Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. ·...

6
Stanislav Rencontre avec l’un des fondateurs de la psychologie transpersonnelle, pionnier de la recherche sur les états modifiés de conscience Stanislav Grof : Le travail clinique que j’ai mené sur les états modifiés de conscience s’est effectué au début à l’aide de produits psychédéliques, d’abord à Prague dans un institut psychiatrique de recherches puis à partir de 1967, aux Etats-Unis, où j’ai parti- cipé à la dernière recherche approuvée par le gouvernement sur les produits psyché- déliques. Ensuite, je suis allé à l’Institut Esalen, centre vraiment très intéressant si- tué sur la Côte Ouest, entre San Francisco et Los Angeles. L’Institut Esalen offre de nombreuses possibilités de séminaires dans différents domaines qui sont souvent trop avant-gardistes pour d’autres lieux. C’est donc là, que ma femme Christina et moi- même, avons développé ce qu’on appelle la Respiration Holotropique, avec laquelle des expériences similaires à celles induites par des produits psychédéliques, sont provo- quées par des moyens très simples : la respi- ration, des musiques puissamment évoca- trices et un travail corporel particulier. Parallèlement, durant ces années, nous avons travaillé avec des gens ayant vécu des expériences spontanées d’états modifiés de conscience, qui, comme vous le savez, auraient été étiquetées par la médecine tradi- tionnelle comme des psychoses ou consi- dérées comme des maladies mentales. Notre expérience nous a aidé à voir les produits Grof Psychiatre non-ordinaire L'Entretien  D epuis plus d’une cinquantaine d’années, le psychiatre Stanislav Grof, mène des recherches sur les états non ordinaires de conscience. Né à Prague, en Tchécoslovaquie, il est diplômé de méde- cine de la Charles University School of Medicine, et a obtenu un doctorat en Philosophie de la médecine de l’académie des sciences de Tchécoslovaquie. Ses pre- mières recherches ont été consacrées à l’usage clinique des substances psycho-ac- tives, au sein de l’Institut Pragois de Recherche. Après 1967, il a poursuivi ses études aux Etats-Unis en tant que respon- sable des recherches psychiatriques du Maryland Psychiatric Research Center ain- si que professeur assistant en psychiatrie à la clinique Henry Phipps de l’université Johns Hopkins de Baltimore. Avec son épouse Christina, il a développé la tech- nique de Respiration Holotwwropique, une méthode innovante de psychothérapie expérimentale. Stanislav Grof est l’un des fondateurs et principaux théoriciens de la psychologie transpersonnelle. Il est en outre président fondateur de International Transpersonal Association - ITA. Il en- seigne actuellement la psychologie au California Institute of Integral Studies - CIIS, au sein du département de philoso- phie, cosmologie et conscience. Il est membre d’honneur de l’INREES. Nous le retrouvons chez lui, sur les hauteurs de Mill Valley, à quelques kilomètres au Nord de San Francisco pour ce long entretien cha- leureux et d’une rare richesse, autour de la Psychologie Transpersonnelle. Retranscription Mark Ennis et Virginie Gomez, traduc- tions Laura Baudin, Patrick Baudin, et Virginie Gomez. psychédéliques et la Respiration Holotropique d’une manière très différente. En effet, ces expériences entraînent une réelle ouverture spirituelle. Et si elles sont bien comprises et bien accompagnées, elles peuvent avoir une réelle capacité de guérison, de transforma- tion et d’évolution. Mes deux domaines principaux de recherche ont donc été les produits psychédéliques et la Respiration, accompagnés de leurs ou- vertures spirituelles. Par ailleurs, j’ai égale- ment exploré une multitude de voies. Les états modifiés de conscience étant toujours le dénominateur commun, j’ai passé beau- coup de temps avec des chamanes de cultures différentes et participé à des cérémonies de médecines sacrées comme l’ayahuasca, les champignons, le kava kava, et bien d’autres; ou encore en étant beaucoup en contact avec des maîtres tibétains, des yogis indiens, des mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai aussi beaucoup travaillé avec Jack Kornfield, pro- fesseur de Vipassana bouddhiste. Nous avons effectué ensemble beaucoup de re- traites où nous combinions la méditation Vipassana et la Respiration. Toutes ces si- tuations ont donc un dénominateur com- mun : elles entraînent des états modifiés de conscience; c’est devenu une sorte de voca- tion et de passion professionnelle pour moi. Entretien réalisé par Stéphane Allix & Paul Bernstein. 10 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009 N° 3 Printemps/Été 2009 - Le Magazine de l’INREES 11

Transcript of Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. ·...

Page 1: Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. · mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai

Stanislav

Rencontre avec l’un des fondateurs de la psychologie transpersonnelle, pionnier de la recherche sur les états modifiés de conscience

Stanislav Grof : Le travail clinique que j’ai mené sur les états modifiés de conscience s’est effectué au début à l’aide de produits psychédéliques, d’abord à Prague dans un institut psychiatrique de recherches puis à partir de 1967, aux Etats-Unis, où j’ai parti-cipé à la dernière recherche approuvée par le gouvernement sur les produits psyché-déliques. Ensuite, je suis allé à l’Institut Esalen, centre vraiment très intéressant si-tué sur la Côte Ouest, entre San Francisco et Los Angeles. L’Institut Esalen offre de nombreuses possibilités de séminaires dans différents domaines qui sont souvent trop avant-gardistes pour d’autres lieux. C’est donc là, que ma femme Christina et moi-même, avons développé ce qu’on appelle la Respiration Holotropique, avec laquelle des expériences similaires à celles induites par des produits psychédéliques, sont provo-quées par des moyens très simples : la respi-ration, des musiques puissamment évoca-trices et un travail corporel particulier. Parallèlement, durant ces années, nous avons travaillé avec des gens ayant vécu des expériences spontanées d’états modifiés de conscience, qui, comme vous le savez, auraient été étiquetées par la médecine tradi-tionnelle comme des psychoses ou consi- dérées comme des maladies mentales. Notre expérience nous a aidé à voir les produits

Grof Psychiatre

non-ordinaire

L'Entretien

 Depuis plus d’une cinquantaine d’années, le psychiatre Stanislav Grof, mène des recherches sur les états non ordinaires de conscience. Né à Prague, en

Tchécoslovaquie, il est diplômé de méde-cine de la Charles University School of Medicine, et a obtenu un doctorat en Philosophie de la médecine de l’académie des sciences de Tchécoslovaquie. Ses pre-mières recherches ont été consacrées à l’usage clinique des substances psycho-ac-tives, au sein de l’Institut Pragois de Recherche. Après 1967, il a poursuivi ses études aux Etats-Unis en tant que respon-sable des recherches psychiatriques du Maryland Psychiatric Research Center ain-si que professeur assistant en psychiatrie à la clinique Henry Phipps de l’université Johns Hopkins de Baltimore. Avec son épouse Christina, il a développé la tech-nique de Respiration Holotwwropique, une méthode innovante de psychothérapie expérimentale. Stanislav Grof est l’un des fondateurs et principaux théoriciens de la psychologie transpersonnelle. Il est en outre président fondateur de International Transpersonal Association - ITA. Il en-seigne actuellement la psychologie au California Institute of Integral Studies - CIIS, au sein du département de philoso-phie, cosmologie et conscience. Il est membre d’honneur de l’INREES. Nous le retrouvons chez lui, sur les hauteurs de Mill Valley, à quelques kilomètres au Nord de San Francisco pour ce long entretien cha-leureux et d’une rare richesse, autour de la Psychologie Transpersonnelle.

Retranscription Mark Ennis et Virginie Gomez, traduc-tions Laura Baudin, Patrick Baudin, et Virginie Gomez.

psychédéliques et la Respiration Holotropique d’une manière très différente. En effet, ces expériences entraînent une réelle ouverture spirituelle. Et si elles sont bien comprises et bien accompagnées, elles peuvent avoir une réelle capacité de guérison, de transforma-tion et d’évolution.Mes deux domaines principaux de recherche ont donc été les produits psychédéliques et la Respiration, accompagnés de leurs ou-vertures spirituelles. Par ailleurs, j’ai égale-ment exploré une multitude de voies. Les états modifiés de conscience étant toujours le dénominateur commun, j’ai passé beau-coup de temps avec des chamanes de cultures différentes et participé à des cérémonies de médecines sacrées comme l’ayahuasca, les champignons, le kava kava, et bien d’autres; ou encore en étant beaucoup en contact avec des maîtres tibétains, des yogis indiens, des mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai aussi beaucoup travaillé avec Jack Kornfield, pro-fesseur de Vipassana bouddhiste. Nous avons effectué ensemble beaucoup de re-traites où nous combinions la méditation Vipassana et la Respiration. Toutes ces si-tuations ont donc un dénominateur com-mun : elles entraînent des états modifiés de conscience; c’est devenu une sorte de voca-tion et de passion professionnelle pour moi.

Entretien réalisé par Stéphane Allix & Paul Bernstein.

10 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009 N° 3 Printemps/Été 2009 - Le Magazine de l’INREES 11

Page 2: Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. · mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai

Dans toutes ces expériences, vous souvenez-vous de cas particuliers qui vous aient vraiment marqué ?S.G. :Oh, il y en a tellement que je ne peux pas vraiment en citer un en particulier. Je pense que les choses les plus surprenantes re-lèvent du travail sur les énergies démo-niaques. Voici un cas particulier. Je travaillais avec une patiente qui souffrait de désordres très importants au niveau émotionnel et psy-chosomatique. Au milieu de son expérience sous LSD, elle s’est complètement métamor-phosée. Son visage s’est contracté en une sorte de masque diabolique. On pouvait lire cette terrible expression dans ses yeux. Elle s’est mise à parler d’une voix grave, et cette voix s’est présentée comme le diable lui-même. La transformation diabolique de cette patiente a duré environ deux heures. Après ce travail, elle a vécu une très grande guérison intérieure. Ce travail ressemblait donc beau-coup à un exorcisme. Ce fut probablement - pour moi - une des expériences comportant un défi majeur.

Qu’avez-vous fait ?S.G. : J’étais essentiellement présent, rece-vant beaucoup d’agressions verbales venant de cette entité, du chantage et d’autres choses encore. J’ai essayé plusieurs approches, mais je me suis finalement rendu compte que je devais me recentrer sur moi-même. Je suis donc entré dans une sorte d’état méditatif. Puis je me suis souvenu que ce genre d’enti-tés n’aiment pas la lumière, donc j’ai médité sur la lumière. Cela a duré un très long mo-ment, à ce qu’il m’a semblé. C’était l’expé-rience la plus longue, en dehors de mes autres expériences psychédéliques, où la notion de temps est profondément modifiée.

Après ces deux heures, l’expérience est-elle arrivée à une sorte de conclusion? Avez-vous senti quelque chose s’apaiser en elle ?S.G. : La patiente s’est transformée à un point… presque comme dans le film l’Exor-ciste. Elle souffrait quotidiennement de spasmes des muscles faciaux très douloureux dont le vrai nom clinique est français: “tic douloureux”. Dans cette expérience, tout s’est tellement intensifié que son visage ne ressemblait plus du tout à ce qu’il était dans sa vie de tous les jours, et ses doigts ressem-blaient à des griffes. Pour me confronter à cet état, j’essayais mentalement plusieurs types d’approches. L’une d’elles consistait à se battre contre cette énergie. Ensuite, je me suis davantage comporté en observateur, pre-nant une attitude plus calme, et cette mau-vaise énergie s’est finalement estompée. Puis, elle a soudainement secoué la tête et les

spasmes ont commencé à s’apaiser. Elle est revenue à elle, ne se souvenant vraiment plus de ce qui venait de se produire. Elle se rappe-lait ce qui précédait et ce qui suivait dans sa session, mais elle ne se rappelait plus rien concernant cet épisode. Cette autre énergie a été comme vaincue.

Est-ce que le tic douloureux est revenu ou est-il également parti ?S.G. : Avant cette session, elle avait rendez-vous pour une intervention chirurgicale vi-sant à couper son nerf trijumeau. Après notre séance, toute l’énergie qui créait ce spasme s’est estompée, ce qui a décontracté ses joues. L’intervention n’était donc plus nécessaire. C’est un des plus grands changements théra-peutiques que j’ai vu, mais à travers un méca-nisme très étrange, et en même temps très dur à comprendre rationnellement.

L’avez-vous considérée comme guérie ?S.G. : Elle nous avait été envoyée par des gens de l’hôpital psychiatrique où elle avait été internée durant onze mois. Ils venaient juste d’avoir une réunion entre profession-nels pour décider s’il était encore temps de faire quelque chose, ou s’ils devaient la transférer en secteur chronique - où elle au-rait été vraiment plus mal, avec des psycho-tiques chroniques, des cas gériatriques, et bien d’autres. Ils ont finalement décidé d’essayer le LSD, et elle a évolué d’une telle façon qu’elle a été libérée. Elle a expérimenté une véritable conversion religieuse. Elle est entrée dans une communauté chrétienne de Baltimore et y a vraiment consacré beau-coup de temps.

Si nous revenons à la description classique, devrais-je dire, comment définiriez-vous l’expé-rience transpersonnelle? Qu’est-ce que cela signifie?S.G. : Les expériences transpersonnelles sont des expériences dans lesquelles, pour des rai-sons diverses, nous dépassons notre identité habituelle. N’importe quelle personne identi-fie son corps et son ego, ce que Jung appelait “persona”. Je suis moi-même physiquement présent, j’ai donc certaines caractéristiques  : Stan Grof, je suis psychiatre, j’habite à Mill Valley, et ainsi de suite. Dans ces expériences transpersonnelles, votre champ de conscience s’étend au-delà de ça. Il existe plusieurs caté-gories d’expériences transpersonnelles. Dans l’une d’elles, votre conscience peut ne faire qu’un avec celle d’une autre personne. Vous pouvez avoir la conscience de tout un groupe de gens. C’est même très difficile à croire - pour les gens n’ayant jamais vécu ces expé-riences - mais vous pouvez expérimenter le

L'Entretien fait d’être toutes les mères du monde, ou toute la population de l’Inde ou d’autres choses de ce genre, ou bien vous identifier à l’humanité toute entière. Et puis cela peut aller bien au-delà de la limite humaine, beau-coup de gens vivent des expériences authen-tiques d’identifications à des animaux. Vous pouvez devenir un aigle, et tout d’un coup, être dans le corps de l’aigle. Vous ne percevez pas le monde comme le ferait un humain, mais d’une façon correspondant au système optique de ces oiseaux prédateurs. Vous sau-riez réellement comment voler, comment af-fronter les courants d’air, et ainsi de suite. Vous pouvez également faire l’expérience de devenir un lion, vous pouvez aussi avoir la conscience d’une baleine. Ces expériences vous donnent accès à de nouvelles informa-tions concernant ces formes de vie et ces or-ganismes. Ce n’est pas seulement nouveau d’un point de vue intellectuel, mais cela im-plique certains éléments que vous ne pouvez pas apprendre d’une autre façon. Par exemple, vous pourriez regarder un docu-mentaire à la télévision parlant de nature et dans lequel on vous montre à quoi ressemble un aigle, les cris qu’il produit, mais la télévi-sion ne peut en aucune manière vous com-muniquer ce que ressent un aigle. Vous ap-prenez donc ce genre de choses en contactant réellement tous ces autres aspects de la na-ture.Vous découvrez donc qu’il existe un mé-canisme d’apprentissage complètement dif-férent. L’apprentissage habituel que nous connaissons est le suivant : vous observez les choses à travers vos sens, puis vous analysez l’observation. Vous faites une synthèse, puis vous en tirez des conclusions pour acquérir la connaissance du monde. Il existe une alter-native radicalement différente qui est celle-ci  : vous entrez dans un état modifié de conscience, puis vous changez de personna-lité ou de forme de vie, et vous apprenez par le biais de ces états.

Une expérience transpersonnelle peut-elle être spontanée ?S.G. : Oui, un très grand nombre de per-sonnes entrent dans des expériences sans les solliciter, sans rien faire pour les provoquer. Beaucoup ont peur, car notre culture assi-mile ces expériences à la folie. Il se peut même qu’ils luttent contre, mais ces expé-riences se produisent de toute façon. Donc, durant ces années, face à des expériences spontanées de ce type, Christina et moi avons travaillé avec les patients comme s’il s’agissait d’expériences psychédéliques ou de travail de Respiration. Plutôt que de re-fouler ces expériences spontanées, on les laisse advenir et on les accompagne.

Quelles théories médicales expliqueraient les origines de ce genre d’expériences?S.G. : Dans le milieu traditionnel de la psy-chologie et de la psychiatrie, on voit unique-ment ces expériences comme les manifesta-tions d’un sérieux problème mental, et qu’un processus “doit être identifié”, un processus pathologique qui affecte le cerveau et en-traîne ces états. Cela n’est bien sûr pas très plausible, si l’on connaît la richesse de ces

expériences. Les gens peuvent voyager dans d’autres périodes de l’histoire, dans lesquelles de nouvelles informations concernant ces pé-riodes historiques et ces pays leur parvien-nent. Ou bien, comme je l’ai dit auparavant, vous pouvez expérimenter l’identification à un animal et assimiler de nouvelles informa-tions allant bien au-delà de tout ce que votre intellect connaît. Vous pouvez également en-trer en contact avec n’importe quelle mytho-logie du monde, même avec des personnages mythiques ou des cultures que vous n’avez jamais étudiés. C’est ce qui a amené Jung au concept d’inconscient collectif  : nous ne fonctionnons pas seulement avec l’incons-cient individuel freudien. Nous fonction-nons également avec la conscience dans la-quelle nous portons essentiellement la totalité de l’histoire humaine et son héritage culturel, mais aussi les informations concer-nant toutes les mythologies de l’humanité. Celles-ci deviennent accessibles dans ce type d’expérience. Les psychiatres, par exemple, pensent que les expériences d’abduction sont psychotiques et qu’une sorte de processus pa-thologique les crée. Quel genre de processus pathologique vous ferait expérimenter l’at-terrissage d’une soucoupe volante dans votre jardin et la venue d’extraterrestres vous em-menant dans un laboratoire afin de prélever des échantillons de sperme ou d’ovules pour faire des expériences hybrides? Cette hypo-thèse n’est donc ni impressionnante ni convaincante. Le nom de ce type d’états en psychiatrie est “psychose endogène”. Si vous avez des connaissances médicales, vous sa-vez déjà que c’est un aveu d’ignorance. “Endogène” ne veut rien dire, cela signifie “généré de l’intérieur”. C’est comme quand vous souffrez d’épilepsie, et que cette épilep-sie fait suite à un accident de voiture et à une contusion cérébrale, vous diriez “épilepsie post-traumatique”. Mais parfois l’épilepsie arrive et il n’y a aucune explication médicale à cela. Donc, le neurologue ne dirait pas  : “Nous n’avons aucune explication, le patient fait simplement des crises”. Les médecins res-sentent le besoin de nommer cette épilepsie. Ils l’appellent “épilepsie idiopathique” ou “épilepsie essentielle”. Donc, si vous enten-dez un nom comme “endogène” dans le cercle médical, vous savez que ça signifie “nous ne comprenons pas ce qui se passe dans ce cas”. Les gens vivent des expériences inhabituelles, ont des comportements étranges et il n’y a aucune explication médicale. Nous avons donc des théories transpersonnelles es-sentiellement basées sur la compréhension du psychisme selon Jung, dans laquelle vous n’avez pas seulement l’inconscient indivi-duel, mais tout cet inconscient collectif. L’explication est donc la suivante  : dans ce type de situation le contenu de l’inconscient collectif refait surface. Mais tandis qu’en psy-chiatrie traditionnelle, le problème se pose ainsi: “comment un processus pathologique peut-il créer un tableau d’expériences si enri-chissantes”? La question en psychologie transpersonnelle est posée de la sorte: “com-ment se peut-il que certaines personnes doi-vent faire des efforts spectaculaires pour en-trer en contact avec ces expériences, alors que pour d’autres, ces expériences se produisent

spontanément”  ? Parce que là où certaines personnes doivent hyperventiler en écoutant de la musique, ou encore prendre des pro-duits psychédéliques, d’autres vivent ce que l’on appelle une “émergence spirituelle” sans avoir besoin d’aucun déclencheur, totale-ment spontanément. De fait, il existe un large éventail de possibilités. Il existe des gens pour qui il est vraiment difficile de vivre des expériences transpersonnelles, alors que d’autres entrent et sortent de ces expériences dans leur vie quotidienne, et leur problème est alors de parvenir à gérer leurs états suffi-samment bien afin de vivre normalement.Il existe maintenant une autre dimension du psychisme qu’Otto Rank a brièvement men-tionnée, comme également Lietaert Peerbolte et Nandor Fodor. Les différents épisodes de la naissance sont inscrits en nous. Le travail avec les produits psychédéliques et la Respiration m’ont vraiment donné la possi-bilité de les répertorier par classes. Certaines expériences typiques sont donc associées aux différents stades de la naissance. Je les appelle les Matrices Périnatales de base. Dans l’ap-proche transpersonnelle, de mon point de vue, le psychisme est extrêmement élargi. Il n’est pas limité à la biographie post-natale, comme Freud le pensait. Nous avons le ni-veau biographique, que ce nouveau point de vue partage avec la psychologie tradition-nelle, mais ensuite, nous avons le niveau pé-rinatal, vraiment très puissant, avec toute l’intensité des émotions et des sensations physiques associées à la naissance. Puis vient le vaste domaine maintenant appelé trans-personnel. Il est tout à fait étonnant que Jung, lui-même très ouvert à l’inconscient collectif et au transpersonnel, n’ait pas envi-sagé que l’expérience de la naissance puisse être importante. J’ai regardé une interview dans laquelle il avait plus de quatre-vingts ans. Quelqu’un lui a posé une question spécifique à propos de cette théorie du Dr Rank selon laquelle la naissance est importante en psychologie, question qu’il a complètement dédaignée. Il a ré-pondu : “Bah, tout le monde naît”. Tout le monde naît, mais quelqu’un peut naître en une heure, et un autre en beaucoup plus de temps. Cela n’a aucun sens de penser qu’expérimen-ter l’allaitement est très important si les heures précédant la naissance n’ont aucune importance en terme de psychologie. Voilà donc une des choses les plus importantes qui nous a été enseignée  : les émotions et les sensations physiques expérimentées durant la naissance sont clairement emmagasinées en nous. Puis au-delà vient donc le vaste domaine appelé transpersonnel.

Pensez-vous que ce qui a été vécu durant la naissance peut créer une plus grande sensibilité aux expériences transpersonnelles?S.G. : Eh bien, lorsque les gens vivent des expériences difficiles - une naissance difficile ou de graves abus physiques après la nais-sance - la conscience essaie de quitter le corps, tellement cela peut être douloureux. La conscience s’échappe du corps afin de se

diriger vers le domaine transpersonnel. On a donc travaillé avec beaucoup de personnes dont les familles présentent de graves abus typiques. Lorsque ces personnes revivent cet abus, leur conscience s’en va dans le monde transpersonnel, et elles y ont ensuite accès quotidiennement, même adultes, longtemps après que l’abus ait eu lieu. Nous avons aussi un mécanisme similaire bien connu : des per-sonnes adultes vivent des expériences entre la vie et la mort. Disons que vous pouvez vivre une expérience difficile et douloureuse dans un accident de voiture, vous pouvez avoir bras et jambes cassés, alors votre conscience quitte votre corps et vous obser-vez la scène du dessus. Vous pouvez égale-ment expérimenter la traversée du tunnel, et lors d’une rencontre avec Dieu, expérimenter le jugement; rencontrer ce que Raymond Moody a appelé un “être de lumière”, voir de beaux paysages, et ainsi de suite. Entrer dans le monde transpersonnel vous sort vraiment d’une vie stressante, exigeante et douloureuse.

Quels sont les critères vous permettant d’établir une différence entre un phénomène normal, un état pathologique ou un phénomène de suggestion par exemple?S.G. : En premier lieu, vous devrez faire de sérieux examens médicaux pour être sûr que vous n’avez aucune maladie physique. Il faut donc voir ce que montrent l’EEG et l’analyse du liquide ancéphalorachidien, pour s’assu-rer qu’il n’y ait pas de maladie physique, telle que la fièvre typhoïde qui pourrait entraîner des hallucinations. Vous devez donc écarter tout problème physique pouvant nécessiter un traitement médical. Vous pouvez ainsi

vous assurer que les expériences et les com-portements observés sont tout simplement inhabituels mais n’ont de causes ni physiques ni biologiques.L’étape suivante consiste à examiner le conte-nu des expériences. Les gens pourraient donc vivre des expériences auxquelles nous avons très souvent affaire dans nos groupes de Respiration. Par exemple, les personnes revi-vent leur naissance, ou vivent une expérience de mort/renaissance, ou revivent leurs vies antérieures. Ils peuvent s’identifier à des ani-maux ou à des archétypes ancestraux. Les états modifiés de conscience sont des états avec lesquels nous pouvons fonctionner de la même manière que dans une expérience psy-chédélique ou dans une session de respira-tion. C’est ce qui leur donne un sens.Une autre chose très importante est l’attitude des patients envers l’expérience : par exemple, ils doivent voir que c’est un processus qui se

Un très grand nombre de personnes entrent dans des expériences sans les solliciter.

Stanislav Grof

12 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009 N° 3 Printemps/Été 2009 - Le Magazine de l’INREES 13

Page 3: Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. · mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai

Stéphane Allix, le Président de l’INREES avec Stanislav Grof dans sa maison de Mill Valley, en Californie. Paul Bernstein, membre du comité directeur de l’INREES, prend la photo.

vit en eux. Le problème survient avec les gens atteints de paranoïa qui utilisent les projec-tions : “Tout va très bien en moi, c’est l’autre qui me fait du mal”, ou : “un scientifique fou envoie des rayons”, ou bien : “c’est un extra-terrestre qui me fait cela”. C’est donc très difficile d’accomplir ce travail alternatif avec les gens qui utilisent ce mécanisme de projec-tion. Il doit être clair que cela se passe dans votre propre psychisme, que vous avez la vo-lonté d’y regarder de près et de faire une sorte de travail sur vous-même. Les gens ayant des ouvertures spirituelles parlent aussi différem-ment. Si vous parlez à quelqu’un de spirituel-lement ouvert, c’est comme si vous parliez à une personne quelconque venant juste de faire une session avec 300 microgrammes de LSD. Il vous parlerait donc d’expériences folles, mais d’une manière très articulée, très cohérente. Les gens pris de paranoïa vous ra-conteraient une histoire très différente. Ils ne diraient pas : “Je sens une énergie monter le long de ma colonne vertébrale et j’ai des vi-sions de scènes et de personnages mythiques”, et ainsi de suite. Ils vous diraient : “J’ai un voisin fou. Il a creusé ce tunnel pour entrer la nuit dans ma maison, et empoisonne la nourriture du réfrigérateur. Il a vraiment mis des appareils périphériques dans toute la maison pour voir tout ce qu'il s’y passe et tout ce que j’y fais.” Si vous leur demandez pourquoi ce voisin fait cela, ils vous diront : “Eh bien, c’est un employé de la Mafia. Je suis quelqu’un de si honnête que cela attire la Mafia. Et je suis sûr que l’argent vient de l’Est, ce sont les pétro-dollars…” Avec ces expériences, vous obtenez une histoire avec des sentiments complètement différents: “Je viens de faire l’expérience d’une autre culture, je mourais sur un champ de bataille, et ma conscience a quitté mon corps”, ou quelque chose comme ça. Les gens parlent d’une ma-nière très cohérente pour vous raconter des histoires qui sont plutôt étranges dans notre culture, mais qui ne seraient pas surprenantes pour d’autres cultures utilisant des rituels avec les états modifiés de conscience dans un contexte spirituel.

Mais il me semble que lorsque des gens disent avoir été enlevés par des extraterrestres, ils racontent leur expérience d’une façon très cohé-rente et articulée, mais mentionnent que cette expérience a une origine extérieure à leur psyché. Ou dans le cas d’une personne voyant un défunt qui, par exemple, donne des infor-mations ignorées de tous, on peut se demander aussi où se situe la source de cette expérience ? Donc, com-ment distinguer le pathologique du non-pathologique dans de tels cas ?S.G. : Vous voyez, le problème critique ici, porte sur la nature ontologique des

expériences transpersonnelles. Peuvent-elles être rationnellement qualifiées de fantasmes, ou d’hallucinations causées par un processus pathologique, ou encore de désirs pris pour la réalité  ? Ou bien révèlent-elles certaines dimensions de la réalité, habituellement im-perceptibles par nos cinq sens ? Se pourrait-il que vous fassiez soudain l’expérience d’êtres ou de dimensions n’ayant rien à voir avec votre réalité de tous les jours ? Aujourd’hui, le problème est de trouver des expériences transpersonnelles qui puissent être validées par des méthodes scientifiquement approu-vées. Actuellement, l’exemple le plus intéres-sant serait l’expérimentation de la sortie hors du corps, particulièrement celles se produi-sant à l’approche de la mort. Vous avez une personne qui fait, disons, une crise cardiaque sur la table d’opération. Pendant qu’ils réani-ment le corps, la conscience quitte le corps et peut aller vers un endroit proche du plafond, et regarde ce que le corps subit, et décide de faire un petit voyage en passant à travers les murs, peut-être pour voir ce qu'il se passe dans les autres parties du bâtiment. Cette conscience peut ensuite vivre un évènement qui se déroule à 1000 kilomètres. Et si un chercheur vraiment ouvert d’esprit cherchait à vérifier cela, nous arriverions à ce que Ken Ring appelle les expériences “véridiques” : ces expériences qui se passent réellement, et qui peuvent être confirmées par des gens ayant une aptitude à les étudier sérieusement. Ken Ring et une collègue ont effectué une étude concernant des personnes aveugles de nais-sance, ce qui signifie qu’ils n’avaient jamais rien vu de leur vie. Et quand, au cours d’une expérience transpersonnelle, leur conscience a quitté leur corps, ils se sont mis à voir. Non seulement ils voient, mais ce qu’ils voient est confirmé. Ils peuvent vous parler de l’instal-lation électrique du plafond. Ils peuvent dé-crire les environs de l’hôpital  ! Ils peuvent tout vous dire sur sa disposition et sur ses alentours. C’est donc un défi, et le paradigme en vigueur ne peut en aucun cas expliquer une expérience de ce genre. Ces expériences se produisent aujourd’hui en abondance et les témoignages s’accumulent. C’est un peu plus difficile en ce qui concerne les expé-riences de vie antérieure dans lesquelles les gens décrivent ce qui se passe dans une autre culture et à une autre époque. La question est alors la suivante : cette expérience a-t-elle un rapport avec ce qui s’est réellement passé, ou cela s’est-il produit différemment  ? Il est beaucoup plus difficile de valider de telles ex-périences. Mais vous pouvez avoir affaire à une expérience dans laquelle la personne dit être témoin d’un événement historique, comme une bataille par exemple, sur lequel elle donne des détails précis que vous avez la possibilité de vérifier. Je raconte quelques exemples de ce type dans mon livre “Quand l’Impossible Arrive”. L’une des personnes

revivait la guerre entre l’Angleterre et l’Es-pagne à l’époque de Walter Raleigh. L’autre avait voyagé dans l’Europe centrale du début du 17ème siècle. Ce sont des faits que nous avons vraiment pu confirmer.Autre exemple avec le phénomène de syn-chronicité. Jung, lui-même, a mis vingt ans avant de présenter ses observations sur la synchronicité à la communauté scientifique, car c’est un phénomène qui est à l’opposé de ce que les gens matérialistes, linéaires et dé-terministes peuvent concevoir. La synchro-nicité relie les expériences intérieures à des événements qui se produisent dans le monde extérieur. Cela enfreint donc certains prin-cipes de base de la science matérialiste. Les psychiatres l’écartent en la nommant “réfé-rence fantaisiste”. Devant quelqu’un de très surpris par ces étranges coïncidences, les psychiatres diraient : “Il n’y a jamais de coïn-cidences inhabituelles, c’est statistiquement démontré”.  Si quelqu’un pense que d’étranges coïncidences sont liées à sa personnalité, tout se passe dans sa tête. C’est donc une “ré-férence fantaisiste”.Trop souvent les psychiatres ont une manière très simple de traiter ces sujets. Si vous vivez une expérience dans laquelle vous voyez quelque chose que personne ne voit, vous êtes psychotique. Si deux personnes voient quelque chose que les autres ne voient pas, ils appellent ça “Folie à deux”, si tout une fa-mille vit cette expérience, comme le décrit Jung dans “Les Sept Sermons Aux Morts” (toute la famille vivait la présence d’esprits et d’autres choses encore), on appelle cela “Folie en famille”. Enfin, si cela concerne un grand groupe de gens, c’est décrit comme une “hal-lucination collective”, comme si cela pouvait être une explication. Donc, les psychiatres se débarrassent de ces expériences en les nom-mant, comme s’ils comprenaient ce que ça signifiait.

Pour comprendre ce fossé existant entre ces réalités et leur perception, en tant que psychiatre, pouvez-vous nous donner votre description de ce qu’est une hallucination par rapport à une perception ?S.G. : Bien des gens, lors d’états modifiés de conscience, comme avec des produits psy-chédéliques ou la Respiration, voient deux réalités en concurrence l’une contre l’autre. Les gens qui vivent des expériences dans nos stages savent toujours qu’ils sont à un sémi-naire où ils vivent une expérience. Ils sont connectés au monde réel qui les entoure. Ils ne se perdent pas dans l’expérience qu’ils sont en train de vivre. Je le répète, pour moi, la chose la plus importante est la sui-vante : les expériences collent-elles à la car-tographie des états modifiés de conscience que j’ai décrite  ? Les personnes revivent-elles une partie de leur vie, de leur petite enfance ? Revivent-elles leur naissance ? Est ce que l’expérience qu’elles sont en train de vivre est conditionnée par des choses qui leur sont vraiment arrivées ? Ou encore, tra-versent-elles quelque chose d’ordre trans-personnel, comme une  expérience de vie antérieure ? Décrivent-elle par exemple des

visions archétypales ? Si vous voyez un per-sonnage mythique que vous n’avez jamais étudié et que vous confirmez son existence en le trouvant dans la mythologie, c’est loin d’être un processus pathologique. Vous en-trez en contact avec l’inconscient collectif. Vous pouvez constater une certaine qualité dans ces états qui sont alors improprement considérés comme pathologiques. Comme nous le voyons, les psychoses physiques, donc déterminées par la biologie, ont ten-dance à déclencher ce que l’on appelle une “bouffée délirante”. Les personnes en délire sont complètement désorientées. Elles ou-blient quel jour, quelle année nous sommes. Leur intellect est habituellement touché et ils sont amnésiques après ce genre d’épi-sode. Elles vivent des hallucinations qui mé-ritent réellement le terme “d’hallucination”. Ces personnes sont dans cet état de délire complet dans lequel il leur est impossible de se raccrocher à la réalité qui les entoure.

Quelle est la définition d’une pathologie mentale ? S.G. : On établit une distinction entre maladies organiques et non organiques. Concernant les premières, tout un pan de la psychiatrie se rattache à la médecine. Alzheimer, tumeur temporale, encéphalite, méningite, épilepsie temporale, dans toutes ces pathologies, il peut y avoir des modifica-tions dans l’anatomie du cerveau ou les fluides cérébro-spinaux, les examens aux rayons X, le sang, les urines, etc… Ces pa-thologies écartées, restent de nombreux états pour lesquels on ne trouve aucune explica-tion biologique. Ils sont pourtant traités comme des maladies en raison d’une évolu-tion historique qui a fait de la psychiatrie une branche de la médecine. A l’origine, au 19ème siècle, la découverte de nouvelles mé-thodes telles que la biochimie, la physiologie,

la microscopie, a créé une excitation extraor-dinaire. Ces méthodes ont commencé à être utilisées dans les hôpitaux psychiatriques. On s’est rendu compte que des patients qui souffraient d’hallucinations, de problèmes de compréhension et de mémoire, de paralysie, avaient par exemple la syphilis à un stade avancé, une tumeur temporale, ou bien en-duraient des modifications organiques de leur cerveau. L’enthousiasme était général. On pensait qu’en continuant ainsi et en affi-nant les méthodes, on pourrait tout expli-quer par la médecine. Mais on se trompait. De nos jours, de très nombreux états, à com-mencer par la psychonévrose, les maladies psychosomatiques et les psychoses dysfonc-tionnelles ou endogènes, n’ont pas d’explica-tion médicale. Mais entre-temps, la psychia-trie a trouvé le moyen de contrôler les symptômes de ces pathologies sans toutefois les comprendre médicalement. Si le patient a des problèmes pour dormir, on lui prescrit des somnifères, s’il est agité, un tranquilli-sant, trop inhibé, un psychostimulant, dé-primé, un antidépresseur, anxieux, un anxio-lytique, et ainsi de suite… La psychiatrie a ainsi légitimé sa place comme spécialité de la médecine, mais nous sommes plusieurs à nous interroger sur cette évolution. A mon sens, la démarche adéquate consisterait à faire des examens médicaux approfondis, et si on ne trouve rien, à utiliser d’autres ap-proches plus efficaces, des psychothérapies expérientielles, l’étude des dynamiques fami-liales… Même la mythologie peut être très utile en psychiatrie dès lors que vous acceptez la possibilité d’un inconscient collectif. L’éventualité d’une maladie organique une fois écartée par un examen médical minu-tieux, le patient pourrait être traité dans des centres adaptés, de manière très différente de ce qui se fait actuellement. L’infrastructure pesante et coûteuse des hôpitaux

psychiatriques ne serait plus nécessaire. Aux Etats-Unis, dans certains instituts psychia-triques, une hospitalisation coûte 1500 dol-lars par jour et pourquoi ? Quotidiennement le patient reçoit une visite médicale d’une vingtaine de minutes et on lui prescrit des médicaments. Si vous devez subir un qua-druple pontage, la dépense est justifiée, mais je ne vois vraiment pas pourquoi les patients en psychiatrie devraient payer 1500 dollars par jour pour une hospitalisation.Un nombre significatif de psychiatres ne sont pas satisfaits de la tendance actuelle de la psychiatrie à se focaliser sur la suppression des symptômes. D’autant que si vous tra-vaillez avec des états non organiques, vous considérez les symptômes, à la manière des homéopathes, comme une tentative de l’or-ganisme pour se soigner lui-même. Pour moi, le symptôme est un matériel trauma-tique de l’inconscient qui apparait pour être traité. Le seul moyen de se débarrasser par exemple de mémoires incomplètes de la naissance est de les faire émerger à la conscience, afin qu’elles soient expérimen-tées totalement, et exprimées par la voix, le mouvement, le tremblement etc… Si vous vous sentez agressif, cette énergie demande aussi à être déchargée. Il ne me viendrait plus à l’esprit aujourd’hui de traiter quelqu’un qui se présente dans un état d’agressivité extrême avec des tranquillisants pour m’assurer que cette énergie ne sorte jamais. D’emblée, mon réflexe serait plutôt de l’installer sur un mate-las, de laisser s’exprimer chaque aspect de sa personnalité et d’essayer de l’aider à faire sor-tir cette colère. C’est vrai pour n’importe quel autre symptôme. Il y a deux écoles en psychiatrie aujourd’hui, l’une s’appelle le “covering”, et se base sur le contrôle des symptômes qu’elle confond avec la guérison, l’autre, le “uncovering”, essaie d’aller au cœur des choses. La relation entre les deux

Stanislav Grof L'Entretien

14 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009 N° 3 Printemps/Été 2009 - Le Magazine de l’INREES 15

Page 4: Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. · mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai

n’est pas claire, de nombreux psychiatres se sentent des affinités avec l’approche de l’uncovering, mais ils doivent voir trente pa-tients par jour et tout ce qu’ils sont en me-sure de faire, c’est de leur prescrire des médica-ments, parler avec eux un quart d’heure et les renvoyer à la maison. D’autres, en revanche, sont convaincus que c’est vraiment le meilleur moyen de procéder.

Pensez-vous que des problèmes d’ordre psychologique puissent résulter d’une expérience extraordinaire ? S.G. : Bien sûr. Le concept même d’émer-gence spirituelle fait référence à une situa-tion où, pour des raisons inconnues, un énorme matériel de l’inconscient - périna-tal, transpersonnel, etc. - émerge à la conscience de manière si intense qu’il inter-fère avec la vie quotidienne. Des expéri-mentations impliquant des techniques d’al-tération de la conscience peuvent aussi créer des troubles. Ayant utilisé des substances psychédéliques, certaines provoquent des flashbacks plusieurs semaines après les ses-sions. Les gens qui font des retraites intenses de type Vipassana, ou travaillent avec des maitres tibétains, utilisent des méthodes destinées à amener à la conscience tout ce matériel inconscient, et il peut arriver que cette émergence soit si intense qu’elle soit difficile à gérer. J’ai parlé à différents maîtres, très peu connaissent des moyens efficaces de contrôler ce qui arrive alors.

Y a-t-il des thérapies connues ou des méthodes de travail adaptées à ceux qui vivent ce type d’expérience ?S.G. : Si la personne a des expériences trans-personnelles spontanées qui sont gérables - parce qu’elles se produisent seulement lors de la méditation par exemple, ou de manière peu intense dans leur vie quotidienne - alors un thérapeute spécialisé en expériences trans-personnelles peut aider. Il faut quelqu’un qui ne dise pas : “Vous êtes fou, vous devez vous préparer à l’être pour le reste de votre vie et à prendre des médicaments!” mais plutôt  : “Vous traversez une étape délicate d’un pro-cessus de guérison et de transformation”. La spiritualité est une dimension légitime de l’expérience humaine, elle lui donne en quelque sorte une signification. Si une per-sonne vit une expérience vraiment intense, elle doit être assistée dans ce travail.

En quoi consiste ce travail ?S.G. : Traditionnellement, il y a trois ap-proches. La première est résolument antipsy-chiatrique. Elle dit en gros : “Quoi que vous fassiez, ne le faites pas avec un psychiatre”. Il s’agit de trouver un endroit où laisser les gens traverser ce qu’ils doivent traverser. Au Japon,

cette méthode thérapeutique est appelée Morita. Les patients sont placés dans une cel-lule capitonnée de telle sorte qu’ils ne puissent pas se blesser et aucune aide spécifique ne leur est offerte. La seconde méthode a été mise au point par un psychiatre jungien qui travaillait essentiellement avec des jeunes gens, juste après leur première expérience, et avant que les psychiatres ne les aient labellisés. Ils étaient encouragés à vivre ces expériences, puis on examinait ce qu’ils avaient vécu à la lumière d’une grille de lecture jungienne.La troisième approche est ce que nous faisons, ma femme Cristina et moi, non seulement en validant les procédures et en encourageant les gens, mais aussi en travaillant avec eux, en les incitant à faire l’expérience de leurs émotions, et éventuellement un travail corporel qui per-mette de libérer celles qui sont bloquées. Il ne s’agit pas de les laisser faire et de parler ensuite, mais de s’impliquer activement en facilitant le processus. Cette démarche est basée sur notre conviction que ces expériences peuvent être surmontées. Beaucoup la compare à un travail d’accoucheur. Un bon obstétricien n’essaierait pas de repousser le bébé quand la tête appa-raît ! Un processus est en cours, vous le laissez se dérouler. Quand il se bloque, vous interve-nez, puis le déroulement reprend, et de nou-

veau, vous laissez faire. Le processus est intelli-gent, vous n’essayez pas de le stopper.

J’imagine que de nombreux psychiatres pensent que cette démarche peut faire du tort au patient.S.G. : Vous devez être prêts à supporter des moments très intenses. Si un accouchement dure quarante heures, au cours desquelles la personne manque de mourir, ou même meurt et doit être ramenée à la vie, cette ex-périence s’apparente à priori plus à une mala-die qu’à une guérison, mais c’est pourtant un processus de nettoyage et de purification. Quand nous travaillons avec des gens en état de désarroi/d’urgence spirituelle, nous n’uti-lisons aucune technique particulière pour les amener au processus, il est déjà en cours. Nous leur disons plutôt qu’elles sont à une étape difficile d’un processus qui est curatif et transformatif, et que nous les accompagne-rons. En séance, nous utilisons de la musique pour faciliter l’expression des émotions, le travail du corps quand l’énergie est bloquée. Beaucoup de compléments peuvent être ap-portés. Quand le processus implique beau-coup d’énergie, l’aérobic ou la nage peuvent en consommer une partie, nous encoura-geons les gens à dessiner, à peindre, à faire des mandalas ou à utiliser de larges feuilles de papier pour peindre avec les doigts, ce qui contribue généralement à une expression intense. Si l’énergie est bloquée, l’acupunc-ture peut être un bon complément ou encore un travail corporel qui permette d’exprimer des émotions, la danse expressive par exemple. Nous sommes en plein changement

de paradigme. C’est l’un des principaux pro-blèmes. Beaucoup de psychiatres pensent qu’il faut empêcher la manifestation des symptômes. Ma philosophie consiste à tra-vailler avec les symptômes, il s’agit d’aller au plus profond pour s’en débarrasser. Lorsque vous le faites, ce ne sont pas seulement les symptômes qui disparaissent, vous mûrissez au sens où vous connaissez une ouverture spirituelle ; votre hiérarchie de valeurs, votre stratégie de vie changent ; il y a un dévelop-pement de la personnalité quand les tran-quillisants tendent au contraire à l’appauvrir. Les fortes doses peuvent transformer les gens en zombie, avec de lourds effets secondaires. Mais le système tout entier tend à cette ap-proche suppressive. En psychiatrie tradition-nelle, les catégories “mystique” ou “spirituel” n’existent pas. Toutes les expériences seront tenues pour psychotiques dès qu’elles sortent de la nomenclature. Même si l’expérience active était finie, le fait d’évoquer des choses spirituelles telles que les vies antérieures, serait considéré comme l’indication d’un état pathologique.

Pourquoi des techniques comme la Respiration Holotropique ou l’ayahuasca ont-elles un effet thérapeutique ?S.G. : Il est évident que tout développement humain s’accompagne de traumas. Pour cer-tains, les crises commencent à l’état prénatal. La naissance est une épreuve. Même si elle a été facile, elle implique de la douleur, la suffocation, une peur extrême. D’autres souffrances sont liées à notre environne-ment familial, en grandissant, nous faisons

l’expérience de divers traumas, de frayeurs et nous les portons dans notre inconscient. En fonction de sa proximité avec la surface, la présence de ce matériel inconscient forme un prisme déformant à travers lequel nous nous percevons nous-même, mais aussi le monde qui nous entoure comme nos relations avec les autres. Quand nous pouvons amener ce matériel à la conscience et le traiter, c’est-à-dire exprimer les émotions, libérer les éner-gies et ainsi de suite, cette purification/éva-cuation change la façon dont nous nous percevons nous-même et dont nous perce-vons le monde, et modifie notre stratégie de vie. Toute personne présente ce schéma ina-chevé de la naissance, c’est très commun. Durant le travail de Respiration, beaucoup de gens doivent s’en libérer. Au bout d’une demi-heure, ils se retrouvent dans le canal de la naissance et non plus dans la salle où a lieu la séance. Ils respirent difficilement, ils ont le sentiment d’être prisonniers et de faire des efforts pour sortir. Si ces souvenirs de la naissance sont proches de la surface, ils créent des sensations d’incon-fort physique et émotionnel, qui se traduisent par un sentiment permanent d’insatisfaction : “Ma vie n’est pas ce qu’elle devrait être, je ne suis pas tel que je devrais être, je ne gagne pas assez d’argent, je n’ai pas de pouvoir, de gloire, de position dans le monde”. Notre imagination crée alors la représentation d’un avenir meilleur : “Si j’avais 100 000 dollars, un million, une plus grande maison, si j’étais ministre, si j’étais docteur, etc.” Alors nous nous élançons vers ce but, et en fonction de la force de l’impulsion, nous surmontons les obstacles. Ce mouvement de fond vise à faire

de nos vies ce que l’on pense qu’elles de-vraient être. Les existentialistes appellent cela l’auto-projection : se projeter soi-même constamment dans l’avenir, ne pas vivre dans le moment présent, mais se préparer pour un temps où la vie sera vraiment ce qu’elle de-vrait être. De deux choses l’une  : où nous n’atteignons pas ce but, et notre sentiment d’insatisfaction se combine avec celui de ne pas avoir assez d’argent, de pouvoir, etc. où nous l’atteignons - nous avons notre million de dollars, nous devenons ministre ou doc-teur - alors nous nous réveillons un matin et réalisons qu’en réalité pas grand-chose n’a changé. A ce moment là, nous ne pensons pas devoir changer de stratégie. Nous imagi-nons plutôt que notre plan initial n’était pas assez ambitieux - un million de dollars ne suffit pas ! Il faut plus d’argent, plus de pou-voir.Pour paraphraser Joseph Campbell, on arrive en haut de l’échelle et on se rend compte qu’elle était appuyée contre le mauvais mur.Au-delà d’un certain point, quand nous ne sommes pas en Somalie, victime d’une fa-mine, et que nous avons de quoi manger chaque jour, les sentiments subjectifs ne se modifient plus vraiment. Seule une plongée en nous-même peut amener à une réalisation intérieure.Nous portons ces mémoires incomplètes de la naissance, et à un niveau profond, nous sommes ce fœtus coincé dans le canal de naissance, qui se sent mal, qui perçoit la pos-sibilité d’un futur meilleur et la nécessité de se sortir de cette situation. Nous nous proje-tons dans cette image d’une situation future meilleure, parfois nous la recherchons toute

L'Entretien Stanislav Grof

On arrive en haut de l’échelle et on se rend compte qu’elle était appuyée contre le mauvais mur.

16 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009

Page 5: Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. · mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai

notre vie, puis la mort survient et nous nous rendons compte que nous n’avons pas vécu pleinement. Les gens qui réalisent cela ont tendance à développer une stratégie de vie différente  ; elle n’est plus un combat, une poursuite, mais elle ressemble davantage aux arts martiaux. Il s’agit de ressentir les énergies pour déterminer quelle direction prendre. On peut comparer cette stratégie à du surf. Quand vous surfez, vous ne pouvez pas choi-sir d’aller à gauche, vous allez où vont les va-gues. C’est la stratégie recommandée par le Taoïsme, on l’appelle la quiétude créative  : vous considérez la situation telle qu’elle est, la place que vous occupez en fonction de ces circonstances, et vous vous laissez porter. Quand les circonstances changent, vous changez de direction. Les gens qui adoptent cette stratégie se rendent compte que la vie est plus facile, qu’ils font plus avec moins d’efforts et que l’univers les aide. Des syn-chronicités surviennent, des connexions avec les bons projets. Soudain l’argent arrive, ou alors quelqu’un vous donne l’information utile. C’est une approche non compétitive au sens où nous ne recevons pas au détriment des autres, il s’agit d’une participation qui procure de l’autosatisfaction mais sert aussi un projet plus vaste. Dans notre civilisation industrielle, le niveau de vie dépend de la richesse. Avec un double-ment ou un triplement du PIB, nous de-vrions tous léviter en extase  ! Mais ça ne se passe pas comme ça. Les pays très riches ne sont pas plus heureux que les autres, ils ont plus de divorces, plus de criminalité, plus d’addiction à la drogue… Et pourtant, l’idée que cette stratégie ne marche pas ne s’impose pas. La solution ne peut pas venir de l’exté-rieur, elle doit être associée à une transforma-tion intérieure qui suppose une reconnais-sance des bonnes valeurs, des actions justes et des moyens appropriés. Il faut combiner le travail intérieur lié à la sagesse de l’incons-cient collectif et l’activité dans le monde.

Il est difficile de définir la frontière entre soi et le monde. Dans le cas d’un éveil spirituel, le phénomène est intérieur, mais qu’en est- il lorsqu’il s’agit d’extraterrestres qui apparaissent dans votre vie ou de votre oncle décédé qui vous fait une visite dans votre chambre, on ne semble plus dans un processus purement interne ? S.G. : L’intérieur et l’extérieur dépendent de la manière dont vous concevez vos propres frontières. Dans notre civilisation, nous pen-sons que nous sommes des objets newto-niens, des corps/ego, dont la limite est la surface de la peau. Mais dans les états non ordinaires, nous découvrons que ce n’est pas le cas. Au cours d’expériences transperson-nelles, nous pouvons devenir d’autres per-sonnes, des animaux, des êtres archétypaux. Nous n’avons pas d’identité fixe, notre iden-tité s’étend de notre corps ego au principe créatif, vous pouvez même vous expérimen-ter comme principe créateur suprême au cours d’une expérience. Dans ces états non

ordinaires, vos expériences seront aussi convaincantes, sinon plus, que celles vécues quotidiennement par votre corps/ego. L’intérieur et l’extérieur sont des notions rela-tives. Carl Jung, durant ses crises transper-sonnelles, entrait en relation avec une entité appelée Philémon. Il réalisa qu’il pouvait lui poser des questions et recevoir des informa-tions dont lui-même ne disposait pas dans sa vie de tous les jours. Il a d’ailleurs attribué une partie de sa théorie psychologique à Philémon. Selon les situations, vous pouvez placer les frontières à différents endroits, comme dans cet exercice tibétain où vous évoquez certaines images de déités paisibles, vous les expérimentez comme étant exté-rieures, puis vous élargissez votre conscience jusqu’à réaliser que c’est votre conscience elle-même qui les crée. Les frontières sont arbitraires. Pour moi, les enlèvements extra-terrestres sont des créations de l’inconscient collectif. En d’autres temps et d’autres lieux, on parlait d’enlèvement par les fées, d’êtres archétypaux. Ceux là semblent taillés pour le 20ème et le 21ème siècle. On retrouve beaucoup de similarités avec la mythologie, le charriot de feu d’Ézéchiel, certains extraterrestres res-semblent à des créatures archétypales. Cela me paraît être l’explication la plus plausible, c’est aussi celle de Jung, qui a écrit un livre sur ces phénomènes  : les objets vus dans le ciel. Cela expliquerait leur caractère psy-choïde en ce sens que la frontière entre l’exté-rieur et l’intérieur est dissoute, des choses du monde intérieur se combinent avec des choses du monde extérieur, la caractéristique d’un phénomène psychoïde est de survenir dans la zone d'ombre entre les deux mondes.

Est-ce que l’inconscient collectif peut brûler de l’herbe là où ces objets se sont posés ? S.G. : Un maître hindou vous dirait que la nature ultime du monde phénoménal et du monde des archétypes est la même  : maya, que toute réalité est virtuelle, que tout est im-materiel. Un objet immatériel dans un monde immatériel peut être créé par nos ex-périences. De nos jours, un film peut vous donner un fac-similé convaincant d’une situa-tion réelle. Quand les premiers hologrammes sont apparus, un bijoutier de New York a installé un projecteur dans sa devanture de telle sorte que l’hologramme d’une main te-nant une belle parure apparaissait dans la rue. Quand les gens essayaient de l’attraper, ils passaient au travers. Imaginez qu’en voyant le collier, vous puissiez aussi le toucher, que le sens du toucher puisse être abusé comme la vue et l’ouïe, vous ne pourriez plus distinguer la réalité virtuelle du réel. C’est une question très complexe. Dans les mains, dans la peau, se trouvent de nombreux récepteurs, qui ne sont pas si faciles à tromper. Si quelque chose

L'Entretien

ou quelqu’un contrôle ces expériences, à la manière d’un producteur d’Hollywood, il peut vous donner à vivre n’importe quel monde  : “Autant en emporte le Vent” ou “Star Treck”. Le problème avant tout, c’est l’existence : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien  ? Voilà le mystère majeur. Est-ce que la lévitation est possible ou non ? Les questions de ce genre relèvent de dé-tails, elles nous excitent alors que l’essen-tiel nous indiffère.

Quelle est votre définition de la conscience ? S.G. : J’ai étudié la médecine sous un régime marxiste  ; la doctrine officielle était stricte-ment matérialiste et quand je suis sorti de la Faculté, j’étais absolument convaincu que la conscience était un produit dérivé de la ma-tière, un épiphénomène, émergeant mysté-rieusement de processus neurophysiolo-giques complexes. Quand j’ai commencé à travailler sur les états non ordinaires, j’ai dé-couvert une réalité radicalement différente. Ma première expérience de sortie hors du corps en 1956 a été puissante, cosmique. Quand je suis revenu, pendant un moment, je ne pouvais plus faire le lien entre corps et conscience. Il est devenu absolument clair que ce qu’on m’avait enseigné était faux. A minima, la conscience était un partenaire à égalité du corps. Il me semblait même que la conscience pouvait créer l’expérience du monde matériel, la réalité, et à l’inverse, la matière, si inerte, si passive, me paraissait in-capable d’engendrer une chose aussi phéno-ménale que la conscience. Ma compréhen-sion a donc changé radicalement. Pour moi, la conscience est un aspect fondamental de l’existence qui ne peut être réduit à rien d’autre.

Pensez-vous que la science pourrait travailler sur le spirituel ? S.G. : Je ne vois pas ce qui l’en empêcherait. La prétendue incompatibilité entre science et religion est basée sur un malentendu ; la reli-gion et la science ne sont pas en compétition pour un même territoire. Si vous examinez les dogmes des religions installées selon une perspective scientifique, ils apparaissent ab-surdes. L’Immaculée Conception n’est pas un sujet d’interrogation pour un gynécologue, ni la Terre Promise un bien immobilier. Faire ce genre de parallèle est erroné. Les cieux dont parlent les religions ne sont pas ceux des astronautes. Aldous Huxley a écrit un livre merveilleux “Le Ciel et l’Enfer” après avoir eu une expé-rience psychédélique. Il a réalisé que les deux sont réels en tant qu’états non ordinaires de conscience dont vous faites l’expérience, ça n’a rien à voir avec le monde phénoménal. Quelqu’un pourrait être assis en ce moment

Stanislav Grof

Dessin : Jan Kounen

18 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009 N° 3 Printemps/Été 2009 - Le Magazine de l’INREES 19

Page 6: Psychiatre non-ordinairestangrof.com/images/joomgallery/ArticlesPDF/Grof... · 2020. 5. 27. · mystiques chrétiens de l’Ordre Bénédictin ou des personnes de tradition Zen. J’ai

L'Entretien

avec nous dans la pièce et se trouver en même temps en enfer ou au paradis. A l’origine de toute religion, il y a des expériences transpersonnelles. Prenez l’Ancien Testament ; Moïse, Jehovah et le buisson ardent, Abraham parlant aux anges  ; puis dans le Nouveau Testament ; Jésus tenté par le démon dans le désert, ses visions sur la route de Damas ou celles de Jean sur l’Apocalypse  ; l’Eveil de Bouddha sous l’arbre de la connaissance, l’expérience de ses vies passées et la libération des liens karmiques ; les visions mystiques de Mahomet et des sept paradis ou de la ren-contre avec Allah. Il n’y aurait pas de reli-gions sans ces expériences spirituelles. Ensuite commence une autre histoire  : les religions s’organisent pour différentes raisons, la chrétienté à cause des persécutions par exemple. Protéger le système devient plus important que les enseignements spirituels eux-mêmes. Une fois que les religions sont organisées, toutes sortes de préoccupations séculaires apparaissent - l’argent, les biens, la

hiérarchie - et la connexion avec les sources spirituelles est perdue. Il est possible de deve-nir Pape sans jamais avoir eu une seule expé-rience spirituelle. Dans la psychologie trans-personnelle, nous faisons la distinction entre religion et spiritualité et nous essayons de réunir le meilleur de la spiritualité et le meilleur de la science. Nous laissons de côté les religions organisées et leurs dogmes in-compatibles avec la science, qu’il s’agisse de celle de Newton ou du nouveau paradigme. Mais étudier la spiritualité n’est en rien contraire à la science puisque la spiritualité se fonde sur des expériences directes de l’imma-nent et du transcendant. Elle se trouve du côté des mystiques, les mystiques chrétiens, les kabbalistes, les soufis… Ce sont des gens qui s’engagent dans des expériences person-nelles, de prière, de jeûne… Reconnaître que nous avons, en tant qu’êtres humains ,un po-tentiel spirituel n’est pas contraire à la science non plus. Le contenu de ces expériences, leur impact sur la vie des gens, sont étudiés. Doivent-elles être considérées comme des rêves, des produits de l’imagination, des hal-lucinations, ou révèlent-elles des dimensions cachées de la réalité ? De nombreuses tradi-tions spirituelles ne diffèrent guère des traditions scientifiques. Si vous êtes un

scientifique, on vous donne un protocole d’expérience, vous rendez compte des résultats, d’autres en prennent connaissance, répè-tent les expériences, et essaient de repro-duire les résultats. De la même façon, les tra-ditions spirituelles comme le bouddhisme donnent des instructions relatives à des tech-niques d’expérimentation. Ensuite vous ju-gez par vous-même si l’expérience est concluante. Le Bouddha a dit que rien ne devait être cru sans être validé par l’expé-rience personnelle. Il n’y a donc aucun conflit entre la spiritualité et l’exploration scientifique. Ce sont les dogmes des religions organisées qui créent le problème. Ces religions sont en conflit entre elles, les divergences sont telles qu’elles peuvent mener à des guerres. A l’in-térieur même des religions, on s’affronte, les catholiques et les protestants, les chiites et les sunnites… Chaque religion a ses figures ar-chétypales. Elles devraient être considérées comme des désignations du divin sans pré-tendre être le divin lui-même ; le divin étant au-delà, sans forme, mais capable de créer ces différentes formes. Si vous commencez à adorer les archétypes, vous entrez dans l’ido-lâtrie. Vous adhérez à une religion qui ras-semble les gens ayant les mêmes visions ar-chétypales du divin - Jésus, Marie, Mahomet, etc. Et qui en même temps divise le monde, car tel groupe s’oppose à tel autre, juifs, goys, chrétiens, païens, musulmans, infidèles et ainsi de suite… Chacune de ses religions or-ganisées a des mystiques qui vont au-delà des archétypes. Ces branches mystiques ne sont pas très différentes entre elles, au contraire des formes organisées qui présen-tent d’énormes différences. Les mystiques se ressemblent car ils vont à la source d’où pro-vient toute forme, mais ils ne s’embarrassent pas d’une forme spécifique à adorer. Les bons gourous indiens vous diront que tous ces êtres admirables, Jésus, Mahomet, Moïse, sont des avatars… Et ils les honorent tous. Ma conviction est que nous cheminons vers une religion de ce type, qui reconnaitrait l’importance de l’expérience personnelle, mettrait à disposition des moyens pour faire évoluer la conscience, via un système de sou-tien, mais ne porterait aucune attention au caractère chrétien, musulman, juif, abori-gène, des expériences. Chacun réaliserait être bénéficiaire à égalité de l’infinie créativité du principe créateur cosmique.

Selon vous que se passe-t-il lorsque nous mourrons ?S.G. : Au cours de nombreuses expériences, j’ai pensé mourir et j’ai même été surpris de revenir. De nombreuses études sur les expé-riences de mort imminente ont été faites, même si, malheureusement, personne n’a pu accomplir le processus complet, mourir

vraiment et raconter ensuite. Nous connais-sons seulement les récits de ceux qui ont été proches de la mort. A bien des égards, ils confirment les descriptions que l’on trouve dans les livres des Morts comme le Bardo-Thödol tibétain, le concept par exemple d’une conscience ayant le don d’ubiquité… Je crois qu’en mourant, nous entrons dans un état très similaire aux états non ordinaires de conscience dont on peut faire l’expérience vivant. Nous avons travaillé avec des patients atteints de cancer en phase terminale. A me-sure que la maladie progressait, il est arrivé qu’ils vivent des expériences de mort immi-nente et ils ont pu nous dire à quel point ils étaient heureux d’avoir connu auparavant des états non ordinaires de conscience, car au moment de leur EMI, ils n’étaient plus en territoire inconnu, la peur laissait la place à un sentiment de familiarité. Selon les Tibétains, nous pouvons maintenir une conscience alerte au cours du passage des différents bardos, jusqu’à la réincarnation suivante, certains peuvent prédire où ils vont renaître et ainsi de suite… Ces idées pour-raient être étudiées scientifiquement. Par exemple, lorsque certains tulkous (maîtres réincarnés) et lamas laissent des indications sur le lieu de leur renaissance. Leur incarna-tion présumée est soumise à des tests. Elle doit identifier parmi tout un ensemble, des objets ayant appartenus aux maîtres décédés. Le dalaï-lama paraît être ouvert à ce type d’expérience. Il est selon moi très concevable qu’une forme de conscience subsiste après la mort, qui ressemble beaucoup à celle expé-rimentée durant les états non ordinaires. Quant à savoir comment ça se passe exacte-ment, il faudra attendre d’y être.

Merci beaucoup pour ce moment partagé. Vous avez accepté de soutenir l’InREES, pourriez-vous nous dire quelques mots sur ce qui vous motive ?S.G. : Etudier la conscience durant toutes ces dernières années m’a convaincu de l’im-portance du travail intérieur. La civilisation industrielle s’est détournée de toute intros-pection intense et a essayé de trouver une ré-ponse extérieure aux problèmes qu’elle ren-contre. Je pense que ma plus importante découverte est que notre vie ne pourra pas s’accomplir totalement et être pleinement satisfaisante si nous ne trouvons pas un moyen de combiner l’intérieur et l’extérieur. Jung suggère que nous passions un certain temps de notre vie dans une forme intense d’exploration de soi, qu’il s’agisse d’une re-traite spirituelle, d’une psychothérapie, d’ex-périences psychédéliques, pour pouvoir vivre en combinant la sagesse de l’inconscient col-lectif avec une action utile dans le monde. Il ne faut pas se contenter de vivre à l’extérieur de nous-mêmes. Il y a un grand risque à perdre sa spiritualité. L’orientation qu’a prise la civilisation industrielle a créé un énorme danger pour la planète et les méthodes qui tentent d’y remédier sont des extensions de l’ancienne stratégie. La solution réside selon moi dans un renoncement à cette stratégie, cela peut venir de tous ces gens qui font l’ex-périence de leur sagesse intérieure. n

Stanislav Grof

A l’origine de toute religion, il y a

des expériences transpersonnelles

20 Le Magazine de l’INREES - N° 3 Printemps/Été 2009