Psychologie Transpersonnelle

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Transpersonal psychology is a school of psychology that studies the transpersonal, self-transcendent or spiritual aspects of the human experience.

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    PSYCHOLOGIE TRANSPERSONNELLE

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    Du mme auteur chez le mme diteur

    Royaumes de linconscient humain. Les Nouvelles Dimensions de la conscience. La Rencontre de lhomme avec la mort (en collaboration avec Joan Halifax).

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    Stanislav GROF

    PSYCHOLOGIE TRANSPERSONNELLE

    Traduit et adapt de lamricain par Paul Couturiau et Christel Rollinat

    LEsprit et la matire

    DITIONS DU ROCHER Jean-Paul Bertrand

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    Titre original : Journeys beyond the brain Tous droits de traduction, de reproduction et dadaptation rservs pour tous pays. Stanislav Grof, 1984 ditions du Rocher, 1990, 1996 ISBN 2 268 02330 3

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    TABLE DES MATIERES

    Remerciements ............................................................................................... 8 Introduction .................................................................................................. 10 1. La nature de la ralite : laube dun nouveau paradigme ..................... 13

    1.1. Les dfis conceptuels de ltude moderne de la conscience. ............. 13 1.2. Lapproche holonomique : principes nouveaux et perspectives nouvelles. .................................................................................................. 32

    2. Dimensions de la psych humaine : cartographie de lespace intrieur .. 48

    2.1. La barrire sensorielle et linconscient individuel. ............................ 49 2.2. Rencontre avec la mort et avec la re-naissance : dynamique des matrices prinatales. ................................................................................. 51 2.3. Domaines des expriences transpersonnelles. ................................... 62 2.4. Le spectre de la conscience................................................................ 64

    3. Lunivers de la psychothrapie : Vers une intgration des approches ..... 70

    3.1. Sigmund Freud et la psychanalyse classique. .................................... 71 3.2.Les dissidents clbres : Alfred Adler, Wilhelm Reich et Otto Rank. 85 3.3. Psychothrapies existentielles et humanistes. .................................... 97 3.4. Psychothrapies orientation transpersonnelle. .............................. 107

    4. Architecture des dsordres motionnels ................................................. 116

    4.1. Varits dexpriences sexuelles : dysfonctions, dviations, et formes transpersonnelles dEros. ........................................................................ 117

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    4.2. Racines de la violence : sources dagressivit biographiques, prinatales et transpersonnelles. ............................................................. 140 4.3. Dynamique des dpressions, des nvroses et des dsordres psychosomatiques. .................................................................................. 146 4.4. Lexprience psychotique : maladie ou crise transpersonnelle. ...... 181

    5. Dilemmes et controverses de la psychiatrie traditionnelle ..................... 197

    5.1. Le modle mdical : le cheval de Troie de la psychiatrie. ............... 197 5.2. Dsaccords quant la thorie et aux mesures thrapeutiques. ........ 202 5.3. Critres de sant mentale et de rsultats thrapeutiques. ................. 205 5.4. Psychiatrie et religion : rle de la spiritualit dans la vie humaine. 208

    6. Comprhension nouvelle du processus psychothrapeutique ................ 211

    6.1. Nature des symptmes psychogniques. ......................................... 213 6.2. Mcanismes thrapeutiques et transformation de la personnalit.... 219 6.3. Spontanit et autonomie de gurison. ............................................ 226 6.4. Psychothrapie et dveloppement spirituel. .................................... 231

    7. Perspectives nouvelles en psychothrapie et exploration de soi ............ 234

    7.1. Principes dassistance thrapeutique. .............................................. 234 7.2. Techniques de psychothrapie et exploration de soi. ...................... 238 7.3. Objectifs et rsultats de la psychothrapie. ...................................... 249

    Epilogue ...................................................................................................... 255 Bibliographie .............................................................................................. 274

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    Remerciements

    Cet ouvrage est le fruit dune qute intensive et systmatique qui porte sur prs de trois dcennies. A tout moment, les dimensions professionnelles et personnelles taient ce point imbriques quelles ont fini par se fondre en un amalgame inextricable. Ce fut un voyage de transformation personnelle et de dcouverte de soi, en mme temps quun processus dexploration scientifique de territoires vierges de la psych humaine.

    Jai reu, au fil des ans, aide, encouragement et inspiration de bien des individus qui ont tenu une place importante dans ma vie daucuns furent des matres, dautres des amis, des confrres, quelques-uns furent lun et lautre. Il mest impossible de les citer tous nomm-ment. Certaines contributions furent toutefois telles que je tiens leur rendre un hommage tout particulier.

    Angeles Arrien, anthropologue, spcialiste de la mystique basque ; elle fut pour moi un exemple vivant de la fusion harmonieuse des aspects masculins et fminins de la psych et de lintgration de la mystique la vie quotidienne.

    Anne et Jim Armstrong, grce qui jai dcouvert la valeur dun don psychique pur et le potentiel volutionnaire des crises transpersonnelles. Lenthousiasme, la passion et le courage quils mettent explorer la psych humaine et linconnu sont un exemple unique dune aven-ture partage dans la conscience.

    Gregory Bateson, avec qui jai eu le privilge de passer nombre dheures de discussions personnelles et intellectuelles intenses et enrichissantes au cours des deux annes et demie qui prcdrent son dcs, alors que nous poursuivions nos travaux au Esalen Institute en Cali-fornie. Ce fut lun de mes grands matres et de mes amis les plus chers. Sa critique incisive de la pense scientifique mcaniste et sa synthse brillante de la cyberntique, des thories de la communication et des systmes, de la psychiatrie et de lanthropologie exercrent une in-fluence profonde sur ma pense.

    Joseph Campbell, penseur brillant, matre et ami, menseigna des leons inestimables quant limportance prodigieuse de la mythologie pour la psychiatrie et pour notre vie quoti-dienne. Son influence sur ma vie personnelle fut galement apprciable.

    Fritjof Capra, son uvre a jou un rle capital dans mon volution intellectuelle et dans ma qute scientifique. La lecture de son Tao de la Physique ma confirm dans mon espoir de voir un jour les observations extraordinaires de ltude moderne de la conscience intgres

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    dans une nouvelle vision du monde globale et scientifique. Notre amiti et notre collaboration intense au moment o il crivait le Temps du changement maidrent considrablement dans la rdaction de cet ouvrage.

    Michael et Sandra Harner, amis intimes, mont apport soutien et encouragement, ainsi quune occasion de partager des observations et des informations peu conventionnelles. Mi-chael, qui russit tre tout la fois un acadmicien respectable et un chaman blanc ac-compli, fut pour moi un modle et un exemple.

    Swami Muktananda Paramahansa, ce matre spirituel regrett, fondateur de lcole de Siddha Yoga, avec qui jeus la chance dentretenir de multiples contacts aux fils des ans. Cest grce lui que jai observ et ressenti linfluence puissante dune tradition mystique vitale sur les tres humains.

    Ralph Metzner, cet ami cher et ce chercheur brillant, combine dune manire unique une rudition solide, un esprit entreprenant et une me aventureuse.

    Rupert Sheldrake, qui a russi formuler avec une clart et une pertinence rares les li-mites de la pense mcaniste dans les sciences naturelles. Son uvre ma considrablement aid me librer de la camisole du systme de croyances dans lequel mavait emprisonn ma formation scientifique.

    Anthony Sutich et Abraham Maslow, les fondateurs principaux de la psychologie huma-niste et transpersonnelle, furent pour moi des sources constantes dinspiration ; ils donnrent une forme concrte certains de mes rves et certains de mes espoirs concernant lavenir de la psychologie. Ce fut une exprience inoubliable que de vivre avec eux la naissance du mou-vement transpersonnel.

    Arthur Young, sa thorie des processus est lun des concepts les plus excitants que jaie rencontrs au cours de ma vie intellectuelle. Plus je ltudiais, plus il me paraissait vident quil tenait l un mtaparadigme scientifique de demain.

    La dcouverte des principes holonomiques mouvrit un champ nouveau de spculations thoriques et dapplications pratiques. Mes remerciements sadressent ici plus particulire-ment David Bohm, Karl Pribram et Hugo Zucarelli.

    Mon travail clinique avec les substances psychdliques est lorigine de mon intrt pour ltude de la conscience et de la plupart des donnes discutes dans ce livre. Tout cela aurait donc t impossible sans les dcouvertes capitales de Albert Hoffman. Je tiens expri-mer ici ma profonde gratitude pour linfluence profonde que son travail exera sur ma vie professionnelle et personnelle.

    Latmosphre stimulante du Esalen Institute et la beaut fascinante de la cte de Big Sur mont fourni un cadre idal pour la rdaction de ce livre. Mes remerciements sadressent en outre mes amis dEsalen : Dick et Chris Price, Michael et Dulce Murphy, et Rick et Heather Tarnas qui mont accord leur soutien au fil des ans. Cest Rick que je dois davoir dcou-vert les relations existant entre les processus astronomiques et la dynamique archtype. Ka-thleen OSaughnessy qui a ralis la frappe dfinitive du manuscrit a droit toute ma grati-tude.

    Mes remerciements les plus vifs vont enfin aux membres de ma famille ma mre Ma-ria, mon frre Paul et ma femme Christina qui ont support avec patience les bouleverse-ments intellectuels, psychologiques, philosophiques et spirituels inhrents ma qute. Chris-tina, en particulier, sest avre mon amie la plus proche et ma collaboratrice la plus enthou-siaste depuis quelle partage ma vie professionnelle et personnelle. Cest ensemble que nous avons dvelopp et pratiqu la technique de thrapie holotropique dcrite dans cet ouvrage. Son parcours personnel ma enseign des leons dune richesse telle que seule la vie peut en procurer. Cest ensemble enfin que nous avons fond Big Sur le Spiritual Emergency Net-work.

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    INTRODUCTION

    Ce livre est le rsultat de prs de trois annes dtude systmatique des tats non-ordinaires de conscience induits par des substances psychdliques et par diverses mthodes non-pharmacologiques. Ce document reflte mes efforts pour organiser et intgrer dune manire globale une masse dobservations qui a dfi pendant plusieurs annes mon systme de croyance scientifique. Cette avalanche de donnes perturbantes ma contraint ajuster rgulirement mes cadres conceptuels.

    Je ne mattends pas ce que le lecteur adhre sans rticence aux ides prsentes dans ce livre, sauf sil a lui-mme vcu de telles expriences, auquel cas jespre quil sera heureux dy trouver une confirmation des mul-tiples problmes auxquels il a t confront. Les rapports dautres chercheurs nont cess de mencourager dans ma dmarche ; jy trouvais la preuve que ma qute ntait pas solitaire comme je le redoutais parfois.

    Jespre par ailleurs que cet ouvrage captivera les lecteurs ayant une grande ouverture desprit et quil les aidera conduire leurs propres re-cherches que leur intention soit daffirmer ou dinfirmer mes positions.

    Les donnes exposes dans ce livre prsentent galement un intrt pour les chercheurs qui tudient des problmes semblables dans le cadre dautres disciplines. Citons les anthropologues, les thanatologues, les thrapeutes, les psychiatres, les parapsychologues, les physiciens, etc.

    Nombre des problmes abords dans ce livre sont dune telle importance fondamentale quils prsentent un intrt particulier tant pour le grand public que pour les rudits. Les questions essentielles sont celles ayant trait la nouvelle reprsentation de la ralit et de la nature humaine, la vision scientifique du monde qui intgre les dimensions mystiques de lexistence, la comprhension alternative des problmes motionnels et psychosoma-

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    tiques y compris certains tats psychotiques, une nouvelle stratgie pour la thrapie et lexploration de soi et aux rflexions sur la crise actuelle.

    Durant les premires annes de ma recherche psychdlique, jai appris une leon importante lorsque je parlais librement mes amis et confrres de mes observations passionnantes. Mon honntet provoquait lincrdulit et la suspicion. Elle constituait donc un risque srieux pour ma rputation profes-sionnelle.

    Je nai rencontr, durant les dix annes de ma recherche sur le L.S.D. en Tchcoslovaquie, quune poigne damis et de confrres ayant une curiosit desprit suffisante pour accepter lensemble du spectre des nouvelles dcou-vertes et pour tudier leurs implications scientifiques et philosophiques.

    Le cercle des personnes intresses saccrut rapidement lorsque jarrivai aux Etats-Unis et que je commenai donner des confrences concernant ma recherche en Europe. Ce fut pour moi une dcouverte passionnante et encou-rageante aprs des annes disolement professionnel.

    Je me joignis, vers la fin des annes soixante, un petit groupe de profes-sionnels parmi lesquels je mentionnerai : Abraham Maslow, Anthony Sutich, James Fadiman, etc. Nous tions convaincus que le moment tait venu de lancer un mouvement en psychologie qui se concentrerait sur ltude de la conscience et sur la reconnaissance de limportance des dimensions spiri-tuelles de la psych. Aprs plusieurs rencontres visant prciser les nou-veaux concepts, nous avons baptis cette orientation psychologie transper-sonnelle . Nous lancions peu de temps aprs le Journal of Transpersonal Psychology et nous crions lAssociation for Transpersonal Psychology.

    La psychologie transpersonnelle prsentait une certaine cohsion interne et se suffisait en quelque sorte elle-mme, mais elle nen tait pas moins coupe du courant principal de la science. Elle tait, linstar de ma propre vision du monde et de mon systme personnel de croyance, vulnrable aux accusations, donc incompatible avec le bon sens et la pense scientifique en vigueur.

    Cette situation volua rapidement durant les dix premires annes dexistence de lAssociation for Transpersonal Psychology. La perspective transpersonnelle transcendait les limites troites de la psychiatrie, de la psy-chologie et de la psychothrapie. Des dcouvertes rvolutionnaires dautres disciplines (la physique quantique-relativiste, la thorie des systmes et de la communication, ltude des structures dissipatives, la recherche sur le cer-veau, la parapsychologie, lholographie, et la pense holonomique) confir-mrent nos constatations. Les liens se resserrrent rcemment grce aux nouvelles formulations en biologie, en embryologie et en gntique. Ltude du comportement et le dveloppement de la technologie holophonique ap-portrent galement une large contribution.

    Les pionniers de ces nouveaux modes de pense participrent au fil des ans aux programmes ducatifs empiriques de quatre semaines que ma

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    femme, Christina, et moi-mme conduisons linstitut dEsalen, Big Sur. Ces rencontres mont permis davoir des changes informels et formels avec Frank Barr, Gregory Bateson, Joseph Campbell, Fritjof Capra, Duane Elgin, David Finkelstein, Elmer et Alyce Green, Michael Harner, Stanley Krippner, Rupert Sheldrake, Saul-Paul Siraq, Russel Targ, Charles Tart, Arthur Young et bien dautres, ainsi quavec les prcurseurs de la psychologie transperson-nelle : John Perry, June Singer, Richard Tarnas, Frances Vaughan, Roger Walsh et Ken Wilber.

    Ces sminaires furent la source principale dinspiration pour lInternational Transpersonal Association (ITA) que jai fonde en 1978, avec Michael Murphy et Richard Price. LITA insiste sur limportance des changes internationaux et pluridisciplinaires. Jai organis dimportantes rencontres internationales Boston, Melbourne et Bombay lorsque jtais prsident de cette association. Ces rencontres annuelles ont accueilli des confrenciers de grande valeur et un vaste public se caractrisant par sa grande ouverture desprit. Elles ont contribu cristalliser les formulations thoriques et consolider le mouvement transpersonnel.

    La nouvelle pense en science et les dveloppements individuels fasci-nants nont pas encore t intgrs en un paradigme scientifique cohrent et global susceptible de remplacer le modle mcaniste de lunivers. De nou-velles pices sajoutent pourtant ce puzzle une vitesse tonnante. Il im-porte pour lavenir de la science voire de notre plante que ces impli-cations soient acceptes par la communaut scientifique. Cest la raison pour laquelle jai choisi de ne pas livrer au lecteur ce matriau sous une forme simplifie et vulgarise. Jai prsent les donnes de mon tude de la cons-cience dans le cadre des dcouvertes rvolutionnaires dautres disciplines qui furent importantes pour mon volution personnelle et professionnelle.

    Lune des plus profondes influences sur ma pense fut la dcouverte des principes holonomiques, tels que prsents dans les uvres de Gottfried Wilhelm Leibniz, de Jean-Baptiste Fourier, de Dennis Gabor, de David Bohm, de Karl Pribram et de Hugo Zucarelli. Jy reconnus les alternatives rvolutionnaires au concept mcaniste de lesprit contenu dans le cerveau proposes par la pense holonomique.

    Stanislav Grof, M.D.

    Big Sur, Californie, Octobre 1983.

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    1. LA NATURE DE LA REALITE : A LAUBE DUN NOUVEAU PARADIGME

    1.1. Les dfis conceptuels de ltude moderne de la conscience. Des gnrations de chercheurs se sont engages, tout au long de lhistoire

    de la science moderne, avec enthousiasme et dtermination dans les divers secteurs de recherche proposs par le paradigme newtonien-cartsien, ngli-geant volontiers les concepts et les observations qui auraient remis en ques-tion les postulats philosophiques fondamentaux partags par lensemble de la communaut scientifique. La plupart des scientifiques ont t si soigneuse-ment conditionns par leur ducation ou si impressionns et si griss par leurs succs pragmatiques quils suivaient leur modle la lettre, en le con-sidrant comme une description prcise et exhaustive de la ralit. Dinnombrables observations de divers secteurs furent donc systmatique-ment ignores, supprimes, voire tournes en drision en raison de leur in-compatibilit avec le mode de pense mcaniste et rductionniste, qui devint pour beaucoup synonyme dapproche scientifique.

    Les succs de ce comportement furent, pendant une longue priode, si frappants quils obscurcirent les checs pratiques et thoriques. Il devint de plus en plus difficile de maintenir cette position dans latmosphre de crise marque qui accompagne les progrs scientifiques rapides. Il est vident que les vieux modles scientifiques napporteront jamais de rponses satisfai-santes aux problmes humains auxquels nous nous trouvons confronts sur un plan individuel, social, international et global. Nombre de savants mi-nents ont laiss entendre de diverses manires que la vision mcaniste du monde avait contribu la crise actuelle et quelle lavait peut-tre mme engendre.

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    Un paradigme est plus quun modle thorique utile pour la science. Sa philosophie modle le monde par linfluence directe quelle exerce sur les individus et sur la socit. La science newtonienne-cartsienne a cr une image trs ngative des tres humains, les prsentant comme des machines biologiques mues par des impulsions instinctives de nature bestiale. Elle ignore purement et simplement les valeurs suprieures, telles que la cons-cience spirituelle, les sentiments damour, les besoins esthtiques ou le sens de la justice. Celles-ci sont considres comme des drivs des instincts fondamentaux ou comme des compromis trangers la nature humaine. Cette vision assimile lindividualisme, lgosme, la comptitivit et le prin-cipe de la survie du plus fort des tendances naturelles et saines. La science matrialiste, aveugle par sa vision du monde considr comme un conglomrat dunits spares interagissant de manire mcanique, sest avre incapable de reconnatre la valeur et limportance de la coopration, de la synergie et des soucis cologiques.

    Ses prodigieux succs techniques, qui permettent de rsoudre la majorit des problmes matriels accablant lhumanit, se sont finalement retourns contre elle. Ils ont engendr un monde dans lequel les plus grands triomphes de la science lnergie nuclaire, la technologie spatiale, la cyberntique, les lasers, les ordinateurs et les autres gadgets lectroniques ainsi que les miracles de la chimie moderne et de la bactriologie se sont transforms en un danger mortel et en un cauchemar de tous les instants. Nous avons ainsi hrit dun monde divis sur les plans politique et idologique, menac par les crises conomiques, par la pollution industrielle et par le spectre de la guerre nuclaire. Au vu de cette situation, les individus sont de plus en plus nombreux qui sinterrogent quant lutilit des progrs technologiques de pointe qui ne sont contrls ni par des tres mrs ni par une espce suffi-samment volue pour matriser de manire constructive les outils quelle a crs.

    La situation conomique, socio-politique et cologique du monde se dt-riorant, de plus en plus dindividus semblent dlaisser la stratgie de mani-pulation et de contrle unilatraux du monde matriel pour rechercher en eux les rponses aux problmes. On note un intrt certain pour lvolution de la conscience considre comme une alternative la destruction globale. Celui-ci se manifeste par une popularit croissante de la mditation ou dautres pratiques spirituelles antiques et orientales, des psychothrapies empiriques ainsi que de la recherche clinique ou exprimentale sur la conscience. Ces activits ont remis en vidence le fait que les paradigmes traditionnels sont inaptes expliquer et intgrer un nombre important dobservations prove-nant de divers secteurs et dautant de sources contestataires .

    Ces donnes sont dans leur ensemble dune importance critique ; elles r-vlent la ncessit imprieuse dune rvision radicale de nos concepts fon-damentaux de la nature humaine et de celle de la ralit. De nombreux scien-tifiques et professionnels de la sant mentale ayant lesprit ouvert ont pris

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    conscience du fait quil existe un foss insondable entre la psychologie et la psychiatrie contemporaines et les grandes traditions spirituelles antiques ou orientales. Citons parmi celles-ci les diverses formes de yoga, le shivasme du Cachemire, le Vajrayana tibtain, le taosme, le bouddhisme Zen, le sou-fisme, la kabbale ou lalchimie. La richesse de connaissance profonde de la psych et de la conscience humaine accumule par ces systmes depuis des sicles, voire des millnaires, na t ni apprcie sa juste valeur ni tudie ni intgre par la science occidentale.

    Des anthropologues, conduisant des recherches sur le terrain parmi des cultures non-occidentales, ont rapport depuis des dcennies toute une srie de phnomnes pour lesquels les cadres conceptuels traditionnels noffrent que des explications superficielles et peu convaincantes, voire aucune expli-cation. De nombreuses observations extraordinaires lies des cultures sp-cifiques ont t dcrites dans des tudes bien documentes ; elles ont cepen-dant t souvent rejetes ou interprtes en termes de croyances primitives, de superstitions ou de psychopathologie individuelle ou collective. Mention-nons cet gard les expriences et les pratiques chamaniques, les tats de transe, les rituels aborignes, les pratiques spirituelles de gurison ou le d-veloppement de diverses capacits paranormales par des individus ou des groupes sociaux. Cette situation est plus complexe quil ny parat pre-mire vue. Des contacts informels et confidentiels avec des anthropologues mon convaincu que nombre dentre eux ont choisi dlibrment de taire certains aspects de leurs expriences sur le terrain par crainte de se voir tour-ns en drision ou dtre rejets par leurs collgues newtoniens-cartsiens et de sacrifier leur respectabilit professionnelle.

    Les cultures exotiques ne sont pas les seules faire ressortir les insuffi-sances et les failles de lancien paradigme. La recherche clinique et expri-mentale occidentale a soulev des dfis aussi srieux. Les expriences recou-rant lhypnose, lisolation ou la surcharge sensorielle, au contrle vo-lontaire des tats internes, au biofeedback et lacupuncture ont clair dun jour nouveau nombre de pratiques antiques et orientales, mais elles ont en-gendr plus de problmes quelles nont apport de rponses satisfaisantes. La recherche psychdlique a clarifi dune certaine manire de nombreuses donnes historiques et anthropologiques jusqualors troublantes concernant le chamanisme, les cultes de mystre, les rites de passage, les crmonies de gurison et les phnomnes paranormaux rsultant de lemploi de plantes sacres. Elle a simultanment confort la connaissance aborigne et orientale antique de la conscience et a min certaines conceptions philosophiques fondamentales de la science mcaniste. Lexprimentation laide de drogues psychdliques a branl la comprhension conventionnelle de la psychothrapie, les modles traditionnels de la psych, la reprsentation de la nature humaine ainsi que des convictions essentielles quant la nature de la ralit.

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    Les observations de la recherche psychdlique ne se limitent pas lemploi de substances psychotoniques ; les mmes expriences ont t in-duites dans le cadre des psychothrapies modernes et du travail sur le corps ne recourant pas aux drogues, telles que lanalyse jungienne, la psychosyn-thse, diverses approches reichiennes, la pratique Gestalt, des formes modi-fies de thrapies primales, limagerie guide avec musique, le Rolfing, di-verses techniques de re-naissance, la rgression vers des vies passes et linterview en scientologie. La technique dintgration holonomique dve-loppe par ma femme, Christina, et moi-mme est une approche ne recourant pas aux drogues qui associe la respiration contrle, la musique vocatrice, et le travail sur le corps. Elle permet dinduire un large spectre dexpriences qui concide pratiquement avec le spectre des expriences psychdliques.

    La recherche parapsychologique est une autre source importante dinformations branlant les paradigmes tablis de la science mcaniste. Il est de plus en plus difficile dignorer et de nier les donnes a priori de nom-breuses expriences conduites avec soin et valables sur le plan de la mtho-dologie, uniquement parce quelles sont incompatibles avec le systme tradi-tionnel de croyance. Des scientifiques respectables et jouissant dune solide rputation tels que J.B. Rhine, Gardner Murphy, Jules Eisenbud, Stanley Krippner, Charles Tart, Elmer et Alyce Green, Arthur Hastings, Russel Targ et Harold Puthoff, ont accumul des preuves de lexistence de la tlpathie, de la clairvoyance, de la projection astrale, de la vision distance, du dia-gnostic et de la gurison psychiques ou de la psycho-cinse ; celles-ci pour-raient fournir des indications importantes pour une comprhension nouvelle de la ralit. On remarque avec intrt que nombre de physiciens modernes, familiers de la physique quantique-relativiste, montrent en gnral un intrt de plus en plus grand pour les phnomnes paranormaux, contrairement la majorit des psychiatres et des psychologues traditionnels. Il convient ga-lement de mentionner cet gard les donnes fascinantes provenant du champ de la thanatologie, qui suggrent que des individus dcds sur le plan clinique peroivent souvent avec prcision les vnements se droulant leur proximit et ce dune position qui ne leur serait pas accessible dans un tat conscient.

    Je ne discuterai pas tous les points voqus ci-dessus de manire synop-tique et complte ; je me concentrerai plutt dans les paragraphes suivants sur les observations de la recherche psychdlique, et en particulier de la recherche LSD. Jai adopt cette dmarche pour diverses raisons. La plupart des chercheurs tudiant les effets des substances psychdliques en sont arrivs la conclusion que ces drogues peuvent tre considres comme des amplificateurs ou des catalyseurs des processus mentaux. Il ne semble pas quelles induisent des tats spcifiques la drogue utilise, mais plutt quelles activent des matrices ou des potentiels pr-existant dans lesprit humain. Lindividu, qui les ingre, nexprimente pas une psychose toxique sans rapport avec la manire dont fonctionne son esprit dans des

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    circonstances normales ; il sengage plutt dans un fantastique voyage int-rieur au royaume de son inconscient. Ces drogues rvlent donc et permet-tent dobserver de manire directe un ventail large de phnomnes autre-ment occults qui reprsentent les capacits intrinsques de lesprit humain et jouent un rle important dans la dynamique mentale normale.

    Le spectre psychdlique, couvrant lensemble des expriences humaines possibles, regroupe tous les phnomnes se manifestant dans les contextes ne recourant pas la drogue, mentionns prcdemment. Leffet catalyseur des substances psychdliques permet en outre dinduire des tats inhabituels de conscience dune intensit et dune clart extraordinaires dans des conditions contrles et avec une grande constance. Ce fait reprsente un avantage con-sidrable pour le chercheur en faisant des phnomnes psychdliques un outil prcieux pour ltude systmatique.

    La raison la plus importante et la plus vidente, qui ma pouss limiter cette discussion au champ de la recherche psychdlique, est lintrt scienti-fique que je porte depuis longtemps ce secteur. Jai conduit plusieurs mil-liers de sances avec le LSD et avec dautres substances similaires. Je pos-sde donc une connaissance des phnomnes induits par la drogue qui me fait dfaut pour ce qui est des autres types dexpriences mentionns. Mon intrt et ma connaissance des drogues psychdliques remontent 1954. Jai conduit depuis lors plus de 3 000 sances avec LSD et jai eu accs plus de 2 000 rapports de sances conduites par des confrres en Tchcoslo-vaquie et aux Etats-Unis. Les sujets de ces expriences taient des volon-taires normaux , divers types de patients relevant de la psychiatrie et des individus souffrant dun cancer terminal. Les sujets volontaires rassem-blaient des psychiatres et des psychologues, des scientifiques de diverses disciplines, des artistes, des philosophes, des thologiens, des tudiants et des infirmires travaillant dans des services psychiatriques. Les patients prsentant des dsordres motionnels appartenaient plusieurs catgories diagnostiques : il y avait des individus souffrant de diverses formes de d-pression, des psycho-nvrotiques, des alcooliques, des drogus, des dviants sexuels, des personnes atteintes de dsordres psychosomatiques, des psycho-tiques indtermins, et des schizophrnes. Les deux approches majeures utilises dans ce travail thrapies psycholytique et psychdlique ont t dcrites en dtail dans un autre de mes ouvrages*.

    Mon travail clinique ma convaincu que la nature de lexprience LSD et les multiples observations faites dans le cadre de la thrapie psychdlique ne pouvaient tre expliques en fonction de lapproche mcaniste newto-nienne-cartsienne de lunivers, et plus spcifiquement, en fonction des mo-dles neurophysiologiques du cerveau en vigueur. Jen suis arriv, aprs des annes defforts et de confusion conceptuels, la conclusion que les donnes de la recherche LSD mettaient en vidence le besoin urgent dune rvision

    * Stanislav Grof, Royaumes de linconscient humain, ditions du Rocher, 1983.

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    radicale des paradigmes de la psychologie, de la psychiatrie, de la mdecine et en dfinitive de la science en gnral. Il ne subsiste gure de doute dans mon esprit que notre comprhension actuelle de lunivers, de la nature de la ralit et en particulier des tres humains, est superficielle, errone et incom-plte**.

    Je mefforcerai de dcrire brivement les observations les plus impor-tantes de la psychothrapie avec LSD que je considre comme autant de dfis srieux la thorie psychiatrique contemporaine, aux convictions m-dicales actuelles et au modle mcaniste de lunivers se fondant sur les uvres de Isaac Newton et de Ren Descartes. Certaines de ces observations sont lies des caractristiques spcifiques des tats psychdliques, dautres au contenu des expriences et dautres encore quelques relations extraordinaires qui existent entre elles et la structure de la ralit externe. Je tiens insister sur le fait que la discussion suivante ne sapplique pas uni-quement aux tats psychdliques mais encore toute une srie dtats non-ordinaires de conscience se manifestant spontanment ou laide de tech-niques ne recourant pas aux drogues. Tous les points abords sont donc va-lables de manire gnrale pour la comprhension de lesprit humain, quil soit sain ou non.

    Je dbuterai cette discussion par une brve description des caractris-tiques des tats non-ordinaires de conscience. Des squences spectaculaires de diverses sortes peuvent tre exprimentes avec une vrit, une ralit et une intensit sensorielles qui galent ou surpassent la perception ordinaire du monde matriel. Les aspects optiques de ces squences prdominent chez la majorit des personnes, pourtant des expriences trs ralistes se manifestent parfois dans tous les autres secteurs sensoriels. Des sons isols puissants, des voix humaines et des cris danimaux, des squences musicales compltes, une douleur physique et dautres sensations somatiques intenses ainsi que des gots et des odeurs distincts dominent parfois lexprience ou y jouent un rle important. Lidation peut tre influence de manire profonde et lintellect peut engendrer des interprtations de la ralit trs diffrentes de celles qui caractrisent lindividu dans son tat normal de conscience. La description des lments empiriques essentiels des tats inhabituels de cons-cience ne serait pas complte si on omettait de mentionner toute une srie dmotions puissantes qui en sont les composants classiques.

    Nombre dexpriences psychdliques semblent possder une qualit semblable celles de la vie quotidienne les squences se droulant dans lespace tridimensionnel et respectant le continuum du temps linaire. On nen a pas moins facilement accs des dimensions supplmentaires et des alternatives empiriques. Ltat psychdlique possde une qualit multi-niveaux et multidimensionnelle et les squences newtoniennes-

    ** R.D. Laing a rcemment exprim une conclusion similaire dans son ouvrage excellent,

    La Politique de lExprience, Stock, 1969.

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    cartsiennes, quand elles se produisent, paraissent slectionnes arbitraire-ment dans un continuum complexe de possibilits infinies. Elles prsentent simultanment toutes les caractristiques que nous associons la perception du monde matriel de la ralit objective .

    Les sujets LSD parlent souvent d images , celles-ci nont toutefois pas la qualit de photographies. Elles sont en mouvement constant et vhiculent une action et une scne. Lexpression film intrieur , qui apparat si sou-vent dans les rapports de sances, ne dcrit pas non plus leur nature de ma-nire correcte. La dimension tridimensionnelle des scnes est simule au cinma par le mouvement de la camra. La perception de lespace doit tre lue dans une prsentation bidimensionnelle et dpend, en dfinitive, de linterprtation du spectateur. Les visions psychdliques sont, en revanche, tridimensionnelles et possdent toutes les qualits de la perception quoti-dienne, ou tout au moins, ce peut tre le cas dans certains types dexpriences LSD. Elles occupent un espace spcifique et il est possible de les observer selon des directions et des angles diffrents avec une vritable parallaxe. Il est possible de varier la focale et dtablir la mise au point sur lun ou lautre niveau ou plan du continuum empirique, de perce-voir ou de reconstruire des textures fines, de voir travers les composants transparents des objets aperus tels quune cellule, un embryon, des frag-ments dune plante ou une pierre prcieuse. Ce dplacement intentionnel de la mise au point est un simple mcanisme consistant brouiller ou clarifier les images. Elles peuvent tre clarifies en surmontant les distorsions provo-ques par la peur, les dfenses et les rsistances ou en laissant le contenu voluer le long du continuum du temps linaire.

    Une caractristique importante de lexprience psychdlique est quelle transcende lespace et le temps. Elle nglige le continuum linaire entre le microcosme et le macrocosme qui parat absolument invitable dans ltat de conscience quotidien. Les objets reprsents recouvrent lensemble de la gamme des dimensions : des atomes, des molcules et des cellules uniques jusquaux gigantesques corps clestes, aux systmes solaires et aux galaxies. Les phnomnes de la zone de moyennes dimensions perceptibles direc-tement par nos sens apparaissent sur le mme continuum empirique que ceux ncessitant une technologie complexe, telle que des microscopes et des t-lescopes, pour tre accessibles aux sens humains. La distinction entre micro-cosme et macrocosme est arbitraire du point de vue empirique ; ils peuvent coexister dans la mme exprience et sont aisment interchangeables.

    Un sujet LSD a parfois la conviction dtre une cellule, un ftus et une galaxie ; ces trois tats sont dans certains cas simultans ; dans dautres, ils se manifestent de manire alternative par un simple changement de mise au point. La linarit des squences temporelles est galement transcende dans les tats inhabituels de conscience. Des scnes appartenant diffrents con-textes historiques se droulent parfois en mme temps et semblent tre lies de manire significative par leurs caractristiques empiriques. Ainsi, une

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    exprience traumatisante de lenfance, une squence pnible de la naissance biologique et ce qui semble tre le souvenir dun vnement tragique dune incarnation passe se manifestent simultanment en tant que partie dun mo-dle empirique complexe. Lindividu a toujours le choix de se concentrer plus particulirement sur lune de ces scnes, de les vivre toutes en mme temps ou de les percevoir de manire alternative, tout en dcouvrant les rela-tions significatives existant entre elles. Le fait de la distance temporelle li-naire, qui domine lexprience quotidienne, est ignor et des vnements appartenant divers contextes historiques sont rassembls lorsquils vhicu-lent la mme motion forte ou une sensation physique intense de mme type.

    Les expriences psychdliques offrent de multiples alternatives empi-riques au temps linaire et lespace tridimensionnel de Newton, qui carac-trisent notre existence quotidienne. Des vnements du pass rcent ou lointain et du futur peuvent tre vcus dans les tats non-ordinaires de cons-cience avec la vrit et la complexit qui sont rserves dans ltat ordinaire de conscience au seul moment prsent. Il existe des modes dexpriences psychdliques dans lesquels le temps parat ralentir ou acclrer, reculer ou tre transcend jusqu cesser dexister. Il est peru comme tant circulaire, circulaire et linaire simultanment, se droulant selon une trajectoire en spirale, ou comme prsentant certains modles spcifiques de dviation et de dformation. Le temps est souvent transcend en tant que dimension et ac-quiert des caractristiques spatiales ; le pass, le prsent et lavenir sont es-sentiellement juxtaposs et coexistent dans linstant prsent. Les sujets LSD exprimentent parfois diverses formes de voyages dans le temps, traversent des nuds dans le temps, rgressent dans le pass historique ou sortent pu-rement et simplement de la dimension temporelle pour y rentrer en un autre point de lhistoire.

    La perception de lespace est soumise aux mmes modifications : des tats inhabituels de lesprit dmontrent ltroitesse et la limitation de lespace restreint trois coordonnes. Les sujets LSD racontent souvent quils ont eu le sentiment que lespace et lunivers taient courbes et compris lun dans lautre ou quils ont peru des mondes ayant quatre ou cinq dimen-sions voire plus. Dautres ont limpression de se situer en un point de la conscience dpourvu de dimension. Rien ninterdit de considrer lespace comme une construction et une projection arbitraires de lesprit qui na pas la moindre existence objective. Des univers dordres divers sinterpntrant peuvent, en certaines circonstances, tre perus dans une coexistence holo-graphique. Daucuns exprimentent, dans le cas des voyages dans le temps par exemple, un transfert linaire vers un autre lieu produit par un voyage mental dans lespace, par un transport direct et immdiat travers un nud de lespace ; dautres sortent purement et simplement de la dimension spa-tiale pour y rentrer en un autre lieu.

    Une autre caractristique importante des tats psychdliques est la trans-cendance de la distinction nette entre la matire, lnergie et la conscience.

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    Les visions intrieures sont parfois si ralistes quelles simulent avec succs les phnomnes du monde matriel, et inversement ce qui apparat dans la vie quotidienne comme matire solide et tangible se dsintgre parfois en des modles dnergie, en une danse de vibrations cosmiques ou en un jeu de conscience. Le monde des individus et des objets spars est remplac par une masse indiffrencie de modles dnergie ou de conscience dans les-quels les types et les niveaux de limites paraissent futiles et arbitraires. Ceux qui considraient lorigine que la matire tait le fondement de lexistence et que lesprit tait un de ses drivs, dcouvrent tout dabord que la cons-cience est un principe indpendant dans le sens du dualisme psychophysique et lacceptent en dfinitive comme tant la seule ralit. Dans les tats desprit les plus universels et les plus globaux, la dichotomie entre existence et non-existence est elle-mme transcende ; la forme et le vide paraissent quivalents et interchangeables.

    Un aspect trs intressant et trs important des tats psychdliques est la manifestation dexpriences complexes ayant un contenu condens ou com-pos. Certaines des expriences peuvent, au cours de la psychothrapie LSD, tre dcryptes comme des formations symboliques combinant de manire crative des lments de diverses origines relis sur le plan motionnel et thmatique*.

    Il existe un parallle vident entre ces structures dynamiques et les images de rves telles que les analysait Sigmund Freud. Dautres exp-riences composes paraissent plus homognes ; plutt que de reflter plu-sieurs thmes et niveaux de signification diffrents y compris ceux de nature contradictoire de tels phnomnes reprsentent une pluralit de leur contenu sous une forme unifie produite par une somme dlments varis. Appartiennent cette catgorie : les expriences dunit duale avec une autre personne, avec la conscience dun groupe dindividus ou avec celle de toute la population dun pays (lInde, la Russie tzariste, lAllemagne na-zie) ou encore avec celle de toute lhumanit. Dautres exemples importants mritant dtre mentionns dans ce contexte sont les expriences archtypes de la Grande ou Terrible Mre, de lHomme ou de la Femme, du Pre, de lAmant, de lHomme Cosmique, ou de la totalit de la vie considre comme un phnomne cosmique.

    Cette tendance crer des images composes ne se manifeste pas seule-ment dans le contenu intrieur de lexprience psychdlique. Elle est aussi responsable dun autre phnomne courant et important : la transformation illusoire des personnes prsentes durant les sances psychdliques, ou celle de lenvironnement, par le matriau inconscient mergent chez un sujet LSD qui garde les yeux ouverts. Les expriences qui en rsultent reprsentent des amalgames complexes combinant la perception du monde extrieur aux l-

    * La vision de Charlotte expose dans mon ouvrage Royaumes de linconscient humain

    (op. cit.) illustre parfaitement ce type dexprience.

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    ments projets ayant leur origine dans linconscient. Ainsi, un thrapeute sera peru simultanment selon son identit relle et comme un parent, un bourreau, une entit archtype ou personnage dune incarnation prcdente. La salle de traitement devient de manire illusoire la chambre denfant, lutrus au moment de la naissance, une prison, une cellule de condamn mort, un bordel, une hutte aborigne, etc., tout en conservant sur un autre plan son identit originale.

    La dernire caractristique extraordinaire des tats inhabituels de cons-cience, qui mrite dtre mentionne dans ce contexte, est la transcendance de la diffrence entre lego et les lments du monde extrieur ou, de ma-nire plus gnrale, entre la partie et le tout. Il est possible, au cours dune sance LSD, dtre intimement convaincu quon est quelquun ou quelque chose dautre, avec ou sans perte de lidentit originale. Lexprience de soi en tant que partie infiniment petite et spare du reste de lunivers ne parat pas incompatible avec la sensation dtre simultanment nimporte quelle autre partie de lunivers ou encore dtre tout ce qui existe. Les sujets LSD exprimentent de manire simultane ou alternative diffrentes identi-ts. A un extrme, on rencontre lidentification une crature biologique spare, limite et trangre habitant un corps matriel ou tant ce corps. Lindividu est diffrent, dans cet tat, du reste du monde et reprsente une fraction infime et en dfinitive ngligeable du tout. On trouve, lautre ex-trme, lidentification empirique totale la conscience indiffrencie de lEsprit Universel ou du Vide et donc lensemble du rseau cosmique et la totalit de lexistence. Cette dernire exprience possde la qualit para-doxale dtre sans contenu et pourtant contenant tout ; rien nexiste en elle sous une forme concrte, mais toute lexistence y est simultanment repr-sente ou prsente sous une forme potentielle ou germinale.

    Les observations lies au contenu des expriences non-ordinaires consti-tuent un dfi encore plus critique au paradigme newtonien-cartsien que leurs caractristiques formelles dcrites ci-dessus. Tout thrapeute LSD, ayant une ouverture desprit suffisante et ayant conduit de nombreuses sances psychdliques, se trouve confront une avalanche de donnes inexplicables dans les cadres scientifiques existants. Lexplication fait dfaut la plupart du temps en raison dun manque dinformation quant aux liens causals, mais elle est thoriquement inimaginable si lon maintient les postu-lats de la science mcaniste.

    Mon travail sur le LSD ma fait comprendre que je ne pouvais continuer fermer les yeux sur une masse considrable de donnes surprenantes parce quelles taient incompatibles avec les conceptions fondamentales de la science contemporaine. Il y a longtemps galement que jai cess de me rconforter en me disant quil existait sans doute quelque explication raison-nable mme si je ntais pas capable de la dcouvrir, ft-ce dans mes fan-tasmes les plus fous. Je me suis donc ouvert lventualit que notre vision scientifique du monde tait peut-tre superficielle, impropre et imprcise

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    comme nombre de celles qui la prcdrent dans lhistoire. Jai donc com-menc enregistrer soigneusement toutes les observations stupfiantes et controversables, sans plus les juger et sans plus tenter de les expliquer. Ds que je fus mme de me librer de ma dpendance lgard des anciens modles pour devenir un simple observateur participant au processus, jai progressivement pris conscience du fait quil existe des modles importants tant dans les philosophies antiques ou orientales que dans la science occiden-tale moderne qui offrent des alternatives conceptuelles encourageantes et prometteuses.

    Jai dcrit en dtail, dans un autre ouvrage, les observations les plus im-portantes rsultant de la recherche LSD qui reprsentent un dfi critique la vision mcaniste du monde. Je me contenterai donc, dans ce chapitre, de dcrire brivement les dcouvertes les plus significatives*.

    Jai dcouvert, en analysant le contenu des phnomnes LSD, quil tait utile de distinguer quatre types dexpriences psychdliques. Le plus super-ficiel en termes de disponibilit pour un individu moyen regroupe les expriences abstraites ou esthtiques. Celles-ci ne possdent pas de contenu symbolique spcifique li la personnalit du sujet ; elles sont explicables en termes danatomie et de physiologie des organes sensoriels, tels que pr-sents dans les textes mdicaux traditionnels. Je nai pas dcouvert ce ni-veau la moindre information dfiant une interprtation strictement newto-nienne-cartsienne.

    Le type ou niveau suivant dexprience psychdlique est le niveau psy-chodynamique, biographique. Il implique tant une reviviscence complexe de souvenirs relatifs diverses priodes de la vie de lindividu ayant eu un im-pact motionnel sur son inconscient que des expriences symboliques sus-ceptibles dtre interprtes comme des variations ou des recombinaisons dlments biographiques de manire assez semblable aux images de rves dcrites par la psychanalyse. Le cadre thorique freudien est trs utile pour traiter les phnomnes se manifestant ce niveau ; la majorit de ces exp-riences ne dfient toujours pas le modle newtonien-cartsien. Ceci na rien de surprenant puisque Freud, lui-mme, utilisa les principes de la mcanique newtonienne lorsquil formula le cadre conceptuel de la psychanalyse.

    On constate avec surprise quen certaines occasions des souvenirs des premiers jours ou des premires semaines de la vie peuvent tre revcus avec une prcision photographique quant aux dtails. Des souvenirs de traumas physiques graves tels que des accidents, des blessures, des pisodes de noyade, des interventions chirurgicales et des maladies semblent galement tre plus importants que les souvenirs de traumas psychologiques sur les-quels insistent tellement la psychologie et la psychiatrie contemporaines.

    * Le lecteur intress trouvera une description dtaille de divers types dexpriences psy-

    chdliques illustres laide de cas cliniques dans mon livre Royaumes de linconscient humain (op. cit.).

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    Ceci suggre leur influence sur le dveloppement de divers dsordres mo-tionnels et psychosomatiques. Cette remarque sapplique galement aux souvenirs dexpriences associes des interventions chirurgicales ayant t pratiques sous anesthsie gnrale. Aussi nouvelles et surprenantes que certaines de ces dcouvertes paraissent aux yeux du mdecin et du psy-chiatre, elles ne suffisent pas justifier le besoin dun changement majeur de paradigme.

    Des problmes conceptuels plus srieux sont associs au troisime type dexprience psychdlique que je qualifie de prinatal**.

    Les observations cliniques de la psychothrapie LSD suggrent que linconscient humain renferme des matrices dont lactivation conduit la reviviscence de la naissance biologique et une confrontation profonde avec la mort. Le processus de mort et de re-naissance, qui en rsulte, est associ une ouverture de rgions spirituelles spcifiques de lesprit humain qui sont indpendantes du contexte racial, culturel et ducatif de lindividu. Ce type dexprience psychdlique pose deux problmes thoriques importants.

    Les sujets LSD revivent dans ce contexte des lments de leur naissance biologique dans toute leur complexit et donnent parfois des dtails surpre-nants vrifiables objectivement. Jai t mme de confirmer lexactitude de nombreux rapports et dans bien des cas les individus impliqus ignoraient tout des circonstances de leur naissance. Ils se souvenaient cependant de dtails spcifiques et danomalies concernant leur position ftale, lvolution du travail, la nature des interventions obsttriques et les particu-larits des soins postnatals. Voici quelques exemples des dtails voqus dans ces circonstances : prsentation par le sige, placenta prvia, cordon ombilical enroul autour du cou, application dhuile de ricin au cours de laccouchement, utilisation de forceps, manuvres manuelles diverses, types danesthsie, et procdures de ranimation.

    Les souvenirs de ces vnements semblent inclure les tissus et les cellules de lorganisme. Le problme de reviviscence du trauma de la naissance est parfois associ la rcration psychosomatique de tous les symptmes phy-siologiques appropris, tels que : acclration du pouls, sensations de suffo-cation accompagnes de modifications spectaculaires de la couleur de la peau, hyperscrtion de salive ou dexpectoration, tension musculaire exces-sive accompagne de dcharges dnergie, positions et mouvements spci-fiques et apparition de contusions et de taches de naissance. Voil autant dindications suggrant que la reviviscence de la naissance au cours des sances LSD saccompagnerait de modifications biochimiques dans lorganisme reprsentant une rplique de la situation au moment de laccouchement : saturation faible de loxygne du sang, indicateurs biochi-

    ** Le terme prinatal est un mot compos grco-latin ; le prfixe pri signifie littralement

    autour et natalis ce qui est relatif la naissance . Ce terme sapplique donc aux vne-ments qui prcdent immdiatement la naissance, qui laccompagnent ou qui la suivent.

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    miques de stress et caractristiques spcifiques du mtabolisme des hydrates de carbone. Cette reviviscence complexe de la situation de la naissance, qui stend aux processus subcellulaires et aux ractions biochimiques, repr-sente un dfi srieux aux modles scientifiques conventionnels.

    Il est dautres aspects du processus mort/re-naissance qui sont encore plus difficiles expliquer. Le symbolisme qui accompagne les expriences de mort et de re-naissance appartient diverses traditions et ceci mme si aupa-ravant le sujet ignorait tout des thmes mythologiques correspondants. Je me rfre ici non seulement au symbolisme bien connu du processus de mort/ re-naissance propre la tradition judo-chrtienne humiliation du Christ, mort sur la croix et rsurrection mais encore des dtails de la lgende dIsis et dOsiris, aux mythes de Dionysos, dAdonis, dAttis, dOrphe, de Mithra ou du dieu nordique Balder ainsi qu leurs contreparties mso-amricaines mconnues. La richesse de linformation rvle par certains sujets LSD au cours de ce processus est remarquable.

    Le dfi le plus critique et le plus srieux au modle mcaniste de lunivers newtonien-cartsien provient de la dernire catgorie de phno-mnes psychdliques, un spectre dexpriences complet pour lequel jai cr le terme transpersonnel. Le dnominateur commun de ce groupe riche et ramifi dexpriences inhabituelles est le sentiment quprouve lindividu davoir une conscience dpassant les limites de lego et transcendant les limites du temps et de lespace.

    De nombreuses expriences appartenant cette catgorie peuvent tre in-terprtes comme des rgressions dans le temps et des explorations de son pass biologique, culturel ou spirituel. Il est frquent dexprimenter au cours de sances psychdliques des pisodes concrets et ralistes de vie ftale et embryonnaire. De nombreux sujets rapportent des squences ani-mes se droulant sur le plan cellulaire de la conscience qui semblent reflter leur existence en tant que spermatozode ou quovule au moment de la con-ception. Il arrive que la rgression remonte plus loin encore. Lindividu a alors le sentiment de revivre des pisodes de la vie de ses anctres biolo-giques, voire de plonger dans la masse des souvenirs collectifs et raciaux. Les sujets LSD rapportent parfois des expriences au cours desquelles ils sidentifient divers animaux de la ligne volutive ou au cours desquelles ils prouvent le sentiment de revivre des souvenirs de leur existence lors dune incarnation prcdente.

    Dautres phnomnes transpersonnels impliquent une transcendance des barrires spatiales plutt que temporelles. Notons parmi ceux-ci les exp-riences didentification une autre personne, un groupe de personnes ou toute lhumanit. Les limites dune exprience spcifiquement humaine sont parfois transcendes ; lindividu sidentifie alors la conscience dun ani-mal, celle dun vgtal ou celle de la matire inorganique. Exprimenter la conscience de lensemble de la cration, la conscience plantaire ou celle de lunivers matriel est galement possible.

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    Les individus qui sont confronts de telles expriences transperson-nelles ont frquemment accs une information prcise voire sotrique sur les aspects correspondants de lunivers matriel. Cette information dpasse la culture gnrale et la connaissance spcifique du sujet. Ainsi, les rapports des sujets LSD ayant vcu des pisodes dexistence embryonnaire, la conception et des lments de conscience cellulaire, tissulaire et orga-nique, abondent en prcisions sur le plan mdical daspects anatomiques, physiologiques et biochimiques du processus concern. Des expriences ancestrales, des lments de linconscient collectif et racial au sens jungien, et des souvenirs dincarnations passes saccompagnent souvent de d-tails remarquables quant aux vnements historiques, lhabillement, larchitecture, aux armes, lart ou aux pratiques religieuses des civilisations concernes. Les sujets LSD qui revivent des souvenirs phylogniques ou des expriences didentification animale les jugent non seulement authentiques et convaincantes, mais encore font montre dintuitions extraordinaires con-cernant la psychologie animale, lthologie, les habitudes des espces, les cycles reproducteurs complets et les danses amoureuses de diverses espces.

    De nombreux sujets LSD ont affirm, indpendamment, quils avaient dcouvert que la conscience nest pas un produit du systme nerveux central et quelle nest donc pas limite aux tres humains et aux vertbrs sup-rieurs. Ils lont perue comme tant une caractristique primaire de lexistence qui ne peut tre rduite ou drive de quoi que ce soit dautre. Les individus, ayant rapport des pisodes didentification des vgtaux en retirent parfois des connaissances remarquables des processus de germination, de photosynthse, de pollinisation, ou dchange deau et de sels minraux au niveau des racines. On enregistre souvent un sentiment didentification la conscience de matires ou de processus inorganiques tels que lor, le granit, leau, le feu, la foudre, les tornades, les activits vol-caniques ou mme les atomes et les molcules. Ces expriences, comme les phnomnes mentionns prcdemment, sont vcues avec une prcision stupfiante.

    Un autre groupe important dexpriences transpersonnelles fait intervenir la tlpathie, le diagnostic psychique, la clairvoyance, la clairaudience, la prmonition, la psychomtrie, les expriences hors-du-corps, les voyages dans lespace et dautres phnomnes paranormaux. Certains se caractri-sent par la transcendance des limites temporelles ordinaires, dautres par la transcendance des barrires spatiales, ou encore par une combinaison des deux. De nombreux autres types de phnomnes transpersonnels impliquant souvent laccs une information nouvelle par lintermdiaire de canaux extrasensoriels, la frontire nette entre psychologie et parapsychologie tend disparatre ou devenir arbitraire ds quon reconnat et quon admet lexistence du domaine transpersonnel.

    Cette existence viole certains des concepts et des principes les plus fon-damentaux de la science mcaniste. Ces expriences impliquent des notions

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    aussi absurdes en apparence que la nature relative et arbitraire de toutes les frontires physiques, des connexions non-locales dans lunivers, de la com-munication par des moyens et par des canaux inconnus, de la mmoire sans substrat matriel, de la non-linarit du temps ou de la conscience associe toutes les formes vivantes (y compris aux organismes et aux vgtaux uni-cellulaires) et mme la matire inorganique.

    Des vnements du microcosme et du macrocosme domaines inacces-sibles directement aux sens humains interviennent dans maintes exp-riences transpersonnelles. Il en va de mme de priodes antrieures lorigine du systme solaire, de la Terre, des organismes vivants, du systme nerveux et de lhomo sapiens. Ces expriences suggrent que dune manire encore inexplique chacun de nous contient linformation propos de tout lunivers ; quil a un accs empirique potentiel chacune de ses parties, et quil est en un sens le rseau cosmique dans son ensemble, tout autant quil nen est quune partie infinitsimale, une entit biologique spare et insigni-fiante.

    Le contenu des expriences que nous avons discutes ce stade met en cause des lments du monde phnomnal. Il dfie lide que lunivers est compos dobjets matriels existant de manire objective et spare les uns des autres, mais il ne dpasse pas ce que le monde occidental considre comme tant la ralit objective telle que nous la percevons durant les tats ordinaires de conscience. Tout un chacun accepte lide selon laquelle nous sommes issus dune ligne complexe danctres humains et animaux, que nous faisons partie dun hritage racial et culturel spcifique et que nous avons suivi un dveloppement biologique compliqu allant de la fusion de deux cellules germinales un organisme mtazoaire hautement diffrenci. Nos expriences quotidiennes indiquent que nous vivons dans un monde o sont prsents un nombre infini dlments humains, animaux, vgtaux et matire inorganique. Nous acceptons ces faits sur la base de la perception sensorielle, de validations consensuelles, dvidences empiriques ou de re-cherches scientifiques. Ce nest pas le contenu des expriences transperson-nelles, impliquant la rgression* ou la transcendance des limites spatiales, qui est surprenant mais la possibilit davoir une exprience directe de et une identification consciente divers aspects du monde phnomnal au-del de nous-mmes.

    Nous les considrerions comme tant entirement spares de nous et empiriquement inaccessibles, dans des circonstances normales. Nous sommes tonns de dcouvrir la conscience l o nous ne lattendions pas : chez les animaux infrieurs, chez les vgtaux et dans la matire inorga-nique. Ce nest toujours pas, dans les cas de perception extrasensorielle clas-

    * Les expriences occasionnelles de progression historique, de flashs prmonitoires ou

    de visions clairvoyantes complexes du futur soulvent un problme particulier dans ce con-texte.

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    sique, le contenu des expriences qui est surprenant, mais la manire dacqurir une certaine information sur dautres personnes ou de percevoir une situation qui, selon le sens commun et les paradigmes scientifiques exis-tant, est hors de notre porte.

    Le dfi thorique des observations voques ci-dessus aussi formi-dable soit-il est renforc par le fait que durant les sances psychdliques, les expriences transpersonnelles refltant le monde matriel se manifestent sur le mme continuum que dautres dont le contenu nest pas en accord avec la vision du monde qui prdomine dans la civilisation occidentale et avec lesquelles elles sont pourtant intimement lies. Mentionnons dans ce contexte les archtypes jungiens, le monde des divinits, des dmons, des demi-dieux, des super-hros et des squences mythologiques lgendaires et feriques complexes. Ces informations saccompagnent souvent dune con-naissance intime du folklore, du symbolisme religieux et des structures my-thiques de diverses cultures avec lesquelles le sujet ntait pas familier ou auxquelles il ne sintressait pas avant la sance LSD. Les expriences les plus gnralises et les plus universelles font intervenir lidentification lEsprit Universel et au Vide supra-cosmique et mta-cosmique.

    Le fait que les expriences transpersonnelles donnent accs une infor-mation prcise sur certains aspects de lUnivers prcdemment inconnus du sujet justifie lui seul une rvision fondamentale de nos concepts relatifs la nature de la ralit et la relation entre conscience et matire. La dcouverte des archtypes ou des entits mythologiques ayant une existence propre et nappartenant pas au monde matriel constitue un dfi. Le nouveau para-digme devra donc expliquer ou tout au moins prendre en considration maintes observations tout aussi fascinantes.

    De nombreuses expriences transpersonnelles semblent tre inextrica-blement lies au tissu dvnements du monde matriel. De telles intercon-nexions dynamiques entre les expriences internes et le monde phnomnal suggrent que le rseau impliqu dans le processus psychdlique transcende dune certaine manire les limites physiques de lindividu. Une discussion et une analyse dtaille de ce phnomne captivant fera lobjet dun prochain ouvrage, ce travail ncessitant de prsenter des cas rels. Je me contenterai ici de dcrire brivement ses caractristiques gnrales et de lillustrer par quelques exemples spcifiques.

    Lmergence de linconscient du sujet de certains thmes transpersonnels au cours du processus psychdlique saccompagne souvent dune incidence improbable dvnements extrieurs semblant tre lis au thme intrieur. On note ce moment une accumulation frappante de concidences pour le moins tranges dans la vie de lindividu ; celui-ci vit en quelque sorte pen-dant une certaine priode dans un univers gouvern par la synchronicit au sens jungien du terme, plutt que par une simple causalit linaire. Jai cons-tat plusieurs reprises que divers vnements et circonstances dangereux saccumulaient dans la vie du sujet qui approchait lexprience de mort de

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    lego au cours des sances LSD. Ils disparaissaient en revanche de manire mystrieuse lorsque ce processus tait termin. Il semble que ces individus doivent affronter lexprience dannihilation, pour lune ou lautre raison, mais quils aient le choix de le faire de manire symbolique dans le monde intrieur ou de manire directe dans la ralit.

    Le thme essentiel dun archtype jungien mergeant de linconscient dun sujet durant une thrapie LSD est parfois vcu par lindividu. Ainsi, au moment o le sujet se trouve confront aux problmes lis lAnimus, lAnima ou la Terrible Mre, les reprsentations des archtypes tendent se manifester dans la vie quotidienne du sujet. Des lments de linconscient collectif ou racial ou des thmes mythologiques lis une culture spcifique dominent parfois les sances LSD dune personne ; un afflux remarquable dlments lis cette rgion gographique ou cette tradition simpose alors dans la vie quotidienne du sujet : rencontre fortuite de membres de ce groupe ethnique, lettres inattendues du pays concern, invitations le visiter, cadeaux, livres ou accumulation de ces thmes dans les films ou dans les programmes de tlvision.

    Une observation de mme ordre concerne les expriences dincarnations passes. Certains sujets LSD exprimentent parfois des squences vives et complexes lies des cultures et des priodes historiques autres qui pr-sentent tous les caractres des souvenirs et qui sont en gnral interprtes par les individus eux-mmes comme tant des reviviscences dpisodes dincarnations passes. Les sujets identifient au fil de ces expriences cer-taines personnes de leur vie actuelle des protagonistes importants de leur karma. Les tensions, les problmes et les conflits interpersonnels avec ces personnes sont souvent reconnus ou interprts cette occasion comme r-sultant de modles karmiques destructeurs. La reviviscence et la rsolution des souvenirs dincarnations passes saccompagnent dun sentiment de soulagement profond, de libration des liens karmiques oppressifs, et de sentiments enthousiastes de bien-tre et dpanouissement.

    Lexamen minutieux de la dynamique de la constellation interperson-nelle, prsente comme une consquence de la rsolution du karma, donne souvent des rsultats tonnants. Les sentiments, les attitudes et le comporte-ment des individus identifis par le sujet LSD comme tant des protagonistes dans les pisodes dincarnations passes tendent se modifier dune manire spcifique en accord absolu avec les vnements de la sance psychdlique. Il importe dinsister sur le fait que ces changements se produisent de manire indpendante et quils sont inexplicables en fonction dune comprhension de causalit linaire conventionnelle. Ces personnes se trouvant parfois des centaines, voire des milliers de kilomtres, lors de lexprience LSD. Ces changements adviennent mme sil nexiste aucune communication physique entre les protagonistes. Leurs sentiments et leurs attitudes sont influencs de manire indpendante par des facteurs nayant aucun rapport avec lexprience du sujet LSD, pourtant des modifications spcifiques survenant

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    chez toutes les personnes impliques semblent suivre un modle commun et se produire exactement au mme moment ou quelques minutes prs.

    Des cas semblables de synchronicits extraordinaires accompagnent sou-vent dautres types de phnomnes transpersonnels. De telles observations ne sont pas spcifiques aux tats psychdliques et peuvent tre constates dans le cadre dune analyse jungienne ou de diverses formes de psychoth-rapies empiriques, au cours de pratiques mditatives ou lors de manifesta-tions spontanes dlments transpersonnels au niveau conscient succdant des circonstances de la vie quotidienne.

    Nous avons dcrit les observations les plus importantes de la recherche psychdlique, celles qui dfient le bon sens et le paradigme scientifique existant. Etudier prsent les changements dans la vision du monde des individus ayant vcu personnellement des expriences sur les plans prina-tals et transpersonnels prsente donc un intrt certain.

    Les sujets LSD nont assumer aucun dfi conceptuel majeur aussi long-temps quils sont confronts des phnomnes purement biographiques. Cette exploration dun pass traumatisant leur fait comprendre que certains aspects ou secteurs de leur vie ont t inauthentiques, quils reprsentaient des rptitions aveugles de modles impropres tablis au cours de leur prime enfance. La reviviscence de traumatismes spcifiques sous-jacents ces modles a un effet librateur et permet dapprhender des relations et des situations auparavant insatisfaisantes et dy ragir de faon plus sereine. Citons titre dexemples : une attitude autoritaire due une exprience traumatisante et des parents dominateurs, lintroduction de sentiments de rivalit entre frres et surs dans les relations avec les proches, ou des d-viations sexuelles dues des modles dinteraction ancrs dans la relation avec le parent de sexe oppos.

    Les sujets LSD se trouvant confronts au niveau prinatal lexprience de naissance et de mort prennent galement conscience du fait que la dfor-mation et linauthenticit de leur vie ne se limitent pas des secteurs spci-fiques. Leur reprsentation complte de la ralit, leur attitude gnrale face lexistence leur paraissant soudain fausses. De nombreux comportements antrieurs, qui taient accepts et qui paraissaient naturels, sont dsormais perus comme tant irrationnels ou absurdes. Ces sentiments rsultent de la peur de la mort et des squelles du traumatisme irrsolu de la naissance. En de telles circonstances, un mode de vie dsordonn, des ambitions dmesu-res, des tendances comptitives, un besoin de saffirmer et lincapacit de se distraire apparaissent comme autant de cauchemars inutiles dont il est dsormais facile de sveiller. Ceux qui vivent le processus de mort/re-naissance entrent en contact avec des sources spirituelles intrinsques et comprennent que la vision mcaniste et matrialiste du monde rsulte de la peur de la naissance et de la mort.

    Laptitude profiter de la vie saccrot de manire considrable aprs la mort de lego. Le pass et le futur paraissent relativement moins importants

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    que le moment prsent et lengouement pour le processus de la vie remplace le besoin datteindre certains objectifs. Lindividu considre lunivers en termes de modles dnergie plutt que de matire solide et les frontires qui le sparent du reste du monde lui paraissent moins absolues, plus mouvantes. Le monde phnomnal est toujours considr comme tant objectivement rel, mais la spiritualit apparat dsormais comme tant une force impor-tante de lunivers. Le temps demeure linaire, lespace euclidien et le prin-cipe de causalit nest pas remis en question ; les racines de multiples pro-blmes sont dornavant lies au processus de la naissance plutt quaux v-nements de la prime enfance.

    Les changements les plus profonds et les plus fondamentaux concernant la nature de la ralit se manifestent en fonction des divers types dexpriences transpersonnelles. Les limites de la causalit linaire slargissent ad infinitum lorsque le processus LSD stend aux niveaux transpersonnels. Ce nest plus seulement la naissance biologique mais ce sont les divers aspects et les diffrentes phases du dveloppement embryon-naire, et mme les circonstances de la conception et de limplantation qui constituent des sources possibles dinfluences importantes sur la vie psycho-logique de lindividu. Les lments de souvenirs ancestraux, raciaux et phy-logniques, dintelligence consciente de la molcule dADN et de la mta-physique du code gntique, de la dynamique des structures archtypes et le phnomne de la rincarnation en accord avec la loi karmique doivent pr-sent tre intgrs dans la pense du sujet pour expliquer lexpansion specta-culaire de son monde empirique.

    Si on adhre lancien modle mdical selon lequel la mmoire a besoin dun substrat matriel, le noyau dune cellule le spermatozode ou lovule devrait contenir non seulement linformation discute dans les manuels de mdecine (anatomie, physiologie, biochimie de lorganisme, facteurs constitutionnels, dispositions hrditaires aux maladies et caractristiques parentales) mais encore les souvenirs complexes des vies de nos anctres humains et animaux ainsi que des donnes dtailles sur toutes les cultures du monde. Les expriences LSD impliquant en outre la conscience des vg-taux et celle de la matire inorganique aux niveaux molculaire, atomique, et subatomique, ainsi que celle des vnements cosmogoniques et gologiques, on pourrait supposer que lensemble de lunivers est en quelque sorte encod dans le spermatozode et dans lovule.

    Les alternatives mystiques la vision mcaniste du monde apparaissent, ce stade, plus appropries et plus pertinentes.

    Diverses expriences transpersonnelles minent en outre la croyance en la nature obligatoire du temps linaire et de lespace tridimensionnel en offrant de multiples alternatives empiriques. La matire tend se dsintgrer non seulement en des modles dnergie mais encore en un vide cosmique. La forme et le vide deviennent des concepts relatifs et interchangeables. La confrontation de lindividu un riche chantillon dexpriences transperson-

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    nelles fait que la vision newtonienne-cartsienne du monde devient indfen-dable en tant que concept philosophique srieux ; elle est dsormais consid-re comme un systme utile sur le plan pragmatique mais simpliste, superfi-ciel et arbitraire en ce qui concerne lorganisation de lexistence humaine.

    Lintelligence philosophique de lexistence devient plus complexe et plus sophistique bien quon continue, pour des raisons pratiques, penser que la matire est solide, lespace tridimensionnel, le temps continu et la causalit linaire. Cette comprhension nouvelle voque celle des grandes traditions mystiques. Lunivers est peru comme une toile infinie daventures v-cues au niveau de la conscience et les dichotomies entre l exprimenteur et l expriment , la forme et le vide, le temps et linfini, le dterminisme et le libre arbitre ou encore entre lexistence et la non-existence sont transcendes.

    1.2. Lapproche holonomique : principes nouveaux et perspectives nou-

    velles. Des dveloppements importants enregistrs au cours des trois dernires

    dcennies dans les domaines des mathmatiques, de la technologie du laser, de lholographie, de la physique quantique-relativiste et de la recherche sur le cerveau ont conduit la dcouverte de principes nouveaux aux implica-tions dune grande porte pour ltude moderne de la conscience et pour la science en gnral. Ces principes ont t qualifis de holonomiques, holo-graphiques ou hologrammiques parce quils offrent des alternatives fasci-nantes la comprhension conventionnelle de la relation entre le tout et ses parties. Il est possible de dmontrer leur nature unique dans le cadre du pro-cessus demmagasinement, de recherche et de combinaison dinformation laide de la technique de lholographie optique.

    Il est prmatur de parler de la thorie holonomique de lunivers et du cerveau en dpit du fait que daucuns sy sont dj aventurs. Nous nous trouvons confronts lheure actuelle une mosaque de donnes et de tho-ries importantes et fascinantes dans divers secteurs qui nont pas encore t intgres en un cadre conceptuel cohrent. Lapproche holonomique, qui sintresse linterfrence de modles vibratoires plus quaux interactions mcaniques et linformation plus qu la substance, est un outil trs pro-metteur compte tenu de la perception scientifique moderne de la nature vi-bratoire de lunivers. Les nouvelles intuitions sont lies des problmes fondamentaux tels que les principes darrangement et dorganisation de la ralit et du systme nerveux central, la distribution de linformation dans le cosmos et dans le cerveau, la nature de la mmoire, des mcanismes de per-ception et la relation entre le tout et ses parties.

    Lapproche holonomique de lunivers a des antcdents historiques dans les philosophies de lInde et de la Chine antiques et dans la monadologie du

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    grand philosophe et mathmaticien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz. La transcendance de la distinction conventionnelle entre le tout et ses parties, qui constitue lune des principales contributions des modles holonomiques, est une caractristique essentielle de divers systmes de philosophie scu-laire.

    La reprsentation potique du collier du dieu vdique Indra est une su-perbe illustration de ce principe. Il est crit dans le Avatamsaka Sutra : Au paradis dIndra, il y a, dit-on, un rseau de perles, agences de sorte que si vous en regardez une, vous voyez toutes les autres se reflter en elle . De la mme manire, chaque objet du monde nest pas seulement lui-mme, il implique tous les autres objets et il est en ralit tous les autres objets. Sir Charles Eliot qui cita ce passage ajouta : Dans chaque particule de pous-sire, il y a une quantit innombrable de Bouddha .

    On trouve une reprsentation similaire dans la tradition chinoise antique de lcole de bouddhisme Hwa Yen*, une vision holistique de lunivers qui englobe lune des plus profondes intuitions que lesprit humain a jamais atteinte.

    LImpratrice Wu, qui fut incapable de percer la complexit de la littra-ture Hwa Yen, demanda Fa Tsang, lun des fondateurs de lcole, de lui donner un exemple pratique et simple de linterdpendance cosmique. Fa Tsang suspendit tout dabord une bougie allume au plafond dune pice dont les murs taient entirement recouverts de miroirs pour dmontrer la relation du Un au multiple. Il plaa ensuite un petit cristal au centre de la pice et, montrant comment tout ce qui lentourait se refltait en lui, il illus-tra comment linfiniment petit contient dans la Ralit ultime linfiniment grand, et linfiniment grand, linfiniment petit. Ceci fait, Fa Tsang se plaignit parce que ce modle statique tait incapable de reflter le mouvement perp-tuel et multidimensionnel de lunivers et linterpntration mutuelle et sans entrave du Temps et de lEternit, ainsi que du pass, du prsent et du futur.

    Lapproche holonomique du monde est prsente de la manire la plus sophistique et la plus labore dans la tradition Jain. Selon la cosmologie Jain, le monde phnomnal consiste en un systme infiniment complexe dunits de conscience illusoires, ou jivas, prisonnires de la matire diff-rentes phases du cycle cosmique. Ce systme associe la conscience et le concept de jiva aux formes humaines et animales ainsi quaux vgtaux, aux objets ou la matire inorganique. Les monades de la philosophie de Leibniz prsentent de nombreuses caractristiques des jivas jainistes. Lintgralit de la connaissance concernant lunivers entier peut tre dduite de linformation lie une seule monade. Il est intressant de mentionner cet gard que

    * Les sages de la tradition Hwa Yen (le Kegon japonais et lAvatamsaka sanskrit) consid-

    rent le tout englobant tous les univers comme un organisme vivant unique de processus de devenir et de non-devenir interdpendants et interpntrants. Le Hwa Yen exprime cette situation par les formules : UN EN TOUT ; TOUT EN UN ; UN EN UN ; TOUT EN TOUT.

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    Leibniz fut en outre lorigine de la technique mathmatique qui permit le dveloppement de lholographie.

    La technique de lholographie peut tre utilise comme une mtaphore puissante pour la nouvelle approche et comme une illustration spectaculaire de ses principes. En consquence, il semble logique de commencer notre discussion par la description de ses aspects technologiques fondamentaux. Lhologramme est une image tri-dimensionnelle sans lentille, capable de recrer des reprsentations ralistes dobjets matriels. Les principes math-matiques de cette technique rvolutionnaire furent labors par le scienti-fique britannique Dennis Gabor vers la fin des annes quarante ; lequel reut le prix Nobel pour son invention. Les hologrammes et lholographie sont incomprhensibles en termes doptique gomtrique dans laquelle la lumire est considre comme forme de particules abstraites ou photons. La m-thode holographique dpend du principe de superposition et des modles dinterfrence de la lumire ; elle impose que la lumire soit comprise comme tant un phnomne ondulatoire. Les principes de loptique gom-trique reprsentent une approximation adquate pour une srie dinstruments optiques, y compris les tlescopes, les microscopes et les appareils photo-graphiques. Ceux-ci utilisent la lumire reflte par les objets et les intensi-ts de lumire mais excluent la phase. Loptique mcanique ne permet pas denregistrer les modles dinterfrence de la lumire. Or, ceci constitue prcisment lessence de lholographie qui se fonde sur linterfrence de la lumire monochromatique pure et de la lumire cohrente (lumire dont le dphasage ne varie pas dans le temps et dont les variations sont synchrones). Dans la technique proprement dite de lholographie, le rayon laser est divis et amen interagir avec lobjet photographi ; le modle dinterfrence qui en rsulte est ensuite enregistr sur une plaque photographique. Lillumination ultrieure de cette plaque par un laser permet de recrer une image tri-dimensionnelle de lobjet original.

    Les reprsentations holographiques possdent de nombreuses caractris-tiques qui font delles les meilleurs modles existant des phnomnes psy-chdliques et dautres expriences vcues durant les tats inhabituels de conscience. Elles permettent de dmontrer nombre de proprits formelles des visions LSD, ainsi que divers aspects importants de leur contenu. Les images reconstruites sont dotes dun ralisme puissant qui approche, voire gale, celui de la perception quotidienne du monde matriel. Les reprsenta-tions holographiques ne se contentent pas, comme le cinma, de simuler laspect tri-dimensionnel. Elles reprsentent des caractristiques spatiales pures, y compris une vritable parallaxe.

    Elles offrent la possibilit de se concentrer au choix sur diffrents plans et permettent de percevoir des structures intrieures travers un milieu transpa-rent. Il est possible en modifiant la mise au point de choisir la profondeur de perception et de brouiller ou de clarifier diverses parties du champ. Ainsi, les techniques modernes utilisant des films grain microscopique permettent de

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    produire lhologramme dune feuille et dtudier sa structure cellulaire laide dun microscope en modifiant la mise au point.

    La technique de lholographie : La lumire du laser arrive sur la plaque photo par deux voies diffrentes. Une partie du rayon passe par le miroir puis par lobjet avant datteindre la plaque (rayon actif). Lautre partie est constitue par le faisceau de rfrence. Le modle dinterfrence qui en rsulte est grav sur lmulsion du film. Lexposition ultrieure de ce modle dinterfrence une source de lumire cohrente recre une image tridimensionnelle de lobjet.

    Lincroyable capacit de stockage dinformation est une proprit essen-

    tielle : plusieurs centaines de photographies peuvent tre graves sur la plaque qui ne retiendrait quune image en photographie conventionnelle. Lholographie permet de prendre une photo de deux personnes ou dun groupe de personnes par expositions squentielles. On peut en utilisant un seul film, conserver le mme angle chaque exposition ou le modifier lg-rement. Lexposition une source de lumire du film dvelopp prsentera, dans le premier cas, une image compose dun couple ou du groupe impliqu (par exemple tous les membres dun institut ou tous les lves dune classe). Cette photo reprsentera donc simultanment tous les membres, mais aucun deux spcifiquement. Ces reprsentations composes constituent un modle parfait dun certain type dexpriences transpersonnelles, telles que les re-prsentations archtypes de lHomme Cosmique, de la Femme, de la Mre, du Pre, de lAmant, du Fourbe, du Fou ou du Martyr, ou des visions eth-niques et professionnelles gnralises telles quillustres par le Juif ou par le Scientifique.

    Un mcanisme similaire est impliqu dans certaines transformations illu-soires de personnes ou dlments de lenvironnement communment obser-

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    ves dans les sances psychdliques. Ainsi, lassistant est parfois peru simultanment sous sa forme relle et comme le pre, la mre, un excuteur, un juge, un dmon, tous les hommes ou toutes les femmes. La salle de trai-tement oscille entre son apparence quotidienne et celle dun harem, dun chteau de lpoque Renaissance, dun donjon mdival, ou dune paillote sur une le du Pacifique.

    Lorsquon prend des photographies holographiques suivant des angles diffrents, les images individuelles peuvent tre observes squentiellement et sparment partir de la mme mulsion en rpliquant les conditions ori-ginales de lexposition. Ceci illustre un autre aspect des expriences vision-naires, savoir le fait que dinnombrables images tendent se drouler en une squence rapide de la mme rgion du champ exprimental.

    Les images holographiques individuelles peuvent tre perues comme s-pares mais elles font partie intgrante dune matrice indiffrencie plus vaste de modles dinterfrence de lumire dont elles sont originaires. Ce fait constitue un modle excellent pour dautres types dexpriences trans-personnelles. Il est possible de prendre des photographies holographiques de telle sorte que les images individuelles occupent diffrents espaces, par exemple lors de lexposition simultane dun couple ou dun groupe de per-sonnes. Lhologramme reconstruit les montre, en ce cas, comme deux indi-vidus spars ou comme un groupe dindividus. Quiconque est familier des principes de lholographie pense quils peuvent tre galement considrs comme un champ de lumire indiffrenci qui cre au moyen de modles spcifiques dinterfrence lillusion dobjets spars. La relativit de la spa-ration versus lunit ou de la partie versus le tout est dune importance capi-tale pour les expriences mystiques et psychdliques. Imaginer un outil conceptuel et ducatif plus idal que lholographie pour illustrer cet aspect incomprhensible et paradoxal des tats non-ordinaires de conscience est difficile.

    Lespace, mais galement le temps, peuvent tre condenss et figs dans certaines formes de matrices holographiques ; les proprits dun holo-gramme jettent donc un clairage intressant sur diverses particularits de la perception spatiale et temporelle intervenant au cours des sances psychd-liques. Le fait quil soit possible, en utilisant les principes holographiques, de recrer une progression ondulatoire longtemps aprs que sa source origi-nale ait cess dexister, permet une nouvelle comprhension de diverses expriences historiques survenant au cours dune psychothrapie LSD, des techniques empiriques dauto-exploration et de la pratique mditative.

    Les caractristiques les plus intressantes des hologrammes sont celles lies la mmoire et la distribution de linformation. Un hologramme diffus a une mmoire disperse ; nimporte quelle partie de cet hologramme contient linformation concernant la gestalt complte si elle est suffisamment vaste pour contenir lensemble du modle de diffraction. La taille dcrois-sante de la partie de lhologramme utilise pour recrer limage sera associe

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    une certaine perte du pouvoir de rsolution ou une augmentation de la perturbation de linformation, mais les caractristiques gnrales du tout seront prserves. La technique holographique permet en outre de synthti-ser de nouvelles images dobjets non-existants en combinant diverses impul-sions individuelles. Ce mcanisme expliquerait les nombreuses combinai-sons et les variations symboliques du matriau inconscient observes au cours des sances psychdliques ou dans les rves.

    Les caractristiques du stockage et celles de la distribution dinformation dans les systmes