QUELQUES REPÈRES STYLISTIQUES / LES ILLUSTRATIONS …

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Manuscrits Médiévaux d’Aquitaine http://www.manuscrits-medievaux.fr/quelques-reperes-stylistiques /les-illustrations.aspx QUELQUES REPÈRES STYLISTIQUES / LES ILLUSTRATIONS Bordures et marges Dès la première moitié du XIIIe siècle, la décoration prend son indépendance vis-à-vis des initiales, pour s’épanouir dans les marges du manuscrit, nouvel espace de liberté que l’imagination des enlumineurs et de leurs commanditaires ne tarde pas à conquérir. En France et en Angleterre, la décoration marginale atteint son apogée au XIVe siècle, dans des compositions où se mêlent une faune et une flore réalistes ou imaginaires et des thèmes sacrés aussi bien qu’une iconographie profane, voire grivoise. Ces scénettes peuvent s’inspirer de proverbes, de jeux de mots, d’histoires populaires. Elles dépeignent tant des moments de la vie quotidienne que des épisodes tirés des répertoires comique, fantastique ou moralisateur. On nomme ces peintures marginales anticonformistes les drôleries. L’enluminure parisienne semble avoir joué un rôle pionnier dans leur instauration. L’utilisation de ce système décoratif se généralise dans l’ensemble de l’Occident vers 1300, avant de décliner vers le milieu du XIVe siècle, malgré quelques réapparitions jusqu’à la Renaissance. MS 0007 MS 0730P.385 - F.192 MS 0025 MS 0039 MS 0420 MS 0094P.36 - F.18 Indépendantes du texte et de son illustration, les drôleries prolifèrent autour des lettrines. Traitées avec humour, elles offrent des motifs variés, inspirés de la culture populaire (monstres, animaux, anthropomorphes, hybrides) et issus du répertoire profane propre à la culture aristocratique (thématiques de la chasse, des jeux courtois et de la musique). Pourtant, cette imagerie envahie majoritairement les livres de piété (Bible, psautiers, livres d’Heures) et non les oeuvres comiques. Il ne faut pas s’en étonner car, au sein des manuscrits médiévaux, l’image n’est pas nécessairement une transposition directe du texte qu’elle accompagne. Tout de même, les drôleries constituent, pour une part, des gloses des miniatures pleine-page.

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Manuscrits Médiévaux d’Aquitaine

http://www.manuscrits-medievaux.fr/quelques-reperes-stylistiques/les-illustrations.aspx

QUELQUES REPÈRES STYLISTIQUES / LES ILLUSTRATIONS

Bordures et marges

Dès la première moitié du XIIIe siècle, la décoration prend son indépendance vis-à-vis des initiales, pour s’épanouir dansles marges du manuscrit, nouvel espace de liberté que l’imagination des enlumineurs et de leurs commanditaires ne tardepas à conquérir. En France et en Angleterre, la décoration marginale atteint son apogée au XIVe siècle, dans descompositions où se mêlent une faune et une flore réalistes ou imaginaires et des thèmes sacrés aussi bien qu’uneiconographie profane, voire grivoise. Ces scénettes peuvent s’inspirer de proverbes, de jeux de mots, d’histoirespopulaires. Elles dépeignent tant des moments de la vie quotidienne que des épisodes tirés des répertoires comique,fantastique ou moralisateur. On nomme ces peintures marginales anticonformistes les drôleries.

L’enluminure parisienne semble avoir joué un rôle pionnier dans leur instauration. L’utilisation de ce système décoratif segénéralise dans l’ensemble de l’Occident vers 1300, avant de décliner vers le milieu du XIVe siècle, malgré quelquesréapparitions jusqu’à la Renaissance.

MS 0007 MS 0730P.385 - F.192 MS 0025 MS 0039

MS 0420 MS 0094P.36 - F.18

Indépendantes du texte et de son illustration, les drôleries prolifèrent autour des lettrines. Traitées avec humour, ellesoffrent des motifs variés, inspirés de la culture populaire (monstres, animaux, anthropomorphes, hybrides) et issus durépertoire profane propre à la culture aristocratique (thématiques de la chasse, des jeux courtois et de la musique).Pourtant, cette imagerie envahie majoritairement les livres de piété (Bible, psautiers, livres d’Heures) et non les œuvrescomiques. Il ne faut pas s’en étonner car, au sein des manuscrits médiévaux, l’image n’est pas nécessairement unetransposition directe du texte qu’elle accompagne. Tout de même, les drôleries constituent, pour une part, des gloses desminiatures pleine-page.

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MS 0094P.52 - F.26 MS 0094P.53 - F.27 MS 0094P.70 - F.35

MS 0094P.88 - F.44 MS 0094P.89 - F.45 MS 0094P.98 - F.49

MS 0094P.99 - F.50 MS 0094P.104 - F.52 MS 0094P.126 - F.63

MS 0094P.134 - F.67 MS 0042P.161 - F.78 MS 0042P.170 - F.82

MS 0042P.173 - F.84 MS 0042P.176 - F.85 MS 0042P.180 - F.87

On y observe une tendance à dénaturer formes et figures. Deux motifs semblent avoir eu un succès particulier : l’homme nuet le visage sur pattes. L’influence des collections d’antiques (pierres précieuses figurées, etc.) tient une part dans les choixiconographiques des drôleries, mais d’autres emprunts proviennent de la littérature ; le monde animal, très présent,s’inspire le plus souvent du bestiaire et des fables, tandis que la matière de Renart, thème d’inspiration anticléricale, flatteles goûts des laïcs.

Les principaux thèmes (la chasse, les jeux, la musique, la danse, les scènes de jonglerie, l’amour courtois, l’hostilité enversle clergé, la figure du fou et le monde animal) marquent l’avènement de la représentation du quotidien, du profane, dudivertissement. Ils valorisent le mode de vie de l’aristocratie laïque. L’exemple de la chasse est particulièrement révélateur :thème le plus fréquent dans les marges à drôleries, il reflète le rituel du pouvoir, indépendant du clergé et, dans bien descas, rejoint la thématique de l’amour courtois. Les scènes de chasse figurent tant dans les manuscrits destinés à des laïcs

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qu’à des clercs ; comme souvent au Moyen Âge, la stricte séparation des mondes religieux et profane n’a que peu de sens.

MS 0025 MS 0094P.44 - F.22 MS 0094P.45 - F.23

MS 0094P.105 - F.53 MS 0094P.110 - F.55 MS 0094P.111 - F.56

MS 0094P.116 - F.58 MS 0094P.117 - F.59 MS 0094P.127 - F.64

MS 0094P.134 - F.67 MS 0094P.135 - F.68 MS 0094P.166 - F.83

Tout ici est retourné : le cerf poursuit le chasseur, les soldats en armure s’enfuient devant des escargots et l’âne enseigneles Écritures. Les gens d’église, les nobles, les bourgeois, les clercs, toutes les catégories sociales font l’objet de moquerieset de persécutions, toutes malmenées par un bestiaire exubérant.

MS 0730P.11 - F.6

La fonction principale des drôleries semble être la distraction et le rire, tant aux dépens des autres que de soi-même. Ellessont un remède contre l’ennui. Leur lien privilégié avec les livres de dévotion tient certainement à la monotonie de la prièredes Heures. Le déclin de ces illustrations marginales pourrait alors correspondre à un nouveau rapport que les nobleslettrés entretiennent avec la lecture, considérée davantage comme un plaisir que comme un exercice rébarbatif.

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MS 0093 MS 0095P.15 - F.8 MS 0095P.42 - F.21

MS 0095P.44 - F.22 MS 1780P.37 - F.19 MS 1780P.102 - F.51

MS 1780P.153 - F.77 MARCADÉP.16 - F.R MARCADÉP.65A - F.R

MARCADÉP.65B - F.R MARCADÉP.65C - F.R MARCADÉP.65D - F.R

MARCADÉP.65E - F.R MARCADÉP.65F - F.R MARCADÉP.83 - F.R

MARCADÉP.84 - F.R MARCADÉP.87 - F.R MARCADÉP.89 - F.R

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MARCADÉP.90 - F.R MS 0171P.2 - F.1 MS 0171P.3 - F.2

MS 0171P.19 - F.10 MS 0044 MS 0088 MS 0286

MS 0731 MS 1525

Lentement, une relative standardisation s’instaure dans les décors de marges. A la fin du XIVe siècle, la prolifération desvégétaux supplante progressivement les drôleries. Au XVe siècle, les bordures se couvrent d’antennes et de ramificationsvégétales. On n’y trouve guère plus autre chose que des motifs héraldiques, mêlés à des semis de fleurs, de ramuresbourgeonnantes et de fruits, d’entrelacs de vigne et d’acanthe.

MS 0092 MS 0092 MARCADÉP.77 - F.R

Sans être exclusive, cette tendance à l’effacement des scénettes dans les marges est manifeste et généralisée. Pour autant, onpeut encore découvrir jusqu’au XVIe siècle, au détour d’une lecture, quelques personnages, quelques animaux, quelquesmonstres même, qui continuent d’habiter ces végétations exubérantes.

G903 MARCADÉP.70 - F.R MARCADÉP.71 - F.R

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MARCADÉ

Dans le premier quart du XVe siècle, naît aussi un nouveau genre de peinture marginale. Il s’agit d’images qui viennentcompléter les scènes des miniatures pleine-page. Ces compléments iconographiques développent les récits dans une mêmecontinuité spatiale sur l’ensemble des bordures. On assiste donc là à un enrichissement de la narration bien plus qu’à unesimple décoration marginale.

Notices

Ms 0286 Bordeaux - F°1 : Lettrine ; Décor végétalNotice iconographiqueVoragine, Jacques de (1228?-1298)

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Ms 0094 Bordeaux - F°23 : Décor végétal, animalier, humainet fantastique ; LettrineNotice iconographique

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Ms 0094 Bordeaux - F°27 : Décor végétal, animalier etfantastique ; LettrineNotice iconographique

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Ms 0094 Bordeaux - F°45 : Décor végétal et fantastique ;LettrineNotice iconographique

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Ms 0094 Bordeaux - F°50 : Décor végétal, animal, humain etêtre fantastique ; LettrineNotice iconographique

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Ms 0094 Bordeaux - F°53 : Décor végétal, humain etfantastique; LettrineNotice iconographique

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Albums

ms0042_Agenms0171_Périgueux

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G903_AD33ms0094_Bordeauxms0095_Bordeauxms0730_Bordeauxms1780_Bordeaux

Encadrements et fonds

Les miniatures de l’époque romane présentent des cadres aux bordures rectangulaires peintes ou dorées et d’épaisseursvariables. Les scènes qui s’y jouent se déroulent sur un arrière-plan abstrait (bandes colorées, etc.) ou limité à quelquesmotifs et aplats colorés symbolisant le ciel ou la terre par exemple. Les personnages cernés de noir se détachent de cesfonds par contrastes colorés. Il arrive aussi, dans le cas de figures autonomes ou associées à des initiales, que cespersonnages, souvent tirés de l’Ancien Testament, apparaissent sans cadre et pour seul arrière-plan le parcheminlui-même.

MS 0001-2P.217 - F.260 MS 0112P.61 - F.31 MS 0112P.75 - F.38

MS 0024 MS 0995

Ce type de compositions croît en nombre et en dimensions au cours du XIIIe siècle. Mais, il faut attendre la secondemoitié du siècle pour observer un renouvellement profond des miniatures, à la suite des manuscrits prestigieux parisiens,au premier rang desquels le Psautier de saint Louis, qui marque l’entrée de la peinture de manuscrits dans le gothiqueinternational. Dès lors, les figures élégantes s’animent dans des cadres rectangulaires dorés qui abritent des architecturesgothiques stéréotypées. Les fonds eux-aussi sont dorés ou constitués d’aplats colorés sombres, chargés de motifs abstraits(entrelacs, treillis, carreaux, formes géométriques) plus clairs ou dorés.

MS 0042P.20 - F.7 MS 0042P.21 - F.8 MS 0042P.25 - F.10

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MS 0042P.34 - F.14 MS 0397

Si les encadrements architecturaux stylisés disparaissent, le type de composition sur fond écran se perpétue tout au longdu XIVe siècle. Ces fonds interdisent toute contextualisation ou localisation précise. Ce sont donc alors les détails ducostume, les attitudes, les attributs et les architectures qui participent à resituer dans le quotidien des lecteurs des scènessouvent issues d’épisodes de l’Antiquité. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, un type bien particulier d’encadrementpermet de reconnaître aisément les productions issues des ateliers parisiens. Il s’agit du listel quadrilobé et tricolore (bleu,blanc, rouge) que l’on trouve dans les Décades de Tite-Live.

MS 0730P.11 - F.6 MS 0730P.20 - F.10 MS 0730P.79 - F.40

MS 0730P.385 - F.192

Dans la seconde moitié du XIVe siècle, la miniature italienne emploie des types de composition similaires, à ceci prèsqu’elle introduit la représentation de la profondeur et des tentatives de perspective. Les scènes et les attitudes sont moinsstéréotypées et les physionomies plus épaisses qu’auparavant. On retrouve les mêmes caractéristiques dans certainsmanuscrits français de la fin du XIVe siècle, puis dans la première moitié du XVe siècle.

MS 0355-1P.1 - F.1 MS 0355-1P.29 - F.15 MS 0355-1P.153 - F.77

MS 0355-1P.153 - F.77 MS 0355-1P.409 - F.205 MS 0355-1P.457 - F.229

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MS 0355-1P.549 - F.275

À partir du milieu du XVe siècle, l’influence naturaliste de la peinture flamande se généralise et imprègne la productionfrançaise. Les fonds écran disparaissent au profit de paysages lointains ou d’intérieurs dans lesquels la profondeur et laperspective se font plus réalistes. Des architectures souvent simplifiées mais représentées en perspective cavalière sedressent dans des paysages idylliques ou dans des représentations urbaines. Petit à petit le vocabulaire architectural issude la Renaissance italienne pénètre ces images, notamment dans les encadrements et les bordures.

MS 0091 MS 0091 G903 MARCADÉP.16 - F.R

MARCADÉP.81 - F.R MARCADÉP.87 - F.R MARCADÉP.88 - F.R

MARCADÉP.89 - F.R MARCADÉP.92 - F.R MARCADÉP.103 - F.R

MARCADÉP.102 - F.R MS 0092 MS 1859

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IMP. 0509P.34 - F.17

Albums

ms0042_Agenms0509_PauG903_AD33ms0001-1_Bordeauxms0001-2_Bordeauxms0112_Bordeauxms0355-1_Bordeauxms0355-2_Bordeauxms0355-3_Bordeauxms0730_Bordeaux

La grisaille

La grisaille désigne une technique picturale qui met en œuvre un camaïeu de gris dont l’éventail s’étend du blanc au noir.On parle de demi-grisaille pour désigner une grisaille rehaussée de couleurs (rouge, bleu, vert) dans l’intention de parfaire lemodelé et de rendre les chairs, les cheveux, les vêtements, les fonds… Son usage couvre l’ensemble de la productionpicturale (peinture murale, enluminure, vitrail).

MARCADÉP.65A - F.R MARCADÉP.65B - F.R MARCADÉP.65C - F.R

MARCADÉP.65D - F.R MARCADÉP.65E - F.R MARCADÉP.65F - F.R

Elle apparaît dans les fresques de Giotto au début du XIVe siècle puis, dans l’enluminure française, chez Jean Pucelle, vers1325. Employée à plusieurs titres (parti pris d’austérité religieuse, expression privilégiée du trompe-l’œil, jeux de volumeset de lumière) au gré des commandes dans la peinture monumentale, elle trouve dans l’enluminure un lieud’épanouissement pour elle-même. Les enlumineurs l’y traitent comme un choix plastique et esthétique à part entière. Trèsappréciée dans les manuscrits luxueux parisiens jusque dans les années 1380, la grisaille disparaît ensuite. Elle réapparaît àpartir de 1460 dans les prestigieux manuscrits exécutés pour la cour de Bourgogne. En Aquitaine, les peintures murales duchâteau d’Aren sont un exemple de l’emploi tardif de la grisaille dans la peinture monumentale.

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MS 6529P.6 - F.3 MS 6529P.15 - F.8 MS 6529P.17 - F.9

MS 6529P.18 - F.9 MS 6529P.20 - F.10 MS 6529P.22 - F.11

MS 6529P.25 - F.13

Contrairement aux six miniatures de la collection Marcadé, rehaussées d’or, les illustrations du Livre de la Chasse deGaston Fébus conservé à la Bibliothèque du château de Pau ne reflètent pas exactement la réalité de la grisaille telle quedécrite ci-dessus. Il s’agit davantage de dessins que de peintures. Pour autant, on les qualifiera de grisailles, dans uneacception plus large du terme.

Albums

ms6529_Pau