisme sera assuré pour de nombreuses années54.

49 Il s’agit de l’Allemand SAP, leader mondial des progiciels de gestion intégrée. 50 Cette recherche est d’ailleurs concentrée géographiquement : une étude pour l'OSI du Pr Bellon sur les facteurs de localisation de la recherche aux Etats Unis dans le courant des années 90 indiquait ainsi que 18 des 40 Mds$ de consacrés annuellement à la recherche-développement par le Pentagone allaient en Californie. 51 Source Technologies clés 2005. 52 Système d’exploitation, applications bureautiques, jeux. 53 Alors que les Etats-Unis représentent respectivement 49 % du marché mondial et 77 % de la production, soit six fois plus. 54 Un débat similaire concerne l’évolution du droit de la propriété industrielle en matière de biotechnologie qui appelle à une clarification de la frontière entre découverte scientifique non brevetable et application brevetable pour éviter les dérives monopolistiques indues (cas de la société américaine Myriad qui ayant gagné la course à l’identification du gène BRCA1 (gène impliqué dans les cancers héréditaires du sein et de l’ovaire a obtenu les brevets correspondants aux Etats-Unis et exige de réaliser de réaliser les recherches pour toute l’Europe).

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Au-delà des effets directs de cette domination technologique américaine, il ne faut pas non plus s’en dissimuler les effets indirects. Dans les pays émergents, le modèle universitaire de recherche n’est pas Heidelberg, Jussieu ou Polytechnique mais Standford ou le Massachussetts Institute of Technology. Les jeunes Coréens ou Chinois passionnés de nouvelles technologies rêvent d’aller se former en Californie : ils y resteront, contribuant à la croissance américaine ou en reviendront, devenus d’excellents ambassadeurs bénévoles du modèle américain.

Ainsi, l’avance technologique prise par les Etats-Unis leur permet à l’heure

actuelle de conquérir des positions industrielles enviables et de bénéficier d’une forte attractivité vis-à-vis des chercheurs du monde entier et tout particulièrement des Européens. Ce « cercle vertueux » pour l’Amérique ne va pas sans remettre en question, par contrecoup, la croissance et même l’indépendance européennes.

II.2. Une réponse : une action volontaire à l’échelle européenne et française II.2.1. Relancer la recherche européenne L’Europe ne peut continuer à se laisser distancer dans cette nouvelle société

de la connaissance et de la recherche. Elle dispose pour cela de réels atouts, ses chercheurs sont aussi inventifs que leurs collègues américains, son système éducatif tout aussi performant. Il faut seulement consentir l’effort suffisant pour mutualiser nos efforts et coordonner nos politiques nationales de recherche dans un espace à la taille d’un continent.

Outre les points déjà abordés dans notre introduction (normalisation,

élaboration des banques de données et harmonisation des nomenclatures), trois actions paraissent devoir être privilégiées.

a) Accroître la dépense européenne de recherche et de développement L’Union européenne n’investit pas suffisamment dans la recherche : de

1988 à 1997, les dépenses intérieures brutes de recherche et de développement ont crû moins vite que le produit intérieur brut et ne dépassent pas désormais 1,90 %du PIB de l’UE15 en 199755. Ainsi, l’Europe se laisse distancer par les Etats-Unis qui consacrent désormais près d’un point de PIB de plus à la recherche (2,8 %56). Les efforts à entreprendre pour rattraper ce retard sont hors d’atteinte de la France, ou de n’importe quel autre pays pris isolément.

Certes, on peut argumenter indéfiniment sur le montant « idéal » que

devraient atteindre les dépenses de recherche. Mais, même si la souplesse et l’ingéniosité peuvent en partie compenser l’infériorité des moyens, un effort significatif apparaît nécessaire dans les prochaines années afin de ne pas laisser définitivement

55 Le chiffre provisoire pour 1998 est de 1,8% du PIB selon la direction générale de la recherche de la commission européenne et les statisticiens d’Eurostat. 56 Malgré leur discours libéral, les Américains financent sur fonds publics 18,4% de la recherche et développement des entreprises contre 9,5% seulement pour l'Europe. Le poids de la recherche américaine n’est donc pas seulement à mettre au crédit des entreprises privées, mais résulte aussi d’une vraie politique industrielle qui pour être peu connue n’en est pas moins efficace.

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distancer. Atteindre au moins le niveau de 2% du PIB ne paraît pas hors de portée. Accepter une croissance annuelle des moyens financiers alloués au programme cadre de recherche et développement (PCRD) au minimum égale à celle des financements publics alloués à la recherche américaine serait, au niveau de l’Union européenne, un premier acte fort.

La négociation en cours du 6ème PCRD peut être un élément important de la

politique de recherche et d’innovation. Avec une ambition forte, il serait susceptible de marquer une rupture avec les programmes précédents. Simultanément, il sera nécessaire de restreindre les objectifs scientifiques et techniques sur un nombre limité de sujets permettant à l’Europe de concurrencer les Etats-Unis et de conserver son attractivité sur les sujets de recherche prioritaires ainsi définis.

b) Relancer les programmes de coopération européenne Lors des assises de l’innovation en 1998, le Premier ministre avait appelé à

une relance du programme Eurêka, créé sur l’impulsion du couple franco-allemand en 1985. Ce programme est désormais clairement réorienté vers le secteur des NTIC : la micro-électronique avec JESSI et MEDEA, les logiciels avec ITEA, le commerce électronique avec MEDEA+, les micro-systèmes avec EURIMUS, la connectique avec PIDEA. Sa relance serait donc un moyen de concourir à la résistance des groupes européens dans ce secteur.

Par ailleurs, cette relance doit également permettre d’intégrer les petites

entreprises jusqu’alors laissées en marge des projets, au profit des grands groupes industriels plus habitués aux coopérations internationales. A cet égard, les progrès constatés à la 18ème conférence ministérielle Eurêka de juin 2000 réunie à Hanovre (160 nouveaux projets dont près de 43 % pilotés par des PME/PMI) sont appelés à se prolonger.

c) Mettre en place un brevet européen peu coûteux Le droit de la propriété industrielle a pour objectif de favoriser l'innovation

en reconnaissant à l'inventeur un droit d'exclusivité temporaire, afin de lui permettre de rentabiliser les investissements consentis tout en assurant la diffusion des connaissances par la publication du brevet.

Dans ce domaine, les besoins de l'industrie française s'articulent autour de

deux priorités : renforcer la qualité de la protection des droits conférés par le brevet (réparation du préjudice subi en cas de contrefaçon par exemple) et réduire le coût de la protection de la propriété industrielle pour qu’elle reste accessible aux petites et moyennes entreprises.

Du fait de sa complexité et de son coût, l'actuel système de protection par le

brevet n'est pas satisfaisant du point de vue du développement de la recherche et de l'innovation, particulièrement pour les PME. Dans l'Union européenne, la protection par le brevet est en effet assurée par deux systèmes dont aucun n'est basé sur un instrument juridique véritablement communautaire. Coexistent en effet les systèmes nationaux de

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brevets d’une part, et le système européen des brevets d’autre part, reposant sur l'Office européen des brevets (OEB) de Munich. Mais l'OEB, censé délivrer des brevets « européens », ne délivre essentiellement qu’un paquet de brevets nationaux.

En effet, chaque État membre peut toujours exiger la traduction du brevet

européen dans sa langue officielle pour qu'il soit légalement valable sur son territoire. Les coûts de traduction font donc qu'il est actuellement beaucoup plus onéreux de breveter une invention en Europe qu'aux États-Unis ou au Japon. En cas de litige, les tribunaux nationaux sont compétents : il peut donc y avoir jusqu'à quinze procédures légales différentes, avec différentes règles procédurales et le risque d’aboutir à des résultats sensiblement différents.

La création d'un brevet unitaire valable dans toute l’Union européenne, plus

simple, moins cher et plus fiable sur le plan juridique que le brevet « européen », doit être une priorité politique de l'ensemble des instances communautaires.

Après une communication de la Commission sur le brevet communautaire

(février 1999), les Conseils européens de Lisbonne, de Feira et de Stockholm ont évoqué la création de ce titre unitaire comme une composante essentielle des efforts de l'Europe pour exploiter les résultats de la recherche en vue de nouvelles avancées scientifiques et technologiques, et contribuer ainsi à une économie européenne compétitive basée sur la connaissance.

La proposition de règlement de la Commission visant à créer le brevet

communautaire (août 2000) s'appuie sur le système de délivrance par l'Office européen des brevets, dont les procédures offrent des garanties de qualité internationalement reconnues. La coexistence des brevets nationaux et européens et du système de brevet communautaire permettrait en outre aux inventeurs de choisir le type de protection du brevet le mieux adapté à leurs besoins.

A ce titre, il convient de poursuivre trois priorités : - La simplification des obligations de traduction - L’harmonisation du contentieux du brevet européen - La mise en place du brevet communautaire. La France doit s’impliquer totalement pour que la mise en œuvre d'un

brevet communautaire simple, efficace, peu coûteux constitue une priorité politique pour l’Union qui renforcerait ainsi l'innovation et la compétitivité européenne. Compte tenu des divergences de fond qui s'expriment à l'heure actuelle parmi les Etats membres, un élan politique est nécessaire.

II.2.2. Maintenir un haut niveau de recherche française La position de la recherche française tend à se dégrader par rapport à celle

de nos principaux partenaires. Certes, la France a maintenu son rang s’agissant de la part du PIB consacrée aux dépenses de recherche-développement : 5ème des pays industrialisés en 1998, tout comme en 1991. Mais l’effort de recherche et développement a diminué par rapport au PIB, même s’il a augmenté en valeur absolue. Et la tendance s’est clairement inversée par rapport à la période de 1978 à 1993, où le

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taux de croissance de la dépense intérieure de recherche et de développement (DIRD), qui regroupe l’ensemble des dépenses de recherche sur le territoire national, était nettement plus rapide que celle du PIB. Ainsi, comme le remarquait Christian CUVILLIEZ dans son rapport spécial sur la recherche pour le projet de loi de finances pour 2001, la part de la richesse nationale réinvestie dans la recherche diminue.

En particulier, la croissance du BCRD57 prévue dans le projet de loi de

Finances 2001, c’est-à-dire de l’effort financé par les deniers publics, reste inférieure à celle du PIB et ne permet pas à la France de rattraper son retard par rapport aux Etats-Unis, au Japon ou à l’Allemagne : bien loin de relayer l’initiative privée défaillante, l’effort public semble marquer le pas.

Les financements publics baissent depuis 1991 comme le montre le

graphique suivant :

Source MENRT-DPD et ANVAR

Or l’effort public en recherche et développement a un impact qui va bien au-

delà de son seul poids intrinsèque. Il influe en effet de manière décisive sur la stratégie de localisation par les groupes de leur centres de recherche et, au-delà, de leurs autres activités. Entendons-nous bien : il n’est pas question de consentir des aides directes aux entreprises pour obtenir la localisation de leurs activités de R&D : de telles pratiques ne seraient pas compatibles avec les accords de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce). En lieu et place, il convient de privilégier une approche indirecte axée sur la création d’un environnement favorable aux entreprises.

Un deuxième argument militant en faveur d’un effort financier accru pour la

recherche tient à la nécessité de motiver les chercheurs français, qui représentent notre principal atout. A cette fin, il est indispensable de conserver un rythme de croissance de la R&D qui ne soit pas inférieur au benchmark américain : rien ne serait plus décourageant pour nos équipes de travailler si elles avaient l'impression de gérer une lente retraite, alors que des trajectoires plus individualistes leur assureraient en

57 Le budget civil de la recherche et développement demandé dans la loi de finances pour 2001 s’élève à 55,865 Mds F en dépenses ordinaires et en crédits de paiement.

Financement public R&D et innovation (GF)

0,0

5,0

10,0

15,0

20,0

25,0

30,0

1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998

Défense

Financement civil

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Californie des conditions de travail et une rémunération nettement plus gratifiantes. Or les élections américaines ont conduit à une croissance du budget fédéral de R&D de 9,1% sur l’année fiscale 2001 : l’appel d’air ainsi créé ne saurait rester sans réponse.

C’est pour cet ensemble de raisons que nous préconisons trois voies

complémentaires pour la recherche publique. a) Relancer la politique de recherche de la Défense nationale La première consiste en une relance de la recherche de défense, meilleur

moyen d’assurer, en toute sécurité vis-à-vis des traités internationaux, un soutien indirect à l’innovation pour notre appareil de production. Il s’agit donc de privilégier la capacité technologique liée à une recherche de pointe plutôt que des équipements de prestige – à l’image d’un porte-avions – aux retombées plus limitées : en deux mots, une commande publique orientée vers la fin – la supériorité technologique – et non vers l’outil – l’armement. Cette recherche privilégierait les nouvelles technologies de l’information et de la communication, et trouverait un prolongement indispensable dans la définition d’une politique de défense européenne.

L’exemple américain souligne les performances d’un modèle d’innovation

où les programmes de défense ont permis de canaliser un soutien public important aux entreprises du secteur des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Pascal COLOMBANI, administrateur général du CEA, estime ainsi que la Silicon Valley doit une partie de son succès à l’initiative de défense stratégique lancée par l’administration Reagan (connue plus familièrement sous le nom de Star Wars). L’afflux massif d’argent fédéral a permis la naissance d’un nombre d’entreprises de haute technologie en Californie, très liées aux universités. Les « dollars interventionnistes » ont ainsi servi à explorer de nouvelles frontières technologiques. Dans ces conditions, l’annonce par le président Bush d’un nouveau programme Star Wars II doit, pour les Européens, résonner comme un signal d’alarme. Plutôt que de s’opposer à ce programme sur le terrain diplomatique, au nom du désarmement et de l’équilibre stratégique, il convient de s’interroger sur les conséquences économiques d’une telle initiative : l’argent généreusement dispensé aux universités, aux petites entreprises, aux laboratoires nationaux pour ce Star Wars II pourra, sous couvert d’un modèle économique prétendument libéral, servir à renforcer le leadership technologique américain.

Dans notre pays, le désengagement progressif de la délégation générale à

l’armement, en proie à des difficultés budgétaires, a sonné le glas d’une telle politique de soutien et de diffusion technologique fondée sur la commande militaire. Cette carence, si elle n’est pas inversée, limite nos chances de voir émerger sur notre territoire une Silicon Valley européenne… et risque à terme de compromettre notre défense elle-même, tant il est vrai que la supériorité militaire est aujourd’hui inséparable de la supériorité technologique et économique d’ensemble : la défunte Union des républiques socialistes soviétiques en est sans doute le meilleur contre-exemple.

b) Promouvoir la recherche industrielle

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La seconde orientation préconisée passe par un engagement réaffirmé dans le domaine de la recherche industrielle. La mise en oeuvre de cette politique peut s’ordonner autour de quatre axes :

1 - Accroître les financements publics consacrés à la recherche industrielle Les budgets destinés aux grands programmes technologiques ont baissé de

60% en six ans (305 M€ en 1998 contre 747 M€ en 1992), reflétant le tassement global des dépenses de recherche du fait d’une conjoncture longtemps atone mais aussi d’une évolution des modalités d’intervention. Les subventions versées aux groupes industriels en raison de leur programme de recherches ont en effet été abandonnées : la difficulté pour les services administratifs de suivre les programmes pouvait en effet diminuer l’efficience des crédits publics. En lieu et place, un système d’avances remboursables a été mis en place. Ce système peut être plus économe des deniers publics mais il peut aussi être moins incitatif, compte tenu du délai d’instruction des dossiers et des moyens humains requis pour la constitution du dossier.

Un système d’avances remboursables ne fonctionnera donc que si, comme

le réussit l’ANVAR, il conjugue un taux élevé de dossiers acceptés et des montants d’avances jugés significatifs. C’est pourquoi la diminution des crédits inscrits au chapitre 66-01 (cf. graphique), qui ont atteint leur étiage en 1998 avant de remonter légèrement en 1999-2000, risque d’être contre-productive et de mettre en péril le dispositif.

Soutien aux programmes de R&Dévolution des engagements de crédits sur le chapitre 66-01

150

200

250

300

350

400

450

1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000

en m

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Plus spécifiquement, au sein de ces crédits consacrés à la recherche

technologique, il faudra amorcer une nette réorientation vers la recherche consacrée aux NTIC (nouvelles technologie de l’information et de la communication), point faible de l’offre française et européenne pourtant stratégique pour l’avenir de nos économies.

Au total, il paraît ainsi souhaitable qu’à un horizon proche (5 ans), on

parvienne à un niveau de l'ordre de 500 M€/an au titre de la recherche industrielle de type 66-01.

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2 - Améliorer le dispositif du crédit d’impôt recherche (CIR) Instauré en 1983, le crédit d’impôt recherche contribue à promouvoir la

recherche industrielle, surtout auprès des PME/PMI58. Malgré de nombreuses réformes, il concourt à offrir un environnement relativement stable à l’innovation technologique des entreprises françaises. Il représente en 1999 plus de 3 MdF (environ 450 M€)59 d’aides annuelles. Son effet d’entraînement est significatif en orientant les entreprises vers la mise en œuvre d’activités technologiques rentables. Le CIR est ainsi souvent considéré comme le premier révélateur de l’engagement des sociétés dans des activités de recherche et de développement. Plus de la moitié du public potentiellement concerné (3 271 entreprises sur 6 600) en a effectivement bénéficié.

Plusieurs voix se sont élevées pour demander une extension du crédit

d’impôt recherche aux dépenses d’innovation. Si cette idée est séduisante, elle doit toutefois être écartée : le concept d’innovation demeure excessivement complexe et aucune définition n’est satisfaisante. Autant dire que le risque pour les entreprises bénéficiaires du dispositif élargi d’être redressées par les services fiscaux priverait cette mesure de l’essentiel de son caractère incitatif.

Pour autant, on ne peut que déplorer la baisse sensible des montants drainés

par le CIR : 5 Mds F en 1991 contre 2,8 Mds F en 1998 avant un léger redressement en 1999 (3,3 MdF). Cette baisse doit beaucoup a une mesure prise en 1998, obligeant les groupes à calculer les CIR en compensant les crédits d’impôt positifs et négatifs de leurs filiales, ce qui a réduit le montant total du CIR de 250 MF sur l’année 1998 et de 500 MF sur l’année 1999.

En outre, les différences dans la prise en compte des dépenses de recherche

rendent le dispositif complexe. Simplifier cet impôt permettrait d’en renforcer la lisibilité et donc la compétitivité de la France sur la scène internationale.

Quatre mesures pourraient être prises à court terme en ce sens. La première

n’a pas de coût budgétaire et les deux suivantes qu’un coût modéré. Une dernière mesure envisageable ne peut s’inscrire que dans un horizon de long terme en raison de son coût.

- L’entrée dans le dispositif ne se ferait plus sur option mais librement : Le crédit d'impôt recherche est subordonné à une option

irrévocable de l'entreprise, qui s'engage à transmettre chaque année une déclaration, sous peine de

ne plus pouvoir en bénéficier. Actuellement la loi fait obligation à une entreprise d'opter la première année où elle réalise des travaux de R&D. A défaut, elle doit attendre la première année du cycle suivant. En l'occurrence, une entreprise qui aurait omis de déclarer ses dépenses de l'année 1999 ne pourra opter qu'en 2004.

58 Le montant maximum du crédit d’impôt recherche (CIR) est plafonné à 40 MF, soit un peu plus de 6 MEuro. 59 Soit un montant total de dépenses de recherche industrielle de 70,8 MdF et un montant de crédit d’impôt de 3,35 MdF.

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Le principe de l'option est trop compliqué pour les entreprises qui se trouvent ainsi pénalisées. Pour des raisons de simplification, il est proposé de permettre une entrée libre dans le dispositif et corrélativement d'autoriser une entreprise, sortie depuis moins de trois ans, à réintégrer le dispositif, sous la seule condition de déclarer les bases antérieures depuis sa sortie et de recalculer ses crédits d'impôt.

- Le dispositif intègrerait une meilleure prise en compte des brevets : Le nombre de brevets déposés en France reste très inférieur à la moyenne

des autres pays de l'OCDE. Au-delà des faiblesses de la recherche française, cet état de fait reflète aussi en partie les réticences de certaines entreprises à déposer un brevet, compte tenu de son coût et de leur crainte ne pas avoir les moyens de défendre leur propriété intellectuelle face à des copies frauduleuses. Aussi est-il proposé de multiplier par deux, dans l'assiette du CIR, les dépenses correspondant à la prise de brevet et les frais de justice liés à la défense contre la contrefaçon. Ce coefficient multiplicateur permet, notamment pour les jeunes entreprises, de prendre en compte le coût réel des dépenses liées à ces postes, car non affectées par le mode de calcul du crédit d’impôt. Le coût total de cette proposition ne devrait pas dépasser 100 MF, soit un peu plus de 15 M€, compte tenu du poids très faible des dépenses correspondant aux dépôts de brevets dans le CIR aujourd’hui (1,48% seulement du montant de ce crédit).

- Le dispositif permettrait une meilleure prise en compte des dépenses de fonctionnement : Actuellement, les dépenses de fonctionnement sont

intégrées dans l’assiette du CIR de manière forfaitaire, à deux taux différents : 75% des dépenses de personnel se rapportant aux chercheurs et techniciens de recherche et 100% des dépenses de personnel se rapportant aux jeunes docteurs la première année de leur recrutement. Les dépenses de fonctionnement sont ainsi censées couvrir les dépenses de personnel de soutien, les dépenses administratives et les dépenses afférentes aux biens non destinés spécifiquement à la recherche.

Cependant, certaines dépenses nécessaires à l'élaboration de travaux de

recherche ne sont pas prises en charge (veille technologique, bibliographie…). Afin de mieux prendre en compte ces dépenses difficilement quantifiables, il est proposé de porter le taux des dépenses de fonctionnement de 75% à 100% pour l'ensemble des entreprises, plutôt que d'ajouter ces dépenses à la liste des dépenses éligibles et de compliquer le dispositif.

Une telle augmentation aurait l'avantage de supprimer l’effet de seuil dont

souffrent les entreprises l’année postérieure au recrutement d’un jeune docteur (qui voit actuellement le taux de prise en charge passer de 100% à 75%). Elle constituerait également une puissante incitation en faveur de l'embauche de chercheurs et de techniciens : les entreprises bénéficiaires du CIR en 1997 et 1998 ont ainsi augmenté leur masse salariale de 13% et leurs effectifs de 8,2% alors que les chiffres comparables pour l’ensemble des entreprises ne dépassent pas 4%.

Le coût de l’amélioration de la prise en charge des dépenses de

fonctionnement de 75% à 100% peut être évalué à 300 MF, soit environ 45 M€60.

60 Ce coût serait légèrement diminué par la fin de la prise en charge des dépenses relatives à la normalisation, d'application trop compliquée pour un montant modique. Ces dépenses, qui représentent actuellement 0,06% du montant du crédit d'impôt recherche, seraient considérées comme faisant partie des 100% de frais de fonctionnement.

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- Les dépenses éligibles pourraient être lissées sur trois ans au lieu de

deux : Si le crédit d'impôt recherche est globalement apprécié, il semble s’essouffler et perdre de son attractivité au fil des ans. En effet, le mode de calcul est surtout favorable dans les premiers temps : en témoigne la baisse constante du nombre d’entreprises dans le dispositif (8 720 déclarants en 1993 ; 7 497 en 1995 ; 6 863 en 1998).

Cette modification serait favorable, notamment, aux entreprises en création,

pour lesquelles l'apport en trésorerie est particulièrement important pendant les premières années de leur existence. Ainsi, en 1998, 353 entreprises nouvelles ont déposé une déclaration de crédit d'impôt recherche parmi lesquelles 70 se sont créées dans les secteurs des nouvelles technologies. En 1999, 451 entreprises nouvelles sont recensées, dont 77 dans les nouvelles technologies.

Néanmoins, cette proposition qui aurait un effet d’attractivité

important pour les entreprises industrielles, entraînerait un surcoût du crédit d'impôt recherche de 35% à 40%, soit de l'ordre de 1 milliard de francs.

3 - Développer la coopération entre le monde productif et la recherche publique L’un des principaux défis de la recherche ne relève pas de la qualité de la

recherche mais plutôt de son implication dans la recherche technologique de base. Pour de nombreuses technologies, l’amélioration de la position industrielle et commerciale de la France et donc de son pouvoir d’attractivité passe par une meilleure collaboration entre la recherche publique et l’industrie. Les pouvoirs publics se sont déjà attachés à mettre au point cette coopération en conditionnant leur soutien aux projets technologiques à l’existence de partenariats stratégiques nationaux ou européens, industrie-recherche ou industrie-industrie.

La loi sur l’innovation et la recherche du 12 juillet 1999 a ouvert un champ

entier à cette coopération entre les entreprises et la recherche publique. L’objectif de ses dispositions est d’améliorer la valorisation économique des résultats de la recherche. Ainsi veut on favoriser les échanges entre le monde industriel et des chercheurs publics qui souhaiteraient développer leurs travaux ou valoriser leur recherche par la création d’entreprises.

Cette loi se décline en trois axes : - inciter à la mobilité et à la création d’entreprises, les personnels de

recherche - développer les collaborations entre les organismes de recherche publics et

les entreprises - adopter un cadre juridique et fiscal pour les entreprises innovantes

(cf. infra). Par ces dispositions, les chercheurs et les enseignants-chercheurs peuvent

valoriser leurs travaux, créer une entreprise qui exploite les résultats de leur rechercher, détenir une participation dans son capital social. Mais cette loi a aussi pour but de

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mettre en place un réseau d’aide aux PME innovantes afin de leur offrir appui, conseil et financement.

Toutefois, de nombreux interlocuteurs se sont encore plaints du manque de

collaboration entre la recherche publique et l’industrie par rapport à des pays comme les Etats-Unis et même l’Allemagne. D’autres interlocuteurs ont fait part de leurs inquiétudes concernant la pérennité des dispositifs créés.

- Une collaboration encore insuffisante Sur le premier point, les critiques se concentrent plutôt sur le système

universitaire. Les essaimages des universités n’ont pas encore rencontré les succès escomptés. Les droits de propriété industrielle de la recherche publique sont encore mal connus par les chercheurs publics. La méconnaissance mutuelle entre les industriels et la recherche publique persiste. Les motivations contradictoires entre les chercheurs-fonctionnaires proches de la recherche fondamentale dont l’unité de mesure est le rythme pluriannuel et les industriels qui attendent un résultat rapide des recherches appliquées, où la réussite ou l’échec du projet s’évalue en jours perdus, ne sont pas prêts d’être aplanies.

Si la plupart des grandes écoles ou des établissements publics comme le

CEA, l’INRIA et plus récemment le CNRS ont compris rapidement que la coopération entre l’industrie et la recherche est un passage obligé pour favoriser la valorisation de la recherche, le transfert de technologies, l’innovation et irriguer l’économie des résultats de la recherche, il faut reconnaître qu’une grande partie des universités s’est peu investie. Il est difficile de décloisonner l’université pour l’ouvrir sur l’entreprise. Ce changement culturel, quand il existe, est encore trop souvent le fait de volontés individuelles, malgré le système des incubateurs.

Ainsi, le CEA a mis en place 42 accords cadres avec différentes universités,

mais sur ce nombre, seuls six sont réellement actifs, ce qui est trop peu. La loi de Juillet 1999 devrait faciliter la participation de chercheurs des

laboratoires publics à des entreprises valorisant leurs travaux. De nombreux chercheurs et industriels se plaignent de ce que plusieurs aspects de la loi restent ambigus et estiment que cette loi ne sera vraiment utile que lorsque des circulaires d’application et une jurisprudence rassurante auront confirmé l’ouverture qu’elle autorise.

De ce fait plusieurs mesures simples doivent être décidées afin de conforter

la réforme tendant à décloisonner les composantes privées et publiques de la recherche. En particulier, le fait que les contrats de recherche soient conclus avec les

enseignants et non avec les universités en tant que personne morale est un facteur de fragilité. En cas de mutation de l’enseignant concerné, il est rare que ses collègues reprennent le contrat en cours et parviennent à le mener à son terme : faute de responsabilisation de la direction de l’Université sur ce point, une fois l’enseignant concerné parti, le contrat a toutes les chances d’achopper. Un de nos interlocuteurs affirmait ainsi que deux tiers des contrats d’ingénierie pédagogique passés avec le

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Centre National d’Etudes à Distance / Rennes II s’étaient soldés par un échec, du fait de mutations d’enseignants en cours d’exécution du contrat.

Pour y remédier, il conviendrait de poser le principe que les contrats de

recherche sont passés avec l’université en tant que personne morale et non avec un enseignant chercheur particulier.

D’une part, il faut offrir des facilités plus grandes aux chercheurs afin

qu’ils acceptent de franchir le pas vers le monde industriel. Ainsi le chercheur public qui crée son entreprise doit cesser toute activité de

service public (avec quelques dérogations qu'un décret doit préciser concernant exclusivement les tâches d'enseignement) et ne peut être ultérieurement réintégré au service public qu'en abandonnant toute collaboration avec l'entreprise et tout intérêt dans celle-ci (avec là encore, des dérogations limitées). Par ailleurs, toute collaboration avec une entreprise doit faire l'objet d'une autorisation préalable accordée après avis d'une commission de déontologie.

Il est évident que cet « encadrement » destiné à éviter les conflits d'intérêts

est compréhensible ; on peut regretter qu'un système d'autorisation a priori introduise des délais peu compatibles avec la réactivité dont les industriels ont besoin. Il faut encore simplifier les conditions de passage entre la recherche public et le monde de l’entreprise et donner aux chercheurs les meilleures possibilités de retour dans leur laboratoire.

D’autre part, il faut aider les chercheurs qui souhaitent aller dans

l’industrie par une formation en particulier en matière de gestion de la propriété intellectuelle. Ce sujet est d’autant plus important que la réforme traite de la valorisation des travaux aboutis mais pas de la recherche partenariale et des conséquences financières qui peuvent en découler. Plus globalement, c’est la formation à l’entrepreneuriat qui peut devenir un élément de dynamisation de la création d’entreprise et de la pérennisation des projets. La mise en place de cet effort de formation donnera un second souffle à la politique menée depuis 1997 en faveur de la recherche et de l’innovation.

Enfin, la mise en place des services d’activités industrielles et

commerciales (SAIC) n’a toujours pas été réglée. Il est vrai que l’organisation juridique et fiscale de ces services dans les organismes et les établissements d’enseignement supérieur pose problème. Les obligations qui pourraient en découler seraient susceptibles d’avoir un effet contre-productif si elles étaient trop contraignantes. Toutefois, il semble possible que l’ensemble des services de l’Etat coopère pour que ce service soit inséré dans des règles suffisamment souples qui conviennent aux chercheurs-enseignants, suivant les vœux du législateur. Deux ans après le vote de la loi, ce problème doit trouver une solution.

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- Assurer la pérennité des incubateurs Faciliter le transfert technologique entre laboratoire et industrie constitue un

dénominateur commun pour les incubateurs et un objectif clé pour les grands groupes61 et l’Etat qui cherchent à valoriser leur capital scientifique.

L’incitation, grâce à l’appel à projets, à la mise en place d’incubateurs a

rencontré un réel écho auprès des établissements d’enseignement supérieur et des organismes de recherche qui se sont mobilisés pour présenter des projets fédérateurs62. Depuis la loi sur l’innovation et la recherche de 1999, des structures publiques côtoient des incubateurs privés. La loi a défini l’incubateur public comme une structure mixte publique-privée autour d’un ou plusieurs organismes de recherche (cf. encadré n° 5).

61 Un certain nombre d’incubateurs ont des vocations stratégiques à long terme : les grands groupes exercent ainsi une veille technologique (ex. IBM ou France Télécom). L’incubateur devient donc un outil de R&D, le management par projets est ici structurel et contribue à l’efficacité des travaux de recherche, la motivation des chercheurs étant assurée par l’implication financière. 62 Depuis le lancement de l’appel à projets en mars 1999, le Comité d’engagement a sélectionné 31 projets d’incubateurs : ces 31 incubateurs prévoient d’accueillir sur 3 ans plus de 850 porteurs de projets de création d’entreprises innovantes, ce qui devrait aboutir à au moins 750 créations d’entreprise effectives, chacune étant créatrice de 2 à 10 emplois environ dans les deux ans suivant leur création.

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Encadré n° 5 : QU’EST-CE QU’UN INCUBATEUR D’ENTREPRISES INNOVANTES ? Incubateur ou pépinière d’entreprises ? : le terme incubateur est généralement réservé aux structures d’accueil et d’accompagnement de porteurs de projets de création d’entreprises, et celui de pépinière aux structures d’hébergement d’entreprises récemment créées. Un incubateur d’entreprises innovantes est un lieu d’accueil et d’accompagnement de porteurs de projets de création d’entreprises innovantes ; il offre à ces derniers un appui en matière de formation, de conseil et de financement, et les héberge jusqu'à ce qu’ils trouvent leur place dans une pépinière d’entreprises ou des locaux industriels. Cependant, la spécificité de tels incubateurs tient au fait qu’ils sont situés dans ou à proximité immédiate d’un site scientifique afin de maintenir des relations étroites avec les laboratoires de recherche dont les porteurs de projets (chercheurs, enseignants-chercheurs, jeunes docteurs) sont le plus souvent issus, et de bénéficier ainsi des ressources scientifiques et technologiques et des contacts accessibles sur le site. L’appel à projets “Incubation et capital-amorçage des entreprises technologiques” lancé conjointement le 24 mars 1999 par le ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie et le ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, vise, dans sa partie “incubation”, à susciter la mise en place de nouvelles structures d’incubation émanant d’établissements d’enseignement supérieur ou de recherche. La priorité a été donnée aux projets d’incubateurs nouveaux organisés en partenariat entre plusieurs établissements et bénéficiant notamment du concours des collectivités locales. L’appel à projets n’a pas défini un modèle-type d’incubateur ni retenu une forme juridique particulière ; cependant, tout incubateur doit présenter un tronc commun de caractéristiques et de fonctions en terme de : localisation, infrastructure matérielle (surfaces d’hébergement, services communs, accès à des installations spécifiques), aide à la gestion (évaluation et sélection des projets des “ locataires ” de l’incubateur, études d’appréciation des technologies ou études de marché), service de formation entrepreneuriale et de relais avec le vaste éventail des aides à l’entreprise, assistance juridique, soutien technique. Dans la plupart des pays européens, il existe également des incubateurs, souvent sous d’autres dénominations (pépinières d’entreprises, parcs technologiques, …) et recouvrant des modes de fonctionnement variés. Les incubateurs et les administrations de plusieurs Etats membres notamment de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne, ont manifesté leur intérêt pour la politique publique de soutien à la création d’entreprises innovantes menée par la France. Par ailleurs, des échanges ont lieu avec des incubateurs d’Amérique du Nord (Etats-Unis, Québec) ainsi qu’avec plusieurs pays d’Amérique latine et d’Afrique du Nord.

Le budget du programme «incubateurs», initialement de 100 MF (15

M€) en 1999, a bénéficié d’une dotation supplémentaire de plus de 60 MF (9 M€) en 2000/2001 sur le Fonds de la recherche technologique du ministère de la recherche, en raison du succès de ce programme : les 31 incubateurs sélectionnés totalisent ainsi 161,6 MF (24 M€) de subventions.

Plusieurs arguments peuvent être avancés pour justifier le maintien de

l’intervention de l’Etat. Il s’agit de pallier des imperfections du marché en faisant face à un phénomène de rationnement de crédit résultant de fortes incertitudes et permettre aux acteurs de s’approprier une part des bénéfices que retire la société de l’innovation. D’autre part, l’incubateur permet de compléter la structure de la recherche publique qui souffre de nombreuses lacunes dans les domaines financiers, juridiques et fiscaux. Il favorise l’émergence d’un réseau facilitant les couplages science-industrie et

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l’orientation de la recherche dans les domaines jugés stratégiques par les milieux économiques63.

Un dispositif d’incubation s’est ainsi mis en place sur l’ensemble du

territoire. Il contribue à la dynamique nationale d’incitation à la création d’entreprises, en particulier innovantes et de haute technologie. Il devrait avoir par ailleurs des effets induits dans l’environnement amont, au sein même des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, par la nécessité de mettre en place des actions de sensibilisation et de formation à la création d’entreprise, et par l’élargissement des missions de valorisation de ces établissements.

La localisation dans différentes régions de France d’un capital scientifique

fort constitue une donnée qu’il convient d’exploiter au mieux dans un souci d’attractivité du territoire. Il s’agit d’une des meilleures réponses pour valoriser la recherche publique à des fins industrielles.

Il reste néanmoins à améliorer l’intervention de l’Etat dans ce domaine de

façon à rapprocher au mieux les incubateurs publics des milieux économiques. Aussi deux décisions doivent être rapidement prises pour les pérenniser.

En premier lieu, il était prévu que les incubateurs devaient prendre la forme

de société anonyme avec un moratoire de 24 mois pendant lesquels ils pouvaient se structurer en association. Mais, les collectivités locales n’ont pas vocation à subventionner les sociétés anonymes. Il paraît néanmoins urgent que le ministère de l’intérieur prenne les dispositions réglementaires nécessaires pour que cette opportunité leur soit ouverte dans ce cas précis afin de régler le problème de la forme juridique puisque les premiers incubateurs créés devraient se transformer en société anonyme dans les prochains mois.

En second lieu, le dispositif prévoit que les incubateurs sélectionnés dans le

cadre de l’appel à projets du ministère de la recherche doivent mettre en évidence leur capacité à fonctionner durablement, sans aide de l’Etat, celle-ci n’étant prévue que les trois premières années64. Les projets montés ont bien prévu initialement la fin du financement par l’Etat au terme de cette période. Toutefois, les études désormais réalisées montrent que le retour financier par les incubés est dans le meilleur des cas de 30 % sur une période de sept ans. La suppression de tout financement étatique au bout des trois ans entraînera sans doute la fin des incubateurs. Il est donc important d’étudier dès à présent ce problème si l’on ne veut pas que le système mis en place s’éteigne faute de financement. La montée en puissance des collectivités territoriales dans ce type de dispositif semble la meilleure solution à côté du maintien d’un financement résiduel de l’Etat.

63 L’exemple le plus représentatif est celui des génopoles créés pour favoriser le développement de la biologie dans la recherche publique et privée, projets de biotechnologies à grandes échelles autour de centres de recherche dotés d’une structure d’incubateur. 64 Les crédits incitatifs versés par l’Etat n’ont pas vocation à subventionner le fonctionnement des incubateurs mais à accompagner les projets de création d’entreprises . En outre, la subvention ne représente que 50 % du coût de programme, le solde étant pris généralement par les collectivités locales.

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En tout état de cause, ces deux points doivent être étudiés de manière urgente afin que les collectivités puissent prévoir leur implication et les investisseurs s’engager.

- Mettre au point un système d’évaluation de la recherche performant Si une augmentation des dépenses publiques consacrée à la recherche est

souhaitable, elle n’est admissible que si on peut s’assurer de la bonne utilisation des dépenses publiques. Cette obligation de vérité et de transparence doit passer par une meilleure évaluation des résultats, loin de certaines pratiques opaques qui prévalent parfois. Le constat dressé par Henri GUILLAUME dans son rapport sur la technologie et l’innovation reste actuel : il n’existe pas au niveau de l’Etat de vision synthétique sur l’affectation et l’utilisation des crédits publics de recherche, ni a fortiori de procédure systématique d’évaluation de leur impact technologique et économique.

Une telle évaluation devra s’appuyer sur deux volets : évaluation des

structures et des procédures d’une part, évaluations individuelles d’autre part. Evaluation des structures : chaque laboratoire doit pouvoir être jugé sur la

qualité de sa recherche et sur l’adéquation des crédits (en coût complet) qu’il reçoit par rapport à son cahier des charges.

Evaluation des personnes : il faut aller au-delà des systèmes d’évaluation

propres à chaque organisme public, grâce à des conseils scientifiques, et évaluer la performance individuelle du chercheur autrement qu’au regard des articles publiés. Lors des recrutements ou des promotions, l’évaluation doit ainsi intégrer des critères tels que la gestion efficiente des crédits, l’animation scientifique, les liens établis entre le laboratoire et la recherche industrielle.

Une procédure d’évaluation au travers des travaux des chercheurs

(entretien, suivi de carrières, évaluation par les brevets déposés et les articles publiés) pourrait être appliquée à tous les personnels afin d’intégrer dans leur recherche le facteur d’excellence et de diffusion des technologies. Cette évaluation se ferait selon des modalités à déterminer, différentes selon qu’il s’agisse de scientifiques ou de techniciens, de recherche fondamentale ou de recherche appliquée65.

II.2.3. Organiser le partenariat entre l’Etat et les régions Favoriser l’innovation et la recherche est devenu un enjeu de politique

régionale : la région devient l’échelle pertinente de la recherche. Les choix que demande une politique de recherche privilégient les acteurs susceptibles de créer des réseaux d’échanges et de répondre rapidement aux contraintes des entreprises. L’Etat doit rester

65 « Dans l’introduction à son dernier rapport d’activité (avril 2000), le Comité national d’évaluation de la recherche (CNER) indique qu’il conviendrait de mener une enquête sur « les critères et les indicateurs d’évaluation des performances de la recherche ; leur cohérence et le rôle joué en leur sein par la bibliométrie ». Le CNER a en effet constaté que les critères retenus par les instances d’évaluation internes ou externes des grands organismes publics de recherche et des universités pour le recrutement et la promotion des chercheurs, (...), la création, la fusion ou la suppression des équipes de recherche, la répartition de certaines ressources financières sont mal connus par ceux-là même auxquels ils s’appliquent et qu’en tout état de cause ces dispositifs manque de transparence. » (Christian CUVILLIEZ, rapport 2624 de l’Assemblée nationale)

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un acteur efficace. Il doit bien sûr continuer à donner les orientations, arbitrer les grands choix technologiques (par exemple pour le synchrotron de troisième génération Soleil), prendre les mesures environnementales et réglementaires qui facilitent la mise en place d’une recherche dynamique, mais c’est la proximité qui favorise l’innovation.

La collaboration entre les universités, les collectivités territoriales et les

industries suscite des synergies qui permettent de tirer le meilleur parti des forces et du savoir-faire de chacun. Par ces partenariats, les collectivités et particulièrement les régions, bénéficient de la présence de ressources et d’activités qui créent des possibilités d’emploi et de croissance économique et attirent ainsi les investisseurs français ou étrangers.

Déjà les régions ont compris tout le bénéfice qu’elle pouvait retirer d’avoir

des pôles technologiques forts. Ainsi, Grenoble fait preuve d’un dynamisme important avec l’implication de tous les acteurs - Etat, collectivités locales et entreprises - dans le domaine de la microélectronique, des nanotechnologies et d’autres secteurs de hautes technologies associant différents pôles de compétence, le CEA, l’INPG, l’Université Joseph Fourier, les industriels du secteur (Hewlett-Packard, ST Microelectronics, des start-up) et des gros équipements fédérateurs comme l’ILL et l’ESRF.

Dans le même temps, en liaison avec le tissu industriel local, le rôle que

prendront les régions dans le dispositif des incubateurs dans les prochaines années comme celui qu’elles prennent déjà dans la mise en place des plates-formes technologiques (PFT) démontrent leur intérêt pour la recherche et l’innovation (cf. encadré n° 6).

Encadré N° 6 : Les plates-formes technologiques (PFT) Une Plate-Forme Technologique (PFT) est un réseau constitué prioritairement d’établissements d’enseignement (lycées technologiques ou professionnels, IUT), auxquels peuvent s’associer d’autres composantes des universités, des écoles d’ingénieur, ainsi que des centres d’appuis technologiques (CRITT, CRT…) et des entreprises. Les PFT ont vocation à favoriser les actions de formation – initiale et continue - et à réaliser des prestations technologiques en faveur des entreprises. Lorsque

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leurs activités le justifient, les PFT se rapprochent des laboratoires de recherche technologique du domaine qui les concerne66. Les PFT font bénéficier le tissu local des PME/PMI de leurs compétences et moyens en leur permettant l’accès à des formations, des équipements et des expertises. Les établissements du réseau mutualisent à cette fin leurs équipements et partagent leurs ressources. Elles favorisent également la connaissance de l’entreprise et l’insertion professionnelle des élèves et étudiants en leur donnant une occasion supplémentaire de rapprochement avec les entreprises locales. Le soutien aux PFT provient essentiellement du niveau régional, départemental et local. Les 80 PFT inscrites dans les Contrats de Plan Etat-Régions, pour la période 2000-2006 peuvent bénéficier de financements de la part de l’Etat. Par ailleurs, il est essentiel que le soutien des chambres consulaires (commerce et industrie, agriculture, métiers) ainsi que des unions patronales, avec le souci d’établir un partenariat constant, soit sollicité lors de la mise en place d’une PFT. Ce soutien permet de compenser partiellement une demande des très petites entreprises souvent atomisée et ponctuelle. Pour exercer leurs missions, les PFT s’appuient, en tant que de besoin, sur l’ensemble des moyens et dispositifs existants, créés pour faciliter une réponse technologique adaptée à la demande des PME/PMI et favoriser l’innovation et le développement technologique. Il s’agit essentiellement des structures d’interfaces professionnalisées (CRITT, CRT, CTI), des Conseillers en développement technologique (CDT), regroupés dans chaque région au sein d’un Réseau de diffusion technologique (RDT) et coordonnés au niveau national par l’ANVAR. Ces structures doivent être complémentaires, que ce soit en termes de thématiques ou en termes de nature des prestations. Elle doive concourir à renforcer et à améliorer le maillage du territoire national pour l’organisation du transfert des ressources technologiques vers les partenaires industriels et les acteurs économiques. Les actions de proximité des PFT peuvent être fédérées au sein d’une structure souple, telle que des Groupements d’Intérêt Public (GIP) dont les statuts doivent être adaptés pour répondre au concept envisagé, comme le permet la loi sur l’innovation et la recherche. Répondant à une demande économique, les PFT ont normalement vocation à l’autofinancement. Cependant, la faible intensité technologique des PME/PMI, d’une part, et leur faible capacité financière, d’autre part, limitent très souvent leur appétence pour l’innovation et le développement technologique. Il paraît donc essentiel que les PFT disposent d’une certaine souplesse et liberté de manœuvre en termes de facturation de leurs prestations, dans la limite des conditions du marché afin d’éviter toute concurrence déloyale avec les prestataires privés.

Désormais, les politiques publiques que mettront en place le ministère de la

recherche et celui en charge de l’industrie doivent plutôt faciliter et encourager que se substituer aux acteurs régionaux. La priorité à la recherche est déjà inscrite dans les contrats de plan Etat/Région, comme pour les PFT.

Il faut continuer dans cette perspective et donner un rôle plus important

aux collectivités locales en faveur du développement de la recherche en France. La responsabilisation qui découlera d’une telle politique milite également pour suivre cette voie. Selon les termes de Jean-Pierre ALIX et Hélène CUNIN67, les régions doivent pouvoir développer une vision additive de la politique régionale par rapport aux politiques nationale et européenne. La détection des besoins des entreprises et plus particulièrement des PME, le renforcement du lien entre les universités et les centres de

66 Les PFT, en règle générale, n’ont pas comme vocation première d’effectuer des opérations de recherche, à l’inverse des Equipes de recherche technologique (ERT) et des Centres nationaux de recherche technologique (CNRT), ces deux structures intervenant à des niveaux différents et complémentaires. 67 L’innovation, un atout de l’Ile-de-France dans la mondialisation. Edition Géoéconomie – 2000.

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recherche, l’évaluation des politiques de recherche sur le territoire sont des actions qui peuvent et doivent être conduites au niveau régional.

A ce titre une mesure simple serait de permettre aux collectivités locales de

montrer leur engagement envers les investisseurs qui désireraient localiser leur centre de recherche sur leur territoire en leur ouvrant la possibilité de moduler la taxe professionnelle des investissements dédiés à la recherche. Une telle mesure serait bien accueillie par les investisseurs car elle permettrait de limiter le coût d’implantation du centre de recherche en question.

Pour des raisons identiques, il semble dommageable de limiter l’installation

de chercheurs au sein du pôle de recherche de l’Ile-de-France, qui est un des atouts les plus puissants d’attractivité de la France vis à vis des investisseurs étrangers, alors même que les pouvoirs publics ont pris la décision d’installer le synchrotron de troisième génération Soleil à Saclay. Cette contrainte doit être définitivement rapportée.

Encadré N° 7 : La règle des « 1/3 – 2/3 » qui peut brider la localisation de la recherche

ne s’impose plus Dans la compétition internationale, il ne paraît plus utile de mettre en place des limitations artificielles au pôle de recherche en Ile-de-France quand bien même celui-ci serait le plus attractif. La compétition ne se pose plus en termes d’aménagement régional mais en termes de concurrences nationales. D’une part, l’Ile-de-France peut être un moteur pour d’autres régions : avoir un pôle international de recherche au cœur de la France peut inciter les entreprises à installer d’autres investissements sur notre territoire. D’autre part, restreindre l’installation en Ile-de-France peut profiter plus sûrement à d’autres capitales européennes qu’elle ne profitera à d’autres régions françaises. Ainsi, la politique mise en place par l’Etat en instaurant une politique 1/3 - 2/368 suite au CIAT69 de Mende (1992) et Troyes (1994) pour favoriser le rééquilibrage des effectifs de chercheurs en faveur de la province réduit le poids de l’Ile de France sans garantir vraiment que d’autres régions en profiteront. Ce rééquilibrage forcé a réduit le poids de l’Ile-de-France en faisant passer sa part des effectifs nationaux de la recherche publique de 50 % en 1988 à 39,3 % en 1998. En outre, cette volonté de défavoriser l’Ile-de-France a accentué le vieillissement de sa population de chercheurs : la moyenne d’âge de la population scientifique dépasse les 45 ans. Déjà depuis 1999, le CNRS n’applique plus cette mesure, mais cette dernière n’a pas été officiellement abrogée.

Toutefois, il faut éviter une concurrence qui serait dommageable pour les

régions, dont les surenchères pour l’implantation d’un équipement tel que Soleil ont démontré les risques. Les régions pourraient être tentées de dupliquer de manière autonome des secteurs de recherche déjà couverts par d’autres régions finissant par provoquer des concurrences ou des doublons inutiles.

C’est pourquoi il faudra organiser une concertation entre les principaux

choix s’offrant entre régions. La coopération peut d’ailleurs permettre de mettre en place entre régions voisines des politiques complémentaires de recherche : ainsi se

68 Pour un chercheur public qui s’installe en Ile-de-France, deux chercheurs doivent s’installer en province. 69 Comité interministériel d’aménagement du territoire.

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dessinent déjà des pôles reconnus pour leur dynamisme et qui peuvent avoir un effet d’entraînement pour les régions voisines dans le cadre d’une politique concertée. Cette concertation pourrait être engagée soit à l’initiative des acteurs régionaux eux-mêmes, soit à l’initiative de l’Etat dans un forum sur la recherche.

Le développement de la recherche conduira inévitablement, comme dans les

autres pays, à une certaine spécialisation entre les régions. C’est non seulement inévitable mais également souhaitable pour que la France profite d’une meilleure adéquation des moyens.

II.2.4. Renforcer le financement de l’innovation L’innovation est aujourd’hui considérée comme l'un des principaux facteurs

de développement économique et de compétitivité des entreprises. Tous les grands pays, États-Unis en tête, mènent une action publique en sa faveur. En France, le Gouvernement a pris des mesures favorisant l’innovation depuis 1998. Néanmoins, dans un contexte de concurrence exacerbé, cet effort doit être amplifié pour valoriser notre culture et notre savoir, rendre notre territoire attractif pour l'investissement industriel de haute intensité technologique, et saisir de nouvelles occasions de développement économique.

Une comparaison internationale des aides à l’innovation montre que la

France est encore trop frileuse, malgré des progrès indéniables dans la création et la croissance des entreprises innovantes70 depuis quelques années, comme le confirme l’augmentation du nombre de sociétés créées en 2000, supérieur de 51 % à celui créé en 1997.

0

1 000

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4 000

5 000

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1ersemestre

1997

2èmesemestre

1997

1ersemestre

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2èmesemestre

1998

1ersemestre

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2èmesemestre

1999

1ersemestre

2000

2èmesemestre

2000

Créations d'entreprises dans les secteurs technologiquement innovants

70 Les secteurs technologiquement innovants sont des secteurs liés aux technologies de l’information et de la communication, aux produits pharmaceutiques, aux biotechnologies et aux nouveaux matériaux

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Le retard demeure cependant important. Ainsi la France ne représente que 1

à 3 % des investissements des Etats Unis dans les nouvelles entreprises de haute technologie (capital risque, sorties en bourse, capitalisations), alors que le PIB français représente 13 % du PIB américain. Avec 7 millions d’habitants, le Québec abrite deux fois plus d’entreprises que la France dans le secteur des biotechnologies. Pour devenir une terre d’accueil des industries de haute technologie, la France doit installer un environnement favorable.

En outre, l’éclatement de la bulle financière risque d’interrompre cette

dynamique71. En effet, après un bon semestre 2000, le ralentissement de la croissance américaine a provoqué un repli important de l’ensemble des marchés boursiers. Ceci a constitué un frein à la levée de fonds sur le nouveau marché : au second semestre 2000, les fonds levés ont diminué de 60 % par rapport au semestre précédent (470 M€ contre 1 184 M€).

Encadré n° 8 : pourquoi faut-il aider les sociétés innovantes ?

La création d’entreprises innovantes est l’un des vecteurs de la valorisation de la recherche publique et un atout pour l’économie, ces entreprises étant créatrices d’emplois et ayant un taux de survie à cinq ans supérieur aux entreprises à caractère plus traditionnel. - Les sociétés innovantes créent de l’emploi La part des créations d’entreprises ex nihilo dans les secteurs technologiquement innovants par rapport à l’ensemble des créations d’entreprises en France ne cesse de progresser, passant de 5 % au second semestre 1999 à 6,5 %au second semestre 2000. Sur l’ensemble de l’année ce sont 10 777 entreprises qui ont été créées ex nihilo dans ces secteurs - Ces sociétés ont un effet d’entraînement dans l’innovation technologique en France. En effet, le chiffre d’affaires des secteurs technologiquement innovants a augmenté de 15,4 % en valeur en 2000 par rapport à 1999. Or, le combat que se livrent les nations pour les hautes technologies est celui qui déterminera les nations les plus dynamiques dans les vingt prochaines années : une fraction importante des leaders mondiaux de 2015- 2020 dans les secteurs des télécommunications, informatique, industries de pointe, industries de la santé, sont des sociétés qui n’existent pas aujourd’hui ou qui sont encore très jeunes. Un secteur fort de haute technologie contribuera significativement à la croissance et à l’emploi, à la position stratégique de la France en Europe et dans le monde. Cet effort que doit faire la France, sauf à vouloir devenir une puissance économique de seconde zone, permettra de susciter des synergies industrielles avec des PME et des grands groupes en Europe. En outre ce dynamisme qu’il faut chercher à créer offrira des débouchés aux chercheurs français attirés actuellement par l’attrait des Etats-Unis dans les secteurs innovants.

Les pouvoirs publics constatant la faiblesse de l’offre de financement au

stade de l’amorçage ont décidé d’apporter leur soutien à la création de fonds d’amorçage avec le soutien de l’INRIA (I-Source dans les TIC), le CEA (Ermetec dans la microélectronique), du CNRS, de l’INRA et de l’Inserm (Bioam dans les biotechnologies). De la même manière, la Caisse des dépôts s’est engagée fortement dans ce financement.

71 Difficulté renforcée depuis l’éclatement de la bulle financière, même si l’on peut se féliciter de cet éclatement, de nombreuses entreprises ne reposaient sur rien de très innovant (souvent simples moteurs de recherche sur internet), les investisseurs financiers ont pris des risques et seront désormais plus attentifs à la sélection des projets.

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Mais le secteur public ne doit pas être le seul à porter ce secteur. Les carences du dispositif français actuel proviennent en premier lieu du manque de financements : les fonds déjà existants, s’ils permettent le démarrage de l’entreprise, ne sont pas suffisamment puissants pour suivre celle-ci dans ses développements en cas de succès72. D’autre part, la plupart des investisseurs sont des banquiers d’investissement, qui apportent des financements et de bonnes capacités d’analyse du marché, mais qui, contrairement à leurs homologues de la Silicon Valley, disposent rarement d’une expérience de créateur et de développeur d’entreprise. Les “business angels73” et fonds gérés par des vrais créateurs d’entreprise sont encore rares.

En prenant en compte cette double perspective, les mesures que pourraient

arrêter les pouvoirs publics s’articuleraient autour des objectifs suivants : a) Drainer l’investissement vers les entreprises de croissance Les entreprises innovantes ont besoin d'apports de capitaux à tous les stades

de leur développement, et principalement aux trois étapes clés de leur croissance, qui sont : l’amorçage, la croissance, et l’introduction en bourse. A chaque étape correspond un mode de financement : le fonds d’amorçage, le capital-risque, et les marchés de capitaux. La caractéristique principale des entreprises à fort potentiel de création de valeur et d’emplois est l’enchaînement rapide de ces trois étapes.

Les mesures proposées sont les suivantes : Faciliter le financement lors de l’amorçage : Investir dans les jeunes

entreprises est une activité risquée, et la gestion de ce type de risque ne fait pas partie des traditions françaises. Le capital d'amorçage est le maillon manquant dans la chaîne de financement. Cela tient à la faiblesse de la culture d'actionnariat, au petit nombre de « business angels » (entrepreneurs disposant d’une capacité d’investissement liée à la vente de leur entreprise), et la propension forte de ceux-ci à se délocaliser et réinvestir dans d’autres pays. Il est donc indispensable d’inciter les Français à cofinancer des projets innovants en offrant un avantage fiscal proportionnel à la prise de risque. Ces dispositifs devraient favoriser le « love money » (capitaux apportés par l’entourage), mais aussi renforcer le rôle de ces « business angels »74.

L'exemple des Etats-Unis est à juste titre fréquemment cité75. Le grand

nombre de jeunes anciens dirigeants d'entreprise de haute technologie ayant réalisé de

72 Ainsi la société française (implantée dans la Silicon Valley) Quizstudio, dont les investisseurs ne pouvaient “suivre” la croissance, a préféré fusionner avec une start-up californienne pour avoir un accès plus facile aux fonds de venture-capital de la Silicon Valley. 73 Investisseurs privés qui ont réussi dans leur vie professionnelle et qui choisissent d’apporter leur capitaux privés, mais aussi leur conseil et leur temps à d’autres entreprises. Ces investisseurs forment le marché du capital risque informel. 74 L’absence de traduction satisfaisante de ce mot en français est symptomatique de la faiblesse de cette activité dans notre culture. 75 Mais il n’est pas le seul, en effet d’autres pays sont conscients de l’intérêt actuel de développer l’investissement dans ces entreprise. Ainsi, en Grande-Bretagne, le gouvernement travailliste a mis en place une

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fortes plus values lors de la cession de leur affaire, et disposant à la fois de temps, de compétences et de moyens financiers, a naturellement beaucoup contribué au développement de ce marché informel. Même si cette population est aujourd'hui plus limitée en France, elle existe et pourrait se développer rapidement.

Soutenir le capital risque et faciliter l’introduction en bourse : Le

développement des entreprises innovantes exige des financements réguliers, pour éviter que chaque crise de croissance ne se transforme en échec. Les difficultés actuelles des marchés des valeurs de croissance ont pour conséquence une désaffection des investisseurs à l’égard des valeurs de croissance lors des second ou troisième tours de table. Cette situation risque d’aboutir à une véritable rupture de la chaîne de financement avec des conséquences graves pour l’économie française. Y remédier implique de prendre des mesures d’aide publique au capital-risque, qui passent par des dispositions fiscales et juridiques. Bien que leur effet soit progressif, leur annonce serait en soi un signal fort de la politique que le gouvernement entend mener vers ces entreprises, qui détermineront la compétitivité et l’attractivité de demain.

b) Améliorer les dispositifs fiscaux favorisant l’amorçage pour les entreprises innovantes76 par les personnes physiques. Quatre types de mesures peuvent se fixer cet objectif :

1 - Depuis l’imposition des revenus de l’année 1994, une réduction d’impôt

peut être accordée aux contribuables fiscalement domiciliés en France qui souscrivent en numéraire au capital initial ou aux augmentations de capital des sociétés non cotées.

Il semble souhaitable désormais, pour accentuer l’intérêt pour les

investisseurs personnes physiques77 de financer les « jeunes pousses », de doubler cette réduction d’impôt sur le revenu, pour la porter à 12 500 € pour les contribuables seuls (au lieu de 37 500 F)et 25 000 € pour les contribuables mariés (au lieu de 75 000 F). Alors que ce dispositif devait s’achever au 31/12/2001, sa durée de vie serait prolongée sur une période de 5 ans.

mesure de réduction d’impôt pour investissements en fonds propres avec une réduction d’impôt de 20 % plafonnée à 100 000 livres soit environ 1,4 MF actuellement. 76 Il est bien entendu important, pour une mesure de ce type, de définir avec précision la cible en terme d'investissement. Cette définition pourrait s'inspirer assez largement de celles retenues pour les mesures d'ores et déjà prises en faveur de la création d'entreprises innovantes : les entreprises bénéficiaires de l'apport devraient être non cotées, créées depuis moins de 15 ans et contrôlées majoritairement par des personnes physiques (ou par des personnes morales contrôlées par des personnes physiques), ce dernier critère devant être apprécié indépendamment de la participation au tour de table de sociétés de capital-risque. 77 En effet, les résultats disponibles montrent le caractère restreint du dispositif : seuls 56 733 contribuables ont fait usage de la mesure en 1999, ce qui correspond à 0,17 % des contribuables.

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2 - Tandis que les modalités actuelles de l’impôt de solidarité sur la fortune conduiront trop souvent les « business angels » qui ont réussi, à s’expatrier et à aider l’innovation à l’étranger, il conviendrait d’en faire un outil au service de la croissance française. Deux solutions pourraient être étudiées : un abattement à la base du montant investi dans les sociétés innovantes, ou une réduction d'ISF en rapport avec le montant investi (exemple 25 % de l’investissement avec la mise en place d’un plafond de 200 000 €). La deuxième option présenterait l'avantage d'inciter chaque année à la réalisation de nouveaux investissements.

3 - Depuis l’imposition des revenus de 1997, une réduction d’impôt

s’applique en cas de souscription de parts de fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI78). Le régime fiscal des FCPI (qui sont des FCPR spécifiques) permet actuellement à une personne physique, en plus du régime d’exonération des plus-values à la sortie, de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu équivalent à 25% du montant de l’investissement, dans une limite de 75 000 F pour un célibataire, et de 150 000 F pour un couple, sous réserve de détenir les parts pendant au moins cinq années.

Il est proposé que le plafond de versement soit relevé à 25 000 € pour un

célibataire et à 50 000 € pour un couple, ce qui correspond approximativement à un doublement. En outre, la durée d’engagement des parts du fonds pourrait n’être que de trois ans à compter de la souscription, ce qui rendrait ce produit encore plus attractif.

4 – L’annonce a été faite d’une mise en place d’un PEA plus dynamique :

Depuis 1992, les contribuables dont le domicile est situé en France, peuvent ouvrir un plan d’épargne en actions. Les versements sont obligatoirement effectués en numéraire, limités à 600 000 F, et être principalement investis en actions françaises. Sur ce dernier point la législation relative au PEA devra être rapidement modifiée pour tenir compte des exigences du droit européen. Ce changement devrait être une occasion de réorienter partiellement ce produit vers l’économie de l’innovation.

L’option la plus rigide, conduisant à la création de quotas d’investissement

minimal dans des sociétés innovantes, doit être écartée. L’introduction d’un tel quota rendrait trop complexe la gestion quotidienne du PEA, et entraînerait un effet contraire à celui recherché79. En revanche, une double action est envisagée par le Gouvernement :

- rendre éligible au PEA les fonds communs de placement à risques

(FCPR) et les fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI80) ; cette solution a l’avantage de la simplicité, et elle est hautement susceptible de développer une offre commerciale importante, et donc d’assurer le succès de la réforme ; d’autre part, elle est cohérente avec la proposition de relever les plafonds des FCPR et des FCPI.

78 Le régime fiscal des FCPI (qui sont des FCPR spécifiques) permet actuellement à une personne physique, en plus du régime d’exonération des plus-values à la sortie, de bénéficier d’une réduction d’impôt sur le revenu de 25% du montant de l’investissement dans une limite de 75 KF pour un célibataire et 150 KF pour un couple, sous réserve de détenir les parts pendant au moins 5 années. 79 Le relatif échec du « DSK » est révélateur de cette difficulté. En outre, la cible (entreprise de l’innovation) se prête mal à ce genre de contrainte, sans compter que le risque de création d’une bulle spéculative sur le Nouveau Marché serait très élevé. 80 Il est vrai que les FCPI, qui accordent au souscripteur une réduction fiscale supplémentaire à l’entrée, pourraient être exclus de façon à ne pas poser de problème d’équilibre avec les FCPR. Cependant, l’éligibilité

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- relever le plafond du PEA81, qui est identique depuis 1992, pour profiter

du développement attendu du FCPR et du FCPI, et pour faire en sorte que la mise en conformité avec le droit européen ne se fasse pas au détriment des actions françaises ; en effet, l’un des autres objectifs du présent rapport est de favoriser le placement en actions par rapport au placement en obligations. Le nouveau plafond du PEA pourra s’élever à 120 000 €, soit une augmentation d’environ 30 %.

Ce nouveau PEA permettra de développer les investissements des

particuliers, non seulement sur les marchés de valeurs de croissance, mais aussi au profit des jeunes entreprises de croissance non cotées. La logique du couple risque/rendement serait par la même occasion introduite dans le dispositif du PEA : l’avantage supplémentaire serait la contrepartie du risque supplémentaire pris par l’épargnant investissant dans des valeurs de croissance.

c) Simplifier la réglementation des FCPR et des FCPI

Il existe actuellement deux statuts différents pour les FCPR (FCPR fiscal et

FCPR juridique) auxquels il faut ajouter les FCPI. Cette situation est la principale source de difficultés dans la gestion de ces fonds. Le rapprochement de ces différents régimes faciliterait les conditions de leur utilisation, et permettrait d’adopter des règles d’appréciation comptable identique (valeur historique).

d) Renforcer les outils de motivation destinés aux salariés en aménageant le régime des BSPCE

Le statut du salarié se trouve sensiblement modifié par le régime des

BSPCE. Dans une start-up, l’utilisation des plans d’options sur actions correspond à une rémunération différée parce que ces sociétés, confrontées à une pénurie de main d’œuvre dans leur secteur, ne peuvent dans leurs premières années d’existence rémunérer leurs salariés dans des conditions comparables à celles des entreprises déjà établies. Les salariés acceptent de percevoir immédiatement un salaire plus faible en contrepartie de l’attribution d’options dans l’espoir d’un gain ultérieur en plus-value. Dans ce cas, l’attribution des options est beaucoup plus généralisée et la transparence est de mise. Dans ce nouveau type d’entreprise, la frontière entre le chef d’entreprise et les salariés ne disparaît pas, bien entendu, mais s’estompe.

Pour les entreprises de croissance, les options sur actions représentent le

seul outil véritablement efficace pour attirer les talents et fidéliser les collaborateurs, et sont à ce titre un moteur essentiel de la nouvelle économie. C’est pour cela que le gouvernement a créé les BSPCE. Cependant, il apparaît aujourd’hui que les BSPCE sont encore peu utilisés par les entreprises auxquelles ils sont destinés, du fait d’un champ d’application restrictif. Il est donc nécessaire d’assouplir ce régime.

Encadré N° 9 : Les options des entreprises de croissance (BSPCE)

Les bons de souscriptions de parts de créateurs d’entreprise (BSPCE) disposent d’un régime fiscal et social

des FCPI au PEA présenterait des avantages importants pour le développement de l’économie de l’innovation, qui est le but de cette mesure. 81 Cependant le nombre de personnes concernées par cette réforme sera nécessairement limité, étant donné que le nombre total de plans se rapprochant ou ayant atteint le plafond (c’est-à-dire ayant un niveau de dépôt compris entre 450.000 et 600.000 FRF) est inférieur à 4%, soit un chiffre maximal proche des 225.000 plans.

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plus favorable que celui des stocks options. Le dispositif a été créé par la loi de finances pour 1998 (article 163 bis du CGI). Sa cible est constituée par les PME à fort potentiel de croissance. Les sociétés éligibles doivent être non cotées et exister depuis moins de 15 ans. Elles ne doivent pas avoir été créées dans une opération de concentration, de restructuration ou d’extension d’activités préexistantes et doivent être détenues directement et de manière continue pour 25 % au moins de leur capital par des personnes physiques (hors capital risque)82. Le régime est plus simple et plus favorable que celui des plans d’option sur actions classiques : - plus simple Le dispositif ne permet pas à l’entreprise d’offrir un rabais sur le prix des actions. La société peut émettre des bons dont les plus-values sont taxées au taux proportionnel de droit commun de 16 %. Il n’y a donc pas de différence entre la plus-value d’acquisition et la plus-value de cession. Les plus-values ne sont pas assujetties aux cotisations sociales, mais supportent les prélèvements sociaux de 10 %. - plus favorable Il n’y a pas de délai d’indisponibilité exigé entre l’attribution des bons et la cession des titres. Le taux majoré de 30 % n’est appliqué que si le bénéficiaire exerce son activité dans la société émettrice depuis moins de trois ans à la date de la cession (+ 10 % correspondant à la CSG, la CRDS et le prélèvement social).

D’une part, le fait que les BSPCE soient réservés aux entreprises de moins

de quinze ans est insatisfaisant. Ce qui caractérise une entreprise innovante est son potentiel à créer de la richesse et des emplois à une période donnée et non son âge. Le seuil des quinze ans, notamment pour une société cotée, apparaît comme arbitraire.

L’introduction en bourse constitue en effet le passage obligé pour une

nouvelle phase de croissance accélérée ou le recours à cet instrument est particulièrement nécessaire, du fait des besoins de recrutements encore accrus et de la conquête des marchés internationaux par la jeune entreprise. Le dispositif des BSPCE devrait donc pouvoir soutenir chacune de ces différentes phases de croissance de l’entreprise. Leur accès à la bourse les obligera, d’ailleurs, à une rigueur de gestion et de management qui ne fera qu’accélérer leur propre cercle vertueux : création de richesse, d’où création d’emplois, et participation des salariés à la réussite de l’entreprise. Rendre éligible au régime des BSPCE les entreprises en phase de croissance consécutivement à une introduction en bourse, hors introduction au règlement mensuel83, et ce pour un période temporaire, par exemple cinq ans, serait donc particulièrement efficace pour soutenir la création d’emplois : c’est en effet à ce stade que les entreprises sont susceptibles de recruter massivement. Dans cette perspective, on pourrait envisager d’élargir aux SARL et SAS le bénéfice des BSPCE aux membres non salariés du Conseil d’administration, aux entreprises cotées depuis moins de cinq ans sur un marché d’entreprises innovantes.

82 La loi du 12 juillet 1999 sur l’innovation et la recherche a permis d’étendre le bénéfice de ce régime aux sociétés cotées sur les marchés européens de valeurs de croissance et a réduit de 75 % à 25 % la part du capital des sociétés émettrices qui doit être détenue par des personnes physiques. Elle a prolongé le dispositif jusqu’au 31/12/2001. 83 On doit souligner que, même cotées, les entreprises innovantes et de croissance sont encore très fragiles et souvent déficitaires dans leurs premières années de cotation. Cette fragilité est par ailleurs renforcée par la visibilité acquise par leur cotation. L’amalgame Entreprise cotée en bourse = Entreprise riche, établie et pérenne n’est pas applicable aux entreprises de croissance.

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III. Adapter la formation pour la rendre attractive

III.1. Préserver la qualité et le volume des formations initiales technologiques et scientifiques

La qualité des formations initiales dispensées dans le système éducatif

français est reconnue. Cela vaut pour les formations d’ingénieurs, domaine où l’on peut sans abus parler d’une « French touch » appréciée à l’étranger, mêlant haut niveau de « culture générale » scientifique, capacité à acquérir une spécialisation recherchée, esprit d’initiative et créativité. Mais cela vaut, plus généralement, pour toutes les formations au management technique et technologique, du niveau bac+2 au niveau bac+6 : diplômes universitaires de technologie (DUT), brevets de technicien supérieur (BTS), formations universitaires scientifiques…

Au-delà de cet avantage qualitatif, la France dispose d’un avantage

quantitatif : un système de sélection scolaire fondé sur les mathématiques et la reconnaissance sociale qui s’attache au titre d’ingénieur font que, davantage que dans la plupart des pays de l’OCDE, les formations supérieures de type scientifique conservent un attrait certain auprès des jeunes. Ainsi, selon les chiffres de la base de données de l’OCDE relative aux diplômés de l’enseignement supérieur (2000), environ 28% des diplômés français relèvent des secteurs scientifiques (sciences de la vie, physique, mathématiques et statistiques, informatique) et technologiques (sciences de l’ingénieur, mécanique, architecture) alors que c’est le cas de 16% seulement des diplômés américains et que la moyenne ne dépasse pas 22% dans les pays de l’OCDE. Seules la Corée (39%), l’Allemagne (35%) et la Finlande (32%) font mieux.

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Or ces deux avantages qualitatif et quantitatif sont fragiles, et susceptibles de s’éroder rapidement.

La qualité des formations techniques et technologiques sera de plus en plus,

dans une large mesure, tributaire de deux éléments : les moyens financiers disponibles et le degré d’internationalisation de la formation. Or, sur ces deux points, le modèle de formation scientifique et technologique français se trouve en difficulté.

a) Sur le plan qualitatif : faciliter l’internationalisation de nos établissements d’enseignement supérieur

Si les grandes écoles d’ingénieurs ont su internationaliser la formation

dispensée et accueillent de l’ordre de 20% à un tiers d’étudiants étrangers, les autres formations scientifiques et technologiques sont nettement en retrait. C’est particulièrement vrai pour l’Université, où les étudiants étrangers inscrits dans les disciplines scientifiques ne représentent que 7,2% du total (contre 9,2% en moyenne pour l’ensemble des étudiants inscrits en Université). Pour y remédier, il convient de mener une politique beaucoup plus volontariste vis-à-vis des étudiants étrangers, et notamment des étudiants originaires des pays développés à économie de marché. Au-delà des efforts déjà consentis par le canal d’Edufrance, chargée depuis novembre 1998 de promouvoir les établissements d’enseignement supérieur français à l’étranger, trois pistes sont envisageables :

- limiter l’investissement en temps en autorisant les étudiants étrangers, suivant dans leur pays une formation de niveau technique reconnu, à obtenir une formation diplômante en deux semestres seulement

- limiter l’investissement linguistique en prévoyant un trimestre d’accueil

dans la langue d’origine ou en anglais, et en ouvrant la possibilité de composer pour les examens dans la langue d’origine ou en anglais

- limiter l’investissement financier en permettant aux étudiants étrangers

de travailler (comme surveillants, attachés temporaires d’enseignement et de recherche, chargés de travaux dirigés…) afin de « solvabiliser » ainsi la demande. Une alternative – ou une mesure complémentaire – serait de laisser aux établissements universitaires la libre disposition d’un certain volant de bourses, pour accueillir des étudiants étrangers, en fonction de leurs priorités et des formations qu'elles dispensent avec le plus de succès84.

84 Cf. propositions d’Alain CLAEYS, rapporteur du budget de l’enseignement supérieur, dans le cadre des travaux de la mission d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale.

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Pour s’assurer une meilleure internationalisation de nos formations et atteindre de nouveaux viviers d’étudiants, un recours accru aux NTIC via l’enseignement à distance (« e-learning ») doit être recherché. A cet égard, les propositions formulées dans le rapport conjoint du conseil général des Mines et du conseil général des technologies de l’information intitulé « Grandes écoles virtuelles : vers un nouveau paradigme de formation »85 pourraient constituer un début de réponse. Pour les douze écoles des Mines et des Télécommunications concernées, le rapport propose ainsi d’organiser un réseau de formation à distance, générateur d’économies d’échelle, de mettre en place dans chaque école un nouveau département dénommé « Ingénierie de conception de formations » et de créer une structure unique commune de coordination de formation. L’investissement initial nécessaire est chiffré, dans le rapport, à 122 MF de crédits budgétaires sur deux ans, pouvant sans aucun doute générer un « retour sur investissement » sous forme de recettes additionnelles (diffusion des formations à de nouveaux publics internationaux, formation continue élargie, cession de produits de formation à des institutions étrangères) ou d’économies de fonctionnement (meilleure utilisation des ressources pédagogiques, réduction des coûts d’accès à de nouveaux publics). Si les résultats obtenus sont à la hauteur des espérances, on peut songer à un développement à plus grande échelle de l’enseignement à distance, en s’appuyant sur d’autres institutions éducatives françaises.

b) Sur le plan quantitatif : préserver l’attractivité des filières scientifiques et technologiques

La possibilité de disposer en abondance d’une main-d’œuvre très qualifiée dans

les domaines de la science et des technologies est un argument fort pour promouvoir le site France. A titre d’exemple, il n’est pas indifférent, en terme de choix de localisation des entreprises de haute technologie, que la France, au moment où ce secteur connaissait la croissance la plus forte (2000), ait été moins sujette à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le domaine des NTIC que l’Allemagne ou le Royaume-Uni86.

85 Rédigé par Jean-Claude MERLIN, ingénieur général des télécommunications et C TRINK, ingénieur en chef des Mines. 86 Le déficit de personnel qualifié dans le domaine des NTIC était ainsi estimé à 25 000 pour la France contre 75 000 pour l’Allemagne et 80 000 pour le Royaume-Uni. Le chiffre comparable pour les Etats-Unis était de 400 000 (source : OCDE et Forrester Research, 2000).

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Cet atout pourrait être toutefois compromis : diverses études ont ainsi pu se faire l’écho d’une « crise des vocations » scientifiques, qui ne laisserait pas indemne la France après avoir déjà atteint la plupart des pays de l’OCDE. Cette crise se traduit, en France, par la chute des effectifs du 1er cycle universitaire dans les disciplines scientifiques. Les tentatives d’analyse87 mettent l’accent sur plusieurs causes : image négative des sciences auprès des jeunes, du grand public et des médias ; méfiance des professeurs des écoles vis-à-vis de la science, faute souvent d’une formation scientifique adaptée ; appréhension chez les lycéens – et surtout chez les filles88 – à s’orienter vers des filières à dominante scientifique et technologique considérées comme difficiles ; méconnaissance des formations universitaires scientifiques. Les grandes écoles d’ingénieurs et les filières technologiques courtes ne sont pas touchées par cette désaffection ; mais elles ne sauraient, à elles seules, répondre aux besoins croissants de l’économie.

C’est pourquoi il convient de mener une action vigoureuse pour

promouvoir les études scientifiques et technologiques, notamment dans le cadre universitaire. Cela impliquerait entre autres de multiplier, dans les académies, les opérations de communication et d’information associant les lycées et les universités à dominante scientifique ; d’approfondir la réflexion sur la place des sciences dans les formations dispensées en IUFM ; de monter, à l’échelle nationale, une action globale de communication, en direction des médias, pour mieux informer les élèves et les parents, et sensibiliser le grand public.

III.2. Elargir l’accès à la formation continue

87 Université d’été de Poitiers (juillet 2000) sur l’évolution des effectifs dans les filières scientifiques. 88 Autre indice de cette persistance de stéréotypes – imposés par le milieu et/ou intériorisés – dans les choix d’orientation : le fait que 30% seulement des jeunes filles choisissent des filières technologiques ou professionnelles à la sortie de la 3ème ou après le bac.

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La formation initiale ne pourra, à elle seule, fournir à l’économie française les qualifications dont elle a besoin dans les années et les décennies à venir. Il suffit à cet égard de rappeler deux constats. D’une part, 44% de la population active occupent un emploi dépourvu de tout lien avec la formation initiale des intéressés. D’autre part, en attendant que la conjugaison de l’évolution démographique et de la démocratisation produise ses effets, la France est entrée dans le 21ème siècle avec une population active composée à 60% de personnes n’ayant pas fait d’études au-delà du CAP ou du BEP. Ces éléments suffisent à faire comprendre l’importance de la formation professionnelle continue. Or celle-ci, malgré des dépenses considérables (142 MdF dont 40% aux frais de l’Etat) ne produit pas tous les effets bénéfiques qu’on serait en droit d’attendre. Elle reste en particulier fortement concentrée sur les populations qui disposent déjà du niveau de formation initiale le plus élevé : 43% des cadres accèdent à la FPC contre 14% seulement des ouvriers non qualifiés. Pour y remédier, deux éléments – le passeport formation et la validation des acquis – devraient jouer un rôle capital.

a) Garantir le droit individuel à la formation continue par un « passeport formation »

Afin d’élargir les possibilités d’accès à la formation professionnelle

continue, un changement de logique apparaît nécessaire. Le système actuel, reposant sur la loi fondatrice de 1971, est centré sur l’entreprise : celle-ci avait le souci de former son salarié pour l’adapter à ses besoins, non de le former pour le qualifier et lui permettre une évolution professionnelle. On perçoit les limites de cette approche dans un contexte où les parcours professionnels sont de plus en plus heurtés, marqués par des discontinuités, des changements d’entreprise.

L’enjeu est alors de donner à tous les salariés – et demandeurs d’emplois –,

quels que soient leur âge, leur sexe, leur qualification ou la taille de leur entreprise, un accès réel et effectif à la formation professionnelle, valable quels que soient les changements qui interviennent dans le parcours du salarié.

La mise en place de ce droit individuel dans le cadre d’un accord collectif

permettrait d’instaurer une véritable complémentarité entre le projet de formation à l’initiative de l’employeur et celui à l’initiative du salarié. Elle pourrait être matérialisée sous la forme d’un « passeport formation », qui garantirait à chacun 5% du temps d’activité passé en formation.

Un système de ce type existe depuis un accord professionnel relatif au

« droit individuel à la formation », signé en octobre 2000 au sein de la branche de l’intérim. Il formalise la coexistence du plan de formation, où la décision ultime appartient à la direction, et d’un espace d’initiative laissé aux salariés. Un tel dispositif gagnerait à être étendu. Il serait regrettable que les discussions sur les modalités – et notamment sur le point de savoir dans quelle mesure il y a lieu pour le salarié de « co-investir » en temps et/ou en argent – fassent achopper une telle avancée.

b) Tirer pleinement parti des possibilités ouvertes en matière de validation des acquis de l’expérience

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Le « passeport formation » ne résout pas à lui seul l’un des problèmes

majeurs du système de formation professionnelle continue : son inadaptation pour des publics peu enclins à suivre une formation de type scolaire, dans la mesure où ils conservent un mauvais souvenir du système éducatif. A cette fin, il faut que la formation professionnelle continue puisse venir valider les compétences acquises ailleurs que dans un contexte purement scolaire, et notamment en milieu professionnel. C’est tout le sens du volet de loi de modernisation sociale consacré à la validation des acquis de l’expérience (VAE).

Ce projet de loi élargit considérablement les possibilités de validation de

l’expérience acquise, par rapport au dispositif précédent mis en place en 1992 sous le nom de validation des acquis professionnels (VAP). La VAE peut intervenir à l’issue de trois ans d’expérience seulement alors que la VAP nécessitait cinq années d’expérience ; le champ des titres susceptibles d’être délivrés par VAE est plus large que sous le régime de la VAP ; il peut couvrir tout ou partie d’un diplôme alors que sous l’empire de la VAP, il restait au minimum une unité de valeur devant être acquise de manière « scolaire ».

Les possibilités ouvertes par le nouveau dispositif sont donc prometteuses ;

mais l’expérience de la VAP, qui s’est peu diffusée depuis 1992, incite à la prudence, tant les réticences à un système de validation des acquis sont fortes notamment au sein de l’Education nationale : crainte de diplômes au rabais, de dépossession des enseignants, d’une incitation à la sortie précoce du système scolaire… Or la validation des acquis de l’expérience n’en constitue pas moins un outil de mobilité sociale et d’entretien de l’employabilité ; son succès est sans aucun doute une condition de fond pour réussir le retour au plein emploi. C’est pourquoi il conviendra de suivre avec vigilance la mise en place de la validation des acquis de l’expérience, en consentant les efforts nécessaires à sa réussite (efforts de pédagogie au sein de l’éducation nationale et notamment de l’enseignement professionnel, efforts d’adaptation des diplômes par réorganisation en unités capitalisables, pour en faciliter l’accès aux salariés par validation des acquis de l’expérience…).

IV. Assurer la stabilité juridique aux acteurs économiques

Plusieurs mesures réglementaires paraissent dès à présent souhaitables pour

renforcer l’attractivité de notre pays, de manière sans doute peu spectaculaire mais efficace et durable.

IV.1. Sécurité et stabilité juridiques IV.1.1. Une insécurité juridique excessive ? Les entreprises réclament plus de sécurité juridique, et surtout plus de

stabilité fiscale. Cette revendication est justifiée : leur développement ne peut s’envisager sans un minimum de visibilité à moyen terme. Le principe de sécurité juridique est assuré lorsque les droits et les obligations du contribuable résultent d’une

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norme juridique qui ne peut être modifiée que pour l’avenir et par une norme d’un niveau hiérarchique au moins égal.

La stabilité fiscale dépend pour sa part du degré d’opposabilité à

l’administration de sa propre interprétation de la réglementation. Encore faut-il que cette interprétation soit légale, et qu’elle ne contrevienne pas au principe d’égalité devant la loi fiscale. Enfin, dans un espace européen, il ne faut pas que les mesures prises entrent en contradiction avec les engagements de la France vis-à-vis de ses partenaires.

S’agissant de l’instabilité juridique supposée excessive de la France, l’étude

du Conseil des impôts en 1994 a démontré qu’elle était plus une impression qu’une réalité. Certes, la fréquence annuelle des modifications législatives est réelle, mais elle accompagne en grande partie l’émergence de nouvelles activités, la mondialisation des entreprises, les innovations financières. S’il est normal que les entreprises cherchent une relative stabilité, il n’en demeure pas moins que la loi comme la fiscalité ne peuvent rester figées. En outre, un grand nombre de modifications sont demandées par les entreprises elles-mêmes, pour aménager ou assouplir les conditions d’application de certains textes : c’est le cas par exemple du régime des groupes de sociétés de l’article 223A et suivants : huit modifications ont été effectuées pour ce seul article, et si l’on prend les cinq premiers articles, il n’y a pas eu une seule année où aucune modification n’ait été votée depuis quatorze ans.

Si l’on prend deux exemples, le régime des stocks options et le crédit

d’impôt recherche, on remarque un nombre élevé de modifications qui ne peut que nuire à la lisibilité des régimes : quatorze modifications en trente ans pour le premier, dix modifications en dix-huit ans pour le second. Si dans le premier cas la plupart des mesures ont conduit à un renforcement des mesures contraignantes pour les entreprises, dans le second, il s’agit plutôt d’une extension du champ d’application de ce dispositif d’aide.

La pratique des normes juridiques rétroactive pose un problème différent et

est moins acceptée par les entreprises lorsqu’elle a pour objet de durcir les mesures applicables. De ce fait un recours régulier à la rétroactivité aurait un effet négatif sur l’attractivité de la France.

Le Conseil constitutionnel admet cette pratique aux motifs que les

dispositions de l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 relatives au principe de l’annualité budgétaire ne font pas obstacle à ce que la loi fiscale comporte des dispositions rétroactives89.

Les vrais lois rétroactives étant rares, il s’agit la plupart du temps de lois à

caractère interprétatif, ou de lois dont la rétroactivité est prise pour éviter les effets pervers d’anticipation, une fois leur annonce publique faite dans le projet de loi déposé au Parlement.

89 Cette possibilité est toutefois soumise à des conditions strictes : la loi rétroactive ne doit pas permettre d’infliger des sanctions à des contribuables à raison des agissements antérieurs à la publication des nouvelles dispositions qui ne tombaient pas sous le coup de la loi ancienne, elle ne saurait porter préjudice aux contribuables dont les droits ont été reconnus par une décision de justice passée en force de chose jugée, elle a été édictée pour des raisons d’intérêt général.

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Néanmoins, un encadrement de cette pratique pourrait être envisagé sous la forme d’une mesure générale d’interdiction de la rétroactivité en matière fiscale. En ce sens, le rapport Aicardi90 avait estimé que le «seul remède à cet abus (lié à la multiplication des lois interprétative) était de modifier l’ordonnance du 2 janvier 1959 qui a valeur de loi organique relative aux lois de finances de manière à exclure la rétroactivité de la loi fiscale en tant qu’elle édicte des obligations ». Le 13ème rapport du Conseil des impôts (1994) conseillait que les lois rétroactives défavorables aux contribuables et les lois interprétatives quand elles avaient pour objet d’interpréter des règles relatives à l’assiette ou aux taux de l’impôt pourraient être prohibées.

Une telle réforme si elle était envisagée pourrait l’être dans le cadre d’une

réforme de l’ordonnance du 2 janvier 1959. IV.1.2. Les mesures visant à la stabilité fiscale : la procédure de rescrit fiscal a) Le dispositif actuel Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il existe de nombreuses mesures

allant dans le sens d’une plus grande sécurité juridique des entreprises. Il s’agit en particulier des procédures de rescrit.

Trois types de textes fondent ces procédures. Les premiers sont établis sur

l’opposabilité à l’administration de sa doctrine91. Le second texte se rapproche des mécanismes de ruling qui existent dans les pays anglo-saxons. Enfin les derniers font appel à la technique de l’agrément.

Concernant l’opposabilité de la doctrine administrative, seul le

contribuable peut se prévaloir de la doctrine administrative. L’administration ne peut jamais se prévaloir de sa propre doctrine pour l’opposer au contribuable, seuls les lois et les règlements légalement pris étant opposables à celui-ci. L’administration ne peut même pas arguer que la doctrine a été invoquée par le contribuable préalablement à son imposition. Même si le contribuable a opté pour un régime fixé par la doctrine, il peut ensuite réclamer au juge l’application du régime fixé par la loi, sans que l’administration puisse alors lui opposer son option antérieure. Toutefois, les contribuables ne peuvent pas toujours se prévaloir de la doctrine administrative. Pour le premier alinéa de l’article L 80A du Livre des procédures fiscale, la jurisprudence exige l’existence d’une imposition supplémentaire suite à contrôle. Le second alinéa de l’article L 80A du Livre des procédures fiscales peut être invoqué à l’occasion d’une imposition primitive, mais le contribuable dans ce cas doit avoir appliqué une doctrine et non la loi fiscale elle-même.

90 Rapport de la commission, présidée par Maurice Aicardi, créée en vue d’améliorer les rapports entre les citoyens et les administrations fiscale et douanière. 91 Le principe de l’opposabilité de sa doctrine à l’administration a été consacré par la loi du 29 décembre 1959 et codifié à l’article L 80 A du livre des procédures fiscales (LPF). Cet article dispose que l’administration ne peut procéder à des impositions lorsqu’il est établi que le contribuable s’est fondé sur une interprétation du texte légal formellement admise par l’administration. Par la loi du 8 juillet 1987, un article L80 B du LPF a été ajouté. Il étend l’application de l’opposabilité de la doctrine administrative, aux prises de position de l’administration sur une situation de fait, et non plus aux seules interprétations de droit.

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En réalité, la règle d’opposabilité de la doctrine administrative, surtout les dispositions de l’article L80 B du Livre des procédures fiscales, sont sans doute le système le plus accompli de protection et de stabilité du droit administratif puisque est opposable à l’administration fiscale toute prise de position formelle d’un agent des impôts ayant au moins le grade de catégorie B.

S’agissant du rescrit, la loi du 8 juillet 1987 a codifié l’article L64B du

LPF, qui a mis en place une procédure de rescrit semblable aux procédures étrangères de ruling. Cet article prévoit que l’administration ne pourra pas mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit à l’encontre des contribuables qui auront consulté l’administration centrale sur la portée d’un contrat ou d’une convention sans recevoir de réponse dans les six mois. La demande doit être préalable à la conclusion du contrat ou de la convention et adressée par écrit à l’administration centrale de la direction générale des impôts.

Enfin, concernant les procédures d’agrément, les agréments fiscaux sont

des procédures administratives permettant à un contribuable de bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire pour certaines opérations prévues par la loi. Leur obtention est subordonnée à une demande de l’intéressé et une décision de l’autorité compétente. En contrepartie, le contribuable prend des engagements précis. Les agréments peuvent être généralement rattachés à des considérations financières (apports partiels d’actifs, reports de déficits en cas de fusions, transferts de créances…), géographiques (aménagement du territoire, départements d’outre-mer…) ou pour favoriser la création, la transmission ou la reprise d’entreprises.

La délivrance d’un agrément est avantageuse pour le contribuable puisque

dès l’instant où l’opération a été agréée et dans la mesure où elle respecte les prescriptions de l’agrément, l’administration n’est plus en droit de la remettre en cause. Néanmoins, le recours aux agréments a diminué ces dernières années en raison de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du conseil d’Etat. En effet, jusqu’à une date récente, l’administration décidait discrétionnairement de la délivrance ou du refus d’un agrément fiscal. Mais cette approche a été modifiée par l’intervention du Conseil constitutionnel qui a conduit à limiter la marge d’appréciation de l’administration. En effet, le Conseil constitutionnel, au nom du principe de légalité de l’impôt, veille à ce que le législateur exerce pleinement sa compétence et ne se repose pas sur l’administration : d’après le juge constitutionnel, l’agrément ne peut reconnaître aucun pouvoir d’appréciation à l’administration.

Sous cette influence, le Conseil d’Etat a lui aussi réduit le pouvoir

discrétionnaire de l’administration en matière d’agrément. La dernière décision à ce titre, l’arrêt Frappaz92, correspond à cette inflexion. L’administration disposait d’un pouvoir discrétionnaire dans l’octroi de l’agrément qu’elle avait refusé. Le Conseil d’Etat a censuré la position administrative au motif qu’elle avait commis une erreur manifeste d’appréciation. Désormais le juge étend son contrôle sur la motivation des agréments accordés par le ministère de l’économie et des finances même lorsqu’il s’agit de l’utilisation de son pouvoir discrétionnaire.

92 Cf. CE 29/11/2000 Frappaz, n° 197 319 à propos du transfert d’une créance de « carry back » de la société absorbée à la société absorbante

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b) Quelles évolutions pour une meilleure pratique du ruling ? Il est difficile de copier les formules de ruling existant dans certains pays

étrangers comme les Pays-Bas. Ces systèmes, qui reposent sur une négociation entre l’administration fiscale et l’entreprise sur le montant de ces charges fiscales et qui aboutissent à un accord non publié, sont contraires au principe français d’égalité devant l’impôt. Néanmoins, le succès que connaît cette pratique montre qu’il y a bien une réelle demande de stabilité de la part des entreprises.

Deux axes peuvent être envisagés pour développer cette pratique, qui est

une demande constante des entreprises étrangères que rebutent la complexité et le caractère tatillon de l’administration française.

Modifier la nature des relations entre l’administration fiscale et les

contribuables : Les dispositifs qui existent en France sont suffisants pour permettre à un contribuable de demander à l’administration de prendre position sur une question de droit ou sur une question de fait. Le principe de l’opposabilité de l’interprétation administrative, particulièrement l’article L80B du LPF et la procédure de l’article L64B du LPF pourraient servir à mettre en place une vraie politique de ruling. Or, le nombre de telles demandes est faible au regard du chiffre des rulings accordés aux USA ou aux Pays-Bas.

Cette désaffection des contribuables s’explique sans doute par l’hésitation

qu’elles ont à attirer l’attention de l’administration fiscale sur leur situation. Elles considèrent que la mentalité actuelle des agents des impôts n’est pas favorable à une telle pratique. Dans le cas, par exemple, de l’article L80B du LPF, l’administration n’a pas non plus d’intérêt à répondre positivement, car elle se prive de la possibilité d’opérer un redressement ultérieur. En outre, les agents sont peu enclins à jouer ce qu’ils pensent être le rôle des conseillers fiscaux.

Relancer le mécanisme du rescrit en France implique de rétablir la confiance

des contribuables dans leur administration. Pour cela, il est nécessaire que les agents des impôts reçoivent des instructions claires de leur hiérarchie pour développer un meilleur service aux usagers et assurer une plus grande stabilité de leurs situations fiscales.

Améliorer la publicité des prises de position de l’administration : Le

système législatif du rescrit étant l’un des plus libéraux, il ne servirait à rien de l’élargir. D’autre part, la Direction générale des impôts et plus particulièrement la Direction de la législation fiscale, accorde déjà des rescrits aux entreprises qui demandent des prises de positions formelles sur les conséquences fiscales de montages, il serait erroné de penser que la France est le seul pays qui serait hostile à la stabilité fiscale. En revanche, il faut reconnaître que l’on ne sait pas faire connaître cette possibilité qui rassure les investisseurs étrangers.

Il est donc utile d’envisager les manières qui permettraient de donner une

certaine publicité à notre système sans risquer d’attirer les critiques de nos partenaires pour pratiques fiscales dommageables ni d’enfreindre l’obligation de secret fiscal.

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Deux voies de développement semblent possibles ; elles ont déjà été dégagées par le rapport de Jean-Pierre BRARD93.

En premier lieu, une publicité serait accordée aux positions prises par

l’administration sur des cas individuels, dans le cadre des dispositions qui existent déjà. Cette publication devrait préserver l’anonymat des bénéficiaires du rescrit. Ce type de rescrit pourrait être publié dans un rapport dans la même présentation que le rapport annuel du comité de répression des abus de droit. Il devrait bien sûr assurer une classification et organisation par grands thèmes des demandes effectuées par les contribuables et seuls les services centraux verraient leurs prises de position publiées94.

En second lieu, les principales organisations professionnelles pourraient

obtenir des rescrits de l’administration fiscale sur des problèmes concernant leurs adhérents. Cette solution est déjà largement utilisée par les organisations, mais ces dernières n’obtiennent que des réponses ponctuelles et aucune publicité n’est prévue. Deux solutions sont envisageables. Dans le premier cas, la publicité serait fournie à l’ensemble de ses adhérents par l’organisation professionnelle, ce qui aurait l’inconvénient d’assurer une moindre renommée à ces rescrits95. L’autre option serait de n’accorder la même publicité à ces demandes que pour les situations particulières. En tout état de cause, la publicité n’aurait pas pour seul but de stabiliser le droit fiscal applicable aux entreprises, mais également une vertu pédagogique pour les agents des impôts.

93 Fraudes et évasions fiscales : une intolérable atteinte à l’impôt citoyen, Assemblée nationale, rapport d’information n° 1105. 94 L’ensemble des prises de positions formelles n’obtiendrait donc pas de publicité (article L80 B par exemple). 95 Sans être à proprement parler des rescrits, les organisations professionnelles posent déjà des questions fiscales à l’administration des impôts par la voie de la mission d’organisation administrative. Cette solution est, il est vrai, connue que des initiés.

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Encadré N°10 : Le contrôle des prix de transfert La possibilité pour les entreprises de transférer leurs profits vers l’étranger (par les prix de transferts entre filiales) est un facteur d’attractivité. Toutefois, accepter sans contrôle les prix de transfert des entreprises pourrait se traduire par une course au moins disant fiscal et par l’évasion de la base imposable. C’est pourquoi les transactions internationales entre entreprises liées constituent un enjeu très important pour l’administration qui se réserve le droit de contrôler qu’elles obéissent au principe de pleine concurrence (méthodes dégagées par l’OCDE). Le contrôle des prix de transfert comporte des spécificités qui le rendent particulièrement délicat pour l’administration : connaissance du groupe, analyse de la répartition des fonctions et des risques, compétences fiscales et économiques, et surtout accès à des informations complètes et objectives. Parallèlement, ce contrôle est une source d’incertitude pour les entreprises. De plus, il leur impose des investigations longues, difficiles et coûteuses. La plupart des administrations fiscales ont renforcé leur action96 et introduit des procédures d’accord préalable de prix. C’est le cas de la France qui a mis au point une procédure d’accord préalable sur les prix de transfert (instruction administrative 4 A 8 –99 du 17 septembre 1999). Compte-tenu du caractère nouveau de la démarche, la montée en puissance de ce nouveau régime est faible : il y a actuellement moins d’une dizaine d’entreprises en phase avancée de négociation. Les entreprises formulent deux reproches : la longueur des délais pour obtenir un accord et, ce qui est intimement lié, le nécessaire examen conjoint mené par l’administration fiscale de l’autre Etat concerné. En effet, l’instruction précise que cet accord est obligatoirement formulée dans un cadre bilatéral. Il faut envisager une procédure assouplie, qui ne donnera pas les mêmes garanties au contribuable, mais qui sera unilatérale et respectera néanmoins les principes de pleine concurrence édictés par l’OCDE : cette procédure n’aurait pas pour but de valider des pratiques dommageables envers l’autre Etat, mais de sécuriser les entreprises, ainsi protégées de redressements fiscaux de la part de l’administration française (sauf manœuvres frauduleuses).

IV.2. Pour le recours à la loi du contrat IV.2.1. Les raisons d’une faiblesse Pour plusieurs interlocuteurs rencontrés, nos pays partenaires sont jugés

plus attractifs que la France, car ils laissent une large place à la négociation et à la discussion, sans que tout se règle systématiquement par des contentieux longs et à l’issue incertaine. Selon l’adage qu’un mauvais accord vaut mieux qu’un bon procès, les investisseurs regrettent qu’en France la négociation ne soit pas suffisamment employée pour régler les litiges en matière sociale.

En Allemagne, l’interlocuteur du chef d’entreprise est le représentant

syndical, et l’intervention judiciaire est l’exception. La capacité de l’Allemagne à régler la plupart des conflits sans crise, avec un syndicalisme puissant qui participe à l’ensemble des enjeux des relations du travail, est saisissante. Par contraste, en France, l’intervention du juge pour régler les conflits sociaux, avec la lenteur inhérente caractérisant la procédure judiciaire, pose effectivement des problèmes aux investisseurs qui, s’ils acceptent assez bien les contraintes légales, recherchent avant tout des

96 Les Etats-Unis ont décidé depuis 1994 d’utiliser la méthode traditionnelle (« arm’s length pricing rule », prix conclu dans les conditions normales de concurrence préconisé par l’OCDE). Ainsi l’administration fiscale américaine peut corriger le bénéfice d’une société dans la mesure où celui-ci est inférieur à la moyenne sectorielle sur moyenne période (« comparable profits method »).

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procédures prévisibles en termes de coûts et de délais, et des interlocuteurs compétents pour en discuter.

Certes, les différents éléments liés aux affaires Marks et Spencer, Danone et

Moulinex n’ont pas assaini le climat sur ce point. La sur-réaction des hommes politiques dans le champ des relations sociales, et l’absence de volonté de négociation d’une partie du patronat ne facilitent pas la création d’un climat favorable. Pour autant, ces mêmes évènements montrent à quel point le rôle respectif des partenaires sociaux doit être renforcé. L’amélioration des relations du travail est avant tout l’affaire des entreprises, des salariés et de leurs représentants. L’un des acteurs est actuellement affaibli, ce qui limite la négociation collective et oblige l’Etat à intervenir dans l’urgence et improviser des réponses hâtives, qui tendent à se pérenniser.

Notre faiblesse dans la pratique du contrat est à la fois la cause et la

conséquence du pluralisme syndical et de la faiblesse de celui-ci. La France reste de loin le pays d’Europe où le taux de syndicalisation est le plus faible

1995 France Allemagne Royaume-Uni Italie Suède Taux de syndicalisation

9,1 % 28,9 % 32,9 % 44,1 % 91,1 %

En outre, les syndicats français sont particulièrement nombreux par rapport

à la situation des autres pays, ce qui s’accompagne de divisions qui affaiblissent d’autant leur pouvoir de négociation.

Dans ces conditions, il est difficile d’établir, selon l’expression de Nicole

Notat, une « régulation partenariale ». Or, cette régulation contractuelle peut être une vraie chance pour les partenaires sociaux mais également pour l’Etat, qui ne sera plus contraint de légiférer dans l’urgence, et pourra concentrer son action sur la fixation des grandes orientations sociales. Un tel dispositif ne sera possible que par un renouveau syndical. Ce renouveau n’a pas pour but de supprimer le conflit, qui est inhérent aux relations du travail, mais il doit aboutir à la négociation comme mode général de règlement des conflits, le recours contentieux étant l’exception. Un accord offrira toujours plus de visibilité à l’entreprise et une meilleure légitimité aux représentants des salariés.

Il est évident qu’un tel changement passera également par une modification

des rapports et des mentalités aussi bien du côté des syndicats que des organisations professionnelles représentant les entreprises. Les incantations et les dénonciations de chaque coté laisseraient la place à une réelle volonté de défendre ses intérêts mais dans la compréhension de ceux de l’autre.

IV.2.2. Deux pistes de réflexions peuvent être avancées Il ne peut s’agir par ces réflexions de réduire par principe l’intervention de

l’Etat. Celui-ci doit légiférer dans le champs du social afin de fixer un cadre qui permette des avancées sociales importantes et donne ensuite les moyens aux acteurs sociaux de discuter de leur application. Mais quelques pistes, qui devront être approfondies avec les partenaires sociaux, permettraient de replacer la négociation collective comme le point de passage obligé et incontestable de la vie de l’entreprise.

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1) Affermir la légitimité des syndicats reposant sur le résultat aux élections

professionnelles dans les entreprises. Les réflexions sur la représentativité syndicale doivent parvenir à la signature de contrats non contestables entre les parties.

Pour relancer une vraie politique contractuelle, il faut fonder la validité des

accords signés par les organisations professionnelles quand elles sont majoritaires afin de permettre aux syndicalismes de se renforcer. Il serait possible que le législateur confère un pouvoir important aux négociateurs d’un tel accord sur le type des transactions en droit fiscal97.

A partir de l’adhésion à ce dispositif, les deux pistes, proposés par le rapport

Lavenir pourraient être étudiées : - donner aux partenaires sociaux pleine compétence afin de définir l’étendue

réelle de la notion de dirigeant dans le cadre de la loi Aubry - exclure la compétence du juge pour apprécier un plan social dès lors que

celui-ci ferait l’objet d’un accord signé par les partenaires sociaux. Une telle proposition ne pourra être effective que si les organisations

syndicales ne sont pas contestées et que la définition de la représentativité syndicale serait reconnue. Elle ne peut donc être envisagée qu’à plus long terme avec le renouveau syndical.

2) Avant tout engagement d’une procédure judiciaire dans le cadre d’un

conflit collectif, l’intervention nécessaire d’un médiateur peut représenter une avancée. Cette mesure qui est proposée dans le cadre de la loi sur la modernisation sociale pour les projets de restructuration (article 32 bis) pourrait être généralisée. Dans le cadre de sa mission, le médiateur disposerait des plus larges pouvoirs pour s’informer et résoudre le conflit. Cette mesure donnerait une chance supplémentaire aux acteurs sociaux de trouver un accord qui permette l’économie du recours au juge.

97 En droit fiscal, une transaction les dispositions de l’article L251 du LPF fait obstacle à toute introduction ou reprise d’une procédure contentieuse, sous réserve du caractère frauduleux de l’accord. Il faudrait pour cela que l’ensemble des parties représentative ait accepté la convention. Ce caractère définitif ferait obstacle à toute juridiction contentieuse.

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V. Simplifier la pratique administrative

Les mesures de simplification ne sont pas nécessairement des mesures

révolutionnaires et ne demandent pas systématiquement l’intervention du législateur. Les plus appréciées sont parfois les moins spectaculaires : un arrêté, ou une simple instruction administrative sans adaptation législative ou réglementaire, peuvent suffire.

Il en va ainsi des propositions – déjà formulées plus haut dans ce rapport -

de mise en place d’un service fiscal multilingue, notamment anglophone, d’un guichet unique ou d’un accès plus facile à la carte de commerçant pour les investisseurs étrangers.

Par ailleurs, il convient de rappeler que le gouvernement a, depuis 1997, mis

en place ou engagé plusieurs mesures de simplification au quotidien : allègement de certaines démarches, moindre fréquence des déclarations fiscales, allègement des formalités dans le cadre de la réforme du code des marchés publics... Sur le plan fiscal, la mise en place de l’interlocuteur unique (économique et fiscal) et la création de la direction des grandes entreprises participent également d’une meilleure accessibilité de l’administration, et répondent à l’une des demandes les plus fortement exprimées par les entreprises.

Ce n’est pas l’ambition du présent rapport que de se saisir en détail de ce

vaste sujet. Tout au plus se bornera-t-on d’une part à rappeler quelques principes qui doivent guider les mesures de simplification, d’autre part à proposer deux mesures spécifiques correspondant à des attentes fortes des entreprises.

V.1. Quatre principes à suivre

a) Premier principe : faire connaître les mesures de simplifications En 1999, une mission avait été confiée à l’inspection générale des finances

et à l’inspection générale de l'industrie et du commerce concernant l'évaluation des mesures mises en œuvre par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie à la suite des deux plans de simplification administrative à destination des PME de 1997 et de 199898. Cette mission a montré que l’ensemble des mesures étudiées souffrait d’un manque manifeste de notoriété. Ce déficit résultait d’une absence de politique de communication à l’échelon local. En définitive, seules les administrations locales ayant mis en place leur propre action de communication (communiqués dans la presse locale, courriers explicatifs) ont bénéficié d’un « taux d’utilisation » des mesures largement supérieur à celui d’autres départements. De ce fait certaines mesures, fort utiles, n’ont que peu d’impact sur la vie quotidienne des usagers.

b) Deuxième principe : ne pas ajouter à la complexité 98 Les mesures faisant l'objet de l'étude sont au nombre de dix-sept. Leur transcription juridique s'est échelonnée de décembre 1997 à décembre 1998, selon des modalités très diverses allant de la simple instruction administrative à la disposition incluse dans la loi de finances. Elles concernaient essentiellement les administrations financières

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Cela tient de la lapalissade : pour simplifier, encore faut-il ne pas ajouter à

la complexité ! L’Etat doit être moins prolixe en réglementations de toute sorte mais doit se pencher davantage sur les applications concrètes des mesures prises, qui doivent chacune retrancher à la complexité plutôt qu’y ajouter.

Cela implique que les nouvelles mesures doivent être simples et aisément

compréhensibles, y compris par les agents chargés de les appliquer. Pour prendre l’exemple du dispositif du précompte mobilier, il fait chaque année l’objet d’une notice explicative, de plusieurs dizaines de pages, pour la déclaration d’une complexité telle que le calcul, aux dires des professionnels, ne fait l’objet que d’une vérification purement formelle par les services des impôts.

A cet égard, l’administration fiscale américaine a une pratique intéressante :

chacun des imprimés relatifs aux obligations déclaratives comprend une petite annexe précisant aux contribuables le temps (en heures) qu’il leur faut pour lire l’instruction, la comprendre et l’appliquer. Des instructions comme celle relative au précompte mériteraient de préciser le nombre de jours (voire de mois…) nécessaires pour comprendre les subtilités du calcul.

c) Troisième principe : faire supporter la complexité à l’administration et non

à l’usager La complexité est rarement le fait du hasard. Elle résulte de choix successifs

effectués dans le passé, pour concilier les différents impératifs assignés aux politiques publiques. La démarche de simplification nécessite donc, en général, de procéder à de nouveaux choix, et a souvent un coût budgétaire que l’Etat doit assumer.

Certaines des mesures de simplification engagées (mesures relatives aux

marchés publics, centre de formalité des entreprises, interlocuteurs uniques) relèvent d’une logique identique : transférer la charge de la complexité de l’usager vers l’administration. Cette démarche contourne ainsi la plupart des difficultés de fond suscitées par les mesures de simplification : supprimer la complexité nécessiterait sans doute de réformer ce qu’il en est à l’origine ; transférer simplement sa charge relève souvent de la simple mesure d’organisation interne de l’administration pour un résultat visible identique pour l’usager.

La mise en place d’une administration en réseau grâce à l’Internet et un

meilleur travail en commun des différents services concernés (avec pour perspective la création d’agences interministérielles) sont des éléments utiles pour faire vivre ce principe fondamental : ce n’est pas à l’usager de s’adapter aux mesures complexes mises au point par l’Etat, mais à l’administration.

d) Quatrième principe : évaluer les mesures prises

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La réduction à 24 heures du délai d’immatriculation des entreprises au

registre du commerce et des sociétés s’inscrit dans une tendance générale à la réduction des délais. Mais, les contraintes liées à la nécessité du contrôle judiciaire de l’immatriculation des sociétés rendent impossible le respect d’un tel délai. Cette mesure a donc été prise sans que l’on s’assure de son applicabilité. En outre, le statut des greffiers des tribunaux de commerce et leur rattachement à l’autorité judiciaire ne permettent pas de sanctionner efficacement les retards ou lacunes de transmission constatées et favorisent les divergences d’interprétation sur le territoire national.

Au-delà des effets d’annonce, il importe donc de vérifier régulièrement

l’application des mesures et la possibilité même de les appliquer.

V.2. Faciliter la création d’entreprises Parmi les mesures de simplification les plus souvent citées par les

interlocuteurs, deux d’entre elles, d’importance inégale, nous paraissent intéressantes de promouvoir.

A titre principal, il pourrait être mis en place par les pouvoirs publics, pour

les jeunes entreprises, un système simplifié de forfaitisation définitive des cotisations sociales, afin de les accompagner pendant leurs années les plus fragiles. L’entreprise s’acquitterait ainsi pendant les trois premières années de son existence de cotisations réduites et forfaitaires auprès d’un interlocuteur unique. Cette mesure aboutit à faire reporter la complexité de la gestion sur ceux qui la génèrent, c’est-à-dire les régimes sociaux. Nettement plus intéressante que les mesures fiscales d’exonération « entreprises nouvelles », ce dispositif simplifierait considérablement les premiers mois des créateurs d’entreprise99.

A titre secondaire, la création d’entreprises pourrait être favorisée par

l’amélioration du statut de la société par actions simplifiée (SAS), en autorisant la création de ce type de société avec un capital limité à 50 000 F. Cette mesure incitera les jeunes chefs d’entreprise à opter pour la forme sociétale plutôt que la forme individuelle. Elle est également attendue par les entrepreneurs étrangers, sensible à l’exemple américain ou britannique, où la constitution d’une société est rapide et peu onéreuse.

En outre, cet abaissement permettra d’élargir le champ d’application du

régime des BSPCE : en effet, les jeunes pousses de la nouvelle économie censées bénéficier du dispositif, se constituent trop rarement en société anonyme ou en société par actions simplifiées en raison de l’apport de capital trop élevé. L’abaissement du seuil de capital de la SAS permettra de remédier à cet obstacle.

99 Cette piste est explorée de manière plus détaillée par un rapport de l’Inspection générale des finances (I.G.F.) et de l’Inspection générale de l’industrie et du commerce (I.G.I.C.) dirigé par Yves CABANA à la demande du Ministre de l’Economie des Finances et de l’Industrie sur l’évaluation des aides de l’Etat à la création d’entreprises.

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V.3. Alléger les problèmes de trésorerie des PME L’existence d’un tissu dynamique de petites et moyennes entreprises,

susceptibles de constituer des sous-traitants de qualité et de générer ainsi un avantage concurrentiel pour le donneur d’ordres, est l’un des facteurs essentiels de l’attractivité pour les choix d’investissement des grands groupes internationaux.

Or l’Etat est, en tant qu’acteur économique et acheteur, l’un des principaux

responsables des charges financières pesant sur les entreprises et notamment sur les PME, en raison de retards de paiement ou des délais de remboursements de crédit de TVA peu justifiés. Ces problèmes peuvent, dans certains cas, atteindre une ampleur telle qu’ils constituent l’une des principales causes d’insolvabilité.

Pour y remédier, et supprimer ainsi une cause de destruction d’emplois,

deux types de mesures sont envisageables : améliorer de manière générale les délais de paiement des acheteurs publics, et fournir un effort spécifique en matière de remboursements de crédit de TVA.

a) Améliorer les délais de paiement de l’Etat et des acheteurs publics Les retards de paiement de l’administration revêtent une signification

radicalement différente selon qu’il s’agit de petites et moyennes entreprises ou de grands groupes. Si pour ces derniers ils ne constituent qu’une perte de trésorerie supportable, ils sont en revanche susceptibles de mettre une PME en difficulté. D’où un choix délicat : s’abstenir de répondre aux appels d’offres du secteur public, ou risquer une dégradation de la structure financière.

A l’origine de toutes ces difficultés se trouve la complexité de la procédure

de règlement de la dépense publique. Celle-ci mobilise plusieurs intervenants dans le processus de la dépense. Aussi convient-il de distinguer le délai de facturation, propre au fournisseur, le délai de mandatement, spécifique à l’ordonnateur, le délai de paiement du comptable et enfin le délai bancaire dont l’aboutissement est le créditement du compte de l’intéressé. Seul le délai de mandatement est réglementé par les textes : l’ordonnateur dispose d’un délai de 35 jours maximum pour l’Etat et de 45 jours pour les collectivités locales. Ce délai doit permettre le contrôle du service fait, la liquidation de la dépense et l’émission du mandat.

Depuis plusieurs années, le paiement accéléré des créanciers constitue l’un

des axes de la réforme des administrations. La mesure de délais de paiement de l’Etat et du secteur public local permet d’apprécier les progrès réalisés. A ce titre, d’après les enquêtes réalisées l’Etat soutient très favorablement la comparaison avec les entreprises :

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Délais

En jours

Délais fournisseurs 1995 France

69,6 jours

Délais Livraison/paiement PME Europe (1995)

103 jours

Délais Livraison/paiement PME Europe (1996)

101 jours

Etat administrations centrales (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) 1996)

63,6 jours

Etat services déconcentrés (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) 1996)

40,7 jours

Région (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) sans maître d’œuvre/avec maître d’œuvre

40,94 jours / 62,37 jours

Département (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) sans maître d’œuvre/avec maître d’œuvre

38,18 jours / 54,88 jours

Grandes communes (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) sans maître d’œuvre/avec maître d’œuvre (2000)

40,34 jours / 66,97 jours

Grands hôpitaux (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) sans maître d’œuvre/avec maître d’œuvre (2000)

49,74 jours / 59,30 jours

HLM/OPAC (délais globaux de paiement (hors circuit bancaire) sans maître d’œuvre/avec maître d’œuvre (2000)

39,05 jours / 68,57 jours

Le délai des collectivités locales est légèrement supérieur à celui de l’Etat

particulièrement pour les établissements publics locaux qui connaissent souvent des problèmes de trésorerie. En tout état de cause, l’importance de ces délais tient davantage à l’ordonnateur qu’au comptable public, celui-ci payant de plus en plus rapidement :

1996 10,4 jours 1997 9,5 jours 1998 9,0 jours 1999 8,4 jours 2000 8,2 jours100

L’Etat a donc tout intérêt à faire connaître les efforts consentis et les

résultats obtenus, incitant ainsi les PME à répondre aux appels d’offres sans crainte de difficultés de trésorerie.

Toutefois, cette démarche doit être poursuivie et accentuée dans l’axe

dégagé par la directive communautaire 2000/35/CE concernant la lutte contre les retards de paiement dans les transactions commerciales. Cette dernière prévoit la fixation d’un délai global de règlement s’appliquant à toutes les transactions et courant de la date de réception de la facture jusqu’au paiement effectif de la créance. L’intérêt d’une telle démarche sera, au-delà d’un indicateur de délai moyen, de lutter contre les délais exceptionnels qui sont les plus pénalisants pour les entreprises.

Conformément aux nouvelles règles communautaires privilégiant la

contractualisation du délai de paiement entre l’acheteur public et son cocontractant, les collectivités publics devront s’engager contractuellement sur les délais de paiement globaux auprès de leurs fournisseurs. Faute d’un tel engagement, un délai supplétif de 30 jours s’imposera, dont le dépassement sera automatiquement sanctionné par le versement d’intérêts moratoires dissuasifs.

100 Les délais de paiement des comptables pour les collectivités locales sont légèrement plus importants que pour l’Etat : pour 2000, le délai est de 9,52 jours.

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A ce titre, des instructions doivent être données aux comptables publics pour que d’une part, ils incitent les ordonnateurs à fixer par convention le délai maximum de paiement et que d’autre part, ils exigent le mandatement des intérêts moratoires en cas de dépassement du délai global. Les vérifications effectuées régulièrement par l’Inspection générale des finances dans les postes comptables faisaient en effet ressortir que cette obligation restait le plus souvent lettre morte.

b) Raccourcir les délais de remboursement des crédits de TVA Le remboursement rapide des crédits de TVA revêt une importance

particulière pour les petites entreprises, notamment pour celles ayant fortement investi ou très présentes sur les marchés d’exportation : des délais de remboursement excessifs sont donc pénalisants pour les entreprises les plus dynamiques.

Or, à l’heure actuelle, la France se trouve dans une position peu flatteuse.

Sur 175 MdF de remboursements demandés en 1999, le délai moyen atteint 60 jours (répartis entre 48 jours pour la DGI, 9 jours pour la DGCP et 2 jours de délai bancaire). Le coût pour les entreprises peut donc être estimé à près de 2 MdF, sur la base d’un taux d’intérêt évalué à 6,5 %. Mais un certain nombre de départements très tournés vers l’exportation connaissent des délais moyens bien supérieurs, à l’image des Hauts de Seine Nord (délai pour la seule DGI de 97 jours). La France se situe, de ce fait, dans une situation dégradée par rapport à la plupart de nos partenaires. Elle se place au 33ème rang sur 43 pays examinés101, derrière la plupart des pays de l’OCDE et, en Europe, devant les seuls pays méditerranéens (Espagne, Portugal, Grèce et Italie).

L’étude des pratiques des pays étrangers montre que le remboursement est

rapide lorsque les trois conditions suivantes sont réunies : - le contrôle exhaustif a priori est remplacé par un contrôle plus sélectif a

posteriori pour les entreprises dont le comportement est jugé peu risqué - le délai de remboursement est fixé par la loi ou le règlement - des pénalités sévères sont appliquées aux entreprises dès lors que leurs

demandes présentent des erreurs en leur faveur ou un caractère frauduleux. La France ne présente aucune de ces caractéristiques, ce qui explique sans

doute la médiocrité de son classement. En particulier, la décision prise en 1962 de traiter les remboursements comme des dépenses sans ordonnancement au lieu de continuer à les considérer comme des réductions de recettes implique le passage par les deux réseaux DGI et DGCP, avec un double contrôle exhaustif a priori.

Or, la longueur des délais fragilise la situation financière des entreprises

créditrices. Pour une « jeune pousse » en situation financière tendue, la charge supplémentaire sur la trésorerie peut même être insupportable, dans un contexte où l’accès au crédit reste difficile (cf. encadré).

101 Source : rapport du projet CPCS sous la direction de Christophe GRANDCOLAS, novembre 1990.

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Encadré N° 11 : Exemple cité lors des entretiens

Une entreprise industrielle d'agroalimentaire C. crée une nouvelle implantation en France. Celle-ci emploie 60 salariés et procède à 180 MF d'investissements pour la construction d’une usine. Elle constate de ce fait un montant significatif de remboursement de crédits de TVA. Elle demande en conséquence aux services fiscaux, auprès desquels elle s’était dûment déclarée, le remboursement de la TVA pour les travaux de construction de l'usine. Trois mois après la demande, les services fiscaux réagissent en engageant un contrôle fiscal. Le contrôle fiscal ne donne rien et le remboursement n’est réalisé que plus de 5 mois après la demande… Certes, il existe des procédures dites de « référé fiscal », qui devraient permettre d'éviter cela. Mais les dirigeants les ignorent : ce sont des techniciens, non des fiscalistes. Et même lorsqu’ils connaissent cette possibilité, ils hésitent à en tirer parti, de peur d’entrer en conflit juridique avec l’administration fiscale. En l'espèce, le projet n'a pas échoué, simplement parce que les actionnaires avaient les reins assez solides et ont accepté de couvrir par des avances de trésorerie le coût financier des emprunts à court terme contractés dans l’attente du remboursement. L’équilibre d’exploitation a donc simplement été décalé de quelques mois. Mais une entreprise moins solide, dotée d’un « tour de table » moins compréhensif et moins riche, n’aurait pas résisté à l’épreuve.

Plusieurs mesures ont déjà été prises pour accélérer les remboursements. La

procédure spéciale exportateur permet aux entreprises très tournées vers l’exportation d’effectuer leurs achats en franchise de TVA. De même la création prévue en 2002 de la direction des grandes entreprises va améliorer les procédures de remboursement pour les grandes entreprises. Pour aller plus loin, cinq propositions essentielles peuvent être faites :

1 - La création d’une procédure de remboursement sans aucun contrôle a

priori au profit d’entreprises exportatrices ou relevant de secteurs qui dégagent structurellement des crédits de TVA (bâtiment, agriculture, entreprises soumises au taux réduit de TVA), sélectionnées sur la base de leurs antécédents fiscaux. Cette procédure aurait l’avantage de donner plus de temps pour les autres dossiers aux cellules de remboursement de TVA de la DGI, et l’allègement des contrôles a priori pourrait être accompagné de contrôles fiscaux a posteriori de certaines de ces sociétés sélectionnées

2 - La mise en place d’une cellule spécialisée pour les PME récentes et/ou

demandant des remboursements importants afin de traiter leur dossier en priorité 3 - La mise au point de sanctions très dissuasives pour sécuriser les

remboursements opérés par le Trésor public 4 - L’instauration d’un délai au-delà duquel le Trésor public serait obligé de

verser à l’entreprise créditrice des intérêts moratoires dissuasifs, comme le prévoit la directive européenne pour les transactions commerciales102. Cette solution serait préférable à l’inscription dans les textes des délais de remboursements impératifs, plus coûteux budgétairement (plus de 1 MdF en frais financiers si les délais de paiement sont fixés à un mois) et générateur d’effets pervers (« nivellement » autour du délai moyen fixé)

102 La jurisprudence semble d’ailleurs s’engager dans cette voie et juge que des remboursements non intervenus dans les six mois impartis à l’administration pour statuer sur une réclamation ont le caractère d’un dégrèvement

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5 - Un effort de pédagogie afin que la pratique fiscale soit homogène et correcte sur tout le territoire (les délais de remboursement de TVA étant à l’heure actuelle plus longs en région parisienne) et que l’objectif de réduire le taux de mortalité des entreprises soit compris comme un objectif prioritaire pour les services fiscaux. C’est pourquoi introduire le délai de remboursement de crédit de TVA parmi les indicateurs de gestion permettant de classer les directions des services fiscaux entre elles pourrait avoir un réel impact sur les pratiques administratives.

contentieux, qui donne lieu à versements d’intérêts moratoires (CE 20/10/2000 n° 198 304 et 198 309, société Gigadisc).

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VI. Deux exemples particuliers en recherche d’attractivité

La France possède un capital culturel et artistique particulièrement attractif

pour les étrangers. Toutefois, cette image positive ne correspond pas forcément à la réalité économique.

L’art est pour l’image de la France, un facteur très important, et ce n’est pas

pour rien que les pays les plus visités en Europe, sont également ceux qui ont le plus riche patrimoine historique et artistique : la France et l’Italie. Néanmoins, la France, qui était dans les années 1950 le leader mondial du marché de l’art, a perdu sa prééminence : au cours de la saison 1952-1953, le chiffre d’affaires réalisé par la compagnie des commissaires-priseurs de Paris était équivalent au chiffre d’affaires réuni de Sotheby’s et de Christie’s103. Certes la compétitivité du marché de l’art ne dépend pas uniquement du poids de la fiscalité, mais si l’Etat entend soutenir, comme il l’affirme, l’activité du marché de l’art, il doit prendre un certain nombre de mesures104.

La France a conservé un cinéma fort, malgré l’américanisation du goût du

public. La France a bénéficié de trois réseaux puissants et indépendants, de sociétés de télévision fortes qui participent à la production indépendante et d’un système d’aides au financement unique au monde. Pourtant, la plupart des films français comme le Fabuleux destin d’Amélie Poulain ou Astérix et Obélix, ne sont tournés que partiellement en France. Le manque d’attractivité des industries techniques françaises ressort du tableau suivant : alors que le nombre de productions d’initiative française augmente régulièrement, le nombre de productions étrangères stagne, voire décroît :

Films tournés en France

1995 1996 1997 1998 1999 2000 %1995/2000

Film d’initiative française

97 104 125 148 150 145 + 49,5 %

Film d’initiative étrangère

32 27 33 32 31 26 - 18,8 %

La mission s’est refusée à prendre une approche sectorielle de l’attractivité

du site France. Elle a néanmoins cherché à mettre en évidence deux secteurs pour lesquels la France avait un avantage comparatif en terme d’attractivité (effet de place), avantage qu’elle a en partie perdu.

103 Cité par Jacques Fingerhut, dans La fiscalité du marché de l’art, collection Que sais-je ?; PUF 104 A la demande du Ministre de la Culture, le Ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie a chargé l’Inspection générale des finances d’une mission dirigée par Guillaume CERUTTI, ancien directeur général du centre Georges Pompidou, sur la protection des Trésors nationaux et plus globalement sur les relations entre marché de l’art et musées

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Encadré N° 12 : Redonner son attractivité au marché de l’art en France 1. Les raisons de cette évolution Dans le marché de l’art, la domination des Etats-Unis et du Royaume-Uni atteste une perte réelle d’attractivité de la France. Son marché de l’art connaît un reflux depuis le milieu des années 1960 où intervient le décrochage par rapport à Londres tandis que le centre international s’installe aux Etats-Unis. La France est un pays exportateur net d’œuvres d’art depuis de nombreuses années mais le phénomène a pris une ampleur sans précédent : l’excédent des exportations sur les importations passe de 92 M€ en 1983 à 305 M€ en 1998. Deux catégories de facteurs expliquent cette situation : - des facteurs structurels dont la tendance n’est guère susceptible d’être contrariée par l’action publique : les grandes fortunes se situent aux Etats Unis, les peintres contemporains y sont également, le nombre et le rayonnement des artistes français contemporains105 sont en régression constante ; - des facteurs plus conjoncturels : la faible adaptation des commissaires-priseurs à la modernité du marché de l’art a accéléré le processus, mais les dispositions fiscales peu favorables au développement du marché (TVA à l’importation, droit de suite) sont suffisamment contraignantes pour être peu attractives pour le mécénat. Les pouvoirs publics doivent intervenir pour conserver à ce secteur toute son attractivité en raison de son poids économique (33 000 personnes dans les métiers d’art et 1,5 Mds€ auxquels il faut ajouter les activités connexes, non évaluées), de l’effet d’image (vitrine pour les industries du luxe, etc.) et de l’enjeu en terme de protection du patrimoine (le rythme de 305 M€ par an de « fuite » des œuvres est pour le moins préoccupant). 2. Propositions pour soutenir la place de Paris et faciliter l’acquisition d’œuvres a. Améliorer le fonctionnement du marché de l’art Ces mesures visent surtout à soutenir la place de Paris comme lieu de vente en éliminant des discriminations entre acteurs et des contraintes imposées pour une valeur financière somme toute limitée : - relèvement du seuil de la taxe forfaitaire sur les objets d’art de 20 à 60 KF - La question de la TVA à l’importation106 est en cours de discussion avec les Britanniques. Afin d’éviter une évasion croissante du marché de l’art vers d’autres places (Genève par exemple), l’abaissement de la TVA de 19,6% à 5,5% pour les bijoux, les manuscrits et les meubles de moins de 100 ans est nécessaire car l’application d’un taux de 19,6% est prohibitive. Ces mesures devraient avoir un coût budgétaire inférieur à 40 MF (6 M€). b. Achat d’œuvres destinées in fine à l’Etat (article 238 bis-0 A) L’article 238 bis-0 A permet aux entreprises de déduire de leur bénéfice imposable uniquement et dans la limite de 3,25 pour mille de leur chiffre d’affaires, la valeur d’acquisition « d’œuvres d’art, des livres, des objets de collection ou des documents d’une haute valeur artistique ou historique » qu’elles s’engagent à donner à l’Etat dans un délai maximum de dix ans, ces œuvres devant, durant ce délai, être exposées au public. Ce dispositif est peu incitatif pour les entreprises. Il est donc proposé de modifier ce régime pour le rendre attractif sur deux points : les sommes deviennent des charges déductibles même en l’absence de bénéfice et la contrainte d’exposition au public est supprimée (elle pose des considérables difficultés d’organisation). Accessoirement, le délai avant remise à l’Etat pourrait être porté à 15 ans. c. Incitation en faveur de l’art contemporain (article 238 bis AB) Les entreprises qui achètent des œuvres d’artistes vivants et les inscrivent à un compte d’actif immobilisé peuvent déduire du résultat imposable (pendant 10 ans) la valeur d’acquisition dans la limite de 3,25 pour mille du CA. L’œuvre doit être exposée au public. S’agissant d’un investissement, les sommes sont réintégrées au résultat imposable en cas de cession ou de changement d’affectation ; une provision pour dépréciation peut être passée si la dépréciation est supérieure au montant cumulé des déductions. Il est proposé d’introduire la possibilité d’un amortissement exceptionnel sur trois ans s’agissant d’acquisitions risquées. d. fondation d’entreprise (loi de 1990) Leur régime doit être assoupli pour faciliter une modification du programme d’action pluriannuel (actuellement, il faut réformer les statuts déposés, même s’il s’agit simplement d’augmenter les investissements programmés).

105 Voir l’étude du sociologue Alain QUEMIN pour le compte du Ministère des Affaires Etrangères (2001) qui montre que, si en 1970, trois artistes français figurant dans les 10 premiers au Kunst Kompass (évalue la réputation des artistes vivants), un seul (Boltanski) y figure en 2000. 106 Le problème de la soumission à la TVA concerne plus généralement l’Union européenne. La seule solution consisterait à obtenir de l’U.E l’exonération totale de TVA : les chances d’obtenir gain de cause restent faibles.

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Encadré N° 13 : Raffermir l’attractivité de l’industrie technique cinématographique 1. Le constat de la perte d’attractivité de l’industrie technique L'industrie technique française est performante grâce à un fort volume de production intérieure. La France est le troisième pays producteur de longs-métrages après les Etats-Unis et l'Inde. La France est dotée de formations de haut niveau (FEMIS, Ecole Louis Lumière, …), d’équipements techniques haut de gamme et d’un nombre suffisant de techniciens qualifiés pour répondre à une augmentation de la demande de la production étrangère. Par ailleurs, sa richesse patrimoniale et géographique offre une grande diversité de sites de tournages. Pourtant, le volume de production de programmes audiovisuels en France a été dépassé par le Royaume-Uni ou l'Allemagne107. De nombreux films français sont désormais tournés au Royaume-Uni ou en Allemagne, en revanche, la France ne parvient pas à augmenter son attractivité par rapport aux productions étrangères. Au-delà du handicap du niveau élevé des charges sociales françaises, les incitations financières mises en place par certains de nos partenaires sont devenues l’élément clé de décision pour les producteurs français et étrangers à la recherche de lieux de tournage. Ces avantages entrent dans le plan de financement et permettent souvent au réalisateur et au producteur indépendant du film de monter un projet cohérent qui incite les grandes sociétés de production à participer au financement. Ces mécanismes créent un environnement concurrentiel défavorable pour les industries techniques et les intermittents du spectacle français. Ils se traduisent par une délocalisation d'une partie de la production française et une faible attractivité du site France pour la production étrangère. Les studios luxembourgeois, britanniques et allemands captent ainsi régulièrement un volume d'activités qui contribue à affaiblir l'ensemble de la chaîne de production (techniciens, studios, équipements de tournages, post-production, effets spéciaux). Le Royaume-Uni (Sale & Leaseback) accorde une économie sur les coûts de production de l'ordre de 10 %, mais fait appel à des mécanismes fiscaux sophistiqués : incitation fiscale basée sur les dépenses réalisées au profit de salariés et prestataires britanniques (les prestataires doivent être au moins à 70 % britanniques). Le Luxembourg (programme des Certificats audiovisuels) développe une industrie de programmes encore embryonnaire : pour compléter son financement, le producteur étranger a recours à un coproducteur luxembourgeois qui bénéficie d’une incitation fiscale qu’il répercute dans le financement du projet. Les Länder allemands utilisent un mécanisme d'avance remboursable en fonction des recettes : les couloirs et planchers de remontées de recettes utilisés par les fonds allemands tendent à assimiler ces avances à des subventions, ce qui en fait un système très attractif. 2. Incitation financière aux tournages en France A l'heure actuelle, la France est dépourvue de politique incitative destinée aux productions étrangères : la mise en place d'une incitation financière permettrait à la France de répondre à la concurrence des industries britanniques, luxembourgeoises ou allemandes dont le niveau d'incitation est voisin de 15 % du montant des dépenses de production. Il est recommandé de réfléchir à une telle mesure. Le mécanisme d'abri fiscal existe déjà par les SOFICA, mais les investissements des SOFICA sont limités aux productions agréées par le CNC. Il pourrait être étendu selon des dispositions spéciales en faveur des productions étrangères tournées en France, à condition de préserver l'apport actuel des SOFICA à la production française. De même, il faut profiter de la modification en 2000 du code général des collectivités territoriales, qui autorise désormais les collectivités108 à accorder des aides si elles sont effectuées dans le cadre d’une convention passée par l’Etat via le CNC, pour élaborer une politique concertée d’aides locales comme le font les Länder allemands. Une mesure pour relancer l’attractivité de l’industrie technique du cinéma serait peu onéreuse pour les pouvoirs publics. En retenant une hypothèse de 7 productions étrangères tournées principalement en France représentant un total de dépenses de l'ordre de 700 MF (106 M€), l’impact sur l'emploi des intermittents du spectacle, confrontés à un sous-emploi chronique, est évalué à 600 emplois à temps plein. L'impact serait moindre pour les intermittents artistiques. Les recettes supplémentaires des organismes sociaux seraient de l'ordre de 100 MF (15,2 M€). À ces recettes supplémentaires, il conviendrait d'ajouter le gain des indemnités qui n'auraient pas à être versées. Le gain fiscal a été évalué à environ 12 M€. Le coût fiscal d’une mesure serait nettement moindre.

107 Volume de production de fictions TV en 1998 : Allemagne : 1945 h, Royaume-Uni : 1321 h, France : 621 h. 108 En 2000, les collectivités territoriales auront consacré 75 MF (11,5 M€) à la production cinématographique.

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B. CONSOLIDER L’ENRACINEMENT NATIONAL DE NOS ENTREPRISES

« L’attractivité ne suffit pas à pérenniser les activités nouvelles ; il faut

considérer le territoire, non comme un réceptacle d’activités, mais comme un construit en devenir, fondé sur un nœud de relations »109. Cette phrase souligne toute l’ampleur du problème : chercher à attirer des activités nouvelles est une chose. Les retenir, favoriser leur développement ultérieur en est une autre. Il faut faire en sorte que ces activités « s’enracinent », et limiter ainsi leur vulnérabilité à des mouvements de délocalisation.

Dans cette perspective, l’idée de centre de gravité, initialement développée

dans le rapport du commissariat général au Plan sur la nouvelle nationalité de l’entreprise en 1999 et reprise dans le rapport Lavenir en 2000, fournit un cadre d’analyse extrêmement fécond. Les entreprises ont encore une nationalité, un rattachement territorial, qui dépend de la nationalité des dirigeants et des membres du conseil, de la composition du capital, ou encore de la répartition géographique des centres de recherche et des centres de décisions. Au-delà du discours sur des choix d’investissement effectués de manière purement rationnelle et objective, cette nationalité influence de façon prépondérante le comportement de l’entreprise. Rappelons que la décision d’investissement n’est pas le fait de l’entreprise, mais de ou des personnes mandatées à cet effet.

L’existence d’entreprises multinationales à base française est donc un point

positif ; la capacité de la France à attirer sur son territoire des quartiers généraux européens de firmes extra-européennes est également un élément important. Le processus de décision au sein des multinationales110 s’organise ainsi comme une mise en concurrence ouverte ou implicite entre les différents sites, au travers des filiales nationales. Le poids de la direction européenne lorsqu’elle existe (quartier général, société holding) et le poids relatif des différentes filiales nationales au sein des circuits de décision sont alors des éléments essentiels dans le choix final.

A contrario, on perçoit aisément les limites d’une stratégie d’attractivité qui

se borne – parfois à coup de subventions – à faire venir des investissements étrangers créateurs certes d’emplois industriels, mais sans le substrat (direction générale européenne, direction commerciale, centre de recherche…) générateur d’un véritable ancrage. De tels investissements sont en effet facilement sujets à délocalisation, ainsi que l’a montré l’exemple de la Lorraine dans les années 1980 et au début des années 1990.

Les récentes restructurations sont venues souligner à quel point la notion de

centre de gravité reste d’actualité. La firme Marks et Spencer n’a pas hésité à annoncer brutalement la fermeture de l’ensemble de ses filiales hors du Royaume-Uni. Le groupe Danone, quant à lui, s’est à tout le moins attaché à respecter les règles légales et s’est engagé à reclasser les salariés dont le poste était supprimé. On le voit : plus le centre de

109 La nouvelle nationalité de l’entreprise – rapport du Commissariat général du Plan – La Documentation française 110 Analysé notamment par la délégation aux investissements internationaux (B. YVETOT).

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gravité s’éloigne, plus le coût à supporter pour les implantations françaises – en termes d’emplois non créés ou supprimés, de pratiques sociales – sera élevé.

Cette considération justifie le fait de consentir un effort particulier pour

maintenir en France le centre de gravité des entreprises françaises et pour « enraciner » en France les entreprises étrangères qui investissent sur notre territoire. Ceci nécessitera une action cohérente : améliorer l’environnement fiscal, mais aussi juridique ; faire de la France un lieu d’implantation privilégié pour l’innovation et les fonctions stratégiques des entreprises ; faciliter l’émergence d’actionnaires français forts. La suite de ce rapport s’attachera à explorer quelques pistes en ce sens.

I. Maintenir le centre de gravité des intérêts économiques en France

I.1. Attirer ou retenir les sièges sociaux des entreprises en France Les fusions et acquisitions sont, depuis les années 1980, le vecteur le plus

puissant de transformation du paysage économique international. En croissance très rapide en Europe durant la deuxième moitié des années

1980 et le début des années 1990, elles ont ensuite marqué le pas pendant la crise du milieu des années 1990, atteignant un creux en 1993, dans un contexte de récession économique et de taux d’intérêt très élevés. Une troisième période s’est ouverte en 1995, la reprise de la croissance se conjuguant avec les effets positifs du désendettement des entreprises.

De fait, alors qu'en 1990, 4% de la capitalisation boursière mondiale

changeait de mains par le biais d’opérations de fusions et acquisitions, ce chiffre passe à 10% en 1998. Les montants s’envolent également : 1600 Mds € en 1997, 2200 Mds € en 98, 4000 Mds € en 1999. Si l’on se place à l’échelle de l’Europe, le nombre d’opérations passe de 400 en 1985 à 11 000 en 1998, avec des montants multipliés par trente : 30 Mds € en 1995, 900 Mds € en 1998.

La France ne reste pas à l’écart de ce phénomène. Bien au contraire, les

groupes français y tirent leur épingle du jeu avec succès. Leur stratégie, vue avec bienveillance par les pouvoirs publics, a souvent consisté en des regroupements à l’échelle de l’Hexagone, pour bâtir des champions nationaux voués ensuite à se marier avec d’autres entreprises, européennes ou américaines. On remarquera ainsi qu’en 1998 les vingt premières opérations françaises étaient strictement nationales alors qu’au niveau européen, 60 % des acquisitions transfrontalières concernaient des entreprises non européennes.

Depuis un ou deux ans, il semble toutefois que les groupes français en

soient arrivés à un stade supérieur : celui de la multiplication des rapprochements transfrontaliers, avec des groupes européens ou extra-européens : mariage de Rhône-Poulenc et de Hoechst dans Aventis, création d’EADS, d’Altadis (Seita/Tabacalera) ; fusion Vivendi Universal ou Cap Gemini Ernst & Young…

L’enjeu est que ces rapprochements d’entreprises, appelés à se multiplier et

nécessaires à la compétitivité de notre pays, se fassent sans que les sociétés en question

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perdent leur ancrage national. Car un tel ancrage est la meilleure assurance que la France restera, pour ces entreprises, un lieu privilégié de localisation de la valeur ajoutée et des emplois qualifiés. Au-delà, de manière plus subtile, on reste frappé de l’attachement des chefs d’entreprise français à la culture et à un certain modèle, caractérisé par le souci de justice sociale et le refus d’une société à plusieurs vitesses. Il n’est pas certain qu’à partir du moment où nos grandes entreprises seraient essentiellement gérées de Londres, d’Amsterdam ou de New York, ce modèle français réussirait encore à se faire entendre.

I.1.1. Renforcer la position des entreprises françaises lors des rapprochements

d’entreprises L’accélération récente des opérations de concentration en Europe laisse

perdurer un retard certain vis-à-vis des Etats-Unis : les fusions et acquisitions représentaient 8% du PIB européen en 1998 contre 20% du PIB américain la même année. Au-delà de quelques opérations spectaculaires qui ont fait ou feront la une des journaux, ce mouvement est appelé à se diffuser, et à concerner notamment des entreprises de taille moyenne, voire modeste. Ce qui rend illusoire toute tentative d’opposer PME/PMI et grands groupes au regard des stratégies d’ancrage national : les grandes entreprises françaises ne conserveront leur ancrage que si elles trouvent à s’appuyer sur un tissu de sous-traitants performants dans l’Hexagone ; inversement, les PME/PMI françaises pourront d’autant mieux se développer dans le sillage de groupes puissants conservant leurs centres de décision en France.

A cet égard, les dernières opérations de rapprochement transfrontalières ont

valeur d’avertissement : pour EADS comme pour Euronext, Altadis ou Dexia, elles se sont traduites par la localisation hors de France du siège social. Même si le siège social au sens juridique ne correspond pas systématiquement au principal centre de décision, ceci doit inviter à la prudence.

Il semble en fait que ces choix de localisation défavorables à la France

soient pour partie liés à un environnement fiscal peu attrayant. Deux aspects peuvent être distingués : l’un lié à la dynamique de rapprochement, c’est-à-dire au coût fiscal induit par l’opération de concentration et l’autre statique, tenant au niveau d’imposition de la nouvelle entité.

a) Réduire le coût fiscal lors du rapprochement des entreprises Lors du rapprochement de deux entreprises, quel que soit le mode opératoire

retenu (acquisition, offre publique d’échange, fusion-absorption…), se pose la question de l’imposition des plus-values dégagées à cette occasion. Dans le cadre européen, cette question ne se pose bien entendu que pour les seuls pays qui, à l’image de la France, n’exonèrent pas cette plus-value.

En application d’une directive européenne de 1990, ces pays ont prévu un

report d’imposition des plus-values générées lors du rapprochement jusqu’à la cession effective des titres, c’est-à-dire la date à laquelle des liquidités auront effectivement été dégagées.

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Cependant, cette neutralité fiscale de l’opération n’est pas toujours respectée

par la législation française. Le régime de faveur autorisant le sursis d’imposition est parfois refusé pour des opérations de rapprochement, simplement parce que le montage juridique n’entre pas dans le cadre – assez restrictif – prévu pour l’exonération. C’est pourquoi il est nécessaire de procéder à certains aménagements techniques, qui redonneront au site France une position concurrentielle lors du choix de localisation de la nouvelle structure. Ces mesures, simples et d’un faible coût budgétaire, aboutiront à renforcer la neutralité fiscale des opérations de rapprochement d’entreprises.

Sans prétention à l’exhaustivité, les principaux aménagements souhaitables

sont les suivants : 1 - Ouvrir sur option le bénéfice du régime fiscal des fusions aux opérations de dissolution-confusion (article 1844-5 du code civil) Une entreprise est parfois amenée à détenir la totalité des droits sociaux

d’une autre société. Dans ce cas, la société mère peut souhaiter mettre fin à l’existence de cette filiale à 100 %. Pour ce faire, elle a le choix entre deux solutions : la fusion-absorption ou la dissolution de la filiale. Ces deux types d’opérations aboutissent à la transmission universelle du patrimoine de la société dissoute ou absorbée, mais leur traitement fiscal est différent. L’administration refuse en effet l’application du régime fiscal des fusions aux opérations de dissolution-confusion. Cette différence de traitement n’est pas anodine : les opérations de dissolution-confusion ont en effet des modalités juridiques plus simples que les opérations de fusion. Il convient donc de rétablir sur ce point la neutralité fiscale.

2 - Mettre un terme aux restrictions subsistant dans le cadre des opérations de fusions et d’apport partiel d’actifs (article 210 B du CGI) La loi de finances rectificative pour 1991 a modifié le régime fiscal des

fusions afin de l'adapter à la directive communautaire 90/434 du 23 juillet 1990. Deux dispositions restent toutefois contraires aux règles de la directive :

- d'une part, le texte a conservé l'exigence d'un agrément administratif pour des opérations que la directive soumet de plein droit au régime des fusions

- d'autre part, la loi de 1991 a maintenu la double imposition économique entraînée par le régime des apports partiels d'actif alors que l'objectif de la directive était d'assurer la neutralité complète de l'opération.

L'article 210 B du CGI exige en effet, en cas d'apport partiel d'actif, de

calculer les plus-values de cession ultérieure des titres par référence à la valeur fiscale des biens apportés. Cela aboutit à une double imposition économique de la même plus-value : dans les mains de l'apporteur lors de la cession des titres et chez la société bénéficiaire de l'apport lors de la cession des actifs non amortissables apportés. Il s’agit d’une singularité française par rapport aux autres états de l’Union européenne.

Le respect de la neutralité fiscale impliquerait au contraire que la plus-value

réalisée sur les éléments d’actifs apportés soit exonérée au niveau de la société

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apporteuse et imposée au niveau de la société bénéficiaire de l’apport. Au-delà de cet argument d’équité fiscale, une telle double imposition est exclue par l'article 9 de la directive qui étend aux apports d'actifs les dispositions des articles 4, 5 et 6 relatifs à la neutralité des fusions.

3 - Assurer la neutralité du régime fiscal des opérations de scission Les scissions sont un élément normal de respiration dans la vie d’une

entreprise : elles facilitent la recomposition du portefeuille d’activités de l’entreprise en fonction des synergies possibles, des progrès technologiques ou des évolutions de la demande.

Toutefois, à l’heure actuelle, elles ne bénéficient de la neutralité fiscale que

sous réserve d’accéder à un régime de faveur, soumis à une condition très restrictive : l’obligation de conservation pendant trois ans par tous les actionnaires, à l’exception de ceux détenant moins de 5 %, la rupture de l’engagement par un seul d’entre eux remettant en cause l’ensemble de l’opération.

Cette contrainte apparaît excessive. Il convient de revenir à la lettre de la

directive : neutralité de plein droit, dès lors que la scission porte sur des branches complètes d’activité, imposition immédiate des plus-values si la scission ne concerne pas des branches complètes d’activité.

4 - Faciliter les apports de participations correspondant à des branches complètes d’activité L’article 210 B du CGI prévoit que l’apport d’une participation portant sur

plus de 50 % du capital de la société en question est assimilé à l’apport d’une branche complète d’activité, et bénéficie de ce fait du régime de faveur applicable aux apports partiels d’actifs. La doctrine administrative a toutefois quelque peu relâché ces exigences : si les titres apportés sont inscrits à la cote officielle en France et représentent au moins 30 % du capital social de la société en question, la procédure de l’agrément n’est pas obligatoire.

Toutefois, à l’heure actuelle, le capital des sociétés est relativement dilué, ce

qui rend difficile le recours à cette définition de la branche complète d’activité. Par ailleurs, la directive de 1990 sur les fusions prévoit la neutralité des opérations par lesquelles « une société acquiert dans le capital social d’une autre société une participation ayant pour effet de lui conférer la majorité des droits de vote dans cette société », sans préciser le pourcentage minimum de la participation apportée.

Aussi est-il proposé de supprimer l’agrément exigé pour les opérations

d’apports de titres, dès lors que l’apport de titres confère le contrôle de la société dont les titres sont apportés à la bénéficiaire des apports. Cette extension permettrait d’appliquer de plein droit le régime de faveur à la fois aux associés de sociétés cotées françaises et aux associés de sociétés cotées étrangères.

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b) Réduire le niveau d’imposition de la nouvelle entité L’entreprise nouvellement créée doit trouver un environnement fiscal et

social favorable. Si la fiscalité n’est certes pas le seul critère dans la décision de localisation des sièges internationaux, il s’agit néanmoins d’un critère de toute première importance.

Ainsi, au plan fiscal, la localisation de l’entité issue du rapprochement

dépendra du niveau d’imposition des bénéfices générés par cette entité. A ce titre, la réforme allemande décrite dans l’encadré ci-dessous nous pose clairement un défi en termes d’attractivité vis-à-vis de notre principal concurrent et partenaire.

Encadré N° 14 : La réforme fiscale allemande

Le Parlement allemand a adopté le 14 juillet 2000 une loi portant réforme fiscale dont les principales dispositions entreront en vigueur, suivant les cas, en 2001 ou en 2002. Cette réforme allège notamment les impositions grevant les bénéfices des entreprises, avec un impôt sur les sociétés ramené à 25%. I - Nouveau régime d’imposition des dividendes L’avoir fiscal est supprimé à raison des dividendes versés à compter de 2002. Le taux de la retenue à la source appliquée par la société distributrice (récupérable par l’actionnaire) est réduit de 25 % à 20 %. Actionnaires personnes physiques : les dividendes dépourvus d’avoir fiscal ne sont plus imposés que pour la moitié de leur montant (procédure dite du « demi-revenu »). Corrélativement, les charges supportées en relation directe avec ces revenus ne sont plus déductibles que pour moitié. Actionnaires sociétés de capitaux : les dividendes sont exonérés, quelle que soit la durée de détention ou l’importance de la participation. En revanche, les charges en relation avec les dividendes exonérés (notamment les frais de financement de l’acquisition des titres) ne sont plus déductibles. Des solutions pourront être envisagées pour remédier à la non-déductibilité, notamment la mise en place d’une intégration fiscale ou le recours à la technique dite du « ballonning » qui consiste à ne distribuer des dividendes que lorsque les frais financiers ont été intégralement déduits fiscalement. Les dividendes de source non allemande sont exonérés d’impôt sur les sociétés. L’actionnaire devra toutefois réintégrer une quote-part forfaitaire de 5 % de leur montant dans le résultat imposable au titre des charges censées avoir été exposées pour générer ces revenus. II - Régime des plus-values de cession de participations A - Pour les personnes physiques : La plus-value réalisée par une personne physique au titre de la cession d’une branche d’activité ou d’une participation dans une société de personnes reste soumise en principe intégralement à l’impôt sur le revenu. Toutefois, lorsque à l’actif de la branche ou de la société de personnes figure une participation dans une société de capitaux, la cession emportera application de la procédure du demi-revenu pour la fraction de la plus-value rattachable aux titres détenus dans la société de capitaux. Pour les cessions de participations dans les sociétés de capitaux, les plus-values imposables sont seulement celles provenant de la cession de participations substantielles, actuellement définies comme représentatives d’au moins 10 % du capital de la société de capitaux (allemande ou étrangère) et celles provenant des cessions réalisées moins d’un an après l’acquisition des titres (délai dit « spéculatif »), quel que soit alors le taux de participation. Sans modifier le régime des plus-values spéculatives, la loi nouvelle abaisse à compter du 1er janvier 2002 de 10 % à 1 % le seuil de détention déclenchant l’imposition. En définitive, seules resteront exonérées les plus-values afférentes à des participations inférieures à 1 % et dont la durée de détention a été d’au moins un an. Les plus-values non spéculatives sont dorénavant soumises au même régime d’imposition que les

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dividendes et ne sont donc imposables que pour la moitié de leur montant. Les charges supportées en relation directe avec les plus-values précitées ne sont déductibles au plan fiscal que pour la moitié de leur montant. B - Pour les sociétés de capitaux : S’agissant des cessions d’une branche d’activité ou de participations dans une société de personnes, le régime de ces plus-values demeure inchangé. Elles restent donc intégralement soumises à la taxe professionnelle et à l’impôt sur les sociétés. Les plus-values provenant de la cession de participations dans des sociétés de personnes demeurent soumises à l’impôt sur les sociétés et exonérées de la taxe professionnelle. Les plus-values réalisées par des sociétés de capitaux allemandes à raison de la cession de participations détenues dans d’autres sociétés de capitaux (allemandes ou non allemandes) seront, à partir de 2002, totalement exonérées. La loi étend ainsi l’exonération aux plus-values résultant des cessions de participations dans des sociétés de capitaux non allemandes sans aucune condition de détention minimale. En revanche, l’exonération est soumise à la condition que ces titres aient été détenus sans discontinuité depuis au moins un an à la date de leur cession. Corrélativement, les moins-values réalisées en cas de cession dans ce délai d’un an sont compensables avec des plus-values réalisées sur d’autres opérations.

III – Autres mesures visant les entreprises Mesures d’allègement : la réforme prévoit la baisse et l’unification des taux d’impôt sur les sociétés : le taux de 40 % (bénéfices non distribués) et de 30 % (bénéfices distribués) sont remplacés par un taux unique de 25 %. Cette baisse correspond à un coût de 16 Md DM, soit 8,3 MdEuro. La réforme crée également une option permettant aux entrepreneurs individuels et aux sociétés de personnes d’être imposés au taux de l’impôt sur les sociétés (25 %) Mesures de rendement : il s’agit essentiellement de mesures durcissant les règles d’amortissement dégressif des actifs mobiliers et linéaire des actifs immobiliers, ainsi que la suppression de biens d’équipement des PME et de la provision pour investissements pour le démarrage des PME.

1 – Mettre à niveau l’impôt sur les sociétés Le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) détermine le niveau de la ponction exercée

par les pouvoirs publics sur le résultat généré par l’entreprise. Un taux trop élevé d’imposition sur les bénéfices des sociétés pénalise les entreprises installées en France par rapport aux entités étrangères dans la compétition internationale : il réduit les moyens disponibles pour financer la croissance de l'entreprise et assurer sa compétitivité. Par contrecoup, son niveau constitue un critère d'appréciation fondamental pour les investisseurs internationaux, attentifs à maximiser la rentabilité nette de leurs investissements.

La deuxième moitié des années 1990 a été marquée par une dégradation de la

position française en matière d’impôt sur les sociétés : instauration en 1995 de la contribution additionnelle de 10% et en 1997 de la contribution temporaire de 15 %, portant le taux de l'IS français à 41,66 % entre 1997 et 1999, avant une baisse liée à la suppression au 1er janvier 2000 de la contribution temporaire et à la fin progressive de la contribution exceptionnelle de 10%, effective en 2003. Il convient toutefois de préciser que la mise en place de la contribution sociale pour les bénéfices (CSB) et certaines mesures techniques (réduction de l’avoir fiscal, restriction du périmètre du régime des sociétés mères) sont venues contrebalancer ce mouvement d’allègement.

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Surtout, les évolutions enregistrées chez nos partenaires européens depuis quelques années rendent bien timide l’effort ainsi consenti. L'écart de compétitivité avec nos concurrents européens s'est accru. Ainsi, comme le montre l’étude reprise dans l’encadré n° 15, le taux effectif d’imposition est de 30 % en France, contre 25 % en Allemagne ou encore 21 % au Royaume-Uni, la moyenne européenne s’établissant à 18 %. Le taux effectif marginal d’imposition nous place en dernière position des quinze pays de l’Union européenne.

Encadré N° 15 : étude du cabinet Baker & McKenzie sur le taux effectif d'imposition

des entreprises

Pays Taux effectif marginal 2001 Rang Taux effectif marginal 1998 Rang Grèce 6,76 % 1 9,37 % 1 Irlande 9,43 % 2 20,59 % 11 Italie 13,74 % 3 13,74 % 2 Suède 15,73 % 4 15,73 % 3 Finlande 18,09 % 5 16,72 % 4 Portugal 18,15 % 6 19,15 % 8 Autriche 18,25 % 7 24,09 % 13 Espagne 18,30 % 8 18,30 % 5 Danemark 18,81 % 9 20,33 % 9 Belgique 18,89 % 10 18,89 % 6 Luxembourg 18,98 % 11 18,98 % 7 Pays-Bas 20,67 % 12 20,67 % 12 Grande-Bretagne 20,83 % 13 20,56 % 10 Allemagne 25,20 % 14 28,81 % 14 France 30,11 % 15 32,83 % 15 Moyenne Europe 18,13 % 19,91 %

Le taux effectif d’imposition est déterminé de la manière suivante : il s’agit de l’ensemble des impositions qui pèsent sur une entreprise industrielle, constituée sous forme de société, qui réalise un investissement nouveau additionnel. Le retour sur investissement avant impôt de cet investissement est fixé à 10 %. Le taux marginal est calculé au niveau national seulement, abstraction faite d’opérations transfrontalières. Les impôts les plus significatifs ont été pris en compte :

- impôt sur les sociétés ; - taxes additionnelles à l’impôt sur les sociétés ; - autres taxes sur les profits (par exemple la taxe professionnelle allemande) ; - taxes non basées sur les profits telles que la taxe professionnelle et les taxes sur les salaires françaises.

C’est pourquoi, la mise à niveau du taux de l’impôt sur les sociétés dans les

prochaines années doit être envisagée. A défaut d’amorcer de manière crédible une telle diminution, la France partirait avec un handicap certain pour le maintien des activités économiques et notamment des sièges sociaux dans une Europe ouverte.

2 - Réformer le régime fiscal des distributions

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Il faudra pour la France procéder à une réforme de fond du régime fiscal des

distributions, afin de s’adapter aux évolutions intervenues depuis les années 1960. L’enjeu est de taille. En effet, le développement international des entreprises françaises conduit à ce qu’une part significative du capital soit détenu par des actionnaires non-résidents. Si le coût fiscal de la distribution de dividendes depuis le site France est plus élevé qu’ailleurs, les branches de l’alternative sont les suivantes : ou bien les entreprises françaises seront contraintes de fournir des efforts plus importants que leurs concurrents étrangers pour assurer le même taux de rendement après impôt – ce qui se paiera en restructurations et en emplois supprimés –, ou bien elles délocaliseront leurs activités et notamment leur siège dans des pays où la fiscalité des distributions est plus acceptable.

En l’état actuel des choses, le régime fiscal français applicable aux distributions

présente en effet plusieurs défauts qu’il faut impérativement chercher à corriger, résumés dans l’encadré suivant.

Encadré N° 16 : les handicaps du régime fiscal des distributions en France ! Le régime ne favorise pas la constitution de fonds propres

La fiscalité des actions est en effet particulièrement lourde en France, que ce soit pour l’entreprise distributrice ou pour l’actionnaire. Le coût fiscal total de la distribution de dividendes génère une distorsion entre les divers modes de financement des entreprises : développement des fonds propres (augmentation de capital, mise en réserve des bénéfices) ou endettement. En effet, le financement par emprunt bénéficie de la déductibilité des intérêts versés au regard de l’IS et d’une imposition des produits perçus par les prêteurs personnes physiques au taux maximum de 25%.

" La combinaison de l’internationalisation des entreprises françaises et de leurs actionnaires impose une charge de plus en plus lourde aux entreprises et à l’Etat au bénéfice des seuls actionnaires non-résidents

Dans le système français, le précompte est censé représenter l’impôt sur les sociétés payé sur les bénéfices

réalisés à l’étranger, et permet ainsi aux bénéfices réalisés à l’étranger par des entreprises françaises d’emporter un droit à avoir fiscal lorsqu’ils sont redistribués.

Le mécanisme était purement théorique lorsque – comme en 1965, date de sa création – les groupes français

étaient peu internationalisés. Ce n’est, de loin, plus le cas : le précompte versé est passé de 2,8 MdF en 1996 à 8,5 MdF attendus pour 2001 (+200%), alors que le coût de l’avoir fiscal a progressé de moins de 50% sur la même période. De ce fait, le précompte s’est mué en un véritable « supplément à l’impôt sur les sociétés » mis à la charge des groupes français.

Dans le même temps, les non-résidents ont accru leur poids dans le capital des entreprises françaises, pour

atteindre environ 37% de la capitalisation boursière des entreprises cotées. En vertu des conventions fiscales signées, la France est amenée à verser à ces non-résidents l’avoir fiscal attaché aux dividendes d’actions françaises ou à leur rembourser le précompte correspondant, pour un montant évalué à 6,5 MdF en 2001 (soit 80% du précompte perçu dans l’année).

Dernier élément critiquable : la mécanique est si complexe que sa gestion est extrêmement lourde tant pour

l’administration fiscale que pour les entreprises françaises. Il semblerait – selon les directeurs fiscaux de grands groupes interrogés – que les vérificateurs aient dans la pratique renoncé à exercer un contrôle autre que formel sur le montant du précompte. Le faible nombre de redressements sur ce point donne une certaine crédibilité à cette affirmation.

" L’imposition des dividendes s’est sensiblement alourdie depuis 1995 tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques

La fiscalité des dividendes versés aux personnes physiques a été alourdie par l’assujettissement aux

prélèvements sociaux : CRDS au taux de 0,5 %, CSG au taux de 7,5 %, prélèvement social de 2 %, soit un total de 10 % dont 5,1% seulement déductibles l’année suivante.

La fiscalité des dividendes versés aux personnes morales a subi le contrecoup de la réduction continue du

taux de l'avoir fiscal depuis 1999 et de la dégradation du régime mère-fille. La logique du dispositif d'origine (l’attribution d’un avoir fiscal égal à 50 % du dividende pour tous les actionnaires et, en cas de distribution de résultats n'ayant pas subi l'IS français au taux normal, le paiement d'un précompte mobilier ou d'un complément d'IS) subit désormais de nombreuses exceptions. Ainsi en est-il de la réduction de 50 à 15 % du taux de l'avoir fiscal rapporté au dividende attribué aux entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés et exclues du régime mère fille (Exemple : participations inférieures à 5 % mais dont le prix de revient est supérieur à 150 MF). La neutralité fiscale qui a brièvement prévalu entre 1993 et 1995 a donc disparu.

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" L’évolution internationale récente fait ressortir les handicaps français

# Allemagne : suppression de l'avoir fiscal remplacé par un abattement de moitié sur le dividende reçu par

les particuliers soumis à l'IR. Les actionnaires personnes morales bénéficient pour leur part d’une exonération des dividendes et des plus-values quelle que soit l’importance de leur participation à compter de 2002. Le coût de 100 F de dividende net d’impôt perçus par un actionnaire personne physique est ainsi de 152 F pour une société allemande et de 286 F pour une société française.

# Royaume-Uni : suppression en 1999 de l’ACT (« advance corporate tax »), équivalent du précompte, et

abaissement corrélatif de l’avoir fiscal. Désormais, les distributions de dividendes de sociétés britanniques versés à des résidents sont exonérées d’ACT et donnent lieu à l'attribution d'un crédit d'impôt de 11% du montant net de la distribution. Ce crédit d'impôt n'est plus imputable sur l'impôt dû.

" Le régime fiscal français est menacé par l’évolution du droit communautaire

Par un arrêt du 20 juin 2000, la Cour de Justice des Communautés Européennes a invalidé le dispositif hollandais visant à éviter la double imposition des résultats des sociétés résidentes et à favoriser le placement en actions des mêmes sociétés. Selon la Cour, il s’agit d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux. Si, techniquement, le mécanisme invalidé par la CJCE n’est pas exactement comparable à l’avoir fiscal français, son objectif est en tout point le même. Il convient de tenir compte de cette jurisprudence.

L’ensemble de ces distorsions dépourvues de logique économique est de ce

fait susceptible de pénaliser l’investissement et la croissance ; une réforme d’ensemble apparaît donc nécessaire. Compte tenu de l’importance et de la technicité de la matière, le présent rapport se bornera à esquisser les termes du débat, en présentant une alternative : réformes hybrides a minima ou refonte complète du système111.

Trois solutions hybrides fondées sur la suppression du précompte Trois solutions permettraient d’améliorer à la marge le dispositif sans

bouleverser son économie : - suppression du précompte avec maintien d’un avoir fiscal de 50 % pour les

seuls particuliers - attribution aux résultats étrangers redistribués ayant supporté l’IS d’un

crédit d’impôt forfaitaire imputable sur le précompte exigible lors de la distribution avec maintien d’un avoir fiscal de 50% pour les seuls particuliers

- suppression de l’exigibilité du précompte sur la redistribution de bénéfices étrangers, en créant ainsi un avoir fiscal dont le taux ne serait pas uniforme.

Ces solutions ont en commun de ne permettre aucun abaissement sensible

du niveau d’imposition de l’actionnaire personne physique ou morale (hors régime des sociétés-mères).

Par ailleurs, ces solutions ne permettraient pas de rendre le régime français compatible avec les principes communautaires dans la mesure où seules les distributions de dividendes par des sociétés françaises continueraient à bénéficier d’un avoir fiscal. En outre, la troisième variante (suppression de l’exigibilité du précompte sur la redistribution de produits étrangers) implique de continuer à reverser l’avoir fiscal aux actionnaires non-résidents. A l’inverse, supprimer l'avoir fiscal pour les personnes morales et en réserver le remboursement aux seules personnes physiques règlerait l'essentiel du coût budgétaire du remboursement aux non-résidents.

111 Voir notamment pour plus de détails la note de l’ANSA (Association Nationale des Sociétés par Actions) intitulée « Avoir fiscal et précompte : propositions de réforme de l'ANSA » (février 2001).

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Une solution globale Il s’agirait d’une réforme d’ensemble, sur le modèle de celle réalisée par le

gouvernement Schröder : - suppression du précompte, source au moins partielle de double

imposition - adaptation du niveau d’imposition de l’actionnaire français pour tenir

compte de la distribution de résultats n’ayant pas supporté l’impôt, en remplaçant l’avoir fiscal (logique d’imputation de l’impôt payé en amont par la société distributrice) par un mécanisme d’exonération – partielle ou totale – du dividende entre les mains de l’actionnaire, suivant des modalités différentes selon qu’il s’agit d’un particulier (abattement de 50% combiné avec un mécanisme de crédit d’impôt pour prendre en compte les situations des plus faibles revenus) ou d’une société (exonération pour toutes les participations détenues depuis un an au moins).

En tout état de cause, il importe qu’une réflexion s’engage pour mettre en

place une réforme dans les meilleurs délais, avec trois axes à concilier : - supprimer le précompte, source de double imposition sur une part

croissante des résultats des entreprises françaises - prendre en compte les personnes physiques à faibles revenus ou plaçant

leur épargne dans un PEA ou un PEE au travers d’un mécanisme de crédit d’impôt recentré sur les actionnaires personnes physiques résidant en France, dans le respect de la progressivité du barème

- assurer la simplicité et la lisibilité de la réforme pour les actionnaires personnes physiques comme pour les entreprises.

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3 – S’interroger sur le maintien de l’imposition des plus-values sur titres de

participation En France, actuellement le régime des plus-values de cession des titres de

participation s’applique aux titres considérés comme faisant partie de l’actif immobilisé, c’est-à-dire détenus en portefeuille depuis plus de deux ans ou donnant droit au régime mère-fille (i.e. participation supérieure à 5%). Les titres de participation ouvrent droit au régime des plus-values nettes à long terme et sont soumis dans ce cas au taux de 19 %.

L’accélération des mouvements de restructurations en France et en Europe,

et notamment la multiplication des fusions transfrontalières, pose la question du maintien de cette imposition, qui devient un handicap important pour retenir en France les sièges et les opérations financières des nouvelles entreprises ainsi constituées.

Dans la mesure où les profits qui ont permis de générer ces plus-values ont

été imposés au fur et à mesure de leur réalisation, de nombreux Etats ont ainsi décidé de ne pas les imposer, évitant une double imposition préjudiciable à leurs entreprises.

La France est en effet désormais l’un des rares pays européens à taxer les

plus-values sur titres de participations. Si sept membres de l’Union européenne sur quinze taxent les plus-values de cession de participations, certains de ces pays parmi les plus importants (Royaume-Uni et Italie) envisagent d’introduire dès la prochaine loi de finances cette exonération. La réforme allemande semble avoir sur ce point enclenché un mouvement irréversible, tout en donnant au capitalisme allemand, assis sur les participations colossales détenues par Allianz ou la Deutsche Bank, les moyens d’un renouveau.

Compte tenu du coût budgétaire d’une telle mesure (8 MdF, soit 1,2

MdEuro), la suppression de la taxation des plus-values sur titres de participation ne peut constituer qu’un objectif de moyen terme. Elle devra en tout état de cause aller de pair avec le maintien d’un seuil de détention pour l’obtention de l’exonération (sans doute 5 %, comme pour l’accès au régime des sociétés mères), mais bannir en revanche toute obligation de réinvestissement, toujours difficile à suivre à la fois pour les entreprises et pour l’administration fiscale. Il conviendra en revanche de s’interroger sur le maintien de la déduction des moins-values de cession et de la totalité des intérêts d’emprunt.

4 - Porter à son terme la réforme de la taxe professionnelle La réforme en cours, par la suppression progressive à compter de 1999 de la

part des salaires dans la base imposable, constitue incontestablement un pas dans la bonne direction, favorable à l’attractivité du territoire et à l’emploi.

Cette taxe conserve malgré tout certaines caractéristiques qui la rendent

anti-économique. Elle pénalise en effet les investissements, sans considération de leur rentabilité économique réelle. Elle frappe l’ensemble des entreprises, y compris les entreprises déficitaires. De manière tout à fait concrète, elle pose problème dans les études comparatives entre les différentes localisations : incapables de classifier cet impôt sans lien avec l’activité réelle ou la rentabilité de l’entreprise, les conseils en

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localisation l’inscrivent dans le coût du travail, contribuant ainsi à dégrader le classement de la France en matière de coût du travail.

Cet impôt est donc très pénalisant pour l’implantation de sociétés à forte

intensité capitalistique (et donc généralement d’emplois qualifiés). Une réforme globale visant à sa suppression, ou à son remplacement par un impôt dont l’assiette ne serait pas à ce point anti-économique, ne pourrait qu’aider à l’attractivité du site France.

I.2. Promouvoir la place financière de Paris au service de l’économie française I.2.1. La place financière de Paris, un atout pour la France a) La place financière de Paris, vecteur de financement de l’économie L’existence d’une place financière domestique puissante est indispensable à

notre indépendance financière et à la santé économique des entreprises résidant sur notre sol. La proximité physique, mais aussi culturelle, est un élément clé de la relation entre les entreprises et la communauté financière : l’ensemble des entreprises – et pas seulement les établissements financiers – marquent de ce fait leur attachement à l’existence et au rayonnement international de la place de Paris.

La place financière de Paris, c’est d’abord en effet un vecteur de

financement de l’économie : les ressources canalisées par les marchés financiers parisiens en direction des entreprises françaises, sous forme de nouvelles émissions de titres, atteignent pour la seule année 1999 plus de 75 Mds €, alors que les crédits apportés par les banques ne dépassent pas 25 Mds €.

Mais la place financière de Paris, c’est aussi un pôle d’entreprises et

d’institutions financières, générateur d’activités à forte valeur ajoutée, d’emplois très qualifiés, de consommateurs et de contribuables à fort pouvoir d’achat. La place financière de Paris est le pivot du développement de l’industrie financière dans son ensemble, industrie qui emploie 660 000 personnes (3,7 % de la population active) génère 4,8 % de la valeur ajoutée (soit davantage que le BTP ou les transports) et représente 30 % des exportations de service. Localisée essentiellement en Ile-de-France, elle est l’un des facteurs essentiels de la prospérité de la région-capitale : le secteur financier compte pour 12 % du PIB régional et 6,4 % de l’emploi total, soit 267 000 personnes, sans compter les emplois indirects.

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0,0% 0,5% 1,0% 1,5% 2,0% 2,5% 3,0% 3,5% 4,0%

Activités informatiques

Industrie automobile

Activités immobilières

Industrie alimentaire

Activités financières

Poids du secteur financier dans l'emploi national

b) Un risque d’affaiblissement non négligeable La bourse de Paris est la première du continent européen ; elle a vu son

poids considérablement renforcé par la création d’Euronext (société comprenant les bourses de Paris, Amsterdam et Bruxelles), qui représente désormais une capitalisation boursière de 2600 Mds € (mai 2000) soit 90 % du poids de Londres et 160 % de celui de Francfort.

0

500

1 000

1 500

2 000

2 500

3 000

Londres Euronext Francfort Milan Madrid

Principaux marchés boursiers en Europe

Source : FIBV. MdEuro, fin mai 2000 Mais cette dynamique est fragile dans un environnement de plus en plus

concurrentiel, où les positions acquises peuvent être remises en cause à tout instant, comme le montre l’exemple du Matif : longtemps premier marché à terme d’Europe, il s’est vu supplanter par Francfort (Eurex) comme le marché à terme de référence pour les obligations libellées en euro, et peine à exister face à ce concurrent puissant.

C’est pourquoi l’on ne peut écarter avec certitude un scénario noir, celui du

dépérissement et de la marginalisation de la place financière de Paris. Le cabinet Mac

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Kinsey en a décrit les mécanismes, dans un audit mené à la demande de Paris Europlace :

- les intermédiaires domestiques perdent leur fonction commerciale vis-à vis

de leurs clients entreprises ; ils accentuent leur délocalisation à Londres, les entreprises et les investisseurs allant chercher un meilleur service à Londres

- l’industrie de la gestion d’actifs ne parvient pas à investir suffisamment pour développer ou maintenir une expertise reconnue ce qui accélère la pénétration des acteurs étrangers et l’effondrement des marges

- lors des grandes restructurations industrielles, les centres de décisions de grandes entreprises préfèrent quitter Paris pour une place plus neutre ou plus dynamique.

On observera que ce scénario catastrophe n’aurait pas forcément un coût

direct en emplois très élevés112 : quelques centaines de golden boys dans les salles de marché ou les banques d’affaires. La plupart des emplois de l’industrie financière – services de proximité en agences – sont en revanche peu délocalisables. Certes, mais les effets d’entraînement – auprès des services administratifs (« back office ») et des directions financières des grands émetteurs notamment – seraient notables. Et perdre le moteur de la place et ses activités à plus forte valeur ajoutée ne pourrait de toute façon, à plus ou moins brève échéance, que fragiliser le reste.

Or le scénario noir tracé par MacKinsey n’est pas une simple vue de l’esprit.

Il serait d’actualité si la place financière de Paris se laissait distancer par Londres et concédait à Francfort le rang de première place de la zone euro, ramenant la Bourse de Paris au statut de simple place régionale. Les handicaps de Paris sont en effet nombreux : relative faiblesse des investisseurs domestiques en actions, encore soulignée par la perspective de la mise en place de fonds de pension en Allemagne ; manque d’internationalisation des acteurs domestiques ; différentiel de coût par rapport aux autres places européennes jusqu’à ces derniers temps, manque de dynamisme et d’esprit collectif de la place de Paris. Mais les acquis et les atouts restent considérables.

I.2.2. L’avenir de la place financière de Paris : une stratégie concertée Il ne s’agit pas de défendre la place de Paris pour gratifier quelques traders.

La place de Paris est un atout majeur pour l’économie, pour l’emploi et même pour l’indépendance nationale. Cela nécessite, de la part des pouvoirs publics à l’échelle locale et nationale davantage d’intérêt pour ce débat. A l’heure actuelle, certains acteurs de la place financière de Paris ont l’impression d’être livrés à eux-mêmes, face à des concurrents britanniques ou allemands qui peuvent compter sur un soutien inconditionnel de leurs pouvoirs publics. La France leur paraît périodiquement saisie

112 Il n’en serait pas de même pour les recettes fiscales : outre les pertes d’imposition sur le revenu des personnes physiques, la délocalisation du personnel des salles de marché entraînera des conséquences en matière d’impôt sur les sociétés. En effet, conformément aux principes de répartition des profits posés par l’OCDE, chaque Etat est en droit d’imposer les profits réalisés à partir de son territoire. Concernant les activités intégrées, d’instruments financiers gérée en continue par plusieurs places financières, la principale méthodologie consiste en une répartition du résultat net (« profit split ») selon des clés objectives : la localisation de la majeure partie des responsables d’activités à Londres entraîne un déplacement de l’impôt direct vers l’étranger. Les activités à faible valeur ajoutée, activités administratives par exemple, resteront en France et seront rémunérées faiblement selon une base coût + marge..

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d’accès de fièvre, révélateurs d’une réticence à reconnaître l’utilité d’une place boursière et d’une industrie financière. Cette impression est subjective, car elle méconnaît l’impulsion donnée dès les années 1980 par les pouvoirs publics à la modernisation de la place de Paris ainsi que les résultats remarquables qu’elle a enregistrés.

Les acteurs de la place de Paris ont récemment cherché à mobiliser les

énergies autour d’un intérêt commun dans un domaine où l’action collective est pour le moins inhabituelle. Cet effort trouvera sa concrétisation dans un ensemble ambitieux de réformes structurelles, retracées dans l’encadré ci-dessous. Mais la place de Paris ne peut tout faire : notamment, ses efforts seraient de moindre portée si le régime fiscal, qui pénalise Paris par rapport à ses concurrents européens, n’évoluait pas. A cet égard, un nouvel effort des pouvoirs publics semble nécessaire ; un tel signe est fortement attendu par les acteurs de la place financière, qui y verraient une marque de la détermination des pouvoirs publics à défendre la place financière de Paris. Encore convient-il que cet effort s’inscrive dans un projet qui identifie clairement les engagements de chaque partie.

Encadré N° 17 : Les programmes d’actions prioritaires (PA) de la place financière de

PARIS

PA n° 1 Création de hubs Favoriser la création de hubs sur des pôles identifiés (analyse financière, produits dérivés actions, risque et Nouvelle économie, développement de la formation informatique) PA n° 2 attirer et développer les start-ups (attractivité de la nouvelle économie)

PA n° 3 : Paris pôle de gestion européenne Développer la pédagogie sur les produits d’épargne, améliorer l’organisation industrielle du métier de la gestion

PA n° 4 : Renforcer la position de Paris en tant que place financière électronique Favoriser le développement des accès à haut débit et réduire les coûts d’accès Télécom et le développement du e-banking

PA n° 5 : Tirer le meilleur parti d’Euronext Promouvoir Euronext auprès des investisseurs et des émetteurs internationaux

PA n° 6 : Adapter les structures de formation en finance

PA n° 7 : Optimiser l’environnement réglementaire et fiscal de Paris

PA n° 8 : Lancer un portail de place

PA n° 9 : Elargir la stratégie de communication de la Place A cette fin, plusieurs mesures seraient de nature à optimiser

l’environnement fiscal de la place de Paris par rapport à ses concurrentes. Leur mise en œuvre apporterait, bien au-delà de leur seul impact financier, un message à l’ensemble des acteurs internationaux sur la volonté et la capacité de la France à défendre sa place financière. A cet égard, trois réflexions méritent de nourrir le débat : la réforme de la taxe sur les salaires, celle de la contribution sur les institutions financières et celle du régime fiscal des SICAV et FCP au regard de la TVA.

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a) Supprimer le taux marginal de la taxe sur les salaires ? La taxe sur les salaires, dont le mécanisme est décrit plus bas dans l’encadré

N° 18, constitue en l’état actuel des choses un handicap pour la compétitivité des banques et sociétés d’assurance françaises par rapport à leurs concurrentes européennes. Elle les place devant un choix dont la place de Paris ne peut sortir gagnante : accepter de croître moins que leurs concurrents européens, et donc de créer moins d’emplois… ou se battre à armes égales avec eux, mais en délocalisant des emplois hors de France.

Encadré N° 18 : La taxe sur les salaires

La taxe sur les salaires est due par les employeurs qui ne sont pas assujettis à la TVA ou qui ne l’ont pas été sur 90% au moins de leur chiffre d’affaires au titre de l’année civile précédant celle du paiement des rémunérations. Sont en outre exonérés de taxe sur les salaires (sauf exceptions) les employeurs agricoles, l’Etat et les collectivités locales. La base taxable est le montant brut des rémunérations versées dans l’année. Le taux normal est de 4,25%. Des taux majorés existent pour la fraction des rémunérations individuelles dépassant 41 780 F (8,5%) puis la fraction dépassant 83 480 F (13,6%). La taxe sur les salaires rapporte 50 MdF. Les secteurs d’activités concernés par la taxe sur les salaires sont essentiellement :

- le secteur à but non lucratif et notamment les organismes de Sécurité Sociale, les organismes de retraite et de prévoyance, les associations

- le secteur de la santé (hôpitaux, cliniques, laboratoires, professions médicales et paramédicales) - le secteur de l’enseignement privé - les banques et les sociétés d’assurance.

En effet, la taxe sur les salaires versés dans le secteur financier constitue une

exception française. Conçue comme un substitut à la TVA dans les secteurs qui n’y sont pas soumis, elle s’applique en effet au secteur financier français, les opérations bancaires et financières étant exonérées de TVA à l’échelle de l’Union européenne. Nos concurrents n’ont pas de taxe similaire ; en résulte une pénalisation de notre industrie financière, d’autant plus lourde que les droits à récupération de TVA ne sont pas élargis en contrepartie.

De fait, la taxe sur les salaires s’apparente à une véritable taxe sur

l’emploi. Elle représente 7,7 % du coût du travail en moyenne dans les secteurs qui y sont soumis. Mais ce pourcentage avoisine 11% pour les banques et les assurances, assujettis au taux marginal compte tenu du niveau plutôt confortable des salaires bruts versés. On mesure donc l’ampleur du handicap par rapport à la concurrence étrangère.

Cela dit, la suppression totale de la taxe n’apparaît pas réaliste : elle

représenterait un effort budgétaire de l’ordre de 50 MdF. A défaut, il peut être envisagé de supprimer simplement le taux supérieur de 13,6% pour la partie de la rémunération excédant 83.480 francs. Seules seraient conservés les deux premiers taux : celui de 4,25% et celui de 8,50%, qui s’appliquerait donc pour toute la fraction de la rémunération annuelle excédant 41 780 F.

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Cette mesure serait ainsi un message fort en direction de la place financière de Paris et allégerait également de manière significative les charges pesant sur les associations, les hôpitaux et tout le secteur médico-social. Selon la direction de la législation fiscale, le coût budgétaire d’une telle mesure se chiffrerait à 14 milliards de francs. Il pourrait être étalé sur cinq ans, soit un coût de 2,8 Mds F par an, plus aisément compatible avec les engagements budgétaires de la France.

b) Supprimer la contribution des institutions financières ? La contribution des institutions financières, dont le mécanisme est décrit

dans l’encadré ci-après, fait figure d’archaïsme et d’anomalie dans le paysage fiscal français.

Encadré N° 19 : La contribution des institutions financières

Cette contribution, instituée en juin 1982, prend la forme d’un prélèvement sur certains frais généraux des banques, sociétés d’assurances et autres établissements financiers. Son assiette est constituée, sous réserve de certains correctifs, par l’ensemble des dépenses et charges comptabilisées au cours de l’année civile précédente au titre des charges de personnel (ce qui représente 60% de la CIF), des travaux, fournitures et services extérieurs, frais de transport et déplacement, frais divers de gestion ainsi que des dotations de l’exercice aux comptes d’amortissement. Son montant est calculé en appliquant un taux de 1% à cette base après abattement de 20.000 francs. La contribution n’est pas déductible du bénéfice imposable. Son produit est d’environ 2 milliards de francs par an.

Plusieurs arguments militent en effet en faveur de sa disparition : - bien que prévue pour être provisoire et exceptionnelle à sa création par la

loi du 28 juin 1982 (article 4), cette taxe a été pérennisée par la loi de finances pour 1985

- elle était l’équivalent pour le secteur financier de la taxe sur les frais

généraux des entreprises, qui a disparu depuis 1987. Elle constitue donc une survivance spécifique à l’industrie financière

- c’est aujourd’hui l’une des très rares taxes non déductibles du résultat

subsistant dans le paysage fiscal - elle frappe les institutions financières, qui seront, compte tenu de

l’importance de leur réseau d’agences, les premières touchées par le triplement du taux de la cotisation minimale de la taxe professionnelle prévu par la loi de finances pour 1999 pour financer la suppression progressive de la part salariale de l’assiette de la taxe professionnelle

- enfin, elle touche un secteur économique qui supportera un coût spécifique

non négligeable à l’occasion du passage à l’Euro.

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Deux scénarii sont envisageables : 1 - supprimer cette contribution purement et simplement, éventuellement en

étalant la mesure sur trois ans, moyennant un coût budgétaire de 700 MF par an 2 - à défaut, rendre la CIF déductible, comme tous les impôts autres que

ceux touchant le bénéfice. Une telle mesure aurait un coût limité à un milliard de francs, mais devrait être supporté en totalité sur une année et aurait l’inconvénient de pérenniser un peu plus une taxe qui ajoute un élément de complexité au système fiscal français.

c) Harmoniser les régimes de TVA entre les SICAV et les FCP ? Au 31/12/1999, la France était le deuxième pays au monde derrière les

Etats-Unis en terme d’actifs gérés sous forme d’OPCVM (organismes de placement collectif de valeurs mobilières). Elle devait cette place, détenue depuis 1990, à de multiples facteurs : la préférence des Français pour la gestion collective et le faible développement de l’actionnariat individuel, la capacité d’innovation des professionnels français mais aussi les mesures d’incitation prises par le gouvernement au milieu des années 1980.

Toutefois, la France a perdu en 2000 son rang de leader européen pour les

OPCVM et se situe désormais tous produits confondus au troisième rang mondial, après les Etats-Unis (57,7 %), le Luxembourg (6,8 %), avec 6,5 % du marché seulement. Elle est désormais talonnée par l’Allemagne (6,3 % du marché).

Ce recul est pour une large part lié à un environnement fiscal qui place la

France dans une position difficile. Les deux sortes d’OPCVM français – les FCP (fonds communs de placement) et les SICAV (sociétés d’investissement collectif à capital variable), soumis à des obligations réglementaires sensiblement différentes113 – sont confrontés à deux régimes différents en matière de TVA : l’activité de gestion des FCP est exonérée de TVA sauf exercice d’une option par le prestataire, alors que l’activité de gestion de SICAV est de plein droit soumise à la TVA.

Cette distorsion fiscale a pour origine la transposition en 1995 de la

directive européenne, où le terme « fonds d’investissement » a été interprété de manière restrictive par le législateur français, au bénéfice des seuls FCP. Elle entraîne une majoration de 19,6 % du coût de la gestion des SICAV pour les sociétés françaises par rapport à celui des organismes concurrents étrangers. Cette distorsion, qu’on ne retrouve nulle part en Europe sauf en Finlande, a eu pour conséquence un faible développement du marché des SICAV au profit des FCP :

Année SICAV FCP MdF Taux croiss Part de marché MdF Taux croiss Part de marché 1993 306,7 / 71 % 128,7 / 29 % 1995 244,4 - 20,3 % 63 % 145 + 12,6 % 37 %

113 La valeur liquidative de la part de FCP est en général plus élevée que pour une SICAV, et le nombre d'investisseurs plus réduit.

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1997 246,7 + 0,9 % 54 % 207,8 + 43,3 % 46 % 1999 319,2 + 29,4 % 49 % 332,5 + 60,0 % 51 % 2000 335 + 5,0 % 44 % 431,1 + 29,7 % 56 % 1993/2000 / + 9,2 % - 27 points / + 335 % + 27 points Source AFG/ASFFI

Cette différence, également génératrice de certaines lourdeurs dans la mise

en place des structures, n’a aucun fondement économique puisque les caractéristiques des deux produits sont quasiment identiques. Il est donc proposé d’aligner le régime de TVA applicable à l’activité de gestion de SICAV sur celui actuellement existant pour les FCP, c’est-à-dire l’exonération de principe, sauf option révocable du prestataire.

Pour conclure, il importe que ces dispositions qui interviennent après

l’octroi d’assouplissements techniques demandés sur les nouveaux instruments financiers pour préserver la place financière de Paris contre sa délocalisation à Londres ne soient pas accordées sans garantie. En contrepartie, la place financière de Paris pourrait s’engager à prendre des mesures importantes en faveur de la formation des personnels ou de la pérennité des implantations en France. La compétitivité de la place résultera en effet de l’action conjuguée des acteurs eux-mêmes, mobilisés au sein de Paris Europlace, et des pouvoirs publics. Elle ne saurait se résumer à de simples mesures fiscales, intervenant de façon défensive et non comme nous devons nous y astreindre, de façon offensive.

II. Agir contre la délocalisation des entrepreneurs et des experts « Il faut être conscient qu’avec un marché commun des capitaux et une

monnaie unique, le rôle joué par la fiscalité, dans la zone euro, pour attirer et maintenir les capitaux va devenir déterminant. La pression en faveur d’un rapprochement des fiscalités va donc s’accentuer. Or, cette pression sera d’autant plus efficace, que sera grande la possibilité de transférer facilement la base d’imposition d’un pays à l’autre. Il ne sert à rien de nier que cet élément joue en faveur d’une baisse de l’imposition de l’épargne et du patrimoine… »114.

Ces constats extraits d’un rapport récent de l’Assemblée nationale

conservent toute leur pertinence. On peut débattre sans fin sur l’ampleur réelle du phénomène de délocalisation des personnes physiques et des patrimoines : au sein d’une union où la libre circulation des hommes et des capitaux est la règle, toute tentative de mesurer les flux est extrêmement difficile. Quoi qu’il en soit, l’impact – en termes de recettes fiscales, d’emplois hautement qualifiés, de transfert à l’étranger des centres de décision – des différences d’attractivité est indéniable : à défaut de statistiques précises, les exemples sont nombreux.

Il n’est pas indifférent que, pour des raisons tenant essentiellement à la

fiscalité du patrimoine, le n°1 mondial du travail temporaire ait désormais son siège en

114 « Fiscalité du patrimoine : pour plus de justice et d’efficacité » - Didier Migaud , rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale.

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Suisse et que son actionnaire de référence soit un Français… installé à Londres. Il n’est pas indifférent que les salles de marché londoniennes soient peuplées d’opérateurs français, venus chercher des opportunités professionnelles et un statut fiscal plus favorable. Il n’est pas indifférent qu’un groupe comme Aventis s’interroge sur le maintien en France de ses centres de recherche anticancéreux, parce qu’il est en difficulté pour offrir à des chercheurs étrangers de très haut vol un « package » financier attractif, compte tenu de la fiscalité française des revenus. Sur ce dernier point, celui de la recherche, Pierre Mendès-France déclarait dans son discours d’investiture en 1953 : « la République a besoin de savants : leurs découvertes, le rayonnement qui s’y attache et leurs applications contribuent à la grandeur d’un pays »115. Cette phrase n’a rien perdu de son actualité. Bien au contraire, elle a pris une importance accrue, dans un contexte où l’ancrage national tient à la présence de pôles d’excellence dans la technologie ou la recherche industrielle, et où la recherche d’un effet de place gouverne les choix de localisation des industriels, désireux que leurs chercheurs disposent de l’environnement le plus favorable.

Les choix de localisation ressortent d’une dynamique complexe, et de motifs

multiples : choix d’un statut fiscal plus attrayant certes ; mais aussi d’un environnement intellectuel et professionnel jugé plus stimulant, pour quelques mois, quelques années ou pour toute une carrière ; ou encore choix lié à des motifs purement privés – attaches sentimentales, attrait pour telle ou telle culture, ou tout simplement désir de « voir du pays »…

A titre d’exemple, le départ aux Etats-Unis d’un certain nombre de jeunes

chercheurs français doit davantage à la pyramide des âges de la recherche publique, où les générations de chercheurs issus du « baby boom » tiennent le haut du pavé, et aux lacunes de la gestion des talents, secteur public et privé confondus, qu’à des motifs purement financiers. De plus, un tel choix, s’il contribue à faire de l’expatrié un manager d’envergure, ou un chercheur internationalement reconnu, aura des retombées positives sur le rayonnement de la France – et pourra faire de l’intéressé, dans des cercles influents, un défenseur bien placé des intérêts français. Le thème de l’expatriation des élites, qui alimente tout un discours sur le prétendu déclin français (cf. encadré 20) est souvent employé à mauvais escient.

D’autant qu’on a, dans un passé récent, suffisamment reproché aux Français

– et notamment à nos élites – leur manque d’ouverture internationale pour ne pas leur faire subitement le reproche inverse ! Et les chiffres de l’expatriation font plutôt ressortir que, contrairement aux ressortissants d’autres pays européens ou extra-européens, le Français est assez peu enclin à s’expatrier :

Pays Nbre de ressortissants à l’étranger

Population totale % de ressortissants résidant à l’étranger

France 1 784 000 60 900 000 2,9 % Allemagne 4 000 000 80 000 000 5,0 % Italie 6 500 000 57 400 000 11,3 % Japon 10 000 000 126 100 000 7,9 % Suisse 800 000 6 800 000 12,0 %

115 Cité par Jean-Maurice ESNAULT, Président de Paris Ile-de-France capitale économique lors du forum sur la recherche en Ile-de-France du 28 mai 2001.

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Le vrai risque, ce n’est pas de voir des jeunes Français partir à l’étranger, y acquérir une expérience ou des connaissances supplémentaires. C’est de voir, que faute pour notre pays d’être ouvert et attractif, ils ont envie de « couper les ponts ». Cela peut signifier rester à l’étranger, et ne pas envisager de revenir s’installer en France : c’est le cas de 31% des jeunes diplômés partis à l’étranger, selon une enquête Taylor Nelson/SOFRES Taylor116.. Ce comportement trouve aussi son illustration dans le doublement, depuis 1975, du nombre de demandes de renouvellement de visas permanents déposées par des Français aux Etats-Unis, et par le triplement des demandes de naturalisation.

Surtout, le mouvement des cerveaux et des talents ne doit pas se faire à sens

unique : il est fondamental que les Français expatriés gardent des liens avec l’Hexagone, et puissent le faire bénéficier des compétences, de l’influence, des capacités qu’ils ont pu développer à l’étranger. Il est non moins fondamental que des étrangers aient envie de venir en France, pour quelques années ou pour plus longtemps, afin d’apporter leur contribution à la recherche scientifique, à la création artistique, à l’internationalisation de nos entreprises, etc. Les facteurs d’attractivité – ou de non attractivité – sont nombreux ; l’aspect purement financier, le système fiscal et social, n’en constituent qu’un parmi d’autres. Pour autant, il ne faut pas, par une fiscalité par trop éloignée des standards internationaux, décourager les étrangers susceptibles de venir s’installer chez nous, ou pousser au départ certains Français. Or, on le verra, ce risque existe bel et bien à l’heure actuelle. Il faut tenter d’y remédier : c’est le sens des propositions que nous formulerons par la suite, tant en matière d’imposition sur le revenu que pour ce qui concerne la fiscalité du patrimoine.

116 Enquête Taylor Nelson/SOFRES du 5 au 15 juillet 1999 demandée par la chambre de commerce et d’industrie de la Région Rhône-Alpes concernant le départ pour l’étranger des jeunes diplômés (décembre 1999).

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Encadré N° 20 : Faut il craindre l’expatriation de nos élites ?

L’idée d’un brain drain, c’est-à-dire d’une fuite des cerveaux vers des pôles à l'environnement plus favorable aux innovateurs et aux créateurs de richesses est souvent évoquée avec une dramatisation plus ou moins innocente. Cette inquiétude a un effet positif : elle pousse la France à s'interroger sur les moyens de rendre notre territoire plus attrayant pour les jeunes entrepreneurs ou ingénieurs. Pour autant, elle ne doit pas conduire à engager la lutte contre ce phénomène en cherchant à décourager les Français qui s'expatrient. D’une part, bien qu’il soit à l’évidence très difficile d’évaluer ce phénomène, plusieurs éléments conduisent à relativiser les fantasmes relatifs à « l’exode » de notre jeunesse la plus qualifiée. Un rapport ministériel sur les études doctorales montre ainsi que sur 10 000 chercheurs ayant soutenu leur thèse en 1998, seuls 26 % ont ensuite opté pour un stage post-doctoral, effectué près de deux fois sur trois à l’étranger (essentiellement Europe ou Etats-Unis). Les causes de cette émigration, souvent temporaire, sont multiples : environnement plus propice à la recherche, crédits de recherche plus importants qu’en France, obtention plus rapide de responsabilités, propositions financières plus attrayantes couplées avec un système fiscal plus favorable Mme Danièle OLIVIER, Présidente de ParisTech (Paris Institute of Technology, qui regroupe les grandes écoles d’ingénieurs de Paris plus l’Ecole polytechnique), directrice de l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Paris, estime ainsi que le phénomène d’évasion des jeunes talents ne revêt pas une ampleur massive. A peine de 10% des anciens élèves de son institution sont en poste à l’étranger, dont bon nombre travaillent dans des filiales de groupes français. En ce qui concerne Supélec, on constate certes que, sur les 20% de diplômés étrangers, bon nombre retournent dans leur pays d’origine. De même, les premières embauches à l’étranger connaissent une croissance rapide, leur proportion ayant été multipliée par quatre en quatre ans : 18 % actuellement, dont la moitié par des filiales de groupes français. Et 6 % des étudiants sont embauchés par des entreprises étrangères non installées en France, qui profitent donc du système d’éducation français sans avoir contribué à le financer. Il n’en reste pas moins abusif de dénoncer une fuite des cerveaux : mieux vaudrait parler d'une circulation de cerveaux, susceptible de bénéficier à terme aux intérêts français. Les Français qui reviendront seront mieux armés pour tirer leur épingle du jeu dans une économie globale : ils seront à l’origine de succès industriels, créateurs de richesses et d'emploi en France, à l’image de Business Objects ou Drug Abuse. Ceux qui resteront à l'étranger contribueront, d’une autre manière, au rayonnement de la France. Des pays comme l'Inde, Taiwan ou la Corée montrent déjà tout le bénéfice qu'ils ont tiré de l'exode massif de certains de leurs meilleurs jeunes ingénieurs et scientifiques aux USA, malgré un taux de retour au pays très inférieur à celui des Français. A Taiwan, la prospérité de Hsinchu Park repose sur les 2 500 anciens expatriés (chiffres de 1996) revenus y travailler. Les progrès de la Corée dans la maîtrise de la technologie des mémoires DRAM (Dynamic Random Access Memory) doivent également beaucoup à ses « rapatriés ». Le système mis au point par la Colombie au sein du réseau Caldas (réseau de scientifiques et ingénieurs colombiens expatriés créé au début des années 1990) montre même que l’on peut récupérer la science sans rapatrier les chercheurs. Plutôt que les faire revenir des Etats-Unis ou de l’Europe, l’Etat colombien a mis en place un réseau de communication électronique qui regroupe environ 1000 chercheurs qui peuvent communiquer entre eux et faire profiter leur pays d’origine de leur recherche. Après tout, la France reçoit en retour des post-doctorants étrangers : le continent africain, le Moyen-Orient, et l’Amérique latine sont les plus représentés même si l’Europe n’est pas absente : or, seuls 30 % de cette main-d’œuvre qualifiée retourne ensuite dans leur pays d’origine. En guise de conclusion provisoire, on peut laisser la parole à François Meyer, directeur de la recherche au sein du groupe Aventis : « aujourd’hui, si vous voulez faire carrière dans un groupe international, il est absolument nécessaire d’avoir fait au minimum un parcours à l’étranger. C’est une évolution normale, positive : vous devez être au moins bilingue, avoir approché des cultures différentes, avoir goûté à différentes façons d’opérer. [Dans les discussions sur l’expatriation des élites], il est fait allusion à l’émotion suscitée il y a deux-trois ans par un phénomène auquel on a donné trop d’importance, c’est quand un jeune « start-uper » va aux Etats-Unis parce que les structures et les mécanismes pour réaliser des choses sont plus simples. C’est vrai et cela démontre la nécessité d’accélérer les processus de simplification en France. »

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II.1. La fiscalité des revenus a) Etat des lieux Pour les jeunes cadres, les analystes financiers, les professeurs d’économie,

les spécialistes dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication, les chercheurs…, le choix de travailler à tel ou tel endroit est un arbitrage subtil entre l’intérêt intrinsèque du travail proposé, la réputation d’excellence de l’entreprise, du laboratoire ou de la « place » (Londres ou New York pour la finance, la Silicon Valley pour l’informatique, Milan pour le « design » industriel…) et les conditions financières proposées. Si toutes ces conditions sont réunies, un cercle vertueux, une « spirale de l’attractivité » peut se mettre en place et drainer, à travers le monde, les compétences les plus pointues et les plus recherchées.

A l’heure actuelle, la France ne dispose, sur son territoire, d’aucune

« place » d’envergure réellement mondiale. Elle a pourtant tous les atouts – en termes de qualification des hommes et des femmes, d’existence d’entreprises et d’institutions de recherche reconnues – pour remédier à cette absence. Il faut toutefois qu’elle s’en donne les moyens, notamment en se préoccupant d’attirer sur son territoire innovateurs, créateurs, chercheurs… ou de conserver ceux qu’elle aura formés. La France est dans une position de « challenger » : de Londres voire même de Francfort pour les activités financières en Europe, des Etats-Unis mais aussi de l’Allemagne, du Royaume-Uni ou de la Finlande pour les hautes technologies, de Londres, Bruxelles ou Amsterdam pour les activités tertiaires de haut niveau (quartiers généraux). Elle doit donc adopter une attitude offensive pour parvenir à capter ces emplois hautement qualifiés, fortement mobiles.

Or le système social et fiscal français génère, pour ce type d’emplois, des

surcoûts importants par rapport aux charges supportées à l’étranger. Les études statistiques nous l’indiquent : d’après Paris Europlace, pour obtenir un revenu net après impôt de 900 000 F, l’employeur paiera en France 2,3 fois plus qu’au Royaume-Uni et 1,75 fois plus qu’en Allemagne. Les comparaisons sont très défavorables à la France dès lors qu’on prend en compte à la fois la pression fiscale et le poids de la part salariale des cotisations sociales obligatoires.

Au-delà de ces études, détaillées dans le rapport de Frédéric Lavenir sur

« L’entreprise et l’Hexagone », un constat – plus qualitatif – ressort des entretiens menés : la difficulté éprouvée par des dirigeants à maintenir certaines activités à haute valeur ajoutée en France, parce qu’ils s’estiment incapables, en l’état actuel du système de prélèvements fiscaux et sociaux français, d’offrir le « package » de rémunération propre à convaincre tel chercheur de renommée internationale ou tel banquier d’affaires réputé de venir à Paris plutôt qu’à Londres ou à New York. Ceux-ci sont en effet réticents à payer tout le prix – en termes de cotisations sociales, d’impôts – d’un modèle social français dont ils ne bénéficient guère : en bonne santé, ils ne recourent que très peu au système de santé public ; avec des enfants scolarisés dans un lycée international puis dans des universités étrangères, ils perçoivent peu les avantages du système éducatif français ; au bout de quelques années, ils quitteront la France et n’auront pas davantage vocation à bénéficier de son système de retraite et de couverture des personnes âgées.

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b) Mettre en place un régime spécifique « impatriés » pour garantir l’attractivité de

la France vis-à-vis d’une population qui ne bénéficie pas de son modèle social En conséquence, la mission recommande l’étude de la mise en place d’un

régime fiscal spécifique pour les impatriés, s’inspirant d’un double soucis de maintien de l’attractivité du site France et d’équité vis-à-vis d’une population qui supporte des charges plus lourdes, liées à l’expatriation temporaire, et bénéficie peu du système social et des services publics que leurs contributions aident à financer.

Une telle mesure pour apparaître justifiée au regard d’un contexte

international qui voit ce type de régimes spécifiques se multiplier, à tel point que neuf des quinze pays de l’Union européenne en sont désormais dotés (cf. encadré n° 23). Les objections avancées face à la mise en place d’un tel régime ne sont certes pas négligeables (cf. encadré n° 22). En tout état de cause, les modalités d’un tel régime peuvent être validées et calibrées, suivant le choix du politique.

1 – Sur le plan social : réfléchir à la déductibilité des cotisations versées à des

régimes étrangers voire à une forfaitisation des prélèvements sociaux Les personnes détachées en France par un employeur établi à l’étranger pour

y exercer une activité salariée peuvent, en application du règlement communautaire n°1408/71 ou des conventions bilatérales de sécurité sociale, continuer à être affiliées au régime de protection sociale de leur pays d’origine pendant plusieurs années. Elles ne paient donc pas de cotisations sociales en France. En revanche, sauf clause spécifique des conventions fiscales, les cotisations versées à des régimes étrangers de sécurité sociale ne sont pas déductibles du revenu imposable en France117. Cette non déductibilité a été admise par la Cour de justice des communautés européennes, mais la Commission118 a récemment fait valoir qu’aucune raison ne justifiait l’application d’un traitement différent aux régimes gérés par des institutions de retraite établies dans d’autres Etats membres.

Dans le cadre des dispositions conventionnelles, la France a déjà décidé

d’admettre cette déduction dans cinq conventions fiscales signées avec des pays de l’Union européenne119. De même, la France a admis que les contributions versées par les citoyens américains résidant en France aux régimes de retraite américains organisés sous forme de fonds de pension soient déductibles pour la détermination de leur revenu imposable en France120.

Ces mesures constituent des premiers pas intéressants ; il pourrait toutefois

être envisagé d’aller plus loin pour améliorer l’attractivité de la France pour les « impatriés », dans deux directions.

117 En effet, les dispositions du 1° et du 2° de l’article 83 ne visent que les cotisations à des régimes français. 118 Communication du 19 avril 2001. 119 Il s’agit des pays suivants : Autriche, Espagne, Italie, Royaume-Uni et Suède. Cinq autres projets de convention sont en préparation (Belgique, Danemark, Irlande, Luxembourg et Pays-Bas). 120 Echange de lettre du 24 novembre 1978 repris par la convention fiscale franco-américaine du 31 août 1994.

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La première option serait d’autoriser la déduction des cotisations de sécurité sociale versées à l’étranger et des cotisations salariales de retraite complémentaire que les salariés impatriés continuent de verser aux régimes de retraite professionnels auxquels ils adhéraient antérieurement à leur arrivée en France dans le cadre de leur entreprise. Toutefois, la déductibilité des cotisations salariales complémentaires en France étant limitée121 et le supplément non déductible étant ajouté à la rémunération, les cotisations patronales versées à ces régimes étrangers devraient ne pas être prise en compte pour l’appréciation de ce plafond, sauf à priver la mesure de tout effet pour la population visée.

Une telle mesure aura un effet positif sur les charges que supportent les

entreprises et les salariés. Elle n’est d’ailleurs que dans la logique de la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes, qui a décidé que les revenus d’activité de source étrangère ayant supporté des cotisations sociales à l’étranger ne sont plus assujettis à la CSG et à la CRDS. Cette mesure a vocation à s’appliquer à tous les salariés détachés en France, ce qui veut dire que pour cette catégorie d’impatriés, la charge fiscale baisse de 7,6 points122.

Une autre piste plus radicale pourrait être étudiée. Au Royaume-Uni, les

contributions à certaines assurances santé (2 à 3 %) sont calculées sur les rémunérations fixes (hors primes et bonus). En Allemagne également, les cotisations aux plans de retraite complémentaires sont prélevées sur la masse salariale hors primes. En raison du poids des prélèvements sociaux, on pourrait songer au plafonnement ou une forfaitisation au-delà d’un certain seuil des cotisations maladie, chômage et famille pour les impatriés et cela pour le temps limité à leur impatriation. En effet, il s’agit généralement de personnes jeunes, provisoirement en France, et qui ne profiteront pas complètement des contreparties pour lesquelles ces prélèvements sont effectués.

2 – Sur le plan fiscal : aller d’une simple extension du régime des quartiers généraux à la mise en place d’un régime fiscal « impatrié » symétrique du régime « expatrié » bénéficiant aux salariés français expatriés à l’étranger par leur entreprise Plusieurs options sont envisageables sur le plan fiscal, afin de rendre plus

attractif le territoire français pour les experts, cadres et chercheurs « impatriés ». L’option a minima serait un assouplissement du régime des quartiers

généraux, dans deux directions : - ouverture à une autre population que les seuls impatriés employés dans des

quartiers généraux (par exemple : laboratoires de recherche, salles de marché…) - élargissement du champ d’application des indemnités admises au régime

spécial d’imposition (à l’heure actuelle : remboursement par l’employeur des surcoûts liés au logement, à l’excédent d’impôt et de cotisations obligatoires de sécurité sociale ;

121 Le plafond de déductibilité est fixé en 2001 à 272 688 F et il est atteint avec les seules cotisations aux régimes légalement obligatoires quand la rémunération brute excède 1 420 000 F en 2000. 122 Cette décision d’ailleurs pose le problème de la qualification juridique de ces prélèvements puisque la France considère qu’il s’agit d’impôts alors que la CJCE les classe dans les prélèvements sociaux.

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on pourrait imaginer d’intégrer d’autres frais liés à l’expatriation – déménagement par exemple).

Ces mesures ne poseraient sans doute pas de problèmes au regard des

principes de constitutionnalité, mais il est fort probable qu’elles seraient jugées insuffisantes par la population « cible »123. S’agissant de leur mise en place, elle nécessiterait l’intervention du législateur, seul habilité à décider que les indemnités versées ne sont pas imposables à l’impôt sur le revenu au nom des bénéficiaires mais à l’impôt sur les sociétés, par leur exclusion des charges déductibles.

Une option plus ambitieuse serait la mise en place pour les impatriés

d’un dispositif analogue à celui qui existe aujourd’hui pour les salariés envoyés à l’étranger (article 81A III 1 du CGI). Cet article exonère d’impôt sur le revenu les suppléments de rémunération des salariés envoyés à l’étranger par un employeur établi en France.

Symétriquement, il pourrait être envisagé d’exonérer la part de la

rémunération liée à l’expatriation versée à des salariés détachés temporairement en France. Cette exonération ne serait réservée que pour un temps limité (3 à 5 ans renouvelables une fois, à l’image des régimes étrangers) aux salariés des catégories cibles (chercheurs, cadres…), antérieurement non-résidents depuis au moins trois ans par exemple.

Suivant la jurisprudence en vigueur pour le régime « expatriés » le contrat

de travail devrait spécifier le montant annuel des suppléments de rémunération liés à l’impatriation. Ce montant doit s’apprécier par rapport à une rémunération de référence, qui pourrait être celle versée à un salarié « non impatrié » qui aurait occupé le même poste.

Deux points supplémentaires devraient être tranchés, et leur calibrage

devrait être effectué avec attention, pour éviter de rendre le dispositif trop attractif ou à l’inverse de le vider de sa substance :

- le supplément de rémunération (indemnité d’impatriation) serait-il

plafonné, et, dans l’affirmative, en valeur relative ou en valeur absolue ? La référence à un plafond en valeur absolue, surtout s’il est trop bas, retire beaucoup d’intérêt à ce régime mais en augmente l’acceptabilité politique. L’absence de référence à tout plafond ou une référence en valeur relative, autour de 25 à 35 %, serait davantage conforme aux options retenues à l’étranger et correspond donc mieux à l’objectif recherché

- l’indemnité d’impatriation exonérée porterait-elle sur la partie fixe seulement ou également sur la partie variable de la rémunération ? Là encore, exclure du dispositif la part variable, fonction de la performance du salarié, rendrait la mesure nettement moins intéressante pour la population « cible ».

123 A titre d’exemple, malgré la mise en place du nouveau régime des quartiers généraux en 1997, le nombre de ceux-ci est en constante diminution, ce qui est révélateur du peu d’intérêt qu’il provoque au regard des autres régimes européens : sur la période 1994/1996, 30 agréments ont été accordés, sur la période suivante(1997/1999) seulement 11, soit une chute de 65 %.

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En définitive, il convient de rappeler qu’une alternative au régime de « forfaitisation » des cotisations de sécurité sociale exposé plus haut pourrait être d’exonérer également « l’indemnité d’impatriation » au regard des cotisations de sécurité sociale.

Enfin, la mise en place d’un abattement forfaitaire entre 25 et 35 % sur

la rémunération du cadre impatrié au titre des frais d’impatriation, tel qu’elle existe dans la plupart des pays européens qui ont pris de telles dispositions, est la solution la plus adapté. Ce dispositif a l’avantage d’être simple d’utilisation pour l’impatrié par son caractère forfaitaire et se rattache à l’exposition de frais.

Mais, le risque d’une censure du juge constitutionnel est important si la

déduction n’est pas plafonnée. Or, un plafond trop bas fera perdre tout intérêt à la mesure car elle ne sera pas jugée suffisamment incitative au regard des revenus de la population « cible ». En outre, cet abattement relancera le débat sur la suppression des déductions forfaitaires supplémentaires pour frais professionnels qui ne s’appliquent plus depuis l’imposition des revenus de 2001.

Une proposition qui rendrait peut être cette formule plus acceptable serait de

graduer l’abattement forfaitaire dans le temps pour qu’elle corresponde de manière plus proportionnée aux frais d’expatriation. En effet, ceux-ci sont plus important la première année (frais d’emménagement, frais d’apprentissage de la langue, frais de recherche d’un logement locatif) que les années suivantes.

En tout état de cause, un tel système ne pourrait se concevoir sans la

réalisation par le gouvernement, au bout de quelques années de fonctionnement, d’une évaluation en bonne et due forme de son impact, pour en apprécier l’efficacité et la réalité de l’effet attractif.

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Encadré N° 21 : Deux solutions semblent à écarter

1) L’institution d’un taux favorable d’impôt sur le revenu libératoire. C’est le système adopté par le Danemark et la Finlande qui ont ainsi contourné le taux marginal élevé de leur barème (60 %) en adoptant un taux spécial par voie de retenue à la source. Un tel dispositif est difficile à défendre tant sur le plan politique que juridique. Cette réduction d’imposition étant déconnectée du montant des dépenses supportées, il est probable qu’elle encourre la censure du juge constitutionnel. Politiquement, alors que le débat sur la baisse du taux marginal à 52 % a été difficile, il paraît peu envisageable de faire admettre un taux réduit fortement, même si la spécificité des personnes concernées pourrait justifier le recours à cette solution. 2) l’introduction d’un système de remittance basis. Cette règle, applicable au Royaume-Uni et en Irlande, a pour effet de ne pas soumettre à l’impôt dans cet Etat les revenus de source étrangère non rapatriés perçus par des personnes physiques étrangères durant leurs premières années de résidence. De même, la Belgique impose les cadres étrangers uniquement sur leurs revenus de source belge. Ce système existe déjà en France pour l’ISF, en raison dans les conventions internationales conclues par la France avec ses principaux partenaires (Allemagne, Canada, Italie, Etats-Unis, Espagne…). Les projets avec la Belgique et le Royaume-Uni ne sont pas encore signés. Une telle mesure encourt moins le soupçon d’inconstitutionnalité, nous semble-t-il que la précédente : les revenus salariaux perçus en France pour des activités exercées en France seraient imposés dans les conditions de droit commun. La règle ne serait favorable qu’aux personnes qui ont par ailleurs des revenus de source étrangère perçus hors de France, ce qui met ces contribuables dans une situation radicalement différente. Le Conseil d’Etat n’a d’ailleurs jamais soulevé le problème de constitutionnalité s’agissant des règles en matière d’ISF introduites par la France dans certaines conventions internationales. Toutefois, l’introduction de ce dispositif se heurte à trois limites : - d’une part, l’évasion fiscale générée par ce dispositif est fortement critiquée par les partenaires européens des britanniques. La plupart des pays introduisent des dispositions anti-remittance basis dans les conventions fiscales ; la France si elle prenait cette voie devrait faire face aux critiques des autres Etats européens et une remise en cause du bénéfice des conventions fiscales ce qui priverait cette disposition d’une grande partie de son intérêt - d’autre part, la remittance basis est une mesure d’autant plus efficace que d’une part les services fiscaux anglais sont souples dans son contrôle (montant des salaires perçus provenant de travail effectué hors du Royaume-Uni, durée d’application de la remittance basis) et d’autre part, l’existence de zones qui connaissent le secret bancaire à proximité en facilite l’utilisation (îles anglo-normandes par exemple). Il apparaît difficile pour la France d’une part de mettre en place des liens identiques avec des zones fiscales privilégiées, et, d’autre part, d’accepter d’être tolérante sur les abus lors des contrôles - enfin, il ne répond que partiellement au but recherché qui est de faciliter le retour des Français expatriés et la venue en France d’experts étrangers qui n’ont pas forcément conservé des activités hors de France.

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Encadré N° 22 : discussion des arguments contre un régime spécifique « impatriés »

Quatre séries d’arguments principaux peuvent être avancées pour contester la mise en place

d’une mesure spécifique « impatriés ». Sans nier la portée de ces obstacles, il nous semble qu’ils ne doivent pas empêcher de mener plus avant la réflexion, et doivent être mis en balance avec les inconvénients – sérieux – qu’il y aurait à rester inerte dans la compétition pour attirer sur le sol français les talents et les compétences dont notre pays, nos universités, nos entreprises ont besoin.

L’obstacle conceptuel : la compétition fiscale ou le règne de l’absurde ? La mise en place d’un régime spécifique pour les impatriés en France pourrait conduire les

derniers pays non dotés de cet instrument – l’Allemagne par exemple – à nous emboîter le pas. Au total, on risque d’arriver à une situation ubuesque, où chaque cadre européen a intérêt à travailler partout… sauf dans le pays dont il est originaire. Parallèlement, la gestion du personnel pourrait être compliquée par la coexistence, dans la même entreprise, de personnes supportant des charges fiscales ou sociales différentes, selon qu’elles étaient ou non antérieurement résidentes du pays où elles travaillent.

A cette objection, deux réponses sont possibles : ! Favoriser le brassage international des chercheurs, des experts, des cadres, n’est ce pas

un objectif en soi, notamment au sein de l’Union européenne ? Et cela ne justifie-t-il pas un traitement plus favorable de ceux qui tentent pour quelques années le pari de l’expatriation, par rapport à ceux qui ne quittent pas le territoire national ?

" Dans une logique – qu’on peut regretter, mais qui est bel et bien présente – de

concurrence fiscale, le « désarmement unilatéral » est à peu près aussi inefficace et aussi utopique qu’aux temps de la « guerre froide » dans le domaine nucléaire. Si vis pacem para bellum : faire en sorte que l’ensemble des Etats de l’Union européenne se dote de dispositifs pour les impatriés serait le plus sûr moyen, dans un deuxième temps, d’entamer une négociation sur leur disparition concertée. A défaut, les pays qui, par naïveté ou dogmatisme, refuseraient un tel régime dans l’attente d’une hypothétique harmonisation, se verraient lourdement pénalisés, dans l’immédiat, au regard des choix de localisation des chercheurs, des emplois très qualifiés et des entreprises.

L’obstacle politique : privilégier une petite frange par rapport au reste de la population ? La deuxième objection voit dans la mesure proposée l’octroi d’avantages supplémentaires à

une population jouissant déjà d’un niveau de vie confortable, alors que subsiste un grand nombre de personnes moins favorisées voire d’exclus : pourquoi favoriser ainsi les « riches », mobiles, au détriment des « pauvres », peu mobiles, peu susceptibles de procéder, au mieux de leurs intérêts, à de quelconques arbitrages fiscaux ?

Posée ainsi, la question est – volontairement – provocatrice. Mais deux éléments peuvent

être pris en considération. Le premier, c’est que la mesure « impatriés » n’entend pas favoriser les « riches », les

rentiers. Sa seule ambition – qui se reflèterait dans ses modalités d’application – serait d’assurer l’attractivité du territoire français vis-à-vis de compétences, de qualifications, de talents dont notre pays a besoin pour son rayonnement et sa prospérité.

Le deuxième élément nous invite à penser qu’on ne peut concevoir une France plus

solidaire qui ne soit aussi plus dynamique. Les impatriés que la mesure parviendra à attirer sur le sol français participeront au dynamisme du modèle français, par les connaissances et les richesses qu’ils aideront à créer. Et c’est ce dynamisme qui génèrera progressivement de l’emploi, des rentrées supplémentaires pour l’Etat, les collectivités locales ou les régimes sociaux, et permettra ainsi de continuer à financer des avancées sociales telles que le revenu minimum d’insertion, les trente-cinq heures, les emplois jeunes, qui bénéficient et bénéficieront au plus grand nombre.

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L’obstacle constitutionnel : une entorse à l’égalité devant l’impôt ? La troisième objection tient aux réserves sur la constitutionnalité d’un régime spécifique

aux impatriés, au regard du principe constitutionnel d’égalité des citoyens devant les charges publiques. Cette objection est sérieuse. Toutefois, sous réserve d’une analyse juridique plus

approfondie, il semble que le Conseil constitutionnel ne s’oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge au principe d’égalité au nom de l’intérêt général, sous certaines limites.

En suivant la première logique, les frais professionnels d’expatriation supportés par un

impatrié le placent dans une situation différente d’un « national ». Il y aurait lieu de proposer une mesure pour le dédommager de ces frais spécifiques : l’imposition spécifique des PME au taux réduit jusqu’à un certain montant de bénéfices ou la défiscalisation des investissements dans les DOM/TOM ne relèvent pas de cas de figure différents. Toutefois, le Conseil constitutionnel procédera à un contrôle de proportionnalité, l’avantage consenti devant être conforme à la réalité des frais engagés. Cela n’exclue pas toute forme de forfaitisation ; mais cela semble condamner le recours à une déduction purement forfaitaire, exprimée en pourcentage de la rémunération et non plafonnée. Une telle déduction risquerait d’être trop éloignée du montant réel des charges supplémentaires liées à l’impatriation.

Par analogie, on peut rappeler en effet que le juge constitutionnel a censuré l’article 3 de la

loi de financement de la sécurité sociale par une décision du 19 décembre 2000, aux motifs que le législateur peut modifier l’assiette de la contribution sociale généralisée afin d’alléger les charges pesant sur les contribuables les plus modestes, à la condition de ne pas provoquer de rupture caractérisée de l’égalité entre ces contribuables. La disposition contestée, en ne tenant compte ni des revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des autres membres du foyer, ni des personnes à charge au sein de celui-ci, a fait le choix de ne pas prendre en considération l’ensemble des facultés contributives entre les contribuables concernés, ce qui entraîne une disparité manifeste au regard du principe de l’égalité des contribuables devant la loi.

La jurisprudence constitutionnelle rendrait donc nécessaire un plafonnement des effets de la

mesure « impatriés », pour qu’elle reste en rapport avec les charges qu’il est réputé couvrir. L’intérêt d’une telle mesure résiderait dans le choix du plafond mais surtout dans son caractère forfaitaire, c’est-à-dire dans la facilité d’application pour le contribuable impatrié. A contrario, il faudrait éviter le simple élargissement des déductions « sur pièces justificatives » déjà possibles avec le régime des quartiers généraux : obliger les impatriés à tenir une comptabilité fastidieuse des factures de déménagement, d’écoles, des billets d’avions, des garde-meubles… serait plutôt de nature à promouvoir une vision courtelinesque de l’administration française qu’à améliorer l’attractivité de la France !

En suivant la deuxième logique, on ne voit pas pourquoi le législateur ne pourrait pas

considérer que le fait de maintenir un haut niveau de recherche ou de défendre la place financière de Paris face aux autres places européennes ne seraient pas des motifs d’intérêt général. Si on considère que le dynamisme futur de la France nécessite la protection de certaines activités ou la venue de compétences rares sur le marché du travail, il paraît tout à fait possible de soutenir que l’intérêt général autorise de prendre des dispositions fiscales spécifiques pour les « impatriés ». A ce titre, on peut rappeler que la décision du Conseil constitutionnel n° 84-184 DC du 29/12/1984 juge que le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte, par l’octroi d’avantages fiscaux, des mesures d’incitation à la création et au développement d’un secteur d’activité concourant à l’intérêt général.

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L’obstacle pratique : les impatriés, combien de divisions ? La mise en place d’un système particulier pour les impatriés pose un évident problème de

limites : qui sont les impatriés ? combien seront-ils ? Pour répondre à la première question, on peut s’inspirer des exemples étrangers. Les

impatriés correspondraient aux nationaux étrangers, mais aussi aux Français de retour dans l’Hexagone, pour peu qu’ils aient eu leur résidence principale hors de France pendant un certain laps de temps avant de revenir sur le territoire national et qu’ils ne reviennent sur le territoire français que de manière temporaire, dans le cadre d’un contrat de travail. Il paraît en effet important que ce ne soit pas seulement les étrangers qui bénéficient d’une telle mesure, mais également les Français que l’on souhaite voir revenir.

S’agissant de la deuxième question, si aucune donnée n’est disponible pour chiffrer la

population cible, le nombre des impatriés étrangers salariés peut être évalué, à partir du nombre de titres de séjour délivrés par les services du ministère de l’Intérieur, à 25 000 personnes environ : en 1999, le nombre de salariés étrangers ayant bénéficié d’un premier titre de séjour s’est en effet élevé à 24 469. Suivant la durée de la mesure spécifique (3 à 5 ans par exemple) la population couverte pourrait atteindre plus de 100 000 personnes, auxquels il faudrait ajouter les Français de retour dans l’Hexagone.

Mais il convient, bien entendu, de préciser qu’il y a lieu de restreindre cette population,

pour tenir compte des besoins réels de la société française. Il serait possible, comme le font la plupart des autres Etats, de limiter cette disposition à un secteur d’activité ou à une activité professionnelle précise : enseignants, scientifiques, analystes financiers, ingénieurs en informatique, etc.

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Encadré N° 23 : le régime fiscal des cadres expatriés au sein de l'Union européenne

(Description des neuf régimes en vigueur en 2001) Neuf Etats parmi les quinze de l'Union européenne appliquent un régime fiscal spécifique aux cadres expatriés : Autriche, Belgique, Danemark, Finlande, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède.

I - Régime en vigueur en Autriche Depuis le 1er janvier 1998, les salariés expatriés en Autriche pendant cinq ans au maximum sont exonérés de l'impôt autrichien sur le revenu à raison des avantages en nature constitués des remboursements par leur employeur des dépenses d'expatriation suivantes, dès lors qu'elles n'excèdent pas 35 % du montant de la rémunération imposable en Autriche : dépenses de double résidence, dépenses de déménagement, frais de scolarisation, frais de voyage dans l'Etat d'origine de l'expatrié (où il conserve sa résidence). Le salarié ne doit pas avoir été résidant d'Autriche au cours des dix années antérieures à sa mission en Autriche. Le régime autrichien n'est pas réservé à certains types d'emplois. II - Régime en vigueur en Belgique Le régime mis en place à compter du 1er janvier 1983 permet à l'employeur de prendre en charge des dépenses de nature privée supportées par le cadre ou le chercheur étranger. Ces dépenses sont supportées par l'employeur sous la forme d'un remboursement réel ou forfaitaire accordé au cadre ou au chercheur. Elles sont déductibles des résultats de l'employeur. Leur remboursement est exonéré d'impôt entre les mains du salarié détaché. Le remboursement des frais liés à l'expatriation est accordé aux cadres supérieurs et cadres dirigeants étrangers exerçant dans des filiales belges de sociétés étrangères, ou dans des bureaux belges de coordination (quartiers généraux), aux personnels spécialisés étrangers dont le recrutement en Belgique est très difficile, voire impossible, enfin aux chercheurs étrangers exerçant en Belgique dans des centres de recherche scientifique. Les dépenses donnant lieu à remboursement sont : - soit des dépenses répétitives (supplément d'impôt sur le revenu supporté par le cadre expatrié en raison de son détachement en Belgique, différence en matière de frais de logement et de coût de la vie constatée entre la Belgique et le pays d'origine de l'expatrié, frais de scolarité, coût d'un voyage annuel vers le pays d’origine). Ces dépenses sont limitées (maximum 195 000 F) et remboursables sur justification, sauf les frais de scolarité admis sans limite, sur justification - soit des dépenses non répétitives (dépenses d’emménagement et de déménagement) ; ces dépenses sont remboursables sans limitation, sur justification. Le salarié expatrié est considéré comme non-résidant à condition de ne pas fixer son domicile de manière permanente en Belgique. En conséquence, seul le salaire relatif à l'activité qu'il exerce en Belgique est soumis à l'impôt sur le revenu dans les conditions de droit commun. III - Régime en vigueur au Danemark

Les cadres et chercheurs étrangers qui exercent leur activité salariée au Danemark, en tant que résidants, pendant une période dont la durée est comprise entre six mois et trente-six mois peuvent bénéficier d'une imposition allégée de leurs revenus salariaux. Ces cadres et chercheurs étrangers doivent être employés auprès d'une société danoise ou d'une succursale danoise d'une société étrangère. Ils ne doivent pas participer à la direction de la société durant leur activité ni y avoir participé durant les cinq ans précédents. Le taux spécial d'imposition est fixé à 25 % alors que le taux marginal d’IR applicable aux salaires est de 60%. Il s'applique par voie de retenue à la source et est libératoire de l'impôt sur le revenu. S'agissant des cadres autres que les chercheurs, une condition supplémentaire est posée : il faut que leur rémunération mensuelle brute soit au moins de 43 300 F. Le contrat de travail peut être prolongé de quatre ans. Durant ce séjour supplémentaire, l'impôt est calculé selon le barème de droit commun. Si le cadre ne quitte pas le Danemark après cette période, l'impôt sur le revenu est recalculé selon le barème de droit commun de l'impôt, depuis le début du séjour. Les chercheurs étrangers échappent à cette règle.

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IV - Régime en vigueur en Finlande

Les salariés expatriés qui exercent en Finlande une activité d'expert, de professeur d'université ou de chercheur bénéficient d'une imposition de leur salaire au taux spécial de 35 % pendant une période de deux ans. Ce taux s'applique uniquement aux salaires perçus et avantages en nature liés à l'emploi. Le salarié expatrié doit percevoir une rémunération dont le montant mensuel s'élève au moins à 38 605 F, ne pas posséder la nationalité finlandaise et ne pas avoir été résident finlandais au cours des cinq années pendant la mission en Finlande. V - Régime en vigueur en Irlande Les salariés étrangers qui exercent une activité professionnelle en Irlande pour le compte d’un employeur résidant sont imposables en Irlande dans les conditions de droit commun. Toutefois, en application des règles générales, les salariés étrangers échappent à l’impôt irlandais sur le revenu à raison des rémunérations versées par un employeur non-résidant d’Irlande tant que ces revenus ne sont pas transférés en Irlande. VI - Régime en vigueur au Luxembourg Le Luxembourg a institué un régime de déductions forfaitaires spécifiques aux cadres ou dirigeants expatriés au Luxembourg exerçant leur activité dans des entreprises industrielles. Ce régime est accordé pendant 36 mois si l’intéressé demeure non-résidant du Luxembourg et pendant 60 mois dans le cas inverse. L’abattement mensuel ne dépasse pas 4 050 F pour un célibataire et 6 890 F, s’il s’agit d’une personne mariée, pour les personnes conservant leur statut de non-résident. Un abattement de 5 670 FF est accordé à l’impatrié pour compenser le coût d'une résidence professionnelle au Luxembourg, lorsque sa famille demeure dans son pays d'origine. VII - Régime en vigueur aux Pays-Bas Les salariés étrangers expatriés aux Pays-Bas qui exercent leur activité dans ce pays peuvent bénéficier de la qualité de non-résidents. L'attribution du statut de non-résidant permet à un salarié étranger expatrié aux Pays-Bas de n'être imposé dans cet Etat qu'à raison de ses revenus de source néerlandaise. A l'issue d’une période de soixante mois, l'administration fiscale peut prolonger ce régime de faveur pour la même durée, soit dix ans au maximum. L’employeur peut accorder en plus à ces salariés expatriés une indemnité pour frais, exonérée d’impôt, égale au maximum à 35 % du montant de la rémunération globale, indemnité comprise. Ce taux est ramené à 30 % à compter du 1er janvier 2001, dans le contexte de la réforme du barème de l'IR à compter des revenus perçus en 2001. Le taux marginal passe ainsi de 60 % à 52 %. En tenant compte de la part exonérée, le taux effectif marginal est ainsi légèrement abaissé de 39 % (60 % x 65 %) à 36,4 % (52 % x 70 %). Le remboursement effectué par l'employeur au titre des dépenses de scolarisation est exclu du revenu imposable. Le salarié expatrié doit résider aux Pays-Bas, avoir été recruté par un employeur résidant ou avoir été détaché auprès d'un tel employeur pour exercer une activité aux Pays-Bas, détenir une qualification professionnelle hautement qualifiée ou rare aux Pays-Bas (obligation laissée à l’appréciation de l'administration néerlandaise). VIII - Le nouveau régime suédois Le dispositif suédois répond au souci de pouvoir recruter des salariés à profil que le marché suédois de l'emploi ne permet pas ou permet très difficilement de fournir. En premier lieu, est accordé un abattement de 25 % pendant trois ans sur le montant imposable des rémunérations salariales attribuées par les entreprises suédoises (ou les établissements stables en Suède d'entreprises étrangères) aux personnes de nationalité autre que suédoise non-résidentes de Suède depuis au moins cinq ans avant l'année du recrutement en Suède, et qui déclarent ne pas avoir l'intention de résider en Suède plus de cinq ans. Les personnes pouvant être recrutées doivent exercer les fonctions "d'expert", de scientifique, ainsi que les emplois-clé comprenant les fonctions de cadre-dirigeant. En second lieu, le remboursement par l'employeur pendant la même durée de trois ans de certaines dépenses liées à l'expatriation en Suède ne constitue pas un avantage en nature imposable au nom du salarié. Les dépenses

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visées incluent les frais de scolarité (pré-universitaires) des enfants, les dépenses de déménagement et d'installation en Suède ainsi que le coût de deux voyages familiaux annuels de Suède vers le pays d'origine et vice-versa. IX - Régime en vigueur au Royaume-Uni Les salariés étrangers qui exercent une activité au Royaume-Uni pour le compte d’un employeur résident sont imposables au Royaume-Uni dans les conditions de droit commun. Mais, les salariés étrangers qui exercent des activités professionnelles à la fois au Royaume-Uni et à l'extérieur du Royaume-Uni bénéficient d'un régime fiscal favorable. En effet, un salarié qui est résident et/ou résident ordinaire du Royaume-Uni sans y être domicilié échappe à l'impôt britannique sur le revenu à raison des rémunérations versées par un employeur non-résident du Royaume-Uni pour des fonctions exercées hors du Royaume-Uni, tant que ces revenus ne sont pas transférés au Royaume-Uni. La domiciliation dépend quant à elle de trois facteurs : la résidence, la résidence ordinaire et le domicile.

Résidence : très schématiquement, une personne physique est résidente du Royaume-Uni lorsqu'elle y séjourne pendant au moins 6 mois, au total, au cours d'une année d'imposition ou pendant 3 mois en moyenne ou si elle y dispose d'un lieu de résidence et qu'elle y séjourne pendant une période quelconque au cours de l'année d'imposition ; Résidence ordinaire : la résidence ordinaire correspond à l'intention manifeste de s'installer au Royaume-Uni soit dès l'arrivée au Royaume-Uni soit dès que cette intention devient évidente, ou à partir de la 3ème année d'imposition après l'arrivée au Royaume-Uni ; Domicile : le domicile correspond au lieu dont une personne est originaire, c'est-à-dire le lieu de séjour permanent de son père, ou le lieu de son propre séjour permanent si ce séjour a une durée au moins égale à quinze ans et si les liens avec le domicile d'origine ont été rompus.

c) Clarifier le calcul de l’imposition des revenus Lors de son dernier rapport, le conseil des impôts a recommandé de

simplifier le barème de l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Cette démarche semble effectivement devoir clarifier l’imposition des revenus et contribuer à l’amélioration de l’image de la France dans un contexte de concurrence fiscale acharnée.

1 - La réforme proposée par le conseil des impôts Le conseil des impôts a proposé une réforme audacieuse qui consiste à

intégrer l’abattement de 20 % dans le barème progressif de l’impôt sur le revenu. Cet abattement s’applique aux salaires, traitements, pensions et rentes après déduction de 10 % pour frais avec un plafond actuel de 722 000 F. Il bénéficie aussi aux revenus des professions indépendantes, déclarés par des contribuables adhérents à un centre de gestion ou à une association agréée.

Cet abattement avait été introduit en 1954 comme prime à la sincérité des

déclarations pour les personnes – à l’époque, essentiellement les salariés – dont les revenus étaient déclarés par des tiers. Mais cet avantage a perdu son sens originel avec l’extension successive à de nouvelles catégories de revenus : plus de 90 % des revenus aujourd’hui. Cet abattement a aujourd’hui pour effet essentiel de réduire fortement l’assiette de l’impôt sur le revenu et de contribuer ainsi au maintien d’un barème

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comportant de taux élevés, ce qui fausse la perception que les contribuables ont de leur taux marginal d’imposition.

Ainsi l’intégration de l’abattement de 20 % donne un taux marginal

d’imposition124 limité à 42,6 % (pour l’imposition des revenus de 2000). L’intégration est neutre pour tous les revenus qui en bénéficient déjà. Elle serait en revanche défavorable aux contribuables qui déduisent des charges du revenu global (pensions alimentaires, investissements outre-mer, SOFICA, etc.). Enfin, elle serait favorable pour les revenus qui n’en bénéficient pas jusqu'à présent, soit les traitements, salaires et pensions qui dépassent le plafond de l’abattement (c’est-à-dire ceux supérieurs à 722 000 F), les revenus fonciers, les revenus de capitaux mobiliers et les revenus des non-salariés qui n’ont pas adhéré à un organisme agréé. C’est pourquoi le conseil des impôts prévoyait une révision des règles d’assiette et une réduction de l’avantage pour les hauts revenus, par le relèvement du taux marginal effectif entre 45 et 50 %.

2 – Intérêt : rendre le système français plus lisible Cette réforme aurait comme premier avantage de simplifier à la fois

l’assiette et le calcul de l’impôt sur le revenu. Elle introduirait une plus grande lisibilité de la progressivité de l’impôt sur le revenu en affichant les taux marginaux réels.

Mais elle aurait surtout l’avantage, dans un contexte de concurrence fiscale,

de rapprocher la situation de notre pays de celle observée chez nos principaux partenaires. En effet, nous affichons actuellement un barème sans rapport avec le barème réel. Aucun autre pays ne dispose d’un dispositif comparable, hormis l’Espagne et le Luxembourg. Notre taux marginal affiché est comparé aux taux marginaux supérieurs des Etats-Unis (46,5 %), du Royaume-Uni (40 %) et de l’Allemagne (45 % au terme de la réforme fiscale engagée). La comparaison est d’autant plus défavorable que la plupart des classements ajoutent la CSG et la CRDS et débouchent sur un taux marginal apparent proche de 60 %.

II.2. L’impôt de solidarité sur la fortune Comme le précisait M. Didier MIGAUD à l’occasion d’un récent rapport

parlementaire125, le maintien de l’ISF ne doit pas exclure la réflexion sur les moyens de le rendre plus efficace et de renforcer son adaptation à l’évolution économique. Il s’agit par-là de conforter l’ISF et la justice fiscale, plutôt que de faire perdurer des mécanismes dont la complexité ne pourra, à terme, que fragiliser l’ISF.

C’est d’autant plus vrai que le mouvement en matière d’impôt sur la fortune

tend vers l’allègement ou la suppression de ce type d’impôt : suppression en Autriche en 1994, au Danemark et en Allemagne en 1997, en Suède en 1998.

124 Soit au titre des revenus 2000, pour la fraction de revenu supérieure à 299 200 F. 125 Fiscalité du patrimoine : pour plus de justice et d’efficacité, rapport d’information de l’Assemblée nationale n° 1065, page 43.

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Dans ces conditions, il faut chercher à ce que l’ISF ne soit pas considéré comme une sanction de la réussite, mais comme une juste contribution aux efforts de solidarité du modèle français.

a) Procéder à l’actualisation du barème En premier lieu, alors que l’ensemble des barèmes des impositions sur le

revenu fait l’objet d’actualisation à chaque loi de finances, il importe que cette dernière prévoie enfin une actualisation du barème de l’ISF. L’absence d’actualisation du barème depuis quatre ans a des effets psychologiques négatifs bien supérieurs à l’impact financier réel de cette mesure. De plus la création d’une nouvelle tranche taxable à 1,8 % a déjà renforcé la progressivité de l’impôt pour les patrimoines.

Il semblerait raisonnable, pour faciliter le consentement à cet impôt, que

l’ISF cesse d’être traité différemment des autres impositions et de veiller à ce que son barème soit désormais relevé annuellement en proportion de la hausse des prix. A cet égard, le passage effectif à l’euro au 1er janvier 2002 doit être mis à profit pour permettre un relèvement des seuils et compenser l’absence d’indexation pendant quatre ans.

b) Réformer l’assiette de l’ISF Pour éviter d’imposer au-delà du raisonnable les entrepreneurs, la loi a

prévu d’exonérer l’outil de travail. Toutefois, cette disposition est, dans sa configuration actuelle, génératrice d’effets pervers.

Actuellement, l’exonération de l’outil de travail crée des conflits d’intérêts

entre les actionnaires des entreprises contrôlées par un groupe familial. Le chef d’entreprise bénéficiant de l’exonération de l’outil de travail est enclin à développer son entreprise en réinvestissant les profits réalisés, tandis que certains de ses partenaires familiaux sont tentés, dans une vision de court terme, par une maximisation des dividendes pour payer leur cotisation d’ISF. En outre, le seuil de détention de 25 % minimum risque de freiner la croissance de l’entreprise : il peut inciter l’entrepreneur, pour ne pas diluer son capital, à refuser tout appel à l’épargne publique pour ne pas diluer sa participation, et à adopter ainsi une attitude par trop malthusienne vis-à-vis de la croissance. De même, le lien entre exonération et exercice de la fonction de dirigeant ouvre la voie au maintien en place de certains dirigeants pour des motivations uniquement fiscales, et limite les possibilités de faire appel à des managers extérieurs, parfois plus compétents.

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Encadré N° 24 : L’impôt de solidarité sur la fortune et l’exonération des biens

professionnels

L’article 26 de la loi n° 88-1149 du 23 décembre 1988 (loi de finances pour 1989) a institué un impôt de solidarité sur la fortune à compter du 1er janvier 1989. Sont soumises à cet impôt les personnes physiques qui, au 1er janvier de l’année d’imposition, ont en France leur domicile fiscal et possèdent un patrimoine d’une valeur nette supérieure à 4 700 000 F. Sont également imposables les personnes physiques non domiciliées en France mais qui y possèdent des biens (à l’exception des valeurs mobilières, titres, comptes bancaires…) d’une valeur nette excédant la même limite. Les biens professionnels ne sont pas pris en compte pour l’assiette de l’impôt. Ils peuvent être regroupés en trois grandes catégories : - les biens nécessaires à l’exercice à titre principal, tant par leur propriétaire que par son conjoint, d’une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. C’est le cas des professions exercées sous forme individuelle - les parts ou actions de sociétés, pour les professions exercées dans le cadre d’une société - enfin, le cas particulier des biens ruraux donnés à bail à long terme et les parts de groupements fonciers agricoles non exploitants ; cette dernière catégorie ne sera pas étudiée dans le présent dossier. Ces biens doivent satisfaire aux conditions suivantes : être utilisés dans le cadre d’une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, l’activité professionnelle doit être exercée, à titre principal, par le propriétaire des biens ou par son conjoint et être nécessaire à l’exercice de la profession. Mais ce sont les parts et actions de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés qui posent le plus de problème et génèrent des effets pervers. Les parts et actions de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option, sont considérées comme des biens professionnels si leur propriétaire remplit les conditions suivantes : Conditions relatives à la fonction et à la rémunération : S’agissant de la fonction, la liste est limitative. le redevable doit être, soit gérant nommé conformément aux statuts d’une SARL ou en commandite par actions, soit associé en nom d’une société de personnes soumises à l’impôt sur les sociétés, soit président, directeur général, président du conseil de surveillance ou membre du directoire d’une société par actions. Cette liste est limitative. Pour la rémunération, les fonctions doivent donner lieu à une rémunération normale. Celle-ci doit représenter plus de la moitié des revenus à raison desquels l’intéressé est soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux et revenus des gérants mentionnés à l’article 62 du CGI. Conditions relatives au seuil de détention : le propriétaire doit posséder au moins 25 % des droits financiers et des droits de vote attachés aux titres émis par la société, directement ou par l’intermédiaire de son conjoint (ou de son concubin notoire, ou de partenaire lié par un PACS) ou de leurs ascendants ou descendants ou de leurs frères et sœurs. Si cette condition n’est pas remplie, une condition alternative est que la participation représente au moins 75% du patrimoine total de l’intéressé.

1 - Première possibilité : la suppression de l’exonération de l’outil de travail La réforme la plus simple et la plus lisible serait tout simplement de

supprimer l’exonération de l’outil de travail et de la coupler avec un taux unifié et très bas de l’ordre de 0,4 à 0,5 %. C’est la mesure proposée par le rapport Lavenir. En supprimant les effets de seuil, la mise en place d’un impôt à assiette large et à taux modéré serait favorable aux entrepreneurs réellement soucieux du développement de leur entreprise et limiterait le risque de comportements malthusiens. Elle serait davantage conforme à la théorie économique, qui fait d’un impôt sur la fortune, à assiette large et taux modéré, un instrument pour s’assurer d’une allocation efficace du capital.

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Néanmoins, il faut reconnaître qu’une telle décision risquerait de rencontrer de nombreuses oppositions de la part des dirigeants de PME, qui bénéficient actuellement de l’exonération. Il faudrait donc ouvrir le débat sereinement avec leurs représentants afin de réfléchir au meilleur moyen de faire entrer les biens professionnels dans l’assiette. A tout le moins, si la suppression de l’exonération de l’outil de travail était décidée, il serait nécessaire de veiller à trois points, pour que la réforme ne soit pas pire que les maux qu’elle entend soigner :

- un abattement à la base suffisamment important ; - un taux suffisamment faible (0,4 ou 0,5 % maximum) ; - le rétablissement du plafonnement de l’ISF (cf. infra). 2 - Deuxième possibilité : l’élargissement des conditions d’exonération pour en limiter les effets pervers A défaut de prendre une telle mesure, il serait nécessaire d’abaisser le seuil

de 25 % afin de limiter ses effets néfastes sur le développement des PME. A l’heure actuelle, l’existence de ce seuil est l’une des explications majeures des réticences qu’éprouvent souvent les chefs d’entreprise face à la perspective de l’ouverture de leur capital, mesure pourtant indispensable au développement de leurs affaires. Parallèlement, il apparaît utile d’élargir la définition des fonctions donnant droit à l’exonération au titre de l’outil de travail : à défaut, cela laisse la voie libre à des querelles au sein du groupe d’actionnaires familiaux, susceptibles de mettre en danger la pérennité de l’entreprise.

C’est pourquoi il serait proposé d’arrêter désormais les trois conditions

cumulatives suivantes pour donner accès à l’exonération au titre de l’outil de travail : - la part du capital détenue dans la société est supérieure à 5% du capital

total - la personne est salariée de cette entreprise - plus de 50% de la totalité des revenus de la personne proviennent de cette

entreprise. En tout état de cause, la règle qui exclut la condition de détention de 25 %

du capital si la valeur des parts ou actions détenues directement le redevable excède 75 % de la valeur brute de son patrimoine taxable, y compris ses parts ou actions, serait maintenue.

c) Revenir à la règle du plafonnement de l’ISF antérieure à 1996 En application de l’article 885 V bis du CGI, les redevables de l’ISF sont

susceptibles de bénéficier d’un plafonnement de leur cotisation, afin que le cumul de l’ISF et de l’IR ne soit pas supérieur aux revenus nets effectivement perçus par l’intéressé. Depuis 1996126, les effets de ce plafonnement sont toutefois limités. Les contribuables dont le patrimoine taxable excède la limite supérieure de la troisième tranche du tarif de l’ISF, soit 15,160 MF pour 2000, ne peuvent pas bénéficier

126 Article 5 de la loi de finances pour 1996.

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totalement de ce plafonnement. La réduction d’impôt résultant du plafonnement ne peut être supérieure :

- à une somme égale à 50 % du montant de la cotisation d’ISF - ou au montant de l’impôt correspondant à un patrimoine égal à la limite

supérieure de la troisième tranche du barème, si ce montant est supérieur à 50 % du montant de la cotisation.

L’adoption en 1996 de la limitation des effets du mécanisme du

plafonnement visait à remédier aux lacunes du mécanisme du plafonnement existant depuis 1989. En effet, le plafonnement de l’ISF bénéficiait non seulement aux redevables dont le patrimoine était peu rentable mais également à ceux qui détournaient à leur profit ce mécanisme en minorant leurs revenus imposables127. Mais le « plafonnement du plafonnement » peut provoquer un prélèvement supérieur au rendement des actifs, très mal perçu par les intéressés.

En terme d’attractivité et de maintien en France des centres de gravité des

entreprises, cette mesure est l’une des causes les plus souvent avancées pour expliquer la délocalisation des patrimoines et des personnes. Cela vaut particulièrement pour des créateurs d’entreprises à forte croissance, rapidement exclus de l’exonération au titre de l’outil de travail du fait de la dilution rapide de leur participation, mais qui se retrouvent avec des liquidités faibles face à un actif composé de titres non réalisables dans l’immédiat, et dont la valeur est extrêmement fluctuante128. La réforme de l’ISF effectuée dans la loi de finances pour 1999129 n’a fait qu’accroître l’acuité du problème.

En effet, le nouveau dispositif prévoit que ne sont plus pris en compte les

déficits provenant d’activités non professionnelles tant qu’ils ne sont pas pris en compte pour le calcul de l’impôt sur le revenu. A l’inverse, les revenus exonérés d’impôt sur le revenu, comme les PEA ou les contrats d’assurance vie, sont retenus l’année de leur réalisation.

Dans ces conditions, le mécanisme mis en place en 1996 apparaît générateur

d’effets pervers nuisibles à l’emploi et à la croissance, comme le fait ressortir l’exemple ci-après, fourni par l’association Croissance Plus. Il apparaît donc souhaitable de supprimer purement et simplement le mécanisme de « plafonnement du plafonnement »130.

Encadré N° 25 : l’exemple concret d’une entreprise de croissance et de son dirigeant 127 En effet, les déficits réalisés par les redevables, que ceux-ci soient professionnels ou non, étaient retenus pour le calcul du plafonnement l’année de leur réalisation. En outre, les revenus exonérés d’impôt sur le revenu n’étaient pas retenus. 128 Les études sur les contribuables qui ont transféré leur domicile à l’étranger effectuées par la direction des services fiscaux de Paris Ouest montrent qu’il s’agit plutôt de contribuables jeunes et actifs, possesseurs d’un patrimoine essentiellement mobilier (cf. rapport de Didier MIGAUD sur le PLF 2001, p 182). 129 Création de la tranche à 1,8 % et intégration de la majoration de 10 % dans le barème. 130 Le député Jean-Pierre Brard ne dit pas autre chose quand il souligne que le cumul IR et ISF peut s’avérer confiscatoire, et qu’il est à l’origine de certains départs à l’étranger : « (…) La suppression de ce plafonnement coûterait certes en terme de pertes de recettes, mais son effet psychologique serait essentiel, si elle atteignait cet objectif : freiner les transferts à l’étranger des domiciles fiscaux des gros contribuables, voire inverser la tendance ; cela reviendrait à conserver une matière fiscale très substantielle ». Jean-Pierre Brard : « la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale », rapport d’information n° 1802, page 358.

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« dilué » L’entreprise : - cotée au Nouveau Marché, valorisation boursière : 250 MF - son chiffre d’Affaires : 80 MF - effectifs : 130 personnes - Résultat net : 4 MF Le dirigeant : - part du dirigeant fondateur dans le capital : 10%, soit une valeur de 25 MF - composition de son patrimoine obtenu par cessions d’actions successives :

5 MF en biens immobiliers, 5 MF en épargne et autres immobilisations, soit au total : 10 MF - salaire disponible du dirigeant fondateur après charges patronales, salariales et impôt sur le revenu : 350 KF

nets par an Le dirigeant paiera l’ISF sur les biens professionnels car il possède moins de 25% des parts de son entreprise (valorisées pour un montant de 25 MF), ses parts représentent moins de 75% de son patrimoine total (35 MF dont 25 MF de biens professionnels et 10 MF de biens non professionnels). Il est particulièrement important de souligner que dans ce contexte le dirigeant est redevable de l’ISF concernant ces 35 MF, soit une somme d’environ 350 000 francs par an correspondant à l’intégralité de ses revenus. D’où l’intérêt d’un mécanisme de plafonnement.

III. Reconquérir au moins partiellement le capital de nos entreprises

L’existence d’un actionnariat stable est une des conditions de la croissance et du développement de l’économie. La reconquête de notre actionnariat domestique ne signifie pas la fermeture du capital de nos entreprises aux investisseurs institutionnels étrangers, ce qui irait contre l’idée d’attractivité que l’on entend promouvoir. Bien au contraire, la stabilité de l’actionnariat donnera l’assurance aux entreprises de pouvoir se développer tout en garantissant à l’investisseur étranger un marché suffisamment large et sûr en actions qui lui permette sans risque de se désengager.

Or, la part des non-résidents, dans la capitalisation boursière française, fait

l'objet, désormais, d'une prise de conscience collective : celle de la faiblesse de l'assise domestique du capital de nos entreprises. Comme il est désormais courant de le dire, bien que la France dispose depuis peu de la première place boursière d'Europe continentale131, en terme de capitalisation, le capitalisme français est un capitalisme sans capital132.

A Paris, la part des non-résidents dans les sociétés du CAC 40 s’élève même

à 45,57 % (hors France Télécom) et la participation des fonds anglo-saxons représente 20,29 %. Plus globalement la Banque de France estimait fin 2000 que les investisseurs étrangers détenaient 37,5 % de la bourse de Paris.

131 Devant la bourse de Francfort. 132 « L’épargne salariale au cœur du contrat social », rapport au Premier ministre de Jean-Pierre Balligand et Jean-Baptiste de Foucault - 2000.

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A l’inverse, si nous détenons des actions étrangères, il n’y a pas d’exacte symétrie : fin 1998, les actions françaises cotées détenues par les non-résidents, représentaient 1,2 % de la capitalisation boursière mondiale, tandis que les actions étrangères détenues par les résidents français n’en représentaient que 0,6 %, soit deux fois moins. Il est également frappant de constater, qu’en terme de transactions, les non-résidents occupent également une place dominante : près de 78,2% du total, contre 2,2% à peine pour les ménages, et 16,5% pour les investisseurs institutionnels français. Il en résulte que, lorsque la bourse française progresse (près de 50% en 1999), ce sont les non-résidents qui en profitent le plus.

Structure de détention des actions (en %) en 1998

Etats-Unis Allemagne Royaume-Uni France Ménages 45,6 13 16 11,1

Fonds de pension, assurances, mutual

funds

55,8 26,1 54 26,6

Non-résidents 7 11,8 27,8 35,7 Autres 1,6 6,1 0,8 8,9

Entreprises n.d 38 1,4 17,7 * Au mois de juin 1999, la part des actions cotées détenues par les non-résidents était de 36,3% selon l’enquête titres de la Banque de France. Source : Banques centrales / traitement CDC.

L’histoire économique française des cinquante dernières années a montré : - une propension à maîtriser la détention de notre dette publique, au

détriment de la détention de nos entreprises. Notre force de frappe financière en capital en est sortie affaiblie, et l’Etat a eu sans doute sa part de responsabilité en plaçant sa dette auprès des institutionnels français

- une tendance au placement obligataire dont le rendement est garanti de préférence à l’actionnariat, plus risqué. Les Français, dont la retenue face au risque est bien connue, ont également participé à cette tendance

- une préférence pour la dépendance financière plutôt que pour la dépendance stratégique et l’entrée significative des investisseurs institutionnels étrangers plutôt que celle des groupes industriels concurrents. Cette fois, les entreprises doivent également assumer leur responsabilité.

Il en résulte deux conséquences majeures : D’une part, le capital devient extrêmement volatile. En effet, la

prépondérance des transactions boursières des non-résidents, a pour corollaire le taux de rotation très élevé du capital des entreprises cotées. Les non-résidants affichent un taux de rotation des entreprises cotées de près de 1,67 contre à peine 0,15 pour les ménages. Concrètement, alors que la durée moyenne de détention des actions françaises est de 9 mois, elle est à peine de 4 mois pour les non-résidents, contre presque 3 ans pour les ménages et un peu plus de 7 ans pour les entreprises.133

133 L’épargne au cœur du contrat social précité.

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D’autre part, les investisseurs institutionnels étrangers peuvent être plus facilement tentés de réclamer une rémunération du capital trop importante (cas des fonds de pension américains fonctionnant avec des cotisations définies), pour obtenir le meilleur niveau de rentabilité, même s’il dépasse les possibilités de croissance des firmes. Le risque est bien alors de faire supporter au capital humain, c’est-à-dire à la société dans son ensemble, les externalisations ou les restructurations décidées pour satisfaire les actionnaires. Les dirigeants de Michelin, Alcatel ou Danone ont évoqué les exigences de rentabilité des fonds de pensions étrangers pour justifier des mesures de restructuration de leurs entreprises. Il est donc important que l’on enracine par le capital le centre de gravité des entreprises françaises sur notre territoire.

Il semble donc nécessaire d’obtenir un rééquilibrage dans la détention du

capital de nos entreprises. Pour autant, ce rééquilibrage n’appelle pas à la constitution d’épargne supplémentaire.

En effet, la reconquête du capital de nos entreprises ne doit pas être réglée

par l’augmentation du taux d’épargne. Si depuis les années 1970, la France subissait un déficit chronique d’épargne, la situation inverse prévaut aujourd’hui. Accroître l’épargne risquerait plutôt de priver la croissance d’un de ses ressorts essentiels : la consommation qui nous a permis jusqu’ici de limiter le tassement de la croissance par rapport à nos voisins. Le taux d’épargne globale proche de 15 % en 1999 est plus élevé qu’à la fin des années 1980 (10 % environ). En revanche, la structure de l’épargne domestique n’est pas adéquate. Elle est en effet, particulièrement peu investie en actions, laissant aux investisseurs étrangers détenir une grande partie du capital de nos entreprises.

Plusieurs types d’actions peuvent être entrepris pour réorienter notre

épargne vers nos capacités productives.

III.1. Réorienter l’épargne de l’assurance vie et de l’épargne logement vers les actions

a ) Remédier à la préférence des compagnies d’assurances pour les placements à

taux fixe Parmi les produits d’épargne existant, l’assurance vie est celui qui possède

la plus grande « force de frappe ». En 2000, l’encours des placements détenus par les sociétés d’assurance vie s’élève à 693 Mds €.

Il existe essentiellement deux contrats en assurance vie : les contrats en

francs et les contrats en unités de compte (cf. encadré n° 26), qui représentaient en 2000 respectivement 78 % et 22 % des engagements des compagnies d’assurance. Depuis 1998, il y a un changement sensible dans la structure d’investissements des contrats d’assurance vie grâce à la montée en puissance des contrats multi-supports134.

134 Les contrats multi-supports comprennent à la fois des contrats en francs de type obligataire et des contrats en unités de compte, essentiellement en actions. Un contrat sur deux commercialisé en affaire est un contrat multi-supports. Les compagnies proposent désormais des contrats profilés, c’est-à-dire des portefeuilles diversifiés avec des profils de risque différents : portefeuille prudent (20 % d’actions, contrat en francs), portefeuille dynamique (plus de 50 % d’actions, contrat en unité de compte)

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Encadré N° 26 : Le partage des risques entre l’assuré et l’assureur

En assurance vie, l’assureur fait face à deux principaux risques, qu’il assume pour le compte de l’assuré en les mutualisant : le risque viager et le risque financier. Le risque viager est lié à la prévision par l’assureur de la durée de vie de l’assuré. Le risque financier provient de la volatilité des marchés de valeurs sur lesquels sont placés les capitaux confiés par l’assuré à l’assureur. 1. Les contrats en francs Lorsqu’un assuré souscrit un contrat en francs, son risque est limité par le taux garanti ou par la garantie de maintien du capital versé. De plus, si l’assuré n’est pas satisfait du taux d’intérêt qui lui est servi, il peut rompre le contrat moyennant, éventuellement, le paiement de pénalités de rachat et la perte d’avantages fiscaux. L’assureur, quant à lui, supporte non seulement un risque viager relatif à la date à laquelle il devra verser de facto le capital augmenté des intérêts, mais aussi un risque financier lié au taux minimal garanti. Ce risque est d’autant plus important qu’une partie des fonds sera investie sur le marché des actions, dont le rendement est incertain, contrairement à celui des obligations à taux fixe. C’est la raison pour laquelle l’assureur investit très majoritairement dans des produits obligataires. Cependant, en période de hausse des taux, l’assureur devra augmenter la rémunération servie à sa clientèle au-delà du taux garanti pour rester compétitif. C’est pourquoi l’assureur a intérêt à ne pas adosser ses engagements exclusivement à des titres obligataires et à inclure dans son portefeuille des actions, dont le rendement est plus risqué, mais aussi plus élevé. 2. Les contrats en unités de compte Les contrats en unités de compte offrent aux assurés un potentiel de gain intéressant, en contrepartie évidemment d’un risque accru. Si un assuré choisit d’investir dans une unité de compte, il obtiendra tout le gain résultant de la hausse de sa valeur ; cependant, il doit aussi accepter la possibilité d’une baisse. Le risque de l’assuré peut être fortement atténué par une gestion prudente, mais aussi par une garantie plancher, qui lui permet de récupérer le montant des cotisations investies quelle que soit l’évolution du marché. L’assureur, quant à lui, joue un rôle de conseil. Il a une obligation de moyens envers ses clients. Il assume aussi les risques liés à la garantie plancher. Naturellement, les exigences de marge de solvabilité tiennent compte du partage des risques entre assureur et assuré. Elles sont donc plus faibles pour les contrats en unités de compte (1 % des provisions techniques) que pour les contrats en francs (4 %).

Si les contrats en francs demeurent majoritaires, les contrats multi-supports

se développent rapidement du fait de l’érosion des rendements moyens des contrats francs avec minimum garanti investis dans le marché obligataire et du rendement plus fort des contrats investis même partiellement en actions. Mais ces derniers, supports en unités de compte, représentent désormais les trois-quarts des nouveaux contrats. Ainsi, ils correspondent à un chiffre d’affaires de près de 39 Mds € en 2000, soit 43 % du chiffre d’affaires de l’assurance vie en progression de 61 % par rapport à 1999135.

Néanmoins, cela reste insuffisant à court terme pour modifier de manière

sensible la prédominance des placements obligataires. Pourtant, la réglementation française autorise les compagnies d’assurance vie à détenir jusqu’à 65 % d’actions dans leur portefeuille136. Mais, au second semestre 2000, le portefeuille des compagnies d’assurance vie ne comportait en moyenne que 25,4 % d’actions137 et 66,6 % d’actifs obligataires.

135 La raison principale est la diminution des rendements nominaux des contrats en francs entre 1994 et 2000 de 7,3 % à 5 % sous l’effet de la baisse des taux longs (conséquence de la réduction tendancielle des déficits publics) alors même que les contrats en unités de compte ont offert des rendements performants grâce à la bonne tenue de la bourse. Cet effet prix favorise la substitution des unités de compte aux contrats en francs. La baisse des déficits publics va sans doute continuer à alimenter les contrats avec supports en actions. 136 Code des assurances, article R332-3. 137 Il n’en avait qu’un peu plus de 16 % en 1997.

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Nous sommes encore en deçà du placement en actions de la plupart de nos

partenaires, même si nous nous en rapprochons puisque la moyenne de l’Union Européenne se situe à 41,8 % :

Placement des sociétés d’assurance (1999) en %

Placements immobiliers

Actions et titres assimilés

Titres à revenu fixe

Prêts et dépôts Autres

France 4,6 28,0 64,3 2,3 0,8 Allemagne 3,4 33,5 10,3 52,4 0,4 Royaume-Uni 5,2 58,3 26,8 28 6,9 Italie 4,2 20,2 53,8 0,9 20,9 Union européenne 4,6 41,8 35,0 13,9 4,7

Source : comité européen des assurances En outre, si actuellement les flux favorisent l’investissement en actions, le

retournement du marché semble désormais les ralentir au point qu’il est fort probable que l’année 2001 sera moins favorable pour les supports en unités de compte.

Les raisons de cette sous-exposition des assureurs vie aux marchés des

actions sont les suivantes : 1 - La réglementation prudentielle La réglementation prudentielle pénalise sans doute l’investissement en

actions. Toutefois, même si une expertise technique concernant ces changements pouvait être opérée, cet effet est secondaire par rapport à l’aspect gestion.

Quelques contraintes réglementaires peuvent expliquer la nécessité pour les

assurances de minorer les placements en actions : - le mode de calcul de la provision pour risque d’exigibilité qui constate la

dépréciation des actions. Les sociétés d’assurances de création récente (secteur de la bancassurance) n’ont pas de plus-values latentes sur les investissements immobiliers qui pourraient compenser les moins-values latentes sur actions. Ainsi, une chute ponctuelle de la bourse en fin d’année peut obérer de façon significative le résultat de l’exercice. Actuellement, c’est le secteur le plus dynamique dans l’assurance vie. Un aménagement des dispositions réglementaires pourrait être envisagé en vue de favoriser les investissements en actions des compagnies d’assurance par la voie d’un étalement de la dotation de la dépréciation du portefeuille actions sur cinq exercices dans la mesure où la dépréciation globale des actifs se maintiendrait plusieurs années. Toutefois, en raison des risques prudentiels qu’une telle mesure serait susceptible d’entraîner, il semble important d’affiner l’expertise.

- cette provision est calculée sur la base des cours au 31 décembre

contrairement aux entreprises soumises au droit commun, sur celle du cours moyen du mois de décembre. Il serait possible de valoriser les actions cotées sur la base du cours moyen du mois de décembre.

- l’absence de règles applicables à l’utilisation des instruments dérivés ne

permet pas de prendre en compte de façon satisfaisante les opérations de couverture,

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136

garantie ou réduction de la volatilité138. Il serait opportun de prendre la réglementation qui permet de faire appel à ces instruments dans les opérations de couverture.

2 - Les pratiques de gestion La retenue des ménages face aux risques a longtemps favorisé la demande

d’assurance vie en francs au détriment de celle en unités de compte. L’engagement de protection du capital et d’un rendement garanti rassure les ménages. Ainsi la concentration du taux de détention de l’assurance vie chez les 40-60 ans, c’est-à-dire à une période de la vie où l’avenir des enfants et la préparation de la retraite sont des préoccupations fortes, reflètent la volonté des épargnants de privilégier la sécurité au rendement.

Il est possible également que le choix des unités de compte ne soit pas

nécessairement optimal au regard de l’horizon de placement : les obligations sont des supports de contrats d’assurance vie avec des horizons de placement beaucoup plus courts (2 à 3 ans) que la durée de vie d’un contrat. Cela se traduit par le fait qu’ils ne sont pas constitués avec pour objectif un placement bloqué à 8 ans139.

Il aurait été possible d’envisager de relever la durée du placement bloqué

pour l’horizon fiscal (par exemple passer de 8 à 10 ou 12 ans). Toutefois, outre qu’une telle mesure serait reçue négativement par les assurés, il ne semble pas que ce soit un problème de durée de l’horizon de placement qui pose problème car généralement le placement dépasse sensiblement les 10 ans. Une telle mesure n’aurait sans doute aucun effet sur la réorientation de l’épargne en actions.

La gestion des compagnies d’assurance vie nécessite d’adosser l’essentiel

de leurs engagements garantis à des actifs obligataires. En effet, dès lors que l’assureur s’engage sur un rendement garanti annuel, il doit adosser son engagement à des actifs dont les rendements sont sûrs et réguliers.

Or, la contrainte juridique de protection du capital existe non seulement à

l’échéance, mais également tout au long du contrat. Le risque de rachat anticipé, même si en pratique il est rare, et le montant exigé des pénalités, apparemment faible, obligent les compagnies à détenir des actifs peu volatils et rapidement réalisables sans perte en cas dépréciation importante des titres supports. Comme les engagements des assureurs portent essentiellement sur des contrats en francs, les portefeuilles des compagnies d’assurance vie sont majoritairement constitués d’actifs obligataires.

Il semble que dans les autres pays, les possibilités de sorties anticipées

soient davantage encadrées et permettent ainsi aux sociétés d’assurances d’avoir un horizon de placement suffisamment long et fiable pour permettre la couverture en actions.

En l’absence d’un encadrement des possibilités de sorties anticipées et d’un

assouplissement des règles prudentielles, il sera difficile d’obtenir autre chose qu’une

138 C’est différent pour les risques de taux car la réserve de capitalisation tient lieu de couverture. 139 Durée fiscal minimum.

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remontée lente des placements140 en actions dans les supports des contrats d’assurance vie. Néanmoins, l’action des pouvoirs publics doit être poursuivie tant pour rechercher un aménagement des règles prudentielles que pour limiter les sorties anticipées.

b) Réformer l’épargne logement ? L’épargne logement a pour but de financer les prêts d’épargne logement

demandés par les particuliers et gérés par les banques. Le financement du logement ne saurait être profondément modifié sans avoir des conséquences graves sur le marché immobilier et l’industrie du BTP. Toutefois, il importe de vérifier que le dispositif d’aides mis en place par l’Etat, par le biais de primes, ne sera pas détourné de son objet.

Le financement de l’épargne logement est réalisé à partir de deux produits :

le plan épargne logement (PEL) et le compte épargne logement (CEL). Le taux de rémunération des dépôts sur les PEL ouverts à compter du 1er juillet 2000 s’élève à 4,5 % l’an, prime d’Etat incluse, alors que le taux d’intérêts des prêts accordés au titre de ces plans est fixé à 4,97 %. Pour les CEL, le taux de rémunération est porté à 2% et le taux maximal de prêt à 3,5 %.

Au 31 décembre 2000, le montant des dépôts sur les PEL et les CEL s’élève

à 219 629 M€ (près de 1450 Mds F) en augmentation de 1 716 M€ pour l’année. Or, l’épargne qui est placée dans les PEL/CEL n’est pas adossée sur des placements en actions mais permet seulement aux établissements financiers de bénéficier d’encours faiblement rémunérés pour financer les prêts classiques pour le logement accordés aux particuliers.

En effet, les fonds collectés au titre de l’épargne logement sont

obligatoirement destinés à financer des prêts sur le logement, mais il est évident que les Français en raison du taux servi grâce à la prime de l’Etat (4,5 % exonéré d’impôt pour les PEL) ont recours aux plans comme placement financier. Ainsi, la part des prêts d’épargne logement qui sont la raison d’être des PEL/CEL ne représente que 12,31% des emplois, en constante diminution, alors que l’évolution des dépôts en montant est en constante augmentation. Ce système n’est possible que par l’octroi de primes versées

140 D’autant que les contrats en francs sont encore importants dans les placements et sont difficilement modifiables sur le court terme.

05

1015202530354045

1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 200002004006008001000120014001600

Prêts/dépôts (en%)

Dépôtsen Mds F

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par l’Etat qui ont un coût budgétaire pour l’Etat, au titre de l’année 2000, de 1473 M€ en augmentation de près de 37 % par rapport à 1999.

Deux pistes peuvent être évoquées : - la première consisterait à proposer qu’une partie de cette épargne soit

obligatoirement adossée en actions, l’établissement financier supportant ce risque, puisqu’il est évident que pour beaucoup de Français le PEL devient un produit, parmi d’autres, pour rémunérer leur épargne. Mais, il ne semble pas que cette orientation puisse être utilement suivie. En effet, les dépôts servent à des emplois pour financer les crédits immobiliers. Et il ne paraît pas illogique d’adosser les prêts immobiliers classiques sur cette épargne logement.

- la seconde serait de recentrer le dispositif de l’épargne logement sur sa

vocation initiale, c’est-à-dire un produit d’épargne subventionné pour un emploi précis : le prêt épargne logement. Ainsi, la prime versée par l’Etat ne serait réservée que pour les emplois à partir des prêts épargne logement, ce qui dégonflerait le coût budgétaire et ferait perdre sans doute de l’attrait à cette épargne peu risquée pour les particuliers, mais également détournée des activités productives (investissement en actions).

Il est évident qu’un tel projet demandera une expertise plus fine, mais les

montants d’épargne qui seraient ainsi dégagés, s’ils étaient employés de manière optimale à des placements en actions, permettraient par l’importance des sommes en jeu de reconquérir une partie de notre actionnariat domestique.

III.2. Continuer à promouvoir l’épargne salariale et l’actionnariat salarié Les ordres de grandeur sont les suivants : la capitalisation boursière est de

l'ordre de 1 541 Mds€ fin 2000 (80 % du PIB). Pour diminuer de 10 points la part des non-résidents, qui est actuellement voisine de 38% de la capitalisation boursière françaises, de façon à situer celle-ci au niveau du Royaume-Uni, il faudrait procéder à 154 Mds€ d’achats d'actions. Cet effort est à comparer avec les 88 Mds€ de flux annuels de l’assurance vie et les plus de 6 milliards d’euros de l’épargne salariale. En admettant que celle-ci soit immobilisée et investie en totalité en actions, soit une proportion plus forte qu'actuellement, il faudrait, au rythme actuel, près de 25 ans pour parvenir à ce résultat, les salariés actionnaires détenant alors 12 % de la capitalisation boursière.

C'est dire que l’épargne salariale ne pourra, seule, répondre à cet objectif

ambitieux, mais seulement y contribuer. D’ailleurs, des motifs de prudence et la nécessité d’élargir la dévolution de l’épargne salariale à des secteurs et à des entreprises où des besoins massifs de fonds propres s’expriment, s’ajoutent au constat de son envergure modeste au regard de l’objectif poursuivi.

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Néanmoins, si l'épargne salariale ne peut que constituer une réponse partielle tant les masses financières nécessaires à une reconquête des fonds propres de nos entreprises sont encore sans commune mesure avec ses possibilités, l’ensemble de la réforme de l’épargne salariale et en particulier la priorité au développement du nouveau plan partenarial d’épargne salariale volontaire (PPESV), désormais proposé aux salariés, parallèlement au plan d’épargne entreprise à l’horizon plus court est susceptible d’avoir un effet positif significatif.

Alors même que le dispositif vient d’être adopté, il semblerait contre-

productif de faire de nouvelles propositions qui brouilleraient la clarté du dispositif, accueilli favorablement par l’ensemble des acteurs de l’épargne salariale. Trois points méritent cependant d’être signalés :

- d’une part, l’ensemble des décrets d’application n’a encore pas été pris ce

qui risque de gêner le dynamisme du dispositif ; - d’autre part, même s’il était compréhensible lors de la création du PPESV

d’instituer un prélèvement de 8,2 % au profit du fonds de solidarité vieillesse sur la partie de l’abondement dépassant 2300 € afin de participer à l’équilibre général du produit, cette imposition risque d’avoir un effet dissuasif sur le décollage du plan. En effet, dans ce cas le régime favorable dont il bénéficie ne se démarque pas du PEE qui dispose en revanche d’un horizon deux fois plus court. Il sera donc nécessaire d’évaluer prochainement l’incidence de cette imposition

- Enfin, l'actionnariat salarié et, plus généralement, l'épargne salariale

investie en actions diversifiées par le biais des fonds communs de placement d'entreprise, a une seconde fonction à remplir, d'ordre qualitatif, aussi importante que la précédente, et pour laquelle elle a une vocation particulière : favoriser le développement économique durable, plutôt que la course aux rendements financiers.

L’épargne salariale a intérêt à promouvoir des comportements d'entreprise

"socialement responsables" et à sélectionner en conséquence la composition de leur portefeuille, de façon à favoriser ces entreprises aux dépens des autres et d'agir ainsi indirectement, mais concrètement en faveur de la cohésion sociale.

L'expérience semble montrer que ce type d'investissement n'est pas

désavantageux à long terme, et même au contraire plutôt plus favorable à l'épargnant141.

141 C'est en tout cas ce que semblent montrer les indices boursiers établis sur ces bases, notamment aux Etats-Unis, où cette forme d'actionnariat s'est beaucoup développée ces dernières années : un huitième de l'épargne investie à Wall Street (2160 milliards de dollars) est désormais placée sur des supports d'épargne "socialement responsables". Cette forme d'actionnariat dispose même d'un indice, composé de 400 valeurs, le Domini Index, qui bat régulièrement l'indice de référence, le Standard & Poor's 500 (cf. par l’épargne salariale au cœur du contrat social, précité).

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Le développement d'un actionnariat socialement responsable, suppose tout d'abord que soient établis les critères de comportement socialement responsables, qui peuvent être éthiques, sociaux, environnementaux, pour que l'on puisse examiner si les entreprises analysées respectent ou non ces critères. Un travail continu d'évaluation est donc une condition préalable pour développer ce type d'actionnariat, ce qui suppose que des organismes d'évaluation existent et qu'ils disposent des moyens nécessaires. Or, la France et l'Europe, sont en retard dans ce domaine142.

Il importe donc que l’accent soit mis sur ce point par les pouvoirs publics

afin que des critères pertinents soient précisés et que leur publicité soit réalisée pour développer un actionnariat éthique.

III.3. Renforcer notre actionnariat domestique par son développement et par l’implication patrimoniale des salariés

La France reste caractérisée au regard du taux élevé de détention moyen de

son actionnariat par des investisseurs étrangers. Ainsi, l’origine étrangère du capital des groupes montre que la France souffre de l’absence de fonds d’épargne retraite. La première cause de cette situation provient du fait que la plupart de nos partenaires accordent plus d’importance aux mécanismes de capitalisation privés qu’en France. La volonté de reconquérir notre actionnariat, par exemple avec l’instauration de fonds de retraite est ancienne et on peut seulement rappeler succinctement quelques éléments du débat.

En premier lieu, la question de la création de nouveaux investisseurs

institutionnels en France doit être posée. Puisque le dispositif de l’assurance vie et celui de l’épargne salariale, étudiés précédemment, ne peuvent suffire à une reconquête massive de notre actionnariat domestique, il est normal de chercher auprès de nouveaux investisseurs, un placement à long terme capable de stabiliser, d’orienter et de protéger les entreprises comme les salariés.

En tout état de cause, comme le soulignait le rapport précité sur la nouvelle

nationalité de l’entreprise, « si la création de fonds de pension en France peut être envisagée, ce n’est pas pour des raisons d’équilibre démographique ; quel que soit le régime de retraite par répartition ou capitalisation, le problème reste le même : comment partager le PIB d’une année donnée entre actifs et retraités ». Les pays fondés sur la retraite par capitalisation n’échapperont pas au vieillissement de la population.

Pour ses partisans, la création de tels fonds d’épargne retraite ne correspond

pas à l’objectif de privilégier l’épargne de capitalisation au détriment du système français de répartition, mais plutôt de transformer l’épargne française suffisante, mais mal orientée, vers des placements en actions. Or, la manière la plus efficace de le faire, c’est sans doute de développer des fonds d’épargne pour la retraite basés, puisque dans ce cas, l’horizon de placement permet de privilégier, comme le font les fonds de pension et l’investissement en actions.

142 En France, la société ARESE, filiale de la Caisse des Dépôts et Consignations, procède à des évaluations de ce type. En Europe, le "réseau européen des entreprises pour la cohésion sociale" a diffusé un guide des bonnes pratiques en matière d'emploi et s'intéresse à la question de la notation sociale des entreprises.

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En second lieu, selon les mêmes, la composante en capitalisation, quelle que soit la forme, permet de financer une partie des pensions versées par l’utilisation des profits des entreprises plutôt que par des prélèvements sur les actifs. Les fonds anglo-saxons tirent une partie de leurs profits réalisés de leurs placements en France, en Allemagne ou en Italie, ce qui allègent d’autant les prélèvements sur les actifs américains ou anglais. Pour le salarié français, en revanche, on pourrait estimer qu’il paye deux fois sa retraite : une première fois au titre de sa retraite future par ses cotisations et une seconde fois au titre des bénéfices distribués aux fonds de pensions, par l’entreprise qui l’emploie, qui servent à payer la retraite du salarié américain ou anglais.

Dès lors, la mise en place de fonds français permettrait d’appeler le

financement des retraites à partir des profits des entreprises françaises qui seraient moins captés par les fonds de pension étrangers. Au total, l’existence d’une épargne retraite partiellement basée sur un système de capitalisation contribuerait à un système plus efficace économiquement.

IV. Redonner une place centrale à l’action syndicale Par ailleurs, les risques d’un tel système sont connus. D’une part instituer

une épargne retraite individuelle ne garantit pas une gestion idéale pour les ménages : soit que ces ménages n’épargnent pas suffisamment, soit qu’ils n’en ont pas les moyens, ce qui introduit des facteurs puissants d’inégalité. D’autre part, la logique de rentabilité poussée à son terme peut être dangereuse à la fois pour les ménages et pour les entreprises. Les normes anglo-saxonnes fixent des règles élevées en matière de rentabilité financière aux entreprises tout en reportant le risque sur ces dernières et sur les salariés. Ainsi, les fonds à cotisations définies sont à la source directe de la concurrence vive que se livrent les gestionnaires et des exigences financières inconsidérées envers les entreprises.

Pour autant, il paraît important de relancer le débat de l’épargne

complémentaire retraite à partir de l’exemple récent de l’Allemagne. Ce pays a été à l’origine du système bismarckien par répartition. Or, le gouvernement Schröder vient d’introduire un système de capitalisation individuelle destiné à compléter les traditionnelles retraites publiques par répartition.

Encadré N° 27 : La réforme allemande sur les retraites

Les grands principes de la réforme : - une maîtrise du taux de cotisation légal (19/20 % jusqu’en 2020 puis 22 % en 2030) ; cette maîtrise du taux des cotisations devrait éviter que les charges de retraite renchérissent fortement le coût du travail - un rythme d’augmentation de pensions légales contenu (67 % des salaires au lieu de 70 % aujourd’hui) - l’instauration de fonds de pension complémentaires sur une base volontaire et avec des incitations financières des pouvoirs publics (le système monte progressivement en charge pour atteindre son plein régime en 200) : les salariés pouvant consacrer 1 % de leur revenu brut augmenté de 1 % tous les deux ans pour atteindre 4 % du revenu 2008. Cette instauration est soutenue par une bonification attribuée à l’Etat qui atteindra 300DM pour un célibataire, 600 DM pour un couple plus 360 DM par enfant à charge en 2008. Sur ce dernier point, le fait que l’effort de capitalisation se fasse sur une base volontaire avec le soutien des pouvoirs publics permet d’afficher une augmentation du montant global des retraites à terme. Les nouveaux fonds à l’allemande devraient drainer une épargne de qualité avec des flux annuels estimés à 60 Md DM par an

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en régime de croisière. Cet élément contribuera au renforcement de la place financière de Francfort et s’inscrit dans une logique plus large de réformes allant dans ce sens (exonération des plus values sur les cessions de participations, réforme des autorités de régulation, baisse des déficits publics). C’est un des points qui a justifié le rachat de la Dresdner Bank par Allianz. La réforme a obtenu un soutien assez large de la société civile même si l’opposition (CDU-CSU) est restée hostile. Ainsi, les chambres de commerce et d’industrie, les constructeurs de logements et les syndicats, à l’origine opposée à la réforme, ont appelé à son vote par les députés et le Bundesrat. Les Länder ont vu l’intérêt de la réforme et veulent jouer un rôle-clé dans la mise en place des instruments destinés aux entreprises. Très rapidement, d’ailleurs, les syndicats allemands comme IG Metall143 (syndicat de la métallurgie, de l’automobile et de l’industrie électrotechnique où travaillent 3,5 millions de salariés) se sont emparés du produit pour mettre en place des fonds de pension, soit seul soit avec le syndicat patronal Gesamtmetall (signature prévue au second semestre 2001). Même intérêt pour le syndicat IG-BCE (secteurs énergie et chimie). Le but est que l’argent soit géré par les partenaires sociaux sous forme de fonds de pensions. Pour les syndicats, il n’est pas question de laisser les salariés seuls aux mains des banques et des assurances. Ils attachent une grande importance à une approche éthique de la gestion du fonds par la fixation de critères de bonne conduite aux choix d’investissements. Les salariés des PME devraient profiter des mêmes avantages que ceux des grandes entreprises, alors qu’ils étaient exclus des systèmes de retraites complémentaires proposés par les entreprises.

Or, les syndicats allemands qui ont été longtemps hostiles à une telle

réforme ont vu tout l’intérêt qu’il y avait à s’y investir. Comme le précise IG Metall, il est important que les syndicats « occupent le terrain sans laisser les salariés seuls aux mains des banques et des assurances »144. Cette démarche, qui permet aux syndicats de peser sur les conditions de la gestion des fonds, serait certainement plus efficace que les appels aux boycotts, ainsi que le montre également l’exemple québécois.

143 Partisan de la réforme, le ministre du travail, M. Walter Riester est l’ancien numéro deux d’IG-Metall. 144 Le Monde du 11 mai 2001.

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Encadré N° 28 : Présentation du système québécois (le fonds de solidarité des travailleurs québécois (FTQ)

Le fonds de solidarité créé dans un contexte de crise violente (parmi les pays du G7, c’est le Canada qui a subi la récession la plus forte au début des années 1980 et, au sein du Canada, c’est le Québec qui a le plus souffert), la séduction exercée par ce projet a été forte. Le résultat : 450 000 actionnaires, plus de 22 MdsF (3,4 Mds€) et 90 000 emplois créés ou sauvegardés dans un pays de moins de 7 millions d’habitants. A l’échelle de la France, cela voudrait dire 4 millions d’actionnaires, 180 milliards de francs (50% de l’épargne salariale) et près de 800 000 emplois. Le système réside dans l’attribution par le gouvernement québécois et le gouvernement fédéral d’une exonération fiscale : 30 % de crédit d’impôt limité à 1500 $ (dans un pays où 90 % des ménages paient l’impôt sur le revenu). Le cumul de la déduction fiscale réservée au fond des travailleurs québécois, de celle prévue pour les régimes d’épargne retraite individuelle et des abondements exigés des employeurs permet aux salariés de faire de l’épargne quasiment sans payer et de mettre cette épargne au service de l’emploi. Elle ne s’est pas contentée de cet avantage de collecte pour l’épargne retraite. Sa force est d’en avoir fait un système, qui lie plusieurs questions les unes aux autres : de la réduction d’impôt immédiate, on passe à la constitution d’un capital pour la retraite ; de ces capitaux pour la retraite, on passe à des investissements pour l’emploi ; à ces investissements sont associés une formation des travailleurs ; et de ces investissements au coup par coup, on passe à des investissements stratégiques au niveau québécois. Mais au-delà de ce cercle vertueux, le FTQ se donne d’autres principes : - un capital « patient » : la durée de ses investissements est à long terme (en moyenne huit ans) avec un réinvestissement dans 40 % des cas dans l’entreprise ; - un accompagnement des PME dans tous les cycles de sa croissance, mais sans ingérence ; - une demande d’un rendement raisonnable : l’objectif est de privilégier l’investissement à long terme. Le fonds de solidarité est au service de l’action syndicale : l’amélioration de l’image de la FTQ (et sans doute les investissements effectués par le fonds) favorisent la syndicalisation ; la formation économique renforce la position des représentants syndicaux dans l’entreprise ; le fonds constitue un débouché naturel pour les dirigeants syndicaux. Pour le FTQ, la seule manière de lutter contre l’individualisation et une rentabilité excessive passe par la responsabilisation des syndicats. Car contrairement au système allemand qui a mis l’accent sur le paritarisme, le système québécois insiste sur une approche purement syndicale.

Il est donc envisageable de mettre en place comme au Québec (fonds gérés

par les syndicats) ou en Allemagne (fonds gérés par les partenaires sociaux) des fonds complémentaires de retraite. Les premiers sont intéressants car ils fixent des objectifs en matière de placements (orientation vers les PME, obligation de création d’emplois). Les seconds permettent un partenariat réel entre les syndicats et les entreprises pour éviter la fragilisation du système par répartition. Il serait inévitable de recourir à cette dernière solution en cas d’abondement par l’entreprise. Si tel n’était pas le cas, la première solution pourrait être envisagée au moins, dans un premier temps.

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RESUME DU RAPPORT Conformément à la mission qui nous avait été confiée par le Premier ministre, nous avons tenté de formuler des propositions pour accroître l’attractivité du territoire français, et contribuer à en faire un lieu privilégié de création d’emplois et de richesses. Les divers travaux déjà réalisés sur ce sujet - notamment le rapport de Frédéric Lavenir sur « L’entreprise et l’Hexagone » - et surtout les nombreuses personnalités rencontrées – du monde économique, syndical, universitaire, politique – nous ont permis d’aboutir à un diagnostic clair. Loin de tout alarmisme déplacé, mais aussi de toute autosatisfaction, nous constatons que la France a des atouts reconnus – le territoire français, la qualité des hommes et des femmes, la qualité de vie – mais aussi des faiblesses : une fiscalité jugée dissuasive, un environnement juridique et social considéré comme peu propice aux affaires. Elle a su, jusqu’à présent, tirer parti de ces atouts : le retour, depuis 1997, à une croissance supérieure à la moyenne européenne, en est la meilleure preuve.

Mais des échéances nouvelles – l’avènement de l’euro, l’élargissement de l’Union européenne – viennent sans cesse rebattre les cartes et font que, dans un monde de plus en plus mobile, aucune position n’est acquise pour longtemps. Il convient donc, à notre sens, de poursuivre le travail engagé depuis 1997 pour encourager l’innovation et la recherche, alléger la charge fiscale pesant sur l’emploi et sur l’investissement, redonner sa vitalité au dialogue social. Mieux : il faut donner à ce travail une nouvelle dimension, par une véritable mobilisation de la société française. Mobilisation dans le cadre européen certes, qui est désormais le prolongement nécessaire de la France et de son influence dans le monde. Mais mobilisation qui implique avant tout pour la France de répondre à ces questions depuis trop longtemps en suspens : comment rendre l’action publique plus efficace ? Comment mettre en place un nouveau contrat social entre des partenaires sociaux puissants et responsables ? Le succès de la stratégie de compétitivité que nous préconisons au service de la voie française sera, en définitive, lié à ces postulats.

En tout état de cause, cette stratégie doit s’articuler, à notre sens, autour de deux idées essentielles : renforcer la vocation mondiale de la France d’une part, consolider l’enracinement national de nos entreprises d’autre part. Renforcer la vocation mondiale de la France, cela signifie en faire un lieu d’accueil attractif pour les investisseurs étrangers à la recherche d’une implantation durable, créatrice d’emplois et de richesses. A cette fin, il faut savoir améliorer notre image et la promouvoir. Cela passe par une stratégie de communication plus active auprès des investisseurs, à même de combler le décalage entre la France réelle, la 4ème puissance économique mondiale, le promoteur d’Airbus et de la fusée Ariane, et la France imaginée ou ressentie par les investisseurs étrangers, celle de la baguette, du béret et de l’administration selon Courteline. Cela passe par des efforts pour faciliter la vie des étrangers qui s’installent chez nous pendant quelques années pour raisons professionnelles ou d’études, les « impatriés », en simplifiant les formalités administratives et en leur donnant un interlocuteur unique, qui parle leur langue ou à défaut l’anglais. Cela passe enfin par un accroissement des échanges internationaux, pour faire en sorte que la nouvelle génération des « décideurs » étrangers conserve une certaine sympathie pour la France et pour sa culture : créer en France de véritables « Villa Médicis »

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pour la recherche ou l’innovation, le luxe, la mode ou le management, où les élites internationales pourraient venir se familiariser à la culture et à l’excellence françaises ; maintenir par des opérations de prestige des réseaux d’influence et de communication internationaux ; favoriser l’accueil des étudiants étrangers en France. Au-delà de notre image, il faut savoir renforcer les atouts, qui nous permettent à l’heure actuelle de faire venir les étrangers et de mobiliser les capitaux. C’est d’autant plus vrai quand ces atouts sont menacés, comme c’est le cas dans le domaine de la recherche et de l’innovation. Face à la domination américaine dans les hautes technologies, seule une action volontariste, aussi bien à l’échelle européenne qu’à l’échelle française, peut nous éviter d’être définitivement distancés. Cela implique d’accroître les financements européens pour la recherche, de relancer les programmes de coopération et de mettre enfin en place un vrai brevet communautaire, peu coûteux. Cela implique également, à l’échelle nationale, de réactiver la politique de recherche sous l’égide du ministère de la défense, prenant en cela exemple sur le rôle de diffusion des technologies joué par la défense aux Etats-Unis – la Silicon Valley et la route 128 sont les filles naturelles du Pentagone. Il convient enfin de promouvoir la recherche industrielle, par les financements budgétaires, par une extension du dispositif unanimement apprécié du crédit d’impôt recherche (CIR) et – last but not least – en poursuivant le travail de rapprochement entre le monde productif et la recherche publique, entamé par la loi Allègre sur l’innovation. En matière de financement de l’innovation justement, beaucoup a déjà été fait depuis 1997. Nous proposons d’aller plus loin pour drainer l’investissement vers les entreprises de croissance, améliorer les dispositifs fiscaux favorables à l’amorçage et renforcer les outils de motivation destinés aux salariés (élargissement du régime des bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise – BSPCE - aux entreprises cotées depuis moins de cinq ans sur un marché d’entreprises innovantes et abaissement du capital minimum requis pour une société par actions simplifiée – SAS - de 250 000 F à 50 000 F). Un deuxième atout à renforcer, c’est notre système de formation. Les filières de formation initiale scientifiques et technologiques sont unanimement appréciées, et la présence d’IUT, de BTS, d’écoles d’ingénieurs ou d’une université scientifique réputée est souvent un argument majeur dans les choix de localisation. Cet argument ne conservera toute sa valeur que si les formations dispensées restent en prise avec les besoins du monde économique, ce qui implique notamment de les ouvrir encore davantage sur l’international. Il faut également faire en sorte que les filières scientifiques et technologiques gardent leur attractivité auprès des jeunes, dans un contexte mondial où la France, grâce au prestige attaché aux formations scientifiques et mathématiques, souffre plutôt moins de la pénurie d’ingénieurs et de scientifiques que d’autres pays du monde. Mais la formation initiale ne suffit pas à garantir une main-d’œuvre de qualité : d’où l’importance cruciale attachée à la réussite du nouveau dispositif de validation des acquis de l’expérience, et la proposition que nous formulons d’un « passeport formation », qui garantirait le droit individuel à la formation continue. Il ne suffit pas de renforcer nos atouts, il faut aussi s’attaquer résolument aux faiblesses qui nuisent à notre attractivité auprès des investisseurs étrangers. La première, vivement ressentie par des investisseurs étrangers pour lesquels l’accord des parties est une chose sacrée, est l’insécurité juridique qu’ils reprochent à la France, notamment sur le plan fiscal et social. A cette fin, la mission propose de mieux faire connaître les dispositifs existant en France dans le domaine fiscal – système du « rescrit » notamment – en leur accordant une publicité accrue. S’agissant du domaine social, donner davantage de place à l’accord des

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partenaires sociaux par rapport à la loi est une œuvre de longue haleine, qui renvoie au nouveau contrat social que nous appelons de nos vœux. Des premiers pas peuvent aider à amorcer le mouvement : donner aux partenaires sociaux pleine compétence pour définir l’étendue réelle de la notion de « cadre dirigeant » selon la loi Aubry relative aux 35 heures ; rendre obligatoire l’intervention d’un médiateur avant tout recours judiciaire, en élargissant ainsi à l’ensemble des conflits collectifs le dispositif proposé par la loi de modernisation sociale pour les seuls projets de restructuration. Une deuxième faiblesse souvent dénoncée tient non à notre cadre juridique mais à nos pratiques administratives, trop complexes. A cet égard, le chantier de la simplification doit être repris ; l’Etat peut notamment s’employer à faciliter la création des entreprises et à alléger les problèmes de trésorerie des PME, en améliorant les délais de paiement de l’Etat et des acheteurs publics et surtout en raccourcissant les délais de remboursement des crédits de TVA pour cette population. Consolider l’enracinement national de nos entreprises est le nécessaire corollaire de cette stratégie d’attractivité : il faut garder en France les centres de décision, les implantations stratégiques, les emplois hautement qualifiés que génèrent les grands groupes d’origine française qui « tiennent leur rang » dans la compétition internationale. L’histoire ou l’attachement sentimental n’y suffiront pas : il faut donner à ces groupes – ou aux grands groupes de demain, qui naissent dans les secteurs de haute technologie – des raisons de conserver en France leur « centre de gravité ». Ce n’est pas une simple question d’amour-propre cocardier : c’est la meilleure garantie que ces groupes, et ceux qui les dirigent, garderont, dans une économie mondialisée, une sensibilité aux valeurs – justice sociale, cohésion, exception culturelle française – que nous entendons promouvoir. Un premier impératif pour faire en sorte que ces groupes internationaux restent à base française est de leur fournir un cadre fiscal adapté à leur développement. A cet égard, il convient, à court terme, de réduire le coût fiscal des rapprochements d’entreprises, appelés à se multiplier avec le passage effectif à l’euro (ouverture sur option du bénéfice du régime fiscal des fusions aux opérations de dissolution-confusion selon l’article 1844-5 du code civil, fin des restrictions subsistant dans le cadre des opérations d’apport partiel d’actifs selon l’article 210B du CGI, neutralité du régime fiscal des opérations de scission et simplification du régime des apports de participations correspondant à des branches complètes d’activités). A moyen terme, on ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur le niveau d’imposition global des entreprises, dans un contexte européen et international radicalement modifié par la réforme fiscale allemande. Il s’agira, ainsi, de réfléchir sur la mise à niveau de l’impôt sur les sociétés ; de réformer le régime fiscal des distributions, reposant sur la combinaison de l’avoir fiscal et du précompte, conçu dans les années soixante et profondément inadapté à des groupes français qui ont acquis une envergure internationale. Cela implique également de réfléchir sur le maintien de l’imposition des plus-values sur les titres de participation, où le basculement de l’Allemagne vers l’exonération, qui devrait être suivi à terme de l’Italie et du Royaume-Uni, a fait passer la France dans le camp minoritaire en Europe, huit – et peut-être bientôt dix – pays sur quinze exonérant ces plus-values. Il s’agira enfin de porter à son terme la réforme de la taxe professionnelle qui, si elle ne pénalise plus directement l’emploi, frappe toujours lourdement les investissements des entreprises. Parmi ces problématiques de fiscalité des entreprises, une importance particulière doit être dévolue aux questions liées à la place financière de Paris. Celle-ci joue en effet un rôle

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structurant, au service du financement de l’économie nationale, de l’innovation : l’essor du capital-risque et du capital-investissement est pour beaucoup dans le dynamisme français retrouvé de ces dernières années. Or le risque d’affaiblissement de la place financière de Paris, face à Londres et même, au sein de la zone euro, devant l’ascension de Francfort, n’est pas négligeable. Il rendrait plus difficile le financement de nos entreprises, de notre croissance ; il aboutirait à ce que ce soit essentiellement des analystes financiers et des gestionnaires étrangers qui évaluent nos entreprises, et les jugent en fonction de leurs critères propres. Il entamerait aussi le dynamisme d’un secteur important pour Paris et sa région, générateur d’emplois hautement qualifiés (mais aussi d’emplois administratifs de support et de « back office »), de rentrées fiscales et d’une partie du rayonnement international d’une grande métropole. Les acteurs de la place financière de Paris ont su se fédérer, avec les collectivités locales, au sein de l’association Paris Europlace, et impulser un certain nombre d’actions pour accroître le rayonnement de cette place. Nous proposons que les pouvoirs publics accompagnent cette stratégie de renouveau. Au-delà d’une mesure technique (harmonisation du régime de TVA applicable aux FCP et aux SICAV), deux mesures essentielles pourraient être envisagées : la suppression ou a minima la déductibilité de la contribution des institutions financières ; la suppression du taux marginal de la taxe sur les salaires. Cette deuxième mesure bénéficierait également à tout le secteur hospitalier et associatif ; son coût élevé rendrait toutefois indispensable un étalement sur plusieurs années. Un deuxième impératif tient à la fiscalité des personnes, celle qui touche les patrimoines et les revenus.

S’agissant de la fiscalité des personnes, les entreprises implanteront leurs centres stratégiques – recherche et développement, « design », fonctions administratives de haut niveau – là où elles seront certaines de trouver – ou de pouvoir faire venir – le personnel de grande qualité dont elles ont besoin : scientifiques, créateurs, managers, analystes financiers… Or la combinaison de la fiscalité des revenus et des cotisations sociales (ce qu’on dénomme le « coin fiscalo-social ») rend extrêmement difficile d’assurer à ces experts le niveau de rémunération nette auxquels ils peuvent prétendre. Pourquoi une entreprise garderait-elle en France un centre mondial de recherche contre le cancer, où ont vocation à se retrouver les meilleurs spécialistes de la discipline recrutés à travers le monde, s’il lui coûte à peu près deux fois moins cher, à niveau de rémunération après impôt égal, d’implanter ce centre au Royaume-Uni ou en Belgique ? Certes, le niveau de prélèvements obligatoires à une justification – financer un système de protection sociale et des services collectifs (éducation, santé, transports…) de qualité. La plupart des pays européens ont pris la mesure de ce problème, et neuf d’entre eux sur quinze (les seules exceptions étant, outre la France, l’Allemagne et les pays méditerranéens) ont d’ores et déjà mis en place des régimes spécifiques pour faciliter l’accueil – ou le retour – des spécialistes dont ils ont besoin pour leur croissance. Dans ces conditions, il convient d’étudier un régime spécifique pour garantir l’attractivité de la France vis-à-vis d’une population d’« impatriés » qui ne bénéficie pas de son modèle social. Sur le plan social, cela pourrait prendre la forme d’une déductibilité des cotisations versées à des régimes étrangers, voire d’une forfaitisation des prélèvements sociaux sur les salaires versés à ces « impatriés ». Sur le plan fiscal, cela pourrait aller d’une simple extension du régime dit des « quartiers généraux » à la mise en place, plus ambitieuse, d’un véritable régime fiscal « impatriés », symétrique du régime « expatriés » bénéficiant aux salariés français expatriés à l’étranger par leur entreprise, impliquant l’exonération d’une « indemnité d’impatriation », plafonnée ou non, au regard de l’impôt sur le revenu. Par ailleurs, une réforme du barème de l’impôt sur le revenu, y intégrant

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l’abattement de 20%, aurait un effet certain en terme de lisibilité de notre système fiscal, en ramenant notre taux marginal apparent d’imposition (actuellement proche de 60%, en intégrant CSG et CRDS) à un niveau compatible avec celui affiché par nos concurrents (de l’ordre de 40 à 45%). S’agissant de la fiscalité du patrimoine, l’impôt de solidarité sur la fortune, qui contribue à l’équilibre de notre système de redistribution, ne doit pas pour autant générer d’effets pervers. Il faut chercher à ce que l’impôt soit accepté et ne soit pas perçu comme confiscatoire. Or le refus de toute actualisation du barème depuis plusieurs années a eu un impact psychologique négatif. C’est pourquoi nous recommandons que, comme pour tout autre impôt, le barème de l’ISF fasse l’objet d’une actualisation régulière et de revenir sur la mesure Juppé de 1996, qui a créé une véritable « trappe à délocalisations ». D’autre part, les règles d’exonération de l’outil de travail peuvent jouer à rebours de leur objet, qui était de favoriser les entrepreneurs par rapport aux « rentiers ». C’est pourquoi il nous paraît utile d’étudier deux options : la suppression de l’exonération de l’outil de travail et le passage à un impôt à assiette large et à taux faible, capable de taxer plus efficacement le capital improductif, ou un élargissement des conditions d’exonération pour en limiter les effets pervers (abaissement du seuil de détention de 25% à 5%, élargissement des fonctions donnant droit à exonération…). Un troisième impératif enfin tient à la nécessité de faire en sorte que nos entreprises restent, pour une part significative, détenues par des actionnaires français, et que les fonds de pension anglo-saxons ou les autres investisseurs institutionnels étrangers ne soient pas les principaux bénéficiaires des efforts d’innovation et de productivité consentis par les salariés français. Cela implique trois orientations essentielles. La première serait de réorienter l’épargne longue vers les actions. A l’heure actuelle en effet, la France n’est pas, globalement, en déficit d’épargne longue, avec un taux d’épargne global de l’ordre de 15%. Elle soutient en revanche, à grand renfort d’argent public, des dispositifs comme l’assurance vie ou l’épargne logement, qui ne contribuent que faiblement à la croissance économique. Les placements en actions ne représentent en effet que 25% des 693 Md€ de placements détenus par les sociétés d’assurance françaises, alors que les actifs obligataires en totalisent les deux tiers. Il convient, à cette fin, que les pouvoirs publics recherchent un aménagement des règles prudentielles et limitent les possibilités de sortie anticipée, afin d’obtenir un rééquilibrage progressif en faveur des actions. S’agissant de l’épargne logement, le coût budgétaire des primes versées (1,473 Md€) apparaît élevé pour une épargne qui ne bénéficie que très minoritairement (12,3%) à son but initial, à savoir les prêts au logement. Les PEL et autres CEL sont donc aujourd’hui davantage un véhicule attractif pour une épargne sans risque qu’un soutien à l’accession à la propriété. Pour y remédier, il serait envisageable de revenir à la vocation originelle du PEL et du CEL, c’est-à-dire de conditionner la prime versée à l’octroi d’un prêt logement. Ceci « dégonflerait la bulle » et contribuerait à orienter l’épargne vers des usages plus productifs. A défaut, une alternative – moins cohérente intellectuellement – serait de proposer qu’une partie de l’épargne ainsi recueillie soit obligatoirement investie en actions par les établissements financiers collecteurs.

La deuxième serait de continuer à promouvoir l’épargne salariale et l’actionnariat salarié, en accélérant la parution des décrets d’application de la nouvelle loi sur l’épargne salariale et en réfléchissant à la suppression du prélèvement de 8,2% au profit du fonds de

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solidarité vieillesse sur la partie des versements des entreprises dépassant 2 300€, mesure qui risque d’avoir un effet dissuasif sur le décollage de l’ensemble du dispositif. La troisième, enfin, serait d’aller plus loin que la loi sur l’épargne salariale, dans le sens du développement de l’implication patrimoniale des salariés. Sur la base de l’exemple récent de l’Allemagne, et plus ancien du Québec, on peut imaginer qu’au travers de fonds gérés par les syndicats ou les partenaires sociaux pourra se développer une nouvelle forme de régulation, susceptible d’accroître l’implication effective des salariés dans la gestion des entreprises. Le Fonds de solidarité des Travailleurs Québécois (FTQ), géré par une centrale syndicale et bénéficiant, pour les versements des salariés et des employeurs, de divers avantages fiscaux, a ainsi pu devenir un acteur majeur de l’économie de la « Belle Province », avec 22 MdF d’investissements et 90 000 emplois créés ou sauvegardés (ce qui représenterait, à l’échelle de la France, 180 MdF d’investissements et 800 000 emplois). Il est en mesure de mener une stratégie de long terme, accompagnant la croissance des petites et moyennes entreprises et faisant la promotion de pratiques de gestion compatibles avec les valeurs humanistes de l’action syndicale.

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