Qatar_Du pétrole au tourisme d'affaires

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LE MONDE diplomatique SEPTEMBRE 2011 – 1 Supplément Qatar Petit émirat du golfe Arabo- Persique, le Qatar s’est, en quelques années, hissé sur le devant de la scène économique mondiale. Si le succès et l’influence imprévus de la chaîne Al-Jazira placent parfois les autorités de Doha dans une position inconfortable, le développement du pays ne doit rien au hasard. En effet, il s’appuie sur une stratégie à long terme qui combine promotion du libéralisme et du libre-échange, mise en valeur de l’exceptionnel atout gazier et pari sur les nouvelles technologies. BRUNO BARBEY. – Qatar,2010 rek et du Maghreb. Les autorités ont lancé un programme d’assu- rance-crédit, Al-Dhameen, pour améliorer l’accès au financement des PME. Enfin, une nouvelle agence chargée de celles-ci devrait être créée en 2011 sous la houlette du Conseil suprême pour les investissements et les affaires économiques. Concernant les investisseurs étrangers, le gouvernement a réformé en profondeur la législa- tion, jusque-là protectionniste. Depuis le 1 er janvier 2010, l’impôt sur le revenu des sociétés a été ramené à un taux unique de 10 %, alors qu’il en existait auparavant plusieurs dont le plus élevé attei- gnait 35 %. De même, depuis le 1 er février 2011, les investisseurs étrangers peuvent détenir 100 % du capital d’une entreprise enre- gistrée au Qatar, sauf dans des secteurs tels que les banques, les assurances, l’immobilier et l’im- portation de produits de consom- mation, dont la majorité du capi- tal doit rester détenue par des opérateurs locaux. Enfin, Doha a multiplié les efforts pour contrer l’inflation, dont les niveaux record en 2007 (+13,8%) et en 2008 (+ 15 %), dus à la hausse simulta- née du cours des hydrocarbures, des denrées alimentaires et de l’immobilier, ont pénalisé l’attrac- tivité du pays. Signe d’une meil- leure maîtrise des prix, leur hausse n’a été que de 1 % en 2010 et devrait plafonner à 3 % en 2011. L’attribution au Qatar, en décembre 2010, de l’organisation de la Coupe du monde de foot- ball 2022 est considérée comme un événement majeur qui va doper l’activité économique. De fait, l’émirat s’est engagé à construire neuf nouveaux stades, ainsi qu’à rénover et à agrandir les trois déjà existants. Le coût total de ce pro- gramme s’élève à 4 milliards de dollars. Les autorités ont décidé qu’il serait mené par des entre- prises locales associées à des opérateurs étrangers ; elles espè- rent que cela dynamisera le sec- teur de la sous-traitance locale en matière de génie civil et d’équi- pements immobiliers. L’un des axes majeurs de l’ambition qatarie pour les vingt prochaines années reste l’écono- mie du savoir. L’émirat a achevé la C ONSCIENTES que les réserves en hydro- carbures ne sont pas éternelles, les autorités du Qatar entendent profiter de l’aisance financière apportée par les expor- tations de pétrole et de gaz natu- rel (80 % des recettes extérieures et 60 % des revenus de l’émirat) pour diversifier l’économie. Fin 2008, elles ont donc lancé un plan de développement à long terme intitulé National Vision 2030. Ce programme stratégique a officiel- lement commencé en mars 2011, avec une première tranche étalée sur cinq ans, et se déclinera autour de quatre axes : des pôles à vocation mondiale autour de l’économie de la connaissance ; un hub (plate-forme) de transport aérien, mais aussi terrestre et maritime ; un centre régional finan- cier; et, pour finir, un tourisme centré sur les séjours d’affaires et l’organisation de colloques et de conférences. Cette volonté de diversifi- cation se traduit aussi par un ambitieux programme d’indus- trialisation, notamment dans le domaine de la pétrochimie, de l’industrie chimique, de l’alumi- nium, de l’aciérie, du papier et de la fibre, de l’agroalimentaire et de la liquéfaction du gaz naturel (lire l’article page II). Au total, et d’ici à 2016, le Qatar va donc consa- crer en moyenne entre 15 et 18 milliards de dollars par an, soit 40 % de ses dépenses annuelles, à financer des investissements en infrastructures et des projets de diversification économique. Déjà, entre 2005 et 2010, le pays avait dépensé près de 100 mil- liards de dollars pour son plan d’investissement quinquennal. Sur un plan macroécono- mique, et pour soutenir le déve- loppement des activités hors hydrocarbures, le Qatar veut à la fois attirer les investisseurs étrangers et encourager la créa- tion de petites et moyennes entre- prises (PME) locales. La Qatar Industrial Manufacturing Com- pany (QIMC), composée de six filiales, a ainsi pour mission de pro- mouvoir les PME, au besoin par le financement d’une partie de leur capital de départ, et de les aider à exporter le «made in Qatar». Pour cela, elle contribue à identi- fier les débouchés dans les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG), mais aussi du Mach- P AR A KRAM B ELKAÏD * * Journaliste. Le Qatar à l’heure de la diversification Du pétrole au tourisme d’affaires MAGNUM PHOTO construction, menée par la Fon- dation du Qatar, de la Cité de l’éducation, qui ambitionne de devenir un pôle régional de for- mation universitaire de haut niveau. D’ores et déjà, plusieurs universités nord-américaines et européennes ainsi que des écoles de commerce – dont les Hautes études commerciales (HEC) fran- çaises – s’y sont implantées. Outre ce projet-phare, la Fondation du Qatar contribue également au développement du Parc pour les sciences et la technologie (Qatar Science and Technology Park, QSTP), qui a pour objectif d’attirer les centres de recherche et développement de grandes entreprises, qu’il s’agisse de com- pagnies pétrolières (Total, Exxon- Mobil) ou de sociétés technolo- giques et informatiques (European Aeronautic Defence and Space [EADS], Apple, Microsoft...). Des entreprises qataries ont aussi commencé à investir le sec- teur de la recherche et dévelop- pement. Ainsi, Pragmatech, filiale récemment créée par United Development Company (UDC), est en train de se faire connaître sur le plan international pour ses pro- duits logiciels dédiés à l’analyse des textes, à leur résumé et à leur référencement. Pragmatech a aussi reçu en juin 2011 un prix décerné par la Pan Arab Web Awards Academy, associée aux entreprises Microsoft et Business Software Alliance (BSA), pour la qualité des sites Internet qu’elle a développés. Outre l’économie du savoir, le tourisme, dans toutes ses décli- naisons, est l’une des priorités du pays, et cela malgré la concur- rence d’autres émirats proches comme Dubaï et Abou Dhabi. En matière d’hôtellerie, le Qatar veut mettre les bouchées doubles pour rattraper son retard vis-à-vis de ses voisins et pour préparer la Coupe du monde de football. Actuellement, le pays compte 11 000 chambres de standing réparties dans 72 hôtels, dont 17 cinq-étoiles et 13 quatre- étoiles. Pour les autorités, l’ob- jectif est d’atteindre un total de 90 000 chambres d’ici à 2022. Le développement du tou- risme s’accompagne de celui du secteur aérien. Outre la construc- tion à Doha, pour un coût de 15 milliards de dollars, d’un nou- vel aéroport qui doit accueillir 24 millions de passagers en 2012 (et 50 millions en 2015), l’émirat déploie une stratégie commerciale afin de devenir un passage obligé pour les touristes occidentaux se rendant en Extrême-Orient. A l’aller ou au retour, ces voya- geurs transportés par Qatar Air- ways feraient ainsi une escale de quelques jours à Doha ou dans l’une des villes nouvelles en construction. Le Qatar connaît un boom du transport aérien : la com- pagnie nationale a annoncé en décembre 2010 qu’elle venait de réaliser son premier exercice fis- cal excédentaire et qu’elle projetait d’entrer en Bourse en 2012. L’opé- ration doit financer l’extension de sa flotte, qui passera de 92 appa- reils actuellement à 120 en 2013. Le Qatar veut aussi se posi- tionner comme un centre régional pour le tourisme médical. En 2012, le Sidra Medical and Research Center, d’un coût de 8 milliards de dollars, ouvrira ses portes. Il s’agira du premier hôpital entiè- rement équipé d’appareils numé- riques dans la région. Son objec- tif sera d’attirer non seulement les patients du Golfe, mais aussi des pays d’Asie du Sud-Est. Le développement du tou- risme est, par ailleurs, directe- ment lié à celui du secteur immo- bilier. En la matière, l’un des plus grands projets en cours au Qatar est la construction, sous la hou- lette d’UDC, de l’île artificielle de Pearl Island, à quelques kilomè- tres du centre-ville de Doha. Pour un coût total de 10 milliards de dollars, cette île sera composée, outre les zones d’habitation, de ports de plaisance, de centres commerciaux et de restaurants. Une fois achevée, elle doit accueillir 35000 résidents répar- tis dans 18 000 logements. Des- tinée en priorité aux Qataris, The Pearl sera aussi accessible aux ressortissants étrangers qui, en y achetant un bien immobilier, auront droit à un permis de rési- dence permanente. The Pearl est l’occasion pour les sociétés d’ingénierie qataries de développer leur expertise et leur savoir-faire. Ainsi, Qatar Cool, autre filiale d’UDC, est en train de mettre au point à Doha un sys- tème de district cooling, c’est-à- dire la distribution centralisée d’air conditionné à plusieurs quartiers de la ville nouvelle. Cette vérita- ble usine de climatisation est en passe de devenir une référence mondiale en la matière. Son modèle technologique intéresse plusieurs villes du Golfe, toutes confrontées à l’augmentation de la facture énergétique provoquée par la multiplication des climatiseurs individuels. Autre projet de ville nouvelle, celui de Lusail City, développé par la société immobilière qata- rie Lusail Real Estate Develop- ment Company (LREDC). Située au nord de Doha, cette nouvelle cité, d’un coût total évalué à 5 milliards de dollars, sera ache- vée en totalité en 2019 et aura une superficie totale de 35 km 2 . Elle ambitionne d’accueillir 200 000 résidents, 170 000 tra- vailleurs et 80 000 visiteurs. Elle comptera 22 hôtels, 34 mos- quées, un parc de bureaux et plusieurs terrains de golf. Une ligne de tramway s’étendant sur 22 kilomètres et desservant 34 stations reliera ses quartiers ; elle bénéficiera de deux con- nexions avec la future ligne fer- roviaire qui traversera l’émirat. Un système de bateaux-taxis est prévu pour relier la ville nouvelle à l’aéroport de Doha et au quar- tier d’affaires de West Bay. Lusail City sera dotée de cinq stades, dont l’un, le futur Lusail Iconic Stadium, accueillera la finale de la Coupe du monde de football de 2022. On notera enfin que Qatari Diar, société gouverne- mentale, a acquis de nombreux biens immobiliers et touristiques en Europe, au sultanat d’Oman, au Soudan, au Maroc, en Ethiopie, en Tunisie, au Yémen et en Libye. Vers l’excellence universitaire Le problème de la pollution (Lire la suite page II.) 0 50 100 km Al- Rouwais Al-Khor Doha Al-Wakrah Oum Saïd Oum Bab Dukhan Al- Zoubarah Iles Hawar (Bahreïn) QATAR Ilot Facht Al-Dibel Salwah Khafous Khor Al-Odeid ARABIE SAOUDITE BAHREÏN ÉMIRATS ARABES UNIS Ras Laffan Ile Halal DUKHAN Eaux territoriales iraniennes Lusail City Pearl Island SOUTH PARS NORTH DOME Base militaire américaine d'Al-Oudeid Principaux oléoducs et gazoducs Gaz Frontières maritimes et terrestres Port pétrolier Territoire administré par l’Arabie saoudite mais revendiqué par les Emirats arabes unis Pétrole Ressources énergétiques et infrastructures Sources : Policy Watch n° 525, The Washington Institute for Near East Policy ; Bloomberg ; Khaleej Times Online ; Petroleum Economist, 2009 et 2010. SYRIE AZERBAÏDJAN TURQUIE IRAN ARMÉNIE KOWEÏT IRAK JORDANIE ARABIE SAOUDITE SOUDAN ÉGYPTE TURKMÉNISTAN ISRAËL LIBAN ÉRYTHRÉE ÉTHIOPIE YÉMEN OMAN ÉMIRATS ARABES UNIS QATAR BAHREÏN DJIBOUTI SOMALIE CHYPRE

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Distribué avec Le Monde Diplomatique

Transcript of Qatar_Du pétrole au tourisme d'affaires

LE MONDE diplomatique – SEPTEMBRE 2011–1S u p p l é m e n t Q a t a r

Petit émirat du golfe Arabo-Persique, le Qatar s’est, enquelques années, hissé sur ledevant de la scène économiquemondiale. Si le succèset l’influence imprévusde la chaîne Al-Jazira placentparfois les autorités de Dohadans une position inconfortable,

le développement du paysne doit rien au hasard. En effet,il s’appuie sur une stratégieà long terme qui combinepromotion du libéralismeet du libre-échange, miseen valeur de l’exceptionnelatout gazier et parisur les nouvelles technologies.

BRUNO BARBEY. – Qatar, 2010

rek et du Maghreb. Les autoritésont lancé un programme d’assu-rance-crédit, Al-Dhameen, pouraméliorer l’accès au financementdes PME. Enfin, une nouvelleagence chargée de celles-cidevrait être créée en 2011 sous lahoulette du Conseil suprême pourles investissements et les affaireséconomiques.

Concernant les investisseursétrangers, le gouvernement aréformé en profondeur la législa-tion, jusque-là protectionniste.Depuis le 1er janvier 2010, l’impôtsur le revenu des sociétés a étéramené à un taux unique de 10%,alors qu’il en existait auparavantplusieurs dont le plus élevé attei-gnait 35%. De même, depuis le1er février 2011, les investisseursétrangers peuvent détenir 100%du capital d’une entreprise enre-gistrée au Qatar, sauf dans dessecteurs tels que les banques, lesassurances, l’immobilier et l’im-portation de produits de consom-mation, dont la majorité du capi-tal doit rester détenue par desopérateurs locaux. Enfin, Doha amultiplié les efforts pour contrerl’inflation, dont les niveaux recorden 2007 (+13,8%) et en 2008(+15%), dus à la hausse simulta-née du cours des hydrocarbures,des denrées alimentaires et del’immobilier, ont pénalisé l’attrac-tivité du pays. Signe d’une meil-leure maîtrise des prix, leur haussen’a été que de 1% en 2010 etdevrait plafonner à 3% en 2011.

L’attribution au Qatar, endécembre 2010, de l’organisationde la Coupe du monde de foot-ball 2022 est considérée commeun événement majeur qui va doperl’activité économique. De fait,l’émirat s’est engagé à construireneuf nouveaux stades, ainsi qu’àrénover et à agrandir les trois déjàexistants. Le coût total de ce pro-gramme s’élève à 4 milliards dedollars. Les autorités ont décidéqu’il serait mené par des entre-prises locales associées à desopérateurs étrangers; elles espè-rent que cela dynamisera le sec-teur de la sous-traitance locale enmatière de génie civil et d’équi-pements immobiliers.

L’un des axes majeurs del’ambition qatarie pour les vingtprochaines années reste l’écono-mie du savoir. L’émirat a achevé la

CONSCIENTES que lesréserves en hydro-carbures ne sontpas éternelles, les autorités du Qatar

entendent profiter de l’aisancefinancière apportée par les expor-tations de pétrole et de gaz natu-rel (80% des recettes extérieureset 60% des revenus de l’émirat)pour diversifier l’économie. Fin2008, elles ont donc lancé un plande développement à long termeintitulé National Vision 2030. Ceprogramme stratégique a officiel-lement commencé en mars 2011,avec une première tranche étaléesur cinq ans, et se déclineraautour de quatre axes : des pôlesà vocation mondiale autour del’économie de la connaissance;un hub (plate-forme) de transportaérien, mais aussi terrestre etmaritime; un centre régional finan-cier ; et, pour finir, un tourismecentré sur les séjours d’affaires etl’organisation de colloques et deconférences.

Cette volonté de diversifi -cation se traduit aussi par un ambitieux programme d’indus -tria lisation, notamment dans ledomaine de la pétrochimie, del’industrie chimique, de l’alumi-nium, de l’aciérie, du papier et dela fibre, de l’agroalimentaire et dela liquéfaction du gaz naturel (lirel’article page II). Au total, et d’icià 2016, le Qatar va donc consa-crer en moyenne entre 15 et18 milliards de dollars par an, soit40% de ses dépenses annuelles,à financer des investissementsen infrastructures et des projetsde diversification économique.Déjà, entre 2005 et 2010, le paysavait dépensé près de 100 mil-liards de dollars pour son pland’investissement quinquennal.

Sur un plan macroécono-mique, et pour soutenir le déve-loppement des activités horshydrocarbures, le Qatar veut à lafois attirer les investisseurs étrangers et encourager la créa-tion de petites et moyennes entre-prises (PME) locales. La QatarIndustrial Manufacturing Com-pany (QIMC), composée de sixfiliales, a ainsi pour mission de pro-mouvoir les PME, au besoin parle financement d’une partie de leurcapital de départ, et de les aiderà exporter le «made in Qatar».Pour cela, elle contribue à identi-fier les débouchés dans les paysdu Conseil de coopération duGolfe (CCG), mais aussi du Mach-

PAR AKRAM BELKAÏD *

* Journaliste.

Le Qatar à l’heurede la diversification

Du pétrole au tourisme d’affairesM

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construction, menée par la Fon-dation du Qatar, de la Cité del’éducation, qui ambitionne dedevenir un pôle régional de for-mation universitaire de hautniveau. D’ores et déjà, plusieursuniversités nord-américaines eteuropéennes ainsi que des écolesde commerce – dont les Hautesétudes commerciales (HEC) fran-çaises – s’y sont implantées. Outrece projet-phare, la Fondation duQatar contribue également audéveloppement du Parc pourles sciences et la technologie(Qatar Science and TechnologyPark, QSTP), qui a pour objectifd’attirer les centres de rechercheet développement de grandes entreprises, qu’il s’agisse de com-pagnies pétrolières (Total, Exxon-Mobil) ou de sociétés technolo-giques et informatiques (EuropeanAeronautic Defence and Space[EADS], Apple, Microsoft...).

Des entreprises qataries ontaussi commencé à investir le sec-teur de la recherche et dévelop-pement. Ainsi, Pragmatech, filialerécemment créée par UnitedDevelopment Company (UDC), esten train de se faire connaître surle plan international pour ses pro-duits logiciels dédiés à l’analysedes textes, à leur résumé et à leurréférencement. Pragmatech aaussi reçu en juin 2011 un prixdécerné par la Pan Arab WebAwards Academy, associée auxentreprises Microsoft et BusinessSoftware Alliance (BSA), pour laqualité des sites Internet qu’elle adéveloppés.

Outre l’économie du savoir, letourisme, dans toutes ses décli-naisons, est l’une des priorités dupays, et cela malgré la concur-rence d’autres émirats prochescomme Dubaï et Abou Dhabi. En

matière d’hôtellerie, le Qatar veutmettre les bouchées doubles pourrattraper son retard vis-à-vis deses voisins et pour préparer laCoupe du monde de football.Actuellement, le pays compte11000 chambres de standingréparties dans 72 hôtels, dont17 cinq-étoiles et 13 quatre-étoiles. Pour les autorités, l’ob-jectif est d’atteindre un total de90000 chambres d’ici à 2022.

Le développement du tou-risme s’accompagne de celui dusecteur aérien. Outre la construc-tion à Doha, pour un coût de15 milliards de dollars, d’un nou-vel aéroport qui doit accueillir24 millions de passagers en2012 (et 50 millions en 2015),l’émirat déploie une stratégiecommerciale afin de devenir unpassage obligé pour les touristesoccidentaux se rendant enExtrême-Orient.

A l’aller ou au retour, ces voya-geurs transportés par Qatar Air-ways feraient ainsi une escale dequelques jours à Doha ou dansl’une des villes nouvelles enconstruction. Le Qatar connaît unboom du transport aérien : la com-pagnie nationale a annoncé endécembre 2010 qu’elle venait deréaliser son premier exercice fis-cal excédentaire et qu’elle projetaitd’entrer en Bourse en 2012. L’opé-ration doit financer l’extension desa flotte, qui passera de 92 appa-reils actuellement à 120 en 2013.

Le Qatar veut aussi se posi-tionner comme un centre régionalpour le tourisme médical. En 2012,le Sidra Medical and ResearchCenter, d’un coût de 8 milliards dedollars, ouvrira ses portes. Ils’agira du premier hôpital entiè-rement équipé d’appareils numé-riques dans la région. Son objec-tif sera d’attirer non seulement lespatients du Golfe, mais aussi despays d’Asie du Sud-Est.

Le développement du tou-risme est, par ailleurs, directe-ment lié à celui du secteur immo-bilier. En la matière, l’un des plusgrands projets en cours au Qatarest la construction, sous la hou-lette d’UDC, de l’île artificielle dePearl Island, à quelques kilomè-tres du centre-ville de Doha. Pourun coût total de 10 milliards dedollars, cette île sera composée,outre les zones d’habitation, de

ports de plaisance, de centrescommerciaux et de restaurants.Une fois achevée, elle doitaccueillir 35000 résidents répar-tis dans 18000 logements. Des-tinée en priorité aux Qataris, ThePearl sera aussi accessible auxressortissants étrangers qui, eny achetant un bien immobilier,auront droit à un permis de rési-dence permanente.

The Pearl est l’occasion pourles sociétés d’ingénierie qatariesde développer leur expertise etleur savoir-faire. Ainsi, Qatar Cool,autre filiale d’UDC, est en train demettre au point à Doha un sys-tème de district cooling, c’est-à-dire la distribution centralisée d’airconditionné à plusieurs quartiersde la ville nouvelle. Cette vérita-ble usine de climatisation est enpasse de devenir une référencemondiale en la matière. Sonmodèle technologique intéresseplusieurs villes du Golfe, toutesconfrontées à l’augmentation de lafacture énergétique provoquée parla multiplication des climatiseursindividuels.

Autre projet de ville nouvelle,celui de Lusail City, développépar la société immobilière qata-rie Lusail Real Estate Develop-ment Company (LREDC). Situéeau nord de Doha, cette nouvellecité, d’un coût total évalué à5 milliards de dollars, sera ache-vée en totalité en 2019 et auraune superficie totale de 35 km2.Elle ambitionne d’accueillir200 000 résidents, 170 000 tra-vailleurs et 80 000 visiteurs. Ellecomptera 22 hôtels, 34 mos-quées, un parc de bureaux etplusieurs terrains de golf. Uneligne de tramway s’étendant sur22 kilomètres et desservant34 stations reliera ses quartiers ;elle bénéficiera de deux con -nexions avec la future ligne fer-roviaire qui traversera l’émirat.Un système de bateaux-taxis estprévu pour relier la ville nouvelleà l’aéroport de Doha et au quar-tier d’affaires de West Bay. LusailCity sera dotée de cinq stades,dont l’un, le futur Lusail IconicStadium, accueillera la finale dela Coupe du monde de footballde 2022. On notera enfin queQatari Diar, société gouverne-mentale, a acquis de nombreuxbiens immobiliers et touristiquesen Europe, au sultanat d’Oman,au Soudan, au Maroc, en Ethiopie, en Tunisie, au Yémenet en Libye.

Vers l’excellenceuniversitaire

Le problèmede la pollution

(Lire la suite page II.)

0 50 100 km

Al-Rouwais

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Doha

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Al- Zoubarah

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(Bahreïn)

QATAR

IlotFacht

Al-Dibel

Salwah

KhafousKhor Al-Odeid

ARABIESAOUDITE

BAHREÏN

ÉMIRATS ARABES UNIS

Ras Laffan

IleHalal

DUKHAN

Eaux territoriales iraniennes

Lusail CityPearl Island

SOUTH PARS

NORTH DOME

Base militaire américaine d'Al-Oudeid

Principaux oléoducs et gazoducs

Gaz

Frontières maritimes et terrestres

Port pétrolier

Territoire administré par l’Arabie saoudite

mais revendiqué par les Emirats arabes unis

Pétrole

Ressources énergétiques et infrastructures

Sources : Policy Watch n° 525, The Washington Institute for Near

East Policy ; Bloomberg ; Khaleej Times Online ; Petroleum Economist, 2009 et 2010.

SYRIE

AZERBAÏDJANTURQUIE

IRAN

ARMÉNIE

KOWEÏT

IRAK

JORDANIE

ARABIE SAOUDITE

SOUDAN

ÉGYPTE

TURKMÉNISTAN

ISRAËL

LIBAN

ÉRYTHRÉE

ÉTHIOPIE

YÉMEN

OMAN

ÉMIRATSARABES UNIS

QATAR

BAHREÏN

DJIBOUTI

SOMALIE

CHYPRE

DEPUIS 1995, la diplomatie du Qatar semblefaire mentir la maxime de l’historien grecThucydide selon laquelle « le fort fait ce qu’il

veut et le faible fait ce qu’il doit ». L’activisme deDoha montre en effet que les petits Etats peuventeux aussi avoir une politique étrangère.

C’est la transformation du système régionalarabe au détriment des grands Etats qui a permisaux «petits» de prendre l’initiative, avec l’appro-bation implicite des grandes puissances, et en par-ticulier des Etats-Unis. Les accords de Camp David,signés par l’Egypte en 1978, l’appel aux troupesaméricaines par l’Arabie saoudite en 1990 et ladéfaite de l’Irak en 1991 ont fortement réduit lacapacité de ces Etats à prétendre diriger la région.Contraints de se replier sur leurs frontières, d’exal-ter l’identité et la souveraineté nationales au détri-ment des identifications et des solidarités arabestransnationales, ils ont laissé le champ libre à d’autres acteurs.

Dans ce contexte, le positionnement éditorialde la télévision satellitaire Al-Jazira a permis à ladiplomatie qatarie de capter les sentiments arabestransnationaux. Cette ligne qui mêle panarabisme,sensibilité islamisante et libéralisme a assuré le suc-cès de la chaîne et sa popularité, que les autoritésde Doha ont transformée en capacité d’influence.

Mais ce pouvoir se heurte aux ambiguïtés dela politique étrangère de l’émirat, qu’Al-Jazira elle-même relève, non sans ironie. Invité par AhmedMansour, présentateur de l’émission «Bila Hou-

doud» («Sans frontières»), le premier ministre etministre des affaires étrangères, le cheikh HamadBen Jassim Ben Jaber Al-Thani, a eu droit à unrésumé sans concession de son action : «Pour denombreux observateurs, la politique étrangère duQatar manque de clarté. Alors que le pays abritela plus grande base militaire américaine en dehorsdes Etats-Unis, il entretient des rapports privilé-giés avec les ennemis de l’Amérique dans la région,comme l’Iran et la Syrie. Au moment où il avait desrelations avec Israël, il se montrait ouvert à l’égarddes dirigeants du mouvement de résistance isla-mique Hamas (…). Il s’est réconcilié depuis deuxans avec sa grande sœur l’Arabie saoudite, et il aalors commencé à avoir des escarmouches avecle régime égyptien, le plus grand Etat arabe (…).Dans l’émission d’aujourd’hui, nous allons essayerde comprendre les fondements de la politique étran-gère qatarie, de voir au profit de qui vous jouez cerôle (…) et quelles sont les puissances qui vouspermettent d’occuper cette position (1). »

Ces fluctuations sont illustrées par les tensionsdiplomatiques entre le Qatar et l’Arabie saoudite,qui se sont exacerbées en 2002, avant de connaî-tre un apaisement couronné par la signature, le6 juillet 2008, d’un accord – plutôt favorable auQatar – sur le tracé des frontières entre les deuxpays. En contrepartie, l’opposition saoudienne dis-paraît des écrans d’Al-Jazira (2). Le ministre qatarireconnaît explicitement la dimension politique dela lutte médiatique (3) entre les deux pays pendantcette période et affirme que, désormais, il n’y aplus de litige entre eux.

Les câbles secrets de l’ambassade américainerévélés par WikiLeaks considèrent qu’Al-Jazira amodifié à plusieurs reprises sa couverture de cer-tains événements pour se conformer aux orienta-tions de la diplomatie qatarie (4). Mais cet aligne-ment est loin d’être systématique, et c’est danscette interaction triangulaire (diplomatie qatarie -journalistes d’Al-Jazira - opinions publiques arabes)que réside le mécanisme qui assure le succès dela chaîne. Le poids des opinions publiques est nonseulement pris en compte, mais privilégié au détri-

ment des élites arabes gouvernantes, qui viventla popularité de la chaîne comme une intrusiondans leurs affaires internes et une dépossessionde leur capacité à communiquer avec leurscitoyens. La voix arabe que représente Al-Jazira,qui puise sa légitimité dans son professionnalismeet dans sa fonction de relais médiatique des oppo-sitions, constitue une pression permanente sur lesgouvernements, qui ne peuvent plus l’ignorer.

A cet égard, l’exemple marocain est signifi catif.Le 20 novembre 2006, Al-Jazira ouvre un bureaurégional à Rabat pour y diffuser un journal quoti-dien spécifique pour le Maghreb. Officiellement,cette présence apporterait la preuve du libéralismequi règne au Maroc en matière de liberté d’ex-pression. Mais, le 20 octobre 2010, le bureau estfermé, principalement en raison du temps d’an-tenne accordé aux groupes de l’opposition, notam-ment islamiste. Puis, à la surprise générale, deuxjours avant le référendum constitutionnel du 1er juil-let 2011, le ministre de l’information Khaled Al-Naceri, qui avait lancé une campagne d’une rare vio-lence contre la chaîne (5), l’autorise à nouveau àtravailler au Maroc. En Egypte, en février dernier, Al-Jazira est devenue sans surprise, en dépit de lafermeture de son bureau sur la place, le relaismédiatique de la révolution. Lorsque les autoritésont coupé le réseau Internet, c’est elle qui a per-turbé la stratégie de communication du régime deM. Hosni Moubarak.

Ainsi, l’influence régionale d’Al-Jazira se mani-feste dans sa capacité à imposer aux dirigeantsarabes l’idée que sa présence sur leur territoire estmoins coûteuse que son absence. Son interdictionse double le plus souvent de son boycott par lesreprésentants officiels et la transforme en relaismédiatique des points de vue de la seule opposi-tion, créant ainsi un déséquilibre dans les rapportsde forces médiatiques, comme le montrent lesexemples égyptien ou libyen.

La compréhension de la nature des liens entreAl-Jazira et la politique étrangère du Qatar se heurteà trois obstacles majeurs. Le premier est métho-dologique. Ainsi, analyser les actions extérieuresdu Qatar sur le modèle de l’Etat-nation wébérien,rationnel et bureaucratique, revient à les soustraireaux réseaux que les dirigeants qataris ont patiem-ment tissés et aux fidélités idéologiques ou clien-

télistes dans lesquelles l’appartenance nationaleest l’allégeance qui compte le moins. En outre,considérer Al-Jazira comme un média ordinairerevient à l’amputer d’une de ses dimensions, celled’espace politique transnational de substitution (6),qui dynamise l’ensemble des scènes politiquesnationales dans le monde arabe.

Le deuxième obstacle est idéologique. Il résidedans le refus de voir qu’Al-Jazira est avant toutun phénomène arabe implanté au Qatar et qu’elletranscende les logiques de l’Etat. Le troisième estd’ordre psychologique, comme en témoigne l’em-barras souvent manifesté devant le comportementatypique des dirigeants qataris. Quel est l’intérêtdu régime dynastique local à soutenir les révolu-tions arabes ? Ou de prendre la défense du mou-vement de résistance islamique Hamas contreIsraël, mais aussi contre le Fatah ? Etc. Ce sont làles concessions que font les dirigeants aux jour-nalistes arabes qu’ils emploient et aux opinionspubliques. C’est la contrepartie de l’envoi d’avionsmilitaires en Libye ou de l’accueil de dirigeantsisraéliens à Doha.

Fidèle à sa désinvolture apparente, le premierministre qatari déclarait à son interlocuteur égyp-tien qu’Al-Jazira constituait plutôt un problèmepour son gouvernement et que le Qatar serait prêtà la vendre : « On nous a proposé 5 milliards dedollars il y a deux ans (7). » On n’est pas obligéde le croire.

Capitale :Doha.

Superficie :11586 km2.

Type de régime :monarchie.

Population :1,5 million d’habitants.

Part des moinsde 25 ans : 34%.

Part d’étrangers parmila population :86,5% (dont500000 Indiens,350000 Népalaiset 160000 Philippins).

Produit intérieurbrut (PIB) :98,3 milliardsde dollars (2009).

PIB/habitant :69754 dollars (2009).

Taux de chômage :0,5% (2007).

Taux d’alphabétisationdes adultes (15 anset plus) : 95% (2009).

Taux d’alphabétisationdes 15-24 ans : 99% (2007).

Espérance de vie :75,3 ans (H.) ;77,3 ans (F.).

Sources : Banque mondiale ; Orga -nisation des Nations unies.

LE MONDE diplomatique – SEPTEMBRE 2011– III

avec pour associés deux anciensde l’IPC d’avant la nationalisa-tion, l’américain Exxon et le fran-çais Total – chacun détient 10%du capital – et deux japonais, Mit-sui et Marubeni (15 % à euxdeux), les Qataris gardant lamajorité. Trois « trains» de liqué-faction sont construits qui, aucours de plusieurs cycles frigori-fiques, font passer le gaz par unesuccession d’échangeurs ther-miques, le long d’une intermina-

ble ligne de production. L’expor-tation de GNL débute en 1997.Qatargas 1 va être suivi par sesclones Qatargas 2 (avec Exxon-Mobil et Total), puis 3 (avecConocoPhillips) et 4 (avec Shell).

Une nouvelle filiale de QatarPetroleum, RasGas CompanyLimited, s’associe en 2001 avecExxonMobil pour créer la pre-mière entreprise intégrée de GNLdu monde, qui maîtrise l’extrac-tion, le stockage, la liquéfactionet l’exportation. RasGas 1, puis2, puis 3 sont lancés pour appro-visionner l’Asie (Corée, Inde, Taï-wan), l’Europe (Italie, Espagne,Belgique) et les Etats-Unis.

Le Qatar se dote d’uneénorme capacité de productionde GNL (77 millions de tonnes)quand, en 2005, il est décidé desurseoir à tout nouveau projetjusqu’à 2014. On exécutera cequi a été signé, mais pas plus.Pourquoi ce moratoire imprévu?Officiellement, de nouveauxforages font craindre que le gise-ment ne soit pas d’un seultenant, mais fractionné en qua-tre, ce qui implique un importantprogramme de travaux pour éva-luer au plus juste les réserves deNorth Dome ; une opération toujours un peu opaque et unsujet sur lequel les producteursdu monde entier sont volontiersdiscrets…

Dans le milieu circule uneautre version : une partie du gazde South Pars filerait vers la par-

tie qatarie du gisement, plusintensivement mise en valeur,alors que l’Iran, soumis à unembargo par les Etats-Unis,aurait plus de mal à trouver despartenaires ; Total, par exemple,ayant renoncé à y intervenir sousune forte pression politique.

Quoi qu’il en soit, le mora-toire se révèle une aubainequand, en 2008, l’exploitation desgaz non conventionnels – commele gaz de schiste – aux Etats-Unisdevient massive et provoque, defait, la quasi-fermeture du mar-ché américain au GNL duProche-Orient. En cinq ans, autotal, les importations améri-caines baissent de 40 %. Laconséquence en est une dégrin-golade des cours sur les marchésà court terme du GNL : – 50,4%entre 2008 et 2010 au Henry Hub,le point d’entrée du GNL outre-Atlantique.

L’autosuffisance du marchéaméricain est exploitée par lesclients européens et asiatiques,qui à leur tour réclament à leursfournisseurs une baisse des prix.Ils ne manquent pas d’argu-ments. Les cargaisons destinéesà l’Amérique se reportent surl’Asie et l’Europe ; leurs contratsà long terme (jusqu’à vingt-cinqans) fixent des volumes à enle-

Le frontdu refus

Une certaineindépendance

Comportementatypique

II – SEPTEMBRE 2011 – LE MONDE diplomatique S u p p l é m e n t Q a t a r

mation, l’Europe, l’Amérique duNord, l’Asie émergente, sontloin ; impossible de les approvi-sionner par gazoduc, comme lefont Soviétiques et Algérienspour l’Europe.

Autre solution, la liquéfactiondu gaz naturel. Refroidi à – 160 °C,il devient liquide; son volume seréduit : 600 m3 de gaz naturel setransforment en 1 m3 de gaz natu-rel liquéfié (GNL), qui peut voya-ger à travers le monde à bord denavires spécialisés – les métha-niers –, être «regazéifié» à l’arrivéeet retrouver ainsi sa forme originelle pour alimenter lesréseaux de distribution des paysimportateurs.

La liquéfaction est une techno logie complexe. Seulesquelques grandes sociétés occi-dentales ou japonaises maîtri-sent la chaîne, du puits à l’usinede regazéification. Elle est aussicoûteuse : 15% du gaz est perdudans l’opération, sans parler duprix des installations, qui se chiffre en milliards de dollarsl’unité. Acheminé par gazoducen provenance des champs deproduction, le gaz naturel doitd’abord subir divers traitements :séparation du condensat liquide,

L’atout gazier

mètres cubes, selon l’Agenceinternationale de l’énergie (AIE),soit la troisième réserve mondialede gaz naturel (14%) après cellesde la Russie et de l’Iran, gisantsous soixante-cinq mètres d’eauet trois mille mètres de sable aubeau milieu du Golfe.

Autre originalité, le gisementa deux propriétaires qu’a prioritout oppose : le Qatar, monarchiesunnite, et l’Iran, république isla-miste chiite ; d’où ses deux noms,le premier pour la partie iranienne,le second pour la partie qatarie,et une cohabitation qui n’a riende naturel.

En 1971, au moment où Lon-dres retire ses soldats «à l’ouestde Suez », abandonnant à leursort ses protégés du Golfe, uneéquipe de foreurs de l’anglo-néer-landais Shell trouve du gaz àNorth West Dome 1 (NWD 1). La nouvelle ne révolutionne pas le petit émirat, déjà biendoté (15 milliards de barils deréserves d’huile). Depuis 1935,une filiale de la puissante IraqPetroleum Company (IPC) détient

une concession sur la totalité duterritoire terrestre du Qatar.

Les exportations de pétrole,longtemps retardées, commen-cent seulement à la fin desannées 1940 : plusieurs centainesde milliers de barils de brut parjour, qui valent au Qatar un fau-teuil de membre à l’Organisationdes pays exportateurs depétrole (OPEP).

Suivant – avec un certainretard – l’exemple de SaddamHussein, qui nationalise l’IPC en1972, Doha prend discrètementpossession de sa filiale, la QatarPetroleum, en 1974, puis, en1976, de Shell Qatar Company, ledécouvreur de North Dome, quia depuis 1952 la concessionexclusive de la partie maritimede l’émirat.

Il faudra attendre presque dixans pour que la mise en valeurdu gisement revienne à l’ordre dujour. 1984 voit le démarrage deson développement, unemodeste entreprise destinée àravitailler en gaz le petit émirat,dont la population augmenterapidement. Le marché intérieur,ou même régional, n’est cepen-dant pas à l’échelle de NorthDome : rien à voir avec le popu-leux Iran, qui consomme toutesa production et au-delà. Pourle Qatar, l’exportation devient unimpératif. Mais comment faire ?Les grands marchés de consom-

Que faire d’Al-Jazira ?

extraction du gaz carbonique etdes composants soufrés, dés-hydratation et suppression detoute trace de mercure, suscep-tible de corroder les alliages. Legaz est ensuite refroidi puis frac-tionné au cours d’une série dedistillations destinées à isolerles hydrocarbures lourds et,finalement, le propane et lebutane commercialisables.

Les Qataris se refusent à sui-vre les Algériens, pionniers de laliquéfaction, qui financent eux-mêmes la filière, et supportentseuls, en conséquence, le risquecommercial et financier. La Sociéténationale pour la recherche, la pro-duction, le transport, la transfor-mation et la commercialisation deshydrocarbures (Sonatrach) algé-rienne a ainsi construit trois usinesde liquéfaction et exporte unevingtaine de milliards de mètrescubes tirés de son principal gisement, Hassi R’mel (2000 mil-liards de mètres cubes deréserves). Un nain à côté deNorth Dome…

C’est décidé : la compagnienationale, la Qatar Petroleum,détenue à 100% par l’Etat, s’as-sociera à des entreprises étran-gères, comme le font déjà sonvoisin, Abou Dhabi, et l’Indoné-sie. En 1994, deux ans aprèsl’établissement des soldats amé-ricains dans l’émirat (qui abritemaintenant une importante basemilitaire), Qatargas 1 est lancé,

première cargaison de produitspétroliers (essence, kérosène…)tirés du gaz à Pearl Plant. Cetteusine construite par Shell a mobi-lisé sur ses chantiers jusqu’à cin-quante-deux mille travailleurs,logés dans des dortoirs climati-sés alignés en rang d’oignons àmoins de dix minutes de leur lieude travail.

Ce gigantisme est au serviced’un mastodonte sans égal aumonde, le South Pars / NorthDome, le plus gros gisement degaz du monde, qui est aussi uneexception géologique. Au Proche-Orient en général, les gisementscontiennent surtout du pétrole etun peu de gaz, qu’on a d’ailleurslongtemps brûlé à la torchère. Ici,c’est le contraire. Il y a un peu depétrole (le condensat, une huilede qualité recherchée par l’in-dustrie chimique) et énormémentde gaz : 50 900 milliards de

PAR JEAN-PIERRE SÉRÉNI *

AU QATAR, le gaz natu-rel a sa ville : Ras Laf-fan. Ici, à quatre-vingts kilomètres aunord de la capitale,

face au détroit d’Ormuz, vingt-quatre heures sur vingt-quatre,on traite le gaz, on le raffine, onle gèle ou on le brûle, on l’ex-porte (1) et on en vit. En quinzeans, sur cette côte déserte duGolfe, entre sable et rocs, la QatarPetroleum et les grandes com-pagnies internationales d’éner gie(ExxonMobil, Shell, Total, Suez…)ont investi 70 milliards de dollarspour construire le plus grandcomplexe gazier du monde : septusines de liquéfaction, une raffinerie, un vapocraqueurgéant (1,3 million de tonnesd’éthylène), trois centrales élec-triques, plusieurs unités pétro-chimiques, des réservoirs hautsde quarante mètres et vastescomme des terrains de foot. Cin-quante-quatre méthaniers (20%de la flotte mondiale) desserventun interminable terminal portuaired’où est partie, le 14 juin 2011, la

* Journaliste, ancien directeur du NouvelEconomiste.

* Politologue.

PAR MOHAMMED EL-OIFI *

Très influente dans un monde arabeen ébullition, la chaîne Al-Jaziran’est pas sans embarrasserle gouvernement qatari, dontelle contredit parfois les optionsdiplomatiques.

Abritant la troisième réserve mondiale de gaz naturel, après la Russie et l’Iran, le Qatar fait figure d’exception

dans une région d’abord pétrolifère.Cette originalité le place dans le grand jeu

énergétique international, mais elle impliquede coûteux investissements.

Deux propriétairesque tout oppose

Un moratoireimprévu

(1) « La politique étrangère du Qatar», émission «Bila Houdoud»,24 juin 2009, www.aljazeera.net

(2) Robert F. Worth, «Al Jazeera no longer nips at Saudis», TheNew York Times, 4 janvier 2008.

(3) Cf. «Le face-à-face Al-Arabiya/Al-Jazeera : un duel diplo-matico-médiatique», Moyen-Orient, Paris, juin 2010.

(4) « WikiLeaks cables claim al-Jazeera changed coverage to suitQatari foreign policy», The Guardian, Londres, 2 décembre 2010.

(5) « Mustapha Alaoui est [sic] la chaîne Al-Jazira »,www.wabayn.com, 23 novembre 2010.

(6) Lire «Al-Jazira, scène politique de substitution», Le Mondediplomatique, mai 2011.

(7) Emission «Bila Houdoud», op. cit.

(1) En 2011, le Qatar devrait exporterpour près de 90 milliards de dollars d’hydro- carbures. Deux tiers des recettes proviennentdu gaz et un tiers du pétrole brut.

(2) Le British Thermal Unit (abrégé enBtu ou BTU) est une unité anglo-saxonnede mesure de l’énergie. C’est la quantité dechaleur nécessaire pour élever la températured’une livre anglaise d’eau de 1 degréFahrenheit à la pression constante d’uneatmosphère.

(3) Le Forum des pays exportateurs degaz a été institué de manière informelle en2001 à Téhéran. Lors de la septièmerencontre ministérielle, en décembre 2008à Moscou, il s’est doté d’un bureau et d’unsiège social, situé à Doha (Qatar). Le forumcompte onze membres (Algérie, Bolivie,Egypte, Guinée-Equatoriale, Iran, Libye,Nigeria, Qatar, Russie, Trinité-et-Tobago,Venezuela) et plusieurs observateurs ouinvités (Angola, Kazakhstan, Norvège, Pays-Bas et Yémen).

ver impérativement et des prixindexés sur les cours de produitspétroliers substituables au gazou même du brut. Paradoxe : lesprix du GNL montent avec lepétrole alors que le marché mon-dial du gaz, lui, est excédentaire.Le même GNL a donc deux prix :l’un, à court terme, dit « spot » etl’autre contractuel, l’écart entreles deux pouvant atteindre 2 à3 dollars par million de BritishThermal Units (2). Les clients mili-tent pour le prix «spot», inférieur,tandis que les producteurs défen-dent le prix contractuel, plusélevé.

Dès l’été 2008, les pays pro-ducteurs tentent de résisterensemble et de constituer unfront du refus : le Forum des paysexportateurs de gaz (FPEG) (3).L’objectif est, dans l’immédiat, lemaintien des prix en vigueur, et,à terme, la parité des prix dupétrole et du gaz. Les Russessont les premiers à lâcher : Gaz-prom accepte des prix « spot ».Ses clients en bénéficieront pen-dant trois ans sur 15% des enlè-vements contractuels. La Sona-trach algérienne suit bientôt lemouvement. Le Qatar peut-il yéchapper?

Son énorme capacité deliquéfaction est sous-employée,et les installations construitesavec ExxonMobil spécialementpour approvisionner le marchéaméricain sont inaugurées aumoment même où celui-ci seferme aux importations. La quête

de débouchés de substitution enAsie (Thaïlande, Chine) et enIsraël se heurte à la concurrence,souvent russe ou indonésienne,tandis qu’en Europe sesclients (Ente Nazionale Idrocar-buri [ENI], E.ON, Suez…) veulentplus que jamais renégocier enprofondeur leurs contrats.

La bataille de la désindexa-tion des cours du gaz par rap-port au pétrole est loin d’êtrefinie. Assis sur North Dome et ses50000 milliards de mètres cubesde réserves, le Qatar, peu peu-plé, a les moyens d’en attendrel’issue et peut même espérer, àterme, devenir l’Arabie saouditedu gaz, c’est-à-dire le produc-teur qui fait les prix parce qu’ilest le dernier recours…

JEAN-PIERRE SÉRÉNI.

Le Qatar, pays qui rejette leplus de gaz à effet de serre parhabitant, veut promouvoir lestransports en commun. Pour uncoût global de 35 milliards de dol-lars sur dix ans, il prévoit deconstruire quatre lignes de métro,deux lignes de tramway, une lignede métro automatique et, surtout,une ligne de train à grande vitesseentre Doha et Manama, la capitalede Bahreïn. A cela s’ajoutent plu-sieurs lignes ferroviaires pour letransport de marchandises à des-tination notamment de l’Arabiesaoudite. Pour ce qui est desinfrastructures routières, l’un desprojets les plus importants est lepont-digue d’une quarantaine dekilomètres reliant le Qatar et Bah-reïn (coût estimé de ce projetemblématique pour la région :5 milliards de dollars). De plus, lepays a débloqué une enveloppede 20 milliards de dollars pourmoderniser son réseau actuel enconstruisant plusieurs autoroutes.Il veut aussi développer les acti-vités maritimes : le port de Dohava être agrandi et modernisé afinde jouer le rôle de plate-formelogistique et de réexportationrégionale. Budget : 7 milliards dedollars.

Le développement d’un cen-tre financier à Doha est l’un desobjectifs stratégiques du Qatar.Le Qatar Financial Center, crééen 2005, entend dynamiser lesecteur bancaire, qui compte déjàune vingtaine de banques, dontseize locales. Attirées par le booméconomique du pays, toutes lesgrandes institutions financières

mondiales qui se positionnent surle financement de projets y sontprésentes. Mais les autoritésqataries souhaitent surtout queDoha devienne la capitale mon-diale de la finance islamique, afinde rivaliser avec des placescomme Kuala Lumpur, Genève,Londres ou Manama. Des filièresuniversitaires ont été créées pourformer des cadres spécialisésdans cette activité tandis que legouvernement a décidé d’en-courager, notamment par le biaisde la fiscalité, la création debanques islamiques.

D’autres secteurs, jugés stra-tégiques par National Vision2030, sont concernés par ladiversi fication économique. Dans l’agroalimentaire, le Qatar, quiimporte 95% des denrées qu’ilconsomme, souhaite arriver àune autosuffisance de 70 % àl’horizon 2023. En 2008, les auto-rités du pays ont créé le Pro-gramme national pour la sécuritéalimentaire (NFSP), dont la mis-sion est de sécuriser les sourcesd’approvisionnement alimentairepar l’achat de terres agricoles àl’étranger, mais aussi par le lan-cement d’activités agricoles surle sol qatari, notamment la pro-duction de céréales aux environsde la ville d’Al-Khor.

Le pays entend aussi déve-lopper son expertise en matièrehydraulique. Dépendant à 99%de ses usines de désalinisation,il va se doter de réserves straté-giques d’eau potable. Et doncinvestir 2,8 milliards de dollars

pour la construction de réservoirsen béton précontraint (20 mètresde diamètre pour 12 mètres dehauteur) reliés entre eux par despipelines d’une longueur totalede 183 kilomètres. Cette infra-structure va servir à stocker32 millions de mètres cubes d’eaupotable, soit l’équivalent de septjours de consommation de lapopulation estimée en 2040.

Enfin, la diversification del’économie s’opère par le place-ment d’une partie des avoirs dupays à l’étranger, via la QatarInvestment Authority (QIA). Cefonds souverain gère des capi-taux évalués à 60 milliards de dol-lars, investis dans près de vingtpays du Proche-Orient, d’Afrique,d’Europe et d’Amérique du Nord.QIA compte déjà de nombreuxpartenariats avec des entreprisesfrançaises : il détient notamment7,6% de Lagardère, 3% d’EADS(depuis 2008), 0,98 % de SuezEnvironnement, 5,78% de Vinci(en échange de Cegelec et à lasuite de l’aval de la Commissioneuropéenne) et 22,7% du capitalde la Société fermière du casinomunicipal de Cannes (SFCMC).

QIA vient en outre de prendrele contrôle de 70% du capital duclub de football français ParisSaint-Germain. Elle détient éga-lement une participation de 9,1%dans le capital du groupe Hoch-tief, le numéro un allemand dubâtiment, qui est partie prenantedu projet de Lusail City.

AKRAM BELKAÏD.

(Suite de la première page.)

BRUNO BARBEY. – Qatar, 2010M

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1868. La famille Al-Thaniprend possession duQatar, rattachénominalement, depuis1538, à l’Empireottoman.

1916. L’émirat devient unprotectorat britannique.

1940. Découverte du pétrole,dont l’exploitationcommence en 1949.

3 septembre 1971.Le Qatar proclame sonindépendance.

Août 1990. L’émiratautorise le déploiementsur son sol de la coalitioninternationale, menée par les Etats-Unis, après l’invasion duKoweït parl’Irak (2 août).

1991. Dispute territorialeentre le Qatar et Bahreïnautour des îles Hawar.

Juin 1992. Signature d’un accord de défense avec les Etats-Unis.

Juin 1995. M. Khalifa BenHamad Al-Thani, au pouvoir depuis 1972,est renversépar son fils aînéHamad Ben Khalifa.

1996. Création de la chaînesatellitaire Al-Jazira.

Mai 1997. Ouverture de la Bourse de Doha.

Novembre 2001.Quatrième réunionministérielle de l’Organisation mondiale ducommerce (OMC) au Qatar.

Mars-avril 2003.Le Qatar accueille lecommandement centraldes forces américainesdans le Golfe pendant la campagne militairecontre le régime de Saddam Hussein.

29 avril 2003. Unenouvelle Constitution, la première depuisl’indépendance, est approuvée par référendum. Elle entrera en vigueuren 2005.

19 mars 2005. Un attentatcontre une écolebritannique de Doha faitun mort et douze blessés.

2 décembre 2010. L’émiratest choisi pour organiserla Coupe du mondede football en 2022.

Un allié des Etats-Unis

Repères

1 – SEPTEMBRE 2011 – LE MONDE diplomatique S u p p l é m e n t Q a t a r