Qui est le sujet de l'expérience ?

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  • 7/28/2019 Qui est le sujet de l'exprience ?

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    J. KRISHNAMURTI

    Krishnamurtien questions

    TRADUIT DE LANGLAIS PAR COLETTE JOYEUX

    STOCK

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    Qui est le sujet de lexprience ?

    Iris Murdoch, philosophe et romancire.

    Iris Murdoch : Jai de nombreuses questions poser,je vais donc en choisir une comme point de dpart.

    Elle concerne le terme d exprience qui sappliqueparfois, dans vos crits, un vnement quil nous fau-

    drait dune certaine faon savoir dpasser. Vous liez,sembletil, la notion dexprience celle de position

    prconue, de dogme ou de croyance, nous empchantdaccder un certain tat dtre, que vous associez, lui, la notion dune existence dote de facults cratricesimmdiates. Je ne saisis pas trs bien. Il me sembleimpossible quon puisse entirement...

    Krishnamurti : . . . effacer dun trait toute exprience.IM : Oui quon puisse luder lexprience vcue,

    ne pas en tenir compte. Jaimerais conserver le termed exprience car vous lui attachez peuttre un sensspcifique. Lexpression est extrmement vaste, etdcrit, sembletil, la continuit de la conscience qui estsimplement propre la condition humaine. Pourriezvous nous en dire deux mots ?

    K : Je ne vois pas vraiment ce que vous entendez par

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    exprience. On peut faire lexprience de ce que londsire.

    IM : Vous voulez dire en limaginant?K : Oui. Lexprience peut tre aussi fonction du

    conditionnement qui nous est propre. Si je suis unbouddhiste convaincu, je peux prouver un tat dumme ordre que ceux que le Bouddha est cens avoirvcus.

    IM : Mais il sagit dans ce cas dune exprience trsparticulire, nestce pas?

    K : Certes, mais je minterroge simplement sur cequon entend par exprience. Admettons que je sois encolre : dans cette exprience, y atil une diffrenceentre lexprience vcue et celui qui la vit?

    IM : Cest une question dusage qui est assez dli-cate, car en anglais, le mot exprience dcrit une

    notion relativement vague. Il peut soit dcrire un v-nement transitoire, du genre : Hier, j ai fait une exp-rience trange, soit dsigner la continuit de notreconscience et notre relation au pass. Mais je crois quevous dsignez sous ce terme quelque chose qui couvreen quelque sorte lensemble du pass. Je crois qu uncertain moment, vous avez dsign le dsir commetant une exprience, alors que selon vous lamour nenest pas une.

    K : Lamour ne peut en aucun cas tre une exp-rience.IM : Pourriezvous expliquer la diffrence ?K : Pourrionsnous approfondir la question de liden-

    tit relle du sujet de lexprience, quil sagisse duneexprience dont on a imagin lobjet, ou de lexpriencede nos images ou de notre tradition passes ?

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    IM : Vous posez la question de savoir qui vit lexp-rience ?

    K : Oui, qui en est le sujet rel ?IM : Cest galement une question difficile. Si on la

    posait lhomme de la rue, il rpondrait 1 individu.K : Oui, je suis le sujet lexprience.IM : Cest m oi quappartiennent ces exp-

    riences.K : Jai t tmoin dun accident de voiture ce matin

    cest un exemple parmi la multitude dexpriencesque je vis.

    IM : Mais si lon devait pousser la question un peuplus loin, audel de ce type de rponse, on en viendrait dire quil faut distinguer deux types dexpriences : ily a dune part lexprience de ma vie passe, celle quinous fait dire de quelquun : Cest un homme dexp-rience, et dautre part lexprience simplement vuesous laspect dune continuit de ma conscience, dontles racines plongent dans le pass.

    K : La continuit de notre conscience... Mais quen-tendezvous par le terme de conscience ?

    IM : Disons, pour avancer dans l argumentation, quela conscience varie peuttre selon les moments. Lasignification du mot exprience varierait donc, mon sens, selon quil sapplique simplement la vieordinaire, ou autre chose. Ou en dautres termes, soiton impose en quelque sorte sa prsence au monde, etlon dit : Je fais ceci, je fais cela telle serait alors lanotion dexprience. Mais il se pourrait aussi que l ex-

    prience existe sans que lon soit rellement prsent.K : Voil, exactement. Sans la prsence du sujet, y

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    atil une exprience descriptible dont on puisse se sou-venir, et dire : Jai vcu ceci?

    IM : Je dirais quon a alors affaire une exprienceque je qualifierais dimpersonnelle ; la contemplationdune grande uvre dart suscite parfois de telles rac-tions.

    K : Oui.

    IM : Je ne suis pas sre quon puisse dire de mmedes ractions que suscite la prsence dun tre cher. Jecrois que les deux cas sont trs diffrents. Quen pen-sezvous ?

    K : Si vous le voulez bien, j aimerais tout dabordcreuser la question de lidentit du sujet : toutes cesexpriences, qui les vit? Quil sagisse de choses ordi-naires, ou des formes dexpriences les plus complexes,ou d expriences dites spirituelles qui est, chaque

    fois, le sujet de lexprience? Le sujet de lexprienceestil distinct de l exprience ellemme?

    IM : En principe, on aurait tendance dire que oui,partant du fait que lon croit une continuit de la per-sonne, de lindividu.

    K : Oui, cest la position la plus rpandue. Et cestce que nous allons remettre en cause en soulevant cettequestion : le penseur estil diffrent de ses penses ?

    IM : L encore, la rponse classique serait oui, car

    on pourrait dire en effet : Mes penses ne sont grespar nul autre qe moi. Ce qui sousentend que cestmoi qui dcide, cest moi qui gre mes penses.

    K : Oui, mais ce je, qui gre ses penses, estildiffrent delles? Certes, il peut les ordonner, les disci-

    pliner, les contrler, dire : Cest mal, il faut faire cela,il ne faut pas faire cela mais celui qui contrle, qui

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    discipline, qui met de lordre, estil diffrent de ce quilmet en ordre ?

    IM : Il faut bien distinguer ici si lon se place ou nonau niveau commun du langage : par exemple, un accus,reconnu responsable dun acte donn par un tribunal,ne peut pas prtendre soudain tre quelquun dautre.Cela, cest le sens ordinaire de la continuit de laconscience de lindividu et de la perception de soi entant que sujet. Mais cela mis part, il nest pas nces-saire dtre philosophe, ou de se placer dun point devue religieux pour penser quon est divis, quil existeun clivage chez tout individu.

    K : Voil, cest cela.IM : Et qu certains moments, une partie de soi

    mme dsapprouve lautre.K : Le processus dualiste... on en revient la vieille

    question le bien et le mal ?IM : Oui, rien ne saurait tre plus fondamental ; ce

    qui est en cause, mon sens, cest la nature mme dumonde rel.

    K : Je sais. Le monde rel nest que division : nousavons dissoci le bien du mal, le penseur de la pense,le sujet de lexprience de lexprience ellemme.

    IM : Oui, il en rsulte que si lon se blme pour unacte quelconque, on est divis.

    K : Je ne dois pas, je dois, je veux devenir,etc. : dire cela quivaut crer en soi une division. Per-mettezmoi de poser une fois de plus la question : lesujet de lexprience estil diffrent de lexpriencevcue ? Le penseur estil diffrent de ses penses ?

    IM : Sil sagit de passer au crible lide que je mefais de moimme, je dirais en laissant de ct la

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    vision de bon sens, ordinairement admise que larponse votre question est tantt oui, tantt non. Endautres termes, tantt on se juge de manire consciente,do une division, et tantt il ny a en nous quun seul etmme tre, en quelque sorte.

    K : Un unique mouvement. Le sujet de lexpriencenestil pas, par consquent, identique lexprience?

    IM : Cest limpression quon a parfois.K : Donc, lorsquon dit: Je suis envieux, il y a

    division; dans ce cas, je cherche contrler ourationaliser mon envie, la justifier ou ltouffer, etc.mais le je estlenvie, il nen est pas distinct.

    IM : Il l est, et il ne lest pas telle est mon impres-sion. D aprs ce que j ai pu lire et comprendre, vousdites en fait deux choses diffrentes dont je ne vois nile lien, ni la connivence. Lune de ces deux ides, qui

    me plat beaucoup, est celleci : si je pense, par exemple,que je suis envieux, le mot envie a des connotationsngatives, je peux donc souhaiter ne plus tre envieux.Voyant cela, je suis oblig de partir non pas duneespce dtre idal qui nexiste pas, mais de ma propre

    personne, c estdire ltre envieux. Je suis parfaitementdaccord sur cette description des faits. Mais ensuite,vous dites aussi quaucune notion de progrs nestimplique ici que je dois tre bon, et non devenir bon,

    et que lide de devenir bon nest en somme quuneillusion.

    K : Cest exact.IM : Peuttre pourriezvous tre plus explicite ; il

    me semble, en effet, que dans le premier cas, vous sug-grez que je doive partir dun point trs loign du butrecherch qui est de devenir non envieux. Dans le

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    second cas, vous dites quil nexiste pas de processusde devenir.

    K : Pour moi, le devenir psychologique n existeabsolument pas.

    IM : Cest justement cela que je ne comprends pas.K : Allons au fond du problme. Partons dabord du

    point suivant : nous avons tabli une division entre le

    bien et le mal, aussi bien dans le monde quen nousmmes. Daccord?

    IM : Mais vous ne soumettez pas largument ques-tion, vous ne soulevez aucune objection?

    K : Je ne le rfute pas, je ne fais quobserver. Le malestil li au bien, ou en estil compltement isol, desorte quaucun lien nexiste entre eux? Si les deux sontlis, le bien fera alors toujours intrinsquement partiedu mal.

    IM : Si vous voulez savoir mon avis ldessus, je nesuis pas sre dtre daccord. Il me semble que notreconception du bien et du mal est diverse et multiple, necroyezvous pas? On peut les concevoir comme unesorte de spectre lumineux, avec une extrmit le bien, lautre le mal.

    K : Oui, on glisse graduellement jusquau mal.IM : Il y a une continuit de degrs successifs. Mais

    on peut aussi concevoir le bien si lon y songe en

    termes de perfection comme tant totalement tran-ger notre univers.K : Il ne sagit pas de perfection le bien, cela

    signifie pour moi tre bon, intgre, sain, tre un hommebien cest ce sensl. que je lui donne.

    IM : Dans ce cas, gardons la notion dhommebien .

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    K : Le bien ainsi dfini faitil partie du mal ? Le bienconnatil le mal ? Le bien estil le rsultat du mal ? Silen est le rsultat, c est quil en fait encore partie. Commeun enfant en train de natre fait encore partie de samre.

    IM : Oui, certains disent que bien et mal sont deuxples opposs qui existent en fonction lun de lautre.

    K : Je pose la question : sontils opposs ? Ou sansaucun lien lun avec lautre?

    IM : Il y a une nette diffrence entre un homme bien et un homme moche . Ils sont, en ce sensl,trs diffrents. Mais dun autre ct, chez un mme trehumain, tout est affaire de degr, et le bien et le mal nesont pas toujours clairement identifiables.

    K : Non, cela, je le conteste, et j aimerais que nousen discutions. Pour moi, le bien se dissocie radicalement

    du mal, de mme que lamour na aucun lien avec lahaine.

    IM : Oui. Bien que dans la condition trop failliblequi est celle de lhumanit ordinaire, lamour soit sou-vent source de haine.

    K : Bien sr.IM : Alors que selon vous, l amour n a rien dire au

    sujet de la haine le concept est entirement diffrent.K : Radicalement diffrent. Lamour n a rien

    exprimer propos de la haine, il na aucun rapport avecelle, il ne lenglobe pas, ne linclut pas.IM : Puisje vous interrompre un instant et poser une

    question supplmentaire ? Diriezvous la mme chose propos de lamour et du dsir?

    K : Oui.IM : Contrairement au dsir, lamour est...

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    K : ... une tout autre chose.IM : Mais cette autre chose, comment nous advient

    elle? Je pourrais mme dire prsent: Pourquoidevraisje me sentir concern ? Que doisje faire cesujet?

    K : Cest relativement simple : il y a un conflit ledsir engendre toujours des conflits, mais lamour ne

    peut jamais engendrer de conflit. Lamour ignore leconflit, cette notion lui est trangre.

    IM : Vous employez le mot amour dans un sensidal, qui est inhabituel.

    K : Non, le cerveau est le centre mme du dsir, dusentiment, de langoisse, de la douleur, de la solitude.La conscience, cest tout cela : les croyances, les peurs,la souffrance, la solitude, langoisse cest tout len-

    semble...IM : ... de ltre psychologique.K : Oui, toutes ces structures psychologiques, cette

    confusion. Voil ce quest le cerveau. Et lamour nefait pas partie du cerveau, il est en dehors de tout cela.

    IM : Oui, cela revient dire, selon vous, quon ne vitpas lexprience de lamour de la mme manire quonvit le dsir.

    K : Cette chosel lamour ne relve pas de lex-

    prience.IM : Le langage ordinaire parle damour jaloux.Mais nous ne parlons pas de cet amourl, mais dunamour absolu je narrive pas trouver le mot juste.Supposons, par exemple, que j aime tendrement quel-quun, dun amour qui soit bon, et pas nocif, celasignifieraitil, daprs vous, que cet amourl ne ferait

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    partie daucun processus psychologique au sein de moncerveau?

    K : Non, je dirais plutt : si, quand je dis que je vousaime, il y a la moindre nuance dattachement, de jalou-sie, la plus petite ombre de conflit, alors ce nest paslamour authentique.

    IM : Oui, je vois. Jai reu une ducation chrtienne,

    la vision chrtienne des choses reste donc en moi trsprgnante, bien que je ne croie ni en Dieu ni en la divi-nit du Christ. Mais dans la foi chrtienne, il y a cettenotion damour divin ou absolu, qui nous est en prin-cipe totalement inaccessible.

    K : Je ne vois pas pourquoi. En effet, si je ne suis pasjaloux, jamais je ne vais le devenir. Lorsquil n y a pastrace dattachement lgard dune autre personne, celane signifie pas absence damour.

    IM : Mais dans ce quon qualifie en termes ordinairesdamour vertueux, o lamour de la personne aime necause aucun mal quiconque, et o lon nest ni pos-sessif, ni draisonnable, etc., il entre tout de mme delattachement. Si ltre aim vient mourir, alors invi-tablement. ..

    K : Attention ! Il sagit l dune autre question. Pour-quoi nous attachonsnous ce point aux choses ? Si jetiens cette maison...

    IM : Jaurais tendance voir sous un autre anglecette notion de dsir. Je crois que devenir bon pourreprendre cette expression que vous prfreriez sansdoufe exclure consiste purifier ses propres dsirs, avoir de bons dsirs, dsirer quelque chose de bien.Lorsquon aime quelquun, il semblerait daprs moique llment de dsir soit prsent.

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    K : Examinons donc le dsir. Questce que le dsir?IM : L encore, on peut dire quil y a des dsirs bas

    et des dsirs nobles.K : Oui, mais quelle est lorigine, la naissance du

    dsir? Pourquoi le dsir atil pris une part si extraordi-nairement importante dans notre vie ?

    IM : Le dsir est certainement li au futur.

    K : En effet.IM : Il est li au temps.K : Li au temps bien sr.IM : Car je dsire une chose qui est absente. Par

    exemple, je peux avoir envie de devenir excessivementriche, ou dtudier dans un certain domaine, et dyexceller.

    K : De devenir un bon pianiste.IM : Ou bon en mathmatiques, pour acqurir des

    connaissances.K : Oui, bien sr.IM : Et je pourrais sans doute dire que j aime le sujet

    choisi, que j aime ce que j tudie.K : Non, ma question est: questce que le dsir?

    Comment natil? Pourquoi atil une telle emprise surnous ? Un moine ou un sannyasi indien nont aprs toutquune seule ide en tte : touffer ou transmuer le dsir.

    IM : Oui, le transmuter. Je pencherais pour le terme

    transmuter.K : Transmuter le dsir suppose quil y ait une entitqui opre cette transmutation.

    IM : Oui, et il y a un processus de transmutation, etune discipline ou un entranement suivre, ou unechose de ce genre.

    K : Ce qui nest rien dautre quune forme subtile de

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    refoulement, une manire subtile de canaliser le dsir,ou daffirmer que le dsir de Dieu est bon.

    IM : Ou que le dsir de richesse est mauvais.K : Et que le dsir de possder est mauvais. La dis-

    cussion ne concerne donc pas les objets du dsir quilsagisse de Dieu, ou du pouvoir, ou de devenir riche, ouPremier ministre, mais la question : questce que ledsir ? Comment prendil forme en nous ?

    IM : Eh bien, sil sagit de savoir sil peut y avoiramour sans dsir, je ne suis pas sre de la rponse. Silon songe une forme damour parfait, la notion dedsir aurait peuttre chang tel point quil faudraitlexclure. En revanche, un niveau plus ordinaire, maisnanmoins bon , si je dsire acqurir une bonne du-cation, ou une chose de cet ordre...

    K : Oui, l, cest une autre affaire.

    IM : ... il y a alors une tension entre la situationexistante et celle qui nexiste pas.

    K : Mais ma question ne porte pas sur le dsir dedevenir quelquun de bien, ou un lve studieux, etc.,mais sur le dsir luimme.

    IM : Personnellement, j luderais ou je rejetterais laquestion, parce que je ne vois pas comment on pourraitexpliquer ce quest le dsir sans songer aux diversesformes quil prend.

    K : Je dis que je dsire une maison, que je dsire ceciou cela les dsirs sont tellement multiples ! Mais quelest le mouvement du dsir, quelle en est lorigine? Carnous avons refoul, transmut, lud le dsir, ou biennous lavons compltement matris. Mais l encore,qui est aux commandes ? Qui dcrte que tel dsir estbon, tel dsir mauvais, que tel autre est conserver car

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    il est utile, mais pas celuil, et ainsi de suite ? Pourtantil sagit toujours de dsir dsir de Dieu, dsir dargent,cest toujours le dsir.

    IM : Et mme si on vous dit que lun est bon etlautre mauvais, vous rediriez encore que, malgr tout,cest encore et toujours le dsir?

    K : Oui, cest le dsir en soi quil importe de com-

    prendre pas les bons ou les mauvais dsirs.IM : Je ne suis pas sre que j arriverais le com-

    prendre sans recourir cette distinction. Mais changeonsun peu doptique : vos propos cachentquelque chose.

    K : Mais vous venez vousmme de le dire lins-tant : le dsir implique le temps.

    IM : Oui. Entendu, je retire ce que je viens de dire etje change mon fusil dpaule : disons que, selon moi, ilse pourrait quil y ait une forme de dsir qui nimplique

    pas le temps mais o lon soit en union parfaite aveclobjet de son dsir. On rencontre ce genre de notiondans le mysticisme chrtien, o celui qui dsire Dieu etqui est uni lui non que je sache ce que cela signifie voit son dsir combl se muer en parfait amour.

    K : Oui, mais le dsir, quil fasse dire lun : Jedois devenir riche et puissant, ou quil incite lautre dsirer Dieu, vouloir sunir lui, est toujours le dsir.

    IM : Mais vous parlez du dsir comme si ctait

    quelque chose que vous cherchez dominer ou limi-ner de la scne.K : Non, je veux comprendre le mouvement, le pro-

    cessus, lintolrable fardeau ou le plaisir qui sont asso-cis au dsir.

    IM : Oui, car effectivement, ce nest pas toujours unfardeau, nestce pas ? Par exemple, si vous avez faim

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    et que vous savez quun bon repas vous attend, linten-tion lie ce dsir est agrable.

    K : Oui, cest clair.IM : Mais derrire vos propos, il y a quelque chose

    que je narrive pas saisir.K : Je vais y venir. Le dsir nexiste que lorsquil y

    a identification avec la sensation.

    IM : Par sensation, vous ne voulez pas dire...K : Je vois une belle maison, j en ai envie : le dsir

    nat.IM : Donc, selon vous, plutt quun vnement phy-

    sique qui soit concomitant et rel, il ny a en fait quedes espces dimages.

    K : Les deux la fois.IM : Vous vous imaginez dans la maison, ou quelque

    chose dans ce gotl.

    K : Il y a dabord la sensation, puis la pense cre uneimage dans laquelle la maison mappartient, et enfin ledsir nat.

    IM : Oui, je vois. Il y a donc un certain aspect sen-soriel.

    K : La pense met en image cet aspect sensoriel.IM : Mais si le dsir porte, par exemple, sur les tudes

    quon se propose de faire, cela ne signifie pas quon ypense sans arrt, ni que cela procure des sensations.

    K : Bien sr que non.IM : Cela veut dire que la vie suit son cours, avecpeuttre et l des moments o le dsir est perucomme une exprience sensorielle. On imagine la situa-tion telle quelle pourrait tre lorsque notre ducationaura progress.

    K : Ds que la sensation prend forme, sous limpul-

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    sion de la pense, elle se fait dsir. Cest tout ce que jedis : je ne parle ni de bons, ni de mauvais dsirs, maisdu dsir en soi.

    IM : Mais vous dites que lamour est diffrent dudsir.

    K : Lamour est diffrent, en effet : lamour nest pasle plaisir, lamour nest pas le dsir.

    IM : Oui, je vois. Cela nous amne un autre sujetque je ne ferai que mentionner au passage : je mint-resse aussi beaucoup ce vous pensez de la motivationet de lnergie; je crois que le dsir est une sourcednergie, et que tout dsir sain est source dune ner-gie saine. Mais revenons lide selon laquelle lamourserait diffrent : il me semble quil y a opposition entredune part un processus et dautre part quelque chosequi nest pas un processus.

    K : Lamour nest pas un processus.IM : Ce nest pas un processus. Et vous avez employ

    un terme existence cratrice qui est en rapport directavec le prsent. Estce que pour vous tout cela est troi-tement li lclosion de lamour et de la vrit ?

    K : Oui.IM : Alors que le dsir est une chose qui sagite, l,

    lextrieur.K : Que le dsir sagite ne signifie pas pour autant

    que lamour soit statique.IM : Non, le terme statique est sans doute inadquatici. Comment dire, alors?...

    K : Lamour est vivant, et pas simplement...IM : Il est crateur et...K : Il nest pas exclusif. Certes, je peux vous aimer,

    vous, mais je suis aussi imprgn dun sentiment

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    damour qui ne s identifie pas exclusivement une per-sonne.

    IM : Mais le sentiment damour est tout fait diff-rent du sentiment de dsir.

    K : Naturellement.IM : Vous nexcluez donc pas laspect sensoriel?K : Non, attention, nallons pas trop vite. Comme

    nous venons de le dire, le cerveau est impliqu dans toutle domaine des sens, des ractions, des actions, desrponses, des croyances, de la foi, de la peur cesttout cela qui constitue ce noyau, ce centre qui nest autreque ma propre conscience. Le contenu de ma conscience,cest tout cela : cest Dieu, ou labsence de Dieu, cesont mes connaissances, mes checs, mes dpressions,mes angoisses. Et il y a l une norme part de confu-sion, de contradictions, de peur, et j en passe. L amour

    faitil partie de tout cela?IM : Je ne sais pas : diteslemoi.K : Personnellement, je crois que non.IM : Mais dans ce cas, si la condition humaine existe,

    sil existe un tat dtre cratif qui est lamour etquun individu ait loccasion de vivre cela, voulezvousdire qu ce momentl, tout le matriau psychologiquequa capitalis cet individu, et dont il est fait, est enquelque sorte absent ?

    K : Oui, il est alors absent.IM : Mais pourtant, il faut bien quil sache ce questlobjet de son amour.

    K : Non, attention. Vous aimer vous est une ven-tualit possible. Mais lamour nest pas exclusif, ilnest pas limit.

    IM : Oui, mais il lest sans ltre, car lorsquon aime

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    une personne, on laime elle, et personne dautre. Celane signifie pas quon exclue qui que ce soit.

    K : L amour nest pas exclusif.IM : Non, mais disons quil est slectif. On ne peut

    pas aimer tout le monde. Dieu en est peuttrecapable...

    K : Non, je refuse dattribuer lamour Dieu, ou

    qui que ce soit...IM : Jutilise le mot Dieu titre illustratif. Peuttre

    y atil un amour idal.K : Non, je nemploierais pas le terme idal. Je

    suis fermement oppos aux ides, aux idaux et toutesces stupidits. Je vois clairement et sans quivoque

    possible que lamour est sans lien avec la haine, avec lajalousie, quil est sans attaches. Il n est ni le dsir, ni leplaisir.

    IM : Supposons que vous vous intressiez quel-quun. Tant de personnes vous sollicitent, aprs tout.

    K : J ai pour elles de lintrt, de laffection.IM : Oui, mais ma question est celleci : croyezvous

    quil y ait certains moments de notre vie cest diffi-cile de trouver le mot juste o l on est lexpressionmme de lamour, o lon est lamour mme ? Et devraitil en tre ainsi chaque instant de notre vie ?

    K : Je ne suis pas du tout certain quil ne puisse pas

    tre prsent en permanence.IM : Oui ; bien. Et vous pensez...K : L amour peutil coexister avec des intrts

    gostes ? Voil la vraie question.IM : La rponse est non : ce serait un amour impar-

    fait. Laissons donc de ct notre amour imparfait, quin est pas lamour.

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    K : Daccord. Quand il y a intrt personnel, lautreforme damour peutelle exister? Bien sr que non, carlintrt personnel, cest trs, trs petit.

    IM : Puisque vous rcusez le terme de parfait ou idal , j emploierai dornavant le mot amour dans lemme sens que vous. Bien. Lamour, donc, exclut toutintrt personnel.

    K : Cette chosel est incompatible avec tout intrtgoste.

    IM : Sil y a une chose que j aimerais savoir, et quetout le monde voudrait bien savoir, cest comment fairepour changer, comment se dfaire de cet tat denvie ?

    K : Voil une question fort intressante. Je suisenvieux : or il ny a pas de diffrence entre je etlenvie. Je suis envieux mais lenvie, cest moi.

    IM : Oui, comme nous le disions prcdemment, la

    personne est...K : Je veux vraiment dire que je suis lenvie, je ne

    peux pas agir sur elle, car elle et moi ne faisons quun.IM : Oui, mais vous pouvez devenir moins envieux.K : Certes, mais ce sera toujours moi. 'IM : Poursuivez.K : Il ne saurait donc tre question ni de refoule-

    ment, ni de transmutation, ni de fuite : car cest de moiquil sagit.

    IM : Dans ce cas, que me restetil faire ?K : Puisquil sagit de moi, j observe ce moi trs,

    trs attentivement sans chercher agir sur lui.IM : Il y a donc un vous qui observe lenvie ?K : Non, lorsquon observe, ce vous nexiste plus.

    Quand vous observez vraiment un oiseau, par exemple,vous nexistez plus.

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    IM : Mais lobservation des oiseaux est une formedobservation tout fait part,

    K : Cest certain. Existetil donc une observation sansmots, sans condamnation, sans approbation, ni rejet, nirsistance, et consistant uniquement observer?

    IM : Il se peut quune telle forme d observationexiste, mais elle est difficile. Arrtonsnous un instant.

    On est donc en prsence de cet individu envieux, quin est autre que soimme on est envieux. Alors onprend conscience de lenvie, on lobserve, sans rienfaire dautre quobserver.

    K : On observe.IM : Ou en dautres termes, on est, simplement. On

    est sa propre envie, en toute conscience. Estce quecette formulation vous agre ?

    K : On est lenvie, oui.

    IM : Donc, quand on agit sans mme y songer demanire envieuse, lobservation na pas lieu. Mais il ya des moments o l on y est attentif.

    K : Cest ce que je dis. Supposons que vous soyez entrain dobserver un bijou prcieux trs ouvrag. Vousexaminez lextraordinaire dlicatesse du travail, lclatdes pierres et la beaut du bijou.

    IM : Oui, dans ce cas, cest lenvie quon a sous lesyeux.

    K : Je vois alors tout le mouvement de lenvie, quiest un processus de comparaison, et ainsi de suite. Jelobserve donc sans quaucune pense ninterfre dansmon observation. Cela requiert une extrme attention,une attention relle do lego est absent.

    IM : Mais vous nmettez pas de jugement?K : Non.

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    IM : Vous observez sans juger.K : Oui, sans aucun jugement de valeur. Je ne dis ni

    quil faut tre envieux, ni quil ne faut pas, ni que cestimmoral, ni rien de la sorte. Cela fait des milliers dan-nes que les tres humains vivent au contact de lenvie.

    IM : Le rsultat ne seraitil pas qu force datten-tion, votre envie disparaisse ?

    K : Il faut observer avec attention. Lobservation,cest l attention.

    IM : Oui, ce mot d attention me plat. Vous tesattentif, mais cest, en somme, sans souci dvaluation,de jugement moral. Vous ne dites pas : je ne devrais

    pas tre envieux. K : Ah non ! Ce serait trop...IM : Cette attention natelle pas pour bu t... non,

    disons plutt pour rsultat certain la dissipation de

    lenvie ?K : Oui, parce que dans lattention le moi est absent.IM : Oui, je vois. Je comprends de quel tat il est

    question.K : Vous pouvez essayer, vous savez. Observer,

    cest un vrai plaisir !IM : Cela recoupe ma question sur la faon dont je

    dois agir pour changer. Voici donc en langage dsuet une discipline spirituelle ... non, vous n aimez pas

    le terme de discipline !K : Le mot discipline dcrit en fait un apprentis-sage. Plutt que de tout compartimenter, il faut suivrele cours des choses. Apprendre observer, sans mettreen mmoire les choses observes, mais examiner len-vie avec tout ce quelle implique la comparaison etainsi de suite.

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    IM : Mais cette observation se limitetelle auxmoments o lon mdite pour reprendre un terme quevous utilisez vousmme ou devraitelle tre de tousles instants ?

    K : Si lon observe, ce doit tre tout le temps. Ce quiveut dire quon ne laisse pas passer une seule pensesans savoir ce quil en est delle.

    IM : Oui et une telle activit serait compatible avecla vie de contrleur de bus ou toute autre activit

    professionnelle, bien que lide de vivre diffrentsniveaux, ou de vivre diffrents tats, doive mon avistre prise en compte. Mais il existerait donc un tatdtre o sexerce cette attention constante.

    K : Mais vous avez aussi introduit au passage le mot mditation .

    IM : Oui, cest un terme que vous employez vous

    mme.K : Je sais bien que je lemploie. Mais, voyezvous,

    la mditation est une affaire trs complexe. Dans lamditation, il ny a pas du tout de sujet mditant.

    IM : Ah oui ?K : En fait, ce que nous faisons, cest dire : Je dois

    mditer, je dois suivre une mthode de mditation, lapratique est indispensable or tout ceci nest que lex-pression dun dsir, celui 'accder un certain tat.

    IM : Oui, cela me parat en un sens invitable. Onma enseign, il y a bien longtemps, une forme demditation, que j ai quelque peu pratique; ctait untype de mditation sans rigueur excessive. Il existe, mesembletil, de meilleures approches.

    K : Quand vous dites meilleur , cela veut direplus, donc la notion de mesure entre enjeu.

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    IM : Il ny a pas dide de plus, puisque vous ditesquen mditation il ny a ni dualit ni sujet.

    K : Absolument, il ny a ni lun ni lautre.IM : Eh bien je dirais que le mme phnomne a lieu

    dans lexprience artistique.K : Mais ds linstant o vous parlez dexprience,

    vous avez dj...

    IM : Je vous laccorde ! Disons que lorsque jecontemple un grand tableau, si je le regarde vraiment,

    je nexiste plus, je mefface. Il ny a plus que le tableau.K : Et cest tout. Lorsque vous regardez vraiment une

    chose, le moi est absent.IM : Cela pourrait aussi donner une image de

    lamour, n estce pas?K : Dans lamour, aucune image nintervient.

    Bien sr que non : toute image est une laboration de la

    pense.IM : Je crois que ce serait vrai pour une certaine

    forme damour, un amour dsintress... mais le sujetest difficile aborder, parce que lamour sinscrit dansle temps, et on doit se livrer des rflexions, desefforts, des projets, des actions en direction de l treaim. Il faudrait que laction soit totalement dnuedgosme, et que, bien que le sujet agissant soit effec-tivement prsent...

    K : Bien sr.IM : ... que toute trace dego soit absente, que seulcompte lobjet dattention. Je crois quil faut essayer.Vous mavez indiqu la fin, mais pas fourni les moyens.

    K : Examinons les choses de plus prs. La fin, et lesmoyens il ny a pas de diffrence entre les deux.

    IM : Puisje me permettre de citer Kafka? Il a dit

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    quil nexistait pas de moyens, juste une fin. Ce quenous appelons le moyen, ou la voie, nest que du temps

    perdu. Oui, en quelque sorte, je vois et en mme tempsje ne vois rien.

    K : Essayons autrement. Vous voyez que tout chan-gement implique la notion de futur, comme vous l avezsoulign. On passe de ceci cela.

    IM : Oui, et lon imagine le futur.K : Or questce que le futur? Sinon le prolonge-

    ment du pass, modifi par le prsent cestdire unmouvement.

    IM : Daccord.K : Le futur est inclus dans le prsent. Si j apprends

    une langue trangre, par exemple, j ai besoin du futur,j ai besoin de temps, j ai besoin dune discipline, etc.Dans ce domaine-l, cest lgitime ; mais dun point de

    vue psychologique, intrieur, subjectif, le pass, autre-ment dit moi, mes souvenirs, mes expriences, breftout le pass, est modifi dans le prsent et se perptuedans le futur nestce pas ? Tel est le mouvement glo-

    bal de notre volution, de notre bientre psychologique,ou de notre maltre, et ainsi de suite. Nestil donc pasvrai que le prsent est au cur du futur, puisque ce que

    je suis aujourdhui est ce que je serai demain, moinsque je ne change maintenant? Le prsent contient donc

    le pass, et le futur, cest maintenant. Le prsent, cestce que je suis.IM : Oui, en un sens, il ny a rien dautre. Mais je

    vous en prie, poursuivez.K : Cest ce que je suis, ce sont mes souvenirs cest

    tout cela. Et il ny a de futur que si je continue. Alors,y atil une fin tout cela?

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    IM : Vous voulez dire : existetil une solution derechange, un autre tat dtre ?

    K : Oui, qui mettrait fin tout ce mouvement dedevenir, deffort, daccomplissement.

    IM : Bien entendu, les philosophes ont de tout tempst proccups par la diffrence entre ltre et le deve-nir, et chez les platoniciens comme dans la thologie

    chrtienne, le rel cest ltre, et lirrel, le devenir. Etje retrouve certains lments similaires dans vos propos.Mais je ne veux pas me fourvoyer en laissant vagabon-der ma pense. Jessaie de mimaginer de quoi seraitfaite la situation que vous voquez. Supposons que voussoyez en train dapprendre une langue trangre dontvous ignorez aujourdhui les verbes irrguliers : lasemaine prochaine, vous les saurez. Ainsi va la vie,cest invitable, il ny a rien dire, cest comme cela.

    K : Exactement.IM : Mais en mme temps, vous tes attentif tout

    ce que vous faites.K : Mais bien sr. Je suis attentif tout ce que je fais

    prsent : le prsent contient donc la totalit du temps.IM : Vous brossez le portrait dun tat possible de

    ltre humain...K : Non, je ne brosse pas un portrait, je dis simple-

    ment ce qui est arriv la psych de lhomme : elle a

    toujours suivi la mme direction, du pass, modifi parle prsent, vers le futur. C est une chane qui nous retientprisonniers. Je ne dirai mme pas que nous sommes prisonniers de tout cela tout cela, nous le sommes.

    IM : Oui, le terme prisonniers suggre pourtantquil existe une libert possible et libert est aussiun terme que vous employez. Une libert qui est lie

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    la vrit et lamour. Et quelquun vient alorsvous dire : Je suis pris au pige, comment faire pouren sortir ?

    K : Si vous tes pris au pige, regardons dabord enquoi il consiste avant de vouloir vous en dgager.

    IM : Largument est peuttre sans valeur, mais je neveux pas sortir du pige, en ce sens que j ai envie de

    continuer attendre la semaine prochaine afin de savoirmes verbes irrguliers.

    K : Bien sr.IM : Et les choses vont plus loin encore. Je veux

    aussi, par exemple, parvenir cet tat dtre dsint-ress.

    K : Oui, et questce que cela veut dire ? Attention :cela veut dire que vous le dsirez, que vous vous tescr un concept du futur.

    IM : Oui, je sais bien que je ne suis pas dsintres-se, mais j aimerais le devenir.K : Il faut donc que nous comprenions ce quest

    lego. On ne peut pas changer lego, ou plutt le briser,sans en comprendre le processus ; on ne peut pas justeinventer un but.

    IM : Mais dans lobservation de lenvie, par exemple,nous tions tous les deux daccord pour admettre quelun des rsultats de cette attention serait la disparition

    de lenvie. Donc, lego change bel et bien.K : Limportant nest pas labolition de lenvie, maislattention.

    IM : Supposons que, tout en tant attentive monenvie, je continue tout de mme tre envieuse, en entant pleinement consciente. Un tel tat seraitil bn-fique ?

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    K : Une fois de plus, voyezvous, si vous tesconsciente on ne sort toujours pas de lego.

    IM : Loin de moi lide de postuler une situationtotalement trangre la condition humaine. Il sagitdimaginer un tat que les tres humains pourraientventuellement rencontrer.

    K : Oui, nous sommes des tres humains, nous

    vivons constamment dans le conflit, la douleur, la souf-france. Telle est notre vie, notre condition. Mais voiciquun beau jour, on vient me dire : Il existe, le savezvous, une autre manire de vivre. Vous n tes pas obligde rester interminablement dans cette ornire. Et vouscoutez, vous faites des dcouvertes. Vous pouvez direque cela ne vaut rien, et tout laisser tomber ; mais il fautquil y ait une relation entre lorateur et vousmme.

    IM : Comme en ce moment, travers mes questions,

    bien sr.K : Vous me dites que lenvie, ce nest pas lamour,et que lenvie ne peut tre limine. Alors observezla,regardezla, et laissezla se dvoiler. Ne la condamnez

    pas, ne la transmuez pas, ne la niez pas, ne la fuyez pas.Observezla simplement, autrement dit accordezluitoute votre attention.

    IM : Mais le rsultat ne risquetil pas dtre que jefinisse par linhiber?

    K : Non, je la mets en vidence.IM : Bon ; je vais dire les choses autrement : ne

    seraitce pas une bonne chose pour moi que dinhibermon envie ?

    K : Non, car si on linhibe, elle resurgira.IM : Oui, mais dans lintervalle cela vaudrait peut

    tre mieux.

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    K : Ah ! Mais je ne veux pas dintervalle !IM : Bon, daccord, vous semblez vouloir exclure la

    notion dentranement une discipline vous naimezpas ce mot.

    K : Discipline vient du mot disciple celui quiapprend. Il faut apprendre, et non mmoriser, il fautapprendre voir vraiment la beaut de ce joyau, que

    je nai jamais vritablement regard, mais toujourscondamn, rationalis, etc.; prsent seule comptelobservation de ce joyau.

    IM : Certes, mais ce que vous regardez dans le cas dujoyau, cest un objet dcrit davance comme tant pr-cieux au plus haut point. Si je regarde mon envie, Cestle contraire dun joyau, cest quelque chose de mal.

    K : Non, je ne la condamne pas. Il n y a aucun espritde condamnation, de jugement ou dvaluation, mais

    rien que lobservation. Si j observe mon fils, ce n est paspour dire : Bon sang, il devrait tre comme ceci, pascomme cela. Non : je me contente de lobserver. Parexemple, quand je regarde un tableau, je le dtaille, jevois la lumire, les proportions, les ombres...

    IM : La contemplation dun tableau est pour moi unbon exemple, qui maide comprendre en quoi consistevotre ide fondamentale. Mais ce qui me trouble encore,cest que vous suggrez quil existe une espce de

    modalit d tre idale qui n est pourtant pas dconnec-te du rel. Il nen reste pas moins que, loin dtre danscet tat, nous sommes submergs par des flots dillu-sions.

    K : Prcisment. Je suis en ce moment mme danslillusion. Je ne suis quillusion, je vis dans lillusion,mes penses, mes croyances, ma foi, ne sont quillu-

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    sion. Ce mot vient de ludere, jouer. Je joue donc avecles illusions.

    IM : Et pourquoi m en soucieraisje ? En dautrestermes ces illusions qui sont les miennes, pourquoi nepas simplement les observer? Si je suis intelligente, jepeux observer ma propre envie avec amusement, sansrenoncer mon envie.

    K : Allezy, continuez donc ! Mais en vous sinstal-lent le conflit, un certain sentiment dangoisse, une dou-leur.

    IM : Si vous constatiez quun tre cher se trouvedans un tel tat d illusion, n y aimeriezvous pas le voirchanger ?

    K : Jirais lui parler.IM : Dans ce cas, vous suggrez quil devrait chan-

    ger, vous sousentendez donc des valeurs morales.

    K : Non, je lui dirais : Pourquoi ces illusions?IM : Pourtant, les appeler des illusions, cest dj...K : Inutile mme de qualifier dillusions le fait que

    quelquun croie en Dieu, ou autre chose.IM : Tenonsnousen au cas de lenvie, qui est rela-

    tivement simple. Quelquun se consume littralementdenvie : Tiens! Il a a, celuil, il vaut donc mieuxque moi, et ainsi de suite. Vous observez cette per-sonne et vous lui dites : Voyons, pourquoi gcher ainsi

    inutilement votre nergie et votre angoisse pour unechose qui nest pas dune importance vitale, essentielle?Vous ne devriez pas agir ainsi.

    K : supposer quon veuille bien couter. Ds quequelquun est dispos couter, vous laidez dj.

    IM : Cest aussi mon avis. Mais l, vous lui avezappris quelque chose.

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    K : Ah non, je nexerce aucune pression, je ne luidemande pas de changer.

    IM : Je sais que tous les bons matres refusent cequalificatif.

    K : Voyezvous, la vraie racine de tout ceci n estautre que le conflit.

    IM : Mais supposons un individu qui se trouve en

    tat dharmonie totale, tout en ayant des quantits devices comme on dit , supposons quil soit jaloux,envieux, violent, colreux: ne pourraitil tablir desrapports harmonieux? Et supposons quil russissedans tous les domaines ; diriezvous quune telle choseest impossible ?

    K : Non. On ne peut pas pratiquer lharmonie dunemain et la violence de lautre.

    IM : Oui, je suis de votre avis. Je crois exacte lideselon laquelle lhomme mauvais est en tat de conflit,et lhomme bon en tat dharmonie.

    K : Lhomme bon est sans conflit.IM : Oui, contrairement lhomme mauvais. Cela

    sousentend qu un certain moment, ce dernier a com-mis une sorte derreur et quil y a quelque chose dir-rel dans sa vision du monde. Donc, en distinguant le

    bien du mal, on tablit une distinction en tre...K : Oui, on voit bien, par exemple, que quelque

    chose ne va pas chez le terroriste, qui tue par plaisir. Jene dis pas quil est bon ou mauvais, mais il se passe deschoses aberrantes chez ce pauvre bougre.

    IM : Ce que vous voulez, donc, cest faire clore unepersonnalit harmonieuse ?

    K : Non. La question est celleci : estil possible de

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    mettre fin tout conflit en soimme ? L est le curmme de la question labolition de toutconflit.

    IM : Et vous seriez prt renoncer aux termes bon et mauvais au profit d harmonie et dys-harmonie ?

    K : Je ne parlerais ni dharmonie ni de dyshar-monie, car ds que cesse le conflit, on est un treentier, intgral, vivant une existence holistique.

    IM : Oui, mais vous continuez pourtant parler debien et de mal au sens o nous lentendons normalement.Vous avez fait allusion au terroriste, qui est un hommetrs mauvais pas simplement un individu envieux,mais un tre cruel.

    K : Oui, quelquun qui tue.IM : En pareil cas, on aurait envie que cette per-

    sonne change.K : Sil coute, il changera, et cest tant mieux. Mais

    en gnral, ils ncoutent pas.

    La conversation se poursuit plus tard dans la journe.

    IM : J essaie de formuler certaines questions fonda-mentales que je narrive pas empoigner vraiment en cemoment. Peuttre pourraisje vous poser un ou deux

    types de questions diffrentes ?Lide de devoir est une notion fondamentale danstous les systmes de morale ; les philosophes saffrontentsur cette question, qui est bien relle. Chacun se voit, mesure quil grandit, assigner des devoirs par exemplecelui de dire la vrit. Or vous avez des rticencesquant cette notion de devoir.

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    K : Responsabilit me semble prfrable auterme de devoir.

    IM : Bien. Le sens des responsabilits serait donc,dans certaines circonstances, synonyme de sens dudevoir on pourrait largir ces deux notions dansdiverses directions mais le terme de sens des respon-sabilits a votre prfrence ?

    K : Oui, car la responsabilit, cela suppose des gards,de laffection, et un sentiment de communication aveclautre, cela suppose dagir non pas par obligation ou

    par contrainte, mais parce quon se sent responsable. Sij entreprends de construire une maison, je suis respon-sable de sa construction. Si je suis responsable de mesenfants, j en assume la responsabilit complte, et celanon seulement tant quils vivent sous mon toit, mais jeveille toujours ce quils vivent convenablement, quils

    ne soient pas duqus tuer.IM : La responsabilit serait sans limites.K : Sans limites, en effet.IM : Oui. Peuttre aton trop tendance lier

    la notion de devoir lexcution dactions trs prcises.Mais dun autre ct, dans le cas dune chose commelobligation de dire la vrit, cest un devoir fonda-mental.

    K : Dire la vrit fait partie de mes responsabilits.

    Je ne saurais tre malhonnte envers moimme.IM : Cessons donc de nous tracasser propos du mot devoir. Mais nous avons ici affaire ce qui est lunedes constantes de lexistence humaine. tant donn la

    banalit de cette notion, et tant donn quelle participeau maintien dans la vie sociale dun code de moralitdcent, le devoir estil, daprs vous, fondamentalement

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    diffrent de ce dont nous parlions ce matin savoirde la chose relle, de lamour?

    K : Oui, je considre quil est diffrent.IM : Mais je ne vois pas bien la ligne de partage

    entre ce quon pourrait qualifier de bont ordinaire oude rigueur morale, et cette chose fondamentale.

    K : Pourrionsnous commencer par nous demander

    pourquoi nous sommes fragments, pourquoi nousne cessons de voir la vie et toutes nos actions, quellesquelles soient, comme des fragments isols quilsagisse de religion, daffaires, damour, de haine?

    IM : Il faut bien affronter la vie jour aprs jour.K : Oui, mais pourquoi devraisje admettre que la

    vie doive forcment tre aborde de cette manirel ?IM : Il semble que, selon vous, nous devrions faire

    preuve dune espce de dsintressement parfaitement

    unitaire, qui serait alors indivisible.K : Voil, cest cela.IM : Mais dans ce cas, des mots tels que vrit et

    amour...K : ... ne font plus quun. Sil y a lamour, il y a la

    vrit, il y a la beaut.IM : Oui, cest vrai si lon se place dun point de vue

    philosophique.K : Non, c est rellement vrai, j entends par l que si

    j aime vraiment, la beaut est au cur de cet amour; etil mest alors impossible dtre malhonnte.IM : Je trouve le concept de beaut plus difficile

    cerner dans ce contexte. Ce qui fait problme pour moi,cest le point de rencontre entre cette vrit qui estamour, vrit fondamentale et les conceptions ordi-naires de la vrit comme celle de dire la vrit .

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    K : Supposons que j aie menti. Je reconnais avoirmenti ou mtre mis en colre. Cest de lhonntet,cest la vrit au sens banal du terme. Je ne camoufle pasmes mensonges grands renforts darguments louches.Je dis que j ai menti, que je me suis mis en colre, que

    j ai t brutal. Je crois que nous sommes tellement bienrods camoufler ce genre de choses, les luder, et

    manquer d honntet envers nousmmes !IM : Mais quel rapport y atil entre tout cela et ce

    qui fait partie de vos grandes proccupations, savoirle dpassement des conflits, et dune pense qui divise ?Vous faites une distinction entre le dsir et lamour, parexemple, et vous donnez ensuite une place centrale lavrit, en disant que lamour cest la vrit.

    K : Oui, bien entendu.IM : Mais il me semble difficile de faire le lien entre

    ces chosesl et la morale ordinaire de la vie courante,et cest l que j introduirais volontiers la notion dunesorte de purification du dsir. Le jugement moral sef-fectue, diraiton, deux niveaux diffrents : celui quiest jug bon au sens ordinaire est imparfait de votre

    point de vue. N estil pas important que vous que jesais si proccup du sort de lhumanit nestil pasimportant, donc, que vous mettiez en vidence desliens de connexion ?

    K : Oui, j en ai bien conscience. Mais, voyezvous,je poserais tout d abord cette question, moimme ou mon ami : Pourquoi sommesnous fragments?

    IM : Vous voulez revenir avant toute chose unequestion mtaphysique. Vous avez le sentiment quenous devons, ds le dbut, tre constamment dans levrai, le juste.

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    K : Bien entendu, il faut partir de l, toujours.IM : Oui, j aime cette ide, moi aussi ; en un sens, ce

    que vous voulez, cest quelque chose de neuf, ne fai-sant pas partie de notre panoplie dacquis.

    K : Jai pos, loccasion de nombreuses discussions,cette question des tudiants : pourquoi sommesnousainsi fragments, morcels, que nous estil arriv?

    Aprs des millions dannes, nous en sommes encore nous affronter, nous entretuer, tre en proie lacolre vous me suivez ? Questce qui ne va pas ?

    IM : Eh bien, il y a dune part ce sentiment de conflit,de fragmentation, qui est nocif, puisque cela sousentendlaffrontement, mais dautre part il y a aussi la raisondiscursive ordinaire, et la faon dont nous nous y pre-nons pour apprendre connatre les choses, ce qui nestpas forcment mauvais.

    K : Oui, cest le recours ma raison qui me permetde percevoir pourquoi le monde est divis en fragmentstels que les nationalits ou les religions. Vous savez

    bien ce qui se passe en Inde avec les sikhs, ou encoreentre Juifs et Arabes. Pourquoi, pourquoi donc accep-tonsnous pareille manire de vivre ?

    IM : Je crois que la rponse banale et empiriqueconsisterait dire quon peut essayer de mettre fin ces

    problmes, en faisant toutes sortes de choses, et par

    exemple en en parlant.K : Mais en fait, nous ny sommes jamais arrivs,nous navons pas mis fin ces divisions. Supposonsque j aie un fils n dune femme arabe, et un autre ndune femme isralienne, que faire? Ils ne cesseront

    jamais de se battre !IM : Mais vous ne niez pas quen partie au moins, le

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    message que vous voulez transmettre ait un impactdirect dans le domaine politique ?

    K : Oui dans le domaine politique, et dans celui dela religion, de la vie quotidienne. Mais, plutt que desembarquer dans des thories, je dirais quil vaut mieuxdabord se demander pourquoi nous autres humains,aux quatre coins du monde, sommes ce point diviss,

    morcels.IM : Mais cette question me semble en partie empi-

    rique, en ce sens quil serait possible, par exemple, dedcouvrir pourquoi une religion donne, qui adhrait certaines ides une certaine poque, a ensuite faitscession. On pourrait aborder de cette faon ltude dela chrtient. Mais on a ici un type de question dordremtaphysique, laquelle je crois quil est, pour une

    part, impossible de rpondre. Comme pour la question :

    Pourquoi y atil des tres humains sur cette terre? on est bien oblig de rpondre : je ne sais pas. videmment, ceux qui croient en Dieu diraient quecest Dieu qui a cr le monde.

    K : Et les scientifiques ont dautres explications.IM : Si lon exclut toute rponse empirique, la ques-

    tion que vous posez est une espce de question mta-physique qui dune certaine faon na pas de rponse.

    K : Pourtant cest relativement simple. La question

    que j aimerais soulever est celleci : seraitce la penseellemme qui est fragmente ?IM : Je crois que la pense est ellemme fragmen-

    te, et cela me parat en un sens invitable. Ce que nousfaisons en ce moment mme savoir utiliser un lan-gage naturel, des concepts et des termes que nous avonsappris apprhender, etc. dpend directement de

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    lintrt grandissant que nous portons au monde et quise manifeste de bien des manires diffrentes. Le termediscursif dfinit cette notion selon laquelle lintel-lect doit forcment se dployer, trouver son expressiondans le langage, et ainsi de suite. Mais la pense ne

    peut tre unique, ne peut tre une comme le souhaite-raient de nombreux philosophes. Ils se plaisent croireen cette unit suprme. Mais il me semble que vousnadmettez pas la notion de rdemption du monde,cestdire de rassemblement de tout notre univers enun centre, en un bien, une vrit, un amour absolus.

    K : Je dis pourtant quen effet il faut que cela soit.IM : Trs bien, mais dans ce cas il est impossible

    dliminer toute fragmentation. Elle doit faire lobjetdune rdemption, dun rachat, si vous voyez ce que jeveux dire.

    K : Trs bien, en avant pour la rdemption ! Pourquoidonc les tres humains sontils ainsi? Cest cela quimrite rachat ! Laissons de ct les explications intel-lectuelles les faits sont l, les faits au quotidien, leconflit est l, la violence est l. Pourquoi ?

    IM : Il peut y avoir des raisons historiques, parexemple, le conflit irlandais. Mais vous avez en tte deschoses beaucoup plus profondes.

    K : Beaucoup plus profondes, oui.IM : Si lon me posait la question, je dirais que jesuis incapable de rpondre la question mtaphysique,mais je peux rtorquer : pourquoi faudraitil quil ensoit autrement? Je sais, il y a l lexpression il fau-drait, que vous rcusez... Nous avons une certaineconception du bien partir de laquelle nous dployons

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    sur le monde un vaste rseau de penses et dactions que tout cela est mal exprim !

    K : Nayez crainte, je comprends.IM : Tout cela dans lespoir de pouvoir graduelle-

    ment rendre le monde meilleur, et liminer les conflits,au niveau superficiel comme au niveau profond.

    K : Cela fait au moins deux ou trois millions dan-

    nes que nous vivons sur cette terre. Nous en sommestoujours au mme point. Regardez ce qui se passeactuellement.

    IM : Oui, et qui sait ce que lavenir nous rserve?K : Lavenir, cest ce que nous sommes aujourdhui.

    Si nous nagissons pas maintenant, demain tout seratoujours exactement pareil.

    IM : Mais nos possibilits daction sont actuellementtrs rduites. Elles se limitent nousmmes, et un

    tout petit nombre de personnes.K : Mais quand vous dites nousmmes... noussommes le monde !

    IM : Et nous pouvons aussi participer la vie poli-tique, ce qui est une manire d agir sur le monde.

    K : Mais je suis lhumanit tout entire, puisque maconscience est semblable celle du reste de lhumanit.

    IM : Oui ; vous voulez dire que si vous pouvez lefaire, dautres peuvent aussi le faire.

    K : Si je change, j affecte tous les autres.IM : Il faut aussi tenir compte du fait quon disposedun laps de temps trs limit pour parvenir ce degrde perception, de lucidit.

    K : Cest bien pourquoi je dis quil ne faut pas lais-ser intervenir le temps dans cette affaire. Je suis un trehumain : mon mode de vie, ma faon de penser, dagir,

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    sont relativement semblables ceux des autres hommes.Il peut y avoir des diffrences extrieures, mais au plus

    profond de moi, je suis semblable au reste de lhuma-nit, je suis lhumanit.

    IM : Sauf que vous tes quelquun de tout fait sin-gulier.

    K : Non, je suis lhumanit parce que nous souffrons

    tous, nous passons tous par des moments terribles.Donc, je suis lhumanit tout entire, je suis lhuma-nit. Cest cela, lamour rel.

    IM : On pourrait vous rtorquer : daccord, maisvous avez beau tre lillustration vivante de ce quereprsente le potentiel humain, vous ntes rien dautreque vousmme, vous tes tout seul.

    K : Venez vous joindre moi, venez me rejoindre !IM : Bien sr.

    K : Laissez tomber vos nationalismes mesquins ettout le reste, et joignezvous moi, soyons libres, etregardons le monde avec dautres yeux, cessons dtretoujours en conflit les uns avec les autres. Comme cestle cas chaque jour entre mari et femme.

    IM : Mais je ne peux pas mempcher de poser leproblme sous langle des proportions normes quepeut prendre linfluence exerce par quelquun. Si l onveut dispenser un enseignement ne songeons ici ni

    vous ni moi niais si quelquun souhaite exercer soninfluence sur autrui, en vue de mettre fin ces conflits,il doit ncessairement entrer dans une logique de per-suasion, sengager politiquement. Et bien des gensdiraient bien des gens disent aujourdhui que cest

    perdre son temps que de se soucier de son me, ou dese proccuper dtre dsintress ou non : la seule chose

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    faire, cest daller porter secours aux autres, et fairecesser leurs souffrances.

    K : Mais regardez ce qui arrive ceux qui aident et ceux qui se font aider. Trs peu de chose, en somme...Hitler voulait aider les gens. Bouddha disait : Lhuma-nit souffre, la souffrance doit prendre fin. Voyez cequi sest pass : la souffrance continue toujours.

    IM : J ai toujours aussi envie dorienter la questionun peu sous un autre angle, pour y voir plus clair.Lorsque vous parlez de dpasser le conflit, de dpasserla souffrance...

    K : ... pas les dpasser : y mettre fin.IM : ... oui, y mettre fin. Cela ressembletil de prs

    ou de loin ce que serait pour un bouddhiste le nirvana ?K : Daprs les discussions que j ai eues avec diverses

    personnes, le terme de nirvana dcrit un tat o le soiindividuel nest plus. Le soi, au sens de toute cette agi-tation. Atteignez ce pointl ne discutez pas de lanature du nirvana et vous trouverez la rponse.

    IM : Linterprtation que je donne tout cela, pourautant que je comprenne, cest quon est dans un tatdsintresse, et que le renoncement au monde est lesigne de labsence de signification de tout le reste.

    K : Ils sont nombreux lavoir fait avoir reni le

    monde. Mais je ne dis pas quil faille le renier. Aucontraire, cest l quil faut vivre.IM : Oui, si Ton songe limage de la caverne de

    Platon, on est dabord dans le noir, puis on savanceprogressivement vers la lumire. Il parle aussi dunretour la caverne, ce qui signifie, je crois, que Ton peutaccder une certaine forme de libration pour son

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    propre compte, mais avec lobligation par la suite delibrer aussi tous les autres.

    K : Tout est l. Vous connaissez bien toute cettenotion de Bodhisattva je nentrerai pas dans lesdtails , mais si vous changez fondamentalement,lhumanit entire nen seratelle pas affecte?

    IM : Vous influencerez un certain nombre de per-

    sonnes.K : Non, regardez, le christianisme a influenc des

    millions dhommes.IM : Oui, assurment. Jallais le dire : il y a des cas

    exceptionnels, comme en atteste la vie du Christ peuimporte quil ait rellement exist ou non en tant que

    personnage historique , limage du Christ a chang lavie des gens.

    K : Moi je prtends quils ont chang pour des rai-

    sons de propagande. Le bouddhisme a aussi influenctoute lAsie. Je dis ceci : Que quelquesuns dentrenous s y attellent et nous changerons le monde.

    IM : Je crois que nous avons de grands matres spiri-tuels qui ont exerc une norme influence, et qui ont,

    pour autant que je sache, prn une forme de dsintres-sement qui nest pas trs loign de ce dont vous parlez.

    K : Oui, il sagit dtre libre, dlivr de lego.IM : Comment faire ? Je nai pas limpression que...K : Comment faire? Il faut prendre le temps de

    sasseoir, den parler, daller au fond des choses vouscomprenez? Et abattre les barrires qui nous sparent.

    IM : Nous en arrivons peuttre une question unpeu diffrente, celle de linfluence.

    K : Je ne veux influencer personne. Cest la pirechose qui puisse arriver, car si je vous influence, quel

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    quun dautre peut son tour venir vous influencerdans un autre sens. Mais si cest vousmme qui vous

    percevez les choses, alors tout est clair.IM : Oui, lun des autres points sur lesquels nous

    sommes daccord cest quil faut agir de sa propre ini-tiative. Cela ne sert rien que les directives viennentdautrui.

    K : Donc, pas de propagande, pas de programmeimpos.

    IM : Ce dont les thologiens se rendent compte lheure actuelle, je crois cest que Dieu ne peut treimpos personne. La vie spirituelle, quelle quellesoit, doit faire lobjet dune dcouverte individuelle.

    K : La notion dautorit na pas cours dans le mondespirituel. Alors quaujourdhui, il nest plus questionque de cela. Le gens ont soif dautorit, ils y voient une

    forme de scurit.IM : Je ne vois pas, personnellement, de rponse la

    question de savoir comment la dcouverte dune vritspirituelle, quelle quelle soit, pourrait changer lemonde. Lavenir du monde vous inspire peuttre plusdespoir qu moi.

    K : Non, je ne suis ni pessimiste ni optimiste, mais,je le vois bien, moins que quelquesuns dentre nousne modifient radicalement lensemble des structurespsychologiques qui font de nous ce que nous sommes,les choses iront de mal en pis, voil tout.

    IM : Sur ce pointl aussi, je suis de votre avis. Si lemonde venait perdre ceux dont les proccupationssont identiques aux vtres, je crois quen un sens il per-drait son centre.

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    K : Mais trs peu ont pour souci une librationtotale.

    IM : En fait pour dire les choses un peu brutale-ment vous voudriez quils soient plus nombreux, touten rejetant les mthodes traditionnelles, telles que lesnotions de devoir, d asctisme pour ne citer quecellesci qui ont pourtant particip, en quelque sorte,

    la formation de ceux qui, peuttre, atteignent ltatdont nous parlons.

    K : Mais pourquoi devraisje recevoir une forma-tion? Si je vois quune chose est vraie, je m en tiens l.En quoi une formation seraitelle ncessaire ?

    IM : Oui, mais vous avez probablement reu un don,une grce pour reprendre la terminologie chrtienne qui est le privilge dune minorit. Et vous russissez faire avec facilit des choses qui, pour une majorit de

    personnes, seraient trs, trs difficiles.K : Cest peuttre le cas. Mais aprs tout, il doit for-

    cment y avoir ... bon, si vous tenez au terme de grce,daccord. Soyez en tat de recevoir cela, autrement ditne soyez pas goste, nayez aucun conflit, gardez envous une espce de silence intrieur.

    IM : Je suis entirement d accord ldessus. Oui,cessons dargumenter sur des questions dinfluence oude politique : je comprends quelle est ici votre position.

    Je crois quil est sans doute important dessayer dagirsur notre environnement dune certaine manire, maisje sais que les obstacles sont nombreux. Je prfreraismen tenir au problme qui a dj fait lobjet de nos

    proccupations, et qui touche en partie la question dutemps et de la fragmentation. La notion que le temps,cest la fragmentation.

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    K : Oui, cest cela. Se librer du temps signifie lab-sence de tout mouvement vers l avant.

    IM : Cest donc la condition pour pouvoir tre libre,tre dans la vrit et lamour, ne plus acqurir, ne plus

    planifier. Si lon avait ce genre de perception, de visionpntrante peu importe le terme le sauraiton ?

    K : Je crois quon nen saurait rien, mais nos actions,

    notre vie quotidienne, en porteraient tmoignage.IM : Mais il me semble que votre pense se situe la

    fois sur deux plans entirement diffrents. Et je cherche relier ces deux plans.

    K : Non, il y a le plan physique.IM : Et aussi le plan psychologique. Cest de cela

    que nous parlons.K : Pourquoi, sur plan psychologique, devraitil

    exister des divisions ? Pourquoi y auraitil une psycho-

    logie qui soit dordre suprieur, une autre dordre inf-rieur, quand la psychologie est un tout?IM : Certes. Je faisais allusion une sorte de... j ai

    avanc le terme de rdemption.K : Cela ne fait rien, je comprends.IM : ... une rdemption de toute cette confusion qui

    agite notre esprit pourrait intervenir, et ce, me sembletil, dune manire tout fait banale. On nen ferait pasun vnement, ce serait simplement une fonction natu-relle.

    K : Mais de qui donc viendrait cette rdemption ? Sij attends quelle me vienne de vous, alors je suis perdu.

    IM : Je ne songe pas une rdemption au sens chr-tien. Par tre rachet jentends que quelque chose quitait fragment se rassemble. Limage que j ai, cestcelle dun noyau central et de morceaux pars. Jessaie

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    sans cesse de dcouvrir o est exactement la ligne departage, par exemple, entre la vie dun homme trs bon,trs vertueux, dnu dgosme au sens ordinaire etla vie empreinte de vrit.

    K : Ah, cest tout fait diffrent.IM : Diffrent ? Pourquoi ?K : Cest vident, voyons.

    IM : Mais dire que cest tout fait diffrent est uneremarque dordre mtaphysique.

    K : Je sais.IM : Et cela ne vous drange pas ?K : Non, cela m est gal. Aprs tout, le moi est

    quelque chose de trs habile et trs subtil, il peut se dis-simuler sous des prires.

    IM : Alors l, cela ne fait pas le moindre doute !K : Il peut se cacher, derrire la moindre petite action,

    o lon se dit, noblement : Je rends service lhuma-nit, je linfluence en bien.

    IM : Je suis une personne remarquable, admire detous voil ce quon dit entre guillemets.

    K : Il faut, pour comprendre ce quest le moi, savoirobserver quotidiennement avec persvrance ; car il nesuffit pas, pour tre libre, de se dire libre a un momentdonn; mais il faut, en revanche, tre extrmementattentif tout ce que lon fait.

    IM : Vous croyez qutre compltement absorb parlaction extrieure nest pas, en somme, une dmarchede vrit ?

    K : Cest une dmarche trs dangereuse.IM : Une certaine tranquillit pourrait donc tre

    compatible avec le fait de mener une vie active ?K : Mais ce silencel nest pas issu de la pense.

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    IM : Oui. Je vous suis tout fait.K : Ce silence ne se cultive pas.IM : Oui. Je pense que moi aussi, je crois ce

    silence.K : Un silence, une tranquillit do tout mouvement

    est absent.IM : Et cela rejoindrait ce que vous dites sur une vie

    qui sinscrirait dans le prsent et dans l intemporel?K : Oui, il faut savoir que la mditation est une chose

    extraordinaire. Jai parl des gens qui pratiquent lamditation bouddhistes de tradition zen ou tibtaine,hindous, et autres , il sagit chaque fois dun effortconscient, dlibr. Jamais dune chose que lon fait

    pour lamour de la chose ellemme on peutaimer tout en tant goste. La mditation telle que

    je lentends consiste mditer sans effort conscient.

    IM : Oui, je crois que le recours tout moyen ayantle bien pour objectif risque de devenir un obstacle., K : Absolument.

    IM : Et ce, parce que nous sommes en qute didoles,nous sommes des adorateurs didoles.

    K : Ds lors, tout est termin ce nest plus de lamditation.

    IM : Effectivement, surtout si lon cherche uneconsolation dans le sentiment daccomplir quelquechose. Mais la mditation peut malgr tout savrerutile.

    K : Non, j ai parl des gens qui ont consacr desannes cela je parle srieusement : un homme gdenviron soixantedix ans, bien plus vieux que je neltais lpoque, me rendit un jour visite et me dit :Jai pass vingtcinq ans dans la jungle, errer dun

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    lieu lautre, et mendier et pendant tout ce temps,je nai pas cess de me leurrer.

    IM : Il aurait droit des compliments !K : Je sais, cet exemple prouve quelque chose.IM : Il tait prt, lui, admettre une chose quon est

    rarement dispos admettre.K : Le silence intrieur ne se cultive pas, ne sac

    quiert pas par une pratique. Cest dans la vie de tous lesjours que nous devons savoir tre silencieux.

    IM : Cest peuttre un don qui nous est fait.K : Car autrement, quelle est la valeur de votre

    silence, si votre vie quotidienne nen est pas affecte, sivotre vie quotidienne nest pas dpourvue de conflit?

    IM : Bien sr, j ai sans cesse envie de dire que celien avec la vie quotidienne est une notion fondamen-tale. Et toute personne qui prtendrait avoir ce silenceintrieur mais se conduirait mal dans la vie de tous les

    jours me laisserait sceptique.K : Je sais moi aussi.IM : Je crois que toutes mes rflexions ce sujet

    sont influences par Platon, et il me semble que lundes points sur lequel vous insistez et sur lequel il aluimme beaucoup insist est cette distance, cettediffrence absolue, qui est propre la notion dintem-

    porel, dtemel notion qui diffre en tous points de ceque lon entend ordinairement par le bien qui, lui,nest quune forme didoltrie.

    K : Oui, cest de lidoltrie.IM : Et Platon a recours limage des idoles dtruites.

    Si lon dtruit les images, on dtmit les idoles, puis onpoursuit son chemin. Mais il dcrit lexistence comme

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    un plerinage, et ce d une faon qui, je crois, ne corres-pond pas la description que vous en faites.

    K : Je nai en moi aucune image daucune sorte lesoi individuel est absent.

    IM : Ce que vous dcrivez l correspond, de lavisdun bon nombre de ceux qui se proccupent de spiri-tualit, l ultime fin du voyage, sauf que vous insistez

    sur le fait que naturellement, en un sens, nous sommesdj potentiellement la fin du voyage.

    K : Il faut faire aussi trs attention cela, car les hin-dous croient en la prsence en nous de Dieu, de Yatman,et cela vous donne une chance de vous dbarrasser devotre ignorance, et de devenir ensuite pareil Dieu !Cest une hypothse. Et je ne veux faire aucune hypo-thse.

    IM : Je nappellerais pas cela une hypothse, car

    cest une chose laquelle je souscris.K : Mais cest une hypothse, une ide.IM : Oui, c est une hypothse mtaphysique ou reli-

    gieuse mais vous, vous viteriez le terme religieux qui pourrait prter confusion.

    K : Je ne fais rien dautre que de suggrer que cestun concept qui a t cultiv, inclus dans une tradition et tout cela na aucun sens, constatonsle : je crois ceconcept de Dieu en moi, et je vais de ce pas massa-crer mQn prochain !

    IM : Oui, tout ce qui implique une ide de Dieu estdj en un sens une idole.

    K : Cest tout ce que je dis. Nous sommes des ado-rateurs didoles, quelles soient nes de la main ou nesde lesprit.

    IM : Pour vous, il y a clivage absolu et je crois voir

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    ce que vous voulez dire, mais sans en tre sre entrele processus ordinaire de la vie et cet tat de prsenceau vrai , dont l existence sinscrit dans le prsent, de lamme manire que ltemel est ncessairement inscritau sein mme du prsent, et vit dans ce prsent. Il fautque vous insistiez bien sur le fait que cet tat na abso-lument rien voir avec les idoles que ce monde rvre.

    K : Bien sr, cest tout fait vident. Lhomme estdepuis toujours en qute dtemit. On sen faonneune ide...

    IM : ... et pourtant ce n est pas une continuit dutemps, mais quelque chose de trs diffrent.

    K : Il sagit de la fin, de labolition du temps.IM : Je crois que ma rflexion sur Platon ma donn

    accs une certaine comprhension de vos propos. Jevous dois un grand merci !

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    Titre orig inal:

    ON LOVE AND LONELINESS

    (Harpers, San Francisco)

    Krishnamurti Foundation Trust Ltd., 1996.Brockwood Parle, Bramdean, Hampshire, S024 OLQ, Angleterre.

    ditions Stock, 1998, pour la traduction franaise.