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    Quelle sortie de crise

    pour la Russie?

    Jeffrey Mankoff

    Mars 2010

    Centre Russie/NEI

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    L'Ifri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,

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    Auteur

    Jeffrey Mankoff, spcialiste de la Russie et de lespace post-sovitique, estdirecteur associ dtudes de scurit internationale lUniversit de Yaleet chercheur associ au programme Russie du Council on ForeignRelations(CFR). Auparavant, il a t laurat de la bourse John M. Olin eta travaill comme chercheur sur les questions de scurit nationale lInstitut des tudes stratgiques Olin (Olin Institute for Strategic Studies) lUniversit de Harvard et a bnfici de la bourse Henry Chauncey, qui lui

    a permis de travailler comme chercheur en stratgie internationale lUniversit de Yale.Il a galement t chercheur invit lUniversit dtatde Moscou. J. Mankoff est titulaire dun doctorat et de masters dhistoire etde science politique obtenus Yale. Ses domaines dexpertisecomprennent les relations entre les grandes puissances, le processus deprise de dcision en politique trangre, les conflits ethniques et la scuritnergtique. Il enseigne galement la politique trangre russe, ainsi quelhistoire diplomatique et militaire moderne Yale. Il est lauteur deRussian Foreign Policy: The Return of Great Power Politics (Lanham,Rowman & Littlefield, 2009) et de nombreux articles de revue et tribunesdans la presse.

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    Sommaire

    RSUM...................................................................................................... 4INTRODUCTION ............................................................................................ 5ORIGINES ET AMPLEUR DE LA CRISE RUSSE .................................................. 7LIMPACT DE LA CRISE SUR LA POLITIQUE INTRIEURE RUSSE ...................... 12

    LIMPACT DE LA CRISE SUR LA POLITIQUE TRANGRE RUSSE...................... 16CONCLUSION............................................................................................. 22

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    Rsum

    Mme si lconomie russe a renou avec la croissance grce la haussedes prix du ptrole, la crise financire de 2008-2009 continue de peser surles politiques intrieure et extrieure de la Russie. Sur le plan intrieur, lacrise a remis en question le contrat social tabli sous Vladimir Poutine.Elle a galement frein la libralisation et la modernisation conomiquesque Dmitri Medvedev souhaitait impulser. La crise a limit les sources dela rente pour les diverses factions oligarchiques lies au pouvoir politique.

    En matire de politique trangre, la crise a restreint lefficacit desprincipaux leviers dinfluence de la Russie : ressources nergtiques,forces armes et investissements trangers. La sortie de la Russie de lacrise semble tre plus lente et plus incertaine que celle dautres grandstats comme la Chine ou lInde. Elle devrait se concentrer sur sesrformes internes, indispensables si elle souhaite devenir plus attractivepour les investisseurs trangers.

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    Introduction

    Peu de pays ont t aussi branls que la Russie par la crise financiremondiale qui sest dclenche la mi-2008. Le pays a t confront auxmmes difficults que les autres tats dvelopps dEurope, dAmriquedu Nord et dAsie de lEst : chute de la demande, hausse du chmage,baisse du crdit, rduction des exportations et augmentation de la dette.Son conomie, qui connaissait une croissance de 7 % par an en moyenneauparavant, sest contracte de plus de 8 % en 2009. Alors que depuis

    2001, son budget avait dgag, chaque anne, des surplus, la Russie aconnu en 2009 un dficit quivalent 6,3 % du produit intrieur brut (PIB).Selon les pronostics, les indicateurs budgtaires resteront dans le rougejusquen 20121.

    Dbut 2010, de nombreux experts estiment que le pire de la criseest pass. Le prix du baril de ptrole est remont prs de 80 dollars et lePIB russe est reparti la hausse. Cependant, les consquences de lacrise devraient encore se faire ressentir moyen terme. Les effets duralentissement global sur les politiques intrieure et extrieure ont t bienplus importants en Russie que dans tout autre pays industrialis. Certes,elle na pas connu un effondrement semblable ceux de la Lettonie ou de

    lIslande, mais la profondeur de la crise russe, couple un systme degouvernance o pouvoir politique et pouvoir conomique s'entremlent,ont remis en cause la nature de ses politiques. Les consquences sur ledveloppement du pays long terme demeurent incertaines.

    La crise a affaibli les fondements sur lesquels reposent le systmepolitique semi-autoritaire et le capitalisme tatique qui ont merg entre2000 et 2008 pendant la prsidence de Vladimir Poutine. Ces annes ontcontribu la cration dune sorte de contrat social , selon lequel ltatgarantissait aux citoyens une augmentation rgulire de leur niveau de vieen change de leur passivit politique. Cette priode a marqu la fin de laguerre intestine entre factions oligarchiques concurrentes qui avaitparalys le pays durant la plus grande partie des annes 1990. Cette paixconcernant llite repose sur un autre type de march, qui garantit diffrents clans laccs certaines sources de revenus tant quilsrespectent la ligne politique du Kremlin. Cest dans ce contexte que ltatlui-mme est devenu un acteur conomique incontournable, en crantplusieurs grandes corporations publiques spcialises dans les secteursaussi varis que lnergie ou la construction navale. Pendant la dcennie

    Traduit de langlais par Boris Samkov.1 Ministre des Finances de la Fdration de Russie, O federalnom bdete na 2010 godi na planovyj period 2011 i 2012 godov [Sur le budget fdral 2010 et pour la priode2011-2012], .

    http://www.minfin.ru/ru/budget/federal_budget/http://www.minfin.ru/ru/budget/federal_budget/http://www.minfin.ru/ru/budget/federal_budget/http://www.minfin.ru/ru/budget/federal_budget/
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    2000, les autorits russes ont cherch utiliser la croissance conomiquepour acheter la loyaut de la population et prvenir toute opposition aurgime semi-autoritaire et centralisateur cher V. Poutine et sonentourage2. Cette croissance ntant plus de mise mme si le plus dur dela crise est pass, on peut se demander si le Kremlin saura concilier lesdemandes divergentes de la population et de llite oligarchique avec sonpropre intrt, qui consiste prserver le statu quo politique etconomique.

    La crise a galement remis en cause la capacit du Kremlin imposer sa volont sur la scne internationale. La Russie moderne, qui nepossde ni le poids gopolitique de lUnion sovitique ni la sductionidologique du marxisme-lninisme, dispose de peu de leviers dinfluenceau niveau international. la fin des annes 1990, elle a dcouvert queles autres pays pouvaient se permettre de lignorer purement etsimplement un constat confirm par les largissements successifs delOrganisation du trait de lAtlantique Nord (OTAN) ou lattaque militaire

    dune coalition conduite par les tats-Unis contre la Serbie en 1999, queMoscou avait t incapable de prvenir. Mme les autres tats post-sovitiques ont profit du dclin de la Russie pour consolider leurindpendance stratgique. Au dbut des annes 2000, la croissanceconomique russe (due principalement, mais pas uniquement, la haussedu prix du ptrole) a permis Moscou de retrouver rapidement uneinfluence grandissante aux niveaux rgional et mondial. La Russie a profitde la rente nergtique pour rembourser ses dettes lgard descranciers internationaux, renforcer son arme et accumuler les troisimesplus importantes rserves de change au monde (dont une partie a tdploye ltranger afin de soutenir une politique trangre de plus enplus vigoureuse). Cependant, la crise a forc Moscou rviser certainsprincipes fondamentaux de sa politique trangre.

    2 Voir, par exemple, D. Trenin, Russia Redefines Itself and its Relations with the West ,TheWashington Quarterly, vol. 30, n 2, printemps 2007.

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    Origines et ampleur de la crise russe

    Si la crise mondiale a exacerb les difficults conomiques que rencontraitla Russie, les origines de la crise russe ne sont pas uniquement dordreconomique. Les investisseurs trangers ont commenc se retirer dupays ds lt 2008, la suite des menaces maladroites formules parVladimir Poutine, lorquil tait prsident, lencontre des socitssouponnes darrirs fiscaux. La fuite des capitaux trangers sestacclre en aot aprs linvasion de la Gorgie par la Russie. la fin de

    lanne 2008, prs de 130 milliards de dollars ont t retirs du pays. Ilsagit du montant annuel le plus lev depuis que le gouvernement russe acommenc sintresser de prs aux statistiques sur les flux de capitauxau milieu des annes 19903. Ces dparts de capitaux se sont acclrsaprs le dclenchement de la crise financire mondiale la suite deleffondrement de Lehman Brothers en septembre 2008.

    En Russie, limpact de la crise a t relativement svre. Silconomie semble se rtablir progressivement depuis la fin 2009,plusieurs faiblesses structurelles susceptibles de freiner la croissance dupays ont clat au grand jour. Tandis que de nombreux tats occidentaux,de mme que la Chine, lInde et le Brsil, semblent prts pour une relancerapide ds 2010, la progression de la Russie sera probablement beaucoupplus lente moins dun bond brutal des prix mondiaux du ptrole.Moscou n'a toujours pas rgl certains problmes susceptibles dereplonger lconomie dans la rcession. C'est le cas, notamment, dusecteur bancaire, plomb par des crances douteuses et irrcouvrables etdu secteur priv trs endett. Pendant les six premiers mois de la crisefinancire, les mauvais crdits dtenus par les banques russes ontaugment de 240 %, alimentant les craintes dune deuxime vague decrise la fin 20094.

    Les mesures anti-crise prises par le gouvernement russe ontpermis de prserver la paix sociale et dviter les pires malheurs des crisesprcdentes, comme lhyper-inflation ou lexplosion du chmage.Laccumulation dimportantes rserves pendant les annes de croissanceconomique semble avoir t une stratgie payante, tandis que le plan derelance par des mesures fiscales stimulantes a permis dattnuer les effetsde la crise les plus nfastes court terme. Cependant, guid par le souhaitde faire viter la population des chocs comparables ceux des annes

    3 Russia : A Record Year for Capital Flight , Eurasia Net Daily Monitor, 13 janvier 2009,.4 R. de Haas, A Look at Non-Performing Loans : The Boomerang Effect , EuropeanBank for Reconstruction and Development, 16 juillet 2009,.

    http://www.eurasianet.org/departments/briefs/eav011309e.shtmlhttp://www.eurasianet.org/departments/briefs/eav011309e.shtmlhttp://www.ebrdblog.com/2009/07/16/a-look-at-non-performing-loans-the-boomerang-effect/http://www.ebrdblog.com/2009/07/16/a-look-at-non-performing-loans-the-boomerang-effect/http://www.ebrdblog.com/2009/07/16/a-look-at-non-performing-loans-the-boomerang-effect/http://www.eurasianet.org/departments/briefs/eav011309e.shtml
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    1990, le Kremlin a d signer un pacte faustien : en soutenant toutprix un modle conomique fondamentalement non comptitif, legouvernement a sans doute cr des freins la croissance, qui seracertainement plus lente que celle des tats-Unis, de lEurope, de la Chineou encore de lInde la sortie de phase la plus aigu de la crise.

    Lconomie russe a connu une contraction de 8,7 % en 2009, uneperformance bien plus mauvaise que dans la plupart des autres paysdvelopps5. La Banque mondiale estime que lconomie russe retrouvera(lentement) sa croissance en 2010, mais la crise laissera des traces.Laccs au crdit demeure restreint, en partie cause du sous-dveloppement du systme bancaire russe. Par consquent, la lentereprise de la demande intrieure a entrav le rtablissement de delconomie.

    En outre, Moscou a d largement puiser dans ses rserves poursoutenir des industries affaiblies et tendre laide sociale aux personnes

    ayant perdu leur emploi ou directement affectes dune faon ou duneautre par la crise. Au cours des dernires annes, la Russie avaitaccumul les troisimes rserves de change au monde grce aux prixrecords des hydrocarbures ; elle a dpens 400 milliards de dollars lorsdes premiers mois de la crise, principalement pour renflouer descompagnies lies aux milieux politiques et pour dfendre le rouble. Dbut2009, le Kremlin a adopt une approche plus systmatique, en cherchant baisser les taux dintrt et limiter le dficit budgtaire. Prs de la moitides sommes dbourses a servi soutenir les industries frappes par lacrise, notamment lindustrie automobile, la mtallurgie et le secteurbancaire, de mme que lindustrie de dfense. Deux cents milliards dedollars de rserve supplmentaires ont t dpenss afin de prserver la

    valeur du rouble malgr une fuite de capitaux grande chelle. Cettepolitique, qui a permis dviter une dvaluation chaotique comparable celle de 1998 et de prserver la stabilit sociale court terme, a forc laRussie dpenser rapidement ses rserves. En outre, elle a encouragles entreprises bnficiaires daides publiques spculer sur le taux dechange au lieu dassainir leurs bases. Une bonne partie de largentdpens provenait du Fonds de rserve cr pour prserver lconomie dechocs potentiels. En dpit dune hausse progressive des prix du baril deptrole jusqu plus de 70 dollars, ce qui a permis la Russie de rcuprerune partie des montants dpenss par le Fonds de rserve, la poursuitedu plan de relance budgtaire risque de vider ce Fonds dans le courant delanne 20106.

    Le besoin de mesures de stimulation supplmentaires, dans lesconditions dune baisse des recettes fiscales gnres par le secteurnergtique, creusera certainement un dficit budgtaire au moinsjusquen 2012, alors que le budget avait t excdentaire chaque annedepuis le dbut de la dcennie. Le gouvernement a augment les

    5 Voir World Bank Russian Economic Report, From Rebound to Recovery?, n20,novembre 2009, p. 2-3,.6 Ministre des Finances de la Fdration de Russie, op. cit. [1].

    http://siteresources.worldbank.org/INTRUSSIANFEDERATION/Resources/305499-1245838520910/rer20fulltext_eng.pdfhttp://siteresources.worldbank.org/INTRUSSIANFEDERATION/Resources/305499-1245838520910/rer20fulltext_eng.pdfhttp://siteresources.worldbank.org/INTRUSSIANFEDERATION/Resources/305499-1245838520910/rer20fulltext_eng.pdfhttp://siteresources.worldbank.org/INTRUSSIANFEDERATION/Resources/305499-1245838520910/rer20fulltext_eng.pdf
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    dpenses sociales (programmes de travaux publics, emplois temporaires,rtribution des travailleurs au chmage technique). Alors que le dficit s'estchiffr environ 8,3 % du PIB en 2009, le ministre des Finances estimequ'en 2010 il slvera 6,8% mme si lconomie renoue avec lacroissance.

    En matire demploi, la situation est mitige. Le taux de chmageofficiel, aprs avoir culmin 9,4 % en fvrier 2009, a progressivementrecul de faon comparable la situation quont connue les tats-Unispendant la crise actuelle7. Nanmoins, les statistiques officielles sonttrompeuses car elles occultent les nombreuses stratgies palliatives queles entreprises et les travailleurs russes ont dveloppes depuis desannes afin de rpondre lincertitude planant sur le march du travail.Par consquent, mme si le chmage reste modr et baisse, les chiffresofficiels ne prennent pas en considration un niveau lev de sous-emploiqui se traduit en heures de travail rduites, en congs non pays et enarrirs de salaires, qui ont t le flau de la Russie des annes 1990. La

    Banque mondiale a estim en septembre 2009 que les arrirs de salairesreprsentaient 5,1 milliards de roubles (190 millions de dollars). Ce chiffre,trs infrieur celui de mai, qui tait de 8,8 milliards de roubles,reprsente tout de mme une augmentation de 70 % par rapport au niveaude lanne prcdente8. De surcrot, limpact du chmage et du sous-emploi se concentre dans certaines industries particulirement frappespar la crise, comme la mtallurgie, le btiment et lindustrie manufacturire.De nombreux travailleurs intermittents se sont retrouvs sans travail et ontcess de chercher de nouveaux emplois, tandis que plusieurs centainesde milliers de travailleurs migrants originaires dAsie centrale et duCaucase sont rentrs chez eux et ne sont donc pas recenss dans lesstatistiques officielles du chmage9.

    La crise na pas frapp lensemble du pays avec la mme vigueur.Cette ingalit gographique constitue un problme particulirementdlicat. Les grands centres urbains comme Moscou et Saint-Ptersbourgont dans lensemble bien rsist, tandis que des rgions fortementindustrialises comme lOural, ou des villes de taille moyenne, nebnficiant pas de la mme concentration des richesses que les deuxcapitales mais cependant connectes la chane dapprovisionnementmondiale, ont t svrement touches10. Les zones qui proccupent leplus le Kremlin sont les monovilles (monogoroda), qui seraient prs de460 au total. Il sagit de villes bties, durant la priode sovitique, autourdune entreprise unique, fondatrice de ville (gradoobrazueepredpritie), dont la plupart ne sont plus comptitives. Or, si lune ouplusieurs dentre elles venaient fermer, le risque de troubles sociaux

    7 Comit national de statistiques, Zantost i bezrabotica v oktbre 2009 g. ,.8 World Bank, op. cit. [5], p. 5.9 International Crisis Group, Central Asia: Migrants and the Economic Crisis , AsiaReport, n 183, 5 janvier 2010. Bien videmment, nombre de ces migrants avaient toujourstravaill dans lconomie informelle et nauraient de toute faon pas t recenss dans lesstatistiques officielles de lemploi en Russie.10 Voir N. Zubarevich, The Crisis in Regional Perspective , Pro et Contra, vol. 12, n5-6,septembre-dcembre 2008.

    http://www.gks.ru/bgd/regl/b09_01/IssWWW.exe/Stg/d10/3-2.htmhttp://www.gks.ru/bgd/regl/b09_01/IssWWW.exe/Stg/d10/3-2.htm
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    serait trs lev. Le Kremlin et les autorits rgionales ont donc cherch, tout prix, maintenir ces socits en tat de fonctionnement. Des sommesimportantes ont t puises dans le budget afin de maintenir ces usinesdficitaires et non comptitives flot, mme en renonant desrestructurations qui auraient t bnfiques long terme11.

    Pendant la premire tape de la crise, ltat sest retrouv face de fortes pressions lincitant utiliser ses rserves pour renflouer denombreuses socits lies aux milieux politiques. Comme dans les paysoccidentaux, des sommes importantes ont t accordes des entreprisesindustrielles et de grandes banques au bord de la faillite. Le cas le plusemblmatique est celui du constructeur automobile AvtoVAZ, qui emploieprs de 100 000 employs et tait endett hauteur de plus de 2 milliardsde dollars. Afin de maintenir flot cette compagnie, le premier ministrePoutine a promis, lautomne 2009, dy injecter plus de 1,7 milliard dedollars, malgr lopposition du ministre des Finances, qui estimait quiltait contre-productif dinvestir de telles sommes dans une entreprise qui

    navait pas dmontr sa capacit fabriquer des produits comptitifs12. Demme, le Kremlin a discrtement renflou le conglomrat daluminiumRusal aprs que Vladimir Poutine avait publiquement reproch latlvision son propritaire, Oleg Deripaska, davoir stopp lefonctionnement de ses usines dans la monoville de Pikalevo. En Russie,de tels renflouements industriels sont plus prilleux que dans les paysoccidentaux, car ils reprsentent un obstacle au processus de destruction cratrice qui, en termes macro-conomiques, estindispensable pour rendre le secteur industriel du pays plus comptitif. Enoutre, cet argent a permis aux bnficiares de se lancer dans des activitsqui nont rien voir avec lamliorat ion de la comptitivit comme leversement de dividendes aux actionnaires ou la spculation montaire.

    Si limpact de la crise sur les monovilles a particulirement attirlattention, dautres rgions de la Fdration de Russie ont galementbeaucoup souffert, surtout le Nord Caucase. Aprs une priode de calmerelatif, cette zone est revenue un tat danarchie latente la suite duralentissement conomique. Dans la Rpublique dIngouchie, le chmagetait estim 57 % dbut 2009, alors que la production avait chut de plusde 25 % lors des six mois prcdents13. Leffondrement conomiquenourrit linsurrection qui se propage travers tout le Nord Caucase. Enseptembre 2009, quelques jours avant dtre la cible dun attentat suicidequi a failli lui coter la vie, le prsident ingouche Iounous-Bek Evkourovavait prvenu que linsurrection se propageait parce que les habitants de

    la Rpublique voient les responsables politiques construire des maisons

    11 S. Wagstyl, Smelt Down , Financial Times, 7 aot 2009.12 AvtoVAZ Carmaker Could Get Additional State Support Putin , RIA Novosti,3 dcembre 2009.13 L. Fuller, Russian President Calls For Emergency Measures in Ingushetia , RadioFree Europe/Radio Liberty(RFE/RL), 21 janvier 2009.

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    de luxe et conduire de belles voitures alors que plus de la moiti desIngouches valides est au chmage 14.

    14 I. Plugaterv, Krizis obostret terroristieskie ugrozy [La crise renforce les menacesterroristes], Nezavisimoe voennoe obozrenie, 3 juillet 2009,.

    http://nvo.ng.ru/spforces/2009-07-03/1_terror.htmlhttp://nvo.ng.ru/spforces/2009-07-03/1_terror.htmlhttp://nvo.ng.ru/spforces/2009-07-03/1_terror.html
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    Limpact de la crise surla politiqueintrieure russe

    Malgr lampleur de ces problmes, le risque de voir la crise conomiqueprovoquer des troubles sociaux semble relativement limit, lexception duNord Caucase. Le danger le plus important provient des doutes quesuscite lunit de llite dans un contexte de baisse des revenus et deffortscroissants (du moins rhtoriques) du prsident Dmitri Medvedev visant

    rduire le rle de ltat dans lconomie russe, tout en crant les conditionspermettant douivrir celle-ci la concurrence. Pendant les annes Poutine,la Russie a volu vers un modle hybride de capitalisme dtat danslequel une lite trie sur le volet (compose, pour une large part, de silovikiou de vtrans des services de scurit, linstar de Poutine) sige dansles conseils dadministration des principales entreprises du pays.Medvedev, qui a occup le poste de prsident du conseil dadministrationde Gazprom avant de succder Poutine, avait trouv sa place dans cesystme. la diffrence des oligarques des annes 1990, cette nouvellelite politico-conomique sest servie de ses rseaux pour senrichir, et nonlinverse. Tout en se prsentant comme les garants de lintrt de ltat,ces hauts responsables ont rgulirement profit de leur position pour btir

    dimmenses fortunes personnelles, au dtriment des compagnies quilsdirigeaient15. Par ailleurs, tous les anciens oligarques nont pasdisparu. Par consquent, les principaux secteurs industriels de la Russiese composent aujourdhui la fois de compagnies prives connectes auxmilieux politiques et dimmenses conglomrats appartenant ltat,entachs de corruption et servant (parfois) dinstruments pour la politiquedu gouvernement. Les principaux dirigeants du pays ont reconnu la gravitdu problme, et D. Medvedev a mme fait de la lutte contre la corruptionlun des lments cls de son programme de rformes jusqu prsentsans succs tangible16.

    Dans le contexte actuel de ralentissement conomique, la stabilit

    de ce systme apparat prcaire, dautant plus que lincertitude plane sur lafin du premier mandat du prsident Medvedev en 2012. Mme si cedernier est officiellement le chef de ltat, le premier ministre Poutine a jou un rle dcisif dans larbitrage des conflits opposant les diversesfactions bureaucratiques et oligarchiques qui composent Kremlin Inc etqui ont domin le monde des affaires et la politique russes tout au long de

    15 Voir P. Baker et S. Glasser, Kremlin Rising: Vladimir Putins Russia and the End of theRevolution, Washington DC, Potomac Books, 2007, p. 351-353.16 Confrence de presse du conseiller du prsident, Vladislav Sourkov, chef adjoint deladministration prsidentielle, au Sommet du G8 de Saint -Ptersbourg,.

    http://www.http/en.g8russia.ru/news/20060704/1168817.htmlhttp://www.http/en.g8russia.ru/news/20060704/1168817.html
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    la dcennie 2000. La question de savoir si le systme pourrait fonctionnerdans sa forme actuelle sans que Poutine ny joue un rle de mdiateurcentral est essentielle. Pendant la priode dincertitude qui a entourllection prsidentielle de 2008, les factions concurrentes ont men laguerre des siloviki. Une passation des pouvoirs en douceur entrePoutine et Medvedev et la dcision du premier de rester sur le devant de lascne ont permis d'empcher cet affrontement de dgnrer au point dedevenir une menace srieuse pour la stabilit du systme. Cependant,lincertitude politique entourant la fin du premier mandat de Medvedev,aggrave par la diminution des revenus, pourrait provoquer in fine unconflit plus srieux entre les divers clans bureaucratiques et oligarchiques.

    La conjonction de la crise et des doutes sur la cohsion de llite acr un dilemme. Medvedev et ses allis, notamment les responsables dela politique conomique (le ministre des Finances Alexe Koudrine, laministre du Dveloppement conomique Elvira Nabioullina et le vice-premier ministre Igor Chouvalov) souhaitent mettre en place un

    programme de modernisation conomique. Celle-ci reprsente leursyeux lunique moyen de restaurer la comptitivit de la Russie longterme et, par consquent, sa puissance et son prestige sur la scneinternationale. Mais un tel programme ne peut gure russir sans remettreen cause la structure de pouvoir existante et sans provoquer de profondsbouleversements au sommet.

    Brandissant le mot dordre de modernisation , Medvedev sestservi de la crise pour prner labandon du modle bas sur lescorporations dtat et la rente nergtique et son remplacement par uneconomie base sur linnovation et les technologies de pointe. Dans sonarticle Russie, en avant ! ainsi que dans plusieurs discours (y compris

    son adresse annuelle lAssemble fdrale en novembre 2009), leprsident a qualifi la dpendance de la Russie envers ses ressourcesnaturelles d honteuse , car elle condamne le pays un rle defournisseur de matires premires aux tats plus dvelopps17. Poursurmonter cette situation, Medvedev appelle rformer le systmejuridique afin de combattre le nihilisme lgal omniprsent, dmantelerles corporations dtat et se concentrer sur le dveloppement desindustries de pointe.

    Lattaque rhtorique lance par Medvedev contre la rigidit de lastructure conomique semble dtermine, mais, dans les faits, le bilan desrformes a t jusquici limit. Le problme essentiel est la fusion entre les

    lites politique et conomique russes : lutter contre loligarchie conomiquerevient sattaquer au systme de capitalisme tatique forg par Poutine.Plusieurs personnalits proches de ce dernier, dont le vice-premierministre Igor Setchine, semblent dcides dfendre le statu quo,appelant le gouvernement continuer de dpenser ses rserves et profiter de la crise pour semparer de parts toujours plus importantes des

    17 D. Medvedev, Rossi, vperd ! [Russie, en avant !], Gazeta.ru, 10 septembre 2009.D. Medvedev, Poslanie Federalnomu Sobrani Rossiiskoj Federacii [Discours devantlAssemble fdrale de la Fdration de Russie], 12 novembre 2009,.

    http://eng.kremlin.ru/speeches/2009/11/12/1321_type70029type82912_222702.shtmlhttp://eng.kremlin.ru/speeches/2009/11/12/1321_type70029type82912_222702.shtmlhttp://eng.kremlin.ru/speeches/2009/11/12/1321_type70029type82912_222702.shtml
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    secteurs cls de lindustrie. Poutine lui-mme a envoy des signauxcontradictoires, tout en laissant son protg Medvedev incarner lacampagne de modernisation. Un assaut men contre llite bureaucratiqueet oligarchique risquant de dclencher une lutte acharne autour desressources, Medvedev ne pourra sans doute pas russir sans le soutienferme de Poutine.

    Le destin des corporations dtat sera lun des principauxindicateurs du succs ou de lchec de la campagne de Medvedev. Ceschampions nationaux parmi lesquels lexportateur darmementsRostekhnologii, lentreprise de nanotechnologies Rosnano ou encoreOlimpsrto, charg de construire les installations des Jeux olympiques deSotchi en 2014, de mme que les gants nergtiques Gazprom etRosneft ont t crs ou consolids durant la prsidence de Poutine afinde renforcer le contrle de ltat sur des secteurs cls de lconomie et, aumoins incidemment, de fournir une source de revenus certains hautsresponsables bien placs. La prsence de ltat dans lconomie russe na

    cess daugmenter depuis laccession de V. Poutine au pouvoir en 2000 ;cependant, les champions nationaux rapportent lconomie russebien moins de richesses que le secteur priv, qui reprsente encore 65 %du PIB de la Russie18.

    Rares sont les compagnies dtat qui ralisent des profits ; laplupart dentre elles sont lourdement endettes, en partie cause descrdits contracts ltranger pour financer la spculation montaire. Engnral, elles favorisent la corruption, leurs administrateurs se lanantdans une appropriation des actifs grande chelle. Au dbut de la crise, leKremlin a mme encourag certaines de ces compagnies sendetterdavantage afin de racheter leurs rivaux en faillite avant que des

    concurrents trangers ne sen emparent. De la mme manire, ltat arenflou certaines entreprises prives lies llite au pouvoir etsoigneusement slectionnes afin dempcher leur prise de contrle pardes investisseurs trangers. De nombreuses compagnies semblent avoiremploy largent destin leur renflouement pour verser des dividendessans rgler leurs dettes qui slevaient au total, en juillet 2009, 294 milliards de dollars19. En Russie, il est trs rare que des compagniessurendettes soient mises en faillite ; elles continuent dexister et deperdre de largent.

    Medvedev a fait part de son souhait de voir les corporations dtatprogressivement dmanteles et transfres des propritaires privs.

    Nombre de ces firmes tant contrles par dimportants acteurs politiques(dont une grande partie sont des siloviki), une vraie privatisationperturberait significativement les rapports de force politiques. Laprivatisation pourrait certainement aussi tre ralise de faon prserverplusieurs pans du systme, linstar de ce qui sest pass au dbut desannes 1990, quand la privatisation a permis beaucoup de managers

    18 European Bank for Reconstruction and Development, Economic Statistics and Forecasts:Russia, 2009, .19 Razoblaenie oligarhov [Rvlation des oligarques], Izvesti, 17 aot 2009,.

    http://www.ebrd.com/country/sector/econo/stats/russia.pdfhttp://www.ebrd.com/country/sector/econo/stats/russia.pdfhttp://www.izvestia.ru/economic/article3131891/http://www.izvestia.ru/economic/article3131891/http://www.izvestia.ru/economic/article3131891/http://www.ebrd.com/country/sector/econo/stats/russia.pdf
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    sont devenus propritaires de leurs entreprises20. Plusieurs incertitudesdemeurent concernant, par exemple, la liste des compagnies privatiseret la participation des acteurs trangers la privatisation. La pressionvisant maintenir le contrle de ltat sur des secteurs stratgiques delconomie, comme la major ptrolire Rosneft (qui produit aujourdhuiprs de 44 % du ptrole russe) est intense.

    La profondeur et la dure de la crise auront un impact majeur surlavenir des projets de rforme de Medvedev, et donc sur celui du systmede capitalisme dtat russe. Dune part, une crise forte et prolongemettrait en vidence les faiblesses structurelles du systme russe (surtoutsi les autres pays retrouvent plus rapidement une croissance soutenue) ; lancessit dune rforme simposerait alors comme une vidence (au risquede voir ltat perdre le contrle du processus, comme cela sest produitsous Mikhal Gorbatchev la fin des annes 1980). De lautre, si les prixmondiaux du ptrole revenaient leurs niveaux davant-crise, la Russiepourrait sortir de la tourmente conomique avec des dommages

    minimaux : la motivation du Kremlin se lancer dans une rforme degrande ampleur, potentiellement dstabilisante, serait alors bienmoindre et les perspectives de dveloppement long terme de la Russie,trs limites.

    20 Voir M. Goldman, The Piratization of Russia : Russian Reform Goes Awry, Londres,Routledge, 2007, p. 103-104.

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    Limpact de la crise sur la politiquetrangre russe

    Limpact de la crise sur la politique trangre de la Russie est, bien desgards, difficile prvoir. Le prsident Medvedev a dclar que la crisedevait permettre doublier le fantasme selon lequel son pays serait une le de stabilit dans un monde turbulent, et que limpressionnantredressement conomique de la dcennie coule avait fait de Moscou un

    ple indpendant dans un monde de plus en plus multipolaire. Dans sondiscours annuel au Parlement, il a affirm que la Russie ne pouvait plus sepermettre de fonder sa politique trangre sur la nostalgie et lesprjugs . Selon lui, cest laune de sa contribution au dveloppementdu pays que sa politique trangre doit tre juge21. Cependant, commecest le cas dans la plupart des discours de Medvedev, les observateurstrangers se demandent sils annoncent rellement des changements ousils relvent dun exercice rhtorique creux.

    La crise a particulirement pes sur les relations de la Russie avecses voisins post-sovitiques. La plupart des pays de la Communaut destats Indpendants (CEI) ont souffert de la crise mais, dans le mmetemps, ils ont profit de laffaiblissement de linfluence russe pour chercher resserrer leurs liens la fois avec les pays occidentaux et la Chine.Limpact de la crise a t moins perceptible dans les relations de la Russieavec lEurope et les tats-Unis. Les difficults conomiques ont contraintMoscou accepter la ralit de linterdpendance conomique, toutparticulirement dans ses rapports avec lUnion europenne (UE). Lesrelations avec les tats-Unis paraissent galement moins tenduesquauparavant, mme si, compte tenu de la faiblesse des liensconomiques entre les deux pays, ce timide rapprochement doit sansdoute beaucoup la dtermination du nouveau prsident amricainBarack Obama rendre plus prvisibles les rapports de Washington avecMoscou. lexception des ngociations sur un trait visant poursuivre le

    dsarmement nuclaire (la Russie ne peut se permettre de maintenir laparit nuclaire avec les tats-Unis son niveau actuel), la crise nesemble pas avoir affect dune manire significative leurs relations.Cependant, en rduisant momentanment la capacit dintervention de laRussie dans les affaires de ses voisins, la crise a provisoirement cartlune des principales pommes de discorde entre Moscou etlOccident.

    Avant le dclenchement de la crise, de nombreux responsablesrusses avaient affirm que la Russie serait pargne par les turbulences

    21 D. Medvedev, Poslanie Federalnomu Sobrani , op. cit. [17].

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    conomiques qui frapperaient les pays occidentaux, grce sa renteptrolire et son faible niveau dintgration dans lconomie mondiale.Cependant, les derniers mois de lanne 2008 ont prouv la fortevulnrabilit de la Russie, notamment, cause de la baisse de la demandepour les principaux produits dexportation russes (ptrole et gaz). Cettebaisse de la demande nergtique a provoqu leffondrement de lacapitalisation boursire des principales entreprises russes surtout dumonopole gazier Gazprom, qui dans le classement des plus grandescompagnies mondiales, est pass de la 4e place en 2008 la 36e

    en 200922. Lconomie russe dpendant fortement des ventesdhydrocarbures, la chute des prix du gaz et du ptrole conscutive labaisse de la demande europenne a affaibli la puissance conomiquerusse et, par consquent, sa capacit dinfluence sur ses clients. La crise agalement renforc la position de ceux qui, comme Chouvalov ouNabioullina, souhaitent voir la Russie entrer dans lOrganisation mondialedu Commerce (OMC), aprs une parenthse au cours de laquelle Moscou

    avait annonc son intention de rejoindre lOMC seulement dans le cadredune Union douanire avec la Bilorussie et le Kazakhstan. Ces deuxpays sont bien moins avancs quelle dans leurs ngociations avec lOMC.

    Dans le mme temps, les excs de stocks et la baisse des prix deshydrocarbures ont affaibli la capacit de la Russie utiliser ses ressourcesnergtiques comme un moyen dinfluencer la politique trangre de lUE. la suite de la dcision de Gazprom, en janvier 2009, de couperlapprovisionnement en gaz lUkraine (et par consquent tous lesconsommateurs europens qui dpendent du transit du gaz par le territoireukrainien), lUE est parvenue limiter sensiblement sa vulnrabilit face de futures coupures dapprovisionnement. Bruxelles a engag des fondsdans la modernisation du secteur nergtique ukrainien et a progress surla voie de ladoption dune approche commune en matire de scuritnergtique. LUE est galement en train de construire de nouveauxterminaux de gaz naturel liqufi (GNL) et cherche activement signer desaccords avec plusieurs pays du Moyen-Orient et dAfrique du Nord afindacheter leur gaz et de le transporter vers son territoire par pipeline. Enparallle, la fuite des capitaux trangers de Russie durant la crise(linvestissement directtranger sest contract de plus de 45 % dans lessix premiers mois de 2009), accompagne du resserrement du crdit enRussie mme, a mis en pril les projets de modernisation annoncs par leprsident Medvedev23. Dans ces conditions, lUE, de loin le premierpartenaire commercial de la Russie, constitue la source la plus probable

    de nouveaux investissements dans lconomie de ce pays. Cela pourraitcontribuer amliorer la coopration entre la Russie et lEurope, et offreaux Europens un moyen de pression quils pourraient utiliser pour inciterMoscou poursuivre sa libralisation conomique.

    22 Global 500 2009 , Financial Times, 29 mai 2009, .23 Ob inostrannyh investiciyh v I polugodii 2009 goda [Sur les investissementstrangers en 2009], Comit national des statistiques de la Fdration de RussieGoskomstat, .

    http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.gks.ru/bgd/free/b04_03/IssWWW.exe/Stg/d03/159inv20.htmhttp://www.gks.ru/bgd/free/b04_03/IssWWW.exe/Stg/d03/159inv20.htmhttp://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1http://www.ft.com/cms/s/0/089bc508-48ca-11de-8870-00144feabdc0,dwp_uuid=012d2b08-4c54-11de-a6c5-00144feabdc0.html?nclick_check=1
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    La chute de la demande europenne de gaz et de ptrole a donnnaissance un nouveau dilemme chez les dirigeants russes : dbut 2008,dans des conditions favorables de croissance conomique, Gazprom avaitsign une srie de contrats long terme avec les producteurs dnergiedAsie centrale (notamment le Turkmnistan), en leur promettant de lespayer aux prix europens pour le gaz quils fourniraient aux pipelinesrusses. Le prix stipul dans ces contrats prs de 230 dollars les1000 mtres cubes tait plusieurs fois suprieur celui qui tait vers jusque-l aux producteurs centre-asiatiques. Moscou et Gazprom ontaccept ce surcot pour deux raisons : ils estimaient que la hausse desprix mondiaux de lnergie allait se poursuivre et souhaitaient rduire lamotivation des tats dAsie centrale nouer des accords nergtiquesavec des compagnies europennes, ce qui aurait branl la positiondominante de Moscou dans cette rgion24.

    Auparavant, Gazprom avait profit de son quasi-monopole sur legaz de lAsie centrale pour ne verser Achgabat quune fraction du prix

    pay par les consommateurs finaux en Europe. Hormis un petit pipeline lereliant lIran, toutes les ventes de gaz du Turkmnistan sur le marchinternational passaient par des gazoducs contrls par la Russie dont cepays dpendait entirement pour vendre son gaz lextrieur de lex-URSS et pour accder aux paiements en devises trangres. Moscou aprofit de cette dpendance pour obtenir lalignement de la politiquetrangre dAchgabat sur les intrts russes25.

    La chute de la demande nergtique a provoqu une baissespectaculaire des prix du gaz europen. Bloqu par des contrats longterme de type take-or-pay signs avant la chute des prix, Gazprom at contraint de verser aux Turkmnes des sommes largement

    suprieures celles que lui rapportaient ses ventes lEurope. Enavril 2009, le principal pipeline reliant le Turkmnistan la Russie amystrieusement explos. Achgabat a alors reproch Gazprom davoirviol les termes du contrat en rduisant unilatralement la quantit de gazprleve dans le pipeline (gnrant ainsi une accumulation de la pression lintrieur de celui-ci, ce qui aurait provoqu lexplosion). En janvier2010,le pipeline navait toujours pas t rpar et les relations entre Achgabat etMoscou demeuraient glaciales.

    Le Turkmnistan, qui a toujours t un acteur part sur la scneinternationale, a multipli les avances aux compagnies europennes, lesinvitant investir dans ses infrastructures, en amont de la chane du gaz,

    et devenant de plus en plus rceptif aux propositions occidentales departiciper au projet Nabucco cens acheminer le gaz du bassin Caspien

    24 D. Bochkarev, European Gas Prices: Implications of Gazproms StrategicEngagement with Central Asia , Pipeline and Gas Journal, vol. 236, n 6, juin 2009,.25 A. N. Stuhlberg, Well Oiled Diplomacy: Strategic Manipulation and Russias EnergyStatecraft in Eurasia, Albany, New York, SUNY Press, 2007, p. 99-115.

    http://pipelineandgasjournal.com/%E2%80%9Ceuropean%E2%80%9D-gas-prices-implications-gazprom%E2%80%99s-strategic-engagement-central-asiahttp://pipelineandgasjournal.com/%E2%80%9Ceuropean%E2%80%9D-gas-prices-implications-gazprom%E2%80%99s-strategic-engagement-central-asiahttp://pipelineandgasjournal.com/%E2%80%9Ceuropean%E2%80%9D-gas-prices-implications-gazprom%E2%80%99s-strategic-engagement-central-asiahttp://pipelineandgasjournal.com/%E2%80%9Ceuropean%E2%80%9D-gas-prices-implications-gazprom%E2%80%99s-strategic-engagement-central-asia
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    jusquen Europe via le Caucase et la Turquie en contournant la Russie26.Pendant ce temps, un nouveau gazoduc reliant le Turkmnistan la Chinea t inaugur en dcembre 2009, rduisant encore linfluence de Moscousur Achgabat, mme si les ventes de gaz turkmne la Russie et lEurope venaient retrouver leur ancien niveau. Le Turkmnistan est lepays de la rgion qui a le plus bnfici de la situation ; mais les autresproducteurs dnergie centre-asiatiques ont eux aussi russi se renforcerface Moscou. En dcembre 2009, Moscou et Achgabat ont dcid dereprendre leur commerce gazier. Cependant, linterruption destransactions, qui a dur plusieurs mois, a dj gnr des effets longterme : en plus d'encourager les contacts entre le gouvernement turkmneet les compagnies nergtiques occidentales, elle a montr aux autrestats producteurs de ptrole les dangers auxquels ils sexposaient en sereposant excessivement sur une alliance avec Moscou.

    La crise affectera galement la politique trangre russe dansdautres domaines. Larme, qui stait habitue, pendant les annes de

    croissance, voir son budget augmenter tous les ans, sera confronte auretour laustrit27. Cette rigueur arrive un mauvais moment : la guerrecontre la Gorgie en aot 2008 a mis en vidence de nombreusesdfaillances, auxquelles les dpenses des annes Poutine nont pas suffi mettre fin. Les forces russes ont notamment accus un temps de ractiontrs long et ont prouv de grandes difficults monter des oprationsinterarmes, mme contre un ennemi notablement plus faible. Bien que laguerre ait t gagne, la faible performance de larme a renforc , chezles dirigeants russes, la conviction que la rforme devait tre acclre.De ce point de vue, la guerre a fourni limpulsion ncessaire pour appliquerun projet de rduction et de modernisation de larme dont les expertsdiscutent depuis les annes 1990.

    Fondamentalement, pour rpondre aux menaces auxquelles elleest confronte dans le monde contemporain, larme russe doitabandonner le modle de larme de conscription hrit du XXe sicle etvoluer vers des forces plus rduites, mobiles et professionnelles. Unerforme aussi profonde de la structure et des objectifs de larme impliqueune rduction significative des effectifs ; cest pourquoi le corps desofficiers sy oppose fortement. En 2007, Poutine a nomm au poste deministre de la Dfense Anatoli Serdioukov, un ancien vendeur demeubles : il avait visiblement compris que la rforme devait tresupervise par un civil. Fermement soutenu tant par Poutine que parMedvedev, Serdioukov sest lanc avec nergie dans un programme de

    transformation de larme. Cependant, linsuffisance de fonds a mis cesefforts en pril, puisque les montants ne pouvaient fournir aux officiers laretraite laide sociale ncessaire ( commencer par des logements).

    26 M. Denison, The EU and Central Asia : Commercializing the Energy Relationship ,EUCAM Working Papers, 23 juillet 2009, .27 Les dpenses militaires annuelles de la Russie ont augment de plus de 10 % par an partir de 2003. J. Mankoff, Russian Foreign Policy : The Return of Great Power Politics,Lanham MD, Rowman & Littlefield, 2009, p. 34-35.

    http://www.ceps.be/book/eu-and-central-asia-commercialising-energy-relationshiphttp://www.ceps.be/book/eu-and-central-asia-commercialising-energy-relationshiphttp://www.ceps.be/book/eu-and-central-asia-commercialising-energy-relationshiphttp://www.ceps.be/book/eu-and-central-asia-commercialising-energy-relationshiphttp://www.ceps.be/book/eu-and-central-asia-commercialising-energy-relationship
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    Pendant ce temps, Moscou affirme que les dpenses militaires neseront pas affectes par la crise et, tirant les leons du conflit gorgien,cherche amliorer ses forces conventionnelles, tout en maintenant unecapacit de dissuasion stratgique suffisantemme sil nest pas certainque les finances du pays le lui permettent.

    Quant la marine russe, elle aussi est confronte des problmes.Les difficults rencontres par le nouveau missile balistique mer-solBoulava (dont la majorit des tests oprationnels se sont solds par deschecs), les retards enregistrs dans lacquisition de nouveaux navires,lobsolescence croissante de la majeure partie de la flotte reprsentent desproccupations majeures. Au vu du manque de financements et du dclindu complexe militaro-industriel depuis la fin de lURSS, celles-ci serontsans doute difficiles surmonter28. Ltat de larme et du complexemilitaro-industriel incite nanmoins le Kremlin viter le dclenchement denouveaux conflits arms, dautant plus que lissue de la rformeSerdioukov-Medvedev demeure incertaine.

    La baisse de la capacit de la Russie exercer son influence surles tats post-sovitiques est un autre effet de la crise sur sa politiquetrangre. Mme si un grand nombre de ces pays a t plus svrementfrapp par la crise que la Russie, la capacit de Moscou tirer parti desproblmes de ses voisins sest nettement amoindrie, et soninfluence sestrduite surtout au bnfice de la Chine. Non seulement sa positionprminente en Asie centrale a t affaiblie par louverture du nouveaugazoduc reliant le Turkmnistan la Chine, mais, en plus, Moscou a drevoir la baisse son aide financire aux tats post-sovitiques (laMoldavie ou le Kirghizstan), ce qui a rendu leur politique trangre plusflexible. La Chine en a profit pour proposer son assistance et ses

    investissements plusieurs pays traditionnellement tourns vers la Russie.Par exemple, Pkin a offert la Moldavie un crdit dun milliard de dollars,montant deux fois suprieur celui promis par Moscou Chisinau (unepromesse qui navait dailleurs jamais t tenue).

    Cest essentiellement en Asie centrale que la tension monte entrela Chine et la Russie. Les deux pays sintressent cette zone pour sesressources et son potentiel conomique. Les investissements chinoisaffluent en Asie centrale, particulirement dans les secteurs de lnergie,des mines et de la construction. Avant la crise financire, les socitschinoises (surtout les compagnies nergtiques dtat) taient dj enmesure de surenchrir sur leurs rivales russes pour obtenir des parts dans

    les entreprises locales ; les capitaux chinois irriguaient les infrastructureset limmobilier de la rgion. Cette arrive massive dargent chinois est entrain de modifier la gographie conomique de la rgion au dtriment de laRussie. Lengagement de la Chine en Asie centrale est, de plus, largementmotiv par des considrations commerciales tandis que la prsence russepossde une composante politique beaucoup plus prononce. Ainsi,Moscou a fortement insist pour que ses allis centre-asiatiquesreconnaissent lindpendance de lOsstie du Sud et de lAbkhazie. Mme

    28 I. Kramnik, Russian Navys Days Could be Numbered , RIA Novosti,11 dcembre 2009.

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    si un nombre important de dirigeants des pays de la zone estiment quelinvestissement chinois na pas de retombes directes pour la population,Pkin a la main plus lgre et les poches plus profondes que Moscou, cequi lui confre un avantage indniable sur le long terme dans la rgion.

    La baisse de lallgeance des rpubliques ex-sovitiques lgardde Moscou est dj notable. LOuzbkistan, toujours fluctuant, est le paysqui a le plus desserr ses liens avec la Russie, annonant en juillet 2009quil ne rejoindrait pas la Force de raction rapide de lOrganisation dutrait de scurit collective (OTSC), mise en place linitiative de la Russiealors que Tachkent cherche de nouveau amliorer sa cooprationnergtique et scuritaire avec lOccident. Quant au Kirghizstan, il estrevenu sur sa dcision dexpulser les forces amricaines de leur base deManas, ce qui avait longtemps t lune des priorits de la Russie. Cerevirement est survenu quand Moscou na pas russi livrer Bichkek latotalit du prt de 2,15 milliards de dollars promis au printemps 2009, alorsque dans le mme temps les tats-Unis acceptaient de payer plus cher

    pour la location de la base. Mme la Bilorussie, qui avait t, de tous lespays post-sovitiques, lalli le plus proche de la Russie, a boycott unsommet de lOTSC lt 2009 et a entam un rapprochement avec lesEuropens en rponse la baisse de la capacit de Moscou soutenirson conomie.

    long terme, la Chine, plus que les tats-Unis, bnficiera de ladiminution de linfluence financire de la Russie, surtout en Asie centrale.Avant mme le dclenchement de la crise, les entreprises chinoisesavaient ralis des perces impressionnantes sur les marchs dAsiecentrale. Les majors nergtiques chinoises ont pris des parts dans lessites de production centre-asiatiques, souvent en versant des primes sur

    lesquelles leurs adversaires russes (y compris Gazprom, lourdementendett) ne pouvaient pas saligner. Depuis quelques annes, lescompagnies chinoises jouent galement un rle central dans les secteursnon-nergtiques, dont le secteur minier, le commerce de dtail et lebtiment. La Chine ayant mieux rsist au ralentissement mondial que laRussie, son influence sur lAsie centrale va sans doute continuer crotreencore plus rapidement court terme (mme si long terme, leressentiment suscit par le rle colossal de Pkin dans les conomies destats centre-asiatiques risque de provoquer une raction anti-chinoise).

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    Conclusion

    Pour les puissances occidentales, le dfi est multiple. Dune part, lesdifficults conomiques de la Russie ont affaibli sa capacit poursuivre lamise en oeuvre du dveloppement bas sur les ressources nergtiquesqui tait devenu son mode de fonctionnement depuis quelques annes.Pour restaurer sa comptitivit moyen terme, la Russie doit attirer descapitaux trangers, tant dans son secteur nergtique (dont la productivitest en baisse) que dans les nouveaux secteurs innovants dont Medvedev

    veut faire la composante conomique centrale sur le long terme. Si elleveut attirer de nouveaux investissements trangers, la Russie devrasefforcer de rduire certains facteurs de risque mis en vidence par lacrise et sintgrer davantage dans lconomie mondiale (notamment enrejoignant lOMC). Dans le mme temps, le besoin de retrouver laccs auxmarchs internationaux de crdit quprouve la Russie offre sescranciers potentiels un nouveau levier dinfluence, quils pourraient utiliserpour obliger les autorits russes impulser une rforme judiciaire et lutter srieusement contre la corruption. Un autre lment qui renforce laposition des puissances occidentales face la Russie tient au dclin(vraisemblablement temporaire) de la demande europenne de gaz russe,ce qui a dgrad la capacit dinfluence de ce pays sur le march et a

    remis en cause son statut de superpuissance nergtique . Si lesEuropens profitent de loccasion, en particulier pour amliorer la liquiditde leurs propres marchs gaziers et dvelopper des approvisionnementsalternatifs, ils seront moins vulnrables aux pressions russes aprs la finde la crise.

    Il est moins certain que la Russie devienne plus flexible sur desquestions cls de politique trangre pour les tats-Unis. Indniablement,la capacit de Moscou dicter sa volont ses voisins, par exemple surlaccs des troupes amricaines aux bases militaires dAsie centrale, sestlargement rduite. Au vu de lvolution du contexte conomique, le Kremlinva peut-tre moins ressentir la prsence des forces amricaines en Asie

    centrale comme une menace et dcider dopter pour une approche pluscooprative. Le succs apparent des ngociations russo-amricaines surle remplacement du trait START-II (Trait de rduction des armesstratgiques [Strategic Arms Reduction Treaty]) offre un autre motifdespoir, puisque Moscou semble estimer que le cot du maintien d'unimportant arsenal nuclaire est trop lev alors que la relation stratgiqueavec les tats-Unis volue. Cependant, il serait naf d ignorer l'autrepossibilit : le ralentissement conomique pourrait inciter les dirigeants dela Russie chercher conserver le soutien de leur population enentretenant ou en crant linstabilit ses frontires.

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    Pour les tats-Unis et lUE, la tche principale consiste laisser lavoie de lintgration conomique ouverte la Russie, tout en prenant desinitiatives qui dissuaderont Moscou de tirer parti des difficults de sesvoisins pour accrotre linstabilit. Cela implique la promotion dunecoopration conomique plus troite entre la Russie et les paysoccidentaux (notamment, avec les tats-Unis, dont les liens conomiquesavec la Russie sont trs limits) et, dans le mme temps, de continuer aider les voisins post-sovitiques de la Russie faire face la crise.Linterdpendance conomique peut contribuer crer une communautdintrts et, avec le temps, renforcer les relations politiques.Lintgration conomique, qui ncessite, notamment, de conduire sonterme le processus dadhsion de la Russie lOMC, aide tablir desrgles et des procdures communes dont lexistence pourra renforcer laconfiance des investisseurs trangers ncessaire la Russie pourrpondre lappel la modernisation lanc par Medvedev. Enfin, Moscoua besoin daccder aux marchs internationaux de capitaux au cours des

    prochaines annes : lOccident pourrait en profiter pour exiger desdirigeants russes quils combattent efficacement la corruption etconsolident ltat de droit.

    Lvolution des relations de la Russie avec ses voisins servira detest pour comprendre si la crise a contribu ou non rsoudre certainesdes principales proccupations suscites par la politique trangre deMoscou. Ces dernires annes, les conflits les plus srieux entre la Russieet lOccident ont toujours t lis dune faon ou dune autre lespacepost-sovitique, des rvolutions de couleur la guerre en Gorgie.Pour que le redmarrage voulu par le prsident Obama prennerellement effet, la Russie devra adopter une posture moins conflictuelleenvers ses voisins post-sovitiques. Dune certaine manire,lenvironnement mondial invite plus loptimisme aujourdhui que cesdernires annes, non seulement parce que la crise a rduit la capacit dela Russie interfrer chez ses voisins, mais aussi parce quellargissement de lOTAN a t, pour lheure, mis entre parenthses.Cependant, certaines questions fondamentales en jeu dans les pays de laCEI demeurent en suspens, du transit de lnergie via lUkraine (et laBilorussie) lavenir de lOsstie du Sud et de lAbkhazie. Les voisins dela Russie ont, pour la plupart, souffert de la crise plus encore quelle-mme ; le pouvoir russe est certainement tent de profiter de leursdifficults pour obtenir des gains unilatraux malgr ses propresproblmes. Dbut 2010, Moscou et Minsk taient en conflit au sujet de

    leurs obligations respectives en matire ptrolire, tandis que llectionprsidentielle ukrainienne menaait de dclencher une nouvelle crisesusceptible dopposer la Russie aux puissances occidentales. Une autrecoupure dapprovisionnement nergtique affectant lEurope ou unenouvelle crise en Ukraine pourrait facilement enrayer le redmarrage etretarder la progression de lintgration de la Russie et de lEurope.

    Un tel scnario exacerberait sans doute les rticences desinvestisseurs trangers vis--vis de Moscou, remettant en question lamodernisation conomique prne par Medvedev. Certes, lconomierusse va probablement renouer avec la croissance en 2010 (la Banquemondiale prvoit une croissance du PIB denviron 3,2 %), mais celle-cisera nettement infrieure son niveau davant-crise et reposera

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    principalement sur les prix du ptrole29. Jusque l, malgr les exhortationsdu prsident, peu a t fait pour que lavenir du pays long terme reposesur une base durable. En outre, une sortie de crise rapide aura pour effetdamoindrir lincitation mettre en uvre une rforme ambitieuse. Il estclair que le succs de la modernisation voulue par Medvedev dpendraavant tout des dcisions qui seront prises Moscou mme. LOccident nepeut quencourager la Russie agir dune faon mutuellement bnfique.Pour cela, il devra dabord prouver sa crdibilit en tant quinterlocuteur, cequi implique la rorganisation et le rtablissement de sa propre conomie.

    29 World Bank, op. cit. [5], p. 2-3.