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Michel ! Quel joli prénom, j’adore… AVERTISSEMENT Ce texte a été téléchargé depuis le site http://www.leproscenium.com Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits. Cela peut être la SACD pour la France, la SABAM pour la Belgique, la SSA pour la Suisse, la SACD Canada pour le Canada ou d'autres organismes. A vous de voir avec l'auteur et/ou sur la fiche de présentation du texte. Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe. Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés, même a posteriori. Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non-respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Michel ! Quel joli prénom, j’adore…

AVERTISSEMENT

Ce texte a été téléchargé depuis le site

http://www.leproscenium.com

Ce texte est protégé par les droits d’auteur. En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses droits. Cela peut être la SACD pour la France, la SABAM pour la Belgique, la SSA pour la Suisse, la SACD Canada pour le Canada ou d'autres organismes. A vous de voir avec l'auteur et/ou sur la fiche de présentation du texte.

Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par la troupe.

Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les autorisations ont été obtenues et les droits payés, même a posteriori.

Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC, festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le justificatif d’autorisation de jouer. Le non-respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation.

Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs.

Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes.

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Michel ! Quel joli prénom, j’adore…

MICHEL ! QUEL JOLI PRÉNOM, J’ADORE… Comédie dramatique

De Nathalie Deleau*

* Monologues de Léa : Virginie Cerchiari et Nathalie Deleau

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Caractéristiques

Durée approximative: 65 minutes Distribution : 3 personnages : Daniela, Josépha, Léa - Daniela est la meneuse du trio, envahissante, cassante, touchante, elle nourrit une passion dévorante pour Quentin Tarantino ; mais vivre une histoire d’amour avec une star internationale pleine de projets et sous la pression des producteurs n’est pas une sinécure… - Josépha, fraichement divorcée, est en pleine « reconstruction d’amour ». Elle prétend subir le retour de Daniela et Léa, mais finalement leur présence lui permet aussi de supporter son « aplasie sentimentale ». Et puis elle est pleine d’empathie Josépha, enfin… surtout pour Léa… - Léa, évidemment un peu mal dans sa peau, c’est celle qui écoute, et qui sans doute à le plus besoin des deux autres. Mais elle sait aussi mener sa barque, puisqu’ elle a tout de même réussi à monter son premier one woman show, sur le thème de « la rencontre » ! + Intervention de Gazelle Toxique, qui s’occupe de la régie

Décor : Un bureau, une commode, un canapé, quelques chaises Costumes: Habits contemporains Public: Adultes / Adolescents Synopsis: « Michel ! quel joli prénom, j’adore…» est une comédie un peu déjantée dont le thème principal est l'amitié entre trois femmes : Josépha, Daniela et Léa, qui se retrouvent après 3 ans de séparation. Le début de leur amitié a été raconté dans « Jo, Léa, Quentin et moi » mais les deux pièces sont indépendantes. Cette amitié est rythmée par l’actualité de deux célèbres réalisateurs de films : Quentin Tarantino et Michel Gondry La pièce commence peu avant la sortie française de « Boulevard de la mort » et prend fin après la sortie de « Inglorious basterds » de Quentin Tarantino.

Contact: L’auteur peut être contacté par courriel à l’adresse suivante : [email protected]

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Scène 1 : Les retrouvailles ! La scène se situe avant la sortie du film

« Boulevard de la mort » de Quentin Tarantino

Josépha est seule dans son nouvel appartement, au 5ème étage, sans ascenseur.

Elle vient de divorcer. Elle est installée à un bureau, un ordinateur portable devant

elle. On sonne. Josépha se lève et va ouvrir. C’est Daniela, grandes retrouvailles !

Daniela a une béquille, et un portrait format A4 de Quentin Tarantino dans l’autre

main…

DANIELA : Alors qu’est-ce qu’on dit ?

JOSEPHA : Bonjour Daniela

DANIELA : Non, autre chose…

JOSEPHA : J’allais y venir !! Bon sang, qu’est ce qui t’es arrivé ? C’est quoi ces

béquilles ? Viens que je t’embrasse après trois ans, ou presque… Finalement, et

crois-moi, je n’aurais jamais cru ça possible, mais tu m’as manquée !! En revoyant ta

bouille là maintenant, j’en prends conscience c’est fou !!

DANIELA : Non, tu n’y es pas du tout… Merci !!

JOSEPHA : Merci pourquoi ?

DANIELA : Non, toi ! Merci à moi ! C’est tout de même grâce à moi que tu as passé

les trois années les plus merveilleuses de ton existence non ? Car entre nous, ce

n’était pas bien folichon la dernière fois que nous nous sommes vues.

JOSEPHA : Mais de quoi tu parles ?

GAZELLE TOXIQUE– (qui sort de la régie) : Stop !!

DANIELA : Qu’est-ce qu’il lui prend à Gazelle Toxique ?

GAZELLE TOXIQUE : Ce qu’il me prend c’est que si vous ne resituez pas un peu

l’action par rapport à la première pièce, les gens, là, ils vont être complètement

largués, c’est pas du boulot !

JOSEPHA : Tu parles, ils l’ont tous vue 5 fois la première pièce, alors ça nous

étonnerait qu’ils ne suivent pas…

LEA, sortant des coulisses : qu’est-ce qu’il se passe ?

DANIELA : C’est Gazelle Toxique qui nous fait la leçon, on aura tout vu.

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GAZELLE TOXIQUE : Moi j’ai vu des gens entrer qui n’y étaient pas à la première ;

tout bas : Il y en a même que je n’avais jamais vu avant, un monsieur notamment, je

ne sais pas qui c’est… du tout…

JOSEPHA : Ah oui ? C’est chouette !! Il est où ? (en regardant dans la salle). Bon,

d’accord. Un petit résumé. Alors, Je connaissais Daniela depuis quelques temps

lorsque j’ai rencontré Léa en 1995.

LEA : Non, c’était le 29 octobre 1994, je ne suis pas physionomiste, ce n’est peut-

être pas Broadway tous les jours pour moi, mais j’ai la mémoire des dates.

JOSEPHA : N’importe. Nous sommes devenues amies, nous avons vécu ensemble

en colocation, joué ensemble des piécettes pour gagner un peu notre vie. A

l’époque, j’étais dans une espèce d’aplasie sentimentale…

DANIELA : A l’époque ?!!

JOSEPHA, lui lançant un regard noir : … parfaitement, c’était un truc de malade, et

je n’en pouvais tellement plus que même la présence de Léa, ça me faisait du bien.

De temps en temps, rien que de regarder quelqu’un qui est encore plus mal barré

que vous, ça soulage. (Au public) Ça ne vous a jamais fait ça à vous ? Et puis il y

avait Daniela, rigolote, pleine d’entrain. Daniela, comment dire, elle est super

originale, elle a une vraie fantaisie. Josépha se place entre les deux. Comment dire,

ça faisait une sorte d’équilibre. Je regardais Daniela, je rigolais un peu. Bon, il ne

fallait pas que je la regarde trop longtemps tout de même car après ça me déprimait

tellement je la trouvais jolie. Alors hop, je regardais Léa. Et là, j’étais toute

ragaillardie. Vous voyez ?

LEA : Non mais c’est odieux ce que tu dis ! Tu te rends compte ? Tu crois que je vais

rester là sans réagir ?

JOSEPHA : Non mais après ça s’est arrangé… Enfin, là ça ne se voit pas parce que

tu as mis ta vieille robe grise… Tu n’étais pas obligée d’ailleurs. Bref. Au début,

lorsque Daniela nous a dit qu’elle était dingue de Quentin Tarantino, j’ai trouvé ça

drôle ! Elle parvenait même à dérider Léa, et rien que pour ça, je n’avais pas envie

de la contredire, parce que bon, c’était un poids tout de même. Et puis ensuite, c’est

devenu plus difficile car elle nous racontait des bobards, qu’elle était allée à Cannes,

qu’elle l’avait séduit, elle avait même programmé son téléphone pour qu’il sonne

devant nous, en nous faisant croire que c’était lui qui était au bout du fil !! Alors je

n’en pouvais plus, toute seule entre ces deux déséquilibrées, que voulez-vous, j’ai dit

sauve qui peut ! Là, j’ai eu la chance de ma vie, enfin… avec le recul, ce n’était pas

le Pérou, mais sur le coup, je vous jure ! J’ai rencontré Paul, mon mari. Enfin mon ex-

mari, car nous avons divorcé.

LEA, à Daniela : Ah bon ? Tu savais toi ?

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DANIELA : Bien sûr, je sais tout.

JOSEPHA : Oui, comment dire, il faisait… du badminton avec toutes nos voisines…

et ça dépassait même le voisinage, d’après ce que j’ai pu constater en regardant ses

mails.

LEA, désapprobatrice : tu as regardé dans sa messagerie perso ??

JOSEPHA : Oui, ben je n’en suis pas fière non plus mais il fallait bien que je sache.

DANIELA : Tu as raison, parfois, c’est le seul moyen.

JOSEPHA : Enfin, apparemment, il y en avait bien une avec laquelle il faisait du

badminton, en vrai. Adèle elle s’appelait*. Enfin, pas de quoi lui donner une médaille

à Paul, il paraît qu’il n’y avait pas plus nonne qu’elle dans le quartier. Depuis,

d’ailleurs, il paraît qu’elle s’est enhardie, elle est partie, plutôt précipitamment, avec

un collègue de Paul, comme quoi le monde est petit. Il avait flashé sur elle en la

voyant traverser la rue alors qu’il s’était arrêté en voiture pour la laisser passer. Une

histoire…

*Cf. Chut ! Adèle dort…

DANIELA, lui coupant la parole et en montrant le portrait de Tarantino : Eh bien moi,

j’ai vécu avec un homme formidable !

JOSEPHA, montrant sa béquille : on voit ça… Ça fait envie.

DANIELA : Je me vois encore, assise sur mon sac, sur la D 944, téléphoner à

Quentin pour qu’il vienne me chercher… Il était tout seul, le pauvre, dans son hôtel à

Autun, en train d’écrire mon rôle dans « Boulevard de la mort ». C’était si chou ! Le

rôle principal ! Et c’est là que notre collaboration a commencé, vraiment. Car, il a

beau être un génie, il a eu bien besoin que je le coache pour plein de scènes, celles

où toutes les filles jacassent entre elles…

LEA : tu veux dire que tu as participé à l’écriture de son scénario ??!!

DANIELA : J’en ai bien écrit la moitié ! Toutes les scènes de nanas finalement. Bon,

je n’ai pas eu trop à me pousser non plus. Pour certaines d’entre elles, j’ai même

retranscrit mot pour mot quelques-unes de nos conversations ! Bref…Pendant trois

ans, nous ne nous sommes pas quittés… dans sa maison à Los Angeles, à regarder

des films jour et nuit…

JOSEPHA : c’est hyper excitant…

DANIELA : …Et puis un jour, tout de même, il a bien fallu le commencer ce film ! Oh,

Quentin, lui, il serait bien resté comme ça, avec moi, collé, dans sa salle de

projection, en osmose totale d’amour. Mais, c’est ça, lorsqu’on vit avec un cinéaste, il

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faut bien faire des concessions. Bref, il a fallu qu’il se mette au travail. Et puis moi

aussi ! Car ce n’est pas tout ça, mais, j’avais des drôles de cascades de prévues

dans le film, vu que je me retrouvais sur le capot d’une voiture, lors d’une course

poursuite à 100 miles/heure !!

LEA : Tu étais attachée sur le capot d’une voiture ?

DANIELA : Ah non ! Je n’étais pas attachée… Parce que Quentin, il voulait que ça

fasse vraiment peur, il aime les sensations fortes. Seulement, il n’avait pas prévu la

force centrifuge lorsqu’on a pris le virage un peu brusquement. Mais c’était super !

Jamais je n’avais vécu quelque chose d’aussi intense, et ça grâce à lui ! Bon, même

pendant les 15 jours d’hôpital, il a été vraiment présent. Tous les jours, j’avais des

fleurs fraîches dans ma chambre et son assistant venait spécialement me montrer

les rushs tous les soirs. Et au début des rushs, il y avait toujours un petit message de

Quentin qui me racontait tout ce qui se passait sur le plateau, et comment il allait !

LEA : Et tu vas pouvoir reprendre le film alors quand tu seras tout à fait guérie ?

JOSEPHA consternée : Ah ben voilà que c’est reparti…

DANIELA : Pfffff, les producteurs ont refusé d’attendre… ils lui ont imposé une

blondasse baraquée avec un de ces genres ! Zoé Bell elle s’appelle (elle pouffe),

cascadeuse professionnelle… Ah, ça on peut dire qu’avec elle, tout est réglé au

millimètre, prise de risque zéro ! Tu peux toujours la chercher la fraîcheur du

débutant… la fraîcheur tout court d’ailleurs. Mais je suis déjà sur le prochain projet,

c’est pour ça que je suis à Paris ! Je suis l’envoyée spéciale de Quentin ! Il m’a

chargée de faire des repérages pour son prochain film car vous savez quoi ?

JOSEPHA et LEA : …..

DANIELA : Vous savez quoi ??!!

JOSEPHA et LEA : Ben non.

DANIELA : Quentin va filmer son prochain film à Paris !!! D’ailleurs je n’aurais jamais

dû vous le dire, c’est top secret. Ce que je viens de faire, c’est quasi une faute

professionnelle… Bien, Josépha, si on reprenait où on en était tout à l’heure, que le

spectacle commence vraiment, hein ? Bon Léa, dans les coulisses, non, le portrait

de Quentin, je le prends avec moi, merci.

Josépha retourne à son clavier, Daniela côté jardin dans les coulisses et Léa côté

cour. On reprend comme au début. Daniela sonne. Josépha se lève et va ouvrir, en

traînant un peu les pieds. Grandes retrouvailles. Daniela a toujours sa béquille…

DANIELA : Alors qu’est-ce qu’on dit ?

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JOSEPHA : Bonjour Daniela…

DANIELA : Non, autre chose…

JOSEPHA : Tu ne m’as pas manqué tant que ça, et il paraît qu’il faut que je te dise

merci pour les trois années merveilleuses que j’ai passées grâce à toi. Mais je ne

sais toujours pas pourquoi.

DANIELA : Parce que je suis une bonne fée, et que Paul, il y a trois ans, n’a pas eu

ton numéro de téléphone par l’opération du saint esprit.

JOSEPHA : Non, mais n’importe quoi ! On s’est rencontrés…

DANIELA : Ta ta ta ta. Quand je te vois comme ça, je me dis qu’internet c’est une

belle invention tout de même tu ne crois pas ? Je t’ai retrouvée d’un clic de souris,

comme ça, et nous voilà toutes les deux, comme avant, c’est bon ça, non ?

JOSEPHA , méfiante : Je ne sais pas…

DANIELA : Mais si c’est bien. Elle sort un instant et revient avec une valise. Ca ne te

dérange pas si je reste quelques jours ? Parce que Quentin m’a réservé une suite au

Ritz mais, tu comprends, toute seule là-dedans, je déprime. Ah je suis contente, on

se retrouve comme au bon vieux temps !!

JOSEPHA : Ah ouais…

DANIELA : il ne manque plus que Léa, mais même ça, ça devrait finir par pouvoir

s’arranger…

Scène 2 : Quelques temps après, au moment de la sortie parisienne de

Boulevard de la mort…

Josépha est à son bureau. Daniela est avachie sur le sofa, elle fixe le portrait de

Quentin en lui faisant de grands sourires et en l’embrassant aussi.

JOSEPHA : Bon, allez, il faut qu’on s’y mette maintenant, Léa va bientôt rentrer. Elle

m’a donné son DVD pour que je regarde ses sketches… Je n’ai pas très envie…

Bon, on n’a qu’à en choisir un sur les 10, au pif, et on lui dira que c’est notre préféré,

elle n’y verra que du feu…

DANIELA, pas trop concernée : C’est sur quoi son spectacle déjà ?

JOSEPHA : Sur la rencontre. Elle m’a dit qu’elle avait interrogé des tas de femmes,

qui lui ont parlé des rencontres qu’elles avaient faites ou de ce que ce thème leur

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évoquait. Et après elle a rédigé à sa sauce des sketches en s’inspirant de ce qu’elle

avait entendu.

DANIELA : Comme la nana qui a écrit les monologues du vagin quoi. Ce n’est pas

très innovant comme formule.

JOSEPHA : les monologues du quoi ?

DANIELA : du vagin ! Tu ne connais pas ?

JOSEPHA : Jamais entendu parler. Bon, il faut avancer maintenant, elle est sortie

exprès parce que ça la stressait trop que je regarde devant elle. Alors, je ne sais pas

moi, tu veux choisir lequel ?

DANIELA, l’ayant rejointe : « La pendule » : bof. « Prison à vie » non ! « Mauvaise

pioche » pourquoi pas. « Mon cul sur la commode »… Ça peut être rigolo, ça, non ?

C’est celui qui m’inspire le plus, et toi ?

JOSEPHA : «la vie en rose » : ça doit être bien gnan-gnan ça. Bon c’est parti pour

« Mon cul sur la commode»…

Léa rentre sur le plateau, côté cour. Le plateau représente ce que Josépha et

Daniela voient sur l’écran.

JOSEPHA, après avoir appuyé sur « pause » : On dirait une veuve corse ! Tu as

vu ? Non mais ce n’est pas possible !

DANIELA : Non mais vas-y vas-y, laisse filer, pffff, je n’ai pas toute la journée, je suis

attendue…C’est la première de « Boulevard de la mort » aujourd’hui.

JOSEPHA relance le DVD mais il n’y pas le son… Daniela râle c’est sûr, genre

« mais tu le fais exprès ou quoi ?». Enfin, le sketch peut commencer…

LEA : C’était un de ces matins ou un de ces après-midi, un de ces jours où mes

hormones bouillonnent, où ça fait presque mal, là en bas du ventre.

Alors, après 2 ou 3 mails, après un appel, j’ai dit oui pour passer du virtuel au réel.

Pourtant, rien qu’à la voix - un peu traînante et pleine d'assurance, j’aurais dû me

douter, me méfier mais c’était un de ces matins, un de ces après-midi où j’avais

besoin de me sentir vivante, alors j’ai dit oui. J’ai dit oui au rdv sur les Champs,

tellement improbable…

Je me suis faite propre, épilée, presque jolie, presque baisable. En partant, j’ai

regardé ma commode, celle de ma mémé, celle qui se trouve dans l'entrée et je me

suis dit que c’était notre moment à elle et à moi, le moment pour mon cul sur la

commode.

Je suis partie avec ma commode sous le bras en pensée. Dans le RER, j’y croyais,

j’m’y voyais, ça allait me faire tellement de bien.

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Je l’ai attendu 15 bonnes minutes avec ma commode sous le bras. Il est arrivé. Ni

pressé, ni inquiet, ni désolé. Je l'ai suivi, encombrée. J’avais mis du mascara à mes

yeux, du brillant à ma bouche, des talons à mes pieds. Je l'ai suivi jusqu’au bar en

m’assurant que SI, malgré l'évidence, ça pouvait le faire.

C'était un café dans une rue perpendiculaire aux Champs : pas du tout l’endroit qui

me ressemble. Mais finalement, je ne me ressemblais pas non plus.

Il m'indique l'étage avec sa voix de mâle qui ne me fait aucun bien.

Une chaise qui me tient trop droite. Un verre que je bois en regardant par-dessus. Il

est très à l’aise, son bras droit repose sur le dossier de la sienne. Son regard

insistant. Son sourire en coin. Les échanges sont brefs. Mes réponses dépouillées.

Je veux partir tout de suite. Il commande un deuxième verre et je veux partir encore.

Adieu les hormones, le bouillonnement, la douleur au creux du ventre. Je veux partir.

Je le dis cette fois. Il sourit et ouvre son porte- feuille. « J’ai 8000 euros de note de

frais à me faire rembourser mais je suis pas pressé… » Je suffoque et décide de

descendre. Il suit. "Je t’invite". Je sors mon petit billet de mon petit porte -monnaie.

Je veux qu'on m'aide, qu'on me libère, je veux ma maman : je peux toujours

attendre… Dans la rue, je respire, je gère : j’ai réglé mes deux verres, je gère. » Il

enchaîne : "On mange un bout ? ». « Non, merci, je vais rentrer, vraiment. En plus,

j’ai pas faim. »

Je n'existe pas. Il continue : « Il y a un Italien hyper sympa juste au coin là. T’as déjà

bu du Petruse ?? ». Plus rien ne sort. Je presse le pas. Il m’attrape le bras. « T’as vu

la voiture là-bas ? Elle te plait ?

Je reste mutique. Soudain, je me mets à trottiner. C’est ridicule. Je n'ai pas eu peur,

j'ai eu mal.

Je pleure de honte. J'aurais préféré une proposition tarifée, ça m'aurait éclairée sur

ma valeur.

Quand j’ai ouvert la porte, je l’ai vue, ma commode : fière et droite. J’ai fait glisser le

premier tiroir et y ai déposé mes clés. Dans la salle de bains, j’avais plus grand-

chose à démaquiller. Le mascara avait coulé, le brillant ne brillait plus.

De retour dans l'entrée, je l'ai observée, j'ai même passé ma main sur le dessus. J'ai

senti le bois résistant et tendre, accueillant et tiède. Certaines évidences m'arrivent

tardivement : en fait, mon cul, il n’est pas si commode.

Léa salue, et sort

DANIELA : Ah enfin ! C’était long non ? J’ai l’impression que ça duré une heure….

Elle s’apprête à partir Bon, ce n’est pas tout, mais j’ai d’autres chats à

fouetter…C’est la première de « Boulevard de la mort » aujourd’hui !

Daniela et Léa se croisent à ce moment-là. Daniela lui met la main sur l’épaule et la

regarde d’un air navré.

LEA, à Josépha : alors tu as regardé ?

JOSEPHA : Oui. C’est une drôle d’idée, ça, de faire un spectacle sur la rencontre. Je

n’aurais jamais cru parce que… Non ne le prends pas mal surtout, mais quand on te

voit là, encore avec tes bras qui n’en finissent pas de tomber de chaque côté, on ne

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pense pas du tout que ça pourrait te concerner, enfin je veux dire, t’intéresser. Du

moins.

LEA : Eh bien tu vois, ça m’intéresse. Il y a plein de choses qui m’intéressent. Même

toi, tu m’intéresses… C’est moi où tu es un peu remuée ? Si j’avais su, je t’aurais

cuisinée sur le sujet, je suis sûre que tu aurais eu plein de choses à me dire…

JOSEPHA : … Surtout pas. De toutes façons, Paul et moi nous étions

incompatibles… sur tous les plans. Je ne dis pas qu’on n’a pas essayé, pour faire

comme tout le monde mais ça n’a pas marché. Alors tu vois, un sketch sur moi

n’aurait pas été bien captivant. Sauf si j’avais digressé peut-être sur l’effet du

badminton sur la libido…

LEA : …

JOSEPHA : Maintenant, c’est cuit. Je veux dire par là qu’il doit me rester deux

secondes et demie à tout casser avant ma date d’expiration. Ce n’est pas un drame

après tout. Bon et toi ?

LEA : Moi rien

JOSEPHA : Mais encore ?

LEA : Je veux dire que le thème m’intéresse c’est vrai mais que tu as peut-être

raison lorsque tu dis que je ne me sens pas concernée personnellement. Et c’est très

bien comme ça. Je n’ai jamais pensé que je pouvais correspondre au cliché social

« un homme, des enfants, une maison, un chien ». Et tout le monde doit le penser

aussi, car on ne peut pas dire que j’aie été harcelée de propositions.

JOSEPHA : C’est sûr, tu as vu comment tu es attifée aussi ? C’est peut-être

malheureux mais c’est ainsi : on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

LEA : Ça tombe bien, je n’aime pas les mouches, bzzzzzzz.

Scène 3 : Daniela apprend l’allemand.

Daniela est seule sur scène, elle danse sur de la musique (Nena « 99 Luftballons »)

en essayant de chanter les paroles en même temps. Elle est hyper concentrée.

Léa entre.

LEA : Daniela excuse-moi mais il faut qu’on parle. Pas d’effet sur Daniela qui

continue exactement ce qu’elle était en train de faire. Je suis désolée de te déranger

mais c’est important. Aucune réaction. Ohhhh !! La musique s’arrête.

DANIELA, avec un accent pourri : Der Himmel ist blau!

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LEA : Comment?

DANIELA : Ich heiße mich Brigitt Von Hammersmarck. Ein, zwei, drei, Entschuldigen

Sie. Der Hund ist auf der Straße, warum? Danièla va dans les coulisses.

Josepha entre à ce moment là

LEA : Non mais n’importe quoi Jo !

JOSEPHA, soupirant : que veux-tu que je te dise. Toujours sa lubie. C’est comme ça

depuis hier soir. Elle m’a dit que comme elle allait avoir le rôle d’une allemande dans

le prochain film de Tarantino, elle voulait être au top. Qu’elle ne voulait prendre

aucun risque, pour ne pas le décevoir, quoi. Ah ça, vu son niveau, c’est sûr que

personne ne pourrait être déçu ! En attendant de le revoir, soi-disant, elle ne dira

plus un mot de français, pour ne pas parasiter son accent qu’elle a dit. Oui, parce

qu’elle raconte à tout le monde qu’elle a rendez-vous avec lui ce soir.

LEA : C’est peut-être vrai ! Elle nous a raconté plein de détails qui ne s’inventent pas

tout de même. Moi j’y crois à son histoire.

JOSEPHA : Ah oui ? Tu l’as déjà vu sonner à la porte Quentin ? On l’a déjà eu au

téléphone peut-être ? Ou vu sur Skype ? Il l’a emmenée en week-end peut-être ? Ca

fait plus de 6 mois qu’elle me squatte… S’il était aussi transi d’osmose qu’elle le

prétend, je pense que j’aurais eu le temps de recueillir des indices. Mais là, rien,

nada. Pas une attention ! Alors de deux choses l’une, soit elle est complément

barrée, soit le Quentin là, c’est le plus grand mufle de la terre. Et puis si tu crois que

ça m’arrange qu’elle me colle ! C’est vrai, je suis en pleine reconstruction d’amour !

LEA : Ah oui ? Tu as rencontré quelqu’un ?

JOSEPHA : pas encore mais je m’y atèle. Alors si je pouvais m’épargner de

materner… C’est dingue, j’ai l’impression de me retrouver 5 ans en arrière. Bon, toi

c’est moins pire qu’avant… C’est toujours ça de gagné. Josépha se remet derrière

son ordinateur. Elle ouvre sa messagerie :

VOIX OFF : « vous n’avez aucun message, même pas de votre mère, de votre voisin

ou de votre chien »

LEA : Si c’est des histoires qu’elle se raconte, c’est horrible comme histoire.

VOIX OFF : « Oh ! vous avez un message, même pas une pub ! même pas un

spam ! Si c’était un homme ! »

JOSEPHA : Bafff, ça dépend. Moi tu vois, si elle n’habitait pas ici je trouverais ça

drôle ; bon, un peu pathétique mais drôle un peu.

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LEA : Mais il y a trois mois qu’elle m’assure qu’elle va parler avec Quentin de mon

spectacle. Elle m’a dit qu’avec toutes les relations qu’il avait, ce serait bien le diable

si je ne me retrouvais pas en haut de l’affiche au théâtre Marigny avant la fin de

l’année. Elle avait l’air hyper sûre d’elle.

JOSEPHA : Ah oui ? Pourquoi pas Bercy aussi ?

LEA : oh non c’est trop grand….

Mais tu vois, depuis je la relance régulièrement… Mais elle élude toujours.

JOSEPHA : Tiens !

LEA : Oui mais moi j’ai besoin d’une réponse tu comprends, je ne peux pas rester

comme ça sans savoir…Ou je retourne à Marseille

DANIELA, des coulisses : Ehhhh !! Guten Tag !! Ich heise mich Bridget Von

Hammersmarck!! Wie geht’s ??? Ich bin sehr fröh sie zu sehen!!

JOSEPHA : Tu sais, Léa, c’est bien Marseille aussi. Elles se regardent un peu

navrées. Elles sortent.

Scène 4 : Casting raté pour Daniela

Daniela est effondrée sur le sofa, elle pleure. Josépha entre, énervée.

JOSEPHA : Dan, dépêche-toi, on va être en retard !!

DANIELA : …

JOSEPHA : Allez quoi, ça ne se fait pas, on ne va tout de même pas arriver après le

début de la pièce ! Si j’avais su, tu vois, j’y serais allée sans toi pendant tes trois

mois d’absence parce que là vraiment…

DANIELA : Oui ben c’est bon ! On la connaît la pièce. Ce n’est tout de même pas

comme si on ratait le début de Colombo. En plus, c’est une série de sketchs et le

premier il est tout pourri. Ne me brusque pas, je suis hyper déprimée.

JOSEPHA : Tu ne vas pas recommencer avec ça !

DANIELA, qui explose : tu te rends compte qu’il a préféré finalement prendre cette

… femme… blonde… allemande…moche pour mon rôle !

JOSEPHA : Moche ? Diane Kruger ? !

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DANIELA : Je n’arrive même pas à retenir son nom. Kruger ! C’est vulgaire. C’est

tellement attendu pour une allemande. Une inconnue en plus, qui passe son temps à

poser pour des magasines… pour greluchonnes avec un QI de poule. Remarque, on

peut lui laisser ça, il aime prendre des risques. Elle va être ridicule la pauvre. Je le lui

ai dit tu sais, les yeux dans les yeux. Tu sais ce qu’il m’a répondu ?

JOSEPHA : qu’elle serait toujours moins ridicule que toi.

DANIELA : Bon il était en colère. J’avais dépassé les bornes aussi. Et puis les

producteurs évidemment lui mettent une pression de folie ! Tu vois, c’est un artiste

reconnu, le plus grand de sa génération. Mais il ne fait pas ce qu’il veut non plus.

Pas toujours.

JOSEPHA : Ben oui évidemment. Bon tu viens ?

DANIELA : Non tu vois ce que je n’accepte pas c’est la suite !! Parce que le rôle de

la française, il m’allait comme un gant ! Dès que j’ai lu le scénario, avec cette

première scène là, pleine de tension, je me voyais déjà courir dans le champ pour

fuir le tortionnaire de ma famille. C’était si beau. Je lui ai dit d’ailleurs, les yeux dans

les yeux. Tu sais ce qu’il m’a répondu ?

JOSEPHA : Que tu étais trop vieille pour le rôle. Et que Mélanie Laurent serait

parfaite.

DANIELA : C’est un complot. Préférer cette gamine, l’emmener dans sa maison à

Los Angeles pour lui montrer ses… films toute les nuits (s’approchant du bord de la

scène). Je suis au bord du gouffre.

JOSEPHA : Eh bien saute et fous nous la paix… Danièla ne bouge pas, Josépha est

derrière elle. Non ? Allez viens. Elle l’emmène dans la coulisse côté jardin.

Pendant ce temps, Léa arrange le plateau pour le spectacle, elle met des draps noirs

sur les meubles.

Josépha et Daniela réapparaissent dans la salle, comme des spectatrices, elles

discutent un moment dans le couloir et vont s’asseoir parmi les spectateurs.

JOSEPHA : Ah ça on peut dire qu’il a des relations Quentin ! Faire jouer Léa dans

une MJC, franchement je suis impressionnée.

DANIELA : Mais qu’est-ce que tu crois ? Qu’il n’a que ça à faire en ce moment ?

C’est moi qui lui ai trouvé cet endroit à Léa. Et bien contente en plus. Bon, le patron

ici est un peu bizarre, Michel il s’appelle. Mais on ne peut pas tout avoir. Tu vois ? Le

spectacle n’a même pas commencé. C’était bien la peine.

JOSEPHA : tu parles, c’est l’entracte.

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DANIELA : il n’y a pas grand monde, hein ? Ça n’a pas l’air de leur avoir plu la

première partie. Elle s’avance vers les gens : Ça allait la première partie ? Ça vaut le

coup de rester vous pensez ? Non, sinon on peut aller prendre un verre tous

ensemble dehors ? Vous imaginez ? Léa revient sur scène et il n’y a plus personne

dans la salle ! Elle pouffe. C’te blague !! J’ai l’air rigolote comme ça, mais je suis

hyper déprimée ; vous connaissez Diane Kruger ? Ah non ? Ah tu vois Jo, personne

ne la connaît la Kruger !

JOSEPHA : Mets-toi là, tu ne bouges plus et tu te tais. Chut !! Ça commence.

Léa apparaît sur scène.

DANIELA : Ah c’est Léa ! Léa, ça ne va pas… tu sais qu’il a choisi Diane

Kruger pour mon rôle ? Tu la connais, toi ?

LEA, imperturbable : J’ai fait sa connaissance dans un hôtel. Nous y étions tous

deux pour des raisons professionnelles. Non, mais vous avez l’esprit mal tourné : à

l’époque, nous travaillions pour une multinationale qui avait l’habitude, une fois par

an, d’organiser un événement dans un grand hôtel. Deux jours. Toutes les filiales

étaient invitées. Il s’agissait de souder les équipes, en quelque sorte… Bref.

Je n’étais pas très à mon aise, au milieu de tous ces gens que je ne connaissais pas,

ou mal. Lui, je l’ai remarqué assez vite, d’une part parce qu’il dépassait tout le monde

d’une bonne tête –c’était un géant- et d’autre part car il avait cet air jovial et

décontracté.

Je ne dirais pas qu’il était beau, non, mais il avait un visage profondément humain,

des yeux noirs et une bouche immense, toujours souriante, qui lui barrait le bas du

visage.

Le premier soir, je ne sais plus comment, je me suis retrouvée à jouer aux échecs.

Enfin si je sais. C’était une façon de m’occuper, de me donner une contenance, de

prendre une place parmi eux. Surtout que, les échecs, ça me connaît ! Même si j’ai

toujours préféré les petits chevaux…

Dans la soirée, on s’est retrouvés comme ça, tous les deux, à jouer ensemble une

partie qui n’en finissait pas. On avait épuisé nos maigres supporters quand soudain,

il s’est passé quelque chose d’insolite. Nous étions dans le petit salon de l’hôtel, et la

pendule accrochée au mur a complètement déraillé. Les aiguilles se sont mises à

tourner rapidement, dans le bon sens tout de même, en faisant un petit

ronronnement. Evidemment avec ce bruit, nous avons tourné la tête vers la pendule.

Et nous sommes restés bloqués dessus. C’était assez drôle d’ailleurs cette scène,

nous immobiles à observer sans comprendre, et le temps qui passait si vite tout à

coup !

C’est à ce moment-là qu’il a tourné la tête vers moi et m’a dit avec un ton sérieux :

« Bon, moi à 3 heures, je vais me coucher, t’as la clé de ta chambre ? ».

Je crois que je l’ai fixé un moment, interdite. Je ne savais pas s’il fallait que je rie de

sa blague ou que je m’offusque d’être prise pour une femme légère. Je ne suis pas

légère. Je n’ai pas ri.

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Lui, je crois qu’il a souri, et puis il est parti simplement. Cette nuit-là je n’ai pas fermé

l’œil. Je ne sais pas pourquoi.

Le lendemain, je l’ai revu au déjeuner. Et nous nous sommes retrouvés côte à côte à

table, lui à ma gauche. Je crois que j’ai été incapable d’articuler un mot pendant tout

le repas. J’avais la tête qui tournait, comme la pendule. Lui était très à l’aise, avec ce

sourire toujours. Et son bras droit qui frôlait mon bras gauche de temps à autres.

Au moment du café, il s’est rendu compte qu’il n’avait pas de petite cuillère. Alors

spontanément il a pris la mienne, alors que je venais de terminer mon dessert, et il a

touillé son café avec, sans l’essuyer avant ! C’est dégoûtant, non ? Et moi je restais

là à regarder ses mains, son sourire, sans rien dire.

Après les conférences de l’après-midi, des navettes nous attendaient pour nous

emmener les uns à l’aéroport, les autres à la gare. Je l’ai aperçu, de loin, qui montait

dans l’une d’elles. Et c’est tout. Je ne connaissais même pas son nom. Je ne l’ai

jamais revu.

Et alors ? Je ne m’en suis pas plus mal portée, que je sache. Moi, les aventures d’un

soir ça ne m’a jamais tentée, ni intéressée. Moi, ce que j’attends d’un homme c’est

du respect. Oui, je veux qu’on me respecte. Cette nuit-là, je n’ai rien répondu car il

n’y avait rien à répondre c’était tellement ridicule comme situation ! Et j’ai toujours

pensé que j’avais bien agi, en n’agissant pas. Non, je n’ai jamais regretté quoi que ce

soit. Je ne regrette rien. Je ne regrette rien. Rien.

Scène 5 : l’erreur d’aéroport

JOSEPHA : Ce n’est pas de chance tout de même, pour une fois qu’on avait la

grande possibilité, Léa et moi, de croiser Quentin Tarantino, il a fallu que tu te

trompes d’aéroport…

DANIELA, toujours fixée sur son portable : Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je

suis sûre que c’était Orly. Je suis sûre du rendez-vous. J’entends encore sa voix.

Please hurry my love, hurry to Orly!

JOSEPHA : ben voyons.

DANIELA : Ou alors l’avion était en avance. Il faut dire qu’on a bien perdu du temps,

entre Léa qui m’assurait que c’était Orly Sud et toi qui roule comme une vieille. Non

ce qui m’inquiète, c’est qu’il ne répond pas à mes messages. Il est peut-être arrivé

quelque chose.

LEA, sur l’ordinateur : Pour votre information, son vol est arrivé à Roissy à l’heure,

j’ai vérifié. C’est une bonne nouvelle non ?

Jo et Léa s’assoient sur le canapé. Daniela se met derrière, entre les deux, debout.

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DANIELA : C’est vraiment la galère.

JOSEPHA : Je me suis inscrite sur sionserencontraitonseraitmoinsseuls.com

LEA : Ah oui ?? Quand ?

JOSEPHA : il y a deux mois

DANIELA, machinalement : Quoi ? Deux mois ? Et tu ne m’as rien dit ?

JOSEPHA : Il y a deux mois, je ne savais pas où tu étais, je te signale. Tu es un vrai

courant d’air… Bref. Depuis la semaine dernière, j’échangeais des messages avec

un certain « besoin d’amour ».

LEA : Quoi ?

JOSEPHA : C’est son pseudo : Besoin d’amour. Ce n’est pas moi qui l’ai choisi, le

pseudo. En même temps, ça a l’avantage d’être explicite. Et puis j’aimais bien le côté

sensible, le côté j’assume ma fragilité. Ca me changeait de Paul.

LEA : Et alors ?

JOSEPHA : Au bout de quelques jours d’échanges intenses, il m’a proposé un

rendez-vous moins virtuel, à la terrasse d’un café. J’ai accepté tu parles. Je suis

arrivée pile à l’heure pour une fois, et j’ai vu un homme attablé, avec un bouquin…

comme ça… Ça se voyait tout de suite qu’il n’arrivait pas à lire une ligne, il était

hyper nerveux. C’était touchant.

LEA : De quoi il avait l’air ?

JOSEPHA : Il avait l’air d’un homme tout à fait bien. Je lui ai dit bonjour, je me suis

assise à sa table et on a commencé à discuter. C’est là que je me suis rendue

compte que cet homme-là, ce n’était pas du tout mon rendez-vous à moi. Il attendait

bien lui aussi une femme rencontrée sur internet mais il n’arrêtait pas de m’appeler

Arsinoé75. Et Arsinoé75, ce n’est pas moi. Elle est arrivée d’ailleurs, une espèce de

bombe improbable. Ça a fini de m’achever. Je l’ai vite repérée, debout, comme ça,

furetant sans en avoir l’air. Moi j’avais envie de m’enfuir mais j’étais comme

bloquée…

LEA : un peu comme un lapin pris dans les phares d’une voiture ?

JOSEPHA : …exactement ; Mais un lapin qui en plus est obsédé par la question :

Euh, 75, c’est son année de naissance ou son département ? Tu vois ? Je ne

pensais qu’à ça. Finalement, je me suis levée, au ralenti. Ça paraît ridicule en y

repensant mais comme ça, j’avais l’impression que ça se voyait moins que je partais.

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Le calvaire. Et je me suis éloignée, je crois même que j’ai siffloté pour me donner

une constance.

LEA : Une contenance.

JOSEPHA : Oui, peut-être si tu veux.

LEA : Et ton rendez-vous alors ?

JOSEPHA : Ah le mien, il n’est pas venu. C’est ça le pire. Après lui avoir laissé dix

messages, sur tous les tons : rigolo, inquiet, stressé, puis franchement énervé, il a

fini par m’envoyer un SMS le lendemain qui m’a expliqué vaguement qu’il était avec

sa mère et qu’il n’avait pas vu le temps passer.

LEA : Oh dur !

JOSEPHA : C’est tout de même fou. On est combien, 6 milliards d’individus sur cette

planète ? Il doit bien y avoir 3 milliards d’hommes grosso modo, non ? Si tu retires

les enfants, les vieillards et les trop moches, ça fait tout de même au pire, allez à la

louche, 500 millions qui pourraient m’attendre, en théorie. C’est énorme ! Ça donne

le tournis. Mais moi, je n’en veux pas 500 millions, j’en veux juste un qui m’aime un

peu ! C’est trop demander ?

LEA : Moi je n’ai plus de travail. Le mini-théâtre avec la scène de 1 mètre carré ne

me renouvelle pas. Ça tombe mal. Et à la MJC ils sont gentils mais ils ont tous vu le

spectacle plusieurs fois, ils sont saturés. Bref. Je crois que je vais retourner à

Marseille. Si le patron veut bien, parce que je suis partie un peu comme une voleuse

pour venir ici, moi.

DANIELA : Mais quelle galère. En regardant en l’air. Une petite pause, pour souffler,

c’est trop demander peut-être ? Ou alors c’est trop bien, vu d’en haut, de nous voir

comme ça nous démener avec nos pauvres vies sur notre canoë, c’est ça ? Tu veux

qu’on rame toi ! Qu’on continue à ramer ? C’est ça ? Mais pourquoi tu ne changes

pas de canoë un peu ? Tu prendrais celui des voisins (en montrant le public), ça

nous ferait des vacances hein ?

JOSEPHA, DANIELA, LEA : Rame

JOSEPHA, DANIELA, LEA : Rame

Elles fredonnent le refrain de la chanson de Souchon : Rame.

Scène 6 Mai 2009 : Paris – Marseille - Gondry

Le plateau est séparé en deux : Marseille côté jardin, Paris côté cour. Deux

panneaux Paris – Marseille fixés en fond de scène peuvent suffire pour l’expliquer

aux spectateurs. Côté Marseille, Léa est en train de rêvasser, un texte à la main et

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Daniela entre sur le plateau coiffée d’une passoire en inox. Elle a branché des fils

aux pieds de la passoire, reliés à une boite à chaussures.

DANIELA : Léa, je suis en train de vivre un truc dément !

LEA continue de rêvasser : Deux secondes, s’il te plaît…

DANIELA : Léa !!!

LEA : Oui !!! Deux secondes ! Je ne sais pas si tu sais, mais je travaille un peu pour

nous, là. J’adapte le spectacle pour nous trois, si tu n’es pas au courant ; C’est très

délicat, j’ai besoin de me concentrer tu comprends sinon je ne vais jamais y arriver.

DANIELA : Je sais que tu vas avoir du mal à me croire, elle met la passoire sur sa

tête.

LEA, la regardant enfin : Bah !… C’est quoi ce machin, tu essaies de te faire une

mise en pli maison ?

DANIELA : Pas du tout.

LEA : Tu fais paratonnerre ? Tu veux concurrencer la statue de la liberté ? Daniela

montre les fils Tu as été prise au casting d’Alien 6 ?

DANIELA : T’es cul. J’ai vu un film qui va changer ma vie.

LEA : Ah oui c’est vrai tu rentres de Cannes !! Alors cette avant-première d’Inglorious

basterds c’était bien ? Tu es arrivée tellement tard hier soir aussi… Je t’ai ratée…

Alors, raconte !! Elle était hyper moche la robe de la Krugger, une catastrophe, ah

oui, j’ai pensé à toi, quelle tarte !!

DANIELA : Je m’en fous de la Krugger, de la Laurent, d’Inglorious Basterds. C’était

pourri de toute façon. Je l’ai dit à Quentin. Ça a été notre deuxième dispute. Je me

suis demandé deux secondes si ça pourrait être notre dernière, de dispute. Surtout

quand il m’a regardée avec un air tellement mauvais, que j’ai cru qu’il allait me

scalper, comme dans son film.

LEA, écoutant vaguement : Ah bon c’était un western ? Je croyais que…

DANIELA : Et pendant qu’il me regardait comme ça, tu sais ce qui revenait en

boucle, dans ma tête ?

LEA : que tu donnerais n’importe quoi pour…

DANIELA : Les vers de Bérénice : « Je n’écoute plus rien ; et pour jamais, adieu !

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Pour jamais ! Ah Seigneur, songez-vous en vous-même combien ce mot cruel est

affreux quand on aime,

Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous Seigneur que tant de mers me

séparent de vous ?

Que le jour recommence et que le jour finisse sans que jamais Titus puisse voir

Bérénice,

Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ! »

LEA, levant le nez : Ah oui ? Et il t’a regardée aussi longtemps que ça ?

DANIELA : Alors ce matin, ça n’allait tellement pas que je suis allée à la

cinémathèque pour me changer les idées. Je voulais revoir Kill Bill pour me remonter

le moral. Et puis comme je n’arrêtais pas de chouiner, et que je devais faire pitié, le

bibliothécaire est venu me voir pour me demander si j’étais souffrante…

LEA : Ben oui…

DANIELA : Alors j’ai dit que j’étais en pleine rupture sentimentale. Et là, ce monsieur

a pris un air vraiment très compatissant, et il m’a lancé : « j’ai le film qu’il vous faut »,

comme si il parlait d’un médicament. Et pendant que je le regardais, ce film, il s’est

passé un truc de fou. Michel ! Quel joli prénom, j’adore…

LEA : Ah ? Il t’a dit son prénom le bibliothécaire ?

Le téléphone sonne

DANIELA, regardant son portable : Ah oui ? Déjà ?!

Léa répond sur son portable, c’est Josépha, qui appelle de Paris, et qui est sur le

plateau côté cour.

LEA : Ah Jo, tu tombes bien !

JOSEPHA : Tu as vu Dan ?

LEA : Ah pour ça oui, je la vois bien, avec une passoire sur la tête, c’est original. Le

pire c’est que ça ne lui va pas si mal, physiquement. Moralement, en revanche, j’ai

un peu de mal à suivre.

JOSEPHA : Elle m’a appelée tout à l’heure. Devine quoi : elle nous fait une fixette

sur Michel Gondry maintenant.

LEA : Sur qui ?

JOSEPHA : Michel Gondry, réalisateur français né à Versailles le 8 mai 1963. Il a fait

un film il y a déjà quelques années qui a un nom à coucher dehors. Dans ce film, le

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héros se branche à une espèce de machine qui efface tous les souvenirs dont tu

veux te débarrasser, par exemple après une rupture sentimentale, tu vois ? C’est

Michel Gondry qui a fait le scénario. Et elle fait quoi maintenant ?

LEA : ben là elle fait le poulpe dans mon salon. Remarque si c’est un français, il est

déjà plus accessible, la langue, la proximité tout ça, ce sera plus pratique.

JOSEPHA : Non mais n’importe quoi !

LEA : Ce que je veux dire Jo, c’est qu’elle ne fait de mal à personne, là, maintenant.

Bon, si ça peut l’aider à se remettre du clash qu’elle a eu avec Quentin, c’est tant

mieux, non ? Chacun fait ce qu’il peut dans cette situation. Difficile !

JOSEPHA : Alors toi tu es formidable, à gober toutes les excentricités de Dan.

Formidable, ou formidablement égoïste. J’hésite. Parce que nier les problèmes en

général, ça évite de se compliquer la vie aussi. Toi, rien ne t’inquiète ma parole. Moi

par exemple demain, je te dis que je pars avec Brad Pitt, tu me crois !

LEA : oh ben nonnnnn quand-même !!!, en faisant son rire de débile

JOSEPHA, piquée : Ah non ? Et on peut savoir pourquoi tu nous fais deux poids

deux mesures, là ?

LEA, au bout d’un moment : Ben, parce que Quentin, en fait, il est super moche avec

sa tête de psychopathe ! Il a le front de Frankenstein. Sérieux, je n’ai jamais compris.

Alors je me dis qu’une passion comme ça, ça ne s’invente pas. Je dirais même

qu’elle n’est pas de celles dont on voudrait se vanter si elle n’était pas vraie.

JOSEPHA : Bon, bien jouée mais c’était limite.

DANIELA : Léa !!!

LEA : Attends deux secondes, il y a la pieuvre qui se réveille apparemment. A

Daniela : Quoi ?

DANIELA : Ça ne marche pas son truc. Emphatique : Ah ! Je sens combien je vais

souffrir….

LEA : Ah, maintenant, elle passe de Racine à Musset… Dis, ça ne te dit pas de la

reprendre un peu ? Je la mettrais dans le train, avec sa passoire, ça me ferait des

vacances… je suis en train d’adapter le spectacle pour nous trois tu sais ? Et je

n’arrive à rien du coup…

JOSEPHA : Ah bon?

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LEA : Ben oui, quand on a chanté « Rame » de Souchon, tu te rappelles ? Que ça

nous a fait un bien fou, alors qu’on était toutes les trois dans un état pas possible,

c’est ce qu’on s’est dit ! Qu’on devrait rejouer ensemble, au moins une fois ! Depuis,

moi je travaille !

JOSEPHA : Ah ??

LEA, sans entendre les protestations de Josépha : Bon, je te l’envoie ! Merci, hein !

Scène 7 : Quentin, enfin.

Josépha est toujours devant son ordinateur, visiblement connectée sur son site de

rencontre…

JOSEPHA : « Chère Madame, votre profil m’intéressant, je sollicite un entretien dans

les meilleurs délais afin de pouvoir évaluer notre degré de compatibilité sans perte

de temps inutile… ». Comment dire…Euh… ben non. Au revoir.

DANIELA : Jo, je ne trouve pas ton papier alu…

JOSEPHA, machinalement : dans la chambre, regarde sous le lit…

DANIELA : et tes guirlandes de Noël, elles sont où ?

JOSEPHA : dans les toilettes, le placard…au-dessus… il y a une boîte en carton…

Tout ce qu’il faut dedans…Daniela sort illico.

Le téléphone de Jo sonne, c’est Léa

LEA : Salut Jo, je viens aux nouvelles, elle n’est pas trop stressante Daniela, ça va ?

JOSEPHA : Ah ben non, ça se passe bien, elle doit être en train de faire un gâteau

là je crois, elle m’a demandé du papier alu.

LEA : Méfie-toi Jo, elle ne suit jamais les recettes, du coup, tu peux avoir des

surprises… L’autre jour elle a voulu faire un clafoutis à la rhubarbe je ne te dis pas…

c’était space... Je serais toi, j’irais jeter un œil…

Le téléphone de Dan se met à sonner…

JOSEPHA : c’est le téléphone de Daniela, elle appelle Dan pour qu’elle réponde...La

sonnerie s’arrête…

Trop tard… Bon et toi, cette adaptation ? Ça avance ?

LEA : j’ai fini ! C’est pour ça aussi que je t’appelle ! Ça va être bien différent

finalement !! J’ai rajouté des trucs nouveaux, je pense que du coup, on peut se roder

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à la MJC, ça sera un bon test. Je peux être chez toi en fin de semaine, on

commence les répétitions et hop !!

JOSEPHA : Tu sais Léa, je ne suis pas sûre que ce soit une grande idée ce

spectacle. On est un peu rouillées maintenant…

LEA : Baff !! C’est comme le vélo !! Qu’est-ce qu’il y a ?

JOSEPHA : Ah ben c’est la déprime. Je suis à deux doigts de m’inventer un Quentin

Tarantino, vue la pêche que ça lui donne, je me dis que finalement, ça ne doit pas

être si mal… Mais j’ai peur de manquer d’imagination…

Le téléphone de Dan re-sonne. Jo appelle Dan encore une fois, pas de réponse…

Ne quitte pas Léa, deux secondes. Je réponds. Allo ?

VOIX OFF, voix masculine, avec un fort accent américain : Dan, hi ! Finalement, tu

daignes me répondre, petite coquine…

JOSEPHA : Non non non, je suis désolée je ne suis pas Dan. Bonjour… Monsieur…

Je me suis permise de répondre à sa place, Dan est occupée pour le moment mais

je peux prendre un message si vous voulez… Monsieur ?

VOIX OFF : Tarantino. Quentin Tarantino…

JOSEPHA, qui a failli convulser, à Léa : Léa je te rappelle.

A Quentin : Ah enchantée, moi c’est Uma Thurman…

QUENTIN : Impossible, vous n’avez pas du tout sa voix… Josépha, c’est ça ? …

JOSEPHA : Comment vous savez ?

QUENTIN : Daniela m’a beaucoup parlé de vous…Dites-moi Josépha, pouvez-vous

dire de ma part à Dan que comme elle ne répondait pas, je lui ai envoyé un SMS

avec le numéro de cell phone de Michel Gondry, comme elle me l’avait demandé.

JOSEPHA : je peux le faire…autre chose ?

QUENTIN : J’ai envie de vous poser une question très…intimate…je peux?

JOSEPHA : Euh, ouiiii ?

QUENTIN : j’aimerais connaître…. Votre film préféré ?

JOSEPHA : je ne sais pas si…

QUENTIN : Je me permets d’insister… C’est si important pour moi… de savoir…

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JOSEPHA : Vous êtes direct…

QUENTIN : mmhhh

JOSEPHA : « Le bon, la brute et le truand »

QUENTIN : Fantastique ! C’est un de mes favoris aussi… Et vous faites quoi, ce

soir ?

JOSEPHA : Ben, vu que c’était la déprime, un peu, vous voyez, je comptais aller au

cinéma au Max Linder…

QUENTIN : Vous plaisantez ? Lorsque je suis à Paris, je vais toujours au Max Linder.

C’est mon cinéma préféré…

JOSEPHA : Ah oui ? Quelle coïncidence…

QUENTIN : Et je suis à Paris ce soir…Nous pourrions nous y retrouver, et ensuite, je

vous emmène dans ma suite, au Ritz…

JOSEPHA : Ah non, vous allez un peu vite, là…

QUENTIN : …j’ai amené avec moi toute une valise de DVD, on pourrait visionner

« the Godfather », la trilogie… par exemple…

JOSEPHA, aux anges : … !!

QUENTIN : Max Linder, 20h. See you, Jo ! Et Vive le cinéma!

Elle raccroche. Musique de « Ghostbusters », à fond. Dan entre sur le plateau,

habillée de papier alu avec un bâton sur lequel est enroulée une guirlande…Jo la

regarde, mais d’un air tout différent, elle sourit…

DANIELA : Au fait Jo, tu n’aurais pas un camion miniature toi, par hasard ?

JOSEPHA : Pourquoi faire ?

DANIELA : Ben, pour faire la tête de King Kong !

JOSEPHA : Tu sais quoi, je ne cherche même plus à comprendre…J’imagine que tu

nous rejoues un des films de Gondry, non ? Bien, je sors de toute façon, j’ai une

course à faire… Ah, au fait ! Ton téléphone a sonné, tu as dû recevoir un SMS…Elle

prend son sac assez précipitamment et elle sort.

Dan va voir son portable, voit le SMS de Quentin, pousse un cri de joie, peut même

embrasser son téléphone, si si, et puis compose un numéro, le sourire aux lèvres…

Fondu au noir…

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Scène 8 : répétition du spectacle à 3

Léa est sur le plateau, bientôt rejointe par les deux autres, qui chuchotent entre elles.

LEA, très taciturne, le texte de la pièce à la main : Bon, je vous propose de

commencer cette répétition avec « Sauver le sourire »

DANIELA : Oui oui, et bien vas-y commence !

LEA : Je vous parle d’un temps que les mois de vingt ans

Ne peuvent pas connaître. C’était à un moment

Où pour se rencontrer il fallait du papier

Un stylo, un journal appelé H.I.P…

J’étais désespérée et déjà trentenaire

Bien sonnée… en plus habituée aux galères

DANIELA, arrachant des mains le texte à Léa : Un jour une annonce à mes yeux a

sauté

Le style était osé, quoique décontracté

Alors j’ai répondu et nous nous sommes vus

Pas loin de Saint-Michel, et très vite il m’a plu !

JOSEPHA : J’ai dit ok à tout, marcher jusqu’à Concorde

J’avais mis des talons : j’avais envie d’une corde…

Un tour sur la grande roue : j’ai un vertige affreux

Un film de Tarkovski : Truffaut c’est vraiment mieux…

LEA : Et bien malgré tout ça, je me sentais revivre

Et lui ai demandé, avant que d’être ivre

Il m’avait emmenée dans un pub du quinzième

Un autre rendez-vous, pourquoi pas dans la semaine

DANIELA : Mais son emploi du temps était un peu chargé

Comme il l’a dit lui-même son dentiste devait

Lui sauver son sourire, que c’était spirituel !

JOSEPHA : Une fois rentrée chez moi, un coup de minitel

J’avais son numéro, qu’il avait oublié

De noter sur mon bras, comme j’avais demandé…

LEA : L’obstination paya : j’ai eu mon rendez-vous !

Et j’étais apprêtée, lorsque sur mon tatoo

Un message laissé m’apprit qu’un imprévu

Bouleversait nos plans, qu’il était retenu

Dans son laboratoire pour toute la soirée

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DANIELA : Alors vers les 20 heures, j’ai voulu lui laisser

Un message chez lui, pour le réconforter

Pour quand il rentrerait, déçu et épuisé,

JOSEPHA : Mais il a répondu ! Tiens ! Mais il est chez lui !

Avec un brouhaha ! Fête et tutti quanti…

J’aurais pu m’acharner, comme dans liaison fatale

L’insulter en direct, lui taper un scandale

LEA : C’était une leçon

DANIELA : ça aurait pu être pire

JOSEPHA : J’ai décidé aussi de sauver mon sourire.

Pendant quelques secondes, il ne se passe rien.

DANIELA : Quand je pense qu’on va jouer devant des gens, je sens que je vais avoir

mal au ventre. Ils seront là, tout près. Tiens, en me concentrant un peu, je les vois

presque. Quelle horreur !

JOSEPHA : Ca y est, ça recommence. Et Léa va s’y mettre aussi.

LEA : Moi j’ai déjà mal au ventre, c’est toujours comme ça, comme une contrariété…

JOSEPHA : Vous êtes de grandes folles de vous mettre dans un état pareil tout de

même. Moi je me suis toujours bien sentie sur un plateau, surtout lorsqu’il y avait

plein de gens. Bon, évidemment à la MJC, c’est plutôt intime… Michel…

DANIELA : Quoi ? Et on peut savoir quand tu as parlé à Michel toi ?

JOSEPHA : Je parle de Michel de la MJC ! Il m’a dit qu’en règle générale, le public

dépassait rarement les 20 personnes… On l’avait d’ailleurs bien remarqué pour le

spectacle de Léa…mais finalement la quantité on s’en fout, non ? C’est la qualité qui

compte, pas vrai ?!!!

DANIELA : Jo, elle sera stressée le jour où elle aura appris son texte.

JOSEPHA : Alors ça !

LEA : Bien, si on reprenait, on n’a répété qu’un texte là, et on doit jouer dans 8

jours…

DANIELA: C’est vrai, je n’ai pas la journée en plus… se levant brusquement Quand

je pense que j’ai dit oui à cette entreprise farfelue. Dans un moment de faiblesse ! Ah

ça, je m’étais bien jurée de ne jamais remonter sur une scène de théâtre. Surtout,

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après avoir été dans l’action des plateaux de cinéma, avec …Quentin, à droite, et à

gauche, tout le temps, devant moi aussi à me regarder ! Je te jure, ici c’est moins

planant. J’ai l’impression de régresser.

JOSEPHA : Pfff, je croyais que tu n’avais pas la journée là…

DANIELA : Et puis si encore c’était pour jouer une pièce réjouissante, un truc de

café-théâtre un peu frais qui fait sourire- je ne dis pas rire, je n’oserais même pas

imaginer – quelque chose de léger, mais non ! Ca me déprime, tiens.

LEA : Je ne suis pas d’accord, il y a des moments de pure comédie aussi.

DANIELA : Ben non, le sujet de la pièce c’est la rencontre… Avec des histoires de

greluches, de nanas, des trucs sordides même parfois. Tiens, prends « Mon cul sur

la commode », tragique ! Avec le titre, on pourrait penser que c’est rigolo, un peu

grivois même. Eh bien non !

JOSEPHA : ...Tu as fini, oui ? Ce qui te dérange surtout, tu veux que je te dise ?

C’’est que c’est la première fois que nous jouons ensemble une pièce dont tu n’es

pas à l’origine du projet, et dont tu n’es pas le sujet.

LEA : Oh ben, toutes les femmes sont concernées par le sujet, les hommes aussi

d’ailleurs, tout le monde quoi, aussi bien Daniela que…

DANIELA : Je voudrais bien savoir qui tu es toi, pour savoir ce qui me concerne ou

pas !

JOSEPHA : Et puis tu t’entends un peu ? « Après avoir été dans l’action des

plateaux de cinéma » Mais lesquels ma chérie ? Léa, tu peux me citer un titre de film

dans lequel tu as vu Daniela au générique ? A part dans ses rêves ?

LEA : C’est si important ? Si on s’y remettait un peu ? On doit jouer dans huit jours…

DANIELA : Ce n’est pas joli joli une femme aigrie, tu ne trouves pas Léa ? Alors il t’a

encore posé un lapin ton dernier rendez-vous Meetic ? C’est ça ?

LEA : Ah mais non ce n’est pas Meetic son site c’est sionserencontrait…

JOSEPHA, nez à nez avec Danièla : Tu serais hyper surprise ma vieille…Et toi, t’es

sortie sans ta passoire sur la tête aujourd’hui ? Ma parole c’est la révolution !

LEA : Bon, en effet je crois qu’une petite pause s’impose… aussi je propose…

DANIELA : C’est ça, oui, une pause ! Mais longue la pause, hein ? Trois ans encore,

moi ça me dit bien.

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JOSEPHA : Excellent ! Si tu savais depuis combien de temps j’en rêve…

DANIELA : Cochonne qui s’en dédit !

JOSEPHA : Truie toi-même !

Dan et Jo partent ensemble en pouffant, Léa reste seule sur scène…

Scène 9 : …Léa, seule sur sa chaise

LEA : Voilà. Elles m’ont plantée comme ça. Je ne sais pas ce que vous en pensez,

mais entre nous, elle n’était pas super bien jouée cette scène de fausse dispute,

non ? C’était presque bâclé, très rapide, trop rapide, non ? Moi évidemment, je ne

leur avais pas dit que je les avais vus leurs billets d’avion… Quatre billets pour Los

Angeles, pour le soir même de cette pseudo-répétition. Quatre… deux + deux … Je

ne sais pas qui sont les deux autres… Je crois que je n’ai pas trop envie de le savoir

en fait… Peut-être que les deux sièges sont vides, peut-être que non… Qu’est-ce

que ça change ? Je crois que je vais retourner à Marseille. Tourner la page, écrire

une autre pièce... sur l’amitié, tiens, j’en connais un rayon n’est-ce pas ? Et puis je

vais m’acheter un basset. Ce sera bien…

Bon, j’y vais. Elle va sortir, hésite, se retourne…

Mais j’y pense, vous, vous ne l’avez jamais vue ma pièce sur la rencontre !! Elle

retourne s’asseoir, prend une inspiration…

NOIR