Quel Valais pour demain? - childsrights.org · ZOOM De 1860 à 2014, le nombre d’enfants migrants...

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ZOOM De 1860 à 2014, le nombre d’enfants migrants a été multiplié par neuf De ces trois jours de colloque naîtra un livre 5 SAMEDI 21 NOVEMBRE 2015 LE NOUVELLISTE Le Valais de de- main sera multiculturel ou ne sera pas. Il suffit d’observer l’évolution des statis- tiques du nombre d’enfants migrants dans le canton depuis la fin du XIXe siècle pour s’en apercevoir. Les chiffres montrent qu’un enfant sur cinq est au- jourd’hui issu de la migration en Valais, constate Marcelle Gay, professeur à la HES-SO, qui a évoqué ce thème lors du colloque «L’enfant en Valais de 1815 à 2015» qui a fermé ses portes hier à Bramois (voir bilan ci-contre). Pic en 1900 En 1860, date des premières statisti- ques disponibles, les enfants étrangers représentent près de 3% de la popula- tion. «On définissait alors les gens par leur région d’origine. On ne parlait pas d’Allemands ou de Français, mais de Prussiens ou de Savoisiens», explique Marcelle Gay. A partir de là, le Valais commence à s’ouvrir, lentement mais sûrement, aux enfants d’ailleurs. Quarante ans plus tard, le canton connaîtra le premier pic d’enfants mi- grants, alors que le nombre de petits Valaisans a fortement diminué passant de 40 000 en 1860 à 24 000 en 1900. «C’est l’effet de l’émigration valaisanne», explique Marcelle Gay. A l’image d’un mouvement général suisse, des centai- nes de Valaisans ont quitté leur canton d’origine pour des contrées outre-mer. Cent nationalités Après la Deuxième Guerre mondiale, ce sera l’inverse. Les enfants valaisans sont très nombreux (60 000), grâce au baby-boom. Les migrants continuent tout de même de s’établir en Valais avec une prépondérance pour les Ita- liens. Avec les années, les nationalités des enfants étrangers se sont diversi- fiées «au point qu’aujourd’hui, le canton compte plus de cent nationalités», expli- que Marcelle Gay. Les enfants vien- nent de France, d’Allemagne, de Syrie, du Portugal, d’Erythrée… Pas simple cependant pour ces enfants étrangers de trouver leur place. «Les mi- grants de deuxième génération ne sont pas considérés comme des Suisses en Suisse et plus vraiment de chez eux dans leur pays d’origine. C’est compliqué à gérer», note Marcelle Gay. Les enfants doivent faire face à la pression familiale qui veut qu’ils soient représentatifs de leur culture d’origine et à la pression de la société qui leur impose de s’intégrer. «La tension est très forte. Ces jeunes se sentent pris entre deux feux», ajoute Marcelle Gay. Certains parviennent cependant à fonder une identité métissée. «Le pro- blème, c’est que cela devrait être vu comme: «Je suis Erythréen ET Suisse», et non «je suis Erythréen OU Suisse». La nuance est très importante car elle per- mettra à la personne d’être elle-même ou pas. On ne peut pas exiger que l’enfant ou- blie sa langue ou sa culture d’origine, cela fait partie de sa vie et de son identité!» note Marcelle Gay. La grande majorité des enfants de deuxième génération se sont parfaite- ment intégrés. Signe non négligeable de leur volonté à l’intégration, plu- sieurs Valaisans, enfants de migrants, sont nombreux à suivre des forma- tions dans les hautes écoles, notam- ment en travail social par exemple. «L’accès aux études est important pour eux; ils ont également un rôle de média- tion qu’ils veulent continuer à jouer pour les adultes et les enfants de demain», conclut Marcelle Gay. CHRISTINE SAVIOZ GÉNÉRATION L’avenir est dans les mains des enfants, a démontré le colloque «L’enfant 1815-2015» qui s’est terminé hier avec le thème des migrants. VIVRE ENSEMBLE Que retenez-vous de ce colloque? Les présentations sur les enfants de 1815 à 2015, dans différents domaines (santé, école, protection) ont montré qu’il y avait eu deux périodes en Valais: la première jusqu’en 1960 où les choses avan- çaient lentement – le canton avait du retard sur les autres – et la période dès 1960 où le Valais se transforme. Le regard de l’adulte sur l’enfant change; il commence à le con- sidérer comme une personne. Au ni- veau santé, il y a eu des progrès extra- ordinaires qui ont permis à moins de femmes de périr en couches et aux enfants d’augmenter leur espérance de vie. Le titre du livre de l’historienne Mme Praz, «De l’enfant utile à l’enfant précieux», résume bien ma pensée. Parcourir deux cents ans d’his- toire en trois jours, un vrai défi? Le panorama était ambitieux, car nous avons dû gérer l’abondance. Il fallait éviter d’aller trop en détail dans des sujets et oublier d’autres thèmes im- portants. L’aspect positif est que nous avons pu mettre ensemble tous les professionnels des domaines traités et créer une dynamique autour de l’enfant. Cela a permis de créer une vi- sion multidisciplinaire. Au printemps prochain, un livre comprenant toutes les recherches du colloque sera édité. Quel a été votre moment fort? La question des enfants en situation de handicap m’a marqué. Le Valais s’est longtemps débrouillé avec la solidarité et depuis que le Département de l’ins- truction publique a mis en place l’inté- gration, nous avons toujours été pion- niers en la matière en Suisse. CSA JEAN ZERMATTEN FONDATEUR DE L’INSTITUT DES DROITS DE L’ENFANT = TROIS QUESTIONS À... «Nous avons créé une dynamique autour de l’enfant» Premières statistiques 2,6% d’enfants étrangers de 0 à 15 ans en Valais (Prussiens, Savoisiens, Bavarois). Dans les années 60, le Valais a accueilli de nombreux migrants, notamment des Italiens. ARCHIVES FÉDÉRALES LES DATES CLÉS DES ENFANTS MIGRANTS 1860 « On ne peut pas exiger que l’enfant oublie sa langue ou sa culture d’origine. Cela fait partie de son identité.» MARCELLE GAY PROFESSEURE À LA HES-SO EN POLITIQUE MIGRATOIRE ET D’INTÉGRATION Arrivée des Italiens Pic du nombre d’enfants étrangers avec 11,3% des 0-15 ans, alors que le nombre d’enfants valaisans a beaucoup baissé. 1900 Le nombre d’enfants étrangers va croissant Les enfants migrants représentent 24,3% des 0-15 ans. 2014 C’EST QUOI ÊTRE SUISSE? Un sondage réalisé par la HES-SO dans les cycles d’orientation d’Euseigne, Sierre, Martigny et Conthey montre que pour les adolescents valaisans, être Suisse signifie «être né en Suisse» ou «avoir un passe- port suisse». A la question «Etre étranger pour toi?», les élèves ont répondu en ma- jorité «Parler avec une autre langue» ou «Avoir un permis de séjour». «On voit que leurs critères sont subjectifs. Cela repré- sente ce qu’ils vivent dans leur classe où il y a de nombreux élèves issus de la mi- gration», note Marcelle Gay. Le sondage a également demandé aux adolescents leur rêve quand ils auraient 20 ans. 46% des élèves de Conthey ont répondu qu’ils souhaitaient un monde sans discrimination ni racisme. «Cela mon- tre qu’il y a un réel travail de sensibilisation autour du «Vivre ensemble», se réjouit Marcelle Gay. CSA Quel Valais pour demain?

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ZOOMDe 1860 à 2014, le nombre d’enfants migrants a été multiplié par neuf

De ces trois jours de colloque naîtra un livre

5 SAMEDI 21 NOVEMBRE 2015 LE NOUVELLISTE

Le Valais de de-main sera multiculturel ou ne sera pas. Il suffit d’observer l’évolution des statis-tiques du nombre d’enfants migrants dans le canton depuis la fin du XIXe siècle pour s’en apercevoir. Les chiffres montrent qu’un enfant sur cinq est au-jourd’hui issu de la migration en Valais, constate Marcelle Gay, professeur à la HES-SO, qui a évoqué ce thème lors du colloque «L’enfant en Valais de 1815 à 2015» qui a fermé ses portes hier à Bramois (voir bilan ci-contre).

Pic en 1900 En 1860, date des premières statisti-

ques disponibles, les enfants étrangers représentent près de 3% de la popula-tion. «On définissait alors les gens par leur région d’origine. On ne parlait pas d’Allemands ou de Français, mais de Prussiens ou de Savoisiens», explique Marcelle Gay. A partir de là, le Valais commence à s’ouvrir, lentement mais sûrement, aux enfants d’ailleurs.

Quarante ans plus tard, le canton connaîtra le premier pic d’enfants mi-grants, alors que le nombre de petits Valaisans a fortement diminué passant de 40 000 en 1860 à 24 000 en 1900. «C’est l’effet de l’émigration valaisanne», explique Marcelle Gay. A l’image d’un mouvement général suisse, des centai-nes de Valaisans ont quitté leur canton d’origine pour des contrées outre-mer.

Cent nationalités Après la Deuxième Guerre mondiale,

ce sera l’inverse. Les enfants valaisans sont très nombreux (60 000), grâce au baby-boom. Les migrants continuent tout de même de s’établir en Valais avec une prépondérance pour les Ita -liens. Avec les années, les nationalités des enfants étrangers se sont diversi-fiées «au point qu’aujourd’hui, le canton compte plus de cent nationalités», expli-que Marcelle Gay. Les enfants vien-

nent de France, d’Allemagne, de Syrie, du Portugal, d’Erythrée…

Pas simple cependant pour ces enfants étrangers de trouver leur place. «Les mi-grants de deuxième génération ne sont pas considérés comme des Suisses en Suisse et plus vraiment de chez eux dans leur pays d’origine. C’est compliqué à gérer», note Marcelle Gay. Les enfants doivent faire

face à la pression familiale qui veut qu’ils soient représentatifs de leur culture d’origine et à la pression de la société qui leur impose de s’intégrer. «La tension est très forte. Ces jeunes se sentent pris entre deux feux», ajoute Marcelle Gay.

Certains parviennent cependant à fon der une identité métissée. «Le pro-blème, c’est que cela devrait être vu

comme: «Je suis Erythréen ET Suisse», et non «je suis Erythréen OU Suisse». La nuance est très importante car elle per-mettra à la personne d’être elle-même ou pas. On ne peut pas exiger que l’enfant ou-blie sa langue ou sa culture d’origine, cela fait partie de sa vie et de son identité!» note Marcelle Gay.

La grande majorité des enfants de deuxième génération se sont parfaite-ment intégrés. Signe non négligeable de leur volonté à l’intégration, plu-sieurs Valaisans, enfants de migrants, sont nombreux à suivre des forma-tions dans les hautes écoles, notam-ment en travail social par exemple. «L’accès aux études est important pour eux; ils ont également un rôle de média-tion qu’ils veulent continuer à jouer pour les adultes et les enfants de demain», conclut Marcelle Gay. � CHRISTINE SAVIOZ

GÉNÉRATION L’avenir est dans les mains des enfants, a démontré le colloque «L’enfant 1815-2015» qui s’est terminé hier avec le thème des migrants.

VIVRE ENSEMBLE

Que retenez-vous de ce colloque? Les présentations sur les enfants de 1815 à 2015, dans différents domaines (santé, école, protection) ont montré qu’il y avait eu deux périodes en Valais: la première jusqu’en 1960 où les choses avan-çaient lentement – le

canton avait du retard sur les autres – et la période dès 1960 où le Valais se transforme. Le regard de l’adulte sur l’enfant change; il commence à le con-sidérer comme une personne. Au ni-veau santé, il y a eu des progrès extra-ordinaires qui ont permis à moins de femmes de périr en couches et aux enfants d’augmenter leur espérance de vie. Le titre du livre de l’historienne Mme Praz, «De l’enfant utile à l’enfant précieux», résume bien ma pensée.

Parcourir deux cents ans d’his-toire en trois jours, un vrai défi? Le panorama était ambitieux, car nous avons dû gérer l’abondance. Il fallait éviter d’aller trop en détail dans des sujets et oublier d’autres thèmes im-portants. L’aspect positif est que nous avons pu mettre ensemble tous les professionnels des domaines traités et créer une dynamique autour de l’enfant. Cela a permis de créer une vi-sion multidisciplinaire. Au printemps prochain, un livre comprenant toutes les recherches du colloque sera édité.

Quel a été votre moment fort? La question des enfants en situation de handicap m’a marqué. Le Valais s’est longtemps débrouillé avec la solidarité et depuis que le Département de l’ins-truction publique a mis en place l’inté-gration, nous avons toujours été pion-niers en la matière en Suisse. � CSA

JEAN ZERMATTEN FONDATEUR DE L’INSTITUT DES DROITS DE L’ENFANT

= TROIS QUESTIONS À...

«Nous avons créé une dynamique autour de l’enfant»

Premières statistiques 2,6% d’enfants étrangers de 0 à 15 ans en Valais (Prussiens, Savoisiens, Bavarois).

Dans les années 60, le Valais a accueilli de nombreux migrants, notamment des Italiens. ARCHIVES FÉDÉRALES

LES DATES CLÉS DES ENFANTS MIGRANTS 1860

�«On ne peut pas exiger que l’enfant oublie sa langue ou sa culture d’origine. Cela fait partie de son identité.»

MARCELLE GAY PROFESSEURE À LA HES-SO EN POLITIQUE MIGRATOIRE ET D’INTÉGRATION

Arrivée des Italiens Pic du nombre d’enfants étrangers avec 11,3% des 0-15 ans, alors que le nombre d’enfants valaisans a beaucoup baissé.

1900

Le nombre d’enfants étrangers va croissant Les enfants migrants représentent 24,3% des 0-15 ans.

2014

C’EST QUOI ÊTRE SUISSE? Un sondage réalisé par la HES-SO dans les cycles d’orientation d’Euseigne, Sierre, Martigny et Conthey montre que pour les adolescents valaisans, être Suisse signifie «être né en Suisse» ou «avoir un passe-port suisse». A la question «Etre étranger pour toi?», les élèves ont répondu en ma-jorité «Parler avec une autre langue» ou «Avoir un permis de séjour». «On voit que leurs critères sont subjectifs. Cela repré-sente ce qu’ils vivent dans leur classe où il y a de nombreux élèves issus de la mi-gration», note Marcelle Gay. Le sondage a également demandé aux adolescents leur rêve quand ils auraient 20 ans. 46% des élèves de Conthey ont répondu qu’ils souhaitaient un monde sans discrimination ni racisme. «Cela mon-tre qu’il y a un réel travail de sensibilisation autour du «Vivre ensemble», se réjouit Marcelle Gay. �CSA

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