Quatre nuits avec le duc -...

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ELOISAJAMES

LESDUCHESSES–8

Quatrenuitsavecleduc

Traduitdel’anglais(États-Unis)parMaudGodoc

JamesEloisa

Quatrenuitsavecleduc

Lesduchesses8

Collection:AventuresetpassionsMaisond’édition:J’ailu

Traduitdel’anglais(États-Unis)parMaudGodoc

©EloisaJames,Inc.,2015Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016Dépôtlégal:mai2016

ISBNnumérique:9782290128398ISBNdupdfweb:9782290128411

Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290125403

CompositionnumériqueréaliséeparFacompo

Présentationdel’éditeur:Adolescente, Emilia a été humiliée par Vander Brody, futur duc de Pindar, dont elle s’était entichée. Elle s’est juré de l’oublier.Aujourd’hui, ladonneachangé.Toujourscélibataireàvingt-huitans,ellesaitqu’elledoitacquérirunepositionsocialerespectéesielleveutobtenir la tutelledesonneveu.Or, ilse trouvequ’ellepossèdeundocumentcompromettantqui,s’ilétaitdivulgué, feraitperdreàVandersontitreetsafortune.Emilian’hésitepasàlefairechanterpoursefaireépouseretVander,larageaucoeur,estbienobligédecéder.Magnanime,lajeunefillepensaitluirendresalibertéauboutd’unan,maislachasseressevaseretrouverpriseàsonproprepiège.

Biographiedel’auteur:ELOISA JAMES est diplômée deHarvard, spécialiste de Shakespeare. Professeure à l’université deNewYork, elle est auteure deromanceshistoriquestraduitesdanslemondeentier.

©RekhaGarton/ArcangelImages

©EloisaJames,Inc.,2015

Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2016

EloisaJames

Diplômée de Harvard, d’Oxford et de Yale, spécialiste de Shakespeare, elle est professeure à l’Université de New York et auteure deromanceshistoriques traduitesdanslemondeentier.Elleaétérécompenséepardenombreuxprixetses livressont traduitsdans lemondeentier.

DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu

LESSŒURSESSEX

1–LedestindesquatresœursN°8315

2–Embrasse-moi,AnnabelleN°8452

3–LeducapprivoiséN°8675

4–LeplaisirapprivoiséN°8786

LESPLAISIRS

1–Passiond’unenuitd’étéN°6211

2–LefrissondeminuitN°6452

3–PlaisirsinterditsN°6535

ILÉTAITUNEFOIS

1–AudouzièmecoupdeminuitN°10163

2–LabelleetlabêteN°10166

3–LaprincesseaupetitpoisN°10510

4–UnesivilaineduchesseN°10602

5–LajeunefilleàlatourN°10786

LESDUCHESSES

1–LadébutanteN°11065

2–LecoupleidéalN°11159

3–LadyHarrietN°11172

4–LadyIsidoreN°11184

5–JemmadeBeaumontN°11288

6–LeducdeVilliersN°11297

7–TroissemainesavecladyXN°11190

AumerveilleuxécrivainCathyMaxwell,quim’aracontélesrécitsdefougueuxpur-sangarabesmalheureuxd’êtreséparésdeceuxquileursontchers,puis

m’aenvoyéunephotod’elle-mêmesurunsublimeétalonquiaservidemodèleàJafir.

Etàmonmari,Alessandro.

Remerciements

Meslivressontcommelestrèsjeunesenfants:ilfautdumondepourlesaideràgrandir.Jeremerciedufondducœurmonpetitmondeàmoi:monéditrice,CarrieFeron;monagent,KimWitherspoon;monassistante, Linda Francis Lee ; les concepteurs de mon site Web, Wax Creative ; et mon équipepersonnelle:KimCastillo,AnneConnell,FranzecaDrouinetSharleneMartinMoore.JodyGaylem’aapportésonexpertiseconcernant lesmagazinesde l’époque,demêmequeCarolaDunn, incollablesurl’étiquetteetl’affectationdeslogesprivéesauxcourseshippiquessouslaRégenceanglaise.Jeremercieégalementtoutel’équipedeHarperCollins,desserviceséditoriaux,marketingetpresse,quiontfaitunmagnifiquetravail.Merciàchacundevous.

Prologue

Printemps1787,Récital,hôtelparticulierduducdeVilliersÀquinze ans, EmiliaGwendolynCarrington avait déjà une conception assez claire de l’enfer. Sa

gouvernanteluiavaittoutapprisdesneufcerclesdeDante.LepremieravaitcontraintMiaàfairesonentréedanslemondesousl’égided’unchaperonengagé

pourl’occasion,samèreétantdécédée.Ledeuxièmeavaitajoutéuneindignitébienplusaffreuse:sonpèreveufentretenaitune liaisonostensibleavecuneduchessemariée,auvuetausude toute labonnesociété.

Elleavaitfranchiletroisièmecercleunpeuplusd’unanauparavantlorsque,contretouteraison,elleétait tombéeéperdument amoureusedu fils de laditeduchesse,Vander.C’était le jeunehomme leplussensibleet intelligentdumonde,dumoins lepensait-elle.Et il avaitenoutreunvisaged’angequi luirappelaitleschérubinsdepierreprotégeantlestombesd’enfants.

Quantauxautrescercles,ilsétaiententraindeserévéleràelleenunesuccessionrapide.Touslessix.

Miaavaitsuppliésonpèred’assisteràcerécitalchezleducdeVilliersdansl’espoirquel’objetdesonadoration,EvanderSeptimusBrody,futurducdePindar,seraitprésent.Laprobabilitéétaitgrande,carlefilsaînéduducdeVilliers,Tobias,étaitlemeilleuramideVander.

Lademeureserévélaeneffetprised’assautparunehorded’élèvesd’Etonenvacances.ParmieuxsetrouvaitVander,qui l’ignoraroyalement.Mianes’enoffusquapas ; levénérerde loin luisuffisait.Cegarçonétaittropdivinpourunefillecommeelle.

Etpuis,cen’étaitpascommes’iln’avaitd’yeuxquepouruneautre.Rienàcraindreapparemment.Sescamaradesetluipassaientleurtempsàboiredubrandyalorsqu’iln’étaitmêmepasmidi,àgrandrenfort de jurons, et demanière générale à feindre d’avoir bien plus que quinze ans.Mia finit par seréfugierdanslabibliothèque,unepiècetranquilleauxmurstapissésderayonnages.

Elle parcourait les rangées de livres en quête d’un ouvrage ressemblant de près ou de loin à sonroman favori,Un amour excessif, d’Eliza Haywood, lorsqu’à son indicible horreur elle entendit desgarçons approcher. Pire, elle eut tôt fait de reconnaître les voix deVander et de son amiTobias qui,semblait-il,sefaisaitappelerThorncesdernierstemps.

Labibliothèque se trouvait aubout du couloir, doncpas d’échappatoire possible.Affolée,Mia seprécipitaderrière le sofaet sebaissa jusqu’àdisparaître complètement.Alors seulement, elle compritqu’ellevenaitdepénétrerdanslecercleultime,lecœurmêmedel’enfer.

Lesgarçonsdiscutaientd’unpoème.Etpasn’importelequel.

Ils s’interrogeaient sur l’Ode d’amour à E. Septimus Brody – autrement dit un poème adresséexplicitementàVander,etcomposéparMiaenpersonne.Uneœuvredanslaquelleelleavaitmistoutsoncœur,sonamouretseslarmes.

Il n’était pas très bon – aucun de ses poèmes ne l’était –, cependant, il était censé se trouver ensécuritédansletiroirdesonbureauàlamaison,etnonentredesmainsétrangères.Etencoremoinscelledel’intéresséenpersonne.

Au bord de la nausée, Mia devina quel tragique enchaînement d’événements avait abouti à cettesituation.Sonpèreavaittrouvélepoèmeetpenséqu’ilseraitamusantd’enfaireprofitersamaîtressequi,àsontour,l’avaitmontréàsonfils.Quelleidioted’avoirchoisiuntitreaussitransparent!

AumoinsVandernehurlait-ilpasderire.Sansdoutenecomprenait-ilpascequ’illisait.Thornetluin’étaientpasdugenreàapprécierlalittérature,sipareilexploitétaitpossiblechezdesgaminsdequinzeans.

—Lesrayonsdelunequiembrassentlamer,c’estuneallusiongrivoise,tucrois?demandaThorn.Mialevalesyeuxauciel.Quellesuggestionabsurde,digned’unignarequiremuaitencoreleslèvres

enlisant!—Jenepensepas,non,réponditVandersansconviction.Jetons-leaufeu.Jenetienspasàceque

quelqu’untombedessus.ÀpeineMiaavait-ellepousséunsoupirdesoulagementqu’unbruitdebottesretentit.Ellesepétrifia.—Jevouscherchaispartout,mesamis.UndesjumeauxVilliersvientdevomiràcausedutrac.C’est

unepuanteurenbas!— Tu nous cherchais, Oakenrott ? Nous avions pourtant été clairs la semaine dernière : nous ne

voulonsplusavoiraffaireàtoi,articulaVanderavecl’autoritéd’unfuturduc.—Paslapeined’êtreaussihargneux,répliqualegarçon,indifférentàcetterebuffade.Qu’as-tudonc

là?ÀlagrandehorreurdeMia,laquestionfutsuivied’unbruissementdepapierquisedéchira.Si Dante avait inventé un dixième cercle de l’enfer, elle s’y serait trouvée en cet instant même.

Francis Oakenrott était un garçon pourri jusqu’à la moelle. Elle l’avait rencontré deux fois à desréceptionsoùsonpèrel’avaittraînée.L’aversionavaitétémutuelleaupremierregard.

—Unpoèmed’amour!s’exclama-t-il,àl’évidenceravi.Nemeditespasquetut’esacoquinéavecunedanseusedeballetqui aunpenchantpour la littérature.Ledirecteurva se fabriquerdesbretellesavectesboyaux.

—Rends-moicela,grondaVander.Apparemment,Oakenrottn’obtempérapas.—Partouslesfeuxdel’enfer,quelmonceaud’inepties!Iléclatad’unrirequiatteignitrapidementuncrescendotonitruant.S’ensuivitunbruitdelutte.—Oh,bon sang, lâche-moi,que je lise tranquille ! Il estunpeu tardpourcacher tonpetit secret.

C’estàcroirequetuenashonte.Miaretintungémissement.Ellevoulaitmourir,disparaîtredansunefissureduparquet.—Je suis folle d’amour, récitaOakenrott d’une voix de fausset. J’imagine bien la scène sur les

planches.Tuasdéjàtraînéducôtédel’entréedesartistesàDruryLane?—Pasdedoute,cettefilleest fêlée,décrétaThorn.Quis’amouracheraitd’unrustremalodorantet

poisseuxdesueurtelquetoi?—Jaloux, rétorquaVander. Il faudrait être encoreplus timbrépour regarderdans tadirection.Ou

celled’Oakenrott.— Et qui est cette folle ? s’enquit Oakenrott qui tourna la feuille dans un bruissement. Emilia

Carrington?Lafilledugalantdeta…—Tais-toi,lecoupaVanderd’untonsec.

Ilyeutunsilenceéloquent,puis:—D’accord.Revenons-enplutôtàcechef-d’œuvre.Personnenecomprendmonsupplice, reprit-il

d’unevoixencoreplushautperchée.J’aimecepassagesur lerayondelunequiembrasse lamer.Detouteévidence,tueslerayondeluneetelle,lamer,conclut-ilavantd’éclaterd’unriregraveleux.

UnsanglotmontadanslapoitrinedeMia,menaçantsifortd’exploserqueladouleurluitransperçalesternum.

—Espèced’abruti,lâchaThorn.Quelâgeacettefille,aufait?—Quinzeans,réponditVander.—Dansmesrêves,vousêtesmien,continuaOakenrott,passantàlastrophesuivante.Votrebeauté

m’emplitd’ivresse.IlhurladerireetMiaentendituneclaquesonore.Unelarmeroulasursajoue.—Aumoinsas-tuséduitunefillequisembles’yconnaîtreenbrandy,commentaThorn.—Pasautantquetoi,aprèslanuitdernière!ricanaVander.Rien qu’une bande d’ivrognes, songea Mia. Sa gouvernante lui avait bien dit que les garçons,

soucieuxdesefairepasserpourdeshommes,buvaientbeaucouptrop.Oakenrottrefusaitimpitoyablementdesetaire.—Laclartélunaireinondemachambreetvosyeuxluisenttellesdesperles,enchaîna-t-il,hilare.

Ellet’inviteàpromenertesyeuxdenacredanssachambreinondéeparlalune,tucrois?—Ilfaudraitquej’yailleàtâtons,fitremarquerVander,amusé.Personnenerisqued’yvoiravecdes

yeuxdenacre.LeslèvresdeMiaarticulèrentunjuronqu’ellen’auraitjamaisoséprononceràvoixhaute.Oakenrottlaissaéchapperunsifflementégrillard.—Vousdevinezdequelgenredeperleselleparle,pasvrai?Lesgouttesnacrées!Lafameusepotion

nacréecommeonl’appelaitenpremièreannée.Non,cen’étaitpasplutôtlephiltrenacrédelapassion?Bref,quelquechosedecegenre.Entoutcas,c’estlepremierpoèmequejelisquiparledujusd’amour!

Lestroisgarçonséclatèrentd’unriresonore.Lejusd’amour?Mian’avaitpaslamoindreidéedecedontils’agissait,ellesutpourtantd’instinct

quec’étaitdégoûtant.Lesgarçonsétaientnaturellementdégoûtants;ellel’avaitoublié,touteàsaflammepourVander.Quandelleleconsidéraitcommeundieu.

Alorsqu’enréalité,iln’étaitqu’unporcsanscœur.—Tuneluiaspasretroussélesjupes?demandaOakenrottquisemblaitjubileràcetteperspective.

Jemenoiedansvotredouceur…Sonpèrepourraitprendreceversaumotet teforceràdemandersamain.

—Jamais!VanderparaissaittellementépouvantéquelemotglissatelunserpentsurlapeaudeMia.—C’est un peu bizarre de se dire qu’elleme désire.Quel genre de gamine de quinze ans a des

penséespareilles?Maiselleestladignefilledesonpère,jesuppose.Mias’efforçaitdesanglotersansbruitsibienqu’ellepouvaitàpeinerespirer.Àl’entendre,elleétait

répugnante.Celanesepassaitpascommecela.Ellen’étaitpascommecela.—Tuasremarquécommeelle tedévoraitdesyeux toutà l’heure,dans lesalon? intervintThorn.

Regardecequ’elleaécrit:Commeunoiseauquicontemplelaluneàlongueurdenuit,jen’aid’yeuxquepourvous.

— Un oiseau de paradis, oui ! commenta Oakenrott. Elle pourrait peut-être s’établir commegourgandinelittéraire.Unsouverainpourunpoèmeetdeuxpourvoussavezquoi.

—Toutcequejepeuxdire,c’estqu’ellen’estpasdouéeenpoésie,observaVander.Mêmemoi,jesaisquelesverssontcensésrimer.

L’imbécile!Miaprituneinspirationfrémissante.Ilfallaitqu’elles’échappe.Ellen’ensupporteraitpasdavantage.

—Àmonavis, tudevrais l’encadrer,suggéraThorn,hilare,parceque jepeux t’assurerqu’aucuneautrenes’extasieraainsisurtonrayondelune,étantdonnésataille.

Cecommentairedéclenchaunpugilatetdenouveauxriresgras.Àsesdépens.Miasentaitl’airsifflerdanssagorge.Sansdoutelerâledelamort.Peut-êtreallait-ellepasserdevieàtrépasicimême,derrièrelesofaoùilsdécouvriraientsoncorps.

—Jevaisdevoirmettrelesautresengarde,déclaraOakenrott.L’und’euxdiscutepeut-êtreavecelleencemomentmêmesanssedouterquec’estunemarie-couche-toi-là.

Miaseraidit.—Sielleestcommecelaàquinzeans,qu’est-cequeceseraàvingt?—Neterisquepasàplaisanteràcesujet,turuineraissaréputation,avertitThornd’untontranchant.

Pasunmot,c’estclair?—Cepoèmeestunepreuveévidente,protestaOakenrott.Cettefilleestunedévergondée.Ilfaudrait

êtreaveuglepournepass’enrendrecompte.Laplupartdesfillesdecetâgeontdesbeignetsauxpommesriquiquienguisedepoitrine,maissesmamellesressemblentdavantageàdeschouxqu’àdescerises.

Deschoux?Miaétouffaunnouveausanglot.Lesilencequisuivitseprolongeajusteassezpourqu’elleimagine

Vander prenant sa défense, tel un preux chevalier : « Ferme-la donc, Oakenrott. Elle n’a rien d’unedévergondée!»

Lemiracleneseproduisitpas.—Inutiledenousmettreengarde,ditVanderavecindifférence.Pasuncamaradenes’abaisseraità

parleràcepotà tabac.Ellen’estdanscettemaisonqueparcequemamèreaamenésonamant,quiatraînésafilleaveclui.Questiondecharité,riendeplus.

Cettefois,lacoupeétaitpleine.Mia le méprisait d’autant plus qu’il avait raison. Oui, elle était un petit modèle – une tournure

élégantepournepasdirecourtaude.Etbienenchair.Cegarçonétaitunmonstre.Lafureurestuneémotionutilequiconsumelechagrinetlahonte.Ulcérée,Miajaillitdesacachette,

lespoingsserrés.Malgrésarage,lavuedeVanderluifitunchoc.Ellel’aimaitdepuistroplongtempspourdemeurer

insensibleàsaprésence,surtoutquandilétaitsiproche.Il était déjà grand et avait une belle carrure.On devinait dans sa silhouette bien découplée et sa

mâchoirecarréel’hommequ’ildeviendraitunjour.Affichantunemouedédaigneuse,elleletoisadehautenbas,avantd’infligerlemêmetraitementàsesamis.

Thornsemblaithorrifié,Oakenrott,surpris.QuantàVander,ilétaitcomplètementinexpressif.Toutescesqualitésqu’elle avait crudeviner en lui, cette courtoisienaturellequi lui semblait unantidote auxégarements de son père… eh bien, tout cela devait être le fruit de son imagination. Son visage netrahissaitrienet,àl’évidence,ellen’yavaitluquecequ’ellerêvaitd’ytrouver.

— Ma foi, fit-elle, soulagée de découvrir que sa voix était assurée, voilà trois garçons àl’imaginationsidépravéequ’ilsvoientdelalubricitédansuninnocentpoèmed’amour.

Ellearracha la feuillede lamaindeThornet ladéchiraendeux.Puiselle recommença,encoreetencore,etlâchalesmorceauxquitombèrentenpluiesurleparquet.

— Peut-être me suis-je ridiculisée en tombant amoureuse, dit-elle à Vander, mais vous n’aveznullement ledroitdevousmoquerdemoi. J’aicommis l’erreur stupidedevousconsidérercommeungentleman,àladifférence…

Elleserepritàtemps.Sonpèrerestaitsonpère,quelsquesoientsespéchés.

—J’auraisdûmontrerdavantagede jugeote,poursuivit-elle.Vousditesquejesuis lafilledemonpère.Ehbien,vous,lordBrody,êtesàl’évidencelefilsdevotremère.

Àsagauche,Thornesquissaungestedeprotestation.Ellelefoudroyaduregardetils’entintlà.Vandersecontentaitdelafixer.Pourquoin’avait-ellejamaisremarquéquesesbeauxyeuxétaienten

réalitédursetfroids?—Jevaismaintenant regagner lesalonavecmeschoux,continua-t-elle, la têtehaute,auprixd’un

effortdevolontésurhumain.Jevousdemanderaid’avoirlacourtoisiededemeurericiunquartd’heure,letempsquejerejoignemonpèreetm’enaille.

Aucundestroisnepipamot,bandedefichuscouards.—Sachezquejen’épouseraiaucund’entrevous,mêmesij’étaisdésespérée,ajouta-t-elled’unevoix

cinglante.Mêmesivousétiezlesderniershommesvivantsdanstoutel’Angleterre.

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TreizeansplustardBrandy,Bucknell&Bendal,Éditeurs

27août1800ChèremademoiselleCarrington,

Jeme permets de vous écrire afin dem’enquérir de l’avancement de votre nouveau roman.Comme vous le savez, nousespérionsrecevoir lemanuscrit il ya sixmoisenviron.Nousvousexprimonsnotreplusprofondecompassionaprès lesdécèstragiquesdevotrepèreetdevotrefrèresurvenusl’annéedernière.MaisilseraitnégligentdemapartdenepasmentionnerqueleslettresréclamantlenouvelopusdeMlleLucibellaDelicosas’empilentsurnosbureaux.Sontitre,Uneallured’angeetuncœurdedémon,s’avèresialléchantquelesabonnementsdépassentdéjàlesventesdevosdeuxderniersromansréunies.

Avecmonplusprofondrespect,etdansl’espoird’uneréponsefavorabledevotrepart,jevouspried’agréerl’expressiondemessentimentslesplusdévoués.

WilliamBucknellP.-S.:JejoinsàcettemissiveledernierromandeMlleJuliaQuiplet.Vousavezdit,jecrois,nepasavoirencorelusonœuvreetnoussommespersuadésqu’ilvousplaira.

4septembre1800,RutherfordPark,domaineduducdePindar

Mia détestait l’admettre,mais elle tremblait comme l’une de ses héroïnes. Souvent, elle aimait àplacer les malheureuses en Péril Mortel, par exemple au bord d’une rivière aux eaux glaciales ettumultueuses,poursuiviesparunlogeurlubrique,leursgenouxs’entrechoquantpitoyablement,leursmainsdélicatestremblant.

Seslecteurs–enmajoritédeslectrices,supposait-elle–étaientfriandsdePérilsMortels.Ellechoisiraitavec joieunplongeondansunecascadeplutôtque l’humiliationqui l’attendait.Ses

mainsmoinsquedélicatestremblaient,ellesaussi.Elleserralespoingstandisquelevaletl’annonçait.Àenjugerpar leregardqu’il luiadressa, lemajordomeduducdePindarétaitsurprisdevoirunejeuneladyseprésentersanschaperon.

L’humiliationsuprêmeconstituait-elleunPérilMortel?Non,cars’ilétaitpossibledemourird’humiliation,elleseraitsansnuldoutedéjàpasséedevieà

trépas.Après tout,elleavaitsurvécuà l’incidentmortifiantdupoèmedans labibliothèquedeVilliers,puiselleavaitéchouédesannéesdurantàsetrouverunmaripourfinalementsubirunaffrontbienpluscuisantencore:unmoisplustôt,sonfiancél’avaitabandonnéeaupieddel’autel.

Commeromancière,elleménageaittoujoursseshéroïnes:lePérilMorteln’incluaitjamaisl’abandonlejourdesnoces.Enoutre,grâceàleurssilhouettesdesylphides,ellesflottaienttoujoursaufildel’eau,

troplégèrespourcouler.Uneconsœurdesaconnaissanceavaitoséprovoquerlamortd’unpersonnageparlachuted’unetortuelâchéeparunaiglesursoncrâne.

Unmeurtrepartortue?JamaisdansunromandeLucibella!Seslecteurssavaientqu’iln’yauraitnioiseausanguinairenifiancéeéconduite.Jamaisnonpluselle

n’avaitforcéuneseuledeseshéroïnesàfaireunedemandeenmariage,etcertainementpasàunduc.C’étaient les hommesqui tombaient à leurs pieds, et non l’inverse.Une stricte exigencedugenre.

Lucibella Delicosa décevrait ses lecteurs à ses risques et périls : un torrent de lettres indignées nemanquerait pasd’inonder lesbureauxde son éditeur si elle humiliait unede seshéroïnes commeMias’apprêtaitàs’abaisserelle-même.

Aumoinsn’allait-ellepassejeterauxpiedsdeVander.Non,ellemaîtrisaitlasituation.Sans se laisser le tempsde changer d’avis, elle prit uneprofonde inspiration, tendit sa pelisse au

majordomeet,passantdevantlui,pénétradanslepetitsalon.Enfant,Miaavaitpassébeaucoupdetempsdans la propriété des Pindar du fait de la longue liaison de feu la duchesse avec son père. Elleconnaissaitdoncleslieux.

Malgréladisparitiondesprincipauxprotagonistesdudrame,sonproprepèreetlamèredeVander,riennesemblaitavoirchangé.Chaquesurfacelibreétaitencombréedefigurinesd’animaux,témoignagedelafascinationdeladuchessepourlespetitescréatures.

Miasetournaverslemajordome.—VeuillezinformerSaGrâcequemavisiteserabrève,jevousprie.—Jevaism’assurerqueSaGrâceestenmesuredevousrecevoir,réponditledomestiqueavantde

seretirer.Vander allait sûrement la recevoir, non ? Comment pourrait-il refuser vu les relations que leurs

parentsrespectifsavaiententretenues?Lebonsensluirappelaqu’ilpouvaitfortbienrefuserpourcetteraison-là.

Elles’approchadelacheminéesurlemanteaudelaquelletrônaitunepetiteménageriedeverre.Silalicorneavaitperdusacorne, touslesanimauxétaientencoreà leurplace,quiunepatteen l’air,qui laqueue auvent – certains avecdes portées, comme s’ils s’étaient accouplés etmultipliés tandis que lamaisonnéeétaitendormie.

Maiselleneputseconcentrersurlepetittortillondeverre,untêtard,qu’elletenaitentrelesdoigts.Laperspectivequil’attendait–lademandeenmariage–luidonnaitlevertige,commesisoncorsetétaittrop serré, lui rendant la respirationdifficile.Des annéesplus tôt, lorsqu’elle avait juré àVanderquejamaisellenel’épouserait,unelueurd’amusements’étaitalluméedansleregarddecelui-ci.

Ets’illuiéclataitderireaunez?Ellen’étaitnid’unebeautéexquisenid’ungrandraffinementoud’uneintelligenceremarquable…et

elle ne possédait même pas de fortune. Qui avait entendu dire qu’une petite souris habituée à fairetapisseriedemandaitlamaind’unduc?

Miainspiradenouveauprofondément.Ellen’allaitpasprécisémentdemanderauducdel’épouser.Ce serait pitoyable. Non, elle avait l’intention de le faire chanter, ce qui était tout à fait différent.Beaucoupplusflamboyant.Pluspérilleux.

Pluscriminel.Commed’habitude,elleprétendraitquecelaarrivaitàl’unedeseshéroïnesetnonàelle.Elleavait

déjà une grande expérience lorsqu’il s’agissait d’observer sa propre vie de l’extérieur. Il lui arrivaitsouvent de converser avec desmessieurs qui s’ennuyaient visiblement, et de récrirementalement leuréchangedetellefaçonqu’unefabuleuseversionidéaliséed’elle-mêmeleslaissaitpantoisdedésir.

Deretourchezelle,ellenotaitlascèneavecprécisioncommeellel’avaitimaginée–s’octroyantdesyeuxvioletsetunetailledeguêpe.Illuiarrivaitdedemeureréveilléetoutelanuitpourseraconterles

aventuresdesonhéroïne,unejeunefilledocileauxmanièressiparfaitesetaucœursipurqueseulsseslecteurslesplusclairvoyantsremarquaientsonintelligence.

À l’opposé, les hommes remarquaient celle de Mia, mais elle semblait leur faire l’effet d’unrepoussoir.

Si la vraie vie imitait l’unde ses romans,Vander entrerait dans la pièce et, après un seul regard,entreprendrait de la courtiser avec tant de passion que la question déplaisante du chantage ne seraitjamaisévoquée.

Ses beaux yeux bleus s’enflammeraient d’une ferveur possessive. Jusqu’à la fin de ses jours, ilregretterait les treize années qu’il aurait pu passer en sa compagnie, stupidement gâchées par sonaveuglementdeblanc-bec.Ilsereprocheraitaussiamèrementsescruellesinsultes.

Hélas, cette réaction était fort improbable !D’après l’expérience deMia, les gens ne regrettaientjamaislesinsultesbientournées,siblessantessoient-elles.

Jusqu’àaujourd’hui,elledétestaitlechou.EtOakenrotttoutautant.Uneétrangelangueurs’emparad’elle.Elle,EmiliaGwendolynCarrington,s’apprêtaitàcontraindre

un duc aumariage. Une vieille fille de vingt-huit ans qui n’avait ni les yeux violets ni une taille deguêpe…

Cesréflexionsneluiétaientd’aucuneaide.Elledevaitcesserdetrembler.Cettedemanden’étaitpasdanssonintérêtpersonnel.Nicemariage

destinéàdurer.Elleavait justebesoinqueVander l’épousepour la forme,unmariaged’unan toutauplus.C’étaitl’uniquemoyend’obtenirlatutelledesonneveu,CharlesWallace.

Sonneveu?Surtouslesplansquicomptaient,Charlieétaitcommesonfils.Miainspiraungrandcoup.Ilyavaitdesfemmesquisautaientdupontd’unvaisseaupoursauverdes

enfants tombés à l’eau. D’autres qui combattaient des tigres et des ours. Qu’était un malheureux duccomparéàunfauvemangeurd’hommes?Elleavaitentendudirequecertainescréaturespossédaientdesdentssiimpressionnantesqu’unefoiscreuséesellespouvaientfaireofficedelouches.

Bref.Ladifficulté–etmaîtrePlummer,sonavoué,s’étaitmontréinflexiblesurcepoint–résidaitdansle

fait que le duc ne devait pas être informé des raisons de sa demande. Auquel cas, il répondrait trèsprobablementparlanégative.

Enl’épousant,leducobtiendraitnonseulementlatutelled’unpetitgarçon,maisilprendraitaussilecontrôled’uneimmensepropriétéadjacenteàlasienne,cequiparaîtraithautementsuspectàsespairs.Leurmariageseraitunecausecélèbresansmêmetenircomptedesscandalescausésparleursparents:VanderauraitsansaucundouteàaffronterunprocèspourcaptationdelapartdesirRichardMagruder,l’oncledeCharlieducôtédesamère.

SaGrâce,leducdePindarn’étaitqu’unidiotcommelesautres,privilégiéethautain,serappela-t-elle.Iln’avaitriend’untigreavecdeslouchesenguisededents.

Elleyarriverait.Ellen’avaitpaslechoix.

2

NOTESSURUneallured’angeetuncœurdedémon:unroman

L’héroïne est svelte, éthérée, élancée…un autremot pourmince ?D’une légèreté singulière pour quelqu’un quimangeavecappétitaupetitdéjeuner.

Sidésirablequelehérosestsubjuguéàsaseulevue.Yeuxbleus,cheveuxblonds,délicateentouspoints.Dentelleàlamode?Dentellière.Recherchessurlafabricationdeladentelle.Fuseaux?Coupdefoudreaupremierregard.Hérosàgenoux.Souslapluie.Danslaboue.Oui,assurémentdanslaboue.

—VotreGrâce,unecertaineMlleCarringtondemandeàvousparler.L’espaced’uninstant,Vandernevitpasdutoutdequiils’agissait.Puisilréalisaquecedevaitêtre

Mia, l’infortunée poétesse. Le soin avec lequel il évitait la haute société, à laquelle il préférait sesécuries,expliquaitqu’ilnel’aitpasvuedepuisdesannées.

—A-t-ellementionnélaraisondesavisite?— Non, Votre Grâce. Elle se trouve dans le petit salon si vous souhaitez lui parler, ou je peux

l’informer que vous êtes occupé. Jeme permets aussi de préciser qu’elle n’est pas accompagnée. Enoutre,votreavouéestdanslabibliothèque.Ilattenddepuisunmomentetcommenceàs’impatienter.

La dernière fois qu’il avait vu Mia, se rappelait-il, c’était lors de cet incident terriblementembarrassant,alorsqu’ilsavaientquinzeans.Quellemouchel’avaitdoncpiquéedevenirainsiluirendrevisitedebonmatin,sanschaperon?Devenirtoutcourt,d’ailleurs.

—JevaisrecevoirMlleCarrington,décida-t-ilensortantdesachambre.Ildevaituneaudienceàlapoétesse,neserait-cequeparcequ’ilauraitdûmieuxgérerlasituation.À

ceseulsouvenir,ileneutunfrisson.Ilétaitcertesjeuneetstupide,maiss’étaitbeletbienconduitcommeuncrétin.

Vanderdévalalesmarchesenajustantsesmanchettes.LenomdeMiadevaitêtreaussientachéquelesien depuis le décès de leurs parents, un an plus tôt. Impossible d’étouffer la vérité : la duchesse dePindarétaitmortedanslemêmelitquelordCarrington.Toutel’Angleterresavaitqu’untuyaudepoêledéfectueuxleuravaitcoûtélavie,unscandalequiavaitéclipséleshuitautresmalheureusesvictimesquidormaientdanslamêmeauberge–unelistequiincluaitlefrèreetlabelle-sœurdeMia,sisamémoireétaitbonne.L’annéeécouléeavaitdûêtreéprouvantepourelle.

Alorsqu’ilatteignaitladernièremarche,sonavoué,Grieg,jaillitdelabibliothèque.Vanderretintdejustesse un grognement et se força à l’écouter. Apparemment, sir Cuthbert avait pris l’engagementmalavisédefinanceruneexpéditionarchéologiquedanslesAndes.

Comme l’unique source de revenus de son oncle était la rente que Vander lui versait, et qu’ils’empressaitdeladépenserenredingotesdeveloursetbouteillesdeblancsec,iln’étaitpasenpositiond’honorercettepromesse.Apparemment,ChuffyavaitcontournécelégerdésagrémentengriffonnantunenoteassurantqueleducdePindarsoutiendraitladiteexpédition.Illuifaudraitmettreleschosesaupoint

avecsononcle:sesfondsétaientimmobilisésdanssesécuriesetilnepouvaitfinanceruneexpéditiondanslesAndespourlemoment.Niplustard,dureste.

DeMiaCarrington,ilavaitgardélesouvenird’unvisagejouffluetdeseinsopulents.Après tantd’années,sonvisages’étaitaminci.Sansdoute lesseinsopulentsétaient-ils toujours là,

maiselleportaitunerobeengrossetoileternequidissimulaitentièrementsonbuste.Elleressemblaitàunemissionnaire.Peut-êtreenétait-elledevenueune?

Ilressentitunélandecompassion.Sespenchantsreligieux,s’ilsétaientavérés,étaientsansdouteuneréponseauméprisflagrantdeleursparentspourlecaractèresacrédumariage.Toutefois,siellevenaiticifaireduprosélytisme…

—VotreGrâce,fit-elleenexécutantunerévérence.Quelplaisirdevousrevoir.Était-ceunepointedesarcasmedanssavoix?Non,sûrementpas.Aprèstout,c’étaitellequivenaità

l’improvistechezlui,etnonl’inverse.Vanderlasalua.Lorsqu’ilseredressa,ilremarquaqu’ellel’observait,lesmainsjointes,avecl’air

dequelqu’unquiassisteàunepièce.Étrange.—MademoiselleCarrington,quepuis-jepourvous?s’enquit-il.—Jeviensvousdemanderunefaveur.Vander se détendit. Elle était bel et bien missionnaire, avait sans doute rejoint une organisation

religieuse pour tenter d’expier les péchés de son père, et allait solliciter une contribution. Il avaitl’habitude ; quasiment tout le monde dans sa vie, à l’exception de son ami Thorn, lui avait un jourdemandédel’argent.C’étaitinhérentàsonrôlededuc.

Un don serait parfait pour apaiser le reste de cette culpabilité qu’il ressentait encore à l’idée del’avoirfroisséedesannéesplustôt.

—Jeseraistrèsheureuxdevousaider,dit-ilavecaménité.Asseyez-vous,jevousenprie.Désirez-vousduthé?

Elledemeuraplantéecommeunarbre,àsetordrelesmains.—Vouspourrieznepasêtreenclinàlagénérositéquandvousaurezentendumarequête.—Jevousconnaisdepuis l’enfanceetpourcette seule raison, jevousassureêtreprêt à accepter

touteaidequevousmedemanderez.Quellesommesouhaitez-vous?Illuiadressaunsourire.Ilétaitpressédesedébarrasserd’elle.Sonsecrétairesechargeraitdelui

remettrelasomme.Elleavaitunemâchoiredélicate.Illaremarquaparcequ’ellesecrispaitvisiblement,commesiMia

grinçaitdesdents.Enfant,elleluifaisaitpenseràunpigeondoduavecunpetitventrerondetdesjambesquis’agitaientsurlegazontandisqu’elles’efforçaitdelerattraperàlacourse.Cequin’arrivaitjamais.

—MademoiselleCarrington,insista-t-ilcommeelledemeuraitmuette,jesupposequevousrécoltezdesfondspouruneœuvredebienfaisanceetjesuistoutàfaitprêtàycontribuer.

Elleserradenouveaulesmâchoires.—Jesuisvenuevousdemanderquelquechosedetoutàfaitdifférent.—Etjesuisheureuxdevousapportermonassistance,dit-il,s’autorisantunepointed’impatience.—Lemariage,lâcha-t-elleàbrûle-pourpointavantd’inspirerungrandcoup.Vanderladévisageauninstantdansunsilencedecathédrale.Ilfronçalessourcils.—Pardon?—Jeviensvousdemanderenmariage,déclara-t-elle.Il se retint de secouer la tête afin de s’assurer qu’il avait bien entendu. Cette femme devait être

dérangée,quoiquecefûtdanssafamilleàluiquesévissaitlafolie,etnondanslasienne.Iln’empêche,elledevaitêtrefolle,carelleleregardaitavecespoir,commes’ilexistaitlamoindrepossibilitéqu’illaprîtausérieux.

Ilseraclalagorge.Sansdoutes’agissait-ild’unesortederuse.

—C’esttrèsaimableàvous.Cependant,j’aileregretdevousinformerquejen’ainulleintentiondememarierpourl’instant.

Uneombrepassasurlevisagedelajeunefemme.Deladéception?—Jesupposequevousmecroyezfolle.Jecrainsdel’être,unpeu.—Jevois,ditVanderqui,contretouteattente,commençaitàsedivertir.Aprèstout,lafamilledeMiaavaitcausélapertedelasienne.EnséduisantladuchessedePindar,

lordCarringtonenavaitfaitlariséedelabonnesociété.Etmaintenantsafilleavaitlatéméritédepenserqu’ilpourraitenvisagerdel’épouser?Cettefamillenemanquaitdécidémentpasd’aplomb.

—Ainsivousêtesenquêted’unépoux,reprit-il,amusé.Etvousvousêtesdit,mafoi,jevaistentermachanceavecleducd’àcôté?

—Cen’estpasaimabledevotrepart,répliqua-t-elleenétrécissantlesyeux.Desyeuxd’unvertremarquable,bordésdecilsépais.NonqueVandertrouvâtleurcouleurattrayante,

loindelà.Ilpréféraitlesyeuxbleus.D’unbleutransparentteluncield’été.—Asseyez-vous,j’insiste.Fairelacourestunetâchesiardue,vousnetrouvezpas?Aprèsunehésitation,Miapritplacedansunfauteuil.Leducs’assitenfaced’elle.Biendécidéeà

reveniràlacharge,ellelâcha:—Acceptez-vousdem’épouser,VotreGrâce?Laréponsefusa:—Certainementpas.Étantdonnénotrehistoirefamiliale,vousêtesladernièrefemmeaumondeque

j’épouserais.Enfait,jecroismerappelerquevousavezexprimélemêmesentimentàmonégardilyaquelquesannéesetjenevoispaspourquoivotreopinionauraitchangé.

C’étaitunedéséquilibrée.Iln’yavaitpasd’autreexplicationpossible.Pouroserdemanderunducenmariage,etimaginerqu’ilpuisseaccepter,ilfallaitdetouteévidencesouffrirdetroublesmentaux.

—Jen’osepenserauscandalequecetteunionprovoquerait,ajouta-t-il.—J’aiconsciencequ’elleferaitl’objetdeconjectures,dit-ellecommes’ilsdiscutaientdelapluieet

dubeau temps. Jem’efforcedenepasme laisser atteindrepar les ragots.Enoutre, j’en suisvenue àconsidérerlarelationdenosparentscommeunetragédiemarquéeparlesceaududestin.

—Tragédie, lemot est faible, observa-t-il d’une voix traînante.Votre salaudde père a séduitmamèreetenafaitunecatin,ruinantdumêmecoupnotrenom.

Hormissesmains,quisecrispèrentsurlesaccoudoirs,Mianemontrapasdesigned’inquiétude.—Nosparentss’aimaient,VotreGrâce.Leurunionn’étaitpasapprouvéeparlabonnesociété,mais

d’aprèscequej’aipuobserver,ilsmenaientuneviedesplusrangées.Sansl’accidentquileuracoûtélavie,jesuiscertainequ’ilsauraientpassélesquaranteprochainesannéesensemble.

Vander réprima un frisson. Il avait haïCarrington comme jamais il n’avait haï un homme. Il avaitporté sahaine si longtempsqu’elle était devenuecommeuneveste confortabledont il n’imaginait pasqu’ilfailles’assurerqu’elleluiallaittoujours.

Des années durant, il avait veillé à ne jamais se trouver dans lamême résidence queCarrington,quitte à dormir aux écuries. Ce qui signifiait qu’il n’avait pas vu sa mère durant les longs mois quiavaientprécédésamort.

Un pincement de culpabilité lui fit adopter un ton plus dur qu’il n’en avait l’intention lorsqu’ilrétorqua:

—MademoiselleCarrington, je ne comprends pas comment vous avez pu croire que je prendraisvotre requête en considération, sansmême parler de l’accepter. Quand, ou plutôt si je décide de memarier,c’estmoiquichoisiraimafutureépouseetquiferaimademande.

Bonsang,c’étaitabsurde.Iln’avaitpasdemaîtresseencemoment,maissitelétaitlecas,personnedanstoutel’Angleterren’imagineraitquecepûtêtreunpetitboutdefemmeauxformesgénéreuses,vêtuecommeunemissionnaire.

—Pourquoidiablevousadresseràmoientretousleshommes?demanda-t-il,sincèrementcurieux.IlyaenAngleterreunmilliondegentlemenquevouspourriezépousersivoustenezabsolumentàbraverlesusagesetfairevotrecourvous-même–ceque,pourêtretoutàfaitfranc,jenetrouveguèrejudicieux.

Soussarobeaffreuse,il ladevinaitaussivoluptueusequ’àquinzeans.Siellemettaitsesatoutsenvaleur,ellepourraitsansdouteépousern’importequelhommedesonchoix.Personnellement,ilpréféraitlesgrandesfemmessveltes;celadit,beaucoupavaientunfaiblepourlesVénusminiatures.

Et puis ce n’était pas samère à elle la femme adultère. Le déshonneur étaitmoins grand pour unhommequifaisaitd’uneduchessesamaîtresse.

— Vous avez une dot, n’est-ce pas ? ajouta-t-il, comme elle n’avait pas répondu à sa questionprécédente.

Les terres des Carrington jouxtaient le domaine ducal, il aurait été au courant s’il y avait eu desproblèmes.Auxdernièresnouvelles, sirRichardMagrudergérait la propriété parceque l’héritier desCarringtonétaitmineur.Iln’admiraitpassirRichard,maiscedernieraccomplissaitsansdoutesatâcheconvenablement.

—J’aiunedot,eneffet.Miahésita,prituneprofondeinspirationetsortitdesonréticuleunefeuilledepapierjaunipliéeen

unpetitcarré.—Etaussiceci.—Morbleu,bougonnaVander.Pasencoreunpoème.Jenesuispasférudelittérature,mademoiselle

Carrington.Vousnemeferezpaschangerd’avisavecquelquesvers.LesjouesdeMiasecolorèrent,ceque,àsongrandétonnement,iltrouvacharmant.—Jamaisjene…balbutia-t-elleavantdesereprendre.Non,cen’estpasunpoème.C’estunelettre.Vanderserembrunitetunfrissonglacécourutlelongdesonéchinelorsqu’ilcomprit.—Vousavezl’intentiondemefairechanter?Jesupposequ’ils’agitd’undecesramassisd’inepties

révoltantesquemamèreaadressésàvotrepère.Ilseleva,avançad’ungrandpasvengeur,puissepenchasurMia,lesmainscaléessurlesaccoudoirs

desonsiège.—Publiezcetorchon,mademoiselleCarrington,etallezaudiable!Ellegardait lesyeux rivés sur sesmainsalorsmêmequ’il était siprèsqu’il lui frôlaitpresque le

front. Il perçut des effluves délicats de chèvrefeuille – un parfum inattendu de la part d’une femmeemmaillotéejusqu’aucoudansdulainagegrossier.

—Jesupposequevousavezprévudemecontraindreaumariage,lâcha-t-ilentresesdents,furieuxdelaréactiondesoncorpsàleursoudaineproximité.Ehbien,faites!VeillezàobtenirleprixfortdujournaleuxdeGrubStreetquivousachèteracettelettre,parcequejevouspréviens:jevaisvousruiner.

Ellesedécidaenfinàleregarder.—Vousnevoulezpaslired’abordledocument?—Lanatureexcessivedemamèrelaisseprésagerunmonceaudefadaises.Desrayonsdeluneetdes

perlesnacréesàfoison,jeparie.Miatiquaetsonvisageblêmit.Iln’empêche,elleétaitaussicourageusequedanssonsouvenir.Elle

s’éclaircitlavoixetleregardadroitdanslesyeux.—Cettelettren’estpasdevotremère,maisdevotrepère.Vandercontintsasurprise.—Monpèreapassélaplusgrandepartiedesavied’adulteinternédansunasileprivé,unfaitque

vousconnaissezaussibienquemoi.Jedoutequevousobteniezplusdecinqlivrespourlapublicationd’unedesesdivagations.

Ilyeutunsilencepesant.—VotreGrâce,jevousimploredelirecettelettre,insistaMia.

Vanderlafixaunelonguesecondeavantdes’emparerdufeuillet.Ilseredressa,reculad’unpas.Lalettreétaitbeletbiendelamaindefeuleduc–ilauraitreconnusonécritureentremille.Ladateétaittrèsantérieureaudiagnosticdesafolie,mêmesil’écritureprouvaitlecontraire.

Quandsonpèresouffraitd’unecrisededémence,sesgriffonnagesreflétaientsonétatd’esprit.Leslettres couvraient le papier en de violentes cavalcades, comme couchées par une forte bourrasque.Certainessemaines,desmissivesdevingtoutrentepagesparvenaientdel’asile,toutespluspressantesetincohérenteslesunesquelesautres.

Illutlalettre.Etlareluttroisfoisencoreavantdelareplieravecsoin.—Sivouspubliezceci,onmeprendramontitreetmondomaine.Elleavaitleregardgrave,sansuneoncedetriomphalisme.—Vousavezraison,jecrois.Vanderenavaitlevertige.—Ainsi,monpèreétaituntraîtreàlaCouronne.Il croyait que sa famille avait touché le fond quand sa mère avait rendu l’âme dans les bras de

Carrington.Ils’avéraitaujourd’huiqu’ilétaitloinducompte.Lafolie,l’adultère…etmaintenantlahautetrahison.

—Ilsemblerait.—Jedoutequ’ilauraitpuassassinerleroi,endépitdesaffirmationscontenuesdanscettemissive.

Monpèren’avaitpassesentréesàlaCour.Pourautantquejesache,toutlemondel’évitait,mêmedurantsascolarité.Ilavaitunenaturetropextrêmeetimprévisiblepourêtred’unecompagniefacile.

L’espritdeVanderchancelaitsouslecoup.Sonduchéétaitlaclédetoutcequicomptaitpourlui:sesécuries,sondomaine,sesmétayers.ToutluiseraitconfisquéauprofitdelaCouronne.Aprèsladébâcledesonenfanceetlesscandalescausésparsesparents,seschevauxétaienttoutesavie.

Lesmots jaillirentspontanément.Unebordéede juronsqu’iln’avait jamaisprononcésenprésenced’unedame.

Maisenétait-ceune?Non.C’étaitunvulgairemaîtrechanteurenjupons!Ellepinçaleslèvres,feignantdenepasl’entendre.—Malgrécettelettre,vousn’imaginezquandmêmepasquej’accepteraidevousépouser.L’espace d’un instant, son sang-froid l’abandonna, il se ressaisit très vite. Qu’il soit damné s’il

menaçaitunefemme,quandbienmêmeelletentaitdeleplieràsavolonté.Nonqu’ellemontrâtlemoindresigned’effroi.Au contraire. Mia Carrington lui évoquait une Amazone, si tant est que cette race de guerrières

possédât une armée de petites tireuses à l’arc – une pensée qui, curieusement, était loin de le laisserindifférent.

Ilavaitl’impressiond’êtreunvaletappelédansunechambrepourlebonplaisirdesapatronne,unesituationquiluiétaitintolérable.

— Il y a bien des années, vous avez juré de ne jamaism’épouser quand bienmême je serais ledernierhommeenAngleterre.Qu’est-cequiachangé,mademoiselleCarrington?Outre lefaitquenosréputationssontencoreplussulfureusesquedurantnosjeunesannées?Pourquoidiabletenez-voustantàvousridiculiserainsi?

3

NOTESSURLEHÉROS

Allure d’ange : le héros est d’une élégance irréprochable. Porte une redingote de chez Weston, canne à pommeau enargent.Cheveuxbrunsendésordre.Cheveuxblondscommelelin.Yeuxsombres.

Titre.Uncomte?AumoinsquatrehérosdeLucibellasontdesducs.Maispourquoia-t-iluncœurdedémon?Tirédelavraievie?Héroïneabandonnéelejourdesnoces?RAISON???Pasbrusquechangtdedisposition–hérostrop

épris.Faireinterveniruncomteperfide?Jumeau?Uncomteanglais?Jamais rencontréunseul (vérifierdans leDebrett).Ouuncomte françaisbavarois.Commentdit-on

comteenallemand?Enresteràcomte.ComteFrédéric!Ill’abandonnelejourdesnocesdanslacathédraleSaint-Paul…Pourquoi?Bonnequestion.

—Meridiculiser?Jamais Mia n’avait entendu une voix aussi vibrante de colère. Et glaciale. Si elle avait été une

superbe femme aux grands yeux innocents, cette demande enmariage n’aurait pas été tout à fait aussihumiliante.Enl’étatactueldeschoses…unepartied’elle-mêmesetordaitdehonte.Unepartie?Sonêtretoutentier,oui.

—Jeneconsidèrepasunedemandeenmariagecommeridicule,mentit-elle,luttantpourquesavoixnemontepasdanslesaigus.Jesuisenpossessiond’unedispensedebansetsouhaiteraismemarierassezvite.

Enguisederéponse,elleeutdroitàunéclatderirequiclaquacommeuncoupdetonnerre.—C’estuneplaisanterie!Vouspensezsérieusementquejevousépouserais,vous?Illaparcourutdelatêteauxpieds.Miagardalesilence,lagorgenouée.Elles’efforçaitdenepas

penseràsabeauté–ouàsonabsence,enl’occurrence–etyparvenaitlaplupartdutemps.—Vousneplaisantezpas,lâcha-t-il.Ilnebougeapas,maisellesentitledangerplaner,commes’ilétaitcapableàtoutinstantdeflanquer

le poing à travers la fenêtre s’il perdait son sang-froid. Il venait déjà de prononcer desmots qu’ellen’avaitencorejamaisentendus.

—Monavouéaobtenul’autorisation,s’entêta-t-elle.J’espéraisquenouspourrionsnousmarierd’iciquelquesjours.Ouaumoinsdanslasemaine,VotreGrâce.

—Incroyable.Jevousl’aidéjàdemandéetjevousreposelaquestion:pourquoimoi,mademoiselleCarrington?Est-ceunequestiond’ambition?Oh,Seigneur,enchaînaVandersansattendresa réponse.Vousvousvengezàcausedel’incidentdupoèmeautrefois?

—Bien sûr quenon !C’est hors depropos, protestaMiaqui sortit une autre feuille pliéede sonréticule. Vous pouvez garder la lettre de votre père, Votre Grâce. J’ai pris la liberté de noter mesdesiderataconcernantnotremariage.

—Vosdesiderata?répéta-t-il,sidéré.Vander avait l’impression d’avoir basculé dans un autremonde. Une femme ne demandait pas un

hommeenmariage.Elleneluidictaitsoncomportement,qu’ilssoientmariésoupas.Elleposaledocumentsurunguéridon.—Cesontlesconditionsdenotreunion.Vanderavançad’unpasetluiattrapalepoignet.Ilétaitétonnammentfin.—C’estinsensé.Elletentadeselibérer,envain.Ilavaitmaîtrisédeschevauxautrementplusgrandsqu’elleetdixfois

pluslourds.—Ambitionnez-vousunstatutsocial?Ouest-cevotrepèrequivousamiscetteidéeentêteavantsa

mort?LeregarddeMiasefitfuyant,etildevinalarévoltantevérité.—C’estcela!Jenevousaimêmepasdemandécommentcettelettreétaitarrivéeentrevosmains.Il

l’avolée,n’est-cepas?Oumamèrelaluiauradonnée.L’entraînerdansleruisseauethumiliermonpèreneluisuffisaitpas,Carringtons’estaussiassurédesouillerlalignéedesPindartoutentière.

Miacessadesedébattreetledévisageaavecuneexpressionabsurdementinnocente.—Souillervotrelignée?— Oui, salir mon sang, insista-t-il, bien décidé à la blesser. Tout le monde sera d’accord pour

reconnaîtrequedesenfantsissusdevotrefamilleentacheraientlalignéeducale.Monpèreespéraitmevoirépouserunefemmeissued’unedesmeilleuresfamillesd’Angleterre,mademoiselleCarrington.Levôtren’apasétéennobliparsaliaisonavecmamère,bienaucontraire.

Ellelefoudroyaduregard.—Permettez-moidevousrappelerquevousparlezd’unelignéeducaleavecàsatêteunfouetune…Ellelaissasaphraseensuspens.—Unequoi?articulaVander.Quelmotutiliseriez-vouspourdécriremamère?—Nousnedevrionspasavoircettediscussion,VotreGrâce.Cettefois, il luiagrippalesdeuxmainset l’attiraà luiavantqu’elleait le tempsd’étoufferuncri.

Sonréticuletombasurlesol.—Lemotquevouscherchezestcatin,jecrois.—Pasdutout,etvousnedevriezpasparlerdevotremèreainsi,s’offusqua-t-elle.Vousnedevriez

mêmepasprononcercemotenmaprésence!Vanderresserrasaprise.—Vousnecriezpasauscandalequandje jure,mais ilsuffitquejedise«catin»etvouspiaillez

commeunenonneoutragée?Quiêtes-vousréellementMiaCarrington?—Jesuistoutesceschosesquevousavezdites,VotreGrâce.Unevieillefilletoutjustebonneàtenir

lachandelle,unedésespéréeenquêted’unmari.Illatoisaànouveaudelatêteauxpieds.—Unmari?Dansvotrelit?C’estdecelaqu’ils’agit?LesjouesdeMias’empourprèrent.C’étaitdonccela.Elleledésiraitencore.Celaauraitdûlefaire

rire,maisilsétaientsiprochesqu’ilsentaitlachaleurquiémanaitdesonpetitcorpssensuel.Ilnevoulaitpaslaregarderdanslesyeux,carcelaledéstabilisait.D’unmouvementbrusque,illuifit

exécuterundemi-tour,sibienqu’elleseretrouvaledoscontresontorse,prisonnièredesesbrasqu’ilcroisasursonbuste.

Elleétaitnichéeàlaperfectiondanslecercledesesbras,aupointqu’ilresserrasonétreinteavantdes’enrendrecompte.

—Vousvousimaginezquenousauronslemêmegenrederelationqu’avaientnosparents?

Ilétala lamaindroitesur leventredeMiaet laplaquaétroitementcontre luiafinqu’ellen’ignoreriendelaréactionphysiquequ’ellesuscitaitenlui.Depuisqu’ils’étaitpenchéau-dessusdesonfauteuil,ilétaitroidecommeunpieu.

Cen’étaitpasunedameetilrefusaitdelatraitercommetelle.Avecelle,ilvoulaitsecomporterenhommequin’avaitjamaisentenduparlerdelacivilisation:ilavaitenviedelarenversersurcefauteuiletdelaprendresauvagement.

—Lâchez-moi!Iln’entenditpaslamoindrepeurdanssavoix,aussiignora-t-ilsonordre.—Si jeveuxunecatin, jepaiepour,déclara-t-il avecunmouvementdubassin sur lequel ellene

pouvait se méprendre. Je ne l’épouse pas. Votre père ne s’est pas embarrassé de tant de cérémonie,pourquoiledevrais-je?

Pourtouteréponse,ellesedébattit,latêtepenchéeenavant,desépingless’échappantdesonchignon.Vanderavait ladésagréable impressiond’êtreceluique leurposture troublait leplus.Pourune raisonincompréhensible,lecorpsdeMiacontrelesienlebrûlaitpresqueetsonparfumsubtillegrisait.Jamaisiln’avaitéprouvécegenredesensations–l’ivressedudésirbrut,l’envieirrépressibledelaculbuteretdeluiprouver…

Avec un juron, il la lâcha et recula, comme si cela pouvait le sauver de cette concupiscencegrotesque.

Miaseretournalentement.Sescheveuxblondss’enroulaientenrubanspâleslelongdesoncouetsurlatoilegrossièredesarobe.CettevisionravivaletroubledeVander.

—Votremèren’étaitpasunecatin,répéta-t-elleavecfougue.Elleétaitamoureusedemonpère.C’estinjustedelacalomnierainsi!

—Ellenel’étaitpeut-êtrepas,maisqu’ensera-t-ildesonfils?Aprèstout,vousêtesprêteàachetermesservices,non?Leprixdumarchépourunducenconditionphysiquehonorableselimite,semble-t-il,àunesimplemissiveincriminante.Réfléchissezàcequepourraientvousrapporterdeuxlettresdumêmeacabit.Deuxnoblespourleprixd’undansvotrelit.

—Voilàuneremarqueméprisable,s’indigna-t-elle,lavoixtremblantepourlapremièrefois.Vanderfourrageadanssescheveux,lafrustrationsemêlantaudésir.—Jevousaccorderaiunedot,sic’estlàleproblème,proposa-t-il,conscientdeseraccrocheràun

semblant d’espoir. Je peux faire de vous une femme riche, afin que vous séduisiez un hommepar desmoyens conventionnels. Rien ne vous oblige à faire ce que vous êtes en train de faire,mademoiselleCarrington.Nouspouvonstoutoublier.

Ellefronçalessourcils,lementonhaut.—Vousmecroyezincapabledeséduireunhommesansunedotconséquente?LeregarddeVanders’attardasursonhorriblerobe.—Avecunegarde-roberaisonnablementàlamode,jesuissûrquevoustrouveriezchaussureàvotre

pied,luiassura-t-il.Mafoi,jepourraismêmevousaider.Jeconnaisplusieursmessieurs…—Assez désespérés pour épouser une femme commemoi si un duc les rétribue généreusement ?

acheva-t-elleàsaplace.Illadétaillasansunmot,puishaussalesépaules.Elle se raidit, telle une statue sculptée par unmaître.Débarrassée de ses oripeaux, elle possédait

sansdouteunecertainegrâcevoluptueuseque luienvieraient lesdéessesgrecquesaussi finesquedestiges.Avec ces lèvres d’un rose profond et ces yeux-là…oui, elle réussirait certainement à avoir unhommeàsespieds.Peut-êtremêmetouteunefoule.

Maisiln’enferaitpaspartie.—Malheureusement pour vous, je possède déjà une dot conséquente. Et j’ai aussi…des revenus

personnels.

Ilétrécitlesyeux.—Alors pourquoi tenez-vous tant à m’imposer cette décision ? Vous dites que ce n’est pas une

revanche.Nidudésir.Dieusaitquenotreunionseraitundésastre.Soudain,lavérités’infiltraenluitelunpoisonbrûlant.— Mademoiselle Carrington, gardez confiance, vous finirez par trouver quelqu’un qui tombera

amoureuxdevous.Moi,vousnem’aimezpasvraiment.Vousnemeconnaissezmêmepas.—Jenevous…—Écoutez,monami leplusproche,Thorn–TobiasDautry–n’avait jamaissongéàsemarier. Il

n’esttombéamoureuxquel’annéedernière,aussibrutalementques’ilavaitreçuunbouletdecanonenpleinetête.

—C’estlàvotredéfinitiondel’amour?Recevoirunbouletdecanonenpleinetête?Ilhochalatêteavecuneimpatiencegrandissante.—Etsicelavousarrive?continua-t-il.Sivousrencontrezl’hommedevosrêves–parcequecela

adviendraforcément–,vousserezdésespéréesinoussommesmarietfemme.Les lèvres sensuelles de la jeune femme se pincèrent jusqu’à ne plus former qu’une ligne.

Apparemment,saremarqueavaitfaitmouche.—Iln’yaaucunechancepourquenotreunionsoitcouronnéedesuccès.Enaucuncas.Imaginez,j’ai

courtisé ladyXenobia l’annéedernière.L’unedesplusbellesfemmesde lacapitale,peut-êtrede toutel’Angleterre.Etlafilled’unmarquis.

Miagardalesilence.—Indiaestgrandeetsvelte,insista-t-il.D’unebeautéexquise,avecunportdedéesse.Inutiledepréciserqu’ill’avaittrouvéeunpeutropgrandepourlui.—Nous connaissons déjà tous deux votre opinion à mon sujet, Votre Grâce, commenta-t-elle, le

mentonlevéetledosdroit,commedevantunjuge.Vousm’aveztraitéedepotàtabacquandj’aiémergédemacachette,danslabibliothèquedeVilliers.

Enréalité,ilsesouvenaitdesabravoure.Plusd’unefois,ilauraitputournerledosàundéfi,maisilserappelaitalorslapetiteMiacontournantlesofaaupasdecharge.

— Vos beaux discours sur l’amour ne m’ont pas fait changer d’avis, pas plus que vos insultes.Excusez-moi.

Ellerécupérasonréticuleetsedirigeaverslaporte.En deux enjambées,Vander la rattrapa et lui bloqua le chemin. Ses yeux verts étaient sombres et

embués;ellen’étaitpasaussiimpassiblequ’ilyparaissait.—Vousdevezrenonceràcetteidéefolle,ordonna-t-il.Elle inspira une grande goulée d’air, cherchant désespérément quoi répondre. Son avoué lui avait

dépeintlechantagecommeunjeud’enfant.Agitezlalettreetleduccomprendraqu’iln’ad’autrechoixquedesesoumettreàvosexigences.

Hélas,faceàVander,laréalitéétaittoutautre.Elledétestaitagirainsi.Ellesesentaitmisérableetvile,meurtrieparsafureuretsondégoût.Pourtant,aulieuderenoncer,elleseforçaàpenseràl’adorablepetitCharlie.Etàsononcle,l’ignoblesirRichard.Cettepenséerenforçasaconvictionetelleparvintàrefoulerseslarmes.

—Jesuisdésolée,répéta-t-elle,maisjedoisvousépouser.LamâchoiredeVandersecrispa.—Mesattentessonténuméréessur ledocumentquej’ai laissésur leguéridon,dit-elled’unevoix

qui, parmiracle, demeura ferme. Jene suispas très exigeante, ajouta-t-elle. Jevous enconjure,VotreGrâce…faites-moicettefaveur.

Vandern’écoutaitpas,elles’enrendaitcompte.Si lachoseavaitétépossible, leséclairsdanssesyeuxl’auraientcarbonisée.

Iltenditlamainverselle.Telunstupidelapin,ellesepétrifia.—Sivousdevezêtremafemme,autantavoirunavant-goûtdecequim’attend,déclara-t-ild’unton

brusque.Avantqu’elleaitpudireunmot,illafitpivotercontrelaporte,etpressalabouchesurlasienneet

luiextorquaunbaiser.Unbaiserfurieuxetvengeur.Lorsqu’elleétait fiancéeàEdwardReeve, le filsducomtedeGryffyn,elleappréciait sesbaisers.

Respectueux, Edward ne dépassait jamais les limites de la bienséance… ou si peu. Durant les moisqu’avaient duré leurs fiançailles, tandis qu’ils attendaient que son deuil s’achève, il l’avait parfoisembrasséejusqu’àcequ’elles’empourpreetpouffederire.

C’étaitavantqu’ilnel’abandonne,biensûr.LebaiserdeVandern’avaitriendecommunavecceuxd’Edward.Lorsqu’ilcapturasabouche,une

ondedechaleursibrutaledéferlasurMiaquesoncrânelapicota.Ilforçalebarragedeseslèvresavecsalangueetplaquasoncorpsathlétiquecontrelesiensanslaretenuedontsonfiancéavaitfaitpreuve.Miaeutl’impressiond’êtrejetéedansunerivièresanssavoirnager.Làoùillatouchait,elleressentaitcommeunebrûlure,presquedouloureuse.Devant son insistance,ellecéda, la tête inclinéepourmieuxaccueillirsonbaiser.L’espritvide,ellecessad’appuyersursontorsepourlerepousseretnoualesmainsautourdesoncou.Lecontactsoyeuxdesescheveuxdéclenchaunepalpitationaucreuxdesonventre.

Tremblante, les paupières closes, elle ne remarqua pas immédiatement queVander s’écartait. Pasavantquelebrasquilamaintenaitnelalâche.

Siseulementelleavaitgardélesyeuxfermés.Leméprisdanssonregardledisputaitàlapitié,etellen’auraitsudirecequiétaitlepire.Vanderluisoulevalementon.—Vousnepouvezpasforcerunhommeàvousaimer,Mia.Silesmotsétaientdurs,ilsétaientaussiempreintsd’unecertainecondescendanceàl’endroitdela

vieillefillequin’avaitd’autremoyenquelechantagepoursedénicherunmari.Etill’avaitappeléeparsonprénom,telungrandfrèreoffrantsesconseils.

Elleinspiraetl’airparutluibrûlerlespoumons.Pouvait-onconnaîtrehumiliationplusdouloureuse?Àpeineleouiprononcé,ellepartiraitenÉcosseavecCharlie.

—C’estuneleçondifficile,jesais.Maisgardezconfiance,vousfinirezparenaimerunautre,ajoutaVander,l’airnavré.

Navrépourelle.L’Écossen’étaitpasassezloin.LaBavière.CharlieetelleseréfugieraientenBavièreoùpersonnene

lesconnaissait.Àdix-huitans,CharliepourraitrentrerenAngleterreetréclamerlesbiensdesCarringtonàVander.Avecleducàlatêtedesafortune,aumoinsavait-ellel’assurancequ’ilresteraitunhéritageàCharlie.SirRichard,lui, ledilapideraitenprocèsaussifutilesquedispendieux,sanslemoindreégardpourlepatrimoinedesonneveu.Ensonabsence,maîtrePlummeraideraitVanderàprésenterunerequêtededivorce à laChambredes lords. Il se chargerait de tout, car elle ne remettrait jamais les pieds enAngleterre.

Vanderlatransperçaitduregard.—Demandez-moidedétruirecettelettre,Mia.Conservezvotredignitéetlerespectdevous-même.

Nemeforcezpasàvousdétester.Il ignoraitàquelpointelle tenaitàconserver le respectd’elle-même.Sadignités’étaitenvolée…

maisqu’enétait-ildesonsensdeladécence?Ellefrissonna,conscientedel’opinionqu’elleauraitd’unefemmeayantagicommeellevenaitdelefaire.Danssesromans,lestraîtressesconnaissaienttoujoursunefintragique.

—Jesuisdésolée,murmura-t-elle,jenepeuxpas.

Elle semblait éprouver du regret, toutefois Vander comprit qu’elle n’avait nulle intention de lelibérer.Elleétaitdéterminéeàluimettrelamainaucollet.Oupeut-êtreàl’attacheraupieddesonlit.Lapauvren’avaitàcoupsûrpaslamoindreidéedecequ’unépouxexigeraitdesonépouse.Pourdireleschoses crûment, elle n’était qu’une vieille fille ignorante des réalités charnelles : les ahanements, lescorpsmoites,leplaisiràl’étatbrut.Lacolèrel’envahitdenouveau,presqueaupointd’ébullition.

—Vouscroyezprendrepossessiondemonrayondelune,Mia?Quelquesoitlenomquevousluidonniez, je puis vous assurer qu’il ne fonctionnerapasdans ces circonstances.Pas sous la contrainte.Nousautreshommessommesbizarrementfaits:nousaimonsàavoirlechoixdenospartenairesdelit.Et,pardonnezmabrutalité,maisjenevousauraispaschoisie.

LesjouesdeMias’enflammèrentdenouveau.—Monpoèmen’avaitrienàvoiravecces…questionsintimes!—Jenesuispasd’accord.D’ungestebrusque,Vandersedébarrassadesaredingoteetlajetaderrièrelui.—Quefaites-vous?Ilentrepritdedéboutonnersongilet.SouslesyeuxécarquillésdeMia,legiletrejoignitlaredingote,

cettefoisavecuntintementdeverrebrisé.Elleétouffaunpetitcri.—Vousvenezde…—Vousdevriezvoircequelechantagefaitàlavirilitéd’unhomme,vousnecroyezpas?Excusez-

moi,àsonrayondelune.Ils’attaquaaupremierboutondesaculotte.Danslemêmetemps,lacombinaisonduregardeffaréde

Mia,sonbusteopulentetlaréminiscencedélicieusedeleurbaiserjouèrentàVanderuntourinattendu:ilétaitaugarde-à-vous,raidecommelajustice.

Iljuraintérieurement.Voilàquiruinaitsonplaninitial.Qu’importe.Il lachoqueraitenluimontrantqueloind’êtrepoétique,lemariageétaitphysiqueetmoite.

—Puis-jesavoircequivousprend?insistaMia.Vanderpassa lentement lamainsur ledevantdesespantalonsetvitavecsatisfaction le regardde

Miasuivrelemouvement.Elles’imaginaitprobablementquelesvœuxdumariagepossédaientunesortede pouvoir romantique. La pauvre avait inventé une histoire de conte de fées autour de la relationdissoluedeleursparents.Sansdouteavait-ellelutropdecesromansremplisdefadaisesdanslesquelsdesmessieursaucomportementindigned’unhommenecessaientdetomberàgenouxauxpiedsdeleursbelles,lessuppliantàlamanièred’unépagneulquiquémanderaitunos.

—Jevaisvousmontrerlaréalitédecequevousavezécritdanscemauditpoème,répondit-ilavecunsourireféroce.

Illâchaundeuxièmeboutondesabraguettetendue.Ils’attendaitqu’elles’enfuieavecunpiaillementdesouris–uneréactiononnepeutplustypiquedecegenredefemme.

MaisMialesurprit.Unefoisdeplus.—Suis-jecenséeremarquerquelquechose?s’enquit-elle.Uncourtinstant,ill’admirapresque.Sansêtrevantard,ilsesavaitgénéreusementpourvu.Quelques

courtisanesaguerriesavaientmêmeparuchoquéesparsesproportions.Paselle.Pourunefemmeprêteauchantagepourseglisserdanslelitd’unduc,ellesemblaitd’unesidérante

nonchalance.Boutonnumérotrois.Cettefois,elleparutlégèrementtroublée.—Arrêtezimmédiatement!ordonna-t-elled’unevoixunpeurauquequinefitqu’exciterdavantage

Vander.

—Vousvoulezdirequevousnesouhaitezpasjeteruncoupd’œil?Sincèrement,Mia,vousdevezapprendrelesusetcoutumesdumarché.Unvendeurexposetoujourssamarchandise.

Elleseraidit.—Ilyauneraisonpourlaquellelesmessieursgardentcegenrededétailspoureux-mêmes.Vous,

parexemple,semblezavoirdesillusionsquantàvos…capacités,rétorqua-t-elle.—Enréalité,j’aiuneconviction,maugréaVander.Uneconvictiondegrandeur.Àchaqueboutonquisautait,àchaquesignede ladéterminationdeMia, il sentait lacolèreenfler,

menaçantde lesuffoquer, le forçantàsecomporterdeplusenplusscandaleusement.C’était ledangerqu’ilcourtisait,paslesfemmes.Illuiétaitparfoisarrivédeparlervaguementdeprendreépouse,maisilserendaitmaintenantcompteavecunebrusqueacuitéqu’iln’envoulaitpas.Sonêtreentiersecabraitàcetteidée,luihurlantdelutterpartouslesmoyenscontrecettefolie.Ildéfitledernierboutonetsonsexejaillit,seulementcachéàlavueparlasoiedesonsous-vêtement.

—Alors,mademoiselleCarrington,lerayondeluneest-ilàlahauteurdevosattentes?L’espaced’uneseconde,ilauraitjurévoirsesyeuxs’assombrir;laseconded’après,ellecroisales

brassurlapoitrine.— Si ma mémoire est bonne, quand vous n’aviez que quinze ans, vos amis les plus proches

exprimaientdéjàquelquepréoccupationausujetdevos…proportions.Prisaudépourvu,Vanderéclatad’unriresonore.—Cequejevois,VotreGrâce,poursuivit-elle,c’estunhommequialebonsensdecélébrerceque

laNatureluiaoffertsansprendreombragedesapingrerie.Leducsourit.Peudegensavaientl’audacedeledéfierainsi.Ils’apprêtaitàrépliquerquandilse

renditcomptequeMiacherchaitàtâtonslapoignéedelaportedanssondos.Aussitôt, il l’attiraàlui,cambrant le bassin contre son corps. Puis il glissa lesmains le long de son dos et les étala sur sonpostérieur,laplaquantcontreluiavecautorité.

Mianepipamot,maislepetitsoupiraffoléquiluiéchappadéclenchaunfrissonenréponse.Ilvenaitdecommettreunenouvelleerreurenjouantsonjeu.Àquoipensait-ildonc?Cettefemme

écrivait des poèmes érotiques à quinze ans. Elle le voulait dans son lit et se moquait sans douteéperdumentdesontitre.

Aprèstout,elleétaitladignefilledesonpère.Avantqu’ilaitpudireunmot,Mialerepoussaetillalâcha.Lesjouesenfeu,elleévitaitsonregard,

gardantlesyeuxrivéssursonépaulegauche.—Jevaisprendrecongé,articula-t-elle,lavoixtoujoursunpeurauque.Faites-moiconnaîtrevotre

réponseàmesexigences,jevousprie.Vanderétaitsiabasourdiqu’ilnel’arrêtapas.Ildemeuraplantélà,fixantlaporteclose,laculottedéboutonnée,lesexepalpitant.Ilétaitbienavancéàprésent.

4

NOTESSURL’INTRIGUE

Premier chapitre s’ouvre sur Flora qui se rend à pied à son… travail. Elle est dentellière (ajoute origines humbles,orpheline,etc.).

Unvieuxgentlemanrespectable,M.Mortimer, lavoit traverserlaruedanssarobepropreetrapiécée.Unejeunefillesicharmante,gentilleetméritantenepeutêtrelaisséedansleDénuement,àlamerciduMondeCruel(cetteidéemeplaît!).

Il meurt le soirmême après avoir changé son testament en sa faveur. Il lui lègue centmille livres (trop) à la conditionformellequ’ellenedépensejamaisunsoupourquiconqueàpartelle-même.Sip.ex.elleachèteuncottageàsavieillenourrice–ouunefeuilledelaitue–elleperdl’héritagetoutentier.

Intéressant.Grossedotencasdemariage.AlorspourquoiFrédériclaquitte-t-il?Quiobtientl’argentparlasuite?Desparentsacariâtres?

Unebouteilledebrandyàmoitiévidesurlapetitetableprèsdelui,Vanderfixaitlefeudansl’âtre.Pourunedesraresfoisdesavie,ilmauditsacapacitéàtenirl’alcool.

Ilvoulaitêtreivre.AprèsledépartdeMia,ilavaiteuuneconversationavecsonavouéquiluiavaitdéclarésansdétour

qu’il n’avait pas le choix.Quellesque soient les exigencesdeMiadans cette satanéemissive–qu’iln’avaitpasencoredécachetée–,ilseraitcontraintdes’yplier.

Oudeperdresonduché.QuandThornentradanslesalon,Vandernelevamêmepaslesyeux,mêmes’ilsentaitleregardde

sonamirivésurlui.—Que diable se passe-t-il ? s’inquiéta celui-ci qui saisit la bouteille et se laissa choir dans un

fauteuil.Tuasperduauxcourses?Vandergardalesilence.—Unjour,jet’aiditquej’envisageaisdememarierparamour,tutesouviens?Unedemesidéesles

plusstupides,pourrais-jeajouter.Qu’avait-ildoncimaginé?Cen’étaitpaspourleshommes,toutecettepassion.—Jenemeconsidèrepascommeidiot,fitremarquerThornenexaminantlabouteille.Unbrandymis

enfûten1878.Voilàquimériteunverre.IlselevaetrevintuninstantplustardavecunverreauxarmoiriesduducdePindar.— Ton mariage n’est pas le sujet de la présente conversation, dit Vander avant d’avaler une

généreusegorgéedebrandy.Ils’agitdumien.Tuarrivesàpicpourmeféliciter.Thornposasonverreauqueliln’avaitpastouché.—Bontédivine,ques’est-ilpassé?Leducobservaleruissellementduliquidedorésurleborddesonverretandisqu’ill’inclinait.—Nonseulementmonpèreétait fou,mais il s’avèrequec’était aussiun traître.Etpasn’importe

queltraître:ilseproposaitdansunemissived’assassinerleroienpersonne,permettantainsiàBonnie

PrinceCharliedemontersurletrône.—Pardon?Vandercontinuadesuivrelefildesespensées.—C’étaitundément.Etuncocu.Maisquejesoisdamnésijelelaisseaccuserdehautetrahison.—Quelrapportavectonmariage?demandaThorn,perdu.—Lalettrequiprouvesatrahisonestentrelesmainsd’unefemme.Etelleexigelemariage.—NomdeDieu!—C’estexactementmonavis.—Commentpourrait-onteconfisquertonduché?Letraître,cen’estpastoi.Vanderhaussalesépaules.—Àencroiremonavoué,laconfiscationestinévitable.Apparemment,lesduchésàdistribueraux

favorissontunedenréerareetjen’aijamaisétéunlèche-bottesdelaCouronne.Iln’étaitpasdugenreàsepréoccuperdes’insinuerdanslesbonnesgrâcesdeGeorgeetdesacour.

Nidelabonnesociétéengénéral,d’ailleurs.Entémoignaitlefaitqu’ilavaitpouruniqueamiunbâtard.Filsd’unduc,certes,etnéanmoinsbâtard.

—NomdeDieu,répétaThornentresesdents.Quiestlafemme?—Tul’asrencontrée.—Vraiment?Quelestsonnom?—Lapoétesse.Thornfronçalessourcils.—Lapoétesse?Jenemesouviensd’aucune…Non!LafilleCarrington?—Enpersonne.Vanderseresservitunverre.—Lafilledel’amantdetamèretecontraintaumariage?Thornparaissaitsouslechoc,cequiétaitd’autantplusamusantqu’ayantgrandidanslarue,ilétait

rarementsurprisparlacapacitéànuiredesessemblables.—C’estcelamême.Tupeuxaussil’appelerl’ImminenteduchessedePindar,ditVander.Sijen’étais

pasaussifurieux,jeseraisimpressionnéparsoningéniosité.Sansparlerdesaténacité.—Elletefaitchantersouslamenaced’uneaccusationdehautetrahisonetdelapertedetonduché

dansleseulbutdetepasserlabagueaudoigt?—Présentéeainsi,l’histoireatoutd’unetragédiegrecque.— Qu’elle aille au diable, lâcha Thorn, la voix vibrante de dégoût. Entre ce poème atrocement

mauvaisqu’elleavaitécritsurtoi,etsonpère,quiétaituncoureurdejuponsdépravé,votreunionseralariséedetousjusqu’àlafindetavie.Celan’envautpaslapeine.Renonceàtonduché.

—J’yaisongé.—Et?—La foliedemonpèrea terninotrenom,mais cenomn’en restepasmoins lemien.Undemes

ancêtresafinidécapitéendéfendantleroiCharlescontrelespuritains.Unautres’estbattupourleroiHenry II. Le château des Pindar se dressait icimême trois cents ans avant que cette demeure ne soitérigée.Et jedevrais renier l’histoiredema famille justeparcequ’une femmemedésire si ardemmentqu’ellearecoursauchantage?

—Jediraijustececi:tamèreaépouséunfouettut’apprêtesàépouserunefolle.LavoixdeThorntrahissaitsapréoccupationetVanderréfléchituninstant.Ilconnaissaitlafolie.Il

l’avaitcôtoyéetoutesavie.Illuisuffisaitd’approcherquelqu’unatteintdumoindresymptômepourquesoncrânesemetteàlepicoter.Mianeluifaisaitaucunementceteffet-là.

—Ellen’estpasfolle,finit-ilpardéclarer.Jeseraisbienenpeinedeladécrire,maisellen’estpasfolle.Obsédée,peut-être.

—Nousallonsfaireappelauxmeilleursavocatsdupays,suggéraThorn.Ilsladiscréditeront.Folleoupas,nouslaferonsenfermeràBedlam.Ounouspouvonsluivolerlalettre!Donne-moisonadresseetjelafaissuivreimmédiatement.

—Inutile,ledissuadaVanderavecuneébauchedesourire.Ellemel’adonnée.—Brûle-la,lâchaThornsèchement.—Impossible.Ungentlemanauncoded’honneur.—Foutaises.Entoutcas,moi,jenesuispasgentleman.Donne-la-moi.—Non.—C’étaituncoupdegéniedeteremettrecettelettre,reconnutThorn.Elledevaitsedouterquetes

noblesprincipes te lieraient lesmains.Moi, j’auraismissamaisonsensdessusdessousou je l’auraismêmeréduiteencendresetl’affaireétaitclose.

—C’estunequestiondenometdelignée,expliquaVander.Celadépassemaproprepersonne.Cettesordide affairem’a fait réfléchir à ce que je veux vraiment.Mamère était éperdument amoureuse deCarrington,prêteàtoutrisquerpourêtreaveclui,quandbienmêmecethommen’étaitqu’unmalandrindoubléd’unsot.

—Entièrementd’accord.VanderregardaThorn,conscientd’afficherunaircontrit.—Jeparlaistoujoursvaguementdetomberamoureux…parcequec’étaituneexcellenteexcusepour

éviterlesmondanitésoùjepourraistrouveruneépouse.Franchement,jeseraishorrifiédemeretrouverpiégédansunepassiondecegenre.

—Jepensaislamêmechose.—Pisencore,jedétesteraisquemonnomdeviennesynonymedecocufiagesimonépouseprenaitdes

amants.Jepourraisenperdrelaraison,avouaVander,impassible.—Étantdonnélapersistancedesonadoration,jedoutequeMlleCarringtonaitunjourdesvuessur

unautrehomme,fitremarquerThorn.—Précisément,approuvaVanderavecunsouriredur.Lepartiidéalpourmoi.—Elle sera censée porter ton héritier, lui rappelaThorn.Bref, il te faudra l’honorer. J’en serais

incapable ; impossibleavecune femmequime faitchanter.Maispeut-êtrequ’ellen’enaqu’après tonnom?

—Tuasoubliélefameuxpoème?Simamémoireestbonne,montitrevientloinaprèsmonrayondelune.

Thornjuradenouveau.—C’estintolérable.— Pas nécessairement. J’ai souvent pensé que ce serait l’enfer d’avoir une épouse froide. En

l’occurrence, j’ai l’impressionquecen’estpasdu tout lecas.J’ai toutefoisbien l’intentiond’imposercertainesrestrictionsàcetégard.

—C’est-à-dire?—Jeluioctroiequatrenuits.—Parmoisouparsemaine?—Nil’unnil’autre,réponditVander,visiblementcontentdelui.Quatrenuitsparan.LevisagedeThorns’éclairad’ungrandsourire.—Jeluiaccorderaipeut-êtreunenuitsupplémentairedetempsentemps,plaisantaleduc.Lejourde

sonanniversaire.Thornriaitrarement–cen’étaitpasdanssanature–,pourtantlà,ils’esclaffa.—Quatrenuitsdevraientsuffirepouravoirunhéritier,ajoutaVander.Cen’étaitpaslafindumonded’avoiruneépouseenadorationdevantlui.D’autantquelesconditions

deleurarrangementsignifiaientqu’iln’avaitnulbesoind’êtreauxpetitssoinspourelle.

—Indialadétesteradetoutefaçon,avertitThornenselevant.Elleavaitdesprojetspourtoi.—Cettefillequevousavezpousséedansmesbrasànotredernièresortieauthéâtrem’abêlédes

fadaisestoutelasoirée.Etelleavaitdessortesdebecssaillantssurlafigure.—Cesontdespommettes,idiot.—Ehbien,ellesnemeplaisaientpas.Cette fille tout enos et anglesdroits.Personnellement, il préféraitune femmequ’ilpouvaitnicher

soussonbrastelunpetitoiseau.MêmelasublimeépousedeThorn,India,étaittropgrandeàsongoût.Thornledévisageauninstant,puis:—Dis-moi,MlleCarringtonapprouve-t-elletonquotadequatrenuits?—Jeneluienaipasencoreparlé,maisellelesera.Elleest folled’amour, si jemerappelle les

termesexactsde sonpoème.Elleestprêteàgrappiller lepeudemiettesque je lui jetterai.Elleadûréitérersademandetroisouquatrefois.Bref,ellem’asupplié.

—Seigneur,bougonnaThornd’unairdégoûté,cemariagevafairedetoiunêtrebouffid’orgueil!Vanderluidécochaungrandsourire.

5

NOTESSURFLORAETLONDRES

—L’avouédeM.Mortimerluiachètedesbijoux,unevoiture,desdomestiques…quoid’autre?— Célèbre couturière ravie de fournir une garde-robe à une jeune femme si charmante. Grande et mince, jambes de

gazelle,yeuxdebiche(attentionàl’excèsdemétaphoresanimalières).—EnqqssemainesLondresauxpiedsdeFlora.—Fermierpropriétaireterrienpauvre,maisvertueux,M.Wolfington.«Moncœurestleseulorquej’aiàoffrir!»—LecomteFrédéric–enlisièredelasalledebal–rêvedelamaindeFlora.— Frédéric inviteFlora à une danse, puis deux. La salle soupire devant la beauté céleste du comte, boucles brunes et

blondechevelure,etc.—Pourtant,aumilieudesréjouissances,Floraconsciented’uninexplicablesentimentd’appréhension…

Toutelajournée,Vanderavaitéludélaquestiondumariage,travaillantdanssesécuriesdel’aubeausoir.UnétalonachetéenAfrique,choisipoursalignée,avaitétélivrélematinmême.Lejeunecheval,Jafir,s’étaitrévéléàlafoisféroceetcomplètementperturbéparsanouvellerésidence,etVanderavaitpasséleplusclairdel’après-midiàessayerdelecalmer.

Son palefrenier en chef était persuadé qu’une bonne nuit de sommeil aurait un effet bénéfique surl’humeurdeJafir.Vandern’enétaitpassisûr. Ilyavaitdans leshennissementsdupur-sangarabeunevéhémencequitrahissaituneréelledétresse.Merveilleux.Cetétalon,quiavaitfaitlelongvoyagedepuisl’Afrique,s’annonçaitdifficile,voireimpossibleàdresser.

Vander entra dans son bureau et son regard tomba sur la lettre encore cachetée : les prétenduesexigencesdeMiapourlemariage.Larages’emparadelui.Nonseulementcettefemmelefaisaitchanter,maiselles’imaginaitsérieusementpouvoirluiimposerlesconditionsdeleurunion?Dequeldroit!Unhommeétaitmaîtredesavie.UnefoisMiaetluimariés,ceseraitluiquitiendraitlesrênes.

Elleréussiraitpeut-êtreàachetersontitre,maisriendeplus.S’emparantdelalettre,illafroissaetla jetadans le feu.Elle seconsumaenquelques secondes.Avec sacarrure imposanteet sesmanièresbrusques,ilsesavaitleduclemoinsraffinédupays.Pourtant,Mian’avaitfaitmontred’aucunecraintelorsqu’il avait laissé libre cours à sa colère, alors même que des hommes faits tremblaient en saprésence.

Sonamourétaitàcepointpuissant.Elleavaitdûysuccomberdanssajeunesse,rongeantsonfreinjusqu’àaujourd’hui,unanjourpour

jouraprèsledécèsdesamèreàlui.Ilserralepoingetenassenauncoupsurlemanteaudelacheminée.Qu’elle puisse le désirer autant – même après tout ce temps – au point de le faire chanter, étaitprofondémentdéroutant.Ilauraittouteslesraisonsd’êtrerévoltéàl’idéededevoirl’honorer.Pourtant,fouqu’ilétait,malgrésonindignation,ilnepouvaits’empêcherd’aimersesformesvoluptueuses.

Ilretournaàsonbureau.Sansdoutetenterait-elled’utiliserledésirqu’iléprouvaitpourlesoumettre.Chaqueparcelledesoncorpsrejetaitcetteaberration.

Peut-êtreétait-iltempsderenoncerauduché.

Saufqueceduchéétaittoutesavie.Lesportraitsdesesancêtrestapissaientlesmursdesademeure.Lacrypteabritaitleursdépouilles.Samèreyreposaitauprèsdesonpère,pathétiqueironieétantdonnélescirconstances.

Non. Impossible de laisser ce destin historique tomber entre des mains étrangères à cause d’unefutilité telleque lemariage. Il tenaitàconserver le titrepoursespropresenfants,dussent-ils sortirduventredeMiaCarrington.

Unepulsionsauvagemontaenlui.LescourbesdeMia,seslèvrespleines,sablondechevelure:toutcelaseraitbientôtàlui.

L’irrépressibletentationcédalaplaceàlarépulsion.Cettefemmeétaitd’uneincroyablenaïveté.Ets’il l’enfermait dans le grenier ? L’affamait ? L’assassinait ? Il avait le sentiment que ses pairs serefuseraientàlecondamnerpourmeurtreencasdeprocès,silesfaitssordidesdeleurmariagevenaientàêtreconnus.

Nonqu’ileût l’intentionde lui fairedumal.Penserétaitunechose,passerà l’acte,une toutautre.Maiselleavaitintérêtàacceptersesconditionsàluietaudiable,lesexigencesridiculesqu’ilvenaitdeconfieraufeu!

Ilselaissachoirdanssonfauteuil,attrapaunefeuilledepapieràen-têteetgriffonnaquelquesmotsqu’ilsignadesontitreaugrandcomplet:

MademoiselleCarrington,

Voustrouverezci-dessouslesclausesdumariage.Sansvotreconsentementexprès,cetteunionn’aurapaslieuetleduchéiraaudiable.

EvanderSeptimusBrody4educdePindarVicomteBrodyBaronDrummond

Ilsortitlacireàcacheterrougequ’iln’utilisaitjamais,allumaunechandelle,etfermalepliàl’aide

dusceauducal.Unsouriremauvaisauxlèvres, il tiralecordondelasonnette.Quandledomestiqueapparut, il lui

tenditlalettre.—PortezcecichezlesCarrington.InformezMlleCarringtonquevousattendrezsaréponse.

6

DeMlleEmiliaCarringtonàM.WilliamBucknelldesÉditionsBrandy,Bucknell&Bendal

6septembre1800

ChermonsieurBucknell,Soyez assuré que j’écris aussi vite que possible sachant que mon deuil s’achève à peine. Et que mon fiancé m’a

abandonnéeJe progresse demanière très satisfaisante surUne allure d’ange et un cœur de démon.J’ai déjà rédigé cinquante cent

pages.J’aiprocédéàquelquesajustementssalutairesetcesera, jecrois,monroman leplusoriginalet leplusnovateur.Àson

immense consternation, mon héroïne, Flora, est abandonnée le jour de ses noces par le héros. Toutefois, cette indignité nedemeurerapasimpunie.

Elle manque aussi de mourir de faim et échappe de justesse au maléfique lord Plum, sa vertu intacte, jusqu’auxretrouvaillesfinalesaveclecomteFrédéricquivientàsonsecoursalorsquesonchevals’estemballé.

Jepensequemeslecteurstrouverontl’intriguedesplusdivertissantes.

Avectoutemaconsidération,MademoiselleCarrington

P.-S.:MercidemefaireparvenirtouslesromansdeMlleJuliaQuipletparretourducourrier.J’aiadoréceluiquevousm’avezenvoyé. Pour maintes raisons, ces derniers jours ont apporté leur lot de contrariétés, mais ce livre m’a été d’un grandréconfort.Enfait,j’aiétéincapabledetrouverlesommeillanuitdernièreavantd’avoirtournéladernièrepageduDucperdudeWindhower.

CarringtonHouse,domainedeM.CharlesWallaceCarrington,résidencedeMlleEmiliaCarrington(etdoncdeMlleLucibellaDelicosa)

Miaétaitàsonbureaudepuis5heuresdumatin,s’échinantenvainàrédigerlepremierchapitredesonmanuscritridiculementenretard.SiCharlieetelles’enfuyaientenBavière,ilsauraientbesoindesesdroitsd’auteur.

Elleenétaitseulementàjetersurlepapierquelquesnotessurl’intrigueetàessayerdesbribesdedialogues,étapequipouvaitluiprendredessemainesavantlarédactionproprementdite.

Peut-être Flora pourrait-elle assommer le vaurien, le comte Frédéric, avec le missel de sa mère(détailsubtil).«Mais jevousaime»,bêlerait-ilpitoyablement.«Jenecomprendspaspourquoivousgémissez ainsi, comte, rétorquerait Flora. J’ai perdu des amis plus proches que vous en me faisantépouiller!»

Miaavaitlucetteinsultequelquepart.Hélas,impossibleneserait-cequed’envisagerunehéroïnedeLucibellainfestéedevermine.Ellesse

retrouvaientacculéesaufondd’unravinoumenacéesd’enlèvement,jamais,cependant,ellesn’avaientàsubirlespoux,lamenstruation,nimêmeunedentgâtée.Sansparlerdefuroncles,delavéroleoudelasyphilis.

Une héroïne de Lucibella défaillirait, voire passerait de vie à trépas, au seul diagnostic d’uneinfectionrisquantdeladéfigurer.

Enoutre,toutgentlemanrencontrantunehéroïnedeLucibellamettaitd’instinctungenouenterre.Ilvasansdirequ’aucunnedéboutonneraitsespantalonspourexhibersesorganesgénitaux.

Cequi lui fitpenseràVander.Pourêtrehonnête,ellen’avaitcessédepenserà lui.Elleconcevaitassez clairement la mécanique de l’acte conjugal. Mais cette partie de l’anatomie masculine étaitbeaucoupplusimposanteetvivantequ’ellenel’imaginait.

Parcequ’ellel’avaitimaginée.Environlatailled’uneplume,pensait-elle.Oud’uncrayon.Àl’évidence,ellesetrompaitlourdement.Àmoins queVander ne soit juste disproportionné. Tout chez lui semblait plus grand que chez les

autreshommes.Sontorse,sesépaules…Iln’yavaitaucuneraisonqued’autrespartiesdesoncorpsnesoientpasàl’avenant.Sansdouteavait-ilungrosorteilénorme.Etdesrotulesgéantes.

L’humiliationrivalisaitavec…lamortification.Miadéglutitavecpeine.C’étaitunechosededéduiredel’attitudedédaigneusedelaplupartdeshommesàsonendroitqu’ilslatrouvaientpeuséduisante.C’enétaituneautred’entendrelaconfirmationdetoutessescraintes.Vandertrouvaitqu’elleressemblaitàunpotàtabac.Etqu’elleétaitaffligéedestaresdesonpère,apparemment.

ElleavaitcertesétéhorrifiéededécouvrirlesagissementsadultérinsdelordCarrington…maisaufonddesoncœur,elleétaituneincorrigibleromantique.Sonpèreaimaittantladuchessequ’ilnes’étaitjamaisremarié.Chaquefoisqueleducétaitautoriséàquitterl’asilepourregagnerRutherfordPark,sonpère se faisait un sangd’encre. Il arpentait la bibliothèquede long en large enmarmonnant.Puis, unesemaine ou deux plus tard, un événement se produisait au duché – Mia ne savait jamais trop quoiprécisément–etunmessagearrivait,réclamantlaprésencedelordCarrington.

Le duc était de nouveau enfermé et son père reprenait sa place auprès de la duchesse.Mia avaitapprisdesonpèrequel’amourcomptaitplusquelesvœuxmatrimoniaux.L’amourétaittout.

Pourautant,aucundesesproprespersonnagesnecommettaitd’adultère,parcequeMiaavaituneidéeclaire des exigences de ses lecteurs. À la seule mention du mot, Flora défaillirait. « Orgie » luiarracherait un cri et la ferait fuir en courant, même si Mia ne pouvait s’empêcher d’inventer desutilisationsintéressantes–uneorgiedeconfiseries,parexemple,ouuneorgiededépenses.

UneorgiedeVander.AusouvenirdesapropremaineffleurantsonsexelepoulsdeMias’emballadenouveau.Leshéros

deLucibellan’étaientpasesclavesdeleursdésirs.Ilsavaientdesprincipesetétaientsincèreslorsqu’ilsdéclaraient leur amour, sans une once de luxure. Mieux encore, ils gardaient toujours leur calme, ycomprisfaceauPérilMortel.

Vander n’était pas calme. Il brûlait de passion et de fureur. Quand il se mettait en colère, ilressemblaitàunlionencage.

Peut-êtrecenouveauroman luidonnait-il tantdefilà retordreparcequesonhérosparaissaitbienempotéetinsipidecomparéàVander.

Miaseressaisit.Ilétaittempsdecesserdetergiverseretdedéfinirlesgrandeslignesdel’intrigue.Aprèssixromans,ellesavaitqu’unefoisl’intriguechoisie,lelivres’écrivaitassezrapidement.

Ellerepritsaplume:Frédéricprévoitd’humilierFloraaupieddel’autel,maiscelle-cisubodoresesvilsdesseins.Comprenantenfin(quoiquetroptard)quelssontsessentiments,iltombeàsespieds.

Lecomteattendaitàgenoux,sabelletêteinclinée,lesyeuxscrutantlapoussièreenquêtedelaréponsequ’ilcherchait.

Malheureusementpourl’aristocratehautainetarrogantqu’ilétait,Florasutvoirau-delàdutitreetdelanaissance.Lecomten’étaitpasunhommebien.

M.Wolfingtonétaitbienmeilleurquelui,bienquen’appartenantpasàlanoblesse.Ellepréféreraitvivreavecluidansunemasurequepartagerl’existenceduméprisablecomtedans

unpalais.

Mia s’arrêta.Ses lecteurs seraient surprisparcet attraitpour lapauvreté, cardans sesprécédentsromans, seshéroïnesse retrouvaientà la têted’unecohortedeserviteurs, sansparlerd’une fortuneenrivièresdediamants.Enfait,ellesubodoraitquenombred’entreeuxnepartageraientpaslesconceptionsdeFlorasurlesplaisirsdelaviedansunemasure.

Ellehaussalesépaules.Creusantlaterrebattuedesacahute,M.Wolfingtonpouvaitdécouvrirunsacd’or.

Laportes’ouvrit.—Oui?Son regard tomba sur le plateaud’argent que tenait sonmajordome.Une lettre était posée dessus.

L’épaispapiercrèmecachetéavecdelacirerougecommesilepliprovenaitdel’empereurCharlemagneenpersonne.

SonestimepourVanderdiminuaitd’heureenheure.Nonqu’ellefûtenpositiondeluijeterlapierre.Maisl’hommesemblaitavoirdéveloppéuneoutrecuidancedémesurée.

Lebonsensl’aiguillonna.Àquois’attendait-elledonc?Ilétaitduc,pourl’amourduciel.Sansdouteavait-ill’habitudequ’onluilèchelesbottesàlongueurdetemps.

Dieumerci, Vander ne se doutait pas qu’il s’apprêtait à épouser une femme dotée d’un alter egoindigne répondant au charmant pseudonymedeLucibellaDelicosa.Le saurait-il qu’il renoncerait sansdouteàsonduchéplutôtqued’endurercettehumiliation.Safutureépousen’étaitpasqu’unpotàtabacàquil’onfaisaitlacharité:grâceàsontalentpourlapoésielarmoyante,ellefaisaitaussicarrièredansungenredefictionpeurecommandable.

Elle prit la lettre et brisa le sceau tandis que sonmajordome lui précisait qu’unvalet attendait laréponse.

Ainsi, il promettait d’envoyer son duché au diable si elle ne se soumettait pas à ses exigences ?découvrit-elle.Peuluiimportaitd’enconnaîtrelateneur;ellen’avaitd’autrechoixquedelesaccepter.Àlaguerrecommeàlaguerre.

Elle lut deux fois lemessage et, contre toute attente, éclata de rire. Elle allait épouser un fou, siarrogantqu’illacroyaitsincèrementéperdued’amouretprêteàl’implorerdel’honorer.

Etilavaitl’intentiondelarationner.Quatrenuitsparan,pasunedeplus.L’implorer?Sonsourires’évanouit.Vanderpouvaitattendrequetouslescerclesdel’enferdeDante

gèlentavantqu’ellelesuppliedeluiaccorderneserait-cequ’unenuit.Leducétaitextraordinairementséduisant,nuldouteàcesujet,c’étaitaussil’hommeleplusvaniteux

qu’elleaitjamaisrencontré.Detrèsloin.Ellerepensaaumomentoùilavaitdéboutonnésespantalons.Était-ellecenséeêtreimpressionnéeparsamagnificenceetfrissonnerd’effroi?

Probablement n’était-elle pas censée être curieuse (ce qui était bel et bien le cas, une attitudehonteuse,indigned’unedame).

Detouteévidence,Vanders’étaitimaginéqu’ellelejaugeraitd’uncoupd’œilets’enfuiraitàtoutesjambes.Jusque-là,saconnaissancedel’anatomiemasculineselimitaitàquelquesstatuesdemarbreetàcequ’elleimaginaitderrièrelesfeuillesdevigne.

Latailledesditesfeuillessuggéraitqu’ilavaitraisonausujetdesa«grandeur».

Cependant,lesfemmesdevaientl’avoiroutrageusementflattés’ilavaitcruqu’unseulcoupd’œillaterrifierait.

Quoiqu’onpûtenconclured’autredecettelettre,ilétaitclairqueVanderavaitignorélasiennedanslaquelleelleexpliquaitqueleurunionseraitdecourtedurée.Soit.Ilsuffisaitqu’ilseprésentelejourditàl’égliseetM.Plummersechargeraitdureste.

Saréponsefutbrève.

J’accepte vos conditions, à savoir que vous etmoi n’auronsde relations intimesque si je voussuppliedem’accorderceprivilège,etenaucuncasplusdequatrenuitsparan.

À la seule pensée de relations intimes, ses doigts tremblèrent, laissant une tache d’encre après sasignature.Vander…nu.Dansunlit.

CommeellequitteraitRutherfordParktoutdesuiteaprèslacérémonie,laquestionneseposaitpas.Lemariageneseraitpasconsommé,carcelamenaceraitsonannulation–maispaslatutelledeVandersurCharlie,selonmaîtrePlummer.

Cetteunionn’avaitrienàvoiravecleplaisir.Pasmêmepourquatrenuits…Mia cacheta la lettre et la fit remettre au valet de Vander. Puis elle écrivit encore deux phrases

qu’ellebarraavantdedéciderqu’elleferaitmieuxdes’installerdansunfauteuiletdesereplongerdansleromandeMlleJuliaQuiplet.Cettelecturelaconvaincraitque,Dieumerci,ilexistait,deshommesbiensurcetteterre.

Toutefois, elle tenaitd’abordà s’assurerqueCharlieallaitbien.Elle se levaetgagna lachambred’enfant.Duc,mariage,nuitdenoces…Charliecomptaittellementplusquetoutescesfutilités.

Sonneveuétaitassisaupetitbureaudansunangledelapièce.Sonregards’illuminadèsqu’illavit.—TanteMia!VousvoulezliremonessaisurAristophane?—Certainement,répondit-elleavecunsourire.Depuisledécèsdesonfrère,sirRichardavaitcongédiéleprécepteurdeCharlie,àlasuitedequoi

Miaavaitconvainculepasteurdesechargerdel’éducationdesonneveu.Son frère John aurait été effaré. S’il avait été déçu par la condition physique de son fils unique,

jamaisiln’avaitlésinésursonéducation,sachantqu’unjourCharlesWallaceseraitamenéàdirigerledomainefamilial.

Charlieseprécipitasursesjambesmaigrichonnes,s’arrêtaprèsdusofa,oùMias’étaitassise,etpritappuisursabéquille.

—Quesepasse-t-il?Elle l’attira sur ses genoux et l’étreignit avec tendresse.Bientôt, il aurait neuf ans. Puis dix, puis

vingt…Si elle devait semarier avec le diable en personne pour assurer son bonheur et sa sécurité, elle

n’hésiterait pas. Le testament de John exigeait qu’elle soit mariée ; par chance, il ne spécifiait pascombiendetemps.

—Riendutout!assura-t-elleavecunegaietéforcée.Toutvabien.Enfait,jetiensàcequetusoislepremieràsavoirquejeviensd’accepterlademandeenmariaged’unduc.

Miachoisitd’oublierqueladitedemandeémanaitd’elle.Charlien’avaitnulbesoindelesavoir.Ilavaitdéjàeubientropdesoucisdurantsacourtevie.

—Tuimagines,monchéri,jevaisêtreduchesse.C’estbeaucoupmieuxqued’épouserM.Reeve.— Non ! protesta le garçon. M. Reeve va revenir, je le sais ! Il a promis de me fabriquer une

nouvellebéquille.Ilnepartiraitpassansavoirtenusapromesse.Miasoupira.Charlierefusaitd’admettrequ’elleavaitétéabandonnéeparsonfiancé.

—M.Reevealaisséunmotdisantqu’ils’embarquaitpourl’Inde,tutesouviens?Edwardn’avaitpasprislapeinedeluiéviterlahontedel’attendreenvainàl’église,uncoupbas

qu’elle ne lui pardonnerait jamais. Pourquoi n’avait-il pas décidé de fuir la veille du mariage ?L’humiliationauraitétéplussupportable.Elleauraitpupleurerenprivé.MaislalettreavaitétéremiseàsirRichardquil’avaitlueàvoixhautealorsqu’elleattendaitdanslevestibuledeSaint-Ninian.

Edwardn’avaitmêmepasinformésesparents.QuandelleavaitvulecomtedeGryffynetsonépouseplustardcematin-là,ilssemblaientaussichoquésetbouleversésqu’elle.

Dansunrecoinsecretdesoncœur,ellevoulaitcroirequeCharlieavaitraison.Qu’unjour,Edwardreviendrait.Ill’avaitaimé.Illaregardait…ehbien,commeelleregardaitVanderautrefois.

Unjour,Edwardselibéreraitdelaterreurdumariagequil’avaitpousséàlafuite;ceserait,hélas,troptard.

—Jenepeuxattendre,Charlie,murmura-t-elle,lagorgenouée.Ilnerestequedeuxsemainesavantquelaclausedetutelledansletestamentdetonpèreneprenneeffet.

Son frère l’avaitnommée tutricedeCharlie–àconditionqu’elle soitmariéedans lesdouzemoissuivantsondécès.Àunhommedebienetdevaleur.

Son frère n’aurait jamais envisagé qu’elle,Mia, pût se charger de la gestion du domaine, tâche ôcombien ennuyeuse et répétitive pourtant. Son père et lui l’avaient toujours écartée avec désinvolture,traitantsesromansde«griffonnages».

Lesgriffonnagesenquestionavaientrapportédavantagequeledomaineenunan,maisellen’enavaitrienditàsonpère,pasdepuislasortiedesonpremierlivre,quand,magnanime,illuiavaitaccordéledroitde«gardersesquatresouspourelle-même».

—J’auraispréféréqu’ilreste,insistaCharlie.M.Reevem’avaitpromisd’acheteruntraîneaul’hiverprochainetdemetirerdanslaneige.Etildevaitaussim’apprendreàinventerdeschoses.

Miaresserrasonétreinte.Àlamortdesonfrère,sirRichardavaittentédes’arrogerlatutelledesonneveu sous prétexte que son fiancé était un enfant illégitime et ne pouvait, de ce fait, être considérécommeunhomme«debienetdevaleur».Dieumerci,sadémarchen’avaitpasabouti.

SirRichardgagnaitsouventsesprocès–quiétaientlégion–,maisilavaitperducelui-ci.Lesavocatsd’Edwardavaientcontre-attaquépourdiffamation. Illégitime,Edwardn’enétaitpasmoins le filsd’uncomte.Ilétaitenoutre,professeuràOxfordetavaitfaitfortuneenmettantaupointdiversesmachines,dontune,révolutionnaire,àfabriquerlepapierquirencontraitunfrancsuccèschezlesimprimeurs.

Mia l’avait rencontrédans lebureaude sonéditeur, alorsqueLucibellaDelicosa était envisite àLondres.Uninstant,ellesongeaavecnostalgieauxpremiersjoursenivrantsdeleuridylle, lorsquesonpèreetsonfrèrevivaientencoreetqu’ellecroyaitavoirenfinrencontréunhommequ’elleadmirait.

Elleseressaisit.Ironiedel’histoire,lesfaitsavaientdonnéraisonàsirRichard:Edwardn’étaitpasunhommedebienetdevaleur.Sinon,jamaisilnel’auraitabandonnée.

— Tu apprendras à inventer des choses par toi-même, répondit-elle à Charlie. Je suis obligéed’épouserunautrehommequeM.Reeve.Cetteoffreduducestunechancepournous.JenetelaisseraipasauxmainsdesirRichard,monCharliechéri,ajouta-t-elleavantdeplaquerunbaisersursonfront.

Legarçonposalatêtesursonépauleetellel’entouradesonautrebras.Ellesentaitsonpetitcorpsfrêle et osseux contre le sien.Un jour, il deviendrait un homme ; pour l’heure, il n’était encore qu’unenfant.Unenfantfragile.

—Jen’aimepasêtrelepupilledesirRichard.Ilmeregardecommesij’avaistroisdoigts,oudeuxnez.

—Nous n’aurons plus jamais à nous inquiéter de ton oncle. Tu seras le pupille d’un duc.Qu’enpenses-tu?

L’indécisiondeCharlieluifenditlecœur.—Jen’aijamaisrencontrédeduc.Vousleconnaissezbien?

—Biensûr,affirmaMia.JeconnaisSaGrâcedepuisl’enfance.Voilàpourquoiilestassezgénéreuxpournousfairecettefaveur,enl’honneurdenotrevieilleamitié.

Siseulementc’étaitvrai.—Jemesuisditqu’après lemariage,nouspourrionsfaireunvoyage, touslesdeux.Quedirais-tu

d’allervisiterlaBavière?À ses yeux, la Bavière avait toujours été un endroit des plus romantiques, avec ses châteaux qui

pourraientservirdecadreauxaventuresfuturesdeseshéroïnes.Plusviteellequitteraitl’Angleterre,plusviteVanderpourraitengageruneprocédurededivorcepour

abandondudomicileconjugaloud’annulationpournon-consommationdumariage.Àluidevoir,commeelleleluiexpliquaitdanslalettrequ’iln’avaitpasprislapeinedelire.

Dès lorsqueCharlie l’accompagnait,Miaréalisanonsans tristessequ’àpartsonchevalLancelot,riennipersonnenelaretenaitenAngleterre.Encetinstant,savieluiparutétrangementvide.

—Ohoui,s’ilvousplaît!s’exclamasonneveuavecenthousiasme.J’adoreraisfairecevoyage!—Alorsc’estdécidé,nouspartirons.—Jepourraisavoirdumalàmarchersurlepontdubateau.MiafrissonnaàlapenséedeCharliesurunpontglissant.—Nousresteronsdanslacabine,etnousseronsdel’autrecôtédelaMancheavantquetuaieseule

tempsdedireouf!assura-t-elle,s’efforçantdenouveaud’apparaîtregaie.Sansgrandsuccès.Charlienoualesbrasautourdesoncou.—Toutirabien,tantine,larassura-t-il.SatignassebrunerappelaitàMiacelledesonfrère.—Jet’aime,murmura-t-elle.—Moiaussi,jevousaime,réponditsonneveud’unetoutepetitevoix.

7

NOTESSURL’INTRIGUE

—ToutLondresauxpiedsdeFlora.—FloraadesdoutessurlecomteFrédéric.Sepourrait-ilqu’endépitdesacourassidue,ilnesoitenréalitéqu’unTraître

Cruel?Frédéric : « Qui pourrait regarder pareil tableau de la grâce et la douceur féminines et ne pas y reconnaître l’œuvre

parfaiteduCréateur?»—Doit-ilsedéclarerimmédiatement,dèslepremierbal?«Moncœurvousestfollementdévoué»,s’écrialecomte(s’exclama?protesta?).Peutmieuxfaire.«Partoutcequemonâmeadeplussacré,jevousjurequemoncœurestàvouspourl’éternité!»s’exclamalecomte,en

proieauxaffresdelapassionqu’ilressentait.Pasmal.

RutherfordPark,troisjoursplustardLejourdumariages’annonçaensoleilléetd’unechaleurinattenduepourunefind’été.Mia ouvrit l’œil à 5 heures, désorientée, pensant qu’il était temps d’aller voir si Charlie était

réveillé.Entredeuxclignementsdepaupières,elleaperçutunpapierpeintinconnu,etsesouvintalorsqu’elle

avaitembrassésonneveulaveilleausoiravantdeserendreàRutherfordPark.Iln’yavaitqu’uneheurede trajet entre leurs demeures,mais le duc avait exigé qu’elle passe la nuit chez lui. Elle avait cédé,estimantplusdiplomatiquedenepassechamaillersurunsujetaussiinsignifiant.

Enguisederébellion,ellemitunpointd’honneuràarrivertard,sibienqu’onlaconduisitdroitàsachambre–celledefeuladuchesse,supposait-elle–etqu’ellen’eutpasl’heurd’êtreaccueillieparsonfuturépoux.

Avecunpetit frissondedégoût,Mia jetaunregardà la ronde,s’attardantsur lesglandsdorésquiornaient lescolonnesdubaldaquin, les tenturesen soiedeLyonderrière lacoiffeuse, l’urneenargentgravéedusceauducalposéesurlemanteaudelacheminée.

L’urneétaitentouréed’unfouillisdepetitsanimauxenporcelaine,laqueetjade,unecollectionquiavaitquelquechosededésespérant,trouvaitMia.Sepouvait-ilquesonpèreaitoffertcesminiaturesàsamaîtresseparcequ’ilnepouvaitluidonnerd’enfants?Quelletristepensée.Ellesesouvenaitdusouriremélancoliquedeladuchesse.Peut-êtreleursecretétait-ilplustristequel’adultère.Plusintime.

Haussantlesépaules,ellesortitdulit.Elleseraitpartiepourmidi.InutiledecontrarierVanderparsaprésenceplus longtempsquene l’exigeait l’absoluenécessité. Ilserait foude joied’apprendrequ’ellen’avaitnulleintentiondedemeurersoussontoitetquecemariageneleseraitquedenom.

Susan,safemmedechambre,passalatêtedansl’entrebâillement.—Bonjourmademoiselle,lasalua-t-elleavecunsourire.

Elle fit entrer des valets chargés de brocs d’eau fumante qu’ils portèrent dans la salle de bainsadjacente.

Malgré tous ses efforts, Mia ne pouvait s’empêcher de penser à feu la duchesse. Pourquoi, parexemple,SaGrâceavait-ellesouhaitéunebaignoireentouréedemiroirs?Elle-mêmes’employaitdesonmieux à ne jamais regarder sa silhouette, ni la moindre partie de son corps, à vrai dire. Impossibled’ignorercesvallonsdéprimantsdechairroseavecunegaleriedesglacesàlaquelleleregardnepouvaitéchapper. Elle ne s’attarda pas dans son bain, et s’enveloppa en hâte dans une grande serviette dèsqu’ellesortitdel’eau.Plusvitecetépisodeseraitterminé,mieuxellesesentirait.

—Quepensentlesdomestiquesdecemariage?demanda-t-elleàSusan.Leregarddelafemmedechambrecroisalesiendanslemiroirdelacoiffeuse,puissefixasurla

brossequ’ellepassaitdansleslongscheveuxdesamaîtresse.—Ilsn’osentpasmeledireenface.Susanétaitàsonservicedepuistroisansetsavaitpresquetoutd’elle,ycomprisl’histoiredupoème.

Fidèleàsanature,lajeunefemmeavaitéclatéderireàl’évocationdu«jusnacré»,maistrouvaitelleaussimonstrueuxqu’Oakenrottaitrévéléàtousl’adorationdeMiapourVander.

—Ons’attendraitqu’ilssoientheureuxqueleurmaîtresemarie,poursuivit-elle.MaisilssemblentcroirequeSaGrâcecommetuneénormeerreur.Ilm’afallufaireappelàtoutemavolontépournepasdiremafaçondepenseràM.Nottle,hiersoir.

Sesjouesvirèrentauroseetlescoupsdebrosses’accélérèrent.—Lemajordome?—C’estsiguindéàl’office,milady.M.Gaunthurleraitderiresinousdevionsfairedescourbettes

commel’exigeM.Nottle.Pourtant,iln’apasempêchélesdomestiquesdejacassersurlesmaîtresd’unefaçonqueM.Gauntnepermettraitjamais.

—Jedoutequemonpèreaitététrèspopulairedanscesmurs,commentaMia.Monpoèmem’avaitdéjàrenduetristementcélèbre,etsondécèsl’annéedernièredanslescirconstancesquel’onsaitaétélepointd’orgued’unelonguesériedescandales.

—SaGrâceadelachancedevousavoir!assuraSusan.Àcequetoutlemondedit,iln’ajamaismontré lemoindre intérêtpour lesdames, juste leschevaux. Ilnevapasauxbals,nimêmeàLondrespour la saison. Il passe tout son temps aux écuries. Il n’a même jamais feint de courtiser une dame.Certainsprétendentquelesfemmesnel’intéressentpas,sivousvoyezcequejeveuxdire,ajouta-t-elleàmi-voix.

LesjouesdeMias’enflammèrent.Cesgenssetrompaient.LesfemmesintéressaientVander.—Onnepeutpasreprocheraupersonneld’êtredéconcertéparcemariagehâtif,Susan.Ilsauraient

sansdoutepréféréqu’ilchoisisseunefemmeélégante,commesamère.Enaccordavectoutceci.D’ungeste,elledésignalamultitudedebibelots.Susanplissalenez.— Sa Grâce n’appartenait pas à la noblesse, et cette pièce en est la preuve. Ce décor est très

révélateurdesapersonnalité.—Nousnedevonspasparlerainsi,laréprimandaMia.Cen’estpasconvenable.—Cettechambreestoppressante,s’entêtaSusan,etellen’avaitpastort.Le regardn’avaitpasun seul endroitoù seposerquin’évoquâtpas le statutde laduchesseou sa

passionimmodéréepourlesminiatures.—Lesserviteurspréféreraientquejesoisunefemmedifférente.Voilàcequejeveuxdire,Susan.—Toutcequ’ilvousfaut,c’estunenouvellegarde-robe,assuralafemmedechambre,etcen’était

paslapremièrefois.Susanétaitunange.Elleaffirmait toujoursquesamaîtressesous-estimaitsescharmes,àquoiMia

répliquaitqu’elle semontrait simplementpragmatique.Làoù lesgrandes femmespouvaientporterdes

robesautombésouple,elleparaissaitimmanquablementcourtaude.Ellesubodoraitvaguementquetroisouquatreessayagesseraientnécessairespourfaçonnerunerobe

àlacoupeflatteuse.Ellen’enavaitjamaiseuletemps,etlacouturièrelocalen’étaitassurémentpasàlahauteurdudéfi.

De plus, c’était sir Richard qui tenait les cordons de la bourse depuis l’année passée. Comme iln’étaitpasautoriséàretirerdesfondsensonnomavantd’obtenirlatutelleofficielle,ils’étaitcontentéderéduire toutes lesdépenses–etavaitsupprimélarentedeMiasousprétextequ’étantendeuil,ellen’avaitnulbesoindenouvellestoilettes.

L’argentdesesdroitsd’auteur,elleleréservaitàunepossiblefuiteavecCharlie.Enconséquence,ellearboreraitpoursonmariageunerobedemousselinemalajustée.Vanderporteraitsansdoutelesacetlacendre,alorssapropretenuen’avaitguèred’importance.

Edward n’en aurait eu cure. C’était un intellectuel que les apparences n’intéressaient pas – tropsuperficiel.Miaréalisanonsanssurprisequ’ellen’avaitpaslecœuraussibriséqu’ilauraitpul’êtreàlaperspectived’épouserunautrehommequesonfiancé.

Selonlescodesdesromansqu’elleaffectionnait(etécrivait),elledevraitêtreencoreprostréesurlesol,ensanglots.Aprèstout, ledrameneremontaitqu’àunmois.Elleavait l’intentiondedécrireFlorablanchecommeunlinge,leregardhantéetlecorpsamaigri,sonappétitl’ayantdésertée.

Celui deMia était aussi solide que d’ordinaire.En fait, une fois le choc passé, elle s’était sentiedavantage irritéequ’accabléedechagrin.Et lamauvaisehumeur luidonnait toujoursenviededévorerdesbriochesbeurrées.

Problèmeplusimportantencetinstant,Miaétaitpétrifiéeàl’idéededescendrel’escalier.CommentaffronterVander?Elleluiavaitforcélamainavectantdemalhonnêteté.Ildevaitlahaïr.

Évidemment,illahaïssait.Ellefinitparserésoudreàquitterlachambre.Nulautrechoixpossible:illuifallaitaffronterleduc

irascibleetprononcersesvœuxaussivitequepossible,aprèsquoiellerentreraitchezelleetfeindraitdetoutoublier.

Alorsqu’elleatteignaitlepieddel’escalier,elleentendit,horrifiéedesvoixenprovenancedusalon.Vandern’avaitquandmêmepasorganiséuneréception?

SonhéroïnedansL’Amourconquiert tout,Petronella–ouétait-ceGiuliana?–devaitaffronter laguillotine.Lementonlevé,elles’avançaitaveccourageverssondestin(enfin,pasvraiment,biensûr,carunduc,fascinéparsabeauté,risquaitsaviepourlasauver).

Miaredressalementonetsedirigead’unpasdéterminéverslesalon.Cen’étaitpastoutàfaitpareilquelaguillotine,pourtantsoncœurcognaitcommesielleallaitàlamort.Nottle,lemajordome,neluifacilitapaslatâche:illatoisadelatêteauxpiedsavantd’ouvrirlaporte.

—MlleCarrington,annonça-t-il.À la totale stupéfaction deMia, le duc deVilliers se tenait devant elle. L’homme – une lointaine

connaissancedesonpère,sisamémoireétaitbonne–étaitréputépoursonextravagancevestimentaire.Fidèleàsaréputation, ilétaitvêtud’uneredingoteentaffetasdesoieàrayuresbleuesetvertessurungilet entièrement brodé de fleurs. L’air égaré,Mia chercha son épouse du regard,mais la seule autrepersonneprésenteétaitVander,élégantluiaussidanssaredingoteensoieaméthysteornéedemanchettesbrodées.

Ratépourlesacetlacendre.Sapropretoiletten’étaitcertespasàlahauteurdelacérémoniequil’attendait,dutadmettreMia.Vanders’avançaverselleetlasalua.—MademoiselleCarrington.Toutesmesexcusespournepasvousavoiraccueillieenpersonnehier

soir.Savoixvirileluiarrachaunfrisson.

—VotreGrâce.Miaexécutauneprofonderévérencequiluipermitdeseressaisir.Puiselleseredressaetsaluale

ducdeVilliers.—VotreGrâce,répéta-t-elledansunsouffle.—Toutvabien,j’espère,ditVander,impassible.Ellesentitunebrusquechaleurmonterdanssoncou.—Biensûr.Enfait,jesuissurprise.Vulescirconstances,jenem’attendaispasàuneréception.—Qu’est-cequ’elledit?braillaunevoixsortiedenullepart.Saisie,Miafitunbonddecôté,droitdanslesbrasdeVanderquilapritauxépaulespourlaremettre

d’aplombetlagardacontrelui.—Mon oncle, j’ignorais que vous étiez là.MademoiselleCarrington, puis-je vous présentermon

oncle,sirCuthbertBrody?SirCuthbertvenaitdese leverd’un fauteuilàhautdossierplacédevant la fenêtre.De la taillede

Mia, quoique beaucoupplus rondelet, il avait le nez et les joues rouges, et le peu de cheveuxqui luirestaient se dressaient sur son crâne tel un pavillon à la proue d’un navire. Il portait une redingoteextraordinaire,maisquelquepeufroissée,ensoieàmotifcachemirevertsaugeavecunecanneassortieornéed’unpommeauenlaiton.

—JepréfèreChuffy,déclara-t-ild’unevoixpâteuse.Bonjouràvous,machère.Ilsemblaitunpeuéméché.Non,pire:ilétaitcomplètementivreettitubaitmêmeunpeu.Vandergrogna.—Ladernière fois que jevous ai vu, il était 2heuresdumatin et vous alliezvous coucher,mon

oncle.—Oh, à cette heure-là, il était trop tard pour aller au lit ! Et puis, j’aurais manqué ce glorieux

événement,cettecérémonie…nuptiale.—Avez-vousprévudechangerderedingote?s’enquitVander.—Celle-ci convient tout à faitpourboire, répliqua sononcle avecentrain.Alors elle conviendra

aussipourteconduireàl’autel.Etpuis,cen’estpascommesic’étaitlegenredemariageoùontortilledupostérieurdanslatravéecentraledeSaint-Paul,hein?

Outrelesbrumesd’alcool,ilyavaitdanssesyeuxbrunsunelueurtouchante.MiaselibéradesmainsdeVanderetlepremiersouriresincèredelajournéeluiincurvaleslèvres.

—C’estunplaisirdevousrencontrer,sirCuthbert,assura-t-elleens’inclinantdansunerévérence.—Appelez-moi donc Chuffy, dit-il, gîtant un peu lorsqu’il la salua. Vous allez devenirma…ma

nièce, après tout. Je vous ai déjà rencontrée, n’est-ce pas ? Je veux dire, à l’époque où votre pèrebatifolaitavecmabelle-sœur?

—Mononcle,intervintVanderd’unevoixdure.Chuffyluicoulaunregardencoin.—Qu’est-ceàdire?Feignons-nousden’avoirjamaisrencontrécettedemoiselle?Mêmesijeneme

rappelleplustropquand,machère.LepèredeVanderétaitmonfrère,maisiln’avaitpastouteslestassesdanslebuffet.

—Elleestaucourant,fitremarquerVander.—Pasuneraisonpourrester tousplantés làà ladévisagercommesielleétaitungarçond’étable

affublédelasoutanedupasteur,décrétaChuffy.Ilréussitl’exploitdesetenirdroittoutendonnantungrandcoupdetêtesurlecôtéquienvoyavalser

samèche.—Commentva,Villiers?Jenem’attendaispasàvousvoirici,jedoisdire.C’étaitintéressantdedécouvrirquel’aristocrateleplusstrictdeLondresquantàsesfréquentations

comptaitapparemmentunivrogneaunombredesesamis.

—Jenemedoutaispasquevousétiezdanscettepièce,Chuffy,réponditVilliersavecunsalutetunsourirechaleureux.

—Ehbien,jenevaispasvousmentir.Quandj’aicomprisquevouscomptiezjacasserunmomentausujetdelafuturemariée,j’aipiquéunpetitroupillon.

Miasemordit la lèvre.C’étaitunechosedes’imaginerfaceàlaguillotine,etuneautred’avoir laconfirmationquedesgensréclamaientsatête.Ainsi,sonfuturmaris’étaitamuséàlatournerenridicule.Àquois’attendait-elledonc?

Àsongrandétonnement,Chuffypritsadéfense.—Vousdevriezavoirhonte,Leo,dit-ilauducdeVilliers.Vousn’étiezpasnonpluslemeilleurparti

de lasaison,voussavez.Jenecomprendspascommentvousavezréussiàconvaincrecettecharmantepersonnedevousépouser,avectousvosbâtards.Presqueunedouzaine,sijenem’abuse.

Villierssedétenditvisiblement.—Unedemieseulement.Etunfilslégitime,àprésent.—Suis-jecensévousféliciterdesemerdansvotreproprechamp?rétorquaChuffy.C’estl’hôpital

quisemoquedelacharité,oucetteautreexpressionaveclapailleetlapoutre.IlfitunpasmalassuréversMia,telunchevalierenarmureternie.—Enfinbref,jenetoléreraipasdavantagecesjacasseriesdevieillescommères.LeducdeVilliersopina.— Honte à moi, dit-il avant de se tourner vers Mia. Désolé de vous avoir mise mal à l’aise,

mademoiselleCarrington.JeconnaisSaGrâcedepuissaplustendreenfanceetlescirconstancesdesesfiançaillesnesontpascequej’avaisespérépourlui.

Miainspiraungrandcoup.—Jeprésentemesexcusespourcescirconstances,dit-elle,sincère.Le duc attendit, comme si elle allait changer d’avis simplement parce qu’un duc – un autre –

n’approuvait pas son chantage. Ce qui était impossible. Le bien-être de Charlie était autrement plusimportantquel’opinionduducdeVilliers.

—Moi, jecomprendspourquoicettedemoiselleveutmonneveu,annonçaChuffy.Elleabongoût,voilàtout.Cegarçonparlen’importequellelanguesanspourainsidireouvrirunlivre…

—C’estfaux,lecoupaVander.— Certes, il y a plus séduisant, poursuivit Chuffy, ignorant son neveu. Mais il est duc. Son

tempéramentquerelleurestsonplusgrosdéfaut.MiavoyaitqueVandercommençaitàperdrepatience.—Pascommesonpère,cependant.Monfrère–paixàsonâme–nepouvaitdominersacolère.Sauf

quec’étaitsacervellequiétaitencause,paslui.C’étaitungrandmangeurdebœufetjecroisquecelaafaitdutortàsonesprit.

Ilmarquauntempsd’arrêtetregardaMiad’unaircomplice.Ellehochalatêteavecunsourire.Était-ellecenséejoueraujeudescitations?Elleavaitreconnuletexte;lemomentluisemblaittoutefoismalchoisipourunepetitediscussionsurShakespeare.

—Cegarçonatoutefoisunemagnifiquecrinière,ajoutaChuffy.Cettefois,cen’étaitpasdeShakespeare.C’étaitunsimpleétatdefait.Vanderpossédaiteneffetune

bellechevelureépaisse.— Je crois que nous pourrions aussi bien nous asseoir, proposa ce dernier, non sans agacement.

MlleCarringtonetmoidevonsnousmarierdansmoinsd’uneheure,maislepasteursembleavoirdisparu.Lespréparatifsàlachapelleontdûseprolonger.Elleaétépeuutiliséecesdernièresannées,expliqua-t-ilàMia.

Elle était soulagée de ne pas avoir à remettre les pieds dans l’église locale, Saint-Ninian, et dedevoirrevivreleGrandAbandon.Ellesesentaitnauséeuse,etavaitencoredumalàcroirequ’elleavait

étécapabledecontraindreunhommeaumariageenrecourantauchantage.Ellenevoulaitpascroiserleregarddesononcle,niréfléchirauximplicationsdesonactepourVander.

Laportes’ouvritetNottles’encadrasurleseuil.—M.TobiasetladyXenobiaIndiaDautry,annonça-t-ilavecemphase.LecœurdeMiaseserra.VanderavaitinvitésonamiThorn,l’undestémoinsdel’horribleincident

danslabibliothèque.—Pourquoi ne pas inviter toute la contrée ? ironisa Chuffy. Nottle, où est le champagne ?Votre

maîtresefaitpasserlacordeaucou!Lemajordomepinçaleslèvres.Vanderluiadressaunsignedetêteetilseretira.Chuffytrottinaàsa

suite,agitantlamainàl’adressedeDautryetdesonépouse.Prisedevertige,MiaregardaleducdeVillierssaluersonfilsetsabelle-fille.Quediablefaisait-elle

encompagniedegensaussibeauxetdistingués?ThornDautryetladyXenobiaétaientremarquablementbienassortis.Inutiledepréciserqu’ilsétaientaussiparésquedesmâtsdemai.Etaussigrands.Legenredepersonnagesquiluidonnaientl’impressiond’êtreunpauvrechampignonrabougri.

—Attendez-vousd’autresinvités?demanda-t-elleàVanderàvoixbasse.—Pourquoicettequestion?s’enquit-ild’un toncourtois,alorsmêmequesonregardétincelaitde

colère.Vousnesouhaitezpascélébrercetévénementheureux,machère?Évidemment,ilétaitfurieux.Àjustetitre.—J’avaisimaginéunecérémoniedansl’intimité,dit-elle,maîtrisantdifficilementsavoix.—Dansl’intimité?Pourquoidiable?s’étonnaVanderquisetournaetdonnaunebrèveaccoladeà

Thorn.Mercid’êtrevenu.—Jen’auraismanquécetévénementpourrienaumonde,réponditDautryd’unevoixcrispée.Au moins dans L’Amour conquiert tout, son héroïne échappait-elle à la guillotine avant d’être

menacéeparlalame.Mia,elle,avaitlasensationquecelle-ciluisait,menaçante,au-dessusdesoncou.Elle réalisait trop tardqu’elle aurait dû insisterpourqueVander lise sa lettre.Celui-ci luiprit le

coude.—MademoiselleCarrington,vousvoussouvenezsûrementdeM.Dautry,quoiquevousn’ayezpas

encorerencontrésonépouse,ladyXenobiaIndia.Cesontdesamisproches.ThornDautrydécochaàMiaunregardassassin.D’uncoupd’œil,ellecompritquesafemmeétait

danslesmêmesdispositionsàsonégard.Quandelleavaitpris ladécisiondésespéréedefairechanterVander,ellen’avaitpassongéauméprisdontelleferaitl’objet,etqu’ellelisaitàcetinstantdanslesyeuxdeladyXenobia.Aprèsunbrefsalut,celle-cisedétournacommesiMian’étaitqu’unevulgairefilledecuisineimpudente.

MiaavaitentendudirequeladyXenobiaétaitcapablederéorganiserunemaisonendeuxjours.Àprésent,ellesavaitcommentelles’yprenait.Sansdouteluisuffisait-ild’unregardacéréauxdomestiquesquichapardaientlebrandyetilsseconfessaientsur-le-champ.

Dautry escorta son épouse jusqu’au sofa avecune sollicitude suggérant qu’elle attendait un enfant.VandersuivitetfitasseoirMiaprèsdeladyXenobia,alorsqu’ilétaitévidentqu’elleauraitpréférésetrouverailleurs.Dansunrecoin,parexemple.

Chuffy réapparut, suivi de Nottle qui portait un plateau chargé de flûtes à champagne et d’unebouteille.L’oncledeVandertenaitdeuxautresbouteilles.

—Nousvoilà!brailla-t-il.Cettefêteesttellementsinistrequej’ail’impressiondedevoirprendrelesmensurationsdemonpauvreneveupoursoncercueilaulieudesonlitconjugal!

Vander s’avança vers son oncle, inquiet sans doute qu’il ne s’effondre, au risque de briser lesbouteilles.

—Cethommeestivremort,fitremarquerLadyXenobiasansprendrelapeinedemurmurer.

Chuffyétantlaseulepersonnedanslapièceàavoirfaitmontred’unpeudegentillesseàsonégard,Miasesentitobligéedeledéfendre.Elleseraclalagorge,puis:

—SirCuthbertmedonnecependantl’impressiond’avoirtoutesatête.Lady Xenobia tourna vers elle le regard condescendant d’une reine découvrant une femme de

chambreégarée.—Seulunimbécilepeuttrouverunhommeivreraisonnable,lâcha-t-elle,tranchante.—Jepréféreraisquevousvousabsteniez,ditMiaaprèsunehésitation.LadyXenobiaarquaunsourcilinterrogateur.—Dequoi,jevousprie?—Ilnesertàriend’êtreencolère.C’étaituneerreur.Mialecompritàlasecondeoùlesourireacidedesoninterlocutrices’accentuaau

lieudes’évanouir,untalentdesplusdéconcertants.—Jevoisunamicherprisdanslesfiletsd’unemystificatrice,agitantunelettrequ’elleasansdoute

fabriquée de toutes pièces, déclara l’aristocrate avec une éloquence féroce, quoique posée. Inutile dephilosophersurlamoralitéduchantage.QuipeutcependantaffirmerquelepèredeVanderaréellementrédigécettelettre?

—C’estbienlui,assuraMia.Mêmes’ilétaitsansdoutedéjàfou,sesentit-elleobligéed’ajouterparhonnêteté.Jesuisnavréedevouscauserdelapeine.

LadyXenobiagardalesilencequelquessecondes,puisposalamainsurcelledeMia.—Jevousenprie,renoncez,murmura-t-elle.CommeVanders’approchaitd’elles,ellelechassad’ungeste.Paradoxalement,Miaeutlesentiment

qu’illuifaisaitdéfection.—Jem’emportebeaucouptropfacilement,continualadyXenobia.Mais,voyez-vous,Vanderestun

véritableami.Nous lechérissons. Ilméritedechoisir lui-mêmesonépouse,mademoiselleCarrington.Uneépousequiluiconvienne.Jevousenconjure.

—JecomprendsvotreinquiétudepourSaGrâce,réponditMia,quis’efforçadenepass’appesantirsurlefaitqu’ellen’étaitpasuneépouseconvenable,etjerespectevotredésirqu’ilsoitheureux.Jevousassureque leducaura tout le tempsde trouveruneépousedignede lui.Nousne resteronspasmariéslongtemps,etilestencorejeune.

—Pardon?AvantqueMiaaitletempsderépondre,Chuffyselaissachoirentreellesdeux.Illuitenditlaflûte

qu’ilavaitàlamain.Dansl’autre,iltenaitunebouteilleàlaquelleilbuvaitaugoulot.—J’aipenséquejeferaisbiendeveniràvotresecours,dit-ilsansprendrelapeinedebaisserla

voix.Cettefêtemanquedemusique!lança-t-ilàlacantonade.—C’estparcequelafêten’enestpasvraimentune,réponditVanderencontournantlesofa.LadyXenobiaselevaenhâteetentraînasonmariàl’autreboutdelapièce.Peut-êtresemontrerait-

ellepluspoliemaintenantqu’elleconnaissait lanature temporairede l’uniondont ilsdevaientêtre lestémoins.

—Eh bien,mon garçon, tu as de la chance : je peux assurer l’animationmusicale.Ne dis pas àl’amour:plustard,s’égosillaChuffy.Viteunbaiser,matoutebelle:jeunessepasseàtire-d’aile1.

IlsepenchaversMia,lèvresenavant.Vanderlafitleverbrusquementetl’attiracontreluiavantqu’ellepûtl’enempêcher.—VousnepouvezpasembrasserMlleCarrington,mononcle.Chuffyclignadesyeux,surpris.—Vousavezplusdevingtprintemps?demanda-t-ilàMia.—Oui,concéda-t-elle,sesentantsoudainvieillefilleàl’extrême.—Alors,mafoi,tantpispourlebaiser.

—Nedevrions-nouspasallerretrouverlepasteur?suggéraMia,audésespoir.Il lui tardaitd’enavoir terminéaveccetteépouvantablematinéeetde regagner sondomicile.Elle

craignaitqueCharlienes’inquiète.Ellenel’avait jamaislaisséseul lanuitetétait toujoursprésenteàsonréveillematin.

—Vousêtespressée?s’enquitVander.Elles’écartadelui.—Oui,répondit-elleavecaudace.ElleavaithâtedequittercesgensquiaimaienttousVander–tantmieuxpourlui–,luirappelantainsi

qu’àpartCharlie,personnenetenaitàelle.—VotreGrâce,vousnetenezassurémentpasàrendrecetteoccasionplusémouvantequ’ellenel’est

déjà,n’est-cepas?— Arrête, écoute, ô ne fuis plus : mon amour chantera pour toi ! chantait Chuffy à tue-tête.

D’aucunsprétendentqueShakespeareétaitindigeste,maisnoussavonsqu’iln’enestrien,n’est-cepas?Ilselevad’unpaschancelantetinclinasabouteilleau-dessusduverredeMia.Elleétaitvide.Ilfit

volte-faceversVander,l’airfuribond.—Quellemaisonmisérablequin’amêmepasunegouttedechampagnepourlamariéelejourdeses

noces!—Quelqu’unadûleboire,ironisaVander.—Aprèslesnocesvientleplaisir,vouscomprenez?roucoulaChuffy.—MademoiselleCarrington, vousvousmordez ànouveau les lèvres, fit remarquerVanderqui se

penchaverselle.Ducoup,ellesprennentunecouleurdefruitrougetrèsappétissante.Certainesfemmeslefontprécisémentpourcetteraison.

Ellelefoudroyaduregard.—J’endéduisquevousnecherchiezpasàséduirevotrefuturépoux,railla-t-ilavantdesetourner

verssesinvités.Allonsàlachapelle,voulez-vous?Lafiancéeahâted’avoirlabagueaudoigt.Hâted’avoirlabagueaudoigt?C’enétaittrop.Aprèslecamoufletdupoème,l’abandonàl’égliseet

leméprisdesamisdeVander,c’étaitlagoutted’eauquifaisaitdéborderlevasedel’humiliation.«Bienvenueaudouzièmecercledel’enfer»,songeaMia.

1.Shakespeare,LaNuitdesrois,acteIIscène3,traductiondePierreLeyris.(N.d.T.)

8

NOTESSURLELEGS

ComteFrédéricricheau-delàdesrêves lesplus fous–supplieFloraderenoncerau legsdeM.Mortimer.«Achetezunpetit bouquet pour ma boutonnière, ma bien-aimée. Aucun homme à part moi ne vous offrira rien. Pas même par-delà latombe!»

—Floraappréhendedeluifaireconfiance(éviter«Floraappréhende»).«Sivousn’avezpasconfianceenmoi,nousnesommespasdestinésànousmarier!s’exclamaFrédéric,latrahisonluisant

aufonddesesyeuxbleus.Commentpuis-jeprendrecommecomtesseunefemmequin’apasconfiancenem’aimepas?»Puis il l’abandonne le jour dumariage – après l’avoir convaincue de renoncer à son héritage. (Perfide !Diabolique !

J’adore!)

Lepasteurétaitvisiblementcontrarié,pourtoutessortesderaisonssansdoute.—Quiassistecettefemme?demanda-t-ilavecautorité.VandernotaavecfiertéqueMianecillapas.Elleregardalepasteurdroitdanslesyeuxetjoignitles

mains.—Monparentvivantleplusprocheahuitans.Chuffys’avançaentitubant.—Ellem’amoi.Jeveuxdire,jeseraisonparentdesubstitutionetl’accompagnerailàoùelledoit

aller.Jedoislameneràl’autel,c’estcela?Lepasteurleregardaavecdégoût.—SirCuthbert,commentfaites-vouspourêtresitôtdanscette…léthargie?—Ilesttôt?s’étonnaChuffy.—Jecroisquenousferionsmieuxdecommencer,intervintVander.Ils patientèrent tandis que le pasteur s’affairait avec son missel et Vander se mit à penser aux

divagationsdesonpère.Samèrel’écoutait,oufaisaitsemblant,puissetournaitversunautrehommeàlapremière occasion. Songeant à l’union catastrophique de ses parents, il regardaMia avec un souriresincère.Elleavaitlatêteinclinéeetlesoleildumatinquiinondaitlachapelleaccrochaitdesrefletsd’oretdemieldanssescheveux.

Jamais ilne l’aurait imaginéquelques joursplus tôt,mais il commençaità sedirequecemariageétaitcequipouvaitluiarriverdemieux:éperdumentamoureuse,jamaisMianesedétourneraitdelui.Desoncôté,insensibleàtoutsentimentalismecommeill’était,iln’avaitpasàcraindredes’enticherd’uneautrefemme.

Commesielleavaitsentisonregard,Mialevalesyeuxverslui.Certes,ilneluiavaitpromisquequatrenuitsparan,ilneseraitcependantpascontreluienoctroyerdavantage.

Sonregarddescenditunpeuplusbas, jusqu’àl’endroitoùsesseinstendaient le tissufatiguédesarobe.Elleavaitbesoindetoilettesplusseyantes;destenuesdeduchesseetnondegouvernante.

La robe d’India attira l’attention de Vander. Son buste était mis en valeur avec élégance et il neverraitpasd’objectionàcequeceluideMiasoitainsidévoilé.

—Pourquoicesourire?luimurmurasafutureépouse.Surpris,ill’effaçaaussitôt.—Peut-êtresuis-jeheureuxdememarier.—Inutiledevousmoquerdemoi!Chuffys’agita.—Vander,vateplacerlà-bas,ordonna-t-ilavecungestevagueendirectiondel’autel.Moi,jeferai

entrerlademoiselleparlacourettufeindrasdenepasl’avoirvuecematin.C’estimportant,sais-tu,denepasvoirlamariéeavantlacérémonie.

Sansattendrederéponse,ilagrippaMiaparlebrasetl’entraînadanssonsillage.Thorns’esclaffa.—Dois-jemetenirauprèsdetoi?demanda-t-ilàVander.CederniersesouvintdumariagedeThorn,àSaint-Paul.Lacathédraleétaitrempliejusqu’audôme

demembres de la bonne société londoniennepressés de voir la fille d’unmarquis épouser un bâtard,quoique filsd’unduc.Lui-mêmese tenaitprèsdeThorndevant l’autel, regardantune India rayonnantes’avancerverseux.Pasuninstantellen’avaitdétachélesyeuxdesonfuturépoux.

—Oui,réponditVanderavantdesetournerversleducdeVilliers.Sivousacceptiezdevousjoindreaussiàmoi,j’enseraishonoré.

—Vous êtes commeun fils pourmoi, dit le duc en lui touchant le bras.Entrenous,Thorn etmoiallonsarrangercettetristeaffaire,jevouslepromets.

—JemetiendraiprèsdeMlleCarrington,déclaraIndiad’unairlugubre.Vanderhochalatête.—Merci.Chuffypassalatêteparlaportedelachapelle.—Dois-jefaireentrerlamariéemaintenant?brailla-t-il.Lepasteureutunreniflementdemépris,puissetournaverslapetiteassemblée.Vanders’écartasur

lecôté,rassérénéparlaprésencedeThorn.Chuffy remonta la travée,Mia à son bras. Il marchait à grands pas, l’air digne. Àmi-chemin, il

trébuchaetfituneembardéesurlecôté,entraînantMiaàsasuite.Indiaréprimaunpetitcri.Parchance,Chuffyréussitàserattraperàunbancetrepritsamarchesolennelle.

—ParDieuettouslessaintsàlaporteduPurgatoire,j’aibiencrunousfairechavirertouslesdeux!s’exclama-t-il avec entrain lorsqu’ils parvinrent à la balustrade du chœur et qu’il remitMia entre lesmainsdeVander.Avecl’âge,j’aitendanceàtanguerunpeu.

—Jevousrappellerai,sirCuthbert,denepasinvoquerlenomduSeigneurenvaindanssapropremaison!aboyalepasteur.

Chuffyluiadressaunregardnoir.—Crois-tudoncqu’àcausedetavertuiln’yauraplusdebriochesnidebamboches?CettedéclarationsuscitaunrirecharmantchezMia.AlorsqueVandertentaitencorededéchiffrerles

paroles sibyllines de son oncle et qu’India fronçait les sourcils avec perplexité, Chuffy et Miaéchangèrentunsourire.

—Celle-ciafaitmouche,n’est-cepas,machère?seréjouitlevieilhomme.Enpleindanslemille.—SirCuthbertcitedes répliquesdeLaNuitdesrois, expliquaMia. Il s’est amuséàcepetit jeu

toutelamatinée.—Vraiment?s’étonnaIndia,visiblementaussisurprisequeVander.Lepasteurs’éclaircitlavoix.Mêmeluisemblaitamusé,quoiqueàcontrecœur.— Je pourrais considérer cette référence comme une offense, sirCuthbert.À présent, vous devez

cesservos«désordres»,afinquejepuisseprocéderàl’uniondeSaGrâceavecMlleCarrington.—D’accord!approuvaChuffy.Ilesttempsdeluipasserlacordeaucou.

Le pasteur se lança dans sa lecture.À l’évidence, il avait compris que lemariage qu’il célébraitn’avaitpasgrand-choseàvoiravecl’amourni,enl’occurrence,aveclecaractèresacrédecesacrement.

Toutenprêtantuneoreilledistraiteauxparolesdupasteur,Vandersongeaitàsafutureépouse.MiaconnaissaitShakespeare.Chuffy l’appréciait.Sononcleétaitunvieil ivrogne,maisde toute la famille,c’était son parent le plus proche. Il l’adorait déjà quand il était enfant et son affection ne s’était pasdémentiedepuis.

Lorsquevintsontourdeprononcersesvœux,ilfutenvahiparunesérénitéinattendue.Cemariageluiétait imposé, et sans doute ne pardonnerait-il jamais complètement à Mia. Cela dit, il y gagnait uneépousequiluidemeureraitfidèle.Cettepenséefitnaîtreenluiunsentimentprimitif,unélanpossessifquiremontait sans doute à l’époque où samère avait fait entrer un autre homme dans la maison pour lapremièrefois.

Mia répéta ses vœux d’une voix claire et posée. Vander s’en étonna. Il s’attendait qu’elle fût enlarmes,ayantenfinatteint lebutqu’elles’étaitdonnédepuisl’enfance.Àaucunmoment,sonregardnecroisalesiendurantlacérémonie.Ilaimanéanmoinsluiglisseraudoigtl’alliancequiavaitappartenuàsonarrière-grand-mère.

Lepasteurlesdéclaramarietfemme,etfermasonmissel.—Vouspouvezembrasserlamariée.Vandern’avaitpasréfléchiàcettepartiedurituel.Sapenséepremièrefutdenepassepermettrece

genre de familiarités – sa toute nouvelle duchesse pourrait en conclure qu’il entendait lui prodiguerrégulièrementdesgestesd’affection.Mialevalesyeux.Sonregardletransperça,mêmes’iln’ylutaucunreproche.

Sansluilaisserletempsderéagir,Chuffybeugla:—Mafoi,mongarçon,situn’yvaspas,moi,jefonce!Surcesmots,ilfitpivoterMiaetluiplaquaunbaisersurleslèvres,luiarrachantunriregêné.Vander se forçaà sedétendre.Pour l’amourduciel, il secontrefichaitquesononcleembrassesa

femme!Thorn, India etVilliers les entourèrent et leur adressèrent des félicitations polies.Vander vitMia

cillerlorsqu’onl’appelaVotreGrâcepourlapremièrefois.Sonmanqued’assuranceétaittouchant.—Parfait ! s’exclamaChuffyqui,à l’évidence,s’étaitarrogé le rôledemaîtredecérémonie. J’ai

chargéNottledepréparerlechampagneetundéjeunerdemariagedignedecenom.Alors,allons-y!Tupeux accompagner ta femme maintenant, je suppose ? glissa-t-il à Vander avec un regard noir quiparaissaitétonnammentsobre.

Enguisederéponse,Vanderoffritlebrasàsonépouse.Sonépouse.Enproieàunimmensesoulagement,MiaremontalatravéeaubrasdeVander.C’étaitfait.Personne,

pasmême leméprisable sir Richard, ne pourrait contester sonmariage. Il le liait à un homme qui ladétestait, certes, et la vouait à une vie de solitude une fois leur union officiellement rompue,mais lasécuritédeCharlieétaitassurée.

Adieu,sirRichard,sapingrerieetsonespritprocédurier.Elleengageraitunprécepteursansattendreet le paierait double afin qu’il les accompagne enBavière. Elle ferait réparer les toits de chaume duvillage;l’hiverdernier,alorsqu’ilsfuyaient,sirRichardavaitdécrétéquelesréparationsincombaientaux villageois eux-mêmes, quand bien même ces derniers avaient été toute leur vie au service desCarrington.

EllecongédieraitaussitoutdomestiquequiregardaitCharliecommes’ilavaitdeuxnez.Penseràluiapaisaletourbillond’émotionsenelle.Elleluiavaitpromisd’êtrederetouràlafindel’après-midi.

Laviereprendraitbientôtsoncours.Elleseremettraitàl’écriture,etpeut-êtreréussirait-elleàfinirsonromand’iciàunmois.Ellefeindraitden’avoirjamaisvécucedouloureuxépisode.Ellenemanquait

pas d’expérience lorsqu’il s’agissait d’oublier les humiliations… Ce n’était qu’une de plus, quoiqueprofonde.

Pendantledéjeuner,l’assembléediscutadeLaNuitdesrois,cequileurévitad’aborderdessujetsplusépineux.

—Jen’aipasaimécettepièce,confessa ladyXenobia.Je trouveabsurdeque lacomtesse juredegarderledeuiltoutesavieàcausedudécèsdesonfrère.Étantfilleunique,jesous-estimepeut-êtrelelienfraternel.

—Les frères et sœurs s’imposent à vous demanière insidieuse, observa son époux. Jem’estimechanceuxd’êtreprochedesmiens.

— Mais iriez-vous jusqu’à prendre le deuil et à renoncer à vous marier si l’un d’eux venait àdisparaître? insista ladyXenobia.L’hypothèsedebasedecettepièceestabsurde.Shakespeareacrééuneimprobabilitédontilfaitdépendretoutel’intrigue.

—Ah!mort,viens-t’en,viens-t’enmeprendre,chantaChuffy.—Lapièceapoursujetlafaçondontlechagrinpeutsubmergerlaraison,intervintMia.Violaestun

peufolledechagrin.Quandmonfrère…Elles’interrompit,affolée.Quediableluiprenait-il?Jamaiselleneparlaitdesessentiments.C’était

sûrementlechampagne.—J’enconclusquevousavezperduvotrefrère,raisonpourlaquellec’estmoiquivousaimenéeà

l’autel, dit Chuffy. Plus âgé ou plus jeune ? Je ne peux pas dire que j’ai passé beaucoup de temps àéplucherleDebrett.

—John étaitmonaîné.En fait, il a péri dans lemême incendiequemonpère et feu la duchesse,réponditMiaavecunpâlesourire.

—Sacréedéveine,commentaChuffyquiluitapotalamain.Voilàpourquoivousêtesunpeufêlée,jesuppose.

—Ah,vousêtesfêlée?fitThornd’unairinnocent,commesilaquestionn’étaitpasincroyablementdiscourtoise.

—Biensûrqu’ellel’est,insistal’oncledeVander.Épouserlefilsdelamaîtressedesonpère,sicen’estpasfou, jenesaispascequec’est.Quiseressembles’assemble,n’est-cepas?Et lafoliesévitdanscettefamille.

Aprèscettecharmanteobservation,Miajetaunregardàlarondeetserenditcomptequetouteslesassiettesétaientvides.Vanderetelleallaientavoirl’ultimeconversationdeleurvieconjugale.Commeiln’avaitpasdaignél’embrasseràl’issuedelacérémonie,ilseréjouiraitsûrementd’apprendrequesonépouseprévoyaitdelequitteravantlanuitdenoces.Autantluifaireceplaisirmaintenant.

Elleselevaavecpeut-êtreunpeuplusdehâtequenel’exigeaitlapolitesse.Unpétillementamuséaufonddesyeux,leducdeVilliersluibaisalamain.—Ce fut unematinée littéraire des plus distrayantes. Jeme découvre, je l’avoue, beaucoup plus

intéresséparvotrepersonnequ’auparavant,machère.Mafemmeregretterasincèrementden’avoirpusejoindreànous.

Miasecoualatête.—Jen’airiend’intéressant,croyez-moi,VotreGrâce.Ellecroisaintérieurementlesdoigts–d’aucunspourraientconsidéreruneidentitésecrèted’écrivain

commeplutôtintéressante.— Juste un instant, reprit Villiers. La littérature n’est pasmon fort. Etmamémoire n’est plus ce

qu’elleétait.—Jevois,ditpolimentMia.—Ôtemps,défaiscenœudtropembrouillépourmoi,déclamaVilliers.

—Iln’yaaucunnœudàdéfaire, jevousassure,mentit-elle.Mais j’applaudisvotreaisanceavecShakespeare.

—Lemariagem’arenduplusintelligent,confialeduc,presqueamical.Mias’empressadelibérersamain.Ellenetenaitpasdutoutàcequecesgenslaconsidèrentcomme

uneamie.Ellene l’étaitpas.Elle s’étaitcomportéedemanièreméprisableavecVanderdanssonseulintérêtetseraittrèsbientôtsortiedeleursvies.

Aprèsleurdépart,ellesetournaverssonépouxavantdeperdretoutcourage.—VotreGrâce,nousdevonsparler.—Lespossibilitésdeconversationsontinépuisables,eneffet,plaisantacelui-ci.Lear?Hamlet?Commeonpouvaits’yattendre,ilsemblaitnepasavoirappréciélaconversationlittéraireautantque

ladyXenobiaetelle.—Jesuissérieuse,insista-t-elle.—Jenepeuxvousaccorderqu’uncourtmoment. Jedoismechanger et aller auxécuries. J’aiun

nouveauchevalquiadumalàs’acclimater.MiacompatissaitdéjàaveccellequiépouseraitVanderquandilsauraientdivorcé.Lapauvreserait

contraintedevolerdesminutesdeconversation,puisqueàl’évidenceleschevauxétaientplusimportantsaux yeux du duc que son épouse. Elle espérait que la nouvelle duchesse, elle, n’aurait pas demal às’acclimater,parcequeVanderpasseraitsontempsauxécuriesàdorloteruncheval.

—Dixminutes,promit-elle.

9

Brandy,Bucknell&Bendal,Éditeurs9septembre1800

ChèremademoiselleCarrington,J’attends avec impatience votre réponse àmamissive du 27 août.Dans l’intervalle, je vous envoie plusieurs lettres de

lecteurs.J’aiprislalibertédelesouvrir,euégardàcetteaffairedésagréablel’annéedernièreaveclegentlemanquisetrouvaitdésavantagécomparéàvoshéros.Jemepermetsd’attirervotreattentionsurlalettredeMmePetuniaStubbs.

Avecmonplusprofondrespect,Votredévoué,

WilliamBucknell,Brandy,Bucknell&Bendal,Éditeurs

MiaentradanslebureaudeVander,s’efforçantd’ignorerlesbattementsdésordonnésdesoncœur.Le pire dans toute cette affaire – hormis le fait qu’elle se détestait d’avoir contraint Vander au

mariage–,c’étaitdedécouvrirqu’endépitdudésespoir,del’humiliationetdesannéesécouléesdepuisladébâcledupoème,cethommeétaitencorecapabled’éveillerenelle…unje-ne-sais-quoi.

Rienàvoiraveclaflammeamoureuse.Certainementpas.Cedevaitêtreundésiranimal.Elleavait luquelquechoseàcesujet.Ledésirétaitunconstituant

natureldetoutanimalenbonnesanté,cequ’elleétait.QuantàVander,jamaisellen’avaitvuunhommeenaussibonnesanté.Toutenmusclesetpeautannée

par le soleil, il paraissait littéralement déborder de vie. Son époux – quelmot étrange – ressemblaitdavantageàunboxeurqu’àungentleman.Jamaisilnedomestiqueraitsacrinièreensagesondulations,commesonpèreàelle.Etsesonglesn’étaientpasmanucurés.Non,ilavaitlesmainscalleusesdeceluiquimaniaitlesrênesquotidiennement.

Une fois dans le bureau, elle se rendit compte queVander lui parlait.Elle leva les yeux vers lui,déconcertée.Àcetinstant,alorsqu’elleregardaitseslèvresremuersanscomprendreuntraîtremotdecequ’ildisait,elleeutunerévélationcapitale:sonépouxavaitlepouvoirdecausersaperte.

Elleavaitbeauavoirdécidédelemépriserdepuisqu’ilavaittournésonpoèmeenridicule,iln’endemeuraitpasmoinssonpremieramour.

Faiblessedegaminestupide,serappela-t-elle.Soncôtéunpeudévergondé–pourappelerunchatunchat.Aujourd’hui, elle était une femme et savait qu’un corpsmusclé était bienmoins important qu’uncœurbon.

Bonn’étaitdutoutunqualificatifquiconvenaitàVander.IlfallutunmomentàMiapourréaliserqu’ils’impatientait.

—Jesuisdésolée,s’excusa-t-elle.Vousdisiez?— Je vous demandais quand arriveraient vos affaires. J’ai une course importante le quinze et

j’aimeraisquevoussoyezinstallée.JepeuxenvoyerdesdomestiquesleschercheràCarringtonHousesivous n’avez pas encore pris vos dispositions. Oh, et je suppose qu’ils devront aussi ramener votreneveu!Monavouém’ainforméhieraprès-midiquej’avaisdésormaisunpupille.

Il prononça cette dernière phrase avec une aigreur suggérant qu’il était aussi au courant de laprobableintentiondesirRichardMagruderdeluiintenterunprocès.

Miaétouffaunsoupirets’assit.Lemomentétaitvenu.—Jesuispresquesûrequevousn’avezpaslulalettreexposantmesattentesquantàcemariage.Vanderselaissachoirdanslefauteuilenfaced’elle.—Jen’aipaspriscettepeine,eneffet.Vousdevriezsavoir,duchesse,qu’unhommeestmaîtredans

son foyer.Si jedécidaisdevous fairedormir augrenier, lemajordomey feraitmonterun lit avant latombéedelanuit.

—Inutiled’enarriveràcetteextrémité;lelitdanslegrenierpeutattendrevotreprochaineépouse.Ilnenousfautrestermariésquesixmois,aprèsquoimaîtrePlummer,monavoué,organiseral’annulationdenotreunion.

Lesdétailss’enchaînaientdanssonespritenordreparfait,commedansl’undesesromans.C’étaitmaintenantàVanderd’exprimersajoie.

—Pardon?—MaîtrePlummerestparnatureconservateur,maisilespèrepouvoirmettreuntermeàcemariage

d’ici le début de l’année prochaine. Je lui ai demandé de vous rendre visite demain afin de vousexpliquerlesdétails.

Vandersepenchaenavant,leregardétincelant.—De quoi diable parlez-vous ? Vousm’avez forcé à vous épouser. Vousm’avez passé la bride

autourducouplusadroitementqu’àtousleschevauxquej’aidressés!Ilressemblaitàl’undecesgrandsdieuxnordiquescapablesdebrandirunéclairquilafendraiten

deux,songeaMia.Ellen’auraitpasétésurprised’entendreunroulementdetonnerredanslelointain.Elleserecentrasurlesujetencours.—Inutiled’enfaireundrame.Ilsuffitàchacund’allerdesoncôté.Ledivorcen’estpermisqu’en

casd’infidélitéoud’abandonde…—Vousprévoyezd’êtreinfidèle?lacoupa-t-il.Aprèsmêmepasunejournéedemariage?Vandercrispalesmâchoires,etl’imageduboxeursurleringtraversadenouveaul’espritdeMia.Il

lafoudroyaitduregard,maiselleneselaissapasimpressionner.Ellesavaitd’instinctques’ilserraitlespoingsjamaisilnesemontreraitviolent.

—Biensûrquenon,Vander.Jepensaisquenouspouvionsrequériruneannulation.—Vander?répéta-t-il,cinglant.Catastrophe.Elleavaitoubliéquesiellel’appelaitmentalementparlesurnomqueluiavaientdonné

sesamis,luisesouvenaitàpeined’elle.—Jevousprésentemesexcuses,bafouilla-t-elle.Préférez-vousVotreGrâce?Oui,bien sûr,vous

préférezVotreGrâce.Vousêtesduc.Elleavaitconsciencedebabiller,maisnepouvaits’enempêcher.—Mamèreestmorte ilyadesannéeset j’ignorecomment lescouplesseparlentdans l’intimité.

Nonpasquenousensoyonsvraimentun.C’estjustequeje…Jesuisdésolée.Aprèsunsilencedemauvaisaugure,Vandersepassalamaindanslescheveux.

—C’estàmoidevousprésentermesexcuses.Vousm’avezprisaudépourvu.Personnenes’adresseàmoiainsi,àpartmesamislesplusproches.

—Biensûr,ditMiaens’obligeantàsourire.Inutiledevousexcuser.Commejel’aidit,monavouém’aassuréqu’ilpouvaitobtenirl’annulationdecemariageensixmois.Nulbesoind’établirentrenousuneintimitédequelquenaturequecesoit.

Ellesortitundocumentpliédesonréticule.—J’airédigéunenouvellelistedemesconditions,sachantquevousn’aviezpaslulapremière.Illuipritlafeuilledesmains,lasurvola.— Vous voulez que nous restions mariés six mois, après quoi notre union prendra fin. Et vous

n’attendezaucunsoutienfinancierpendantouaprès.—C’estcela,confirma-t-elled’untonenjoué.Maintenantqu’ilavaitcompris,ilpouvaittireruntraitsursacolère.Sonregardallaitsansnuldoute

s’illuminerdejoie.Miasetrompait.Vanderpinçaleslèvres,puisentrepritdedéchirerlentement,méthodiquement,ladite

listeenpetitsmorceauxqu’illaissatombersurlesol.—Quefaites-vous?bredouilla-t-elle,sidérée.—J’ailafermeintentiondenesubirqu’unefoisdansmavielafarcequenousavonsenduréeàla

chapelle.—Pourquoivoudriez-vous…Dequoiparlez-vous?—Dumariage.Cemécanismepar lequeldeuxpersonnes sont forcéesde rester ensemble leurvie

durant.Envérité,votredemandem’afaitréaliserqu’unmariaged’amourestladernièrechoseaumondequejesouhaite.

—Mais…—Commejevousl’aidit,vousn’êtespascellequej’auraischoisie,poursuivit-il,balayantsarobe

du regard. Il n’endemeurait pasmoinsque le risque existait que je commette l’erreurdemonpère etépouseunebellefemmequiaccumuleraitlesamantstelunécureuildesnoisettes.

Les jouesdeMia s’embrasèrent.Unepartied’elle-même, cellequi écrivaitdeshistoiresd’amour,voulaitcroirequ’ellenedéplaisaitpasàtousleshommes.Soncôtésuperficieletnaïf.

Ellelevalementond’uncran.— Il n’empêche que je ne souhaite pas demeurer votre épouse. Vous ne rêvez peut-être pas d’un

mariaged’amour,maismoisi,unjour.VotreGrâce,conclut-elleavecunepointederudesse.Ileutunrirebref.—Vous auriez dû y penser avant dem’infliger votre chantage, duchesse. Vous êtes prise à votre

proprepiège,semble-t-il.C’estsouventlecas,jecrois.Elleledévisagea,s’efforçantdetrouversesmots.Ilétaitsérieux.Iltenaitàcequ’ilsrestentmariés.—Jevousenprie,dit-elle,commençantàressentiruneauthentiqueinquiétude.Jevoisquevousêtes

furieux contremoi et je lemérite.Toutefois nepourrions-nouspas laisser parler la raison ? J’offriraivolontiersunepreuved’adultèrequinouslaisseratousdeuxlibresdetireruntraitsurcetteunion.

Ilsepenchaenavant.—Mamèreapassédesannéesàsepavanerauxyeuxdetoutlepaysaubrasd’unautrehomme,votre

père soitdit enpassant, articula-ild’unevoixvibrantedecolère. Jene suisni founihandicapé.Monépousevivrasousmontoit.Ellenecommettrajamaisd’adultère.

Miainspiraunegrandegouléed’air.—Maisjenedésirepasvivreavecvous,expliqua-t-elle.Jenenousconsidèrepascommevraiment

mariés.UnsouriremauvaisincurvaleslèvresdeVander.—Lepasteurquivientdenousunirneseraitpasdecetavis.

LecœurdeMiabattaitsivitequ’ellecraignaitdedéfaillir.—Vousnevoulezmêmepasdemoi.C’estcenséêtreunarrangementprovisoire!—Quenenni.—Vousn’êtespassérieux?dit-elle,audésespoir.Jesuissûrequevousfinirezparrencontrerune

femmequevousaimerez.Vousvoussouvenez?Vousm’avezaffirméquecelaarriveraitprobablement,etvousavezraison.

—Quelledifférenceferanotremariage?Lacruautédanssavoixluifitl’effetd’unegifle.Aprèslesaletourqu’elleluiavaitjoué,ellepouvait

difficilementseprétendreinsultéequ’ilaillevoirailleurs.—Avez-vousunemaîtresseencemoment?demanda-t-elledansunsouffle.LeregarddeVandern’auraitpuêtreplusglacial.— Cela ne vous regarde en rien. Vous avez réussi à accéder à mon lit, mais pas à gagner ma

confiance.Quatrenuits par an, duchesse, siffla-t-il.C’est ce à quoi vous aurezdroit en échangede lalettredemonpère.Vousavezdonnévotreassentiment.Détailquevoussemblezavoirnégligé:cesquatrenuitsparans’entendentjusqu’àlafindenosjours.

LesangrugissaitauxoreillesdeMia.Lasituationtournaitaudésastre.— Un mariage, un vrai, ne marcherait jamais entre nous, voulut-elle argumenter, la voix rauque

d’angoisse.D’unbond,ilfutdevantelleetlaforçaàselever,lesdoigtssiserrésautourdesesbrasqu’elleen

auraitàcoupsûrdesbleus.—Commeonfaitsonlit,onsecouche;vouscoucherezquatrenuitsparanavecmoi.Celasuffira,je

pense,pourassurerunedescendance,n’est-cepas?Mesparentsn’ontpasprislaprécautiond’unhéritierde réserve,mais nous devrions peut-être y songer après le premier. Par héroïsme aristocratique, vouscomprenez.Afindeperpétuerlalignée.

Mias’enjoignitdenepass’affoler.—Vousnevoulezpasdire…—Vousêtesma femme, lacoupa-t-ildenouveau.Monunique femme,Mia.Vousm’avezpeut-être

épousépoursixmois,encequimeconcerne,c’estpourlavie.—Ils’agitd’unsimplemariagedeconvenance.—Sûrementpas.Ilnenousconvientniàl’unniàl’autre.Unfrissond’horreurlasecoua.EllenepouvaitêtresérieusementmariéeàVander.Paspourtoujours.

Pasdanscettemaison.Non!Ilavaitdûdevinersespensées.—Vousrésiderezici,àRutherfordPark.Votreneveuvivraaussisousmontoit.Etvousnecoucherez

avecaucunautrequemoi,murmura-t-il,unelueurglaçantedansleregard.—Vousnecomprenezpas!—Oh,quesi!Jenecomprendsquetropbienlafolie,et jevoussoupçonned’enavoirunebonne

dose.Jediraisquenoussommesàégalitépourfairecourirlerisqueànosenfantsd’êtrecomplètementfêlés. Raison pour laquelle nous devrions en avoir plusieurs : l’aîné pourrait finir à l’asile avantd’atteindresamajorité.

LesanglotqueMiaretenaitéclataetelletentadeselibérer.—Lâchez-moi!Ilobtempéraetelleseréfugiaderrièreunfauteuil.—Vouspensiezvraimentque jene trouverais rienà redireàuneunionprovisoire?demanda-t-il,

incrédule.—J’imaginaisquenousvivrionsséparéslesquelquesmoisquedureraitnotremariage,avoua-t-elle

ense frottant lesbras làoù lesdoigtsdeVanders’étaientenfoncésdanssachair. J’avaisprévu– j’ai

prévu–d’allerenBavièreavecCharlie.— Je suppose que vous ne vous êtes pas imaginée remplissant votre devoir conjugal. Sans doute

aviez-vous l’intention de séduire un Bavarois crédule qui vous fournirait une preuve d’adultère sil’annulationtombaitàl’eau?

—Non!J’auraispupayerquelqu’un,j’ensuissûre.Surmespropresdeniers.J’écris,voyez-vous,expliqua-t-elle.

—S’ilvousprendl’envied’écrireencoreunseuldevosdéplorablespoèmessurmoiouunepartiedemon anatomie, je ne saurai être tenu pour responsable des conséquences, déclaraVander d’un toncatégorique.

Piquéeauvif,Miaseredressadetoutesahauteur.—Mon poème n’était pas déplorable, se défendit-elle. Si vous pensez que je pourrais écrire le

moindre vers sur votre personne, vous vous trompez lourdement. De toute façon, je n’écris plus depoésie.

D’ungestebrusque,Vanderécartalefauteuilquilesséparaitetfitunpasenavant.—Nebougezpas!s’écriaMia.Sivous…sivousessayezdemefairedumaldequelquefaçonque

cesoit,jevousabats!Vanderéclatad’unrire rauque.Elledétestaitquesonvisage l’émeuve toujoursàcepoint,etalors

mêmequ’ilsemontraitsiodieusementarrogant.Ilétaittoutefoisindéniablementséduisant,danslegenretrèsviril.

—Sachez,duchesse,quejetiensàcequemonépousevivesousmontoit.—Non.Lerefusétait,polimaisferme.—Non?Àl’entendre,personneneluiavaitjamaisrienrefusédesavie.—Non,répéta-t-elle,telunperroquet.Non,VotreGrâce,jenevivraipaschezvous,jenedîneraipas

davantageàvotretable…ninecoucheraiavecvous,mêmepourquatrenuits.

10

NOTESSURFRÉDÉRIC

—Floras’éveille,conscientequesoncœurappartientàFrédéric,avecsonregardd’angeet…ceje-ne-sais-quoi.—Jen’aimeraiaucunnulautrequelui,annonce-t-elleàl’avouédeM.Mortimer.—Lerenoncementaulegsqu’ilexiged’elletrouveunéchochezFloraquialesensdusacrifice.«Lacrassenemerebute

pas;jevivraisdansunemasureavecmonbien-aimé.»— L’avoué de M. Mortimer fait remarquer que Frédéric possède un palazzo en Italie (devrait-il s’appeler plutôt

Frederico).FrédéricpossèdeunpalazzoquelquepartenBavière.Ouplutôtunchâteau,petitegourde.Frédériclaprenddanssesbras,l’embrasseavecpassion.Floraenalatêtequitourneetsoncorpssveltetanguecontrele

sien,dominéparlaforceduSentimentPur.Elleseressaisitgrâceaumurmured’unAngedanslesCieux(feusamère)qui luicaresse la jouede sesdoigtsgraciles.«Commentosez-vousvous laisserallerainsi, comte ! J’aiaffrontédeduresÉpreuves,maismonÂmeestcelled’unedame!»

Vanderétaitsouslechoc.Personne–pasmêmeThorn–nel’avaitjamaiscontredit.Nonqu’ildonnâtdes ordres à Thorn. Néanmoins, lorsqu’il commandait, il entendait qu’on lui obéisse de manièreinconditionnelle.

Ilétaitduc,aprèstout.Safemmenesemblaitpasserendrecomptedecequecetitreimpliquait.Sonpetitcorpsétaitraide

de défiance. Vander en était ébranlé jusqu’au tréfonds. Pour une fois, il avait commis une erreur,semblait-il:ilavaitàlafoissous-estimésonadversaireets’étaitméprissursoncompte.

— Pourquoi diable souhaitiez-vous un mariage provisoire ? demanda-t-il. Si vous êtes tellementéprisedemoi,pourquoinepasexigerdavantagedetemps?

— Vous pensez sérieusement que je vous contraindrais au mariage parce que je suis encoreamoureusedevous–alorsmêmequejen’aipasvuvotrevisagedepuisplusdedixans?

Vanderétrécitlesyeux.Présentéeainsi,sonhypothèseapparaissaiteneffetillogique.—Et la clause des « quatre nuits » ? continuaMia, d’un ton nettement narquois. Je suppose que

c’étaitpourtempérermonadulation.C’estvotretrouvailleoucelledevotreavoué?—Lamienne,lâcha-t-il.—Monpèreavaitunehauteopiniondelui-même,mais,contrairementàvous,jenepensepasqu’il

setrouvaitàcepointirrésistible.Vanderjuraentresesdents.—Jemesuisapparemmentméprissurlemotifdevotredemandeenmariage,reconnut-il.LalueurmoqueusedisparutduregarddeMia.—Cen’était pas une demande, rectifia-t-elle, c’était un odieux chantage. Jamais je nem’y serais

résoluesijen’avaisétédésespérée.Aucunefemmehonnêtenes’yseraitrésolue,dureste.Unpetitsourireéclairasonvisage.—J’avouecependant être surpriseparvotre arrogance.Commentpouvez-vous imaginerune seule

secondequej’auraiscommispareilforfaitdansleseulbutdem’acheterquatrenuitsdansvotrelit!

Lesilencequisuivitétaitempreintd’unetelletensionquel’airenvibraitpresque.Vanderfourrageadanssescheveux.— Je dois perdre la tête, lâcha-t-il. Rien de tout cela n’a de sens. Vous ne vous mariez ni par

ambition,niparintérêtfinancier,niparamour.Pourquoidiablecechantage?—C’estunelonguehistoire.—J’aitoutmontemps,dit-ilsombrement.—J’ai été abandonnée le jourdemesnoces, avouaMia sanspréambule.Devant l’auteldeSaint-

Ninian.Enfin,pastoutàfaitdevantl’autel,carj’attendaisdanslevestibule.Enrevanche,touslesinvitésétaientréunisdansl’église.

Voilàquiétaitinattendu.—Quandest-cearrivé?—Ilyaenvironunmois.J’étaisobligéedememarier,voyez-vous.Je…ehbien…jesuismère.Vandersefigea.Pasétonnantqu’elleaitunepoitrineaussiopulente.Elleétaitenceinte. Indiaaussi

avaitprisquelquesrondeursdepuisqu’elleportaitl’enfantdeThorn.Miaécarquillalesyeux,comprenantlemalentendu.—Pascegenredemère!—Vousmeprenezpourunidiot,duchesse?Jelevoisbienàvosformes.Quemedirez-vousdans

quatre mois, quand votre taille s’épaissira ? Enfin, plus qu’aujourd’hui, ajouta-t-il, conscient de saperfidie,maisincapabledetenirsalangue.

LabouchedeMiatrembla,etilressentitunpincementdeculpabilité.— Je n’attends pas d’enfant. Pourtant, je suis unemère dans tous les sens qui comptent vraiment.

Celledemonneveu,depuissanaissance.CharlesWallaceCarringtonestl’enfantqu’amentionnévotreavoué.Letestamentdemonfrèrespécifiaitquejeresteraissatutriceàconditionquejememarieàunhommedebienetdevaleurdans l’année.AudécèsdeJohn, j’étais fiancée ; leproblèmeneseposaitdoncpas.Nousavonsattendulafindemapériodededeuil–maisilapréféréfuirlepaysplutôtquedem’épouser.

Vanderfronçalessourcils.— Et je suppose que la tutelle serait revenue à sir RichardMagruder si vous ne vous étiez pas

mariée.Elleacquiesça.—Malheureusement,sirRichardm’afaitclairementcomprendrequejeneseraispluslabienvenue

danslamaisonetquejedevraisluilaisserCharlie,expliqua-t-elle,lavoixchevrotante.Jen’aipaspum’yrésoudre.SirRichardestenoutreprocédurierau-delàdetouteraison.Ildilapiderait l’héritagedemonneveu.Rienquel’annéedernière,ilaengagétroisprocéduresaunomdudomaine.

Bontédivine, tout s’expliquait.Abandonnéeetdésespérée,Miaavait uséde la seule armequ’elleavaitàsadisposition:lalettredetrahisondesonpère.Vanderravalaunjuron.

—D’oùlapropositionquevousm’avezfaiteetquejemesuisempressédejeteraufeu.—Selonmon avoué, si je vous avais révélé d’emblée tous les détails, notamment le fait que sir

Richardvouspoursuivraitpresqueàcoupsûr,vousauriezétéencoreplusréticentàfairedemoivotreduchesse,provisoireounon.

Vander ressentit dans un recoin de son esprit, dans son sang même, comme une pulsation qu’ilidentifiaaussitôt.

Safemmeavaitétéfiancée.Àunautre.Il prit le tempsd’examiner cette émotion rationnellement.Cen’était pas de la possessivité.Enfin,

quelquesjoursplustôt,ilsesouvenaitàpeinedel’existencedeMia!Cen’étaitpastoutàfaitvrai:ilavaitd’elledessouvenirsclairsquiremontaientàdesannées.Ilauraittoutefoisaccueillilanouvelledesonmariagesansciller,celanefaisaitaucundoute.

Pasdelapossessivité,non.Dudésir,puretsimple.Sapetitefemmenelelaissaitpasindifférentavecsescourbesappétissantesetsachevelureunpeuendésordre.

Celaavaitsansdoutequelquechoseàvoiravecleurmariage.Celachangeaitladonne.Ilavaitvudeshommesparfaitementsainsd’espritdevenirfouslorsqu’ilssoupçonnaientleurépoused’êtreinfidèle.

Satisfait,Vander reléguacesentimentdans lacaseappropriée.Un jour, ilposséderaitMia,quecesoitpourquatrenuitsouplus. Ildevait juste laconvaincrequ’iln’avaitnulle intentiondes’infliger lacomédienécessairepourtrouverunedeuxièmeépouse,d’autantqueledivorcenoirciraitsaréputationetrendraitlaprocédureplusdifficile.Miaferaitl’affaire,etqu’ilsoitdamnés’illuipermettaitdelequitterpouradultère,unscandalequis’ajouteraitàceuxquiavaientdéjàternisonnom.

Maintenantqu’ilconnaissaitsonpointfaible,iln’étaitpasexcluqu’ils’autoriseàl’exploiter.—IlsemblequejesoisdésormaisletuteurdeCharlesWallace,fit-ilremarquer.—Celanesignifiepaspourautantquenousdevionsvivreensemble!Illuisourit.—CharlesWallacevivraici,sousmontoit.Ilvitlaréalités’imposeràMia.Ilavaitremportélabataille.Findel’histoire.—Enéchange,poursuivit-il,j’attaqueraisirRichardenjusticelorsqu’ilmepoursuivrapourvolde

propriétéoutouteautreaccusationqu’il inventeradetoutespièces.J’élèveraivotreneveucommemonproprefils.JeferaimonpossiblepourdoublerlavaleurdudomainedesCarringtond’icisamajorité.

—Jeferaiuneduchesseépouvantable,l’avertit-elle.Regardezcommentjem’habille.Ilhaussalesépaules.—Pasvraimentàlamode,maisjem’enmoque.—Ceneserapaslecasdanslabonnesociété!—Jenelafréquentepas.La panique commençait à gagnerMia, qui sentit un grand froid se déployer en elle. Vander était

sérieux.Elleétaitpriseàsonproprepiège.Ils’avançaverselleavecnonchalance.—Toutcedontj’aibesoin,c’estd’unhéritier,etjeleprendraidevosentrailles.—Non,pasquestion ! se récriaMia,outréeparcettedéclarationd’unevulgaritégrotesque. Jene

suispasréellementvotrefemme!—Si,vousl’êtes.Elle comprit ce qu’il avait en tête. Il allait l’embrasser. Une fois, Edward l’avait embrassée de

longuesminutes,etensuiteelleavaiteutrèschaudetéprouvéd’agréablespulsationsaucreuxduventre.Ilenavaitri.«Vousaurezmamortsurlaconscienceavantquejevouspasselabagueaudoigt»,avait-ilplaisantéenlalâchant.

Cesouvenirluiserralecœur.StupideEdwardetsesstupidespromesses.Commeelles’yattendait,Vandersepenchasurelleetcapturaseslèvresavecunefouguebrutaleet

irrespectueuse.Illuipritl’enviedesedébattre.Delefrapper.Deluiécraserlesorteils.Deluimordrelalèvre.Outoutàfois.

Or,ellen’enfitrien.Sabouches’ouvritsousl’assautdesalangueetelleinclinalatête.L’effetdesurprisesansdoute.Elleenroulalesbrasautourdesoncoutandisqu’illaprenaitauxhanches.D’ungestebrusque,ilrapprochaleursdeuxcorps.UndélicieuxélancementtraversaMia.

LesmainsdeVanderglissèrent sur ses fesseset il laplaquacontre sonbassinavantd’imprimeràcelui-ciunmouvementondulatoire.Elleeneutlesoufflecoupé.

Lorsqu’ils’écarta,ellelevaversluiunregardeffaré.Luiétaitimpassible.—J’ai toujoursun instinct trèssûrquandils’agitdesfemmes,déclara-t-il,aussi triomphantqu’un

fermierquivientdefaireunebonneaffaireavecdeuxporcelets.—P…pardon?

—J’aimelafaçondontvousvoustortilliezcontremavirilité.Miaenrestabouchebéeetl’ondedechaleurquil’avaitsubmergéerefluad’uncoup.—Ai-jebienentenducequevousvenezdedire?—Oui,rétorquaVanderensoutenantsonregard.L’avantagedenotresituation,c’estquenousn’avons

pasàjouercettestupidecomédiedelaconversationgalante.Nouspouvonsêtrehonnêtes.Votrecorpsn’apasétésurprisquandjemesuisfrottécontrevous.

Miasentitsesjouess’empourprerdenouveau.—Aucasoùvousvousposeriezlaquestion,continua-t-ilavecunhaussementd’épaules,jenesuis

pasvierge.Miaseretrouvasansvoix.Vander,lui,semblaitdeplusenplusguilleret.—J’aihâtedevousôtercetterobehideuse,luimurmura-t-ilàl’oreille.—Pourtant,vousmeconsidérezcommeunpotàtabacavecdesseinspareilsàdeschoux,àquil’on

faitlacharité!rétorqua-t-elle.Ilvoulutrépliquer,maisleregarddontelleletransperçal’endissuada.—Vous n’avez pas envie de moi. Arrêtez de mentir, je vous prie. Vous venez de dire que nous

devionsêtrehonnêtesl’unavecl’autre.—Jevousdésirebeletbien,assura-t-il,agacé.Avantqu’ellepuissel’enempêcher,ill’attiradenouveaudanslecercledesesbras.Le problème quand il l’embrassait, c’était que sa jugeote déclinait à vue d’œil, tel le soleil au

couchant.Ellecessaitdepenserparcequ’illadévoraitdebaisers…oul’inverse.Vanderrefermaunemainsursonpostérieur,etelledutseretenirpournepassecambrercontrelui.

Del’autre,illuimaintintlatête,afinquesalanguepuissel’exploreràsaguise.Sonespritsuccombatoutàfaitetilfitnuitnoire.

Il la remonta d’un bras ferme et ondula de nouveau contre elle. Elle laissa échapper un petitgémissementquirompitlesortilège,laramenantbrusquementàlaraison.Elleselibéradesonétreinteetplaquaunemaintremblantesursabouche.

—C’estlemeilleurdesmariagesquisoit,déclaraVander.Etvousnepouvezvousplaindrequejenevousdésirepas,parcequelapreuveenestflagrante.

Il semblait avoir perdu son flegme. Sa voix était enrouée et ses pantalons, tendus sur le devant,commelorsqu’il…lapremièrefois.Àcettevue,lecœurdeMias’emballaencoredavantage.

—Jerefused’êtremariéeavecvous,s’entêta-t-elle.—Cen’estplusàvousd’endécider,rétorquaVanderquichangeadepositionetgrimaça.Incapable de s’en empêcher, Mia regarda à nouveau là. Il se rajustait. C’était la scène la plus

érotiquequ’elleaitjamaisvue.Nonqu’elleenaitvubeaucoup.Aucune,enréalité.Ellereculad’unpas,puisd’unautre.Ilfallaitqu’elles’enaille.—Alors,vousmecroyezquandjedisquejevousdésire?insista-t-il.—Ceque je crois, lâcha-t-elle, c’est que vous êtes de ces hommesqui désirent n’importe quelle

femmeàportéedemain.Vouspensezquejevousresteraifidèlejusqu’àlafindenosjours.Uneétincellesauvagepresqueprimitives’allumadansleregarddeVander.—Vousyavezsacrémentintérêt.—Etvous,vousparcourrezLondresetcoucherezavecquivousvoudrez,c’estcela?Jeveuxêtre

sûred’avoirbiencompris.Vouspourrezavoirdesmaîtressesetagirselonvotrebonplaisir.Ilcroisalesbrassurletorse.—Sil’enviem’enprend.Elleseforçaàleregarderdroitdanslesyeux.

—Tandisquemoi,jepasseraimavieentièreavecquelqu’unquimetrouvegrosseetquelconque.Sij’étais amoureuse de vous, je serais peut-être reconnaissante. Ou si j’avais l’ambition d’être uneduchesse.Saufquejenemesensnireconnaissantenichanceuse.

Ilpinçaleslèvres.— Il y a quelqu’un quelque part, je crois, qui ne pense pas lamême chose demoi.Mon fiancé,

Edward,m’aimait.Unsanglotmontadanssagorge,qu’elleparvintàréprimer.—Àprésent,plusjamaispersonnenem’aimerapourmoi-même,parcequevousêtessifurieuxque

vousvoulezmepunir.Ilvoulutprotester,maiselleneluienlaissapasleloisir.—Neprenezpaslapeinedenier.Vousvousréjouissezdemepunir;jelelissurvotrevisage.Jene

méritepourtantpascetraitement…non,pasdutout.— Je ne vous punis pas, objecta-t-il avec impatience.Bon sang, je pensais vous avoir donné une

preuveamplementsuffisantedemondésir.Êtes-voustoujoursaussimélodramatique?—Non,dit-elleentremblant.Uniquementquandonmepunitpourlespéchésdemonpère.Vandersefigea.Miaavaitvujuste;ellenetriomphapaspourautant.—Vousveillerezàcequejen’aieaucunechancedetomberamoureuse,continua-t-ellesursalancée.

Vousavezlepouvoirdem’enpriver.Enrevanche,jamaisvousnesaurezsijevoussuisinfidèle.Jamais!Enréponse,Vanderdébitaunchapeletdejurons.—Vous avez intérêt à profiter de vos quatre nuits avec votre duchesse quelconque tant que vous

l’avez,ajouta-t-elle.Parcequ’unjour,jetrouveraiunhommequi…quimerespectera.—Quivousrespectera?répéta-t-il,latoisantdelatêteauxpieds.Celasignifie-t-ilquevousnelui

direzjamaispourquoijevousaiépouséeetdansquellesconditions?Parcequ’ilnevousrespecteraplusunefoisqu’illesaura,duchesse.

LesanglotfutsiviolentqueMianeputlecontenir.Ilavaitraison.—Jemontedansmachambre,parvint-elleàarticuleravantdeseruerverslaporte,aveugléeparles

larmes.Illarattrapasurleseuiletlafitpivoterverslui.—Non!cria-t-elle.Lâchez-moi!— Sachez que je vous respecte, dit-il avec gravité. Vous avez agi selon votre conscience, dans

l’intérêtdevotreneveu.N’importequellepersonnehonnêtenepeutquevousrespecterpourcela.—Laissez-moipartir,lâcha-t-elleentredeuxsanglots.Leslarmesruisselaientsursesjouesetcen’étaitpasdelacomédie.C’étaitlegenredesanglotsqui

anéantissentunefemme,bouleverséedesesavoirnibelle,niaimée,etpasmêmerespectée.Elle le repoussadenouveau,etcette fois il reculaavecunregardd’impuissance,commesonpère

chaquefoisqu’elleavaitunproblèmedefemme–parexemplequand ilavait ruinésonentréedans lemondeendévoilantsonpoème.

Sansunmot,Miaouvritlaporteàlavoléeetseprécipitadansl’escalier,ignorantlemajordome.Leslarmeslaissaientungoûtsalédanssaboucheetilluifallaitunmouchoir…dixmême.

Uninstantplustard,ellesejetaitsursonlit,deuxoreillerssurlatête,lecorpssecouédesanglots,comme le jour où elle avait appris lamort de son père et de son frère. Et les clauses de cemaudittestament.

—Jetedéteste,maugréa-t-elled’unevoixenrouéeàl’adressedeJohn.Commentas-tupu?Commentas-tupu?

Parleràsonfrèrel’aidaitparfois,maispasaujourd’hui.Ellenevoulaitpasledétester.Ellel’avaitadoréetchérissaitsamémoire,mêmesielletrouvaitexaspérantsaconvictionqu’unhommedevaitêtrele

chefdefamille.Iln’étaitpluslàpoursedéfendre.—Jetedéteste,répéta-t-ellepourtantd’unevoixcassée.Avecquellesuffisancesonmaris’étaitvantéd’êtreenpleinepossessiondesesmoyens,alorsmême

qu’ilpensaitquesesrondeurscachaientunegrossesse.Cettefois,quandellemurmura«jetedéteste»danssonoreiller,elleeutconsciencededeuxchoses:

d’abord,ellenes’adressaitplusàsonfrèredécédé.Ensuite,ellementait.ElledétestaitVander,maispassesbaisersavidesqui luidonnaient lesentimentd’êtresensuelleet

chérie.Quellegourdeelleétait.Unevraiegodichedetomberànouveausoussoncharme.Ellesedétestait.Etlà,c’étaitlavérité.

11

NOTESSURLASCÈNEDULEGS

Incrédule,MlleFloraPercivalécoutal’avouél’informerqu’ellevenaitd’hériterd’unefortuneavecincrédulité.—Monsieur,dit-elle,jenesuisqu’unejeunefillepauvreet…(Ajouterautrechose.)—MllePercival,vousêtesdésormaisl’unedesjeunesfemmeslesplusrichesdetoutel’Angleterre,ditl’avouéquis’essuya

lefront.Maisjedoisvousprévenir:selonlestermesdecelegs,vousn’êtespasautoriséeàdonnercetargentàquiquecesoit.Vousdevezledépenseràvotreuniqueprofit.

—Voilàuneclausedespluscurieuses,s’étonnaFlora,fronçantsessourcilsblonds.— Mon client vous a observée de loin pendant des mois. Il était déterminé à léguer sa fortune à une jeune femme

d’excellentcaractère,denoblecontenanceetd’élégancearistocratique.— Mon grand-père était comte, admit Flora. La famille a déshérité ma mère quand elle est tombée amoureuse d’un

violonistedésargenté.L’avouéhochalatête.—Votreéducationhéritagetransparaîtdansvotreallure,mademoiselle.J’aiprislalibertéd’acheterunhôtelparticulier

meubléàMayfair.J’aiaussicommandéunevoitureémailléed’or,tiréeparquatreétalonsblancs.(L’émaild’orexiste-t-il?Peinteendoré?Doréeàlafeuille.)

Vanderplaqual’oreillecontrelaportedelachambredeMia.Ellesanglotaitcommesielleavaitlecœurbrisé.

Ellen’étaitpasamoureusedelui?Àd’autres!C’étaitpourtantl’évidencemême.Jamaisiln’avaitembrasséunefemmequiseconsumaitdanssesbrasà lamanièred’unfeufollet.Il luiavaitfallufaireappel à toute sa volonté pour ne pas la renverser sur le sofa et lui arracher l’horrible chiffon qui luiservaitderobe.Encoremaintenant,alorsqu’ill’entendaitsangloterdel’autrecôtédubattant,elleavaitledondeluiéchaufferlessangs.

Ilpouvaitl’aideràsesentirmieux.Non, il était l’idiot suffisant pour lequel elle le prenait. Lui avait-il vraiment dit qu’elle était

quelconque?Iln’enavaitaucunsouvenir.Emportéparlafureur,ilavaittendanceàdiredeschosesqu’ilnepensaitpas,commelorsquesonregardétaittombésursonaffreuserobebouchonnéeenplisépaissoussesseinsetqu’illuiavaitditqu’elleavaitlatailleépaisse.Luiquiappréciaittantlesrondeurschezunefemme!

Bigre,leursbaisersluiavaientincendiélesreinsetildutrajustersespantalons.IlseremémoralesseinslourdsdeMia,seshanchesrondes,sapeauchaude,sabouchepulpeuse…

Legrognementinvolontairequijaillitdeseslèvresluifitl’effetd’unseaud’eaufroide.Quediableluiarrivait-il?Ilseredressaetredescenditaurez-de-chaussée.

Dans le vestibule, il informa Nottle qu’il se rendait à Carrington House, afin d’aller chercher leneveudesafemme,etluidemandadechargerlagouvernantedefairepréparerlachambred’enfantpourlesoir.

À sa grande surprise, le visagede sonmajordome se figea.La réaction était subtile, et cependantindéniable.Vanderhaussaunsourcilinterrogateur.

—D’après ce que j’ai compris, le garçon est difforme.Certains auvillageprétendent que sa vuesoulèvel’estomac.Unedesesjambesressembledavantageàunenageoirequ’àunmembrehumain.Unecréatureamphibie,conclutNottle,quifrissonnavisiblement.

Vander réfléchit à cette nouvelle en attendant l’arrivée de sa berline. Voilà qui expliquaitcertainement ledésespoirdeMia.Ilétaitàpeuprèscertainqu’ellesebattraitpourprotégern’importequelenfant,passeulementunestropiéauhandicapperturbant.Maisl’infirmitédugarçonavaitsansdouteajoutéàsapanique.

Qui plus est, elle fournissait une espèce d’excuse au fiancé absent. Il trouvait improbable qu’unhommeayantsuvoirau-delàdesaffreusestoilettesdeMiaetdesesmanièresréservéesseraitcapabledel’éconduire le jour des noces. Néanmoins, la possibilité existait désormais que la fripouille n’ait puaffronterlaresponsabilitéd’éleverunenfantinvalide.

Quelquepeutroublé,Vandergrimpaprestementdanssavoiture.Àl’école,ilavaitconnuungarçonauquelilmanquaitdeuxdoigts;certainss’étaientmontréscruelsenverslui.VanderetThornnes’étaientjamaisjointsàeux;ilsavaientmêmecorrigédeuxélèvesparticulièrementméchants.Iln’iraittoutefoispasjusqu’àsementiràlui-mêmeetprétendrequ’ilsavaientfaitpreuvedenoblessedanscetteaffaire.Legarçonétantincapabledemaniercorrectementunebattedecricket,ilsl’avaientlaissédanssoncoin.

LorsqueVanderarrivaàCarringtonHouse,ilfutaccueilliparlemajordome.—MonnomestM.Gaunt1,VotreGrâce.Ilsetut,commes’ilattendaituncommentaire,sansdouteenrapportaveclefaitqu’ilétaitaussidodu

qu’unpudding.Vanderhochala têteet lui tenditsapelisse.Iln’avaitaucuneenviedediscuteraveccethommede

l’incongruité de son nom, ni de son nez qui, à l’évidence, était cassé. Gaunt ne ressemblait pas à unmajordomedignedecenom,maispeuluiimportait.

—Puis-jevoustransmettrelesfélicitationsdupersonnelpourvotremariage?repritGaunt.—Merci,réponditVander.JevoudraisparleràsirRichard.SirRichard se révéla êtreunhommeminceavecunbouc taillé enpointe,un stylepassédemode

depuisdeuxsiècles.Vanderéprouvauneantipathieimmédiateàsonendroit.Toutluidéplaisaitchezlui:sonregardchafouin,sescheveuxbouclésavecsoin,sesbottesrutilantesquin’avaientjamaisdûvoiruneflaquedeboue.

—VotreGrâce,c’estunplaisirdevousaccueilliràCarringtonHouse,ditl’hommequicontournaungrandbureauaveclamineavenantedeceluiquin’apascomprisqueleditbureauappartenaitdésormaisàVander.

LeducopinaetregardasirRichards’inclinerenuneprofonderévérence.Toujourspliéendeux,ilexécutadelamaindroitequelquesgesticulationsaussidésuètesquesonboucélisabéthain.Unserviteurdelareine,enquelquesorte.

Àpeinesefut-ilredresséqueVanderselaissachoirdansunfauteuil.—Commevouslesavez,MlleCarringtonestdésormaismaduchesse.SirRichards’assitàsontour,lesgenouxserrés.—Jevousadressemespluschaleureusesfélicitations,déclara-t-ilavecunsourireradieux,comme

s’ilnes’apprêtaitpasàintenteruneactionenjustice.L’avoué deVander ne connaissait pas encore le libellé précis de la plainte, toutefois, sirRichard

avaitlaréputationderéglersescomptespersonnelsdevantletribunal.IlavaitdéjàpoursuiviVanderausujetd’unchevalachetéauxÉcuriesPindar,maisledifférendn’avaitpasétéplusloinquelesbureauxdeleursavocatsrespectifs.

—L’objetdevotrevisiten’estpascetteplaintequiremonteàquelquesannées?J’aiété induitenerreurparmonmaîtred’écuriequipensaitqu’àcausedesesoreillestombantes,lechevalnepouvaitêtre

le descendant deMatador. Il se trompait et j’ai accepté sans restriction les preuves fournies par vosécuries.

Vandernepritpas lapeinede répondre.SirRichardprétendaitque leditcheval luiavaitété livréavecdesdocumentsfalsifiés,uneallégationquelesdéfenseursduducavaientpromptementréfutée.EtsirRichardnecessaitderadotersurlesoreillestombantesetlespur-sang,prouvantainsiqu’ilétaitunânebâté.

—Votre plainte était inconséquente, finit par le couperVander. Etma défensem’a coûté plus decinquantelivres.

SirRichardsemitàergotersur la fréquencedespratiquesmalhonnêtesetdudroità la rupturedegarantie.

Vanderl’interrompitdenouveau:—Mon avoué m’apprend que vous envisagez une nouvelle action concernant mon mariage avec

MlleCarringtonetmatutellesurlejeunelordCarringtonquienrésulte.UnsourirefauxincurvaleslèvresdesirRichard.—VotreGrâce, ilestévident,pourvouscommepourmoi, j’ensuisconvaincu,quevotremariage

avecMlleCarrington,célébréà11heures–àpeineunmoisaprèsdeprécédentesnocesavortées–,aétémontédetoutespiècespourvouspermettredemettrelamainsurlesterresdemonpupillequi,etcen’estpasunecoïncidence,jouxtentlesvôtres.

—Cetargumentn’ajouéaucunrôledansmonraisonnement,répliquaVander.—Entrenous,VotreGrâce,insistasirRichardd’untonnarquois,vousavezépousécettefemmepour

accaparer lesbiensquinesontpas inaliénables.Vouscomprenezdoncqu’unecompensations’impose.J’envisageaisdevivredanscettemaisonetdetirerprofitdesterrespendantaumoinsunedécennie,etsansdouteplus,euégardàlasantéprécairedemonpupille.Ils’avèrequemesterresjouxtentaussicedomaineàl’est.

Vander avait conscienced’êtred’unabordquelquepeu rugueuxpourunduc. Il possédaitune facesombrequiluivenaitdesonenfance,etdecetinstinctquilemettaitjadisengardecontrelesdéliresdesonpère.

Cetinstinctluidonnaitl’enviepresqueirrépressibled’écrasersirRichardcommeunver.Ilétenditlesjambes,réfléchissantàlasituation,etlaissalesilences’étirer.Ilnerisquaitpasdeverserlemoindredédommagement.

Lavéritablequestionétaitdesavoirs’ildevaitrossersirRichardtoutdesuiteouattendredevoirsicecrétinpasseraitdesmenacesimplicitesauxpoursuites.

Mieuxvalaitattendre,décida-t-ilenétudiantlevisagepomponnéàl’extrêmedesirRichard.Détailintéressant,l’hommenesemblaitpasavoirpeur.Peut-êtresavait-ilsedéfendrejusteassezpourconstituerun défi digne de ce nom. Plus probablement, ce petitmonsieur était convaincu que la dague à ressortdissimuléedanssajoliecannesuffiraitàleprotéger.

—Jenevouspaieraipasunsou,déclaraVander,quisefélicitamentalementd’avoirréussiàgarderuntonégal.

Sir Richard avait taillé ses sourcils en pointe et son expression surprise – sincère ou feinte – lefaisaitressembleràceratdomestiquequeVanderavaiteuenfant.

—Enêtes-vouscertain,VotreGrâce?Commevousvousendoutez, jecomptedéposermaplaintedansleBerkshireoùjesuisloind’êtreuninconnu.

Ilmarqua une pause juste assez longue pour faire comprendre qu’il avait le juge de paix dans sapoche.

Si la mémoire de Vander était bonne, l’honorable M. Roach occupait cette fonction depuis unequinzained’années.L’animalen luigrondalorsqu’ilpensaà touscesgensquiavaientdûêtrevictimesd’abusduranttoutcetemps.SirRichardn’étaitpasseulementpersuadéquelemondeluiappartenait,il

faisait aussimontre d’un irrespect irresponsable de la loi.C’était un scélérat, du genre à plonger unedagueentrelescôtesd’unhommeavantdeserendreàl’opéracommesiderienn’était.

Vanderhocha la tête, feignantde réfléchir sérieusementà lamenacedeRichard. Ilpouvait le tuer,biensûr,maisceseraitsalissant,improductifetpourraitluivaloirdesennuis.Mêmelesducsn’étaientpasencouragésàs’érigerenjuge,juréet,surtout,bourreau.

Etpuis,saconscienceluirappelaitàl’occasionqu’iln’avaitnuldroitdejouercestroisrôles.—Noussavonsl’uncommel’autrequ’ilvaudraitmieuxéviterlestribunaux,repritsirRichardd’une

voixonctueuse.CeseraitdifférentsiMiaétaitunebeauté;vouspourriezprétendreavoirététouchéparlaflèchedeCupidonaupremierregard,gloussa-t-il.Toutefois,vusescharmeslimitésetlesscandalesliésàvosparents…

Cette fois, c’enétait trop.Vanderallait le tuer. Il s’agissait justede savoirquand. Il sepenchaenavant,utilisantsaprésencephysiquecommeunearme.

—Si lenomdemonépouse franchit vos lèvresune foisdeplus, je risqued’enêtre extrêmementcourroucé,sirRichard.

L’undesridiculessourcilsenpointes’arquaànouveau.—J’applaudisàvotreloyauté.C’estunequalitésiraredansvotrefamille.Décidément,cethommeavaituneattitudesuicidaire.EtVanderenavaitpar-dessuslatêtedesmaîtreschanteurs.—Jeveuxquevousquittiezcettemaisonaujourd’huimême.Ilsecontrôlaitparfaitement,constata-t-ilavecsatisfaction.IlyavaiteudesmomentsavecMiaoùil

avaitfaillihurlercommeundément,maislà,confrontéàcettefouine,ilnerisquaitpasd’explosercommeunpistoletmalchargé.

—Quantàmoi,j’engagerailespoursuitesdèsaujourd’hui,sifflasirRichard.Jeferaidevotrenomunobjetderisée–cequ’ilestd’ailleursdéjà.Aprèstout,votreunionn’est-ellepasincestueuse?Oh,attendez,votremèren’étaitpasmariéeaveclepèredevotreépouse!

—Comptez-vouspartirsurvosdeuxjambes,sirRichard,oumesvaletsdevront-ilsvousassister?SirRichardselevaetsedirigeasansmotdireverslacheminée.Ilseretournasoudain,aussicoquet

qu’unefigurinedeporcelainesuruneboîteàmusique.— J’ai l’impression que nous avons pris un mauvais départ, Votre Grâce, dit-il avec un hoquet

pathétiquedanslavoix.—Vraiment?— Je souhaite simplement être dédommagé pour les pertes que vous m’infligez par un mariage

calculédansleseulbutdemegruger.—Comme je vous l’ai dit, je neme suis pasmarié en songeant à CarringtonHouse, lui rappela

Vander.—Voulez-vousdirequec’estunmariaged’amour?—Celanevousregardepas,pasplusquecelaneregardelestribunaux,répliquaVanderavantdese

lever.SirRichardserembrunit.—Détrompez-vous!Vousmevolezmondomaine.Vouspensiezsérieusementquejevousregarderais

fairesansriposter?Quejevousremettraislesclésavecunsourire?—Jepeuxmepasserdusourire.Le duc s’avança vers sir Richard à pas lents, notant qu’il jouait avec sa canne. Si seulement cet

odieuxpersonnage sortait une lame, il serait en droit de lui flanquer la raclée qu’ilméritait.Mais sirRichard devait attaquer le premier ;Vander avait renoncé aux pugilats, sauf lorsqu’il s’agissait de sedéfendre.

—Toutlemondeseraaucourant!s’exclamasirRichardd’unevoixquigrimpadanslesaigus.Vouscroyezvraimentquelabonnesociétéaccepteravotreinsignifianteépouseaprèslarelationscandaleusequ’ontentretenuevosparents?

Vanderserra lepoingetunedoucesatisfaction l’envahit.S’ilyavaitunhommequiméritaitd’êtrerossé,c’étaitbiensirRichard.

Cedernierreculad’unpaset,commeprévu,sortitunedaguedepacotille.—Nemetouchezpas!glapit-il.Jevouspoursuivraipourcoupsetblessures.Etjeferaisavoirau

mondeentierquevousm’avezagresséuniquementparcequej’aieulecouragededirelavérité,àsavoirquevousavezépouséunevieillefilleauphysiqueingratdansleseulbutdedéposséderunorphelindesonhéritage!

Enunefractiondeseconde,ladagueseretrouvadanslamaindeVander,pointéecontrelagorgedesonpropriétaire.

—Laplupartdevosremarquesm’ontdéplusouverainement,lâchaleduc.—Mesdomestiquessaventquevousêteslà,articulasirRichard.Vousnepouvezpasmetuer.—Jen’enaipasl’intention.Àmoinsquevousnégligiezdem’adresserdeplatesexcuses,s’entend.

Monépouse est une femmecharmante, intelligente.Ellepossède legenrede courbesdont touthommerêverait.Jen’étaispeut-êtrepaslepremieràsouhaiterl’épouser,jesuiscependantceluiquiluiapassélabagueaudoigt.

À sa grande stupéfaction, Vander se rendit compte qu’il pensait chacun des mots qu’il venait deprononcer.

SirRichard étrécit lesyeux.Le scélératmijotait encoreune ignoble calomnie.Vander songea à letransperceravecsapropredaguejustepourlefairetaire,maislesdaguesétaientunearmedelâche.Illalançaàtraverslapièce,etellesefichadanslaporte.

SirRichard s’effondra tel un sac de farine après un seul coup à lamâchoire, un dénouement troprapideaugoûtdeVander.Illepoussadelapointedesabotte.Latêtedel’hommeroulasurlecôté.Ilétaitvivant,justeinconscient.Satisfait,leductiralasonnette.

Gauntapparutquelquesinstantsplustard.Iljaugealasituationd’unbrefcoupd’œil.—MonDieu,sirRichardsembleavoirfaitunechuteets’êtreblesséàlatête.Vanderhaussalesépaules.—Quelquechosedecegenre.Demandezàunvaletdelechargerdanssavoiture.Ilpourrareprendre

sesespritschezlui.—Préférez-vousqu’onleconduiseàsondomaineouàsonhôtelparticulier?—Oùsetrouvesondomaine?—Justeàcôté,àl’est.— Ah oui, c’est vrai, dit Vander, se remémorant les paroles de Sir Richard. Qu’est-il arrivé à

M.Bevington?Safamillevivaitsurcesterresdepuisdesgénérations.— Je crois que sir Richard a obtenu le domaine à titre de règlement partiel dans un procès qui

l’opposait à M. Bevington pour coups et blessures. Il est évanoui, semble-t-il, fit remarquer lemajordomequilepoussaduboutdupiedsansdouceur.

VanderfréquentaitrégulièrementleclubdeboxedeGentlemanJacksonàLondres.Quandilfrappaitunadversaireenpleinemâchoire,c’étaitlafinducombat.

—Coupsetblessures?— M. Bevington soupçonnait sir Richard d’avoir abusé de sa fille, expliqua le majordome,

impassible.Malheureusement,ilaétéprouvéautribunalquelademoiselleétaitunecoquineimpudentequi avait fait des avances à sir Richard, rendant la plainte de son père injustifiée. LesBevington ontémigréauCanada.

—Bontédivine…

Tout cela s’était produit sous sa supervision. Il aurait dû en être informé.Après tout, les ducs dePindarétaientchargésdenommerlesjugesdepaixdansleBerkshire,encoreque,aveclamaladiedesonpère,Dieuseulsavaitcommentl’honorableM.Roachavaitobtenusonposte.

—Pourl’heure,emmenezsirRichardàBevington’sHouse,Gaunt.LemajordomeappeladeuxlaquaisquitraînèrentsirRichardhorsdubureauenaffichantunmélange

dejubilationetdehainepure.—Expédiez-luisesaffairesdansl’heure,ajoutaVander.Ilestcélibataire,n’est-cepas?—Oui,pourautantquejesache.Sonvaletsechargeradesagarde-robe.Unemalleoudeuxsuffiront.—Vous feriezbiende renforcer lespatrouilles sur lapropriété. Jeneseraisguère surprisquesir

Richardchercheàsevenger.LevisagedeGaunts’illuminatelceluid’unlutinjovial,quoiquedangereux.—Qu’ilessaie,VotreGrâce.Qu’ilessaie.SirRichardnes’étaitapparemmentpasfaitquedesamisparmilesdomestiques.—Laduchessetientàcequesonpupilleviveauprèsd’elle.Jevaisdoncréduirelepersonneliciau

strictnécessaire,expliquaVander.J’emploierailesautresdansmesdifférentesdemeures;lesbesoinsnemanquentpas.Enconnaissez-vousquiauraientétécongédiésàtortdepuisl’arrivéedesirRichard?

—Jevousendresserailaliste,réponditGaunt,radieux.Laliste?Bonsang.Vanders’apprêtaitàsortirquandunequestionqui le taraudait luirevintenmémoire. Ilseretourna

verslemajordome.—Gaunt,jesupposequevousconnaissiezl’ancienfiancédeladuchesse.Leserviteurhochalatête.—Eneffet.—Chargezdeuxvaletsdefaireunepetiteenquête–ouengagezundétectivedeBowStreet.Jeveux

êtreabsolumentcertainquecethommeestencoredecemonde.Cettefuitesubitele jourdesnocesmesemblepourlemoinsopportune.SirRichardaévoquésondomaineàproposdeCarringtonEstate.

Gauntouvritdegrandsyeux.Visiblement,l’idéeneluiavaitjamaistraversél’esprit.Vander,lui,étaitbeaucouppluscynique.Uneviepasséeauxécuriesetalentourluiavaitapprisque

deshommestelsqueRichardMagruders’arrogeaientledroitd’agircommebonleursemblait,etsauvequipeutpourlesautres.

Il était probable que le fiancé deMia avait bel et bien fui la responsabilité d’une épouse et d’unenfant.L’imagedeMias’imposaàlui,leslèvrespulpeusesetlesoufflecourtaprèssesbaisers.

Oupeut-êtrepas.

1.«Fluet»enanglais.(N.d.T.)

12

NOTESSURL’INTRIGUE

1.Florahéritede100000livresduvieuxmaisgentilM.Mortimer.Conditionexpresse:elledoit lesdépenserpourelle-même (un exploit, vu sabonténaturelle).Déchirée entre le comteFrédéric, qui ne veut pas entendreparler de cet argent, etM.Wolfington.

2.Renonceaulegs;lecomteFrédériclaquitte.3.Ellefinitàl’articledelamortdanslacampagne;recueillieparlevillordPlumquienveutàsavertu.4.BienquelordPlumluioffreunchâteau,ellenepeutoubliersonpremieramour.Parcequ’ilestfougueuxetintrépide,et

auncœurdedémon(etuneallured’ange).5.S’échappeduchâteau.LordPlumlapréféreraitmorteplutôtqu’elleenépouseunautre.Non:ennuyeux.6.LevillordPlumpossèdeuntigreapprivoisé!Entraînépourl’attaque.Excellent!

—J’emmènemonpupille àRutherfordPark, annonçaVander àGaunt aprèsqu’oneut emporté sirRichard.Quemavoiturem’attended’iciunedemi-heure.Faitessuivretouteslesaffairespersonnellesàvotreconvenance.

Àcesmots,Gauntarborauneexpressiondegrand-pèresévère,quoiqueattentif.—SaGrâceest-elleaucourantquevousvenezchercherM.CharlesWallace?Vandern’avaitpasl’habituded’êtreinterrogéparlesdomestiques.Iltoisalemajordome.—Montrez-moilachambred’enfant,voulez-vous,oudois-jelatrouvermoi-même?Gauntnecillapasfaceàcetterebuffade.Ilgagnalecouloiretgravitl’escalierenveillantàdemeurer

aumilieuafinqueleducrestederrièrelui.—Le jeunemaître a déjà vécu tant d’épreuves durant sa courte vie, expliqua lemajordome, qui

s’arrêta à mi-parcours comme pour reprendre son souffle. Il possède néanmoins le courage et lapersévérancedesonpère.C’estunCarringtonjusqu’àlamoelle.

—Heureuxdel’entendre,ditVander.Ceportraitétait irritant,mais ilnepouvaitqu’admirer la loyautédudomestique.C’étaitunebonne

chosequel’enfantamphibieaitdessoutiens.Une fois devant la porte de la chambre, Gaunt lui décocha un nouveau regard déplacé, du genre

«Vousavezintérêtàfairepreuvedegentillesse,sinon…».Cesderniers temps, tousceuxqueVander rencontraitparaissaientcontester lahiérarchiequi sous-

tendaittoutesociété.C’enétaitdéstabilisant.—Jemeprésenteraimoi-même,Gaunt.Àcontrecœur,lemajordomes’inclinaetrebroussachemin.Vander crut d’abord que la chambre était vide. C’était une grande pièce lumineuse et gaie, bien

qu’elle eût besoin d’être rafraîchie. Les murs étaient couverts de peintures bosselées sur du papierministre,sansdoutelefruitdeseffortsartistiquesdujeuneCharles.Vandern’avaitjamaisrienvudetel.Sanourricen’autorisaitpaslesdessins,etsitelavaitétélecas,sespiètresœuvresn’auraientsansdoutejamaisétéexposées.

Ducoinde l’œil, il perçutunmouvement.Un jeunegarçonvenait deposerun épaisvolumeet selevaitmaladroitementd’unfauteuil.Vandern’avaitaucuneexpériencedesenfants;sonnouveaupupilleparaissaitavoircinqousixans.

CharlesWallace attrapa une petite béquille qu’il cala sous son aisselle avant de se redresser. Ilsemblaitavoirunproblèmeavecsajambedroite,mêmesiVandern’yvoyaitaucunedifformiténotable.

—Bonjour,lesalualegarçon.Puis-jevousdemanderquivousêtes?Pascinqans.Plusâgé.Savoixétaitclaire,poséeet–contretouteattente–autoritaire.Vanders’approcha;pastrop,cependant,decraintequel’enfantnesesentemenacé.—JesuisleducdePindar,votrenouveaututeur.EtvousdevezêtreCharlie.Unsilences’ensuivit.—Veuillezmepardonnermonimpertinence,VotreGrâce,réponditlegarçonaprèsunsilence,jesuis

M.CharlesWallacepourceuxquimeconnaissent,etlordCarringtonpourlesautres.Amusé,Vanderdutprendre sur luipour réprimerun sourire. Il s’inclinacommes’il se trouvait en

présenced’unealtesseroyale.—LordCarrington.Enseredressant,ilnota,déconcerté,unelueurréprobatricedanslesyeuxgrisquilefixaient.—Sivousattendezquejevoussalueenretour,jerisquedevousdécevoir.Commevouslevoyez,ma

jambedroitenefonctionnepasaussibienqu’elleledevrait.Vandern’avaitquetrèspeueuaffaireauxenfants,mêmes’iléprouvaituneprofondeaffectionpourla

jeunepupilledeThorn,Rose.Indialuiavaitditunjourqu’ilvalaitmieuxnepasduperlesenfants,carilsn’avaientpasleurpareilpourvousperceràjour.

—Monsalutestlareconnaissancedevotrerang,dit-il.Quandungentlemanestdansl’impossibilitédeplierlajambe,àcaused’unemaladieoud’uneblessure,ilsepencheàpartirdelataille.

—Jerisqueraisdetomber,répliquaCharlesWallace.Sesyeuxclairsétaientfrangésdecilsnoirsextraordinaires.Sesépaischeveuxboucléssedressaient

sursatête.Ilavaitlementonpointuetlespommettessaillantes.Iln’étaitpasbeau,mêmeavecungroseffortd’imagination.

Cependant,lepirequeVanderpûtfaireseraitdeledorloter.Mial’avaitsansdoutecouvé,quoiqueavec lesmeilleures intentionsdumonde.Elle l’avaitgardéà lamaisonàétalerde lapeinture surdesfeuillesdepapieralorsquelepremieridiotvenuverraitqu’iln’avaitaucuntalent.

Ilhaussalesépaules.—Essayez.CharlesWallace lui décocha un regard noir, pencha le buste en avant et, comme il l’avait prévu,

perditl’équilibre.Ilroulaendouceursurlesol.Vanderserapprochadequelquespas.—Belleroulade,commenta-t-ilfroidement.Uncoupdemain?—Non.CharlesWallacebasculasurleflancetsereleva.—Àmonavis,votrebéquilleestpeut-êtreunpeucourtepourvotretaille.—VousêteslenouveaumaridetanteMia?—Vousappelezvotretanteparsonprénom?Nelefaitespasenpublic,c’esttout.—Jenesorspasenpublic,ripostaCharlieavecledédaind’unjeuneempereur.—Pourquoicela?Legarçonneréponditpas,maissonregardconseillaàVanderdes’épargnerlesquestionsstupides.—Jevaism’asseoir,jecrois,décidacedernier.Joignez-vousdoncàmoi.Il s’avança jusqu’à un vieux sofa et s’y assit, se retenant à dessein de regarder comment Charlie

sedébrouillait.

Legarçonmitunmomentàlerejoindreetpritplaceàl’autreextrémitéducanapé.—Vousn’avezpasunprécepteurouquelqu’undecegenre?Legaminhaussasesfrêlesépaules.—SirRichardtrouvaitquemonprécepteurétaitunstupidelèche-bottesetl’acongédié.Lepasteur

mefaittravaillermonlatinetM.Gauntm’apprendleséchecs.—PourquoisirRichardn’a-t-ilpasengagéunautreprécepteur?—Iltrouvequec’estabsurdepouruninfirmed’étudiercommes’ilétaitcapabled’alleràl’école.Dieumerci,Charlienesemblaitpastouchéparl’insultedesonancientuteur.—Etcommentcomptez-vousgérervotrepatrimoinesanséducation?—C’estlaquestionquetanteMialuiaposée.Ilaréponduqu’ilsauraienttoutletempsd’yréfléchir

sijesurvivaisjusqu’àmamajorité.Vander ne put s’empêcher de penser que, sans son entrée en scène, le risque que Charlie ne soit

victimed’un«malencontreuxaccident»àunmomentouunautren’auraitpasétéexclu.—Vousmeparaissezplutôtenbonnesanté.Avez-vousd’autressoucisendehorsdevotrejambe?—Non.—Etquel est le problème?Est-ellemalformée, raide, trop courte ? demanda-t-il sans insistance

particulière.—Elleestdéforméeàpartirdugenou,l’informaCharlie,quipinçaleslèvres.Lesvillageoispensent

quemonpiedestunenageoire,maisc’estfaux.C’estunpiednormalquitournedecôté.—Il fautvoir lecôtépositif : sivousêtes ruinéun jour,vouspourrez toujoursvousfaireengager

dansunefoireitinérante.Parcetteboutade,ilparvintàfissurerlecalmedéfensifquiprotégeaitCharlietelleunearmure.Ses

jouescireusesenrosirent.—Cen’estpasgentildedirecela.—Lesgarçonsnesedisentpasdeschosesgentilles,rétorquaVander.—Vousn’êtespasungarçon,vousêtesunduc.Vousdevriezêtrepluspoli!Vanderluisourit.—Vousêtesmonpupilledésormais.Jeneressenspaslebesoind’êtrepoli.Quelestleproblème?

Vousn’aimezpaslesfêtesforaines?—Jenesaispas.Jen’enaijamaisvu.—Quoi?Lafêtealieuauvillagedeuxfoisparan.Charliehaussalesépaulesetsonregards’éteignitànouveau.—Vousavezpeurdevousmontrerenpublic.—Non!Bonnenouvelle.Cegarçonavaitducranetdelacombativité.—Puisquevousm’interdisezCharlie,jepourraispeut-êtrevousappelerClopin.— Pour clopin-clopant ? Pas question ! protesta-t-il, les mâchoires crispées. À ma place, vous

n’apprécieriezpas.—Quandj’étaisàl’école,ditVander,quiallongeasesjambesdevantluietcontemplasesbottes,on

m’appelaitleCornu.EtparfoisVulcain.—Vulcain,commeledieuromain?Pourquoi?EtpourquoileCornu?—C’étaientdesallusionsaufaitquemamère,laduchesse,étaitunefemmeadultère.Vousconnaissez

cemot?—Non.—Ilsignifiequ’elleétaitl’amieintimed’unhommequin’étaitpassonmari.—Oh,commeVénusquiprenaitdesamants,cequeVulcainn’aimaitpas!Votrepères’est-ilmisen

colère,commeVulcain,quandil l’adécouvert?Vulcainfaisaitexploserunemontagnechaquefoisque

Vénusavaitunnouvelamant,expliquaCharlieavecvivacité,l’airintéressé.—Monpèren’ajamaisriensudel’amitiédemamère.Cornuestuneallusionauxcornesducocu,un

vilainnompourdésignerunhommedontlafemmeaengagésonaffectionailleurs.—Oh.—Laplupartdesgarçonsfaisaientcegestechaquefoisqu’ilsmevoyaient,surtoutlapremièreannée.IlmontraàCharliecommentfairedescornesaveclepouceetlepetitdoigt.Legarçonnesepriva

pasdel’imiter.—Soitj’enprenaismonpartietj’acceptaisqu’onmedonnedessurnomsàcauseducomportement

demamère,soitjemebattaisavectouslesélèvesdel’école.—C’estcequej’auraisfait,lâchaCharlieavecimpétuosité.Àvotreplace,jeveuxdire,sij’avais

deuxjambesnormales.—J’aiessayélapremièreannée,avouaVander,pensif.J’enairosséquelques-uns.Jeleurflanquais

la tête dans la poussière et je les faisais jurer de ne plus jamaism’appeler le Cornu.Vulcain nemedérangeaitpasautant.

—Etilsontarrêtédevousfairelescornes?—Non.CertainsvousappellerontleBoiteuxouClopindansvotredostoutevotrevie.LabouchedeCharliesecrispa.—Beaucoupdegensvontêtreàl’affût,histoiredevoirsivotretantetombeamoureused’unautre,

continuaVander. Ils seront curieuxde savoir si leshommesdema familleontune sortededéficit. IlspensentquelesducsdePindarsontincapablesdesatisfaireleursépouses.

Charliesepenchaetluitapotalegenoudesamainfrêle.—Nevousinquiétezpas,leréconforta-t-il.Matantenetomberaplusjamaisamoureuse.Ellemel’a

dit.Donc,ellenevousquitterapas,commeVénus.Vandersefigea.—Ainsi,elleétaitamoureusedesonfiancé?Quelétaitsonnom?s’enquit-il,l’airderien.—M.EdwardReeve,réponditCharlie.C’estlefilsducomtedeGryffyn.Un frisson secoua Vander. Toujours cette maudite possessivité. Un homme n’aimait pas entendre

parlerdessentimentsdesonépousepourunautre.—Pourfinir,iln’apaspuaffronterlaresponsabilitédemonéducation.C’estcequ’ildisaitdansson

message.Leregarddel’enfantdérivaverslacheminée.— Ce n’est qu’un stupide égoïste, maugréa Vander. Comment avez-vous appris la teneur de ce

message?—SirRichard l’a lu à voix haute, réponditCharlie. Il n’aurait pas dû. Plus tard, tanteMia s’est

emportéecontrelui.Vander lâcha un chapelet de jurons. Le visage de Charlie s’éclaira, et il demanda aussitôt la

signification de deux des mots. Le duc la lui donna, à condition qu’il ne partage pas ce nouveauvocabulaireavecsatante.

—Lepire,c’étaitquesirRichardavaitlalettredeM.Reevedanssapoche,maisilaattenduquel’églisesoitpleine.Ensuite,ilafaitsemblantdeserappelerquelepliavaitétédéposéplustôtdanslamatinée.

—SirRichardmériteraitlacravache.—TanteMial’atraitédebâtard,ajoutaCharlieavecdélectation.C’estquelqu’undontlesparentsne

sontpasmariés.M.Reeveétaitunbâtard,luiaussi,parcequesesparentsn’étaientpasmariésetqu’ilaabandonnématantelejourdumariage.

L’imagedesafemmeattendantcepauvreimbécileàl’église,tandisquesirRichards’adonnaitàcejeucruelsuffitàéchaufferlessangsdeVander.

—Jeluiferaipayer,articula-t-il.—Laviolenceestlasolution,maintenant?remarqualegarçonavecunsourireencoin.—Ilarriveparfoisquecesoitlaseulefaçond’obtenirsatisfaction.Charliefronçalessourcils.Vanderdevinacequ’ilpensait.—Nousallonsvousmettresuruncheval.Fairetravaillervosmuscles.Etnousvoustrouveronsun

moyendevousdéfendrequandvousêtessurvospieds.—N’importequipeutmebousculer.—Passivousavezunedagueouuneépée,répliquaVanderavecunsourirecarnassier.—Uneépée ? s’exclamaCharlie, radieux,avantde s’assombrirdenouveau.Commentpourrais-je

teniruneépée?J’aitoujoursmabéquille.— Nous pourrions dissimuler une dague dans votre béquille. Cela se fait couramment avec les

cannes.Nonpasquevousvouliezpoignarderquelqu’un,biensûr,maisunhommeabesoind’unearme.—VousdevrieztranspercersirRichardavecuneépée!—Mieuxvautéviterunhomicide,saufencasd’absoluenécessité.L’idéetraversal’espritdeVanderqu’iln’étaitpeut-êtrepaslemodèleidéalpourunjeunegarçon.Il

n’étaitpasvraimentd’untempéramentpaisible.Charlienonplus,dureste.— Vous devriez tuer aussi M. Reeve. Tante Mia dit que parfois les hommes ne sont pas aussi

courageuxqu’onpourraitl’espérer,maisjetrouvehorriblequ’ill’aitabandonnéecommeill’afait.—J’yréfléchirai,promitVander.Lefiancédevotretanteestassurémentunefripouille.Ilvousafait

porterlepoidsdesafaiblesse,unehonteuselâcheté.Ilsepenchaetdécochaunpetitcoupdepoingdansl’estomacdugarçon.—Vousn’êtespasd’accordavecmoi,Clopin?LesjouesdeCharlies’embrasèrentdenouveau,etilselevad’unbond,lâchantsabéquillequitomba

surleparquet.—Jerefused’êtreaffublédecesobriquet!TantpispourReeve.Vanderappréciaitsincèrementcegamin.Ilseleva,puiss’accroupitdevantlui,

lesyeuxàhauteurdessiens.—Fortbien,jeneleferaiplus.—Plusjamais?—Plusjamais.Puis-jevousappelerl’Estropié?—Non!—Jambe-de-bois?—Non!—JesuisobligédevousappelerlordCarringtonalors?L’intérességardalesilenceunmoment,puis:—Vouspouvezm’appelerCharlie,jesuppose.—Etmoi,pourquoipasoncleVander,dumoinsenprivé?Charlieesquissaunpâlesourire–sonpremiervraisourire.—Jecroisqu’enprivé,jevousappelleraiVulcain.Vanderricana.—Appelez-moiVulcainetvousaurezdroitàClopin.Ainsi,vousserezendurciquandvous irezà

l’école.Charlieclignadesyeux,effaré.—Àl’école?Jenepeuxpasyaller!—Pourquoi?

—Jesuisinfirme.Vousnecomprenezpas.C’estcommealleràlafêteforaine.Jerisquedemefairebousculer.

—Etalors?Vousm’avezmontréquevousmaîtrisiez lesrouladesà laperfection.VousnepouvezrestercloîtrédanscettechambrecommelaBelleauBoisDormantderrièresahaiederonces.

—Jenesuispasuneprincesse,rétorquaCharlieavecunregardnoir.—Alorsdescendonsauxcuisinesnouschercherdequoinousrestaurer.Aprèsquoi,nousironschez

moi.C’esttoutunartdefaireunerazziadansungarde-manger,Clopin,ettoutjeunelordquiserespectesedoitdeleconnaître.

Parvenusdevantlesmarches,ilscontemplèrentensilencelacourbedel’escalier.—Est-ceunedesraisonspourlesquellesvouspasseztantdetempsdansvotrechambre?s’enquit

Vander.Legaminhochalatête.—Descendremeprendtropdetemps.Jedoismecramponneràlarampe,etj’ail’impressionqueles

valetsrientdansmondos.Autrefois,M.Gauntmeportait,maisjesuistropgrandmaintenant.—Eneffet,acquiesçaVander,quiposalamaindeCharliesurlamagnifiquerampeenacajou.Vous

sentezcommeelleestlisse?L’idéalpourunebelleglissade.Jevaistenirvotrebéquille.Toutefois, laprochainefois,vouslacoincerezsousvotrebras.

Charlieouvritdesyeuxronds.—TanteMiametuerait.Vanderfitminederegarderàlaronde.—TanteMia?Ilyaunetanteici?Ilsouritàsonpupille.—Jevousrattraperaienbas.Tournez-vousetglissezsurleventre.Charlie avait peur, de toute évidence, c’était cependant un petit bonhomme courageux. Lorsque

Vanderluicria«Enplace,Clopin!»d’enbas,ilsehissatantbienquemalsurlarampe.—Allez-y!braillaVander.Legarçonnet s’exécuta, ne laissant échapperqu’unpetit cri étouffé.Vander regarda le corpsmenu

glisserverslui,cheveuxauvent.Ill’attrapasanspeineavantquelabouledupilastreneleblesse.—Chezmoi,nousposteronsunvaletaupieddel’escalieravecordredevousrattraper.Quandvous

aurezdavantagedepratique,voussaurezvousarrêtertoutseul.Charlieavaitlesjouesrougesetleregardbrillant.—C’étaitfantastique!—Bien,ditVander.—TanteMiavadétester.Legarçonarboraitunsourireintrépideetravi.—Lesmères, et les tantes, sont en général contrariées quand leurs enfants découvrent la vitesse.

Attendezqu’ellevousvoiegaloper.—Ellemel’interdira,soupiraCharlie.—Unhommenepeutlaisserunefemmeluidictersaconduite,n’est-cepas?Letorsechétifdel’enfantsegonfla.—Non.—Noussommesbiend’accord.Bon,c’estl’heuredupainetdufromage.Jesuislasdevousappeler

Clopin.Quepensez-vousdePeteJambe-de-bois?—Jen’aimepasdutout,protestaCharlieavecentrain.—EtHarryPatte-Folle?—Nonplus!

13

DeMlleCarringtonàmessieursBrandy,Bucknell&Bendal,Éditeurs

9septembre1800

ChermonsieurBucknell,VousavezsûrementlulanouvelledansleMorningPost,maisjetiensàvousl’annoncermoi-même:depuisnotredernier

échange, j’ai épousé le duc de Pindar à la suite d’une série de malentendus qui ne dépareraient pas dans un roman deLucibella.Ils’agitd’unarrangementtemporaireetcettetracasserieserabientôtréglée, ilest toutefoisd’autantplusimpératifque personne ne découvremon identité de romancière. D’aucuns pourraient considérer que l’héritage des Pindar se trouveentachéparlestravauxlittérairesdeLucibella.

Jepuisvousassurerquejetravailleavecdiligencesurleromanetnesuispaslemoinsdumondedistraiteparmanouvellesituation.Jevousenvoiecettemissiveauxbonssoinsd’undesvaletsduducquiseferaunplaisird’attendrevotreréponse.JemeréjouiségalementderecevoirlesromansdeMlleQuiplet.

MlleCarringtonSaGrâce,laduchessedePindar

Miapassal’après-midiàruminersurlesmanièresautoritairesdesonépoux.ElleauraitpréféréluiprésenterCharlesWallaceelle-même.Etqu’est-cequiluiprenaitautantdetemps?Ilyavaitàpeineuneheuredetrajetentrelesdeuxdemeures.Quandl’attenteatteignittroisheures,puisquatre,ellecommençaàs’inquiéter.Peut-êtreCharlieavait-ilrefusédequitterlamaisonavecuninconnu.

Pourtenterdesechangerlesidées,elles’assitaupetitbureaudesachambreetentrepritd’écriredesnotessursonroman.Auboutd’uneheure,elledescenditsonmatérield’écritureausalonet,aprèsavoirenlevéuneribambelledelapinsenverre,s’installaàunetablequifaisaitfaceaujardin.

La pauvre Flora se faisait chapitrer par le patron détestable d’un atelier de dentelle quand Miaentendit enfin une voiture arriver dans l’allée. Nottle et deux valets traînaient dans le vestibulelorsqu’ellejaillitdusalon.

—Ouvrezlaporte,jevousprie.—Jevaischerchervotrepelisse,VotreGrâce,ditlemajordomequi,d’unregard,luifitcomprendre

cequ’ilpensaitd’uneduchesseauxdoigtstachésd’encre.Ainsiqu’auxmanchettes,constata-t-elleenbaissantlesyeux.—Laporte,Nottle,articula-t-elleentresesdents.Unvaletenlivréeouvraitlaportièredelavoiture.Vanderdescendit,passalatêtedansl’habitacle,

puiss’écarta.Avantqu’elleaitletempsdedévalerleperron,Charlieapparut.Sabéquillesouslebras,ilsautaaubasdumarchepied.

LecrideMiademeuracoincéquelquepartdanssagorge.Certes,iln’yavaitpasunegrandehauteurentrelamarcheetlegravier,maisd’ordinaire,elleveillaittoujoursàcequ’unlaquaisdemeureprèsdeCharliepourluitenirlecoude.

Ellesecalmaenlevoyants’avancerverselledesonpaschaloupé.Quandilparvintàsahauteur,ellelesoulevadanssesbras.

—Charlie,monange!Iltolératroisbaisers,puisselibéraetlevalesyeuxverslademeureducale,qu’ilcontemplabouche

bée.—C’esticiquenousallonsvivre?Vanderlesavaitrejoints.Charliesetournaverslui.—C’estvotremaison?—Nejamaislaisservoirqu’onestimpressionné,Clopin,l’avertitVander.Et,oui,c’estRutherford

Park.Miaplissalefront.—Commentavez-vousappeléCharlie?—Jevousavaisditqu’ellen’apprécieraitpas,murmuraCharlieàVander.—Nousessayonsdivers surnomsafinqu’il choisisseceluiqu’ilpréfère, expliqua leduc. Jusqu’à

présent, il a refusé Harry Patte-Folle et Pete Jambe-de-bois, mais j’ai grand espoir qu’il s’habitue àClopin.

—C’estinacceptable,déclaraMiad’unevoixsourde.EllecoulaunregardàCharlie,inquièteàl’idéequecetraitementbrutalnel’aitaffecté,etdécouvrit

quesonexpression,tandisqu’ilregardaitVander,étaitprochedelavénération.Le duc haussa les épaules.Mia voulut insister,maisNottle se tenait sur le seuil et Charlie avait

encoretroismarchesàmonter,avantdes’attaqueràl’escalierenarcdecerclequimenaitàl’étage.—Allonsvisiterlachambred’enfant,proposa-t-elle,remettantlesexplicationsavecVanderàplus

tard,lorsqu’ilsseraiententêteàtête.Celui-cis’accroupit.—Charlie,mongaillard, la journéeaété longueet jecroisquevousavezméritéunechevauchée.

Donnezvotrebéquilleàvotretante.—Charliedéteste…commençaMia.—Survotredos?s’enquitsonneveuavecenthousiasmeenluitendantsabéquille.—Ouaip.Commelorsquenoussommesremontésdescuisines.Sous le regard sidéré deMia,Vander se retourna,Charlie noua les bras autour de son cou et les

jambesautourdesataille.Laredingoteduduccoûtaitsansdouteplusqu’unvillageoisnegagnaitentroissaisons, il ne paraissait pourtant pas s’inquiéter lemoins dumonde que Charlie ne l’abîme avec sesbottes.

L’installationdeCharliedanssanouvellechambreprituncertain temps,etMianecessad’être laproiedesentimentscontradictoires.Unepartied’elle-mêmeétaitencoreincréduleàlapenséequeVanderexigeâtqu’ilsrestentmariés.Uneautreavaitpeur.Etunetroisièmeregrettaitdedevoirrenonceraumaridont elle avait rêvé.Ainsi qu’à une union avec un homme raisonnable et honorable qui l’aimerait, lachériraitetlarespecterait.

Certes,ellenepouvaits’enprendrequ’àelle-même.Honorable,ellenel’avaitpasété,etenguisedechâtiment, ledestin implacable lui avait réservéVander commeépoux.C’était commedans lesgrandsmythes, ceux où une affreuse bévue mène à un dénouement catastrophique. Avec un proverbe enconclusion,quelquechosesur la fourberiedes femmes, sansaucundoute,et leshommessanshonneur.NonpasqueVandersoitdépourvud’honneur…

Sespenséestournèrentainsitoutl’après-mididanssatêteenuncerclevicieuxexaspérant.Jusqu’ausoiroù,àpeineentréedanslesalon,ellevidaunverredesherry.

Vanders’ytrouvaitdéjà,paslemoinsdumondeébranléparsonaltercationavecsirRichard.Susanluiavait raconté lesdétails, tandisqu’elle s’habillaitpour ledîner, etavait concluqu’unsentimentdetriompheparprocurationanimaitlepersonnel.

Miaapprouvadeboncœur.SielleavaitétéphysiquementcapablederossersirRichard,ellenes’enseraitpasprivée.Enfait,ellel’auraitenvoyéausollapremièrefoisqu’illuiavaitdéclaréqueCharlieavaitpeudechancesdevivretrèslongtemps.

Il n’y avait pas trace de Chuffy au salon, et elle en ressentit un certainmalaise. Nottle était allésuperviserlespréparatifsdurepassibienqu’elleseretrouvaitseuleavecVander.

Ilavaitenfiléuneredingotenoiretrèssobre.Sescheveuxendésordren’avaientquepeuàvoiraveclamode,maisl’effetétaitd’autantplussensuel.Sacravate–ehbien,elleétaitnouée.C’étaitàpeuprèstoutcequ’onpouvaitendire.

Cependant,elleétaitdésagréablementconscientedenepasréussiràdétacherlesyeuxdelui.C’étaitgrotesque : elle était une jeune femme civilisée à l’aube d’un siècle nouveau et pourtant une partiedévoyéedesonâmesuccombaitàsoncôtéunpeubrute.ÀencroireSusan,ilavaitassommésirRichardd’unseulcoupdepoing.

—Encoreunpeudesherry?demandaVanderenjetantuncoupd’œilàsonverrevide.—Ilvautmieuxquejem’abstienne.L’alcoolm’enivrevite.—Chuffyalemonopoledecepéché-là.LebrandydontilbutunegorgéesentaitbienmeilleurquelesherryamerserviparNottle–quinelui

avaitd’ailleurspasdemandécequ’elledésiraitboire.Ellealladirebonjouràlaménageriedeverresurlemanteaudelacheminée.—Sivousn’aimezpascesanimaux,avez-vouspenséàlesfaireemballer?—Ilspérirontbientôt,quandlesvêtementsvoleront.SontonunpeugouailleurinterpellaMia.Quediablevoulait-ildire?Elleseretourna.—Avez-vouspourhabitudedevousdévêtirausalon?—Uniquementquandonm’ypousse,répondit-il,leregardpétillant.Jefondedegrandsespoirssur

notreunion.Mias’enétrangla.—Oncroiraitentendreunhommepersuadéquequatrenuitsensacompagnievalentdel’or.— Je suppose que se dévêtir dans une pièce autre qu’une chambre entre aussi dans notre

arrangement:jeneleferaiquesimonépousem’implore.—Votrevaletseraheureuxd’apprendrequejen’ainulleintentiondeperturbersontravail,répliqua

Mia.Elle inspiraprofondément les effluvesdecheval etde soleilqui s’attardaient sur sonmari. Ils lui

donnaientl’irrésistibleenviedesejeterdanssesbrasetdelehumer.Absurde.—Jesuiscurieuxd’enapprendredavantagesurlefiancéquim’aprécédé,ditVanderàl’instantoù

Chuffyentrait.—Oh,vousaviezunfiancé?s’exclamacedernierd’untoncordial,déjàarméd’unverredebrandy.Mialuisourit,soulagéequ’illesaitrejoints.—Bonsoir,sirCuthbert.Eneffet,j’aieuunfiancéavantqueSaGrâceaitlabontédeveniràmon

aide.—Netournezpasautourdupot,jeunefille.Cen’estpastantVanderquivousestvenuenaideque

vousquiluiavezforcélamain.Jesaisapprécierunehistoirebientournée.Sicelle-cisesait,elleferachaudaucœurdetouteslesjeunesfillesàmarier.Commedansundemesromans.

—Undevosromans?LecœurdeMiafitunbond.Ellen’avaitjamaisrencontréunautreromancier,etencoremoinstissé

desliensd’amitié,pourdesraisonsévidentes.—Chuffyaunfaiblepourlesromansgothiques,expliquaVander.Illittousceuxquiluitombentsous

lamain.Plusc’estimmoral,mieuxc’est,n’est-cepas,Chuffy?—Mon goût n’est pas tout à fait respectable, concédaChuffy.Vous n’avez rien lu d’aussi piètre,

j’imagine.Mepermettez-vousdevousappelerEmilia?JetrouvepénibledevousdonnerduVotreGrâcepar-ci,VotreGrâcepar-là.Durpourlamémoire.Vousferiezmieuxdem’appelerChuffydèsmaintenant,parcequ’aveclesannées,jenemesouviendraibientôtplusdemonpropretitre.

— Je serais honorée que vousm’appeliezMia.Cela dit, comme j’essaie d’en convaincre le duc,notreunionest de simple convenance ; elle est destinée à sauvegarder l’héritagedemonneveu. Jeneseraipluslàdanscinqans.

—Deconvenance!s’exclamaChuffy,lesyeuxronds.Legenred’intriguequejepréfère.Dites-moi,machère,avez-vousdéjàluunromandeMlleJuliaQuiplet?

—J’enailuun,oui,réponditMia.J’aibeaucoupappréciéet…— Il y a une autre romancière qui est tout aussi douée, l’interrompit Chuffy. Hélas, son nom

m’échappe.Malgré elle,Mia se raidit. Elle serait tellement déçue que Chuffy fasse référence aux romans de

MmeScudgell,dontlesouvragessouffraient,selonelle,desituationsimprobables.Nonquesespropresintriguesfussenttoujoursparticulièrementcrédibles,maisaumoins,danssesromans,ilneneigeaitpasenjuilletsousprétextequeleslarmesdel’héroïneaffectaientMèreNature.

—Jepossèdetousseslivresreliésencuiretavectitredoréàl’orfin,marque-pageensoieetpagesdegardeenpapiermarbré,expliquaChuffy.Morbleu,jen’arrivepasàcroirequej’aioubliésonnom!Dansmonromanfavori,l’héroïnemanquedesefaireguillotiner.

—Puisquevousmeracontezl’intriguedechaquelivredontvousfaitesl’acquisition,jemerisqueraisàavancerqu’ils’agitdeMlleLucibellaDelicosa, intervintVanderquiajoutaà l’adressedeMia : lesvicissitudesdeshéroïnesdeMlleDelicosasontnotreprincipalsujetdeconversationdurantaumoinsunesemaineaprèslasortied’unnouveauroman.

—Si seulement il y en avait davantage, se lamentaChuffy.Mes auteurs favoris sont affreusementparesseux.Jesuissûrqu’ilsécriraientplusvites’ilss’yappliquaientsérieusement.Quoiqu’ilensoit,Vandera raison.MlleDelicosaestma romancière favorite.Voilàpourquoi jecommandeses livresenéditiondeluxe.Ilscoûtentcher,maisilsenvalentlapeine.

Mianeputréprimerunsourire.Elleconnaissaitàlavirguleprèsleprixréclaméparsonéditeurpourcespublicationsspéciales,carelleavaitautorisélaproductiond’éditionsentroistomesàdeuxguinéesetcinqpence,unevéritablefortunedanslemondedel’édition.

—Jesupposequevousavezlucesromans,ditVander.Àcetinstant,Miaeutunerévélation:elletenaitlàl’argumentquiconvaincraitVanderqu’ellen’était

pasuneduchessedignedecenom.—J’aiuneidentitésecrète,avoua-t-elleàbrûle-pourpoint.LevisagedeChuffys’éclaira.—Nemeditespasquevousêtesuneespionnefrançaise!—Nesoyezpasridicule,bougonnaVander.Dequoidiableparlez-vous?demanda-t-ilàMia.—J’écrisdesromans.—Non?s’écriaChuffy,ravi.Machère,jenepourraisêtreplusheureuxdel’apprendre.J’adoreles

romans.Jenevisquepoureux.Jepourraisêtrevotremuse!—Vous,unemuselittéraire,mononcle?Vanderseretenaitvisiblementd’éclaterderire.

—Vousnecomprenezpasoùjeveuxenvenir,observaMia,agacée.Lesromanssontscandaleuxetuneduchessenepeutnaturellementpasécriredesouvragesdecettenature.Certainesdemescollèguesmènentdesviesplutôtdissolues.

—Vraiment?s’enflammaChuffy.Racontez-moitout!SurMlleQuiplet,parexemple.J’imaginequec’estunejeunefemmed’ungrandraffinement.Cenesontquedessuppositions,biensûr.

—Jenelaconnaispaspersonnellement,maisjepeuxvousdirequel’auteurd’Ellen,ComtessedeHowellCastle…

—J’aiadoréceroman,avouaChuffy.C’estundespremiersquej’ailus,ilyaplusdecinqans.—…vitensituationirrégulièreavecunvice-amiral,achevaMia.—Bontédivine!s’exclamaChuffy,auxanges.Commentlesavez-vous?Vousl’avezrencontrée?—Situationirrégulière,voilàquirecouvrebiendespossibilités,observaVander,narquois.Pourriez-

vous être plus explicite afin que nous puissionsmieux juger le sensmoral de toutes les romancièrescontemporainesàl’aunedelamaîtresseduvice-amiral?

Mialuidécochaunregardnoir.—Plaisanteztantquevousvoulez,iln’empêchequelamajoritédenoscompatriotesconsidèrentles

romancièrescommeàpeinemieuxquedesconcubines.Vanderparuts’amuserdavantageencore.—Concubine,voilàunmot sidélicieusementbiblique.Vousvoulezdirequesi jen’aipasencore

croisédeconcubine,c’estparcequejen’appartienspasàuncerclelittéraire?—Vous êtes trop sévère avec la réputation des romancières, objecta Chuffy, ignorant son neveu.

MlleFannyBurneyétaitmembreducercledelaReineCharlotte,dumoinsjusqu’àcequ’elleépouselegénéralAlexandred’Arblayetquittelacour.

—C’estbonàsavoir,ditVander.J’airéalisérécemmentqu’ilmefallaitmesentréesàlacour.Tousles ducs doivent en avoir, commem’en a informémon avoué après la débâcle de la lettre paternelle.Nousallonsenvoyersur-le-champvotremanuscritàSaMajesté.

—Lesromancièressontscandaleuses,insistaMia,refrénantsonimpatienceàgrand-peine.Monpèreétaitépouvanté.

—JedoisreconnaîtrequelordCarringtonafaitpreuved’unsacréculotenexprimantsonaversionpour des exploits fictifs, commenta Vander. Selon sir Richard, notre mariage est pour ainsi direincestueux,euégardàlaliaisondenosparents.

—Riendeplusfaux,s’indignaChuffy.Monpauvrefrèren’aétéenferméàl’asileetfeuladuchessen’arencontrélordCarringtonquebienaprèstanaissance,monneveu.

—Peuimporte,s’entêtaVanderquividasonverred’untrait.Danslabonnesociété,beaucoupserontsi scandalisés d’apprendre notre union qu’ils pourraient défaillir à l’idée de nous rencontrer àl’improviste.Riendecequevousferezsurlefrontlittérairenedépasseralacontributiondemesparentsàlaréputationducale–quenotremariagen’afaitqu’entacherunpeuplus.

—Ilatendanceàtoutvoirennoir,ditChuffyàMia.Vousdevezluipardonner.—Jepensequevoussous-estimezlescandalesimonautreidentitévenaitàêtredécouverte.Miaressentaituneirritationparadoxale,parcequenonseulementVandern’étaitpaschoqué,maisil

n’avaitpasbronchéenapprenantqu’elleavaituneidentitésecrète.—Vanderaraison,machère,intervintChuffy.Monfrèreetsonépouseontplacélafamillesousles

feuxdelarampeetvotremariagen’arienarrangé.Franchement,mêmesivouspubliezunjourunroman,iln’apporteraquepeud’eauaumoulin.

—En fait, jecroisquevousdevriezpublier, suggéraVander.Pourquoipas? J’aime l’idéeque laduchessedePindarpuisse être critiquéepouruneautre raisonque l’adultère.Cela apporterait ànotrenomunéclatinédit.

—Pourquoisupposez-vousquejen’aipasencorepublié?voulutsavoirMia.

Vanderhaussaunsourcil.— L’avez-vous fait ? s’exclama Chuffy. Parce que, croyez-moi, je vais le commander dans une

édition qui fera honte à celles de Lucibella ! Ornées de pierreries… non, plutôt en velours paré debroderies!

—J’enaidéjàpubliéplusieurs,annonçaMia,amusée.Six,pourêtreprécise.—Vousêtesuneromancièreéditée?articulaVander.L’incrédulitéqu’elleperçutdanssavoixdéplutàMia.—Nonseulementjesuiséditée,maisjesuisLucibellaenpersonne.Chuffyréprimauncrietplaqualamainsursoncœur.— Voilà pourquoi je ne peux décemment pas rester la duchesse de Pindar, poursuivit Mia en

observantVanderducoindel’œil.Semblait-ilalarmé?Oupensait-ilqu’elleaffabulait?Difficileàdire.Entoutcas,ilneparaissaitpaslemoinsdumondescandalisé,contrairementàsonpèrelorsqu’elle

luiavaitannoncélapublicationdesonpremierroman(elleavaitdécidéqu’ilvalaitmieuxluidemanderpardonquesapermission).

—Undemeslecteursfinirapardécouvrir lavéritésurlavéritableidentitédeLucibella,ajouta-t-ellecommelesdeuxhommessemblaientfrappésdestupeur.Cen’estqu’unequestiondetemps.

—Vousparlezdevous-mêmeàlatroisièmepersonne?s’étonnaVander.Àcetinstant,Chuffyluiagrippalamain.—Vousêtesuntrésor!s’extasia-t-il.Untrésornational!Voslivrescomptenténormémentpourmoi,

maisjamaisjen’auraisimaginévousrencontrer!—Jesuistrèsheureusequevousappréciiezmesromans,dit-elle,sincère.—Sijelesapprécie?Jeleurdoismasantémentalequellequ’ellesoit.Franchement,machère,dans

lesténèbresdel’annéedernière,quandj’aiperdumabelle-sœurbien-aiméeetmonfrèrepeuaprès,voslivressontdevenusmonrefuge.

—Oh.Miaétaitsidéréeparlaferveurquibrillaitdanssonregard.Leslecteursavaienttendanceàfairece

genredeconfidencesdansleurslettres,toutefois,jusqu’àprésent,cachéederrièresonpseudonyme,ellen’enavaitjamaisrencontréunseul.

—Monrefuge,répétaChuffy,etmajoie.Oùenêtes-vous,machèreenfant,avecUneallured’angeetuncœurdedémon?Jel’aidéjàcommandéenéditiondeluxe.J’attendssasortiedepuisdesmois!

Mialibérasamain.— Il n’est pas terminé, je le crains, répondit-elle avant de se tourner versVander.Vous voyez, il

m’estimpossiblederesterduchessedePindar.—Tantquevousnevousmettezpasàpublierdesodesàlagloiredesgensdemamaison,jenevois

pasquelestleproblème.—Vousnevoyezpasquelestleproblème?répétaMia.Oh,ilyenaun,vouspouvezmecroire!Je

n’écris ni poèmes épiques, ni drames historiques, ni grande littérature, mais savez-vous ce que leGrapple’sLadies’Magazineaditdemondernierroman?

—C’estsansimportance,intervintChuffy.Votreœuvreestl’expressiondugénie,machère,dupurgénie!

—Qu’unêtrehumainquelqu’ilsoitpuissetenterdelirecelivresanssesuiciderrelèvedumystère,voilàcequ’ilsontdit.Ilsl’onttraitéde«ramassisdedépravationvulgaireetd’horreurscontre-nature».

—Voilàquiest toutà faitdésobligeant,commentaChuffy. Je suisàpeuprès sûrque lacritiqueaelle-même une vie dépravée. Voilà pourquoi elle est incapable de reconnaître la bonté sincère d’unehéroïnedeLucibella!

—Meslivressontdépravés,déclaraMiaàsonmariquinesemblaittoujourspassaisirlaportéedesespropos.

—Jen’aipaslubeaucoupderomans,confessaVanderquiversaunpeudebrandydansleverrevidedeMiaetleluitendit.Jepeuxcependantm’ymettre.Ilsparaissentplutôtinstructifs.Inspirants,même.

—Tun’asjamaisluunseulroman,corrigeaChuffy.— C’est injuste, rétorqua son neveu, imperturbable. On pourrait argumenter que le Sporting

Magazineestsemblableàunroman:delapurefictiontapageuseavecuneprédilectionpourleshorreurscontre-nature.

—JesouillerailenomdePindar,martelaMia.Lebrandyétaitplutôtbon,mêmesiellecroyaitserappelerqu’ilvalaitmieuxleboireaprèslerepas.

Sonpèrene l’avait jamaisautoriséeàconsommerde l’alcoolaumotifqu’elleétaitunedame.Elleenavalaunegénéreuselampéeensonhonneur.

—Vandernepourraitdivorcer,mêmes’il levoulait, fit remarquerChuffy. Il est impossiblede sedébarrasserd’uneépouse.Bonnombredepairsduroyaumeontessayé,jevouslegarantis.

—Jevaisdevoir lirevosprétenduesdépravations afind’en jugerparmoi-même,décrétaVander.Peut-êtrepourrais-jevousaideràjouercertainesscènespourvosœuvresfutures.

Ellelefoudroyaduregard.—Justepourquevouslesvisualisiezmieux,ajouta-t-ilentouteinnocence.—Iln’yapasd’échappatoireaumariage,machère,continuaChuffy.Commeonfaitsonlit,onse

couche!LeregarddeVanderavaitànouveaucepétillementimpudentetuneondebrûlantesubmergeaMia.Il

étaitsiséduisant:viriletfier,mêmesielleétaitcenséel’avoirvaincuavecsalettredechantage.PersonnenepouvaitvaincreVander.Ilarquaunsourcil,commes’ilavaitludanssespensées.—Audiable, cetteconversation idiote sur ledivorce,conclutChuffyen remplissant sonverre. Je

veuxtoutsavoirdevotrenouveauroman.—Jenel’aipasencoreécrit,confessaMia.Enfin, justedesbribesdedialogues.Maisilmereste

encorecertainspointsdel’intrigueàrésoudre.— Racontez-moi ! s’entêta Chuffy. Je serai votre muse, votre mécène, votre mentor, ce qu’était

JonsonpourShakespeare!Mialegratifiad’unpâlesourire.—Jepréfèrenepasendiscuterpourl’instant.Jedoisencoretravaillercertainsaspectsdélicats.«Environtroiscentspages»,seretint-elled’ajouter.—Dites-nousaumoinscequiarriveàl’héroïne,insistaChuffy.UnehéroïnedeLucibellaesttoujours

enpéril,expliqua-t-ilàsonneveu.Jefrémisd’angoissedèslespremièrespages,sachantcequelesortluiréserve.Donnez-moijusteuntoutpetitindicesurl’intrigue.

—Elles’appelleFloraetaétéabandonnéelejourdesnoces,réponditMia.Vanderneputcachersasurprise.—Commevous?—Lescirconstancessonttoutàfaitdifférentes.—UnehéroïnedeLucibellan’arienàvoiravecnotreMia,renchéritChuffy.Miatressaillit.S’illuiarrivaitunjourd’avoirunehauteopiniondesasilhouette–cequines’était

jamaisproduit–,VanderetChuffysauraientlaremettreàsaplace.—C’estvrai,admit-elle.—Enquelsens?demandaVander.—Meshéroïnessontinvariablementd’unebeautéincomparable.Sveltes,lesyeuxbleus,unphysique

classique.C’estlegenrequil’exige.

—Vousêtesbelle,déclaraleducd’untonneutre.Mialuijetaunregardperplexe;ilnesemblaitpassemoquerd’elle.—Engénéral, jeneprêteguèred’attentionàcespassages, avouaChuffy,maismaintenantque j’y

songeleshéroïnesdeLucibellanesontpasprécisémentdesbeautés.Ellessonttoujoursfaméliques,cartrèspauvres.Parfois,quandjetermineunlivre,jeprendsletempsd’imaginerleurbonheurdepouvoirenfinmangeràleurfaim.

—Meshéroïnesnesontpasfaméliques!—Ellesn’ontquelapeausurlesos,rétorquaChuffy.L’uned’ellesflottaitdanslarivièreàcausede

toutcetairdanssescôtes.—Danssescôtes?répétaVander,sidéré.— Je veuxdire sonventre, bien sûr !Lamalheureuse avait le ventre vide si bien qu’elle glissait

commeunebulleàlasurfacedel’eau.Jusqu’àcequ’unducvienneàlarescousse,biensûr.— Bien sûr, confirma Vander avant de boire une autre gorgée de brandy. J’ose espérer que tout

hommedemonrangagiraitdemême.—Ilarisquésavie,confirmaChuffy.Cespassagesaventureuxsontmespréférés.Quandleducavu

sabien-aiméeballottéeparlesflotstelunbouchondeliège,ilaplongésanshésiter.L’eauglacées’estreferméeplusd’unefoissursatête,maisill’aramenéesaineetsauvesurlarive.

—J’agiraisdemême,affirmaVanderavecungrandsourire.Lefruitdetouteuneéducation.— Mes romans n’ont rien à voir avec la vie réelle, insista Mia. Le fait que mon héroïne soit

abandonnéeparsonfiancéestpurecoïncidence.—Iln’yariendemalàémaillervosromansdefaitsréels,fitremarquerChuffy.Votrevieesttout

aussicaptivantequecelledevoshéroïnes.—Seulementdepuiscesdernièressemaines,précisaMia.—Tousvoshérossont-ilsdesducs?s’enquitVanderd’untonsuggérantqu’ellepouvaitl’avoirpris

commemodèle.Cequiétaitlecas.—Non!Biensûrquenon,serécriaMia.Monhérosactuelestuncomte.Letitreestjusteunefaçon

d’évoquerunhommedebienetdevaleur.—Lesscènesd’amourdeMiasontlégendaires,intervintChuffy.Voilàpourquoicemauditmagazine

étaitunpeugrincheux.Sespersonnagesn’enfinissentpasderacontercombienilss’adorent.—Diriez-vousqu’ilssontlyriques?hasardaVanderd’unairinnocent.Mia se sentait impuissante, telle une de ses héroïnes emportée par le courant.À en juger par son

expression,Vanderinsinuaitqu’ill’avaitpercéeàjour:ilsavaitqu’ellel’avaitpriscommemodèlepourleshérosdesessixromans.Lesseulsmotsquiluivinrentàl’espritétaientsacrilèges.

— Vous deviez vraiment aimer votre fiancé, observa Chuffy. Tenez, encore un peu de brandy.J’espèrequevousn’allezpasvousmettreàécriredestragédiesaprèscettedéceptionamoureuse.Ilétaitindignedevous,machère.VousêtesmieuxlotieavecVander,endépitdesonodeurd’écurie.

Miasaisitcetteperchecommesielledescendaitdescieuxparlavolontédivine.—C’estlaraisonpourlaquellejen’aipasréussiàfinirmonromanencours.Lecœurbrisé…Ellelaissasaphraseensuspens.Vandercessaderireetsonregardsefitglacial.Bienfait.Elleavait

eusonlotd’injurespourlajournée.Illuiavaitquandmêmeditqu’elleétaitbelle.Ellemitcecomplimentdecôté,pourplustard.

Ilposabruyammentsonverresurlatable.—Savez-vousoùsetrouvevotreex-fiancé?—Non,répondit-elleaveclassitude.S’ilfautencroiresalettreilenvisageaitd’allerauxIndes.—J’oseespérerquevotrehéroïne–Flora,c’estcela?–suivravotreexemple,vousquin’êtespas

retombéedanslesbrasdufaquinquivousasiscandaleusementtraitée,s’indignaChuffy.

—Enfait,si,ledétrompaMia.Elleadoretellementlecomtequ’elleluipardonne.ChuffylançaàVander:— À mon avis, tu es sacrément chanceux que Mia ait pensé à toi entre deux fiancés. Jamais tu

n’auraistrouvéuneépousetoutseul.Tuesobsédéparteschevauxetiln’yajamaisuneseulefemmeauxécuries.Sacrebleu,encoreunbonbrandyquejerenversesurmaredingote.Jeferaismieuxdemontermechanger.

Ilsedéplaçaitavecuneétonnanterapiditépourquelqu’uncenséêtresaoul:ils’éclipsaenmoinsdetempsqu’iln’en fautpour ledireMiacommençaitàavoir lanette impressionqueChuffyétaitparfoismoinsivrequesaconsommationnelelaissaitsupposer.

—VotreCharliem’a informéque je remplaçais le fils d’un comte, ditVander tout en sirotant sonbrandy.Suis-jeendroitdesupposerquevotrepèren’apasagitéunelettresouslenezdecethommeafindeluiinspirersademande?

Miaposasonverresibrutalementquel’alcoolenjaillit.—Je sais quevousne souhaitiezpasnotremariage, je vous saurai cependant grédenepasvous

gausser demamésaventure…M. Reeve etmoi étions très amoureux, déclara-t-elle après un silence.Nous avons été fiancés des mois avant la date de la cérémonie et je puis vous assurer qu’il voulaitm’épouser.

—Pardonnez-moiceconstatd’évidence,maissesintentionssontfortementsujettesàcaution,sisonabsenceàl’égliseestuneindication.

Vanderarboraitdenouveaucemasqueindéchiffrable,unerusequ’ellelesoupçonnaitd’utiliserpourdissimulersesémotionsquellesqu’ellessoient.

—C’estvrai,reconnutMia.Elle avait encoredumal à admettrequ’Edwardn’était pas l’hommequ’elle croyait.Elle semblait

incapable de trouver un gentleman aussi honnête et honorable que ceux qu’elle inventait ; peut-êtren’existait-ilquedanslafiction.Dansleurslettres,nombredelectricesseplaignaientellesaussidecettecarence.

—La raisonn’estpas sonmanqued’intérêtpourmoi, ajouta-t-elle, prenantunpeu tard sapropredéfense.Edwardn’apuserésoudreàassumerlaresponsabilitéd’éleverCharlie.

La bouche de Vander se tordit en un rictus de dégoût. Et c’était bien dommage, car elle aimaitbeaucoup sa bouche. Très peu d’hommes possédaient une lèvre inférieure aussi charnue. Il détesteraitcetteidée,maiselletrouvaitqu’elleadoucissaitsonvisageetluiconféraituneindubitablesensualité.

Incroyable.Elleserenditcompte,troptard,qu’ellevenaitencoreunefoisdetomberdanslemêmepiège.

Vanderluitapotalenez.Ellelevalesyeuxetcroisasonregard.—Vousl’avezéchappébelle,vousenêtesconsciente,n’est-cepas?—Oui.Vandersedemandapourquoi l’accentdesincéritédanslavoixdeMialuiétaituntelsoulagement.

Quelleimportance,aprèstout,qu’elledésirâtencoreunhommequinevoulaitpasd’elle?Elleétaitsonépouse.Une romancière ?Qui l’eût cru ? Il la savait intelligente,mais jamais il n’aurait imaginé qu’elle

possédaitletalentquifaitlesromancièresàsuccès.Unehypothèsemoinsqueprobableaprèscethorriblepoèmedejeunesse.

Contrairement à ce qu’elle pensait, il semoquait comme d’une guigne qu’elle écrive des romansdépravés.Même,ilapprécieraitdeleslire.Ilrestaitcependantunequestionàclarifier.

Ils’approchadeMia.Sesmainsledémangeaient,ilseretintpourtantdelatoucher.— Il vous faudram’initier à votre œuvre. Je lirai l’un de vos romans en entier. Et les passages

dépravésdesautres.

—Pourquoiferiez-vouscela?Monpèreetmonfrèren’ontjamaisprislapeinedeleslire.Etmalgrél’enthousiasmedevotreoncle,laplupartdemeslecteurssontdesfemmes,j’ensuiscertaine.

—J’enliraiun,oumêmeplusieurs,promitVander.Maisjedoisvousprévenir,duchesse,qu’ilvousfaudrarenonceràvosrêvesromantiquessurlemariage.Jamaisjeneferaiceschosesquevousimaginez.

Miaarborauneminefaussementchoquée.— Votre Grâce, êtes-vous en train de me dire que vous me laisseriez dériver dans une rivière

glaciale?Vanders’esclaffa.—Jevousprometsdevouslancerunecorde.—Inutile,dit-elleendétournantleregard.Jecouleraiscommeunepierredetoutefaçon.Troublé par l’image étonnamment désagréable de Mia se débattant dans l’eau glacée, Vander

s’empressad’expliquer:—Jefaisaisréférenceauxgestesromantiquesquelesducsnemanquentsansdoutepasdefairedans

voshistoires.Offrirdesfleursàleurbien-aimée,luiécriredespoèmes,lacouvrirdejoyaux.Votrepèreoffraitsanscesseàmamèredesménageriesentièresdefigurinesenverre.Jamaisjen’agiraidelasorte.

—Parfait,approuvaMiadeboncœur.—Nousn’auronspascegenred’union,continua-t-il,lesyeuxaufonddessiens,carc’étaitvraiment

important.Nouspouvonsavoirbeaucoupplus,duchesse.Cesbonimentsromantiquessontbonspourlesromans,paslavraievie.PourlesdouxrêveurscommeChuffy.Oucommemamère,quisesatisfaisaitdechevauxenverreaulieudeceuxenchairetenosauxécuries.

Miaopinaavecraideur.Satisfait,Vander reconnut qu’ils avaient atteint lemoment de la négociation, celui où l’adversaire

comprenaitqu’ilétaitinutiledecontinueràargumenter.Ilétaitsurlepointdegagner.Surtoutelaligne.Miaallaitcapituleretacceptersonrôled’épouseàsescôtés.Ellelesurpritunefoisdeplus.Levantsonpetitmentond’unairdedéfi,elledéclara:—Pourêtretoutàfaithonnête,mêmesivousmeforcezàrestervotrefemme,jen’aiaucuneintention

devoussupplierpourlesquatrenuits.Jamais.Cette rebuffade horripila Vander, non seulement parce que son corps vibrait de désir à l’idée de

possédersafemme,maisaussiparcequ’àunmomentouunautre,illuifaudraitunhéritier.Illaissaunpeudecedésirtransparaîtredanssonregard.

—Etsic’estmoiquivoussupplie?L’expressiondeMianechangeapasd’uniota.— Je dirai non.Cet après-midi, j’ai compris que je ne peux lutter contre votre volonté d’utiliser

CharlesWallace pour m’obliger à accepter notre mariage. Par mes propres actes, je me suis renduevulnérable.Maisdevotrecôté,vousvousêtesmisàmamerciaveccecontratlimitantnotrevieintimeauxnuitsoùjevousimploreraisdemerejoindre.

Vander sourit à contrecœur, reconnaissant faire face à une négociatrice qui avait su contourneradroitementsesdéfenses.

Etlebattreàsonproprejeu.S’ilétaithonnêteaveclui-même,demanièrequelquepeutortueuse,ils’étaitréjouiàl’avancedeces

quatrenuitsavecMia.Bien sûr, c’était lorsqu’il croyait qu’elle l’adorait.Lorsqu’il croyait qu’il lui faisait une faveur. Il

ressentaitalorsunefiertécoupablequ’unefemme–n’importelaquelle–l’aimeaupointd’enfreindresonproprecodemoralpourobtenirsesfaveurs.

Iln’avaitpasredoutélelitconjugal.Non,ils’étaitimaginéau-dessusdeMia,sesbouclesblondesétaléessurl’oreiller,leregardvoiléparledésiretl’amour,soncorpspulpeuxrienqu’àlui.Elleserait

éperduedebonheurd’êtreenfinsienne.Erreur,dut-iladmettreenvoyantsabouchepincéeetsonregardfarouche.Surtoutelaligne.—Toutcequejedemande,c’estquenousreconsidérionslaquestiond’iciunan,proposa-t-il.Àun

momentouàunautre,ilmefaudraavoirunhéritier;iln’yatoutefoispasd’urgenceparticulière.Miaserenfrogna.—Jesupposequenouspourrionsyréfléchirquandnousnousconnaîtronsmieux.Mais,VotreGrâce,

jevoussuppliederevenirsurvotredécisionàproposdecemariage.Pourquoidiableétait-ellesiréticente?Sansdouteàcausedufiancé.Peut-êtreétait-cel’undeces

jeunesbeaux.Vanderavaitparfaitementconsciencedelalignebrutaledesonmentonetdecetteénergieenluiquelesfemmesadoraientoudétestaient.

—Vousêtesmafemmeetvousleresterez,décréta-t-il.NousdevrionsavoiruneconversationsurlesintentionsprocédurièresdesirRichard,ainsique lagestiondudomainedeCarrington.Maiscelapeutattendredemain,ajouta-t-il,tantellesemblaitépuisée.

Miabattitdescils.—Jeparticiperaiàlagestiondudomaine?—Bienentendu.Àmoinsquevousn’endécidiezautrement.—Monpèrenecroyaitpasqu’unefemmepuisseêtredouéepourlesaffaires.—Vucequej’aipayépourlesromansdeChuffy,permettez-moidehasarderl’hypothèsequevotre

travailestplutôtlucratif.Unelueuramusées’allumadanslesyeuxdeMia.—Monpèrem’aautoriséeàconserverlesquatresousqu’ilmerapporte.—J’aitoujourspenséquec’étaitunsot.—Jenediraispascela.Celadit,nousétionssouventendésaccordausujetdesaffaires.—Êtes-vousvraimentunedesromancièreslespluspriséesd’Angleterre?LerosemontaauxjouesdeMia.—Oui.—Mesfélicitations,dit-il,sincère.Soudain, ledésir luienflammales reinscommejamais ;cemélangedesensualitéetd’intelligence

chezMiaavaitquelquechosed’excitantendiable.L’avoirdanssonlitferaitdeleurunionl’arrangementconfortable qu’il avait imaginé. En beaucoup mieux, car désormais il respectait les raisons pourlesquellesellel’avaitcontraintaumariage.Aprèsavoirpassél’après-midiavecCharlie,ilsavaitdéjàqu’ilseraitcapabledefairechanterleroienpersonneafind’assurerlasécuritédesonpupille.

Lorsqu’ilauraitréussiàséduireMia,ilannuleraitlaclausedesquatrenuitsetluidonneraitaccèsàsonlitàsaconvenance.Peut-êtremêmelalaisserait-ildormiraveclui.Iln’avaitjamaisdormidanslemêmelitqu’unefemme,maisl’idéed’étreindreMiaaumilieudelanuitn’étaitpaspourluidéplaire.

Miacoupacourtàsesdoucesrêveries.—Sivousvoulezbienm’excuser,jevaismeretireretprendreundînerlégerdansmachambre.Le

brandym’estmontéàlatête,etj’aiunelettreàécrire.—Biensûr.Peut-êtrepourraient-ilsdînerensembledanssachambreàlui,songeaVander.Pourquoipasaulit?Il

n’eutpasletempsdefairecettesuggestionqueMias’éclipsait.Ilfaillitluicouriraprès,puisserappelalescernessoussesyeuxetseravisa.

Safemmeseraitsafemmependantdesannées.Ilseditqu’ilapprécieraitqu’elle l’embrasse lorsqu’ellequittaitunepièce.Ses lèvresétaientsi…

délectables.Ilscreuseraientlaquestionplustard.

14

NOTESSURLASCÈNEDERUPTURE

FloradoitaffronterFrédéricoupasserpourunelâcheinvétérée.Elledevrait jetersonmisseletdiresesquatrevéritésà l’infâmeaucomteperfide,cette lavette larmoyante,cemollusque

baveux.Floraattendaitdevantl’autel,sesmainsgracieusesétreignantlemisselquesamèremourantelui…Le comte Frédéric entra dans l’église et Flora sut d’instinct, d’un seul regard à ses yeux noirs diaboliques, qu’il avait

l’intentiondel’humilierdelapiredesfaçonsdevanttoutelabonnesociété.Ellelançasonmisseltelundisque,lerenversantausol.

Puiselleenjambaletraîtreétendufacecontreterreetsortitd’unpasfurieux.Celanefonctionnepas.

Àsonréveillelendemainmatin,Miasesentaitbeaucoupmieux.Peu de femmes se plaindraient d’être mariées à un duc follement séduisant. Encore qu’elles

pourraientcritiquersapromptitudeàaccepterderemettreàplustardlaconsommationdumariage.Elleauraitpul’imputeràsonaversionpoursasilhouette,toutefois,bienqu’ill’aitjadiscomparéeà

unpotàtabac,ill’avaitquandmêmeembrasséeunefois.Enfin,deux.Leshommesétaientainsi.Lasimpleproximitéd’unefemmeleurdonnaitenviedebatifoler. Ilétait

intéressantdeconstaterquesagouvernanteavaitraisonsurcepoint.EllesonnaSuzan,puisserenditdanslasalledebainsoùellefitunedécouvertealarmante.Laporte

de l’autre côté de la baignoire s’ouvrait presque certainement sur les appartements duduc.EtMianevoyaitpasdeloquetpourl’empêcherd’yfaireirruptionàl’improvistependantqu’elleprenaitsonbain.

Nueetentouréed’unegaleriedesglaces.Voilà qui ne lui convenait pas du tout. Des loquets devaient être installés immédiatement. Dans

l’intervalle, elledemanderait àSuzandemonter lagardedevant laportependantqu’elle était dans labaignoire.

Unpeuplustard,elledescenditàlasalleàmanger,qu’elletrouvavideàl’exceptiondeNottle.— Bonjour, Votre Grâce, dit le majordome. Puis-je vous adresser mes félicitations pour votre

mariage?Sesparolesdégoulinaientd’hypocrisie,pourtantMiachoisitd’ignorersontonsirupeux.—Merci,Nottle.J’aimeraisquel’oninstalledesloquetsauxportesdemasalledebains.Lesdeux.

Cellesquis’ouvrentsurmesappartementsetceuxduduc.—Sij’aibiencompris,VotreGrâce,ditNottled’unairpincé,voussouhaitezquedesloquetssoient

clouéssurlesportesetchambranlesdelasalledebains?CesportesontétéimportéesdeVeniseoùellesornaientunpalazzovieuxdetroiscentsans.

—Celles-làmêmes,confirmaMia.Peut-êtreseriez-vousplustranquillesiSaGrâceconfirmaitmarequête?ajouta-t-elle,commeiln’acquiesçaitpasimmédiatement.

Detouteévidence,Nottleconsidéraitlefaitqu’ellesoitunefemmecommeunbémolàsonrang.

—Biensûrquenon,assura-t-ilcommes’ilmâchaitdubeurrequirefusaitdefondredanssabouche.Mianesavaittropàquoirimaitcettecomparaisonsinonqu’elledétestaitlebeurrefondu.EtNottle.Commeelles’avançaitverslatable,lemajordomereprit:—SiVotreGrâceveut bienmepardonner, j’ai un souci domestiqueurgent pour lequel j’aimerais

avoirvotreavis.Miaseretourna.—Jevousenprie,Nottle.Dequois’agit-il?—Desanimauxdefeuladuchesse.—Toutescesfigurinesenverredoiventêtretrèspéniblesàépousseter,devina-t-elle.— Je ne faisais pas référence à la collection, mais à ses canidés, la détrompa-t-il avec une

expressionpeinée.—WinkyetDobbie!s’exclamaMia.Biensûr,jemesouviensdeseschiens.Dobbiedoitcommencer

àprendredel’âge.Quesont-ilsdevenusdepuisl’annéedernière?—Demanièregénérale, ilsontétéconfinésdans lecabanondu jardinier.Età l’occasion,dans la

réservedepommesdeterre,réponditNottle.Miaplissalefront.—Pourquoidiabledanslecabanon?Ilsavaientl’habitudedes’ébattreenlibertédanslamaison.—Puis-jedemanderàVotreGrâcederegarderletapis?Paruneffortsuprêmedevolonté,Miaseretintdeleverlesyeuxaucielets’exécuta.—Oui?— De la soie, tissée dans les montagnes du Cachemire, expliqua le majordome avec, pour la

premièrefois,desaccentsenthousiastes.Nonseulementlesgriffessontdestructrices,maisj’aileregretd’informerVotreGrâcequ’àlasuitedudécèsdeladuchesse,ilsontdéveloppéunepropensionàurinerquandetoùbonleursemble.

Miaréfléchituninstantàcettenouvelle.—Sansdouteétaient-ilssouslechoc.Cequin’ariend’étonnantsivouslesenfermezdanslaréserve

àpommesdeterre.Leducapprouve-t-ilcetraitement?—JenedérangepasSaGrâceàproposdequestionsdomestiques,réponditlemajordomed’unton

hautain.—Vousneluiavezmêmepasdemandésonavis?Nottlebattitdespaupières.—Le duc ne s’intéresse pas à des affaires aussi triviales. Cependant, il s’avère que SaGrâce a

accompagné lord Carrington aux cuisines pour un en-cas tardif et les chiens ont été découverts.J’éprouveraislaplusgrandegratitudesiVotreGrâcepouvaitveilleràcequecesanimauxsoientconfinésenpermanencedanslachambred’enfant.J’enferaienleverletapis.

—WinkyetDobbieneserontpasplusenfermésdanslachambred’enfantqu’ilsn’auraientdûl’êtredansunecave,objectaMia.Lesaccidentscesserontàmesurequeleschienssecalmeront.

Levisagedumajordomes’allongeaencore,siunetellechoseétaitpossible.—Dois-jecomprendrequelestapissontl’otagedel’étatémotionneldecesanimaux?Puis-jeavoir

votrepermissiondelesconfinerjusqu’àcequ’ilsatteignentunesérénitésuffisante,VotreGrâce?—Onpourraitpresquepenserquevousessayezdefairedel’humour,Nottle,ditMia.Àl’évidence,cen’étaitpaslecas.Ellesoupira.—LeschiensresterontavecCharlie.Commeilestpeuprobablequ’ilpassebeaucoupdetempsau

rez-de-chaussée,lestapisserontprotégés.Nottleinclinalatête,apparemmenttranquillisé.

—VotreGrâcepourraitpeut-êtrem’informerdesdispositionsàprendrepourvotrepupille,euégardàson…état.

Miafronça lessourcils.Était-cede larépulsionqu’elledétectait?Elle luiaccorda lebénéficedudoute.

—Monneveuestquelquepeurestreintdanssesmouvements,toutefoisilnecausejamaisdesoucis.—Jemedemandaissicertainesfemmesdechambrequin’ontpasl’estomacsolidenedevraientpas

êtreréaffectéesailleurs.Unelueurdanssonregardconfirmaitqu’ilpréféreraitvoirCharlievivredanslaréserveàpommes

deterreplutôtqu’àl’étage.LedoutedeMias’envola.Sonexpressiondutlatrahir,carilprécisa:—Pour le bien du jeunemaître, bien sûr. Personne ne veut qu’il soit décontenancé par la sottise

d’unefilledelacampagne.—Lasottised’unefilledelacampagne,répétaMia.Qu’entendez-vousparlà?Lemajordomelaregardaduhautdesaconsidérablestature.—Cettemaisons’enorgueillitdefermerlesyeux,danslamesuredupossible,surlesparticularités

rebutantes.C’estlapolitiquedesducsdePindar.—Vousparlezdupassé,fitremarquerMia.Maisjesuisl’actuelleduchessedePindar.Êtes-vousen

traindemedirequ’àvotreavis,desbonnesrisquentdedéfailliràlaseulevuedeCharlie?—Espéronsquenon.Ilfautcependants’attendreàpareilleéventualité,vuladifformitédel’enfant.Miapritunedécisionabrupte.— Vous êtes congédié, annonça-t-elle, se redressant de toute sa taille, ce qui ne l’amenait

malheureusement qu’au niveau des aisselles de Nottle. Si le duc souhaite vous fournir une lettre derecommandation,libreàlui.Quantàmoi,jeveuxquevoussoyezpartipourmidi.

Mian’avait renvoyéquedeuxdomestiques jusqu’àprésent,chaquefoispourvol.Etdans lesdeuxcas,lesditsdomestiquesavaientmontréd’évidentssignesdeculpabilité.

Nottlen’obéissaitpasàcemodèle.Luiaussi se redressa,utilisantvisiblementsahaute taillepourtenterd’intimiderMia.

—JeserslesducsdePindardepuisl’âgededix-huitans,articula-t-il.—Dans ce cas, SaGrâce doit vous trouver des vertus auxquelles je suis aveugle, rétorqua-t-elle

sèchement. Ilpourra lesénumérerdanssa lettrede recommandation.Quoiqu’ilensoit,personnedanscette maison ne pourra garder ses fonctions si mon neveu se voit traiter de manière un tant soit peuirrespectueuse.Veuillezenfairepartaurestedupersonnelavantdepréparervosbagages,Nottle.

—NousverronscequeSaGrâceendit,sifflalemajordome.IlyeutunbruitsurleseuiletChuffyentradanslasalleàmangerenapplaudissantnonchalamment.—Voyons,Nottle, vous ne pensez pas sérieusement qu’un duc nouvellementmarié contredira son

épousedanssagestiondomestique,n’est-cepas?—C’estinadmissible,déclaraNottlequi,pourlapremièrefois,parutlégèrementdéconcerté.—Jeneprendraipasvotredéfense,l’informaChuffy.Jen’aimepaslafaçondontvousmeregardez

quandj’aibuunegoutteau-delàduraisonnable.—Jenemesuisjamaismontréoffensantàvotreégard,j’ensuiscertain.— Vous vous trompez. Vous êtes souvent offensant sans même vous en rendre compte, répliqua

Chuffy.Venez,machère,désirez-vousunverredevindesCanaries?Selonmoi,c’estlaboissonidéalepourcalerl’estomaclematin.

Mias’aperçutqu’elletremblait.Ellen’avaitpasl’habitudedecegenredeconfrontation.Ellebattiten retraite par la porte que Chuffy venait de franchir. À son grand désarroi, les deux hommes luiemboîtèrentlepas.

—Sivousvoulezbienm’excuser,Chuffy,dit-elle,ignorantNottle,jedoisregagnermesappartementsuninstant.

Elle gravit l’escalier en veillant à dissimuler sesmains afin qu’ils ne les voient pas trembler. Àl’étage,elleseprécipitadanssachambre,fermalaporteets’adossaaubattant,àlasurprisedeSusanquiétaitoccupéeàdéfairesesmallesarrivéeslaveilleausoir.

—Seigneur,madame,quesepasse-t-il?—JeviensdecongédierNottle.—Vousavezfaitquoi?Miaselaissachoirdansunfauteuil.Soncœurbattaitencoreàtoutrompre.—Jeluiaidemandédequitterlemanoirpourmidi.C’étaitaffreux,Susan.Audébut,ilrefusaitde

partiravantd’enavoirparléauduc,parchance,sirCuthbertestvenuàmonsecours.—SirCuthbertaunpenchantpourlabouteille,maisdel’avisgénéral,c’estunebonneâme,assura

Susanqui déposa sur le lit la robequ’elle venait de sortir et rejoignit samaîtresse, le regardbrillantdecuriosité.Qu’adonc faitM.Nottlepourvous fâcheràcepoint?Remarquez, jen’appréciepascethomme-là.Ilesttropimbudelui-même.Ondiraitquec’estluileduc.

—Ils’estmontrégrossierausujetdeCharlie,ditMia.Ignoble,enréalité.Ilainsinuéquelesfemmesdechambredéfailliraientàlavuedesonpied.

—Ignoble,eneffet.Le pouls de Mia commençait à s’apaiser. Les robes sombres et vieillottes accrochées dans la

penderieattirèrentsonregard.Etelleprituneautredécision.—Ilmefautunenouvellegarde-robe,Susan.Desrobesensoie,debeauxcoloris.Qu’ellesoitdamnéesilessolsdeRutherfordParkétaientmieuxhabillésquelamaîtressedeslieux.Susans’illumina.—MaintenantquesirRichardnetientpluslescordonsdelabourse,vousêtrelibredecommander

cequebonvoussemble.Vousêtesduchesse!—Jesuppose,ditMia.Jusqu’àprésent,ellenes’étaitjamaisréellementpréoccupéedesestoilettes.Charlienesesouciait

pasdesonapparence,etellepréféraitéviterlestachesd’encresurdestissusonéreux.Depuissesdébutsdanslemonde–oùelleavaitétéignoréepartouslesjeunescélibataires–,elleavaitvécutranquillementàlamaison.Elleassistaitàl’occasionàdesréunionslocales,maiss’aventuraitrarementàLondres,etjamaisdanslahautesociété.

Toutefois,ledédaindeNottlel’avaitébranlée.Elledevinaitquesagarde-robeyétaitpourquelquechosedanssonattitude,mêmesilaliaisondesonpèreavecfeuladuchesseétaitsansdouteaucœurduproblème.

Susanrevintsurlesujetdumajordome.—C’étaitterriblementmalélevédelapartdeM.Nottled’obligerlesvaletsàraconterl’altercation

deSaGrâceavecsirRichard.JamaisM.Gauntn’autoriseraitpareilspotins.Remarquez,ilaunemanièrebienàluidefaireconnaîtrelefonddesapensée:iln’aimaitpaslafaçondontlamèredeM.CharlesWallacefrissonnaitàlavuedesonfils,maisjamaisilnesepermettaitaucuneremarque.

Cesouvenir-lànefitqueconfirmersadécisionimpulsivederenvoyerNottle.LepauvreCharlieavaitdéjàsupportéledédaindesamère,nulbesoinderevivrecetteépreuveaveclemajordome.

—Hier, au dîner,Nottle a assuré queM.Charles avait une nageoire à la place dupied, continuaSusan,lespoingssurleshanches.Jesuisintervenuepourledétromperetilm’aordonnédemetaire.

Miaavaitl’impressionquel’airmanquaitdanslachambre.Cen’étaitpasseulementlaconfrontationavecNottle;toutecettesituationladépassait.

—Susan,murmura-t-elle,audésespoir,jenepeuxpasrestermariéeauduc.Safemmedechambres’assitlourdementsurlelit.

—Pourquoicela?Ilestbelhomme,etlepersonnell’apprécie.C’esttrèsrévélateur,voussavez.Etmaintenant,vousvoilàduchesse.

—Jeneveuxpasêtreduchesse!Jenel’aijamaisvoulu.—C’est comme dire qu’on déteste les diamants, ironisa la femme de chambre.Maintenant, vous

pouvezavoirtouteslesrobesquevoussouhaitez.Miahaussalesépaules.—Ettousleslivres,ajoutaSusan.Etlejeunemaîtrepeutdenouveauavoirunprécepteur.—SaGrâcetrouvequejeressembleàunpotàtabac,lâchaMiaàbrûle-pourpoint,confessantlefin

motdel’affaire.Etgrosse.Susanhaussalessourcils.—Qu’ensavez-vous?—Ilmecroyaitenceinte,figurez-vous.—Quoi?—J’airéussiàleconvaincrequ’ilfaisaiterreur,expliquaMia,l’airmalheureux,maisjen’aimepas

l’idéed’êtremariéeavec lui. Ilest tropséduisant,Susan. Ilyaentrenousundéséquilibrequinepeutconduireàuneunionheureuse.

—Portiez-vous la robeenmérinosbleu foncéquand ilvousaditcela?Elle faitdesplissous lapoitrine. J’ai toujours affirméqueMmeRackerty feraitmieuxde s’en tenir à son jardin plutôt quedeprétendreêtrecouturière.

Ellehésita,puis:—J’airemarquéqueleducnevousapasrenduvisitelanuitdernière,alorsquec’étaitvotrenuitde

noces.Biensûrqu’ellel’avaitremarqué.Lesdomestiquesvoyaienttout.—Nous avons décidé de remettre la conception d’un héritier à plus tard. Plusieurs années, sans

doute.—Vousn’êtespasgrosse,déclaraSusanavecfermeté.Vousavezdescourbesravissantes,etnousle

luiprouverons.—Vousoubliezlepotàtabac.JeseraiconnuesouslesobriquetdeladuchessePotàtabac.—C’estunepossibilité.—Vouscroyez?Miaétaitquelquepeufroissée.Susanétaitsafemmedechambre–et,concrètement,saseuleamie

féminine–depuistroisans.SusanentraînaMiadevantlemiroir.—Votrerobemontejusqu’auxclavicules,fit-elleremarquer.—J’aimecela.—Etl’ajoutdedentellesauxépaulesnevoussiedpas.—J’enaibesoin.—Pourquoi?—Pouréquilibrermonbuste.Ilesttropopulent.Susanarquadenouveaulessourcils.—C’estpourcelaquevousvouleztoujourstoutescesdentelles?—Vousréagiriezdemêmesivousétiezpetiteetaviezdeschouxenguisedeseins.Vousmedépassez

d’unebonnetête,Susan.Vousn’avezpasidéedecequec’estd’avoirmesmensurations.—J’adoreraisavoirvosmensurations.Surtoutauniveaudubuste.Regardez-moi,jen’aipresquerien

là,ajouta-t-elleendésignantsapoitrine.—Desbeignetsauxpommesriquiqui,pasdeschoux.—Pardon?

—Jen’aimepasattirerl’attentionsurmonbuste.Jesuistroppetitepourlesrobesplisséessouslesseins.Ellessontfaitespourlesfemmesavecdelonguesjambes.Surmoi,ellesbouchonnentetdonnentl’impressionquejesuisenceinte.

—Vosjambessontjolimentgalbées,fitremarquerSusan.Ainsiquevoschevilles.Àmonavis,nousdevrionscommanderunerobescandaleusementcourteavectrèspeudetissusurlebuste.

Mialevalesyeuxauciel.—Vousêtesmariéeàprésent.Vousdevezvousvêtircommeuneduchesseàlamode,pasenretardde

deuxans.Oudedix,rectifialafemmedechambre.—Celaneferaaucunedifférence.—Lesrobescoûteusesfonttouteladifférence.NouspourrionsnousrendreàLondresdèsdemain.—Demain?Susanhochalatêtevigoureusement.—Afin d’aller dans unemaison de couture.Vous savez quema sœur Peg est au service de lady

Brandle.Quand je lui ai rendu visite lemois dernier, nous avons discuté de tous les couturiers de lacapitale,etjesaisdésormaislesquelssontlesmeilleurs.

—Jenepeuxpas.Monroman…—Votre époux vous a négligé la nuit de vos noces, la coupa Susan. Personne ne devrait avoir à

supporterpareil affront.Nous allonsvousmétamorphoser enune femme si ravissanteque leducvoussupplierapourentrerdansvotrechambre.

L’idéeplaisaitàMia,mêmesiellen’ycroyaitguère.—JenepeuxalleràLondres.VoussavezqueCharlien’aimepasvoyager,etjenevaiscertainement

pasl’abandonnerdansunemaisoninconnue,pendantquejevaisacheterdenouveauxrubans.—Ilvousfautbiendavantagequedesrubans,observaSusan.— J’envisageai dem’offrir une promenade à cheval, ditMia, changeant de sujet. Savez-vous par

hasardsiLancelotestarrivé?Jen’aipasenviedeprendreunpetitdéjeuner.—Oui,ilestarrivé,confirmaSusan.Cequimerappelle…vousdevriezaussiacheterunenouvelle

tenued’équitation.Miaacquiesça.Sonhabitdevaitavoirrétréci,car le tissutiraitsur lesboutonsenlaitonalignésle

longdesonbuste,cequinefaisaitqu’attirerdavantagel’attentionsurcettepartiedesoncorps.—Maintenantquevousn’êtesplusjuste,vousdevriezpouvoirfairevenirunecouturièredignedece

nomàRutherfordPark.—Elleaccepteraitdevenirici,àlacampagne?—Nousoffrironsledouble.—Ledouble?—Milady,votreépouxn’amêmepastentédevousrejoindredansvotrelitlanuitdernière,n’est-ce

pas?Mialagratifiad’unregardnoir.—Devons-noustoujoursressasserlemêmesujet?—Unerobeadaptéeàvotresilhouettevousrendrairrésistible,promitlafemmedechambre.De l’avis expert deMia – une romancière qui avait réalisé troismétamorphoses deCendrillon –,

c’étaitaussiimprobablequelaneigeenjuillet.Maiselleneputempêcherunegrained’espoirdegermerdanssoncœur.

15

PLUSDENOTESSURFLORA

—Problème:Floraestennuyeuse.Elledevraitêtreunpeuplusmordante.«Espècedepourriturepouilleuse!»—Ouaumoinssedéfendre.

L’insipideMmeDandylion(d’unevoixperçante):ilnefautpasvendrelapeaudel’oursavantdel’avoirtué!Flora:jesuisheureusedevousapprendrequejeseraisbienenpeinedereconnaîtreunours,etencoremoinsdeletuer.

Detouteévidence,nousnefréquentonspaslemêmemonde.Leslecteurspourraientpenserqu’elleestexcessivementfielleuse?Elledoitêtregentille.

LesécuriesdeVandern’avaientrienàvoiraveclesimpleenclosàCarringtonHouse.Ellesétaientquatrefoisplusgrandes,avecunelargetravéecentraleimpeccablebordéedeboxélégants.Uneplaqueen laiton gravée au nomde l’animal était fixée sur chaque box. Et les pensionnaires étaient tous plusgracieuxlesunsquelesautres.

—Méfiez-vousdecelui-ci,VotreGrâce,l’avertitM.Mulberry,lemaîtred’écurie,endésignantd’unsignedumentonlechevalsursadroite.C’estunnouveauvenudotéd’unexécrablecaractère.Ilamorduundespalefreniersàlafesseetlemalheureuxengarderaunecicatricetoutesavie.

L’animalavaitunerobealezaneauxrefletsambrésavecunecrinièrenoiredontunetouffesoyeuseluitombait dans les yeux. Lesmuscles ondulèrent sur son encolure puissante lorsqu’il tendit la tête par-dessus la porte de son box pour la regarder. Ses yeux croisèrent ceux deMia.Brun foncé, ils étaientféroces,sauvages.

Ellesefigea.—Ilestgigantesque,souffla-t-elle.Elle préférait de loin la taille de samonture, Lancelot, aussi courte sur pattes qu’elle-même. Les

grandschevauxlaterrifiaient.—Seizepaumes,confirmaMulberry.—Comments’appelle-t-il?—Jafir.Çasignifie«lesonduvent»danslalangued’Arabie.SaGrâcel’aimportéàgrandsfrais

delà-bas,àcausedesalignée,maispersonneneparvientàledresser.Ilnes’alimenteplus.D’aprèsmoi,iln’aimepasl’Angleterre.

—MonDieu,c’estaffreux!s’exclamaMia.Pareillemésaventurenerisquaitpasd’arriveràLancelot,quiaimaitmangerplusquetoutaumonde.

Elledoutaitmêmequ’ilremarquâtavoirchangédepaystantqu’onyfaisaitpousserdel’avoine.—J’aiinstallévotremonturedansleboxvoisindeceluideJafir,vuqu’ilnesemblepasdugenreà

selaisserperturberpartoutleramdamd’àcôté.—RiennepeutperturberLancelot,confirmaMia.Mulberryvoulutl’entraînerplusloin,maiselles’arrêtadevantleboxdupur-sang.

—Sijel’approche,commentva-t-ilréagir?—Ilvasansdouteruer,réponditlemaîtred’écurie.Jevousenconjure,VotreGrâce,n’essayezpas.

J’ai ici vingt-quatre bêtes et elles sont toutes à cran quand Jafir tente de s’échapper, ce qu’il fait àlongueurdetempsdepuiscinqjours.

Miahocha la tête et s’éloigna furtivement.Lancelotne levapas la têtequand ils approchèrent ; ilfaisaitsasieste,têtependante.

—Lancelotpourrait-ilavoiruneplaque,luiaussi?demanda-t-elle.Quandbienmêmeiln’apaslaqualitédesautres.

—SaGrâcevousprocurerasansaucundouteunenouvellemonturesansdélai,réponditMulberry.—Jeneveuxpasd’unnouveaucheval,objectaMia.Lancelotétaitidéalpourelle.Ilressemblaitàunsofaavecdespieds.Despiedscourts.SirRichardavaitvendutousleschevauxdesonpèreetdesonfrère,arguantqueCharlien’enaurait

pasbesoin.IlauraitvenduaussiceluideMia,sitoutlemonden’avaitétépersuadéqueLancelotnevalaitpasplusd’unshilling.

—Ilpartagemaviedepuisdesannées,expliqua-t-elleenjouantaveclatouffedecrinquitombaitsurlefrontdeLancelot.

Les yeux clos, le cheval l’ignora. Il était fermement convaincu que l’inertie était préférable aumouvement.

—Ilestréveillé,dit-elleàMulberry.C’estjustequ’ilneveutpasquitterl’écurie.Dèsquevouslesortirezdesonbox,ilretrouverasavitalité.

Mulberryparaissaitsceptique.IlouvrittoutefoislaporteettiraLancelotàl’extérieur.Mias’apprêtaità lesuivre lorsqu’elleremarquaqueJafirs’étaitapprochéauplusprèsducôtéde

sonboxetl’observaitd’unregardvif.Ilavaitmoinsl’airsauvageouméchantqu’intéressé.Elle fit un pas vers lui et il pencha la tête en hennissant. Parfois, le seulmoyen de faire avancer

Lancelotétaitunquartierdepomme,sibienqu’elleenavaittoujourspleinlespoches.ElleentenditunàJafirquilepritdélicatementdanssapaume.

—Alors,ilparaîtquetuesaussirapidequelevent?luidit-elle.Ilredressabrusquementlatête,presquecommes’illuirépondait.—Tun’espasunemonturepourmoi,continua-t-elle,tandisqu’illuireniflaitlescheveux.Tuesplus

grandqu’unchevaldevrait l’être.Et tuesaussirapidequelevent, tu tesouviens?Moi, j’oseàpeineavancerautrot.

Mulberryréapparutauboutdelatravée.Miareculaenhâteavantd’êtrepriseenflagrantdélit.Jafirlaissaéchapperunpetitbruitdegorgecommes’ilétaitdéçu.Uneidéeridicule.

—Jedoisyaller,luimurmuraMiaavantdesedétourner.Alorsqu’elles’éloignait,elleentenditdeshennissements rauques.Elle fitvolte-faceetvit Jafir se

dressersursesjambesarrière,retomber,puisdécocheruneviolenteruadecontrelaparoidufonddesonbox.Sansréfléchir,ellerevintàgrandspasverslui.

—Veux-tucesserimmédiatement!L’animalsecabraetlorsquesessabotsretombèrentlourdementsurlesol,onauraitditqu’ilyavait

unelueurdeculpabilitédanssonregard.—Tusaisbienquec’estmaldefairepareiltapage.Jafirtenditdenouveaulecoupar-dessuslaporteetluireniflalescheveux.Mialuitapotatimidement

l’encolure.Commesaboucheserefermaitsursesboucles,menaçantdedéfairesacoiffure,elleluidonnaunnouveauquartierdepomme.Illemangeaavecenthousiasme,puissoufflabruyammentparlesnaseauxetposasagrandetêtesurl’épauledeMia.

Elledemeuraimmobile,serisquantjusteàleverlamainpourlegrattouiller.Ilagitalesoreillesetpoussaunnouveausoupirquitrahissaitunindubitablecontentement.Auboutd’unmoment,Miareculaet

luipritlatêteentresesmains.L’animallafixadesesyeuxhumides,sansméchanceté.—Tun’esqu’unimposteur,déclara-t-elle.Tun’asriend’unchevalindomptable.—VotreGrâce,ditMulberry,justederrièresonépaule,s’ilvousplaît,reculezdoucement.Jevousai

miseengardeàproposdececheval.Ilmord.—Fadaises,répondit-elleencaressantJafirentrelesyeux.IlestaussigentilqueLancelot,justeun

peumoinsapathique.Jafirsouffladenouveauparlesnaseaux,puisfermalesyeux,selaissantvolontierscaresser.—Jecroisqu’ilsesentseul,hasardaMia.—Seul?—Vousvoyez?Ilvoulaitjustequequelqu’unfasseattentionàlui.—De l’attention, il n’en a pasmanqué,VotreGrâce, objecta lemaître d’écurie, un peu vexé.Ce

chevalacoûtédescentainesdeguinées.Ilaeudroitnonseulementàl’attentionduduc,maisnousavonstousessayédelecalmertouràtour.

— Peut-être n’avez-vous pas employé la bonne méthode, suggéra Mia. Avez-vous essayé lespommes?Regardez,dit-elleensortantunautrequartierdesapoche,illesadore.

—Sinousavonsessayélespommes?s’étranglapresqueMulberry.VotreGrâce,nousavonsessayétouslesfruitset légumesimaginables, lesmeilleuresavoines,desmélangesdecéréalesspéciaux.Vousvoyezsescôtes?Cetanimalselaissemourirdefaim.

MialâchaJafiret,sehissantsurlapointedespieds,jetauncoupd’œilàl’intérieurdubox.Eneffet,constata-t-elle,samangeoireétaitremplied’avoine.

—Jafir,tudoismanger,ordonna-t-elleendésignantlamangeoiredel’index.Ilémitundrôledeson,commes’illuiparlait.Mias’appuyacontrelaporte.— Je pourrais rester un petit moment ici, je suppose, lui dit-elle, mais je dois faire une balade.

Lancelotm’attend.Jafirpenchalatêteetentrepritdemangersonpicotin.—Partouslesboutonsdemaculotte!s’exclamaMulberry.Pardonnezmonlangage,VotreGrâce!Miasemitàrire.Visiblement,Jafirvenaitdeserappelercombienl’avoineétaitdélicieuse.Ellelui

flatta l’encolure et il releva la tête avec un petit hennissement, avant de replonger aussitôt dans samangeoire.

Mia sortit des écuries, etMulberry l’aida à se hisser sur le large dos de Lancelot. Un valet lesrejoignit sur sa propremonture. Le cœur deMia se serra. Il lui tardait de s’échapper un peu, et ellen’avait pas la moindre envie de supporter le regard perplexe d’un jeune palefrenier qui s’ennuieraittandisqueLancelotserpenteraitdansl’alléeàsontraindesénateur,s’arrêtant icioulàpourreprendredesforcesenmangeantunetouffed’herbe,fatiguéqu’ilseraitparcetexerciceinhabituel.

— Je n’ai nul besoin d’une escorte, dit-elle àMulberry.Désolée de vous avoir fait perdre votretemps,ajouta-t-elleàl’intentiondupalefrenier.

—VotreGrâce,sortirsansescorten’estpaspensable,serécriaMulberry.—C’estpourtantbienmonintention.Commeilouvrait labouchepourprotester,elleseredressa–autants’entraîneràavoir l’aird’une

duchesse.—Je sors seule, affirma-t-elleavecautorité. Je reviendraid’iciunepetiteheure.Bonaprès-midi,

Mulberry.Surcesmots,elledirigeaLancelotverslagrilleouverte.Lechevallafranchitd’unpastranquilleet

résigné.Miasepenchaenavantetluitapotal’encolure.

—Bongarçon,Lancelot,murmura-t-elle.Derrière elle, elle entendait les hennissements furieux et les coups de sabot de Jafir. Il avait dû

s’apercevoirqu’elleétaitpartie.Miasuivitunsentierquisinuaitderrièrelesécuries,longeaitlespelousesduparcets’enfonçaitdans

lesbois.Lorsqu’ellefuthorsdevuedumanoir,elleeutl’impressionderespirerenfin.C’étaitcommesielle avait été prise dans une tornade. Elle se revoyait encore à l’église, attendant de devenirMme Edward Reeve, quand sir Richard avait annoncé la fuite de son fiancé. Elle avait alors étésubmergéeparunflotdepaniquedontellen’avaitpasencoreréussiàsortir.

Cesdernièressemaines,chacundesesmusclesavaitétététanisédepeur.Àprésent,ellepouvaitsedétendre.Quoiqu’ilarrive,Charlieseraitàl’abri,financièrementetphysiquement.Vanderadministreraitledomaineavecdiscernement,commel’auraitfaitEdward.

Pourlapremièrefois,Mias’autorisaàpenseràladéfectiondesonfiancé;aufaitqu’ilavaitpréféréquitter le pays plutôt que de l’épouser. Sa gorge se noua. Elle en ressentait une peine épouvantable.Pourtant,Edwardparaissaitsincèrelorsqu’ill’embrassait.Aprèsleurpremierbaiser,ils’étaitécartéenriant,maissonregardétaitd’uneintensitéincroyable…

Apparemment,ledésirnesuffisaitpasàassurerlaloyauté.Elleavaitcruqu’Edwardl’aimait,aveclerecul,ellecomprenaitquec’étaitdelasimpleconcupiscence.CommeVander.

Un instant, elle vacilla sur sa selle, réalisant qu’un jour le duc prendrait unemaîtresse, une bellesylphide, une femme qu’il aimerait avec lamême dévotion que ThornDautry son épouse. Les larmesroulèrentlelongdesesjoues.SielleécrivaitdesromanssouslepseudonymedeLucibella,c’étaitparcequ’ellerêvaitd’êtreaimée.Etdetomberamoureuse.

Certes, son père ne s’était guère soucié de ses obligations paternelles. En revanche, il adorait laduchessedePindar.Danseravecellesuffisaitàfairedeluileplusheureuxdeshommes.Mial’avaitvutournoyerdesdizainesdefoissurleparquetdelasalledebal,sescheveuxblondsaccrochantlalumièredeslustres,fierdetenirsabien-aiméedanssesbras.

Àcesouvenir, les larmesdeMiaredoublèrent.Elleavaitespéré–rêvé–qu’un jourelleaimeraitaveclamêmepassion,quoiquedanslerespectdesliensdumariage.Siellen’avaitpasressentiunamourardentpourEdward,dumoinséprouvait-elleuneaffectionsincère.Etelleavaitlacertitudequ’avecletemps,ilsauraientfinipars’aimer.

Désormais, si elle avait la chance de connaître l’amour un jour, il serait adultère. Entaché par laliaisondesonpère,entravéparlahonte.EllefermalesyeuxetlaissaLancelotvagabonderàsaguise,tandis qu’un sanglot la secouait de temps à autre. Elle ne se ressaisit que lorsque son chevals’immobilisa.

Lapremièrechosequ’ellevit,commedansunbrouillard,lorsqu’ellerouvritlespaupières,cefutunemainmasculineétreignantlesrênesdeLancelot.Sonregardremontalentementjusqu’auxyeuxbleusrivéssurelle.Desyeuxétincelantdecolère.

—Quediablefaites-vous?aboyaVander.IlavaitapprochésonchevalsiprèsduflancdeLancelotquesajambetouchaitlasienne.Àquoibon

tenterdefairebonnefigure?—Jepleure.—Jen’aijamaisvupersonnemonteràchevallesyeuxfermés,lâchaleduc.Votremontureauraitpu

trébuchersurunetaupinière,bienqu’ilsoitsicourtaudquevousn’auriezsansdoutepasétéblessée.Ilfautquejevoustrouveunemonturedignedecenom.

—Lancelotme convient parfaitement, parvint à articulerMia en s’essuyant les yeuxdudosde lamain.

—Tantquevousn’essayezriendeplusrapidequelepas,commenta-t-ild’untonacerbe.

Les hommes avaient tendance à semontrer dédaigneux à l’égard de Lancelot.Mia n’avait jamaisréussiàconvaincresonfrèrequ’ellen’avaitpasbesoinde trotteretquedoncla lenteurdesonchevaln’étaitpasunproblème.

—Tenez.Vanderluitenditavecbrusquerieungrandmouchoirblanc.Mias’enemparaenluicoulantunregard

debiais.Ilétaitaussiséduisantqu’àsonhabitude,tandisqu’elleétaitéchevelée,levisageravagéparleslarmes.

—Merci.Pardéfi,ellesemouchacommejamaisunedamebienélevéeneleferaitenprésenced’ungentleman,

puisglissalemouchoirdanssapoche.—Pardonnez-moidevousavoircausédusouci,murmura-t-elle.Ilfronçalessourcils.—Pourquoiceslarmes?Pasquestiondeluirévélerqu’ellepleuraitsurl’histoired’amourqu’elleneconnaîtraitjamais.—Jepensaisàmonpère.Vanderfixaitsonbuste,oupeut-êtresataille.Ducoup,Miaseredressaaulieudedemeurertassée

sursaselletelunsacdefarine.—Votrepèren’étaitqu’unchevalierservantd’opérettequinetrouvaitriendemieuxàfairequede

jouerautoutouadultèreavecmamère.—Monpèreaimaitvotremère!Cen’étaitpeut-êtrepasconvenable,mais…c’étaitainsi.—Elleétaitsamaîtresse, luirappelaVanderd’untonglacial.Parcecocufiage, ils’estdonnéune

importancequ’iln’avaitpas.—Quellefaçonvulgairededécrirelasituation,s’indignaMia.—C’estpourtantlavérité,rétorqua-t-il.—Jecroisquejevaisregagnerlesécuries,décida-t-elle.Ellevoulutreprendrelesrênes,maisVanderneleslâchapas.Samontures’agita,inquiète,etleurs

jambessefrôlèrentdenouveau.—J’aiapprisquevousaviezcongédiéNottle.—Eneffet.Ils’estmontrétrèsdésobligeantenversCharlie.—C’estcequem’aditChuffy.CommeNottletravaillepournotrefamilledepuisdesannées,jel’ai

affecté àmonhôtel particulier deLondres. J’y suis rarement, ce qui lui conviendra tout à fait.Et j’aienvoyéunvaletchercherM.Gaunt.Ildevraitêtreàlahauteur.

— Excellente solution, approuvaMia, soulagée. Charlie n’ira jamais à Londres, et ils n’ont pasbesoindesevoir.

Vanderfronçalessourcils.—Pourquoi dites-vous cela ?Charlie ira àLondres, bien sûr. Et soyez certaine queNottle ne se

permettra aucune parole désobligeante à son endroit, que ce soit à l’office ou ailleurs. Il saitpertinemmentqu’aumoindremurmure,ilserarenvoyésanslettrederecommandation.

Mialuiadressaunsourireravi.— Parfait ! J’essaie toujours d’entourer Charlie d’influences positives. Il aura tout le temps

d’affronterlacruautédumondequandilseraplusgrand.—Quandilseraplusgrand?répétaVander.Àquelâge?—Jenesaispas,vingtanspeut-être.Aussilongtempsquejeserailàpourleprotéger.Etmaintenant,

ilvousaaussi!—Non,pasdutout,objectaVander.LecœurdeMiaseserra.Elleavaitcontraintleducaumariage;ilétaitpeuprobablequ’ilaccepte

sonrôledetuteuravecenthousiasme.

—Biensûr,jecomprends.Sivousvoulezbienm’excuser,jevaisrentrer.—Vousm’avezmalcompris.—Maisnon.VouscroyezêtrelepremieràconsidérerCharliecommeunfardeau?—Jevoulaisjustedirequejenecautionnepascettefaçonquevousavezdecouvervotreneveu.—Ah,fit-elleavecunhochementdetête.Jevois.Etmaintenant,jerentre.Cette conversation conjugale n’avait que trop duré. Et puis, la chaleur de la cuisse de Vander à

traverssonhabitd’équitationluibrouillaitl’esprit.D’ungestevif,Vander lâcha les rênesdesdeuxchevaux, l’attrapapar la tailleet la soulevadesa

sellepourl’asseoirfaceàlui.—Qu’est-cequivousprend?s’étranglaMia,interloquée.Il l’observa en silence, puis captura ses lèvres avec fougue. Il l’avait plaquée contre son torse et

avaitglissélamaindanssescheveux.Etsalangue…Seigneur…Leurbaiserétait tellement…charnelqu’elle en était chavirée. Elle s’agrippait à lui, certaine de tomber. Ses doigts s’enfonçaient dans sonépaissechevelure.

Un instant plus tard, une délicieuse chaleur envahit son corps à certains endroits. Un grognementmontadelagorgedeVander,auquelelleréagitcommesiunvoiledesoiecaressaitsoncorpsnu.Ellesecambradavantagecontreluietilresserrasonétreinte.Elleavaitl’impressionquesoncorpsfondait,semoulaitausiencommesielleétaitfaitedecirechaude.Commes’ilpouvaitfaired’ellecequ’ilvoulait.

Puissoudain,ils’arrêta.— Alors, prête à réclamer une des nuits que je vous ai allouées ? demanda-t-il, le regard

impénétrable.IlfallutàMiaquelquesinstantspourreprendresesesprits.—Réclamer?croassa-t-elle.N’était-cepasplutôtsupplier?Jamais.Vander la reposa sur sa selle sansménagement.UnechancequeLancelotait ledos large, carelle

auraitpubasculerdel’autrecôté.Elleavaitlesjambesencoton.Vander embrassaitmerveilleusement, certes, à part cela, il n’y avait pas grand-chosed’intéressant

chezlui.Sielleselerépétaitsuffisamment,peut-êtrefinirait-elleparycroire.Ellelevalesyeux,biendécidéeàluidiresesquatrevérités,etdemeurasansvoix.

Dieusait comment, lebasde sa robeavait réussià remonter,découvrit-elle,dévoilant ses jambesgainées de soie rose pâle jusqu’aux cuisses – et la chair nue au-dessus. Le regard du duc étaitincandescent,commes’ilnevoulaitpasseulementl’embrasser,maisluifairequelquechosedevraimentscandaleux.Leventrebrûlant,elles’empressaderabattresesjupes.

—Ohé ! lança une voix qui lui fit l’effet d’une pierre brisant une vitre.Eh bien, qui voilà ?Lesjeunesmariéss’offrantunpetittête-à-tête.

Mias’arrachaunsourire.—Bonjour,Chuffy.Avecunesatisfactionunpeuperverse,ellevitlamâchoiredeVandersecrisper.—Bonjour,machère.Dois-jemerendreseulauvillage,monneveu?—Non,non,jem’envais,lerassuraMia,Vanderserembrunitdenouveau.—Etoùestvotreescorte?—J’aidécidédem’enpasser,réponditMia.Aurevoir.Elleseraitvolontierspartieaugalop,maiseut labonne idéedenepasessayer. Ilyeutunsilence

danssondos,tandisqueLancelotavançaitdesonpaspesant,cequiluidonnaletempsdes’inquiéterdesonpostérieur:n’apparaissait-ilpasridiculementrebondidanssatenuetropserrée?SansdouteVanderétait-ilentraindelaregarders’éloigner,sedemandantsielleavaitseulementunetaille?

Ellenepouvaitseretournerafindes’enassurer.Impossible.

ElleavaitpresqueatteintletournantquandlagrossevoixdeChuffybrisalesilence:—Cettefilleaunechevelureextraordinaire.Ellelatientdesonpère,jesuppose.Aprèsletournant,elletirasurlesrênes,mourantd’envied’entendrecequeVanderrépondrait.—N’est-cepas ellequi était éperdument amoureusede toiquand tun’étais encorequ’ungamin?

continuaChuffy.Mamémoiremefaitdéfaut.Mia se pétrifia. Elle n’entendait plus que son souffle saccadé. La réponse deVander lui échappa

complètement.—Tuasbienraison,déclaraChuffy.Tuesduc,aprèstout.—Cen’étaitpasàcausedutitre.Bien.AumoinsVanderavait-ilreconnuqu’ellen’étaitpas…—Mais,oui,eneffet,elleétaitbeletbienamoureusedemoi,termina-t-il.—Etalors?Pasassezbellepourtoi?LepoulsdeMias’emballa.—Àl’époque,elleavaitlesjouesbienrebondies,réponditVandersansémotion.Etj’avaisquinze

ans.Jenem’intéressaispasauxjeunesfillesdelahautesociété,etencoremoinsàlapoésie.Mia serra les poings.Quel crétin suffisant ! C’était lui qui l’avait flanquéemanumilitari sur son

cheval,bonsang!C’étaitluiquil’avaitembrassée,jouesrebondiesoupas,etnonl’inverse.Elleenavaitassezentendu.Elleagitalesrênes,etLancelotrepartitdesonpastranquille,fouettant

l’airdesaqueue.Elleneméritaitpasqu’onlatraiteainsi.Ellen’étaitpeut-êtrepaslaplusbellefilledumonde,nimêmedupays,toutefoispersonneàpartVanderneluidonnaitàcepointl’impressiond’êtreunlaideron.

Aprèsl’incidentdupoème,elleavaitessayéunrégimeamaigrissant,résultat,satailles’étaitamincie,faisantparaîtresesseinsencoreplusvolumineux.Bref,côtéséduction,elleneparviendraitjamaisàfairemieux.

Bonsang,voilàqu’ellepleuraitencore,sifortcettefoisqu’elleenavaitlehoquet.Dieuquelemariageétaithorrible.Ellel’avaitenhorreur.Presqueautantquesonmari.

16

BureauxdeBrandy,Bucknell&Bendal,Éditeurs

10septembre1800

VotreGrâce,Par la présente, je vous adresse nos plus chaleureuses félicitations de la part demes associés etmoi-même pour votre

récentmariage.Noussommeshonorésdevouscompterparminosauteurs.J’ai été également très heureuxd’apprendreque vousprogressiezmagnifiquement surUne allure d’ange et un cœur de

démon. Si vousmepermettiez de faire quelques suggestions sur les cent premières pages, j’en serais ravi. Je suis certain detrouver à me loger au village, où je pourrais être à votre disposition et plus à même de vous prodiguer encouragements etconseils,toutenpréparantl’éditiondespagesaufuretàmesurequ’ellesnaissentsousvotreplume.

Auchapitredesbonnesnouvelles,lesventesdelaversiondeluxedevosprécédentsromansontdépassénosattentes.Nousavonsavertil’imprimeurdel’arrivéeimminentedevotrenouveaumanuscritet,cettefoisencore,nouspublierons,enplusdelaversion cartonnée avec papier bleu et dos en cuir, une version reliée en cuir pleine peau, pour la satisfaction de tous voslecteurs.

Avecmesplusprofondsrespectsetdansl’espoirdevousrevoirbientôt,Votretrèsdévoué,

WilliamBucknellP.-S.:JejoinsàcettelettrenonseulementlesœuvresdeMlleJuliaQuiplet,maisunnouveauromanécritparMlleLisaKlampasqui,jecrois,vousplaira.

Tandisqu’ils’habillapourledîner,Vanderéprouvaunsentimentdemalaise.IlavaitlaisséChuffyàlataverneentouréd’uncercledecompères.

Lorsqu’ilavaitregagnélesécuries,ilavaittrouvéMulberrytoutexcité–ausujetdesafemme.JafirétaitpluscalmeenprésencedeMia?Miaquimontaitunvieuxcanassonauxpattesraidesetàl’alluredetortueantédiluvienne?

Etpuis,impossibledes’ôterleurbaiserdelatête.Depuistoujours,ilavaitétéattiréparlesgrandesfemmesminces.Etvoilàqu’ilétaitprisd’undésirardentpourunefemmequisenichaitdanslecreuxdesonbras.Unefemmepasmêmeassezgrandepourleregarderdroitdanslesyeux.Qu’ilavaitsoulevéedesaselleetembrasséejusqu’àenavoirlesoufflecoupé.

QuandMiaétaitencolère,sesyeuxvertsprenaientuneteintedesous-boisqu’iln’avaitjamaisvuechezpersonne.

Vanderserenditsoudaincomptequesonvaletluiprésentaitungilet.—Désolé.Savez-vouscomments’estpassél’après-mididemonpupille?Ledomestiquesourit.

—D’aprèscequej’aientendu,c’estuntempérament.—Entièrementd’accord.—M.Gauntenestunautre.Ilaréunitoutlepersonneletnousapasséunsacrésavonsurlafaçon

dontnousdevonstraiterM.Charles.—Excellent,ditVanderavecsatisfaction.S’est-onréjouidudépartdeNottleàl’office?—Enaucunefaçon.MaislapausequiavaitprécédélaréponserévéléeàVanderluidittoutcequ’ilvoulaitsavoir;ilprit

mentalementnotedemettreNottleàlaretraitedansuncottagedesondomaineduYorkshire.Ilsetournapourenfilersaredingote.— La duchesse doit faire venir une couturière de Londres, lui rapporta son valet. Sa femme de

chambreseréjouitqueSaGrâceaitdécidédemettrefinàsondemi-deuil.Ilsemblaitdoncquesonépouseaitéprouvéunepeinesincèreàlamortdesonpère.Vandern’aimait

pasqueseslarmesl’aienttouchéàcepoint.LabouchepulpeusedeMiatremblaitdechagrinetilauraitvoulul’embrasserjusqu’àcequ’ellefrémissepourunetoutautreraison.Quandils’étaitrenducomptequ’ellepleurait,iln’avaitpuseretenirdelaprendredanssesbras,biendécidéàladérider.

Absurde.Jamais iln’avaitréagiainsi,etqu’ilsoitdamnés’ilse laissaitperturberparuneépouse.Uneépousequ’iln’avaitdesurcroîtmêmepaschoisielui-même.

Nonqu’ils’enplaignît,devait-iladmettre.Chaquefoisqu’ilvoyaitMia,sondésirmontaitd’uncran.Voilàquiseraitutilequandlemomentseraitvenudeconcevoirunhéritier,etsonremplaçant.Peut-êtreaussiune fille.Un instant, il imaginaune filletteavec lachevelureextraordinairedeMiaet sesbeauxyeuxverts.Soncœurmanquaunbattement.

Quatrenuits…Ilréprimaunrire.Illuifaudraitbienplusdequatrenuitspourparveniràselasortirdelatête.Quelquesminutesplustard,ilentradanslesalonetdécouvrit,amusé,Miavêtued’unerobeàhaut

colquiauraitétéparfaitepourunevieillegouvernante.Maispeuimportait.Unseulregardetsonsexesemitaugarde-à-vous.

Sescheveuxdétachés,quicascadaientdanssondos,étaientretenusparunbandeau.Cettecoiffureluiallaitjolimentavecsesgrandsyeux,sonvisageencœur,seslongscils…etcettebouchedivine…

Détail intéressant,Mia ne paraissait pas consciente de sa beauté. Il avait l’habitude des femmesapprêtéesàl’extrême,exposantleursappatsauplusoffrant.Àlaseulevuedesagorgelorsqu’elleavalaitsonvin,ilétaittoutexcité.

Gaunt lui tendit un verre de bordeaux. Il s’en empara, puis s’avança vers son épouse, ajustant saredingoteafindedissimulersonémoi.

—Bonsoirduchesse.—Bonsoirduc,murmura-t-ellesanscroisersonregard.Sonnezavaituneformeparfaite.Nibulbeuxnitroppointu,commechezbeaucoupdefemmes.—J’ai une question au sujet de votre père, dit-il, abordant délibérément un sujet qui créerait une

certainedistanceentreeux.Commedebienentendu,Miaserembrunit.—Jen’ainulleenviedeparlerdemonpère.—Pourquoia-t-ildonnévotrepoèmeàmamère?Miaserisquaàleverlesyeuxverslui.Sonregardluifitl’effetd’untisonnierbrûlant;illuiéchauffa

lessangsdelatêteauxpieds–enfinsurtoutàmi-chemin,pourêtrehonnête.—Illetrouvaitamusant,avoua-t-elle.—Vousneluienaviezpasdonnéunecopie,jeprésume.—Monpèreavaitdesprincipesparticuliersenmatièredepropriété.Ilétaitaussid’uneincorrigible

curiosité.C’estsansdoutepourcetteraisonqu’ilestentréenpossessiondelalettredevotrepère.

—D’autresmissivesdecettenatureexistent-elles?s’enquitVander.Avez-vousuncoffrepleindessecretsappartenantàautrui?

Miafrissonnapresqueimperceptiblement.—Non.Levoldupoèmeétaitenpartiemafaute:letitrevousrendaitidentifiable.J’auraisdûme

douterqu’ilnepourraitrésisteràlatentation.— J’y auraismoins trouvé à redire si vous l’aviez adressé à Evander plutôt qu’à Septimus. J’ai

toujoursdétestémondeuxièmeprénom.UneombredesourireincurvaleslèvresdeMia.—Àl’époque,jetrouvaisSeptimusbeaucoupplusromantiquequ’Evander.Ellepivotaetsedirigeaversuncanapé.Malgrélui,Vanderfixasonpostérieurduregard.Elleavait

lachutedereinslaplussensuellequ’ilaitjamaisvue.D’unerondeur…parfaite.Enharmonieavecsonnezparfait.Illasuivit,s’installadanslabergèrequiluifaisaitface.—Celasignifie-t-ilquevouspréférezSeptimusàVander?demanda-t-ilaprèsavoirbuunegorgée

devin.— Non, répondit-elle, songeuse. Je pense que vous aviez raison de demander que nous ne nous

adressionspasl’unàl’autreendestermesaussifamiliers.Quenotremariagesurviveoupas,précisa-t-elle, lamain levéepour l’empêcherde l’interrompre.Pasplusvousquemoinesouhaitonsque l’autredéveloppeuneaffectionmalavisée.

Vanderfutaussitôtconvaincuqu’iltenaitàcequesonépousedéveloppejustementpareilleaffection.—Vouspensezquec’estpossible?Sonregardsevoilabrièvement.—Jesupposequevousn’imaginezpasunesituationdanslaquellevoustomberiezamoureuxdemoi,

dit-elle,lementonhaut.Maissic’étaitmoiquitombaisamoureusedevous,VotreGrâce?Denouveau.Noussommestousdeuxd’accord,jecrois,qu’ilvautmieuxévitercettesituationmalheureuse.

—Jen’avaispasl’intentiondevousblesser,ditVanderd’unevoixrauque,presquecaressante.—Vousnem’avezpasblessée, assura-t-elle. Je suisparfaitementconscientedesdifférencesentre

nous.Merappelerdelesgarderentêten’estpasblessant.Ilplissalefront.Desdifférences?Avantqu’ilpuisseluidemandercequ’elleentendaitparlà,Chuffy

fitsonentréeentitubant.Sononclen’étaitpasgris,maiscarrémentnoir.— Bonsoir, les tourtereaux, dit-il, pivotant sur ses talons pour regarder derrière lui, tel un chiot

cherchantsaqueue.Avez-vousvunotrenouveaumajordome?Ilétaitlàiln’yapasuneseconde.Vandertirasurlecordondelasonnette.—Ils’appelleGaunt,Chuffy.—Jesais.Onnelediraitpasàsabedaine,maisfigure-toiqu’ilaétéchampiondeboxedececomté,

monneveu,cequetusauraissitun’étaispasobsédépartesécuriesetriend’autre.Miasourit.Apparemment,ellesavaitdéjàpourquoisonmajordomeavaitleneztordu.Unseulregard,etledésirembrasadeplusbellelesveinesdeVander.Elleétaitsonépouse.Elleétaitsienne,etellel’aimerait.Denouveau.

17

NOTESSUPPLéMENTAIRESSURLARUPTURE

—Peut-êtreFrédéricest-ilivreetoublie-t-ildeveniràl’église?Frédéric ressent vivement l’inconvenance de sa conduite. « Maintenant je suis de nouveau moi-même, libéré de la

DangereuseInfluencedesSpiritueux…messentimentsontétéannihiléspar leDémonRhumet j’enaioublié leplusprécieuxcadeauquelaViem’afait.»Non(leslecteursn’apprécieraientpas).

—Peut-être fait-il basculerFloraparaccident dansune cascade?Lamet enPérilMortel aupoint qu’elle se retrouveestropiéeàvie.Rongéparlaculpabilité,ill’éconduit.(Ilsn’aimeraientpasnonplus.)

—Ou ilest jaloux !Unami fourbe luiditqueFlora,uneaffabulatriceauxmœursdissolues,a tentéde le séduire.Oui,c’estcrédible!

Trèsshakespearien–commedansBeaucoupdebruitpourrien?OuMesurepourMesure?

Miacommençaitàpenserqu’ellemériteraitunemédaillesiellesurvivaitaudîner.Laconversationétait réduite à… rien ; sirChuffy fredonnait dans sa barbe etVander engloutissait un steak avec cettedévotionquis’emparedeshommesfaceàungrosmorceaudeviande.

La question de leur intimité la taraudait – et il ne s’agissait pas de l’usage des prénoms. QuandVanderetelleconsommeraient leurmariage,cequiarriverait forcémentàunmomentouunautre,elleinsisteraitpourque toutes les lampessoientéteintes.Pasdechandellesnonplus.Et lesdrapsseraientremontésjusqu’aumenton.

Était-ilpossiblededemanderàunhommedenepastouchersonépouseau-dessusdelataille?Elleendoutait,sanstropsavoirpourquoi.N’ayantpasconnusamère,ellen’avaitqu’unevagueidéedecequerecouvraitl’expression«intimitéconjugale».

Assezruminé!Ilsdevaientparlerdequelquechose.—J’aifaitlaconnaissancedeJafir,annonça-t-elled’untonenjoué.Vanderlevalenezdesonassiette.—Mulberrym’enainformé.Nevousapprochezpasdececheval.Ilestbeaucouptropnerveux.—JesupposequeJafirestunenouvellerecrue,hasardaChuffy.—Eneffet.Ilestarrivéilyaquelquesjours,réponditVanderavantd’avalerunenouvellebouchée

deviande.—Tum’avaisparléd’unecourseàvenir,non?Ilestcenséyparticiper?—Jen’avaispasenvisagéde l’inscrire ; ilest tropperturbé.Toutefois, ila remportédescourses

commeyearlingdanssonpaysd’origineetj’aimeraisvoircommentilsecomportesurunepiste.Alorspeut-êtredevrais-jeysonger…maintenantquejesaisqu’uneduchesseetquelquesquartiersdepommesontcapablesdegagnersoncœur.

Mia savait qu’elle rayonnait,mais quelmerveilleux sentiment de triomphe d’avoir réussi là où lemaîtred’écuriedeVanderavaitéchoué.

—Bravo,machère!s’exclamaChuffyquis’adossaàsachaise,brandissantsonverre.Ilfaillittomberàlarenverse,etserattrapadejustesse.

—Vousavezsutrouverlecheminducœurdevotreépoux.Vander étrécit les yeux. Il croyait probablement qu’elle essayait de le faire tomber dans un piège

affectifenamadouantJafir–alorsqu’ellen’avaitriendetelentête.—Inutilederecouriràdepareillesextrémités,duchesse.Jesuisdéjàachetéetpayé.Miasepétrifia.—Monneveu…aboyaChuffyavecungestebrusque.Sachaisebasculaenarrièredansunfracas.UnbruitsourdindiquaquelatêtedeChuffyavaitheurté

lesol.Miaselevad’unbondenlaissantéchapperuncri,tandisqueVandersecontentaitdejeteruncoupd’œilàsononclepar-dessuslatable.Ilselevatranquillement.

Mias’étaitruéeverslevieilhommeaffaléparterre.Àsongrandsoulagement,ilclignaitdesyeux,plussurprisqueblessé.

—Merevoilàencorelesquatrefersenl’air,bougonna-t-il.Vanderl’aidaàsereleveretserasseoir.—Desregretsàproposdenotremariage?lança-t-ilàMiad’untonmoqueurenregagnantsaplace.

Cettemaisonn’entrepasdanslemouledelabonnesociété.—J’aibesoind’unremontant,décrétaChuffy,quitirasurlecordondelasonnette.—Sijerêvaisd’uneviedanslabonnesociété,j’yairenoncédepuisbellelurette,parvintàarticuler

Mia.Àprésent,messieurs,sivousvoulezbienm’excuser,jevaismeretirerpourlanuit.ElleselevaetfilaaumomentoùGauntentrait.Elleseprécipitadansl’escalier.Lachambred’enfantétaittroisfoisplusspacieusequecelledeCarringtonHouse.Elleétaitgaieet

lumineuse,dotéed’unfauteuilàbasculeàmontantsmétalliquesetcoussinsdeveloursrouge.Unsofaétaitplacédevant la cheminéequi était protégéepar unpare-feuornementé.Dans l’angle se trouvait un litd’enfantenfer,etàcôtéunetabledetoiletteavecunecuvette.

Charlieétaitcouché,maisàpeineeut-ellepénétrédanslapiècesurlapointedespiedsqu’ellesutqu’ilétaitéveillé.Elles’assitauborddulit,sepenchapourl’embrassersurlefront.

—Pourquoinedors-tupas,monsucred’orge?—Jesuistropexcité,murmura-t-ilenseredressant.OncleVandervam’apprendreàmonteràcheval,

tanteMia!Etilm’amontrécommentdescendretoutseul.—Pardon?Charlieluipritlamainetlaposaàl’intérieurdesongenoufrêle.—Voussentezcetteforce?demanda-t-ilenexerçantunepressionsursamain.Miahochalatête.—Grâceàelle,jepeuxmonteràcheval!s’exclama-t-il,triomphant.LecœurdeMiaseserra.—Monange,lescavaliersutilisentdesétrierset…—Unvraicavaliern’enapasbesoin,objectaCharlieavecfougue.Onpeutdirigerunchevalavec

lesgenoux.D’après leduc, c’est lameilleure façondemonter.Pasbesoindespieds, justede jambessolides.

Miavoulutargumenter,puisseravisa.Aprèstout,elleneconnaissaitpaslesfinessesdel’équitation.—JesupposequetupourraismonterLancelot.Charliesecoualatête.—Jemonteraidevraischevaux.D’abordunponeyappeléGinger,etensuitelesplusgrandspur-sang

desécuriesduduc.Jelesmonteraitous!—Oh,non!gémitMia.Elleconnaissaitceregardpourl’avoirvusursonproprevisagequandelleavaitréaliséquesielle

devenait romancière sous un pseudonyme, elle pourrait continuer d’écrire sur l’amour sans risquerl’humiliation.

Charlie avait encore un visage d’enfant, elle nota pourtant qu’il avait perdu son côté poupin etdélicat.Sonmentondevenaitvolontaireetunelueurfaroucheanimaitsonregard.

—Tugrandis,àcequejevois,commenta-t-elle,avecunsourire.—Bien sûr que je grandis. Tous les garçons grandissent. Bientôt, je partirai pour le pensionnat.

Quelleaventurecesera.—Non,pasquestion!protestaMia.C’étaituncriducœur.—Quit’amisunetelleidéeentête?Leduc?Charlieseblottitsoussescouvertures.—Oui,c’estlui.Ilvam’envoyerdanssonécole.Elleaundrôledenom.Etonne,jecrois.Sespaupièress’alourdissaient,sonregardsefaisaitsomnolent.—Eton,rectifiaMia,souslechoc.Jamais son bébé ne partirait au pensionnat où des garçons cruels comme cet affreuxOakenrott le

railleraientet lepersécuteraient.Elle se jetteraitd’abordsous les rouesde lavoiture.C’était ellequiavait faitcela?EnépousantVander,elleavaitcondamnéCharlieauxaffresde l’humiliation,pas justeunefois,maischaquejour,desannéesdurant?

Non!Charlierouvritlesyeux.—Vousnepouvezpasmegarderbébé,tanteMia,murmura-t-il.Ilfautmelaissergrandir.LecœurdeMiabattaità toutrompre.Lemariagen’étaitpasconsommé.Peut-êtreCharlieserait-il

mieuxlotiavecsirRichard.Aumoins legarderait-ilà lamaisonaulieudel’expédiersur ledosd’unchevaloudansunpensionnat.

Lebonsensrepritviteledessus.Non.Elleavaiteuraisond’éloignerCharliedesirRichard,quoiqu’iladvienne.

Sonneveus’étaitendormi.Elleluicaressalescheveux,puisquittalapiècesansbruit.Illuifallaitréfléchir.Susanmettaitdel’ordredanssachambre,orelleavaitbesoind’unendroitoùellenerisquaitpasd’êtredérangée.

EllesongeasoudainàJafir.Ilétaitaussibouleverséetsolitairequ’elle.Trouveruneportelatéraleluipritunmoment,ellefinit toutefoisparseglisserhorsdelamaison.L’airnocturneétaitdouxet leciel,piquetéd’étoilesétincelantes.

Ellesuivit l’alléejusqu’auxécuries.Leslampesn’étaient-ellespasdangereusesdansdesécuries?Étonnamment, l’intérieurdubâtimentétaitéclairécommeenplein jour.Enapprochant,elleentendituncri,suiviparlehennissementd’unchevalfurieux.

—Pourl’amourduciel,murmura-t-elle.Pourtant, elle se sentait déjà mieux. Quelqu’un avait besoin d’elle. Pour des raisons évidentes,

Vandernesesouciaitpasdesaprésence.EtCharliegrandissait.Deuxpalefreniersaccoururentpourladissuaderd’approcherduboxdeJafir.Ellepassadevanteux

sanstenircomptedeleursmisesengarde.L’étalon roulaitdesyeuxégarés, lesoreillesplaquées, lepelage luisantde sueur.Devant laporte,

Mia cala lesmains sur ses hanches. Elle se rappela la colère que lui avait faite Charlie à deux ans,hurlantàpleinspoumons,allongésurleparquetdesachambre.

Jafiraussifaisaitungroscaprice.CommeavecCharlie,elleattenditdecroisersonregard.Aussitôt,lasolitudefarouchequivoilaitcelui-cis’évanouit,etsessabotsretombèrentsurlesolavecunbruitmat.

Le palefrenier qui s’accrochait aux rênes, s’efforçant en vain de maîtriser l’animal, exprima sonsoulagementparunchapeletdejurons,puissursautaenapercevantladuchessederrièrelui.

—VotreGrâce!—Ehbien,Jafir,qu’est-cequiteprend?

Lepur-sangsoufflaparlesnaseauxetsecoualatête.Apparemment,iln’étaitpasencoreprêtàcéder.Mias’avançajusqu’àlaporte.—Viensici,dit-elle,lamaintendueverslecheval.Ilrésistaencoreunmoment,histoiredeluifairesavoirqu’ellen’auraitpasdûl’abandonnerdansun

endroitinconnuoùdeshommesluihurlaientdessus.Puisavecunprofondsoupir,ilabaissalatêteverselle.

Mialuientouralecoudesesbras.—Tunedoispastecomporterainsi.Jenepeuxquandmêmepasdormiràl’écurieavectoi.Commes’ilcomprenait,Jafirs’ébrouadoucementetluieffleuralescheveux.Susanlesavaitlaissés

flotterlibrementsursesépaules.Unstyleàladernièremode,disait-on,maisqu’elle-mêmetrouvaitjustenégligé.

Ellerecula.— Il y a beaucoup trop de lumière ici, dit-elle au palefrenier. Oh, Mulberry, vous êtes là ! Ne

vaudrait-ilpasmieuxéteindreleslampes?RegardezlepauvreLancelot.Ilveutdormir.Enréalité,Lancelotdormaitdéjà.Ilauraitfalludavantagequ’uncongénèreterrifiéetsouffrantdumal

dupayspourl’empêcherdefermerl’œil.—Si j’avais su que cet étalon avait besoin d’une duchesse pour être heureux, jamais je n’aurais

recommandédel’acheter,déclaraMulberry.—Latoucheféminine,sansdoute,ditMia,mêmesiellen’aimaitpascetteidée.Mulberrysecoualatête.—Sûrementpas,VotreGrâce.Depuisvotrepassagecematin,nousavonsessayétouteslesfillesde

cuisine, lesbonnes et unedes fillesde la laiterie. J’aimêmeessayéde convaincre la cuisinière, sanssuccès.

MiacaressalesoreillesduveteusesdeJafir.—Jenepeuxresterauxécuriestoutelanuitavectoi,vilaingarçon,luichuchota-t-elle.Mulberry,si

vousaviez lagentillessed’éteindre toutes les lampessaufune,peut-être réussirai-jeà lecalmerassezpourqu’ils’endorme.

Elledéposaunbaiserentrelesnaseauxvelusducheval.—Tuassommeil,n’est-cepas?Lespaupièresdupur-sangtombaient.Bouillonnerderageàlongueurdejournéedevaitêtreéreintant.

Lorsqu’ilétaitpetit,Charlieavaitl’habitudedesombrerdansunsommeildeplombaprèssescolères.Uneàune,leslampess’éteignirent,etlesécuriesseretrouvèrentplongéesdansuneobscuritépresque

complète.Leshommess’enallèrent;Mulberryfutledernieràpartir.Pourfinir,ilnerestaplusqu’euxdeux.Enfin,euxdeuxettouslesautresanimauxdontelleentendait

lesoufflerégulierdanslapénombrequisentaitlechevaletlefoinfrais.Miaouvrit laporteduboxdeJafiretypénétra.Àpeinefut-elleprèsde luiqu’ilpliases longues

pattesets’effondracommeunchâteaudecartes.—Tuvasdormir,dit-elled’unevoixapaisante.Elles’assitsurlesol,s’appuyacontrel’épauledupur-sang,quicalalatêtesursoncou.Elleluiflatta

lajoue.—Àunmomentouàunautre, jevaisdevoirpartir, l’avertit-elle.Maisjeviendrai tevoirdemain

matin,etpeut-êtremêmelesoir.LatêtedeJafirglissadel’épauledeMiajusquedanslapaille.Miademeuraassise, lamain sur l’encoluredupur-sang, songeant à savie.Elle avait tout sacrifié

pourCharlie–sonamour-propre,lapossibilitéd’unmariageheureux.Cependantelleavaiteuraison;ausouvenirdesonregardpétillant,elleneputréprimerunsourire.Ilvoulaitapprendreàmonteràcheval?Soit,elledevaitl’yautoriser.

À l’instant où elle avait compris que son neveu nouveau-né risquait demourir à cause de l’usageexcessifd’opiumparsamèrependantl’accouchement,etquelemédecinavaitchoisidenepasréveillerl’enfantdufaitdesamalformation,elleavaitprislasituationenmain.Elleavaitcommencéparrenverserunpichetd’eausurlatêtedubébé,l’arrachantainsiàlatorpeurinduiteparl’opium.

Selon elle, il n’y avait parfois qu’une seule route possible. Forte de cette conviction, elle avaitarrachéCharlieauxbrasdel’infirmière.Ethuitansplustard,denouveauàlacroiséedeschemins,elleavaitépouséVander.

Ellechassacedernierdesonesprit.Peut-être le comte avait-il éconduit Flora parce que c’était un ivrogne invétéré, dans le genre de

Chuffy?Ilsemblaittoutefoisyavoirtantdechagrinderrièrel’alcoolismeduvieuxgentleman…ellenepouvaitimaginerunefragilitéémotionnellecomparablechezFrédéric.

Lesromans,cen’étaitpaslavraievie.Lesproblèmeslesplussombres,c’étaitunpeucommelasyphilisoulavermine.Ellenelesabordait

pasdansseslivres.

18

ÉBAUCHE(PREMIERJET):MARIAGE

Ayantgrandidansunorphelinat,Flora ignoraitàpeuprès toutde la vie conjugale.L’imaged’ungentlemanàgenouxdevantellesetélescopaitdanssatêteaveccelled’elle-mêmeenrobedesoie,servieparunmajordomedesvaletsenlivrée.

Flora avait longtemps rêvé d’un homme élégamment vêtu qui prendrait place à ses côtés et lui vouerait une adorationéternelle.

Jamaisellen’avaitimaginécette…cettetorture.Lesdoigtstremblants,elleouvritlepliqueluitendaitleprêtre,levisagecriblédecompassion.(«Criblé»donnel’impressionqu’ilalavérole,cequ’aucunhommed’Églisenedevraitavoir.)Lesdoigtstremblants,elleouvritlepli.Despointsnoirsflottaientdevantsesyeux.Lesmotsdansaientdevantsesyeux.Frédéricavaitchangéd’avis.

Vanderfixalaportedelasalleàmangerquivenaitdeserefermersursonépouse,l’estomacnouéparlaculpabilité.L’espaced’uninstant,avantqueMian’afficheunsourireforcéetneseretire,ilavaitvudeladétressedanssesyeux.

Deladétresse.Etc’étaitsafaute.—Tun’esqu’uncornichon,confirmaChuffy,labouchepleine.Jesaisqu’ellet’afaitchanterettout

lereste,maiscommeonfaitsonlit,onsecouche.Quecomptes-tufaire?Passerlesannéesàveniràlarudoyer?Elleneripostemêmepas.Lecombatn’estpaségal.

Sononcledisaitvrai.Mian’avaitpasriposté.Sonexpressionfigéen’avaitpaspluàVander.Pasdutout.

—Jevaisdevoirtedonnerquelquesleçonsquantàlafaçondetecomporteraveclesfemmes,repritChuffyenagitant sa fourchette.Dieusaitque tamèreétaituneoriginale.Raisonpour laquelle tune lacomprendspas.

Vandersehérissa.—Originale?Elleétaitinfidèleàvotrefrère.Elleaprisunamantetacocufiésonmariauvuetau

sudetous.Jenetrouveriend’originalàcela.Chuffyposasafourchette.—Quellevilainemanièrededécrirelasituation.—Ilenexisteuneautre?répliquaVander,lecœuremplid’amertume.J’aivumamèresepavaner

danslessallesdebalaubrasdecethomme.Ilrestaitdesmoissouscetoit,assisàlaplacedemonpèreàtable.Mêmeenfant,jesavaisquec’étaitmal.

Chaque fois que son père était libéré de l’asile, lord Carrington réintégrait ses pénates. Vandern’avaitjamaisracontéàsonpèrecequisepassaitdurantsesinternements.Sileducavaitsuquechaquefois qu’il sombrait dans la mélancolie au point de ne plus se laver et était enfermé à l’asile, lordCarringtonrevenaitaugrandgalop,sacrinièreblondeauvent,saréactionauraitététerrible.

Ainsi,Vanderétaitdevenulecompliceinvolontairedecetadultère.

—C’étaitcompliqué,observaChuffy,interrompantlefildesespensées.Nousaurionsdûendiscuterplustôt,jesuppose.

—Iln’yarienàdiscuter.Sononcleseleva,pritlabouteilledevinposéesurlebuffetetremplitleverrequ’ilavaitàlamain.—VousêtescenséappelerGauntpourleservice,fitremarquerVanderd’untoncassant.—Tusongessérieusementàmétamorphosercettemaisonenpalaisducal?s’enquitChuffy.Unpeu

tard,non?Certes.Vandertravaillaitpresquetoutelajournéeauxécuries.Iln’avaitcuredesechangerpourle

dîner,même s’il l’avait fait aujourd’hui. Il avait épousé une femme qui s’habillait comme une vieillegouvernante.Sononcleétaitivrelaplupartdutemps.

—Sansdoute,admit-il.—J’adoraismonfrère,déclaraChuffy,quis’adossaaubuffetpoursirotersonvin.Quandnousétions

enfants,ilétaitcommeundieupourmoi:ilmeracontaitdeshistoires,faisaitlesquatrecentscoupsetm’entraînaitdanssesaventuresquandbienmêmej’étaisbeaucoupplusjeune.

Vanderhochalatête.—Jevousensaisgré,dit-ilenselevant.Sivousvoulezm’excus…—Non,reste,lecoupaChuffy.Vandersefigea.Avantcemauditmariage,personne–jamais–neluidonnaitd’ordres.Iln’étaitpas

seulementduc;l’élevagedeschevaux,lescoursesetlesparisluiavaientrapportédesmilliersdelivres.C’étaitluiquicommandait,etnonl’inverse.

—Monneveu.Vanderserassit.—Biensûr,excusez-moi.Jesuisàvotreservice.Ildétestaitévoquersesparents,ildevaittoutefoiscettecourtoisieàsononcle.—Lamaladie de ton père s’est déclarée quand il avait quinze ans, bien que nous ne l’ayons pas

comprisàl’époque,repritChuffy,roulantsonverreentresespaumes.Ilrestaitdeboutdesnuitsentières,racontantdeshistoiresdémentesqu’ilpoursuivaitdurantplusieurs jours.Audébut, je restais avec lui,mais je n’ai pas pu…Je n’ai pas réussi à le suivre, reprit-il après un silence. Il prenait un cheval etchevauchait toutelanuit.L’été,quandnousétionsdanslapropriétéduPaysdeGalles, ilplongeaitdesfalaisesetlescontournaitàlanagejusqu’auvillage.Tuterendscomptedeladistancequ’ilparcourait.

— Il aurait pu y laisser la vie, commenta Vander, les sourcils froncés. Il devait déjà être fou.Forcément.

—Oui,confirmaChuffyquibutunegorgéedevinavantd’enchaîner:Puislescrisesdecolèreontcommencé.Ilexplosaitsansraison.Cen’étaitpaslui,pasvraiment.Jamaisiln’avaitétéainsienfant.Ilétaittoujoursàmescôtés,prêtàmedéfendre.

—Ils’emportaitcontrevous?— Au début, je pensais que c’était ma faute. Que si j’étais un meilleur frère, plus sage, plus

obligeant…ilnesemettraitpasencolère.Hélas,ilsefâchaittoujours.Lescrisetlescoupspleuvaient,venusdenullepart.

Vander se levadenouveau,ne sachantque faireniquedire. Il n’étaitpasdouépour consoler sessemblables.Bontédivine,unelarmeavaitroulélelongdelajouedesononcle.

—J’aiétésoulagélorsqu’ils’estmariéetaquittélamaison,avouaChuffydansunmurmure.Monproprefrère.

—N’importequicomprendrait,assuraVanderquicontournalatableetposalamainsurl’épauledesononcle.Monpèren’avaitplustoutesatête.

—Aprèsmoi,ils’enestprisàtamère,confessaChuffy,posantsesyeuxembuéssurVander.Cederniersentitcommeungrandfroidenlui.

—J’étaissiheureuxd’être libéré,continuasononcle.Maiscelasignifiait justeque,désormais, ilretournaitsaragecontreelle.Tunet’esjamaisdemandépourquoitun’avaispaseudefrèreetdesœur?Oupourquoitamèren’ajamaiseud’enfantaveclordCarringtonalorsqu’ilsontpourtantpasséplusdevingtansensemble?

Vandercrispalesmâchoires.Iln’aimaitpasletourprisparcetteconversation.—Après ta naissance, elle n’a pu avoir d’autres enfants parce que ton père –mon frère – l’en a

privée,confessaChuffyd’unevoixsourde.D’instinct,Vandersedétournad’unpaschancelant.—Avecsespoings,ajoutasononcleavantd’avalerunegrandegorgéedevin.L’estomacdeVandersetordit.Incapabledeseretenir,ilvomitsurleparquet.—Bigre,bougonnaChuffy,jen’auraispasdûteledire.Ilattrapauneserviettesurlebuffetetlajetasurlaflaque.Vanderpritunverred’eausurlatable.—J’auraisdûm’endouter.Commentn’ai-jepascompris?—Ilnel’apasfaitexprès,s’empressadepréciserChuffy.Cen’étaitpassafaute.Lamaladieprenait

ledessus…—Bonsang,sortonsd’ici,bougonnaVanderquiposasonverreavantdesedirigeraupasdecharge

verslaporte.Gaunt,dit-ilaumajordomequ’ilcroisadanslecorridor,j’aivomisurlesol.Adressezmesexcusesàlapersonnequevouschargerezdunettoyage.

—Leveloutédepoisson!s’exclamaledomestique.—Non,non,ilétaitexcellent.Chuffysuivitleducdanssonbureau,labouteilledebordeauxàlamain.—Tuastoujourseucettemaniedevomirencasdemauvaisenouvelle,fit-ilremarquerens’appuyant

auchambranle.Vanderplissalefront.Iln’enavaitpasgardélesouvenir.— Tu étais un indicateur fiable de la folie de mon frère, ajouta son oncle. Quand les crises

survenaient,jesavaisqueturendraistonrepas.Àmonavis,celat’asauvélavieuneoudeuxfois.—Certainementpas,objectaVander,lavoixéraillée.— Tout le monde s’efforçait de te protéger, évidemment, mais tu étais petit, et les enfants sont

terriblement fragiles, n’est-ce pas ?Mon frère insistait pour entrer dans ta chambre, quel que soit lenombredevaletspostésdevantlaporte.Ilétaitvictimedesesdélires,vois-tu.Parfois,ilpensaitqu’ilétaitdesondevoirdetetuer.

Vanderfouilladanssessouvenirs.—Jemesouviensqu’unefoisilm’aprispourunvoleur…—C’estcequenoust’avonsdit,confessaChuffyavecunetristesseinfinie.Pourtant,ilt’aimait.Ainsi

quetamère.Etmoi.Vanderseraclalagorgeetregardasononcledroitdanslesyeux.—Peut-être,maisàquoibon?Iln’apassunousprotéger.S’assurerquenousserionsensécurité.

Plutôtlecontraire,semble-t-il.LeregretledisputaitàlahontesurlevisagedeChuffy.—Jesuiscontentquevousm’ayezavouélavérité,ajoutaVander.C’étaitunmensonge.Chuffyhochalatêteetvidalabouteille.—Jeseraiauxécuries,ditleducquipassadevantlui,traversalevestibule,etsortitdanslanuitpar

laporteprincipale.

19

NOTESSURLEREPENTIRDEFRÉDÉRIC

— Le lendemain du cruel abandon à l’église, l’ami fourbe de Frédéric s’effondre et confesse que Flora ne l’a jamaisembrassé.Cen’étaitqu’unmensonge.

—Frédériccomprend trop tardàquelle situationdésespéréesa terribleJalousie l’amené.Lapertede la femmedesoncœur,etc.

—Seprécipitechezellepourconstaterquel’avouédeM.Mortimerareprispossessiondelamaisonetqu’unenouvellejeunefille(anciennementpauvre)yvitdésormais.

—Horrifié,ilréalisequelagarde-robeetlesbijouxdeFloraontétélivréschezluiavantlemariage.—Ellenepossèderiend’autrequelarobequ’elleportaitpourlacérémonie.—MartyreduRepentir.Ha!—Égaréparlechagrin,Frédéricjurederenonceràsafortune/seschevaux/sesdomestiquesjusqu’àcequ’ilretrouvesa

Bien-aimée.Ilpartàsarechercheàpied,s’appuyantsurlesrécitsausujetd’uneBeautédivinevêtued’unerobedemariéeenloquesquimendiedupain.

Vander se dirigea vers le seul endroit qu’il connût où tout avait un sens. En chemin, il croisaMulberry.Uninstantplustard,ildévalaitlesentierquimenaitauxécuries.QuediablefaisaitencoreMiaauprèsdececheval?AcheterJafiravaitétéuneerreur.Detouteévidence,ilfaisaitpartied’untroupeauetcertainschevauxneseremettaientjamaisd’avoirétéséparésdeleurfamille.C’étaitrare,néanmoinscelaarrivait.

IlpoussalaporteetcourutversleboxdeJafir.IlnevitpasMia,etill’imaginadéjàpiétinéeparcemauditcheval.Soncœurfitundoublesalto,avantqu’ildécouvrequ’ils’étaitinquiétépourrien.

Saduchesseétaitblottiecontrel’étalonleplusimprévisiblequesesécuriesaientjamaisabrité.Elledormaitdusommeildujuste,toutcommeJafir,pluspaisiblequ’ilnel’avaitétédepuissonarrivée.

Dans la lumière blafarde que jetait l’unique lampe, la peau de Mia était aussi blanche que laporcelaine sur le tissu sombre de sa robe, mais plus chaude et soyeuse. Ses cheveux blonds étaientdéployés sur ses épaules, bouclant tels les copeauxdebois dont les palefreniers garnissaient les box.Cette idéeneplairait sansdouteguèreàMia,pourtantc’était lavérité : sachevelureavait lesmêmesrefletsambrésquelesditscopeaux.

Ilfutfrappédeladécouvrirsipetite.Pelotonnéeainsi,lespaupièresclosessursonregardcourageux,elleparaissaitfragile.Unélanprotecteurletraversaaveclaforced’unéclair.Ildevaitlafairesortirdecebox.

—Mia,chuchota-t-il.Commeellenebronchaitpas,ilentrasansbruitdanslebox,sepenchaetlasoulevadanssesbras.

Ellenepesaitpasplusqu’unpoulainnouveau-né.Elledevaitêtreépuisée,carellen’ouvritpaslesyeux.Sajouetombacontresontorseetellesenichaàsonaise,commes’illaportaitainsidepuisdesannées.Ilsortit à reculons, referma laporteendouceuravec legenou, sans réveillerniMia,ni l’étalon.Puis ilregagnalemanoir.

Ilneconnaissaitrienauxfleurs,maisilétaitàpeuprèssûrqu’ellesentaitlechèvrefeuille.Avecunepointe de vanille. À mi-chemin de la maison, elle bougea et fronça les sourcils comme si elle leréprimandaitenrêve.Sespaupièress’ouvrirentbrusquement.

—Quefaites-vous?lâcha-t-elledansunsouffle.—Jevousramèneàlamaison,réponditVanderenresserrantsonétreinte.Ils’efforçad’oublierlesrévélationsdeChuffy,préférantpenseràsachanced’avoirprèsdelui,pour

lapremièrefoisdesavie,unefemmequiétaitsienne.Uncadeaududestin.—S’il vousplaît, posez-moi immédiatement sur le sol, ordonnaMia, le corps rigide, cequi était

beaucoupmoinsagréablequelorsqu’elleétaitpelotonnéeaucreuxdesonbras.—J’aimebienvousporter.—Jepréfèremarcher.—J’aioubliédevous faire franchir le seuilhier,dit-il, amusépar son tonsévère.Autant le faire

aujourd’hui.Ellecommençaàgigoter.—Jenesuispasunjouet,protesta-t-elle,lesmâchoirescrispées.Bon sang, elle avait le plus joli visage qu’il ait jamais vu. Ses traits n’avaient rien d’anguleux ni

d’austère,commechezbiendesfemmes.Enmêmetemps,ildevinaitlaforcedanschaquecontour.—Jenecomprendspaspourquoivousvouscomportezainsi,lança-t-elled’untonglacial.—Pourquoijevousporte,vousvoulezdire?Ilsatteignirentlemanoir.Lesblocsdepierredesmursavaientététaillésparunlointainancêtre(ou

plusprobablementsesserfs)etleurseulevueavaituneffetapaisantsurVander.Sonpèreetsamèreétaientpartis,etaveceuxtouteladouleuretletumultedeleursexistences.Ilétait

mariéàlaVénusminiaturequ’iltenaitdanssesbras,etunjour,ilsauraientdesenfants.VulebrioaveclequelMia avait calmé Jafir, nul doute qu’ils posséderaient eux aussi ce sixième sens qui soufflait àVanderquetelyearlingétaitunfuturchampionetqu’unautre,indolentdenature,seraittoutjustebonàtirerunecarriole.

Del’épaule,ilpoussalaportebattantedescuisinesdésertesetypénétra,réalisanttardivementqueMias’égosillaittoujours.

—Jevousposeraidèsquenousseronsàl’étage,promit-il.Pourlapremièrefoisdepuisdesjours,ilétaitheureux.IlaimaitchezMiasescourbespulpeuses,son

parfum…tout.Ilentraàreculonsdanslasuiteducalequi,parchance,étaitvide.Écarlate,Miasedébattait.Ilsedécidaàlaposersurlesol.Ellepivotaverslui, lesmainssurles

hanches.—Qu’est-cequivousprenddemetransbahutercommeunvulgairepaquet?Vander lui décocha un grand sourire et s’approcha d’elle, se demandant comment une femme

écheveléevêtued’unsacavecuncolmontantornéderuchéspouvaitluiinspirerunteldésir.—Jepensequenousdevrionsfairecommes’ils’agissaitdenotrenuitdenoces.Ellerecula.—Notremariagedemeureranonconsomméjusqu’àcequejevoussupplie,vousavezoublié?C’est

pourtantvous-mêmequil’avezdécrété.Etvousm’avezfaitsigneruncontratàceteffet.—J’aidécidéderomprececontrat,annonça-t-iltranquillement.IlavaitMiaetcomptaitlagarder.Cetteclausestupidedesquatrenuitsdevaitdisparaître.—Ce choix ne relève pas de votre domaine de compétence, objecta-t-elle. Et jamais je ne vous

supplieraipouruneseulenuitavecvous.Sivousvoulezbienm’excuser…Elle se précipita vers la porte qui menait à la salle de bains contiguë à leurs deux chambres et

actionnalapoignée.Envain.Vanderlarejoignit.

—Elledoitêtreferméedel’intérieur.—C’estabsurde!—Toutcommel’idéed’empêchervotreépouxd’entrerquandvousprenezvotrebain.S’il n’avait déjà été émoustillé, il le serait maintenant à la pensée de la peau laiteuse de Mia

dégoulinanted’eausavonneuse.Apparemment, elle avait décidé que la conversation s’arrêtait là, car elle fonça vers la porte du

couloir.Vander la rattrapa, la prit par la taille et la fit pivoter fort d’une certitude aussi bienfaisantequ’unepluiedeprintemps,aussiprécieuseque lavictoiredesonpremierpur-sang :Miaet luiétaientmariés,uneréalitéquiavaitbienplusdevaleurqu’unsimplecontrat.

LachansondeChuffyluirevintenmémoire:Nedispasàl’amour:plustard.Viteunbaiser,matoutebelle:jeunessepasseàtire-d’aile.

Vanderposaseslèvressurcellesdesafemmeetlemiraclesereproduisit:lapassionexplosatelunfeud’artifice.

Sabouchesefitexigeante,celledeMianerésistapasets’ouvritcommeunefleur.Ilglissalesmainslelongdesondospourl’attireràlui.Iltremblaitdedésir,maisétaitencorecapabledeserendrecomptequeMianesedébattaitpasninesongeaitàergoteràproposdesfameusesquatrenuits.Elleluirendaitson baiser avec fièvre, et la danse sensuelle qu’avaient entamée leurs langues incendiait les reins deVander.

AttrapantMia sous les fesses, il la soulevaet laplaquacontre lemur, la tenant suffisammenthautpourserepaîtredeseslèvressanspencherlatête.

Ellelaissaéchapperungémissement,ouvritàdemilespaupières…uneflammesensuellebrûlaitaufonddesesyeux.Vanderfrissonna.Ilavaitl’impressiondeperdrelatêtetantsondésirétaitintense.

—Pourriez-vouss’ilvousplaîtréclamerunenuit?murmura-t-il.Sansattendresaréponse,ill’embrassadanslecou.Ilmouraitd’enviededévorersoncorpsentierde

baisers,delasentirsetordredeplaisirsouslui,del’entendrehurlersonnom.—Chaquefoisquejevoustouche,j’ail’impressiondeperdrelaraison,articula-t-il.Elleavaitvraimentdesyeuxmagnifiques,d’unvertprofondquiluirappelaitleslochsécossais.Ils

donnaientl’impressiondevoircequepersonned’autrenevoyait.—Vousavezvraimentcesséd’écriredelapoésie?—Oui,répondit-elled’unevoixenrouéequinefitqu’exciterdavantageVander.Ilcapturadenouveauseslèvres,luiordonnantsilencieusementdeluidemandersesfaveurs.Ilétait

prêt à toutes les folies, surtout quandMia plongeait les doigts dans ses cheveux en se cambrant à sarencontre. Il la renverserait sur le lit, la caresserait jusqu’à plus soif, et au diable, les quatre nuits !Touteslesnuitsd’uneannéenesuffiraientsansdoutepasàlerassasier.

—Jevousveux.Laphraseavaitjaillidesabouche,simpleetbrutale,commecelled’undébardeuràuneprostituée.—Jecroisqu’ilvaudraitmieux…Illafittaired’unbaiser.Saphrasen’allaitpasdanslabonnedirection.Sansluipermettredeparler,

ilpivotaetsedirigeaverslelit.Ill’yallongeaets’étenditsurelle,pesantdetoutsonpoids.Pourlapremièrefoisdesavie,iln’étaitpastoutàfaitsûrd’êtrecapabled’attendrelapermission

d’unefemme.Choqué,ilroulasurleflanc.—Mia,murmura-t-il,l’indexposésursabouchecharnue.Était-ilendroitd’exigersesfaveurs?Aprèstout,elleétaitsonépouse…—D’accord,murmura-t-elle,lesjouesenfeu.Sivous…sivousenavezvraimentenvie.Vanderladévisageaavecincrédulité.—Sij’enaivraimentenvie?Ilappuyalégèrementcontreellesavirilitéd’uneduretéderoc.

—Jevousdonnel’impressiond’êtreindécis?Ellecilla,déconcertée,puiscoulaunregardàsonentrejambe.Ildevaitluiposerlaquestion,mêmes’ilconnaissaitdéjàlaréponse.Saréactionàsesavancesétait

suffisammentéloquente.Sansdouteavait-elledéjàcouchéavecsonimbéciledefiancé.—Avez-vousdéjàétéavecunhomme?demanda-t-il,s’efforçantd’adopteruntonneutre.Ilcompritinstantanémentqu’ilavaitfaitfausseroute.—Jen’aipaseucetteopportunité,répondit-elle,guindée.Avantqu’ilpuissel’arrêter,Miaseredressaetglissajusqu’auborddulit.—Ce fut très instructif,VotreGrâce,mais jecroisquenousnedevrionspas…mettreà trop rude

épreuvenotrecapacitéàpasserdutempsdanslamêmepièce.Ils’assitetlarattrapaparlataillelorsqu’ellefitminedeselever.—Restezavecmoi.—Jenepréfèrepas.—Jedevaisvousposercettequestion.Elletournalatêteverslui.—Pourquoi?Parcequ’àcauseduchantagequejevousaiimposé,vouspensezquejedistribuemes

faveursàtout-va?—Non,absolumentpas.Unhommetraitedifféremmentune femmesielleade l’expérience,voilà

tout.Bonnombredecouplesanticipentleursvœux.Miapinçaleslèvres.—Celan’apaséténotrecas,àEdwardetmoi.Vanderenressentitunesatisfactionviolente,presque…primitive.—Jem’enréjouis,lâcha-t-ilétourdiment.—Sivousvoulezbienmepardonner,VotreGrâce,jesouhaiteraismeretirerdansmesappartements.

Nousreprendronscetteconversationlorsquenousauronslesidéesplusclaires.Ilraffermitsaprise.—Non.Nousdevonsparler,Mia.Nousnepouvonspas continuer denous chamailler ainsi.Nous

sommesmariésdésormais.NouspartageonslaresponsabilitédeCharlie.—Vousn’avezaucuneresponsabilitéencequileconcerne,objecta-t-elle.—Biensûrquesi.IlestdifficilederencontrerCharliesanstombersoussoncharmeetêtreprêtàen

prendrelaresponsabilité.Vousensavezquelquechose.LabouchedeMiatrembla.—Vouslepensezsincèrement?—D’un autre côté, vous le couvez beaucoup trop. Il a besoin de quitter lamaison, demonter à

cheval,d’apprendreàcôtoyerd’autresgarçons.—Vousn’avezpasidéecombienlesenfantspeuventêtrecruelsentreeux.Celapourraitlebriser.—Jenel’ignorepas,croyez-moi.Etilneserapasbrisé.—Qu’ensavez-vous?Unjour,quandilavaitcinqans,jel’ailaisséquelquesminutesauvillageetà

monretour,ilétaitenlarmes.—Deslarmes,ilyenaurad’autres,déclaraVanderposément.Ilyauradesmomentsdifficiles.Mais

avecnousàsescôtés,ils’ensortira.Ildoitenpasserparlà,Mia.Ildoitgrandiretdevenirunhomme.Pasdemeureruninvalide.

Elle grinça des dents, ce qui le fit sourire. Avec Mia, le mariage promettait de n’être jamaisennuyeux.Ilenroulalebrasautourdesatailleetlaserracontrelui.

—Jeveuxchangerlesconditionsdenotrearrangement.—Jen’yvois aucune raison, répliqua-t-elle, esquivant son regard.Quatrenuits par an, c’est plus

qu’assezpourconcevoirunhéritier.Sicelas’avère insuffisant,nouspourronsreconsidérer laquestion

d’iciunan.Elletentadeluiéchapper,maisillaramenaaisémentcontresontorse.—J’aienviedevous,répéta-t-il,lavoixrauquededésir.Il luipicora l’oreille.Ellesursauta, toutefois,ellenecherchapasàse libéreret ilsentitsoncœur

battreàgrandscoupscontresonbras.—Laissez-moi vous dire comment je vois la chose, poursuivit-il, comme elle gardait le silence.

Nousallonsconsommernotreunioncesoir,parcequec’estcequefontlescouplesmariés.Ilsvontaulitensembleetneselèventpaspendantdesheures.

—Nousnesommespasuncouplenormal,allégua-t-elled’untonsévèrequiluidéplut.—Tournez la tête que je puisse vous embrasser, ordonna-t-il, le visage enfoui dans sa chevelure

parfumée.—L’idéeestinopportune.Diantre,safemmeétaitobstinée.S’ilcherchait lemotdans ledictionnaire,sansdoute trouverait-il

Miaparmilessynonymes.—Nousnesommespasréellementmarietfemme,s’entêta-t-elle.—Si,nouslesommes.Vousêtesmonépouseetvousallezlerester.Etsivouspensezquejenevais

pasvoushonoreraprèsquevousm’avezembrassécommevousl’avezfait,vousfaiteserreur.Elles’éclaircitlavoixettournalatêtejusteassezpourlefoudroyerduregard.—C’estvousquim’avezembrassée,etnonl’inverse.—Non.—Si!Ledésirbouillonnaitenlui,siviolentqueVanderavaitenviedelarenverserdenouveausurlelit.Il

soupçonnaitquecoucheravecMiaseraitcommeréapprendrel’artdel’amour.Maispourcela,ilfallaitêtredeux.—Cebaiserétaitunelongueet lentedescentevers l’oubli,murmura-t-ilcontresa joue.Vousavez

ouvert votre douce petite bouche et mêlé votre langue à la mienne comme si vousme désiriez aussiardemmentquejevousdésire.

20

NOTESSURL’ÉGLISEETL’ABANDON

—Clameuroutréedes invités rassemblésdans la cathédrale.AbbayedeWestminster (réservéeà la famille royale?)St.Paul.

—AncienpasteurtapotelamaintremblantedeFlora.—Lementonfier,ellesoulèvelebasdesarobedemariée.—Est-elleaveugléeparleslarmes?Ruisselanteoudégoulinantedelarmes?Dégoulinantepeut-êtreunpeuexagéré.—Elles’enfuit(portelatérale,nef?)incapabled’affronterlesregardscurieux/lesparentsdeFrédéric.Ontfaittoutce

chemindepuisl’Allemagne?—Jaillitparlaportedederrièresousunsoleilradieux,sonvoileflottesanssonsillage.—Courtcommeunanimalblessé.Uneseulepensée:secacher.—Un charretier aimable l’emmène jusqu’à… (quelque part dans les faubourgs de Londres) et la dépose avec deux un

quignondepain.

Horriblement gênée,Mia sentait son cou se couvrir de plaques rouges. Son mari l’avait à peineregardéeetdéjàlamuraillequ’elleavaitdresséepourdissimulersonamourselézardait.

—Jenevousaipasembrassée,répéta-t-elleavecfermeté.LeregardpétillantdeVanderl’irritaetl’émoustillatoutàlafois.— Après pareil baiser, n’importe quel homme en oublierait avoir jamais embrassé une femme,

assura-t-il.Luiencadrantlevisagedesesmains,illuiinclinadoucementlatête.Ilsjouaientunjeudangereux.TouslesdésirsqueMiaavaitéprouvésdanssajeunesseressurgissaient

commes’ilsnel’avaientjamaisquittée.CommesiVanderétaitleseulhommequ’elleaitjamaisaiméoudésiré.

Ilpenchadenouveaulatêteverselle,toutenglissantlamainsurledevantdesarobe.Elles’écartabrusquement.—Quefaites-vous?—Rien,répondit-iltouteinnocence.—Voustouchezmes…Elleneputserésoudreàfinirsaphrase,etseraclalagorge.S’ilsdevaientconsommerleurunion–

etellen’étaitpasstupideaupointdesefairedesillusionsàcesujet–,ilfallaitétabliruncertainnombrederègles.Peut-êtrequecemariagelabriserait,néanmoinselleéviteraitl’humiliationquil’avaitdévastéelorsqueOakenrotts’étaitmoquédesonpoèmeetdesonbuste.

Vanderpourraitpossédersoncorps.Maispascettepartie-làdesonanatomie.Pascettepartiequ’elleabhorrait.

—Jenevousautorisepasàmetoucheràcetendroit.—Pardon?—Jepréfèrenepasêtretouchéeàcetendroit.

—Vousa-t-oncaresséecontrevotregré?s’inquiétaVander.—Biensûrquenon!serécriaMia,choquée.Personnen’ajamais…etc’esthorsdequestion.Si les traits de Vander se détendirent, son regard avait perdu sa douceur passionnée. Si elle le

regrettait,illuisemblaitcapitaldemettreleschosesaupoint.Ellesavait,carlesfemmesn’étaientpasavaresdeconfidences,queleshommesaimaienttoucherlesseins.

—Pourquoi?insista-t-il.Elles’efforçades’expliquer.—Nousavonstouscertainespartiesdenotrecorpsquenousn’apprécionspas.Ilhaussaunsourcilsurpris.—Ahbon?Leshommes,semblait-il,s’aimaientdelatêteauxpieds.CequinesurprenaitpasMialemoinsdu

monde.—Lesfemmes,entoutcas,précisa-t-elle.Certainesn’aimentpasleursgenoux,d’autresleurspieds

ouleurscheveux.—Votrebusteestexquis.Voscheveuxaussi.Jenepeuxparlerdevosgenouxoudevospiedsqueje

n’aipasencorevus,maissij’enail’occasion,jepourraivousrassurerlàencore.Miaavaitpeineàcroirequ’EvanderSeptimusBrody,leducleplusséduisantd’Angleterre,couvait

latrèsordinaireEmiliaCarringtond’unregardbrûlantdedésir.Pourtant,c’étaitlecas.Deconcupiscence,même.Unefillecommeelle?Unepetitevoixluirappelaqueleshommesétaient

descoureursdejuponsinvétérésquis’adonnaientàlaluxuresanslemoindrediscernement.Toutefois,uneautrevoixluifitremarquerquelesyeuxdeVanderavaientchangédecouleurdepuis

qu’ilss’étaientembrassés.Etc’étaitàcaused’elle.Pasden’importequellefemme.—Mia?Ils’inclinaetlagratifiad’unbaiseraussibrefquedépourvudedouceur.—Pouvons-nousnousmettred’accordsurvotrechevelureetaborderd’autresendroitsplusausud?—Jecroyaisquevousdétestiezmescheveux.—Pourquoidiablepensez-vousunechosepareille?—Vousm’avezditquej’avaislesmêmesquemonpère.Enfait,vousl’avezappelémon«bâtardde

père».Vanderenroulaunemècheblondeautourdesesdoigtssolides.—Jen’aijamaisappréciévotrepère,admit-il.Mais…Chuffym’afaitcesoircertainesrévélations

qui méritent réflexion de ma part. Vos cheveux sont autant de rayons de soleil. Et vos seins sont devéritablesprodigesdelanature.

Miaseraidit.—Jenesouhaitepasenparler.À l’époque où Oakenrott les avait traités de choux, ils étaient déjà développés pour son âge.

Aujourd’hui, ilsétaientencoreplusplantureux.«Prodigesde lanature»n’étaitqu’unemétaphorepeusubtilepour«énormes».

—Pourquoi?—Jeneveuxpas,c’est tout.Jecroisquenousdevrionsattendreavantd’envisager…unecertaine

intimité,bredouilla-t-elle.Uneépousedevraitêtreplus…Elleneputfinirsaphrase,carlabouchedeVandermigraitlelongdesajoue,serapprochantdeses

lèvres.—Continuez,l’encouragea-t-il.Dites-moicequedevraitêtreuneépouse.

Toutefois, au lieu d’attendre sa réponse, il l’embrassa avec une telle fougue queMia ne put ques’alanguirentresesbras.

Lorsqu’ellerouvritlesyeux,ilsétaientdenouveauallongésetlamaindeVanderremontaitlelongdesajambe.Sonregardnequittaitpaslesien,commepours’assurerqu’ellen’yvoyaitpasd’inconvénient.

—Vousmemettezfoutrementenappétit.Foutrement ?Mia avait déjà entendudes fillesde joie crier cemotdans la rue, etmêmeune fois

mémorable,sonpèrelegrommeler.Maispersonnenel’avaitjamaisprononcéens’adressantàelle.—Vous…vousnepouvezdirecegenred’insanité!—Etpourquoicela?—Parcequevousêtesunducetmoi…—Maduchesse.Samainremontalelongdesacuisse.Ellefrémit.— Je n’ai pas grand-chose d’un duc,murmuraVander.Vous devriez le savoir à l’heure qu’il est.

QuandjesuisentréàEton,mamèreavaitdéjàuneréputationdecatindanstoutel’Angleterre.Àl’école,j’aidûmebattre.Monseulamiétaitunbâtard.

Miasefigea,horrifiée.—Lesautresélèvesvousparlaientducomportementdevotremère?Ilsouritcommesiellevenaitdeposerlaquestionlaplusstupidedumonde.— En général, ils ne parlaient pas ; ils se contentaient de m’insulter. Et je répliquais avec mes

poings.—Oakenrott,lâcha-t-elleavecdégoût.Cedétestablepetitcrapaud.—D’oùsavez-vous…C’estvrai, se reprit-il. J’avaisoubliéquevousconnaissiezdéjàcetodieux

personnage.SamainatteignitlapartielapluscharnuedelacuissedeMia.Elleréprimaungémissement–ettout

ce qui pourrait l’encourager à poursuivre son ascension jusqu’à cet endroit secret qui attendait sescaresses.

Vandersouritcommes’il lisaitdanssespenséeset insinua lesdoigtsaucreuxdesescuisses.Miafermalesyeuxavecforceetseconcentrasurl’obscuritédouloureusederrièresespaupières.EtsamaincrispéesurlebrasdurdeVander.

Uninstant,ellesedemandasiunetellecaresseétaitpermiseentreungentlemanetunelady.Puisellechassabienvitecettepensée.Ellen’avaitpersonneàquiposer laquestion.EtellenevoulaitpasqueVanders’arrête.Ellesongeamêmeàécarterlesjambesetàattirersoncorpsmusclésurelle.Cetteimageétaitsichoquantequ’ellesepétrifia.

— J’adore vous caresser là, duchesse, avoua Vander d’une voix rocailleuse mais tendre. J’ail’intentiondevousembrasseraussiàcetendroit.

Ellerouvritbrusquementlesyeux.—Iln’enestpasquestion!Ils’esclaffaetsesdoigtss’activèrentdeplusbelle.LatêtedeMiaretombaenarrièreetellelaissa

échapperunrâleindigned’unedame.Vanderroulasurelle,lalestantdesonpoids,unesensationqu’elletrouvadélicieuse.Ill’embrassa

avecunefièvrequieutviteraisondesesinterdits.Elletremblaitdetoutsoncorps,secramponnaitàsesépaules, suppliant d’abord en silence, puis à voix haute, car elle était en feu et qu’il était le seul àpouvoiréteindrecetincendie.

Soudain,ils’arrêta.Pourquoi?Elleleregarda,leregardembrumédedésir.Elleétaittenduecommelacorded’unarc,vibrantcommeunenotesihautperchéequel’oreillepouvaitàpeinel’entendre.

—Suppliez-moidevousaccorderunedevosquatrenuits,luisouffla-t-il.—Pardon?

Lamainrepritsonaudacieusecaresse.—N’arrêtezpas,murmura-t-elle.—S’agit-ild’unedenosquatrenuits?Dans son cœur, une lame de fond balaya ses dernières défenses, l’ultime once de raison qu’elle

possédait.—Oui!Oui!LaréactiondeVanderfut…blasphématoire.Miraculeuse.Elleeutl’impressiond’êtreuntorrenten

furie,dévalantunepenteabrupteversunedestinationinconnue.Elles’agrippaitàlui,criantsansretenuesoussesdoigtshabiles.Riend’autren’importaitqueledésirbrutquifaisaitpresquegrésillerl’airautourd’eux.Vanderlamenaitversdessommetsdeplaisircommejamaisellen’auraitimaginéqu’ilenexistât.

Ellen’yétaitpasencoretoutàfait,quandilluiretroussasesjupesjusqu’àlatailleet,tellesafemmedechambre lapréparantpour le coucher, entrepritde ladéshabiller.Miaobéissaitdistraitement à sesordres,lesoufflehaché.Levezlesbras.Tournez-vousdececôté.Del’autre.

Soncorsetatterritaupieddulit.Ellerepritcependantsesespritsetplaqualesbrassursapoitrinelorsqu’ilessayadeluiôtersachemise.

—Non!Cemot,ellel’avaitrépétédesmilliersdefois,maisjamaisdansunetellesituation.Etilavaittoutà

coupquelquechosed’intimequ’elleneluiavaitjamaisentendudanssaproprebouche.Nidansuneautre,d’ailleurs.

Enguisederéponse,Vanderselevaetsedébarrassadesachemise.Sehissantsurlescoudes,elleassista au spectacle.Enfant, elle avait l’habitudede s’asseoir sur la clôture et de l’observer lorsqu’ils’occupaitdeschevaux,lorgnantfurtivementsontorse.Iln’avaitpasquinzeansàl’époque.

Ilavaitbienchangédepuis.Laminceurnerveusedesesjeunesannéess’étaitmétamorphoséeenunebeautéathlétiquequiluiarrachaitdesfrissons.Lestraitsdurcisparundésirféroce,ildévoraitsoncorpsdesyeuxsansparaîtreéprouverlamoindreaversion.Ilôtasespantalonspromptementavantdeseplanterdevantelle.

Miaécarquillalesyeux.Levoirnuetensous-vêtementétaittoutàfaitdifférent.Vanderluidécochaunsouriredepurefiertémasculine.—C’estlapremièrefoisquevousvoyezunhommedansleplussimpleappareil?ronronna-t-ilenla

rejoignantsurlelit.Non,ellenerêvaitpas.Ilétaitsurlepointdeluifairel’amour.Elleavaitlavagueimpressionqu’elleétaitcenséefairemontred’uneappréhensiontoutevirginale,

pourtantellen’enressentaitaucune.Ellevoulait le toucherpartout,enfouir lesdoigtsdanssonépaissechevelure,s’emparervoracementdesabouche.

Bien sûr, elle ne pouvait pas se comporter ainsi. Il lui fallait se dominer pour ne pas apparaîtredévergondée. Elle posa donc lesmains avec une chaste délicatesse autour de son cou, les fit glisserjusqu’àsesépaules,espérantquecettecaresseétaitconvenable.

—Nedevrions-nouspaséteindrelalampe?hasarda-t-elle.LesmusclesdursroulèrentsoussesdoigtscommeVanderhaussaitlesépaules.—Pourquoiferions-nouscela?«Parcequel’obscuritéménagelapudeur»,répondit-elleensilence.Maisquelrôlejouaitlapudeur

dans les ébats conjugaux, quand l’homme se permettait des caresses si audacieuses qu’il en arrachaitd’indécentsgémissementsàsapartenaire?

Quipouvaitêtrepudiqueaprèstantdedébauche?Miadécidaderenonceràtouteretenuebienséante.Succombantàlacuriosité,ellefitcourirsamain

lelongdutorsedeVanderjusqu’àcettepartiedesonanatomiequisetendaitverselle.

Ilréprimaungrognementlorsqu’ellepassal’indexsurtoutelalongueur.Aprèss’êtreassuréedesonapprobationd’unbref regard, elle enroula lesdoigts autourde son imposantevirilité, et endécouvrit,étonnée, la douceur soyeuse. Vander laissa échapper un juron. Sans doute chaque homme pensait-ilposséderl’outilleplusimpressionnantqu’unefemmeaitjamaisvu.Etparceque,danslabonnesociété,l’étiquette exigeait de la gent féminine de ne jamais révéler lemoindre détail intime, ces illusions degrandeurperduraient.

Elle avait toutefois peine à imaginer un homme mieux pourvu que Vander. Impossible. Elle n’enrevenaitdéjàpas.Àcettepensée,unfrissond’appréhensionluipicotalacolonnevertébrale.

—Quefait-onmaintenant?chuchota-t-elle,sesmainsremontantsursesépaules.Elleétaitallongéesurledos,jambesserrées,etilsetenaitau-dessusd’elle,lesgenouxdechaque

côtédeseshanches.La situation était embarrassante et l’agréable chaleur au creux de son ventre commençait à se

dissiper.—Larègleconcernantl’intouchabilitédevosseinsest-elletoujoursenvigueur?Miacroisaaussitôt lesbrassursapoitrine.Peut-êtredevrait-elleprendre l’habitudedeporterson

corset sous sa chemise. Elle baissa les yeux ; vus ainsi, ses seins lui paraissaient encore plusproéminents.Unhaut-le-cœurluitorditl’estomac.

Vandersoupira.—Jen’aijamaisfaitl’amouràunefemmehabillée.CefutautourdeMiadehausserlessourcils.—Vraiment?Jecroyaisque lesmessieursentraînaientcertaines femmesdans les ruellessombres

pourlesprendrecontreunmur.Ellevoulaitparaîtreironique,maisneparvintqu’àtrahirunecertainecuriosité.—Jen’aipaseuceplaisir,répondit-ilaprèsunsilenceéloquent.Toutefoisjeseraisravid’enfaire

l’expérience,duchesse.—Non,voyons,balbutia-t-elle.Ilsepenchasurelleetsaboucheeffleuralasienne.—Nousnesommespasdansuneruelle,j’aipourtantl’intentiondevousfairecriermonnom.J’enai

assezdes«VotreGrâce».Vousvoilàavertie.De nouveau, la panique submergea Mia lorsque Vander lui écarta les jambes et lui embrassa

l’intérieurdelacuisse.—C’est…inconvenant,murmura-t-elle,affolée.Ilredressalatête,leregardmachiavélique.—Qu’ensavez-vous?—Je…Ses lèvres lui frôlaient lapeau,se rapprochantdangereusementdesa féminité.C’était trop intime.

Qu’ilmetteenellesamâleanatomieétaitunechose–ellepourraittoujourstournerlatête–,elleavaittoutefois le sentiment que s’il l’embrassait à cet endroit, elle perdrait le peu demaîtrise d’elle-mêmequ’illuirestait.

Elle avait vu juste. Sans préambule, il donna un coup de langue, et elle poussa un cri. Sa boucheavideenflammasessenstelleunebraiserougeoyantejetéesuruntasdepetitbois.Incapabledepenser,ellenepouvaitqu’entortillerlesdoigtsdanssescheveux.Sonsoufflechaudsursapeausuffisaitàlafairefrissonner de la tête aux pieds. Elle lâcha les cheveux deVander et se raidit. Elle avait l’impressiond’êtreunbateauvoguanttoutesvoilesdehorsversunecôtelointaine.

Etsoudain, lemiracleseproduisit :cefutcommeunplongeoneneauprofondedepuisunefalaise.ElleentenditconfusémentlavoixdeVanderquil’encourageaitdetrèsloin,necomprenantqu’aprèscoupcequ’illuidisait.

Lalamedefondlafits’échoueràl’endroitmêmeoùellesetrouvaitdesannéesplustôt:éperdumentamoureused’EvanderSeptimusBrody.

Il se dressa au-dessus d’elle et s’insinua entre ses cuisses en lui murmurant quelques mots. Uneexcuse?Puisilentraenelle.

Mia accueillit avec bonheur cette possession, si inconfortable qu’elle fût. Peut-être plusqu’inconfortable.Ellerepritbrusquementsesespritsetl’arrêta,lesdeuxmainsplaquéessursontorse.

—Non!L’inquiétude avait remplacé d’un coup toute autre émotion. Il y avait un problème. La virilité de

Vanderétaittropimposante,telunbouchonquinerentraitpasdansunebouteille.—Duchesse,vousnepouvezm’arrêtermaintenant,dit-ild’unevoixétranglée.—Cen’estpaspossible,nousnesommespascompatibles,protesta-t-elle,choisissantsesmotsavec

soin.Retirez-vous,jevousenprie.Mia le repoussa. Vander prit une inspiration, mais ne bougea pas. Elle fut prise d’un sursaut de

paniqueprimitive.—Retirez-vous.Vousm’entendez?Nousnesommespascompatibles.Lalueurd’amusementquiéclairaleregarddeVanderl’exaspéraauplushautpoint.— En êtes-vous certaine ? s’enquit-il d’une voix caressante. Parce que moi, j’ai sacrément

l’impressionquenousnouscomplétonsàlaperfection.—Nejurezpas!s’écriaMia,horsd’elle.Elleréalisaalorsqu’endesubtilsva-et-vient,ils’enfonçaitpeuàpeuenelle.—Cessezimmédiatement!siffla-t-elle.Appuyésur lesavant-bras, il se tenaitau-dessusd’elleetsonodeur l’enveloppait :unmélangede

sueur,d’unsoupçondecuiretdegrandair.Sesyeuxn’étaientplusquedeuxfentesd’unbleuintenseetellecompritqu’ilseretenaitauprixd’unénormeeffortdevolonté.

Elleseraclalagorge.—Remettonsl’expérienceàunedateultérieure,suggéra-t-elle.«Comme,parexemple,jamais»,suppliaunepetitevoixintérieure.Vanderexerçadenouveauunelégèrepression.—C’estdouloureux?demanda-t-il,lasondantduregard.C’étaittrop…intrusif.Troprapide.—Cen’estpasdouloureuxàproprementparler.Maisnousnesommespascompatibles.Vousêtes

trop…imposant.Ettropproche.—Vousmerendezfou,Mia,murmura-t-il.Jamaisjen’aiéprouvépareillessensations.Ils’enfonçadavantage.Sespupillessedilatèrentet lorsqu’il inclina la tête,desmèchesbalayèrent

sonvisage.Contretouteattente,ellesentitunevoluptueusechaleursedéployeraucreuxdesonventre.Etsoudain,commeparenchantement,ilneluiparutplusintrusifnitropimposant.Plutôtcommeunepartiemanquanted’elle-mêmequ’elleavaitenfinretrouvée.Uneprésenceàlafoisétrangèreetintrinsèque.

Timidement,ellearqualeshanchesverslui,l’accueillantdavantageenellealorsmêmequ’iln’avaitpasbougé.

—Vousavezlescartesenmain,Mia,articula-t-il,lesoufflecourt.Unpuissantcourantdedésir l’entraînavers lefond.Les jambesrepliées,ellese tenditvers lui, le

corpsagitédefrémissementsdélicieux.Ilsétaientcommelesdeuxpartiesd’untoutenfinréunies.Vander laissa échapper un râle inarticulé, et la vue de son beau visage fiévreux fit définitivement

sombrerMia.Aucomblede l’excitation,ellesecambravers luiavecuncri touten leplaquantcontreelle,parachevantainsileurunion.

La passion contenue deVander put enfin se déchaîner, et il commença à semouvoir en elle avecforce.Lesoufflecoupé,Mias’efforçades’accorderaurythmedecettedansefrénétique.Àpeineyétait-elleparvenuequ’elleseretrouvaunefoisdepluspropulséedanslesmêmesflotsfurieux,lesbrasnouésautourdesoncou,lesjambesenrouléesautourdeseshanches,latêterejetéeenarrière…

Dans un gémissement d’extase, elle s’abandonna au plaisir divin qui la balaya, les ongles plantésdanslesépaulesmuscléesdeVander.

Confusément, elle entendit son souffle saccadé qui sifflait entre ses lèvres. Il donna un vigoureuxcoupdereins,puisundeuxième,plongeantsiprofondémentenellequ’ilsneformaientplusqu’un.

21

DeMlleLucibellaDelicosaàMmePetuniaStubbs11septembre1800

ChèreMmeStubbs,Jevousécrislaprésenteenréponseàvotrelettredu17juinm’informantdevotreintentiondedonneràvotrefilleànaître

– si c’est une fille – le nom d’une de mes héroïnes. Je suis sincèrement honorée d’apprendre que vous avez lu vingt foisEsméraldaoulesMémoiresd’uneHéritière.Etjesuisprofondémentémuedesavoirquemeslivresvousontaidéeàsurmonterlatragédiedudécèsdevotremère.

D’ordinaire, j’hésite à donner des conseils, mais comme vous exprimez le vœu fervent que votre fille ressemble en touspointsàmonhéroïne,jetiensàsoulignerquel’apparenced’Esméraldapeutconduireàpenserquelehérosl’aimepourcetteraison.Teln’estpaslecas:ilaimeEsméraldapoursestendresdispositions,labontédesoncœuretsoncourage.

J’espèrequevotrefilleposséderaelleaussicesqualitésquiluioffrirontunevieplusheureusequelaseulebeautédemonhéroïne.

Jevousadresse,àvous-mêmeetlapetiteEsméralda,mesmeilleurssouhaitsdebonheurdanslavie.MlleLucibellaDelicosa

Mia se réveilla en sursaut, comme lorsque Charlie était bébé et qu’elle l’entendait pleurer de sa

chambre.Vanderétaitétendusurledos,levisagetournédel’autrecôté,leshanchesàpeinerecouvertesparle

drap. Les premières lueurs de l’aube s’insinuaient dans la chambre, juste assez pour esquisser lescontoursdesoncorps,commesilalumièreémanaitdel’intérieur.Desrangsdemusclesparadaientsursonventreenordreparfait.

Si elle avait osé, elle aurait dessiné chacun d’eux du bout des doigts, explorant leurmystérieusejonctionavecsondosetsesépaules,avantdelaissercourirsesmainssursesbrasbrunisparlesoleil.

LecorpsdeVanderétait à l’opposédusien.Pasuneoncedegraisse ; il était commeune réserved’énergiepure,conçupourvaincreleshommesaucombatetdonnerduplaisirauxfemmes.Sesdoigtsladémangeaientdelecaresser,depalpertoutecetteforcebruteàfleurdepeau,auxaguets,prêteàobéiraumoindrede sesdésirs.Elle l’imaginaparcourude frissons, laissant échappermalgré lui lemême râlerauquequelaveille.

Elleretintsamainjusteàtemps.Elles’étaitdéjàridiculisée.Ceseraitdifférents’ilsétaientmieuxassortis. Hélas leurs dissemblances ne pouvaient être plus criantes. Un seul regard suffisait à s’enconvaincre : elle avait le genou grassouillet et la cuisse plus encore. Il devait y avoir des musclesquelquepartdanssesjambes,puisqu’elleparvenaitàtenirdebout,s’asseoiretmarcher,maisilsn’étaientassurémentpasvisiblesàl’œilnu.

Dieumerci,ilnel’avaitpascontrediteausujetdesachemise,mêmesilafinebatistenedissimulaitpas grand-chose dans la lumière grandissante dumatin.Elle voyait sesmamelons et la courbe de son

ventreautravers.Plus bas, à l’endroit où sa chemise était remontée, elle aperçut des taches rougeâtres sur son

entrejambe. Et sur les draps, constata-t-elle non sans embarras. Susan – et le reste du personnel –n’auraientpasdedoutesquantàcequis’étaitpassécettenuit.

Elle s’extirpa du lit avecprécaution, posa le gros orteil par terre sans quitterVander des yeux. Ilrespiraitcalmement, lesbrasau-dessusde la tête,commes’iln’avaitpas lemoindresouci. Ildormaitcommesilemondeluiappartenait,àlui,leducadmirédetous.Autredifférenceentreeux:elledormaittoujoursrecroquevilléeenpositionfœtale.

Unefoisdanslasalledebains,leloquetrabattusurlaportequidonnaitdanslachambredeVander,elles’examinadanslasériedemiroirs.Lanuitdernière,ill’avaitétaléesurlelittelunfestinetluiavaitfait toutesceschosesavecsaboucheetsesmains…Deschosesquil’avaientfaitgémir,pleureret,demanièregénérale,secomportercommeuneidiote.

Larègledesquatrenuitsparanétaitunebonneidée.D’instinct,ellesavaitqueceseraitdouloureuxdebatifoler de la sorte plus souvent.Oh, pas physiquement, non,mais dans son cœur !Faire l’amourpouvaitvitedevenirunedoucehabitude,commeunesortederêveéveilléqui l’amèneraitàcroirequesonmaril’adorait,toutcommeFrédéricadoraitFloradansleromanqu’elleétaitentraind’écrire.

À ladifférenceprèsqueVandern’étaiten riencomparableàFrédéric.Elleavait sansdoutede lachance qu’il se soit souvenu de son nom dans le feu de la passion. En fait, maintenant qu’elle yréfléchissait,cen’étaitpeut-êtrepaslecaspuisqu’ill’appelaittoutletemps«duchesse».

Quant à elle…Mia fixait son reflet d’un air absent, réalisant la vérité : elle était cent fois plusamoureusedeVanderqu’à l’adolescence. Il luisuffisaitdepenserà luipouravoirdespalpitations.Sielleneprotégeaitpassoncœur,ilsebriseraitenmillemorceauxlorsqu’ilnes’intéresseraitplusàelle.La nuit dernière était commeun jeu, lemeilleur jamais inventé, et auquelVander excellait. Ce n’étaittoutefoisqu’unjeu,ellenedevaitpasl’oublier.

Aumoins, lesquatrenuitsétaientàsadiscrétion.Autitredemari, ilauraitpuexigerdesrapportsconjugauxquandbonluisemblait,mêmeensortantdulitd’uneautre.Cettepenséeluidonnaitlanausée.

Unvidebéants’ouvritdevantelle,laconvictionqu’ellenesurvivraitpasàcetteunion.Leshommesavaientunbesoinconstantdevariété ; elle le savait endépitde sa connaissance limitéedes relationssociales.Commentpourrait-ellelerejoindreentrelesdrapssielleavaitventdesesbatifolagesavecuneautre?

Elleseforgeraitunecarapaceindestructible.Oui,elleyparviendrait.Ellen’étaitpaslapremièreàtomber amoureused’unbel homme.Et puis, les choses pouvaient changer enquelquesmois.Peut-êtreVanderseréveillerait-iletréaliserait-ilqu’ilsouhaitaituneépousecommecelledesonamiThorn:unefemmedenobleextraction,aussiexquisequeparfaite.

Ilsdivorceraient…àmoinsqu’ellen’attendeunenfant.L’espaced’uninstant,lapeurs’emparad’elleetsonesprits’affola.Ducalme,s’adjura-t-elle.John

avaitétémariédesannéesàPansy,et ilsn’avaienteuqu’unenfant.Vanderaussiétait filsunique.Ellecomprenait vaguement qu’une naissance exigeait probablement des tentatives répétées sur une longuepériode.

Laclausedesquatrenuitslasauveraitdeceguêpier.

22

NOTESSURL’EXILDEFLORA

—FloraestpersuadéequeFrédéricl’aéconduiteetprivéedesonhéritageparpuremalveillance.(Excellent!)— Après avoir fait durer deux jours son quignon de pain, elle erre sur les chemins d’Angleterre, en loques, transie et

affamée.Àl’articledelamort?Oui.S’évanouitdansunchampdecampanulescoquelicots.« Chère mère, prenez-moi sur votre sein et sauvez-moi des cruels outrages de ce monde cruel », lâcha-t-elle dans un

souffle,tandisqu’unelarmeroulaitsursajouedeporcelaine.—Spectredelamère?Ledouxvisageplanaitau-dessusd’elle,justehorsdeportéedesesdoigtstremblants.«Dansleur

bonté,lescieuxvousprotégeront,machèreenfant,etvousgarderontdel’intimitécruelled’unmariagesansamour.»—Plus que la faim, la soif et le froid, l’aiguillonqui la poussait à se laisser dépérir au trépas était la découverte que

l’hommecensépersonnifiersonBonheurTerrestre–celuidontl’amourauraitdûcomblersoncœuretsonesprit–s’étaitrévéléinfidèle.

—Infidèle?Peut-êtrepas.—Vaurien.Débauché.Roué.—Machiavélique?—Celuiqu’elleavaitvénérésilongtempss’étaitrévélén’êtrequ’uneidolesansvaleur.Cettecruautéavaitbrisélecœur

sensibledecettedoucecréaturequifaisaitlajoieetlebonheurdesafamilleetdesesamis.Tombéedésormaisplusbasquelesplushumblesfillesdetaverne…

—Fillesdetaverne?

Miapritunbain,s’habillaets’éclipsasansbruit.—TanteMia!s’exclamaCharliequandelleouvritlaportedesachambre.RegardezcequeDobbie

saitfairemaintenant!Deboutcontreledossierdusofa,ilbrandissaitunmorceaudepaindevantuncabothirsutequiavait

appuyésespattesavantsursesjambes.—J’apprendsàDobbieàfairedesroulades.Regardez!Roule,Dobbie,roule!ordonna-t-ilauchien.Cederniers’assitsursonarrière-trainetleregarda,haletantavecbonnevolonté.Miaattendit,mais

rienneseproduisit.—Tufinirasparcomprendre,monvieux,lerassuraCharlieavantdelâcherlemorceaudepaindans

sagueuleouverte.—CommentDobbieetWinkyont-ilsdormicettenuit?s’enquitMia.—Ilsétaientravisd’êtreavecmoi,sevantaCharlie.Avant,c’étaientleschiensdelamèreduduc,et

SaGrâceditqu’ilssesententseuls.Jelesailaissésdormirtouslesdeuxsurmonlitetilsnesesentaientplusseulsdutout.

Charlienonplus,songeaMia.Elles’avançaversluietl’embrassasurlefront.Ellesesouvenaitdeschiensdeladuchesse,toilettés

et parfumés, toujours parés de rubans de couleurs vives.Un an après son décès, tous deux avaient lepelagebeaucoupplusbroussailleuxetplusl’ombred’unruban.

Winkytrottinajusqu’àelle.Elles’accroupit,legrattaentrelesoreilles.Ilavaitlespattesaussifinesque les cigarillos bruns que fumaient les valets quand ils n’étaient pas de service. L’âge avait semé

quelquestouchesdeblancicioulà,ilavaittoutefoisleregardencorevifetjoyeux.—Assois-toi,monange,dit-elleàsonneveu.Turisquesdetomber,surtoutsiDobbietedonnedes

coupsdepatte.—J’essaiederesterdeboutlepluspossible.L’exercicefortifieramesjambes,c’estleducquiledit.Mias’assitsurlecanapé.Winkysautasursesgenouxets’yroulaenboule.—Jevaispeut-êtrem’asseoirmaintenant,décidaCharlie.IlpritDobbiesoussonbras,contournalecanapéetpritplaceàcôtédesatante.—M.Gauntpensequ’ilvautmieuxleurinterdirel’accèsausalon,sinonilspeuventallern’importe

oùailleursavecmoi.Imaginez,levieuxmajordomed’avantlesafaitdormirdanslecabanondujardiniertoutel’annéedernière.

—Cen’étaitpastrèsgentil,reconnutMia.J’aientendudirequetulesavaislibérésdelaréserveàpommesdeterre.

Charliehochalatête.—Leducetmoi,onestallésauxcuisinesavant-hiersoir,commeonfait toujours.Nousavonsété

chercherunpetiten-casparcequejesuisenpleinecroissance.—Cequevousfaitestoujours?s’étonnaMia.TuneconnaisSaGrâcequedepuisdeuxjours!—Enfin,peut-êtrepastoujours.Maisnousl’avonsfaitàlamaison,àCarringtonHouse,ethiersoir

aussi, expliquaCharles. Je supposequ’ici, c’est notrenouvellemaisonmaintenant, tanteMia, reprit-ilaprèsunsilence.

Elleseraclalagorge.—Pourl’instant,répondit-ellesansconviction.—LeductrouvequeDobbieetWinkyressemblentàdesœufspoilus,ditCharliequipritDobbiepar

lespattesavantetfrottasonnezcontresatruffe.Tun’espasunœufpoilu,hein,monvieux?Dobbieluiléchaobligeammentlafigureenlaissantéchapperunpetitjappement.—Nelelaissepastelécherlabouche,conseillaMia.EllereplialesjambesetcalaWinkyaucreuxdesonbrasgauche.Ceschienssontpluspetitsquetune

l’étaisàtanaissance.—Vraiment?Charles,quitentaitd’éviterlescoupsdelangueeffrénésdeDobbie,n’arrêtaitpasdeglousser.—Tuavaisunventretoutrond.Leducaraison:sanstouscespoils,Winkyneseraitguèreplusgros

qu’unœuf.Unœufdegrandetaille,biensûr.—Unœufd’autruche?suggéraCharlie.Uneautrucheestunénormeoiseauquinepeutvoler.Detous

lesoiseaux,c’estellequipondlesplusgrosœufs.—Etoùviventlesautruches?—Jenem’ensouviensplus.PasdansleBerkshireentoutcas.Mamèreétait-ellelààmanaissance?Miaouvritlaboucheetlareferma.Charlieétaitdetouteévidenceencoreàl’âgeoùl’ontrouveles

bébésdansleschoux.—VousvoulezquejevousmontrecommentjefaisdanserDobbie?enchaîna-t-il,saquestiondéjà

oubliée.Regardez!—Jecroisquejevaisallerfaireuntourauxécuries.Peut-êtredevrais-tu travaillerà tarédaction

pourlepasteur.—Non, je veuxvous accompagner aux écuries. J’ai envie de voir ce pur-sang arabe sauvagequi

n’aimequevous.Mary,labonnequis’occupedemoi,m’araconté.Sonnomsignifietempête,ouquelquechosedecegenre.Unjour,jelemonterai.

La tête deMia semit à tourner. Charlie envisageait demonter Jafir ? Jamais. Elle s’y refuseraitjusqu’àsonderniersouffle.

Ilselevad’unbondetcalasabéquillesousl’aisselle.

—Allons-y!WinkyetDobbiepeuventveniraussi.—Winkyfaitsasieste,ditMiaquidéposalepetitchienrouléenboulesurlecanapé.—C’estparcequ’ilestplusâgé.Winkypourraitêtreungrand-père.Leducditquesamèreapris

DobbiecommecompagnonpourWinky.—Attendsuneminute.Jevaisdemanderàunvaletdeteporterjusqu’enbas,proposaMia.—Jepeuxdescendrel’escaliertoutseul,ripostalegarçonquimarchaavecautoritéjusqu’àlaporte

etl’ouvrit.Venez,tanteMia!LecœurdeMiaseserra.Ilallaits’agripperàlarampeetdescendrelesmarchesàreculons,unepar

une, avec une lenteur insupportable. Il lui faudrait une heure pour atteindre le rez-de-chaussée. Etégoïstement,elleavaitenvied’unetassedethéetd’unpetitdéjeuner.

—Charlie,as-tumangé?demanda-t-elle.—Pasencore,répondit-ilenclopinantdanslecouloir.L’escaliersedéployaitenunélégantarcdecercle.—Es-tucertaindenepasavoirbesoind’unvalet?Ilt’emmèneraitenbasenunriendetemps.Charliesecoualatête.—Jesuistropgrand.C’estSaGrâcequil’adit.—Leduc?Etquen’a-t-ilpasdit?—Vouspouvezm’attendreenbas,ordonnaCharlieavecautorité.«Ilgrandit,c’estnormal»,serassuraMia.—Dobbie,vaavectanteMia.CommelechienbatifolaitautourdesjambesdeCharliesanstenircomptedesoninjonction,Miale

pritdanssesbras,puisdescenditlesmarchesenréprimantunsoupir.Ilfallaitqu’elleaitunediscussionsérieuseavecVander.IltraitaitCharlieavecuneindifférencecavalière,feignantdecroirequec’étaitunenfantordinaire.

Alors qu’elle arrivait dans la courbe,Mia leva les yeux pour voir où en était son neveu. Il étaittoujourssurlepalierduhaut,découvrit-elle,etfaisaitsigneàunvaletaurez-de-chaussée.

—C’estRoberts,luicriaCharlie.Dépêchez-vous,tanteMia,oujevaisvousbattre!Avantqu’elleaitcomprisdequoiilretournait,ilcoinçasabéquillesouslebras,lançalajambepar-

dessuslarampeetglissaàtoutealluresoussonnez.MiapoussauncrietlâchaDobbiequi,parchance,tombasursespattes.Aboyantcommeunfou,il

dévala les marches, oreilles au vent. Mia, elle, cessa de respirer, jusqu’à ce qu’elle voie RobertsrattraperCharlieavechabileté.

Elle s’effondra sur une marche, la main plaquée sur son cœur qui battait la chamade. Dans levestibule, Charlie sautillait sur le dallage de marbre noir et blanc comme s’il n’avait pas failli sefracasserausol.Ouperdrelavie.

—Nevousinquiétezpas,fitunevoixgravederrièreelle.Mia se retourna à demi, la gorge tellement nouée qu’elle fut incapable d’articuler unmot.Vander

glissalamainsoussonbrasetl’aidaàserelever.—Lesenfantssecramponnenttoujoursplussolidementqueleursparentsnel’imaginent.Etsinousle

rejoignions?Elle ne répondit pas. Elle devait avoir une discussion avec Charlie. Dorénavant, interdiction de

touchercetterampe.S’il luiprenait l’enviederecommencercettefolie, ilseraitsévèrementpuni.Ellel’enfermeraitàdoubletourdanssachambre.

Cetteidéeàpeineformulée,ellesecabra.Charliepassaitdéjàtropdetempsàl’intérieur.Ilavaitleteintd’unepâleurmaladive.

ElleserenditcomptequeVanderluitenaittoujourslebras.Lesfrissonsdepaniquecédèrentlaplaceàunechaleurbienfaisante.

—Jesuisdésolée,souffla-t-elle.J’étaisterrifiéepar…cequ’afaitCharlieetjen’aipasentenducequevousvenezdedire.

—Jedisaisjustequevotreneveuestunpetitgarçoncourageux.Jesuisfierdelui.—Vousêtes…fierdelui?Lorsqu’ils arrivèrent au rez-de-chaussée, Charlie était déjà sorti par la porte d’entrée que Gaunt

tenaitouverteetlesattendaitenhautdestroisdegrésenpierreduperron.Ilseretournaavecunsourireespiègle.

—Regardez-moi!lança-t-il.Puis,avantqueMiaaitletempsdedireouf,illâchasabéquilleetsauta.Ellehurladenouveau.QuandCharlietouchalesol,sonpieddroitnesupportasonpoidsetils’affala

latêtelapremièresurlespavés.—Oh,monDieu!criaMiaendévalantleperron.Vander l’avait précédé. Il s’agenouillait déjà près de Charlie qu’il retourna avec douceur. Une

éraflure sanguinolente lui barrait le front et il avait les paupières fermées. Une dague d’angoissetransperçalecœurdeMiacommeilgardaitlesyeuxclos.

—Charlie,ditVander,vouseffrayezvotretante.Ouvrezlesyeux.Miaselaissatomberàgenoux.—Monchéri?Legarçoncilla.—Jemesuisfaitmal.LecœurdeMiaseremitàbattre.C’étaitlavoixdesonpetitgarçonquandilsecognaitl’orteilouse

tordaitlepoignetpouramortirsachute.Iltombaitdepuisqu’ilsavaitsetenirdebout,maisjamaisellenel’avaitvuprendreunrisqueàdesseincommeaujourd’hui.

Pourladeuxièmefois.—Regardez-moi,CharlesWallace,ordonnaVanderd’untonsévère.Charlieobtempéra.—Cequevousvenezdefaireétaitstupide.Vousn’aviezaucunmoyendesavoirsivotrejambevous

supporterait.Vousauriezpuvousassommersur lespavés,ouvousempaler survotrebéquille.Etagirainsisouslesyeuxdevotretanteétaitunmanquederespectenverselle.Jesuisdéçu.

—Celan’aurait fait aucunedifférencesi jen’avais rienvu, intervintMia, lavoixchevrotante.Tudoismepromettredenejamaisrecommencer,Charlie.Jamais!

Legarçons’assit,frottantsajambefaible.—Jenedeviendraipasfortsijenememetspasàl’épreuve,répliqua-t-ild’unairbuté.—C’estvrai,admitVander.Vousdevezcependantprocéderavecintelligence.Votrejambedoitêtre

assezsolidepoursupportervotrepoids.Charlie hocha la tête avec une moue adorable qui fit fondre Mia. À deux ans, il affichait cette

expression chaque fois qu’il s’efforçait de marcher. Les médecins affirmaient qu’il n’y parviendraitjamais.Ilssetrompaient.

—Vous savez tomber et rouler.Vous devez avoir cettemême confiance en vous avant de prendren’importequelrisque,expliquaVanderquireleval’enfant.Voussentez-vouscapabledemarcher?

—Oui,assuravaillammentCharlieens’appuyantcontreleduc.Miatamponnal’égratignuresursonfrontavecsonmouchoir.Puiselleramassalabéquilleet lalui

tendit.Les larmes s’accumulaient au fondde sagorge et ellemourait d’enviede l’étreindre,mais soninstinct lui souffla de s’abstenir. Charlie avait besoin des conseils d’un homme adulte et personne nel’étaitdavantagequeVander.

Ce dernier s’accroupit de nouveau et tâta la jambe de Charlie. Mia se détourna. Voir Vander sepencherainsisursonneveusanspréventionnicommisération…voilàquiétaitaussidangereuxpourson

pauvre cœur que leurs ébats de la nuit passée. En fait, ses défenses s’en trouvaient abattues aussisûrementqu’aveclapluspuissantedesarmes.Elledécidaderentrer.

Unegrandemains’enroulaautourdesonpoignet.—Oùallez-vousdonc?Charliesecalasursabéquilleettestasajambe.—Vousaviezditquenousallionsauxécuries,tanteMia.S’ilvousplaît,nerentrezpas.—Tum’asfaitvraimentpeur,ditMia.Lesmotsétaientsortismalgréelle.—Présentezvosexcuses,CharlesWallace,ordonna leducd’un tonposé.Vousavezde lachance

d’avoirquelqu’unquivousaimeautantquevotretante.L’undesdevoirsd’unhommedanslavieestdes’efforcerdenepaseffrayerceuxquil’aiment.

Charlieméditalaleçonuninstant,puismurmura:—Jesuisdésolé,tanteMia.Illâchasabéquille,sautillaverselleetenroulalesbrasautourdesataille.Une larme roula sur la joue deMia. Son regard croisa celui deVander par-dessus la tête de son

neveu.Elleluiadressaunpâlesourire.—Bonjour,bonjour!lançaChuffy.Ilsortaitdumanoird’unpasguilleretetdescendit lesmarches.Cematin, ilarboraituneredingote

noireentre lespansde laquellesedevinaitungiletd’unmauve tapageur. Il tenaità lamainunecannepourpreavecunegrossepierretailléeenguisedepommeauqu’ilbalançaitavecl’allégressed’unhommesanssouci.

Et sans migraine en dépit de tout le brandy qu’il avait ingurgité, ce qui, selon Mia, relevait dumiracle.

—VoiciM.Charlie,jeprésume!Legarçons’écartadeMiaetcontemplalenouveauvenuavecstupéfaction.—Regardez!Nousavonstousdeuxbesoind’unejambederechange!s’exclamaChuffyenagitantsa

canne.—Cen’estpasunebéquille,fitremarquerCharlieavecunepointededédain.Chuffylafittournoyerdanslesairs.—Non,parcequejepeuxfairececiavec.Êtes-vouscapabled’enfaireautant?Il recommença. Charlie éclata d’un rire enfantin. Il s’agrippa d’unemain à la manche deMia et

essayadefairetournoyersabéquille.Personnenes’étonnaqu’elletombebruyammentsurlesol.Chuffypromitdeluiapprendreàfairetournersabéquilledanslapaumedesamain.

—Lesgarçons aupensionnat vont adorer, assura-t-il. Il vous faudraunebéquille avec l’équilibreadéquat,biensûr.Pasd’inquiétude:jeconnaistouslesfabricantsdecannesdeLondres.Vousêtestombédanslabonnefamille,mongarçon!

—Pourrions-nousnousrendreenfinauxécuries?s’impatientaVander.—Nefaitespasattentionàlui,ditChuffyàCharlieenluidécochantunclind’œil.Lesgensluien

accordent beaucoup trop depuis qu’il est duc. Il en a le cerveau empoisonné. Pensez-vous me battrejusqu’auxécuries?Ellessontjustelà-bas,audétourdel’allée.

—Évidemment!s’exclamaCharlie.Maisvousdevezmelaisseruneavanceparcequejesuisplusjeune.

—Vousnecroyezpasquejedevraisavoirunavantageparcequejesuisplusgros?—Non,décrétalegarçon.Etjemériteaussiplusdetempsparcequej’aiunejambeenmauvaisétat.—Etmoi,j’ailecorpsenmauvaisétat,rétorquaChuffy,impitoyable.Jesuisloindepouvoirboire

autantqu’autrefois.Aucunavantagesurcefront.—Moi,jesuisorphelin!s’exclamaCharlie,triomphant.

—Moiaussi!répliquaChuffyenagitantsessourcilsbroussailleux.Bond’accord,j’acceptedevouslaisserunpeud’avance,parpurebontéd’âme.

Charlieluidécochaunsourireravietpartitaussivitequepossibledesonpaschaloupé.Dobbielesuivit,aboyantcommeunfou.

—C’estunbongarçon,déclaraChuffyentapotantlebrasdeMia.IlattenditqueCharlieaitparcourulamoitiéduchemin,puiss’élançaàsasuite.—Sij’aibiencompris,vousemmeniezvotreneveuauxécuriesafindeluiprésenterJafir,lecheval

leplusagressifdemonharas?s’étonnaVander.—Jafirn’estpasagressif,objectaMia.Elles’efforçaitd’oublieràquelpointellemouraitd’enviequeVanderluilâchelebrasetl’embrasse.

Commelanuitpassée.Leduclaregardaenhaussantlessourcils.—Cen’estpaslepremierchevalquejechoisiraispourCharlie.— Il n’est absolument pas question qu’il lemonte ! Je voulais d’ailleurs vous en parler. Je n’ai

jamaismisCharlie surLancelot. Il serait incapabledemonterunvrai cheval.Unponey,peut-être.Unpetitponey.Decettetaille-là,précisa-t-elleenindiquantdelamainlahauteurrequise.

—Celan’existepas;vousparlezd’ungrandchien.Elleperçutl’amusementdanssavoixetserenfrogna.—Danscecas,ildoitapprendreàmonterLancelot.Jesuistrèssérieuse.—Moiaussi,jesuissérieux.Charliedoitalleràl’école,etjetiensàm’assurerqu’ilsoitlemeilleur

cavalierd’Etondès la rentrée.Nous luienverronsunpur-sang là-basafinque lesautresélèves soienttémoinsdesesprouesses.

Miapritunebrèveinspiration.— Justement, c’est un autre point dont je souhaitais discuter. Charlie ne peut aller à l’école, et

certainementpasdansunpensionnat!—Biensûrquesi.Vandernepouvaitpascomprendre.IlignoraitquellescruautésCharlieavaitdûaffronter–ycompris

delapartdesapropremère.Chuffyetsonneveuavaientdisparuaudétourdel’allée,nota-t-ellesoudain.—Charlienepeutpas…Elles’interrompitencroisantleregarddeVander.Soussespaupièreslourdes,iltrahissaitleurtoute

nouvelleettroublanteintimité.Lafroideautoritéavaitdisparu,remplacéeparunabandonsensuelqu’elledécouvraitàpeine,mêmesisoncorpsyrépondaitinstantanément.

—CharlieseplairaàEton.PosantlesmainssurlesbrasdeMia,ill’attiraàlui.—Vousavezquittémachambresansmesouhaiterlebonjour.—Vousdormiez.—Laprochaine fois, réveillez-moi, suggéra-t-ilavecuneexpressionqui transformasesgenouxen

guimauve.Jeconsidèrequecelafaitencorepartiedemanuit.—Votrenuit?—Mapremièrenuit.

23

NOTESSURLASCÈNEDELAMORTIMMINENTE

—Floragîtparmilescoquelicots,sablondechevelure,etc.Tremblante,blême,savoixmélodieuseréduiteàunmurmureplaintif.N’amangéqu’unœufdetoutelajournée.Cru?Beurk.Unœufdecolombe?Ilpleutàverse.Leslarmesdesanges.

—Frédéricl’acherchéeàtraversl’Angleterre.Exagérédedirequ’ilnesurvivraitpaslongtempsàsamort.Sansdoute.—IlrenonceàquelquespasàpeinedeFloraévanouie.Pâleetamaigri,maîtrisantsonchagrin,sesmouvementsgracieux

réduitsà…(trouverquelquechose).—Tombeàgenouxàquelquespasdesabien-aiméeetprieafinqueleTout-Puissantluidonnel’espoirlepluscheràson

cœur:saFlora.«Laforcedemessentimentsm’aplongédanslaperplexitéetl’impatience.TelunvilIndienimbécile,j’aijetéauloinuneperleplusprécieusequetouslesmesbiensdematribu».(UneautrepetitetouchedeShakespeare1.)

—SiVousmelarendez,ôSeigneur,jedeviendrail’humbleserviteurdesaleçond’amourquotidienne.QuelsquesoientlessentimentssuscitésparFloradanslecœurdesesadmirateurs,jerespecteraiethonoreraisonamourfidèle.

—Vousnecomprenezpas,insistaMia,ignorantletoncaressantdeVander.Elledutfaireuneffortpourserappelerlesquestionsimportantesqu’ellesouhaitaitaborderaveclui.

Parcequelorsqu’illaregardaitainsi,elleavaitjusteenviederépondreàsondésir.Desejeterdanssesbrasetd’attirersonvisageverslesien.

Lanuitdernière,elles’étaitsentiesensuelle,désirableet…presquebelle–cequineluiétaitplusarrivédepuis…fortlongtemps.

—Nousnedevrionspas,murmura-t-ellecommeilresserraitsonétreinte.—Unsimplebaiser,souffla-t-il.Audébut,sabouchenetouchamêmepascelledeMia.Elleplongeadanssoncouetilluiprodiguade

délicieuxpetitscoupsdelanguequiluidonnèrentlevertige.Ellevoulutdirenon,selibérer.Aulieudequoi,ellenoualesmainssursanuqueetrenversalatête

enarrière,savourantlafaçondontill’enlaçaitcommesielleétaitaussidélicatequ’unefleur.Soudain,lapaniquelasaisit.Ellesecomportaitcommeunedévergondéedevantlemanoiroùtoutle

mondepouvaitlavoir.Lesdomestiques.Gaunt.—Arrêtez,chuchota-t-elle.Charliedoitm’attendreauxécuries.—Fortbien,ditVanderavecflegmeenlalâchant.Jevousaccompagne.Lesouriredont il lagratifiaétaitpleindesous-entendus ; il reconnaissait ledésirqui lespoussait

inexorablementl’unversl’autreavecunefranchiseinimaginable.QuantàMia,ilsuffisaitqu’elleregardesabouchepourrêverqu’ill’embrasse.Plusquecelamême.

Elle voulait connaître de nouveau la félicité de la nuit passée, lorsque leursmembres s’entremêlaientaveclafluiditédel’eau,lorsquesescaresseslatransportaientdansunetranseinsoucianteoùellen’avaitnulbesoindes’inquiéterdesasilhouetteoudesonbuste.Nideriend’autre.

Oùellepouvaitêtre,toutsimplement.Ilsatteignirentlesécuries,maisaulieud’yentrer,Vanderl’entraînaàl’arrière.—Oùm’emmenez-vous?s’étonnaMia.

Quand ilseurentcontourné lepignon,et furentdonchorsdevuedumanoir,Vander la souleva, luiplaqua le dos aumur et captura sa bouche avec fièvre. Une ardeur dévorante s’était emparée d’eux.Vanderécartalatêtejusteassezpourluichatouillerleslèvresdesalangue,luiarrachantungémissementquilafitretomberbrutalementsurterre.

—Non!—Personnenepeutnousentendre,assura-t-ild’unevoixenjôleuse.Cebâtimentn’estplusutilisé;il

esttropancienetdangereux.Ellesuccomba. Ilscommuniquaientsansparoles, justeavecdesmurmuresgourmands,étourdispar

uneémotionaussiprimitivequel’aviditépure.Quel’amour.Mia remarqua à peine queVander lui retroussait ses jupes ; tout ce qu’elle percevait, c’était son

propresouffle,bruyant,etcevideenellequileréclamait.Chacunedesescaressesattisaitl’incendieaucreuxdesescuisses,luidérobantsesmoindrespensées.L’étoffelégèredesarobeneconstituaitenrienunebarrière.Vanderse redressa justeassezpourcroisersonregard. Il lasoutenaitd’unemainglisséesoussesfesses,del’autre,ils’affairaitàdéboutonnersespantalons.Mianesongeamêmepasàprotester.Elleattendait,lecœurbattant,lecorpsenfeu.

LesyeuxdeVandernequittaientpassabouche.—Ilfautquejevousprenne,articula-t-ild’unevoixrauque.J’aienviedevous.Sonbeauvisageavaitcédélaplaceàunmasquefarouche,presquecruel.Sesdoigtslacaressèrentet

ellelaissaéchapperunpetitcri.Puisilentraenelle.Lagênedelaveillesemuaendouleur…quoiqu’unedouleurexquise.Ellecrispalesmainssurses

épaules.Ils’arrêtaaussitôt,lesoufflecourt,lefrontappuyécontrelesien.—Désolé,grogna-t-il.C’esttroptôt?Demanièreirrationnelle,Miarefusaitqu’ilsecontrôlesuffisammentpourêtrecapabledepenser,de

parler,delaquitter.Ellesepenchaversluietglissasalangueentreseslèvrescommesiellel’avaitdéjàfait une centaine de fois. Dans la foulée, elle enroula les jambes autour de ses hanches et, d’unevigoureuseondulationdubassin,accueillitenellesavirilitéd’acier.Uncrijaillitdesagorge,aussitôtétoufféparVander.Ill’embrassait,maiselleenavaitàpeineconscience.Ilsepressaitcontreelledetoutsonpoids, lui écartant largement les cuisses, et sonva-et-vient ensorcelant faisait naître dans tout soncorpsdedélicieusessensations.

Elles’arrachaàseslèvres.—C’estbon,ronronnaVander.Ilglissaitaisémentenelle,àprésent,l’emportantinexorablementenhautdelacrêteduplaisir.Ellebasculadansl’abîmeensecabrant.Vandercueillitauborddeseslèvressoncridejouissance.

Ellesecramponnaitàluicommeàunradeauaucœurdelatempête,lecorpsagitédesoubresautsaussivoluptueuxqu’incontrôlables.

Vanderréponditparungrognementpresqueanimaletredoubladevigueur,lapilonnantcommesisavieendépendait.Perducorpsetâmedansleplaisirqu’elleluiprocurait, il l’étreignaitavecforce.Enréponse,elleresserral’étaudesesjambesetsecambraàsarencontre.

Unmots’échappadelabouchedeVander;danslefeudel’action,ellen’yprêtapasgarde.Leursregardssecroisèrentetl’incendiel’embrasadeplusbelle.Àchaquecoupdeboutoirsondosheurtaitlemurrugueuxcontrelequelillamaintenait.Elleauraitdesbleusmaiss’enmoquait.Seulsimportaientlachaleurtorridequisediffusaitdanssoncorps,labouchequidévoraitlasienne,legrondementd’extasedeVanderlorsqu’ils’enfonçaunedernièrefoisenelle.

Miaouvritlesyeuxetfixalesavant-toitsau-dessusdesatête.Sonesprits’efforçaderassemblerlespièceséparpilléesdesonêtre.Lanuitdernièreavaitétémerveilleuse,cependant,rétrospectivement,elle

était demeurée civilisée. Là, c’était un accouplement pur et simple, avec son lot de sueur et deahanements.Unégarementincompréhensible.

Aumoins n’avait-elle pas été seule.Elle jeta un coupd’œil àVander ; il semblait aussi stupéfaitqu’elle.Ilseretiraendouceur,puisladéposasurlesol.Sesjupesretombèrentautourdesesjambes,sifaiblesqu’elleduts’agripperàluipournepass’effondrer.

Lanuitpassée, il s’étaitmontré tendre,sensuel,apaisant, luimurmurantdesparolesderéconfortàl’oreille.

Aujourd’hui,iln’avaitprononcéqu’unmot,unmotqu’elleavaitduresteàpeineécouté.Etquiluirevintsoudain:goulue.Elleleregardasereboutonneraveclesentimentdeseretrouverlaproied’unesortederêveétrange.Goulue.Lemotenflaetenflaencore,jusqu’àoccupertoutl’espacedanssatête.Lesfourmillements

qu’elleressentaitàprésentn’avaientplusriend’agréable.—Quevouliez-vousdireparlà?murmura-t-elle.Parcemot?Vander releva lentement la tête et croisa son regard. Chose rassurante, il paraissait aussi ébranlé

qu’elle.—Quelmot?Ildévisageait sonépouse, s’efforçantdecomprendrecequivenaitde sepasser entre eux. Il avait

connuquantitédefemmes;illesgoûtaittelsdesmetsàunbanquet.Ilpouvaitpasserdesheuresàentraîneruncheval,maisneconsacrait jamaisautantdetempsàune

femme. Aucune de ses liaisons n’avait duré plus de quelques mois. Soit ses maîtresses exigeaientdavantage,soitils’ennuyaitenleurcompagnie.

L’expérience actuelle était inédite. Et il était loin d’être repu. Quoique encore tout tremblant, iln’avaitqu’uneenvie:larameneraumanoiretrecommencersanstarder.

Unhommepouvaitseperdreavecunefemmepareille.Ilpouvaitseretrouverliéàelleaupointd’enperdrelaraisonsiellelequittait.

Commesonpèreavaitsombré.—Vousavezdit«goulue»,réponditMiad’unevoixenrouée.Dieuqu’elleétaitbelle!Sonchignons’étaitdéfait,etsasuperbechevelurecascadaitàprésentsur

sesépaules.Sapeauétaitd’unrosedélicat làoùsabarbenaissante l’avait irritée. Ilnese lassaitpasd’admirersonnezparfait,sonmentonvolontaireetsesyeuxmagnifiques.D’oùtenait-ilqu’ilpréféraitlesyeuxbleus?Iladoraitlessiens,d’unvertaussiprofondqu’untorrentdesHighlandsreflétantlespins.

Iln’yavaitriendesolairenidedouxchezMia.Ellen’étaitqueprofondeurssecrètesetpassion.Àlaseulevuedesabouchepulpeuse,l’excitationlegagnaitdenouveau.

C’étaitinacceptable.— Je trouve le terme approprié, répondit-il d’un ton plus dur qu’il ne le souhaitait. Je vous ai

embrochéecontrelemuretvousenvouliezdavantage.Bontédivine,sije…Ils’interrompit.Qu’est-cequiluiprenaitdes’adresserainsiàunedame?Pasjusteunedame,mais

sapropreépouse?Mias’empourpra,puispâlit.Elledéglutitsiviolemmentqu’ilvitsagorgeonduler.Elleinclinalatête

sibienque ses cheveuxdissimulèrent ses traits.Quandelle se redressa, son regardétait calmeet sonvisagedénuéd’expression.

Elleneparaissaitnifurieuseniblessée.Etpourtantellel’était.Vanders’agaçadelireenellecommedansunlivreouvert.Peuluiimportaitdesavoirqu’unefemme

était fâchée.S’il l’avaitdéçueou luiavaitdemandéplusqu’ellen’étaitprêteàdonner, libreàelledepartir.

Ouàlui.

Saufqu’ilsétaientmariés.Ni l’unni l’autrenepouvaitpartir.Pireencore, ilnevoulaitallernullepart.C’étaitcommesileurallianceavaittenduunechaîneentreeux,carmêmemaintenant,aprèsl’avoirinsultée,ilmouraitd’enviedel’emmenerdanssonlitetdel’honorer.

Cettedécouvertedéclenchaenluiunspasmedepanique.Ilsemoquaitdesabouchepulpeuse,desonnez parfait, de ses yeux magnifiques. Il ne voulait pas d’une femme dont il devinait si aisément lessentiments,aveccettedouceurdansleregardetàtouslesendroitsqu’ilfallait.

—Certaines femmes apprécient un sexe vigoureux et semontrent goulues.Et les hommes adorentcela,déclara-t-ilenserajustant,savirilitérefusantmanifestementdeluiobéir.C’étaituncompliment.

—Uncompliment,répétaMia.Ellelissasesjupes,tirasursoncorsage,dontletissusetenditsursesseins.Prisd’unnouvelaccès

defolie,Vanderdutseforceràdétournerleregard.Jamaisiln’avaitfaitl’amouràunefemmesansmêmeluitoucherlesseins.

Sansdouteunenouveautédumariage.Aucunealliancene l’attacheraitàunefemme,pasmêmeunefemmequiledévoraitdesyeuxcommesiellenevoulaitriend’autrequeluiaumonde–sansqu’ilsoitquestiondetitreoud’argent.

Etquilecontemplaitcommes’ilétaitunroi.— Bien, duchesse, nous sommes d’accord pour considérer que cet épisode est inclus dans notre

premièrenuit?Aprèstout,noussommeslematin.Unelueurdecolères’allumadansleregardjusque-làimpassibledeMia.Tantmieux,sedit-il,carsi

elleleregardaitdenouveauavecavidité, ilserait incapabledeluirésister.Il lasuivraitn’importeoù.Sansdouteàgenoux.

Nomdenom.—C’estmoiquirégale,ajouta-t-ilpourfairebonnemesureenluitapotantlementon.LamaindeMiapartitsivitequ’iln’eutpasletempsdelavoirvenir.Sapaumeouverteclaquasursa

joue avec force. Sa tête partit en arrière, pourtant, il accueillit la douleur comme une bénédiction. Iln’avaitquecequ’ilméritait.Prendreunedamecontrelemurd’uneécurie,commesiellen’étaitqu’unecatindebasétage?Ungentlemannetraitaitpassonépouseainsi.Ilnesecomportaitpascommeunmarintouchantterreaprèsunetraverséedeneufmois.Maisellel’avaitrendufou.Etsiellel’yautorisait,illaprendraitdenouveaucontrecemursanshésiter,soncorpsvoluptueuxplaquécontrelesien.

Jamaisiln’avaitrienvudeplusérotiquequelafaçondontMiaavaitrejetélatêteenarrière,lèvresentrouvertes, lorsqu’elle avait joui. Une jouissance qui n’avait rien de feint. Elle répondait avec soncorpstoutentier.

Soudain,sondouxparfumvintluititillerlesnarines,unmélangeenivrantdedésiretdechèvrefeuille.Commeensorcelé,ilfitunpasverselle.

—Jevousprésentemesexcusespourmesremarques.Ellesétaienttotalementinappropriées.—Cessezdemeregarderainsi,siffla-t-elle.Ilenétaitbienincapable.—Jenesuispasunemarie-couche-toi-là!cria-t-elle.Quoi?Maiselleavaitdéjàtournélestalons.Vanders’adossacontrelemur, lesjambescoupées, lesyeux

rivéssursonépousequis’éloignaitaupasdecharge.Saduchesse.Unemarie-couche-toi-là?D’oùdiablesortait-ellepareilleineptie?Lentement, les brumes qui lui avaient envahi l’esprit se dissipèrent et un souvenir lui revint :

OakenrottavaitappeléMiaainsidanslabibliothèque.Orilvenaitdesemontrerd’unegrossièretébienpire.Sansdouteserait-ilobligéderamperdevantelle.

Impossible d’y couper. Il allait s’excuser auprès deCharlie et deChuffy, puis rejoindreMia sansattendre.

Elleavaitbeauneplusêtrelà,ellel’obsédait.Ils’efforçadelachasserdesonesprit.Trèshautdanslecield’unbleutrèspâle,unfaucontournoyait

sousunnuageisolé.Vanderrajustaunefoisencoresespantalons,quiavaientdésormaisdumalàcontenirsonsexeenperpétuelleérection.

Soncorpspalpitaitdedésir,neréclamaitriend’autrequeMia.Il s’était conduit si stupidement qu’il ne lui restait désormais plus que trois nuits à savourer sa

compagniepourtoutel’année.L’uned’ellesdevraitavoirlieucesoir.Cesoir…unmotsirichedepromesses.Miaétaitfurieuse,

mais elle s’en remettrait. Il lui avouerait la vérité : si elle était goulue, lui était aussi affamé qu’unnaufragéaprèsdesmoisenmersansnourriture.

Ellecomprendraitsûrement.Etilleurrestaittroisnuits.Un sourire lui incurva lentement les lèvres. Cela devrait suffire à apaiser ce désir frénétique. Il

n’avaitjamaisdormiplusdedeuxnuitsdesuiteaveclamêmefemme.C’étaitl’ennuiassuré.Lanuitprochainedevraitréglerleproblème.Etlatroisièmerompraitlesortilège.

1.TrèsvagueréférenceàOthello,scèneV,acte2.(N.d.T.)

24

NOTESSURPLUMCASTLE

—TandisqueFrédéricpoursuitsaquêtevaine, leVilLordPlumdécouvreFlorainconscienteparmilescoquelicotset laramèneàsonchâteau.

«L’atmosphèresinistrequiflottaitautourdePlumCastleattiraitl’attentionsurlesravagesdutemps,visiblessurcertainespartiesdelabâtisse.Leportailmassiffutouvertparungrandvieillardauxcheveuxnoirs.Quivalà?demanda-t-ild’unevoixgrinçante.»

— Consciente de samort prochaine, Flora supplie Plum de faire parvenir à son bien-aimé Frédéric unemèche de sescheveux.

—LordPlumgardelescheveuxetlaremetsurpiedordonneàsagouvernantedelaremettresurpied.Oui!TrèsBarbe-Bleue.

—LordPlum:«Ilestplusqu’improbablequ’unhommeayantvuuneseulefoislagrâceéthéréeetlabeautéincomparabledecettejeunedéesseseprivedesacompagnie.»(Floraesttouchéeparcecompliment.)

—Uneruse,carilcacheuneépousedanslegrenier.Ouailleurs.— La jeunesse et l’innocence de Flora ne sont pas imperméables à cette dangereuse combinaison que sont la beauté

masculineetlaruse.C’estbien!

Miaregagnasachambre.Tandisqu’ellefermaitlaporte,elleserappelaqu’unloquetavaitcertesétéinstallé sur la porte de la salle de bains, mais pas sur celle donnant sur le couloir. Vander allait larejoindrepourluiprésentersesexcusesetellen’auraitaucunmoyendel’empêcherd’entrer.

Ellefiladoncdanslasalledebains,mitleloquetauxdeuxportesetselaissaglissersurlesol.Elleétaittellementanéantiequel’espacedequelquessecondeselleenoubliaderespirer–etdepleurer.Leurmariage n’avait que deux jours et obéissait déjà à un schéma établi :Vander lâchait la vérité sur sessentiments.Aprèsquoi,ils’excusaitetluiadressaitdescomplimentsauxquelsilnecroyaitpas…jusqu’àlafoissuivanteoùilmontraitdenouveaulepeuderespectqu’iléprouvaitàsonégard.

Pireencore,ilnes’étaitpastrompé:goulueétaitbeletbienlequalificatifquiluiconvenait.C’étaitlecauchemardurayondelunequirevenaitlahanter.Mêmesiàl’époqueellenesavaitpasde

quoielleparlait,ellen’enrêvaitpasmoinsdelevoirpénétrerdanssachambre.Etaujourd’hui,saseuleprésenceavaitfaitremonteràlasurfacecetraitdesapersonnalité.

Elle l’avait laissé lui retrousser ses jupes et la prendre contre unmur. Peu importait qu’il fût sonmari.D’unecertainefaçon,c’étaitmêmepire.Unedamedignedecenomnetoléreraitpasd’êtretraitéeainsi.Iln’avaitmêmepasprislapeinedelaséduire,avecdesmotsoudesregards,sihypocritesfussent-ils.Etcommentleluireprocher?Elleavaitaccepté,quoiquetacitement,d’êtreavilie.

Si,àn’importequelmoment,elleavaitditnon,Vanderauraitarrêté.C’étaitcequilapeinaitleplus.Ellenevoulaitpasêtrecegenredefemme.Lesmotshideuxsebousculaientdanssa tête :goulue, jusd’amour…Marie-couche-toi-là.Les larmes jaillirent et elle enfouit la tête entre ses genoux, le corpssecouédesanglots.

Comme prévu, on frappa à la porte quimenait à la chambre de Vander. Elle prit une inspirationtremblante.

—S’ilvousplaît,allez-vous-en!Il y eut un silence, un bruit de pas qui s’éloignaient.Un instant plus tard, la porte de sa chambre

s’ouvrait.—Ellessonttouteslesdeuxfermées,cria-t-elleentredeuxhoquets.Laissez-moitranquille.—Non.Il semblait que les ducs s’attendent à arriver toujours à leurs fins, même quand leurs duchesses

voulaientdésespérémentavoirlapaix.—Allez-vous-en!—Jeveuxvousparler.Jedoisvousprésenterdesexcuses.Miaentenditleparquetcraquer.Tenait-elleàécoutersesexcuses?Non,pasvraiment.Illuiavaitdit

onnepeutplusclairementlefonddesapensée,desurcroîtdanslefeudelapassion,quandunhommenepeutmentir.Cequ’il lui avait dit était lavérité. Il n’était guère étonnant qu’il s’enveuille.C’était unhommebienetilnevoulaitpaslablesser.

Maislavéritén’endemeuraitpasmoinslavérité.Elleentourasesgenouxdesesbrasetseraclalagorge.— J’accepte vos excuses, dit-elle, élevant la voix. Je sortirai d’ici dans une heure. En attendant,

laissez-moiunpeud’intimité.Ellecommençaitàseressaisir.Aprèstout,ellenesecomportaitpascommeunecatintoutletemps.

Seulementaveclui.Àl’époque,sonpoèmereflétaitundésirbieninnocent.Innocente,ellenel’étaitplus.UnseulregardauxpantalonsdéboutonnésdeVanderetelleauraitfait

n’importequoipoursubirsesassauts.S’allongersurlegraviermême,probablement.Unenouvellelarmeroulasursajoue.Contrelemurdel’écurie.Elleenfrémitrienqued’ypenser.SiellepouvaitprendresesdistancesavecVander,elleretrouverait

son respect de soi. Elle n’était pas ainsi avec les autres hommes. Elle avait la certitude absolue quejamais ellene se serait conduite ainsi avecEdward. Ils auraient eude l’affection l’unpour l’autre, etleursébatsauraienteulieusouslescouvertures,commeilsedoit.L’amourseraitvenuentempsetheure.Ellel’aimaitdéjàunpeu.Oudumoinsluiétait-ellesincèrementattachée.

—Duchesse!Sonmarisemblaitdeplusenplusagacé.Miaserembrunit.Vanderdevraitluiaussiendosserunepart

deresponsabilité.Aprèstout,ill’avaittraitéecommeunevulgairegourgandinealorsmêmequ’elleétaitsafemme.

—Ouvrezcetteporte!ordonna-t-ilensecouantlebattant.Ilcroyaitvraimentqueluirugiraprèsferaitunedifférence?Ilavaitbientropl’habitudedeparvenir

àsesfins.Lesfemmestombaientsansdoutesoussoncharmedepuisqu’ilavait,disons…quatorzeans.La porte tressauta de nouveau sur ses gonds et Vander se mit à fulminer, mais Mia avait cessé

d’écouter.N’avait-il pas évoqué une course le lendemain ou le surlendemain ?Elle en éprouva un indicible

soulagement.Ilseraitbientôtparti.Soudain,elleentenditlavoixdeSusan,puiscelledeVanderquiluiordonnaitdedescendre.—C’estmafemmedechambre!protestaMia.Vousn’avezpasd’ordresàluidonner.Uncoupbrutalébranlalaporte.—Qu’est-cequivousprend?hurla-t-elle.CetteporteaétéimportéedeVenise!—Etalors?Nouveaucoup.—Ellecoûtesansdouteleprixd’untoitdechaumeentier!Vousn’avezpasintérêtàlacasser!—Alorsouvrez-la!Immédiatement!

—Jeveuxresterseule!serebella-t-elle.Est-cesidifficileàcomprendre?J’aibesoinderéfléchir.—Neréfléchissezpas,conseillaVander,seradoucissant.—Commentosez-vous?Vousvouscroyezdoncendroitderégenterchaqueinstantdemajournée?—Jesaiscequevouspensez.—Non,vousnelesavezpas.—Vouspensezquejenevousrespectepas.—Cen’estpasvrai.Inutiledes’appesantirsurdesvéritésdésagréables.Lebattantfutsecouédeplusbelle.—Mia,sivousn’ouvrezpascetteporte,jeladéfonce.— Oh, mais allez-vous-en ! Vous vous souciez comme d’une guigne de mes sentiments. Je suis

l’épousequevousméprisez,vousavezoublié?—Jenevousméprisepas.Elleréponditparunjuronquin’avaitencorejamaisfranchiseslèvres.Pluselleysongeait,pluselle

trouvaitquecethommefaisaitressortirsespiresdéfauts.—Jenevousméprisepas,répéta-t-il.—Aprèscequevousm’avezfait…etdit.Unhommenetraiteunefemmeainsiques’illaméprise,

parvint-elleàrépliquerd’unevoixposéealorsqueleslarmesaffluaientdenouveau.Ouunefemmequ’ilapayée.

—Celasuffit!Vanderlançaunnouvelassautcontrelaportequiployadangereusement.Etsoudain,leloquetcéda

dansungrincementsuraiguetvolaàtraverslapièce.Bouchebéedevantlegrandmiroirqu’ilvenaitdebriser,MiaregardaVander,quisetenaitsurleseuil,sibeauetfarouchequesoncœurselogeadanssagorge.

—Regardezcequevousavezfait!—Jedétestecesmauditsmiroirs,aboya-t-il.Enfait,jedétestetoutdanscettepièce.Lesbrastoujoursenroulésautourdesgenoux,Miabaissala tête.JamaisEdwardnel’aurait traitée

commeunecatin.Quandill’embrassait,c’étaitavecrespect.Unefois,ilavaitmêmedéposéunbaisersursonfrontsansraison.

Vander, lui,ne l’avaitpasembrassée le jourde leurmariage,pasmêmequand lepasteur l’yavaitinvité.Etdepuis,sesbaisersressemblaientdavantageàdesinvasionsbarbaresqu’àdesdémonstrationsdetendresserespectueuse.

Àprésent,ilsedressaitau-dessusd’elle,aussigrandetmassifqu’unchêne.Qu’illatyranniseautantqu’illevoulait,ellenelèveraitpaslesyeux.

Vanders’accroupitdevantelle.—Jesuisnavré,duchesse.Jen’auraispasdûvoustenircespropos.C’étaitinadmissible.—Oui,ehbien,jesuiscertainequevousaviezvosraisons.Maispeuimporte.—Celaimporte,aucontraire.Parcequejevousaiblesséeetquecen’étaitnullementmonintention.Ellerelevalatête.— Si, c’était votre intention. Personne ne tient de tels propos à moins de vouloir blesser

délibérément.Maisaumoinsvousavezditlavérité.Etjepréfèrelavérité.—Quellevérité?Leducsemblaitcontrarié.—Vousaviezraison.Je…jemesuiscomportéecommeunecatin,admit-elled’unevoixtremblante.Catin était unmot tellement hideux ; jamais elle n’aurait imaginé l’appliquer un jour à sa propre

personne.Celadit,jamaisnonpluselleneseseraitcruecapabledesecomporterdelasorte.

— J’ai lu dans votre regard que vous vouliez me blesser, alors n’essayez pas de m’insulter enprétendantlecontraire.

Ils’assitprèsd’elle.—Jeneméritaispascetraitement,poursuivit-elle,plussûred’elle.Vousnem’avezpasdituneseule

chosegentille.Pasuneseule.Sijenemesuispeut-êtrepascomportéecommeunedame,vousnevousêtespasnonpluscomportéengentleman.Jepensequ’ilstraitentlesfillesdejoieavecuncertainrespect.

—Vousnevousêtespascomportéecommeunefilledejoie.L’estomacdeMiasenoua.—Si,etvousn’ypouvezrienchanger.Ilyaenmoiunefacettequejeméprise,maisjem’appliquerai

jusqu’àlafindemesjoursàdominercestendancesrépugnantes.J’enfaisleserment.CediscoursfittiquerVander.PuisilrefermalesmainssurlesbrasdeMiaetlasoulevant,ladéposa

droitsursesgenoux.Ellelaissaéchapperuncrid’orfraie.—Lâchez-moi!Mapetitetaillenevousautorisepasàmetransportersanscessecommeunepoupée.Celadit,c’étaitagréabledeseretrouverdanssesbras.—Cequenousavonsfaitn’avaitrienderépugnant,déclaraVanderd’untonferme.Vousêtesbelle;

etiln’yariendeméprisableenvous.Miafaillitricaner,puissesouvintàtempsqu’unedamenericanaitpas.—Jemesuiscomportécommeungoujat.C’estjustequecoucheravecunefemmeneprovoquepas

unteltroubleenmoid’ordinaire.—Coucher, répéta-t-elle avec amertume.Voilàqui impliquerait quenous soyons aumoins arrivés

jusqu’àunlit.Jen’aimêmepasétédigned’unepairededraps.Illasecouagentiment.—J’étaissouslechoc.Vousaussi,dureste.Sachez,duchesse,quejen’aijamaisétéaussifoud’une

femme.Jamais.LecœurdeMiafitunbond.—Enmatièrederaffinement,jesuisunignare.Jen’aijamaisprislapeined’apprendrel’étiquette

des sallesdebalet le reste.Mais jamais jen’avaisété submergépar ledésir aupoint denepouvoirattendre d’arriver jusqu’à un lit. Vous avez fait demoi un dément. C’est la pure vérité, si vous vousvoulezsavoir.

UnfrissoninvolontaireparcourutMia.Vanderresserrasonétreinte,attirantsatêtecontresonépaule.—Etencemomentmême,jesuisencoreenproieaumêmetrouble,confessa-t-ild’unevoixbourrue.

Àpeinevousai-jehonoréeque j’aienviede recommencer. Jepourrais le faire ici sur le sol,oudanscettebaignoire.Dèsquejevousvois,jen’aiqu’uneobsession:vouschevaucherjusqu’àvousarracherdescrisdeplaisir.

Acesmots,Miaeutl’impressiondeseliquéfier.Ellenesutquerépondre.—Sivouspensezquejeparleainsiàtouteslesfemmes,vousvoustrompez,continuaVander.Jene

mepavanepeut-êtrepascommeuncourtisan,mais je suisunhonnêtehomme. Ilm’estarrivédepayerpourmesplaisirsparcequejen’aimepasl’adultèreetquejeneveux–nevoulais–pasmemarier,j’ainéanmoinstoujoursfaitpreuvedecourtoisie.Jamaisjenemesuiscomportécommeunfouavantdevousrencontrer.

Miafermalesyeux.Ellenesavaitplusquepenser.—Quatrenuitsnesuffirontpas,déclaraleduc,lavoixrauque.Elleavaitdumalàsuivrelefildesespropos.—Pardon?—C’estcommeunesortedefolieérotique.Àmonavis,reprit-ilaprèsunehésitation,celafinirapar

mepasser.Jeneveuxpasquevous…tombiezdenouveauamoureusedemoi,parcequ’auboutducompte

jevousferaisouffrir.—J’endoutefort,s’empressa-t-elledelerassurer.Vouscroyezquejepourraisaimerunhommequi

metraiteavecpareilmanquederespect?C’étaitunmensonge.Ellel’aimaittantquec’enétaitdouloureux.Ilnedevaittoutefoispaslesavoir.

Hors de question. Il s’en irait, et elle en serait anéantie.Mais dumoins, s’il ignorait ses sentiments,garderait-ellelatêtehaute.

Illuicaressadoucementlebras.— Je sais que cela peut être difficile pour les femmes de laisser leurs sentiments à l’écart

lorsqu’ellesfontl’amour.Avait-ilpitiéd’elle?Unefoisdeplus?Miaseredressaetlefoudroyaduregard.—Vander, rien ne me fera tomber amoureuse de vous après l’histoire du poème chez le duc de

Villiers,etcertainementpasvotreattitudedecematin.—Tantmieux,sehâta-t-ild’approuver.Elle devinait cependant qu’il se croyait tellement irrésistible qu’elle ne pourrait que s’enticher à

nouveaudelui.—Amoureuse,jel’aiété,avoua-t-ellesansciller.—Jesais,murmura-t-ilavantdeluifrôlerlalèvreinférieuredupouce.Vousl’avezencoremordue.

Ellealacouleurd’unefraisemûre.—Pasdevous,enchaîna-t-elle,ignorantsaremarque.C’étaitunetocadestupideetjen’étaisqu’une

jeunefille.Jevousconnaissaisàpeine.LepoucedeVanders’immobilisa.—Monfiancé,TheodoreEdwardBraxtonReevem’acourtiséedurantunanetnousavonsétéfiancés

uneannéesupplémentaire.Annéeaucoursdelaquellejesuistombéeamoureusedelui.Ellenedisaitpastoutàfaitlavérité,maisc’étaitsansimportance.UneombrevoilaleregarddeVander.—Êtes-voustoujoursamoureusedelui?Mianeréponditpas.Celaneleregardaitpasetiln’apprécieraitquetropsaréponse.—Edwardestbrillant, séduisant etd’unegrandegentillesse. Il estprofesseur àOxfordet connaît

votreamiThorn.Enfait,jecroisqueM.Dautryluiaachetéunemachine.—Lebrevet d’unemachine, rectifiaVander. Jeme souviensmaintenant queReeve est l’inventeur

d’unepresseàfabriquerlepapierencontinu.Thornafaitfortunegrâceàelle.—Edwardaussi,ditMianonsansfierté,mêmesilafiertéétaitlederniersentimentqu’elleauraitdû

éprouverpourl’hommequil’avaitabandonnée.LamaindeVanderglissasursagorgeenunecaressed’uneindescriptibledouceur.—J’aideplusenplusdemalàcroirequ’ilaitrenoncéàvousépouser.Quelétaitlepire?Deluidiredeshorreurs,commeill’avaitfait?Oudel’éconduire,commel’avait

faitEdward?Mias’éclaircitlavoix.—L’important,c’estquevousn’avezpasàcraindrequejem’éprennedevousjusteparcequevous

m’avezfaitl’amourcontrelemurdel’écurie–sitantestquecetermesoitlebon.—Cen’estpaslebon.Ilsepenchaetluimurmuraunmotàl’oreille.Miaviraàl’écarlate.—Vousnedevriezpasutilisercemotenmaprésence,etencoremoinsmeconcernant.—Celafaitpartiedelafoliequis’emparedemoidèsquevousêteslà,avouaVander.J’aienviede

vous, duchesse. Si désespérément qu’en ce moment même je n’arrive plus à penser de manièrerationnelle.Vousmedites quevous êtes encore amoureusede lamisérable fripouille à qui vous étiezfiancéeetj’ensuisdésolé.Iln’empêchequemonuniqueobsessionestdem’allongersurcedallageetdevousprendreàcalifourchonsurmoi.

Àcalifourchonsur lui?Miaaccordauninstantderéflexionàcettepossibilitéavantderevenirausujetencours.

—Jevousaiconvaincu,n’est-cepas?Aucunrisquequejetombeamoureusedevous.—ÀcausedeReeve.—Ilm’abrisélecœur.LepoucedeVanderglissalelongdumentondeMia.—Voilàdesparolesquejedétesteentendre,duchesse.—Oui,ehbien…Ellecompritsoudainquecequ’ellesentaitsoussonpostérieur…—Vousa-t-ondéjàditquevousaviezlacroupelaplusvoluptueusedetoutelachrétienté?s’enquit-

ildesabellevoixgrave.—Non.Ellesetortilla,histoiredevoirl’étincellededésirs’allumerdanssonregard.—Jecommenceàcroirequevousn’avezaucuneidéedel’effetquevousproduisezsurleshommes.Miacessasonpetitjeu.—Pourlabonneraisonquejen’enaiaucun.Etjeneveuxpasdevoscomplimentsinsincères.Elles’éclaircitlavoix.—Ce…quenous avons fait tout à l’heuren’était pasdigned’une lady.Pourtant, c’était réel.Vos

proposàmonégardétaientcertesblessants,maislavéritéestpréférableàlaflatteriehypocrite.—Jevousauraisvolontierscomplimentée,saufquej’arrivaisàpeineàrespirer.—Arrêtez.—Quoidonc?—Detenterdefairedenotrerelationuneespècederomance.Oudemeflatter.Jesaisparfaitement

cequevouspensezdemoi.Ill’entouraànouveaudesesbras.—Commentpouvez-voussavoircequejepensedevous?Miarepoussasonbrasetseleva.Elledevaitluimettrelespointssurlesi.Qu’ill’insulteétaitdéjà

assezgrave,maisceseraitpires’ilsemettaità luisusurrerdeschosesqu’ilnepensaitpas.Soncœurseraitendanger,carellepourraitcommenceràlecroire.

—Inutiledefairetouteunehistoire,lâcha-t-elleavecungrandsourire.Vousvoyez?Toutvabien.Jenepleurepas.Meflatternesertàrien.

Ilserelevaàsontour,dépliantsonimposantesilhouette.— Je vais aller voir ce que devientCharlie, déclaraMia. Enfin, aprèsm’être rafraîchie et avoir

changéderobe.—Peut-êtredevrions-nouspartagerunlitafindecélébrercettetoutenouvelletrêve,suggéraVander.Mia avait l’impression d’avoir été mise en pièces, puis maladroitement reconstituée. Pas juste

physiquement.Ellesecoualatête.Vanderserembrunit,commes’ildevinaitàquelpointelleétaitmeurtrie.Elleseforçaàsourire.—Sivousavezbeaucoup,beaucoupdechance,jedemanderaipeut-êtreladeuxièmenuitbientôt.Ill’attiradanssesbras.—J’amendenotreaccord.—Oh?Miaserenditcomptequ’elletremblait.ÊtreblottiedanslesbrasdeVander,contresontorsemusclé,

suffisaitàluidonnerenviedegémir.—Quatrenuitsparmois,décréta-t-ilavantdeluimordillerlelobedel’oreille.—Pardon?—Ou,mieux,quatrenuitsparsemaine.

—Vousnepouvezpaschangerlestermesducontratquandcelavouschante.—C’estmoiquifixelesrègles,luirappela-t-il.Vousaviezdonnévotreaccordsanscondition.Ence

quivousconcerne,malettreauraittoutaussibienpustipulerquevousdeviezmerejoindredansmonlitseptnuitsparsemaine.

—Ilesttroptardpourmodifierunaccordlégal.LabouchedeVanderluieffleuradenouveaul’oreilleetsesgenouxfaillirentsedérobersouselle.—D’accordpourquatrenuitsparan,maisavecenprimequatreaprès-midiparsemaine.Àcompter

d’aujourd’hui.—Jenecroispas…Lasoulevantcontreluid’unmouvementfluidequisemblaitchezluiunesecondenature,Vanderlafit

taired’unbaiser.—Duchesse,articula-t-ild’unevoixdeveloursquandilrelevalatête.Ellesemorditlalèvre.—Non?—Jesuis…unpeusensible,confessa-t-elle.Illaserradavantagecontrelui.—Jesuisunanimal.Désolé,duchesse.Miacommençaitàapprécierqu’ill’appelleainsi,mêmesiellesavaitquec’étaitunefaçondelatenir

àdistance.Ellenecomptaitpasparmisesamis;sinon,ill’appelleraitMia.Iln’empêchequ’elleaimaitêtreappeléeduchesse.Saduchesse.—Celanem’apasdérangéeoutremesure,murmura-t-elle.D’uncoupdelangued’uneinfiniedélicatesse,ellecaressalecreuxàlabasedelagorge.Il laissa

échapperungrognementétranglé.—Bien.Peut-êtredansquelquesjoursalors.Jevaisauxécuries.Elleembrassalapetitesurfacedepeauhumidedesoncou.Ilavaitungoûtdesueurmêléededésir.—Àvotreavis,pourrions-nousrenégociervotreinterdictiond’êtretouchéeici?s’enquit-il,posant

l’indexsursaclaviculeavantdeglisserplusbas.—Non,réponditMiasanshésitation.Illalaissaglisserlelongdesoncorpspourladéposersurlesol.—Pourquoi?insista-t-il.—Jevousl’aidéjàdit.Leregardtorridedontillacouvaluiincendialessens.—Vousallezdevoirmelerépéter.Ellenetenaitpasàparlerdesapoitrine.Detoutefaçon,soninterdictionn’avaitfreinésesardeursni

laveilleniaujourd’hui.Detouteévidence,sesseinsnejouaientpasungrandrôledanssaconceptiondeleursébatsconjugaux.

—Jepréféreraism’abstenir,dit-elleenregagnantsachambre.Elletiralecordondelasonnette.LetempsqueSusanpasselatêtedansl’embrasure,Miaavaitréussi

àôtersarobe.Elledécouvrit,consternée,queledosétaitmaculéde traînéesbrunâtres.Sansdouteduboispourri.

— Ces taches ne partiront pas, l’avertit sa femme de chambre avec un sourire entendu. Le tissuboulochedéjà.Jeladonneraiàlagouvernante;elleenferadeschiffons.Puis-jevousdemandersivousavezeuunaccident,milady?

—Jevousenprie,nemeposezpasdequestions,réponditMia.Quepuis-jemettre?Jen’aipasuneseulerobequinesoitnoireougrise.Celadit,personnenesesouciedecequejeporte.

—Vousvoustrompez,croyez-moi.Toutlemondedanscettemaisonconsidèrevotreépouxcommelepersonnageleplusimportantdupaysaprèsleroi.

Susanouvrit lagrandearmoire,passa les toilettes en revue,puis sortit la robeaméthystequeMiaavaitportéepourladernièrefoisdeuxansplustôt.

—Celle-ciferal’affaire.Elleseraunpeulargeàlataille,maisceladevraitallerjusqu’àl’arrivéedeMmeDubois,demainmatin.Oupeut-êtremêmecetaprès-midi.

—Lacouturière?s’enquitMiasansenthousiasme.Lesmodistes promettaient toujoursmonts etmerveilles, et elle finissait toujourspar avoir l’allure

d’unpotàtabacavecdegrosseins.—MmeDuboistravaillepourlesfemmeslesplusélégantesdelahautesociété,expliquaSusan.Et

pourd’autres,ajouta-t-elleàvoixbasse.ElleatravaillépourMariaFitzherbert,etvoussavezcequ’onditd’elle.

—Qu’elleaattiréleregardduprince.Mais,Susan…—Maria Fitzherbert est aussi petite que vous. Plusmême.Minuscule ! J’ai demandé àMadame

d’apportertouteslestoilettesqu’elleacrééespoursesclientesdepetitgabarit.Jeluiaipromisqueleducpaieraitletripledutarifhabituelpourdesrobesdéjàcousues.

Miasoupira.LepauvreVanderavaitétécontraintaumariage;lemoinsqu’ellepûtfaire,c’étaitdenepasluicoûtertropcher.

—Votregarde-robedoitreflétervotrerang,déclaraSusan.Sielledevaitêtreduchesseplusdesixmois,elleavaitsansdouteraison.—Fortbien,cédaMia,résignée.Safemmedechambrehaussalessourcils,pleined’espoir.—Celasignifie-t-ilquevousacceptezdesdécolletésunpeuplongeants?—Oui,réponditMia.Sij’ysuisobligée.Peut-êtreuniquementlesoir.—Àmoinsquevousvouliezressembleràunevieillefillefeignantd’êtreunejeuneduchesse,vousy

êtesobligée.ÀCarringtonHouse, jen’ai riendit parcequevous assistiez rarement àdes événementsmondains.Maisàpartirdemaintenantceseradifférent.

—Jeneveuxpasportercegenrederobetouslesjours,protestaMia.Seulementsijedoisfaireuneapparitionentantqueduchesse.

Susancroisalesbras.—M.DautryetladyXenobiaviventàmoinsdedeuxheuresd’ici,etlevaletdeSaGrâcem’adit

qu’ilsvenaientsouventenvisite.Votreapparencedépenddemoietjen’oseimaginercequelafemmedechambredeladyXenobiadiraitdevotregarde-robe.Jen’oseraipaslaregarderenfacesivostoilettesnesontpasàlamode.Lesoircommedanslajournée.

Miasavaitquandelleavaitperdulapartie.Elle finirait sans doute avec une collection de robes dont le décolleté lui descendrait jusqu’au

nombril.Elleimaginaitdéjàl’étincelledansleregarddeVander…

25

NOTESCOMPLéMENTAIRESSURPLUMCASTLE

— Avec duplicité, le vil lord Plum a jeté le trouble dans les sentiments de Flora en la couvrant de compliments et decadeaux.Ilabreuved’insultesl’hommequil’aéconduite.

—EtsiFrédéricseretrouvaitparhasardauchâteauetétaitinvitéàdînerpourfairelaconnaissancedelafiancéedelordPlum:Flora!

« Le comte Frédéric fut épouvanté de découvrir que la charmante, modeste et timide ingénue au cœur pur qu’il avaitabandonnéelejourdesnocesétaitdevenueunejeuneéléganteresplendissantedejoyaux,maîtrisantàlaperfectionl’artdeseparer.»

—Aujourd’huiteintdiaphane,tropchétivepourêtrevraimentbelle.

DeuxjoursplustardCharlieserévélaitboncavalier.Ilavaitcertestendanceàfavorisersajambefaible,cequiaffectait

la directiondans laquelle tournait son cheval,mais avec le temps il surmonterait cette difficulté. Plusimportant,iladoraittoutdeschevauxetavaituneaffectionparticulièrepourJafir.Etcederniersemblaitlui rendre la pareille avec une étonnante douceur. Vander avait dans l’idée que son nouvel étalonconsidéraitCharliecommelepoulaindeMia.Toutcequeladuchesseaimait,Jafirl’aimaitaussi.

Pour l’heure,Vander se tenait au bord dumanège et observaitCharlie qui faisait des tours sur lamonturedesonépouse,Lancelot.Unvaletguidaitlechevalavecunelonge.

Sonépouse.Vanderneselassaitpasdecemot.Lechantagequi lefaisaitencoreenragerquelquesjours plus tôt lui semblait désormais sans importance. Mia Carrington était son épouse en dépit descirconstances.Jafirl’adorait.Bonsang,toutlemondel’adorait.

C’étaitlegenredefemmequiincitaittoutunchacunàfairesonpossiblepourattirersonattention.Ilsesurprenaitàseconduirecommeungamin,essayantdesemontrerspiritueldansleseulbutd’entendresonriredegorge.

Ilneparvenaitplusàseconcentrersursontravailparcequ’ilpassaittoutsontempsàpenseràMiaetàtoutesleschosesqu’ilavaitl’intentiondeluifairequandellesesentiraitprête.

Combiendetempsfallait-ilàuneviergedéfloréepourseremettredeladitedéfloration?Cen’étaitpaslegenredequestiondontleshommesparlaiententreeux.IlressentaitunefiertéabsurdeàêtreleseulhommeàavoirconnuMiaintimement.Et ilenvoulaitdavantage.Sondésirétaitsipuissantqu’ilavaitprissoindenepaslatouchercesdeuxderniersjours.Ilnel’effleuraitpasmêmedansl’escalier.Ilnesefaisaitpasconfiance.

Detoutefaçon,ellepassait leplusclairdeson tempsdanssachambreà travaillersursonroman.Chuffyetellediscutaientavecanimationtoutaulongdesdîners.Avecdegrandsgestes,Miadécrivaitlesappartementsspacieuxetmagnifiquesd’unchâteaudanslequelsonhéroïneavaittrouvérefuge.Diantre,siellevoulaitunchâteau,ilpouvaitluienacheterun.

Chuffylafaisaitrire,suggérantdesintrigueschaquejourplusfarfelues.Vander,lui,n’avaitquesonbonsensàproposer.

—Cettefille–Flora,c’estcela?–seraitstupidederetourneravecceluiquil’aéconduite,avait-ilfait remarquer la veille. Frédéric est aussi mou qu’une limace. Quelle ignominie de sa part d’être«inondédelarmes»aprèss’êtrecomportécommeill’afaitavecFlora.Elledevraittrouverquelqu’undemieux.

— Frédéric est le héros, avait objecté Mia. Elle ne peut pas simplement « trouver » quelqu’und’autre!Dansunroman,ilnepeutyavoirqu’unhéros.

Enfait,ChuffyetMiaignoraientlaplupartdesessuggestions.Laveille,ilsavaientpasséuneheureàdiscuterpoursavoirsilechâteaudevaitêtrehantépar«lesgémissementsd’unesprittourmenté».

Entre l’esprit tourmenté, lachiffemolledehéroset levil lordPlum,cechâteau ressemblaitàuneversionmodernedel’enferdeDante.Vanderavaitsuggéré,facétieux,quelesespritsdequatreprincesassassinés, toushéritiersde laCouronne,hantent les rempartsduchâteau.Or, saplaisanterieavait étépriseausérieuxetintégréedansl’actionaveccenigauddeFrédéric.

QuandMian’étaitpasoccupéeàécrire–ouàconspireravecChuffy–elleétaitséquestréeavecunecouturièrechargéedelamétamorphoserenduchesse.C’étaitridicule.Ilnevoulaitpasqu’ellechange.

Iltraversalemanèged’unpasalertepourrejoindreCharlie.—Encoretroistours.N’oubliezpasdepanservotremonture.Charliehochala tête, leregardbrillant.Pourundébutant,sapostureetsonassietteétaientbonnes.

Vandertapotasajambeplusfaible.—Commentçava?—Bien,assuraCharliesanshésitation.Ellecommençaitàlefairesouffrir,devinaVanderauvudescernessouslesyeuxdugarçon.Charlie

n’étaitpasdugenreàseplaindre.—Encoretroistoursetcelasuffira,répéta-t-ilavantderegagnerlemanoir.Ilavaithâtederetrouversafemme.Aussiridiculequecelapuisseparaître, il lavoyaitàpeineen

dehorsdesdîners,oùChuffymonopolisaittoutesonattention.Nonqu’ilfûtjalouxdesonvieiloncle.C’étaitjustequeledésirirrationnelquiletenaillaitavaitfait

d’unequasi-inconnuelaseulepersonneavecquiilavaitenviedepasserdutemps.Après avoir saluéGaunt d’un signe de tête, il gravit quatre à quatre l’escalier, se rendit dans sa

chambreetentradroitdanslasalledebains.LaportemenantàcelledeMiaavaitétéréparée,nota-t-il.Celoquetcasséavaitsansaucundoutealimentélesspéculationsparmilepersonnel.

Ilespéraitlatrouverendéshabillé,peut-êtremêmenuejusqu’àlatailleenpleinessayage.Hélas,iln’eutpascettechance!Lachambreétaitdéserte.Ilretournasurlepalier.

—Oùestmaduchesse?brailla-t-ilduhautdesmarches.Nottlen’avaitpasétélegenredemajordomeàhausserlavoix,maisGauntn’étaitpasaussiformel.—SaGrâceestdanssonbureau!cria-t-ilenréponsedepuislerez-de-chaussée.—Sonbureau?répétaVanderquisesentaitidiot.Etoùsetrouve-t-il?Il ne se souvenait pas qu’elle en ait parlé au dîner, et quand étaient-ils censés discuter sinon ? Il

passaitsesjournéesàtravaillerauxécuriesetilsnepartageaientpaslamêmecouche.—SaGrâceutilise la chambrede la reine commebureau, expliquaGaunt qui apparut aupiedde

l’escalier.Nousyavonsinstallél’undessecrétairesdelabibliothèque.Vanderserenditsansattendredansladitechambre,qu’iltrouvavide,elleaussi.Lesoleilinondaitla

pièce;ilavaitoubliéàquelpointlesfenêtresorientéesàl’ouestlaissaiententrerlalumière.Ils’avançajusqu’ausecrétaire,s’emparad’unefeuille.L’écrituredeMian’avaitguèrechangédepuis

l’époqueoùelleavaitécritcepoèmed’amour–uneécriturefermeavecdeshampesélégantes.Aucunetracedelafoliequetrahissaitcelledesonpère,oudelatimiditéquicaractérisaitcelledesamère.

Lorsqu’elleavaitcomprisqu’ilrefusaitdeseretrouverenprésencedelordCarrington,laduchesses’était mise à lui écrire des lettres. Ses mots étaient excessivement ornementés, et il parcourait sesmissivesavecimpatienceavantdelesjeter,condamnantsamèrepoursaliaisonadultèreetsonégoïsme.

Aujourd’hui, sa gorge se serrait quand il songeait aux révélationsdeChuffy.Toutes ces années, ilavaitéprouvéunressentimentbrûlantenverssamère,orlasituationserévélaitbeaucouppluscomplexeettragiquequ’ilnel’imaginait.

Chassantcespensées,ilseconcentrasurlapagequ’il tenaitàlamain,intituléeNOTES:chapitretrois.

—Jenesupportepasd’ypenser!s’écrialadyRyldonavechumeur.Mauricedoitl’épouser.Noussommesàladernièreextrémité.S’iléchoue,nousseronstousruinés!

— Comment diable a-t-elle fait pour avoir pareille dot ? Je connaissais sa mère, une femmeméritante,quoiquesansfortune.

—D’après ce que j’ai compris, lordMortimer l’a aperçue dans la rue et l’a couchée sur sontestament.Voilàquiesttrèscurieux,jetrouve;toutlemondeditqu’elledoitêtresafillenaturelle.

Sonamieenfutstupéfaite.—Absolumentpas!Jeconnaissaisbiensamèreavantqu’ellenesoitdéshéritéeparsonpère,le

comte.Unrirecristallinlesinterrompit.—Lavoilà!murmuraladyRyldon.Àprésent,machère,vousdevezvousassurerquecettepetite

dindeépousemonfils.Nosvies–oudumoinsnotrecaveàvin–endépendent!

Vander fixa la page non sans perplexité. Elle ne semblait pas correspondre à l’intrigue dont ilentendaitdiscuteràlatabledudîner.Quiétait ladyRyldon?Leplateaudusecrétaireétaitentièrementcouvert de feuilles dont chacune arborait des bribes de dialogues ou une liste de notes. Il en prit uneautre.

—Dansl’intervalle,ditlecomteFrédéricavecunsalutpoli,puis-jenepasvousembrasser?—Maisjevousenprie!s’exclamaFloraquiluijetaunregardénamourépar-dessussonépaule

avecungloussementensorcelant.Jen’aimepaslesbaisers.—Laissez-moivousfairechangerd’avis.Sonexpressionn’avaitriendejoyeuse.Enfait,l’airtoutentiervibraitd’unesolennité…

Manquedechance, le textes’arrêtaitaumomentprécisoùildevenait intéressant.Vanderfarfouilla

surlebureau,essayantenvaindelocaliserlasuite.PuisilpritlaplumedeMia,rayaunedemi-ligneetgriffonnaunerectification.

—Machère,laissez-moivousfairechangerd’avis.Illapoussacontrelatable,glissalamainsoussesjupesetsepenchapourembrassersacuisse

soyeuse.Ellejetalesbrasautourdesoncouens’écriant:—Monsieur,avez-vousl’intentiond’abuserdemoi?—Seulementsivoussouhaitezvouslivreràpareildévergondage,mentit-il,carilavaitl’intention

deculbuterladonzellequoiquecelle-cienpensât.— La pudeur m’interdit de vous répondre, lâcha-t-elle dans un souffle tout en enroulant les

jambesautourdesataille.—Excellent,approuva-t-ilavantdelaséduireavecenthousiasme.

L’exerciceétaitplutôtamusant.Vandercontinuadelireàdroiteetàgauchejusqu’àcequ’il trouve

deuxautresscènesqui,selonlui,nécessitaientdescorrections.Ainsi,ilétaithorsdequestionqueFlorarevienneàFrédéric.Ilrepritlaplume.

Quelle belle ineptie.Ce goujat l’a abandonnée !Elle devrait le traiter comme l’idiot qu’il est.SignéVander.

Laportes’ouvrit.Ilposalaplumeenhâteetseretourna.C’étaitMia,biensûr.Elleledévisagea,laminesoupçonneuse.

—Quefaites-vouslà?—Jelisaisvosmémoires,répondit-ilens’avançantverselle,l’airinnocent.Jen’imaginaispasque

votrevieavaitétésicaptivanteavantquevousnem’épousiez.— Taisez-vous ! s’exclama-t-elle en rosissant. Quelle ignominie de regarder monmanuscrit sans

m’avoirdemandél’autorisation.—Jetrouvequevousdevriezl’épicerunpeu.—L’épicer?—Ehbien,quelgenred’hommedirait«puis-jenepasvousembrasser»?—Monhéros,Frédéric,estd’uneextrêmecourtoisie.—C’estunânebâtédepremière,oui.Quivoudraitembrasserun telballot?Pasvotrehéroïne,à

l’évidence,puisqu’elleinventeceténormemensonge,etprétendqu’ellen’aimepaslesbaisers.—Frédéricestunparfaitgentleman,répliquaMia,surladéfensive.—Etpasmoi?ripostaVander,lesourireauxlèvres,avantd’enchaîner:Quediablefaisiez-vous?Je

vousaicherchéedanstoutelamaison.—Jelisais,avoua-t-elle,l’airpresquecoupable.Cesdeuxderniersjours,jen’aipasréussiàlâcher

lesœuvresdeMlleJuliaQuipletalorsquej’aimonpropreromanàécrire.Vousvouliezquelquechose,duc?

Vandereutl’airinsulté.—Duc?Noussommesintimes,toutdemême.Mianeputs’empêcherd’êtreirritée.Commentétait-ellecenséedevinerqueldegréd’intimitéVander

jugeaitappropriéàunmomentdonné?Aprèstout,ill’appelaittoujours«duchesse».Ellepréféraéluderlaquestion.

—Jevouscroyaisauxécuries.ToutsepassebienavecCharlie?— Je lui ai demandéde panser les chevaux.Si cela ne tenait qu’à lui, ilmonterait à longueur de

journée,j’aitoutefoisdécidéquesajambeenavaitassezsupporté.—Peut-êtredevrais-jevérifiersesprogrès,suggéraMia.Vanderavaitdansleregardcettelueurqu’ellereconnaissaitdéjà,alorsmêmequ’ilsn’étaientmariés

quedepuisquelquesjours.Maisonétaitenpleinjour.Lesdomestiquesvaquaientàleursoccupations.—VousnemanquerezpasàCharlie,assuraVanderquilarejoignitd’uneenjambéeetl’attiradansses

bras.Miadutadmettrequesonbaiserétaitunepurefélicité.ElleenlâchaleromandeMlleQuiplet.Cesdeuxderniersjours,elleavaitfaitdesonmieuxpourignorerVanderaudîner,parcequechaque

foisqu’ellecroisaitsonregard,ellesentaitlerougeluimonterauxjoues.Ellelisaittardlesoir,pourtant,pasuneseulefoisiln’avaitfrappéàsaporte.

Seulledésirbrutqu’ellelisaitdanssesyeuxlorsqu’ilssecroisaientdanslamaisonlapréservaitdudésespoir.Ellen’étaitdoncpasseuleàêtrebalayéeparcesimpérieuseslamesdefond.

Àprésent,ellelaissaitlibrecoursàsafougue.Etnerepritsesespritsqu’enréalisantquesonmarilapoussaitdiscrètementversl’énormelitdanslequellareineElizabethenpersonneauraitdormi.

—Non,protesta-t-elleensedégageant.Pasici…—Pourquoi?LeregardardentdeVanderlafitfrissonnerdedésir.— Nous devrions restreindre nos ébats à des lieux et des moments appropriés, à savoir notre

chambre,lanuit.—Cettechambren’ariend’uneécurie.C’estsansaucundoutelaplusbelledelamaison.—C’estmonbureauet,desurcroît,noussommesaubeaumilieudelajournée…Enguisederéponse,Vanderbasculaavecellesurlelit.—Jesuissérieuse!s’écria-t-elle.Cen’estpasconvenable!Posantlesmainsdepartetd’autredesatête,Vanderluicaressaleslèvresdelalangue.—Jem’enmoquecommed’uneguigne.Ellelerepoussa.—Moi,pas.Jen’aiaucuneenviedemefairedenouveautraiterde«goulue».Justepourquecesoit

clairentrenous,jenevousdemandepasd’ébats,quisontcensésavoirlieuuniquementlanuit.Il la gratifia d’un regard noir qui, pensait-il, suffirait à ébranler sa détermination vu qu’il avait

terrifiédesvoleursdechevauxparlepassé.—Jeneveuxplusquevousmedisiezdeschosesdéplaisantes,poursuivit-elle.Sijenemecomporte

pascommeunecatin, jenepeuxêtreétiquetéeainsi.S’ilvousplaît,Vander, laissez-moim’asseoir. JedoisallervoirCharlie.

—Jenevousdiraiplusjamaislamoindrechosedéplaisante,promit-ild’unevoixrauque,avantdefrôlerseslèvresdessiennes.

Elledutavoirl’airsceptique,carilsesentitobligéd’expliquer:— J’ai dit ces choses par peur. Je vous désire plus qu’il n’est bon pour mon amour-propre.

Sacrebleu,duchesse,j’iraisàpiedàLondrespourunseuldevosbaisers.—Monamour-proprecomptetoutautant,fit-elleremarquer.Jen’aiaucuneenviededevenirlegenre

defemmedontlemaris’imaginequ’ilpeut…latrousserquandetoùilveut.—PasmêmedanslelitdelareineElizabeth?Unereine,Mia!Lentement il pressa son corps sur elle.De tout son poids. La sensation était si délicieuse qu’elle

laissaéchapperungémissement.Leregardluisant,ilremontaunemaincalleuselelongdesajambe.—Jenecroispas…—Chut,lacoupa-t-il,avantdes’emparerdeseslèvres.Du bout des doigts, il lui taquina l’intérieur de la cuisse. Quand sa bouche s’aventura sur sa

pommette,Miaréalisaqu’elleavaitabandonnétoutcontrôle.Unefoisdeplus.LesdoigtsdeVanderpoursuivirentleurascensionet,d’instinct,ellecreusalesreins.—Cen’est…pasbien.Pourrions…êtrevus.Pas…pasmariés.Jeveuxdire…ilfaitencorejour,

débita-t-elled’unevoixhachée,telleunestupidedébutantequ’onprésenteàlareine.—Noussommesmariés,luirappelaVander,dontlescaressessefaisaientplusprécises.Sesdoigtsplongèrentdanssadoucemoiteur,etlerythmequ’illeurimprimalafittremblerdelatête

auxpieds.Soudain,ilcessasacaresse.—Voussouhaitezvraimentquej’arrête?s’enquit-il.Elleenfonçalesonglesdanssonavant-bras.—Non.—Ilfaitencorejour,fit-ilremarquer.Sanspréambule,ilrepritsadélicieusetorture.Elles’arquaversluiavecunpetitcri.—Mia,luisouffla-t-ilàl’oreille,jeveuxvousfairel’amour.

—Oui,lâcha-t-elle,haletante.—Jeveuxvousvoirnue.Ellesepétrifia.—Non.L’espritdeMias’éclaircitbrutalement.Jamaiselleneprendraitsonplaisirdanscescirconstances.

Surtoutenpleinjour.Ellerepoussasamainetcommençaàregagnerleborddulit.—Oùcroyez-vousdoncaller?maugréaVanderenlarattrapant.—Nousnepouvonsnouscomporterainsi.Il la laissaaller.Elle se redressaenpositionassise,arrangeases jupes.Mais lorsqu’elle leva les

yeuxverslui,soncœursombra.L’expressiondel’hommequiluifaisaitfaceétaitindubitablementcellede quelqu’un qui n’avait jamais entendu le mot « non ». Enfin, sauf quand il tentait de refuser sapropositiondemariage–sansdoutelapremièrefoisdesaviequ’onlecontrariait.

Ceseraitladeuxième.Laperspectivedesedéshabillerenpleinjourl’emplissaitd’horreur.Vanderverrait lamoindre courbe, lamoindre fossette. Si elle avait épousé un hommed’apparence ordinaire,peut-être l’aurait-elle envisagé, hélas, vu leurs différences physiques, c’était tout bonnementinconcevable.

Ilétaitl’incarnationdeseshérosdefiction–hormislefaitqu’iln’étaitpasfouamoureuxd’elle,nigalant,niattentionné,nimêmecivilisé.

Levantlementon,elledéclarad’untonsansréplique:—Jenesuispaslegenredefemmequiaimeêtredévêtue.—Pourquoidiable?—Lesfemmessonttrèssoucieusesdeleurintimité.Ellessontchastes.—Vousn’êtespaschaste.Cen’estpascequejevoulaisdire,s’empressa-t-ild’ajoutercommeelle

tressaillait.—N’insistezpas,jenechangeraipasd’avis.—Duchesse.—Oui?Levisagedemarbre,Vanderlâcha:—J’ailafermeintentiondevousvoirentenued’Eve.Etdevousfairel’amour.Jesuislasdedevoir

sanscesserepousservosjupes.—Vousavezbientropl’habitudedeparveniràvosfins,répliqua-t-elle.Vousa-t-ondéjàrefuséquoi

quecesoitdevotrevie?Ignorantcettequestion,ilseleva.—Jevaisôtermesvêtements.Préparez-vous.— Si je doisme dévêtir, cela gâchera tout, expliqua-t-elle, gauchement. La nuditémemetmal à

l’aise.Vanderfronçalessourcils.—Pourquoi?Vousavezunecicatrice,duchesse?Jem’enmoqueéperdument.— Non, ce n’est pas cela. Pourriez-vous repousser ce projet à ce soir, dans l’intimité de votre

chambre?Enguisederéponse,Vanderarrachasaredingote.LepoulsdeMias’emballa.Ensuite,cefutautour

du gilet.Cela lui rappela le jour où il avait demandé qu’elle l’inspecte sous tous les angles avant del’acheter.Àpeinedeuxsemainesplustôt.Commentétait-cepossible?

Lesoleildelafind’après-midientraitàflotsparlesfenêtres,accrochantdesrefletscuivréssurlapeaudeVander.Sachemisevolaàtraverslapièce.Soncorpsétaitbardédemuscles,etMiasentitsesdoigtsladémanger.

Lorsqu’ilsepenchapourôtersesbottes,elles’affola.S’illaforçaitàsedévêtir,elledéfailliraitdepurehumiliation.Profitantdecequ’ilétaitoccupéavecsesbottes,ellesedirigeaverslaporte.

Ill’atteignitavantelle.—Cen’estpasunebonneidée,déclara-t-elle.C’estuneattitudetoutàfaitinconvenantequ’aucune…

ladynesauraittolérer.Un mélange de cuir et d’épices lui caressa les narines. Les genoux en guimauve, elle s’efforça

d’afficheruneexpressiond’autantplusféroce.Vanders’adossaàlaporteet,unsourireconquérantauxlèvres,coinçalespoucesdanslaceinturede

sespantalons.—Non!s’écria-t-elle.Bienentendu,ill’ignora.Pantalonsetcaleçonglissèrentlelongdesescuissesvigoureusesd’homme

habituéàchevaucherdesmonturesindociles.Mialaissaéchapperunsoupirtremblanttoutensuivantduregardlafinelignedepoilsquidescendaitlelongdesonabdomenjusqu’à…

Enfin…plusbas.Seigneur,pasétonnantqu’elleaiteumal.Lavirilitédecethommeétaitbeaucouptropimposante.Il écarta ses vêtements d’un coup de pied et se planta devant elle, détendu, comme s’il avait

l’habitudedesetenirnudansunrayondesoleil.—Alors,duchesse,jevousplais?Ill’observait,lespaupièresmi-closes,commes’ilnesavaitpaspertinemmentqueledésirpulsaiten

elle,qu’ellemouraitd’enviedeletoucher,desetortillercontrelui,del’attirerdanslelit…Elles’éclaircitlavoix.—Vousêtesprésentable,comme,j’ensuissûre,onvousleditchaquejourdepuisvotrenaissance.—Monrayondelunerépond-ilàvosattentes?Àenjugerparsonsouriretriomphal,ilétaitpersuadédesamagnificence.—Oublierez-vousunjourcestupidepoème?—J’endoute, répondit-il,etsonsourires’élargit. Jesuis leseuldansmoncercled’amisquiaeu

droitàuneodeàsaqueue.Miapestaintérieurement.Inutiled’essayerdeluienseignerl’artdelamétaphorelittéraire.—Jemeursd’impatiencedelirevosromans,ajouta-t-il.—Iln’estnullepartquestionderayonsdelunedansmeslivres!Ilhaussalesépaules.—Àvotretourdevousdéshabiller.—Commejevousl’aidit,l’idéedemedévêtirenpleinjourmeperturbe.Elles’approchadelui,promenalamainsursontorse.—Celanesuffit-ilpas?—Loindelà,objecta-t-il.Illuiprittoutefoislamainetlaposasursonsexeérigé.D’instinct,lesdoigtsdeMiaserefermèrent

dessus.Àsagrandejoie,Vanderfrissonnavisiblement,puis,luiencadrantlevisagedesesmains,illuieffleuraleslèvresd’unbaiser.Elleresserrasonétreintejusteunpeu.LeregarddeVandersevoilaetungrondementluiéchappaavantqu’ilreprennesaboucheavecfièvre.

Dansunrecoindesatête,Miacommençaàperdresonsang-froid.EtsiVanderneladésiraitplusunefoissesseinslibérésducorset?Siellelesdétestait,pourquoilesaimerait-il?

Luiempoignantlesfesses,illaplaquacontrelui.—Jeveux caresser à pleinesmainsvos seins divins, grogna-t-il contre ses lèvres, y enfouirmon

visage,sucervosjolispetitstétons…Oh,Seigneur!Elleallaitdevoirlelaisserfaire.OuinvoquerlaclausedesQuatreNuits.

—Jevousensupplie,l’implora-t-elle,audésespoir,nepourrions-nousattendrejusqu’àcesoir?Ilsefrottacontreelle,lesoufflecourt.—Jevousdonnel’impressiondepouvoirattendrejusqu’àcesoir?Miaavaitlatêtequitournait.Peut-êtredevait-elleenfinir.Sielleneregardaitpassonvisage,ellene

sauraitpascequ’ilpensait.Nepassavoirvalait-ilmieuxquel’inverse?Oui.Indéniablement.DéjàVanderdéboutonnaitsarobedansledos,puisilperditpatienceetarrachalesderniersboutons.

Commedansunbrouillard,Mialelaissaladébarrasserdesarobe.Ilreculad’unpas.—Duchesse, le corset quevousportiez l’autre soir était impressionnant,mais je dois avouerque

celui-ciressembleniplusnimoinsàunecageenacierdestinéeauxfauves.Leditcorsetcomportaitungrandnombredebaleineschargéesd’affinersasilhouette.Vander le lui

ôta,etlesœilletsmétalliquestintèrentlorsqu’iltombalourdementsurleparquet.Ilneluirestaitplusquesachemisedebatiste.

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NOTESSURLANOUVELLEGARDE-ROBEDEFLORA

Floramortifiéed’apprendrequelacouturièrelatrouveosseuse.—LesFanfreluchescommel’Apparencen’ontaucuneimportance,rétorqualajeunelady.—Paspourleshommes,marmonnalaFrançaiseàcausedesépinglescoincéesentreseslèvres.Florasavaitqu’aucunhommedevaleurneprendraitdetellesineptiesausérieux.Toutefois…—Pourriez-vousaméliorerlecorsagedecetterobe?implora-t-elle.LamousselineblancheplisséenelaissaitaucundoutesurlefaitqueFloraétaittrèspeupourvueenatoutsféminins.—Onnepeutpasfaireunépervierd’unebuse,grommelalacouturière.—Celafonctionne-t-il?Probablementpas.Maislechangementestintéressant.Leshommesaiment-ilsvraimentlesseinsplantureux?

Vanderdutfaireappelà toutsonsang-froidpournepasse jetersurMia.Sonépouseétaitblanchecommeun linge et tremblait visiblement ; elle dénoua pourtant le ruban de sa chemise.Les paupièrescloses,ellelafitglisserlelongdesesépaules.

Mourantd’enviedelatoucher,Vanderréprimaungrognementtrèspeuducal.La chemise blanche descendit plus bas, révélant des seins encore plus beaux qu’il n’aurait osé

l’imaginer:rebondisetlisses,avecdesmamelonspareilsàdescerisesmûres.Miasetortillaetlachemisetombasurlesolaprèss’êtreaccrochéeuninstantàseshanches.Voilà,

elleétaitdansleplussimpleappareil.Sonépouse.Saduchesse.—Nomdenom,lâchaVanderd’unevoixenrouée,àcourtdemots.Mialevalesyeuxauciel.—Inutiledem’adresserdescomplimentsaussiextravagants.—Vousêtessublime,duchesse.Ilvitqu’elleréfléchissaitàcecommentaire.Toutefoisledésirfutleplusfort;incapabled’attendre

quesesparolesapaisentsescraintes,illasoulevadanssesbras,etl’étenditsurlelitavantdes’allongeràsescôtés.

—Puis-jetoucher?—Non.Il n’insista pas, laissa samain remonter le long de sa cuisse, jusqu’à son intimité. Elle était déjà

humidededésir,etgémitdèsquesesdoigtslafouaillèrent.Aucombledel’excitation,ilroulasurelle,s’insinuaentresescuissesetentraenelled’unpuissant

coupdereins.Nipréliminairesnitendrescajoleries–justeunvigoureuxva-et-vientquilatransportaitàtoutealluresurlacrêted’unevaguedevoluptéindicible.

Commeelleneluienavaitpasdonnélapermission,ilseforçaàgarderlesmainsàl’écartdesonbuste,maiscetteretenuenefitqu’accroîtresafougue.

S’appuyantdepartetd’autredesépaulesdeMia, ilavait levisagejusteau-dessusdesesseins.Ilauraitjuréquelespointessedressaientdavantagechaquefoisqu’illesregardait.

Latêtedelitcognaitcontrelemur,encoreetencore.EtMiaaccueillaitchaqueassautavecuneégaleivresse,toutencaressantVanderfébrilement:dos,fesses,cuisses.

Ils’immobilisasoudain.—Jepeuxtouchervosseins,àprésent?—Non!—Vousallezadorer,promit-il.Sansprévenir,ilbasculasurledos,entraînantMiaavecluisibienqu’elleseretrouvaàcalifourchon

sur lui.Baissant lesyeux, ellevit ses seins saillir telsdeuxénormesglobes.Elle sortit aussitôt de satranse.

—Regardez-moi,luiordonnaVander.Elles’exécutaàcontrecœur.Ilaffichaituneexpression…extatique.—Vosseinssontparfaits,articula-t-il.Voluptueux,généreux.Etvostétonssontcommedesfruitsqui

n’attendentquemabouche.Jenetouchepas,n’ayezcrainte.J’aitoutefoisl’intentiondelesembrasser.AvantqueMiaaitpu l’enempêcher, labouchedeVander se referma sur lapointed’un sein.Elle

passasanstransitiond’uneappréhensionquelquepeuhonteuseàundéferlementdesensationssiintensesquesesmusclesintimessecontractèrentinvolontairement,arrachantungémissementàVander.

L’empoignantauxhanches,ilrepritsonva-et-vientenivrant.Avecchaquesuccion,untorrentdelaves’écoulaitenelle.Ellebrûlait,elleallaitexploser…

Entredeuxbaisers,Vanderluidisaitavecferveurcequ’ilpensaitdesesseins,desoncorps…Etellelecroyait.Etquandellebasculadansl’extase,lecorpssecouédespasmes,rienn’auraitpului

paraîtrepluslégitime.Ellel’aimait.Jamaisellen’avaitcessédel’aimer.L’affectionqu’Edwardetellepartageaientn’avaitrienàvoiravecl’amour.Undontotaletéperdu,

voilàcequ’étaitlevéritableamour.—Vander!cria-t-elle,surlepointdeluiavouersessentiments.Mais il n’entendait plus rien. Il roula de nouveau sur elle. Ses coups de reins se firent plus

frénétiques,etilchaviraàsontour,lapropulsantdeplusbelleauseptièmeciel.Danslecocondefélicitésuprêmequilesenveloppait,iln’yavaitplusniVanderniMia:justedeux

corpsunis,haletantdeconcert,au rythmed’unechorégraphieprimaleaussiancienneque la terreelle-même.

QuandVanderseretiradoucement,nil’unnil’autreneditunmot.IlattiraMiacontrelui.Hébétée,elleseblottitaucreuxdesonépaule.

Elles’étaitdonnéetoutentière,corpsetâme.Etluis’étaitoffertàelledelamêmemanière.Leurmariagevenaitd’êtreconsommé.

27

DeladuchessedePindaràsesÉditeurs,MMBrandy,Bucknell&Bendal

15septembre1800

ChermonsieurBucknell,J’aiàpeinequittémesappartementscesdeuxderniersjours,plongéequej’étaisdanslalecturedesromansdeMlleJulia

Quiplet,etjecomptecommencersouspeuceluideMlleLisaKlampas.J’aiconsciencededonnerl’impressiond’avoirnégligémonpropretravail,cequiestbeletbienlecas,maisjevousassurequerienn’estmoinsvrai.LesœuvresdeMlleQuipletm’ontbeaucoupinspiréeetontrenforcémaconvictionquel’Amourestl’ArchitectureSecrètequisous-tendlemonde.

Jeserairavied’apportermapluschauderecommandationaunouvelopusdeMlleQuiplet.

Avectoutemaconsidération,SaGrâce,laDuchesse,etc.

DeuxjoursplustardLorsque Vander se réveilla, les premières lueurs de l’aube teintaient la chambre d’une lumière

bleutée.L’espaced’uninstant,ilnesutoùilétait,commes’ilavaitétésecouédansunkaléidoscope.Soncorpsluiparaissaitdifférent.Iltournalentementlatête.Miaétaitlovéecontrelui,sacheveluresoyeuseétaléesursonbras.Elle

souriaitdanssonsommeil.Ce n’était pas juste son corps qui était différent ; lui aussi l’était. Il se sentait déséquilibré.

Vulnérable.Chaquenuit,ilsemétamorphosaitenunfoufurieuxquis’adonnaitsansretenueauxplaisirsdelachair.

Lamaîtrise de soi avait toujours été le fondement de sa vie.Une étincelle de panique suivit cettepensée.Peut-êtresonpèreavait-ilperdul’espritparcequ’ilvouaitunamourtropferventàsafemme,quin’avaitpashésitéàletromper.

Non.Impossible d’oublier les confidences de Chuffy : son père avait montré des signes de folie dès

l’enfance.Etplustard,ils’étaitmontréviolentavecsafemme.Quelgenred’amourétait-celà?Il repoussadoucement la têtedeMiaqui reposaitsursonépaule,etse leva.Sonsangpulsaitàun

rythmelent,commes’iln’avaitjamaiséprouvédeplaisirauparavant.Commesiembrasserlafemmequipartageaitsonlitétaitlaseulechoseaumondequienvaillelapeine.

Bien sûr, il lui était déjà arrivé de ressentir autant de plaisir. Pour l’heure, il ne se rappelait pasquand,maisd’autresfemmesavaientforcémentdûlerendreaussifoudedésir.

Il s’habilla sans se soucierdeprendreunbainni de se raser. Jafir devait faire sesdébuts sur lesterrains de coursedans l’après-midi.Lapiste ne se situait qu’à deuxheures deRutherfordPark, pourainsidireàcôtédeStarberryCourt,ledomainedeThorn.

Illuifallaittrouverrefugeauxécuries,letempsdereprendrepossessiondecequ’ilavaitperdulanuitpassée.Quoiquecefût.Unepartiedesoncœurpeut-être.

Cequiétaitinacceptable.Ildescenditlesmarchesd’unpaspresséet,d’ungesteimpatient,congédiaGauntquiapprochait.Ce

dernierneselaissapasrepousseretcourutàlasuiteduducquivenaitdesortirsurleperron.—VotreGrâce!Vanderfitvolte-face.—Quoi?grogna-t-il.—Vousm’aviez demandé deme renseigner, répondit lemajordome, le souffle court.Au sujet du

fiancédeSaGrâce,vousvoussouvenez?Évidemmentqu’ils’ensouvenait,bienqu’iln’enaitjamaisparléàMia.Àquoibonl’inquiéter?—Ilestvivant,luiappritGauntensetenantleflanc.Morbleu,VotreGrâce,vouscavalezplusvite

qu’unetruieenrut.— Excellent, dit Vander qui, du coup, chassa Edward Reeve de son esprit. Je suis heureux de

l’apprendre.—Maisilestenprison!ajoutalemajordome.Vandersefigea.—Enprison?Oùcela?—Aupénitencierd’OldTolbooth,àÉdimbourg.LedétectivedeBowStreetl’aretrouvéaprèsque

l’hommeaorganisésonévasion.—Uneaccusationinventéedetoutespièces,présumaVander.AucunhommenequitteraitMiadesonpleingré.Ilenavaittoujourseulacertitude.Gauntacquiesça.—C’estcelamême,VotreGrâce.LedétectivevatémoignerdevantlaCouronneetdéclarerquesir

RichardMagruder a fait jeterM. Reeve en prison sous un chef d’accusation fallacieux et une fausseidentité,auméprisdesprocédureslégales.M.Reeveafaillimourird’uneblessureàlatêteinfligéelorsdesacapture.SirMagruderseraaussiinculpédetentativedemeurtre.

Vanderjuraentresesdents.— Il semble queM. Reeve ait été conduit à Old Tolbooth sur la foi d’un ordre d’incarcération

falsifié stipulant qu’il s’agissait d’un condamné à perpétuité récalcitrant, trop dangereux pour êtreemprisonnéenAngleterre.Commesilesgeôlesécossaisesétaientplussûresquelesanglaises,ironisalemajordome.Ilétaitsurlepointd’êtretransféréàBotanyBayquandils’estéchappé.

L’homme s’était sans aucun doute évadé pour retrouverMia. Et Charlie. C’était son droit le plusstrict.Unebrusquenauséetorditl’estomacdeVander.

—Oùsetrouve-t-ilàprésent?demanda-t-il.—IlestenroutepourRutherfordPark.Pourvoirladuchesse,VotreGrâce.D’aprèslemessagedu

détective,ildevraitêtreicidemainmatin.—D’accord,ditVander,étrangementcalmesoudain.Illuirestaitencoreunejournéeavecelle.Unedernièrenuit.—PasunmotàSaGrâce,ajouta-t-il.Gauntplissalefront.— Je ne veux pas qu’elle soit déçue siM. Reeve ne vient finalement pas, expliqua le duc, l’air

sombre.Jel’eninformeraimoi-mêmedemainmatin.

Ce qu’il ressentait à cet instant, il l’avait éprouvé à neuf ans, lorsque son père, le prenantprétendumentpourunvoleur,l’avaitjetécontrelemurdel’arrière-cuisine.Puisdenouveauunanplustôt,lorsquelechefdelapoliceétaitvenuluiannoncerledécèsdesamère.

—Préparezunechambre,maisnedévoilezàpersonnel’identitédenotreéventuelvisiteur.—VousnecomptezpasprévenirSaGrâceavantdemainmatin?s’étonnaGaunt.Etencore.VandernetenaitàaucunprixàêtretémoindelajoiedeMialorsqu’elleapprendraitque

Reevene les avait pas abandonnés,Charlie et elle.Que sonbien-aimé les adorait et s’était évadédeprisonpourlesrejoindre.

Lui-mêmeseseraitéchappédelaTourdeLondrespourretrouverMia.—Non,répondit-il,tandisquelavéritélefrappaitdepleinfouet.IlétaitaussiensorceléparMiaquesonpèrel’avaitétéparsamère.Leducétaitmortquelquesjours

aprèslanouvelledudécèsdesonépouse,commesilesimplefaitqu’ellenefûtplusdecemondel’avaitlaissésansdéfensecontrelapneumonie.

Pourtant, sa femmeétait amoureused’unautre.Tout commesapropre épouse, l’actuelleduchesse.Bref,ilavaitréussil’exploitdereproduireleménageàtroisquil’avaitenvoyéàEton,ivrederage.Ilcommençaitàcroireàunemalédiction.

Illuirestaitunejournée.Etunenuit.Ironiedelasituation,cesoirseraitsaquatrièmenuitavecMia.Laquatrièmeetdernière.—Informezlepersonnelquej’emmèneSaGrâceetCharlieauxcoursesdeNestlefordpourassister

auxdébutsdeJafir.Nouspartironsd’iciuneheure.Lemajordomehochalatête.—Gaunt,leprévintVander,jeseraisextrêmementmécontentsilamoindreallusionàcettenouvelle

parvenaitàSaGrâceavantdemainmatin.Est-cebienclair?IlcrutdétecterunelueurdepitiédansleregarddeGaunt,maisiln’enavaitcure.— La duchesse n’apprendra rien par moi, Votre Grâce. Puis-je cependant ajouter queM. Reeve

risquedenepasvouloirperdredetempsetd’êtrelàavantdemainmatin.—Nousseronsabsents,réponditVander.NouspasseronslanuitchezM.Dautry,dontlapropriétése

trouveàproximitéduchampdecourses.Commed’habitude, sides invitésarriventàRutherfordPark,installez-lesconfortablementjusqu’àmonretour.

Vanderrentradans lamaison. IldevaitpréparerJafir,etunemultituded’autres tâches l’attendaientauxécuries.Avantcela,toutefois,ilvoulaitréveillerMia.

Àsafaçon.

28

Lasuiteducalenefutpasprêteàpartirdansl’heure;dumoinspaslesmaîtresdemaison,toujoursdansleurchambreetquepersonnen’osaitdéranger.

Maisdeuxheuresplustard,lemanoiretlesécuriesbruissaientd’animation.Charlieétaittoutexcitéàl’idée d’assister à sa première course. La laisse de Dobbie était attachée à sa béquille et tous deuxtournaientenronddevant lamaison.Chuffyaussiétaitdescenduàuneheure inhabituellementmatinale,resplendissantenredingotejaunesafranetpantalonsfauves.

Outre Jafir, les Écuries Pindar faisaient courir deux hongres et une pouliche. Les palefrenierss’affairaient, les bras chargés ; les jockeys faisaient les cent pas, se tapotant la cuisse avec leurscravaches.

ToutecetteagitationdonnaitpresquelevertigeàMia.Vander,lui,affichaituncalmeolympien–l’œilducycloneautourduquelgravitaientdomestiques,garçonsd’écurieet jockeys. Jafir renâclaitdanssonvanjusqu’àcequeMiaetCharlielerejoignent.

Mias’adossaàlavoitureetCharlies’assitàl’arrièrepourreposersajambe.Aussitôt,lepur-sangsecalmaetregardaalentour,alerteetintéressé.

—Ilvayarriver,déclaraMulberryquis’étaitarrêtéprèsd’eux.SiVotreGrâcem’avaitditilyaunesemainequeJafirtoléreraitunenfantauprèsdelui,j’auraiscruàunebonneblague,sivousvoulezbienmepardonnercelangage.

Charlieavaitapportéunpetitcarnetdanslequelilnotaittoutcequ’ilentendaitsurleschevauxparceque,avait-ilexpliquéàMia,ilavaitl’intentiond’entraînerlesmeilleurschevauxdecoursed’Angleterreunjour.Commeleduc!

CommeenréponseauxproposdeMulberry,JafirbaissalatêteetreniflalescheveuxdeCharlie.—Jafiraadoptémonneveu,déclaraMia,nonsansfierté.— Exact, confirma Mulberry qui flatta l’encolure du cheval. Votre Grâce et M. Charles sont sa

famille.Jeneseraispasdu toutsurprisqu’il remporte lacourse,cesoir.Désormais, ila lecœurà lavictoire.

Avecsa robe luisante, l’alezan ressemblaitàun roiparmisescongénères,uncoursierd’exceptioncapabledechevaucherlevent.

Àleurarrivéeàl’hippodromedeNestleford,VanderaccompagnaMiaetCharlieàsaloge–avecunvalet–etlesylaissa.

—ThornetIndianevontpastarder,lesprévint-il.Miatrouvaitsonattitudeunpeuétrange,maisellemitcelasurlecomptedelacourse,quilerendait

sansdoutenerveux.Mêmes’iln’affichaitaucunsignemanifested’appréhension,ilavaitpayébienpluspourJafirquequiconquepourn’importequelautrechevaldanstoutel’Angleterre.Ilétaitnormalqu’ilressenteunecertainetension.

Lesjournalistesdetouteslesgazettesduroyaume,ycomprisleSportingNews,arpentaientlechampdecoursesd’unpasfébrile.Mian’entendaitparlerquedeJafir.Penchéspar-dessuslabalustradedeleurloge,ChuffyetCharlieespionnaientlesconversationsdespassants.

Mia arborait une robeneuve.Dieumerci, sapoitrine était assez couverte.Elleportait enoutreunchâleetsoncorsetleplusrésistant,etsetrouvaitplutôtenbeauté.Mêmesi,pourêtrehonnête,elledevaitmoinssatoutenouvelleassuranceàsarobequ’auxcomplimentsfrancsetdirectsdontsonmari l’avaitabreuvéecesjoursderniers.SilesremarquesdeVandern’avaientrienàvoiraveclesélégantesformulesdesonhéros,Frédéric,ellesn’endemeuraientpasmoinsd’unetouchantesincérité.

Saflûtedechampagneàlamain,ellesouriaitàlapenséedecertainsproposparticulièrementosésquandlevaletluitenditlacartedeM.TobiasDautry.Uninstantplustard,ledomestiqueouvraitlaportedelaloge.

—M.Dautry,ladyXenobiaIndiaDautry,MlleDautry,annonça-t-ilaussicérémonieusementquedansungrandsalon.

Mia posa son verre et se leva pour les accueillir. Thorn, dont elle ignorait qu’il avait une fille,poussadevantluiunefilletteàlaminesolennelle,unlivredansunemainetunepoupéedansl’autre.

Charlieseretourna,etMialevittiqueràlavuedelapetite.Lescontacts,certeslimités,qu’ilavaiteus avec les enfants s’étaient révélés invariablement déplaisants. Il s’avança pourtant vers elle et secomportaavecunecourtoisiequidissimulaitsagêne.Ilparvintmêmeàsaluersanstomberàlarenverse,untalentqueVanderavaitdûluienseigner.

Mia n’avait pas revuThorn ou India depuis lemariage,mais aujourd’hui la situation lui semblaitdifférente.Certes,àleursyeux,elledemeuraitlafemmequiavaitfaitchanterVander,pourtantelle-mêmeneseconsidéraitplusainsi.Commentlepourrait-ellealorsqu’illuifaisaitl’amouravectantdepassionetl’avaitréveilléelematinmêmeenluiavouantquesurlechemindesécuries,ilavaitoubliéquelquechose?Ils’avéraqu’ils’agissaitd’unbaiser–unbaiserquis’étaittransforméenébatssitendresetsiardentsqu’elleavaitensuiteverséquelqueslarmesdepureallégresse.

Thorn et Chuffy s’en allèrent : Chuffy pour faire ses paris, Thorn pour retrouver Vander et voircommentallaitJafir. IlpromitderevenirchercherMiasi«son»étalonavaitbesoindesonapaisanteprésence. Charlie regagna sa place à l’avant de la loge en clopinant. Rose posa son livre, garda sapoupée,etlesuivit.LadyXenobiaetMias’assirentetselancèrentdansuneconversationunpeugaucheausujetdesenfants.

Il se trouvaqu’India–commeellesouhaitaitqu’on l’appelle–étaitaussinerveusede les faireserencontrer.

—Rosen’aeuquepeudecontactsavecdesenfantsdesonâge,expliqua-t-elle.Elleauneéducationunpeuinhabituelle.

—Charlieaussin’arencontréquetrèspeud’enfants.—Pourquoiprend-ildesnotes?Miasourit.— Vander lui a suggéré de se rendre utile en écrivant tous les potins qu’il entendait. Vander

plaisantaitàdemi,maisCharliel’aprisaumot.Lamanœuvres’estrévéléebrillante:Charlieestmalàl’aiseenpublic,dansunefouledesurcroît,cependant,aveccettetâchequ’onluiaconfiée,ilenaoubliésaméfiance.

—Sijemefieàcequemonmarim’adit,c’étaitpourCharliequ’ilvousfallaitépouserVander.—Eneffet,réponditMiaaprèsunehésitation.J’aisuggéréuneuniontemporaire,mais leducétait

réticentàl’idéededevoirsechercheruneautreépouse.Alorsmevoilà.Indiaarquaunsourcil.—Cesontsespropresparoles?—Ehbien…oui.

— Dieu que les hommes sont idiots, soupira India. Vous vous rendez compte que si Vander nesouhaitaitpasdemeurermariéavecvous,votreunionseraitenvoiededissolution,n’est-cepas?Iln’apasautorisémonmariàentreprendrequoiquecesoitpourempêchervotremariageet,croyez-moi,ThornauraittrouvéunesolutionsiVanderleluiavaitdemandé.

—Ilnevoulaitpasperdresonduché,précisaMia.Àvraidire,jecroisqu’ilredoutedavantagedeperdreseschevauxquesontitre.

—Sansdoute. Il adécidéd’acquérir Jafiraprèsdesmoisde réflexionetd’étudeméticuleusedeslignées. J’ai été le témoin silencieux de nombre de discussions à ce sujet entremonmari et le vôtre.Thorn aurait racheté les écuries deVander une heure après votre demande enmariage si le duc avaitdécidédelarefuser.Pourunelivreoumille,dansleseulbutdelesluirevendreplustard.

—Jen’avaispassongéàcela,murmuraMia.—VanderarejetétouteslessuggestionsdeThorn,ycomprisladestructiondelafameuselettre.Et

depuis,ils’estrefuséàdivorcerouàannulerlemariage.Qu’enpensez-vous?—Quec’estbeletbienunhommed’honneur.Toutlecontrairedesonpèreàelle,pourdireleschosesbrutalement.Indiaéclataderire.—Croyezcelasivousytenez.—Jenevoisaucuneautreexplication,assuraMia,unpeuguindée.Elle décida de changer de sujet, et bientôt, les deux femmes se lancèrent dans une conversation

autrement plus intéressante : le talent d’India pour organiser et réaménager des intérieurs.Au bout dequelquesminutes,Mianeputrésisteret,aprèsluiavoirfaitpromettredegarderlesilence,elleluiparladeLucibellaDelicosa.

Ce furent quelques heures des plus agréables, interrompues par un repas léger en compagnie desenfantsqui,àdéfautdedeveniramissur-le-champ,étaientdumoinsintriguésl’unparl’autre.Miaavaitlesentimentque,surlecheminduretour,chacunqualifieraitl’autred’«unpeubizarre»,quoiqueavecadmiration.

Lorsquel’heuredelacoursedeJafirapprocha,ThornetVanderpassèrentàlalogeencoupdevent.PourleplusgrandbonheurdeCharlie,Vanderlehissasursonépauleavecsabéquilleetlereste.

—Nousnousreverronsaprèslacourse,dit-ilenpivotantverslaporte.—Nousdevonsêtreprèsdelapiste!criaCharlieenfaisantunsignedelamainàMia, les joues

rosesetlesyeuxbrillantsd’excitation.—J’aimeraisbienlesaccompagner,fitunepetitevoix.—Oh,machérie,commençaIndia,j’aibienpeurque…MaisThornsoulevaitdéjàsafille.—Tiens-toifermement,luiconseilla-t-ilenlacalantsursonépaule.Et tandisquecesdeuxhommesséduisantss’enallaientavecdesenfantsperchéssur l’épaule,Mia

sentitsoncœurseserrerd’émotion.Indiaetelles’installèrentàl’avantdelalogepourassisteràlacourse.Ils’avéraqueMiamanqualafacilevictoiredeJafir,occupéequ’elleétaitàcontemplerl’hommequi

setenaitau-dessousd’elleetlegarçonappuyéentouteconfiancecontresatête,tousdeuxpoussantdescrisd’encouragement,puisdejoie.

LorsqueVanderetThornregagnèrentlalogeaveclesenfants,Jafirétaitenpassededevenirl’étalonlepluscélèbred’Angleterre.LesjournalistesavaientsautédansleursvoiturespourregagnerLondres,etdécrivaientdéjàdansuneprosesurvoltéel’extraordinairecoupdemaîtreduducdePindar.

Lepur-sangétaitlefavoriduderby.S’ilcontinuaitsursalancée,sesrécompensespermettraientderembourserenunriendetempssonprixd’achatcolossal.Vanderavaitbeaunerienlaissertransparaître,Mia savait qu’il était immensément satisfait. Chuffy, lui, semontrait d’une exubérance sans borne : il

avaitmisé toute sa rente sur Jafir et disposait désormais de fonds suffisant pour financer l’expéditionarchéologiquedanslesAndes.

—Pensezausujetdevotreprochainroman!lança-t-ilàMiaenlevantsaflûtedechampagne.Ce soir-là àStarberryCourt, tous portèrent un toast aupari audacieuxdeVander.Puis celui-ci se

tournaversMiaetlevadenouveausonverre.—Sansl’attentiondemonépouse,Jafirdépériraitdanssonbox.Elleestsafamilleetsoncœur.Mialuisourit,lesyeuxembués.Aprèsquoi,sanssesoucierdelabienséance,Vanderl’arrachaàlatablepourl’entraîneràl’étage.

Elleneprotestapasetleurshôtessecontentèrentderire.—C’estnotrequatrièmenuit,Mia,murmuraleduc,unpeuplustard,alorsqu’ilsétaientétendusau

milieudesdrapsfroissés.Elleavaitcessédepenseràleurcontrat,aussicettedéclarationlaremplit-elled’effroi.Ellecrispa

lesdoigtssursesbrascommepourleretenir.—Refuserez-voussi jevoussuppliedem’enaccorderdavantage?demanda-t-elle, lavoixrauque

d’aprèsl’amour.Ilgardalesilenceuninstant,puis:—Sivousmesuppliez,jamaisjenevousrefuseraiquoiquecesoit,Mia.Jamais.

29

Tardlelendemainmatin, tandisquelavoitureapprochaitdeRutherfordPark,VanderseforçaànepluspenseràlapassionquiavaitdenouveauflambéentreMiaetluilanuitpassée.

C’étaitfini.Leursquatrenuitsavaientété…consommées.Entantqu’épouxdeMia,ilpouvaitenexigerplus,toutcommeilpouvaitrefuserqu’ellevoieEdward

Reeve. La part féroce de sa personnalité semoquait du bien et dumal et voulait l’enfermer dans sachambre.Elleétaitàlui,nomdenom.

Il ne pouvait cependant pas faire comme si Mia ne lui avait pas laissé clairement entendre, àplusieursreprises,qu’elleaimaitReeveetqueleurruptureluiavaitbrisélecœur.Leurmariage,ellenel’avaitvouluquetemporaire,etuniquementpourprotégerCharlie.

Or,ilserévélaitqueReevenel’avaitpasabandonnée.L’hommequeMiaaimaitétaitderetour.EtVandern’étaitpashommeàvivreavecunefemmequienaimaitunautre.

IlétaitdonccensépréparerMiaàlaprobabilitéquesonancienfiancépûtl’attendreaumanoir;luiexpliquer que Reeve n’avait jamais fui et, de surcroît, avait risqué sa vie pour la retrouver.Mais lafacetteincontrôlabledesapersonnalité–cellequiétaitindigned’ungentleman–s’yrefusait.Etpuis,quisait, l’homme n’arriverait peut-être pas aujourd’hui. Ce qui signifiait qu’ils auraient droit à une nuitsupplémentaireMiaetlui.

Lavoitures’arrêtadevantl’entréeprincipaleetlesvaletsaccoururent.—Jevais installer leschevaux,duchesse,secontenta-t-ildedireensortantde lavoiture.Jevous

rejoinsdèsquej’aiterminé.Miaesquissaunsourirecoquin,souvenirde leurbatifolagenocturne,qui lui incendia lesreins.Se

retenant à grand-peine de la prendre dans ses bras, il tourna les talons et s’éloigna à grands pas enétouffantunjuron.

Aux écuries, il apprit que Reeve était arrivé quelques heures plus tôt. Une fois les chevaux ensécurité,ilregagnalemanoir.Enversetcontretout,ilnepouvaits’empêcherdegarderespoir.

Cependant, lorsqueGaunt ouvrit la porte du salon,Vander se pétrifia. La tête de son épouse étaitnichéecontreletorsedeReeve,sesmainscrispéessursaredingotetandisqu’ellesanglotait.Légèrementincliné,sonex-fiancéluiparlaitdoucementàl’oreille,unbraspossessifenrouléautourdesataille.

Vandereutunhaut-le-corps,sonêtreentierserebellantcontrecespectacleinsupportable.Unefureurindicibles’emparadelui;uneenviepresqueincontrôlabledetuerl’hommequitouchaitsonépouse.

Saufqu’ellen’étaitpasréellementsonépouse.Iln’étaitqu’unmariprovisoire,lemoyenpourMiadeparveniràsesfins.

S’ilavaitencorelemoindredoutequantàl’attitudeàadopter,lespectaclequis’offraitàluiemportaladécision.Plusquequiconque,ilsavaitqu’ilétaitimpossibledegarderunefemmeéprised’unautre.Miaavaitaimésonfiancé.L’aimaitencore,apparemment.

Reevehantait leuruniondepuis ledébut.Etmaintenant il était là, évadéd’une sinistregeôlepourretrouverl’éluedesoncœur.UneintrigueromantiqueendiabledignedeLucibellaDelicosa.

Mianel’avaitpasentenduentrer,maisReeverelevalatêteetleursregardssecroisèrent.Sileducavaitprislapeined’imagineràquoiressemblaitlefiancédeMia,ilseseraitreprésentéunintellectuelfluet,unprofesseurà lunettes, ledosvoûtépar l’excèsde lectureet lemanqued’activitéphysique.Unlâchequiavaitfuisesresponsabilitésenversunenfantinfirme.

Enréalité,Reeveétaitaussigrandquelui.Sonnezrécemmentcassélefaisaitressembleràunboxeur.Cependant, Thorn l’avait décrit comme brillant, et il possédait cette assurance indéfinissable desprofesseursd’Oxford,suggérantqueThornavaitraison.

Reeve dut remarquer la lueur assassine dans les yeux de Vander, car les siens s’assombrirent.C’étaient les yeux d’un homme tout juste évadé d’un des pénitenciers destinés aux détenus les plusviolentsduroyaume.Unhommeprêtàlutterjusqu’àlamortpoursafemme.

Cen’étaitguèresurprenant.N’importequelhommesebattraitpourMia.Ellelevalatête,posalamainsurlajouedeReeve.—Jen’osepenseràtouslestourmentsquevousavezendurés,articula-t-elled’unevoixtremblante.

JemesenstellementcoupabledevousavoirprésentéàsirRichard.Sansmoi,riendetoutcelaneseraitarrivé.

Reevemurmuraquelquesmots.Mialelâchaetseretourna.—Vander,vousn’allezpascroirecequiestarrivé ! s’écria-t-elle.VoiciEdwardReeve.Figurez-

vousqu’ilnem’avaitpasabandonnée,maisquel’oncledeCharliel’avaitfait jeterenprisonsousuneaccusationfallacieuse.Ilyapresquelaissélavie!ajouta-t-elledansunsanglot.

Vanderfranchitl’espacequilesséparaitetinclinalatête.—Reeve,dit-ild’untonneutre.—VotreGrâce.Reeves’inclinaàsontour,avecunretardcalculésuffisantpourtransformersongesteendéfi.Lesyeuxembués,Mianesemblaitpasconscientedubrasdeferquisejouaitentrelesdeuxhommes.—Vander,c’estaffreux.Edwards’estévadéalorsqu’ilallaitêtretransféréàBotanyBay.Etc’est

entièrementmafaute!Leslarmesjaillirentdenouveau.—LafauteenincombeàsirRichard,pasàvous,Mia,intervintReeve,cequiétaitl’évidencemême.Vandervitdansl’utilisationduprénomdesafemmeunedéclarationdeguerrepureetsimple.—Vousauriezpuperdreunœil ! lui rappelaMiaen frôlantduboutdesdoigts l’hématomesur la

pommettedeReeve.Direquevousauriezpumourirenprison,quepersonnen’auraitjamaissuoùvousvoustrouviez…

Ellepressasonmouchoircontresabouchepourréprimerunautresanglot.Tandisqu’illaregardait,Vandersentituncalmeglaciall’envahir.Ilnevoulaitpasd’uneépousequi

pleuraitsurlessouffrancesd’unautre.Sielleétaitlégalementàlui,soncœurappartenaitàReeve.—Jemesenssicoupabledenepasavoireufoienvous,avouaMiaaveunpâlesourire.Celadit,

cettehistoireestincroyable.Ellesembletoutdroitsortied’undemesromans.—J’espèrebienvoirmesaventuresenlibrairieunjour,réponditReeve,avantd’ajouteràl’adresse

de Vander : Les détectives engagés par mes parents me cherchent toujours en Inde. Vous savez, jesuppose,quec’estlevôtrequiadécouvertlavérité.IlavaitretrouvématraceenÉcosseetsedemandaitcommentprocéderpourmesortirdelàlorsquejemesuisévadé.Jevoussuisredevableàtouslesdeux,carvotrehommeaététrèsutilepourégarerlesgardeslancésàmestrousses.

Miafronçalessourcils.—LedétectivedeVander?Dequoidiableparlez-vous,Edward?

— J’ai engagé un détective de Bow Street pour retrouver votre fiancé, lui apprit Vander. Ilm’apparaissaitpeuprobablequecethommevousaitquittéedesonpleingré.

Ellelefixabouchebéeetsesjouessecolorèrent.—C’estvrai?Etvousnem’enavezriendit?Vandervituneétincellehorrifiées’allumerdanssesyeux.—Jurez-moiquevousignorieztoutdecettehistoirejusqu’àaujourd’hui!articula-t-elle.L’étincellesetransformaenbrasier.Àl’évidence,lapeinevenaitdecéderlaplaceàlarage–une

ragequifaisaitéchoàcellequelui-mêmeressentait.Avantqu’ilaitletempsderépondre,Reevelapritparlesépaulesetlafitpivoterdoucementverslui.

—Celan’aaucuneimportance,machérie.Jesuis làmaintenant.Jenevousaipasabandonnée.Jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourtoutarranger.

IlregardaVanderpar-dessuslatêtedeMia.—J’étaisaucourant,biensûr,desdispositions testamentairesdeJohnCarrington,etMiavientde

m’apprendreàquellemesureextrêmeelleaétécontraintederecourirpourvousforceraumariage.Jevousdoistoutemagratitude.J’aidesérieuxdoutesquantàl’espérancedeviequ’auraiteueCharlies’ilavaitdûdépendredesirRichard,avoua-t-il,lesmâchoiresserrées.

—J’imaginequevouscomptezporterplaintecontresirRichard,ditVander.Reevesourit,etleprofesseurraffinésemétamorphosaenunebêteféroces’apprêtantàbondirsursa

proie.—Biensûr.J’aidurestel’intentiondeluirendrevisite.MaisMiapasseavanttout.Il lui prit lamain.C’était un geste calculé.Le gantmétaphorique tomba avec fracas aux pieds de

Vander.Miabaissalesyeuxsurlesdoigtsquienserraientlessiens,puisregardaReeve.Elleouvritlabouche

pourparler,maisilreprit:—Ilnousfautannulersansattendrelasituationfâcheusequiarésultédemonenlèvement.Vander les fixait sans ciller, lesmâchoires crispées.Mais cen’était pas son épousequ’il voyait :

c’était samère, couvant lordCarringtondu regard.Ce tableau lemettaitdans lapositionde sonpère,bouillonnantd’unefureurimpuissante.

—Jesuissûrqueceladevraitseréglerrapidement,confirma-t-il,refusantdetrahir,neserait-cequeparunbattementdecils,lesenviesdemeurtrequiletaraudaient.

Ilrefusaitdedevenirsonpère.IlsentitleregarddeMiapesersurlui.—Maisnoussommesmariés,rappela-t-elled’unepetitevoix.Illaregardaet,parbonheurneressentitrien.Ilavaitcondamnécettepartiedelui-même.—Comme vousme l’avezmaintes fois répété, duchesse, un divorce peut s’arranger en sixmois,

répondit-ild’untonposé,raisonnable.—Surtoutdanscettesituation,machérie,renchéritReeve.Leroienpersonneannuleralemariagesi

monpèreenfaitlarequête.LecomteasesentréesauprèsdeSaMajesté.Vanderhochalatête.—Danscecas,jelaisseraivosrelationsréglerlasituation,déclara-t-il.Jedoutequevousportiezun

enfant,dit-ilàMia.Saufdanscecas,jenem’opposeraipasàuneannulation.Mias’écartadeReeveetfitunpasversVander.—C’esttoutcequevousavezàdire?demanda-t-elle,haussantleton.—Oui, réponditVander, imperturbable.L’hommequevous aimezvous est revenu,duchesse.Vous

n’avezplusbesoindemaprotectionnidemonnom.Ellebonditversluietluiflanquauncoupdepoingsurletorse.—Noussommesmariés!Jesuisvotreduchesse!

Saduchesse,certes,maisdanslesbrasd’unautre,songeaVander.Lasituationluirappelaittellementcelledesesparentsqu’unflotdecolèremenaçadelesubmergerdenouveautelleunelamedefond.

—Pardesvœuxquevousm’avezsuppliéd’annuler,souligna-t-il.—Peut-être,maisaprèstoutceque…—Pour l’amourduciel,duchesse,vousavezenfincequevousvouliez.Etmoiaussi.C’étaitune

erreurdepuisledébut,etvouslesavez.Ellereculad’unpas.—Ceseraunscandale,souffla-t-elle.Il avait espéré des protestations plus véhémentes, et la réponse de Mia lui fut une douloureuse

désillusion. Aucune femme ne souhaitait un scandale, pas plus sa mère qu’une autre, mais même lescraintesdecelle-cin’avaienteuquepeudepoids lorsqu’il s’étaitagidevivreauprèsde l’éludesoncœur.Elleavaittoutefoisréussiàdemeurerduchesseetàgardersonamant.

Serrantlepoing,ilseforçaàdéclarercalmement:—Celaprendrapeut-êtrequelquesannées,maislapoussièrefiniraparretomber.VousaurezReeve

etjetrouveraiunenouvelleduchesse.Jenesuispaspressé.Miatiqua.—Jevoismurmura-t-elle,scrutantsonvisage.— Votre vie commune n’a duré que quelques jours, intervint Reeve. On peut à peine parler de

mariage.Cen’estpascommesivousaviezpartagébeaucoup.Miaétouffauncri.Intriguéparcetteréaction,Reevefronçalessourcils.Vandersoutintsonregard.

«Ehoui,pauvreblanc-bec,jubila-t-ilintérieurement.C’estmoiquil’aieuelepremier.Elleamurmurémonnomensanglotant.Jel’aiprisecontrelemurdel’écurieetelleendemandaitencore.»

Maislasensationdetriomphes’évaporacommeroséeausoleil.Reeveluienlevaittoutcequicomptaitàsesyeux.Àlui,l’amourdeMia.Sesriresetsatendresse.Ce

couragegrâceauquelellenel’avaitjamaiscraint,nicommeducnicommehomme.Àluil’intelligence,lacréativitéetlapassiondontellenourrissaitsesromans.Lagentillessequiluiavaitvalul’affectionsansréservedeChuffyetdeJafir.

Vandersaluaetpivotasursestalons.Lorsqu’iltraversalapièce,ilavaitl’impressiond’êtreunmort-vivant.

—Unedernièrechose,l’interpellaMia.Ils’immobilisa.—Voussaviezavantd’entrerdanscettepiècequ’Edwardnem’avaitpasabandonnée.Pourquoine

m’avez-vouspasinforméedèsquevousavezapprislavérité?Sesparolesclaquèrentdanslesilencetelleunedétonation.Ilpinçaleslèvres,etdutfaireappelàtoutesavolontépourseressaisir.Illuifitface.—Jenel’aiapprisqu’hier.Maisjevoulaismaquatrièmenuit,duchesse.Jel’avaispayée.—Vous l’aviezpayée? répétaMia, incrédule.N’est-cepasplutôtmoi, ouavez-vousoubliévotre

accusation?—Quatrenuits,c’étaitlecontrat.—Quatrenuits,souffla-t-elle.C’estdonctoutcequej’étaispourvous?—Nefaitespasdemoiunhéros,duchesse.Ilnepeutyenavoirqu’undansunehistoire,vousvous

souvenez?Cettefois,quandils’éloigna,personnenelerappela.

30

Peut-êtretoutesleslarmesqueMiaavaitverséesdurantsacourtevieconjugaleavaient-ellesasséchélaréserve.Oupeut-êtreétait-ceunchagrintropamerpourdeslarmes.Elleavaitétéréduiteenlambeauxqu’onavaitabandonnésauborddelaroute.

Devulgaireslambeauxd’humaniténepouvaientpleurer.Elle quitta Rutherford Park avec pour tous bagages son manuscrit et une malle renfermant les

créations de Mme Dubois. Elle laissa même Charlie derrière elle en lui assurant qu’elle l’enverraitchercher dès que possible. Ç’aurait été différent si elle avait pu se rendre directement à CarringtonHouse,maisEdwardleluiavaitdéconseillétantquesirRichardn’étaitpasincarcéré.EllenevoulaitpasperturberCharlieenletraînantdansuneauberge,d’autantquesirRicharddemeuraitunemenace.

Tandisquelavoitures’éloignaitsurlaroute,Miacontemplalepaysagesansmotdire,s’efforçantenvaindes’endurcir.Soncœurperfidehurlait,exigeantqu’ellearrêtelaberlineetailleretrouverVandersur-le-champ.Qu’ellelesuppliedelagarder,quitteàleséduires’illefallait…

N’avait-elledoncaucunefierté?Cethommeavaitprissesquatrenuits,etluiavaittournéledos.Lapeineetlafureurluttaientenelle,maisladétressemenaçaitdel’emporteretdelafairesombrer,quandEdwardsepenchaenavantetposalamainsursongenou.

— J’ai été en prison,Mia,mais je n’y ai pas enduré une seule heure aussi douloureuse que cetteconversationavecleduc.J’ensuisdésolé.

—Vanderarenoncéàmoisanslamoindreprotestation,hoqueta-t-elleavantdeprendreuneprofondeinspiration.Jen’avaisàsesyeuxpasplusd’importancequ’uncolisremisàlamauvaiseadresse.

— Certains hommes n’accordent pas le même poids au serment du mariage que les femmes, ditEdwardaveccirconspection.

Mia avait l’impression qu’un gouffre s’était ouvert en elle, un puits de douleur sans fond quel’attitudedédaigneusedesonpèreàsonégardavaitaussicontribuéàcreuser,demêmequelerefusdesonfrèredelaconsidérercommeunetutricecapabledes’occuperdeCharlie.

Soncorpsentierétaitàlatorturelorsqu’ellesongeaitqueplusjamaiselleneverraitninetoucheraitVander.Cen’étaitpaspossible.Ilnepouvaitl’avoirabandonnée.

Hélas,si.—Ilnem’apasdemandémonavis,dit-elled’unevoixtendue.Elledétestalapitiéqu’ellevitdansleregardd’Edward,aussis’empressa-t-elled’ajouter:—Nousn’avonsétémariésqu’unesemainepeuouprou,etilsemontraitsouventbrutalavecmoi.Je

m’enremettrai.Ellementait.Jamaisellenes’enremettrait.—C’étaitpourtantl’hommepourquivousaviezécritcepoèmedontvousm’avezparlé.—Oui.

—Vousêtes-vousréjouiequandjenemesuispasprésentéà l’église?s’enquitEdwarddece tonposéquilecaractérisait.

LaculpabilitétransperçadenouveauMia.—Non!Biensûrquenon!Jevousaimais–jeveuxdire,jevousaime.C’estjusteque…—Ducoup,c’estluiquevousavezépousé.—Jen’avaispaslechoix,serécria-t-elle,ravalantseslarmes.N’avait-ilpasraison?Nes’était-ellepasprécipitéedroitchezVanderàlapremièreoccasion?Au

fond,elleauraitputrouverungentlemanprêtàl’épouser.Aupire,elleauraitpusemarieravecunparfaitinconnu,etacheterlesilencedesirRichard.

—Jesuishorriblementnavréed’avoirfaillicauservotremort,ajouta-t-elle,lagorgenouéeparlesremords.Vousn’imaginezpasàquelpointjem’enveuxdecequesirRichardvousafaitsubir.Etencoreplusdenepasavoireudavantagefoienvous.

Edwardquittasabanquettepourvenirs’asseoirprèsd’elle.Illuientouralesépaulesdubras.—Jetrouvesurprenantqueleducacceptederenonceràvous.Une nouvelle vague de désespoir submergea Mia, pourtant, elle ne put s’empêcher de défendre

Vander.—Avantmonchantage,iln’avait jamaisétéforcéd’agircontresongré.Ilm’amaintesfoisrépété

quejen’étaispaslegenred’épousequ’ilauraitchoisie.Edwardresserrasonétreinte.—Cethommeestunimbécile.Maisvousauriezdûsavoirqu’àpartirdumomentoùjevousavais

demandévotremain,jenerenonceraispasàvous.Jamaisjenememontreraiaussistupidequelui.Mia ferma les yeux. Au lieu de la soulager, ces paroles ne firent qu’intensifier son désespoir.

Retenantseslarmes,ellepritsoncourageàdeuxmainsetsejetaàl’eau.—Lavérité,c’estquejel’aime,confessa-t-elled’unevoixétranglée.EllesentitEdwardseraidir.—Ilestdoncplusjustededirequel’imbécileicic’estmoi,enchaîna-t-elle,parcequejeconnaissais

sessentimentsàmonégard.En vérité, une femme comme elle n’aurait jamais dû s’éprendre d’un duc riche et séduisant. Elle

n’avait ni les yeux violets ni une taille de guêpe. Elle n’était même pas particulièrement douce etpersonneneluiavaitléguéunhéritagesecret.

Riendetoutcelan’étaitlafautedeVander.Elles’étaitimposéeàlui.Pourtant, il s’était montré si généreux au lit. Quel homme lui aurait pardonné son comportement

crimineletauraitconsomméleurmariageavecunetelletendresse?Vander était un homme bon, ilméritaitmieux qu’elle.Yeux violets ou pas, sa prochaine duchesse

devraitêtreaussicharitableetmagnanimequelui.Mia prit une inspiration tremblante. Il était plus que temps demettre les choses au point. Elle ne

pouvaitcontinueràmultiplierleserreurs,d’autantqu’àprésent,CharlienerisquaitplusrienducôtédesirRichard.

EllesetournaversEdward.—Jenepeuxpasvousépouser, lâcha-t-elle.J’ensuissincèrementnavrée.Jesuis juste…désolée

pourtout.Àl’époquedenosfiançailles,jenemerendaispascomptequej’aimaisencoreVander,maisdepuisquej’aipartagésavie,jemerendscomptequememarieravecvousseraitunetromperie.Unjour,voustrouverezunefemmequivaudramieuxquemoi.

—Quevoulez-vousdire?—Uneladydignedecenom,expliqua-t-elle,réprimantunfrissonausouvenirdecequ’elleavaitfait

avecVandercontrelemurdesécuries.Unefemmequiserabelleetvousconviendrabienmieux.Elleavaitl’impressiond’êtreunbonimenteurtentantdevendreuncochontroppetit.

— Je n’ai jamais réussi à vous convaincre de vous regarder dans la glace, soupira Edward ensecouantlatête.

Miabaissalesyeux.Laconceptionqu’avaitMmeDuboisd’uncorsageselimitaitapparemmentàuncorsetavecunpeudetulleautour.

— Il ne s’agit pas seulement de votre buste, précisa-t-il du ton détaché de l’érudit,même s’il estmagnifique.Toutenvousestexquis,Mia:votreesprit,votrerire,votrevisage,votrecorps.

Ellesesentitrougir.—Jamaisvousnem’avezfaitdepareilscompliments,s’étonna-t-elle.—J’aieutoutletempsderéfléchirenprison.Ellefrémitàlapenséedesépreuvesqu’ilavaittraversées.—Cemariageestbeletbienderrièrevous,Mia, reprit-ilens’emparantd’unedesesmainsqu’il

portaàseslèvres.Épousez-moietnousélèveronsCharliedansunemaisonpleinedelivresetd’enfants,etdecegenred’amourquiprospèreets’approfondit.

Elles’arrachaunsouriretremblant.—Celasemblemerveilleux.Maisjenepeuxvousépouser.Jevousaime,mais…davantagecomme

unfrère.Edwardserembrunit.—Vos sentiments peuvent vous paraître fraternels pour l’instant, mais je vous assure qu’avec le

temps,unliendifférentsetisseraentrenous.La prison l’avait changé. Il était plus musclé, et il y avait en lui quelque chose de farouche qui

n’existaitpasautrefois.Maisendépitdesonnezcassé,ildemeuraitséduisant.—Nemedonnezpasvotreréponsemaintenant,continua-t-il.Lemomentestmalchoisipourprendre

desdécisions.—Trèsbien.Elleavaitl’impressiond’êtreunebouilloireauborddel’ébullition.Auxlarmesquibouillonnaienten

elles’ajoutaitlacolère.Vanderneluiavaitcertespasépargnélesremarquesdéplaisantes,maiselleavaitaussieudroitàdes

compliments. Grâce à lui, elle s’était sentie belle. Il avait ri de ses plaisanteries, et ne l’avait pasregardéedehautlorsqu’elleluiavaitavouénefairequ’uneavecLucibella.Loindelà.

Sonpèreetsonfrèrenemontraientquedédainpoursesromans.Edward,lui,lasoutenait,maisavecindifférence.Vandersemoquaitpeut-êtredesespersonnages,maisill’avaittoujoursécoutéeavecintérêtets’étaitautoriséquelquessuggestions,mêmesiaucunen’étaitexploitable.

Aveclui,ellesesentaitdouée.Etchérie.Maistoutcelan’étaitquemensonge.S’inclinantvers elle,Edwardcaptura ses lèvres.Avantqu’ellepuisse l’arrêter, il approfondit son

baiser. Pétrifiée, elle le laissa faire.Mais elle ne ressentait strictement rien.Edward s’était évadé deprisonpourlaretrouveretelle,l’ingrate,n’éprouvaitpourluiriend’autrequedel’affection.

Elleavaitcruautrefoisquel’amourpouvaitécloreaprèslemariage.MaissonamourpourEdwardneserait jamaisun incendiede forêtqui ravage tout sur sonpassage. Jamais ilne ladépouilleraitde sesillusionssurelle-mêmeetlemonde,lamettantànu.Jamaisilnesusciteraitenellecettepassioncapabledel’embrasertoutentière.

Plusjamaiselleneconnaîtraitcemiracle.Leslarmesjaillirent,irrépressibles.

31

Après ledépart deReeve avec saduchesse,Vander envoyaunmessage àThorn l’informantde lamiraculeuseréapparitiondel’ex-fiancé.PuisilallachercherCharliedanssachambrepourunenouvelleleçond’équitation.

Tout l’après-midi, son pupille lui parut abattu,même s’il retrouva un peu de joie de vivre quandVanderl’autorisaàfairetrotterLancelotpourlapremièrefois.Plustard,ilspansèrentlechevalensembleetleducluimontracommedélogerlescaillouxd’unsabot.

Unechoseenamenantuneautre,ilsfinirentdansl’atelierduforgerondudomaine.Charlienefutpaseffrayéparl’odeurâcreoulesbraisesardentes–Mia,elle,auraitpoussédescrisd’orfraiesielleavaitvuletroulaissédanslavestedesonbien-aiméneveuparuneétincelle.

QuandVandereutexpliquécequ’ilavaitentête,leforgeronpritlabéquilledeCharlieet,sousleursyeux,yinséraunepetitedague.SansdouteMian’approuverait-ellepasnonpluscetteinitiative.

Sur le chemindu retour,VanderhissaCharlie sur ses épaules.Unbras frêle autourde soncou, legarçonnecessadediscuterdechevauxetdeforgerons.Ilavaitdécrétéqu’ilvoulaitdevenirforgeron.Vander ne lui fit pas remarquer qu’il était impossible de renoncer à un titre héréditaire et aux biensafférents pour embrasser ce métier. Lui-même était la preuve vivante qu’un aristocrate n’était pascondamnéàdéambulerdanslessallesdebal.

—Jepourraisfabriquerdesbéquillespourdesgenscommemoi,suggéraCharlie.—Enacier?Ellesferaientunraffutinfernalsurlespavés.—Maisleboisn’estpasassezsolide.Unebéquilleenacier,onpeutlafairetournoyeretarracherla

têtedequelqu’un,argumentaCharlieavecdélectation.C’étaitungarçonàcentpourcent.Tandis qu’il continuait de bavarder gaiement, Vander songea que sir RichardMagruder lui avait

gâché lavieaussisûrementques’il luiavaitarraché la têteavecune fichuebéquilleenacier. Ilavaitl’intentiondeluirendreunepetitevisitecettenuitmême.

—TanteMiaditquenousrentronsàCarringtonHouse, lâchaCharlieàbrûle-pourpoint, lesdoigtsserréssurlatignassedeVanderpourgarderl’équilibre.

—Eneffet.Maisvousmerendrezdefréquentesvisites.Touslesjours,quandvousneserezpasàl’école.

—C’estvrai?Vanderpressalesjambesquipendaientcontresontorse.—Jetienstropàvous,Bigleux.—Jenesuispasbigleux!piaillaCharlie.—Jemepréparepourquandvousleserez.Charlieluitiralescheveux.

—Jeveuxvivreiciavecvous.Jeveuxallerauxécuriestouslesjours.Vanderfitpasserlegarçonpar-dessussatêteetledéposasurlesol.Puisils’accroupitdevantlui.—Vousdevezallerenpension,Charlie.VousserezàEtonavecd’autresgarçons,maisvousaurez

davantagedechancequ’eux,carvousaurezdeuxpères:M.Reeveetmoi.Charliefitlamoue.—C’estunhommebon,assuraVander,exécrantchaquemot.VotretanteMiaserasonépouse.Mais

n’oubliezpasquevotrepropriétéjouxtemesterres.Nousnousverronssouvent.Charlies’avançaversluiet,aveclaspontanéitédel’enfance,noualesbrasautourdesoncousans

motdire.Vanderneditriennonplus.Auboutd’unmoment,ilsseremirentenroute.Ilsparlèrentdenouveauduforgeron,quiétaitlecœur

d’ungranddomaine.Charlieauraitbesoindesavoirceschoses.Vander avait le sentiment que les professeurs ne savaient pas gérer un domaine. Pourquoi le

devraient-ilsd’ailleurs?—Un bon forgeron dirait qu’un travail bien fait est un travail qu’on ne revoit jamais, apprit-il à

Charlie.Ilgardaitunœilsur luiaucasoù ilcommenceraitàmontrerdessignesde fatigue.Maissa jambe

s’étaitvisiblementrenforcée;etenunesemaineseulement.Ilsretournèrentauxécuriesetyrestèrentjusqu’àl’arrivéedeThorn.Cedernierneditpasunmotsur

cequi était arrivé.Tous troisbouchonnèrent Jafir, puismangèrentdes sandwichesau jambonavec lespalefrenierstoutendiscutanthorairesd’entraînementetautresquestionscruciales.

DèsqueCharliefutpartiavecSusan,Vanderexpliqualasituationàsonami.—SirRichardafaitjeterenprisonlefiancédeMia,Reeve,sousdefaussesaccusations.Celui-ci

étaitsurlepointd’êtretransféréàBotanyBayquandils’estévadé.—Reeve?EdwardReeve,l’inventeurdelapresseàpapierdontjet’aiparlé?Vanderacquiesça.—Jen’aijamaissulenomdufiancédetonépouse.—Elleneleserapluslongtemps,bougonnaVanderenentrantdanslemanoir.Elledeviendracellede

Reeve,cequiestdansl’ordredeschoses.—D’accord.IlyavaitdanslavoixdeThornuneréservequeVanderchoisitd’ignorer.—SirRichard?s’enquitsonamienlesuivantdanssachambre.Vander hocha la tête. L’heure était venue. Il se déshabilla, puis enfila une chemise noire et des

pantalonsnoirsajustés.—Mesvêtementssontsuffisammentsombres,maismachemiseneferapasl’affaire.Enaurais-tuune

noireàmeprêter?demandaThorn.—C’estdangereux.Tafemmeattendunenfant.Thornluiadressaunsourirecarnassierenguisederéponse,etaprèsunehésitation,Vanderluilança

unechemiseidentiqueàlasienne.Thornsortitensuitechercherlespistoletsqu’ilavait laissésdanssavoiture,tandisqueVanderrécupéraitsesBennett&Lacydansl’armoireàfusils.Rehaussésdesarmoiriesducalesenargent,ilsétaienttropornementésàsongoût,maisilsvisaientjuste.

Avec des montures rapides, il leur faudrait environ une heure pour rejoindre le domaine de sirRichard.Ets’ilyavaitunechosequelesÉcuriesPindarpouvaientfournir,c’étaientdeschevauxrapides.

Vanderavaitd’abordpenséprendresamonturehabituelle,maisdanslecouloircentralduharas, ilentenditunhennissementétouffé.LatêtedeJafirapparutpar-dessuslaportedesonbox.Ilyavaitdanssonregarddelatristesse.Mian’étaitpasvenuelevoiravantsondépart.

—SellezJafir,ordonna-t-ilàMulberry.EtAjaxpourM.Dautry.

—VousêtessûrpourJafir,VotreGrâce?Ilaencoretendanceàs’effaroucheràlamoindreoccasion.Mulberryavaitcomprisquequelquechosesetramait–aveclespistoletsglissésdansleceinturondu

duc,ilnefallaitpasêtregrandclercpourledeviner.—Ilseraparfait,assuraVander.Ilsentaitd’instinctquel’étalonavaitconnul’amourenArabie,etl’avaitperdu.Ilenavaitconnuun

autreici,etl’avaitaussiperdu.Ilvenaitderemportersapremièrecourse.Jafiravaitgrandi.Une demi-heure plus tard, ils filaient à travers champs. Jafir répondait à lamoindre pression des

rênesoudestalonsdeVandercommes’ilétaitnéavecunhommesurledos.La lune se levait quand Vander ralentit. Derrière lui, Thorn l’imita. Les chevaux respiraient

bruyamment,maislesoreillesdeJafirs’agitaient,preuvequ’ilprenaitplaisiràgaloperdanslanuit.Ils atteignirent bientôt la lisière du domaine de sir Richard. Ils traversèrent sans bruit les bois

environnants,puiss’arrêtèrentaubordd’untalusherbeux.Vandermitpiedàterre.—Tranquille,souffla-t-ilàJafirenl’attachantàunarbre.ThornfitdemêmeavecAjax,etilssefaufilèrentdansunbosquetdefrênes.SirRicharddevaitfaire

gardersapropriété,Vanderenauraitmissamainaufeu.Celadit,vulaquantitéd’ennemisqu’ilavait,c’étaitlogique.Eteneffet,lorsqu’ils’approcha,ildistinguaunesilhouettedevantleportiqueenfaçadecommelalunesortaitàdemidederrièreunnuage.

Thornluitouchalebrasetdésignadumentonl’ombred’unhommeadosséaupignon.Ildevaityenavoirencoreaumoinsdeuxautresdanslerenfoncementdelaported’entrée.

Àcetinstant,laluneémergeacomplètementetVandervitlevisagedugardeàl’entrée.Ilavaitcetteexpressioncruelled’unhommecapabledetuerpourunepeccadille.

VanderfitungestedelamainparallèleausoletThornapprouvaduchef.Ilss’assirentsurlesol,ledosappuyécontreuntronc,etattendirentqueseproduiseunévénementdontilspourraienttirerparti.

Uneheuredurant,oupeut-êtreplus,unsilencecompletrégna.Desnuagesdeplusenplusnombreuxtraversaientleciel,dissimulantlaluneplussouventqu’àsontour.Legardeàl’entréesesoulageaduhautdesmarches,maispersonnenefitderondeautourdelamaison.Enfait,aucundeshommesnechangeadeplace;VanderenconclutquesirRichardneredoutaitpasuneeffractionàl’arrière.

Non, ceux quimenaçaient entraient par la porte principale, sans doute parce qu’il escroquait deshommescommeM.Bevington,unhonorablegentlemanquiignoraitcommentluttercontreunscélérat.

Vanderesquissaunsourire.Thornetluin’appartenaientdécidémentpasàcettecatégorie.Thornavaitgrandidanslarue,etVanderavaitbeaucoupapprisdelui.Desoncôté,ilavaiteupas

mald’occasionsd’exercersestalentsdanslemondesanspitiédescourseshippiquesoùunpropriétaireenmauvaiseposturen’hésitaitpasàengagerdesmalandrinspouréliminerdiscrètementlaconcurrence,ououvertement,parlaviolence.

Il toucha lebrasdeThornet tousdeuxse levèrent. Ilsgagnèrent sansbruit l’arrièrede lamaison.CommeVanderlesoupçonnait,personnenesemblaitymonterlagarde.Maisalorsqu’ilss’apprêtaientàtraverser la cour, il distinguaune silhouette contre lemuret qui entourait le potager.SirRichard avaitaussicouvertsesarrièresapparemment.

Laluneémergeaetsesrayonspâleséclairèrentlevisagede…Reeve.Vandergrommelaunjuron,etlesdeuxhommessortirentdel’ombrepourlerejoindre.

Reeve portait une chemise miteuse, sans doute celle qu’il avait derrière les barreaux, supposaVander,etdespantalonsdecuircommeceuxdesforgerons.

UnfrissonsecouaVander;iléprouvaitunehaineviscéraleàl’endroitdel’hommequiluiavaitravisafemme.

Reevene parut nullement surpris de les voir.D’un signede tête, il indiqua la lumière aupremierétage.Vanderprit leschosesenmain. Ildoutaitqu’unprofesseureût l’habituded’entrerpareffraction

dansunemaison,pourtantReeveseglissadansl’ombreteluncambrioleuraguerri.Biensûr,c’étaitpourluiunjeud’enfantcomparéàsonévasiond’unedesprisonslesmieuxgardéesd’Écosse.

L’une des fenêtres de l’office était entrebâillée, probablement pour évacuer la chaleur des fours.Vanderl’ouvritetenjambalerebord.Uninstantplustard,ilplaquaitlamainsurlaboucheducireurdechaussures.

Lesgrandsyeuxquilefixaientétaientplusexcitésqu’apeurés.Vanderattrapauntorchonsurlatableetbâillonnalegarçon.

Les trois hommes tendirent l’oreille. Il y avait de l’agitation dans l’air. Lemaître des lieux étaitréveillé,Vander l’aurait parié.Sansdoute avait-il appris queReeve s’était échappé.Sansdoute aussipréparait-ilsafuite:seulunimbécileimagineraitqu’iln’yauraitpasdereprésailles,etsirRichardétaittoutsaufunimbécile.

Àpasdeloup,ThornetReevesuivirentVanderdanslecouloirdeservicequimenaitauvestibule.Les gardes qui se trouvaient sûrement dans l’entrée étaient certes entraînés au combat, mais ils nes’attendraientpasàuneattaque-surprisepar-derrière.

Tous trois firent irruption comme un seul homme dans le vestibule. Il y eut un craquement quandVanderfittomberl’undesgardesàgenouxd’unviolentcoupdepoing,uncriétouffélorsqueReeveenmaîtrisaundeuxième,puisdesbruitsdelutteavantqueThornassommele troisièmeaveclacrossedesonpistolet.Ilslesligotaientquanddespassefirententendreàl’extérieur.Detouteévidence,legardesurleperronavaitétéalertéparletapage.

Ilouvritlaported’entréeàlavolée.Laluneéclairauninstantsestraitsgrossiers,saboucheflasque,puisVanderfonditsurluietl’envoyaausold’unuppercutbienplacé.Ilcrutd’abordqueReevevenaitl’aideràleligoter,puisilentenditlesifflementd’unedaguequittantsonfourreau.

—Quediablefaites-vous?grogna-t-il,agrippantlepoignetdeReeve.Celui-cicrispalesmâchoires,maisnerésistapas.—Cegueuxaabattudeuxdemesvalets,m’aassomméetfaitjeterenprison.Ilm’aempêchédeme

rendreàmonpropremariage.—Laissezlesautoritéss’occuperdelui.S’ilétaitarrivéàVanderdefaire justice lui-même, jamais iln’avaitvuunhommesefaire tuerde

sang-froid;etiln’avaitpasl’intentiondevoircelamaintenant.—Leprixàpayerpourunmeurtreesttropélevé,ajouta-t-il.Reevesoutintsonregardunmoment.—Ilapoignardémonmessagerdetreizeansdansleventre.J’aiapprishiersoirquelemalheureux

avaitsuccombéaprèsuneinterminablejournéed’atroceagonie.Cethommeestunmonstre.—Enletuant,vousrisquezd’endevenirunvous-même.QuandVanderlutsursestraitsqueReeveétaitrevenuàlaraison,illelâcha.Ilsgravirent l’escalierensilence.SiVanderhaïssait sirRichardMagruder,Reeve, lui,étaitanimé

d’unedétestationardentequiledévoraitdel’intérieur.LacupiditédesirRichardavaitcoûtélavieàsesdomestiques,etilavaitétéàuncheveudeperdrelasienne,ainsiquelafemmequ’ilaimait.

CettemêmecupiditéavaitoffertàVanderlesplusbeauxjoursdesonexistence.ElleluiavaitdonnéMia.Mêmepoursipeudetemps,celaenvalaitlapeine.IllaissapasserReevedevantlui,luicédantledroitàlavengeance.

QuelquesoitlechâtimentquesonrivalferaitsubiràsirRichard,ill’accepterait.Letempsd’arriverenhautdesmarches,c’étaitcommesilechocduretourdeReeves’étaitévaporé.

Unevéritétouteneuvelefrappadepleinfouet:endépitdessimilitudesavecledestindesonpère,ilnepouvaitvivresansMia.

Elleétaitàlui.Pourlemeilleuroupourlepire.

Il resta sur le seuil du bureau, tandis que Reeve rouait le triste sire de coups avec sang-froid etméthode.

Latêteailleurs,Vanderadmitsoudaincequ’ilnes’étaitjamaisautoriséàconsidérer:Miaétaitsavie. En quelques jours à peine, elle s’était insinuée dans son âme et, pour la première fois de sonexistence,lemondeluiavaitsembléenordre.

Audiable,lepassé,etlaliaisondeleursparents.Ilrefusaitderenonceràellesanssebattre.S’ilsevoyaitainsirattrapéparledestintragiquedesonpère,tantpis.Iln’enavaitcure.Ilavaitétéstupidedejeterl’éponge.

Ils’enallasansunmotpourMagruder,dontilsecontrefichait.Miaétaitexaspéranteetemportée.Lesdésaccordsentreeuxseraientprobablementnombreux.Elle

courtiserait lescandale,monteraitàcheval lesyeuxfermésetécriraitdeshistoiresdans lesquelles leshommestombaientàgenouxàtoutboutdechamp.

Chaquesoir,ilsecoucheraitenladésirantférocement.Etchaquematinselèveraitrepu.Il ne restait plus qu’à la convaincre qu’elle était née pour vivre avec lui. Il devait à tout prix la

récupérer,lareprendreàReeve.Luifairecomprendrequec’étaitluiqu’elleaimait,etuniquementlui.

32

LorsquelavoiturearrivaauMignondelaReine,l’aubergelaplusprochedudomainedesirRichard,Miaavaitpleurétoutsonsoûl.Sagorgeétaitdouloureuse,maisellen’avaitplusuneseulelarmeàverser.

Ellegagnasachambre,àl’étage,desquestionspleinlatête.Pourquoin’était-ellejamaisassezbien?Sonpère,sonfrère,etmaintenantVander…Poureuxtrois,elleavaitétélacinquièmeroueducarrosse:insignifiante, facilementcongédiée.Sonpèren’avait jamaiseubeaucoupd’amourà luidonner,occupéqu’il était àpoursuivre saduchesse adultèrede ses assiduités.Son frère éprouvait de l’affectionpourelle,pourtant,iln’avaitpuserésoudreàluiconfiersonfils.

QuantàVander…Ilavaitcertesappréciésacompagnie,surtoutaulit.Maisiln’étaitpastombéamoureuxd’elle.Elle

n’avaitétéqu’unjouetdontilavaitprofitéquatrenuitsavantdelejeter.PerdreVandern’auraitpasétésidouloureuxsiellen’avaitpascrusincèrementqu’ilcommençaità

éprouverdessentimentspourelle.Quoiquepourêtretoutàfaithonnête,sasouffranceneseraitpasaussivivesiellen’avaitcesséde

donneràVanderlerôleduhéros.DanslesromansdeLucibellaDelicosa,Vanderseprécipitaittoujoursàlarescoussedesabelle,Vanderépousaittoujoursunecouturièredebasseextractionaprèsquel’amoureuttriomphédescoupsdusort–etcelaauraitincluslefaitd’êtrepetiteetronde,sielles’étaitrisquéeàcréerpareillehéroïne.

Unrireamerluiéchappatandisqu’elleselaissaitchoirdansunfauteuil.LevéritableVandern’avaitmêmepasessayédelaconvaincrederester.

Elle n’était qu’une idiote qui devait cesser de se bercer d’illusions et de rêver d’un amourromantiquequin’existaitquedanssonimagination.Vanderavaitraison:leursparentsentretenaientuneliaisonsordidequiavaitentachélaréputationdeleurentourage.Celle-cin’avaitriend’honorablenidebeau.Aumieux,elleétaitpitoyable.Aupire,méprisable.QuantauxannéesgâchéesàdéclinersonamourpourVandersurtouslestons,enpoésieetenfiction,c’étaittoutaussipitoyable.Etméprisable.

Ironiesuprême,Uneallured’angedevaitêtreécrit,quandbienmêmeelleavaitlecœurenmiettes.IlluifallaitsubvenirauxbesoinsdeCharlieetauxsienslorsqu’ilssillonneraientlaBavière.

Elle se rafraîchissait le visage quand un valet monta sa malle et son manuscrit, ainsi qu’un motd’Edwardquis’excusaitdenepouvoirse joindreàellepour ledîner.Sansdoutemijotait-ilunesorted’offensiveàl’encontredesirRichard.Mianeputserésoudreàs’inquiéterpourl’oncledeCharlie.Ilméritaittoutcequiluiarriverait.

Elledemandaqu’onluimonteunplateaudanssachambreetentrepritdereliresonmanuscrittoutenmangeant,raturantuneligneicioulà.Elleconstatait,effarée,àquelpointsesstupidesrêvesdegamineformaientlefondementdesonroman,lepassageleplusflagrantétantceluioùFrédéric,àgenoux,juraitaimerFlorapoursabeautéintérieure.

L’espacedequelquesminutes,Miajouaavecl’idéedejeterlespagesaufeu–notesetfragmentsdedialoguescompris.

Puiselleseravisa.Sielleavaitperdusafoienl’amour,seslecteursavaientbesoindesesromans,surtoutceuxquiétaientdansl’affliction.Illeurfallaitcontinueràcroireauxcontesdeféesauxquelselle-mêmenecroyaitplus.

Aprèsledîner,elleposalesfeuilletssurlebureaudansl’angledesachambre,réglalamèchedelalampeàhuileetsemitàl’œuvre.

Frédéricdevaitchanger.Iltournaittropautourdupot,semontraittroppassif.Quelquesheuresplustard, la flamme se mit à vaciller et elle alla demander de l’huile. Mais dans l’intervalle, elle avaitmétamorphoséFrédéricenungrandgaillardcostaudenclinàdiresafaçondepenseràFlora–mêmes’ill’aimaitdelatêtejusqu’àlapointedesesorteilsdélicats.

Aulieud’écumerlescheminsàlarecherchedeFlora,Frédéricselançaàsapoursuiteaugalop,lespansdesonmanteauflottantauvent,penchésurl’encoluredesonmagnifiquecoursiercouleurdejais.Oupouvait-elleparlerd’étalon?Unmotpeut-êtreosépourune lady.Elleentrepritdedresser la listedemots crus qu’elle voulait définir précisément.Un dictionnaire de la langue vulgaire n’avait-il pas étérédigé par un certain Grose ? À l’évidence, il lui en fallait un exemplaire afin de peaufiner despersonnagesplusréalistes.

Elle fouillait dans sa mémoire à la recherche d’autres mots interdits aux jeunes filles quand unejambeapparutsoudainsurlereborddesafenêtre.Ellen’eutpasletempsd’émettrelemoindresonqueVandersematérialisaitdevantelle.

Lâchantsaplume,Miaselevad’unbond.—Quefaites-vousici?articula-t-elled’unevoixsourde.Il l’avait jetée comme l’eau du bain de la veille et pourtant, à sa vue, son cœur s’emballa

stupidement.Ilgardalesilence,lesyeuxrivéssurelle.—Quevoulez-vous?insista-t-elle.Illabalayadelatêteauxpieds,l’airfuribond.—UnechemisedenuitpourReeve,commenta-t-il,ignorantsaquestion.Sesparolesluifirentl’effetd’unegifle.Ellen’auraitpasétépluschoquéesiunpassantdanslarue

l’avaittraitéedecatin.—Cette chemise de nuit était pourmon époux, à savoir vous. Je ne suis pas femme à commettre

l’adultère.Elleauraitvoulucrier,maissadétresseétaittellequesavoixlatrahit.Uneétincelledesatisfactions’allumabrièvementdansleregarddeVander.MmeDuboisluiavaitconfectionnéunechemisedenuitdesoienoirequiépousaitsescourbesàla

perfection.Danslamesureoùelleportaitd’ordinaireducotonblancbordédedentelle,l’étonnementdeVanderétaitcompréhensible.

—Jevousdonnerailenomdemacouturièreetvouspourrezencommanderunepourvotrenouvelleduchesse,rétorqua-t-elled’untonaussiglacialquepossible.

S’arrachantàsacontemplation,Vanders’avançaverselle.—Iln’yaurapasdenouvelleduchesse.Vousêtesmaduchesse,laseule.Avantd’avoirsaisilesensdesesparoles,Miaremarqual’hématomesursapommette;ellevitaussi

quesachemiseétaitdéchirée,parunelamedetouteévidence.—Vousêtesblessé?s’écria-t-elle.Ellefitunpasverslui,s’arrêta.—VousêtesalléchezsirRichard!s’écria-t-elle.Ques’est-ilpassé?Edwardétaitlà?

Àcettequestion,leregarddeVanders’assombritdangereusement.Ellen’avaitjamaistremblédevantlui,ellen’allaitpascommenceraujourd’hui.

—Oui,Reeveétaitlà,confirma-t-ilduboutdeslèvres.Ladernièrefoisquejel’aivu,ilétaitsainetsauf.

Unehorriblepenséelafrappasoudain.—QuelquechoseestarrivéàCharlie?demanda-t-elled’unevoixaltérée.—Non.Ilafaitduchevaltoutelajournéeets’estcouchéépuisé.C’estvousquejesuisvenuvoir.Mia prit une inspiration tremblante. La panique reflua, remplacée par l’envie frénétique de se

protéger.EllenesurvivraitpasàuneautrehumiliationdelapartduducdePindar.—Enquelhonneur?parvint-elleàarticuler.Vanderrepoussadesonfrontunemèchehumidedesueur.—Jerefusederenonceràvous.LecœurdeMiabondit.ResteravecVander…vivreaveclui.Dormirdanssonlit.Luifairel’amour

nuitaprèsnuit…Elleretombabrutalementsurterre.Ellen’avaitdoncpasuneonced’amour-propre?C’étaittellement

pitoyable de désirer un hommequi lui témoignait aussi peude respect et de considération.Tout aussipitoyable que ces romans dont il était l’unique héros, quand bienmême elle lui avait donné six nomsdifférents.

—Vousavezchangéd’avisbienvite,observa-t-elle,s’essayantàladésinvolture.Etvouscomptezenchangerdenouveaudemain?Jenevousimaginaispasaussiinconstant.

Ilserralesmâchoires.—Jenesuispasinconstant.Enfait,jesuisletuteurdeCharlieetjecomptelerester.Mialefixa,incrédule,puis:—VousvoulezquenousrestionsmariésàcausedeCharlie?Quellehumiliation!Ainsi,sonneveudehuitansétaitpluscheràVanderqu’elle-même.Jamaiselle

nes’étaitsentieaussiindigned’êtreaimée.—Passeulement,rétorqua-t-il,etsoudainsonregardchangea.Écoutez,quoiqu’aitfaitmamère,mon

pèren’ajamaiscessédel’aimer,pasmêmequandilétaitàl’asile.Mia nota, non sans soulagement, que sa fureur lui permettait d’observer la scène avec un certain

détachement,commesielleassistaitàunepiècedethéâtre.—Quelrapportavecnotremariage,répliqua-t-elle.Sivoustenezabsolumentàparlerdenosparents,

jecroismesouvenirquelorsquej’aiévoquél’amourquilesliait,vousaveztraitémonpèredesalaudquiavaitséduitvotremère,etinsinuéquejenevalaisguèremieux.Lapommegâtéenetombejamaisloindel’arbre,n’est-cepas?

Silence.—Jen’aijamaistenupareilspropos.—Si,motpourmot.—Tellen’étaitpasmonintention.—Surlemoment,vousétiezsincère!—BonDieu!Lejuronluiéchappacommesilefilténudesonsang-froidavaitfiniparcéder.Ilfitunpasverselle.—Toutemavie, j’ai cruquemamère avait trahimonpère, articula-t-il.Mais je sais depuis peu

qu’enréalitéillafrappait.Miatressaillit.—Jel’ignorais.Je…jesuisdésolée.—Ill’ablesséesigravementqu’ellen’apaspuavoird’autresenfantsaprèsmanaissance.Àsonton,Miadevinaquec’étaitlapremièrefoisqu’ilfaisaitcetaveu.Etpeut-êtreladernière.

—C’estépouvantable.Elle avait donc raison au sujet des animaux miniatures en cristal. Il lui faudrait demander à un

domestiqued’emballertoutescespetitesfamillesfragiles.—QuandReeveestarrivé,cematin,j’étaisobsédéparl’idéequej’avaisépouséunefemmeéprise

d’unautre,commemamère.—Je…Ilfranchit lacourtedistancequilesséparait,refermalesmainssurlesbrasdeMia,etplongeales

yeuxaufonddessiens.—Jevous ai laisséepartir. Pire, je vous ai chassée tant j’étais convaincuquevous en aimiezun

autre.Maisàl’instantoùvotrevoitureadisparuàlavue,j’aicompris.Jemetrompais.Vousnel’aimezpas,n’est-cepas?C’estmoiquevousaimez,duchesse.

Miavoulutnier,maisilsepenchaverselleets’emparadeseslèvresavecuneardeurquimenaçadelaconsumer.Réussissant,Dieusaitcomment,às’arracheràsesbras,ellelâchafroidement:

—Aussimalheureusequ’ait été l’histoire denosparents, je crains qu’elle ne change rien à notresituation.Vousetmoinesommespasbienassortis.Noussommestropversatilesettrop…J’aicommiscertains actesqu’aucunedamedignede cenomnedevrait s’autoriser.Et lorsquevousvousmettez encolère,vousditesdeschosesquejenepeuxpardonner.

—Jepeuxchanger,contraVanderd’unairfarouche.Miasecoualatête.—Ilnes’agitpasseulementdecela. J’aiperdumadignitéenvous faisantchanter,etencoreplus

quand… hum… eh bien… vous voyez ce que je veux dire. Si nous demeuronsmariés, je finirai parperdrelepeud’amour-proprequ’ilmereste.

LestraitsdeVandersedurcirent.—Riendecequenousavonsfaitensemble,rien,nedevraitvousembarrasser.Cequenousavons

vécuétaituncadeauinestimable.Etjen’auraijamaisd’autreduchessequevous.—Vousn’avezpasàmedictermessentiments!Vousnepouvezpasdavantagemejeter,puisexiger

demerécupérer, telunvulgairebagageégaré !Cequenousavonspartagénesuffirapasà fonderuneunionsolide.Alors repartezparoùvousêtesvenu, jevousprie,ordonna-t-elle, l’indexpointévers lafenêtre.

Le visage fermé, Vander l’attira de nouveau dans ses bras. En un éclair, une onde de chaleurdévastatriceenvahitMia.Quandellevoulutprotester,ilpritsauvagementpossessiondeseslèvres.

Lorsqu’elle retrouva la raison, de longuesminutes plus tard,Mia était cramponnée à sonmari ettremblait de la tête auxpieds.Une foisdeplus, elle avait succombéà ses instincts lesplusvils.Elleressentitunehontesansnomàl’idéedes’êtreainsiabaissée.

EllerepoussaVanderavecforce.—Partez,dit-elled’unevoixbrisée.Vousn’avezpasledroitdevouscomporterainsiavecmoi.Je

mériteunépouxquimerespecte!—Jevousrespecte,assura-t-il,leregardsibrûlantqu’uneflèchededésirlatraversadenouveau.—Vousmedésirez,c’estdifférent.Vousnemerespectezpascommeungentlemandevraitrespecter

son épouse. Jamais les héros demes livres ne diraient les horreurs que vousm’avez dites. Ils ne lespenseraientmême pas. Quoi que vous prétendiez à présent, vous n’avez cessé deme rappeler quellepiètreopinionvousaviezdemoi.

Elles’écartadelui,commesi,enmettantunedistancephysiqueentreeux,ellel’aimeraitmoins.—Envérité,enchaîna-t-elle,jenesuisriendeplusqu’untitreàvosyeux–untitreetlecorpsquiva

avec.Lacolèreraffermitsoncourage,etdressaentreeuxunebarrièreinfranchissable.

—Vous rendez-vous compte que durant notre brève union, vous nem’avez pour ainsi dire jamaisappeléeautrementque«duchesse».Ilm’estarrivédemedemandersivousvoussouveniezseulementdemonprénom.Preuveultimedevotreindifférence?Hier,Edwardetvousavezrenégociénotremariagesansprendrelapeinedem’interrogersurmessentiments–alorsmêmequej’étaisprésente.

—Vousvousméprenez.Celanes’estpaspasséainsi.—Ni l’unni l’autren’a songéàmedemander si jepréférais restéemariéeavecvousouépouser

Edward,continua-t-ellesursalancée.La joie et la passion qui brillaient d’ordinaire dans le regard de Mia avaient disparu, au grand

désarroideVander.Safemmesetenaitdevantlui,luiordonnantdepartir,maisilluiétaitimpossibledes’yrésoudre.Elleétaitàlui,quediable.Fortdecetteconviction,illasoulevadanssesbras,ignorasesprotestations,etladéposasurlelit.Àlasecondeoùsoncorpscouvritlesien,iléprouvaundélectablesoulagement.

—Êtreavecvous,c’estêtrechezmoi,murmura-t-ilavantdedéposerunbaisersursonnez,puissursapommette.

Lesmotsluimanquant,ilpritseslèvres.Puissoncorps.Quandilglissalamainentreeux,ildécouvritqu’elleétaitdéjàtouthumidededésir.

Illacaressa,vitsesyeuxsevoilertandisqu’ellel’enlaçait.Alorsilentraenellesansattendre,etleurunionsetransformaviteenunassautfurieuxetmagnifique.

Lorsqu’il roulasur le flanc,pantelant,après l’avoir fait jouiràplusieurs reprises,elle se refusaàcroisersonregard.Etquandelleseredressaenpositionassise,lecœurdeVandersombra.

—Cen’estpasbien,souffla-t-elle.—Duchesse…Ellesetournavivementverslui.—Vousvoyez?Mêmemaintenant,vousnem’appelezpasparmonprénom!Vanderdétestasonregardduretfroid.Ils’assitàsontour,encadrasonvisagedesesmainscomme

s’ilpouvaitleréchaufferàsoncontact.—Mia,vousêtesmaduchesse.C’estlecadeauleplusprécieuxquej’aiàoffrir.Monnom,montitre,

toutcequim’appartient.Ellefermauninstantlespaupières:—Celanesuffitpas.J’aibesoinderespect,Vander.Vousn’imaginezpasàquelpoint.Jedoisme

respectermoi-mêmeetêtrerespectée.C’est laseulechosequemafamillen’apassum’offrir.Etvousnonplus.

—Cen’estpasvrai,assuraleduc,s’efforçantd’adopteruntonposé.Elleattendit,maislesmotsnevinrentpas.Dumoinspasceuxquiconvenaient.— À vos yeux, je ne suis pas digne d’amour, reprit-elle dans un soupir. Et comment vous le

reprocher?J’aiécritcepoèmeépouvantable, jevousai faitchanter, jeperds la têtedèsquevousmetouchez.Avecletemps,jefiniraisparmeperdremoi-même.

Elleselevasansleregarder,etallaenfilerunpeignoir.—Partezmaintenant,Vander,s’ilvousplaît.Ilseleva,s’approchaetlafitpivoterfaceàluisansménagement.—Toutcequevousavezditestfaux.Cen’estqu’untasdefadaises.Ellelaissaéchapperunrireamer.—Jesupposequevouslepensezvraiment.Se libérantd’ungeste sec,elle leva fièrement lementon.Son regardduravait laissé laplaceà la

colèreetàladétermination.—Messentimentsnesontpasdesfadaises,duc.Quevousnesoyezpasd’accordavecmoin’ôtepas

toutevaleuràmespropos.Enfait,vousn’avezfaitqueconfirmermonpointdevue,àsavoirquemes

opinions etmes sentiments n’ont aucune importance à vos yeux. Si nous restionsmariés, vous aurieztoujourslederniermotquoiqu’ilarrive.

Elleétaitblessée,etVanderavaitl’impressionquechacundesesmotsétaitcommeunedaguequ’onluienfonçaitdanslecœur.

—Jenevoisabsolumentpasleschosesainsi,protesta-t-il.Ilauraitvoulu luiexpliquerque…quequoi?L’éloquencen’étaitpassonfort, iln’avait jamaiseu

besoind’yfaireappel.—Partez,dit-elled’untonlas.Laissez-moiseule.S’ilvousplaît.Ilfituneultimetentative.—Jeconnaisvotreprénom,Mia,etjeneveuxpasvivresansvous.J’adoreêtrevotreépoux.Vous

êtesàmoi.—Jene suis àpersonne, s’emporta-t-elle. Je suis une femme indépendante,Vander.Et je le serai

toujours.Jeveuxdivorcer.Alorsqu’illadévisageaitensilence,ileutunerévélation.Miaavaitraison.Ilne larespectaitpascommeunhérosderomanleferait. Ilnevoulaitpasmettreungenouà terre

pour lui demander sa main ; il voulait la renverser sur le lit et lui faire toutes sortes de chosesirrespectueuses.Ilvoulaitpassersavieàsechamailleravecellepourunouioupourunnon,puispasserl’épongeetl’embrasserjusqu’àplussoif.

Ilvoulaitlaposséder,mangeravecelle,vivreavecelleetmouriravecelle.Déversersasemenceenelle et avoir des enfants – non parce qu’il lui fallait un héritier,mais pour qu’ils fondent une familleensemble.Pourquequelqu’unayantlesyeuxdeMia,sonintelligenceetsoninfinietendressevivesursesterres,enAngleterre.PourquesonsangcouledanslesveinesdesfutursducsdePindaretcontrebalancelafoliedusien.

Ilopinasèchementettournalestalons.Cenefutqueplustard,alorsquesavoitures’engageaitdansl’alléedeRutherfordPark,qu’ilréalisa

quesaintFrédéricn’auraitjamaisprononcélemot«semence»,nimêmeosélepenser,enprésencedeFlora.Enyréfléchissant,sansdouten’aurait-ilpasparlénonplusdelaposséder.

Cen’étaitpasromantique.Cen’étaitpascequeMiavoulait.Iln’yavaitvraimentaucunmoyendesauverleurmariage.

33

Le lendemainmatin, après seulement quelques heures de sommeil,Vander pénétra dans la salle àmangeretdécouvritThornoccupéàétalerde laconfiture surunpetitpainen lisantunmessagede safemme. Thorn et India échangeaient sans cesse des mots, par valet interposé si Thorn était dans sonbureauetIndiadanslesalon,àquelquespasdelà,ouparcoursiers’ilsetrouvaitàLondresetelle,àlacampagne.

VandersongeaàécrireàMia,puisseravisa.L’écrivain,c’étaitelle.—Indian’estpascontente,annonçaThornenlevantlesyeux.—Tuluiasparlédetacôtecassée?Sonamisecoualatête.—Uniquementde l’œil aubeurrenoir.Nous sommescensés assister àune réception royale lundi

prochain,etunefacecabosséemelaisseraaurangde«bâtard»plutôtqu’àceluide«gentleman»,dit-ilavecuneévidentesatisfaction.

Thornavaitgrandidanslarueet,cematin,ildonnaitl’impressiondenel’avoirjamaisquittée.—Pourquoidiableassisteràuneréceptionroyale?Ceserad’unennuimortel.—Indiatentedemeréhabiliter.Vanderricana.—Elleseplaîtdanslabonnesociétéetjel’aime.Thorn avait dit cela spontanément, comme si son amour était la chose la plus naturelle dumonde.

AlorsquelemotseuldonnaitàVanderlesentimentd’êtreunnaufragééchouésurunepetiteîleaumilieud’unemerdémontée.

Jusqu’àrécemment,ilauraitsoutenuquesonpèrel’avaitprofondémentaimé.Etpourtant,àencroireChuffy,leducavaitattentéàsavieàplusieursreprises.

Celanesignifiaitpaspourautantquelui-mêmeétaitincapabled’aimer.Ilavaitaimésamère,mêmes’ilavaitcoupélespontsavecelle.Ainsiquesonpère,endépitdestempêtesqu’ilavaitfortàproposoubliées.IlaimaitThorn.Chuffy.Charlie.

EtMia.Lorsqu’ildisaitqu’elleétaitàlui,qu’ilvoulaitlaposséder,ilnefaisaitriend’autrequ’avouerson

amour,qu’affirmerquejamaisonnepourraitlaluiprendre.Ilavaitlaconvictionqu’elleavaitrassemblélesmorceauxéparsdesonêtreetl’avaitréparé.

—Ainsi donc, jem’apprête à fairemon entrée dans la haute société, poursuivit Thorn, qui ne sedoutaitpasquel’universentierdeVandervenaitd’êtrechamboulé.

—Queveux-tudire?demandacelui-ci,leslèvrespincées.Commentdiableallait-ilconvaincreMiaqu’ill’aimait?—Untitredechevalier.Monpèreyestfavorable,jesupposedoncquejen’ycouperaipas.

LemorceaudejambonqueVandermastiquaitavaitungoûtdesciure.IlétaitquantàluicertainquelaprédictiondeThornseréaliserait:leducdeVilliersparvenaittoujoursàsesfins.

IldevaitrejoindreMia.S’agenouillerdevantelles’illefallait.Luiparlerentermeschoisis–éviteràtoutprixunvocabulairetropcru.

—Tuasunesaletête,fitremarquerThorn.Dois-jeendéduirequetonépousen’apasl’intentionderegagnerledomicileconjugal?

—Jecomptebienlafairechangerd’avis.— Je crois pourtant me souvenir qu’il y a à peine plus d’une semaine, tu trouvais son chantage

scandaleux.Vandernepritpaslapeinederépondre.Pendantunmoment,seullecliquetisdescouvertsrompitle

silence tandis que les deux amis engloutissaient œufs, tranches de rosbif et de jambon, ainsi qu’unemontagnedepetitspains.

Vander avait appris voilà fort longtemps qu’un petit déjeuner distingué était réservé aux chiffesmollesquipassaient leur journéeentre leurvoitureet leursofa.Luidévoraitcommeunhommeinvestid’unemission,cequiétaitlecas–laplusimportantedesavie,enl’occurrence.

—J’espèreque jene te ressemblaispas avantmonmariage, repritThornenposant sa fourchette.Vœupieu,j’imagine…Celadit,es-tusûrqueladuchessen’aimepasReeve?

—Oui,réponditVandersanshésiter.Maiselleadécrétéquejenelarespectaispas.LorsqueMia employait lemot « respect », il la soupçonnait de penser « amour », en réalité. Et

lorsqu’ilévoquaitsaduchesse,c’étaitaussid’amourqu’ilparlait.—Tupourraisluifaireremarquerquelechantagen’estpasprécisément…commençaThorn,quise

tutcommesonamiluiadressaitunregardtorve.Bien,jesupposequelebonsensesthorsdepropos.Jevaisdoncpartirduprincipequetut’esessuyélespiedsdessus.Cequisignifiequetuvasdevoirfaireungestevraimentgrandiose.

Vanderréfléchit.Àquoitenait-ilplusquetout,endehorsdeMia?—JepourraisluioffrirJafir,suggéra-t-il.J’aicommencéàrecevoirdesoffresavantmêmelafinde

sapremièrecourse.Ilestd’oresetdéjàlechevalleplusconvoitéd’Angleterre.—Ellen’aquefaired’uncheval,espèced’idiot.Àcetinstant,Chuffypénétradanslasalleàmangerdesadémarchechaloupéeetselaissachoirsur

unsiège.Sesvêtementsétaientfroissés,etsescheveuxressemblaientàunnidgrisonnant.—Messieurs,dit-il,leregardtrouble,nedéfiezjamaisleboulangerduvillageauxfléchettes.Jen’ai

pasgagnéuneseulepartieavantladernièreheure,etuniquementparcequejetiensmieuxlabièrequelui.—Vanderdoitreconquérirsonépouse,luiannonçaThornsanslesaluer.Sivousavezdesidées…LatêtedeChuffybasculaenavantetseposaendouceursurlatable.—Jenesuispassûrquecesoitpossible.LecœurdeVandersemitàcognersourdement.—Miamedétesteàcepoint?—Non.C’estjustequetun’arrivespasàlachevilledeshérosdeLucibella,réponditChuffy,lavoix

étoufféeparlanappe.S’ilnes’agissaitpasd’unerévélationpourVander,Thorn,lui,fronçalessourcils,l’airdéconcerté.—Àlachevilledequi?— Mia est une romancière célèbre qui publie sous le pseudonyme de Lucibella Delicosa, lui

expliquaVander.Mononclealutousseslivres.—DesromansetShakespeare.Pasvraimenttonfort,ironisacelui-ci.—J’ensuisconscient,bougonnaVander.—Commentsepeut-ilqueVandern’arrivepasà lachevilled’unpersonnagedefiction?s’étonna

Thorn.

—Iln’apasl’âmepoétique,réponditChuffy.C’étaitexactementlaconclusionàlaquelleétaitparvenuVander.—Kinrossjurequ’ilneseseraitpasmariésansunpoèmedeJohnDonne,déclaraThorn.Tupourrais

enmémoriserun.Ouessayerd’enécrireuntoi-même,suggéra-t-ilengrimaçant.—Kinross,leducécossais?fitVander.J’aibeaucoupdemalàl’imaginerrécitantdelapoésie.—Ilm’apourtantaffirméqu’ildevaitsonbonheurconjugalàDonne.—Lapoésie serait unbondébut, admitChuffy en se redressant, quoiqu’il donnât l’impressionde

risquer de s’affaler dans le beurre à tout moment. Mais il n’y a pas que cela. Dans les romans deLucibella,lehérossedistinguetoujoursparunacted’uneextraordinairebravoure.DansceluiqueMiaécritencemoment,FrédéricsauveFlorad’unpérilmortel.

—Frédéricestunfieffécrétin,répliquaVanderd’unairsobre,cequinel’empêchapasdeposerlaquestionquiallaitdesoi.Comments’yprend-il?

—Ilvasansdoutel’arracherd’unorphelinatenfeuouquelquechosedecegenre,suggéraThorn.—Non,desgriffesd’untigre,rectifiaChuffyavantdeseleverentitubant.Àunmomentouàunautre,ilavaitperdusacravate,etilportaitsongiletàl’envers.—Jemontemecoucher,marmonna-t-il.—Letigrearriveàlafinduroman?voulutsavoirThorn.—Floras’enfuitduchâteauhanté,maislevillordPlumestfurieuxqu’elleaitrepoussésesavances–

alorsqu’il séquestre sonépousedans legrenier–et lâchesurelle le tigremangeurd’hommeàdemiaffaméqu’ilgardedansunecagedanslacourdesonchâteau.

Chuffyavaitdébitésonhistoiresansreprendresonsouffle.—Etqu’enest-ildupassagehéroïque?s’enquitVander.—Frédéricvoitsabien-aiméesurlepointdesefairedévorerparletigreetseprécipitedanslacour

pour distraire celui-ci. Au moment où l’animal fonce sur lui, il sort un arc et le tue. J’ai tenté deconvaincreMiaqu’unpistoletseraitmieux,maiselletrouvelesflèchesplusromantiques.

Unsilences’ensuivit,tandisqueVander(etsansdouteThorn)s’efforçaitd’imaginercetenchaînementdesituationssingulièrementimprobables.

—Celasembleunpeumélodramatique,admitChuffy,surladéfensive.Maisc’estparcequ’aucundevousdeuxneconnaîtcegenre.Jevousassurequeleslecteursdetoutleroyaumetremblerontdeterreurenlisantcettescène.

—Malheureusement, il y a pénurie de tigres dans leBerkshire, soulignaThorn.Vander ne pourradoncpasreproduirecepalpitantdénouement.

—Dansl’undesromanslespluspopulairesdeMia,Esméralda,leméchantbonditd’unétalonsurlecarrosse de l’héroïne qui finit dans la rivière, expliqua Chuffy, plus alerte. Le héros – ce serait toi,Vander–plongedans leseauxglacialesafindesauver l’héroïneet l’attrapealorsqu’ellecommenceàcouler.

—Ridicule,grommelaVanderenselevant.— Alors écris ton propre dénouement, mon neveu ! rétorqua Chuffy. Le Duc, la Duchesse et

l’Orphelin!Venduenéditiondeluxedoréàl’orfin.—Sijepuismepermettre,tuferaismieuxd’apprendreunpoème,suggéraThorn.Essaiequelqu’un

demoins connuque JohnDonne ; qui sait, tu pourraismême réussir à le faire passer pour unede tesœuvres.

—Tum’imaginesvraimenttombantàgenouxetrécitantunpoème?ThornetChuffylecontemplèrentsansmotdire,etVandersutcequ’ilsvoyaient:ungrandgaillard

quin’avaitriend’unduc.Aumieux,sonsourireétaitféroce;aupire,ilétaitcarrémentmenaçant.Iln’avait jamais luun romandeLucibella,mais il avaitpassédesannéesàécouterChuffy les lui

raconteravecanimation.Uneidéegermadanssonesprit.

Ilallaitdevoirsolliciterl’aidedeCharlie.

34

Miaselevaà4heuresdumatinpourécrire.Lesmotsluivenaientaisément,commesionavaitouvertlesvannesd’unbarrage.

Florase révélaitétonnammentpragmatique.Aprèsquelquesrencontresavec lespectred’une jeunemariéequierrait enpleursdans lechâteauaprèsavoirétééconduiteen1217,elleétaitparvenueà laconclusionquepleurerFrédéricsaviedurantseraitunbeaugâchis.

Àmidi,CharliemanquaittellementàMiaqu’elledécidad’allerlechercheretderegagnerCarringtonHouse. Sir Richard ne représentait plus une menace, devinait-elle. Au rez-de-chaussée, l’aubergistel’informa qu’Edward l’attendait dans leur salle à manger privée où le déjeuner serait servi d’ici àquelquesminutes.

—Bonjour,lesalua-t-elleenfranchissantleseuil.Edwardselevaaussitôt,s’inclinaetluibaisalamain.—Vousserezheureused’apprendrequ’unsirRichardquelquepeucabossésetrouvedésormaisentre

lesmainsdujugedepaix,enattendantlesassises,luiapprit-ilenlaguidantjusqu’àunsiège.Une héroïne de Lucibella aurait défailli d’horreur en apprenant que sir Richard avait été corrigé

physiquement;Mia,quantàelle,trouvaitlechâtimentmérité.—J’ensuisheureuse,eneffet,confirma-t-elle.Plusriennem’empêched’allerchercherCharlie,je

suppose.JesouhaiteraisquenousnousréinstallionsàCarringtonHousesansdélai.FranchirleseuildelademeuredeVanderpourneplusyrevenirseraituneépreuve,ellelesavait,

maiselledevaitêtreforte.Elleétaitunefemmeindépendante,serépéta-t-ellepourlacentièmefois.Ellen’étaitpasqu’untitre:duchesse,épouse,filleousœur.

ElleétaitMia,etLucibellaaussi.EtlamèredeCharlie.Celadevraitluisuffire.Aprèslerepas,Edwardallaréglerl’aubergiste,etellesedirigeaverslaportequidonnaitdansla

courtoutennouantsonbonnet.Ellevenaitàpeinedesortirqu’elleentenditunhennissementfamilier.Ungrandsourireluivintauxlèvres.

—Pour l’amourduciel !s’exclama-t-elle, tandisqueJafircaracolaitverselle.Quediable fais-tuici?

Ilparaissaitextrêmementfierdelui.Avantqu’ellenepûtl’enempêcher,ilsaisitsonbonnetentresesdentsetreculaenl’agitantcommes’ils’agissaitd’unjeu.

Bienqu’ilfûtselléetlesrênesenrouléesautourdupommeau,iln’yavaitpersonneenvue.—OùestVander?demanda-t-elleaucheval,s’attendantpresquequ’ilréponde.Jafir lâchalebonnetetrevintversMiaqui luicaressalesnaseauxenbalayant lacourd’unregard

circulaire. Elle était déserte à l’exception d’une voiture stationnée tout au fond, gardée par un cochersomnolent.Où étaient donc passés les palefreniers et les coursiers qui flânaient d’ordinaire, attendantleurprochainemission.Elleplissalesyeux.CecocherquironflaitressemblaitfortàMulberry.

—Vander!appela-t-elle.Un éclat de rire enfantin lui répondit, et Charlie bondit par la portière ouverte. Jafir poussa un

hennissementapprobateur.—Monange!s’exclama-t-elle,lesbrastendus.Quefais-tuici?Charlies’élançasurlespavés,levisageradieux.—Noussommesvenusvouschercherpourvousrameneràlamaison!cria-t-il.—Nous?Leducestavectoi?demandaMiaavantdedéposerunbaisersurlefrontdesonneveu.—Jedoisvous réciterunpoème,annonça-t-ilen l’étreignant.SaGrâceetmoi,nous l’avonsécrit

ensemble.Jevaisledéclameràlamanièredesorateursromains.Lesoufflecoupé,MiavitVanderdescendredelavoiture.EllereportavivementlesyeuxsurCharlie,

quiavaitgrimpésurlamarchedegranitdevantl’entréedel’aubergeets’étaittournéverslacour.Il commença à déclamer avec lamajesté d’un jeune lord faisant une déclaration de la plus haute

importanceàsescompatriotesetaumonde.—Lesrosessontrouges,lesviolettessontbleues…Soudain,unbrasémergeadel’ombreets’enroulaautourdesagorge.Miapoussaunhurlement,tandis

qu’unsirRichard,ensanglantéetéchevelé,poussaitCharliedevantluiavecbrutalité.Iltenaitunpoignardcontre la gorge du garçon. L’aristocrate distingué avait disparu, remplacé par un prédateur au regardféroce.

Ducoindel’œil,MiavitVanderfaireunpasprudentverseux.Toutàfaitréveillé,Mulberrysautadesonsiège.

—SirRichard,qu’est-cequivousprend?cria-t-elledans l’espoirdedétourner sonattentiondesdeuxhommes.

—Oh,j’aijustel’intentiondetuercepetitmorveux!répondit-ilavecsonaccentcultivé,commes’ilparlaitdutempsqu’ilfaisait.

—TanteMia,articulaCharlied’unepetitevoix,sesgrandsyeuxrivéssurelle.UncrimontadanslagorgedeMia,qu’elles’efforçaderéprimer.—Unmeurtreestunesolutionquelquepeuextrême,non?lançaVander,quiavaitrejointMia.Mulberry, lui, s’efforçaitde fairediscrètement le tourde lacourafind’approcher l’agresseurpar-

derrière.—C’estluileresponsabledetout,crachasirRichard.Jedoisquittercemauditpaysàcausedecet

estropiédemeuréqu’onauraitdûnoyeràlanaissance.IlsecouaCharlieetlecouteaus’approchadangereusementdesagorge.—Non!fitMiaquis’avançaentrébuchant.C’estmoiquisuisresponsable.Toutestmafaute.Par

pitié,lâchezCharlie!Enréponse,sirRichardtiralatêtedel’enfantenarrière,plaçantletranchantdesonpoignardsous

sonmenton.MiaentenditlabéquilledeCharlieheurterlespavés,mêmesiellen’osapasquitterdesyeuxlevisagedesirRichard.

Ilétaitencorepirequ’ellenel’avaitimaginé:cethommeétaitfouàlier.—PourquoiCharlie?croassa-t-elle.C’estvotreneveu!Ilneméritepasuntelsort!—Maintenant!aboyaVander.Sous le regardeffarédeMia, lebrasdroitdeCharliedécrivitunarcdecercle,et lapetitedague

qu’ilserraitdanssamainseplantadanslebrasdesirRichard.Sansdouteneparvint-ilqu’àlepiquer,cependant, lalamedupoignardvacilla,offrantàVanderlasecondedontilavaitbesoin.Bondissantenavant,ilarrachaCharlieàl’étreintedesonagresseur.

Ce dernier hurla et se jeta sur eux, envoyantMia voler sur les pavés. Charlie était déjà à l’abriderrièreVanderquiarboraituneexpressionsisauvagequesirRichardsepétrifia.

Mais à l’instant où Mulberry s’élançait à la rescousse, sir Richard vira brusquement à gauche,agrippa le pommeaude la selle de Jafir, et se propulsa sur sondos avant de s’enfuir au grandgalop.Débitantunflotdejurons,Mulberryseruahorsdelacour.

—IlavoléJafir!criaCharlie,lavoixvibranted’indignation.— Il ne le gardera pas longtemps, assura Vander, qui vint aider Mia à se relever avant de

l’envelopperdesesbras.Elleselaissaallercontresontorse,paupièrescloses.Illuisemblaqu’ildéposaitunbaisersurses

cheveux.—NevousinquiétezpaspourJafir,Charlie,repritVander.SirRichardessaieradelevendrequand

ilarriverasur lacôte,mais j’offriraiunerécompensesiénormequ’ilseretrouveraavec lamoitiédeshommesduroyaumeàsestrousses.

Unbruitdebottesrésonnasurlespavés.—NomdeDieu,j’espèrequecen’étaitpasMagruder,grognaunevoix.Miarouvritlesyeux.—Charlieesttropjeunepourentendrecegenredelangage.—Pardonnez-moi,ditEdwardquis’étaitrembrunienlavoyantdanslesbrasdeVander.— Sir Richard a le juge de paix du Berkshire dans sa poche, fit le duc. Ce qui n’explique pas

commentilasuoùnoustrouver.— C’est moi qu’il cherchait, j’imagine, dit Edward. Il m’a menacé à plusieurs reprises, la nuit

dernière.Aprèssonarrestation, j’aiditaushérifque j’étaisdescenduà l’aubergeaucasoùjedevraistémoigner.

Mulberryrevintencourant.—IlaprislaroutedeDouvres,annonça-t-il,haletant.IlvatenterderejoindrelaFrance.Vanderhochalatête,puissetournaversEdward.— Si vous voulez m’excuser, monsieur Reeve, j’aimerais emmener mon épouse faire une courte

promenade.Lesilences’étira.—Faites,réponditfinalementEdward,letonneutremaisleregardmorne.Charlie,mongrand,etsi

vousveniezàl’intérieuravecmoi?—Vous avez vu comment j’ai poignardé sirRichard ? s’écria le garçon, qui ne paraissait pas le

moinsdumondeébranléparl’expérience.Vander ramassa labéquilledeCharlie,qui s’étaitapparemmentcasséeendeux.Stupéfaite,Mia le

regardavisserunepetitedagueàl’intérieur,làoùiln’yenavaitpasauparavant.—Vousavezsauvévotrepeau,ondirait,commentaEdward.—Non,c’estleducquim’asauvé,répliquaCharlieavecentrain.Maisj’aipoignardésirRichard!ReprenantsabéquilledesmainsdeVander,illacoinçasoussonaisselleetsedirigeaverslaporte

del’auberge.Ilseretournasoudain.—Vousrevenez,n’est-cepas?demanda-t-ild’unevoixquichevrotaitimperceptiblement.—Dansl’heure,promitVander.CetteréponseparutsuffireàCharlie,quientradansl’aubergeencompagnied’Edward.—SirRichardétaitprêtà tuerCharlie,gémitMia,quichancela,encoresous lechoc.Sonpropre

neveu!Sans mot dire, Vander la souleva dans ses bras et se dirigea vers sa voiture. Elle aurait dû se

débattre.D’iciàquelquesminutes,elleseraitsansaucundoutecapabledes’affirmercommelafemmeindépendante qu’elle avait décidé d’être. Mais pour l’instant, elle tremblait de la tête aux pieds, etsavourait la sensationmerveilleused’êtredans lesbrasde l’hommesi fortqui les avaitprotégés, sonenfantetelle.

—SirRichardestfou,expliquaVander.Ils’installasurlabanquette,Miasursesgenoux.—Iln’auraitsansdoutepashésitéàmettresesmenacesàexécution,continua-t-il.Monproprepère

constituaitundangerpourmoi.Jen’enaiaucunsouvenir,maisselonChuffy, il tentaitrégulièrementdepénétrerdansmachambre,sibienqu’unvaletdevaitmonterlegardedevantlaportejouretnuit.

—C’esthorrible!articulaMia.Dieumerci,votrepèren’ajamaisréussiàvousfairedumal.Jesuiscertainequ’il enaurait eu le cœurbrisé.EtDieumerci, ajouta-t-elled’un ton fermecommeune lueurinquiètes’allumaitdansleregarddeVander,vousn’avezpashéritédesamaladie.

—J’aihéritédesontempérament,avoua-t-il.Ildonnauncoupbrefdansleplafond,etlavoitures’ébranla.—Autrefois, j’avaispourhabitudededémolirlesmeubles,aujourd’hui, jemecontented’échanger

quelquescoupsdepoingavecThorn.—Jamaisvousneferiezdemalàquelqu’unsouslecoupdelacolère,assura-t-elleennichantlajoue

aucreuxdesonépaulemusclée.—Maisjedisdeschosesquejenepensepas.J’aiétéodieuxavecvous,Mia.Ill’écartadeluijusteassezpourqueleursregardssecroisent.—Vous êtes la femme laplusbelle, la plus intelligenteque j’aie jamais rencontrée, et je vous ai

blessée.J’ensuisnavré,dit-ild’untonbourru.Miadevinad’embléequ’iln’avaitjamaisditcelaàpersonne.Sagorgesenoua.Commentpourrait-

ellelerejeter?Pourtantillefallait.—Aprèsavoirfaitl’amouravecvouspourlapremièrefois,continuaVander,quiluipritlamainet

laportaàseslèvres,jen’avaisplusqu’uneenvie:recommencer.C’étaitlachoselaplusdifficilequ’elleeûtjamaiseuàfaire.—Jenepeuxpas,murmura-t-elle.C’étaittoutcedontelleavaitrêvé–toutefoispasainsi.Sontondouloureuxétaithumiliant,etilgarda

lesilence.Unsilencequ’ellesesentitobligéedecombler.—Cen’estpasassez,dit-elle,leslarmesauxyeux.Jeneveuxpasêtrejusteunefemmedansvotre

lit.—Monamourpourvousn’arienàvoiravecmonlit,répliquaVanderd’unevoixgrinçantecomme

unegrillerouillée.Miaeneutlesoufflecoupé.—Qu’avez-vousdit?s’écria-t-elle.—Jen’aipasaimégrandmondeetjenesuispastrèsdouépourcela.J’aimaismonpère,maisila

essayé de me tuer plusieurs fois. J’aimais ma mère, mais j’étais pris entre deux feux et j’avaisl’impressiondetrahirmonpèreenmemontrantaimableavecelle.

Ilsetutuninstant,etsondaleregarddeMia.—J’aimeThorn.J’aimeIndia.Chuffy,biensûr.Charlie.Etvous.Vouspar-dessustout,Mia.Cediscourslapritdecourt.— Pourtant, vous m’avez dit des choses blessantes, objecta-t-elle, telle une enfant butée. Vous

m’appelieztoujours«duchesse»commesijen’avaispasd’existencepropre.—Quandjevousappellemaduchesse,c’estmafaçonàmoidedirequejevousaime,quej’aienvie

devousserrerdansmesbras,devousfairel’amour.Cemotsignifiequevousêtes…toutpourmoi.Ilétaitsincère,celanefaisaitaucundoute.—M’aimez-vous,Mia?Siteln’estpaslecas,jepartiraietjenevousimportuneraiplusjamais.Je

vouslepromets.LecœurdeMiasemitàbattrelachamade,etellesentitsadéterminationchanceler.

—Maissivousm’aimez,poursuivit-il, luiétreignant lesmains, jamais jenevous laisseraipartir.PasmêmesiReevevousécritunecentainedepoèmesd’amouretvousdittoutesceschosesquejesuisincapablededire.PasmêmesicemauditFrédéricseprésenteenpersonne.Comprenez-vous?

Sonregardardentscrutaitlesien.Ellesemorditlalèvreetdétournalesyeux.—Ilnes’agitpasjuste…Illuipritdoucementlajoueencoupe,laforçaàleregarder.—Iln’yaqu’unequestioncapitale,Mia.M’aimez-vous?Letonétaitpressant,maiselleydécelaunepointedevulnérabilité,commes’il lui laissaitvoirce

qu’ilnemontraitquerarement,peut-êtremêmejamais:lestréfondsdesonâme.Ellenepouvaitpasluimentir.

—Oui,souffla-t-elle.Jevousaime,Vander.—Merci,monDieu!Ill’attiracontrelui,pressalevisagecontresachevelure.—J’aiététellementstupide.Dites-moiquevousnemequitterezjamais.Savoixétaitrauqued’émotion,commesileguerrierféroceavaitenfinmislegenouenterre.—Jamais.LemotparutàMiaaussinaturelquelaviemême.—Jevousaimeetvousaimeraitoujours,ajouta-t-elle.Cequiluiavaitparuhonteuxétaitdésormaisuneévidence.—Si vous tenez à le savoir, je vous aimedepuis nos quinze ans, confessa-t-elle. Peut-êtremême

avant.—Jenevousméritepas,déclaraVander.Ilseredressa,denouveaumaîtredesesémotions.—Maisj’aiceci.Delapochedesaredingote,ilsortitunepoignéedeboutsdepapierjauni.L’écriturequiyfigurait

n’étaitpasélégante,maisrapide.Mialareconnutaussitôt.C’étaitlasienne.—Àl’époque,j’éprouvaisdessentimentspourvous,luiavoua-t-il.J’aimaissurtoutvosseins,mais

aussivotrerire,etcettefaçonquevousaviezdecalmermacolèremêmequandvotrepèreétaitprésent.Miaendemeurasansvoix.—Lamoquerieestlepirequipuissearriveràungarçon.Àquinzeans,j’enavaisdéjàsubitellement

àl’écolequej’étaisd’unetrèsgrandesusceptibilité.QuandOakenrottestentrédanslabibliothèquecejour-là, j’étais incapable de raisonner. Il a menacé de parler de ce poème à tout le monde. Votreréputation aurait été ruinée, alors j’ai dit la première chose qui m’a traversé l’esprit pour l’arrêter.Évidemment,jen’aifaitqu’aggraverlasituation.

Mian’arrivaitpasàdétacherlesyeuxdesmorceauxdepapier.—Vousavezgardémonpoèmetoutescesannées?Vanderhochalatête.—Pasquestiondelaisserpartiràlapoubelleleseulpoèmequ’onaitjamaisécritpourmoi.Miasouritjusqu’auxoreilles.—Oùétait-iltoutescesannées?—Dans une boîte. Jusqu’à ce que Thornme conseille de faire un geste grandiose et d’écrire un

poèmeàmontour.Charliem’aaidé,celaditnoussavionstousdeuxquenosversnevalaientpastripette.C’estalorsquej’aieucetteidée.

—D’oùvousestdoncvenuel’idéedemecourtiseravecunpoème?pouffaMia.

—J’étaisdésespéré, répondit simplementVander.Mais j’aiunautreplanen réserve,aucasoù lepoèmeneseraitpasassezpersuasif.

Ellel’auraitparié.—Lequel?—Tenez.Illuitenditunelettredesplusofficielles,cachetéedusceauducal.Miahaussaunsourcilperplexeet l’ouvrit.Ellelalutunepremièrefois.Recommença.Puisencore

unefois.—Vousmefaiteschanter?Ilhochalatête.— Si vous me quittez, j’enverrai cette missive au Times. Le monde entier connaîtra la véritable

identitédeLucibellaDelicosa,duroiàlafilledecuisine.Miaéclataderireetlâchalalettre.—Savez-vouscequejedésireleplusaumonde?—Jesuisprêtàvousoffrirtoutcequejepossède,Mia.Àexaucerlemoindredevosvœux.Ilétaitsincère.—Unbaiser,murmura-t-elle.Vanderneselefitpasdiredeuxfois.Larenversantsurlabanquette,ilcapturaseslèvresenunbaiser

fervent.LecorpsdeMiareconnutlesientandisqu’ilselaissaitallersurelle,etdeslarmesdebonheurluimontèrentauxyeux.

Elles’agrippaàluicommesisavieendépendait.—Jevousaime,chuchota-t-il.Déjàilluiremontaitsesjupes.—J’aienviedevous,lâcha-t-il.—Alorsprenez-moi,l’encourageaMia.Jesuisàvous,Vander.Ilsefigea.Latendressedanssonregards’étaitmuéeenquelquechosed’infinimentplusfarouche.—J’aienviedevous,Mia,maissurtoutjevousaime.—Jesuisàvous,répéta-t-elle.—Pourtoujours?—Pourtoujours.Là,surlabanquetteétroitedelavoiture,Vanderluifitl’amouravecrespect,dévotionet…passion.

POÈMEÉCRITPARLEDUCDEPINDARAVECL’AIDEINESTIMABLEDE

M.CHARLESWALLACECARRINGTON

Lesrosessontrouges,lesviolettessontbleues.Votreducvousrespecte,etdevousestamoureux.

Épilogue

Lelendemainmatin,Gaunteutunchocenouvrantlaported’entrée:JafirbroutaitsouslafenêtredelachambredeMia,sanscavalier,lesrênespendantsursesflancs.

Plustardcejour-là,leshérifvintlesinformerquesirRichardMagruder,aprèsavoirétérelâchéparerreur,avaitétédésarçonnélorsdesafuiteetétaitmortsurlecoup,lanuquebrisée.

Jafir n’avait pas, semblait-il, apprécié d’avoir le fugitif sur le dos. Il préférait de beaucoup safamille:tantqu’ellesetrouvaitàproximité,ilétaitleplusdouxdesanimaux.Durantl’annéequisuivit,ilenduradenombreusespromenadesd’unelenteurpénibleencompagniedeLancelotetdeMia.Ileutbeaufaire,Miarefusatoujourscatégoriquementdechevauchersurunchevaldecettetaille.

Auprintemps,ellechangeasondiscours,expliquantqu’ellenevoulaitpasmettreendangerlebébéqu’elleportaitenmontantunchevalplusénergiquequeLancelot.

Deuxansplustard,elledéclaraqueFlorasemontraitirritablesielleétaitséparéedesamèretroplongtempsetqu’elleentendaitdoncl’emmenerlorsdesapromenadequotidienne.PersonneneconfieraitFlora,quiavaitlacrinièrebrunedesonpèreetleriredesamère,àunautrechevalqueLancelot.

FlorafutsuiviedeCuthbert(baptiséainsienl’honneurd’ungrand-onclebien-aimé)etd’Edward(ensouvenir d’un grand ami de sa mère). Ainsi, la duchesse de Pindar évita-t-elle très longtemps de seretrouverperchéesurungigantesquecheval.Àl’époque,Jafiravaitremportétouteslescoursesqu’ilyavaità remporterenGrande-Bretagne,etavaitprissaretraitecommeétalonreproducteur,unemissiondontils’acquittaitavecenthousiasme.

Puis,tôtunmatin,alorsqueleducetladuchesseétaientaulitaprèss’êtrecomportésd’unemanièrequiauraitchoquéleursproches,VanderfitremarquerqueLancelotcommençaitàsefairevieuxetseraitsansdouteplusheureuxderesteràl’écurie.Commec’étaitlàl’évidencemême,Mianediscutapas.Leduc ajoutaque Jafir n’était pas si terriblement grand, et rappela que leurs trois enfants chevauchaientavecmaestriadesmonturestoutaussiimposantes.

Traçantdescerclesduboutdudoigtsurletorsedesonépoux,Miasoupira:—Jen’arrivepasàcroirequelesenfantssontdevenusdepareilsgéants.Ilsétaientminuscules,et

regardez-lesmaintenant.Vanderl’embrassasurlefront.—Ilspossèdentvotrebeautéetmastature.—JecroisqueCuthbertal’étoffed’unromancier,voussavez.Ilm’aracontéunehistoirequis’est

passéeàEton,etilpossèdeunsensdelanarrationépoustouflant.Plus tard cematin-là, à la stupéfaction deMulberry, Vander aida sa femme à se hisser sur Jafir.

Malgrésadéplorabletendanceàs’agripperaupommeaulesyeuxfermés,ilss’engagèrentaupassurlesentierquitraversaitlebois.Àcompterdecejour,Mian’acceptaplusd’autrecheval.

Si elle avait dépensé beaucoup d’énergie à éviter les pur-sang arabes, tel n’était pas le cas deCharlie. CommeVander l’avait prédit, il devint vite le plus brillant cavalier des cinq comtés réunis.D’uneintrépiditésansnom,ilparvenaitàmaîtriserleplusindociledesétalons.

ÀEton,onl’avaitautoriséàmanquerlescoursàl’occasiondecertainescourses,cequisuscitadansunpremiertempsunecertainejalousieparmisescamarades.Maisceux-cicomprirentvitequetantquelejeune lordCarrington feraitpartiede l’équiped’équitation,Etonneperdraitpas laCoupeduSteeple-chase – un trophée en argent que se disputaient Eton et Harrow depuis des années. Dès lors, pluspersonne ne lui tint rigueur de disposer d’une permission spéciale ni ne se permit de l’appeler « leboiteux»ou«jambe-de-bois».

Enfait,commeMia leconfiaàsonéditeur,M.WilliamBucknell–quiétaitdevenuWillquelquesannéesplustôt–,c’étaitcommesisonneveuavaitdécidédedevenirVander.

—Charlieestdésormaissimuscléqu’ilressembleàmonmari.Lesfemmesneremarquentmêmepasqu’il boite. Il s’exprime aussi commeVander.À en croire la rumeur,MlleAliciaGretly, qui est joliecomme un cœur, se languit d’amour pourmon neveu.Mais quand je lui en ai parlé, Charlie a fait lagrimaceetm’aréponduquelorsqu’ildécideraitdeprendrefemme,ceseraitluiquilacourtiserait,etpasl’inverse.ExactementcequeVanderauraitditaumêmeâge!

William Bucknell ne put s’empêcher de rire. Il passait chaque année un mois à Rutherford Park,périodedurantlaquelleiléditaitlederniermanuscritdeladuchesse.

—S’ilsuitlestracesdevotreépoux,lordCarringtonaencoreunebonnedizained’annéesdevantluipourtrouverl’éluedesoncœur,fit-ilremarquer.

— J’ai l’impression qu’hier encore c’était un petit garçon, clopinant avec sa béquille, soupira laduchesse avant de reprendre sa plume. Il serait temps de nousmettre au travail, je suppose.Voilà aumoinsuneheurequenouspapotons.

AvantqueWillpuisserépondre,leducpassalatêtedansl’entrebâillement.—Puis-jevousenlevermonépousepourunebrèveconsultation surunequestionde laplushaute

importance?s’enquit-il.Will observa la scène avec intérêt. Selon lui, l’une des raisons pour lesquelles les romans de la

duchesse étaient comparés, dans certains cercles, à ceux deMlle JaneAusten s’expliquait par sa vieprivéesivisiblementheureusedontellepartageaitcertainsbonheursavecseslecteurs.

MaisSaGrâcerefusad’unsignedetête.—Disparaissez,ordonna-t-elleàsonmarienluisoufflantunbaiser.Pasdeconsultationsavantque

Willetmoiayonsachevéaumoinsdixpages.Quandleduceutrefermélaporte,SaGrâceaffichaunsourireespiègle.—Avez-vous vu avec quel calme il a acceptémon refus ?Croyez-le ou non,mais autrefoismon

épouxétaitconvaincuqu’ilpourraittoujoursparveniràsesfins.Ilm’afalluaumoinsunandemariagepourl’endétromper.

Àdéfautd’uneréponseappropriée,Willtapotalapiledepagesmanuscritesposéedevantlui.— J’aimerais que nous discutions du fait que votre héros, lordXavierHawtrey, perd lamémoire

aprèsunechutedechevalaupointdenepasreconnaîtresapropreépouse.—Meslecteursvontadorer,assuraladuchesse,surladéfensive.—Jen’endoutepas, réponditWill,apaisant.Maisaccepteront-ilsque lordXaviernese rappelle

miraculeusementlevisagedesafemmequ’unefoisconvaincuquesonvilcousinaassassinécelle-ci?Àmonhumbleavis,voslecteurspréféreraientqu’iltenteaumoinsdeluisauverlavie.Parbonnevolonté,àdéfautd’amourconjugal.

SaGrâcesoupiraettiralemanuscritverselle.—Vousavezsansdouteraison.Maisilnousfautréfléchiraumoyendegarderlascènedanslaquelle,

enproieàuneculpabilitésansnom, ilse jetteduhautde la falaise.Chuffyadoreceplongeonetvous

savezqu’ilestmonmeilleurcritique.Pesantsesmotsavecsoin,Willrépliqua:—Jem’inquiètequelordXavierpuissemouriravantd’avoirpu…Etainsisepoursuivitleuréchange.Envérité,cemoisqueWillBucknellpassaitchezeux,àrevoirsonderniermanuscritetàargumenter

avecChuffy,étaitaussil’undesmomentsdel’annéequeMiapréférait.Quandbienmêmeunefemmequiaimaitavecpassionetétaitaiméetoutaussipassionnémentavaitde

multiplesraisonsd’êtreheureusechaquejourqueDieufaisait.Ettoutparticulièrementlorsdesconsultationsavecsonépoux.

Unecarrièrederomancièreen1800etplustard

Leprésentouvragedoitbeaucoupàsessources,maisencoreplusauxlecteursquim’ontsoutenueetpousséeàécrirevingt-quatreromansàcejour(cequinecessedem’étonner).EncréantunauteurfémininderomanssentimentauxautoutdébutduXIXesiècle,jevoulaisnonseulementmontrercombienécrireuneromancepeutêtreamusant,maisaussihonorerlesauteursdel’époque.Pourlaplupart,leurœuvren’estplus éditée, même si elles étaient prodigieusement populaires en leur temps. Un auteur comme SarahScudgellWilkinson subvenait à sesbesoins enécrivantdes aventures tellesqueLaComtesse fugitive(1807).AnnaMariaBennettcommençasa longuecarrièred’auteuràsuccèsavecAnna (1785)dont lapremièreéditions’écoulaenunejournée.Écriredesromanspouvaitserévélerextrêmementlucratif:en1796, Fanny Burney fut payée 2 000 livres pour Camilla, droits compris, ce qui équivaut à plus de100000livresaujourd’hui.Biensûr,celanesignifiepasqueleurœuvreétaituniversellementcélébrée.LacritiquequitourmenteMiaestréelle;ellefutpubliéedansleGraham’sLady’sMagazineen1848etleromanconsidérécomme«unramassisdedépravationvulgaireetd’horreurscontre-nature»étaitLesHautsdeHurlevent,d’EmilyBrontë.

J’aiinventélamaisond’éditionBrandy,Bucknell&Bendal;enréalité,l’éditeurdeLucibellaauraitsans doute étéMinerva Press,maison fondée en 1790 parWilliam Lane qui publiait à la chaîne desœuvresdefictionetcréaaussiunebibliothèqueitinérante.Spécialisédanslalittératuresentimentaleetleromand’horreurgothique,ilauraitadoréleshéroïnesenpérildeLucibella.SilaprosedeLucibellaestlerefletdesromansdel’époque,j’aitirél’intrigued’Uneallured’angeetuncœurdedémon(unromandeSelinaDavenportpubliéparMinervaen1818)d’unenouvelledeDorothyParkerintituléeLeNiveaude vie. Afin d’assurer leur accessibilité à la classe moyenne et ouvrière, les romans de ce genrepossédaientenrèglegénéraleunereliurecartonnéeagrémentéed’uneétiquetteencuirsurlatranche.Lapremièreéditiond’Emma(1816)deJaneAusten,parexemple,étaiten«cartongrisordinaire»avecuneétiquettedetitreencuirmarocainestampé.MaislesreliuresplusluxueusesdeChuffyexistaientaussi:leplusgrandrelieurdel’époqueétaitRogerPayne,célèbrepoursescréationsoriginalesencuirdeRussierehaussé de bordures dorées à la feuille, de perles et même parfois de broderies en soie illustrantl’intrigue.

SilepersonnagedeMias’inspiredesromancièresdelafinduXVIIIesiècleetdelafinduXIXe, sirCuthbertdoitsonphysiqueetsanatureenjouéeàl’undescélèbrespersonnagesdeShakespeare,sirTobyBelchdansLaNuitdesrois.Avecespièglerie,ilenchaînelescitationsdecettepiècequeMiareconnaît,maismonplusgrandespoirestqu’ilapporte l’insouciante joiedevivredesonmodèle.Enparlantdecitations, lepoème tantdécriédeMiapuisedans l’héritage romantiquedePercyByssheShelley.Pourfinir, le jeune Charles Wallace possède quelque chose de l’intelligence surnaturelle du personnagehomonyme deMadeleine L’Engle dansUn raccourci dans le temps, même s’il ressemble sans doutedavantageàceluidupetitTim,l’enfantinvalidedeCharlesDickens.