Que Valent Les Expertises Psychologiques?

6
.Comprendre Justice: que valent les expertises "'psychologiques? 84 expertises psychiatriques et psychologiques n'ont pas empechele proces d'Outreau d'occasionner un fiascojudiciaire. QueUe est la part de responsabilite des experts? Comment ont-lis travaille"/ Des ont -eUes ete tirees"/ CLAUDIE BERT L es experts, psychologues et psychia- tres, aident-ils ou egarent-ils la jus- tice? relle estla question que se sont posee de ilombreuses personnes a !'issue duproces d'Outreau, tandis qu'une com- mission d'enquete parlementaire a consa- cre plus ,de, 200 heures, entre les mois de janvier et juin 2006, a examiner «les dys- fonctionnyments de la justice». Elle a notamment auditionne tous les experts qui sont intervenus dans cette affaire (1). Qui sont ces experts? Quelle est leur influence sur les decisions de justice? Les dysfonctionnements d'Outreau leur sont- ils imputables a eux seuls? Lefiasco Commen<;ons par rappeler les faits. MyriamBadaoui demande Ie placement de ses trois plus jeunes fils en raison de la vio- lence de son mari, Thierry Delay, a leur egard. r;aJ:ne est deja place depuis cinq ans. " 213 26 SciENCES HUMAINES I Mars 2010 Les assistantes maternelles et les institutri- ces qui accueillent ces enfants constatent des comportements, des propos qui les amenent a saisir la justice. Celle-ci demande une enquete policiere. Les enfants sont entendus et accusent leurs parents de violences et d'abus sexuels, ajoutant que d'autres adultes, qu'lls nom- ment, etaient presents. En fevrier 2001, les epouxDelaysontarretes etinculpes. T. De- lay nie mais sa femme avoue rapidement. Dans les semaines qui suivent, dix-sept adultes, designes soit par M. Badaoui soit par une vingtaine d'enfants identifies comme victimes, sont emprisonnes. Des 2001, Ie magistratinstructeur demande une expertise psychologique et psychiatri- que de tous les enfants accusateurs et de tous les adultes inculpes, puis, l'annee sui- vante, de nouvelles expertises. En 2004, avant Ie proces en assises, et meme, en urgence, pendant, Ie procureur demande des expertises. Au total; ilyeri aura quatre- vingt-quatre. Sur un point capital:la , confiance que l'on pouvait avoir dans les temoignages des enfants d'une part, des adultes accusateurs d'autre part - notam- ment de M. Badaoui,la principale d'entre eux. La reponsedes experts est sansambi- guIte: ils sont tous credibles. Concernant les adultes mis en accusation, une meme question a: ete posee aux experts psychia- tres et psychologues: "PnJsente+il des traits de au de persormalite des "abuseurs sexuels'?"» Cettefois,;les repon- ses sont differentes: les psychiatres ont repondu par la negative pour totIs les accu- ses' les psychologues, par I'affirmative pour tous sauf quatre. Lors du jugement en cour d'as§ises a Saint- Orner, en 2004, M. Badaoui reconnalt avoir accuse a tort treize des dix-sept inculpes, et son mari l'appu'ie. A la suite de ces retracta- tions, sept inculpes sont acquittes, dix

description

Análise e comentários críticos sobre o trabalho dos psicólogos em processos judiciais, a partir dos problemas ocorridos no 'affaire d'Outreau'.

Transcript of Que Valent Les Expertises Psychologiques?

Page 1: Que Valent Les Expertises Psychologiques?

.Comprendre

Justice: que valent les expertises "'psychologiques?

84 expertises psychiatriques et psychologiques

n'ont pas empechele proces d'Outreau

d'occasionner un fiascojudiciaire. QueUe est la part

de responsabilite des experts? Comment ont-lis

travaille"/ Des le~ons ont -eUes ete tirees"/

CLAUDIE BERT

L es experts, psychologues et psychia­tres, aident-ils ou egarent-ils la jus­tice? relle estla question que se sont

posee de ilombreuses personnes a !'issue duproces d'Outreau, tandis qu'une com­mission d'enquete parlementaire a consa­cre plus ,de, 200 heures, entre les mois de janvier et juin 2006, a examiner «les dys­fonctionnyments de la justice». Elle a notamment auditionne tous les experts qui sont intervenus dans cette affaire (1).

Qui sont ces experts? Quelle est leur influence sur les decisions de justice? Les dysfonctionnements d'Outreau leur sont­ils imputables a eux seuls?

Lefiasco Commen<;ons par rappeler les faits. MyriamBadaoui demande Ie placement de ses trois plus jeunes fils en raison de la vio­lence de son mari, Thierry Delay, a leur egard. r;aJ:ne est deja place depuis cinq ans.

" N° 213 26 SciENCES HUMAINES I Mars 2010

Les assistantes maternelles et les institutri­ces qui accueillent ces enfants constatent des comportements, des propos qui les amenent a saisir la justice. Celle-ci demande une enquete policiere. Les enfants sont entendus et accusent leurs parents de violences et d'abus sexuels, ajoutant que d'autres adultes, qu'lls nom­ment, etaient presents. En fevrier 2001, les epouxDelaysontarretes etinculpes. T. De­lay nie mais sa femme avoue rapidement. Dans les semaines qui suivent, dix-sept adultes, designes soit par M. Badaoui soit par une vingtaine d'enfants identifies comme victimes, sont emprisonnes. Des 2001, Ie magistratinstructeur demande une expertise psychologique et psychiatri­que de tous les enfants accusateurs et de tous les adultes inculpes, puis, l'annee sui­vante, de nouvelles expertises. En 2004, avant Ie proces en assises, et meme, en urgence, pendant, Ie procureur demande

des expertises. Au total; ilyeri aura quatre­vingt-quatre. Sur un point capital:la , confiance que l'on pouvait avoir dans les temoignages des enfants d'une part, des adultes accusateurs d'autre part - notam­ment de M. Badaoui,la principale d'entre eux. La reponsedes experts est sansambi­guIte: ils sont tous credibles. Concernant les adultes mis en accusation, une meme question a: ete posee aux experts psychia­tres et psychologues: "PnJsente+il des traits de caract~re au de persormalite des "abuseurs sexuels'?"» Cettefois,;les repon­ses sont differentes: les psychiatres ont repondu par la negative pour totIs les accu­ses' les psychologues, par I'affirmative pour tous sauf quatre. Lors du jugement en cour d'as§ises a Saint­Orner, en 2004, M. Badaoui reconnalt avoir accuse a tort treize des dix-sept inculpes, et son mari l'appu'ie. A la suite de ces retracta­tions, sept inculpes sont acquittes, dix

Page 2: Que Valent Les Expertises Psychologiques?

condamnes. Six d'entre eux font appel. En 2005, devantla cour d'appel de Paris, Thierry etMyriamDelaypraclamentl'innocencede ces six persQnnes, et deux des enfants reviennent sur leurs accusations. Les six personnes sontacquittees. En resume, donc, des accusateurs, majeurs etrnineurs, dontle temoignage a ete, et de fa~on repetee, estime fiable par des experts,tant psychiatres que psychologues, ant accuse a tort treize per­sannes d'etre des abuseurs sexuels. On peut bien parler, en effet, de fiasco.

Les des accords entre experts Quelle a Me la responsabilite des experts dans les decisions du tribunal au cours de cette affaire qui a secoue 1'opinion publi­que? Us ant incontestablement infiue sur les decisions prises par Ie juge d'instruc­tion. «J'ai ete choque d'entendre maftre Ber­ton me dire, lors de la premiere session d'as­sises it Saint-Omer, que sa cliente avait ete

gardee en d6tention sur la seule base de mes conclusions », a declare, lars de son audition par la commission d'enquete, Michel Emir­ze, Ie psychologue qui avait examine taus les adultes. Mais ses conclusions n'ont pas ete utilisees dans ce seul cas: taus les adul­tes saufun ant lite maintenus en prison, du fait qu'il avait declare les adultes auteurs d'accusations, et notamment M. Badaoui, «credibles », et que la psychologue qui avait examine les enfants accusateurs, Marie­Christine Gryson-Dejehansart, les a esti­mes «entierement credibles». De me me, consultee au sujet des demandes replitees, par la quasi-totalite des accuses, d'une confrontation avec leurs jeunes accusa­teurs, elle a chaque fois repondu qu'une telle confrontation «serait de nature it accroftre le traumatisme de l'enfant», et Ie juge a rejete toutes ces demandes. Qu'il ait eu raison au tort de suivre ces experts, Ie fait est que leur avis a pese lourd.

Comprendre.

Par ailleurs, les experts, on 1'a VU, ant ete en desaccord sur la personnalite d'abuseurs sexuels des accuses adultes. Ce n'est pas une exception, loin de lao Une etude fran­~aise recente (2) Ie demontre. Le point qui a Ie plus retenu 1'attention des chercheurs, c'est la proportion elevee de cas pour les­quels il n'est mentionne de diagnostic ni par Ie psychiatre, ni par Ie psychologue: plus de 60 %! Si cela signifiait «aucune pathologie mentale constatee», cela s'expli­querait, mais cela, aueun des rapports ne Ie dit expressement. Alors, comment com­prendre? Les chercheurs avancent des hypotheses: peut-etre faut-il yvoir «volonte de prudence et de reserve» d'experts qui pensent avoir dispose de trap peu de temps pour leur examen. Ou encore, 1'absence de diagnostic peut etre due a l'absence de recours a des pratocoles standardises: sur les 1010 expertises, «aucun expert (. .. ) n'a fait reference it l'utilisation d'un outil scien­tifiqueme~t valide pour etablir un diagnos­tic». Ce que ron peut regretter: les auteurs citent des recherches litablissant que Ie niveau d'accord entre experts s'eleve lors­qu'ils utilisent Ie meme prato cole. Alors, les psychiatres et psychologues experts apportent-ils des reponses fiables aux questions posees par la justice? Au psychiatre, on demande d'abord un dia­gnostic medical de sante mentale, ce qui ne pose pas de probleme:il exerce la son metier comme HIe ferait dans un autre cadre. Ce diagnostic repose sur un, au des, entretiens cliniques (les psychiatres ne recourent pas aux tests) et Ie psychiatre s'appuie sur les guides diagnostiques inter­nationaux de reference (Ie DSM et la elM). Toutefois, dans Ie cadre d'une expertise judiciaire, on l'interrage sur la pathologie mentale de l'accuse non seulement en general, mais aussi en relation avec Ie crime juge, c'est-a-dire sur sa responsabi­lite. Et la, les choses secompliquent. Le psychiatre voit l'accuse apres les faits: comment savoir s'il Mait dans Ie meme etat pendant qu'apres? Au moment au Ie psy­ehiatre Ie rencontre, il est en etat de choc, incapable de s'expliquer, mais peut-etre etait -il parfaitement conscient au moment des faits; au bien, au contraire, il apparatt comme calme, coherent, en plein controle ~

Mars 2010 SCIENCES HUMAINES 27 W213

Page 3: Que Valent Les Expertises Psychologiques?

.Comprendre

Comment travaillent les experts Pour etre designe comme expert, iI ne

suffit pas d'etre psychologue ou psy­

chiatre: iI faut avoir des diplomes, une ex­

perience, etre inscrit sur une liste d'experts

judiciaires agrees. Les experts d'Outreau

etaient bien dans ce cas: contrairement

a ce que I'on a parfois ecrit, ceux qui ont

examine les enfants avaient bien une

experience de travail avec des enfants.

Ce n'est pas toujoursle cas: iI arrive qu'un

magistrat, dans I'urgence, demande a un

psy un travail pour lequel iI n'est pas reel­

lement qualifie. "On peut etre un tres bon

psych%gue et ne pas savoir interroger un

enfant de 4 ans ", observe Camille Ollivier­

Gaillard, expert aupres des tribunaux pour

les expertises d'enfant.

La mission des experts est definie par Ie

juge d'instruction qui les nomme, sous

forme d'une liste de questions. Celles-ci

concernent I'affaire en cause tout en se

situant dans un cadre general. Au psychia­

tre, on demande un diagnostic medical:

la personne jugee pour un acte criminel

est-elle atteinte de troubles psychiques

et lesquels? D'un trouble ayant aboli son

discernement au moment de I'acte? Est-elle

dangereuse? Est-elle accessible aux soins?

S'iI s'agit d'une personne qui se dit victime,

~de lui, mais peut-etre etait-il dans un tout autre etat au moment de son acte. II existe trois etats pathologiques qui sont genera­lement admis comme otant au sujet la conscience de ses actes: la schizophrenie, la debilite profonde et la demence; mais dans les autres cas, Ie psychiatre ne peut pas se contenter de diagnostiquer une pathologie mentale, il doit etablir Ie lien entre celle-ci et Ie crime et doit estimer son influence sur la responsabilite de l'auteur. Ce n'est pas toujours facile.

Des enfants fiables? Qu'en est-il alors de l'expertise des psycho­logues? Les dix-sept enfants d'Outreau ont ete vus par la meme psychologue, M.-C. Gryson-Dejehansart. D'abord, dit­elle dans Ie livre qu'elle consacre a l'affaire d'Outreau (3), elle a recueilli Ie temoignage spontane des enfants, en ayant soin d'evi-

28 SciENCES HUMAINES I Mars 2010 N"213

on demande au psychiatre de determiner si

elle est rnythomane, a ten dance a I'affabu­

lation. Au psychologue, on peut confier une

mission technique, telle qu'evaluer I'intel­

ligence, mais, surtout, on lui demande de

decrire la personnalite, Ie fonctionnement

psychologique des sujets qu'il examine.

La loi ne fixe pas la duree de ces exam ens.

Le rapport de la commission Outreau

ter toute question suggestive, et en obser­vant leurs gestes, leurs attitudes pendant qu'ils parlaient. Ensuite, elle a complete ce temoignage par divers tests classiques. II faut se rappeler que la confiance accordee au temoignage des enfants a largement varie au cours du temps. Pendant long­temps, elle a Me tres faible. Les specialistes craignent qu'apres Outreau, on en revienne aux «enfants menteurs» ... Le sujet merite une analyse plus nuancee - facilitee par un grand nombre de recher­ches. Avant 3-4 ans, l'enfant a parfois un vocabulaire trop limite pour s'expliquer; et surtout, il a du mal a identifier la source de son information: ainsi, a 3 ans, les enfants savent ce que contient un tiroir, mais ils sont incapables de dire si on Ie leur a montre ou si on Ie leur a dit, alors qu'a 5 ans, ils font tres bien la difference. Plus ages, its peuvent Hre d'aussi bons temoins

s'etonne de ce que deux experts psycho­

logues ont realise en commun I'expertise

de quatre accuses Ie meme jour, en quatre

endroits differents - et ce, alors que cette

mission leur avait ete confiee quatre mois

plus tot -, et qu'ils aient meme trouve

Ie temps de rediger trois sur quatre des

rapports ce jour-Ia! Du coup, ceux-ci sont

succincts: une page chacun. II est vrai

que les adultes. Mais il faut tenir compte d'un fait capital: ils sont influen<;ables. Us sont sensibles au prestige de l'adulte, desi­reux de lui faire plaisir, soucieux de son approbation - en outre, ils repugnent a repondre «je ne sais pas». Or une fois qu'un enfant a temoigne, it peut tres bien croire que tout ce qu'il a ditest arrive, c'est-a-dire que vrais et faux souvenirs se confondent dans sa memoire (4).

Aux experts d'Outreau, psychiatres et psy­chologues, Ie juge d'instruction a par ailleurs pose la meme question pour cha­cun des adultes: «Pn!sente-t-il des traits de caractere au de persannalite caracteristiques des abuseurs sexuels?» Les psychiatres ont repondu negativement pour tous les accu­ses; les psychologues, positivement pour tous sauf quatre. Comment expliquer cette divergence, qui ne se retrouve plus lors des auditions de la commission parlementaire?

Page 4: Que Valent Les Expertises Psychologiques?

qu~,si I'expert doit rernettrelmraPPQrt

ecrit,J~sontenu n'.en. est pas.predse.·

Certaiins'~x~)~r:1tsnlElntiQllli~,nt~:Ol;ls les

«On retrouve uri certain·nombre de traits chez les agresseurs sexuels, mais on les ren­coritre egalementdans la population en general» (Jean-Louis Pourpoint, psychia­tre); «il ny a pas, dans la nosographie, de personnalite type de l'abuseur sexuel ( ... ) ; nous ne trouvons parjbis rien d'autre, comme traits de personnalite, que les traits que j'ai mis en evidence- immaturite, egocentrisme» (Michel Emirze, psychologue). Alors, pour­quoi les experts ont-ils accepte de repon­dre, que ce soit par la positive ou par la negative? «Parce que la question nous etait posee par Ie juge!», disent-ils en chreur.

Verite ou credibilite? Dans l'affaire d'Outreau, tous les enfants et adultes accusateurs ont ete qualifies de «credibles»; or les proci~s ont montre que certaines de leurs accusations etaient faus­ses. Erreur collective des experts? Pas for-

cement: mais peut-etre n'ont-ils pas suffi­samment souligne la difference entre «credibilite» et «verite». Des personnes seront qualifiees de «credibles» si l'on ne discerne pas chez elles de propension pathologique au mensonge (comme chez les mythomanes), ou de difficulte a separer Ie reel de l'imaginaire; mais elles sont sus­ceptibles de mentir a l'occasion ... comme vous etmoi! La verite des faits, les exper~s n'ont pas a l'etablir, et ils ne sont pas en mesure de Ie faire;·c'est la tache des poli­ciers et des juges. Alors, a Outreau, faut-il blamer les experts? Ou Ie juge, qui a fait comme si l'etiquette «credible» garantissaitla verite, et Ie dis­pensait de la chercher dans un examen attentif des comptes-rendus d'auditions, d'enquetes policieres? Prenons un seul exemple: Pierre Martel est inculpe parce que l'un des enfants Delay l'accuse d'avoir

Comprendre.

caresse son frere «if la fete des Meres de l'an dernier» - donc en 2000 - et reconnait sur la photb d'un groupe d'enfants Ie fils de P. Martel; et M. Badaoui confirme l'accusa­tion de viol. Or, selon l'enquete, Ie fils Martel etait age de 20 ansal'epoque; et Ie jour de la fete des Meres de l'an 2000, P. Martel avait participe toute la journee a un tournoi de golf. DOlic ni l'enfant ni la mere n'avaient dit la verite sur ce point - ce qui aurait du pous­ser a la mefiance! Enfin, les membres de la commission Outreau ontvivemeht regrette que les experts aient rencontre S1 peu de contradiction. Les avo cats des accuses ont bien reclame des contre-expertises, mais Ie juge a rejete toutes ces demandes. II en avait Ie droit, mais, en consequence, c'est seulement au moment du premier proces que les avo cats des accuses ont confrorite les experts, soit trois ans apres la remise des rapports. Est -ce a dIre que l'expertise psychologique et psychiatrique ne sert a rien? Certaine­ment pas: Ie psychiatre peut diagnostiquer une maladie mentale, et emettre un avis \ralable - meme si c'est difficile, comme nous l'avonsvu - sur Ie discernenient de l'accuse au moment des faits; Ie psycholo­gue peut tracer un portrait nuance de sa personnalite, de son fonctionnement psy­chique; de son niveau mental. Tenir compte, pour sanctionner un acte crim:i­nel, dela personnalite et del'histoire devie de son auteur, c'est un apport fort utile. Mais si juges et jures cherchent, dans Ie J' portrait de l'accuse, la preuve de sa culpa­bilite, une catastrophe judiciaire devient possible .•

(1) «Au nom du peuple fran9ais. Juger apres

Outreau», Commission d'enquete de l'Assemblee

nationale, XII" legislature, juin 2006.

(2) Nicolas Combalbert et a/., "Etllde de la

concordance des diagnostics psychiatriques et

psychologiques dans un echantillon de 505

criminels», Revue europeenne de psych%gie

appliquee, vol. LlX, n° 1, janvier 2009.

(3) Marie-Christine Gryson-Dejehansart,

Outreau. La verite abusee, Hugo & Cie, 2009.

(4) Voir Claudie Bert, "Les faux souvenirs»,

Sciences Humaines, n° 97, aoOt-septembre 1999.

Les memes recherches ont montre que I'on peut

fabriquer de faux souvenirs chez les adultes aussi,

mais plus difficilement.

Mars 2010 I SCIENCES HUMAlNES 29 N° 213

-- ----_.----

Page 5: Que Valent Les Expertises Psychologiques?

.Comprendre

Apres Outreau: ce qui doit changer

Comment ameliorer Ie systeme

judiciaire pour eviter de nouveaux

«Outreau» '? Un groupe de travail

du ministere de IaJustice et une

Commission d'enquete

pariementaire ont avance des

dizaines de propositions.

30 SciENCES HUMAINES I Mars 2010 N°213

~expertise Un decret de decembre 2004 impose aux experts, lorsqu'ils demandent Ie renouvel­lement de leur inscription sur la liste des experts jUdiciaires, de prouver leur expe­rience dans une specialite. Les expertises devraient faire l'objet d'un prerapport communique aux avo cats de la partie adverse, qui pourraient faire des observations; s'ils deinandent une contre­expertise, elle serait de droit. Des conferences de consensus devraient etre mises sur pied par les psychiatres d'une part, par les psychologues de l'autre, pour se mettre d'accord sur les tests, les diagnostics, etc., qui ont une validite scientifique suffisante pour etre utilises. Le rapport Viout (1) propose un modele de mission d'expertise en six questions. Des reunions uIterieures per­mettraient de delimiter les domaines respectifs du psychiatre, du psychologue

et du criminologue (notamment sollicite pour evaluer la dangerosite) dans les expertises judiciaires. On organiserait une formation specifique a l'expertise judiciaire. La remuneration des expertises serait reevaluee mais, en echange, Ie juge exer­cerait davantage de controle, en particu­lier sur Ie delai de remise des rapports. Une circulaire ministerielle demande aux magistrats de renoncer a poser aux experts des questions sur Ia «credibilite», et de prendre plus de distance avec les rapports des experts. _ C.B.

Page 6: Que Valent Les Expertises Psychologiques?

Le temoignage des enfants Dne loi de 1998 rendait obligatoire l'enre­gistrement audiovisuel des auditions d'enfants se disant victimes de violences, sexuelles ou autres, a condition qu'ils y consentent. Ainsi peut-on leur eviter les interrogatoires multiples. Comment a-t­on une preuve de ce qu'ils ont dit? Faute de moyens, cette loi n'est guere appliquee: a Outreau, sept auditions sur une cen­taine ont fait l'objet d'un enregistrement, de si mauvaise qualite - salle bruyante, policier non forme a !'interrogation d'en­fants - que ces videos n'ont guere ete uti­lisees. Le ministere de la Justice a degage des credits pour l'achat de materiel, l'ame­nagement de salles, la formation de poli-i,\ ciers a !'interrogation d'enfants. La comJ~ mission Outreau donne en exemple la procedure britannique: salle amenagee, preparation de l'audition avec Ie concours d'un psychologue, observateur exterieur. L'enfant peut etre assiste d'un avocat, mais son consentement n'est pas obliga­toire. Autres suggestions: exiger des experts qu'ils voient ces videos, et en faire une copie pour les personnes accusees, afin d'eviter a l'enfant une confrontation aveceIles. A signaler aussi les suggestions pour ame­liorer la prise en charge des enfants victi­mes, la coordination entre services s'oc­cup ant de mineurs en danger. De 1995 a 2000, les quatre enfants Delay ont fait l'objet de quantite de rapports, y compris avec suspicion de violences sexuelles ; l'un d'eux a ete hospitalise onze fois en moins de trois ans sans qU'aucune maladie chro-

, nique Ie justifie; et tout cela n'a abouti a rien jusqu'a ce que la mere denonce son mari... Et les conditions dans lesqueUes ces enfants ont ete entendus par la police et ont temoigne devant Ie tribunal n'ont rien arrange ...• C.B.

(1) Rapport Viout, rapport du groupe de travail

charge de tirer les enseignements du traitement

judiciaire de I'affaire d'Outreau, du nom de Jean­

Olivier Viout qui a preside Ie groupe, La

Documentation frangaise, fevrier 2005.

I

Michel Lallement Est professeur titulaire de la Chaire d'analyse sociologique du travail et de I' emploi au CNAM.

En librairie, et sur commande a : edifio.,s.scie.,ceshutMai.,es.cotM ou par telephone au 03 86 72 07 00 Livraison so us 72 h en France metropolitaine Bon de commande page 74

Comprendre.

Mars 20lO I. SciENCES HUMAINES 31 N° 213