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    Serge MOSCOVICI (1925- ) Directeur du Laboratoire Europen de Psychologie Sociale (LEPS)Maison des sciences de l'homme (MSH), Paris

    auteur de nombreux ouvrages en histoire des sciences, en psychologie sociale et politique.

    (1991)

    PSYCHOLOGIEDES MINORITS

    ACTIVESTraduit de langlais par Anne Rivire.

    3e dition, 1991.

    Un document produit en version numrique par Rjeanne Toussaint, ouvrirebnvole, Chomedey, Ville Laval, Qubec

    Page web personnelle. Courriel:[email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web:http://classiques.uqac.ca/

    Une bibliothque fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay, sociologue

    Une collection dveloppe en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi

    Site web:http://bibliotheque.uqac.ca/

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    Cette dition lectronique a t ralise parRjeanne Toussaint, bnvole,Courriel:[email protected]

    Serge MOSCOVICI

    PSYCHOLOGIE DES MINORITS ACTIVES.

    Traduit de langlais par Anne Rivire.Paris : Les Presses universitaires de France, 3e dition, 1991, 275 pp. Collec-

    tion : Sociologies. 1re dition : 1979.

    [Autorisation formelle accorde par lauteur le 1er septembre 2007 de diffuserla totalit de ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

    Courriel :[email protected]

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    dition lectronique ralise avec le traitement de textes Microsoft Word2008 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier format : LETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition numrique ralise le 25 juin 2010 Chicoutimi, Villede Saguenay, province de Qubec, Canada.

    http://classiques.uqac.ca/inter/benevoles_equipe/liste_toussaint_rejeanne.htmlmailto:[email protected]:[email protected]:[email protected]:[email protected]://classiques.uqac.ca/inter/benevoles_equipe/liste_toussaint_rejeanne.html
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    Serge MOSCOVICI (1925- ) Directeur du Laboratoire Europen de Psychologie Sociale (LEPS)

    Maison des sciences de l'homme (MSH), Parisauteur de nombreux ouvrages en histoire des sciences, en psychologie sociale et politique. PSYCHOLOGIE

    DES MINORITS ACTIVES.

    Traduit de langlais par Anne Rivire. Paris : Les Presses universitaires deFrance, 3e dition, 1991, 275 pp. Collection : Sociologies. 1re dition : 1979.

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    Cet ouvrage est paru pour la premire fois sous le titre :

    Social Influence and Social Change

    par Serge Moscovici

    Londres, Academic Press, 1976.

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    Sommaire

    Deuxime de couvertureIntroduction

    PREMIRE PARTIE/ Consensus, Contrle et conformit L'influence sociale

    du point de vuefonctionnaliste

    Chapitre 1. Dpendance et contrle social

    Premire proposition. Dans un groupe l'influence sociale est ingalementrpartie et s'exerce de faon unilatrale

    Deuxime proposition. L'influence sociale a pour fonction de maintenir etde renforcer le contrle social

    Troisime proposition. Les rapports de dpendance dterminent la direc-tion et l'importance de l'influence sociale exercedans un groupe

    Chapitre 2. Les pressions vers la conformit[6]Quatrime proposition. Les formes prises par les processus d'influence

    sont dtermines par des tats d'incertitude et par lebesoin de rduire l'incertitude

    Cinquime proposition. Le consensus vis par l'change d'influence se fon-de sur la norme d'objectivit

    Sixime proposition. Tous les processus d'influence sont considrs sousl'angle du conformisme et le conformisme seul,

    croit-on, sous-tend leurs caractristiques essentiel-les

    Chapitre 3. La confrontation entre lalogique des thorieset la logique desfaits

    Pourquoi certains aspects de la ralit ont-ils t exclus de notre champ d'investigation ?

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    L'incertitude mrite-t-elle la position centrale qu'elle occupe dans le modlethorique ?

    Est-il lgitime de continuer user indiffremment du concept de pouvoir etdu concept d'influence ? Remarques finales

    DEUXME PARTIE/ Conflit, innovation et reconnaissance socialeL'influence sociale du point de vue gntique

    Chapitre 4. Minorits et majoritsPremire proposition. Chaque membre du groupe, indpendamment de

    son rang, est une source et un rcepteur potentielsd'influence

    Chapitre 5. Le noeud du changement : le conflit

    Deuxime proposition. Le changement social, autant que le contrle so-cial, constitue un objectif de l'influence

    Troisime proposition. Les processus d'influence sont directement lis laproduction et la rsorption des conflits

    Chapitre 6. Les styles de comportement

    Quatrime proposition. Lorsqu'un individu ou un sous-groupe influence ungroupe, le principal facteur de russite est le stylede comportement

    Chapitre 7. Normes sociales et influence sociale

    Cinquime proposition. Le processus d'influence est dtermin par les nor-mes d'objectivit, les normes de prfrence et lesnormes d'originalit

    Chapitre 8. Conformer, normaliser, innover

    Sixime proposition. Les modalits d'influence incluent, outre laconformit, la normalisation et l'innovation

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    Chapitre 9. Minorits dviantes et ractions des majorits

    Le handicap d'tre diffrentLes mal-aims et les admirsA la recherche de la reconnaissance socialeRapports critre unique et rapports double critre

    Chapitre 10. Conclusions

    APPENDICE. La dissidence d'un seul : propos de Soljenitsyne

    Bibliographie

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    DEUXIME DE COUVERTURE

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    Certains phnomnes semblent chapper la raison humaine au point qu'oinclinerait les attribuer des forces magiques. Au nombre de ceux-ci figurent facilit avec laquelle les hommes sont amens changer leur conception et leuperception de la ralit ainsi que leur comportement, et aussi la promptitude avelaquelle ils adoptent, comme par un effet d'hypnose, des opinions qui, la veillencore, leur taient totalement trangres et qui leur sont suggres par un grouples mass media ou un personnage dot de pouvoir ou de prestige.

    Il est galement tonnant de constater que, malgr la pression norme qu'exece la socit pour obliger les individus se conformer au modle gnral, deminorits et des dviants non seulement lui rsistent mais arrivent mme crede nouvelles faons de vivre, de penser et d'agir, obligeant de ce fait la majoritles accepter son tour.

    Ces phnomnes d'influence, jadis du domaine de la spculation, sont maintenant tudis de manire scientifique en laboratoire. Dans ce livre, Serge Moscovci prsente une thorie de l'influence des minorits. De l'ouvrage lui-mme, publd'abord en anglais,l'American Scientist a crit : Il faut absolument lire ce li-vre , tandis queContemporary Psychology lequalifie d' audacieux, plein d'in-tuition et d'une trs grande porte .

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    INTRODUCTION

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    Il y a des poques majoritaires, o tout semble dpendre de la volont du plugrand nombre, et des poques minoritaires, o l'obstination de quelques individude quelques groupes restreints, parat suffire crer l'vnement, et dcider dcours des choses. Cet aspect a beau ne pas tre essentiel et tre vrai en gros seulement, si l'on me demandait de dfinir le temps prsent, je rpondrais qu'un dses caractres particuliers est le passage d'une poque majoritaire a une poquminoritaire. Cela se voit l'oeil nu quand on compare les courants de masse navec le sicle aux mouvements de femmes, d'tudiants, etc., qui se succdent depuis environ vingt ans. Le passage en question nous conduit regarder d'un oeneuf certains phnomnes qui nous semblent si surprenants que nous inclinonscroire qu'ils se droulent entirement en dehors de la sphre du rationnel et sondus l'intervention d'un pouvoir magique. Je rangerais parmi eux celui-ci qunous est trs familier : la facilit avec laquelle on manipule et dirige les ides, l

    langage et le comportement d'un individu ou d'un groupe ; la promptitude degens adhrer, comme en tat d'hypnose, des penses qui, la veille encore, leutaient totalement trangres. Des expressions telles que la puissance des mdia , la tyrannie des mots , qui servent le traduire, sont devenues monnacourante. Elles signalent des forces dont le pouvoir semble nous dpasser et nou

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    [10] font pressentir la menace toujours prsente pesant sur nous tous qui risquontt ou tard de devenir contre notre volont le jouet de ces forces.

    Il n'est pas moins surprenant de se rendre compte de ce que, malgr une rpression minutieuse, malgr les normes pressions qui s'exercent en vue d'atteindre l'uniformit de la pense, du got et du comportement, non seulement leindividus et les groupes sont capables de leur rsister, mais, de plus, ils arrivent crer de nouvelles faons de percevoir le monde, de s'habiller, de vivre, des ideneuves en politique, en philosophie ou dans les arts, et amener d'autres personnes les accepter. La lutte entre les forces de conformit et les forces d'innovatione perd jamais son attrait et reste dcisive pour les unes comme pour les autres.

    Le jeu de ces forces peut tre explique par des causes conomiques, historiques et sociales, et l'on ne s'en est pas prive, jusqu' plus soif. Ces explicationfont partie du tout-venant de notre culture, et l'on n'en conoit mme pas d'autrepas plus que, il y a deux sicles, les hommes ne concevaient de la matire ou dl'univers d'autre explication que mcanique et y ramenaient toutes choses, pahabitude et sans y penser. Et pourtant, mme aprs avoir ramen l'innovation et conformit ces causes routinires, la fascination et l'tonnement demeurent. Cci parce que nous avons la conviction qu'elles impliquent davantage et autre choque le banal mouvement d'horlogerie des relations humaines.

    Dans tous ces phnomnes, le type de relation auquel on fait appel est celui dl'influence. Quelque chose s'y passe qui chappe la conscience de chacun, dsorte qu'on se conduit comme si on tait possd par autrui, ou comme si opouvait le possder et lui faire faire ce qu'on veut, c'est--dire ce qu'il ne vepas. Cette relation a d'abord t dcouverte sous la forme de la suggestion indivduelle ou collective, ensuite assimile l'hypnose, surtout au pouvoir de l'hypntiseur sur l'hypnotis, et enfin rapproche de la communication des discours, deattitudes, donc de la propagande. travers ces mtamorphoses, elle garde le senidentique d'une action rciproque primaire, d'une inquitante emprise de l'hommsur l'homme. Dans notre socit o abondent idologies, communications de mase et changes d'ordre symbolique, elle est plus pntrante et plus dcisive qu le pouvoir dont on parle tant et qui n'est, en dfinitive, que la surface bavarddes choses.

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    [11] Comprendre les relations d'influence, c'est se donner le privilge de saisles aspects les plus mystrieux de la machine sociale, et on est loin d'avoir lucidleur psychologie. Le prsent ouvrage se propose de donner cette psycholog

    une base plus solide. cet effet, j'userai de deux moyens. D'abord, j'adopterai un point de vue nou

    veau. Jusqu'ici, la psychologie de l'influence sociale a t une psychologie de majorit, et de l'autorit cense la reprsenter. de rares exceptions prs, ells'est intresse aux phnomnes de conformit, la fois soumission aux normedu groupe et obissance ses commandements. On l'a dcrite et envisage dtriple point de vue du contrle social sur les individus, de l'effacement des diffrences entre eux - de la dsindividuation, pour tre plus prcis - et de l'apparitio

    des uniformits collectives. Sans vouloir rajouter du noir sur du noir, il faut mentionner que la plupart des rsistances au contrle social, des carts la normesont traits uniquement en tant que formes de dviance, sans plus. Le temps evenu de changer d'orientation, de se diriger vers une psychologie de l'influencsociale qui soit aussi une psychologie des minorits, considres en tant que souces d'innovation et de changement social. Qu'est-ce qui nous en assure ? D'unpart, la multiplication des mouvements qui, tout en tant encore priphriquesont porteurs de pratiques et de projets originaux de transformation des rapporsociaux. D'autre part, s'opre sous nos yeux une mtamorphose qui pourrait avodes consquences durables. Pendant trs longtemps, un grand nombre d'individtaient verses dans des catgories dviantes, taient traits et se traitaient en tanqu'objets, voire en tant que rsidus de la socit normale. Depuis peu, ces catgories se changent en minorits actives, crent des mouvements collectifs ou particpent leur cration. Autrement dit, des groupes qui taient dfinis et se dfinissaient, le plus souvent, de manire ngative et pathologique par rapport au codsocial dominant, sont devenus des groupes qui possdent leur code propre et, eoutre, le proposent aux autres titre de modle ou de solution de rechange.

    Par consquent, il ne faut plus les compter parmi les objets mais parmi les su jets sociaux. C'est notamment le cas des groupes raciaux , des homosexueldes prisonniers et, la rigueur, des fous . leur propos, on voit de manirconcrte comment la psychologie - et pourquoi pas la sociologie ? - des dvianse mtamorphose en psychologie de minorits, comment des hommes marquepar l'anomie engendrent leur propre nomie, tandis que des parties passives d

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    corps social se muent en parties actives. Malgr cette multiplication et cette mtamorphose [12] qui ont beaucoup frapp par leur ct spectaculaire et donnnaissance une rhtorique strotype, on a fait peu d'efforts pour les compren

    dre, comprendre leurs pratiques en ce qu'elles ont de singulier. Si je m'attelle cette tche ici, c'est moins pour combler une lacune de la science que pour accompagner ce qui me parat tre un des tournants majeurs de mon temps.

    Ensuite, cette rorientation peut tre pour nous l'occasion de jeter un regarneuf et critique sur des concepts, des faits, des mthodes solidement installs, enous permettre de renouveler les problmes et les solutions auxquels nous nousommes habitus au cours de plusieurs dcennies. Pour y arriver, je tracerai unouveau cadre ou un nouveau modle de l'influence sociale qui sera la fois op

    pos au modle antrieur et plus gnral que lui. L'entreprise peut sembler ambtieuse, voire singulire. Les psychosociologues, comme tous les scientifiquenormaux, prouvent beaucoup de rpugnance aborder leurs problmes de cetfaon ou ce niveau. On connat les raisons de leur rpugnance : ils craignent dvoir la tendance spculative prendre le dessus et la rflexion abstraite n'accouchd'aucune recherche concrte. Craintes nullement justifies, il faut le dire. En ralt, la psychologie sociale - elle ne fait pas exception parmi les sciences - a grandement besoin de respirer de l'air spculatif frais. Ce besoin est aussi urgent qupratique aujourd'hui. La multiplication d'expriences, d'enqutes et de concepts ahoc souvent habilles de mathmatique donne une impression absolument trompeuse de dveloppement et d'enrichissement constants. La vrit est que nombrde recherches pitinent et dbouchent sur des rsultats de plus en plus maigres sule plan de la connaissance scientifique. Ces remarques suffisent justifier moentreprise.

    Le modle - faut-il le nommer thorie ? - qui est prsent largement acceptenseign et popularise par les manuels peut tre appel fonctionnaliste. La plupades psychosociologues, quelle que soit leur orientation psychologique, qu'il s'agise de gestaltistes, de behaviouristes ou de psychanalystes, y adhrent. On econnat les traits distinctifs. D'une part, les systmes sociaux formels ou non fomels, d'autre part le milieu, sont considrs comme des donnes prdterminepour l'individu ou le groupe. Ils fournissent chacun, avant l'interaction socialun rle, un statut et des ressources psychologiques. Le comportement de l'individou du groupe a pour fonction d'assurer son insertion dans le systme ou dans l

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    milieu. Par consquent, puisque les conditions auxquelles doit s'adapter l'individou le [13] groupe sont donnes, la ralit est dcrite en tant qu'uniforme et lenormes observer s'appliquent galement chacun. Donc nous tenons l une d

    finition quasi absolue du dviant et du normal. La dviance reprsente l'chec s'insrer dans le systme, un manque de ressources ou d'information concernant milieu. La normalit, de son ct, reprsente un tat d'adaptation au systme, uquilibre avec le milieu et une coordination troite entre les deux. De ce point dvue privilgi, le processus d'influence a pour objet la rduction de la dviance, stabilisation des relations entre individus et des changes avec le monde extrieuIl implique que les actes de ceux qui suivent la norme sont fonctionnels et adapttifs, tandis que ceux qui s'cartent de la norme ou vont son encontre sont consdrs comme dysfonctionnels et non adaptatifs. La conformit se prsente commune exigence sine qua non du systme social : elle conduit au consensus et l'quilibre. Donc, rien ne doit changer ou, du moins, les seuls changements envsages sont ceux qui rendent le systme encore plus fonctionnel, plus adaptatiAfin d'atteindre ce but, les changements doivent tre mens par ceux qui ont dl'information ou des ressources et occupent des positions clefs : les leaders, lmajorit, les spcialistes, etc. Leur efficacit est maximale l o se trouve un degr lev d'intgration et de contrle sociaux.

    Le modle gntique par lequel je propose de le remplacer peut se dcrire equelques mots. Le systme social formel ou non formel et le milieu sont dfinis produits par ceux qui y participent et leur font face. Les rles, les statuts sociauet les ressources psychologiques sont rendus actifs et ne reoivent de significatioque dans l'interaction sociale. L'adaptation au systme et au milieu de la part deindividus et des groupes n'est que la contrepartie de l'adaptation aux individus aux groupes de la part du systme et du milieu. Les normes qui dterminent sens de l'adaptation rsultent de transactions passes et prsentes entre individuet groupes. Chacun de ces derniers ne se les voit pas imposer de la mme faon o

    au mme degr. Par consquent, le normal et le dviant sont dfinis relativemenau temps, l'espace et leur situation particulire dans la socit. La dviancn'est pas un simple accident qui arrive l'organisation sociale - bref une manifetation de pathologie sociale, individuelle - c'est aussi un produit de cette organistion, le signe d'une antinomie qui la cre et qu'elle cre. Si les artistes, les jeuneles femmes, les noirs, etc., restent en marge de la socit, celle-ci se dfinit d

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    manire les y maintenir, et cette prise de position son tour faonne l'orientatiofuture de la [14] socit. Si des talents demeurent inemploys, si l'on ressent ldensit de la population comme excessive, ce qui donne lieu des mouvements d

    contestation, des contre-cultures, des dissidences, etc., c'est, de toute videncparce que l'organisation n'est pas conue de faon pourvoir tous les besoinqu'elle suscite ni traiter tous les effets qu'elle produit.

    Le terme de dviance est d'ailleurs trop vague et trop marqu la fois poudcrire cet tat de choses. Il confond les phnomnes d'anomie, parmi lesquels orange la criminalit, l'alcoolisme, etc., et les phnomnes d'exclusion qui consitent traiter comme prives de qualits conomiques, culturelles, intellectuelledes catgories sociales entires (femmes, homosexuels, immigrs, Noirs, artiste

    etc.). Autrement dit, on classe ensemble des individus et des groupes dsocialiset des individus et des groupes qu'on juge insuffisamment socialiss ou socialisbles, les asociaux et les insociaux, ce qui n'est pas du tout la mme chose tant dleur point de vue que du point de vue de la socit. Il conviendrait plutt de parlde ce qui est minoratif, de mineurits pour ceux qui, soit par transgression dla norme, soit par incapacit de s'y conformer, sont mis en tutelle et en marge. Ltrilogie classique de l'enfant, du primitif et du fou censs prsenter les mmestructures mentales, le mme manque de maturit culturelle, la mme irresponsabilit, correspond bien cette ide, et si elle a disparu sous sa forme crue, ellreste encore trs vivace sous d'autres.

    L'influence sociale agit pour conserver ou modifier cette organisation socialesoit en faveur de sa partie majorative, soit en faveur de sa partie minorative, donpour faire prvaloir le point de vue de l'une ou de l'autre et les valeurs qu'elle dfend. Les actions entreprises cette fin sont fonctionnelles ou dysfonctionnelleadaptes ou inadaptes, non parce qu'elles se conforment la norme ou s'y opposent, mais parce qu'elles permettent un groupe de poursuivre son but, de tranformer sa condition selon ses ressources et ses valeurs. L'innovation a valeud'impratif dans la socit autant que la conformit. De ce point de vue, il ne fauplus considrer l'innovation comme un phnomne secondaire, une forme de dviance ou de non-conformit, mais la prendre pour ce qu'elle est : un processufondamental de l'existence sociale. Elle prsuppose un conflit dont l'issue dpenautant des forces de changement que des forces de contrle. La tension entre ceuqui doivent dfendre certaines normes, opinions ou valeurs et ceux qui doivent e

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    dfendre d'autres afin de changer ces normes, ces opinions et ces valeurs est lrsultat sur lequel repose la croissance [15] d'une socit. Si l'organisation sociaexistante ne l'admet pas, il faut envisager comme une solution saine, une issu

    ncessaire, la ncessit et la probabilit de la bouleverser de fond en comble. Dmoins est-ce ainsi que la thorie psychologique doit considrer la situation afin dsaisir la ralit totale. Ne pas l'avoir fait jusqu'ici peut lui tre imput manque.

    Pour mettre en lumire les diffrences qui sparent le modle fonctionnalistdu modle gntique, on pourrait dire que l'un envisage la ralit sociale commdonne, l'autre comme construite ; le premier souligne la dpendance des indivdus relativement au groupe et leur raction celui-ci, tandis que le second soulgne l'interdpendance de l'individu et du groupe et l'interaction au sein du grou

    pe ; celui-l tudie les phnomnes du point de vue de l'quilibre, celui-ci du poide vue du conflit. Enfin, pour l'un, individus et groupes cherchent s'adapter ; erevanche, pour l'autre, ils tentent de crotre, c'est--dire qu'ils cherchent et tende transformer leur condition et se transformer - ainsi les minorits dviantes qudeviennent des minorits actives - ou encore crer de nouvelles faons de penset d'agir.

    Parvenu ce point, il parait lgitime de se demander pourquoi, outre deconsidrations pratiques, je vise a remplacer le modle fonctionnaliste par un mo

    dle gntique. Le premier a eu une utilit indniable : il a rendu possible la psychologie sociale. Grce sa simplicit et son accord avec l'exprience immdite et le sens commun, il a donn la psychologie sociale l'occasion d'tendre mthode exprimentale un domaine entirement nouveau, de formuler une novelle srie de questions et de crer sa propre terminologie. L'occasion aussi, dpar son accord avec l'idologie et la pense sociologiques dominantes, de le rendre acceptable. Pour me servir d'une expression courante : ce fut une fuse de premire gnration.

    Maintenant, il est possible d'aller plus loin, de se montrer plus critique et pluaudacieux et, au lieu de regarder la socit du point de vue de la majorit, dedominants, de la regarder du point de vue de la minorit, des domins. Elle apprat de manire totalement diffrente, et, ajouterai-je, neuve. En outre, depuis cecommencements, nos connaissances sont devenues plus prcises ; grce aux thries relatives la dissonance cognitive, aux phnomnes d'attribution, la polarsation des dcisions de groupe, nous comprenons mieux le comportement social

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    l'interaction sociale. Ces thories entrent en conflit avec le cadre de rfrence lagement accepte et le rendent caduc. La [16] recherche d'une dfinition prcise ddeuxime modle - fuse de la deuxime gnration - devrait aider la psycholog

    sociale se consolider et l'amener largir sa porte en abordant des aspectmoins vidents et moins ordinaires des rapports sociaux qui ne sont pas aussi asment saisissables - en d'autres termes, les aborder en s'cartant du sens commun. Et il pourrait surtout la camper dans le paysage historique d'aujourd'hui, mettre en mesure de rpondre aux questions du prsent. Sinon, la psychologisociale risque de se dissoudre en une psychologie individuelle d'appoint et de s'efacer devant la sociologie. Ce qui ne serait rien si, en mme temps, ne disparaisaient pas toute une srie d'aperus fort importants pour comprendre les rouageconcrets de la machine sociale o l'influence sociale est un processus central donnombre de choses dpendent troitement.

    C'est ce niveau que le modle gntique fournit un sens nouveau aux notionet aux faits existants, introduit un point de vue critique et nous invite explorer ralit en considrant un spectre plus tendu d'individus, en incluant les plus dfavoriss, les moins visibles. Inutile d'ajouter que ce modle est plus intuitif emoins rigoureux que le modle fonctionnaliste qui s'appuie sur une longue tradtion et qui a amplement dfrich le terrain. Ce manque, qui pourrait tre un alibcommode pour ne pas sortir des chemins battus, ne suffit pas nous faire repouser l'occasion de dcouvrir jusqu'o le chemin nouveau finira par nous conduire.

    Ce livre, paru d'abord en anglais, a t crit pour un public spcialis qui esdans sa majorit amricain ou suit la conception dominante de la psychologisociale amricaine. Son ton polmique s'explique par le fait qu'il combat cettconception et propose une conception radicalement diffrente. Il prolonge aindes controverses qui ont eu lieu soit directement au cours de diverses runiondont l'une a dur trois semaines l'Universit de Dartmouth, soit indirectemenpar des recherches poursuivies dans plusieurs laboratoires. Je suis sr que le public franais sera plus ouvert aux ides exposes ici. Elles ont commenc prendre corps avant le mois de mai 1968, mais tout ce qui s'est pass alors et depunous les a rendues plus familires, au point de les faire apparatre comme unanalyse, une conceptualisation de pratiques largement rpandues. Cette concdence, qui n'est certainement pas fortuite, a t fconde, car elle a permis de pr

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    Psychologie des minorits actives.3e dition, 1991.

    Premire partie

    Consensus, contrle et conformit. L'influence socialedu point de vue fonctionnaliste

    Pour illustrer un principe, il est ncessaire de beaucoupexagrer et de beaucoup laguer.

    Walter BAGEHOT.

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    Psychologie des minorits actives.3e dition, 1991.1re partie. Consensus, contrle et conformit.

    Chapitre 1Dpendance et contrle social

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    ma connaissance, la plupart des tudes relatives l'influence sociale onsurtout trait des raisons pour lesquelles les gens se conforment et des moyen

    utiliss avec succs pour les amener se conformer. Deux questions essentielledterminent la pense et la recherche actuelles :

    - Pourquoi et comment un groupe essaie-t-il d'imposer ses vues un individu ou un sous-groupe ?

    - Pourquoi et comment un individu ou un sous-groupe accepte-t-il levues d'un groupe ou de ceux (leaders, experts, etc.) qui le reprsen-tent ?

    Les propositions qui suivent constituent les hypothses fondamentales sur lesquelles on s'est appuy pour rpondre ces questions.

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    PREMIRE PROPOSITION Dans un groupe l'influence sociale est ingalement rpartie

    et s'exerce de faon unilatrale

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    L'ide exprime dans cette proposition est trs claire et fait appel au bon sensL'influence peut intervenir lorsqu'il y a d'un ct une [22] source et de l'autre uncible. En utilisant une analogie avec les processus de communication (Rommeweit, 1954), on pourrait dire que la source est l'metteur d'informations normatves ou l'metteur d'influence, tandis que la cible est le rcepteur d'informationnormatives ou le rcepteur d'influence. Il faut faire cependant une importante rserve : l'influence, comme la transmission d'information, s'opre de faon asymtrique. Elle s'exerce de la source vers la cible de l'interaction, mais non dans lsens inverse.

    Ces concepts de source, de cible et de directionalit, se retrouvent dans toules modles d'influence. Ce qui diffrencie les modles, ce sont les rgles suiviedans la dfinition et la combinaison de ces concepts. Dans le modle que je vadcrire maintenant - le modle fonctionnaliste - le rle de la source d'influence, ometteur, et celui de la cible d'influence, ou rcepteur, sont dlimits et tabliavec prcision. Les descriptions de l'metteur se rfrent toujours au groupe, sreprsentants lgitimes (leaders, dlgus, etc.) ou aux personnes qui, d'une ma-nire ou d'une autre, dtiennent le pouvoir et les ressources (la comptence, paexemple). Les descriptions du rcepteur se limitent aux individus ou sous-groupqui n'occupent aucune situation privilgie, qui ne possdent ni pouvoir ni re

    sources, et qui, pour une raison ou une autre, ont tendance dvier. Cette attribution des rles tant pose, il s'ensuit quela source d'influence n'est jamais consi-dre comme une cible potentielle, ni la cible d'influence comme une source po-tentielle.

    La consquence de cette asymtrie fondamentale est que le point de vue de lmajorit jouit du prestige de la vrit et de la norme, et exprime le systme soci

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    dans son ensemble. Corrlativement, le point de vue de la minorit, ou n'imporquelle opinion refltant un point de vue diffrent, est jug relever de l'erreur ou dla dviance. D'o la dfinition que tout tudiant est cens connatre : Ledviant

    est un individu qui se comporte d'une manire autre que celle prvue par le groupe ou la culture dans lequel il se meut. Lorsqu'il s'agit de recherches sur la communication et le consensus dans les groupes de discussion, le terme de dvians'applique tout individu dont les vues sont nettement diffrentes de celles de lmajorit qu'on appelle modales (Jones et Gerard, 1967, p. 711).

    Pourquoi les individus et les sous-groupes ne sont-ils considrs que commdes rcepteurs d'influence ? Essentiellement parce qu'ils sont censs vivre dans usystme social ferm. Selon Asch, chaque ordre social prsente ses membre

    un choix limite de donnes [23] physiques et sociales. L'aspect le plus dcisif dcette slectivit est qu'elle offre des conditions auxquelles il n'y a pas d'alternativperceptible. Il n'y a pas de solution de rechange au langage du groupe, aux reltions de parent qu'il pratique, son rgime alimentaire, l'art qu'il prne. Lchamp d'un individu, en particulier dans une socit relativement ferme, est danune large mesure circonscrit par ce qui est inclus dans le cadre culturel (1959, 380).

    Tout se trouve donc concentre autour du pole des relations sociales o se ras

    semblent ceux qui dterminent les lments de cette culture. Ce sont eux qui sonautoriss dcider ce qui est vrai et bon. Toute opinion divergente, tout jugemendiffrent, reprsente une dviation par rapport ce qui est rel et vrai. C'est ce qse produit invitablement lorsque le jugement mane d'un individu ou d'un sougroupe minoritaire.

    Il est vident, dans ces conditions, que le groupe met aussi des informationrelatives l'origine des informations. Mais il est tout aussi vident que les membres du groupe qui dvient ne possdent rien en propre pour mettre, puisqu'ils ndisposent pas des moyens qui leur permettraient de concevoir des alternativevalables. D'o la conviction tacite que les opinions plus courantes et moins extrmes de la majorit ont une valeur positive, possdent un poids psychologique plgrand. Corrlativement, les opinions moins familires et plus extrmes de la mnorit ou des personnes qui n'ont pas t investies de l'autorit ont une valeur ngative et un moindre poids psychologique.

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    Dans le langage ordinaire, aussi bien que sur le plan exprimental, ceci se reflte dans l'hypothse selon laquelle un individu amen choisir entre deux srid'opinions, l'une attribue la majorit ou un leader et l'autre un dviant ou

    un individu non spcifi, optera spontanment pour la premire. En fait, il n'epas question de choix authentique. Comme nous l'avons remarque plus haut, point de vue de la majorit est le seul choix juste, normatif ; le point de vue de minorit n'est pas simplement un autre point de vue, c'est un vide, une nonopinion dfinie comme non majoritaire, comme anomique (et donc contraire l'vidence, etc.). En d'autres termes, la relation est conue comme unidirectionnele : le groupe, la source d'influence, prend sa propre dcision sur la base des stmuli, du code et des jugements qu'il a instaurs, tandis que les jugements, le codet les stimuli de la minorit ou des individus qui sont videmment des cibles d'influence, sont dtermins par le groupe.

    Ce n'est pas tout. Une fois cette asymtrie pose en principe, l'un [24] des patenaires sociaux est dfini comme actif et ouvert au changement, l'autre commessentiellement passif et assujetti au changement. Tout ce qui constitue un droou un acte positif pour le premier devient une obligation ou une privation pour second, et cette complmentarit des rles carte toute possibilit d'interactiorelle. Enferme dans cette situation, l'individu ou le sous-groupe minoritaire nqu'une seule chappatoire - la dviance ou l'indpendance - c'est--dire le retraqu'accompagne la menace d'isolement au sein du groupe et face au groupe. Danun tel contexte, la passivit conformiste prend la coloration positive d'adaptatiorussie, tandis que l'activit, l'innovation, l'attitude individualiste, connotent pjrativement l'inadaptation.

    On doit regretter qu' cte de cette conformit relativement strile, fonde sula soumission et la rpression de ractions et d'attitudes authentiques, n'ait pas tprise en considration l'existence d'une conformit productive base sur la solidrit, la satisfaction apporte par des ractions et des attitudes authentiques s'orientant vers un but ou un cadre commun. Il est tout fait regrettable que l'on ait ml'accent sur l'acceptation passive de la norme du groupe plutt que sur la confomit active celle-ci. Ce qui est certain c'est que les hypothses servant de base ce point de vue n'auraient pu aboutir aucun autre rsultat.

    De mme, l'indpendance est considre avant tout comme une rsistance lpression collective, comme une sorte de passivit active ou de refus obstin, plu

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    tt qu'en termes d'initiative ou de dfi aux attitudes et aux dcisions du groupe. Lnon-conformit aussi est considre comme une protestation, un retrait par rapport la relation, et non comme une attitude qui conduit modifier cette relation

    L'anticonformisme renvoie un mouvement consistant d'loignement par rapport l'attente sociale (Hollander, p. 423).

    Ceci revient oprer une distinction rigoureuse entre ceux qui imposent lconformit et ceux qui s'y laissent aller : les premiers sont en mesure d'utiliser lpouvoir de la conformit contre les seconds. En fait, qu'il s'agisse d'indpendanou d'anticonformisme, un individu dfinit le moi par rfrence au groupe et l'atente sociale, et non par rfrence ce qu'il attend du groupe ou de la socitC'est du moins ce qui ressort des textes cits. Ils montrent qu'en dehors de que

    ques observations gnrales, on n'a accord que peu d'intrt au sens de l'indpendance, la manire dont elle est traite ou la faon dont une personne devient indpendante. Autrement dit, l'indpendance [25] en tant que mode d'affimation de soi, d'action collective ou individuelle, bien que prsente dans de nombreux phnomnes observables dans les petits groupes (groupes de sensibilisatioet groupes de diagnostic, par exemple) a t totalement nglige dans ce domainde la recherche scientifique.

    Quelques psychologues sociaux en ont eu conscience. Asch, par exemple, d

    sait qu' il n'est pas justifi, en particulier, de supposer l'avance qu'une thoride l'influence sociale devrait tre une thorie de la soumission aux pressions sociales (1956, p. 2). Il y a quelques annes, Kelley et Shapiro (1954) ont ausfait valoir que la conformit peut mme constituer un obstacle l'adaptation d'ugroupe une ralit changeante ; que les non-conformistes peuvent tre des indvidus populaires ayant la sympathie de leurs pairs plutt que la rputation de maginaux ou de dviants. Ils dploraient que l'on ait nglig l'indpendance en psychologie sociale, indice, leur avis, d'une mconnaissance de l'importance qupossde l'indpendance dans la vie relle.

    Ces observations n'ont eu pratiquement aucun impact. Aussi, sans vouloir ngliger quelques opinions divergentes, il semble que la premire proposition exprime un vaste consensus.

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    Les normes dites communes sont donc invitablement les normes de la majorit ou de l'autorit. En consquence, toute dviation par rapport ces normeimplique deux choses chez l'individu : d'une part, une rsistance, une non

    conformit qui menace la locomotion de groupe ; d'autre part, une carence : l'individu ne connat pas la rponse adquate, il n'est pas capable de dcouvrir queles sont les bonnes rponses. Dans les deux cas, la dviation par rapport la majrit, l'expert, au leader, par exemple, est symptomatique d'infriorit ou de maginalit. Elle entrane un traitement diffrentiel des individus l'intrieur dgroupe ; en d'autres termes, elle entrane la dviance.

    Maintes et maintes fois, dans des centaines d'expriences, l'individu qui ragest amen croire qu'il est dans l'erreur, que son comportement est anormal ; o

    le rend anxieux, etc. On a aussi dmontr qu'un tel individu ne peut prtendre l'estime et l'affection des autres : il est impensable que ceux-ci puissent le chosir pour assumer n'importe quel type de fonction, indpendamment de son intellgence, de la justesse de ses opinions ou de l'effort qu'il fait pour comprendre ssituation.

    La morale est claire. Si les exigences du contrle social placent l'autorit lgitime une extrmit et le prtendu dviant ou dissident l'autre, elles dterminegalement les conditions de fonctionnement idal du groupe, savoir la rductio

    au minimum des divergences entre ses membres. Dans la thorie de Festinger laquelle j'ai fait allusion plus haut, la pression qui s'exerce vers l'uniformit dan[27] les groupes informels correspond au besoin de raliser cet idal. La thorine spcifie pas explicitement que la pression doive invitablement s'exercer sul'individu ou sur le sous-groupe minoritaire. Elle pourrait aussi bien peser sur lmajorit ou sur la personne qui exerce l'autorit.

    Nanmoins, Festinger (1950) lui-mme, ses collaborateurs, et la plupart depsychologues sociaux, ont compris et utilis cette thorie comme si l'uniformidevait tre instaure contre le dviant. Cette orientation a influence des auteurqui ont essay de dmontrer exprimentalement l'existence de deux sortes d'influence sociale (Deutsch et Grard, 1955 ; Thibaut et Strickland, 1956) : la prmire que l'on appelle informationnelle ou centre sur la tche concerne relation avec l'objet. La seconde, dsigne sous le nom d'influence normativeou centre sur le groupe , renvoie la ncessit de s'orienter vers des opinionidentiques. Celle-ci est dtermine par les relations entre les individus et non pa

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    les proprits de l'objet. Elle est renforce par la cohsion du groupe et par d'autres avantages lis la cohsion, qui servent attirer des membres dans le groupDonc, la cohsion et l'attraction agissent pour rduire toute distance qui peut sp

    rer les membres d'un groupe soutenant des points de vue diffrents. Elles dresseun obstacle interne la tendance s'loigner du groupe et entrer dans un groupdiffrent, en cherchant ailleurs la solution ses problmes et la satisfaction de sebesoins.

    Il devient clair que tout un ensemble de concepts - locomotion de groupe, cohsion, influence sociale normative, etc. -, fournit de diverses manires une expression concrte l'ide de contrle externe ou interne du groupe sur ses membres. Ces Concepts, comme on sait, ont fait l'objet d'tudes dtailles et approfon

    dies dans des conditions exprimentales diverses. Ils rvlent aussi ce qui, dancette perspective, constitue le but final des processus d'influence : la rcupratiodes dviants. Leur mcanisme spcifique consiste rendre tout le monde semblable, estomper la particularit et l'individualit des personnes ou des sousgroupes. Plus on pousse loin le processus d'identification et de dsindividualisation, meilleure est l'adaptation de chaque individu aux autres et l'environnemen

    Comment, par exemple, agit-on habituellement sur la cohsion du groupe danla vie relle et dans les expriences ? En disant des gens ou des sujets naf

    que, sur la base de leur intelligence, des tests de personnalit, des votes et desondages, etc., ils sont tous semblables. L'hypothse qui sous-tend cette manipultion est familire : la cohsion [28] ou l'attraction des gens est plus grande quanils se considrent comme semblables et plus faible quand ils se considrent comme diffrents. Telle est la force compulsive du nous ou du groupe . L'importance quantitative de l'influence, son tour, se mesure, dans la plupart des expriences, par le dplacement de l'opinion du dviant vers l'opinion du groupElle reflte simultanment la soumission aux autres et la perte d'individualit.

    Rarement le mouvement inverse a t pris en considration et fait l'objet drecherches. Occasionnellement on a not des effets de boomerang : ils impliquenune divergence accrue entre le dviant et le groupe. Assez curieusement, ces effets n'ont jamais t srieusement interprtes comme des effets d'influence, nsoumis un examen attentif. Pourquoi, aprs tout, perdrait-on son temps avec dtels phnomnes accidentels puisqu'ils ne paraissent pas se rattacher aux aspectessentiels de la sociabilit ? Il est peine ncessaire de dmontrer combien ce

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    concepts ont model l'ide que l'tudiant se fait de la ralit, sa conception mmde la psychologie sociale et de ses mthodes. De toute faon, on voit clairemedans quelle mesure l'importance accorde a la non-diffrenciation, la cohsio

    et la pression normative du groupe, est fonction de l'interprtation de l'influencomme moyen d'intgration de la partie dans le tout, de l'individu dans la collectvit.

    TROISIME PROPOSITION Les rapports de dpendance dterminent la direction

    et l'importance de l'influence sociale exerce dans un groupe

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    Il est difficile de comprendre pourquoi la psychologie sociale a t tellemenobsde par la dpendance. Le concept n'est ni clair ni vident en soi. En outre, o l'influence s'exerce, de nombreuses tentatives visent modifier les opinions le comportement entre gaux, sans parler de la rgle d'or des agents de publicit des propagandistes politiques qui est d'viter tout ce qui pourrait donner l'impresion qu'ils reprsentent des intrts puissants ou qu'ils veulent porter atteinte

    l'autonomie de la personne ou du groupe.Il n'en demeure pas moins que la dpendance a acquis le statut de variable in

    dpendante majeure dans l'tude des processus d'influence. [29] On pourrait ausdire qu'elle explique les effets de l'influence. On admet son action chaque fois qul'on remarque un changement d'opinion ou de jugement. L'tudiant qui utilise manuel de Hollander apprend que la conformit de congruence comme lconformit de mouvement impliquent une acceptation de l'influence qui rvle dpendance (1967, p. 57). Les Franais disent cherchez la femme , les psy

    chologues sociaux disent cherchez la dpendance et tout s'expliquera . Maexaminons les choses de plus prs : les dtails sont toujours significatifs.

    On peut en fait observer que, lorsqu'on parle de minorits , on ne se rfrpas au nombre (les minorits sont parfois, du point de vue dmographique, ausimportantes que la majorit), mais l'ingalit dans la rpartition du pouvoir, logique de la domination. La hirarchie sociale exprime directement cette ingal

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    t. D'une part, l'attribution de situation (le clerc au Moyen ge, le snateur aXIXe sicle, le secrtaire du Parti communiste aujourd'hui, occupent des situations cls) garantit une certaine autorit sur les autres qui l'autorit n'a pas t

    donne. D'autre part, la supriorit accorde au spcialiste, au conseiller du prince, ou quiconque revendique un domaine du savoir dans la division du travaidoit en principe assurer l'ascendant sur les autres qui cette rputation fait dfauIl en rsulte, dans tous les cas, que ceux qui sont au sommet d'une telle hirarchont plus d'influence que ceux qui se trouvent en bas. En mme temps, les indivdus ou les sous-groupes qui ont un statut lev sont soumis une influence moidre que ceux qui ont un faible statut.

    Plusieurs observations exprimentales dmontrent que les sujets ayant un sta

    tut social lev influencent les sujets ayant un faible statut social (Harvey eConsalvi, 1960 ; Back et Davis, 1965). Cependant, l'tude de Jones (1965) montque la relation entre l'influence et le statut social est plus complexe ; chaque indvidu, indpendamment de son statut, accepte l'influence et a tendance sconformer pour obtenir l'approbation des autres.

    En outre, d'autres facteurs, tels que la comptence, assurent l'autorit de l'indvidu au sein du groupe et le dsignent comme agent d'influence (Back et Davi1965 ; Hochbaum, 1954). Les expriences de Milgram sur l'obissance (1956

    sont l'illustration la plus saisissante de cet aspect de la ralit. Il est de notoritpublique que, sans la moindre incitation financire ou morale excuter des intructions, des personnes ont t persuades d'obir aux ordres d'un exprimentateur qui leur demandait d'infliger des chocs lectriques censs tre [30] douloureux des personnes qu'elles ne connaissaient pas et avec lesquelles ellen'avaient aucun lien. Le fait que l'exprimentateur leur ait demand d'agir au node la science tait une justification apparemment suffisante. Enferm dans le rseau de l'autorit reprsente dans ce cas par la comptence du scientifique, etrop impressionn par la lgitimit de la recherche scientifique, un homme en toture aveuglment un autre.

    D'autres expriences moins sensationnelles ont montr des individus au statuinfrieur obissant des individus au statut suprieur, des individus incomptense soumettant des individus comptents. La convergence de ces tudes est sfrappante qu'elles auraient t, mon avis, plus significatives si, plutt que de confirmer, elles avaient dnonc le caractre erron de la maxime, adopte e

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    politique et par le sens commun, selon laquelle la force prime le droit. Autremendit, les tudes auraient eu une plus grande porte si, au lieu d'entreprendre dmontrer que la maxime tait exacte, elles s'taient attaches aux circonstances

    pas si rares aprs tout - dans lesquelles elle ne s'applique pas. Je ne porte pas u jugement de valeur mais j'essaie d'attirer l'attention sur l'existence d'un parti pris.

    La dpendance instrumentale a galement fait l'objet de recherches approfondies. Tandis que la dpendance institutionnelle montre l'individu aux prises avele systme social, cette autre forme de dpendance est davantage lie la satisfation d'un certain besoin des autres . Les questions qui se posent ici sont dequestions pratiques : qui se soumet l'influence et qui la rejette ? Dans quellesituations le besoin d'adopter la raction de quelqu'un d'autre s'intensifie-t-il, ren

    dant l'influence plus aise ? En bref, il nous faut savoir qui est conformiste et quest indpendant ; comment on devient conformiste et comment on demeure indpendant.

    On considre toujours comme une chose tablie que, dans un groupe, les pesonnes qui dvient ont un penchant plus grand pour le changement que les pesonnes qui sont d'accord entre elles et avec les normes du groupe (Festinger et a1952). Les raisons de cette inclination pour le changement se rattachent deusous-catgories de dpendance :

    a) La dpendance d'effet qui s'observe dans les situations o des dviants od'autres membres du groupe ont des problmes de personnalit (Jones et Grard1967). Les besoins d'affiliation, d'approbation sociale, d'estime de soi, sont deaspects diffrents sous lesquels se manifeste [31] le besoin des autres. Il sembltrs troitement li l'influence. Les individus qui ressentent avec force ces besoins d'affiliation, d'estime de soi, etc., sont plus enclins se conformer que ceuqui prouvent ces besoins un degr moindre. En un sens, ils sont moins en me

    sure de rsister la pression sociale et plus enclins suivre la majorit et les leaders, esprant ainsi se faire accepter et mme se faire aimer.

    Les tudes empiriques ont confirm ces prvisions. Deux tudes ont, en partculier, mis en vidence le fait que plus le besoin d'approbation d'un individu efort, plus son conformisme est grand (Moeller et Applezweig, 1951 ; Strickland Crowne, 1962). Dittes (1959), son tour, a montre que les sujets que l'on enco

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    de se soumettre. Steiner crit : On a dit que les conformistes se caractrisaienpar leur esprit conventionnel, consciencieux, coopratif, patient, sincre et soupdans la vie sociale. L'auto-valuation de ces personnes mettait l'accent sur le sen

    timent de maternage, l'affiliation, l'humilit et la dngation de symptmes psychiatriques. Ces interprtations cadrent trs troitement avec les dcouvertes dDi Vesta et Cox qui ont conclu que l'individu qui se conforme est modr, circonspect, docile et soucieux de tenir compte d'autrui. Selon Vaughan, les confomistes se classent un niveau infrieur sur le plan de l'intelligence, de l'assurancde la rsistance nerveuse, de l'extraversion, du ralisme et de la valeur thorique(1960, p. 233).

    l'oppos se placent les caractristiques qui font que les individus sont moin

    susceptibles de cder l'influence :

    Ces individus ont un degr lev de certitude concernant leur propreperception ; ils se sentent plus comptents ou plus puissants que les autresou bien se considrent comme ayant un statut suprieur ; ils ont dans lgroupe une ou plusieurs autres personnes qui sont d'accord avec euxcontre le jugement de la majorit ; ils considrent les autres, peut-tre ladiffrence d'eux-mmes, comme des sources d'information dpourvued'attrait, et enfin ils ne voient gure de profit tirer du conformisme poula satisfaction de leurs buts personnels essentiels (Hollander, 1967, p558).

    Il est vident que ces portraits-robots ne doivent pas tre pris la lettre. Leportrait de la personne moins dpendante est plus sympathique que celui de personne plus dpendante, chose moins surprenante que contradictoire. Si lconformiste est habituellement faible , comment se fait-il que les indpendanou les dviants, censs tre forts , suivent la majorit qui est habituellemencompose de conformistes ? La relation entre les traits de la personnalit et lconformisme est loin d'tre tablie. Des facteurs situationnels interviennent con

    tamment (Goldberg et Rorer, 1966). Je doute que l'tablissement d'une telle relation prsente un grand intrt. D'une part, elle n'expliquerait [33] rien, ni la pesonnalit, ni l'influence ; elle ne rvlerait que des co-variations de facteurs, nodes relations de cause et d'effet. D'autre part, s'il arrivait que ces divers besoins puissent expliquer des phnomnes sociaux, il ne serait pas ncessaird'analyser davantage les phnomnes d'un point de vue psychosociologique, o

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    mme sociologique. Il suffirait de connatre les types fondamentaux de personnalit et leur rpartition dans un groupe donn ou dans la socit pour pouvoir prdre les vnements. Si c'tait le cas, la psychologie diffrentielle remplacerait avan

    tageusement la psychologie sociale.Cependant, ces tudes des besoins ne dmontrent rien en psychologie so

    ciale, ni dans le domaine de l'influence sociale, ni dans aucun autre domaine. Jne les traiterai donc ici ni comme des preuves, ni comme des tudes empiriquemais comme des symptmes traduisant une conviction selon laquelle la pressiosur les dviants est toujours justifie, parce qu'elle rpond certains besoins qusont en eux et qu'ils la provoquent, dans une certaine mesure. Les dviants se prtent l'influence tout comme d'autres se prtent l'exploitation. Le parallle n'e

    pas accidentel ; ce que Bramel (1972) a crit propos des exploites s'appliquaussi aux dviants :

    L'observation frquente selon laquelle l'exploitation est souvent associe des attitudes hostiles envers les victimes pourrait signifier premire vue que les groupes faibles et mpriss attirent l'exploitation. Onpourrait appuyer cette hypothse par des faits comme ceux-ci : lesanimaux semblent attaquer et exploiter les membres les plus faibles deleur groupe ; les groupes humains rejettent et punissent galement leurcompagnons dviants ; les nazis exploitrent et assassinrent les Juifs par

    ce qu'ils estimaient ceux-ci la fois infrieurs et dangereux ; et les Blancexploitrent les esclaves noirs car, pour eux, les Noirs faisaient partied'une race infrieure, sauvage, laquelle seuls convenaient les travauxdurs et pnibles. La recherche psychosociologique a rcemment fourni uexcellent dossier l'appui d'une explication moins vidente, mais plus intressante et plus importante de l'association entre exploitation et hostilit- savoir que l'on en vient mpriser les victimes parce qu'elles sont devictimes. En d'autres termes c'est le mpris l'gard des victimes qui rsulte du fait qu'elles sont exploites et maltraites, plutt que le contraireQuoique l'ide ne soit pas tout fait nouvelle, les sciences sociales ne sesont intresses elle que de faon tonnamment tardive (p. 220).

    Mais, mme rcemment, la psychologie sociale ne s'est pas encore intressau comportement des dviants considrs comme le produit d'un groupe ou d'usystme qui oblige les individus ou les sous-groupes [34] occuper une situatiosociale infrieure ou marginale. Cette ide nous permettrait, sans trop de diffi

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    cults, de dcrire le processus d'influence sociale en fonction des modles suivants de soumission (compliance) :

    - soumission des individus situes au bas de la hirarchie de statut et depouvoir l'gard des personnes qui sont au sommet de la hirarchie ;

    - soumission des individus qui ne peuvent pas s'adapter leur environnement de faon autonome l'gard des individus capables de s'adaptede faon autonome ;

    - soumission des individus dont l'organisation psychologique est orientpar rapport aux autres, et qui sont virtuellement dviants, l'gard des

    individus qui ne sont pas virtuellement dviants.

    On peut illustrer la raction en chane qui conduit un sous-groupe se soumetre un autre de la manire suivante :

    Accroissement de la dpendance Accroissement de la pressionsociale ou interpersonnelle

    Accroissement du contrlesocial ou de l'uniformit

    Diminution de la rsistance,de la tendance l'autonomie

    Accroissement du conformisme

    Ce schma, dont la signification apparat immdiatement, s'claire de luimme. Comment des diffrences de hirarchie, de personnalit, de capacits psychologiques et intellectuelles, se transforment-elles en une convergence d'opinioet de jugement ? La rponse cette question est que le fait de fondre la dpendace dans le creuset magique des relations humaines transmue miraculeusement mtal vil des doutes, des idiosyncrasies et des dsaccords en or des certitudes, d

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    ressemblances et des accords. videmment, le secret de cette recette consiste savoir o l'on trouve la certitude et l'accord avant que le processus ne commencSi tous les hommes sont gaux, quelques-uns d'entre eux, comme les animau

    d'Animal Farm d'Orwell, le sont plus que d'autres. Comme la dcision a t pris un certain moment, de concentrer l'attention sur ceux qui sont plus gaux, n'est gure surprenant que la dpendance ait t le catalyseur choisi pour favorisles transmutations requises par l'influence sociale.

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    Un accroissement de l'ambigut ou une suppression des critres objectifs straduit par un tat d'incertitude interne chez les individus. partir de ce momenils sont prts subir l'influence des autres.

    [36] Les propositions familires qui suivent sont formules sur la base de cetinterprtation, et elles ont t maintes et maintes fois vrifies :

    a) Moins le stimulus, l'objet ou la situation par rapport auquel s'exercl'influence est structure, plus l'influence est grande.

    b) L'influence sera beaucoup plus grande lorsqu'un stimulus social complexe ou un jugement de valeur est en jeu, que lorsqu'il s'agit d'un sti

    mulus matriel simple ou d'un jugement de fait.

    Mais l'incertitude peut tre suscite par l'tat interne de l'individu. Nous venons d'numrer quelques-unes des causes possibles d'un tel tat : des aptitudeintellectuelles, sensorielles ou caractrologiques faibles. D'autres personnes s'interposent entre lui et l'environnement et attnuent ces faiblesses.

    Kelley et Thibaut ont bien pos la question :

    Quand le problme en jeu requiert des opinions et des jugements qune peuvent tre valids par la logique ou par des tests empiriques, les genont tendance chercher dans l'accord avec leurs associs un soutien leurs opinions. Il semble qu'au moins deux types gnraux de relation entre l'metteur et le destinataire d'une suggestion puissent exister, et dterminer dans quelle mesure le destinataire est d'accord avec la suggestion el'accepte. Dans certains cas, le destinataire peut tre considr d'un poinde vue instrumental comme un mdiateur de fait , en vertu de son vidente habilet, de sa crdibilit, ou de son honntet. En d'autres cas, ldestinataire peut tre incit tomber d'accord avec l'metteur sans qu'intervienne la rectitude de son jugement. L'accord peut devenir un motiindpendant. La force de ce motif semble dpendre en partie de la force dl'attachement positif et de l'affection pour l'metteur. Ainsi A peut occasionner un changement d'opinion chez B si B a de l'affection pour lui ous'il fournit B les moyens de satisfaire quelque souhait important. Lorsqule membre du groupe aura un fort attachement positif pour le groupe et semembres, il s'orientera vers l'opinion modale exprime au sein du groupe (1968, p. 743).

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    Je reviendrai cette dclaration plus tard. Pour le moment, je veux simplement attirer l'attention sur le fait que l'intervention d'un mdiateur entre l'indvidu et son environnement est indispensable quand l'individu est incapable d'a

    fronter la ralit. Mais on devrait se souvenir que dans le cas dcrit par Sherif, l tiers est la norme, tandis que dans le cas dcrit par Kelley et Thibaut c tiers est un individu ou le groupe... Dans le premier cas, l'influence mutuelqui s'exerce quivaut chercher une solution commune. Dans le second [37] cainfluencer quelqu'un revient profiter de son rle - d'expert par exemple - poumodifier le point de vue ou l'opinion de l'autre. Nanmoins, que cette interactiosoit externe ou interne, elle n'est pas dtermine par elle-mme : c'est le rapportl'objet et l'environnement qui la dtermine.

    Nous pouvons maintenant ajouter deux autres propositions celles qui ont d j t avances :

    c) Plus une personne est incertaine dans ses opinions et ses jugementsplus est grande sa propension tre influence.

    d) Moins une personne est certaine de ses aptitudes sensorielles et intellectuelles, plus elle est dispose accepter l'influence de quelqu'un qui elle attribue des capacits sensorielles et intellectuelles suprieu-res.

    On a tent de spcifier lequel de ces effets peut tre attribu l'incertitude dsujet et lequel peut tre attribu l'ambigut de l'objet, mais sans obtenir de rsultats concluants.

    Il n'y a pas de raison de mettre en doute la justesse de ces affirmations. Jvoudrais souligner quelques-uns de leurs corollaires auxquels on aurait d, mo

    avis, accorder une plus grande attention :

    a) Dans une situation o les deux partenaires sont certains de leurs jugements et de leurs opinions, l'influence sociale n'a pas de place, elle nepeut intervenir en aucune manire puisqu'il n'y a pas d'incertitude rduire.

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    b) Lorsqu'un groupe, un sous-groupe ou un individu sont certains dquelque chose, on ne peut utiliser l'influence pour les amener modifier leurs opinions ou leurs jugements.

    c) Quand il n'y a pas ambigut du stimulus, ou quand on peut se rfrer un critre objectif, il ne peut y avoir influence.

    L'individu qui a l'environnement pour lui, s'il y est bien adapt et s'il y ragcorrectement, est capable de rsister aux pressions sociales et d'chapper l'inconfort rsultant de son interaction avec autrui. Quand il n'a pas l'environneme

    pour lui, qu'il n'y est pas adapt et qu'il n'y ragit pas correctement, l'individu caux pressions sociales et il ne peut chapper l'inconfort de l'interaction. En brelorsque quelqu'un s'accorde avec la nature, il n'a pas besoin de la socit ; lorsququelqu'un ne s'accorde pas avec la nature, il a besoin de [38] la socit. C'est ainqu'est reprsente l'interaction en fonction des relations avec cette partie du monde matriel considre comme essentielle.

    La notion d'incertitude joue donc dans ce modle thorique un rle analoguecelui du concept cl de promiscuit en anthropologie, ou celui de raret en co

    nomie, en ce sens qu'elle reprsente pour la socit la fois une condition pralble et un moteur initial. Comme on le sait, les anthropologues expliquent l'appartion de l'organisation sociale par le besoin de formuler des rgles (la prohibitiode l'inceste, par exemple) afin d'viter les luttes et les dsordres qui existent parmles animaux l'tat naturel. De la mme manire, les conomistes voient dans lcomportement et la rgulation du march une sorte de ncessit impose par lraret et par la rpartition ingale des ressources dans la nature. De mme, pour psychologue social, la certitude est une ressource difficile obtenir, et c'est afide l'obtenir qu'une personne s'associe ou se soumet d'autres.

    La prsence ou l'absence de cette certitude dtermine le contraste entre les diffrentes formes d'influence. Si l'individu, ou le sous-groupe, est incertain, alors cherche l'appui d'un mdiateur de fait . L'influence est justifie. Cependant, sn'est pas incertain et se conforme malgr tout, d'autres motifs (subjectifs) entrenen jeu : le dsir d'tre accept par le groupe, le pouvoir de l'autorit, etc.

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    Ce type d'analyse a inspir les distinctions pralablement mentionnes entrl'influence sociale informationnelle et l'influence sociale normative, et entre lconformit centre sur la tche et la conformit centre sur le groupe. Cohe

    (1964, p. 106) crit : Particulirement importante est donc la distinction entre besoin de statut et le besoin d'information. L'influence sociale peut tre acceptsoit dans la mesure o elle voque le dsir de l'individu de conserver son statuvis--vis des autres, soit dans la mesure o elle implique sa dpendance l'gardes autres en ce qui concerne l'information relative lui-mme et au monde envronnant. Nous pouvons appeler le premier ensemble de motifs d'adhsion agroupe : dterminants normatifs ou motivationnels , le second ensembledterminants informationnels ou d'incertitude . Dans la situation normativl'image que la personne se fait d'elle-mme est rflchie par rapport aux rcompenses et aux punitions qu'elle peut recevoir d'autrui. Dans la situation informtionnelle, la personne accepte les autres comme source d'influence, parce qu'ellles utilise comme des sources stables d'information pour valuer le monde qul'entoure. Donc, dans ce cas, le dveloppement et la forme de l'influence sociacorrespondent au besoin de l'individu : [39] il se soumet cause de sa dpendance. Si l'individu se soumet cause de sa dpendance, il s'ensuit que si l'individn'avait pas besoin du groupe, aucun groupe ne pourrait avoir de prise sur lui.

    Voil peut-tre le moment venu d'exprimer mon ahurissement. Ce qu'on noua dit de la diffrence entre la ralit physique et la ralit base sur le consensusocial est tout fait convaincant et a t vrifi maintes et maintes fois. Mais lfait que la conviction ait t si spontane et la vrification si facile aurait d nourendre plus sceptiques et veiller notre sens critique. Pourquoi une personne qn'est pas en mesure de se faire un jugement exact par manque d'instruments dmesure adquats supposerait-elle que les autres personnes qui partagent sa situation difficile sont mieux places qu'elle pour porter un jugement plus pertinent Lorsqu'il n'existe pas de certitude sur la ralit physique ou objective pour u

    quelconque individu particulier, il ne peut y en avoir pour qui que ce soit. S'il na pas d'horloge pour indiquer l'heure ou de marteau pour tester la duret d'unsubstance, la tentative d'un individu d'indiquer l'heure en se rfrant la positiodu soleil, ou de jauger la duret par le toucher ou la vue, ne sera ni plus ni moinexacte que celle de n'importe quelle autre personne se servant des mmes mthodes. Le concept d'ambigut appelle de semblables remarques. Si les individu

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    peroivent un stimulus comme ambigu ou manquant d'objectivit, selon l'expresion de Sherif, et si en outre ils savent qu'il en est bien ainsi, alors la diversit de jugements est permise et normale. On ne voit aucune raison pour laquelle ils d

    vraient s'empresser de tomber d'accord, ni comment un tel accord pourrait lerassurer sur la validit de leurs opinions et de leurs jugements. La nature arbitraides rsultats de leurs changes doit leur tre parfaitement vidente. Au mieux, ipeuvent se sentir soulags de n'tre pas seuls commettre une erreur. Mais rien nles autorise affirmer qu'ensemble ils ont raison ou que les autres ont raison. n'est pas ncessaire d'en dire davantage sur le sujet pour le moment ; nous en rparlerons plus tard.

    Pour en revenir la question de l'incertitude, il apparat que la rduction d

    l'incertitude dtermine la frontire entre la conformit relle et la simple soumission. Il n'existe pas de rapport ncessaire entre notre conviction concernant le dgr de vrit de l'opinion du groupe et le fait que nous adhrions au groupe snous sommes contraints de le suivre ou si nous prouvons le dsir de lui appartnir. Nous pouvons trs bien penser une chose et en dire une autre si nous y trouvons un avantage, si nous souhaitons obtenir l'approbation de nos pairs ou si [4nous voyons quelque autre bonne raison de nous comporter de la sorte. Corrlatvement, lorsque nous croyons ce que l'on nous dit, nous n'acceptons le jugemedu groupe que parce que le ntre est incertain ou bien difficile vrifier ou pouquelque raison de ce genre. Dans le premier cas, il s'agit de soumission, dans lsecond cas, de conformit relle. C'est du moins ce qu'exprime la thorie.

    L'une des interprtations les plus courantes des expriences de Asch s'accordavec cette ide. Prenons, par exemple, un individu qui compare une ligne taloavec trois autres lignes. Le doute interne est impossible, l'ambigut externe pratquement inexistante. La certitude est donc complte. Par ailleurs, les jugemendes autres individus participant l'exprience tant indniablement faux, le sujenaf, notre individu type, se trouve face un choix clair. S'il dit ce qu'il voit equ'il sait tre vrai, il est en accord avec lui-mme et avec la ralit. Mais il risqude dplaire aux individus qui constituent la majorit et qui s'attendent qu'il sod'accord avec eux. Souvent la vrit n'est pas bonne dire ou entendre ; il epossible qu'elle fasse natre dans la majorit la malveillance ou mme l'hostilitEn vitant ce risque, l'individu donne une rponse qui est fausse mais qui sembconvenable. Le conformiste rsout son dilemme en donnant publiquement un

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    opinion contraire son opinion personnelle, et en demeurant convaincu de la vt de son opinion personnelle.

    Ni cette interprtation ni les autres n'ont fait l'objet de vrifications srieusesCeci est particulirement intressant, puisque l'interprtation est dduite d'unproposition qui carte la possibilit de changement lorsqu'il n'y a pas incertitudPuisqu'on a malgr tout, et la surprise gnrale, observ un changement alorqu'il n'aurait pas d y en avoir, la seule faon de s'en tirer tait de l'attribuer decirconstances extrieures et de le considrer comme une soumission puremensuperficielle.

    Rcapitulons quelques questions et rponses pertinentes :- Pourquoi les gens sont-ils incertains ?- Parce que le stimulus est ambigu ou parce qu'ils manquent d'informa

    tion, de confiance en eux, etc.- Qu'est-ce qui justifie l'existence de l'influence sociale ?- La rduction de l'incertitude dans l'tat interne du sujet ou dans l'ta

    externe de l'objet.

    Il existe une exception remarquable tout ceci. Elle nous est fournie par ltravail de Asch. L'auteur n'a pas accord une grande importance ces tats dcertitude ou d'incertitude. Il n'a pas essaye de dmontrer, [41] qu'en cas d'incert

    tude, les gens deviennent influenables ou que, lorsqu'ils se conforment au groupe, ils doivent payer le prix de l'incertitude dans leurs propres croyances et jugments. Nanmoins, lorsque sa recherche a t intgre dans le courant gnra(Deutsch et Grard, 1955 ; Jackson et Saltzenstein, 1958) on n'a pas tenu compde son caractre exceptionnel.

    Nous avons dj vu quelques consquences auxquelles ont conduit les questions et les rponses ci-dessus. Je n'ai pas encore fait allusion aux trois hypothsfondamentales :

    a) L'incertitude n'existe que dans la cible, jamais dans la source.b) L'incertitude est perue comme un donn plutt que comme un rsulta

    de l'interaction sociale ; elle nat dans l'organisme ou dans le cadre environnemental, mais jamais dans le groupe.

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    c) L'influence est motive par des facteurs pr-sociaux ou non-sociaux elle satisfait le besoin d'un individu en rduisant son incertitude, et ellepermet l'individu de s'adapter l'environnement, sans plus.

    Dans l'ensemble, il semblerait que les conditions sociales entranent les individus a se conformer. Quand ils se conforment, l'intervention du systme social limite au rtablissement de l'quilibre psychologique des individus et de leurtransactions avec le monde extrieur. Dans tous les autres cas, le conformismn'est pas souhaitable et de toute faon il est purement hypocrite. Il s'agit de rend Csar ce qui est Csar. Malheureusement cela ne se fait pas impunment. Opeut commencer par se soumettre par politesse, puis en arriver de vritables vastes compromis sur les plans motionnel et intellectuel. Comme le disait Didrot, les hommes finissent par croire aux opinions qu'ils sont obligs d'exprimer epublic. En dernire analyse, il devient difficile de distinguer entre la soumission la conformit authentique. Mais c'est une autre affaire.

    CINQUIME PROPOSITION Le consensus vis par l'change d'influence

    se fonde sur la norme d'objectivit

    Retour au sommaire

    Cette proposition n'est probablement pas trs explicite, mais elle intervientoujours dans J'analyse des interactions sociales. Tout [42] d'abord, elle refltl'ide de consensus social en tant qu'adaptation au monde externe :

    Il semble qu'une exigence fondamentale de l'homme soit le besoin dvalider ses opinions. Bien que les informations claires fournies par l'envi

    ronnement physique contribuent la satisfaction de ce besoin, le comportement des autres personnes constitue aussi une source de validation. Notamment lorsqu'elle prouve un sentiment d'incertitude ou de trouble lorsqu'elle ne sait comment ragir - une personne peut observer les comportements d'autrui afin d'y dcouvrir un monde stable. Cette ralit sociale lui fournit un point de rfrence pour son propre comportement. Plus lsituation non sociale qui sert de stimulus est ambigu, plus il est vraisem

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    blable qu'elle s'appuiera sur la ralit sociale pour s'orienter (Secord eBackman, 1964, p. 331).

    La dichotomie familire entre la socit et l'environnement est ici nettemenexprime. On peut voir apparatre, entre les lignes, l'opposition marque entre lrapports avec les objets et les rapports avec les autres gens. L'individu est au centre de l'opposition : d'une part, il essaie de porter un jugement correct et d'valueses aptitudes pour ce faire. D'autre part, la ralit qu'il doit juger, et laquelle doit s'adapter, lui est donne. La ralit ainsi perue correspond la ralit physque. C'est aussi une ralit solipsiste puisque le sujet n'a pas besoin de qui que csoit pour dterminer ses dimensions ni pour l'identifier. Tout ce qu'il suffit de fare pour dterminer la couleur d'une toffe, la duret d'une table, l'heure qu'il esc'est de regarder l'toffe, de frapper sur la table, de jeter un coup d'il une hologe, autant de choses que chacun peut faire seul.

    Mais, en d'autres circonstances, parce que nous avons affaire des opinionqu'il n'est pas possible de valider ou des objets dont les caractristiques ne sonpas stables, nous sommes incapables de porter un jugement immdiat. C'est aloqu'il devient ncessaire de faire appel aux autres afin qu'ils nous aident dans no jugements. La vision de la ralit que nous acqurons de cette manire pedonc tre qualifie de conventionnelle ou de communicative. Elle est videmme

    sociale, la fois parce que c'est un produit du groupe et parce que l'individu l'acepte la seule condition qu'elle soit accepte par les autres. tablir le degr ddmocratie dans un pays, la beaut d'une peinture ou l'heure qu'il est dans unsocit traditionnelle, prsuppose une consultation et un accord collectifs parmles membres du groupe sur la base des diffrentes observations qu'ils pourraienfaire afin d'asseoir leurs opinions.

    [43] On suppose donc que les hommes vivent dans deux types diffrents dralit, que leur existence fragmente et htrogne correspond la fragmentatio

    et l'htrognit qui existent entre l'individu et la socit. Cette distinction reflte la structure des objets et la disposition de l'environnement. Elle dfinit leforces externes qui obligent l'individu oprer des transactions et parvenir uconsensus avec les autres.

    Existe-t-il des forces internes qui agissent dans le mme sens ? Elles dcouleraient de l'attitude du juge l'gard de ses propres capacits. Festinger cons

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    dre le dsir d'valuer correctement ses propres capacits comme un besoin fondamental : c'est un besoin individuel et non social. Si l'individu est sr de ses propres capacits, il n'prouve pas le besoin de tenir compte du jugement ou des op

    nions des autres. Corrlativement, quand cette certitude lui fait dfaut, il escontraint de se comparer une autre personne proche de lui ou semblable lui. Lthorie de la comparaison sociale, que je viens d'voquer brivement, vise a expliquer pourquoi nous avons tendance rester dans un groupe ou nous dirigvers lui, et nous affilier avec d'autres.

    Je ne conteste pas le bien-fond de la distinction entre la ralit physique et lralit sociale, pas plus que celui de la thorie de la comparaison sociale. Moseul but est de montrer qu'elles n'ont de sens que dans l'hypothse o la norm

    d'objectivit rgle le comportement dans la socit. La hirarchie et la diffrencentre ces deux ralits, la premire donne par l'extrieur, la seconde engendrpar la socit, reposent sur le fait que la premire est cense tre plus objectivque la seconde. Le consensus, l'accord de groupe, sont des mcanismes de remplacement sur lesquels il faut d'autant plus s'appuyer que l'objectivit devient pluinsaisissable. On ne prtend pas que des hommes qui diffrent par leurs exprieces et par leur degr de connaissance cherchent une vrit commune, essaient ddcouvrir un aspect inconnu de la ralit ou de rsoudre un problme, et parviennent une solution par des mthodes sur lesquelles ils se sont mis d'accord aupravant. On dit que, lorsque aucune ralit objective ne se prsente d'elle-mmeles hommes n'ont pas d'autre alternative que de chercher une vrit conventionnele qui puisse servir de substitut.

    Ceci claire simultanment le concept de dpendance. En bref, la dpendancest coextensive aux relations sociales et les relations sociales engendrent la dpendance. En fait, comme nous l'avons vu maintes et maintes fois, selon ce modle, la convergence ou l'change entre les [44] individus n'est ncessaire que lorqu'il n'y a pas de ralit objective, lorsque les circonstances sont telles que la ralit objective ne puisse tre directement dtermine. L'indpendance, par ailleurva de pair avec une juste apprhension de la ralit, avec la possibilit de dterminer immdiatement ses traits essentiels, et avec la certitude qu'a l'individu ddisposer de capacits personnelles suffisantes.

    L'opposition entre les rapports avec les objets et les rapports avec les autrepersonnes reflte simplement le contraste entre un rapport dans lequel l'individ

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    est indpendant et trouve en lui-mme assez de force pour rsister la pressiosociale, et un rapport dans lequel il est oblig de se comparer aux autres et de subir une influence en tenant compte de la diversit des points de vue. En cons

    quence, dans la plupart des expriences sur la conformit, on croit que l'autonomie se trouve renforce lorsque l'on demande au sujet d'mettre une affirmatioprcise et de dire ce qu'il voit, tandis que l'on dfinit et que l'on manipule la presion sociale comme si elle reprsentait un obstacle l'exactitude et une sourcd'erreur. Adhrer au groupe, esprer parvenir avec lui un consensus, quivaut devenir dpendant de lui et abandonner l'indpendance garantie par le mondphysique. Il est significatif, cet gard, que Milgram (1965) se soit senti obligd'inventer une exprience montrant que le groupe peut parfois tre un facteud'indpendance et de refus social. Si l'opinion contraire, a savoir que toute interation de groupe conduit ncessairement la dpendance, n'avait pas t aussi lagement rpandue, on aurait peine pu imaginer qu'une telle exprience ft ncesaire, et a fortiori publie.

    Cette fragmentation en un domaine social et un domaine non social, chacuayant ses ralits et ses rapports, cette division en un domaine o le consensus l'influence grce laquelle celui-ci se ralise sont indispensables, et un domaino ils sont superflus, reflte, approximativement, l'absence ou la prsence de l'ob jectivit : dans cette conception, l'objectivit constitue donc la considration prmire. Mais le consensus est lui-mme considr comme soumis la norme d'ob jectivit ainsi que le prouvent les tudes dans lesquelles le processus d'influencsociale est directement li au degr de structure du stimulus. Si les individus sconforment, ce n'est pas parce qu'ils ne peuvent pas supporter l'ambigut, mais egrande partie parce qu'ils jugent que la diversit est inconcevable et qu'il ne doitavoir qu'une seule rponse rpondant la ralit objective. S'il n'en tait pas ainsquel motif auraient-ils d'adopter une opinion diffrente de la leur ? Dans une [45exprience de Sperling (1946) on a dit aux sujets que le phnomne autocintiqu

    tait une illusion d'optique, si bien qu'ils se sont senti le droit d'mettre des jugements subjectifs. Aucune convergence ne s'est produite et donc aucune influencOn pourrait affirmer la mme chose propos des expriences de Asch. En insitant sur l'exactitude ncessaire des rponses et l'objectivit des stimuli, on forcd'une certaine manire le sujet se soumettre au groupe plutt qu' lui rsistepuisqu'il ne peut y avoir, pour un objet physique ou gomtrique, de ralit ind

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    viduelle. Dans certaines conditions , crit Asch, telles celles qui dominendans la plupart des situations dcrites dans ce chapitre, la tendance parvenir uaccord avec le groupe est une exigence dynamique de la situation. Elle se fond

    d'abord sur une conception claire et raisonnable des conditions : chacun supposqu'il voit ce que les autres voient. Partant de l, il espre s'approcher du groupCet effort, loin de tirer son origine de tendances aveugles l'imitation, est le produit d'exigences objectives (1952, p. 484).

    Il nous est maintenant possible de mieux comprendre pourquoi un individconfront un stimulus structur et d'autres individus qui sont en dsaccoravec lui ou qui ne sont pas mieux placs que lui pour formuler un jugement exaccommence par refuser d'en croire ses yeux et tend se rapprocher des autres e

    adoptant en partie ou totalement leurs rponses, au lieu de s'en tenir a sa proprposition et de se fier son propre jugement. Puisqu'il s'agit de phnomnes physques, et que c'est une affaire de mesure, les rponses multiples ou complmentares sont cartes et l'accord ne peut se faire qu'autour d'une seule rponse. Il etrs improbable que l'accord intervienne autour de sa propre rponse puisque leautres sont dj totalement ou en partie d'accord, d'o la tendance de certains individus a cder. L'exigence dynamique de la situation laquelle se rfre Asch eprcisment ce consensus ; cependant, Il s'agit d'un type spcial de consensus, savoir d'un consensus propos de ce qui est vrai ou faux.

    La norme d'objectivit en est venue jouer un rle important dans les travauthoriques et exprimentaux sur l'influence sociale. Significative sur le plan cultrel, elle est devenue partie intgrante du comportement et des principes dfinissant les relations interpersonnelles et intergroupes. Elle a mme t rifie en undimension intrinsque des rapports et des comportements sociaux, ce qui l'a faapparatre

    a) Comme un besoin quasi biologique, celui d'valuation ; etb) Comme une priorit quasi physique de l'environnement, [46] traver

    l'opposition entre environnement structur et environnement ambigu (le premitant plus objectif que le second).

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    La perspective s'en est donc trouve restreinte, tout d'abord parce qu'on n'a patenu compte de ce qui se passe dans le cas de jugements et de points de vue mutiples qui sont tous galement exacts et plausibles. Thoriquement, une telle plu

    ralit est inconcevable tant que l'on est convaincu que l'objectivit implique u jugement unique. En second lieu, la perspective a t restreinte parce qu'on a refs d'abandonner l'ide selon laquelle l'influence sociale ne peut s'exercer par rapport des jugements de prfrence mais uniquement par rapport des jugements d' attribution .

    De telles prfrences personnelles , crit Crutchfield, tant trs loignede la pertinence des modles du groupe, semblent donc tout fait l'abri depressions de groupe (1955). Sans aucune vrification exprimentale claire, l

    plupart des explications qui ont t donnes s'appuient sur l'ide que les jugements d'attribution ont un fondement objectif qui fait dfaut aux jugements dprfrence. Si les diffrences entre les individus sont intolrables lorsqu'elles srapportent un attribut physique, elles sont parfaitement acceptables lorsqu's'agit de prfrence, car des gots et des couleurs, ne discutons pas . Faoindirecte d'admettre que ceux-ci pourraient encore tre l'origine de conflits, maque l'accord social permet d'viter les conflits. Nous pourrions ajouter qu'en fanous discutons davantage de gots et de couleurs que de points en mouvement ode lignes d'gale longueur.

    Finalement, quelques exceptions prs (Kelley et Shapiro, 1954), les psychologues sociaux ont adopt le point de vue selon lequel la vrit a le plus de chances d'tre apprhende par le groupe ou l'individu qui possde les ressources sociales et matrielles ncessaires ; pour le faire. On a prt peu d'attention auconditions dans lesquelles la vrit n'app