Radiochimiothérapie comme traitement médical du cancer de lâÅsophage. La chirurgie est-elle...

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Radiochimiothérapie comme traitement médical du cancer de lœsophage. La chirurgie est-elle toujours nécessaire ? Chemoradiation as medical treatment for esophageal cancer. Is surgery always necessary? L. Bedenne 1,2 , S. Hamza 1,2 , J.-L. Jouve 1,2 1 Service dhépatogastroentérologie, CHU, 1, boulevard de Lattre-de-Tassigny, F-21034 Dijon cedex, France 2 Fédération francophone de cancérologie digestive, faculté de médecine, université de Bourgogne, Dijon, France Reçu le 5 décembre 2012 ; accepté le 5 mars 2013 Abstract: It is now proven that pre- operative chemotherapy (CT) and chemoradiation (CRT) increase R0 resection rate and overall survival. Moreover, CRT results in about 30% pathologic complete response. Indeed two randomized trials sho- wed that survival was similar after definitive CRT or after CRT and sur- gery in locally advanced esopha- geal squamous cell cancer, despite more frequent local recurrences. In one of these trials (FFCD 9102), only clinical responders were ran- domized between surgery and no surgery, therefore clinical non- responders could be operated on without delay. Indeed, survival of randomized patients and non- randomized operated patients was not different. Evidence of benefit of surgery is poorer in case of delayed recurrence. Only small non-randomized studies tackled the issue: R0 resection rates ranged from 50 to 87%, 5-year survival rates from 0 to 33% and operative mortality from 12.5 to 25%. A radi- cal change in the strategy against locally advanced esophageal can- cer is upcoming: to start therapy with curative CRT and perform sur- gery only in non-responders and in case of operable loco-regional delayed relapse. Before recommen- ding this strategy, the benefit of delayed salvage resection should be assessed in a prospective strate- gic randomized trial, currently in preparation by the FFCD and the FRENCH. Keywords: Esophageal cancer Chemotherapy Chemoradiation Surgery Résumé : Il est maintenant prouvé que la chimiothérapie (CT) et la radiochimiothérapie (RTCT) pré- opératoire augmentent le taux de résection R0 et la survie globale. En plus, la RTCT entraîne environ 30 % de réponses complètes pathologiques. Par ailleurs, deux essais randomisés ont montré que la survie était similaire après RTCT à visée curative ou après RTCT préopératoire suivie de chi- rurgie ; ces résultats ont été obte- nus dans les cancers épidermoï- des localement avancés, malgré des récidives locales plus fréquen- tes. Dans lun des essais (FFCD 9102), seuls les répondeurs clini- ques à la RTCT étaient randomisés entre chirurgie ou non ; ainsi, les non-répondeurs pouvaient être opérés sans délai. De fait, les patients randomisés et les non- répondeurs opérés avaient une survie non différente. Le bénéfice de la chirurgie est moins évident pour les récidives plus tardives. Quelques petites études non ran- domisées ont abordé cette ques- tion. Les taux de résection R0 y va- riaient entre 50 et 87 %, avec une survie à cinq ans de 0 à 33 % et une mortalité opératoire de 12,5 à 25 %. Un changement radical de stratégie se profile dans le cancer de lœsophage, à savoir commen- cer par une RTCT à visée curative et nopérer que les non- répondeurs ou les rechuteurs ré- sécables. Avant de recommander cela, le bénéfice de la résection « de sauvetage » pour récidive retardée devra être évalué dans un essai randomisé stratégique, actuellement en préparation par la FFCD et la FRENCH. Mots clés : Cancer de lœsophage Chimiothérapie Radiochimiothé- rapie Chirurgie Longtemps, la chirurgie a été considérée indispensable dans le traitement du cancer de lœso- phage, et lutilité de la chimiothé- rapie (CT) ou de la radiochimiothé- rapie (RTCT) préopératoire a été discutée [7,10]. En fait, daprès plu- sieurs méta-analyses concordan- tes, ces deux approches apparais- sent utiles, en particulier la RTCT préopératoire [19,22,26,27]. Dans les méta-analyses de Thirion et al. [26,27], les seules réalisées à partir des données individuelles, CT et RTCT préopératoires ont entraîné un bénéfice significatif en survie à cinq ans, respectivement de 4,3 et 6,5 % (HR : 0,87 et 0,82). Cette amé- lioration était observée indépen- damment de lâge, de létat général et de lhistologie. Ces deux traite- ments néoadjuvants ont été compa- rés dans un essai randomisé sadressant aux adénocarcinomes du cardia [22] : le bénéfice de la RTCT était à la limite de la significa- tivité, avec une survie à trois ans de 47 versus 28 % (p = 0,07). Le Correspondance : [email protected] Mise au point Update Oncologie (2013) 15: 139143 © Springer-Verlag France 2013 DOI 10.1007/s10269-013-2265-y 139

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Radiochimiothérapie comme traitement médical du cancerde l’œsophage. La chirurgie est-elle toujours nécessaire ?

Chemoradiation as medical treatment for esophageal cancer. Is surgeryalways necessary?L. Bedenne1,2, S. Hamza1,2, J.-L. Jouve1,2

1Service d’hépatogastroentérologie, CHU, 1, boulevard de Lattre-de-Tassigny, F-21034 Dijon cedex, France2Fédération francophone de cancérologie digestive, faculté de médecine, université de Bourgogne, Dijon, France

Reçu le 5 décembre 2012 ; accepté le 5 mars 2013

Abstract: It is now proven that pre-

operative chemotherapy (CT) and

chemoradiation (CRT) increase R0

resection rate and overall survival.

Moreover, CRT results in about 30%

pathologic complete response.

Indeed two randomized trials sho-

wed that survival was similar after

definitive CRT or after CRT and sur-

gery in locally advanced esopha-

geal squamous cell cancer, despite

more frequent local recurrences.

In one of these trials (FFCD 9102),

only clinical responders were ran-

domized between surgery and no

surgery, therefore clinical non-

responders could be operated on

without delay. Indeed, survival of

randomized patients and non-

randomized operated patients was

not different. Evidence of benefit

of surgery is poorer in case of

delayed recurrence. Only small

non-randomized studies tackled

the issue: R0 resection rates ranged

from 50 to 87%, 5-year survival

rates from 0 to 33% and operative

mortality from 12.5 to 25%. A radi-

cal change in the strategy against

locally advanced esophageal can-

cer is upcoming: to start therapy

with curative CRT and perform sur-

gery only in non-responders and

in case of operable loco-regional

delayed relapse. Before recommen-

ding this strategy, the benefit of

delayed salvage resection should

be assessed in a prospective strate-

gic randomized trial, currently in

preparation by the FFCD and the

FRENCH.

Keywords: Esophageal cancer –

Chemotherapy – Chemoradiation –

Surgery

Résumé : Il est maintenant prouvé

que la chimiothérapie (CT) et la

radiochimiothérapie (RTCT) pré-

opératoire augmentent le taux de

résection R0 et la survie globale.

En plus, la RTCT entraîne environ

30 % de réponses complètes

pathologiques. Par ailleurs, deux

essais randomisés ont montré

que la survie était similaire après

RTCT à visée curative ou après

RTCT préopératoire suivie de chi-

rurgie ; ces résultats ont été obte-

nus dans les cancers épidermoï-

des localement avancés, malgré

des récidives locales plus fréquen-

tes. Dans l’un des essais (FFCD

9102), seuls les répondeurs clini-

ques à la RTCT étaient randomisés

entre chirurgie ou non ; ainsi, les

non-répondeurs pouvaient être

opérés sans délai. De fait, les

patients randomisés et les non-

répondeurs opérés avaient une

survie non différente. Le bénéfice

de la chirurgie est moins évident

pour les récidives plus tardives.

Quelques petites études non ran-

domisées ont abordé cette ques-

tion. Les taux de résection R0 y va-

riaient entre 50 et 87 %, avec une

survie à cinq ans de 0 à 33% et une

mortalité opératoire de 12,5 à

25 %. Un changement radical de

stratégie se profile dans le cancer

de l’œsophage, à savoir commen-

cer par une RTCT à visée curative

et n’opérer que les non-

répondeurs ou les rechuteurs ré-

sécables. Avant de recommander

cela, le bénéfice de la résection

« de sauvetage » pour récidive

retardée devra être évalué dans

un essai randomisé stratégique,

actuellement en préparation par

la FFCD et la FRENCH.

Mots clés : Cancer de l’œsophage –

Chimiothérapie – Radiochimiothé-

rapie – Chirurgie

Longtemps, la chirurgie a été

considérée indispensable dans le

traitement du cancer de l’œso-

phage, et l’utilité de la chimiothé-

rapie (CT) ou de la radiochimiothé-

rapie (RTCT) préopératoire a été

discutée [7,10]. En fait, d’après plu-

sieurs méta-analyses concordan-

tes, ces deux approches apparais-

sent utiles, en particulier la RTCT

préopératoire [19,22,26,27]. Dans

les méta-analyses de Thirion et al.

[26,27], les seules réalisées à partir

des données individuelles, CT et

RTCT préopératoires ont entraîné

un bénéfice significatif en survie à

cinq ans, respectivement de 4,3 et

6,5 % (HR : 0,87 et 0,82). Cette amé-

lioration était observée indépen-

damment de l’âge, de l’état général

et de l’histologie. Ces deux traite-

ments néoadjuvants ont été compa-

rés dans un essai randomisé

s’adressant aux adénocarcinomes

du cardia [22] : le bénéfice de la

RTCT était à la limite de la significa-

tivité, avec une survie à trois ans

de 47 versus 28 % (p = 0,07). LeCorrespondance : [email protected]

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Update

■Oncologie (2013) 15: 139–143© Springer-Verlag France 2013DOI 10.1007/s10269-013-2265-y

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manque de puissance de cette

étude (risque β de 60%) s’expliquait

par un effectif de 119 patients

seulement, en raison d’un arrêt

précoce.

Par ailleurs, deux essais rando-

misés ontmontré que la RTCT seule

ou suivie de chirurgie entraînaient

une survie similaire dans les can-

cers épidermoïdes localement

avancés : dans les essais allemand

et français FFCD 9102 [3,21], les

taux de survie à deux ans étaient

respectivement (bras chirurgie/non

chirurgical) de 40 versus 35 %

(Fig. 1), et 34 versus 40 % (Fig. 2) ;

cela malgré un taux de récidive à

deux ans plus élevé dans le bras

non chirurgical, respectivement de

36 versus 59% (p = 0,003), et 34 ver-

sus 43 % (p = 0,001 ; Tableau 1).

Ces résultats ont été transposés

dans le Thésaurus national de can-

cérologie digestive (TNCD), la RTCT

seule devenant en 2008 un traite-

ment de référence pour le cancer

épidermoïde de l’œsophage locale-

ment avancé [25]. Elle est une

option dans les Recommandations

2009 de l’European Society for

Medical Oncology (ESMO) [20].

Chirurgie de recoursen l’absence de réponse

Dans l’essai allemand [21], la rando-

misation se faisait à l’inclusion,

alors que dans l’essai FFCD 9102

[3] un bilan était réalisé après

une RTCT de type préopératoire

(46 Gy–5-FU–CDDP deux cures) ;

seuls les répondeurs étaient rando-

misés entre la chirurgie et uneRTCT

de complément (20 Gy–5-FU–CDDP

une cure). Ainsi, les non-

répondeurs cliniques pouvaient

être opérés sans délai. De fait, la

survie s’est avérée similaire chez

les 259 patients randomisés et

chez les 77 non-répondeurs, non

randomisés, mais ayant été opé-

rés : survie médiane 17,0 versus

18,9 mois chez les randomisés

(NS, p = 0,40) [8]. Des résultats

encourageants avaient déjà été

observés : Bates et al. ont montré

que 17 patients opérés, sans

réponse complète pathologique

(RCp) après RTCT préopératoire

avaient une survie médiane de

12,9 mois et un taux de survie à

trois ans de 25 % [2]. Dans une

étude non comparative de Piessen

et al. [15], chez des patients avec

cancer infracarinaire non répon-

deurs à la RTCT, l’œsophagectomie

a permis une survie médiane de

18,4 mois en cas de résection R0

(62 %), contre 8,6 mois en cas de

résection R1-R2 (p < 0,001). Dans

cette étude, des facteurs associés

à l’absence de résection R0 ont été

recherchés, mais même dans le

plus mauvais sous-groupe, celui

0

0.00

0.25

0.50

0.75

1.00

Monate

STRATA :

Su

rviv

al D

istr

ibu

tio

n F

un

ctio

n

Overall Survival Arm 1 vs. Arm 2

Log-rank for equivalencep = 0.007

Arm = 1Arm = 2

Censored Arm = 1Censored Arm = 2

20 40 60 80 100 120

Fig. 1.Survie globale dans l’étude allemande (Stahl et al.) bras 1 : chirurgie ; bras 2 :radiochimiothérapie seule. Survie globale à deux ans (1 vs 2) : 40 vs 35 %

0

129

130 122 84 61 40 29 25 21 14

108 79 51 31 25 23 17 13

Patients at risk

Arm A (surgery)

Arm B (chemoradiation)

Arm A (surgery)Arm B (chemoradiation)

0.2

0.4

0.6

0.8

1.0

6 12 18 24 30 36 42 48

Time (months)

Su

rviv

al (%

)

Surgery

3 - month mortality

Length of hospital-stay

Palliative procedures againstdysphagia : Stent or Dilatation

Chemo-XRT P value

24% 46% < 0.0005

9% 1% < 0.005

68 days 52 days < 0.05

A

Fig. 2.Survie globale dans l’essai FFCD 9102 (Bedenne et al.) bras A : chirurgie ; bras B :radiochimiothérapie seule. Survie globale à deux ans (A vs B) : 34 vs 40 %

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des patients ayant une tumeur

supérieure à 5 cm avec contact aor-

tique supérieur à 90°, le taux de

résection R0 était encore de 39 %.

Prédire la réponse complète

À l’évidence, seuls les patients

n’ayant pas de RCp devraient avoir

une œsophagectomie de recours,

malheureusement la concordance

est mauvaise entre réponse

clinique et pathologique. Dans une

étude de 72 patients avec cancer de

l’œsophage traités par RTCT puis

chirurgie ni la disparition des symp-

tômes, ni la normalisation de l’ima-

gerie, ni l’endoscopie ou l’échoen-

doscopie n’ont identifié de façon

fiable une RCp [1]. L’endoscopie

est faiblement prédictive de

réponse complète : Bates et al. ont

montré que 7 sur 17 (41 %) patients

avec biopsies endoscopiques néga-

tives avaient encore de la tumeur

sur la pièce opératoire [2]. Schnei-

der et al. ont calculé un taux d’exac-

titude de 47 % pour des biopsies

endoscopiques négatives [18], et

d’après Sarkaria et al., 104 sur

137 patients (76 %) avaient des

biopsies endoscopiques négatives

après RTCT, mais la valeur prédic-

tive pour une RCp était de 35 %

seulement. Sans surprise, la valeur

prédictive de biopsies positives

pour une maladie résiduelle était

de 95 % [17]. Pour améliorer l’exac-

titude de l’endoscopie, les biopsies

ont été répétées, sans succès : pour

Brown et al., parmi 30 patients

avec deux séries de biopsies endo-

scopiques négatives, seuls 15

(50 %) avaient des pièces exemptes

de cancer [4]. Le TEP-scan est inca-

pable de prédire la RCp, pendant ou

après traitement : dans une méta-

analyse de 20 études (849 patients),

la prédiction de la réponse patholo-

gique, définie par moins de 10% de

cellules tumorales viables sur la

pièce était de 67 % (30 à 100 %).

Dans trois études où l’évaluation

par TEP prenait place après

14 jours de traitement néoadju-

vant, la sensibilité variait entre 75

et 93 %, et la spécificité entre 75 et

88 % [9]. En conclusion, aucune

technique n’est en mesure de pré-

dire de façon fiable le degré de

réponse, et seule la présence de cel-

lules malignes après la fin de la

RTCT— non réponse— oupendant

le suivi — récidive — est un argu-

ment pour une chirurgie de recours.

Chirurgie de « sauvetage »

Si la résection paraît bénéfique aux

non-répondeurs initiaux [2,8,15], le

bénéfice éventuel est moins bien

documenté en cas de récidive. Les

études ayant abordé cette question

n’ont inclu que 167 patients, dont

123 au Japon, et presque tous

avec des cancers épidermoïdes

(Tableau 2).

Meunier et al. ont pratiqué une

chirurgie de sauvetage de 3 à

17 mois après RTCT seule (60 Gy)

chez six patients. Chez cinq d’entre

eux, l’opération était « très difficile

en raison des séquelles postra-

diques ». Cependant, seul un sur

six est mort en postopératoire [11].

D’Journo et al. ont étudié 24

patients opérés après RTCT à visée

curative (> 50 Gy), avec un délai

moyende2,5mois, essentiellement

pour rechute (18/24). La survie à

trois ans était de 35 %, et la survie

médiane de 27,0 mois pour les

Tableau 2. Études sur la chirurgie « de sauvetage » après radiochimiothérapie dans le cancer de l’œsophage épidermoïde(adapté de D’Journo et al. [6])

?

Auteur, année [réf.] n Radiothérapie (my-Gy)

Résection R0 (%) Mortalité 90 j (%) Survie 5 ans (%)

Meunier et al., 1998 [11] 6 60 ND 17 0Swisher et al., 2002 [23] 13 57 77 15 (30 j) 25Nakamura et al., 2004 [13] 27 60 67 4 (30 j) 30Tomimaru et al., 2006 [28] 24 62 67 13 33Oki et al., 2007 [14] 14 65 50 14 32D’Journo et al., 2008 [6] 24 56 88 25 35Tachimori et al., 2009 [24] 59 > 60 85 8 (30 j) 38 (3 ans)

?

ND : non disponible.

Tableau 1. Résumé synoptique des deux essais randomisés comparant radiochi-miothérapie (RTCT) seule à RTCT suivie de chirurgie dans le cancer de l’œsophageépidermoïde

?

FFCD 9102 RCT-chir vsRCT n = 259

GECSG RCT-chir vsRCT n = 172

Résection R0 (bras chirurgie) 75 % 59 %RCp chez les opérés 23 % 29 %RTCT-chir vs RTCT seule :Mortalité liée au ttt (%) 9 vs 1

p = 0,0313 vs 4p = 0,03

Survie médiane (m) 18 vs 19 16 vs 15Survie à 2 ans (%) 34 vs 40 40 vs 35Récidive à 2 ans (%) 56 vs 59 49 vs 65Récidive locale à 2 ans (%) 34 vs 43

p = 0,00136 vs 59p = 0,003

?

GECSG : German Esophageal Cancer Study Group ; FFCD : Fédération francophonede cancérologie digestive ; RCp : réponse complète pathologique ; ttt : traitement

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patients réséqués R0 versus

11,0mois en cas de résectionR1 [6].

Nakamura et al. ont comparé 27

patients aprèsRTCTà visée curative

(dose moyenne 60 Gy) et chirurgie

de « sauvetage » avec 28 patients

appariés opérés après RTCT néoad-

juvante (dose moyenne 39 Gy).

L’intervalle moyen entre l’irradia-

tion et la chirurgie était de 3,7 ver-

sus 0,9 mois. Le taux de survie à

trois ans était de 38 % dans les

deux groupes, et dans le groupe

« sauvetage » il n’y avait pas de dif-

férence entre ceux réséqués avant

ou après trois mois suivant la

RTCT [13].

L’étude rétrospective de Tomi-

maru et al. a inclu 24 patients dans

le groupe « sauvetage » (RTCT avec

60 Gy) et 26 dans le groupe néoad-

juvant (RTCT avec 40 Gy). Le délai

moyen avant chirurgie était de 6,1

versus 1,3mois. Le seul facteur pro-

nostique en analyse multivariée

était la résection R0 (67 % des

cas), avec un taux de survie à cinq

ans de 50% versus aucun survivant

après 12 mois chez les patients

R1-R2. Le stade T clinique ou la

réponse clinique initiale (RC ou

non) n’étaient pas des facteurs

significatifs. L’intervention était

plus longue et les pertes sanguines

plus importantes dans le groupe

« sauvetage » que dans le groupe

néoadjuvant [28].

Swisher et al. ont montré chez

13 patients que l’œsophagectomie

de « sauvetage » avec un délai

moyen de 18 mois (4–56 mois)

après RTCT à visée curative (dose

moyenne 57 Gy) était faisable : dix

patients ont été réséqués R0, deux

sont décédés en postopératoire et

quatre ont survécu plus de deux

ans, tous après résection R0 [23].

Tachimori et al. ont comparé 59

patients atteints de cancer épider-

moïde ayant subi une œsophagec-

tomie de « sauvetage » après RTCT

à visée curative (> 60 Gy), avec

553 témoins œsophagectomisés

d’emblée. Dans le groupe « sauve-

tage », 10 % n’avaient pas de

tumeur, 85 versus 91 % avaient

une résection R0 (NS), la mortalité

hospitalière était de 8,0 versus 2,2%

(p = 0,01) et le taux de survie à

trois ans était de 38 versus 61 %

(p < 0,05). Les complications signifi-

cativement plus fréquentes dans le

groupe « sauvetage » étaient :

médiastinite et nécrose trachéo-

bronchique (19 versus 5,2%), fistule

anastomotique (31 versus 25 %) et

infection de paroi (27 versus 15 %).

Aucune nécrose trachéobron-

chique n’est survenue après l’aban-

don du curage trois étages. Deux

facteurs étaient significativement

associés à une survie courte dans

le groupe « sauvetage » : une résec-

tion non R0 et une tumeur T4. Le

temps jusqu’à la résection (plus ou

moins de 12 mois) et la réponse

initiale à la RTCT n’influençaient

pas le pronostic [24].

Quelles leçons tirer de ces

études hétérogènes, où les taux de

résection R0 vont de 50 à 87 %, la

survie à cinq ans de 0 à 33 % et la

mortalité opératoire de 13 à 25 % :

– seule la résection R0 est asso-

ciée avec une longue survie, donc

la chirurgie de « sauvetage » ne

doit pas être tentée en cas de

tumeur T4 [6,11,13,14,23,24,28] ;

– le pronostic ne diffère pas en

cas de non-réponse à la RTCTou de

rechute tardive [13,23,24,28], bien

que Swisher et al. suggèrent qu’a-

près deux ans, la fibrose postra-

dique rend la résection risquée

[23] ;

– un curage de trois champs

doit être évité, car il accroît le

risque de fistule et de nécrose tra-

chéale [13,24] ;

– l’œsophagectomie de « sau-

vetage » pour rechute après RTCT

à visée curative augmente la mor-

bidité et la mortalité comparée à

l’œsophagectomie après RTCT

préopératoire.

Bien que la plupart des patients

avec chirurgie de recours aient reçu

60 Gy ou plus, dans une étude une

dose supérieure à 55 Gy était asso-

ciée avec une mortalité hospita-

lière doublée. Ce n’était pas signifi-

catif en raison du faible nombre

de patients [6]. Cependant, vu

l’absence de bénéfice en survie

d’une RTCT avec 64 versus 50 Gy

dans l’étude INT 0123 [12], il semble

prudent de ne pas délivrer de fortes

doses de radiation lors d’une RTCT

à visée curative, pour ne pas empê-

cher une intervention de recours.

Les données sur les résections

de « sauvetage » proviennent de

petites études rétrospectives, post

hoc ou au mieux cas-témoins. Le

bénéfice de la chirurgie de « sauve-

tage » devra être confirmé de façon

prospective et randomisée, après

une RTCT assez intensive pour éra-

diquer les tumeurs sensibles sans

accroître le risque d’une chirurgie

éventuelle, avec une technique

d’irradiation moderne épargnant

les tissus sains.

La FFCD (Fédération franco-

phone de cancérologie digestive)

et la Fédération de recherche en

chirurgie (FRENCH) préparent une

étude prospective randomisée,

dans les cancers de l’œsophage de

stade III opérables, en réponse

clinique après RTCT (ESOSTRATE).

Le bras de référence sera la RTCT

suivie de chirurgie systématique,

et le bras expérimental la RTCT sui-

vie de chirurgie seulement en cas

de récidive locale opérable. La

RTCT sera optimisée en accord

avec les résultats des études récen-

tes ouen cours : CTd’induction [21],

nouvellesmolécules comme l’oxali-

platine, les taxanes ou le cétuximab

[16], associées à la radiothérapie

étalée conformationnelle [5]. Il sera

important de disposer d’une RTCT

capable de dépasser les 30 % de

RCp. L’étape préliminaire est donc

un essai randomisé comparant la

RTCT préopératoire par docétaxel–

carboplatine, avec ou sans cétuxi-

mab, l’essai SAKK 75/08, en cours

en Suisse, en Allemagne et mainte-

nant en France avec la FFCD et la

FRENCH. Même si le critère princi-

pal est la survie sans récidive, le

taux de RCp et la tolérance du trai-

tement expérimental seront obte-

nus rapidement et serviront de

base pour l’essai stratégique. Dans

l’étude de phase II SAKK 75/06, ce

schéma a entraîné chez deux tiers

des patients une réponse patholo-

gique majeure, sans toxicité de

grade IVnimortalité opératoire [16].

Par ailleurs, les données de tolé-

rance chez les 149 premiers inclus

de l’essai SAKK 75/08 ne montrent

Dossier

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pas de surmortalité ni de morbidité

supérieure dans le bras avec

cetuximab.

Cet essai ESOSTRATE pourra

valider le changement stratégique

majeur qui s’esquisse dans le can-

cer de l’œsophage épidermoïde

localement avancé opérable, à

savoir commencer le traitement

par une RTCT à visée curative et

réserver la chirurgie aux non-

répondeurs ou aux tumeurs récidi-

vant en locorégional, non métasta-

tiques et non T4.

Conflit d’intérêt : Les auteurs

déclarent ne pas avoir de conflit

d’intérêt.

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