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Q uatre déclarations sur la question raciale Unesco

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Q uatre déclarations sur la question raciale

Unesco

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Publié en 1969 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science

et la culture, place de Fontenoy, Paris-‘le

Imprimé par Obertlmr, Rennes

@ Unesco 1969 COM.69/II.27/F

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L’Unesco et son programme

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Dans cette collection :

Des maîtres pour l’école de demain par Jean Thomas

Le droit à l’éducation. Du principe aux réalisations, 1948-1968 par Louis François

Pour les enfants du monde. Exemples de la coopération Unesco-FISE (Unicef) par Richard Greenough

Pour et avec le.3 jeunes

Quatre déclarations sur la question raciale

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Avant-propos

La présente brochure reproduit les quatre déclarations sur la question raciale qui ont été rédigées en 1950, 1951, 1964 et 1967 par des groupes dexperts réunis par 1’Unesco dans le cadre de son programme d’information scientifique sur la race et de lutte contre le préjugé racial. A la fin de chacune des déclarations figurent les noms et les titres des experts qui ont participé à son élaboration.

Ces textes sont précédés de deux études - l’une par le professeur Hiernaux, biologiste, de l’Université de Bruxelles; 2’autre par le professeur Banton, sociologue, de I>Université de Bristol - sur les quatre déclarations considérées dans leur ensemble. Les opinions exprimées dans ces études sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles de PUnesco.

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Table des matières

Les aspects biologiques de la question raciale, par Jean Hiernaux 9

Aspects sociaux de la question raciale, par Michael Banton 17

Déclaration sur la race. Paris, juillet 1950 30

II

Déclaration eur la race et les différences raciales. Paris, juin 1951 37

III

Propositions sur les aspects biologiques de la question raciale. Moscou, août 1964 46

IV

Déclaration sur la race et les préjugés raciaux. Paris, septembre 1967 52

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Les aspects biologiques de la question raciale

par Jean Hiernaux

Comme le souligne la Déclaration sur la race et les préjugés raciaux de 1967, les causes fondamentales du racisme sont économiques et sociales. Cependant, ceux qui le pratiquent justifient leur comportement par des croyances et des images du domaine de la biologie : d’une part, la conviction qu’il y a des différences innées de valeur entre les groupes humains, d’autre part, la représentation stéréotypée des caractéristiques héréditaires des membres de ces groupes. Dans la pensée des racistes, non seulement tel groupe (le leur) est par nature supérieur à tel autre, mais tout membre du premier est supérieur à tout membre du second. Cette conviction s’accompagne de répulsion envers l’intrusion de sang « inférieur » dans le patrimoine génétique du groupe auquel ils s’identifient. Celui-ci est le plus souvent désigné en termes de race; il peut aussi constituer une caste, voire une classe sociale. La hiérarchie qu’établit la pensée raciste est conçue surtout dans le domaine de l’intelligence et du comportement, où elle attribue à chacun des groupes des caractéristiques non seulement innées, mais immuables.

Que pensent, sur tous ces points, ceux qui vouent leur vie à l’étude rationnelle des différences biologiques entre les êtres et les groupes humains : les chercheurs en biologie humaine, ou anthropobiologie ? Les déclarations de l’Unesco reproduites ci-après répondent à cette question, particulièrement celles de 1951 et de 1964, qui émanent de réunions de biologistes. Ceux-ci étaient insuffisamment représentés à la réunion de 1950, ce qui a provoqué celle de 1951. Q uant à la Déclaration de 1967, elle réaffirme les propositions adoptées en 1964, tout en soulignant les points de cette dernière qu’elle estime essentiels. C’est à la lumière de ces textes que seront présentés ici les aspects

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Jean Hiernaux

biologiques de la question raciale, dans une tentative de faire le point des connaissances scientifiques actuelles et de leur évolution récente.

Dans son développement physique et mental, l’être humain résulte de l’interaction de l’hérédité et du milieu. Mis à part l’aspect qualitatif de caractères comme les groupes sanguins, qui semble échapper à toute influence du milieu, l’hérédité ne détermine qu’un potentiel ou une tendance. Par exemple, selon les conditions dans lesquelles s’est déroulée sa croissance, un individu atteindra à l’âge adulte une stature dont l’hérédité n’aura déterminé que la « fourchette > ; selon leur régime alimentaire, deux individus qui ont hérité la même tendance au diabète peuvent l’un présenter une forme grave de l’affection, l’autre ne pas en souffrir. Le concept de race concerne la part héréditaire des différences que manifestent les êtres humains : il ne viendrait à l’esprit de personne d’appeler différence raciale l’effet de conditions de vie différenciant l’expression d’un potentiel génétique démontré identique pour un caractère donné.

Sur le plan d ’ ’ u patrwome héréditaire total (l’ensemble des gènes, longues molécules d’acide désoxyribonucléique ou ADN composant les chromosomes dans le noyau cellulaire), comme sur celui de l’ensemble des caractères tels qu’ils sont exprimés (les phénotypes), il n’est pas deux êtres humains identiques (à I’exception, sur le plan génétique, des jumeaux monozy- gotiques, issus d’un seul ûeuf fécondé dont les deux cellules filles se sont séparées pour donner naissance chacune à un être complet). Dans l’esprit de l’homme de la rue comme dans celui de l’anthropologue, le concept de race inclut la notion de stabilité du patrimoine héréditaire d’une génération à la suivante, ou du moins de tendance à une telle stabilité. Il en découle que l’individu ne saurait être l’unité d’une étude des races : aucun de ses enfants, qui hérite autant de l’autre parent, n’est semblable à lui. Manifestement, le concept de race a pour unité un groupe d’individus tel que son patrimoine génétique collectif (la somme des patrimoines héréditaires de ses membres) tend à rester stable au long des générations. C’est le cas d’une population dont les membres se marient habituellement entre eux, dans la mesure où cet isolement génétique est prononcé et où interviennent peu les forces et événements évolutifs énumérés

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Les aspects biologiques de la question raciale

plus loin. Pour les questions abordées ici, les unités d’étude sont les pièces du découpage de l’humanité qui se rapproche le plus d’un ensemble de telles populations. Leur nombre est élevé : rien que pour l’Afrique au sud du Sahara, on en compte un bon millier.

Ainsi définies, il n’est pas deux populations humaines dont les patrimoines héréditaires soient identiques : pour le moins, ils vont différer par la fréquence de certains gènes. Les classifi- cations raciales réduisent la multitude de ces populations-unités à un nombre plus modeste de groupements (les races) ; éventuel- lement, elles créent plusieurs échelons classificatoires (la grand- race, la race et la sous-race, par exemple). La Déclaration de 1951 affirme l’unanimité des anthropologues à considérer la race comme un concept classificatoire. Celle de 1964 aifirme le caractère classificatoire de la grand-race mais, selon elle, sont appelés races soit des groupements d’ordre inférieur, soit les populations-unités elles-mêmes. C’était déjà, moins clairement exprimé, ce qu’en disait la Déclaration de 1950. En fait, un grand nombre d’anthropologues définissent aujourd’hui la race comme une population différant des autres par la fréquence de certains gènes; chaque population constitue d& lors une race, et ce dernier terme n’est pas classificatoire. Il est regret- table que le même mot désigne tantôt les unités énumérées, tantôt les groupements de leur classification. Beaucoup désormais veillent à réserver le terme de population aux premières et celui de race aux seconds.

L’ambiguïté de la signification du mot B: race > dans la littérature anthropologique récente provient d’une évolution des idées, durant les dernières décennies, quant à la justification et à l’intérêt d’une classification des populations humaines. Les signataires de la Déclaration de 1951 voient la diversification des groupes humains essentiellement sous la forme d’un arbre généalo- gique; la classification raciale, qui en nomme les branches et les rameaux, résume l’évolution et, dit la déclaration, en facilite l’étude. La diversification des populations humaines est plus souvent vue aujourd’hui sous la forme d’un réseau que tissent les facteurs de particularisation et les multiples mélanges géné- tiques. L’unité évoluante est la population; celles que groupent les classifications en une grand-race peuvent avoir des histoires

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évolutives très différentes. Certains doutent qu’il soit possible d’établir une classification des populations humaines d’usage général : selon eux, il convient d’élaborer la classification appro- priée au problème étudié. La plupart reconnaissent qu’il y a une large part d’arbitraire dans toute classification raciale. Un nombre croissant d’anthropobiologistes abandonnent toute classification, dont l’intérêt leur paraît limité au regard du risque d’inciter à des généralisations abusives. Cette évolution de la biologie humaine moderne quant aux classifications raciales a marqué le texte de 1964 et a frappé les experts réunis en 1967, dont la déclaration attire l’attention sur elle. Vis-à-vis des idées reçues, il était capital de relever que, pour l’anthropologue contemporain, l’humanité ne se divise pas naturellement en Blancs, Jaunes et Noirs ou toute autre subdivision, mais qu’elle est composée d’une multitude de populations ayant chacune son histoire évolutive propre. Leur ensemble forme un continuum tel que toute tenta- tive de groupement autour de combinaisons de caractères choisies aboutit à la constatation que de nombreuses populations sont inclassables (ce que reconnaissait d’ailleurs déjà la Déclaration de 1951).

Pour la biologie humaine moderne, ce qui importe est d’éta- blir la nature, l’ampleur, les modalités et la genèse des diffé- rences que présentent les populations humaines, dont la part génétique est habituellement qualifiée de différence raciale.

Entre les populations d’une même espèce, comme le sont les populations humaines, les différences ne peuvent être que mineures en regard de ce qu’elles ont en commun. Pour la grande majorité des caractères héréditaires qui varient entre elles, chacune présente une large diversité (ou polymorphisme). Pour les caractères mesurables, les membres d’une population se répartissent autour d’une valeur moyenne; dans presque tous les cas, les distributions des valeurs individuelles de deux popu- lations se chevauchent. Par exemple, si l’une a une stature moyenne inférieure de dix centimètres à celle de l’autre, il y aura une proportion notable d’individus de la première plus grands que certains membres de la seconde. Dans le domaine des traits qualitatifs déterminés par un seul facteur génétique, dont les groupes sanguins sont un exemple, il n’est pas deux popu- lations qui s’opposent par la possession générale d’allèles diffé-

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Les aspects biologiques de la question raciale

rents l. Ou bien les mêmes allèles sont présents dans toutes les populations, ou bien toutes les populatiom ont en commun au moins un allèle et un génotype. L’image stéréotypée, qui voit semblables tous les membres d’une race, est déjà en contra- diction avec la réalité quand il s’agit d’une population, ia moins variée soit-elle.

Face à une différence de moyenne ou de fréquence d’un caractère entre deux populations, départager ce qui relève d’une différence de patrimoine héréditaire et ce qui relève de l’influence du milieu sur l’expression de ces patrimoines est souvent malaisé. Par exemple, on sait qu’une carence alimentaire, particuliè- rement en calcium et en protéines, déprime la croissance et entraîne une stature adulte plus basse. Si une population a une stature moyenne supérieure à celle d’une autre tout en étant mieux nourrie, nous ne pouvons affirmer qu’elle a un potentiel héréditaire de stature supérieure que si nous constatons que la différence persiste lorsque des groupes représentatifs des deux populations sont placés depuis la conception (qui est la naissance véritable) dans les mêmes conditions de milieu.

Bien des différences restent à élucider de cette façon, mais il est certain que beaucoup de populations diffèrent dans leur patrimoine héréditaire pour un grand nombre de caractères qui manifestent une diversité génétique en chacune d’elles (en lais- sant de côté les variantes que ne maintiennent, à taux très bas, que les mutations récurrentes). Le tableau que présente, à chaque époque, cette diversité des patrimoines héréditaires résulte du jeu incessant d’une série de facteurs d’évolution qu’énumèrent les déclarations de 1951 et de 1964 : les mutations, qui peuvent faire apparaître des variantes différentes d’un même gène en des points éloignés de la terre; la dérive génétique, fluctuation au hasard des fréquences des gènes dans les petites populations; la sélection et le métissage.

La sélection naturelle tend à adapter génétiquement la population à son environnement. Suivant que deux populations

1. Les allèles sont les variantes du gène. Chaque individu en possède une paire dans ses cellules; l’un provient de son père, l’autre de sa mère; ils constituent son génotype pour le caractère ainsi déterminé. II est dit homozygote si les deux allèles sont semblables, hétérozygote s’ils sont différents.

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vivent dans le même milieu ou un milieu différent, elle va constituer une force de convergence ou de différenciation. Dans une de ses modalités, celle qui favorise les hétérozygotes, elle maintient les polymorphismes et détermine dans chaque popu- lation les fréquences des allèles qui correspondent à l’équilibre adaptatif. Que celui-ci représente un état d’uniformité génétique ou de polymorphisme, il ne peut être atteint par une population qui a changé de milieu qu’en un certain nombre de générations, souvent élevé. Or, et c’est un aspect que souligne la Déclaration de 1964, l’ubiquité de l’homme à la surface de la terre, la mobilité de ses populations, les épisodes d’expansion et de rétraction territoriales, la multiplicité des métissages donnent à l’histoire naturelle de l’espèce humaine une de ses particularités : loin de se scinder en sous-espèces qui s’adapteraient de façon prononcée à l’habitat particulier où elles se seraient fixées et qui se diffé- rencieraient d’autant plus qu’elles sont isolées génétiquement les unes des autres, processus très fréquent dans les espèces animales, elle se compose de populations dont le patrimoine héréditaire, sans cesse remanié par les échanges de gènes, évolue vers des équilibres adaptatifs eux-mêmes changeants. La réalité est à l’op posé de l’image de races tranchées et immuables.

Il en résulte, dit la Déclaration de 1964, qu’une adaptabilité générale aux milieux les plus variés l’emporte chez l’homme sur les adaptations à des milieux particuliers. De plus, l’homme dispose de moyens culturels de plus en plus efficaces pour se prémunir des effets nocifs du milieu (par culture, il est entendu l’ensemble des connaissances et des comportements acquis au contact des autres hommes). Bien des différenciations génétiques représentent la résultante de forces sélectives que l’homme peut aujourd’hui atténuer ou annuler. Si, comme le pense l’anthro- pobiologie moderne, un enfant à peau foncée court un risque plus élevé de rachitisme en climat peu ensoleillé qu’un enfant à peau claire (parce que la mélanine qui colore sa peau filtre les rares rayons ultraviolets, nécessaires à la synthèse de vitamine D dans les couches profondes de l’épiderme), la prise de quelques capsules de cette vitamine chaque hiver va annuler son handicap. L’invention de moyens culturels appropriés est d’ailleurs souvent le préalable à l’occupation d’habitats extrêmes. Si les Esquimaux présentent certains signes d’adaptation biologique au grand froid, ils n’auraient pu migrer en région polaire sans vêtements de

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fourrure, et c’est surtout par une adaptation poussée de leur mode de vie qu’ils ont pu s’y maintenir.

Toujours dans le domaine de l’interaction du génétique et du culturel, où se situe la contribution originale majeure de la Déclaration de 1964, celle-ci pose deux points fondamentaux : d’une part, la capacité génétique d’épanouissement intellectuel relève de caractéristiques biologiques de valeur universelle, en raison de son importance pour la survie de l’espèce dans n’im- porte quel environnement naturel et culturel; d’autre part, les progrès accomplis par l’homme, sur quelque plan que ce soit, semblent se poursuivre, depuis de nombreux millénaires, princi- palement - sinon uniquement - sur le plan des acquis culturels, et non sur celui des patrimoines génétiques. A la lumière des connaissances actuelles, les différences de réalisations culturelles semblent s’expliquer entièrement par l’histoire culturelle des peuples. Cela est en opposition radicale avec la pensée raciste, qui situe ses convictions de supériorité raciale surtout dans le domaine de l’intelligence et du comportement, et qui attribue à une infériorité génétique le retard culturel de certains peuples. Or on n’a jamais mis en évidence de différence génétique entre eux en ce domaine. Certes, les recherches sur ce point sont très difhciles. Il n’existe pas de test psychologique qui mesure la seule part innée des capacités mentales ou des tendances affectives. Mais chaque fois que les conditions de développement mental de deux populations se rapprochent, les différences de moyenne entre les résultats des tests s’amenuisent ou s’annulent; elles ten- dent à s’inverser quand s’inversent les inégalités de milieu. La biologie actuelle ne saurait nier l’éventualité que soient démon- trées un jour des différences de patrimoine héréditaire entre populations humaines pour des caractères mentaux, qui dépendent chez l’individu de l’interaction de l’hérédité et du milieu et dont la composante héréditaire varie entre membres d’une même population. Elle peut dire cependant que, s’il en est, elles sont telles que les courbes de distribution des aptitudes innées dans les populations se recouvrent très largement, ce qui interdit toute généralisation, tout stéréotype. L’état que dresse la Décla- ration de 1951 sur cette question reste rigoureusement valable aujourd’hui. Ce qu’y ajoutent les points de la Déclaration de 1964 cités plus haut, c’est la base d’une explication, en termes d’évolution, de 1 apparente égalité des populations humaines

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pour un caractère partiellement déterminé par l’hérédité alors qu’elles diffèrent pour tant d’autres : pour lui, de par sa valeur fondamentale pour l’espèce, celle-ci a progressé génétiquement en bloc, jusqu’à un palier semblable partout.

11 est un dernier préjugé dont les déclarations de l’unesco montrent I’inanité : la conviction que le mélange des races est néfaste. Rappelons-le, il n’est pas chez l’homme de race pure, au sens que donnent les biologistes à ce terme, une popula- tion génétiquement homogène; au contraire, chaque population humaine présente une large diversité. Aucune d’elles n’a vécu longtemps dans l’isolement génétique; l’histoire naturelle de l’humanité est tissée de mélanges. Comme celle de 1951, la Déclaration de 1964 constate l’absence d’inconvénient biologique du métissage pour l’humanité (les incompatibilités, comme celles qui se présentent pour les groupes sanguins Rh, dépendent du génotype des conjoints pour le système en cause, et non de leur race), mais, en plus, elle souligne son côté bénéfique : il contribue largement au maintien des liens biologiques entre les groupes humains, donc de l’unité de l’espèce humaine dans sa diversité.

Vis-à-vis des questions fondamentales que pose la diversité humaine, les déclarations successives des biologistes réunis par l’unesco constituent des bornes jalonnant l’évolution de l’anthro- pobiologie. Les conclusions qu’atteint celle-ci réfutent de plus en plus totalement la pensée raciste et refusent toute justification biologique aux pratiques de discrimination entre groupes humains.

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par Michael Banton

Le concept de race est relativement nouveau : il date du XIX~ siècle, de l’époque où la théorie de l’évolution commença à s’imposer. Auparavant, on admettait généralement en Europe que la Genèse offrait un compte rendu exact de la création de l’homme et du peuplement du monde. Le nouveau concept venait à son heure. Les savants crurent y trouver la clé de l’histoire humaine, l’explication des grandes différences de développement culturel et technique qui existaient entre les peuples. Ils avaient tort, mais leur erreur ne fut reconnue que bien plus tard. Sur le moment, cette idée fausse fut acclamée, portée aux nues, diffu- sée, car elle était de nature à servir les intérêts des détenteurs du pouvoir en Europe. Les Européens étaient flattés de se dire supé- rieurs aux nations techniquement moins évoluées, et l’explication prétendument biologique de cette supériorité fut accueillie avec un empressement qui se passait volontiers de preuves.

Les doctrines de discrimination et de supériorité raciales ont jeté un sombre voile sur l’histoire du monde pendant la première moitié du XX~ siècle. Elles ont nourri d’abord l’arro- gance impérialiste; plus tard, elles furent utilisées à des fins de politique intérieure, l’exemple le plus tristement célèbre à cet égard étant celui de l’Allemagne nazie. Six millions de juifs ont été sacrifiés à des croyances raciales sans fondement scientifique. Après la guerre de 1939-1945, 1’Unesco fut naturellement amenée à reconnaître dans les théories racistes l’une des principales sources de tension dans le monde. Elle était l’institution inter- nationale la mieux qualifiée pour réunir et diffuser des infor- mations scientifiques sur la nature de la race et la signification des différences existant entre les groupes humains.

Un comité d’experts fut donc chargé d’exposer en termes simples les conclusions d’une enquête scientifique sur la nature

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des différences raciales et d’en dégager des enseignements appli- cables aux relations sociales. Les experts déclarèrent que le pro. blème crucial est celui de l’égalité. La notion de race a aidé à bâtir un mythe social dont on s’est servi pour dénier l’égalité à des groupes ethniques différents. Les faits scientifiques contre- disent ce mythe, mais - ont tenu à souligner les experts - il faut « affirmer, tout d’abord, et de la manière la plus catégo- rique, que l’égalité en tant que principe moral ne repose nulle- ment sur la thèse que tous les êtres humains sont également doués ». Les hommes ne sont pas égaux en aptitudes. C’est un fait. Mais il est généralement reconnu que les faibles ont droit à notre sympathie et que l’insensibilité au malheur des autres est inhumaine. C’est pourquoi, proclame la sagesse des nations, tous les hommes doivent être traités avec respect et sont égaux en dignité et en droits. C’est là un précepte moral, indépendant de toutes déclarations particulières d’égalité ou d’inégalité, et il n’est pas moins valable pour être si souvent méconnu.

Aujourd’hui, la Déclaration de 1950 nous paraît présenter deux points faibles. En premier lieu, elle semble admettre qu’il suffit de dévoiler le caractère mensonger des doctrines racistes pour que s’effondre tout l’échafaudage des discriminations et des préjugés raciaux. Les savants éminents qui ont signé le document ne se faisaient sans doute pas d’illusions sur ce sujet; toujours est-il qu’ils n’ont pas explicitement considéré les autres causes d’hostilité raciale. En second lieu, ce document paraît maintenant plutôt dépassé du fait que ses auteurs ont surtout insisté sur l’égalité effective des divers groupes ethniques, sans aborder expressément les problèmes des contacts entre groupes. Tout au plus relève-t-on une référence au « métissage », l’affir- mation que « les différences biologiques n’affectent aucunement l’organisation sociale », et une allusion quelque peu ambiguë à la nécessité pour l’homme d’avoir des échanges avec ses sem- blables. Aujourd’hui, le vrai problème racial n’est pas celui du développement séparé, mais bien celui des relations entre caté- gories raciales différentes à l’intérieur d’un même Etat national.

Pourtant, ce n’est pa,s pour ces raisons que la Déclaration de 1950 fut critiquée d’abord. A l’époque, les biologistes trou- vèrent que le langage utilisé ne reflétait pas pleinement la nou- velle conception statistique des caractéristiques raciales. Quel- ques-uns furent d’avis que ce n’était pas l’affaire des savants de

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parler d’une Q; éthique de la fraternité universelle ». D’autres s’émurent de ce qu’ils considéraient comme une tentative de « résoudre les questions scientifiques par des manifestes poli- tiques ». En matière de science, seuls les faits comptent. Le nazisme a montré combien il peut être dangereux d’ériger en dogme une doctrine quelconque. L’Unesco ne commettait-elle pas la même erreur, en sens inverse ? Les avis de divers spécia- listes sur ces problèmes furent réunis par l’Unesco dans une brochure intitulée Le concept de race; résultats d’une enquête, qui complète utilement la Déclaration de 1951.

On connaît la suite. L’Unesco s’occupa de diffuser ces docu- ments et de favoriser par d’autres méthodes une meilleure com- préhension des questions raciales. Des campagnes d’éducation furent lancées. Surtout - événement capital - la plupart des anciennes colonies accédèrent à l’indépendance et furent admises à l’Organisation des Nations Unies. Mais la discrimination et les préjugés raciaux ont-ils vraiment reculé ? Il est difficile de le dire. Les étudiants africains en Europe ressentent, certes, une fierté et une dignité nouvelles. Mais les pays d’Afrique, de l’aveu de leurs dirigeants, n’en continuent pas moins de dépendre de l’Europe et de l’Amérique du Nord pour le financement de leurs programmes de développement. De nouvelles migrations ont mis en contact des populations jwqu’alors séparées, multi- pliant les risques de réactions hostiles. Africains, Antillais, Indiens et Pakistanais s’en vont chercher du travail dans leurs anciennes métropoles : le Royaume-Uni et la France. Des Indonésiens, citoyens néerlandais, se sont embarqués pour les Pays-Bas. Des travailleurs agricoles noirs du sud des Etats-Unis d’Amérique, réduits au chômage par les tracteurs et les moissonneuses méca- niques, ont émigré avec leurs familles vers des villes du nord. En Afrique du Sud, le gouvernement redouble d’efforts pour imposer la ségrégation. Dans de nombreuses régions du globe, les tensions raciales deviennent plus fréquentes et plus graves.

En 1964, un nouveau groupe d’experts se réunit pour mettre à jour la précédente déclaration des anthropologues et des géné- ticiens. Il confirma qu’on ne peut « en rien biologiquement parler d’une supériorité ou d’une infériorité générales de telle ou telle race » (point 6). Mais, chargés uniquement d’examiner les aspects biologiques de la question, les experts ne purent formuler aucune opinion précise sur l’évolution de la situation

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mondiale, se contentant de noter en conclusion que « les don- nées biologiques... sont en contradiction flagrante avec les thèses racistes ». C’est la première fois que le mot « racisme » apparaît dans une déclaration de l’Unesco. Il s’agit d’un terme relati- vement nouveau, qui est susceptible d’acceptions diverses. L’un des premiers auteurs à s’en servir couramment, Ruth Benedict, n’en donne qu’une définition assez approximative : « Le racisme est la doctrine selon laquelle tel groupe ethnique est voué par nature à l’infériorité congénitale, tandis que tel autre est investi d’une supériorité congénitale 1 ». A sa suite, la plupart des socio- logues ont vu surtout dans le racisme une doctrine, qui tiendrait pour l’essentiel en deux assertions : u) la culture et les caracté- ristiques psychologiquee d’un peuple sont déterminées généti- quement; b) il est possible d’identifier les races humaines (au sens ancien, impliquant Yexistence de races pures) par un ensemble de déterminants génétiques. En somme, on peut définir le racisme comme la doctrine selon laquelle le comportement individuel est déterminé par des caractéristiques héréditaires stables correspondant à des souches raciales distinctes qui pos- sèdent des particularités propres et sont d’ordinaire considérées comme supérieures ou inférieures les unes aux autres.

Le comité d’experts réuni en 1967 comprenait des socio- logues, des juristes, un spécialiste de la psychologie sociale, un ethnographe, un historien et deux généticiens. Chargé de rédiger une déclaration sur les aspects sociaux, ethniques et philoso- phiques du problème, il avait une tâche bien plus ardue que les précédents comités. Adopter une position analogue à celle de 1950 aurait signifié, de sa part, esquiver l’essentiel. Les événe- ments avaient montré que les exposés de principes et les consi- dérations biologiques ne suffisaient pas. Il y avait un autre écueil : les experts pouvaient être sûrs que jamais aucune décla- ration, quelle qu’elle fût, ne rallierait l’unanimité de leurs col- lègues spécialistes des sciences sociales, du droit et des sciences humaines. Les spécialistes des sciences sociales - et en parti- culier les sociologues - se partagent en « apolitiques » et en « engagés ». Les uns estiment qu’un scientifique digne de ce nom doit s’en tenir aux faits. Les autres soutiennent qu’à

1. Ruth BENEDICT, Race: science ad politics, 1940.

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l’exemple des médecins, il leur faut considérer certaines mani- festations sociales - telles que le racisme - comme des maladies à combattre.

L’attitude du détachement aurait placé les experts devant des problèmes pratiquement insolubles. Comme l’écrivait Ruth Benedict : « Pour comprendre les conflits raciaux, il faut com- prendre ce qu’est un conflit, non ce qu’est une race. » L’étude des conflits raciaux se confond pratiquement avec celle de la société humaine, car le « comportement racial » est inséparable des autres modes de comportement. Pour comprendre les rela- tions raciales à l’école ou à l’usine, il faut d’abord connaître l’organisation scolaire ou industrielle. Un groupe d’experts aurait pu rédiger un rapport sur ce que l’on sait des causes psycho- logiques des préjugés. Mais ces questions se prêtent mal à une présentation simplifiée. Un compte rendu des découvertes faites par les sociologues et les politologues dans ce domaine devrait être vraiment très long et détaillé pour donner une idée de la complexité des problèmes et du sérieux des recherches. Certains faits semblent se contredire, et les avis diffèrent quant à leur signification profonde. La simplification est sans doute plus dan- gereuse dans les sciences sociales que dans les sciences biolo- giques.

Le comité de 1967 choisit l’attitude opposée. Sa déclaration comprend un diagnostic, une mise en garde et une série de recommandations. Elle est formulée en termes catégoriques et se distingue des trois précédentes par son ton passionnément « engagé ». Les signataires semblent dire à leurs lecteurs : « La discrimination et les préjugés raciaux ne disparaîtront pas parce qu’on aura publié une déclaration prudente affirmant que la science n’a encore jamais découvert de différence raciale qui soit importante du point de vue des relations sociales. Un exposé des seuls faits incontestablement établis en matière de sciences sociales serait tout aussi inutile. Le temps presse. Il faut agir, même sur la base de connaissances incomplètes. Il faut détruire le virus avant qu’il ne provoque de plus grandes souffrances. > Les expressions utilisées sonnent comme un cri d’alarme : le racisme « sévit dans le monde d’aujourd’hui », « entrave le développement de ses victimes et pervertit ceux qui le mettent en pratique »; il « cherche à faire paraître inviolables les diffé- rences existantes » ; il « trouve des stratagèmes toujours nou-

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veaux pour justifier l’inégalité B. Aux sociologues d’en dévoiler les causes. Le racisme doit être combattu par l’éducation, par une politique du logement et de l’emploi, par l’information et par la législation. Les signataires reconnaissent que, pour modifier la situation, des mesures politiques peuvent être nécessaires. En donnant un aperçu des changements qu’ils jugent souhaitables, ils ont plusieurs fois recours à des considérations éthiques, expri- mant ce qu’ils considèrent comme une exigence morale. Par exemple, c dans le cas où... certains groupes ont un niveau d’éducation et de vie inférieur, il appartient à la société de prendre des mesures en vue de remédier à cet état de choses 2 - c’est-à-dire de pratiquer une discrimination positive (point 14). Les sociologues peuvent être individuellement convaincus du bien- fondé d’une telle politique, mais ils seraient incapables de le prouver. Une discrimination positive visant à aider un groupe à combler son retard risque de susciter du ressentiment dans les autres groupes. De telles mesures ne doivent être appliquées qu’avec circonspection, et les spécialistes des sciences sociales ne peuvent offrir aux hommes politiques que des conseils frag mentaires.

Pour combattre la discrimination raciale, il importe d’abord d’établir un diagnostic précis. On ne le comprend pa,s toujours parce que la discrimination soulève une indignation bien légi- time et que les « activistes » répugnent à tout délai. Mais on s’expose alors à commettre des erreurs qui rendent les cam- pagnes contre la discrimination inefficaces, voire malencontreuses. On a cru, par exemple, qu’en procédant à des enquêtes sur la fréquence des cas de discrimination on susciterait une prise de conscience qui faciliterait l’application de mesures correctives. En réalité, c’est souvent le résultat contraire qui a été obtenu. Les partisans de la discrimination, se sachant nombreux, ont redoublé d’audace. Et les autorités se sont reconnues impuis- santes à agir devant une opposition si considérable. Il arrive aussi qu’une minorité défavorisée perde patience et accuse tous les membres de la majorité d’être des racistes ou d’avoir des préjugés raciaux. Cette tactique répond à une conception dialec- tique de l’histoire, selon laquelle les oppositions doivent s’exa- cerber avant d’être éliminées, mais on n’a guère de preuves qu’elle aide à atténuer les discriminations.

Les diagnostics portant sur de petits groupes ou sur des

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cas précis sont les plus dignes de foi. Mais un diagnostic de la situation mondiale peut n’être pas inutile. C’est en partie ce qu’ont tenté de faire les auteurs de la Déclaration de 1967. Il convient de noter que ces experts reconnaissent d’un commun accord que l’hostilité raciale ne tient pas à une cause unique, mais à des causes diverses, dont l’importance relative varie selon les circonstances. Les causes économiques et sociales des préjugés raciaux, soulignent-ils, apparaissent évidentes dans certaines condi- tions, qu’ils énumèrent brièvement. Mais ils le font en des termes très généraux. Quant à la remarque que « la structure sociale est toujours un facteur important B, elle frise le lieu commun. Les données dont on dispose à ce sujet sont d’ailleurs complexes et incomplètes, et les concepts actuellement utilisés par les spé- cialistes des sciences sociales sont beaucoup moins précis et beau- coup plus controversés que ceux qu’emploient les biologistes. Le comité d’experts aurait donc difficilement pu présenter, sur les causes sociales des préjugés, une déclaration générale qui fût compréhensible pour le grand public et qui eût la valeur scienti- fique de la Déclaration de 1964 sur les aspects biologiques de la question raciale. Au même paragraphe (point ll), le texte de 1967 mentionne les « troubles de la personnalité B parmi les sources de préjugés. C’est là encore un problème délicat. La formule selon laquelle < les racines de ces préjugés se situent dans le système social et économique propre à la communauté considérée B prête à des interprétations divergentes selon ce que l’on entend par K racines B. 11 serait regrettable d’en conclure qu’il est inutile de poursuivre les recherches sur les origines psychologiques des préjugés. D’importantes questions restent à élucider concernant les rapports entre les facteurs psychologiques d’une part et le système économique et social de l’autre. Cer- tains travaux semblent indiquer que toute distinction qui permet à l’individu d’opposer, dans sa pensée, K les gens comme moi » aux « autres B acquiert des résonances affectives et aboutit à l’expression de préférences que la nature de la différence ne justifie pas. Chaque fois qu’une minorité se distingue par un signe extérieur - la couleur de la peau par exemple - les connotations affectives sont d’autant plus fortes que la diffé- rence est plus marquée. Ces facteurs psychologiques jouent un rôle considérable dans l’apparition des préjugés et paraissent indépendants du système économique et social.

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La Déclaration de 1967 met l’accent sur les facteurs écono- miques et sociaux dont découle le refus d’admettre l’égalité entre les races, mais elle insiste davantage encore sur le racisme. Elle précise que « parmi les obstacles qui s’opposent à la reconnais- sance de l’égalité en dignité de tous les êtres humains, le racisme apparaît comme particulièrement redoutable » (point 1). Compte tenu de l’importance que le comité attache à cette question, il est fâcheux qu’il n’ait pas donné une définition plus claire de ce qu’il entend par « racisme » : il s’agit apparemment, selon lui, « des croyances et des actes antisociaux qui ont pour base l’idée fallacieuse que des relations discriminatoires entre groupes sont justifiables du point de vue biologique » (point 4). Mais, si cette phrase doit être regardée comme une définition, bien des points appelleraient un examen : l’emploi, dans une défini- tion, de termes qui impliquent un jugement de valeur - tels qu’ « antisociaux » et « fallacieuses »; la mise ,sur le même plan des croyances et des actes; les critères à appliquer pour déter- miner si un acte a pour base une idée fallacieuse, etc. Si les socio- logues veulent vraiment contribuer à éclairer le public, dans ce domaine où règne une grande confusion d’idées et de sentiments, il leur faut établir un diagnostic précis et méthodique. Il serait regrettable de donner l’impression que, de l’avis général des spécialistes, les tensions raciales sont dues essentiellement à une sorte de virus appelé racisme, qui « trouve des stratagèmes tou- jours nouveaux pour justifier l’inégalité des groupes », comme s’il avait une existence propre. Le racisme n’est pas un orga- nisme : ce mot sert simplement à désigner certaines doctrines et, par extension, les croyances et les actes qui en découlent. Il ne faudrait pas concentrer l’attention sur le racisme au point de faire oublier les autres facteurs qui font obstacle à l’appli- cation du principe de l’égalité des droits.

En fait, l’évolution que l’on observe depuis peu dans plu- sieurs pays donne à penser que les doctrines racistes sont en train de perdre de leur influence. Il n’est pas question ici d’étudier cette évolution en détail. Trois exemples, empruntés à des pays que l’auteur connaît particulièrement bien, suffiront à en donner une idée. Pendant la campagne présidentielle de 1968 aux Etats-Unis d’Amérique, on a pu faire jouer les senti- ments d’appartenance et de fidélité à un groupe ethnique sans utiliser le mot « race ». Il suffisait à un orateur d’évoquer la

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nécessité du maintien de l’ordre légal pour faire comprendre qu’il visait les Noirs. Les Américains blancs n’ont nul besoin de doctrine pour justifier à leurs propres yeux leur attitude vis-à-vis des Noirs. Beaucoup d’entre eux se sentent menacés par les revendications de la population noire, et l’hostilité est chez eux un moyen de défendre la situation privilégiée qu’ils se sont assurée et qu’ils croient mériter. Dans l’ensemble, ils considèrent qu’il s’agit d’une épreuve de force entre groupes rivaux; les arguments d’ordre biologique suscitent peu d’intérêt.

Au Royaume-Uni, la question des relations raciales s’est réduite depuis plusieurs années à celle de l’immigration en prove- nance des pays du Commonwealth. En 1968, une loi visant à empêcher toute discrimination à l’égard de groupes minoritaires au Royaume-Uni (Race Relations Act) a été votée par le Parle- ment sans aucune opposition de principe. Les plus acharnés adversaires de l’immigration de couleur et de la nouvelle loi insistent de plus en plus sur les obstacles sociaux à l’assimilation des immigrants et sur leur action dissolvante dans les collectivités locales. Ils prennent soin le plus souvent de répudier toute idée de supériorité raciale et n’ont jamais invoqué de théories racistes. De même, il semblerait qu’en Afrique du Sud on tende de plus en plus à justifier les mesures de discrimination éthnique par des arguments d’ordre politique et culturel plutôt que pseudo- biologique.

C’est là une évolution dont il importe de tenir compte pour bien comprendre le problème à résoudre. Il arrive que l’on qua- lifie de « racistes » des individus qui n’expriment jamais une quelconque doctrine raciste. On considère qu’ils ne sont pas assez instruits ou intelligents pour ordonner leurs idées en sys- tème, mais que, s’ils pouvaient le faire, ils souscriraient aux théories eelon lesquelles les différences raciales déterminent les différences culturelles et doivent par conséquent servir de fon- dement à la politique sociale. Ce n’est peut-être déjà plus vrai. Grâce, en partie, aux travaux des sociologues. Les sociologues ont montré - notamment dans leurs recherches sur la péda- gogie - que la transmission des inégalités d’une génération à l’autre peut se faire par des mécanisme sociaux. Un enfant qui est soutenu par son milieu familial dans son travail scolaire peut arriver à se classer avant un élève qui lui est supérieur d’après les tests d’intelligence mais qui ne bénéficie pas des mêmes

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avantages de milieu. Dans les sociétés industrielles modernes, l’existence d’inégalités s’explique de façon beaucoup plus convaiS tante par les différences économiques et sociales que par les différences génétiques. Ainsi, l’homme instruit qui cherche à exclure une minorité des privilèges de la majorité peut avoir recours à des arguments d’ordre sociologique, sans jamais prêter le flanc à l’accusation de racisme. La lutte contre le racisme ne doit donc pas être conçue comme une entreprise isolée, mais s’intégrer à une action d’ensemble en faveur de l’égalité des droits.

On peut constater aussi que l’expression d’un préjugé tra- duit moins souvent l’hostilité envers E( les autres » que la soli- darité avec < les siens ,. Dans les villes industrielles d’Europe et d’Amérique du Nord, la plupart des gens n’ont guère de contacts personnels en dehors de leur milieu. Les habitants de chaque quartier ont tous à peu près le même revenu et la même origine. S’ils rencontrent des membres d’autres groupes, au travail ou en ville, c’est en général dans des situations bien définies. Ce n’est pas dans ces situations que s’expriment les pré- jugés, mais dans l’intimité. Le comportement effectif envers les membres d’autres groupes n’est pas nécessairement conforme aux opinions exprimées en privé. En somme, l’idée qu’on ee fait de la race dépend de la condition sociale, et la manière dont on se comporte est fonction des circonstances. La structure des rela- tions sociales se modifie rapidement, et la manière dont les préjugés se forment et s’expriment ne peut manquer d’en être affectée. Les gens se rendent mieux compte de la façon dont les pressions psychologiques et sociales influencent leur compor- tement. La complexité du préjugé, en tant que phénomène social, tient au fait que les croyances ne correspondent pas aux déclarations publiques, ni celles-ci au comportement social.

Il existe une autre différence entre la Déclaration de 1967 et celle de 1950. Le premier comité d’experts avait estimé préfé- rable d’appeler « groupes ethniques » (et non « races B) les groupes humains qui se distinguent par des caractères raciaux (voir point 6). En fait, les spécialistes des sciences sociales sont profondément divisés quant à l’application du terme « race » à des nationalités ou à des minorités. De l’avis de certains, cela ne peut que perpétuer la confusion entre les catégories sociales et biologiques. L’expression « races sociales >, qui est parfois

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utilisée, ne paraît guère ‘plus satisfaisante. Les signataires du texte de 1967 ont préféré ne pas mentionner cette divergence d’opinions, de crainte sans doute d’affaiblir la portée de la déclaration. Mais, ce faisant, peut-être ont-ils masqué à certains lecteurs les très importantes similitudes qui existent entre la situation des minorités raciales et celle d’autres minorités : reli- gieuses, linguistiques, économiques. Dans les sociétés industrielles, beaucoup de handicapés physiques ou sociaux sont aussi irrémé- diablement défavorisés que les membres de minorités raciales. L’étude de l’origine de ces situations est extrêmement révélatrice de certains aspects plus ou moins occultes du fonctionnement du système économique et social. Les mécanismes qui jouent au détriment des minorités non raciales jouent aussi au détriment des minorités raciales. Il est nécessaire de lea étudier, car ils peuvent, dans certains cas, avoir plus d’importance que les inca- pacités liées à des caractéristiques raciales définies.

Le plus souvent, là où la discrimination existe, elle est grave surtout par ses effets cumulatifs. Comme le note la Déclaration de 1967, la discrimination prive un groupe de l’égalité de chances : ses membres sont dès lors dans l’impossibilité de s’élever au niveau des autres; ils s’exposent par-là même à être méprisés et qualifiés d’inférieurs, et à devenir les victimes de préjugés. Ce processus cumulatif peut prendre d’autres formes, et produire des conséquences imprévues et regrettables. La caté- gorie dans laquelle les étrangers sont rangés à l’origine joue un rôle capital. Les Européens ou les Blancs des quartiers où commencent à s’établir des gens de couleur jettent les hauts cris : « Il y aura bientôt plus de Noirs que de Blancs ici. > Ils peuvent paraître logiques à leur point de vue, car ils associent la couleur blanche aux caractéristiques culturelles de la popu- lation locale, et la couleur noire à d’autres caractéristiques, pro- pres aux immigrants. Mais dans un milieu neuf, les coutumes se modifient et les différences culturelles s’atténuent. A tous égards, ce qui importe ce n’est pas qu’il y ait plus de Blancs que de Noirs, mais qu’il y ait plus de bons citoyens que de mauvais.

Partout où la couleur est un critère de classification plus important que le comportement social, il en résulte des consé- quences néfastes. Les différences entre groupes raciaux sont exa- gérées et les différences au sein de ces groupes sont négligées., Les enfants d’ascendance mixte sont classés dans la catégorie

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inférieure et considérés avec réprobation parce que leur existence même prouve que les barrières entre groupes sont artificielles. Dès qu’une société admet comme « naturelle B une classification d’ordre racial, les autres aspects de l’organisation sociale sont modifiés en conséquence. Des deux côtés de la barrière, des gens ont intérêt à maintenir l’état de choses existant. Tous ceux qui souffrent de la discrimination se sentent solidaires et se défendent les uns les autres par des procédés qui irritent les membres de la majorité. La tension va croissant. Dans de nom- breux pays, sur des continents très éloignés les uns des autres, les conflit,s raciaux s’amplifient. Les lignes de démarcation se figent. Les antagonismes raciaux débouchent même sur le plan international.

En toute logique, pour éviter l’extension des conflits, il faudrait attaquer le mal à la racine. Faire admettre la nécessité de classer les individus autrement - en bons et mauvais citoyens, par exemple. Mais dans bien des cas, il est trop tard. Les groupes sociaux se définissent déjà par des caractéristiques raciales et la structure de la collectivité reflète ces divisions. Il faut donc lutter par tous les moyens contre les préjugés et la discrimi- nation. Les principaux de ces moyens sont énumérés dans la Déclaration de 1967. Dans certains cas, il faudra faire porter l’effort sur le plan de l’éducation; ailleurs, sur celui de l’admi- nistration locale ou de la législation nationale. Débattre dans l’abstrait de la valeur relative de telle ou telle méthode, ou de la possibilité de parvenir un jour à éliminer complètement les préjugés, c’est perdre de vue l’essentiel. Le problème de l’égalité est d’ordre éthnique et politique. L’apport des sciences sociales est indispensable à l’établissement d’un diagnostic exact et à l’évaluation des avantages et des inconvénients de diverses poli- tiques; mais il ne serait pas honnête de faire assumer à ces sciences la responsabilité de décisions politiques ou de vouloir attendre, pour entreprendre une action gouvernementale sérieuse, que les spécialistes aient acquis une pleine et entière compréhen- sion des préjugés.

La confusion qui régnait dans l’esprit du public instruit au sujet des aspects biologiques de la question raciale s’est en grande partie dissipée depuis quelques années, mais le racisme pseudo-scientifique n’est pas éliminé. Il subsiste beaucoup d’idées fausses susceptibles d’une dangereuse exploitation. Il est indis-

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pensable d’améliorer l’enseignement de la biologie. L’unique recours contre ceux qui décortiquent certaines données scienti- fiques concernant l’hérédité pour s’en servir à des fins politiques consiste à donner à l’ensemble de la population une meilleure connaissance des principes de la biologie. Ce recours vaut d’ail- leurs aussi bien contre les doctrines de supériorité de classe que contre celles de supériorité raciale.

Les aspects sociaux de la question raciale sont étroitement liés au problème général de l’inégalité dans les sociétés humaines et ne peuvent manquer de rester préoccupants longtemps encore. L e progrès technologique donnera naissance à de nouvelles formes d’inégalité, à de nouveaux problèmes qui appelleront des solutions neuves. L’expérience montre qu’il ne sert à rien de fermer les yeux sur l’importance Bociale attribuée à la race, dans l’espoir que les gens cesseront de penser en termes de race et qu’ainsi le problème se résoudra peu à peu de lui-même. Elle montre aussi qu’une action gouvernementale et institutionnelle est indispensable pour régler ce genre de conflits. Plus on tar- dera à entreprendre une telle action, plus la note à payer sera lourde.

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1 . Déclaration sur la race

Paris, juillet 1950

1. Les savants s’accordent en général à reconnaître que l’huma- nité est une et que tous les hommes appartiennent à la même espèce, Homo supiens. Il est, en outre, communément admis que tous les hommes sont issus vraisemblablement d’une même souche : les différences qui existent entre les divers groupes humains sont dues au jeu de facteurs évolutifs de différen- ciation, tels que la modification dans la situation respective des particules matérielles qui déterminent l’hérédité (gènes), le chan- gement de structure de ces mêmes particules, l’hybridation et la sélection naturelle. Des groupes plus ou moins stables et plus ou moins différenciés se sont ainsi constitués, qui ont été classés de diverses manières, avec des intentions différentes.

2. Du point de vue biologique, l’espèce Homo sapiens se compose d’un certain nombre de groupes, qui diffèrent les uns des autres par la fréquence d’un ou de plusieurs gènes particuliers. Mais ces gènes eux-mêmes, auxquels doivent être imputées les différences héréditaires qui existent entre les hommes, sont toujours en petit nombre si l’on considère l’ensemble de la constitution génétique de l’homme et la grande quantité de gènes communs à tous les êtres humains, quel que soit le groupe auquel ils appartiennent. Bref, les, ressemblances entre les hommes sont beaucoup plus grandes que leurs différences.

3. Une race, biologiquement parlant, peut donc se définir comme un groupe parmi ceux qui constituent l’espèce Homo sapiens. Ces groupes sont susceptibles de croisements les uns avec les autres. Mais, du fait des barrières qui les ont plus ou moins isolés dans le passé, ils offrent certaines différences physiques résultant des particularités de leur histoire biologique. Ils représentent les variations d’un même thème.

4. En résumé, le mot « race » désigne un groupe ou une

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population caractérisée par certaines concentratiorrs, relatives quant à la fréquence et à la distribution, de gènes ou de caractères physiques qui, au cours des temps, apparaissent, varient et souvent même disparaissent sous l’influence de facteurs d’isolement géographiques ou culturels. Chaque groupe perçoit différemment les manifestations variables de ces caractères chez des populations différentes. Nos observations étant, dans une très large mesure, affectées par nos préjugés, nous sommes enclins à interpréter arbitrairement et inexactement toute variabilité qui se produit dans un groupe donné comme une différence fondamentale qui le sépare des autres de manière décisive.

5. Tels sont les faits scientifiques. Malheureusement, dans la plupart des ca,s, le terme « race 2) n’est pas employé dans le sens défini ci-dessus. Beaucoup de gens appellent « race » tout groupe humain arbitrairement désigné comme tel. C’est ainsi que beaucoup de collectivités nationales, religieuses, géogra- phiques ou culturelles, par suite de l’acception très large donnée à ce mot, ont été qualifiées de < races >, alors que, de toute évidence, les Américains ne constituent pas une race, pas plus d’ailleurs que les Anglais, les Français ou toute autre nation : de même, ni les catholiques, ni les protestants, ni les musulmans, ni les juifs ne représentent des races; on ne peut définir comme groupes « raciaux » les peuples qui parlent l’anglais ou toute autre langue; les habitants de l’Islande, de l’Angleterre ou de l’Inde ne forment pas une race; et l’on ne saurait regarder comme membres d’une race particulière les individus qui parti- cipent à la culture turque, chinoise, ou à toute autre culture.

6. Les groupes nationaux, religieux, géographiques, linguis- tiques ou culturels ne coïncident pas nécessairement avec les groupes raciaux et les aspects culturels de ces groupes n’ont avec les caractères propres à la race aucun rapport génétique démontrable. Les graves erreurs entraînées par l’emploi du mot < race > dans le langage courant rendent souhaitable qu’on renonce complètement à ce terme lorsqu’on rapplique à l’espèce humaine et qu’on adopte l’expression de « groupes ethniques ».

7. Quelle est l’opinion des savants au sujet des grands groupes de l’espèce humaine que l’on reconnaît à l’heure actuelle ? Les races humaines ont été classées - et le sont encore - différemment selon les anthropologues, mais, en ce moment, la plupart d’entre eux sont d’accord pour diviser la majeure partie

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de l’espèce humaine en trois grands groupes, à savoir : le groupe mongoloïde; le groupe négroïde; le groupe caucasoïde.

Or les phénomènes biologiques qui ont été en quelque sorte cristallisés dans cette classification ont un caractère dynamique et non statique. Ces groupes n’étaient pas jadis ce qu’ils sont aujourd’hui et il y a tout lieu de croire qu’ils changeront encore à I’avenir.

8. On s’est souvent efforcé d’introduire des sous-groupes ethniques dans cette classification. L’accord est loin de régner sur le nombre de ces subdivisions et, de toute façon, la plupart d’entre elles n’ont pas été étudiées ni décrites.

9. Quelle que soit la classification qu’un anthropologue propose, il n’y fait jamais intervenir les caractères mentaux. Il est maintenant généralement admis que les tests psychologiques ne permettent pas, par eux-mêmes, de faire la part des aptitudes innées d’une part, et des influences du milieu, de l’éducation et de l’enseignement de l’autre. Toutes les fois qu’il a été possible d’éliminer les différences dues aux conditions de l’entourage physique et social, les tests ont démontré la ressemblance fondamentale des caractères intellectuels entre les différents groupes humains. En d’autres termes, si le milieu culturel donne aux membres des différents groupes ethniques des chances égales de faire valoir leurs aptitudes, ils atteignent, en moyenne, des résultats comparables. Les recherches scientifiques des dernières années confirment donc les paroles de Confucius (551-478 av. J.-C.) : « La nature des hommes est identique; ce sont leurs coutumes qui les séparent. »

10. Les données scientifiques dont on dispose à l’heure actuelle ne corroborent pas la théorie selon laquelle les différences génétiques héréditaires constitueraient un facteur d’importance primordiale parmi les causes des différences qui se manifestent entre les cultures et les ‘œuvres de la civilisation des divers peuples ou groupes ethniques. Elles nous apprennent à l’inverse que ces différences s’expliquent avant tout par l’histoire culturelle de chaque groupe. Les facteurs qui ont joué un rôle prépondérant dans l’évolution intellectuelle de l’homme sont sa faculté d’ap- prendre et sa plasticité. Cette double aptitude est l’apanage de tous les êtres humains. Elle constitue, en fait, un des caractères spécifiques de 1’Homo sapiens.

11. On n’a jamais pu démontrer de façon décisive l’existence

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de différences innées de tempérament entre groupes humains. Il est certain en revanche que, quelle que soit la nature des différences innées qu’il pourrait y avoir entre groupes, celles-ci sont en grande partie effacées par les différences individuelles et par celles qui proviennent du milieu.

12. Ni la personnalité ni le caractère ne relèvent de la race. Dans tous les groupes humains, on trouve des types très variés

. . de personnahte et de caractère, et il n’y a aucune raison de croire que certains groupes humains soient à cet égard mieux partagés que d’autres.

13. Tous les faits qui ont pu être recueillis concernant les croisements de races attestent qu’ils n’ont cessé de se produire depuis les temps les plus reculés. A vrai dire, l’un des principaux mécanismes de la formation, de l’extinction ou de la fusion des races est précisément l’hybridation entre « races B ou groupes ethniques. Qui plus est, il n’a jamais pu être établi que les croisements de races aient des effets biologiques néfastes. La théorie selon laquelle des caractères physiques et mentaux défa- vorables (dysharmonie physique et dégénérescence mentale) se manifesteraient chez les métis n’a jamais été prouvée par des faits. Il n’existe donc pas de justification Q: biologique B pour interdire le mariage entre des individus appartenant à des groupes raciaux différents.

14. Il convient de distinguer entre la « race », fait biologique, et le « mythe de la race ». En réalité, la « race B est moins un phénomène biologique qu’un mythe social. Ce mythe a fait un mal immense sur le plan social et moral; récemment encore, il a coûté d’innombrables vies et causé des souffrances incal- culables. Il empêche le développement normal de millions d’êtres humains et prive la civilisation de la collaboration effec- tive d’esprits créateurs. On ne saurait se prévaloir de différences biologiques entre groupes ethniques pour pratiquer l’ostracisme ou pour prendre des mesures collectives. L’essentiel est l’unité de l’humanité, tant du point de vue biologique que du point de vue social. Reconnaître ce fait et régler sa conduite en conséquence, tel est le premier devoir de l’homme moderne. Au surplus, c’est simplement admettre ce qu’un célèbre biologiste écrivait en 1873 : « Au fur et à mesure que la civilisation humaine se développera et que les petites tribus se rassembleront en collectivités plus vastes, le simple bon sens fera comprendre

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à chaque individu que ses instincts sociaux et sa bonne volonté doivent s’étendre à tous les membres de la nation, même s’ils lui sont personnellement inconnus. Une fois cette étape franchie, seuls des obstacles artificiels empêcheront l’individu d’accorder sa bonne volonté aux hommes de toutes les nations et de toutes les races. B Ainsi s’est exprimé Charles Darwin, dans The descent of man (2” édition, 1875, p. 187-188). En fait, toute l’histoire de l’humanité prouve que l’instinct de coopération est non seulement une tendance naturelle chez l’homme, mais qu’il a des racines plus profondes que n’importe quelle tendance égo- centrique. D’ailleurs, s’il en était autrement, siècles et millénaires seraient-ils témoins de ce développement des communautés humaines dans le sens d’une intégration et d’une organisation toujours plus grandes ?

15. Examinons maintenant les incidences de toutes ces considérations sur le problème de l’égalité entre les hommes. Il faut affirmer tout d’abord, et de la manière la plus catégorique, que I’égalité en tant que principe moral ne repose nullement sur la thèse que tous les êtres humains sont également doués. Il est bien évident, en effet, qu’au sein de tout groupe ethnique les individus diffèrent considérablement entre eux par leurs aptitudes. On a cependant exagéré les caractères différentiels entre groupes humains et l’on s’en est servi pour contester la valeur du principe éthique de l’égalité. C’est pourquoi nous jugeons utile d’exposer de façon formelle ce qui a été scienti- fiquement établi sur la question des différences entre individus et entre groupes. o) Les anthropologues ne peuvent établir de classification raciale

que sur des caractères purement physiques et physiologiques. b) Dans l’état actuel de nos connaissances, le bien-fondé de la

thèse selon laquelle les groupes humains diffèrent les uns des autres par des traits psychologiquement innés, qu’il s’agisse de l’intelligence ou du tempérament, n’a pas encore été prouvé. Les recherches scientifiques révèlent que le niveau des aptitudes mentales est à peu près le même dans tous les groupes ethniques.

c) Les études historiques et sociologiques corroborent l’opinion selon laquelle les différences génétiques n’ont pas d’impor- tance dans la détermination des différences sociales et cultu- relles existant entre différents groupes d’Homo supiens, et

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les changements sociaux et culturels au sein des différents groupes ont été, dans l’ensemble, indépendants des modifi- cations dans leur constitution héréditaire. On a vu se produire des transformations sociales considérables qui ne coïncident nullement avec les altérations du type racial.

d) Rien ne prouve que le métissage, par lui-même, produise de mauvais résultats sur le plan biologique. Sur le plan social, les résultats, bons ou mauvais, auxquels il aboutit sont dus à des facteurs d’ordre social.

e) Tout individu normal est capable de participer à la vie en commun, de comprendre la nature des devoirs réciproques et de respecter les obligations et les engagements mutuels. Les différences biologiques qui existent entre les membres des divers groupes ethniques n’affectent aucunement l’orga- nisation politique ou sociale, la vie morale ou les rapports sociaux.

Enfin, les recherches biologiques viennent étayer l’éthique de la fraternité universelle; car l’homme est, par tendance innée, porté à la coopération et, si cet instinct ne trouve pas à se satisfaire, individus et nations en pâtissent également. L’homme est, de nature, un être social qui ne parvient au plein déve- loppement de sa ,personnalité que par des échanges avec ses semblables. Tout refus de reconnaître ce lien social entre les hommes est cause de désintégration. C’est dans ce sens que tout homme est le gardien de son frère. Chaque être humain n’est qu’une parcelle de l’humanité, à laquelle il est indissolu- blement lié.

Déclaration rédigée à la Maison de lWn.esco, à Paris, par ks experts dont ks noms suivent :

Pr Ernest Beaglehole (Nouvelle-Zélande) ; P’ Juan Comas (Mexique); Pr L. A. Costa Pinto (Brésil) ; P’ E. Franklin Frazier (Etats-Unis); Pr Morris Ginsberg (Royaume-Uni); Pr Humayun Kabir (Inde); Pr Claude Lévi-Strauss (France) ; Pr M. F. Ashley Montagu (Etats-Unis), rapporteur.

Texte révisé pur k professeur Ashley Montagu, d’après des suggestions émanant des personnalités suivantes : MM. Hadley

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Déclaration de 1950

Cantril, E. G. Conklin, Gunnar Dahlberg, Theodosius Dobzhans,ky, L. C. Dunn, Donald Huger, Julian Huxley, Otto Klineberg, Wilbert Moore, H. J. Muller, Gunnar Myrdal, Joseph Needham, Curt Stern.

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II. Déclaration sur la race et les différences raciales

Paris, juin 1951

Cette réunion, lu deuxième qui ait été convoquée pour étudier le concept de race, Pu été surtout pour les raisons suivantes : si la question raciale intéresse le grand public, à plus forte raison intéresse-t-elle les spécialistes et, en premier lieu, ks sociologues, les anthropologues, les biologistes, et parmi ces derniers tout particulièrement ceux qui s’occupent de génétique humaine.

Or, au cours de lu première réunion, ce sont surtout les sociologues qui avaient exposé leurs vues et rédigé les grandes lignes de la Déclaration sur lu race; cette déclaration devait faire une forte impression, mais elle n’avait pas I>autorité que seuls pouvaient lui conférer les spécialistes d’anthropologie physique et de génétique humaine, particulièrement compétents en ce qui concerne l’aspect biologique du problème de la race. De fuit, cette première déclaration n’a pas obtenu sur tous ks points l’adhésion des représentants autorisés de ces disciplines.

D’une manière générale, nous avons maintenu les principales conclusions de la première déclaration, mais en atténuant cer- taines afirmations et en procédant à d’importuntes suppressions. Nous avons dès l’abord et sans hésiter adopté à l’unanimité la conclusion essentielle, à savoir que la théorie de la pureté raciale et celle de la hiérarchie des races, qui en est le complément, ne reposent sur aucun fondement scientifique.

Nous uvons reconnu que toutes les races sont mélangées et que lu variabilité de la plupart des caractères biologiques est aussi grande, sinon plus grande, à l’intérieur d’une même race que Zune race à l>uutre.

Nous avons été unanimes à reconnaître que les groupes raciaux, au stade actuel de leur évolution, sont caractérisés par des proportions différentes d’éléments héréditaires semblables

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Déclaration de 1951

(gènes). Nous considérons tous que ces diflérences doivent être attribuées, dune part, à des mutations qui sont le fait du hasard, d’autre part, à l’isolement qui, en empêchant les croi- sements entre groupes affectés par des mutations différentes, détermine les caractéristiques raciales; c’est surtout l’isolement géographique qui explique la formation des grands groupes tels que les groupes africain, européen et asiatique.

Nous avons reconnu que les hommes se diférencient les uns des autres par leurs caractéristiques culturelles tout autant que par leurs caractéristiques biologiques, et il nous est apparu évident que, parmi les facteurs qui ont abouti à la formation de races secondaires, un grand nombre sont bordre culturel. Tout ce qui tend à empêcher le libre échange des gènes entre groupes humains peut contribuer à la formation de races, que ces obstacles soient dordre religieux, social, linguistique ou géographique.

Nous avons soigneusement évité de donner une définition dogmatique de la race, car, produit de facteurs évolutifs, la race correspond à un concept dynamique et non statique. Nous avons également évité Ginvoquer le fait que les races sont sujettes à variations et que beaucoup d’entre elles sont fortement mélangées, pour en conclure que les races n’existent pas. L>an- thropologue comme l’homme de la rue savent parfaitement que les races existent; le premier, parce qu’il peut classer les variétés de l’espèce humaine grâce à un ensemble de caractéristiques scientifiquement reconnaissables et mesurables; le second, parce qu’il ne peut douter du témoignage de ses sens lorsqu’il se trouve en présence à la fois d’un Africain, d’un Européen, d’un Asiatique et d’un Indien d’Amérique.

Nous avons tous admis sans dificulté que l’existence de différences intellectuelles innées entre les divers groupes raciaux n’a jamais été prouvée et qu’ici encore les différences existant à Pintérieur dune même race sont au moins aussi grandes que celles qui peuvent exister d’une race à l’autre. Nous avons été d’accord pour considérer que les caractères psychologiques ne peuvent servir ni à classer les races, ni à les décrire.

Nous avions la bonne fortune de compter parmi nous plusieurs hommes de science qui avaient spécialement étudié les résultats de croisements entre races différentes. Notre conclu- sion, à savoir que, d’une manière générale, le mélange des races

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Déclaration de 1951

n’a pas de résultats défavorables, est donc fondée sur l’expé- rience autant que sur la documentation existante. Beaucoup d’entre nous estiment même fort probable que l’hybridation entre races diférentes peut donner des résultats biologiquement favorables, bien que l’on manque sur ce point de preuves décisives.

Le mot « race » étant marqué, pour avoir servi à désigner des diflérences nationales, linguistiques ou religieuses et pour avoir été utilisé dans un sens délibérément abusif par les partisans des doctrines racistes, nous nous sommes efforcés de trouver un mot nouveau pour exprimer la notion de groupe biologiquement caractérisé. Nous n’y avons pas réussi, mais nous considérons que le mot « race » doit servir exclusivement à la classification anthropologique de groupes présentant un ensemble bien défîni de traits physiques (y compris les traits physio- logiques) combinés dans des proportions caractéristiques.

Nous nous sommes également efforcés, sans plus de succès, de nous prononcer sur le caractère instinctif du comportement de l’homme à l’égard de ses semblables. Il est évident que les membres d’un même groupe font preuve les uns à l’égard des autres d’esprit de coopération ou d’association, alors qu’ils peuvent manifester, vis-à-vis des membres de groupes différents, un esprit dagressiuité - ces deux tendances pouvant parfai- tement coexister en un même individu. Nous considérons que l’origine psychologique des pré,jugés raciaux pose un important problème qui exige de nouvelles études.

Dans l’état actuel de nos connaissances, nous sommes unanimes à considérer que les différences biologiques constatées entre les groupes raciaux humains ne peuvent en aucun cas justifier la thèse de l’inégalité raciale, qui se fonde sur l’igno- rance et le préjugé, et que, sur le plan humain et moral, les diflérences connues, quelles qu’elles soient, apparaissent négli- geables.

L. C. Dunn, rapporteur, juin 1951

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Déclaration de 1951

1

L es savants reconnaissent généralement que tous les hommes actuels appartiennent à une même espèce, dite Homo sapiens, et qu’ils sont issus d’une même souche. Quand et comment les différents groupes humains se sont détachés du tronc commun, 1 a question reste controversée.

Les anthropologues sont tous d’accord pour considérer la notion de race comme permettant de classer les différents groupes humains dans un cadre zoologique propre à faciliter l’étude des phénomènes d’évolution. Au sens anthropologique, le terme « race » ne doit être appliqué qu’aux groupes humains qui se distinguent par des traits physiques nettement caractérisés et essentiellement transmissibles. On peut classer de cette façon de nombreuses populations, mais la complexité de l’histoire humaine est telle que beaucoup d’autres se prêtent difhcilement à une classification raciale.

2

Les différences physiques entre les groupes humains sont dues : les unes à des différences de constitution héréditaire, les autres à des différences de milieu, la plupart aux deux. La génétique donne à penser que les différences héréditaires à l’intérieur d’une même espèce tiennent à deux ordres de causes : d’une part, la composition génétique d’une population isolée se modifie continuellement, mais progressivement, sous l’effet de la sélection naturelle, de modifications fortuites (mutations) des particules matérielles (gènes) qui commandent l’hérédité, de modifications accidentelles de la fréquence des gènes, enfin des coutumes relatives au mariage; d’autre part, les croisements tendent sans cesse à effacer les différenciations ainsi créées. Les nouvelles populations issues de ces croisements, lorsqu’elles se trouvent à leur tour isolées, subissent les mêmes influences, qui peuvent amener de nouvelles transformations. Les races actuelles ne sont que le résultat, envisagé à un moment donné de l’histoire, de la somme des actions qui sont ainsi exercées sur l’espèce humaine. Il est donc normal que les caractères héréditaires employés pour classer les groupes humains diffèrent selon le but scientifique qu’on se propose; il en est de même de l’étendue

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Déclaration de 1951

des variations - et par conséquent du nombre des subdivisions - admises à l’intérieur d’un même groupe.

3

Les groupes nationaux, religieux, géographiques, linguistiques et culturels ne coïncident pas nécessairement avec les groupes raciaux, et les aspects culturels de ces groupes n’ont avec les caractères propres à la race aucun rapport démontrable. Les Américains ne constituent pas une race, pas plus d’ailleurs que les Françak ou les Allemands. Aucun groupe national ne constitue une race ipso facto. Les musulmans et les juifs ne forment pas de race, pas plus que les catholiques ou les pro- testants, les habitants de l’Islande, de la Grande-Bretagne ou de l’Inde, les peuples qui parlent l’anglais ou toute autre langue, les individus qui appartiennent à la culture turque ou chi- noise, etc. L’emploi du mot « race » pour désigner un de ces groupes peut constituer une grave erreur; celle-ci est cependant souvent commise.

4

Les races humaines ont été classées - et le sont encore - différemment selon les anthropologues. La plupart de ceux-ci sont d’accord pour diviser la majeure partie de l’espèce humaine en trois grands groupes au moins (en anglais : major racial groups, en français : grand-races, en allemand : Hauptrassen). Cette classification ne repose pas sur un caractère physique unique : la couleur de la peau, par exemple, ne suilit pas nécessairement à distinguer une grand-race d’une autre. Il s’y a joute que, dans la mesure où l’on a pu les analyser, les différences de structure physique qui distinguent une grand-race d’une autre’ n’apportent aucun argument en faveur des idées courantes d’une « supériorité » ou d’une « infériorité » générale de l’un ou de l’autre de ces groupes.

Dans l’ensemble, les membres de chaque grand-race se distinguent par certains caractères physiques; mais les individus - ou les petits groupes - appartenant à plusieurs subdivisions d’une même grand-race ne se différencient pas aussi facilement entre eux. Même d’une grand-race à l’autre, il existe des tran- sitions insensibles et certains caractères physiques propres à des grand-races ou à des races secondaires différentes peuvent che-

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Déclamation de 1951

vaucher dans une large mesure. En ce qui concerne la plupart - sinon la totalité - des caractères mesurables, les différences observées à l’intérieur d’une même race dépassent celles qu’on observe entre les moyennes de deux ou plusieurs races faisant partie d’une même grand-race.

La plupart des anthropologues ne tiennent pas compte des caractères mentaux dans leur classification des races humaines. Les expériences faites sur les membres d’une même race montrent que les résultats des tests d’intelligence et des tests de person- nalité dépendent à la fois des aptitudes innées et des conditions de l’entourage physique et social, mais on n’est pas d’accord sur l’importance relative de ces deux facteurs.

Les résultats d’un test psychologique - même non verbal - sont généralement moins bons dans le cas d’illettrés que dans celui de sujets plus instruits. Les tests de cet ordre peuvent donner des résultats extrêmement variables dans le cas de différents groupes d’une même race et d’un niveau culturel équivalent. Mais si les deux groupes comparés ont vécu depuis l’enfance dans des milieux analogues, les différences sont d’ordi- naire minimes. Qui plus est, il y a lieu de croire que, pour des groupes placés dans des conditions de milieu identiques, le niveau moyen (c’est-à-dire, le résultat considéré comme repré- sentatif parce qu’on constate autant de résultats meilleurs que de résultats moins bons) et les variations au-dessus et au-dessous de celui-ci ne diffèrent pas sensiblement d’une race à l’autre.

Même les psychologues qui déclarent avoir trouvé les plus grandes différences d’intelligence entre groupes d’origine raciale différente, et qui soutiennent que ces différences sont hérédi- taires, ont toujours constaté que certains membres d’un groupe inférieur dépassent non seulement le niveau le plus bas, mais même le niveau moyen d’un groupe supérieur. De toute manière, on n’a jamais pu distinguer deux groupes d’après les aptitudes mentales, alors qu’on peut fréquemment le faire d’après la religion, la langue, la couleur de la peau ou la nature des cheveux. Il est possible - mais nullement démontré - que certaines catégories d’aptitudes innées, d’ordre intellectuel ou affectif, soient plus fréquentes dans un groupe que dans un autre; il est certain en tout cas que ces aptitudes varient autant,

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Déchution de 1951

sinon davantage, à l’intérieur d’un groupe donné que d’un groupe à l’autre.

L’étude de l’hérédité des caractères psychologiques présente de multiples diflicult&. Nous savons que certaines maladies ou déficiences mentales se transmettent d’une génération à l’autre; mais nous connaissons mal le rôle de l’hérédité dans la vie psychique des individus normaux. L’individu normal, quelle que soit sa race, est foncièrement éducable. Sa vie intellectuelle et morale est donc, pour une large part, conditionnée par sa formation et par son milieu physique et ,social.

Souvent, un groupe national paraît caractérisé par des particularités psychologiques spéciales. Pour l’observateur super- ficiel, ces particularités s’expliquent par la race. Du point de vue scientifique cependant, n’importe laquelle de ces particu- larités peut aussi bien être le résultat d’influentes historiques et sociales subies en commun, et leur existence ne doit pas nous faire oublier qu’au sein de populations différentes, représentant un grand nombre de types humains, on trouve à peu près la même gamme de tempéraments et le même registre intellectuel.

6

Les données scientifiques dont on dispose à l’heure actuelle ne corroborent pas la théorie selon laquelle les différences génétiques héréditaires seraient un facteur primordial pour déterminer les différences entre les cultures et leurs réalisations chez les divers peuples ou groupes ethniques. Elles nous apprennent, au contraire, que ces différences s’expliquent surtout par l’histoire culturelle de chaque groupe.

7

On ne possède aucune preuve de l’existence de races dites « pures ». Les squelettes fossiles nous fournissent l’essentiel du peu que nous savons des races disparues, En ce qui concerne les mélanges de races, il y a lieu de penser que le processus de l’hybridation humaine se poursuit depuis un temps indé- terminé, mais considérable. A vrai dire, l’un des mécanismes de la formation, de l’extinction et de la fusion des races est précisément l’hybridation entre celles-ci. Il n’a jamais été établi à l’aide de preuves valables que cette hybridation ait des effets

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Déclaration de 1951

défavorables; il n’existe donc aucune raison biologique d’inter- dire le mariage entre individus de races différentes.

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Considérons maintenant l’application de toutes ces données au problème de l’égalité entre les hommes. Il convient d’afhrmer que l’égalité des droits et l’égalité devant la loi, en tant que principes moraux, ne se fondent nullement sur le postulat que tous les êtres humains sont également doués.

9

Nous jugeons utile d’exposer de façon formelle ce qui a été scientifiquement établi sur les différences entre individus et entre groupes : a) Les seuls caractères sur lesquels les anthropologues ont pu

effectivement fonder jusqu’à présent des classifications raciales sont des caractères physiques (anatomiques et physiologiques).

b) Dans l’état actuel de la science, rien ne justifie la croyance que les groupes humains diffèrent par des aptitudes innées d’ordre intellectuel ou affectif.

c) Certaines différences biologiques peuvent être aussi grandes ou plus grandes à l’intérieur d’une même race que d’une race à l’autre.

d) On a vu se produire des transformations sociales considé- rables qui ne coïncidaient nullement avec des changements du type racial. Les études historiques et sociologiques corro- borent ainsi l’opinion selon laquelle les différences génétiques n’interviennent guère dans la détermination des différences sociales et culturellee entre groupes humains.

e) Rien ne prouve que le mélange des races ait des effets défa- vorables du point de vue biologique. Les résultats, bons ou mauvais, auxquels il aboutit s’expliquent tout aussi bien par des facteurs sociaux.

Déclaration rédigée le 8 juin 1951 à la Maison de IIUnesco, à Paris, par : P’ R.A.M. Bergman, de Plnstitut royal tropical, de la Société

néerlandaise d’anthropologie d’Amsterdam. P’ Gunnar Dahlberg, directeur de I’lnstitut d’Etut de génétique

humaine et de biologie des races, de l’université d’Uppsala.

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Déclaration de 19.51

P’ L.C. Dunn, du Département de zoologie de Columbia Uni- versity, New York.

P’ J.B.S. Haldane, chef du Département de biométrie, University College, Londres.

P’ M.F. Ashley Montagu, chef du Département d’anthropologie, Rutgers University, New Brunswick, N.J.

D’ A.E. Mourant, directeur du Blood Group Reference Labo- ratory, Lister Institute, Londres.

P’ Hans Nachtsheim, directeur de l’Institut de génétique, Freie Universitiit, Berlin.

D’ Eugène Schreider, directeur adjoint du laboratoire d’anthro- pologie physique de PEcole des hautes études de Paris.

P’ Harry L. Shapiro, chef du département d’anthropologie de I’American Museum of Natural History, New York.

Dr J.C. Trevor, professeur à la Faculté d’archéologie et d’an- thropologie de l’Université de Cambridge.

D’ Henri Y. Vallois, professeur au Muséum d’histoire naturelle, directeur du Musée de l’homme, Paris.

P’ S. Zuckerman, chef du Département d’anatomie de I’Ecole de médecine de l’Université de Birmingham.

Le professeur Th. Dobzhansky, du Département de zoologie de Columbia University, et le D’ Julian Huxley ont participé à la rédaction définitive.

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III. Propositions sur les aspects biologiques

de la question raciale

Moscou, août 1964

Les experts dont les noms figurent ci-dessous, réunis par l’Unesco pour donner leur avis sur les aspects biologiques de la question raciale, et en particulier pour établir les éléments biologiques d’une déclaration sur la race et les préjugés raciaux prévue pour 1966 et destinée à mettre à jour et à compléter la Décla- ration sur la race et les différences raciales rédigée en 1951, ont marqué leur accord unanime sur les propositions qui suivent :

1. Tous les hommes actuels appartiennent à une même espèce, dite Homo sapiens, et sont issw d’une même souche. Quand et comment les différents groupes humains se sont diversifiés, 1 - a question reste controversée.

2. Des différences de constitution héréditaire et l’action du milieu sur le potentiel génétique déterminent les différences biologiques entre les êtres humains. La plupart sont dues à l’interaction de ces deux ordres de facteurs.

3. Chaque population humaine présente une large diversité génétique. Il n’existe pas chez l’homme de race pure, au sens de population génétiquement homogène.

4. Sous leur aspect moyen, il y a des différences physiques manifestes entre les populations vivant en divers points du globe. Beaucoup de ces différences ont une composante génétique.

Ces dernières consistent le plus souvent en des différences de fréquence des mêmes caractères héréditaires.

5. Sur la base de traits physiques héréditaires, diverses subdivisions de l’humanité en grand-races et de celles-ci en catégories plus restreintes (les races, qui sont des groupes de populations ou, éventuellement, des populations) ont été pro- posées. Presque toutes reconnaissent au moins trois grand-races.

La variation géographique des caractères utilisée dans les classifications raciales étant complexe et ne présentant pas de

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Déclaration de 1964

discontinuité majeure, ces classifications, quelles qu’elles soient, ne sauraient prétendre à découper l’humanité en catégories rigoureusement tranchées et, du fait de la complexité de l’histoire humaine, la place de certains groupes dans une classification raciale est difhcile à établir, notamment celle de certaines populations qui occupent une position intermédiaire.

Beaucoup d’anthropologues, tout en insistant sur l’impor- tance de la variabilité humaine, estiment que l’intérêt scientifique de ces classifications est limité, voire qu’elles présentent le danger d’inciter à des généralisations abusives.

Les différences entre individus d’une même race ou d’une même population sont souvent plus grandes que la différence des moyennes entre races ou entre populations.

Les traits distinctifs variables retenus pour caractériser une race ou bien sont hérités indépendamment les uns des autres ou bien présentent un degré variable d’association à l’intérieur de chaque population. Aussi la combinaison des caractères chez 1 a plupart des individus ne correspond-elle pas à la caracté- risation typologique de la race.

6. Chez l’homme comme chez l’animal, la composition génétique de chaque population est soumise à l’action modifi- catrice de divers facteurs : la sélection naturelle, tendant vers une adaptation au milieu, des mutations fortuites consistant en modifications des molécules d’acide désoxyribonucléique qui déterminent l’hérédité, des modifications aléatoires de la fré- quence des caractères héréditaires qualitatifs, la probabilité desquelles dépend de l’effectif de la population et de la compo- sition des unions au sein de cette population.

Certains caractères physiques ont une valeur biologique universelle et fondamentale pour la survie de l’homme, en quelque milieu que ce soit. Les différences sur lesquelles se fondent les classifications raciales ne concernent pas de tels caractères. Aussi, à leur égard, ne peut-on en rien biologiquement parler d’une supériorité ou d’une infériorité générales de telle ou telle race.

7. L’évolution humaine présente des modalités, d’une impor- tance capitale, qui lui sont particulières.

L e passé de l’espèce humaine, aujourd’hui répandue à la surface entière de la terre, est riche en migrations, en expansions et en rétractions territoriales.

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Déclaration de 1964

En conséquence, une adaptabilité générale aux milieux les plus variés l’emporte chez l’homme sur les adaptations à des milieux particuliers.

Les progrès accomplis par l’homme, sur quelque plan que ce soit, semblent se poursuivre, depuis de nombreux millénaires, principalement - sinon uniquement - sur le plan des acquis culturels, et non sur celui des patrimoines génétiques. Cela implique une modification du rôle de la sélection naturelle chez l’homme actuel.

Du fait de la mobilité des populations humaines et des facteurs sociaux, les unions entre membres de groupes humains différents, qui tendent à effacer les différenciations acquises, ont joué un rôle beaucoup plus important dans l’histoire de l’espèce humaine que dans celle des espèces animales. Le passé de toute population, de toute race humaine compte de multiples métissages, qui ont tendance à s’intensifier.

Chez l’homme les obstacles aux croisements sont de nature sociale et culturelle tout autant que géographique.

8. A toute époque, les caractéristiques héréditaires des populations humaines représentent un équilibre instable résultant des métissages et des mécanismes de différenciation déjà cités. En tant qu’entités définies par un ensemble de traits dktinctifs propres, les races humaines sont en voie de formation et de dissolution.

Les races humaines sont généralement caractérisées de façon bien moins nette que beaucoup de races animales et ne peuvent en rien être assimilées aux races d’animaux domestiques, qui résultent d’une sélection poussée à des fins particulières.

9. Il n’a jamais été établi que le métissage présente un inconvénient biologique pour l’humanité en général.

Par contre, il contribue largement au maintien des liens biologiques entre les groupes humains, donc de l’unité de l’espèce humaine dans sa diversité.

Sur le plan biologique, les implications d’un mariage dépendent de la constitution génétique individuelle des con joints et non de leur race.

Il n’existe donc aucune justification biologique à interdire les mariages interraciaux, ni à les déconseiller en tant que tels.

10. L’homme, depuis son origine, dispose de moyens culturels sans cesse plus efficaces d’adaptation non génétique.

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Déclaration de 1964

11. Les facteurs culturels qui rompent les cloisonnements sociaux et géographiques élargissent les cercles de mariage et agissent par conséquent sur la structure génétique des popu- lations en diminuant les fluctuations aléatoires (derive génétique).

12. En règle générale, les grand-races couvrent de vastes territoires qui englobent des peuples divers par la langue, I’économie, la culture, etc.

Aucun groupe national, religieux, géographique, linguistique ou culturel ne constitue une race ipso facto; le concept de race ne met en jeu que des facteurs biologiques.

Cependant, les êtres humains qui parlent la même langue et partagent la même culture ont tendance à se marier entre eux, ce qui peut faire apparaître un certain degré de coïncidence entre traits physiques d’une part, linguistiques et culturels d’autre part. Mais on ne connaît pas de relation causale entre ceux-ci et ceux-là et rien n’autorise à attribuer les particularités culturelles à des caractéristiques du patrimoine génétique.

13. La plupart des classifications raciales de l’humanité qui ont été proposées n’incluent pas de caractères mentaux parmi leurs critères taxonomiques.

L’hérédité peut intervenir dans la variabilité que montrent les individus d’une même population dans leurs réponses à certains tests psychologiques actuellement employés.

Cependant on n’a jamais prouvé de différence entre les patrimoines héréditaires des groupes de population en ce qui concerne ce que mesurent ces tests, tandis que l’intervention du milieu physique, culturel et social dans les différences des réponses à ces tests a été abondamment mise en lumière.

L’étude de cette question est entravée par l’extrême difh- cuité d’isoler l’éventuelle part de l’hérédité dans les différences moyennes observées entre les résultats des épreuves dites d’intel- ligence globale de populations culturellement diverses.

De même que certains grands traits anatomiques propres à l’espèce humaine, la capacité génétique d’épanouissement intellectuel relève de caractéristiques biologiques de valeur universelle, en raison de son importance pour la survie de l’espèce dans n’importe quel environnement naturel et culturel.

Les peuples de la terre semblent disposer aujourd’hui de potentialités biologiques égales d’accéder à n’importe quel niveau de civilisation. Les différences entre les réalisations des divers

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Déclaration de 1964

peuples semblent devoir s’expliquer entièrement par leur histoire culturelle.

Certaines particularités psychologiques sont parfois attri- buées à tel ou tel peuple. Que de telles assertions soient ou non fondées, ces particularités ne sauraient être assignées à l’hérédité, jusqu’à preuve du contraire.

Le domaine des potentialités héréditaires en ce qui concerne l’intelligence globale et les capacités de développement culturel, pas plus que celui des caractères physiques, ne permet de justifier le concept de races E( supérieures » et « inférieures ».

Les données biologiques ci-dessus exposées sont en contradiction flagrante avec les thèses racistes. Celles-ci ne peuvent se prévaloir en rien d’une justification scientifique et c’est un devoir pour les anthropologues de s’efforcer d’empêcher que les résultats de leurs recherches ne soient déformés dans l’emploi qui pourrait en être fait à des fins non scientifiques.

Moscou, le 18 août 1964

Pr Nigel Barnicot, département d’anthropologie, University COL lege, Londres.

P’ Jean Benoist, directeur du département d’anthropologie, Uni- versité de Montréal.

P’ Tadeusz Bielicki, Institut d’anthropologie, Académie des sciences de Pologne, Wroclazo.

D’ A.E. Boyo, directeur, Federal Malaria Institute, département de pathologie et d’hématologie, Ecole de médecine, Université de Lagos.

P’ V.V. Bunak, Institut d’ethnographie, Moscou. P’ Carleton S. Coon, conservateur du Musée de l’Université de

Pennsylvanie, Philadelphie, Pu. P’ G.F. Debetz, Institut d’ethnographie, Moscou. M”” Adelaida G. de Diaz Ungria, conservateur du Musée des

sciences naturelles, Caracas. Pr Santiago Genovés, Institut de recherches historiques, Faculté

des sciences, Université de Mexico. P’ Robert Gessain, directeur du Centre de recherches anthropo-

logiques, Musée de l’homme, Paris. Pr Jean Hiernaux, Laboratoire d’anthropologie, Faculté des

sciences, Université de Paris; Institut de sociologie Solvay,

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Déclaration de 1964

Bruxelles; Université libre de Bruxelles. (Directeur scienti- fique de la réunion.)

D’ Yaya Kane, directeur du Centre national de transfusion san- guine du Sénégal, Dakar.

Pr Ramakhrishna Mukherjee, chef du département de recherche sociologique, Institut indien de statistique, Calcutta.

P’ Bernard Rensch, Institut de zoologie, Westfaliche Wilhelms- Universitat, Münster.

P’ Y.Y. Roguinski, Institut d’ethnographie, Moscou. P’ Francisco M. Salzano, Institut de sciences naturelles, Porto

Alegre, Rio Grande do SU~, Brésil. Pr Alf Sommerfelt, recteur de PUniversité d’Oslo. P’ James N. Spuhler, département banthropologie, Université

de Michigan, Ann Arbor, Michigan. Pr Hisashi Suzuki, département d’anthropologie, Faculté des

sciences, Université de Tokyo. P’ J.A. Valsik, département d’anthropologie et de génétique,

Université J.A. Komensky, Bratislava. D’ Joseph S. Weiner, Ecole de médecine tropicale et d’hygiène,

Université de Londres. Pr V.P. Yakimov, Institut d’anthropologie, Université de Moscou.

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IV. Déclaration sur la race et les préjugés raciaux

Paris, septembre 1967

1. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Ce principe démocratique universellement pro- clamé est en péril partout où les relations entre groupes humains sont marquées par des inégalités d’ordre politique, économique, social ou culturel. Parmi les obstacles qui s’opposent à la recon- naissance de l’égalité en dignité de tous les êtres humains, le racisme apparaît comme particulièrement redoutable. Il continue à sévir dans le monde d’aujourd’hui. En tant que phénomène social de première importance, il doit retenir l’attention de tous ceux qui étudient les sciences de l’homme.

2. Le racisme entrave le développement de ses victimes, pervertit ceux qui le mettent en pratique, divise les nations au sein d’elles-mêmes, aggrave la tension internationale, et menace la paix mondiale.

3. Les experts réunis à Paris en septembre 1967 ont reconnu que les doctrines racistes sont dénuées de toute base scientifique. Ils ont réaffirmé les propositions adoptées lors de la réunion internationale tenue à Moscou en 1964 pour réexaminer les aspects biologiques des déclarations sur la race et les différences raciales faites en 1950 et 1951. Ils appellent notamment I’attention sur les points suivant.s : a. Tous les hommes qui vivent de nos jours appartiennent à la

même espèce et descendent de la même souche. b. La division de l’espèce humaine en « races » est en partie

conventionnelle ou arbitraire, et elle n’implique aucune hié- rarchie de quelque ordre que ce soit. De nombreux anthro- pologues soulignent l’importance de la variabilité humaine mais pensent que les divisions « raciales » ont un intérêt scientifique limité et qu’elles risquent même de conduire à une généralisation abusive.

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Déclaration de 1967

c. Dans l’état actuel des connaissances biologiques, on ne saurait attribuer les réalisations culturelles des peuples à des diffé- rences de potentiel génétique. Les différences entre les réali- sations des divers peuples s’expliquent entièrement par leur histoire culturelle. Les peuples du monde d’aujourd’hui parais- sent posséder des potentiels biologiques égaux leur permettant d’atteindre n’importe quel niveau de civilisation.

Le racisme falsifie grossièrement les connaissances relatives à la biologie humaine.

4. Les problèmes humains que soulèvent les relations dites « raciales » ont donc une origine plus sociale que biologique. En particulier, le racisme constitue un problème fondamental. Il se manifeste par des croyances et des actes antisociaux qui ont pour base l’idée fallacieuse que des relations discriminatoires entre groupes sont justifiables du point de vue biologique.

5. Les groupes évaluent habituellement leurs caractéristiques en les comparant $ celles d’autres groupes. Le racisme affirme à tort que la science fournit la base d’une hiérarchisation des groupes en fonction de caractéristiques psychologiques et cultu- relles qui sont immuables et innées. Il cherche ainsi à faire paraître inviolables les différences existantes de manière à per- pétuer les relations actuelles entre groupes.

6. Le caractère fallacieux de ces doctrines étant démasqué, le racisme trouve des stratagèmes toujours nouveaux pour jus- tifier l’inégalité des groupes. Il souligne qu’il n’y a pas de ma- riages entre groupes, fait qui résulte en partie des divisions qu’il a lui-même créées, et il en tire argument pour soutenir que l’absence de tels mariages provient de différences d’ordre biologique. Quand il ne réussit pas à prouver l’origine biolo- gique des différences entre les groupes, il se rabat sur d’autres justifications : intention divine, différences culturelles, disparité entre les niveaux d’instruction ou toute autre doctrine qui peut servir à masquer la persistance des croyances racistes. Ainsi, beaucoup des problèmes que pose le racisme dans le monde actuel résultent non pas seulement de ses manifestations ouvertes mais aussi de l’activité de ceux qui pratiquent la discrimination raciale sans vouloir le reconnaître.

7. Le racisme a des racines historiques. Ce n’est pas un phénomène universel. Nombreuses sont les sociétés et les cultures contemporaines qui en portent peu de traces, et de longues

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périodes de l’histoire mondiale en ont été exemptes. Bien des formes de racisme ont eu pour origine les conditions créées par la conquête, le désir de justifier l’esclavage des Noirs et l’iné- galité raciale qui en est issue en Occident, ainsi que les rapports coloniaux. Parmi d’autres exemples figure l’antisémitisme, qui a joué un rôle particulier là où les juifs ont servi de boucs émissaires, sur lesquels on a rejeté la responsabilité des pro- blèmes et des crises que connaissent de nombreuses sociétés.

8. La révolution anticoloniale du XX~ siècle a créé de nou- velles possibilités d’éliminer le fléau du racisme. Dans certains pays autrefois dépendants, des personnes précédemment consi- dérées comme inférieures ont pour la première fois obtenu la plénitude de leurs droits politiques. En outre, la participation de pays précédemment dépendants aux activités d’organisations internationales, sur un pied d’égalité, a fait beaucoup pour saper le racisme à la base.

9. Il existe cependant, dans certaines sociétés, des cas où des groupes victimes de pratiques racistes ont eux-mêmes appli- qué, dans leur lutte pour la liberté, des doctrines ayant des aspects racistes. Cette attitude est un phénomène secondaire, une réaction découlant de la recherche par l’homme de son identité, que la théorie et les pratiques racistes lui refusaient jusqu’alors. Quoi qu’il en soit, les nouvelles formes de l’idéologie raciste, résultant de cette exploitation antérieure, n’ont aucune justifi- cation biologique. Elles sont le produit d’une lutte politique et n’ont pas de fondement scientifique.

10. Pour saper les bases du racisme, il ne suffit pas que les biologistes dénoncent son caractère fallacieux. Il faut encore que les psychologues et les sociologues en montrent les causes. La structure sociale est toujours un facteur important. Toutefois, à l’intérieur de la même structure sociale, il peut arriver que le degré de racisme qui caractérise le comportement des individus varie beaucoup selon leur personnalité et leur situation par- ticulière.

11. Le comité d’experts a adopté les conclusions ci-après concernant les causes sociales des préjugés raciaux : a. Les causes économiques et sociales du racisme apparaissent

en particulier dans les sociétés de colons où se rencontrent des conditions caractérisées par une grande inégalité de puis- sance et de propriété, dans certaines zones urbaines où se

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sont créés des ghettos dont les habitants sont privés de l’égalité d’accès à l’emploi, au logement, à la vie politique, à l’éducation et à l’administration de la justice, ainsi que dans de nombreuses sociétés où des tâches économiques et sociales jugées contraires à l’éthique de leurs membres ou au-dessous de leur dignité sont assignées à un groupe d’origine différente qui est tourné en dérision, blâmé et puni parce qu’il se charge de ces tâches.

b. Les individus atteints de certains troubles de la personnalité peuvent être particulièrement enclins à adopter et à mani- fester des préjugés raciaux. Les petits groupes, associations et mouvements sociaux d’un certain type conservent et trans- mettent parfois les préjugés raciaux. Cependant, les racines de ces préjugés se situent dans le système social et économique propre à la communauté considérée.

c. Le racisme a souvent un effet cumulatif. La discrimination prive un groupe de l’égalité des droits et l’érige en problème. Fréquemment, ce groupe se voit ensuite reprocher sa condi- tion, ce qui conduit à une nouvelle élaboration de la théorie raciste.

12. Les principales techniques à employer pour combattre le racisme consistent à modifier la situation sociale qui donne naissance au préjugé, à empêcher ceux qui sont nourris de pré- jugés d’agir conformément à leurs croyances et à lutter contre les fausses croyances elles-mêmes.

13. On ne saurait nier que les modifications essentielles de la structure sociale qui peuvent permettre d’éliminer les préjugés raciaux exigent parfois des décisions d’ordre politique. Mais il est clair également que certains instruments de progrès tels que l’enseignement et d’autres moyens de développement économique et social, les organes d’information et le droit peuvent être mobi- lisés de façon immédiate et efficace pour contribuer à cette élimination.

14. L’école et d’autres instruments de progrès économique et social peuvent être au nombre des agents les plus efficaces d’une meilleure compréhension et de la réalisation de toutes les possibilités de l’homme. Ils peuvent tout aussi bien être large- ment utilisés pour perpétuer la discrimination et l’inégalité. Il est donc essentiel que les ressources en matière d’éducation et

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d’action économique et sociale de tous les pays soient employées des deux façons suivantes : a. Les écoles doivent veiller à ce que leurs programmes fassent

une place à des notions scientifiques sur la race et l’unité humaine, et à ce qu’il ne soit pas fait de distinctions désobli- geantes à l’égard de tel ou tel peuple, ni dans les manuels, ni dans les salles de classe.

b. i) Etant donné que les connaissances que doit fournir l’ins- truction de type classique et l’enseignement professionnel revêtent une importance croissante, parallèlement au pro- cessus du développement technologique, les ressources des écoles et les autres ressources doivent être mises intégra- lement à la disposition de tous les groupes de la popu- lation sans restriction ni discrimination.

ii) En outre, dans les cas où, pour des raisons historiques, certains groupes ont un niveau d’éducation et de vie infé- rieur, il appartient à la société de prendre des mesures en vue de remédier à cet état de choses. Ces mesures devront tendre, autant que possible, à éviter que les limi- tations associées à un milieu pauvre soient transmises aux enfants.

En raison du rôle important des maîtres dans l’application de tout programme d’enseignement, il convient d’accorder une atten- tion particulière à la formation des enseignants. Il faut apprendre aux maîtres à reconnaître dans quelle mesure ils sont imbus des préjugés qui peuvent être répandus dans leur société, et les encourager à rejeter ces préjugés.

15. Les services officiels et les autres organismes intéressés doivent accorder une attention particulière à l’amélioration des logements et des possibilités de travail offerts aux victimes du racisme. Non seulement ces mesures contrebalanceront les effets du racisme, mais encore elles pourront contribuer d’une manière positive à modifier les attitudes et le comportement racistes.

16. Si les moyens d’information revêtent une importance croissante pour la promotion des connaissances et de la com- préhension, leur potentiel n’est pas encore exactement connu. Des recherches suivies sur l’utilisation Bociale de ces moyens sont nécessaires pour mesurer leur influence sur la formation des attitudes et des comportements en matière de préjugés raciaux et de discrimination raciale. Du fait que les moyens d’infor-

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mation touchent un vaste public, très divers par le degré d’ins- truction et le niveau social, ils peuvent jouer un rôle capital dans l’aggravation ou l’élimination des préjugés raciaux. Les professionnels de l’information doivent se préoccuper d’encou- rager la compréhension entre les groupes et entre les populations. Ils doivent éviter de donner des autres peuples une représen- tation stéréotypée qui les tourne en ridicule. Ils doivent égale- ment se garder, en rédigeant les nouvelles, de mettre en relief l’origine raciale des personnes en cause lorsqu’elle n’a pas de rapport direct avec les faits.

17. Le droit est l’un des principaux moyens d’assurer l’éga- lité entre les individus et l’un des instruments les plus efhcaces de lutte contre le racisme.

La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948, ainsi que les accords et conventions inter- nationaux qui sont entrés en vigueur depuis lors, peuvent contri- buer efficacement à la lutte contre toute injustice d’origine raciste, tant sur le plan national qu’à l’échelon international.

La législation nationale est un moyen de mettre effecti- vement hors la loi la propagande raciste et les actes fondés sur la discrimination raciale. En outre, la politique générale expri- mée dans cette législation doit lier non seulement les tribunaux et les juges chargés de la faire respecter, mais aussi tous les services officiels, quel que soit leur niveau ou leur caractère.

On ne saurait prétendre que la législation peut éliminer immédiatement les pré jugés; néanmoins, parce qu’elle permet de protéger les victimes d’actes fondés sur les préjugés et qu’elle offre un exemple moral, étayé par la dignité des tribunaux, elle peut même parvenir, à la longue, à modifier les attitudes.

18. Les groupes ethniques qui sont victimes de la discrimi- nation sous une forme ou une autre sont parfois acceptés et tolérés par les groupes dominants à condition de renoncer tota- lement à leur identité culturelle. Il convient de souligner la nécessité d’encourager ces groupes ethniques à préserver leurs valeurs culturelles. Ils seront ainsi mieux en mesure de contribuer à enrichir la culture totale de l’humanité.

19. Dans le monde d’aujourd’hui, les préjugés raciaux et la discrimination raciale proviennent de phénomènes historiques et sociaux et on cherche à les justifier en invoquant à tort l’auto- rité de la science. Il appartient donc à tous les spécialistes des

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sciences biologiques et sociales, aux philosophes et aux chercheurs travaillant dans des disciplines voisines de veiller à ce que les résultats de leurs recherches ne soient pas utilisés abusivement par ceux qui veulent propager les préjugés raciaux et encou- rager la discrimination.

Cette déclaration a été élaborée par un comité d’experts sur la race et les préjugés raciaux qui s’est réuni au siège de l’unesco à Paris, du 18 au 26 septembre 1967. Ont participé aux travaux du comité les personnalités dont les noms suivent :

Muddathir Abdel Rahim, Université de Khartoum, Soudan. Georges Balandier, Université de Paris. Celio de Oliveira Borja, Université de Guanabara, Brésil. Lloyd Braithwaite, University of the West Ir&es, Jamaïque. Leonard Broom, Université du Texas, Etats-Unis d’Amérique. G.F. Debetz, Institut d’ethnographie, Moscou. J. Djordjevic, Université de Belgrade. Clarence Clyde Ferguson, Howard University, Etats-Unis dArné-

rique. Dharam P. Ghai, University College, Kenya. Louis Guttman, Université hébraïque, Israël. Jean Hiernaux, Université libre de Bruxelles. M”’ A. Kloskowska, Université de Lodz. Kéba M’Baye, premier président de la Cour suprême, Sénégal. John Rex, Université de Durham, Royaume-Uni. Mariano R. Solveira, Université de La Havane. Hisashi Suzuki, Université de Tokyo. M”’ Romila Thapar, Université de Delhi. C.H. Waddingdon, Université bEdimbourg, Royaume-Uni.

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