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DaNse contact - TV Satelite - CuisiN familial NICOLAS DICKNER 3 Extrait de la publication

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Édith se dressa dans le lit. Son téléphoneavait vibré sur la table de chevet. Le cadran indi-quait 1:47 – l’heure des faux numéros, desUkrainiens saouls et des urgences. Ça n’auguraitrien de bon.

C’était un texto. Une douzaine demots qu’elleparcourut d’un bref regard. Elle alluma sa lampede chevet, tira son ordinateur de sous l’oreilleret se posta en lotus au coin du lit. Elle ratissa soncourrier, puis Google Maps, et sembla mémori-ser une adresse située dans l’ouest de l’île.

Édith se comportait bizarrement depuisquelques semaines. Elle se levait la nuit pourfaire des recherches à l’ordinateur, y consacraitparfois des heures, mais jamais elle ne m’en di-sait quoi que ce soit. Elle avait l’air absente, té-léguidée. Quelque chose la rongeait.

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Depuis trois jours, la situation paraissait surle point d’exploser – ou d’éclore.

Nous en étions (enfin) là.

Elle referma l’ordinateur et le glissa dans unrepli de couette. Puis, d’un seul mouvementfluide, elle retira sa camisole et s’engouffra dansla garde-robe. Elle ressortit cinq minutes plustard, vêtue d’une somptueuse robe de soiréenoire que jamais auparavant je ne l’avais vueporter. Un vêtement visiblement hors de prix,moulant comme une combinaison de plongée,taillé dans une étoffe impossible. Nanotextile ?Cuir d’anguille ?

Elle lissa la robe sur ses hanches, vérifia sasilhouette dans le miroir. Elle hésita entre deuxpaires de boucles d’oreilles, opta pour de fauxdiamants qu’elle enfila en grimaçant dans sestrous cent fois cicatrisés, cent fois repercés.

Elle me lança un regard en ricochet dans lemiroir.

— Je vais avoir besoin de toi.

Puis, sans attendre ma réponse :

— Tu as quelque chose de décent à te mettre ?

À mon tour de passer dans la salle de télé-portation. Je tirai de sa housse ce complet noirqui n’avait servi qu’à deux occasions : les nocesde mon grand-oncle Archibald, et ses funé-railles subséquentes, six mois plus tard. Ma-riage, obsèques et raids nocturnes : un costardtout-terrain.

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J’arrivai dans le salon en terminant de bou-tonner ma chemise. Édith approuva du chef.Elle me passa la cravate au cou et noua un demi-Windsor avec adresse.

— Depuis quand tu sais nouer une cravate ?

— Quarante-cinq secondes. Merci Google.

Une demi-heure plus tard, fringués pour unopéra dont j’ignorais la nature exacte, nous rou-lions à 130 kilomètres à l’heure sur l’autoroutede la Côte-de-Liesse. Sur la voie de desserte,des bennes lourdes de neige souillée circulaienten direction du plus proche dépôt à neige.

Édith pilotait sa vieille Subaru avec flegme.Posé à plat sur le tableau de bord, son téléphoneaffichait notre progression,mais elle ne lui prê-tait aucune attention. Elle connaissait le che-min.

Je gigotais surmon siège, mal à l’aise dans lesmultiples et inhabituelles strates de mon habit.Tout m’emprisonnait : cravate, épaulettes,ceinture. Je me sentais comme un corps étran-ger que le veston aurait essayé d’expulser. Édith,quant à elle, semblait aussi à l’aise dans sa robede soirée que dans un vieux jeans.

Elle obliqua dans une sortie et, sans ralentir,traversa la voie de desserte. Elle vira aussitôtdans une rue perpendiculaire et fila dans lapénombre du parc industriel – une muqueused’entrepôts et de garages, de stationnements,de zones de chargement et de conteneurs em-pilés. On devinait les lumières de l’aéroport

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international àmoins d’un kilomètre, et les feuxclignotants de la tour de contrôle.

Certains endroits étaient mieux éclairésqu’en plein jour, mais entre ces zones de lu-mière vive s’étendaient des trous d’une noir-ceur invraisemblable. L’unique trace de vie étaitles convois de semi-remorques, repérablesgrâce à leurs feux de position. Des tracteursronflaient çà et là, attendant qu’arrivent desinstructions de Singapour, New York ou Chi-coutimi. De temps en temps retentissait legrondement d’un frein Jacob, comme un cripréhistorique. La dernière migration des mam-mouths avant l’ère glaciaire. Aucune traced’Homo erectus dans les parages.

Édith prit quelques embranchements, puisralentit : la rue se terminait en cul-de-sac. Jeremarquai aussitôt l’établissement incongru quise dressait là, poétiquement baptisé Bar SalonTotal Sexe. Une enseigne mobile jaune à lettresamovibles, parquée dans le coin du stationne-ment, annonçait DANSE CONTACT – TV SATELITE –CUISIN3 FAMILIAL.

Notre destination, à l’évidence.

Édith rangea la Subaru sous un lampadaire,près de l’enseigne mobile. Elle consulta l’heuresur son téléphone, sortit un paquet de gommede sa poche et me le tendit. Cannelle. Qui mâ-chait encore de la gomme à la cannelle en cetteépoque de menthol transgénique ? J’en acceptaiune. Regrettai aussitôt. Aldéhyde cinnamique :pire que de poser sa langue sur les diodes d’une

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pile électrique. Je crachai ma gomme dans unvieux mouchoir.

Tout en chiquant son poison, Édith dégainasonportable – Beammeup, Scotty – et se bran-cha sur un réseau wifi. Je m’étonnai que l’onpuisse capter un signal dans ce trou. À l’est setrouvaient les bureaux d’Aeroflot (fermés pourla nuit), à l’ouest, ceux d’ExParcel (fermés pourde bon) et au nord, un entrepôt long d’un kilo-mètre, gris cendre, dépourvu de toute raisonsociale, et dans le flanc duquel s’ouvraient unequarantaine de quais de chargement, presquetous occupés par des semi-remorques.

Pas à dire, c’était un drôle d’endroit – mêmepour un bar de danseuses.

Édith consultait Gmail, son visage bleutédans la lumière du téléphone. Elle sombraitdans une concentration telle, devant ce minus-cule écran, qu’elle en oubliait de cligner desyeux. Elle paraissait possédée. Je lui en avais faitla remarque, un jour, et elle avait prétendusouffrir d’une inhibition du globus pallidus –cette zone du cerveau qui rythme le mouvementdes paupières. De fait, elle n’empochait jamaisson téléphone sans une bouteille de larmesartificielles.

J’ai fait un geste vague en direction du TotalSexe.

— Nous ne sommes pas un peu surfringuéspour venir aux danseuses ?

Elle leva les yeux de son téléphone et fixa levide, décontenancée par ma question – comme

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si je lui avais parlé en finnois et qu’il lui fallaittraduire chaque mot. Elle jeta un coup d’œildans le rétroviseur.

— Faut pas se fier aux apparences.

Elle se repencha sur son téléphone.

— Tu veux dire que les Rock Machine ont uncode vestimentaire, maintenant ?

— N’y a plus de RockMachine ici. Les yakuzasont racheté le club il y a deux ans – et ils sont,oui, un peu plus à cheval sur l’étiquette.

Des yakuzas ? La situation devenait intéres-sante.

Je détaillai pour la première fois les voiturescordées dans le stationnement. L’inventaireétait franchement anormal : une Audi, deuxBMW, une Jaguar, quelques Mercedes et unHummer limousine. LaMercedes la plus procheportait une plaque du corps diplomatique, et unchauffeur patientait, assis au volant, le visageilluminé par l’écran de son iPod.

— Je ne savais pas qu’il y avait des yakuzas àMontréal.

— Ils sont new-yorkais.

— Et qu’est-ce que des yakuzas new-yorkaisfont dans le parc industriel de Lachine ?

— Comme tout le monde. Recherche et déve-loppement.

De la recherche et développement dans ledomaine de la danse à dix dollars ? J’éprouvais

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une perplexité croissante. Devant nous, le pan-neau mobile clignotait sporadiquement. Quel-que part sous les lettres CUISIN3 FAMILIAL, untube fluorescent s’apprêtait à rendre l’âme.

Édith éteignit son téléphone. L’heure H. Ellecracha sa gomme dans le cendrier, se mit durouge à lèvres – puis nous effectuâmes une sor-tie dans le froid, direction la porte du Total Sexe.

Un lutteur de sumo montait la garde sous unporche en bardeaux écaillés. Habit impeccable,menton en étrave, une cicatrice en forme de tri-dent sur le dos de la main. Édith expliqua quenous avions rendez-vous avec monsieur Chung.

Le portier nous jaugea des pieds à la tête, ju-gea que nous pouvions passer – et nous entrâ-mes dans l’enceinte sacrée du Total Sexe.

J’examinai les lieux. Pas la moindre trace deTV satelite ou de cuisin3 familial – mais le pan-neau mobile disait vrai sur un point : il y avaitbel et bien de la danse contact.

Au milieu de la place, plongée dans une im-pressionnante colonne d’eau, une fille vêtued’un string, d’une ceinture plombée et d’unebouteille d’air comprimé se livrait au corps àcorps avec une pieuvre.

Unemusique indécise agrémentait le specta-cle – lounge coréen, post-techno ou jazz orbi-tal. Dans l’apesanteur relative de l’eau, les seinsde la fille décrivaient des rotations irréelles,tandis que ses cheveux flottaient autour d’elle,entremêlés aux tentacules. De temps en temps,elle parvenait à extirper un bras de ce paquet de

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nœuds, et on distinguait,même à cette distance,une ancre bleue tatouée sur son biceps. Le genrede tatouage qui aurait paru plus à sa place dans lederme d’un gaillard de la Royal Navy.

J’étais si abasourdi que j’en restai planté prèsde la porte, bras ballants et bouche bée.

Lorsque je repris mes esprits, au bout d’uneminute, j’étais seul. Assise au zinc, Édith nouscommandait une paire de martinis. Je la rejoi-gnis et, d’un bref geste dumenton, je désignai lacolonne d’eau.

— C’est quoi ça ?

— Octopus vulgaris, marmonna distraite-ment Édith, croyant que j’indiquais l’animal quienlaçait la danseuse.

— Non, cet… endroit.

— Je te l’ai dit. Un centre de R et D administrépar les yakuzas.

— Ils recherchent-et-développent quoi aujuste ?

— Potentiel commercial.

Potentiel commercial ? Je lorgnai du côté dela citerne. Quel pouvait bien être le potentielcommercial de cette… comment dire ? Luttedans le Jell-O 2.0 ? Porno tentacule ? Danseérotique non newtonienne ?

Édith haussa les épaules.

— Sous-culture japonaise. C’est comme letamagotchi ou les toilettes avec tableau de bord.Faut pas chercher à comprendre.

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Deux martinis glissèrent devant nous, sha-ken not stirred, avec une double hélice de zestede citron. Je pris une gorgée : le martini parfait.La fille derrière le zinc aurait mérité un doctorathonoris causa.

Édith ignorait son verre. Elle détaillait laclientèle avec un regard détaché. Essentielle-ment des Asiatiques, attablés par petits groupes.Le long du mur, plusieurs banquettes en cui-rette orange accueillaient un mélange de clientsréels et de clients virtuels présents par le tru-chement d’écrans LCD grandeur nature.

Une très intense odeur de fric flottait dansl’air – ce qui rendait le choix du local d’autantplus singulier. Sans doute cet endroit reposait-il sur le second degré : la décoration kitch, lesmeubles fatigués et le crépi carié devaient ajou-ter une touche d’exotisme.

Les vieux robinets de Labatt 50 reluisaient,l’air tout droit sortis des vitrines d’un anti-quaire, mais je doutais qu’ils fussent branchéssur des barils. J’imaginais mal un yakuza boirede la 50. Les boissons sérieuses garnissaientl’étagère derrière le bar : une impressionnantecollection de single malt, de rhums rarissimesrepêchés dans des galions espagnols, de tequilasreposados – le tout dédoublé par un vieux mi-roir Jack Daniel’s dépoli dans les coins.

Dans la citerne, le poulpe resserrait sonétreinte sur la fille, dont le détendeur éructaitde grosses bulles d’air. Je me demandais si elleparviendrait à s’en tirer indemne d’ici la fin dunuméro.

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Je sifflai une gorgée de martini et demandai àÉdith ce que nous faisions ici au juste.

— Nous venons chercher une pieuvre.

Silence. Gorgée de martini. Extase.

Alors, nous venions chercher une pieuvre…Bon, bon, bon. Sacré détour, tout de même :n’aurait-il pas été plus simple d’aller dans uneanimalerie ? Sans doute les boutiques deMontréal ne tenaient-elles pas de pieuvres eninventaire.

— Tu n’as pas pensé à commander sur eBay ?

Elle me lança un long regard indéchiffrable.

— Les pieuvres sont trop délicates pour voya-ger par FedEx.

Je sirotai mon martini, songeur. Cette his-toire était-elle scrupuleusement légale ?Existait-il des lois contre l’importation ou la re-vente des céphalopodes vivants au Canada, avecou sans l’intermédiaire de yakuzas ?

Ce martini était vraiment impeccable.

La voix d’un annonceur retentit dans leshaut-parleurs : Ladies and Gentlemen, pleasegive a warm welcome to Ringo Starr.

Je tournai le regard vers la citerne, feignantun prodigieux intérêt pour Ringo Starr, cetteseconde pieuvre que l’on venait de larguer dansl’eau. Seize tentacules s’empilaient maintenantautour de la pauvre danseuse – et c’était un mi-racle qu’elle ne succombât écrasée sous ce sur-plus de poulpe. Combien pouvaient bien peser

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ces pieuvres ? Elles paraissaient tout en mus-cles,mais semouvaient pourtant avec la légèretévaporeuse d’un kleenex détrempé, flottant entredeux eaux.

Je me détournai du spectacle, déjà trop fami-lier. L’incroyable faculté d’accoutumance del’homme moderne.

— Et qui est ce monsieur Chong, avec quinous avons rendez-vous ?

Édith sirota sa première (minuscule) gorgéede martini.

— Chung. Carl Chung. Sino-américain,57 ans, diplômé en océanographie de l’univer-sité de Shanghai. PhD sur les migrations atypi-ques des calmars de Humboldt. Il a travaillé dixans dans les pêcheries, sur la côte Ouest et auJapon. Il a disparu de la circulation durant deuxou trois ans, puis est réapparu ici l’an dernier. Ils’occupe de l’importation et de l’entretien desanimaux.

Elle récitait tout ça de mémoire, comme uneenfant prodige dans un concours d’orthogra-phe. Combien d’heures avait-elle consacrées àse documenter ?

Je sentis soudain une présence au-dessus demon épaule. Le lutteur de sumo venait de sema-térialiser entre nous, sans lemoindre bruit – uncourant d’air de 150 kilos. Il fit un petit geste :on nous attendait.

Il nous précéda vers une porte en retrait(Staff only) qui donnait sur les coulisses.

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Je ne trouvais pas notre lutteur des plus ras-surants. Pour tout dire, la situation ressemblaitdiablement à ce moment de l’histoire où lesdeux protagonistes recevaient une raclée à l’ar-rière du bâtiment, entre le conteneur à déchetset la bombonne de propane. Je me forçai àgarder mon sang-froid.

Nous suivîmes un corridor étonnammentlong, qui se terminait sur une porte panique. Enl’absence de clients, le côté vétuste de l’endroitprenait des allures sordides. Plancher en béton,murs en préfini ornés de cratères et de marquesd’impact. Des tuyaux de cuivre couraient auplafond, couverts de condensation et de vert-de-gris.

Un courant d’air frais poussait une odeurd’iode et demoisissure, et on entendait un bruitde fond assourdi – des moteurs qui ronron-naient dans les pièces adjacentes. J’imaginai descompresseurs industriels. Ou des congélateurs-tombeaux.

Certaines portes étaient entrebâillées, lais-sant deviner de fugitifs univers parallèles. Uneemployée en robe de chambre occupée à goberdes pilules, cigarette au bec. La lumière bleutéedes aquariums. Des bouteilles d’air comprimé.Des coffres à outils.

Monsieur Sumo nous précéda jusqu’à la der-nière porte. Il cogna et, sans attendre, nous in-troduisit dans une pièce exiguë, dix mètrescarrés tout au plus, dans laquelle on avait réussià coincer, aumépris des lois de la physique et du

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bâtiment : un bureau, deux grandes poubellesen plastique, cinq classeurs – non, six – et unfrigo à bière.

Puis il s’éclipsa sans bruit, nous laissant seulsdans la pièce. Aucune trace de l’océanographe,et aucune chaise où s’asseoir.

Édith s’accota nonchalamment contre unclasseur, glissa une main dans son perfecto etsortit son téléphone. Elle fit mine de l’allumer,puis se ravisa et le remis au chaud. Elle exhalaquelque chose entre le soupir et le bâillement.Quinzeminutes sans accès auWeb : elle touchaità la fin de son autonomie de vol.

Pour tuer le temps, je procédai à un inven-taire plus détaillé du bureau. Des factures. Unecalculatrice pré-Macintosh (le modèle qui im-primait les opérations sur un étroit rouleau depapier). Un téléphone à cadran kaki. Une liassede cinquante dollars sur laquelle reposait enéquilibre un grand verre de liquide blanc ambi-gu. Une dizaine de pintes de lait de soja videsjetées dans (et autour de) la poubelle. Des ma-nuels d’entretien d’aquarium.

La calculatrice méritait le titre d’Objet le PlusModerne des Parages, suivie de près par le télé-phone et le frigo à bière.

Il faisait frais, dans la pièce, et je réprimai unfrisson. Je songeai à mon martini à peine enta-mé, abandonné sur le zinc. Gaspillage.

Chung arriva enfin par une étroite porte laté-rale, que j’avais prise pour un placard. Il portait

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un sarrau et de grosses lunettes. Ses yeux voya-gèrent d’Édith à moi, puis retour.

— Vous venez pour la pieuvre ?

Accent anglais synthétique, un rien tropméticuleux, comme s’il avait appris le françaisavec la voix artificielle d’un ordinateur. Édithopina de la tête. Il fit signe de le suivre dans lapièce voisine.

Sur des étagères en acier reposaient plusieursaquariums de taille modeste – les grosses bêtesdevaient loger ailleurs, plus près de la scène. Laplupart des aquariums étaient vides. Certainscontenaient une eau verdâtre. Je flairai uneodeur de solvant, notai un pistolet à silicone surle plancher (Deluxe Water Protection).

Une pieuvre, une seule, l’air déprimé, occu-pait le tout dernier réservoir. Elle avait la tailled’un pamplemousse et, lovée contre la paroi,visionnait un DVD sur un vieil ordinateur por-table posé sur un tabouret. Il me fallut uneminute avant de reconnaître le film. C’étaitRencontre du troisième type. La scène finale.Lorsque les extraterrestres débarquaient aufond d’un cratère duWyoming dans une orgie delumières et de synthétiseurs.

Même avec le son coupé, je pouvais entendrele légendaire indicatif musical qui servait àcommuniquer avec les extraterrestres. Ces cinqnotes avaient parasité l’ADN de ma génération,un vrai virus.

Indifférente au film, Édith s’accroupit devantl’aquarium et examina la pieuvre avec un air in-

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Composition : Isabelle TousignantRévision : Fanny Fennec

Conception graphique : Antoine Tanguay et Hugues Skene

Éditions Alto280, rue Saint-Joseph Est, bureau 1

Québec (Québec)G1K 3A9

www.editionsalto.com

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