Qui peut encore sauver Israël?
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8/14/2019 Qui peut encore sauver Isral?
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Qui peut encore sauver Isral ?
Afin de sortir des dbats striles actuels sur la guerre de Gaza, tels que qui acommenc ? , qui commet des crimes de guerre ? ou qui sont les terroristes ? , nous
proposons dans les lignes qui suivent une approche plus holistique. Il est en effet ncessaire
de sortir des logiques partisanes, lesquelles ne retiennent que les faits qui les arrangent pour
tenir un discours qui na de cohrence quau sein dune vision limite du conflit. Ces visions
hermtiques saffrontent alors sans senrichir mutuellement et ne permettent pas de
comprendre pourquoi, plus de 60 ans aprs la cration de ltat dIsral et la Nakba des
Palestiniens, aucune solution na encore t trouve au conflit.
Plutt que de faire parler les motions ou dessayer dinterprter le droit international
comme le font les mdias, les gouvernements, lONU ou les dfenseurs de lune ou lautre
partie, cet article dveloppe une tentative de modle explicatif bas sur des faits objectifs et
leur mise en perspective grce des situation historiques comparables. Il sagit de montrer
pourquoi le processus de paix a chou, pourquoi la solution deux tats devient ds lors
de moins en moins raliste et pourquoi, de ce fait, se pose la question de la survie de ltat
juif, menac, non par une improbable frappe nuclaire iranienne, mais par sa propre puissance
et ses peurs qui laveuglent.
Le paradigme colonial
La question isralo-palestinienne est une problmatique coloniale. Par coloniale, nous
ne nous rfrons pas au colonialisme, il est important de bien faire la distinction. Le sionisme
est un projet national dont lobjectif est la cration dun tat souverain pour une nation, le
peuple juif, sur un morceau de terre ayant une signification historique et religieuse, la
Palestine. Il ne sagit nullement de venir dominer et civiliser une population considre
comme infrieure et dexploiter ses ressources naturelles en la soumettant au travail forc. Le
sionisme est sans aucun rapport avec les empires coloniaux franais ou britanniques qui ont
constitu larchtype du colonialisme.
Cette dimension vacue, on ne peut que relever que le sionisme est une idologie de
type nationaliste avec une particularit qui le distingue des autres nationalismes : cest un
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projet national sans territoire immdiat . Le nationalisme basque, ivoirien ou japonais
sinscrit naturellement sur le territoire occup par la population qui le promeut,
respectivement le Pays basque, la Cte dIvoire ou le Japon. Quand le sionisme merge la
fin du XIXe sicle en Europe de lEst, le peuple juif est dispers, fragment dans de nombreux
pays, et donc dans lincapacit de fonder un tat-nation sur son lieu de vie. Cette absence de
territoire va conduire le mouvement sioniste considrer diffrentes options, lOuganda sera
ainsi un temps propos comme lieu dimplantation possible dun foyer national juif et une
mission dexploration aura mme lieu dans ce pays. Mais lespace qui semble le plus propice
ce projet tatique est bien sr la Palestine, pour des raisons historiques et religieuses
videntes.
Le choix de la Palestine sera donc fait, sur le constat d une terre sans peuple pour un
peuple sans terre . Cest sur cette affirmation, qui semble frappe au coin du bon sens dans
les ghettos europens, que se construira le projet sioniste. Mais la Palestine nest pas une terre
sans peuple, elle est habite par des populations arabes dont lidentit palestinienne est
lpoque quasi-inexistante mais qui refuseront de quitter leurs terres. Des millions de Juifs
immigreront donc au cours du XIXe et XXe sicle sur un territoire dj habit et qui compte
aujourdhui des millions de Palestiniens. Cette immigration massive ne conduit bien
videmment pas lassimilation de la population immigre au sein de la population dorigine
mais la prise de pouvoir de la population non autochtone. Cest cette coexistence de deux
peuples distincts sur un mme espace et le contrle de la population allogne, plus duque et
mieux organise, sur la population autochtone qui autorise la caractrisation de cette situation
par le terme colonial .
Cette classification na pas pour objectif de conduire un jugement normatif ( cest
colonial, donc cest mal ) mais de permettre la comparaison et de mieux comprendre les
enjeux du conflit. Qualifier Isral d aventure coloniale (bien que rsultant dun projetnational) nous renvoie de nombreuses situations du mme type. Ainsi la fondation des tats-
Unis, du Canada ou de lAustralie est base sur le mme schma dune population
majoritairement europenne sinstallant sur un nouveau territoire et y reproduisant son
organisation sociale originelle au dtriment de celle des populations autochtones. Mais ces
exemples ne sont pas dune grande utilit dans le cas qui nous concerne. En effet les peuples
dorigine ont t dcims par les maladies importes et par la rpression violente dont ils ont
fait lobjet, ils sont ainsi numriquement insignifiants aujourdhui. Pour que la comparaisonsoit intressante, il nous faut examiner des contextes coloniaux o les deux peuples en
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prsence, immigrs et autochtones, forment deux groupes distincts et significatifs, ce qui
limine galement les pays dAmrique du Sud o les deux populations se sont relativement
mlanges. Nous tudierons donc les cas de lIrlande du Nord, de lAfrique du Sud et de
lAlgrie pour construire un modle thorique qui, appliqu au conflit isralo-palestinien,
devrait nous permettre de mieux comprendre pourquoi la paix semble encore et toujours
impossible.
Le modle de puissance
Pour comprendre comment un peuple peut en dominer un autre un moment donn et
comment la situation peut voluer et, soit se renverser, le domin devenant le dominateur, soit
squilibrer, les deux peuples parvenant un compromis durable, cest dire la paix
vritable et non limite au seul arrt de la violence physique, nous postulons lquation
suivante :
Puissance = Population x Rationalisation
La puissance dun peuple, et donc sa capacit dominer un autre peuple moins puissant, est
gale au produit de sa population (le nombre de personnes) par son degr de rationalisation.
La puissance que confre le poids dmographique un peuple semble tre une
vidence bien comprise, sil devait y avoir une guerre entre la Chine continentale et Taiwan,
on ne trouverait personne pour parier un centime sur le petit tat de 23 millions dhabitant
face au gant chinois dont la population dpasse largement le milliard dhabitant. Larme
dmographique est dailleurs souvent utilise de manire plus ou moins consciente par lespeuples en conflit. On peut ainsi relever le sursaut de la natalit franaise en 1940, des taux de
fcondit anormalement levs une certaine poque en Afrique du Sud (parmi les femmes
blanches), encore aujourdhui en Isral (parmi les femmes juives) et jusque dans les annes
2000 dans les Territoires Palestiniens, relativement au niveau de dveloppement respectif de
ces populations. Yasser Arafat exhortait ainsi les familles palestiniennes faire 12 enfants, 2
pour elles et 10 pour la lutte.
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Le deuxime terme de lquation de puissance est beaucoup moins bien compris, il est
cependant fondamental. Dans son livreDe lingalit parmi les socits, Jared Diamond tente
de rpondre la question suivante : pourquoi ce sont les Espagnols qui ont travers
lAtlantique, vaincu les Amrindiens et colonis leurs territoires et non linverse ? Cette
question peut tre tendue toutes les situations de domination dun peuple sur un autre au
cours de lHistoire, avec dautant plus dintrt que dans de nombreuses situations lquilibre
dmographique ne jouait pas en faveur du dominateur comme dans les cas de lAfrique du
Sud de lapartheid et de lAlgrie franaise. Cest alors la diffrence de degr de
rationalisation qui entre en jeu. Par rationalisation il ne faut pas entendre une opposition
rationnel/irrationnel mais comprendre quau cours de lHistoire les hommes se sont organiss
en socits de plus en plus complexes suivant une direction communment appele Progrs.
Sans rentrer dans les dtails et les dbats philosophiques, il apparat vident que, de
linvention des premiers outils aux dernires innovations technologiques, se dgage une
tendance de fond au perfectionnement de lorganisation sociale. La gnralisation de
lducation, la dmocratisation, la rvolution industrielle et le dveloppement conomique et
social sont les derniers avatars de cette tendance et caractrisent un mouvement de
modernisation qui gagne progressivement lensemble des socits de la plante.
Cette rationalisation est asynchrone : pour des raisons qui ne sont pas encore
clairement tablies, il apparat effectivement que les diffrents peuples ne se saisissent pas
simultanment des derniers instruments du progrs. Ceux-ci se diffusent plutt un certain
rythme, avec des phnomnes dacclration, ou au contraire de ralentissement, suivant des
contraintes gographiques, historiques, culturelles, etc. Lessentiel est dit : poids
dmographique quivalent, la puissance relative de deux peuples dpendra de leur
avancement dans ce processus de modernisation et donc de leur degr respectif de
rationalisation. Nous utiliserons deux indicateurs pour mesurer celui-ci : le taux
dalphabtisation et le PIB par habitant. Le premier indique le niveau ducatif moyen dunepopulation et le second son dveloppement conomique, deux variables qui refltent deux
phases successives dun mme processus. Le dveloppement conomique ne sacclre en
effet vritablement que lorsquune population est en grande partie alphabtise.
Le modle dfini, il est maintenant ncessaire de le tester dans diffrents contextes
coloniaux avant de pouvoir ltendre au conflit isralo-palestinien.
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LIrlande du Nord
LIrlande du Nord reprsente un cas typique de conflit colonial, permettant au passage
de souligner que le fait colonial ne se limite pas des situations opposant colons europens et
coloniss dOutre-mer. LOccident na dailleurs pas lapanage du casque colonial, le Timor-
Oriental et la Papouasie sont ainsi deux exemples de colonisation indonsienne, lune rsolue,
lautre pas encore. Sur ce petit territoire au Nord-Est de lle irlandaise saffronte deux
communauts : des Protestants descendants de colons britanniques venus sinstaller lorsque
lAngleterre dominait lIrlande (celle-ci ne deviendra indpendante quen 1922) et des
Catholiques irlandais de souche. La violence surgit dans les annes 1960 et marquera les
dcennies suivantes jusqu laccord dit du Vendredi Saint de 1998 qui amorce un long
processus de paix, lequel se poursuit encore aujourdhui.
Appliquons notre modle ce conflit.
Rpartition de la population Catholiques - Protestants (en %)
30
35
40
45
50
55
60
65
70
1890 1910 1930 1950 1970 1990 2010
pop.catholiqueUlster (%)
pop.protestantUlster (%)
La rpartition dmographique entre les deux communauts est relativement stable dans la
premire moiti du XXe sicle, environ 65% de Protestants et 35% de Catholiques. La
domination incontestable de lun des deux groupes est cependant remise en cause quand,
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partir des annes 1950, la communaut catholique prend du poids grce une fcondit plus
leve. Cette rupture marque la fin de lquilibre de domination et explique sans doute en
partie le dbut des violences dans les annes 1960. La situation en 2001 (53% de Protestants,
44% de Catholiques et 3% de non-aligns ) ne permet cependant pas dexpliquer la
nouvelle situation dquilibre marque par les accords de paix puisque dmographiquement
les Protestants dominent encore.
Ltude de la variation des PIB apporte alors un nouvel clairage. Etant difficile de
distinguer le poids relatif des deux communauts dans lconomie nord-irlandaise, nous
comparons les PIB par habitant du Royaume-Uni et de lIrlande.
PIB per capi ta en dollars 1990
0
5 000
10 00 0
15 000
20 000
25 000
1911 1921 1931 1941 1951 1961 1971 1981 1991 2001
PIB par habRoyaume-Uni(en $ 1990)
PIB par habIrlande (en $1990)
Ce graphique montre nettement un rattrapage puis un dpassement de lIrlande. Le
pays longtemps domin par son voisin arrive finalement faire mieux que lui et nous
postulons que cet indicateur conomique traduit un empowerment de la population
irlandaise tous les niveaux, aussi bien politiques que sociaux.
Si lon considre que cette volution du PIB par habitant reflte galement ltat
davancement du processus de rationalisation des deux communauts dIrlande du Nord, on
peut alors faire le produit de la population et de ce PIB un instant donn pour les deux
groupes et obtenir un graphe montrant lvolution de leur puissance relative.
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Indices de puissance relative
0
200 000
400 000
600 000
800 000
1 000 000
1 200 000
1911 1921 1931 1941 1951 1961 1971 1981 1991 2001
Indice depuissancecatholiques (%pop. X PIB)
Indice depuissanceprotestants (%pop. X PIB)
Ce dernier graphique montre que la combinaison de la puissance dmographique et de la
puissance lie au degr de rationalisation reflte lvolution de la puissance relative des
communauts protestantes et catholique. Alors que lquilibre de domination est rompu dans
la seconde moiti du XXe sicle, la violence politique traduit un processus de rquilibrage
qui sachve la fin du sicle. Le processus de paix se droule alors mme que la puissancerelative des deux groupes sgalise. La croissance conomique irlandaise ralentissant, on peut
y percevoir le signe de la fin du processus de rattrapage et donc la mise en place dun nouvel
quilibre cest--dire dune paix durable, ce que ne permettrait sans doute pas un nouveau
dsquilibre, cette fois en faveur des Catholiques.
Notre modle semble donc vrifi par le cas nord-irlandais, il reste cependant le
soumettre aux exemples sud-africains et algriens pour consolider sa validit.
LAfrique du Sud
Lhistoire de lAfrique du Sud est trs connue, rsumons brivement en disant quune
petite communaut de colons europens a contrl ce pays et la majorit de sa population
africaine jusquaux premires lections gnrales de 1994 qui propulsrent lANC de Nelson
Mandela au pouvoir. Dans ce cas, lvolution dmographique ne peut expliquer leretournement de 1994, la minorit blanche nayant jamais constitu plus de 20% de la
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population face une majorit noire en reprsentant 70 80% (il existe des minorits mtisses
et indiennes).
Le facteur rationalisation est donc primordial, il ne peut cependant tre reprsent
aussi facilement que dans le cas prcdent par la seule volution du PIB par habitant. En effet,
nous lavons dj voqu, la croissance du PIB ne caractrise quune certaine priode du vaste
mouvement de modernisation, et la monte du taux dalphabtisation en caractrise une autre,
situ plus tt chronologiquement. Or la priode qui nous intresse, entre linstauration de
lapartheid en 1948 et sa fin en 1994, correspond prcisment au dveloppement de lune de
ces deux phases pour chaque population. Le taux dalphabtisation dcolle au sein de la
population noire alors mme que la population blanche presque entirement alphabtise entre
dans une phase de croissance conomique soutenue. Comparer sparment les deux
indicateurs pour les deux groupes ne donne rien : le taux dalphabtisation des Noirs
progresse quand celui des Blancs, levs, stagne ; le PIB par habitant des Europens explosent
quand celui des Africains ne progresse que par linterpntration des deux systmes
conomiques.
Nous proposons donc dintgrer les deux indicateurs de la manire suivante : en
gardant comme rfrence le taux dalphabtisation (qui varie entre 0 et 100%) nous
permettons laccroissement de celui-ci au-del de 100 en le multipliant par un facteur tant le
rapport du PIB par habitant du groupe considr par le PIB par habitant de ce mme groupe
lorsque son taux dalphabtisation atteint 85% (cest dire quand il cesse daugmenter de
manire significative). Ce bricolage nous retourne une valeur sans unit qui, multiplie par la
population, donne un facteur de puissance relative comme dans le cas prcdent. Ne disposant
par ailleurs pas de donnes ethniques relatives au taux dalphabtisation et au PIB, nous
utilisons le taux dalphabtisation du Swaziland (pays voisin dont la population est quasi-
exclusivement Africaine) pour caractriser celui de la population noire sud-africaine (des
donnes ponctuelles confirment la validit de cette hypothse) et le PIB par habitant moyendes pays europens pour reprsenter celui de la population blanche.
Une tude plus approfondie permettrait de lever ces approximations, lesquelles
permettent cependant dobtenir un graphique de puissance intressant :
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Indices de puissance relative
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1 000
2 000
3 000
4 000
5 000
6 000
7 000
1900 1910 1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010
Indice depuissance Blancs(% pop. X %alpha+PIB)
Indice depuissance Noirs(% pop. X %alpha)
Ds 1946 les populations europennes et africaines sont au coude coude en termes de
puissance relative. Dans un rapport dmographique peu prs constant, la progression
simultane des taux dalphabtisation et de croissance du PIB permet de maintenir un certain
quilibre des forces. La minorit blanche ne domine que parce quelle est assise sur des
institutions qui lui sont favorables et que lquilibre en termes de puissance ne permet pas sa
remise en cause (et sans doute aussi grce au soutien des puissances occidentales qui
perdurera jusqu leffondrement de lUnion sovitique, malgr le boycott dclar). La
tendance est nanmoins en faveur des Noirs qui gagnent du terrain entre 1946 et 1970, anne
laquelle le rgime de lapartheid trouve une solution pour reprendre lavantage : la cration
des bantoustans, ces pseudo-tats quaucun autre pays ne reconnatra, offre un rpit dune
vingtaine danne la minorit blanche comme le montre le graphique. Le recensement de
1996 rtablit la vritable situation : les Blancs ont perdu la partie, ce sont maintenant les
Africains les plus puissants, et lmigration de nombreux Sud-Africains blancs renforce le
dsquilibre. Comme il ny a pas de stabilisation des deux groupes un mme niveau de
puissance, lancien dominateur est maintenant le domin et son avenir en tant que minorit
nest pas assur : lventualit dune drive la zimbabwenne dans les prochaines annes est
loin dtre impossible, surtout lorsque lon considre la personnalit et le parcours du futur
prsident, Jacob Zuma.
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LAlgrie franaise
Evoquons enfin brivement le cas de lAlgrie. Devenue franaise en 1830, elle ne
comptera jamais plus de 15% dEuropens qui pourtant domineront le pays jusquen 1962
avant de senfuir en France par peur de reprsailles. L encore, on retrouve une situation de
domination dune minorit sur la plus grande majorit puis un retournement qui ne peuvent
sexpliquer que par la dynamique des processus de modernisation.
Disposant de peu de donnes, on sait nanmoins que la population europenne pesait
15,2% du total en 1924 et 10,4% en 1959 et lon suppose une volution linaire. On peut
reconstituer le profil de croissance du taux dalphabtisation algrien en prenant sa valeur
actuelle (70% en 2001), on sait que le taux dalphabtisation atteint 85% en France autour de
1890 et on dcide de donner 20 ans de retard aux Franais dAlgrie du fait dune forte
immigration espagnole beaucoup moins bien duque (42% danalphabtes en 1920).
Lintgration du PIB par habitant au taux dalphabtisation se fait donc en 1911 (anne dont
le PIB est plus dans la moyenne que celui de 1910), PIB par ailleurs considr comme
quivalant 70% du PIB de la mtropole. Lensemble de ces approximations sont ncessaires
pour sapprocher quelque peu de la ralit, mais leur caractre peu rigoureux rend absolument
ncessaire une reconstruction du modle avec des donnes plus solides. On aboutit cependant
avec ces valeurs estimes au graphique suivant :
Indices de puissance relative
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500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
3 500
4 000
4 500
5 000
1920 1930 1940 1950 1960 1970 1980
Indice depuissanceFranais (%pop. X %alpha+PIB)
Indice depuissanceArabes (%pop. X %alpha)
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Lindice de puissance franais seffondre pendant la guerre (du fait de leffondrement de
lconomie pendant cette priode) puis rebondit mais le plus intressant remarquer est que la
puissance de la population algrienne rejoint celle des Pieds-Noirs au sortir de la guerre. Ce
graphique, sil tait valid par les chiffres rels, correspondrait parfaitement la ralit
historique : rveil algrien en 1945 avec les meutes puis les massacres de Stif, stabilit
jusquen 1955 puis dbut de la guerre jusqu lindpendance en 1962 et le dpart des Pieds-
Noirs quand les indices de puissance sinversent. Lespacement en 1960 indique que les
prolongements de courbe droite sont purement thoriques. Telle aurait t lvolution de la
situation si les Franais dAlgrie ntaient pas partis, en supposant une poursuite des
tendances dmographiques, donnant ainsi raison au Gnral De Gaulle : lAlgrie ne pouvait
pas demeurer franaise.
Lexamen successif des conflits coloniaux dIrlande du Nord, dAfrique du Sud et
dAlgrie semble valider le modle de puissance propos. Ces trois exemples illustrent par
ailleurs trois issues possibles dune situation de type coloniale : la coexistence et la cogestion
pacifique dans le premier cas, le retournement de la domination avec permanence des
descendants des colons dans le deuxime et enfin une autre inversion dominant-domin dans
le troisime cas, avec cette fois fuite de la population allogne. Fort de cette perspective
historique, il est temps dclairer sa lumire la situation dIsral et des Territoires
Palestiniens.
Application du modle au conflit isralo-palestinien
Si Isral stait arrt aux frontires de 1949 et navait pas envahi la Cisjordanie et la
bande de Gaza en 1967, ou si elle sen tait rapidement retire, le modle de puissancedvelopp auparavant naurait pas lieu dtre. Isral serait un tat juif bien install dans ses
frontires, avec certes une minorit arabe, mais celle-ci serait trop faible numriquement pour
tre menaante. Mais tel nen a pas dcid le cours de lHistoire. A lheure actuelle le blocus
de Gaza et surtout loccupation de la Cisjordanie lient le destin des Israliens et des
Palestiniens. La volont absolue dIsral de garder le contrle de la valle du Jourdain et de
Jrusalem, la prsence de prs de 500 000 colons juifs en Cisjordanie et Jrusalem-Est (pour
un peu plus de 2 millions de Palestiniens), dont de nombreux extrmistes difficilementcontrlables et haute fcondit et enfin, last but not least, la prsence de nappes deau
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souterraines stratgiques sous la Cisjordanie sont autant dlments nous permettant de
considrer ce conflit comme tant de nature coloniale, et donc appliquer notre modle
lensemble de la population vivant sur la Palestine mandataire.
Il ne sagit plus cette fois de retracer des vnements historiques mais dessayer de
prdire lavenir. Nous devons donc nous baser sur des hypothses plausibles et non plus sur
des statistiques existantes. Concernant la dmographie, nous utiliserons les projections du
dmographe Sergio Della Pergola de luniversit hbraque de Jrusalem. Celui-ci considre
trois scnarios dvolution dmographique possibles pour quatre populations identifies : les
Juifs israliens, les Arabes israliens, les Palestiniens de Cisjordanie et ceux de Gaza. Les
Juifs israliens ont un taux de fcondit de 2,6 enfants pas femmes en 2000 et on le supposera
constant jusquen 2050, il est en effet dj trs lev si on le compare dautres populations
de niveau de vie similaire. Nous aurions donc plutt tendance surestimer le poids
dmographique des Juifs dans les dcennies qui viennent. Les Arabes israliens, les
Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza ont un taux de fcondit de respectivement 4 - 5,4 et
7,4 enfants par femme en 2000. Ces taux ont commenc diminuer ds cette date, les
Palestiniennes semblant entamer leur transition dmographique. Ds lors, lhypothse
mdiane dune volution linaire vers 2,6 enfants par femme en 2050 semble tre la plus
raliste, quoique lon aurait prfr une chute plus rapide au dbut, puis se ralentissant
progressivement. Ces hypothses, correspondant avec les scnarios les plus souvent voqus,
donnent une volution dmographique de ce type :
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Evolution des populations en milliers
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
14 000
16 000
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050
pop. JuifsIsraliens
pop. ArabesIsral +Territoires
Dun point de vue strictement dmographique, nous serions dj aujourdhui au
tournant du rapport de force entre Israliens et Palestiniens avec des populations de taille
quivalente mais avec un large avantage donn aux Palestiniens pour la suite. Notons au
passage que la population isralienne sest largement nourrie au cours des dernires dcennies
de limmigration mais ce ressort semble aujourdhui puis : les diasporas amricaines,
franaises et anglaises, derniers foyers juifs dune taille consquente, semblent peu disposes
partir sinstaller en masse en Isral.
Nous avons nanmoins vu prcdemment que le poids dmographique ne peut suffire
dfinir la puissance relative dun peuple ; doit aussi tre intgr son niveau de
rationalisation. Les deux populations en prsence tant largement alphabtises, cest sur le
seul PIB par habitant que devrait se faire la comparaison, avec cependant de nouvellesdifficults la cl. Isral est un pays dimmigration majoritairement europenne qui a suivi le
mme chemin du dveloppement conomique que le vieux continent et ses manations (tats-
Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zlande). A partir de quoi, ds lors, extrapoler sa
croissance conomique future puisque ce pays figure dans le peloton de tte? Nous supposons
que les conomies des pays industrialises sont arrives maturit et que ds lors leur
croissance sera ralentie dans les prochaines annes. Les contraintes gologiques et
cologiques vont dans ce sens, mais pas le potentiel de croissance (qui devrait avoir un impactpositif sur la croissance conomique des pays industrialiss) des pays mergents et de
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lensemble de lex-Tiers-Monde en gnral. On postulera donc une poursuite de la croissance,
quoique ralentie, hypothse a priori favorable Isral (cf. graphique infra).
Une question similaire se pose pour les Palestiniens. Avec un faible PIB par habitant,
un dcollage conomique futur, identique celui dj expriment par de nombreux pays,
semble tre lhypothse la plus plausible, mais partir de quand ? Lexamen de lvolution du
PIB par habitant de 1950 2000 permet denvisager un dcollage imminent, on voit en effet
une inflexion de la courbe partir de 1990, avant mme que les milliards de laide
internationale naffluent suite aux accords dOslo. Le graphique reporte des profils de
croissance de diffrents pays (avec une rupture de pente autour de 5000$ internationaux
Geary-Khamis, soit le PIB/habitant des Territoires en 2000), synchroniss au PIB palestinien
en 2000 pour donner une ide du profil de la croissance palestinienne future. On choisira donc
une pente similaire, dfinissant ainsi une hypothse qui nous parat relativement raliste.
Evolution du PIB per capita en dollars 1990
0
5 000
10 000
15 000
20 000
25 000
30 000
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050
PIB par hab. Isral (en$ 1990)
PIB par hab. Palestine(en $ 1990)
29 pays d'Europe 1921
Allemagne 1900
12 pays d'Europe 1900
Pays neufs 1883
Maurice 1950
USA 1900
Sude 1900
On peut nanmoins sinterroger sur la relle possibilit dune croissance conomique forte sur
des territoires sous blocus ou sous occupation. Rappelons-nous alors que le PIB nest quun
indicateur dun mouvement de rationalisation, et que lon pourrait sans doute le substituer
avantageusement par la progression des taux de scolarisation dans les cycles secondaires et
suprieurs, indicateurs sans doute plus fiables mais plus difficiles obtenir. Nous garderons
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donc cette croissance virtuelle du PIB, supposant que la modernisation en cours sexprimera
dune manire ou dune autre, mme si lconomie des territoires occups ne se dveloppe
pas, et quelle ne peut que jouer son rle dans la dfinition de la puissance relative
palestinienne.
On obtient alors, par combinaison des donnes dmographiques et conomiques
estimes, lvolution suivante des facteurs de puissance :
Indices de puissance relative
0
50 000 000
100 000 000
150 000 000
200 000 000
250 000 000
1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050
Indice depuissanceIsral (pop. XPIB)
Indice depuissancePalestine (pop.X PIB)
Ce graphique montre clairement que la domination isralienne est long terme compromise.
Les Israliens sont encore les plus puissants mais un retournement de situation est invitable.
Les Palestiniens sont dornavant lgrement plus nombreux sur lespace de la Palestine
mandataire et cet cart est amen se creuser largement. La supriorit dmographique nest
cependant pas suffisante, elle saccompagnera tt ou tard dune monte en puissance lie audveloppement intellectuel, politique, conomique et social. Alors les Palestiniens auront la
capacit de dominer lensemble des territoires conquis en 1948-1949 et en 1967. Du fait des
nombreuses hypothses formules, il est impossible de prvoir le moment exact de ce
renversement, le graphique ci-dessus indique 2040-2050, ce peut tre plus tt ou plus tard,
une seule chose est certaine : il est inluctable.
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Un nouvel clairage
Puissance et faiblesse. Tels sont les deux termes qui caractrisent simultanment
Isral. Vouloir comprendre la position de ltat juif en nabordant quun seul de ces deux
lments ne peut conduire qu une vision partielle, et donc inoprante, de la situation.
Puissance. La domination rgionale des Israliens est un fait avr depuis la fondation
de ltat juif en 1948. Elle sest traduite par les victoires et les conqutes territoriales de 1949,
1967 et 1973, puis par la puissance de feu isralienne au cours des diffrentes oprations au
Liban, en Cisjordanie et Gaza pendant la seconde Intifada et jusque dans le tragique bilan de
la dernire guerre de Gaza. Dans les frontires de la Palestine historique, sa supriorit est
crasante, et uniquement conteste par les oprations terroristes de lOLP puis du Hamas (et
dans une moindre mesure du Djihad Islamique) ainsi que par les deux Intifadas.
On peut tout faire avec une baonnette, sauf sasseoir dessus aimait dire
Napolon Bonaparte. La puissance militaire dIsral est un fait, mais seule une paix vritable
peut rpondre laspiration de la population isralienne la scurit et la stabilit, et la paix
ne peut tre possible tant que la lgitime prtention du peuple palestinien
lautodtermination nest pas satisfaite. Tel est le point de dpart du processus dOslo. Mais
notre modle de puissance montre que parvenir un accord de paix tait impossible. En effet,
faire la paix suppose quil y ait des ngociations, reposant sur un rapport de force relativement
quilibr. Or le dsquilibre entre Israliens et Palestiniens est beaucoup trop grand. Et, de
fait, les ngociations naboutiront rien. A Camp David en 2000, Ehoud Barak fait une offre
gnreuse Arafat : un tat palestinien comprenant Gaza et une Cisjordanie coupe en
trois morceaux, avec une souverainet limite sur certains quartiers de Jrusalem, sans droit
au retour des rfugis, mais aussi lannexion des principales colonies de Cisjordanie par
Isral, lequel garderait le contrle des frontires, mais aussi des ressources en eau et delespace arien.
Pour les Israliens loffre est rellement gnreuse, le rapport de force ne les obligent
aucune concession et, nous verrons pourquoi par la suite, ils ne sont pas en situation mentale
daller plus loin. Mais bien videmment une telle proposition est inacceptable pour les
Palestiniens : Isral ne leur offre quun pseudo-tat, des morceaux de territoires au sein de
ltat juif, avec une souverainet limite. Arafat refuse donc ce qui ne semble tre quun
bantoustan calqu sur le modle sud-africain, et laisse sexprimer la colre de son peuple,rvolt par son appauvrissement conomique (consquence du bouclage systmatique des
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Territoires aprs chaque attentat) et par la construction de nouvelles colonies pendant toute la
dure du processus de paix.
La puissance dIsral lempche donc de faire les concessions suffisantes pour
satisfaire les exigences minimales de son partenaire, lequel na pas les moyens de pression
suffisants pour peser rellement dans la ngociation. Le constat de Barak au retour de Camp
David, repris par Ariel Sharon, comme quoi Isral naurait pas de partenaire pour faire la
paix est effectivement exact : les Palestiniens sont trop faibles pour constituer un vritable
partenaire dans les ngociations, mais aucune pression ne pourra les contraindre accepter le
diktat isralien.
La suite des vnements confirme ce rapport de force ingal : Arafat est marginalis,
assig jusquaux derniers jours de sa vie dans la Moqata de Ramallah, son successeur la
tte dune Autorit Palestinienne affaiblie, Mahmoud Abbas, nobtiendra rien dIsral, ce qui
conduira la victoire lectorale du Hamas en 2006, sa prise de contrle de Gaza en 2007 et
finalement la guerre de Gaza. Pendant ce temps la colonisation de la Cisjordanie se poursuit
et le contrle de la population palestinienne se renforce avec la construction de la barrire de
sparation et la persistance de nombreux check-points sur les routes du territoire morcel. La
puissance isralienne rendant la ngociation inoprante, les Palestiniens nont plus, comme
exutoire, que la violence physique pour sopposer leur dominateur. Tirer des roquettes sur
Isral devient le moyen de continuer exister et de prendre du poids dans un rapport de force
encore trop dsquilibr.
Faiblesse. Si lcrasante domination exerce par les Israliens sur les Palestiniens est
un fait, ce serait une grave erreur que de sarrter ce constat de puissance. Elle seule ne peut
suffire expliquer la politique dIsral. La faiblesse dIsral ne rside pas seulement dans sa
puissance qui lempche de faire la paix. Le sentiment de faiblesse que ressent cette nation est
bien rel et a un impact majeur sur ses dcisions. Nous lavons vu, la puissance isralienne nesera pas ternelle et un rquilibrage, puis un renversement des rles entre dominant et
domin parat inluctable. Les Israliens sont conscients de ce danger, quils expriment en
voquant la bombe retardement dmographique . Leur raction, cependant, va
lencontre de leurs intrts : plutt que de tirer profit de leur puissance actuelle pour rgler
dfinitivement aujourdhui un conflit quils ne pourront gagner demain, ils semblent cder
la panique. Les Israliens ont peur, trs peur, et la rponse la plus naturelle la peur, pour les
tres humains comme pour les animaux, est lagressivit. Comme le serpent qui mort lorsquil
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est drang dans son sommeil, lhomme fait preuve du mme rflexe lorsquil se sent en
danger, il tend ragir violemment.
Telle semble donc tre la raction de ltat dIsral cette peur qui est en train de le
saisir : le recours de plus en plus massif une violence dont lutilit rside moins dans la
destruction de ladversaire que dans le besoin de sauto-convaincre de son invincibilit. Une
telle raction ne peut conduire Isral qu sa perte. Cette plonge dans lirrationnel collectif se
traduit galement par lexagration de la menace que constitue ladversaire. Si lon peut
comprendre la peur que suscite lIran avec son programme nuclaire et son discours haineux
envers Isral (tout en relativisant la menace, comme semble le faire aujourdhui les tats-
Unis), la diabolisation du Hamas est rvlatrice dun autisme gnralis. Ce mouvement est
un groupe terroriste (mais cette qualification ne mne nulle part, Mandela, Begin, Shamir ou
Arafat taient des chef terroristes) dont on peut difficilement partager les ides et les
pratiques, violentes et peu dmocratiques, il nen reste pas moins un reprsentant lu et donc
lgitime du peuple palestinien. Ce mouvement a volu depuis sa charte antismite de 1987, il
ny fait plus rfrence depuis longtemps, est plus nationaliste quislamiste, est prt
reconnatre lexistence dIsral (mais ne le fera pas sans contrepartie comme lOLP
auparavant) et constitue donc un partenaire tout aussi valable que lAutorit Palestinienne,
mais ne faisant pas plus le poids. Le Hamas semble suivre le mme cheminement doctrinal
que lOLP, avec une nuance islamique finalement commune lvolution idologique de
lensemble du monde arabo-musulman et trs loigne du fondamentalisme jihadiste propre
aux mouvements de type Al-Qaida. Comment ds lors interprter limage de groupe
gnocidaire que sen font les Israliens si ce nest par une peur aveuglante qui les empche de
voir en eux-mmes les raisons majeures dune drive auto-destructrice ?
Isral est donc la fois puissant et faible. Sa puissance lempche de vraiment
chercher la paix, presque contre son gr, et en fait sa faiblesse. Cette faiblesse, se rajoutant un affaiblissement programm et lamplifiant, engendre une peur panique que seule
laffirmation de sa puissance dans la violence des armes et de la colonisation semble apaiser,
mais le fragilisant toujours plus. Ltat juif peut-il survivre cette logique infernale ?
Les trois futurs possibles dIsral
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Le pire des scnarios, celui qui correspond la succession naturelle des
vnements sans qumerge une volont consciente de sortir de la spirale destructrice, est
celui correspondant notre modle. Au cours des prochaines dcennies le peuple palestinien
va monter en puissance, provoquant une raction de plus en plus violente dIsral, qui
poursuivra la colonisation et perdra peu peu ses soutiens occidentaux du fait dune
rpression toujours plus violente, senfermant alors dans un jusquau-boutisme suicidaire,
ralisant ce que lon appelle dj le complexe de Massada , en rfrence cette rbellion
juive qui se suicida plutt que de se rendre aux Romains en 73. Quand Isral ne pourra plus
faire face la contestation palestinienne, il sera trop tard pour la solution deux tats, et tant
de haine aura t accumule des deux cts que la cohabitation des deux peuples ne sera plus
envisageable. Les Juifs reprendront alors le chemin de lexil, fuyant leur terre natale comme
les Pieds-Noirs en 1962, par peur de reprsailles.
Une variante du scnario prcdent, et sans doute lalternative la plus probable, est
quIsraliens et Palestiniens arrivent finalement sentendre avant quil ne soit trop tard, mais
sans quil ne soit encore possible de faire coexister deux tats viables. Un scnario sud-
africain donc, serait ltablissement dun seul tat binational, au sein duquel les Juifs ne
seraient plus majoritaires et seraient des citoyens ordinaires dun tat dmocratique et lac au
mme titre que les Palestiniens. Cet tat pourrait sans doute garder un certain caractre juif,
mais ce ne serait plus Isral, et ce scnario fait aussi peur aux Israliens que le premier,
comme en tmoigne deux citations dEhoud Olmert :
Le temps nous est compt. De plus en plus de Palestiniens ne sont plus intresss par une
solution ngocie, deux tats, car ils souhaitent changer lessence mme du conflit en passant
dun paradigme de type algrien un paradigme de type sud-africain ; dun combat contre
loccupation , pour reprendre leur vocabulaire, un combat de type un homme = une voix .
Cest bien sr un combat beaucoup plus clair, beaucoup plus populaire et, au final, beaucoup
plus puissant . (interview Haaretz en 2003, cit sur le blog de Julien Salingue, doctorant en
sciences politiques)
Si arrive le jour o la solution des deux tats scroule, et que nous nous retrouvons face une
lutte dans le style de celle de lAfrique du Sud, o les Palestiniens nous demandent le mme
droit de vote que ce que nous avons, nous, alors, ds que cela arrivera, ltat dIsral aura fini
dexister . (interview Haaretz en 2007, au retour dAnnapolis)
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Ces propos, outre quils confirment la validit de notre modle par une comparaison explicite
avec les histoires algriennes et sud-africaines, montrent bien quun seul tat binational nest
pas une solution acceptable pour les Israliens et pour les Juifs du monde entier qui perdraient
ainsi leur tat. La nation juive existe et son dsir davoir un tat est tout aussi lgitime
que celui de la nation palestinienne, et une revendication ne doit pas entraver lautre. De
nombreux militants pacifistes, Juifs et non-Juifs, militent pour la solution un seul tat qui
semble leurs yeux la plus humaniste. Mais les questions identitaires ont la vie dure, comme
semble le prouver limbroglio belge, et seuls deux tats distincts paraissent mme
dincarner deux identits aussi marques, qui plus est aprs un sicle de conflit. La
catastrophe du Zimbabwe (et peut-tre celle venir de lAfrique du Sud) est aussi l pour
nous rappeler que le sort de lancienne minorit dominante nest pas ncessairement assur
par une galit de droit proclame lors de la rsolution du conflit.
Le troisime scnario enfin, le seul qui conviendrait aux deux parties, est celui dune
solution deux tats, esquisse par les accords dOslo. Ltablissement dun tat sur la bande
de Gaza et une Cisjordanie dbarrasse de ses colonies, qui inclurait la partie de Jrusalem
annexe par Isral, avec un droit au retour ngoci vers les Territoires et une compensation
pour les rfugis, et enfin une souverainet entire, avec contrle des frontires, de lespace
arien, des changes commerciaux, etc. Le conflit rgl, les Palestiniens donneraient le signal
aux tats arabes et musulmans que leur droit un tat est satisfait et ceux-ci ne pourraient
alors que reconnatre ltat isralien et faire la paix avec lui, Iran (et Hezbollah) compris.
Isral, revenu sur les frontires de 1949, resterait un tat juif avec une majorit juive et, le
paradigme colonial ayant perdu sa validit, il ne serait plus menac par linversion dun
rapport de puissance qui naurait plus de sens. Sa scurit serait alors assure par des relations
pacifiques avec ses voisins, plutt que par des considrations stratgiques et militaires sans
issues.Rien de nouveau sous le soleil, le projet est dans les cartons depuis des dcennies,
mais, comme la trs bien compris Ehoud Olmert, il devient chaque anne plus difficile
mettre en uvre. La poursuite de la colonisation de la Cisjordanie rend de plus en plus
problmatique lventualit dune vacuation totale, la barrire de sparation forme une
frontire inadmissible pour les Palestiniens, le contrle de la valle du Jourdain, le droit au
retour des rfugis et le statut de Jrusalem ne sont pas ngociables pour nombre dIsraliens,
les citoyens arabes israliens font lobjet de discrimination et manifestent de plus en plusouvertement leur solidarit avec les Palestiniens des Territoires alors quils reprsenteront
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bientt le quart de la population isralienne, bref, limbrication des deux peuples sur une
mme terre est devenue telle que ltablissement de deux tats tend devenir impossible. La
raison principale de cet tat de fait ? Le mlange complexe de puissance et de faiblesse que
nous avons dcrit auparavant. La raction isralienne dans ce contexte colonial na rien
dexceptionnelle. Les Unionistes dIrlande du Nord, le rgime de lapartheid en Afrique du
Sud ou lOAS des Pieds-Noirs en Algrie cherchrent en leur temps dans leur puissance la
solution leur faiblesse. La puissance et la peur les amenrent opter pour une violence qui
ne rsout rien plutt que daccepter immdiatement linluctabilit de leur dclin et profiter de
leur relative supriorit pour obtenir une paix ngocie avantageuse. Isral aujourdhui
pourrait se servir des leons de lHistoire mais il ne semble pas tre capable, comme le montre
lchec dOslo, de tracer lui seul sa route vers le seul destin possible quil juge acceptable.
Qui peut sauver Isral ?
Les forces internes Isral ne semblent pas tre capables de surmonter leur puissance
et leurs peurs pour arriver le plus vite possible un accord de paix avec les Palestiniens, cest-
-dire leur accorder ce que ceux-ci estiment tre leur droit sans tre en mesure de lexiger
par le rapport de force. Seule une pression extrieure amie devrait donc pouvoir forcer les
Israliens agir contre leur volont mais pour leur propre bien. Cette pression doit tre
amicale , cest--dire exerce sans que les Israliens ne se braquent contre elle et ne
senferme dans leur logique auto-destructrice. Qui pourrait y parvenir ?
La diaspora juive, celle des tats-Unis en particulier qui est la plus nombreuse et sans
aucun doute la plus influente en Isral, ou celle prsente en France ou en Angleterre ? Il ny a
videmment pas meilleur ami dIsral mais son soutien inconditionnel, lors de la guerre deGaza, sur les positions israliennes, dnote dune incapacit penser le conflit par elle-mme.
La diaspora juive, dans sa trs grande majorit, semble sombrer dans le mme dlire que la
socit isralienne, dont lorigine pourrait bien relever galement dune crise identitaire. Alors
quIsral sengage dans une lutte pour sa survie, il se pourrait bien que les diffrentes
communauts juives se sentent tout aussi menaces par un phnomne a priori des plus
banals : lexogamie matrimoniale. Les taux dexogamie de 20 25% au milieu des annes
1990, relevs par Emmanuel Todd dans Le destin des immigrs, signifieraient que les Juifssassimilent lentement mais srement au reste de la population, provoquant ainsi une raction
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identitaire du groupe, et plus particulirement des enfants issus de couples mixtes dont
lidentification Isral serait dautant plus naturelle que la Loi du Retour offre une conception
plus souple de la judit que la coutume religieuse. Ce nest quune hypothse, qui mriterait
dtre vrifie. Pour ce qui nous concerne, les Juifs de la diaspora ne semblent pas tre des
amis mme dexercer une quelconque pression sur leur deuxime patrie.
LEurope alors ? LHolocauste a laiss des cicatrices profondes qui influent encore sur
les relations entre ltat juif et le vieux continent. Le premier garde une certaine mfiance
envers le second, qui nest ds lors pas un vritable ami, et celui-ci reste travaill par un
sentiment de culpabilit qui devrait lempcher dexercer une pression efficace sur Isral, sil
le pouvait effectivement, ce qui nest pas certain. Cette pression, en labsence dune relle
complicit, ne pourrait sans doute prendre que la forme dun boycott qui serait probablement
contre-productif. LEurope pourrait par contre reconnatre la lgitimit du Hamas, geste
ncessaire un processus de rconciliation nationale avec le Fatah, lequel semble
indispensable la reprise de ngociations.
Il ne reste donc plus que les tats-Unis. Le reste du monde, sil nest pas hostile
Isral parce quArabe et/ou Musulman, se dsintresse compltement de ce qui se passe entre
quelques millions dexcits sur un bout de terre aride o il ny a mme pas de ptrole (ce qui
nous renvoie aux raisons de notre propre fascination pour ce conflit, quelles sont-elles
exactement ?). Les tats-Unis sont, depuis les annes 1960, le meilleur alli dIsral dans le
monde. Les raisons de cette alliance ne sont pas uniquement stratgiques, il existe une
empathie vritable des Amricains pour ces Juifs revenus sur la Terre Promise. Deux raisons
cela : dune part une exprience similaire de construction nationale sous forme daventure
coloniale, les Arabes des uns correspondant aux Amrindiens des autres ; dautre part, une
rfrence commune aux textes bibliques entre tasuniens trs religieux et Israliens soucieuxdasseoir la lgitimit de leur retour. Les tats-Unis sont donc des amis, et leur influence sur
la politique isralienne peut tre importante, de part leur soutien consquent, en devises
comme en armement. Sans la pression de Bush pre, il ny aurait pas eu Madrid, qui permit
damorcer dOslo. Bill Clinton joua galement un rle important pendant les ngociations de
Camp David, bien quil nait pas compris que ce ntait pas Arafat quil fallait demander le
plus de concessions. Loffensive sur Gaza alors que Bush Jr. tait encore prsident et le retrait
quelques heures seulement avant linvestiture dObama sont un autre signe du pouvoir quepeut avoir la Maison-Blanche sur ltat juif.
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Les tats-Unis semblent donc en mesure de pouvoir exercer une pression amicale
suffisamment vigoureuse pour forcer Isral renoncer sa puissance afin de conclure un
vritable accord de paix. Mais le voudront-ils ? Pour cela, il faudra les convaincre de la
ncessit dune telle dmarche, et bien au-del de la Maison-Blanche. Les snateurs sont en
effet de puissants soutiens des Israliens, de mme que de nombreux groupes de pression trs
influents tels quAIPAC, sans oublier, au-del des 5 millions dlecteurs juifs, les 40 millions
dvangliques trs favorables Isral. Mission impossible ? Peut-tre, mais il nexiste pas
dautre alternative.
Ehoud Olmert ne fait dcidment pas toujours preuve de lucidit (cf. citations supra).
Il a en effet dclar en novembre 2008, en remerciant George W. Bush de son soutien
inconditionnel pendant huit ans, que son nom resterait grav en lettres dor pour de longues
annes dans le cur dIsral . Alors quen larmant et en dfendant systmatiquement ses
positions, Bush na fait que conduire plus srement Isral sa perte.
Les meilleurs amis ne sont pas toujours ceux que lon croit.
Jean Chamel
12 fvrier 2009