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Le journal de l’organisme « Tous les Enfants de l’Autre Monde » Projet QSF « De la rue à l’espoir… l’art comme outil de changement social » Édition 2015 Édition spéciale Québec Sans Frontières Cohorte Chili 2015

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Le journal de l’organisme « Tous les Enfants de l’Autre Monde »

Projet QSF

« De la rue à l’espoir… l’art comme outil de changement social »

Édition 2015

Édition spéciale

Québec Sans Frontières

Cohorte Chili 2015

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C’est avec un immense plaisir que nous vous dévoilons cette

édition spéciale du journal de T.E.A.M dédiée au programme QSF.

Vous y trouverez divers articles que nous avons écrits pendant et

après notre séjour à l’étranger, qui mettent en lumière de

nouveaux regards qu’a apporté le voyage dans nos vies

personnelles et professionnelles. Le programme «Québec Sans

Frontières» ainsi que l’implication des ONG T.E.A.M. et CIDETS

a permis à 10 jeunes femmes entre 21 et 34 ans de partir pendant 70

jours vivre une expérience hors du commun à Santiago au Chili.

Sans l’appui de CIDETS, notre organisme d’accueil, rien n’aurait

été possible. Nous tenons à remercier spécialement cet organisme

qui œuvre auprès des personnes vivant en contexte de rue.

La direction ainsi que l’équipe d’intervenants nous ont accueillies

chaleureusement et considérées comme faisant partie des leurs

tout au long du stage. Nous avons donc pu collaborer afin de

soutenir leurs différents projets en cours. Sans eux, nous n’aurions

pas le cœur encore au Chili!

Nous tenons également à remercier l’équipe de T.E.A.M d’avoir

cru en nous, en notre potentiel et en notre complémentarité en tant

que groupe. De nombreuses heures de travail ont été investies afin

de mettre sur pied ce projet d’initiation à la solidarité

internationale au Chili. Nous sommes fières d’avoir pu représenter l’organisme à l’étranger dans le cadre de sa

première édition de stage QSF ainsi que de contribuer au rayonnement de la solidarité internationale ici,

au Québec. C’est avec cœur et plusieurs nouveaux apprentissages réalisés que nous souhaitons vous dire merci!

À ce jour, plusieurs participantes du groupe s’apprêtent à repartir pour vivre une expérience en tant que

coopérantes en Amérique Latine et c’est en grande partie grâce à vous!

La cohorte QSF Chili 2015

Mot du groupe

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Sommaire:

P.2: Mot du groupe

P.3: Qu’est-ce que « Québec Sans Frontières »?

P.4-5: Qui sommes-nous? Prologue

P.6 à 9: Le travail de rue / « D’heures en heures » Mot de l’accompagnatrice P.10: « La coopération internationale… une façon différente de découvrir le monde » Un nouveau regard … sur ma vie personnelle P.11: « Mal de vivre, envie de vivre »

P12-13: « Ne détournes pas les yeux, regarde-moi! »

P.14-15: « La langue: un pont entre soi et le monde »

P.16-17: « Le retour » Un nouveau regard … sur ma vie professionnelle

P.18-19: « Une porte toute grande vers un travail rempli d’humanité »

P.20-21: « Le travail de rue: ma vision, mon expérience » Notre fin de stage P.22-23: « Il était une fois…le Festival de Todas las Artes»

P.24: Remerciements

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Qu’estQu’est--ce que «ce que « Québec Sans FrontièresQuébec Sans Frontières »?»?

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Le programme « Québec Sans Frontières » (QSF) permet aux Québécois(es) de 18 à 35 ans de réaliser

des stages d’initiation à la solidarité internationale en Afrique Francophone, en Amérique Latine, dans les

Antilles et en Asie–Pacifique au sein d’un organisme de coopération internationale (OCI). Il s’agit d’un

programme financé par le Ministère des Relations Internationales et de la Francophonie (MRIF).

Qu’estQu’est--ce que «ce que « Québec Sans FrontièresQuébec Sans Frontières » avec T.E.A.M? » avec T.E.A.M?

«« De la rue à l’espoir... l’art comme outil de changement socialDe la rue à l’espoir... l’art comme outil de changement social »»

Dans le cadre de sa première participation au

programme, l’organisme de Mascouche a su se

démarquer et nous a charmé avec le projet le

plus populaire des QSF pour l’édition 2014-2015!

Plus de 80 personnes ont démontré leur intérêt

pour vivre cette aventure au Chili. Après un

processus de sélection humain et hors du

commun réalisé par l’équipe de T.E.A.M,

9 stagiaires et une personne accompagnatrice

ont été choisis pour s’envoler au Chili à l’été

2015. À Santiago, un organisme communautaire

intervenant auprès des personnes vivant

en contexte de rue ainsi que des enfants et

jeunes à risque a accueilli le groupe. Des familles

de La Pintana ont également accepté d’héberger

les participantes afin de leur permettre de vivre

une immersion dans le quotidien chilien.

Pendant 70 jours, une collaboration entre 10 Québécoises et l’équipe de l’ONG CIDETS a vu le jour, ce qui

a permis une implication autant dans le cadre de l’hébergement des personnes sans-abris que dans des

sphères telles que la réinsertion scolaire et la prévention du décrochage. Tous les jours, les filles pouvaient

également contribuer à la distribution de denrées et de vêtements, dans l’organisation d’ateliers artistiques

pour les personnes de la rue ainsi que dans la planification de la 1re édition du « Festival de l’Art sous

toutes ses formes ». Une belle réussite qui confirme la pertinence d’organiser une suite à ce projet...

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Qui sommesQui sommes--nous?nous?

Marie-Pier Larouche, notre accompagnatrice. Originaire de Québec, Marie-Pier en était à sa première expérience d’accompagnement. Elle a cependant voyagé et vécu dans plusieurs pays d’Amérique Latine. Technicienne en éducation spécialisée de formation, elle ne tient pas en place au Québec, toujours à la recherche d’un nouveau départ !

Camille Proulx, notre littéraire. Camille a un baccalauréat en Littérature et s’intéresse aux auteures chiliennes afin d’en faire un sujet de maîtrise. D’une âme sensible aux différents enjeux, elle est notre mouton noir. La seule n’ayant pas un bagage d’études en intervention, elle s’est lancée dans ce défi comme si c’était naturel.

Estelle Arcand, notre gymnaste. Originaire de Terrebonne, Estelle ne tient pas en place, même au Chili. Active dans sa créativité et dans son corps, elle est toujours à la recherche d’un nouveau défi de cirque, de danse ou de sport. Elle est présentement aux études en psychoéducation et travaille dans un centre d’appel à Montréal.

Christine Sauvé, notre spirituelle. Christine a trouvé une nouvelle corde à son arc en coopération internationale. Avec son baccalauréat en psychoéducation en poche, elle vole maintenant vers de nouveaux horizons! Elle a su rapprocher le groupe grâce à ses conseils spirituels axés sur le lâcher-prise!

Émile Bourque, notre artiste. En plus d’être diplômée en travail social, Émilie est l’une des grandes mobilisées pour une justice meilleure. C’est une femme sensible qui a le cœur sur la main. Elle a vécu l’expérience du Chili comme une ouverture vers le peuple, encore plus qu’elle l’était déjà.

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Wara Montecinos, notre andine. Avec ses origines boliviennes, Wara était comme un poisson dans l’eau en terre chilienne. Elle a su transmettre les valeurs de sa famille à notre groupe, la solidarité, l’amour inconditionnel et le partage. Avec son diplôme en psychosociologie, elle a de grands projets pour les pays du Sud. Le voyage a été le coup d’envoi vers ses racines.

Janeth Lopez, notre fée-marraine. Originaire du Salvador, Janeth se fondait dans la masse chilienne. Familiale, maternelle malgré elle, Janeth est l’empathie sur patte. Avec beaucoup d’expérience avec les femmes en situation de violence conjugale, elle a été un plus pour tous (usagers, famille et nous) avec sa grande écoute apaisante!

Marie-Anik B. Gagnon, notre marginale. Marie-Anik est probablement le meilleur exemple d’équilibre entre la sensibilité et la force. Fine représentatrice des gens de la rue, en particulier des hommes, elle a beaucoup partagé son expérience pertinente avec nous. Le voyage a été pour elle une ouverture sur nulle autre qu’elle-même.

Élizabeth Dupont, notre communicatrice. Élizabeth était à la découverte d’une nouvelle partie d’elle avant même de mettre les pieds au Chili. Ex-journaliste, elle a fait le grand saut vers les gens. Nouvellement étudiante en travail social, elle a découvert un monde et une culture qui a fait tourner sa vie sur 180 degrés!

Caroline Beauchamp, notre sportive. Un envol dans tous les sens du terme a été vécu par Caroline dès l’entrevue avec T.E.A.M. Pour une fois dans sa carrière, elle s’est choisie et a décidé d’oser! Nous l’avons vu épanouie au Chili, surtout au moment de jouer au soccer avec les gens de la rue! Femme de cœur, d’écoute et très sensible aux autres, elle a été, et est encore, une figure rassurante pour toutes.

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Par Élizabeth Dupont

LE TRAVAIL DE RUE

18h00 Le soleil va bientôt se coucher. C’est l’heure à laquelle le ciel se peinture de ses couleurs de feu et que les montagnes virent au rouge à travers le mince voile grisâtre de la dense pollution de la ville. Chaque soir, le même spectacle m’impressionne autant, même si cela fait déjà un mois que je suis ici. Nous en sommes à préparer les dernières victuailles pour la route de rue (Ruta calle) avec deux intervenants, le chauffeur, Éloy et sa comparse Wendolina qui fait le relais avec la centrale et remplit les papiers. Ici existe un système de centrale nationale qui prend les appels signalant des personnes vivant dans la rue et qui paraissent en détresse. Depuis 10 ans, ce programme commence en juin et se termine en octobre, les mois les plus froids de l’année ici, au Chili. Le principe est simple: nous avons des quartiers sous notre gouverne: Macul, Puente Alto, La Florida et La Pintana. À bord de la camionnette, nous avons chandails chauds, petites culottes, bas chauds, tuques et mitaines, couvertures chaudes, kits hygiéniques et surtout, 30 repas chauds de même que du café et du thé. Nous avons une liste de gens qui ont utilisé le même système dans les années passées et qui vivent dans ces quartiers. Nous avons aussi de nouveaux endroits à visiter où possiblement se trouveraient des gens de la rue en raison du côté stratégique du lieu, par exemple les bouches de métro, les terrains vagues, les écoles démolies et les dépotoirs. Notre objectif est de répartir les victuailles et surtout la nourriture chaude entre ces gens d’ici minuit. Par ailleurs, il nous faut répondre à la centrale qui peut nous contacter si elle reçoit des alertes au cours de la soirée. Dans le cas où des personnes en situation extrême manifesteraient leur volonté de faire leur entrée dans une auberge temporaire d’hiver, nous devons valider s’il y a un espace et si la personne n’est pas trop sous les effets de l’alcool ou de la drogue. Nous devons aussi la transporter jusqu’à cet endroit. Il nous faut également collecter des données sur les gens rencontrés telles que leur nom, âge et numéro d’identité pour les inscrire dans le système. Ce soir, nous travaillons au nom du gouvernement qui, à travers ce projet, tend un poil de doigt aux personnes vulnérables qui ne font pas partie du système. Comme une manière détournée de se décharger de sa culpabilité face à la situation. Le défi me paraît excitant, bien que je ne sache pas trop à quoi m’attendre. J’ai déjà été dans la rue, mais de soir, c’est différent. Il fait bien plus froid. Pas le temps de jaser ni de faire de l’intervention trop longtemps. Il faut faire vite pour distribuer la nourriture sans qu’elle ne refroidisse. Notre mission n’est pas de sauver la vie des gens, mais dans certains cas, on n’en est pas loin! ***

PROLOGUE

D’heures en heures

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19h30 Nous sommes à la Pintana, à quelques pas de ma maison, dans un parc où je suis passée

à de maintes reprises en pleine journée (NDRL: je n’ai pas le droit de sortir à pied dépassé 20h pour des raisons de sécurité). Le hic, c’est que ça ne ressemble en rien à ce que je connais de ce même endroit. J’ai l’impression d’être ailleurs. Il y a des matelas crasseux sur le sol et des gens, enterrés dans les couvertures qui dorment, à peine adossés sur un petit muret en ciment. Un feu de cochonneries brûle près d’eux. Un amas de cartons et de vieux vêtements sales trône à leurs côtés. Ces gens n’ont absolument rien dans la vie. Ils sont deux. Un homme alcoolique et une femme. L’homme se réveille quand Wendolina l’appelle par son nom. Il veut parler. On prépare cafés et nourriture. La femme se fait moins bavarde. Difficile d’estimer leur âge. Leur visage est noirci et les rides sur leur visage sont profondes. Ils paraissent dans la quarantaine, mais après coup, je crois que je devrais réviser cette estimation à la baisse, car j’ai été surprise par le jeune âge de d’autres personnes qui paraissaient dans la quarantaine. L’homme ouvre son carton de nourriture, mais ne mange pas. Il veut parler. Il est content de connaître du monde du Canada. Il aimerait voir ce pays. Il avoue sans retenue qu’il a un problème de consommation, ce qui explique son état. Il s’en excuse. Parle. Beaucoup. Il a tant de choses à dire. Il ne mange pas. L’intervenante lui dit de manger pendant que c’est chaud. Il parle. Nous devons partir, nous avons encore beaucoup de nourriture à distribuer...

***

20h30 Nous traversons un passage au-dessus de l’autoroute. Je suis passée ici plusieurs fois en taxi avec ma famille, entre La Pintana et Puente Alto. Mais je n’ai jamais rien remarqué outre les graffitis sur les murets séparant la petite route de l’autoroute payante. La camionnette s’arrête au milieu de nul part. Eloy klaxonne. Je me demande d’où pourraient venir les gens. Soudainement, une petite femme mince surnommée avec justesse la flaquita (maigrichonne) sort de derrière un parapet de béton, suivie par un homme tout aussi mince. Ils ont faim, connaissent les travailleurs. Ils travaillent au coin du passage, nettoient les vitres pendant que la lumière est rouge. On leur remet la nourriture et quelques vêtements, en plus de la poudre de café pour le lendemain matin. La flaquita demande du lait en poudre parce que c’est nourrissant. Je ne comprends pas trop où ils vivent de l’autre côté du petit parapet de béton. On repart et on longe le parapet. Au bout, au coin de la rue, je remarque qu’il y a un amas de débris, cela permet de faire un petit abri contre le muret. Ils sont 4 ou 5 à y vivre. Ma vision des autoroutes vient de changer radicalement. On m’avait parlé des rucos, ces habitations de fortune où vivent des gens de la rue. On m’avait dit qu’il y en avait près des autoroutes, mais je n’aurais jamais pu imaginer que des gens pouvaient dormir sur le sol, séparés de l’autoroute par un simple muret en béton.

***

21h15 Nous sommes dans un parc, je ne sais plus dans quel quartier. Un homme s’étant attribué le nom de Victor Hugo, poète des pauvres oubliés, vit ici. Il dort sous un jeu d’enfant, dans une boîte en carton. Un plastique lui sert de couverture. Les intervenants le connaissent bien et il semble déterminé à régler ses problèmes de consommation. Il ne se sent pas bien, il a arrêté drogue et alcool le jour même. On le fait monter à bord pour qu’il se réchauffe et puisse boire un café. Il refuse de manger. On téléphone à la centrale pour trouver un lieu d’hébergement. On obtient une réponse positive. Pendant que Victor Hugo termine son café, je pars avec l’intervenante à travers le parc. Un peu plus loin, il y a un stationnement de supermarché. Juste à côté, un petit campement et un abri de fortune. De là sort une femme toute maigre et super maquillée. Ils sont quatre à y vivre dont un enfant. On retourne chercher des victuailles pendant que Wendolina m’explique que ces femmes sont des prostituées.

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On roule avec Victor Hugo à bord, vers le lieu d’hébergement où il pourra vraisemblablement passer l’hiver et espérer avoir de l’aide pour entamer une cure. Il semble résigné, lui qui vit dans la rue depuis pas moins de 20 ans. J’imagine que pour lui c’est difficile de quitter cet endroit. Après tout, même si cette boîte de carton ne vaut pas un lit chaud, c’était SON chez soi. SON endroit à lui, la seule chose qui lui appartient même si ce n’est RIEN. Rendus à l’hébergement, une femme nous reçoit de son air satisfaisant, en signifiant qu’il y a eu malentendu. L’endroit pouvait prendre une femme, mais pas un homme. Résultat: Victor Hugo, à nos côtés, entend de la bouche de la femme qu’on ne veut pas de lui encore, lui qui avait finalement accepté de sortir de la rue, un pas tellement difficile à franchir. J’avoue que là, j’ai avalé de travers et que j’étais pas mal en colère. Les intervenants ont passé un appel et ont finalement pris la décision d’exceptionnellement ramener l’homme à l’hospederia, où un lit l’attendra de façon temporaire. Après, difficile de dire ce qu’il adviendra du poète des oubliés qui, pendant cette froide soirée, a été encore oublié, comme s’il ne l’avait pas été déjà assez… ***

22h00 Un appel de la centrale nous donne une alerte pour une femme vivant sur une rue très fréquentée. On s’y rend. On cherche. On ne trouve pas. Il est difficile de s’arrêter sur une route si passante. On la trouve finalement. Elle est debout, seule contre un arbre. Elle semble en détresse. L’intervenante explique qu’il vaut mieux qu’elle la rencontre seule. Elle revient après une minute. On repart. La femme refuse notre aide. Je ne comprends pas. On ne peut donc pas lui donner une couverture et un café seulement? On me répond que non, si elle ne veut rien, on ne peut rien faire. Ivan, un usager de l’hospederia qui accomplit quelques heures de volontariat exceptionnellement ce soir-là, me répond que la femme croit qu’elle ne vaut pas la peine. Il soutient que lui-même a déjà eu cette idée de lui, il n’y a pas si longtemps. J’ai froid. Je n’ai pas le goût de pleurer, mais j’ai froid après l’explication d’Ivan. Je prends conscience de ce sentiment de rejet si fort qu’on croit qu’on n’en vaut plus la peine. Je repense à comment je me sentais moi-même quand j’étais au fond du baril et que je pensais que je n’en valais pas la peine, moi non plus. Je comprends ce sentiment. J’ai froid dans le corps et le cœur. Dans mon âme aussi. Je repense au goût de ne plus vivre. Je pense avoir une idée de comment peut se sentir cette femme… ***

23h25 Il nous reste un plat chaud et une personne à rencontrer pour ce soir. Nous longeons un mur, Wendolina et moi. Elle marche devant. Au coin du mur, où commence un terrain vague empli de cochonneries, elle me demande de l’attendre. Elle revient. La personne que nous venons rencontrer est une femme et elle est en train de travailler avec un client. Elle accepte de faire une pause pour nous accompagner jusqu’à son campement de fortune. Nous la suivons pendant que le client attend, adossé au mur. On ne pourrait y voir que du feu, mais tout est clair pour nous. Seulement, nous ne sommes pas de la police alors les gens nous font confiance et n’ont pas peur. Je me sens étrangement en sécurité dans ce rôle. J’ai conscience de la chance que nous avons d’avoir cette confiance des gens qui vivent chaque jour dans la rue, en véritable état d’alerte, comme des animaux sauvages. Ils n’ont confiance en personne. Mais en nous, si.

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Nous marchons en suivant la femme pendant que l’homme attend encore. On dépose la nourriture sur le toit de la petite tente où elle vit, avec d’autres prostituées. C’est là que j’ai eu un déclic sur ce qu’on était vraiment en train de faire à ce moment précis, dans ce dépotoir, avec la prostituée. Je lui ai remis son café, avant de l’embrasser sur les joues comme toutes les autres personnes rencontrées pendant cette soirée. Je l’ai serrée un peu plus fort dans mes bras que les autres, je l’avoue. Cette femme de 31 ans, paraissant fatiguée et usée comme une femme de 50 ans, m’a remerciée et saluée. Nous sommes retournées, Wendolina et moi, vers la camionnette, pendant que la femme retournait terminer son travail avec le client. Imaginez la scène la plus trash que vous pouvez et vous avez à peu près une idée de la scène que j’ai vécue. C’était assez intense comme expérience... ***

1h00am Je suis dans mon lit chilien. Je viens d’accomplir ma première soirée de travail de rue. La semaine promet d’être vraiment riche en émotions et en expériences, mais contre toute attente, j’ai tenu le coup. Je ne savais pas trop comment je réagirais à la rue, aux dépotoirs, au froid glacial, aux gens écorchés vifs, aux odeurs très fortes, aux haleines trahissant une journée complète de beuverie, aux poux dans les cheveux et la barbe, à la saleté des lieux et des gens. Difficile d’imaginer comment on peut réagir en pareille situation. Je ne peux pas dire que j’ai l’impression d’avoir changé des vies, mais je me sens privilégiée d’avoir pu rencontrer ces gens. Je suis fière de constater que je peux faire ça. Pas que ce soit un exploit héroïque ou quoi que ce soit. Simplement, j’y arrive. J’ai pu repousser mes limites à ce niveau. Je garde mon sang-froid et l’intervenante, Wendolina m’a dit qu’elle était contente de travailler avec moi. Je ne pourrai jamais oublier les choses vécues pendant cette soirée. Je ne voulais pas me faire trop d’attentes face au stage et au travail de rue, mais j’ai l’impression que cette soirée a tout surpassé ce que j’aurais pu projeter. Il fait froid. Mais j’ai la chance ce soir de dormir dans un lit chaud. Ma famille chilienne n’est pas riche. On vit dans un quartier populaire assez difficile. Mais au moins, ils ont un vrai toit sur la tête. Ils ont de la chance. Et moi, encore plus. La vie est injuste. Je remets les choses en perspective et ça me fait vraiment chier que le monde soit si injuste. Que les vrais riches ne connaissent rien de la vraie pauvreté, de la vulnérabilité, du sentiment de peur de mourir à tout instant, de ne rien avoir… J’ai encore mille histoires de cette semaine passée à raconter. Je pense que je devrai écrire un autre livre sur la rue au retour... Les gens de la rue sont riches. Les riches de biens ont tout à apprendre d’eux. Je sais que vous avez déjà lu et entendu cela avant. Moi aussi. Mais là, je l’ai vécu. Je l’ai compris. Quand je le dis, je comprends exactement de quoi je parle.

Ça fait toute la différence à mon sens.

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La coopération internationale… une façon différente de découvrir le monde

Je cherchais un projet stimulant à l’étranger où je pourrais jouer le rôle d’accompagnatrice. Quand je suis allée voir les projets disponibles sur le site de QSF, le nom de l’organisme T.E.A.M. (Tous les Enfants de l’Autre Monde) a attiré mon attention. Vu la signification en français de « team », qui veut dire « équipe », j’avais dans l’idée que la simplicité ainsi que le travail en collaboration allaient être au rendez-vous. Le projet proposé s’intitulait « De la rue à l’espoir… l’art comme outil de changement social ». En tant qu’éducatrice spécialisée de formation, je voyais donc ce projet comme une très belle opportunité, tant au niveau personnel que professionnel. Suite à des expériences de coopération internationale en tant que stagiaire, il était important pour moi de voir comment un projet à l’étranger fonctionnait de A à Z. Je voulais donc vivre l’expérience d’accompagner un groupe afin de pouvoir élargir mon champ de compétences à l’international. C’est ainsi que je suis partie pour le Chili à l’été 2015, en tant que personne accompagnatrice d’un groupe de 9 jeunes femmes merveilleuses. Quel beau défi! Je dirais qu’occuper le rôle d’accompagnatrice me rendait un peu nerveuse en raison des responsabilités qui différaient de celles que j’avais eu précédemment en tant que stagiaire. Je me demandais si j’allais prendre les bonnes décisions, si j’allais respecter le budget, si les filles allaient être bien dans leur famille d’accueil, si le partenaire allait être satisfait… Au fur et à mesure que les formations pré-départ avaient lieu, je me sentais de mieux en mieux face au rôle que j’occupais dans le groupe. Je devenais de plus en plus à l’aise avec les responsabilités qui m’étaient confiées. L’ouverture d’esprit, la capacité d’adaptation ainsi que la transparence envers le groupe ont été pour moi des points très importants pour installer un climat de confiance entre les stagiaires, T.E.A.M et moi et ainsi s’assurer du bon déroulement du projet dans toutes ses étapes. Mon rôle d’accompagnatrice a été de savoir guider et encadrer le groupe tout au long du projet et de faire le pont entre T.E.A.M. et CIDETS (partenaire chilien), mais aussi d’accompagner chacune des stagiaires dans leurs cheminements et d’être disponible si elles en ressentaient le besoin. Je tenais à ce qu’elles vivent une expérience aussi merveilleuse que je l’avais déjà vécue! Vu mes responsabilités, j’ai été davantage en coordination que sur le terrain. Au travers de cette expérience, j’ai pris conscience que j’appréciais être plus en contact direct avec les gens que de coordonner le tout. J’ai eu la chance de vivre ma première expérience d’accompagnement avec des filles géniales, avec CIDETS au Chili, un organisme qui a beaucoup à offrir aux personnes en situation de rue et avec T.E.A.M. au Québec, avec qui il a été agréable et facile de travailler en collaboration. Bref, j’ai été choyée d’avoir pu vivre cette expérience aussi bien entourée!

UN MOT DE L’ACCOMPAGNATRICE Par Marie-Pier Larouche

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Par Caroline Beauchamp

Un nouveau regard… sur ma vie personnelle

Mal de vivre, envie de vivre

Parfois, les moments de vie les plus intenses laissent en nous des élans de

créativité. Parmi les ateliers artistiques construits dans le cadre de ce stage,

l’écriture a été l’un des médiums inspirants. De retour au Québec, ces élans restent...

Parfum de la honte Odeur nauséabonde

La rue a son odeur Intense comme chacun a sa valeur

Être et exister

Vivre et survivre Aimer et être aimé

La base d'une vie assurée

Un regard vrai Un sourire sincère

Pendant un moment La connexion monte

Chacun d'eux a son histoire

Histoire de douloureuses mémoires Regard à regard plus rien ne compte

les barrières tombent

Exclus ou mal aimés Marginaux ou anormaux

Épreuves de la vie Triompheront sans merci

Chemin sinueux ou tortueux

La pauvreté est un chemin Chemin sans flambeaux

La pauvreté est son destin

Si un regard, un sourire est un phare radieux

Une lanterne d'espérance on y voit la flamme grandissant...

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Il y a un avant et un après. Mon regard sur le monde a changé au cours de cette année. Cet été,

j’ai été pour la première fois en contact avec « les gens de la rue », avec leur quotidien. Oh! bien

sûr, j’en ai croisé tout plein des itinérants, des squeegees, des poqués de la vie, en huit années

d’études à Montréal! Je les ai ignorés bien des fois, surtout au début quand j’étais fraîchement

sortie de ma campagne estrienne. J’ai appris à leur sourire au fil des ans, avec un petit regard

désolé de ne rien leur donner la plupart du temps. Je les côtoyais de l’extérieur, de très très loin.

Je ne connaissais pas leurs noms, ni leurs histoires, je ne savais rien de leurs rêves.

Cet été, durant dix semaines, je suis allée à leur rencontre. À des milliers de kilomètres du

Québec, j’ai enfin franchi la distance qui me séparait des « gens de la rue ». Au Chili, j’ai surtout

rencontré des êtres humains, tout simplement. De tous les âges, de tous les chemins,

une population variée, à l’image de la société qui les écarte sans même les connaître, avec un

petit regard désolé.

J’avais peur. J’avais peur de

rencontrer des gens amers,

agressifs, habitués à jouer aux

durs. J’ai au contraire

rencontré des sourires, un

accueil, une générosité sans

bornes, des êtres sensibles

happés par la vie, de grandes

souffrances et une force

immense, une gigantesque

résilience. J’ai rencontré

Pancho, Iván, Mónica, Jorge, Cabro Chico, Pichichi, Nora, Don Raúl, Juan Jo, Carmen.

J’ai compris qu’on n’atterrit pas soudainement dans la rue, mais qu’on y est aspiré. Qu’on y vit

bien souvent dans l’ignorance et l’indifférence, qu’on y souffre beaucoup et qu’on y trouve aussi

Par Camille Proulx

No vuelvas tu mirada, ¡Mirame!

Ne détourne pas les yeux, regarde-moi!

Un nouveau regard… sur ma vie personnelle

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énormément : une communauté, une identité, de quoi endormir nos peines et rire quand même.

Oui, j’ai vu comment on peut d’un même souffle rire et s’autodétruire à petit feu, donner et

gueuler dans la même seconde. J’ai compris que la dévalorisation s’apprend jeune, que l’étiquette

de moins que rien, de sous-humain, fait courber les épaules et appesantit les cœurs. J’ai compris

que la rue est un cycle.

Cet été, j’ai bien vu qu’un système basé sur le profit n’engendre pas la richesse, mais bien plus

souvent la misère et la peine. La rue, c’est l’ultime marge où le néolibéralisme institué pousse ses

citoyen-ne-s à vivre. Et lorsqu’on vivote au seuil de la pauvreté, au seuil de l’humanité, comme

les 12 000 sans-abris du Chili et les 3 000 itinérants de Montréal, rares sont les portes qui

restent ouvertes, rares sont les occasions de retrouver la dignité humaine. Cet été, j’ai compris

que la rue est la marque visible de la sauvagerie d’un système priorisant les biens et dévalorisant

les humains.

Cet été, je suis allée à la rencontre de Pancho, Iván, Mónica, Jorge, Cabro Chico, Pichichi, Nora,

Don Raúl, Juan Jo, Carmen. J’ai partagé leur quotidien. Je ne les reverrai probablement pas. Ils et

elles ne sortiront pas tous et toutes de la rue malgré leur force et leur désir de vivre; certains

dommages sont difficilement réversibles. J’ai appris à voir autrement, grâce à eux et à tous ces

autres que j’ai croisé l’espace d’un instant. J’ai compris que l’humanité se trouve en toute chose

et qu’un sourire est un bien essentiel. Une lutte est à mener pour Pancho, Iván, Mónica, Jorge,

Cabro Chico, Pichichi, Nora, Don Raúl, Juan Jo, Carmen. Pour eux, mais aussi pour Yvon, Mo-

nique, Georges, Ti-Pit, Gus, Marcel, Jeanne et tous les autres d’ici et d’ailleurs qu’on oublie,

comme société, de considérer à leur juste valeur.

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Par Camille Proulx

Un nouveau regard… sur ma vie personnelle

No vuelvas tu mirada, ¡Mirame!

Ne détourne pas les yeux, regarde-moi!

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C’est souvent lorsqu’on est malade qu’on réalise à quel point la santé est bonne, mais qu’elle est aussi

prise pour acquis! Se retrouver dans un monde où l’on perd notre capacité à échanger avec celui-ci peut

faire le même effet. L’apprentissage d’une nouvelle langue comporte son lot de défis, mais aussi de

découvertes enrichissantes. Je soulèverai dans cet article quelques aspects tirés de mon expérience

personnelle, qui j’espère, pourront en inspirer d’autres. Ne sachant pas bien parler l’espagnol, mon

arrivée dans une famille, une communauté, un milieu de travail et un nouvel environnement parlant

seulement espagnol m’a d’abord stimulée. J’étais bien heureuse d’avoir une telle opportunité

d’apprentissage! Mais c’est en commençant à parler avec la famille, lors de notre arrivée, que ma bulle

s’est vite fait crever. Je me suis vite sentie limitée dans mon partage, ne sachant pas comment leur

communiquer ce que j’avais tant envie de leur communiquer. Cette situation s’est ensuite répétée dans

mon milieu de travail et avec tous ceux que je croisais sur ma route. J’avais la chance de rencontrer de

superbes personnes, riches d’expériences et de sagesse, mais j’étais condamnée à leur répondre la plupart

du temps par des hochements de tête et des « si, si!... ». Malgré mes intentions, certaines relations se

limitaient à du superficiel. Je me suis vite sentie en colère, car j’étais là pour partager, apprendre et

connecter avec des humains. Mais de toute évidence, j’étais confrontée à des barrières plus hautes que

ma volonté. À force de vivre ces limitations, mon estime de soi en a été affectée. Je me sentais si poche, je

voyais le sommet d’une montagne si haute et mes pas qui avançaient vers l’objectif si petits. J’ai compris à

quel point c’est demandant, en termes de patience, que d’écouter quelqu’un qui commence à parler une

nouvelle langue. C’est comme essayer de résoudre une énigme, déchiffrer un code. Je vivais avec une

petite de 2 ans dans ma famille et j’apprenais les mêmes mots de vocabulaire qu’elle. Nous étions au

même niveau. On se comprenait si bien en jouant, sans avoir à parler ensemble! Bref, je me sentais

régresser, redevenir un enfant (ce qui n’est pas si mal!) et rejetée, car d’autres parlaient beaucoup mieux

que moi. Ces émotions intenses que je vivais et le contexte de voyage m’ont permis de prendre un temps

d’introspection qui m’a été précieux et bénéfique. J’ai appris à gérer toutes ces petites émotions néfastes

qui font surface et qu’on ne s’occupe pas lorsqu’on est distrait par la routine. Je les ai acceptées,

reconnues, accueillies et aimées. J’ai appris à me redécouvrir, au-delà de celle qui est capable en temps

normal de communiquer verbalement. Je me suis ô combien posé la question: « Qui suis-je lorsque je ne

peux m’exprimer, lorsque je ne peux recevoir d’expression des autres, lorsque mes actions sont limitées

par des engagements et obligations que je ne me sens pas apte à remplir? » Les réponses sont donc

forcément venues! J’ai intérieurement cheminé en me redéfinissant au-delà des liens sociaux, qui font

tant partie de ma vie normalement! J’ai été plus observatrice que jamais. La barrière que j’avais construite

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Par Estelle Arcand

La langue: un pont entre soi et le monde

Un nouveau regard… sur ma vie professionnelle

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accepté de traverser, m’a mené à une compréhension plus large de nos réactions, de nos rôles sociaux, de

l’importance de l’expression et de la connexion sociale, etc. Évidemment, j’ai dû comprendre l’humain

au-delà des mots en étant à l’écoute du langage du corps. Les regards, les postures, les odeurs, le

contexte et les comportements sont des signes qui parlent tout autant que les mots. D’ailleurs, je crois

que la position d’observateur favorise l’intégration d’une personne dans un nouveau milieu, ce qui m’a

donc été bénéfique. Avec le temps et la persévérance vacillante, j’ai finalement développé mon espagnol

et pu nouer des liens uniques qui me sont chers. Lorsque je suis partie, je considérais mon niveau

d’espagnol comme étant satisfaisant. Et il faut dire que j’étais surtout très fière de moi! Je pouvais parler

de politique, d’amour et de révolution à souhait! Mais le plus important, et cela nous paraît souvent si

simple, c’est d’écouter. Écouter les mots, mais écouter ce qu’ils recèlent de plus profond, d’inaccessible

pour les oreilles.

En vain, j’ai peut-être quelques trucs à vous partager, tirés d’erreurs et d’expériences :

Trouvez-vous un maître, un enseignant ; quelqu’un avec qui vous aurez une connexion particulière et qui a la patience de vous apprendre.

Intéressez-vous constamment à l’autre, même si vous ne comprenez pas tout : on en prend, on en laisse!

NE faites PAS comme si vous aviez tout compris parce que cela peut générer des situations d’embarras et parfois même des problèmes…

SOURIREZ et RIEZ (les erreurs de langage sont très drôles!)

Allez vers les enfants (ils sont au même niveau de communication que vous!)

Forcez-vous à parler même si c’est de base et superficiel comme sujet. C’est comme ça qu’on apprend!

Donnez-vous le temps… Nous sommes dans une société qui est habituée à peser sur un bouton et obtenir ce qu’elle veut. Mais vous n’êtes pas des robots! Apprendre nécessite du temps.

Acceptez vos sentiments négatifs au lieu d’y réagir et de vous laisser envahir par ceux-ci. Donnez-vous de l’amour et de la compassion.

ÉCRIVEZ dans un journal, car vous vivrez assurément des apprentissages très riches… sur vous, la langue, la culture, les gens, etc.

Ainsi, le voyage est très formateur! Il nous offre la possibilité d’acquérir de nouveaux outils et d’évoluer vers des horizons parfois inconnus et parfois négligés parce que trop côtoyés. Le recul nécessaire sur certaines choses nous fait progresser de façon insoupçonnée. Profitez-en! Je vous souhaite donc de connecter à votre manière avec ceux qui se présenteront sur votre passage. Bon voyage!

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Par Estelle Arcand

La langue: un pont entre soi et le monde

Un nouveau regard… sur ma vie professionnelle

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Le retour… La peur d’émerger plutôt que de plonger On pourrait croire que de prendre le large et de plonger dans des eaux inconnues est une chose difficile à faire. En fait, j’avais cette impression avant de m’y plonger. J’avais terrée en moi cette peur de l’eau froide et inconnue. Celle qui glace le corps et donne l’impression de le transpercer à coup de poignards. Cette eau agitée et épeurante qui donne le goût de mourir parce qu’on ne peut s’imaginer revoir le large un jour et en ressortir vivant. Celle qui donne envie de se laisser couler doucement au fond comme une pierre. J’appréhendais tellement ce choc! J’avais cette peur de plonger et de me noyer parce qu’en fait, je ne sais pas trop comment nager. Je me débats habituellement dans les choses qui me sont inconnues, mais la plupart du temps, j’arrive à garder la tête hors de l’eau, bien qu’en-dessous de la surface, je nage avec peine. Je tangue facilement. Je manque d’assurance. Je peine à garder le cap quand les eaux s’agitent autour de moi. Je perds mon sang-froid. Je préfère me laisser couler que de persister perpétuellement quand je sais que c’est perdu d’avance. Du moins, c’est ce que je crains la plupart du temps. J’avais pourtant cette fois le goût de me jeter dans cette mer de choses inconnues. J’avais cette soif de l’aventure, bien que j’étais terrorisée au fond de moi. Bien que je ne voulais pas me l’affirmer. *** Aujourd’hui, à la veille d’émerger, je comprends. On peut nager allègrement dans l’inconnu. On peut posséder cette capacité de s’adapter à de nouvelles sensations. Cela fait plus d’un mois et demi que je nage dans cette eau qui ne me paraît pas si froide finalement. Le choc que j’anticipais tant ne s’est jamais présenté. Sans un regard en arrière, je me suis jetée à l’eau et depuis je vogue doucement. Je me laisse porter au gré des marées.

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Je flotte plus que je ne coule.

Au fond, je sais nager.

En fait, ce n’était pas tant mon entrée à l’eau que j’aurais dû craindre depuis le départ autant

que le fait d’en ressortir. Il sera difficile au bout du compte de quitter cette eau calme dans

laquelle je nage désormais sans peine.

Jamais je n’aurais pu croire que je me sentirais aussi bien dans l’inconnu, cette chose qui nous

paraît tellement effroyable lorsqu’on la perçoit de l’autre côté, quand on se réconforte

simplement dans ce qui nous est connu. Ce sera au contraire le fait d’en émerger,

de sortir mon corps de cette nouvelle mer qui me sera pénible.

Cette sortie de l’eau me fait peur.

C’est elle qui me donne envie de me laisser couler pour ne pas qu’on m’en sorte.

J’ai maintenant la peur de cette douleur dans les poumons quand je prendrai ces premières

respirations hors de l’eau. Cet air qui brûle l’intérieur. Cette douleur lancinante qui

nous assaie violemment quand on nous extirpe de la mer intérieure de notre mère.

Ce premier contact avec l’air tellement violent lorsqu’on nous donne la vie

mais que l’on oublie, tant il est douloureux.

Et pourtant, cette sortie de l’eau, je la sais inévitable.

C’est pourquoi je la redoute en ce moment.

Je réalise que les perceptions peuvent changer et s’inverser totalement en un rien de temps.

Rien n’est jamais définitif. J’en ai maintenant la certitude.

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Le retour…

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Le travail de rue. Un désir caressé depuis mes études en travail social. Enfin, j'avais trouvé une pratique

d'intervention qui faisait sens pour moi : aller à la rencontre des gens dans leur milieu, leur intimité, dans

l'espace public. Briser les barrières que peuvent créer une ambiance cadrée et cadrante de bureau, avec

rendez-vous et tout le blabla structuré et les obligations qui la sous-tendent. Aller à la rencontre des

gens dans leur zone de confort, ne pas les brusquer. Se laisser le temps de se laisser apprivoiser, d'être

comme un vieux meuble mouvant aux yeux des gens du quartier. Ne pas forcer les choses, forcer le

contact, le lien. Laisser les gens venir à soi. Et puis hop! Une relation qui s'installe doucement, un lien de

confiance qui se tisse entre deux individus. Pour moi, c'était ça le réel travail social. Le travail de rue.

C'est ce lien que je suis venue chercher à environ 8777 kilomètres de chez moi, dans le fin fond de

l'Amérique du Sud. Pourquoi si loin? La curiosité. La curiosité de renouer avec l’Amérique Latine qui a

laissé une marque indélébile sur mon cœur.

La curiosité de voir comment se vivent les

inégalités sociales dans ce pays si connu

pour sa longue dictature militaire.

La curiosité de connaître comment les gens

en situation de rue font pour vivre, ou

plutôt survivre. La curiosité d'apprendre

d'autres façons de faire de l'intervention.

La curiosité de voir et de vivre la solidarité à

une autre échelle; avec l'envie secrète de me

redonner un peu confiance en la race humaine qui peut faire autre chose que de détruire, mais peut aussi

reconstruire et s'unir. Finalement, la curiosité de me permettre de vivre une aventure qui allait sûrement

me changer; de cœur, de tête et d’esprit.

C'est cela que je suis venue chercher avec le stage en travail de rue de T.E.A.M. et CIDETS. J'avais envie

de tenter l’expérience. De l'expérimenter plutôt que de rester dans mes questionnements. Et c'est là que

l'aventure a commencée. L'ouverture toute grande d'une porte sur un travail rempli d'humanité. Et puis

vint le premier jour du projet Ruta Calle (projet financé par le Ministerio del Desarollo Social de Chile pour une

période de 5 mois en hiver). Des équipes en voiture sont reliées à une centrale d'alerte et apportent du

soutien de première instance aux personnes en situation de rue : café et thé, nourriture, vêtements, soins

médicaux, une oreille pour l'écoute, référence à des auberges, etc. Enfin! Le travail de rue. Une excitation.

Par Emilie Bourque

Une porte toute grande vers un travail rempli d’humanité...

Un nouveau regard… sur ma vie professionnelle

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Un chatouillement au ventre. Une peur naissante. Comment les gens vont-ils réagir à la présence de

gringas? Vont-ils refuser de nous parler? Que vais-je leur dire? Vais-je bloquer devant tant de misère?

Le laisser-aller. Se faire confiance et faire confiance à la vie. Allez Emilie, fais le grand saut dans le vide!

Le grand saut, oui. Un saut dans une réalité complètement différente de la mienne. Un saut qui allait me

permettre de me transformer. Étrangement, je m'y suis sentie bien. Dès le premier contact, tout s'est

enchaîné dans la simplicité. Malgré une réalité qui dépasse parfois le réel , les personnes rencontrées dans

la rue à Santiago nous ont accueillis avec générosité. Elles nous ont laissé entrer dans leur chez-eux, ces

rucos (abris de fortunes) plantés ça et là, individuels ou en petites communautés en pleine ville. Au milieu

de terrains déserts ou entre 2 tours à bureaux. J'y ai rencontré des personnes incroyables, qui ne

possèdent pas de biens matériels, mais sont plutôt riches de cœur. Elles ont partagé avec chacune d'entre

nous, à leur façon, un bout de leur histoire. Elles nous ont permis de les accompagner, l'espace de

quelques temps, sur leur route. Des chemins qui se croisent. Des chemins qui restent gravés à jamais

dans la mémoire. Et puis des sourires. Et puis des poignées de main chaleureuses et des câlins qui n'en

finissent plus. Un contact si doux et si vrai qui crée une proximité différente. Une relation d'égalité.

Je n'avais jamais vu ça au Québec, des intervenants qui serrent dans leurs bras des gens en situation

d'itinérance. Et j'ai trouvé cela beau. Briser les barrières. Une proximité qui crée un lien plus fort. Plus

humain. Plus vrai. C'est ce que j'aurai appris dans la rue à Santiago: savoir voir au-delà de ce que l'on

peut voir avec nos yeux. Savoir regarder avec son cœur. S'ouvrir aux gens qui nous entourent. Partager.

Échanger. Se transformer au contact de l'autre. Vivre ensemble. Sylvain nous l'avait souvent répété lors

des formations pré-départ: c'est un privilège de pouvoir côtoyer ces personnes. Plus que jamais, cette

phrase a pris un sens bien important pour moi. Oui, ce fût un réel privilège et un honneur de côtoyer les

personnes en situación de calle de Santiago. Merci...

Nous ne sommes pas venues changer le monde. Nous sommes venues changer notre vision du monde. Se

changer aux contacts de personnes qui vivent dans une réalité différente. Une réalité qui peut parfois

être plus proche que ce que l'on pense... Dans la rue. Rapporter un bout de cette expérience au Québec

pour la partager. Et créer une différence. Sensibiliser notre entourage à la situation de pauvreté et à la

désaffiliation sociale qui s'y colle malheureusement. Tisser des liens peu à peu pour créer un réel filet de

solidarité. S'unir. Se solidariser. S'entraider. Un pas de plus vers un changement social.

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Par Emilie Bourque

Une porte toute grande vers un travail rempli d’humanité...

Un nouveau regard… sur ma vie professionnelle

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Par Marie-Anik B. Gagnon

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Je suis étudiante en psychoéducation à l’Université de Montréal depuis 2012 et ma

première motivation a certainement été de faire une formation pour aider mon prochain.

J’ai toujours été sensible aux personnes vivant en marge de la société, aux personnes que la

société refuse d’écouter et de prendre en considération. J’ai également toujours été

concernée par les politiques sociales au Québec, en ce qui a trait aux personnes aux prises

avec des difficultés de consommation, aux personnes en situation d’itinérance ou avec des

problématiques de santé mentale. Je suis impliquée depuis près de 3 ans dans un organisme

communautaire, ici à Montréal, qui travaille en prévention des toxicomanies avec une

approche de réduction des méfaits (le GRIP Montréal). Je me sentais alors outillée pour aller

faire un stage dans un organisme œuvrant auprès d’une clientèle vivant sans domicile fixe.

Du haut de mes 22 ans, j’ai pu accomplir l’un de mes rêves à travers mon stage de

coopération internationale au Chili à l’été 2015. Avec un faible niveau d’espagnol, je me suis

lancée dans ce projet qui correspondait à mes valeurs et à mes intérêts. Pour moi, le travail

de rue est le travail le plus humanisant qui soit. Je me suis impliquée à quelques reprises

dans les collectes de seringues biannuelles auprès d’un organisme à Montréal et j’ai

personnellement connu des personnes aux prises avec des problématiques de

consommation, avec ou sans domicile fixe. J’ai une grande sensibilité face à ces individus

parce que pour moi, ils sont le reflet des limites de la société. Je me fais donc un devoir

d’aller les voir, de leur sourire, de discuter avec eux, de les écouter, de prendre le temps.

Le travail de rue, c’est d’aller à la rencontre de ces personnes que la société refuse d’écouter.

Ce sont les marginaux, les exclus, les rejetés de la société. Moi, je les vois comme des

personnes à part entière qui ont autant le droit d’être écoutées que celui en veston cravate

qui fait du 9 à 5 dans une tour à bureau. Ils s’habillent différemment, ils ont un parcours de

vie et des habitudes de vie différentes. C’est bien ainsi que je crois que nous devons les voir:

différents. Mais différents par rapport à quoi? À qui? Nous sommes tous différents. Nous

avons tous nos forces, nos difficultés, nos rêves, nos expériences passées, nos cicatrices. Qui

n’a pas besoin de se faire écouter quand il vit un stress ou un malaise? Qui n’a pas besoin

d’un peu de réconfort alors qu’il pleut à l’extérieur et qu’il fait un froid de canard? Tout le

monde. Nous sommes différents de l’extérieur, mais pourtant, nous partageons tous les

mêmes besoins. Ma motivation à faire du travail de rue réside essentiellement là: pourquoi

ils ne le mériteraient pas, eux aussi, de se faire écouter, d’avoir un peu de réconfort?

Un nouveau regard… sur ma vie professionnelle

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Page 21 L’Autre Monde des Enfants www.team-monde.org

Je n'avais jamais fait de travail de rue comme tel avant mon expérience au Chili. J'ai été

extrêmement choyée de pouvoir le faire. Mon niveau d'espagnol m'a beaucoup limité dans mes

interactions, certes, mais je crois que par ma présence positive, mon intérêt, ma considération et

mon empathie, j'ai pu tout de même tisser des liens avec certaines personnes là-bas et partager

des moments magiques. Leur réalité est particulière, mais non loin de celle que l'on peut voir ici.

C'est différent, mais ils ont les mêmes besoins. Le Chili m'a permis de mieux voir et comprendre

la réalité des personnes en situation d'itinérance aux prises plus souvent qu'autrement avec des

problématiques de consommation ou de santé mentale, d'aller au-delà des apparences.

Cependant, j'ai aussi compris que chacun de nous peut se retrouver dans cette situation un jour.

Lorsque l'on se donne la peine de les écouter, on se rend bien vite compte qu'ils ont eu des rêves,

ils ont eu des femmes ou des maris, des enfants, des emplois, une maison auparavant. Ils ont déjà

eu ce que nous possédons peut-être aujourd'hui. Peut-être même plus. Est-ce que nous avons

alors le droit de les juger, de les étiqueter comme "non-citoyens", de les exclure? Ils sont

humains. Autant que vous et moi. Il est donc de notre devoir, et j'en fais un personnel, d'aller à

leur rencontre et de les écouter ne serait-ce que pour un instant...

Par Marie-Anik B. Gagnon

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Mis à part en termes de miracle, je ne saurais pas comment qualifier le jour du

« Festival de l’Art sous toutes ses formes » le 24 juillet 2015...

Cet évènement était en quelque sorte l’apogée de notre aventure à Santiago au sein de

CIDETS, puisque c’était le dernier jour de notre stage. C’était aussi l’occasion de montrer ce

qui avait été fait pendant les ateliers d’art montés par nos collègues chiliens et quelques unes

d’entre nous, dont moi-même. Ainsi, des photos des usagers participant aux ateliers, mais

aussi tout le matériel produit dans les ateliers

(poésie, peinture, musique, sérigraphie, etc.) a été

exposé pendant la journée. Plusieurs gens de la rue

sont venus à l’intérieur des murs de l’Hospederia

pour l’occasion. C’était tout à fait magique de les

voir, tous ensemble réunis, pour cette journée

artistique mémorable.

En plus de les valoriser, ils ont pu briser la routine d’un quotidien difficile. C’était incroyable

de voir les sourires sur les lèvres de tout le monde. J’avoue que cela aura été mon grand coup

de coeur de tout ce que j’ai fait au Chili! Pendant deux semaines, nous avons offert aux gens

de la ressource d’hébergement des ateliers artistiques: peinture, écriture, musique,

sérigraphie, murale, photo, etc. J’ai eu la chance d’assister et de participer à plusieurs de ces

ateliers, certains animés par des travailleurs sociaux, d’autres par des artistes et un particu-

lier, celui de peinture, présenté en partie par un homme de la rue, Don Raul. C’était

incroyable de voir cet homme qui se donnait corps et âme pour préparer minutieusement son

atelier de peinture dont il avait la charge. Un homme doux, passionné d’art et tellement

talentueux. Il se passait quelque chose de

magique quand les gens venaient à son atelier et

qu’il donnait ses judicieux conseils. L’atelier de

photo présenté par des collègues chiliens aura

aussi été aussi riche en moments forts.

Ce même homme, Don Raul, qui prend ma

caméra professionnelle pour tirer le portrait

NOTRE FIN DE STAGE...

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d’un oiseau; cette femme, Nora, qui s’amuse en prenant des photos avec des amis de la rue

qu’elle a rencontrés par hasard lors de notre sortie photo… Des moments inoubliables!

Mon atelier d’écriture improvisé en quelques heures... Les participants qui me tirent presque

les larmes en lisant leurs écrits pendant les activités! Bref, le vendredi, jour ultime de travail

dans le cadre de notre séjour au Chili, c’était l’exposition et la présentation de tout ce qui a

été fait pendant les deux semaines d’ateliers. À mon entrée à l’Hospederia ce matin-là,

je savais que ce jour serait spécial. Des dizaines de photos captées pendant les ateliers étaient

affichées sur des cordes à linge partout dans la cour. C’est comme si l’Hospederia avait

emménagé complètement ailleurs!

Ce lieu empli de gens échoués

après le naufrage de leur vie, en

attente de retrouver la voie pour

naviguer mieux, était maintenant

rempli de sourires, de bonheur et

de joie. C’était incroyablement

beau à voir! J’étais ébahie devant ce

jour de miracle. Un vrai miracle

que de voir tous ces gens valorisés, souriant et partageant entre eux… Et nous qui avions le

privilège d’assister à tout cela et d’y contribuer. On n’a pas fait de grandes choses

extraordinaires, mais on a fait beaucoup de belles choses par le biais de ce projet.

Ce jour fut également l’occasion de voir que jamais plus rien ne sera comme avant, autant

pour l’organisme, les gens de la rue et pour nous toutes. Et déjà, c’était beau de voir que la

petite graine plantée et notre venue aura eu ses effets, puisque croyez-le ou non, les ateliers de

peinture avec Don Raul se poursuivent depuis plus d’un mois à l’Hospederia! De plus, un

concours de poésie a été organisé pour la fin octobre, avec un jury formé de professionnels du

domaine littéraire! Une belle continuité!

Bref, ce festival est une preuve que les arts étant mis à contribution, on peut voir apparaître

de très belles choses, même lorsqu’on pense qu’il n’y a plus d’espoir…

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Remerciements

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Bien sûr, rien de tout cela n’aurait été possible sans les partenaires…

Un immense merci à l‘équipe de Tous les Enfants de l’Autre Monde, à CIDETS, à Québec Sans Frontières

ainsi qu’au Ministère des Relations Internationales et de la Francophonie.

La cohorte QSF CHILI 2015