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Questions posées par la conception et la réalisation d'un environnement d'aide à la résolution de problèmes en chimie Monique SCHWOB, François-Marie BLONDEL Institut National de Recherche Pédagogique Technologies Nouvelles et Éducation 91, rue Gabriel Péri 92120 Montrouge, France. Résumé La conception d'un logiciel éducatifsuppose la mise en oeuvre de connaissances relevant de plusieurs domaines : l'informatique, et plus particulièrement la représentation des connaissances etles interfaces homme-machine, la didactique, la psychologie cognitive, les sciences de l'éducation, pour ne citer que les principaux. À l'occasion d'un projet portant sur la résolution de problèmes de chimie, la conception etla réalisation d'un environnementd'apprentissage interactifontremis en avant quelques questions, connues pour la plupart, mais vues sous un angle différent. Dans ce texte, nous présentons certaines de ces questions, à la frontière entre la didactique et l'ergonomie cognitive, ainsi que quelques-unes des réponses possibles : quel espace de connaissances pourle problème de chimie ? Quelle est la nature de la complexité de ce problème pour les élèves ? Quel langage permet de représenter le système physico-chimique associé à une réaction ? Comment représenter l'aspect temporel et dynamique de la réaction ? Mots clés : chimie, environnement d'apprentissage, réaction chimique, représentation des connaissances, résolution de problèmes. Didaskalia - n° 8 - 1996 - pages 111 -137 111

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Questions posées par la conception et la réalisation d'un environnement d'aide à la résolution de problèmes en chimie

Monique SCHWOB, François-Marie BLONDEL

Institut National de Recherche Pédagogique Technologies Nouvelles et Éducation 9 1 , rue Gabriel Péri 92120 Montrouge, France.

Résumé

La conception d'un logiciel éducatifsuppose la mise en œuvre de connaissances relevant de plusieurs domaines : l'informatique, et plus particulièrement la représentation des connaissances etles interfaces homme-machine, la didactique, la psychologie cognitive, les sciences de l'éducation, pour ne citer que les principaux.

À l'occasion d'un projet portant sur la résolution de problèmes de chimie, la conception etla réalisation d'un environnementd'apprentissage interactifontremis en avant quelques questions, connues pour la plupart, mais vues sous un angle différent. Dans ce texte, nous présentons certaines de ces questions, à la frontière entre la didactique et l'ergonomie cognitive, ainsi que quelques-unes des réponses possibles : quel espace de connaissances pourle problème de chimie ? Quelle est la nature de la complexité de ce problème pour les élèves ? Quel langage permet de représenter le système physico-chimique associé à une réaction ? Comment représenter l'aspect temporel et dynamique de la réaction ?

Mots clés : chimie, environnement d'apprentissage, réaction chimique, représentation des connaissances, résolution de problèmes.

Didaskalia - n° 8 - 1996 - pages 111 -137 111

Monique SCHWOB, François-Marie BLONDEL

Abstract

The design ofeducational software involves the construction ofknowledge bases requiringinputfrom severalareas ofresearch : computerscience, more specifically knowledgerepresentation, human-computerinteraction, didactics, cognitivescience andpedagogy to mention only the major ones.

Thisprojectofconceivingandimplementingan interactive learning environmentfor problem solving in the field of chemistry gives the opportunity to put forward a few questions most of which have been asked before, but are considered here under a different angle. In this paper, we introduce some of the questions bordering didactics and cognitive ergonomics as well as a few of the possible answers. What is the knowledge space for a chemistry problem ? What is the complexity level of this problem for the students ? Whatlanguages enable us to represent the physico-chemical system associated to a reaction ? How can the temporal and dynamic aspect of the reaction be represented ?

Key words : chemistry, learning environment, chemical reaction, knowledge representation, problem solving.

Resumen

La realización de un programa informático educativo supone la implementación de conocimientos relativos a varios dominios : la informática, y particularmente la representación de conocimientosylas interfases hombre-máquina, la didáctica, la psicología cognitiva, las ciencias de la educación, porno citarque lasprincipales.

En la ocasión de unprojecto que trata sobre la resolución deproblemas en química, la concepción y realización de un medio de aprendizaje interactivo, llevó ante todo a la proposición de algunas preguntas, conocidas por la mayoría, pero vistas bajo un ángulo diferente. En este texto, presentamos algunas de esas preguntas, en la frontera entre la didáctica y la psicología cognitiva del trabajo, asícomo algunas de las respuestas posibles : ¿ Cuál espacio de conocimientos para el problema de química ? ¿ Cuál es la naturaleza de la complejidad de este problema para los alumnos ? ¿ Qué lenguaje permite representar el sistema físico-químico asociado a una reacción ? ¿ Cómo representar el aspecto temporal y dinámico de la reacción ?

Palabrasclaves :química, mediodeaprendizaje, reacciónquímica, representación de conocimientos, resolución de problemas.

1. INTRODUCTION

La conception et la réalisation d'un environnement informatique destiné à l'apprentissage soulèvent des questions qui relèvent de plusieurs disciplines : informatique, didactique, sciences cognitives, sciences de l'éducation. Cette approche multidisciplinaire, souvent difficile à mettre en

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pratique dans un projet, fait apparaître de nouveaux questionnements d'une discipline vers une autre (Bruillard & Vivet, 1994).

Le projet d'environnement interactif d'apprentissage avec ordinateur (EIAO) sur lequel nous travaillons, essaie de combiner au moins deux points de vue disciplinaires, l'un plus informatique, puisqu'il s'intéresse aux capacités des techniques actuelles de représentation et de manipulation des connaissances, et l'autre plus didactique, en ce sens qu'il se préoccupe de l'informatisation des instruments qui sont utilisables dans l'enseignement.

Des constatations d'ordre didactique sont à l'origine de ce projet. Les difficultés rencontrées par les élèves pour résoudre les problèmes de chimie quantitative ont fait l'objet de nombreuses analyses ; les difficultés de l'enseignement des concepts liés à ce sujet sont également connues.

Concevoir un environnement d'aide à la résolution de ces problèmes met d'abord en avant des questions de représentation des connaissances, d'interface homme-machine, d'adaptation à l'utilisateur. Réaliser un prototype, ou un produit, conduit aussi à effectuer de nombreux choix, à prendre un grand nombre de décisions, en général très locales, relatives à un aspect très particulier du logiciel. L'ensemble de ces décisions, qui fait partie de la phase de spécification dans le processus de développement d'un projet tel qu'on l'envisage habituellement en génie logiciel, est plus délicat à expliciter dans un projet de logiciel éducatif. Si une partie de ces choix peut s'appuyer sur des connaissances reconnues en didactique ou sur les savoir-faire des enseignants, il n'en reste pas moins qu'une autre partie reste un peu plus arbitraire, et par conséquent moins explicite.

Dans le domaine de la psychologie, Mendelsohn (1995), à propos du travail qui a conduit à MEMOLAB, insiste également sur la difficulté de concilier les quatre conceptions de la notion de modèle :

«le modèle pour comprendre le fonctionnement cognitif des psychologues, le modèle pour réguler la situation d'enseignement des pédagogues, le modèle pour analyser les savoirs du didacticien, le modèle calculablepourreprésenterles connaissances du chercheur en intelligence artificielle. »

Dans un article sur les relations entre didactique des mathématiques et informatique, N. Balacheff (1994) propose le terme de transposition informatique pour désigner «ce travail sur la connaissance qui en permet une représentation symbolique etla mise en œuvre de cette représentation parun dispositifinformatique». Il remarque à cette occasion que ce travail conduit à une explicitation de contenus d'enseignement restés implicites dans les pratiques, voire à la création de nouveaux objets, prenant pour exemple les environnements fondés sur la modélisation d'un «agent rationnel mathématicien».

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Au-delà de la transposition informatique qui reste fondamentale, il nous semble que d'autres questions sont soulevées par la conception d'environnements informatiques d'apprentissage. Notre intention est d'évoquer ici, à partir du projet sur lequel nous travaillons, plusieurs interrogations nouvelles qui concernent la didactique de la chimie et qui ont émergé non seulement pendant la phase de conception de l'environnement mais aussi pendant celle de son développement.

Nous allons tenter d'expliquer en quoi la conception et la réalisation d'un logiciel éducatif peuvent mettre en avant, quelquefois de façon très pointue, des questions connues, ou moins connues, portant sur l'enseignement d'une discipline, sur les pratiques qui s'y rattachent, sur les savoirs et les savoir-faire réellement mis en jeu dans ces problèmes. Nous verrons à cette occasion que ces questions peuvent remettre en cause non seulement les choix initiaux du projet mais aussi, d'un point de vue plus didactique, les problèmes et la manière de les aborder indépendamment de tout environnement informatique.

2. ANALYSE D U D O M A I N E : LA R É S O L U T I O N

DE PROBLÈMES DE C H I M I E Q U A N T I T A T I V E

2 . 1 . Les programmes d'enseignement et la pratique enseignante

2.1.1. Le statut des problèmes de chimie quantitative

Nombre d'enseignants - et les programmes actuels de chimie de l'enseignement secondaire de lycée - affirment la primauté d'une approche expérimentale, voire qualitative de la chimie. Toutefois, les problèmes de chimie quantitative (ou «stœchiométriques»), plus souvent appelés «exercices» dans la pratique quotidienne des enseignants, sont un élément central de la coutume de l'enseignement. Il s'agit d'exercices qui s'appuient sur l'équation-bilan d'une réaction chimique et ont pour objet le calcul de la quantité d'un réactif ou d'un produit, connaissant la quantité d'un autre réactif ou produit de la réaction. L'usage répété de ces exercices apparaît comme un peu paradoxal, d'autant que leurrésolution ne fait pas réellement l'objet d'un apprentissage.

Si l'on s'en tient aux programmes récemment publiés (BOEN, 1992), on relève un certain nombre de directives concernant ce sujet. Dans les compétences (exigibles ou non) en cours d'apprentissage, à propos de la «conservation des éléments au cours d'une réaction chimique», on trouve :

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«- Faire des bilans en raisonnant en quantité de matière (en moles) - Utiliserla mole comme unité de quantité de matière etconnaître son symbole (mol) - Relier les quantités de matière aux masses et, dans le cas des gaz, aux volumes - Équilibrerl'équation-bilan d'une réaction chimique en liaison avec la notion de mole»

assorti de ce commentaire :

«L'interprétation des réactions chimiques en moles sera effectuée sur les exemples de réactions étudiées dans la première partie. Il s'agit d'un apprentissage à ce niveau qui sera repris dans la troisième partie et deviendra une exigence seulement en classe de terminale scientifique.»

Cet objectif à moyen terme, qui n'est censé devenir une exigence qu'à la fin des études secondaires, est confirmé par un commentaire contenu dans le préambule des contenus de programmes proprement dits :

«Les exercices sur les raisonnements en quantités de matière (en moles) ferontl'objetd'un apprentissage quise continuera en classe de première et de terminale scientifique : l'objectifn'étantpas seulement d'acquérir une certaine dextérité sur la proportionnalité et sur le maniement de la calculatrice.»

Toutefois la pratique de ces exercices est relativement développée dès la classe de seconde. Les manuels scolaires en proposent de façon systématique. On trouve dans les manuels récents («nouveaux programmes») des fiches méthodologiques concernant l'utilisation de l'équation-bilan pour résoudre des exercices de chimie. On remarquera que cette tendance apparue dans une précédente édition des manuels en 1987 se généralise dans les éditions actuelles. Les éditions antérieures ne prenaient jamais en compte la nécessité d'enseigner une «méthode de résolution» de ce type d'exercices. Nous faisons l'hypothèse que cela correspond à l'identification d'un véritable problème d'enseignement de la part des enseignants, repris à leur compte par les auteurs de manuels. Ce problème est d'ailleurs encore d'actualitéjusqu'à un niveau d'enseignement élevé (Mey et al., 1994). CeIa confirme par ailleurs l'analyse (observation de classes, analyse de productions d'élèves, entretiens) que nous avons menée au début de ce travail.

2.1.2. La nature des problèmes de chimie quantitative

Ces problèmes, ou exercices, s'appuient sur une réaction chimique, le plus souvent unique et considérée comme totale (jusqu'à l'étude des

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équilibres chimiques). Ces réactions peuvent avoir été vues en classe, soit expérimentalement soit de façon plus théorique pour illustrer certaines parties du cours. Dans d'autres cas elles sont inconnues des élèves, ainsi que, dans certains cas, les substances qu'elles mettent en jeu. On admet en général que des élèves en fin de seconde doivent «connaître» une vingtaine de substances chimiques, cette connaissance consistant à être capable d'identifier le nom, lui faire correspondre la formule (ou vice versa), de connaître l'état physique de la substance dans les conditions usuelles et une ou deux de ses propriétés physiques et chimiques essentielles. Par contre l'observation des pratiques et des manuels scolaires montre qu'un nombre beaucoup plus important de substances sont citées, décrites voire utilisées en travaux pratiques. Si les premiers exercices proposés portent sur des réactions qui ont, en général, été étudiées en classe ou en travaux pratiques, on remarque que très fréquemment les enseignants et les manuels proposent des exercices formellement équivalents, mais qui s'appuient sur des réactions différentes, souvent inconnues des élèves.

Les énoncés des exercices, tels qu'ils apparaissent dans les manuels, impliquent un grand nombre de connaissances implicites. Celles-ci peuvent porter sur la plupart des éléments nécessaires à la représentation du problème et à sa résolution : nature de certains corps mis en jeu dans la réaction, équation-bilan, conditions stœchiométriques ou non, conditions et caractéristiques physiques. Dans certains cas, lorsque ces problèmes sont utilisés à des fins d'évaluation, une partie de l'exercice peut consister à élucider ces implicites ou à mobiliser les connaissances nécessaires, considérées comme faisant partie de «la leçon». Dans la plupart des cas toutefois, il est probable que cette description très partielle de la situation physico-chimique nécessaire à la résolution de l'exercice est un obstacle majeur pour les élèves.

La résolution implique l'écriture d'une équation-bilan équilibrée (remarquons au passage que ce terme d'équation-bilan est propre à l'enseignement), et consiste à «faire fonctionner» cette équation. Les «données» de l'exercice, qui correspondent à une instanciation particulière de cette équation, sont une, ou deux valeurs initiales ou finales de grandeurs extensives : masse, volume, quantité de matière d'un ou plusieurs réactifs ou produits. La question posée consiste le plus souvent à calculer une quantité nécessaire d'un autre réactif ou une quantité de produit formé.

Les méthodes proposées par les enseignants et les manuels sont assez semblables dans leur principe, même si elles varient sensiblement dans leur présentation. Elles utilisent toujours la grandeur «quantité de matière» considérée comme centrale dans toutes ces résolutions. Elles s'appuient toutes surl'expression d'une proportionnalité directement déduite de l'équation-bilan. On ne rencontre qu'exceptionnellement l'utilisation de

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relations traduisant directement des lois de conservation de la masse, conservation que les élèves mobilisent toutefois, à bon escient ou non, même lorsqu'on ne les leur a pas enseignées.

Remarquons enfin que ces exercices quantitatifs sont, contrairement à l'enseignement de la physique, relativement atypiques dans l'enseignement de la chimie qui, à ce niveau, est surtout descriptif et qualitatif.

2.2. Le contexte didactique : un aperçu des recherches sur le domaine

2.2.1. De la résolution de problèmes...

Divers travaux témoignent de la permanence des préoccupations soulevées par la résolution des problèmes de chimie quantitative dans l'enseignement des pays occidentaux. Certains auteurs, dans le cadre général de travaux sur la résolution de problèmes, ont analysé de façon détaillée les difficultés des élèves au cours de la résolution des problèmes de stoechiométrie (Frazer, 1982 ; Frazer & Sleet, 1984 ; Frazer & Servant, 1987 ; Kramers-Pals et al., 1982). Ces analyses confirment les études que nous avons pu faire sur ce même sujet au début de notre travail (Blondel et al., 1992). D'autres travaux, anglo-saxons pour la plupart, proposent diverses méthodes de résolution ou des propositions d'enseignement. Reif (1983) en particulier insiste sur la nécessité de disposer de procédures générales de résolution, mais aussi d'une base de connaissances du domaine qui doit permettre de faciliter la mise en œuvre de ces procédures. Il met également l'accent sur les comportements et les difficultés des enseignants, et sur la relative inefficacité des procédures d'enseignement traditionnelles. Il propose d'enseigner explicitement des méthodes de résolution (comment décrire un problème, commentfaire des choix, comment tester des solutions), au nombre desquelles on trouve des méthodes d'organisation et d'accès à de grandes bases de connaissances.

2.2.2. ... à la maîtrise des concepts

Dans les années 1990, une nouvelle approche des problèmes posés par cet enseignement s'est fait jour. Les titres de plusieurs articles -«Concept Learning versus Problem Solving: Is There a Difference ?» (Nurrenbern&Pickering,1987), «ConceptLearningversusProblemSolving : revisited» (Sawrey, 1990), «Problem SolvingandRequisite Knowledge of Chemistry» (Lythcott, 1990), «ConceptLearning versus Problem Solving, There is a Difference» (Nakhleh & Mitchel, 1993) - marquent bien cette prise de conscience résumée par Goffard (1993) : enseignerdes algorithmes

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de résolution ne suffit pas, les élèves savent éventuellement résoudre des problèmes de type algorithmique sans que pour autant les concepts de base de la chimie soient acquis.

Cette tendance est sans doute à rapprocher des très nombreux travaux qui, en particulier en France, se sont penchés sur les conceptions des élèves relatives à la réaction chimique et à d'autres concepts qui lui sont attachés : structure de la matière et ses transformations (Méheut, 1982, 1989 ; Méheut et al., 1985), état physique (Séré, 1985,1986) et changement d'état, conservation au cours de transformations physiques ou chimiques (Séré & Tiberghien, 1989), la matière à l'état microscopique.

Dans une revue de ces travaux (Anderson, 1990), Anderson regroupe en cinq catégories les explications («modèles de transformation») des élèves concernant les transformations chimiques mais également les changements d'état et les notions de conservation (liées aux conceptions sur les transformations de la matière). Parmi ces cinq catégories (la «disparition», le «déplacement», la «modification», la «transmutation» et «l'interaction chimique»), seule la cinquième, très minoritaire chez les élèves de niveau secondaire est «chimiquement» acceptable pourinterpréter des réactions chimiques. Les quatre premières s'appuient surune description continue et statique de la matière et obligent les élèves à proposer des modèles interprétatifs où chaque substance change sous l'action d'agents extérieurs.

Plus récemment, deux études (Stavridou, 1990 ; Solomonidou, 1991 ) ont montré que la construction et le fonctionnement du concept de réaction chimique dépendent de la construction du concept scientifique de substance qui ne serait pas acquis même à la fin de l'enseignement secondaire. L'une des conséquences de cette lacune est que cela «empêche les élèves d'établir des correspondances satisfaisantes entre les entités du niveau manipulatoire (substance) et celles du niveau atomique (molécule)» (Solomonidou & Stavridou, 1994).

Laugier (Laugier & Dumon, 1994), comme Gabel précédemment (Gabel, 1993), distingue trois niveaux pour enseigner la réaction chimique (macroscopique,microscopiqueetsymbolique).L'enseignementtraditionnel se situe essentiellement au niveau symbolique, l'évaluation par la résolution de problèmes renforçant cette approche. Il fait l'hypothèse qu'un enseignement qui mettrait l'accent sur le niveau microscopique (la représentation particulaire ne pouvant s'enseigner que par rapport à une phénoménologie précise avec le symbolisme et le langage correspondant), permettrait à l'élève de progresser simultanément sur les trois niveaux.

On notera enfin que certains concepts, indispensables à la compréhension de la réaction chimique au niveau symbolique, n'ont fait

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l'objet que de peu d'études théoriques. Seul le concept d'élément chimique a été étudié par Martinand (Martinand & Viovy, 1979 ; Martinand, 1986) après son introduction dans l'enseignement du collège mais, à notre connaissance, aucune recherche spécifique au niveau de l'enseignement des lycées n'a été menée surce sujet. Tous les enseignants savent pourtant que c'est un concept très complexe ; l'observation des manuels scolaires montre à quel point cette notion y est présentée de façon plus ou moins floue et interfère avec des concepts connexes (molécule, conservation...) et les niveaux de description macroscopique et microscopique de la réaction chimique et de l'équation-bilan.

Hatab remarque d'ailleurs (Hatab, 1995) que ce concept n'apparaît pas dans l'enseignement de certains pays (anglo-saxons en particulier) qui assimilent, au niveau de l'enseignement secondaire (et peut-être universitaire), la notion d'élément à celle de corps pur. L'enseignement français revendique la distinction entre les deux concepts, sans que pour autant les programmes officiels soient très explicites sur ce sujet.

Quant aux difficultés du concept de quantité de matière, elles sont souvent évoquées (Bernard, 1978 ; Gourmelon, 1978 ; Chaussin, 1983 ; Sabana, 1993; Gorin, 1994; Krishnan & Howe, 1994) mais, à notre connaissance, n'ont pas fait l'objet de recherches didactiques approfondies.

L'ensemble de ces travaux et leur évolution montre bien la diversité des approches et la complexité des concepts susceptibles d'être mobilisés au cours de la résolution d'un problème de chimie quantitative classique.

Notre propre travail a partiellement suivi cette évolution : notre point de vue initial était principalement axé sur la résolution de problèmes et le diagnostic des erreurs de l'élève. Le travail de réflexion qui a accompagné l'élaboration de l'environnement d'apprentissage, et en particulier de l'interface, nous a amenés à prendre en compte de façon beaucoup plus significative les problèmes didactiques des représentations et des concepts inhérents au domaine considéré. Toutefois, comme on aura pu le constater par la revue des recherches ci-dessus, beaucoup des concepts fondamentaux de la réaction chimique n'ont pas fait l'objet de recherches didactiques approfondies au niveau d'enseignement qui nous intéresse. Nous verrons que certaines recherches seraient indispensables à la poursuite de notre travail. En revanche, nous allons essayer de montrer en quoi la modélisation informatique que nous avons été amenés à faire peut apporter un éclairage nouveau à certains de ces problèmes didactiques.

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3. UN LOGICIEL D'AIDE À LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES EN CHIMIE

Nous avons fait l'hypothèse que les possibilités de formalisation de la résolution de problèmes avec les connaissances actuelles de l'informatique, et en particulier les méthodes de représentation des connaissances empruntées à l'intelligence artificielle, ainsi que les possibilités de conception d'interfaces, pouvaient faciliter la création d'environnements ouverts, dans lesquels l'élève s'exerce à résoudre tout en bénéficiant d'un guidage discret1.

Les questions initiales étaient les suivantes : quel genre d'outils logiciels proposer aux élèves pour résoudre ou pour les aider à résoudre ? Plus précisément, au-delà de la résolution au sens strict, quels outils leur proposer pour définir la situation, représenter le problème, explorer cette situation, rechercher des solutions, rédiger le résultat de cette recherche ?

Nous avons délibérément choisi de ne pas utiliser une base d'exercices pour accompagner le logiciel. L'élève et le résolveur sont donc au départ dans une situation équivalente : chacun commence dans le même état et avec les mêmes informations sur le problème posé. La différence réside dans les connaissances générales dont dispose le logiciel, voisines de celles que l'on enseigne, et non sur des connaissances spécifiques à l'exercice considéré. Nous faisons l'hypothèse que ce choix favorise l'interaction : l'élève ne peut pas attendre du logiciel qu'il finisse le travail à sa place, ce qui est toujours le cas dans les logiciels trop explicitement «pédagogiques» ou dans de nombreux tuteurs. De plus, le recours à une base d'exercices introduit un biais dans l'analyse de l'énoncé ; en effet, dans cette situation, le logiciel peut disposer d'informations «cachées» sur l'énoncé. Quant à analyser automatiquement le texte des énoncés pour en tirer une représentation du problème, le travail de Tisseau surla modélisation des énoncés en thermodynamique a montré les réelles difficultés de cette approche (Tisseau, 1990).

3 .1 . La version actuelle de l'environnement d'apprentissage

Le prototype que nous avons élaboré (dénommé SCHNAPS dans la suite) porte sur un environnement complet qui doit fournira l'élève un cadre de travail adapté à diverses situations d'enseignement et divers niveaux.

1 Le guidage discret (coaching) est employé pour désigner les logiciels d'apprentissage ouverts qui prennent l'initative d'apporter une aide ou un conseil à l'utilisateur au cours de son travail.

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Cet environnement comporte des données de référence, des outils de manipulation et de résolution et des fonctions de diagnostic ; des fonctions d'aide et de conseil sont en cours d'élaboration.

Le travail de l'élève dans cet environnement comporte deux phases distinctes : une phase de description de la situation physico-chimique, et une phase de résolution.

3.1.1. Phase de description de la situation physico-chimique

La première phase consiste à définir la situation physico-chimique à partirde l'énoncé du problème (connu par l'élève mais inconnu du système). Cette étape conduit l'élève à l'écriture d'une équation-bilan qu'il doit ensuite équilibrer. Le passage à la deuxième phase (de résolution) ne peut se faire, dans l'état actuel du logiciel, que si l'équation est équilibrée.

Cette définition de la situation physico-chimique porte essentiellement sur la description des corps et de la réaction chimique et se fait par l'intermédiaire de menus. On se rend compte à cette occasion que très peu de données interviennent pour la résolution quantitative elle-même : l'état physique de chacun des corps (qui n'est d'ailleurs pas toujours nécessaire), les quantités de matière fixées dans l'énoncé (ou leurs équivalents), et, éventuellement, les conditions de température et de pression. La formule des corps est nécessaire pour l'équilibrage de la réaction et le calcul des masses molaires ; elle n'est même plus utile pour calculer les quantités à partirdu momentoù les nombresstœchiométriques2sontconnus. Quelques informations supplémentaires (nombres d'oxydation) seraient nécessaires pour équilibrer certaines réactions d'oxydoréduction.

Le choix d'un environnement ouvert, où la seule connaissance que le logiciel a du problème provient de la description qu'en fait l'élève, nous a conduits à contrôler la vraisemblance chimique des déclarations faites par l'élève, en particuliersur les corps et sur les réactions. Nous avons pourcela constitué une base de données destinée à aider l'élève dans l'écriture de la réaction et à contrôler les informations qu'il introduit. Cette base contient des informations sur quelque 600 corps et 400 réactions. L'ampleur relative de cette base de données, nécessaire pour couvrir à peu près l'ensemble des substances et des réactions susceptibles d'être évoquées dans l'enseignement, est très révélatrice des pratiques des enseignants.

La représentation interne de la situation (le problème) comprend d'une part des structures, analogues à des objets, qui décrivent les caractéristiques des corps et les aspects physiques de la réaction, et d'autre part les 2 L'utilisation de l'expression «nombre stœchiométrique» est recommandée de préférence à «coefficient stœchiométrique» systématiquement employée dans l'enseignement (AFNOR, 1976, 1979).

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relations générales (relations entre grandeurs physiques et relations de conservation), relations instanciées pourchacun des objets présents dans le problème.

Pour répondre à certaines questions portant sur le volume total de gaz produit ou pour calculer la concentration initiale ou finale d'un ion, il est nécessaire de préciser le «système» qui décrit ces conditions physiques, c'est-à-dire dans quelle phase (solide, liquide ou gaz) ou dans quel état (en solution ou non) se trouve chaque substance ou espèce chimique. Dans SCHNAPS, le «système physico-chimique» est une structure de données qui comprend, pour chaque état, la liste des corps qui s'y rattachent, ce qui permet de définirde façon précise les grandeurs associées à chacun de ces états, comme le volume total de gaz avant la réaction ou le volume de la solution après la réaction. Cette représentation interne permet de prendre en compte les valeurs de la température, de la pression ou du volume, si l'on n'est pas dans les conditions normales de température et de pression (CNTP). La première version de SCHNAPS, développée avec une interface en mode texte, n'avait pas permis de résoudre correctement la question de la représentation externe de ce système ; ceci est en cours dans la nouvelle version qui possède une interface de type graphique.

3.1.2. Phase de résolution

La deuxième phase du travail de l'élève consiste alors à résoudre le problème, à l'image de ce qu'il ferait sur une feuille de papier. L'interface de recherche et de rédaction comprend des outils pour que l'élève puisse introduire les données quantitatives initiales, nommer les grandeurs instanciées, calculer toutes les grandeurs dérivées avec une syntaxe proche de celle des calculettes, unités en plus, et déclarer la stoechiométrie.

Un résolveur interne calcule alors toutes les grandeurs calculables dans le problème : masses, quantités, volumes, concentrations. Cette résolution par le système s'effectue en deux temps : (1) l'analyse des données initiales (provenant de l'énoncé fourni par l'élève) qui permet de déterminer les conditions stœchiométriques ou non, et par conséquent le corps qui va fixer les quantités des autres corps de la réaction, (2) la propagation de ces valeurs initiales dans le réseau de relations instanciées.

À première vue, le nombre de relations générales qui permettent de résoudre le problème est assez réduit.

Pour les relations entre composés différents, et si, conformément aux habitudes des enseignants, on ne fait pas intervenir de relation de conservation de la masse (Lavoisier), il n'y en a qu'une, la relation entre quantités de matière :

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quantit 3 _ quantit 2

nombre stœchiom trique 1 nombre stœchiom trique 2

qui se réécrit dans une version simplifiée dans le cas des gaz :

volume 1 _ volume 2 nombre stœchiom trique 1 nombre stœchiom trique 2

Les relations «de définition» entre grandeurs qui ne portent que sur le même corps chimique sont peu nombreuses :

quantité = masse/massemolaire quantité = volume/volume molaire3

quantité = concentration*volume-solution

Les relations qui indiquent la conservation au sens physique :

X initial - X consommé = X final X initial + X produit = X final

ne sont pas les mêmes pour les réactifs et pour les produits représentant l'une des trois grandeurs qui peuvent fixer la quantité d'un corps : quantité, masse et volume.

Enfin, il faut y ajouter les relations qui concernent tous les corps qui sont dans la même phase : définition de la masse totale, du volume total, avec les cas particuliers des solutions et les conséquences sur les concentrations finales.

3.1.3. Le diagnostic et l'aide

Un module de diagnostic analyse toutes les actions de l'élève par comparaison avec une base de formules comportant à la fois toutes les formes des relations correctes décrites ci-dessus et certaines formes des erreurs les plus fréquentes ou les plus significatives. La constitution de cette base de formules, justes ou erronées, a été effectuée à partir d'une étude de résolutions effectuées sur papier. L'analyse des expressions algébriques écrites par l'élève se décompose en une reconnaissance des opérandes de l'expression, suivie d'un appariement avec la base de formules. Des heuristiques de choix permettent de sélectionner les meilleures hypothèses de reconnaissance des formules ou des opérandes.

Des aides portant sur les concepts, surles différentes représentations du problème et sur les méthodes de résolution sont en cours de réalisation. Elles sont associées aux différentes actions possibles ou effectives dans l'environnement. Ces aides devraient soit répondre aux demandes formulées par l'élève, soit apparaître à l'initiative du système en fonction des résultats du diagnostic. 3 Pour un gaz, dans les mêmes conditions de température et de pression.

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3.2. Expérimentation et perspectives

Nous n'avons pas cherché à élaborer directement un produit à visée «pédagogique», c'est-à-dire immédiatement utilisable dans les conditions habituelles de l'enseignement. Mais, à chaque étape de son développement, nous avons expérimenté notre prototype dans des situations contrôlées (en classe ou en utilisation individuelle), et ce d'autant plus facilement que l'ensemble fonctionne sur les micro-ordinateurs les plus courants. Des outils ont été élaborés afin de permettre de conserver et de «rejouer» les «traces» du travail des élèves au cours de ces expérimentations (Schwob, 1991).

TRACÉ de la résolution de l'élève : L1 Équation de la réaction :

2 KCI03 > 3 02 + 2 KCI Rédaction de la solution :

Soit mKCI03 la masse de KCI03 avant la réaction Soit v02 le volume de 02 après la réaction Soit mKCI la masse de KCI après la réaction L'énoncé demande la masse finale du chlorure de potassium. nKCI03=mKCI03/MKCI03 nKCI03/nKCI=1 nKCI03=nKCI Soit MKCI03 la masse molaire de KCI03 :122.5 g/mol L'énoncé fournit la masse initiale du chlorate de potassium qui vaut 2.000 g nKCI03=mKCI03/MKCI03 => nKCI03 = 1.632E-2mol 1.632E-2mol = nKCI mKCI=1.632E-2mol*MKCI Soit MKCI la masse molaire de KCI : 74.55 g/mol mKCI=nKCI*MKCI => mKCI = 1.217g - - volume de dioxygène dégagé : nKCI03/n02=2/3 n02=(1.632E-2*2)/3 => nO2 = 1.088E-2 v02=n02*V02 Soit V02 le volume molaire : 22.40 Umol vO2=1.088E-2*22.40 => vO2 = 0.2437

Figure 1 : Exemple de rédaction

Cette démarche nous a permis de vérifier régulièrement la pertinence de nos choix et l'adéquation des réalisations.

L'adoption de ce point de vue expérimental entraîne un certain nombre de conséquences. En particulier, l'interface de recherche et de rédaction de la solution a été conçue sous une forme très ouverte et non directive, ceci pour recueillir des informations pertinentes sur les comportements et les

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Conception d'un environnement d'aide en chimie

limites des élèves devant de telles interfaces, ainsi que sur les capacités des systèmes actuels à analyser une rédaction assez «libre». Il est possible que, dans la version définitive du produit, certaines des caractéristiques de cette interface soient modifiées.

Sur le plan méthodologique, la démarche que nous avons adoptée est incrémentale pour ne pas étudier toutes les questions à la fois. Les principales étapes ont été les suivantes.

1. Étudier les difficultés des élèves (littérature, examen des copies...).

2. Concevoir une première représentation interne et un résolveur, et réaliser les outils de définition et de résolution.

3. Expérimenter ces outils et les améliorer.

4. Concevoir une représentation des résolutions effectuées avec le logiciel et réaliser les outils d'analyse de ces résolutions (diagnostic).

5. Concevoir et réaliser une aide appropriée.

Cette méthode de recherche sur les logiciels éducatifs a été adoptée par d'autres équipes : E. Delozanne a conçu et expérimenté une maquette (HYPERELISE) pourétudier les explications et l'apprentissage de méthodes en intégration (Delozanne, 1992) ; les travaux du projet APLUSIX qui portent sur plusieurs aspects des environnements d'apprentissage de l'algèbre ont conduit depuis 1987 à plusieurs versions successives sans proposer une solution complète dès le départ (Nicaud, 1994).

Le prototype d'environnement SCHNAPS est actuellement en cours de refonte pour prendre en compte les possibilités de structuration et d'interfaçage graphique offertes par les systèmes d'exploitation récents (Windows) et apporter certaines améliorations suggérées par les expérimentations passées.

4. QUELQUES QUESTIONS POSÉES À LA DIDACTIQUE

La conception et la réalisation de cet environnement nous ont conduits à une analyse inhabituelle de ces résolutions de problèmes de chimie et ont fait émerger plusieurs questions au carrefour des disciplines représentées dans le champ de l'EIAO. Ce sont quelques-unes de ces questions que nous souhaitons évoquer et discuter dans la suite de cet article. Nous parlerons successivement des connaissances nécessaires à l'analyse de l'énoncé, de la complexité des problèmes posés, de la représentation du système chimique, et de la représentation du bilan de la réaction.

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Les deux premières questions sont centrées sur les contenus des connaissances et les contextes dans lesquels elles sont transmises, et concernent directement le didacticien. Les deux dernières concernent les relations entre la représentation formelle (interne au système, nécessaire pour la résolution et le choix de l'interaction) et la représentation externe, laseule qui soitvisible pourl'élève utilisateur. Elles relèventde la modélisation informatique et de l'interaction homme-machine mais posent également des problèmes didactiques.

4.1 .Quel «espace de connaissances» pour les problèmes de chimie ?

Nous avons vu que les problèmes de chimie concernés par notre travail ne nécessitent, sur le plan strict de la résolution, qu'un très petit nombre de connaissances procédurales. On pourrait même imaginer les réduire à un schéma symbolique très rudimentaire, qui pourrait pourtant servir à résoudre quantitativement la plupart des exercices classiques :

Un corps A réagit a vec un corps B, il se forme un corps C et un corps D.

Le fait (rassurant !) que ni les enseignants ni les manuels ne proposent ce type de formalisme confirme que les problèmes de chimie ne prennent leur sens que dans un contexte chimique beaucoup plus complexe. Même si les connaissances correspondantes ne sont pas exigées des élèves (c'est évident !), la question du rôle que joue ce contexte pour l'activité de résolution qui leur est demandée n'est pas indifférente.

Nous avons déjà signalé que la description de la situation expérimentale proposée par les énoncés traditionnels se réduit en général à une liste plus ou moins incomplète des substances qui interviennent dans la réaction et à un verbe qui résume cette «action» (réagit avec, brûle, précipite, il se forme...), quand elle n'est pas limitée à l'écriture directe de l'équation-bilan correspondante. Les élèves ne trouvent donc pas ce contexte, c'est-à-dire la connaissance chimique nécessaire à une bonne représentation du système chimique, dans les énoncés d'exercices.

L'importance relative de la base de données de substances et de réactions que nous avons été amenés à construire (600 substances et 400 réactions relevées presque exclusivement dans les manuels de l'enseignement secondaire classique) nous semble un bon révélateur de l'ampleurde «l'espace de connaissances» auquel l'élève est susceptible de se trouver confronté.

Dans une première approche, cette base de données était destinée à contrôler la vraisemblance des déclarations faites par l'élève et à répondre

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à la demande des enseignants de ne pas laisser les élèves travailler surdes données sans signification chimique ou erronées. Il s'est avéré ensuite que la création de cette base nous a obligés à préciser «l'espace de connaissances chimiques» du problème et à nous interroger sur celui de l'élève. Nous faisons l'hypothèse que cette base de données peut participer à la construction de cette représentation du problème par la mise à disposition de l'élève de certaines des connaissances qui lui manquent. Il ne s'agit toutefois que d'une formalisation très simple, voire simpliste. Il apparaît très rapidement que ces limites ne peuvent être dépassées sans un travail de recherche fondamentale sur ce sujet.

Nous avons déjà évoqué le statut ambigu des problèmes de chimie quantitative dans l'enseignement. Les contraintes de ce que nous pourrions appeler la «mise en logiciel» ou, selon l'expression de N. Balacheff, la « transposition informatique» nous permettent de préciser certaines causes de cette ambiguïté.

Notre hypothèse est qu'elle traduit la spécificité de la connaissance chimique caractérisée par la primauté et la diversité du «fait chimique» : diversité des substances, diversité des réactions entre ces substances, diversité des conditions expérimentales, diversité des résultats obtenus. Le concept de substance ne peut prendre son sens qu'au travers d'une multitude d'instanciations, correspondant à des substances réelles, pouvant être décrites, observées, manipulées. De la même façon, le concept de réaction chimique ne peut être détaché des exemples concrets qui ont servi à le construire.

Si l'on n'intègre pas ces données empiriques dans leurdiversité et leur pluralité - Bachelard intitule un de ses ouvrages Lepluralisme cohérentde la chimie moderne (Bachelard, 1932) - , si l'on tend vers une «chimie sans substance», fait-on encore de la chimie ?

Faut-il, et si oui comment peut-on, donner du sens chimique à ces exercices de chimie quantitative ? Dans quelle mesure une grande dispersion des réactions qui servent de support à ces exercices est-elle un obstacle, ou au contraire une aide à la construction d'une représentation cohérente du système et à la formation des concepts dans un premier temps, à la construction d'une stratégie générale de résolution plus ou moins indépendante du contexte dans un deuxième temps ?

4.2. Comment réduire la complexité du problème ?

La modélisation informatique nous a amenés à recenserexplicitement l'ensemble des relations, des expressions algébriques et des valeurs des différentes grandeurs susceptibles d'être mises en œuvre au cours de la

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résolution d'un problème. Cette analyse, rendue indispensable pour l'efficacité du diagnostic, a révélé une complexité de l'espace de problème souvent masquée par les stratégies mises en œuvre par les enseignants.

Nous avons vu, dans la description du logiciel faite précédemment, que le nombre de relations générales mises en jeu pour la résolution proprement dite du problème n'était pas très élevé. Si l'on mesure la complexité du problème simplement par ce nombre de relations, elle peut paraître faible. EIIe est en fait beaucoup plus importante si l'on considère toutes les instances de ces relations.

Prenons pour exemple la relation générale entre quantité de matière (quantite1/nombre stœchiométriquel = quantite2/nombre stcechiometrique2) applicable à tous les couples de corps de la réaction en prenant les quantités «qui réagissent». Pour un problème simple ne faisant intervenir que quatre composés non gazeux, et si l'on tient compte de toutes les instanciations et de toutes les réécritures algébriques possibles, cette seule relation peut s'écrire de 192 manières différentes ! En pratique, les habitudes d'écriture font que la moitié seulement de ces expressions peut apparaître dans une résolution.

On voit sur cet exemple simple que la taille de l'espace de problème, mesurée par le nombre d'expressions correctes susceptibles d'être utilisées par les élèves, est déjà relativement très importante. Une nouvelle difficulté surgit lorsqu'on s'intéresse aux «valeurs» que peuvent prendre les grandeurs du problème, ces valeurs pouvant être différentes ou égales.

On obtient en principe une valeur différente pour chaque instance des grandeurs calculables. À un corps on associe, suivant son état, de sept à treize valeurs différentes, en considérant, pour la plupart des substances, les valeurs initiale, finale, et consommée (réactif) ou produite (produit). Cet ensemble de valeurs différentes est indispensable à la description complète du problème. Quant au problème des valeurs égales, nous avons déjà eu l'occasion de le mettre en évidence (Blondel et al., 1994). La coutume enseignante fait que les exercices proposés aux élèves utilisent souvent des valeurs simples comme données initiales (10 g, 20 cm3...) ou des valeurs qui donnent des résultats simples (11,2 L d'un gaz ce qui représente exactement 1 /2 mol à O0C). Le résultat de cette pratique, issue de l'habitude du calcul mental et de la volonté de simplifier les calculs, est que l'on obtient pour un problème donné un certain nombre de valeurs égales (2 mol, 2 L, coefficient 2...) pour des grandeurs différentes. Il est évident que cela complique considérablement le diagnostic, qu'il soit automatique ou traditionnel.

Ces difficultés apparaissent très clairement au cours de la mise au point d'un diagnostic automatique efficace. Nous faisons en outre l'hypothèse

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gehin
Crayon

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que ces difficultés, qui émergent en raison des contraintes de la modélisation informatique, peuvent donner des indications pertinentes sur les difficultés des élèves, et que notre analyse peut donc constituer une approche originale de ces difficultés.

Or ces paramètres (taille et complexité de l'espace de problème) ne sont, en général, pas pris en compte par les enseignants qui présentent aux élèves des stratégies «gagnantes» de résolution, c'est-à-dire des stratégies «d'expert» : l'expert connaît déjà le plan et le sous-ensemble de bonnes relations qui le mèneront à la solution. Si l'on considère cet expert ou un élève qui sait résoudre, la complexité du problème - au sens de la résolution de problèmes (Laurière, 1986), mesurée en termes du nombre d'opérations pour aboutir à la solution - est relativement réduite : il suffit d'appliquer les «bonnes» relations dans l'ordre.

Si par contre on considère un élève qui ne sait pas résoudre, nous faisons l'hypothèse, suggérée par l'analyse précédente, que cela signifie qu'il peut appliquer n'importe quelles relations dans n'importe quel ordre. La complexité du problème, vue par l'élève, est alors immense : nombre de relations possibles (qui ne sont en fait que des instanciations différentes de quelques relations générales, ou des réécritures algébriques de ces mêmes expressions),nombredevaleursnumeriquesdifferentes,etpouraugmenter sa confusion, nombre de valeurs égales correspondant à des grandeurs différentes. Nous pensons en effet que même ce dernier point, pourtant destiné a priori à simplifier la résolution, complique parfois la tâche de l'élève. La simplification supposée de telles pratiques a de moins en moins de raison d'être à une époque où, calculettes aidant, les élèves n'ont que peu d'automatismes de calcul mental.

D'autre part, il apparaît clairement que la complexité que nous venons de mettre en évidence se situe sur trois registres très différents (chimique, algébrique et numérique), registres que les élèves ne sont, en général, pas en mesure de dissocier. Notre étude plaide, nous semble-t-il, en faveur d'une redéfinition de l'articulation entre les caractères algébrique et numérique d'une part et le caractère chimique de la résolution d'autre part. Un environnement comme SCHNAPS permettrait de minimiser la composante numérique et algébrique de la résolution (et peut-être la charge cognitive correspondante), pour que l'activité de modélisation de la situation soit prépondérante dans le travail demandé à l'élève. Nous l'avons déjà observé au cours de nos expérimentations par l'aide indirecte que certaines fonctions du logiciel apportent aux élèves sur le plan numérique ou algébrique.

Toutefois, pour aller plus loin, il faudrait pouvoir disposer de résultats de recherches et d'analyses sur cette articulation et les outils dont on peut

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disposer dans les trois registres. En outre, dans quelle mesure est-on capable de faire cette séparation ? De quels instruments dispose-t-on pour exprimer les relations dans des termes autres que ceux de l'algèbre ou du langage «naturel» des textes de chimie ? Nous avons envisagé d'employer les graphes pour représenter la résolution, à l'instar de ce qui a pu être proposé dans d'autres domaines : programmation en Lisp (Reiser et al., 1989) ou géométrie (Anderson et al., 1985; Bernat, 1994). À notre connaissance, aucune étude n'a été menée sur les outils graphiques de représentation des relations entre grandeurs en chimie.

4.3. Quel langage de représentation pour le système physico-chimique ?

L'activité de résolution de problèmes s'appuie surl'énoncé soumis aux élèves et utilise le langage symbolique de l'équation qui représente le bilan de la réaction ; le reste des informations étant décrit dans le langage «naturel» de la chimie (Carretto & Viovy, 1994). Mais cette description habituelle (celle des manuels scolaires) est, le plus souvent, insuffisante pour résoudre complètement le problème.

Nous avons déjà dit à l'occasion de la description de l'environnement SCHNAPS que pour répondre à certaines questions (le volume total de gaz produit, concentration initiale ou finale d'un ion), il était nécessaire de préciser le «système» qui décrit ces conditions physiques. Cet aspect de la représentation avait déjà été souligné par Cabrol lors de la réalisation d'un premier résolveur (Cabrol et al., 1987). Il ne s'agit pas uniquement de représenterleréacteurchimiquevucommeunrécipientouplusgénéralement une enceinte physique dans laquelle se déroule la réaction, quand elle existe, mais plutôt de représenter une abstraction importante pour comprendre les transformations qui s'opèrent. Certaines erreurs bien connues, comme le fait de «négliger la masse» de certains gaz (Séré & Tiberghien, 1989) ou des erreurs de calculs de concentration de mélanges, sont à rapprocher de ces difficultés de représentation du système chimique dans son ensemble.

Les éléments nécessaires à cette description (données sur certaines espèces ou relations de définition) ne sont que rarement explicitement présents dans les énoncés de problèmes ; on compte plutôt sur le «bon sens» des élèves. Mais ces relations peuvent-elles être «de bon sens» lorsque les élèves ne se sont pas construit une représentation pertinente du système physico-chimique ?

Alors qu'en physique, que ce soit en mécanique ou en thermodynamique par exemple, la notion de système, la description de ce système, les

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conditions initiales, les paramètres qui le régissent sont des priorités de la plupart des activités de résolution de problèmes, il ne semble pas qu'il en soit toujours de même en chimie. Or on s'aperçoit que cette description est indispensable pour construire un résolveur informatique. Nous faisons l'hypothèse que cette difficulté, soulevée au cours de la mise au point de l'environnement, peut donner des indices sur les difficultés rencontrées par les élèves. La description incomplète du système et les implicites qui lui sont attachés ne participent-ils pas à la difficulté de construction d'une représentation globale déjà évoquée précédemment ?

Ceci pose deux types de questions au moment de la conception : comment montrer à l'élève de manière claire les différents «états» de tous les corps simultanément ? Comment lui donner la possibilité d'introduire ces informations de manière simple ? Comment l'élève va-t-il indiquer que deux espèces sont, ou ne sont pas, dans la même solution avant la réaction, c'est-à-dire avant que toutes les espèces soient mélangées dans le même récipient ? De façon plus générale, comment peut-on symboliser les différents systèmes qui se succèdent : les substances avant le mélange, le mélange ou la mise au contact «juste avant» la réaction, la (les) phase(s) après la réaction ?

On constate à ce propos qu'il y a peu d'outils disponibles pour représenter cet aspect de la réaction. Les symboles graphiques utilisés dans les manuels ou par les enseignants pour représenter le matériel de laboratoire et certaines réactions effectuées au laboratoire sont insuffisants pour décrire ce système. On ne trouve dans les manuels aucune représentation de l'aspect physique de la réaction, sous forme graphique ou symbolique, et l'implicite des énoncés d'exercices est, à ce sujet, quasiment total.

Il reste donc à inventer un langage symbolique et graphique qui permette de représenter le plus clairement possible le système physico­chimique dans son ensemble et qui permette aux élèves d'appréhender cette notion. On le voit, il ne s'agit pas à strictement parler d'une question de didactique ; toutefois, l'élaboration d'un tel langage de représentation ne peut se faire qu'en s'appuyant sur des données fournies par des analyses approfondies de ces langages, de la façon dont les élèves les reçoivent et des interactions avec la machine qu'ils autorisent.

4.4. Comment représenter l'aspect temporel et dynamique de la réaction chimique ?

Dans les problèmes de chimie quantitative classiques, il est nécessaire de séparer deux états distincts mais qui ne sont pas toujours clairement

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identifiés, un état avant et un état après. Sans même parler de l'aspect cinétique (initiation, déroulement, terminaison) inutile dans le cadre de la résolution d'exercices qui nous intéresse (mais sur lequel on pourrait réfléchir en terme de représentation du système chimique évoqué précédemment), on ne prend pas réellement en compte cet aspecttemporel de la réaction. L'état après devrait décrire ce qui a réagi et ce qui n'a pas réagi. Or l'équation-bilan ne concerne que ce qui a réagi, elle ne cherche pas à représenter ce qui n'a pas réagi pour lequel on manque d'éléments de représentation !

Ce sont les exigences de la modélisation informatique en vue de l'élaboration du résolveurqui ont imposé une représentation interne complète du système. Or une telle représentation doit distinguer la valeur des grandeursavantetapreslareaction,maisaussilesvaleursquicorrespondent à ce qui réagit ou qui a réagi (les quantités «consommées» de réactif et les quantités «produites» de produits) et les valeurs qui correspondent à ce qui n'a pas réagi (les quantités finales de réactif par exemple). Dans une représentation complète, chaque grandeurassociée à un corps (exemple : la masse de Fe2O3) possède trois valeurs différentes : une valeur à l'état initial (avant la réaction), une valeur correspondant à ce qui réagit (consommée ou produite) et une valeur à l'état final.

L'équation-bilan ne rend pas compte de cet aspect. Les nombres stœchiométriques indiquent uniquement la conservation et cette distinction quasi «temporelle» (avant, après, pendant) n'apparaîtpratiquementjamais de façon rigoureuse et systématique dans les «méthodes de résolution» proposées par les enseignants ou les manuels.

Il importe donc de proposer des modes de représentation graphique ou symbolique qui permettraient d'illustrer ces différents «instants» de la réaction, et qui pourraient aider les élèves à structurer de façon temporelle et dynamique les différentes valeurs du problème.

Certains enseignants proposent une représentation sous la forme d'un tableau, idée reprise par ceux qui utilisent régulièrement les tableurs avec leurs élèves. Chaque colonne du tableau correspond à une substance, chaque ligne à un instant (le plus souvent limité à avant, après). Nous feronsremarquerquel'usagedutableaun'estpascomplètementsatisfaisant. Il met en évidence l'excès d'un réactif par rapport à un autre mais il ne montre pas ce qui a réagi. Il nous semble en outre qu'il s'agit plutôt d'une représentation dans le registre numérique évoqué plus haut dans cet article, que d'une approche de la représentation chimique.

La représentation des étapes de la résolution sous forme d'un tableau a d'autre part été développée dans un environnement de résolution de problèmes de thermodynamique (Veillette et al., 1993), mais cette représentation ne peut se substituer à celle de l'évolution du phénomène.

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Ceci ramène à la question de la représentation des quantités de substances, que ce soit sous forme de quantités de matière, de masse ou de volume. Comment peut-on représenter l'évolution temporelle de ces quantités ? Quelques idées de représentations graphiques peuvent être reprises de certains manuels et dans quelques logiciels. Avec Morinet-Lambert, nous avons fait une première tentative qui combine des graphiques dynamiques et des symboles de la vie courante ; il resterait à compléter et àvaliderces représentations (Morinet-Lambert, 1994).

On rejoint les analyses et les interrogations concernant le niveau de description (macroscopique/microscopique, réaliste/symbolique) souhaitable. Le problème n'est pas toujours bien géré dans les manuels où l'on passe très souvent d'un niveau de description à l'autre sans que la nécessité en soit évidente. C'est également l'une des difficultés majeures de la représentation symbolique d'une réaction chimique par une équation-bilan qui peut s'interpréter à l'échelle macroscopique ou microscopique. Les logiciels actuels offrent des possibilités de représentations graphiques et dynamiques importantes, mais seules des recherches didactiques approfondies nous permettront de les utiliser de façon pertinente.

5. CONCLUSION

Nous avons, dans cet article, soulevé un certain nombre de questions qui se situent au carrefour des disciplines impliquées dans l'élaboration d'unenvironnementd'apprentissage.Nousvoudrionsconclureparquelques remarques d'ordre méthodologique et didactique.

Notre méthodologie de développement ne s'est pas appuyée sur une conception «a priori» dans la mesure où il n'existait pas un corpus de travaux de recherche didactique suffisant sur ce sujet. Nous avons donc utilisé une démarche progressive, en développant et en s'appuyant sur des modèles successifs. Cette démarche a permis d'intégrer aux différentes étapes du développement des résultats de recherche de diverses disciplines.

Un élément important de cette démarche de conception est la possibilité d'expérimenter, dans des conditions d'enseignement contrôlées, des prototypes à divers états de développement. La réalisation d'un environnement EIAO peut alors devenir un outil puissant d'expérimentation et de mise à l'épreuve de certains modèles d'enseignement.

Par ailleurs, cette démarche permet de mettre en avant des problèmes pédagogiques et didactiques quelquefois connus, mais vus ici sous un angle original et différent des analyses traditionnelles. Les questions soulevées sont d'ordre épistémologique et nous paraissent susceptibles d'apporter un nouvel éclairage à l'enseignement traditionnel de la résolution

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de problèmes de chimie. Les contraintes de la «transposition informatique» mettent en relief, de façon plus explicite que dans certaines recherches didactiques, la spécificité de la chimie comme discipline, par rapport à la physique en particulier : extrême diversité des substances, des réactions entre substances, des conditions de ces réactions, de leurs résultats... C'est la prise en compte de cette diversité qui caractérise la chimie. Réciproquement, la formalisation trop poussée des problèmes de chimie, leurréduction auxconnaissances procédurales, d'ailleurs peu nombreuses, nécessaires à leur résolution les videraient de toute signification chimique : on ne peut pas faire de chimie «sans substance». Notre travail a contribué à faire émergerquelques aspects de cette différence forte entre la physique et la chimie. Ce point de vue mériterait d'être approfondi par des recherches didactiques, et ses conséquences au niveau de l'apprentissage, de la chimie en particulier, devraient être envisagées.

Surun autre plan, les questions de représentation des systèmes et des réactions chimiques, centrales du point de vue didactique, peuvent bénéficier des derniers développements des outils logiciels actuels : les possibilités de représentations graphique et dynamique ouvrent de nouveaux espaces de réflexion sur ces problèmes.

Nous avons déjà avancé, à propos de quelques exemples, l'hypothèse que certaines des difficultés rencontrées à l'occasion de modélisations informatiques pouvaient donner des indices pertinents sur les difficultés des élèves dans des situations d'enseignement variées. Le diagnostic des difficultés des élèves, aspect important pour la conception des environnements d'apprentissage, prend alors toute sa signification. CeIa conduit à envisager différemment l'enseignement de la résolution de problèmes et permet d'adapter les guidages et les aides pédagogiques de façon plus pertinente. Cependant des travaux sont encore nécessaires pourcompléter nos connaissances surle contenu et la forme des explications pédagogiques propres à ce domaine.

Cette conception d'environnement peut être considérée comme une étape vers de nouveaux outils d'aide à la résolution. On pourrait proposer - et des prototypes existent déjà - une «calculette chimique» qui intégrerait des connaissances élémentaires, des capacités de calcul avec unités et des facilités d'écriture algébrique. Quelles connaissances chimiques devraient y être incluses ? Dans quelle mesure un tel outil permettrait-il de séparer connaissances algébriques et connaissances chimiques ? Que deviendraient alors l'activité de modélisation de la situation et celle de résolution de problèmes ? Quels outils peut-on alors proposer pourfaciliter l'activité de modélisation de la situation et de transformation de cette situation ? Autant de questions que la conception d'environnements comme SCHNAPS permet de préfigurer.

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