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Quand l’hypothèse devient vérité. Une approche pragmatique de certains effets rhétoriques du conditionnel Alain Rihs* & Steve Oswald** *Département de l'instruction publique, État de Genève **Université de Fribourg 1. Introduction Le présent article traite des usages rhétoriques du mode conditionnel. Plus précisément, il examine la manière dont le conditionnel, qui est porteur d’une sémantique propre, oriente l’interprétation, et de ce fait peut contribuer, à son échelle, à la démarche argumentative mise en place par le locuteur 1 . Avant tout examen de corpus, et en interrogeant nos intuitions im- médiates à propos du conditionnel (qu’on associe typiquement à l’ex- pression d’un fait hypothétique), nous pouvons concevoir les ressources expressives qu’il offre au locuteur engagé dans une argumentation : modération du message ( il faudrait que, je dirais que vs. il faut que, je dis que ), prudence factuelle ( nous serions en tête des sondages ), antici- pation d’une situation possible, désirable ou indésirable ( si nous agis- sions en ce sens, nous verrions bientôt… ), remise en cause d’un dis- cours préalable ( à en croire certains, les marchés seraient sur le point 1 Nous concevons l’argumentation de manière minimale comme une relation de justification opérant entre au moins deux propositions (une thèse et un argu- ment), telle que la verbalise un locuteur. Cela n’exclut pas que les enjeux rele- vant davantage de questionnements rhétoriques, parmi lesquels la question de l’image du locuteur et du rôle que celle-ci joue dans toute entreprise de persua- sion, occupent une place importante dans notre étude (voir section 3).

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Quand l’hypothèse devient vérité. Une approche pragmatique de certains effets rhétoriques du conditionnel

Alain Rihs* & Steve Oswald** *Département de l'instruction publique, État de Genève **Université de Fribourg

1. Introduction

Le présent article traite des usages rhétoriques du mode conditionnel. Plus précisément, il examine la manière dont le conditionnel, qui est porteur d’une sémantique propre, oriente l’interprétation, et de ce fait peut contribuer, à son échelle, à la démarche argumentative mise en place par le locuteur1.

Avant tout examen de corpus, et en interrogeant nos intuitions im-médiates à propos du conditionnel (qu’on associe typiquement à l’ex-pression d’un fait hypothétique), nous pouvons concevoir les ressources expressives qu’il offre au locuteur engagé dans une argumentation  : modération du message (il faudrait que, je dirais que vs. il faut que, je dis que), prudence factuelle (nous serions en tête des sondages), antici-pation d’une situation possible, désirable ou indésirable (si nous agis-sions en ce sens, nous verrions bientôt…), remise en cause d’un dis-cours préalable (à en croire certains, les marchés seraient sur le point

1 Nous concevons l’argumentation de manière minimale comme une relation de justification opérant entre au moins deux propositions (une thèse et un argu-ment), telle que la verbalise un locuteur. Cela n’exclut pas que les enjeux rele-vant davantage de questionnements rhétoriques, parmi lesquels la question de l’image du locuteur et du rôle que celle-ci joue dans toute entreprise de persua-sion, occupent une place importante dans notre étude (voir section 3).

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d’imploser, mais…). S’il n’y a pas de raison de supposer a priori que les contextes argumentatifs perturbent l’expression de ces valeurs sé-mantiques typiques, nous observons néanmoins que certains discours politiques qui usent du conditionnel offrent l’exemple d’une intention perlocutoire incompatible avec les contraintes interprétatives du mode. Dans ces cas de figure, le sens du conditionnel n’est pas complètement « mis de côté » pour autant : il participe de manière subtile à un projet argumentatif précis, dont on peut identifier la nature à condition que l’on analyse les relations inter-propositionnelles en jeu, autrement dit à condition que l’on tienne compte des contraintes globales de perti-nence qui pèsent sur l’interprétation de l’extrait de discours considé-ré. En somme, nous nous intéressons ici aux usages contextualisés du conditionnel qui exhibent un écart par rapport à sa norme d’encodage. En outre, plutôt que de souscrire à l’idée que ces contextes annuleraient simplement le sens du conditionnel, nous faisons l’hypothèse qu’ils ex-ploitent sa sémantique de base à des fins persuasives, et que cette der-nière reste active sous une forme qu’il s’agira de définir.

Nous diviserons notre exposé en trois parties. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au sens même du conditionnel2 : nous tenterons de réunir les trois emplois canoniques du mode autour d’une valeur sémantique irréductible, c’est-à-dire insensible aux variations contextuelles ; prenant appui sur les travaux d’inspiration pragmatique qui lui sont consacrés (en particulier Dendale (1993, 2001), qui s’inté-resse à la question d’un sens invariant), nous prêterons une attention particulière aux contenus sur lesquels le locuteur s’engage. Dans un deuxième temps, nous proposerons une analyse de trois extraits de dis-cours rédigés au conditionnel ; nous verrons pour chacun l’apport de la sémantique du conditionnel au message intentionné (en anglais meant ou intended), mais nous mettrons aussi en évidence les ajustements de sens que la pression contextuelle impose au mode verbal. Enfin, nous commenterons les résultats de notre analyse relative aux valeurs du

2 Notre étude se limite au mode conditionnel. Pour une étude complète des rela-tions conditionnelles dans la langue, voir en particulier Declerck & Reed (2012) ; pour une étude des effets rhétoriques associés aux structures introduites par si sans le conditionnel, voir Kitis (2004).

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conditionnel, telles qu’elles s’expriment en contexte argumentatif, à l’aune de la notion de « vigilance épistémique » (Sperber et al. 2010).

2. Une sémantique unifiée

Dans ce qui suit, nous formulons une synthèse de travaux portant sur le sens du mode conditionnel. Nous considérons, conformément à la tradition pragmatique gricéenne et post-gricéenne, que l’ensemble des usages d’une expression partagent un noyau de sens (que l’on appelle sa sémantique) ; en revanche, chaque usage manifeste des contraintes spécifiques qui s’expriment en contexte, d’où notre ancrage pragma-tique dans l’étude des effets de sens déclenchés par différents usages du conditionnel. La typologie que nous établissons s’inspire en particulier des travaux rassemblés par Patrick Dendale et Liliane Tasmowski dans leur volume de 2001.

2.1. Usages contrefactuels

Le conditionnel exprime un état de choses dont la réalisation est sou-mise à une condition ; on distingue les cas où cette condition n’est pas réalisable (1) des cas où elle peut se vérifier dans le futur (2) :

(1) Si tu étais Madonna, tu saurais ce que ça fait d’être célèbre.

(2) Si tu travaillais, tu réussirais.

En (1), le contenu désigné par P (la proposition le destinataire est Madonna) est faux – et sa réalisation future est évidemment exclue3. Or, la pertinence de la proposition complète apparaît dès lors qu’on

3 Nous adoptons ici la convention suivant laquelle P désigne l’antécédent et Q le conséquent que la phrase au conditionnel articule.

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attribue la valeur de vérité de cet état de choses, manifestement faux, à la proposition sous-tendant le conditionnel employé en Q : ce que le locuteur entend signifier et transmettre prioritairement en employant la structure si P alors Q, c’est bien que le destinataire n’a aucune idée des sentiments liés à la célébrité. L’intention informative est ainsi centrée sur la fausseté de la proposition à l’indicatif derrière Q, héri-tée de celle de P.

L’exemple (2) illustre pour sa part une relation implicative en vertu de laquelle le caractère réalisable de P se reporte sur celui de Q. Certes, P désigne un état de choses faux, et par conséquent Q aussi, mais, étant donné que P offre la possibilité d’une réalisation future, Q s’interprète du même coup comme un état de choses susceptible d’advenir le cas échéant.

Dans les deux cas de figure, le locuteur s’engage sur le caractère non avéré au présent de l’état de choses désigné par le conditionnel. Toutefois, dans le second, il s’engage en plus sur la possibilité que ce dernier se vérifie dans le futur, à condition que l’événement auquel sa réalisation est soumise se produise ; autrement dit, en (2) l’engagement du locuteur est compatible avec la fausseté présente de Q et avec sa potentialité future4.

2.2. Usages atténuants

Dans son usage atténuant, le conditionnel décrit un état de choses re-levant du probable. Par cet emploi, le locuteur signale qu’il ne s’engage

4 Notons que la condition P n’est pas forcément enchâssée par le subordonnant si : dans la phrase simple suivante, elle apparaît sous une forme nominale :

La présence de vie sur Pluton vérifierait sa théorie. (= s’il y avait de la vie sur Pluton, sa théorie serait vérifiée.) Comme pour (1) et (2), la valeur de Q dépend de celle accordée à la condition :

le SN « la présence de vie sur Pluton » rend Q faux s’il désigne un objet dont on sait qu’il n’existe pas, et il rend Q possible s’il désigne un état de choses dont on n’est pas encore en mesure de dire s’il est avéré ou non (si les scientifiques découvraient qu’il y a de la vie sur Pluton, …).

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pas sur la vérité de l’état de choses dénoté par la proposition au condi-tionnel, mais communique qu’il pense que son actualité est probable :

(3) Le gâteau devrait être cuit à l’heure qu’il est5.

(4) Ce ne serait pas Paul derrière l’arbre ?

Ainsi, le conditionnel fait ici passer la forme propositionnelle associée à Q de l’assertion d’un fait à l’assertion d’une probabilité ; en ce sens, le locuteur communique un engagement sur un Q probable, et non sur un Q qu’il asserte comme vrai, réduisant de ce fait Q à l’état d’hypothèse. Le travail interprétatif du destinataire consiste, en somme, à identifier la valeur épistémique intentionnée par le locuteur au moyen des hypo-thèses d’arrière-plan dont il dispose relativement aux chances d’exis-tence du fait ciblé (la cuisson du gâteau ou la présence de Paul derrière l’arbre). Ces dernières permettent en effet au destinataire de faire des hypothèses sur le statut épistémique du fait dans l’esprit du locuteur : pour ce dernier, la probabilité que le gâteau soit cuit varie selon qu’il prononce (3) dans un contexte où le minutage s’est fait précisément ou non, où la recette a été suivie à la lettre ou approximativement, etc. ; de même, le degré de confiance attribué au locuteur quant au fait que ce soit bien Paul derrière l’arbre n’est pas le même suivant que (4) est pro-noncé dans un contexte où on s’attend ou non à ce que Paul se cache, où le corps de Paul apparaît à peine ou en grande partie, etc. Par ailleurs, dans ces deux exemples, contrairement aux usages contrefactuels, les conditions qui rendent possible l’assertion de Q ne sont pas explicitées, et sont donc laissées à la charge du destinataire, si tant est qu’elles lui soient accessibles. Ainsi, (3) et (4) communiquent prioritairement que la possibilité du locuteur de se prononcer sur l’existence de l’état de choses désigné par le conditionnel dépend de la réalisation d’une ou de

5 Le conditionnel peine à apparaître sans le support d’un verbe modal dans ce type d’emploi : ? Le gâteau serait cuit à l’heure qu’il est. Ceci ne change rien au fait que le conditionnel imprime sa sémantique à la proposition, puisqu’on perçoit bien un effet d’atténuation en passant de Le gâteau doit être cuit à l’heure qu’il est à Le gâteau devrait être cuit à l’heure qu’il est.

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plusieurs conditions (identifiables ou non) dont le locuteur n’est pas en mesure de dire si elles sont satisfaites6. C’est pour cette raison que de tels usages du conditionnel donnent le sentiment qu’ils appellent une vérification7.

Ainsi, si les usages atténuants du conditionnel communiquent une incertitude à propos d’un état de choses, ils signalent en même temps que ce dernier a de bonnes chances d’être vrai. En d’autres termes, l’en-gagement du locuteur porte sur le caractère probable du fait8.

2.3. Usages attributifs

En emploi d’attribution, le conditionnel réfère à des pensées ou des paroles attribuées à une entité de discours différente du locuteur :

(5) Selon ce chercheur, 50% des gens seraient insensibles à cette molécule.

Une interprétation pertinente de (5) suppose ainsi une délégation de prise en charge : le destinataire comprend que ce n’est pas le locuteur qui s’engage sur la vérité de la statistique donnée, mais le chercheur dont la thèse est rapportée. Dans un exemple comme celui-ci, l’identifi-cation de P ne semble pas nécessaire, étant donné que la mention d’une

6 Rossari (2009, 95) traduit cette idée ainsi : le conditionnel fait « allusion à un cadre épistémique que le locuteur ne contrôle pas, et dont dépend la vérité de la proposition ».

7 La proposition suivante produit le même effet  : « Si Marie a l’intention de se rendre à la soirée de Max, ce serait bien la preuve qu’elle ne lui en veut pas ». Formulé par un locuteur qui n’est pas en mesure de se prononcer avec certitude sur l’état des relations entre Marie et Max, l’énoncé comporte néanmoins expli-citement la condition qui rendrait Q vrai. Malgré cette différence par rapport à (3) et (4), cet exemple conserve la possibilité de vérification.

8 Pour Abouda (2001), qui raisonne dans les termes de la théorie de la polyphonie, le locuteur témoigne de sa non-prise en charge. A notre sens, l’idée d’un enga-gement sur une valeur positive quoiqu’affaiblie du fait rend mieux compte de l’intention informative.

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source d’autorité sert de garantie épistémique9. Toutefois, à la différence du présent (selon ce chercheur, 50% des gens sont insensibles à cette molécule), le conditionnel produit un effet de plus forte distanciation du locuteur vis-à-vis du contenu rapporté, celui-ci semblant faire l’objet d’une réserve10.

Le conditionnel dit « journalistique » (cf. Gosselin 2001 et Kron-ning 2002) fonctionne sur le même modèle, quoique la source puisse être éludée :

(6) Trump se serait entretenu avec Poutine au téléphone hier soir.

Ici aussi, le locuteur ne prend pas à sa charge l’information rapportée, mais signale, par l’entremise du conditionnel, qu’une ou plusieurs sources lui accordent une valeur épistémique positive. Une préface locutoire telle que selon nos informateurs ou sous réserve de confirmation explicite-rait adéquatement le statut accordé à (6). Par ailleurs, une éventuelle ad-hésion du locuteur au message transmis ne relève pas de l’engagement explicite, mais d’une implicature tirée à partir du caractère fiable de la source et crédible du message11.

2.4. Valeurs communes

Quel que soit le type d’emploi considéré, il apparaît ainsi que le locuteur ne s’engage jamais sur l’existence avérée de l’état de choses lui-même, puisque celui-ci est soit représenté sous une forme irréelle (comme un état de choses soit faux, soit non encore avéré). L’établissement d’une telle valeur épistémique, située en deçà de la factualité, semble donc

9 Ici le contenu de P pourrait renvoyer à des garanties nous permettant de considé-rer la parole de l’expert en question comme fiable : ce serait le cas, par exemple, s’il a bien fait son travail, si sa méthodologie est robuste, s’il n’est pas biaisé par des conflits d’intérêts, etc.

10 Kronning (2012) analyse une série d’exemples qui montrent que l’attitude épisté-mique du locuteur varie radicalement selon les contextes (du doute à l’adhésion).

11 Nous utilisons le terme « implicature » dans l’esprit de Grice (1989) pour dénoter des contenus implicites relevant du « vouloir-dire » du locuteur.

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une étape irréductible de la procédure interprétative12 associée au conditionnel.

Le sens complet de l’énoncé ne s’arrête toutefois pas à cet unique effet de sens, puisque le locuteur, s’il s’engage effectivement sur l’irréa-lité du fait, le situe par ailleurs sur une échelle épistémique qui s’étend du faux au (très) probable. Or, nous observons que les conditions P exercent une contrainte décisive sur cette évaluation épistémique de Q, notamment lorsqu’elles sont explicitées (c’est le cas dans les usages contrefactuels) : elles permettent au destinataire de trancher en faveur d’une possibilité ou d’une impossibilité d’existence de Q. Quand elles ne sont pas explicitées, la valeur de Q ne dépend pas moins d’elles  : dans les usages atténuants ou attributifs du conditionnel, l’incertitude résulte bien du fait que les interlocuteurs ignorent si les conditions qui rendraient l’assertion de la vérité de Q possible sont remplies ou non. A la différence des usages contrefactuels, toutefois, les énoncés bâtis sur des P implicites rendent parfois la récupération de ces derniers im-possible ; dans ces cas-là, l’interprétation pertinente de la proposition passe (simplement) par la reconnaissance du caractère hypothétique de Q, indépendamment d’une identification du facteur causal qui le ren-drait vrai. Il n’empêche que de tels énoncés, même s’ils reposent sur des prémisses qui ne sont pas récupérables, indiquent clairement que l’état de choses décrit par le conditionnel est, au mieux, de l’ordre du probable ; en effet, en l’état des connaissances du locuteur, l’ensemble des conditions qui conféreraient à Q son statut de fait vrai ne sont pas remplies.

En somme, à l’issue de ce rapide examen des usages du condition-nel, un invariant sémantique se dégage : l’irréalité du fait Q, établie au

12 L’idée de « procédure interprétative », développée dans le cadre de la théorie de la pertinence (cf. Sperber & Wilson 1995) et prolongée notamment par les travaux de Nicolle (1997), Saussure (2003, 2011), Blakemore (2007) ou Escandell-Vidal & Leonetti (2011), renvoie à la nature sémantique même des items grammaticaux, dont l’interprétation suit une routine interprétative invariable, en vertu de laquelle le destinataire sélectionne les éléments contextuels qui permettent d’enrichir la signification de base du marqueur considéré.

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regard de conditions P non remplies. Il s’agit désormais d’examiner de près trois extraits de discours politiques à visée persuasive qui em-ploient le conditionnel, et de prêter attention à ce noyau de sens irré-ductible. L’analyse, qui vise à déterminer les bénéfices rhétoriques que le locuteur tire du recours à ce mode, devra systématiquement dégager i) les contenus exacts sur lesquels le locuteur s’engage, ii) la nature de P (explicite ou implicite, inférable ou non inférable, pertinente ou non pertinente), et iii) le sens de Q (tel qu’on peut l’attribuer au locuteur), comprenant notamment son contenu propositionnel et sa position sur l’échelle épistémique. De la sorte, l’écart éventuel entre le sens encodé du conditionnel (à savoir, sa sémantique de base qui prévoit l’irréalité et un ensemble de spécifications la concernant) et l’emploi que certains locuteurs en font parfois en contexte argumentatif devrait apparaître.

3. Effets rhétoriques

3.1. Usages contrefactuels

Le premier exemple, tiré d’un discours tenu par Nicolas Sarkozy le 1er février 2012 à Paris lors du 19ème Salon des entrepreneurs, convoque des conditionnels impliqués dans des relations contrefactuelles (cf. section 2.1.) :

Alors que la France et l’Europe sont touchées par l’une des crises sans doute les plus graves de ces 60 dernières années, alors que les équilibres du monde ont été si profondément bouleversés, il nous faut faire preuve de courage, de lucidité, et inventer les nouvelles réponses à une crise telle que nous n’en avons jamais connue dans son ampleur et dans ses contours. Il faut prendre des risques. Il faut se remettre en question. Il faut s’adapter. En bref, il faut faire preuve des qualités dont vous faites preuve, vous les créateurs et les entrepreneurs.

Que dirait-on d’un entrepreneur qui reste arc-bouté sur ses certitudes  ? Que dirait-on d’une entreprise qui refuserait l’innovation et le changement ? Que di-rait-on d’un entrepreneur qui dépenserait davantage que ce qu’il ne gagne ? Que dirait-on d’un entrepreneur qui voudrait appliquer les techniques des années 80

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pour faire face au monde de 2012 ? On jugerait qu’il mène son entreprise au déclin et à la ruine13.

Le second paragraphe est construit autour de la répétition de questions rhétoriques au conditionnel et conclu par une assertion au même mode. Dans cette séquence, nous postulons que Sarkozy construit une nette opposition qui lui permettra d’une part de continuer à flatter son audi-toire14 et d’autre part de répercuter, par analogie, cette flatterie sur sa propre image15. Ce qu’il est intéressant de remarquer dans le cadre de cette étude, c’est l’utilisation subtile du conditionnel dans la démarche argumentative du locuteur  : s’il est attendu dans les propositions en-châssantes, il l’est moins dans les propositions enchâssées.

Dans les propositions enchâssantes, les verbes, à savoir « dirait » ou « jugerait », respectivement un verbe de parole et un verbe de juge-ment, dénotent l’irréalité d’une situation : celle où le référent du « on » se poserait la question de savoir quelle position il adopterait le cas échéant16. Ces verbes réfèrent ainsi à une action réalisée par le référent du « on » et non à l’état de choses mondain dénoté par le contenu en-châssé, ce qui est compatible avec la formulation interrogative.

13 Le discours complet est disponible sur <http://discours.vie-publique.fr/notices/ 127000266.html>, consulté le 09.10.2017.

14 Immédiatement avant ces propositions au conditionnel, Sarkozy décrit son au-ditoire en des termes laudatifs : alors que les défis du monde contemporain sont redoutables et inédits, les entrepreneurs disposent des qualités nécessaires pour les relever (créativité, combativité, adaptabilité, etc.). La stratégie sous-jacente est connue : il s’agit d’identifier une communauté d’individus dotés de grandes qualités (un nous) et de lui opposer un groupe dont il est dit que les individus sont dépourvus de ces mêmes qualités (un eux). Nous renvoyons le lecteur aux travaux de van Leeuwen (2009) sur la représentation des acteurs sociaux.

15 Nous remercions une des expertises anonymes de nous avoir aiguillés sur le caractère potentiellement analogique de l’exemple  : en période pré-électorale, il est effectivement attendu d’un potentiel futur candidat qu’il veille à soigner son ethos, ce qui, dans l’exemple, pourrait résulter d’une mise en parallèle entre entrepreneurs et politiques.

16 Cette position, par ailleurs, est évidente du fait de l’emploi de questions rhéto-riques, et renvoie manifestement à un jugement d’incompétence formulé à l’en-droit de tels entrepreneurs.

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En revanche, s’agissant des propositions enchâssées, l’emploi du conditionnel pour les introduire peut surprendre du fait de leur rôle argumentatif, car pour que l’effet rhétorique issu de l’opposition entre ‘bons’ et ‘mauvais’ entrepreneurs se produise, il est nécessaire que les entités comparées soient légitimement considérées – or le conditionnel n’offre en principe pas un tel degré d’actualité. Du point de vue in-terprétatif, effectivement, si le mauvais exemple est censé souligner la valeur du bon exemple, Sarkozy et son auditoire se doivent de lui prêter un minimum de sérieux, et donc de réalité, sans quoi l’opposition est dépourvue de pertinence. Or il nous apparaît que cette exigence inter-prétative est satisfaite, puisque les états de choses auxquels les ques-tions rhétoriques renvoient existent bel et bien : les entrepreneurs qui dépensent davantage qu’ils ne gagnent sont ceux qui sont (ou qui, de fait, étaient) à la tête d’entreprises en faillite  ; par ailleurs, les entre-preneurs arc-boutés sur leurs certitudes qui refusent l’innovation et le changement et qui s’accrochent à un savoir-faire suranné sont justement ceux qui, par exemple, ont raté le tournant du numérique, et dont les entreprises disparaissent. Du reste, l’introduction (« reste arc-bouté ») et la conclusion (« mène son entreprise au déclin ») de ce deuxième pa-ragraphe par le présent de l’indicatif lui impriment une lecture globale actualisante compatible avec l’observation précédente.

Dans ces conditions, il reste à élucider les raisons pour lesquelles le conditionnel apparaît, alors même que l’enchâssée d’introduction est à l’indicatif. Ce passage d’un mode à l’autre reste en effet surpre-nant, en dépit de l’orientation argumentative de l’exemple, que nous venons de détailler. Une manière d’expliquer une telle transition serait de considérer que Sarkozy amorce, à un autre niveau, un mouvement d’une modalité épistémique (‘ces choses existent’) vers une modalité déontique (‘ces choses ne devraient pas exister’) : tout en bénéficiant de l’ancrage référentiel validé par le présent de l’indicatif dans la première enchâssée, Sarkozy ajoute dans un deuxième temps une composante déontique identifiant des profils d’entrepreneurs qui ne sont pas sou-haitables et qui, ipso facto, renforcent l’alternative, dans la lignée de la flatterie préalable. Si une telle stratégie est du reste possible, c’est aussi probablement parce que dans l’établissement de l’existence d’un état de

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choses nous tenons compte à la fois de nos connaissances d’arrière-plan (des entreprises font effectivement faillite pour un certain nombre de raisons) et des contraintes interprétatives liées à l’emploi de formes lan-gagières spécifiques (ici les modes verbaux).

L’emploi différencié du conditionnel dans cette structure joue donc sur deux niveaux qui nous semblent participer de la stratégie argumen-tative de Sarkozy. Du point de vue épistémique, notre connaissance du monde nous semble assez forte pour disqualifier momentanément le caractère irréel du contenu des enchâssées dans notre interprétation de la séquence : cela permet au locuteur d’établir l’existence de ces ‘mau-vais’ entrepreneurs pour légitimer la comparaison et ainsi développer la flatterie amorcée au paragraphe précédent. Cela étant, il reste à donner une pertinence au maintien du conditionnel  : nous postulons que s’il ne remplit manifestement pas sa visée irrealis quant à l’existence des états de choses dénotés, il lui reste néanmoins une visée déontique ex-primant la non-désirabilité. Cette hypothèse se fonde sur l’idée que le caractère indésirable d’un état de choses est assimilable à une irréalité souhaitable/souhaitée. Le conditionnel, en ce sens, trouve sa pertinence dans l’expression d’un souhait.

3.2. Usages atténuants

Le deuxième exemple, de type atténuant (cf. section 2.2.), est tiré d’un discours de Benoît Hamon lors d’un meeting à Bercy, le 19 mars 2017, alors qu’il était en campagne pour l’élection présidentielle :

Je veux d’abord le dire solennellement : le parti de l’argent a trop de candidats dans cette élection. Il a plusieurs noms, il a plusieurs visages, il a même plusieurs partis désormais. L’argent a mis son emprise sur cette élection. (…)

Il existe dans cette campagne une certaine vision de la France qui n’est pas la mienne. Un pays considéré comme une entreprise. Un gouvernement vu comme un conseil d’administration du CAC 40. Un pays réduit à une part de marché flottant désincarné au gré des agences de notation et des injonctions des places financières.

Un pays où l’argent serait roi. La seule raison d’être.

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Un pays où les alternances démocratiques deviendraient sans objet puisque gauche et droite travailleraient en apparence ensemble pour l’entreprise « France », et en réalité au service des gagnants, de celles et ceux qui, quels que soient les aléas de la vie, se maintiennent au pouvoir17.

Les premières propositions de l’extrait construisent un contexte déli-bérément factuel. L’indicatif présent et le passé composé (« le parti de l’argent a… », «  l’argent a mis… ») donnent une tonalité assertive à cette entrée en matière sur le thème de l’argent, à propos duquel Hamon affirme son exigence de vérité (« je veux le dire solennellement »). Il poursuit en posant «  l’existence » d’une dichotomie entre une « cer-taine vision de la France », tournée vers le profit financier, et sa propre vision ; Hamon s’emploie à instancier les différentes propriétés de ce modèle politique qu’il rejette, dressant par touches successives le por-trait d’un pays structuré autour de la seule valeur pécuniaire. Cette « vision » de la France est décrite au moyen de syntagmes nominaux au sein desquels des participes passés renvoyant à des opérations de pen-sée (« considéré comme », « vu comme ») contribuent à définir le projet outrageusement libéral de ses adversaires. Ainsi, la première moitié de l’extrait se caractérise par un engagement épistémique du locuteur portant d’abord sur un état de fait (la surreprésentation des « partis de l’argent  » dans la campagne) puis sur un contenu idéologique (cette « vision » d’un état ultralibéral).

Par ailleurs, les termes péjoratifs utilisés par Hamon pour décrire la vision adverse (le pays est « réduit à un marché flottant et désincar-né », il obéit aux « injonctions des places financières ») traduisent son fort rejet ; en d’autres termes, son engagement antilibéral se dévoile en même temps que sa présentation du modèle adversaire. Le contenu de la vision, tel qu’il est posé par Hamon, est donc pleinement assumé (et non délégué à une autre entité de discours). L’usage du conditionnel, qui se substitue tout à coup à l’indicatif dans la formule métaphorique du troi-sième paragraphe (« un pays où l’argent serait roi »), mérite donc d’être

17 Le discours complet est disponible sur <http://reveil-fm.com/index.php/reveil- fm.com2017/03/19/6087-bercy-le-discours-de-benoit-hamon-le-parti-de-largent-a-trop-de-candidats>, consulté le 09.10.2017.

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commenté  ; en effet, on peut se demander, alors même que la ligne argumentative – initiée dès le départ en direction d’une dénonciation – progresse, quelle condition P, atténuant la force du propos, pourrait se rendre disponible et favoriser le conditionnel.

Envisageons la piste d’une lecture atténuante du conditionnel18  : nous l’avons vu, lorsque le conditionnel est compris de cette manière, le locuteur indique qu’il n’est pas pleinement en mesure de dire si la description qu’il donne est vraie. En vertu de cette interprétation, la formule « un pays où l’argent serait roi » aurait certes les allures d’une synthèse des contenus qui précèdent, mais elle communiquerait égale-ment une légère réserve ; elle serait le signe d’une certaine prudence. S’il est difficile de percevoir un gain rhétorique réel à un tel retrait, plutôt inopiné dans un contexte si offensif, il est en revanche possible de faire l’hypothèse que l’effet atténuant porte non pas sur un état de choses actuel (le projet ultralibéral), mais sur un état de choses futur (l’application de ce projet). Ainsi, ce qu’Hamon n’est pas en mesure de dire, c’est si la « vision » va s’incarner dans une politique gouvernemen-tale ; autrement dit, ce qui justifie la non-assertion, c’est l’ignorance du résultat de l’élection (assimilable à une condition d’assertion de P).

Cette lecture se voit par ailleurs prolongée par la dernière proposi-tion de l’extrait : le conditionnel « deviendraient » introduit un contexte de référence futur, à propos duquel Hamon communique qu’il n’est pas fermé (il dit bien « travailleraient » et non « travailleront »), mais qu’il verrait, si le « parti de l’argent » s’imposait, le modèle entrepreneurial, favorisé par une classe politique dénuée de convictions, s’implanter du-rablement.

En résumé, l’usage qui est fait du conditionnel dans cet extrait de discours n’est pas conforme à son encodage linguistique strict  :

18 La lecture attributive du conditionnel ne nous semble pas être en vigueur dans cet exemple : si Hamon ne souscrit pas au projet libéral, il ne prend en revanche aucune distance vis-à-vis de la description qu’il en donne. Son intention est bien de dire que c’est sous la forme radicale et inquiétante qu’il signale que ses adver-saires se représentent la France. Le conditionnel attributif est de facto disquali-fié puisqu’il suppose un désengagement épistémique vis-à-vis d’une description rapportée.

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la perspective argumentative, considérée dans son ensemble, prend indéniablement la forme d’une critique d’une classe politique ani-mée (selon Hamon) par des préoccupations financières ; l’engagement épistémique concernant le projet conçu par ses adversaires est donc entier19  ; en ce sens, le conditionnel n’est pas le mode qu’on attend, puisqu’un mouvement épistémique allant dans le sens d’une atténua-tion de la critique nuirait à la stratégie rhétorique globale de dénoncia-tion. Cette tension (résultant d’une incompatibilité immédiate entre des hypothèses contextuelles et un encodage linguistique) se résout toutefois, selon nous, dans une lecture projective des conditionnels : la condition implicite P équivaut à l’accession au pouvoir du « parti de l’argent » et la situation Q à sa conséquence indésirable.

Enfin, il nous apparaît que le conditionnel bénéficie, si on le consi-dère dans cette perspective, d’un avantage sur les structures concur-rentes à l’indicatif (« un pays où l’argent est roi » ou encore « un pays où les alternances démocratiques deviendront sans objet  ») puisqu’il maintient un degré d’incertitude plus fort. Ainsi, si l’argent s’est im-posé comme la valeur cardinale d’une classe politique nombreuse et puissante, qui s’emploie déjà à la faire triompher, alors il n’y a rien à espérer d’une candidature alternative, comme celle que souhaite incar-ner Hamon ; en revanche, si, comme tend à le souligner le conditionnel, le sort de la France n’est pas fixé, si un sursaut antilibéral a des chances d’aboutir, alors la candidature d’Hamon n’est pas vaine.

3.3. Usages attributifs

Notre troisième exemple, illustratif des usages attributifs (cf. section 2.3.), est emprunté à un discours de Najat Vallaud-Belkacem, adressé à des présidents d’université le 7 décembre 2016, alors qu’elle était Mi-nistre de l’Education nationale :

19 La marque de son engagement est notamment visible dans son recours à un lexique axiologique et dans sa capacité à voir clair dans le jeu de la droite (« en apparence », « en réalité »).

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On a beaucoup parlé des « territoires perdus » de la République, de ces établisse-ments où pouvait être contesté l’enseignement de l’histoire de la Shoah, où le ra-cisme et l’antisémitisme seraient devenus la règle. Evidemment, cette vision par trop manichéenne ne saurait correspondre entièrement à la réalité. Pour autant, comment ne pas percevoir le délitement du lien social dans notre pays, l’appro-fondissement des fractures entre nos territoires, et la montée d’un discours de repli identitaire, d’intolérance, de haine dans le pays20 ?

La première proposition convoque un conditionnel ‘d’emprunt’ (« le ra-cisme et l’antisémitisme seraient devenus la règle »), qu’il est difficile de rattacher à une condition de validité claire ; le contexte, en tout cas, ne la rend pas saillante. D’autre part, l’absence de tout marquage évidentiel précis empêche l’identification exacte de la source du message rappor-té. Au mieux, le pronom indéfini « on », aidé de l’adverbe « beaucoup », suggère une attribution large, de sorte que l’idée représentée apparaît comme une croyance plutôt répandue dans les médias. Ainsi, à s’en tenir à la première proposition de l’extrait, l’engagement épistémique de Vallaud-Belkacem est le suivant : pour certains, le racisme et l’anti-sémitisme sont devenus la règle dans plusieurs établissements scolaires de la République.

La deuxième proposition vient renforcer cette impression : Vallaud- Belkacem marque explicitement son désengagement vis-à-vis de cette «  vision manichéenne  » de la réalité, à laquelle l’adverbe «  évidem-ment » ajoute du discrédit (en véhiculant l’idée que sa nature caricaturale saute aux yeux). De surcroît, la construction ne savoir + conditionnel est sémantiquement équivalente à la construction ne pas pouvoir (voir Muller 1991, 234). Néanmoins, la présence de l’adverbe « entièrement » ménage un espace intermédiaire entre l’adhésion et le rejet complets. En d’autres termes, la deuxième proposition permet la préservation d’un ensemble de contenus associables à Q, et c’est bien là tout l’intérêt d’avoir utilisé le conditionnel.

La question rhétorique qui conclut cet extrait décrit alors un en-semble de faits présentés comme incontestables : « délitement du lien

20 Le discours complet est disponible sur <http://www.najat-vallaud-belkacem.com /2016/12/07/premiere-journee-des-referents-racisme-et-antisemitisme-de-lensei-gnement-superieur/>, consulté le 09.10.2017.

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social », « approfondissement des fractures », « montée d’un discours de repli identitaire, d’intolérance, de haine ». Or, nous observons que les situations validées ici partagent avec les situations rejetées de tout à l’heure un même ensemble de conséquences pratiques. Autrement dit, entre les implications lexicales déclenchées par les unes et les autres, il y a un chevauchement important : le racisme et l’antisémitisme sont des manifestations visibles du délitement social, des marques d’une frac-ture profonde, et surtout des formes typiques d’intolérance et de haine.

Ainsi décrit, le mouvement discursif semble déboucher sur une étrangeté : se distançant d’abord d’une description impropre selon elle à traduire la réalité du pays, Vallaud-Belkacem en réinstaure pourtant indirectement la pertinence par le biais d’une description alternative aux implications similaires. Les intentions discursives imputables à ce double mouvement apparaissent toutefois dès lors que l’on interroge les potentialités expressives du conditionnel : si ce que tente de mettre en place la locutrice est bien une distinction terminologique – au bé-néfice de laquelle elle apparaît notamment plus rigoureuse, nuancée et maîtresse de la situation que ses adversaires –, le conditionnel est alors tout trouvé pour maintenir l’ambiguïté nécessaire à ce déplace-ment sémantique, puisqu’il inscrit l’état de choses dénoté dans les li-mites manœuvrables de la virtualité. Mais in fine, si l’on regarde de près les contenus engagés dans ce mécanisme de distanciation puis d’engagement, c’est bien à une évaluation épistémique convergente que l’on assiste : le délitement social existe bel et bien, mais, en revanche, l’expliquer par une vision manichéenne de la société est une erreur. L’emploi du conditionnel permet ainsi à Vallaud-Belkacem d’introduire une problématique renvoyant à des états de choses réels mais indési-rables, tout en rejetant leur caractère inéluctable (exprimé par « seraient la règle ») pour aménager l’espace discursif nécessaire à l’expression de ses propositions (en l’occurrence une action concertée entre la re-cherche, l’enseignement supérieur et l’éducation nationale, destinée à encourager l’exercice de la pensée critique).

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4. Discussion

Dans les exemples que nous venons de considérer, le conditionnel se retrouve en porte-à-faux avec des contraintes interprétatives qui s’avèrent difficilement réconciliables avec son encodage sémantique. En effet, alors que l’on s’attendrait à ce qu’il fasse valoir le caractère ir-réel (c’est-à-dire dépourvu d’existence attestée) des faits qu’il rapporte, il est réinterprété sous la pression d’une recherche de pertinence opti-male : le contexte antérieur (exemples 1 et 2) ou postérieur (exemple 3) conduit le destinataire à un réajustement de la valeur du conditionnel, déplacée sur l’échelle épistémique de l’irréalité vers la factualité. En d’autres termes, alors que la dérivation du sens encodé, qui répond aux exigences interprétatives de la procédure associée au mode, mène à la suspension de la valeur de vérité du fait, le schéma rhétorique général mis en place par le locuteur débouche dans nos exemples préférentiel-lement sur un ancrage factuel.

La notion de vigilance épistémique, développée par Sperber et ses collègues (2010 et 2014), apporte un moyen d’explication supplémen-taire du phénomène interprétatif en jeu ici. La vigilance épistémique définit un ensemble de mécanismes cognitifs sollicités lorsqu’un desti-nataire traite un message ; cette vigilance se décline dans un monitoring de la crédibilité et de la fiabilité de la source du message ainsi que dans une évaluation de la validité et de la pertinence du contenu du message. Ainsi, les ressources cognitives du destinataire vigilant sont allouées en parallèle à la dérivation du sens intentionné et au jugement éviden-tiel. Or, dans les cas que nous considérons, la vigilance épistémique tend à être trompée, puisque l’interprétation pertinente du message de-mande que le destinataire fasse fi d’une contrainte grammaticale (vé-hiculée par le conditionnel) pour satisfaire une exigence de pertinence plus globale (imposée par la visée argumentative du message). Notre vigilance épistémique devrait nous alerter de ce hiatus entre le sens du conditionnel et l’usage qui en est fait, et nous laisser circonspects quant à la nature exacte de l’engagement du locuteur. Néanmoins, le conditionnel semble faible ici, et sa sémantique contournable dès lors

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qu’elle compromet une compréhension du discours à plus large échelle et coûteuse en efforts cognitifs ; on l’a vu dans nos trois exemples : la reconstruction de l’argument du locuteur nécessite à la fois la dériva-tion de contenus explicites et la récupération de contenus implicites, au point que l’on peut supposer que l’effet cognitif compensatoire est suffisamment puissant pour que le destinataire maintienne à distance un contenu procédural particulier.

Si le conditionnel est voué à être contourné, la question de son rôle se pose alors. Sur ce point, l’intérêt qu’il revêt pour le locuteur se mani-feste sans doute notamment dans la gestion de son ethos et doit être dis-tingué de l’effet de flou référentiel qu’il produit chez le destinataire. Une piste serait donc à explorer du côté de la pragmatique interactionnelle. En effet, quel que soit le type de lecture auquel il invite (contrefactuelle, atténuante ou attributive), le conditionnel implique le non-engagement du locuteur ; il lui offre ainsi les avantages combinés de l’approxima-tion et de la rétractabilité. Comme il est conçu sous une forme irréelle, l’état de choses n’est jamais donné pour vrai (même si, comme nous l’avons vu, nous pouvons parfois faire l’hypothèse qu’il l’est), si bien que le locuteur se trouve dans la position confortable de celui qui n’a pas à assumer les conséquences de la prise en charge épistémique – car dans le cas contraire, c’est-à-dire si le fait était tenu pour vrai, alors ses conditions d’existence devraient être également tenues pour vraies, de même que ses implications pratiques.

Finalement, à la lumière de cette analyse (qui s’efforce de rendre compte d’une complexité interprétative due à des contraintes diver-gentes), nous sommes tentés de rapprocher les emplois rhétoriques du conditionnel des mécanismes de prétérition21. Lorsque le locuteur se livre à une prétérition, il subordonne typiquement son message à une préface locutoire niée : je ne te dirai pas à quel point tu m’as déçu ; je n’insisterai pas sur le caractère particulièrement humiliant de notre dé-faite. L’instabilité interprétative imputable à la prétérition est causée par un conflit qui oppose, ici aussi, des contraintes d’ordres différents : alors que le verbe de parole nécessite un complément (contrainte syntaxique),

21 Voir Snoeck Henkemans (2009) pour une approche argumentative de la prété-rition.

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celui-ci ne devrait pas être mentionné (contrainte pragmatique, conforme aux attentes générées par la négation). Comme dans les exemples avec conditionnel, dans lesquels la contrainte sémantique d’irréalité s’affaiblit au profit d’une pertinence d’ordre rhétorique et/ou argumentatif, on ob-serve avec la prétérition le nécessaire affaiblissement d’une contrainte, en l’occurrence celle que véhicule la négation, destinée à préserver, coûte que coûte, la pertinence d’un message aux allures de réquisitoire. Cepen-dant, à l’image du conditionnel « argumentatif », la négation survit en quelque sorte à son contournement, et sa sémantique continue d’opérer. En effet, la négation génère une série d’implicatures possibles, inacces-sibles sans elle, typiquement : « l’information a des allures d’évidence », « l’information est désagréable à entendre », « il est du devoir du locuteur de la communiquer », etc.

5. Conclusion

Partant d’un examen des usages du conditionnel, nous avons été conduits à postuler l’existence d’une valeur sémantique de base, ins-crite dans sa procédure interprétative (au sens de Saussure 2003 et Rihs 2013)  : l’irréalité de l’état de choses dénoté. Ainsi, lorsqu’il utilise le conditionnel, le locuteur indique qu’il ne s’engage pas sur sa vérité, n’étant pas en mesure d’asserter si ses conditions d’existence sont toutes remplies. Dans un deuxième temps, nous avons cherché à montrer que le discours politique présentait parfois des occurrences du conditionnel qui contournaient cette valeur de base à des fins persuasives. Dans les trois exemples analysés, la recherche de pertinence, qui guide le pro-cessus interprétatif du destinataire, passe en effet par une actualisation de la valeur de vérité du fait au conditionnel, faute de quoi la structure ou la portée complète de l’argument est insaisissable : dans le discours de Sarkozy, l’opposition mise en place entre bons et mauvais entrepre-neurs ne se comprend que si l’on attribue une valeur d’existence aux deux groupes ; dans le discours d’Hamon, la critique n’est accessible

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que si elle porte sur une représentation unifiée du modèle financier, c’est-à-dire tenue pour vraie sous toutes ses propriétés instanciées  ; dans le discours de Vallaud-Belkacem, la dénonciation des paroles de haine n’est valide que si elle est rapportée, aussi, aux paroles racistes et antisémites.

Notre propos ne consistait pas uniquement à mettre en lumière les contraintes de pertinence favorisant l’évitement du conditionnel  ; sa présence, plutôt que celle de l’indicatif, s’explique. Notre hypothèse est que le conditionnel, contextuellement affaibli en termes d’effets de sens interprétatif, offre néanmoins un avantage modal compatible avec une visée argumentative ou rhétorique qui serait ainsi en mesure de prendre le pas sur des contraintes sémantiques. En l’état, la stratégie a bien à voir avec le trait d’irréalité associé à la sémantique du conditionnel, puisqu’elle permet au locuteur d’opérer un mouvement de retrait, ex-ploitable pour négocier à la fois l’ethos du locuteur et la préservation des faces dans l’échange. Notre analyse a par conséquent l’heur de montrer que de telles stratégies exhibent une interaction manifeste entre effets de sens et pertinence argumentative au sein d’un même discours.

De manière plus générale, notre étude de quelques emplois du conditionnel, menée dans la perspective d’une explicitation des méca-nismes d’attribution d’engagements épistémiques, révèle l’importance des apports conjoints des analyses sémantique, pragmatique et rhéto-rique du langage. Leur articulation permet en effet de dégager la nature précise des contraintes interprétatives que la structure argumentative fait peser sur le décodage du sens d’un item grammatical donné, et de saisir, le cas échéant, les plans distincts sur lesquels ce dernier est court-circuité ou au contraire utilisé à des fins perlocutoires.

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