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1 TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTPELLIER QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE POUR : Monsieur Mohamed KHATTABI Assisté par maître Arié ALIMI Avocat au barreau de PARIS

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TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MONTPELLIER

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

POUR : Monsieur Mohamed KHATTABI

Assisté par maître Arié ALIMI

Avocat au barreau de PARIS

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FAITS

1. - Mohamed KHATTABI, âgé de 55 ans, a exercé des responsabilités dans la mosquée Assalam (Tourcoing) pendant 6 ans, puis à la mosquée Avérroès (Montpellier) pendant 10 ans et dans le quartier de Valdegour à Nîmes avant de rejoindre la grande mosquée de La Paillade en 2004. Il y exercera son imamat jusqu’en 2004. Il exerce aujourd’hui à la Mosquée Aïcha, 48-32 rue de la Jeune Parque à Montpellier. Monsieur KHATTABI n’a jamais eu de complaisance tant à l’égard des groupes terroristes que de leur idéologie. Il a toujours publiquement condamné les attentats commis sur le territoire Français. C’est une autorité religieuse reconnue pour ses discours de paix, y compris dans ses prêches, prônant le dialogue inter-religieux et l’insertion des musulmans dans la vie publique. Une trentaine d’attestations montrent que son comportement est diamétralement opposé à celui qui lui est reproché dans l’arrêté.

Pièce n° 1 : Articles de presse Pièce n° 2 : Attestations

Il a pour cela entretenu un dialogue avec le Rabbin KASSABI (Rabbin de Montpellier), ou encore Monseigneur DUFOIS, Evêque à Vauvert. Par ailleurs il a été, maintes fois, en contact avec de nombreuses autorités publiques. Il a notamment reçu la visite du maire de Montpellier, Monsieur Philippe SAUREL ; le Directeur de cabinet du Préfet, Frédéric LOISEAU ; le Maire de Fès, Monsieur Hamid CHABAT ou encore George FRECHE, ancien maire de Montpellier. C’est manifestement un homme de paix et de tolérance.

Pièce n° 3 : Poésie de Monsieur Mohamed KHATTABI

Ses déclarations à la presse décrivent toujours l’Islam comme une religion d’ouverture diamétralement opposée à la violence et au terrorisme. Le 22 novembre 2015, Monsieur le Ministre de l’intérieur prenait un arrêté à son encontre comportant de nombreuses atteintes à sa liberté fondamentale d’aller et venir comportant les mesures suivantes :

- Assignation à résider sur le territoire de la commune de Saint-Georges d’Orques (34) ;

- Obligation de se présenter, trois fois par jour, à 8 heures, 12 heures et à 19 heures, à la brigade territoriale de gendarmerie de Saint-Georges d’Orques (34), située 5 avenue d’Occitanie à Saint-Georges d’Orques. Cette obligation étant applicable tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés ;

- Obligation de demeurer tous les jours de 20 heures à 6 heures dans les locaux où il réside 10, rue des cades à Saint-Georges d’Orques (34) ;

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- Interdiction de se déplacer en dehors de son lieu d’assignation à résidence sans avoir obtenu préalablement l’autorisation écrite (sauf-conduit) établie par le préfet de l’Hérault.

Pièce n° 4 : Arrêté du 22 novembre 2015

Par la présente requête, Monsieur Mohamed KHATTABI entend contester la constitutionnalité de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence modifié par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

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DISPOSITION LEGISLATIVE FAISANT L’OBJET DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence modifié par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.

« Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute

personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe

des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre

publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. Le ministre de l'intérieur

peut la faire conduire sur le lieu de l'assignation à résidence par les services de police ou les unités de

gendarmerie.

La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer

dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans

la limite de douze heures par vingt-quatre heures.

L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou

à proximité immédiate d'une agglomération.

En aucun cas, l'assignation à résidence ne pourra avoir pour effet la création de camps où seraient

détenues les personnes mentionnées au premier alinéa.

L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes

astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille.

Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence :

1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie,

selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette

obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés ;

2° La remise à ces services de son passeport ou de tout document justificatif de son identité. Il lui est

délivré en échange un récépissé, valant justification de son identité en application de l'article 1er de la

loi n° 2012-410 du 27 mars 2012 relative à la protection de l'identité, sur lequel sont mentionnées la

date de retenue et les modalités de restitution du document retenu.

La personne astreinte à résider dans le lieu qui lui est fixé en application du premier alinéa du présent

article peut se voir interdire par le ministre de l'intérieur de se trouver en relation, directement ou

indirectement, avec certaines personnes, nommément désignées, dont il existe des raisons sérieuses de

penser que leur comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. Cette

interdiction est levée dès qu'elle n'est plus nécessaire.

Lorsque la personne assignée à résidence a été condamnée à une peine privative de liberté pour un

crime qualifié d'acte de terrorisme ou pour un délit recevant la même qualification puni de dix ans

d'emprisonnement et a fini l'exécution de sa peine depuis moins de huit ans, le ministre de l'intérieur

peut également ordonner qu'elle soit placée sous surveillance électronique mobile. Ce placement est

prononcé après accord de la personne concernée, recueilli par écrit. La personne concernée est

astreinte, pendant toute la durée du placement, au port d'un dispositif technique permettant à tout

moment de déterminer à distance sa localisation sur l'ensemble du territoire national. Elle ne peut être

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astreinte ni à l'obligation de se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie, ni à

l'obligation de demeurer dans le lieu d'habitation mentionné au deuxième alinéa. Le ministre de

l'intérieur peut à tout moment mettre fin au placement sous surveillance électronique mobile,

notamment en cas de manquement de la personne placée aux prescriptions liées à son assignation à

résidence ou à son placement ou en cas de dysfonctionnement technique du dispositif de localisation à

distance. »

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DISCUSSION A titre liminaire

L’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose :

« Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

Le Tribunal administratif, avant de se prononcer, sur le fond, sur le référé-liberté, a l’obligation de se prononcer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil d’Etat a décidé que dans le cadre d’une saisine du juge des référés de première instance que : « il appartient au juge des référés de première instance d'apprécier si les conditions de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat sont remplies et au juge des référés du Conseil d'Etat, lorsqu'il est lui-même saisi d'une telle question, de se prononcer sur un renvoi de la question au Conseil constitutionnel » (CE, Juge des référés, 16 juin 2010, n° 340250).

Dès lors, il est demandé au Président du Tribunal administratif de MONTPELLIER de se prononcer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat, parallèlement aux conditions du recours en référé-liberté.

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L’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution prévoit que la juridiction saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité statue « sans délai par une décision motivée » sur sa transmission au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

« 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. »

Le présent mémoire démontre que les trois conditions précitées sont remplies et justifient de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat.

I - Sur l’applicabilité de la loi au litige Monsieur Mohamed KHATTABI a été assigné en résidence sur le fondement de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence modifiée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015. La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence modifiée par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 est donc applicable au litige. La question prioritaire de constitutionnalité posée est d’une application directe à la procédure dont le tribunal administratif de MONTPELLIER est saisi et impose pour ce motif qu’elle soit transmise sans délai au Conseil d’Etat afin que le Conseil constitutionnel en soit saisi.

II – Sur l’absence de déclaration préalable de conformité La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 a été promulguée par l’Assemblée nationale et par le Sénat le 20 novembre 2015 sans que le Conseil constitutionnel ait été saisi. Le Conseil constitutionnel ne s’est alors pas encore prononcé sur la conformité de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015. C’est également le cas pour la loi n° 55-385 du 3 avril 1955. III – Sur le fait que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux Lors de son intervention devant le Sénat, le 20 novembre 2015, le Premier ministre, Monsieur Manuel VALLS, s’était adressé aux sénateurs en ces termes : « J’en viens aux propositions et aux analyses qui ont été faites au sujet d’une réforme constitutionnelle. A ce stade, monsieur le président de la commission des lois, je suis extrêmement dubitatif quant à la saisine du Conseil constitutionnel. Je souhaite que les dispositifs que vous allez adopter soient mis en œuvre rapidement. Or il est toujours risqué de saisir le Conseil constitutionnel. […] Si le Conseil déclarait qu’un certain nombre de points et de garanties prévues dans la loi révisée sont inconstitutionnels, les 786 perquisitions déjà faites et les 150 assignations à résidence prononcées pourraient être annulées. Certaines mesures, y compris parmi celles qui ont été votées hier à l’Assemblée nationale, et, disant cela, je pense en particulier au recours au

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bracelet électronique – je suis transparent -, présentent une fragilité constitutionnelle. Je n’ignore pas qu’elles pourraient faire l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité ; néanmoins je souhaite que nous allions vite, afin, conformément également à votre volonté, de donner aux forces de l’ordre, aux forces de sécurité et à la justice tous les moyens de poursuivre ceux qui présentent un danger pour la nation, pour la République et pour les Français. »

Pièce n° 5 : Déclaration de Monsieur Manuel VALLS Cette déclaration démontre, en elle-même, le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité. 3.1 - quant au caractère disproportionné de la violation des libertés et droits garantis par la Constitution a - la liberté d’aller et venir La liberté d’aller et venir est consacrée par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen au travers des articles 2 « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. » et 4 « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. ». Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 12 juillet 1979 sur la loi relative à certains ouvrages reliant les voies nationales ou départementales, consacre la liberté d’aller et venir comme un principe à valeur constitutionnelle. La Cour de cassation, quant à elle, considère la liberté d’aller et venir comme une liberté fondamentale : « Mais attendu que la liberté fondamentale d'aller et de venir n'est pas limitée au territoire national, mais comporte également le droit de le quitter » (Civ. 1ère, 28 novembre 1984, 83-14.046). Enfin, le Conseil d’Etat a lui-même consacré la valeur fondamentale de ce droit : « Considérant que la liberté fondamentale d'aller et venir n'est pas limitée au territoire national mais comporte également le droit de le quitter » (Conseil d’Etat, Assemblée, 8 avril 1987, n° 55895). De plus, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de réaffirmer ce principe dans une décision rendue dans le cadre de l’article L521-2 du code de justice administrative (CE, sect., 18 janv. 2001, n° 229247). La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 modifie l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 autorisant le premier ministre à prononcer l’assignation à résidence de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. Cette mesure constitue une privation grave de la liberté d’aller et venir. Sous le régime de la loi d’état d’urgence modifié, une personne peut être assignée à résidence sur le simple motif qu’il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public, et ce en l’absence même de la commission d’une infraction. Ainsi, l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié permet, à titre préventif, de restreindre la liberté d’aller et venir d’un individu alors qu’aucune infraction n’a été commise et que seuls des raisons sérieuses existent, laissant croire que son comportement pourrait constituer une menace à la sécurité ou l’ordre public. Cette atteinte à la liberté d’aller et venir est disproportionnée par rapport au but poursuivi par la loi du 20 novembre 2015. En effet, si cette loi permet effectivement de préserver la sécurité et le maintien de

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l’ordre public, il ne s’agit pas du seul moyen permettant d’y accéder, et d’autres moyens moins préjudiciable pour la personne concernée et permettant d’aboutir au même résultat existent. Le cumul des mesures envisagées par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 constitue un régime disproportionné à l’objectif de sécurité et de maintien de l’ordre public. Le ministre de l’intérieur peut non seulement prononcer une assignation à résidence pour une durée de 12 heures, mais il peut aussi prescrire une obligation de se présenter jusque trois fois par jour aux services de police ou aux unités de gendarmerie, cette dernière mesure pouvant s’appliquer les dimanches et les jours fériés ou chômés. Pour certains individus, qui doivent se déplacer sur plusieurs kilomètres pour se présenter aux services de police ou aux unités de gendarmerie, il s’agit là d’une restriction quasi-absolue de la liberté d’aller et venir. En effet, l’obligation de pointer trois fois par jour peut nécessiter pour certaines personnes jusque 4 heures de déplacement. Ainsi, cumulé à l’assignation à résidence pour une durée de 12 heures, la liberté d’aller et venir peut être restreinte pendant environ 16 heures sur un total de 24 heures. Le régime mis en place par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 ne peut donc pas être considéré comme étant proportionné à l’objectif de sécurité et de maintien de l’ordre public. b - la liberté individuelle Le Conseil constitutionnel a consacré la valeur constitutionnelle de la liberté individuelle: « Considérant que la liberté individuelle est proclamée par les articles 1, 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (Décision n° 94-343/344 DC, 27 juillet 1994). De nombreuses décisions du Conseil constitutionnel ont suivi permettant de rapprocher la notion de liberté individuelle à celle du droit à la sûreté (Décision n° 94-352, DC du 18 janvier 1995; Décision 2004-492, DC du 2 mars 2004). Le droit à la sûreté, proclamé à l’article 66 de la Constitution de 1958 (« Nul ne peut être arbitrairement détenu »), interdit au législateur de prendre des mesures de attentatoires si elles ne sont pas strictement prévues et encadrées par la loi. Des articles 4 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, il résulte que la liberté de la personne ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit nécessaire. Cette obligation de rigueur doit s’imposer même lorsque la mesure est dépourvue de caractère punitif (Décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005). L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le ministre de l’intérieur peut prononcer une assignation à résidence en raison du comportement d’un individu, alors que le texte initial de la loi de 1955 prévoyait l’assignation à résidence en fonction des activités de l’individu. La notion de comportement étant floue et ne faisant référence à aucune activité concrète, il est possible pour le ministre de l’intérieur de prononcer une assignation à résidence avec obligation de pointage sans avoir à justifier d’un comportement précis qui justifierait le prononcé de la mesure. Les mesures ainsi prévues ne peuvent pas être considérées comme strictement encadrées par la loi. De plus, les mesures en question portant atteinte à la liberté individuelle, l’article 66 de la Constitution de 1598 impose un contrôle judiciaire et non pas seulement un contrôle administratif comme c’est le cas actuellement.

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c - le principe d’égalité L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 instaure un régime attentatoire aux libertés en rupture avec le principe d’égalité. L’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 affirme le principe d’égalité : « La Loi est l'expression de la volonté générale. […] Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. » L’article 1er de la Constitution de 1958 affirme également le principe d’égalité : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens […]». Le Conseil constitutionnel a consacré ce principe en lui accordant une valeur constitutionnelle : « ladite disposition porte atteinte au principe de l'égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des Droits de l'Homme de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution » (Décision n° 73-51 DC du 27 décembre 1973). L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 permet au ministre de l’intérieur de prononcer une assignation à résidence et une obligation de pointage contre toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public. Toutefois, la loi ne précise quels sont les éléments à prendre en compte pour apprécier le comportement de la personne concernée. En comparaison, les autres mesures d’assignation à résidence et de pointage prévues par la loi françaises sont strictement encadrées. D’une part, le régime d’assignation à résidence pour les étrangers dans le cadre d’une mesure d’éloignement n’est possible que dans des conditions strictes et précises. L’article L561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit l’assignation à résidence dans 6 situations : « 1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai ou si le délai de départ volontaire qui lui a été accordé est expiré ; 2° Si l'étranger doit être remis aux autorités d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou transféré vers l'Etat responsable de sa demande d'asile en application de l'article L. 742-3 ; 3° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en application de l'article L. 531-3 ; 4° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction de retour ; 5° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction du territoire prévue au deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal ; 6° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction administrative du territoire. » D’autre part, l’article 137 alinéa 2 du code de procédure pénale dispose que seules les personnes mises en examen peuvent être assignées à résidence, c’est-à-dire les « personnes à l’encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont [le juge d’instruction] est saisi » (art. 80-1 alinéa du code de procédure pénale).

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Dans ces deux cas, il est possible de prononcer une assignation à résidence en raison d’une activité particulière, ce qui n’est pas le cas du régime mis en place par la loi du 20 novembre 2015 qui permet de prononcer l’assignation à résidence simplement en raison du comportement de l’individu. De plus, en raison du caractère flou de la notion de comportement, un individu pourra être assigné à résidence et soumis à une obligation de pointage dans des conditions différentes : nombres de pointages obligatoires différents, durée d’assignation à résidence aléatoires. Ces différences dans le régime d’assignation à résidence et d’obligation de pointage ne dépendent que de l’appréciation du comportement, qui ne peut être apprécié objectivement. Le fait que dans le cadre de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié, un individu puisse être assigné à résidence avec obligation de pointage en raison de son comportement, et non d’actes concrets, comme il est requis pour les autres régimes, constitue une rupture d’égalité entre les citoyens devant la loi. d - respect du droit à la vie privée Le respect du droit à la vie privée est garanti par le biais de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression ». Le Conseil constitutionnel lui a accordé une valeur constitutionnelle : « Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. " ; que la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée » (Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999). Le régime d’assignation à résidence cumulé à l’obligation de pointage porte atteinte de façon disproportionnée au respect de la vie privée. En effet, l’individu assigné à résidence pendant 12 heures et qui est obligé de se présenter trois fois par jour à la gendarmerie ne peut exercer normalement son activité professionnelle ou accéder aux activités auxquelles il a l’habitude de s’adonner. De plus, la vie de famille de cet individu est gravement perturbée par le cumul de ces mesures, qui l’empêche non seulement de recevoir correctement sa famille à son domicile mais aussi de rendre visite à des membres de la famille à l’extérieur de son domicile. Le cumul des mesures empêche également les individus de participer à des activités culturelles, telles que se rendre à la bibliothèque ou encore aller aux musées. Ces restrictions graves peuvent avoir de lourdes conséquences, notamment lorsque l’individu exerce dans le milieu religieux et peut être amené à devoir se déplacer pour participer à des rencontres inter-religieuses ou encore participer à des colloques. Le nombre d’heures pendant lesquelles un individu se trouve limité dans sa liberté d’aller et venir n’est pas le seul moyen permettant de préserver la sécurité et le maintien de l’ordre public, et d’autres moyens moins préjudiciable pour la personne concernée et permettant d’aboutir au même résultat existent. L’atteinte au droit au respect de la vie privée est par conséquent disproportionnée à l’objectif de sécurité et de maintien de l’ordre public. 3.2 - l’incompétence de l’autorité administrative concernant des mesures restrictives de liberté L’article 66 de la Constitution désigne l’autorité judiciaire comme gardienne de la liberté individuelle.

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Ainsi, en matière de restriction et privation de liberté, il est nécessaire de pouvoir saisir le juge judiciaire afin de contester la mesure. Par exemple, l’hospitalisation sans le consentement du patient se fait sous contrôle du juge des libertés et de la détention, qui est un juge judiciaire. L’article R3211-8 du code de la santé publique dispose en effet que « Devant le juge des libertés et de la détention et le premier président de la cour d'appel, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est assistée ou représentée par un avocat. ». Si l’assignation à résidence des étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement est placée sous contrôle du juge administratif, le régime ici remis en question est différent. L’article R561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose qu’une personne assignée à résidence ne peut pas être obligée de se présenter dans une administration désignée plus d’une fois par jour. De plus, l’obligation de demeurer les locaux désignés par la mesure ne peut pas dépasser 10 heures. Le Conseil constitutionnel, concernant la conformité de l’article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, avait conclu que la mesure d’assignation à résidence ne comportait aucune privation de la liberté individuelle, et que le placement de la mesure sous le contrôle du juge administratif ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir (Décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011). Toutefois, le régime d’assignation à résidence instauré par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 est bien plus restrictif de liberté. Le cumul entre l’obligation de se présenter trois fois par jour aux services de police ou aux unités gendarmerie et l’obligation de rester au domicile désigné pendant une durée de 12 heures constitue une restriction quasi-absolue de la liberté d’aller et venir de l’individu, assimilable à une peine d’emprisonnement. Lors de la séance du mercredi 18 novembre 2015 de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République (Compte rendu n°16), Monsieur Bernard CAZENEUVE avait précisé que « ce régime vise donc à répondre avec efficacité aux nécessités immédiates de la lutte contre la menace terroriste : mais les garanties qui sont octroyées aux personnes concernées sont parallèlement renforcées. Les recours qu’elles peuvent former, autrefois examinés a posteriori par une commission consultative ad hoc, sont désormais soumis au juge administratif dans le cadre bien plus protecteur des procédures de référé-suspension et de référé liberté - dans lequel, vous le savez, le juge doit statuer en quarante-huit heures ». Toutefois, force est de constater, qu’à l’heure actuelle, aucun recours en référé-liberté concernant des assignations à résidence sous le régime de la loi de 1955, modifiée par la loi du 20 novembre 2015, n’a été déclaré recevable. Ces rejets tendent à démontrer l’incapacité du juge administratif à pouvoir contrôler la légalité des mesures d’assignation à résidence.

Pièce n° 6 : Déclaration de Monsieur Bernard CAZENEUVE Dès lors, en raison de la restriction grave de liberté, le régime d’assignation à résidence instauré par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié devrait être soumis au contrôle de l’autorité judiciaire. 3.3 - l’incompétence négative du législateur L’article 34 de la Constitution délimite le cadre matériel de l’intervention du législateur et lui accorde une compétence en matière de droits civiques et garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Ainsi, le législateur a l’obligation, lorsqu’il exerce sa compétence, d’épuiser sa compétence.

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Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs admis qu’il était possible d’invoquer le moyen d’incompétence négative du législateur dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité dès lors que cela affecte un droit ou une liberté constitutionnel : « la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit » (décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012). L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié prévoit que le ministre de l’intérieur peut prononcer une assignation à résidence en raison du comportement d’un individu. Contrairement à la notion d’activité, qui permet de se référer à des actes précis et qui est utilisée pour d’autres régimes d’assignation à résidence, le comportement est une notion vague. En comparaison, le régime d’assignation à résidence pour les étrangers dans le cadre d’une mesure d’éloignement n’est possible que dans des conditions strictes et précises. L’article L561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoit l’assignation à résidence dans 6 situations : « 1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai ou si le délai de départ volontaire qui lui a été accordé est expiré ; 2° Si l'étranger doit être remis aux autorités d'un Etat membre de l'Union européenne en application des articles L. 531-1 ou L. 531-2 ou transféré vers l'Etat responsable de sa demande d'asile en application de l'article L. 742-3 ; 3° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en application de l'article L. 531-3 ; 4° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction de retour ; 5° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction du territoire prévue au deuxième alinéa de l'article 131-30 du code pénal ; 6° Si l'étranger doit être reconduit à la frontière en exécution d'une interdiction administrative du territoire. » En ne donnant aucune précision quant à la nature précise du comportement reproché aux individus concernés par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955, le législateur a permis à l’autorité administrative de prononcer une mesure d’assignation à résidence cumulée à une obligation de pointage en absence d’une réelle motivation, qui devrait être la contrepartie d’une atteinte aussi restrictive à la liberté. En effet, plus la mesure est attentatoire aux libertés, plus l’obligation de motivation doit être importante. Dans le cas contraire, l’absence de motivation doit être assimilée à l’absence de recours effectif contre la mesure. Lors de la séance du mercredi 18 novembre 2015 de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République (Compte rendu n°16), Monsieur Alain Tourret s’était alerté sur la notion de comportement : « Une première difficulté est soulevée par l’article 4, dans lequel il est fait référence à une « comportement » qui « constitue une menace ». En effet, le comportement n’est pas une catégorie juridique, contrairement à l’activité. Un comportement peut sembler inadmissible mais, en aucun cas, il ne peut répondre aux critères de l’activité terroriste ».

Pièce n° 7 : Déclaration de Monsieur Alain TOURRET Ainsi, en se référant à la notion de comportement, sans préciser d’avantage quels types de comportement ou encore quels actes doivent être pris en considération, le législateur est resté en deçà de sa compétence, ce qui est de nature à affecter les droits et libertés fondamentaux reconnus par la Constitution.

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Le lien entre les principes constitutionnels invoqués et les dispositions législatives contestées ayant été établi, affirmer et démontrer, en soi, le caractère substantiel de la question de constitutionnalité posée.

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PAR CES MOTIFS

Plaise au Président du Tribunal administratif de MONTPELLIER :

- prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence modifié par la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 pour violation du droit à la liberté d’aller et venir, du droit à la liberté individuelle, du principe d’égalité devant la loi, du droit au respect de la vie privée, et de l’article 66 de la Constitution, ainsi que de l’article 34 de la Constitution,

- constater que la question soulevée est applicable à la procédure dont est saisi le tribunal administratif de MONTPELLIER,

- constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n’a pas été déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

- constater que la question soulevée présente un caractère sérieux,

- transmettre au Conseil d’Etat sans délai la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celui-ci procède à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

Fait à PARIS, le 3 décembre 2015

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BORDEREAU DE PIECES

Pièce n ° 1 : Articles de presse

Pièce n° 2 : Attestations

Pièce n° 3 : Poésie de Monsieur Mohamed KHATTABI

Pièces n°4 : Arrêté du 22 novembre 2015

Pièce n° 5 : Déclaration de Monsieur Manuel VALLS

Pièce n° 6 : Déclaration de Monsieur Bernard CAZENEUVE

Pièce n° 7 : Déclaration de Monsieur Alain TOURRET