Présence du cerf rusa dans le massif de...

14
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2001, N° 269 (3) 5 CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE DOSSIER Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupinié en Nouvelle-Calédonie et impact sur le reboisement en kaoris Avant qu’une opération de sylviculture soit lancée dans la forêt naturelle du massif néo-calédonien de l’Aoupinié, les auteurs ont observé des plantations de kaoris traversées par des cerfs. Ils proposent diverses mesures de protection des plants et l’installation d’aménagements sylvo-cynégétiques. Ils précisent également l’impact écologique des populations de cerfs et leur importance socio-économique en milieu tribal. Massif forestier de l’Aoupinié, versant est. Nouvelle-Calédonie. Aoupinié Mountains, eastern slopes. New Caledonia. Photo S. Le Bel. Sébastien Le Bel CIRAD-EMVT 1378 Harare Zimbabwe Jean-Michel Sarrailh CIRAD-Forêt BP 10 001 Montravel 98805 Nouméa Nouvelle-Calédonie Fabrice Brescia CIRAD-EMVT BP 25 98890 Païta Nouvelle-Calédonie Alain Cornu CIRAD-Forêt BP 10 001 Montravel 98805 Nouméa Nouvelle-Calédonie

Transcript of Présence du cerf rusa dans le massif de...

Page 1: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 5CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

Présence du cerf rusadans le massif de l’Aoupinié

en Nouvelle-Calédonieet impact sur le

reboisement en kaoris

Avant qu’une opération de sylviculture soit lancéedans la forêt naturelle du massif néo-calédonien de l’Aoupinié, les auteursont observé des plantations de kaoris traversées par des cerfs. Ils proposentdiverses mesures de protection des plants et l’installation d’aménagementssylvo-cynégétiques. Ils précisent également l’impact écologique despopulations de cerfs et leur importance socio-économique en milieu tribal.

Massif forestier de l’Aoupinié, versant est. Nouvelle-Calédonie. Aoupinié Mountains, eastern slopes. New Caledonia. Photo S. Le Bel.

Sébastien Le Bel

CIRAD-EMVT1378 Harare

Zimbabwe

Jean-Michel Sarrailh

CIRAD-Forêt BP 10 001 Montravel

98805 Nouméa Nouvelle-Calédonie

Fabrice Brescia

CIRAD-EMVTBP 25

98890 Païta Nouvelle-Calédonie

Alain Cornu

CIRAD-Forêt BP 10 001 Montravel

98805 Nouméa Nouvelle-Calédonie

Page 2: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

6 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

RÉSUMÉ

PRÉSENCE DU CERF RUSA DANS LE MASSIF DE L’AOUPINIÉ ENNOUVELLE-CALÉDONIE ET IMPACTSUR LE REBOISEMENT EN KAORIS

L’introduction du cerf rusa (Cervus timorensis russa) en Nouvelle-Calédonie date de 1870 et les pre-miers dégâts dans les cultures ontété rapportés en 1882. En 1994, l’enri-chissement de la forêt naturelle enkaoris (Agathis moreii) a été aban-donné en raison de l’abroutissementdes jeunes plants par les cerfs. Lesuivi des plantations a révélé que letaux de survie des plants oscillait de4 à 24 % selon l’année de plantation.La densité naturelle en kaoris permet-trait un renouvellement du stock na-turel à condition d’entretenir lesplants restants, mais la majorité desplants ont végété depuis 5 ans. La densité en cerfs a été estiméeentre 0,01 et 0,17 cerf par hectare.L’abroutissement a affecté la crois-sance de 19 % des plants, en les écor-çant totalement dans 64 % des cas.La localisation des plants dans deszones de passage et leur visibilité ontété significativement associées à unfort abroutissement. La réduction desdégâts nécessiterait des aménage-ments sylvo-cynégétiques, des me-sures de protection des arbres et lecontrôle des cervidés. Les protectionsindividuelles par un tube ou unegaine sont efficaces, contrairementaux répulsifs chimiques. La chasse aucerf reste une tradition bien ancréedans la vie des tribus kanaks, elles’effectue traditionnellement en bat-tue avec des chiens. La chasse denuit au projecteur, favorisée par l’ou-verture des pistes, séduit les chas-seurs. L’implication de ces derniersdans une gestion cynégétique est dif-ficile car elle suscite des tensions fon-cières.

Mots-clés : Cervus timorensis russa,Agathis moreii, chasse, forêt natu-relle, Nouvelle-Calédonie.

ABSTRACT

RUSA DEER IN THE AOUPINIÉMOUNTAINS OF NEW CALEDONIAAND IMPACT ON KAORIREFORESTATION

Rusa deer (Cervus timorensis russa)were introduced to New Caledonia in1870 and the first crop damage wasreported in 1882. In 1994, a naturalforest enrichment programme withkaori trees (Agathis moreii) wasabandoned due to excessive brow-sing of the young plants by deer.Plantation monitoring revealed that,depending on the year of planting,the plant survival rate oscillated bet-ween 4% and 24%. Considering thenatural density of kaori, the operationwould normally lead to renewal of thenatural stock provided that the re-maining plants are maintained. Apartfrom a small fraction, most of theplants have been vegetating for thelast 5 years. The deer density, judgedby dung heaps, was estimated torange from 0.01 to 0.17 deer/ha.Browsing affected plant growth in19% of cases, and stripped them in64% of cases. The location of plantsalong deer trails and their visibilitywere significantly linked with heavybrowsing. Sylvo-synergy arrange-ments, protection measures and deerpopulation control would be requiredto reduce damage. Only individualprotection in tubes or casing hasproven effective, unlike chemical re-pellents. Deer hunting remains adeeply rooted Kanak tradition andcustomarily involves dog drives.Spotlight night hunting, now facilita-ted by the logging roads, attractshunters due to its efficiency. Hunterinvolvement in synergy managementhas proven difficult due to inducedland-ownership tensions.

Keywords: Cervus timorensis russa,Agathis moreii, hunting, natural fo-rest, New Caledonia.

RESUMEN

PRESENCIA DEL CIERVO RUSA EN EL MACIZO DE AOUPINIÉ EN NUEVACALEDONIA E IMPACTO SOBRE LA REFORESTACIÓN DE KAURIS

La introducción del ciervo rusa(Cervus timorensis russa) en NuevaCaledonia data de 1870 y los prime-ros daños en cultivos fueron descri-tos en 1882. En 1994, se abandonó elenriquecimiento del bosque naturalcon kauris (Agathis moorei) debido alramoneo de las plantas jóvenes porlos ciervos. El seguimiento de lasplantaciones ha revelado que la tasade supervivencia de las plantas varia-ba entre el 4 y el 24% según el año deplantación. La densidad natural dekauris permitiría una renovación delas reservas naturales a condición deentretener las plantas que quedan,pero la mayoría de las plantas langui-decen desde hace cinco años. Se esti-mó la densidad de ciervos entre 0,01y 0,17 ciervos por hectárea. El ramo-neo ha afectado al crecimiento del19 % de las plantas, descortezándo-las totalmente en el 64 % de loscasos. La localización de las plantasen zonas de paso y su visibilidad fa-vorecieron mucho su ramoneo. Ladisminución de los daños precisaríaordenaciones silvogenéticas: medi-das de protección de los árboles y decontrol de los cérvidos. Las proteccio-nes individuales mediante tubo omalla son eficaces, al contrario de losrepulsivos químicos. La caza del cier-vo es una tradición consolidada entrelas tribus de canacos, se efectúa tra-dicionalmente en batida con perros.La caza nocturna con proyector, favo-recida por la apertura de pistas, atraea los cazadores. La implicación de loscazadores en una gestión cinegéticaes difícil ya que suscita tensiones ter-ritoriales.

Palabras clave: Cervus timorensisrussa, Agathis moorei, caza, bosquenatural, Nueva Caledonia.

Page 3: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

Le cerf rusa (Cervus timorensisrussa) est une espèce originaired’Indonésie, et plus précisément del’île de Java où il subsiste depuis lestemps préhistoriques. La populationde rusa javanais s’est étendue bienau-delà de sa zone d’origine, les in-troductions ayant été nombreusesdans plusieurs contrées plus oumoins éloignées de son aire d’origine(Whitehead, 1993).

L’introductiondu cerf rusa en

Nouvelle-Calédonie

Son introduction en Nouvelle-Calédonie date du 6 février 1870 avec12 cerfs à bord de l’aviso Guichen enprovenance de Java. Libérés de laferme école-jardin de Yahoué, ils en-vahirent progressivement le reste dela Grande-Terre. Aucun milieu naturelde la Grande-Terre n’a échappé à l’ex-pansion de la population. Bien queconcentrés dans les régions au nordet à l’ouest du territoire avec un effec-tif estimé à 120 000 têtes (Chardon-

net, 1988), il n’est pas rare d’en trou-ver dans la chaîne centrale de laGrande-Terre et bon nombre de chas-seurs distinguent le cerf de chaîne decelui du bord de mer.

Son impact sur les cultures etles pâturages est rapporté dès 1882et les premières battues pour tenterde se débarrasser de ce « fléau » fu-rent organisées en 1921 (Barrau,Devambez, 1957). Les effets du brou-tage sur les autres formations végé-tales ont été récemment étudiés, no-tamment sur la forêt sclérophylle dela Côte Ouest de la Nouvelle-Calédonie (Gargominy et al., 1996 ;Letourneur et Pascal, 1994) et leshauts de la Réunion (Attie, 1994).

En 1994, une opération d’enri-chissement de la forêt naturelle enkaoris (Agathis moreii) menée par lesservices forestiers de la provinceNord dans le massif de l’Aoupinié estabandonnée en raison de l’abroutis-sement systématique des jeunesplants par les cerfs. Avant d’envisa-ger de nouvelles opérations de sylvi-culture en espèces endémiques, ils’avère important d’examiner les faitspour déterminer s’il s’agit ou nond’un épiphénomène lié au déplace-ment fortuit d’une petite populationde cerfs sur un site de plantation.

Si le suivi des plantations et deleur abroutissement est apparucomme un axe de travail naturel, l’ac-cent a été mis sur l’étude des pra-tiques de chasse adoptées par lestribus riveraines de cette zone fores-tière, dans la mesure où elles exer-cent un effet régulateur sur les popu-lations de cerfs.

Le cadre del’étude

Le massif forestier domanial del’Aoupinié s’étend sur 11,3 km2, surles communes de Ponérihouen et dePoya . Ce massif est considéré commeun des plus riches en essences fores-tières de la province Nord, notam-ment en houp (Montrouziera cauli-flora) et en tamanou (Calophyllumcaledonicum) ; la zone est cependantpauvre en kaoris (Agathis sp.).

Les plantations

De 1967 à 1996, 48,4 ha ont étéreboisés avec cinq espèces :

▪ le kaori (Agathis moreii) en1967, puis de 1992 à 1994 ;

▪ le pin des Caraïbes (Pinus cari-baea) en 1975 ;

▪ le houp de 1992 à 1994 ; ▪ le teck (Tectona grandis) en

1995 ;▪ le mahogany en 1996 (Swie-

tenia macrophylla et S. mahagony).

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 7CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

Jeune cerf rusa (daguet) consommant un plant de Calliandra.Young rusa deer (daguet) browsing a Calliandra plant.Photo S. Le Bel.

Page 4: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

Le site de l’étude correspond àla superficie concernée par la secondecampagne de plantation du massif de1992 à 1994. Au cours de cette cam-pagne, plus de 11 000 plants de kaoriont été mis en terre dans une zoneanciennement exploitée en 1989 (figure 1). Le coût unitaire d’implan-tation a été estimé à 250 FCFP(13,75 F).

La station zootechniquede Port-Laguerre

Dans l’élevage de cerfs rusa duCirad à Port-Laguerre, une parcelled’un hectare a été plantée de 400kaoris, en disposant les jeunes plantsde 4 à 6 mois en interligne entre descalliandras (Calliandra calotyrsus). Cedispositif a été utilisé pour évaluerl’abroutissement spontané des plantsde kaori et tester des méthodes demise en défens.

Les approcheset les méthodes

Les recherches ont porté surdeux thèmes : l’impact écologique ducerf et son importance socio-écono-mique en milieu tribal.

Sondage et prospection

Une première étude a permis dedélimiter les périmètres de plantationet d’estimer leurs surfaces respec-tives à 3 ha pour l’année 1992 et à10 ha pour les années 1933 et 1994.Le taux de sondage des plantations aété fixé à 10 % des plants, en effec-tuant des transects de la piste de dé-bardage en ligne de crête en directiondu thalweg.

Caractér isation desplants et suivi saisonnier

Une fois repéré, le plant de kaoria été caractérisé par des variablesqualitatives et quantitatives spéci-fiant sa position, son développement,son état sanitaire, son état d’abrou-tissement, son environnement et safréquentation par des ongulés. Cettedernière a été évaluée à l’aide des in-dices kilométriques d’abondance sui-vants :

▪ IKF, nombre de fumées (fèces)de cerfs/km de transect ;

▪ IKT, nombre de traces d’ongu-lés/km de transect ;

▪ IKP, nombre de zones de pas-sage/km de transect.

La densité de la population decerfs (D) a été estimée à partir ducomptage des dépôts de fuméesfraîches observés sur le transect enutilisant la formule (Eberhart et Van

Etter, 1956) : D = N/(S x T x 13) en cerfs/ha ;N étant le nombre de dépôts de

fumées fraîches observés sur le tran-sect ;

T la durée du suivi en jours ; S la surface du transect en hec-

tares.

L’état d’abroutissement duplant a été évalué selon l’échelle éta-blie par Boisaubert et al. (1985) de 0 (pas d’abroutissement) à 5 (sujettotalement abrouti, dont le feuillage a disparu).

Protections mécaniqueset chimiques

L’efficacité des dispositifs indi-viduels de protection mécanique et chimique a été testée à Por t-Laguerre sur les plants de kaori ins-tallés dans la parcelle du parc à cerfs.La comparaison a porté sur l’efficaci-té de deux protections mécaniques(Tubex ND 120 cm et Gaine Norten ND33 x 120 cm) et de deux répulsifs chi-miques (Stop Gibier N D et Deer-Away ND).

Enquête sociologique

La forêt de l’Aoupinié est clas-sée « réserve de chasse » depuis1975. Bien qu’inhabitée, elle fait par-tie des zones de chasse et de col-lectes traditionnelles des tribus deGohapin (à l’ouest) et Goa (à l’est).Plusieurs approches ont été simulta-nément mises en œuvre :

▪ entretiens individuels auprèsdes chasseurs à l’aide d’un question-naire qui s’est enrichi et modifié au fildes rencontres ;

▪ présence permanente d’un ex-pert en tribu pendant le temps del’enquête ;

▪ recueil de documents sur lethème abordé auprès des services forestiers de la province Nord (Le-

poutre, 1998).

8 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

Beau plant de kaori planté en bordured’une piste de débardage. A healthy kaori planted along a loggingroad. Photo S. Le Bel.

Page 5: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

Traitement desdonnées

La comparaison des moyennesobservées a été effectuée par desanalyses de variance. Les associa-tions entre les variables qualitativesont été étudiées à partir de tableauxcroisés en utilisant le test du khi-deux. L’étude des associations entreles variables explicatives et l’état sa-nitaire des plants de kaori a été réali-sée à partir de modèles de régressionlogistique (SPCC/PC AdvancedStatistics™, version 7,5).

État sanitairedes plantations

Caractér isation desplants de kaor i

Huit à 15 % de la superficie desplantations ont été prospectés, en re-levant les plants de kaori le long de3,8 km de layon. Avec un total de 642kaoris observés, le taux de recense-ment est de 18 % pour les plantationsde 1992, 40 % pour celles de 1993 et60 % pour 1994. Le taux de survie desplants diffère significativement selonl’année de plantation ; si une trèsfaible proportion de plants a survécuen 1992 (9 %), le taux a atteint 28 %en 1993 et 46 % en 1994.

Courbes de survieLe suivi saisonnier des plants a

montré que la proportion de kaorismorts n’a fait qu’augmenter. Si, enjanvier 1998, 71 % des plants obser-vés étaient encore vivants, la propor-tion a chuté à 52 % en mai et en août1998 pour atteindre 44 % en mars1999.

Selon le périmètre de planta-tion, la survie des plants diffère signi-ficativement selon l’époque d’obser-vation. En mai 1998, la proportion deplants vivants a été respectivementde 64 %, 40 % et 29 % pour les péri-mètres plantés en 1994, en 1993 ouen 1992. Un an après, le taux de sur-vie est tombé respectivement à 46 %pour les plantations de 1994 et de1993 et à 26 % pour la plantation de1992 (figure 2).

L’ajustement du taux de survieen fonction du temps épouse un modèle de courbe inversement pro-portionnel à la durée en semaines (fi-gure 3). L’examen des courbes obser-vée et théorique montre que leseffectifs de kaoris vivants ont rapi-dement diminué durant les 20 pre-mières semaines du suivi, puis sesont stabilisés au voisinage d’un tauxde 25 % pour le périmètre planté en1993 et de 45 % pour ceux en 1993 eten 1994.

Figure 2Évolution du taux de survie des kaorisselon le périmètre de plantation.Kaori survival patterns for different plantations.

Figure 3Courbes de survie observée et théorique des plants de kaori.Actual and theoretical survival curves for kaori plants.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 9CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

PonérihouenPoya

Nouméa

Figure 1Situation de la zone de l’étude dans le massif de l’Aoupinié, en Nouvelle-Calédonie.Location of the study area in the Aoupinié Mountains, New Caledonia.

Page 6: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

En se référant à l’effectif théo-rique de plants, de janvier 1998 àmars 1999, le taux de survie a chutéde 9 à 4 % pour la plantation en 1992,de 28 à 17 % pour celle en 1993 et de46 à 24 % pour celle en 1994.

Plants exceptionnelsEn examinant les fréquences

des données, il est possible de distin-guer une petite population de kaoris,regroupant moins de 1 % de l’effectifde plants sains (2/245), dont la crois-sance est nettement plus importanteque la moyenne des individus. Dansdes conditions optimales, au bout de4 à 5 ans, il a été possible d’observerdes pieds de 120 à 130 cm, avec unhouppier d’une soixantaine de tigeset d’une centaine de feuilles.

Fréquentation du massifpar les ongulés sauvages

Au cours du suivi saisonnier,aucun cerf n’a été observé de visumais la présence des dépôts de fu-mées et les traces a permis d’estimerla fréquentation du massif forestier.Si les fumées ont été des indicesfiables de la présence du rusa, les traces d’onglons ont été plus déli-cates à exploiter du fait qu’ellesétaient souvent détrempées oubrouillées par le passage des co-chons sauvages.

L’indice kilométrique d’abon-dance fondé sur les dépôts de fu-mées (IKA-F) a diminué graduelle-ment au cours du suivi, de 4 à moinsde 0,3 fumée par kilomètre (figure 4).Cette évolution indiquerait une dimi-

nution de fréquentation de cette par-tie du massif par le cerf. Les autres in-dices d’abondance basés sur la pré-sence de traces (IKA-T) ou de zonesde passage (IKA-P) ont augmentéaprès une phase de repli en mai1998 ; ils ont atteint un palier en marset en août 1998. La persistance d’untel niveau d’indice en mars et en aoûtindiquerait une augmentation de lafréquentation du massif forestier pardes cochons sauvages.

L’estimation de la densité de lapopulation de cerfs à partir des dé-pôts de fumées a été estimée à 6 hapar cerf en janvier 1998 et à 68 ha parcerf en mars 1999 (tableau I).

Abroutissement par le cerf

Les espèces végétales abroutiespar le cerf rusa dans les périmètres deplantation ont été des ligneux situésen pleine forêt, comme les jeunesplants de kaori (Agathis moreii), oulocalisés en lisière ou dans les cha-blis, comme la liane ananas (Freycine-tia sp.) ou les joinvilleas (Joinvillea pli-cata). Les joinvilleas ont été systé-matiquement appétés par les cerfs,alors que le taux de digestibilité de lamatière organique est faible (49 %) etque celui des protéines est moyen (41g de matière azotée digestible par kilode matière sèche). Les espèces herba-cées (Chrysopogon aciculatus, Steno-taphrum dimidiatum, Paspalum plica-tulum, P. conjugatum, P. dilatatum)consommées étaient localisées surles anciennes pistes de débardage dé-limitant les périmètres de plantation.

10 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

Figure 4Indice kilométrique de présence d’onguléssauvages en zone de reboisement.Kilometric index for the presence of wild deer inthe reforested area.

Observations Janvier 1998 Mai 1998 Août 1998 Mars 1999

Périmètre planté en 1992 (m) 675 401 384 380

Périmètre planté en 1993 (m) 1 768 1 433 1 433 1 396

Périmètre planté en 1994 (m) 1 262 1 142 1 121 1 142

Surface prospectée (ha) 2,22 1,79 1,76 1,75

Durée d'observation (jours) 3 3 3 3

Dépôts de fumées observés 15 3 7 1

Cerfs/ha (ha/cerf ) 0,17 (6) 0,04 (23) 0,10 (10) 0,01 (68)

Tableau I

Var iation saisonnière de ladensité des cerfs dans la zone

de reboisement estimée àpartir des dépôts de fumées

Page 7: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

Les prélèvements sur les plantsde kaori par les cerfs ont porté princi-palement (à 91 %, soit 414 cas sur453) sur l’ensemble des éléments vé-gétatifs disponibles (bourgeons,tiges et feuilles). Quel que soit le pé-rimètre de plantation, les modalitésd’abroutissement ont été identiques.L’intensité d’abroutissement a étéforte, affectant la croissance du plantdans 19 % des cas (niveau 4) oul’écorçant complètement dans 64 %des cas (niveau 5). L’examen du ta-bleau croisé (tableau II) montre quel’intensité d’abroutissement desplants n’est pas constante mais dé-croît (figure 5), confirmant ainsi labaisse de fréquentation du massif parles cervidés.

Facteurs favor isantl’abroutissement

L’association entre les casd’abroutissement moyen à fort et lesvariables descriptives qualitatives etquantitatives des plants est étudiéeavec un modèle de régression logis-tique. Seules les variables « passage »et « visibilité » ont un effet significatiffort au seuil 1 pour 1 000 et elles ap-paraissent comme des facteurs pré-dictifs forts du risque d’abroutisse-ment.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 11CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

Observations Dates d’observation28/01/1998 05/05/1998 09/08/1998 09/03/1998 Total

Abroutissement nul Effectif 20 22 16 17 75

Pourcentage 4,4 5,4 4,2 5,6 4,8dans la date

Un coup de dent Effectif 20 17 23 9 69

Pourcentage 4,4 4,1 6,0 2,9 4,4dans la date

Quelques coups de dent Effectif 11 7 8 23 49

Pourcentage 2,4 1,7 2,1 7,5 3,2dans la date

Toutes parties abrouties, Effectif 34 9 7 23 73forme non affectée Pourcentage 7,5 2,2 1,8 7,5 4,7

dans la date

Abroutissement généralisé, Effectif 92 61 79 63 295forme affectée Pourcentage 20,3 14,9 20,5 20,6 19,0

dans la date

Abroutissement généralisé, Effectif 276 294 252 171 993disparition des éléments végétatifs Pourcentage 60,9 71,7 65,5 55,9 63,9

dans la date

Total Effectif 453 410 385 306 1 554

Pourcentage 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0dans la date

χ2 de Pearson : 66 ; probabilité < 0,001.

Figure 5Variation saisonnière de l’intensitéd’abroutissement des kaoris.Seasonal browsing variations for kaoris.

Tableau II

Fréquence des intensitésd’abroutissement selonla pér iode d’observation

Page 8: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

L’examen du tableau croiséentre « niveaux d’abroutissement » et« zone de passage » (tableau I I I)montre qu’une localisation en zonede passage est significativement as-sociée à une fréquence d’abroutisse-ment moyen à fort plus élevé (88 vs73 %). La visibilité du plant joue unrôle similaire, la fréquence d’unabroutissement moyen à fort passede 8 à 89 % si le plant est caché ou vi-sible.

Mise en défens

À Port-Laguerre, les prélève-ments de biomasse végétale ontmontré que les huit daguets dispo-saient, à l’entrée de la parcelle, d’unfourrager abondant évalué à plus de5 t de matière sèche par hectare.L’analyse du tapis herbacé a révéléque trois espèces fourragères parti-culièrement appréciées par le cerfrusa (Setaria kazungula, Dichantiumaristatum, Desmanthus virgatus) re-présentaient plus de 50 % de la bio-masse. Après un séjour d’un mois, lescerfs ont été retirés de la parcelle ; ilsavaient consommé 63 % des callian-dras et 51 % de la biomasse herbacéedisponible. Tous les plants de kaoritémoins ont été consommés. Seulsles Tubex et les gaines Norten ont as-suré une bonne protection des kaorisavec moins de 2 % des plants abrou-

tis (rameaux et feuilles consomméséchappant au dispositif de protec-tion). Un mois après leur application,les répulsifs chimiques se sont a-vérés totalement inefficaces avec 100 % des plants traités abroutis(tableau IV).

En considérant l’état sanitairedes plants, la gaine Norten a été laprotection la mieux adaptée au kaoriavec 100 % de plants sains. Malgré unrésultat équivalent (99 % de plantssains), le Tubex paraît moins intéres-sant car il favorise l’apparition derouille sur des plants confinés dansun espace restreint. La majoration ducoût de plantation est estimée à150 % pour la gaine Norten (375 vs250 FCFP) et 160 % pour le Tubex (401vs 250 FCFP).

Importancesocioculturelle

du cerf

L’Aoupinié, qui appartient audomaine public, garde les marquesdes territoires de chasse tradition-nels, bien connues des chasseurs,mais qui n’ont pas été cartogra-phiées. Chaque clan bénéficie d’unterritoire de chasse situé à 2-3 h demarche de la tribu (une dizaine deterritoires pour la tribu de Goa et troispour celle de Gohapin). L’ouverturedes pistes de débardage et l’utilisa-tion de véhicules tout-terrain ont per-mis aux clans d’étendre les territoiresau-delà des aires traditionnelles,bouleversant les règles anciennes de

division de l’espace. Il existe néan-moins des territoires tabous où il estinterdit de chasser ; ils constituent defait les seules réserves de chasse na-turelles dans l’Aoupinié. Avant departir à la chasse, les hommes échan-gent des paroles destinées à porterchance. Certaines croyances sont as-sociées à la chasse. Ainsi, la présencede pièces de monnaie sur soi est pré-judiciable, alors que le chant de cer-tains oiseaux annonce une chassefructueuse.

La consommation de viande decerf à Goa (300 habitants) est évaluéeà 16 kg de viande par habitant et paran (soit environ 0,8 cerf par habitantet par an), au rythme de 20 cerfsabattus par mois. À Gohapin, laconsommation de viande de cerf se-rait plus faible car la viande du com-merce est d’un accès plus facile. Lestechniques de conservation tradition-nelles, comme le fumage et le salage,sont peu employées car la viande estconsommée rapidement. L’électrifi-cation a permis d’augmenter la capa-cité de stockage et de prélèvement encongelant l’excédent. La viande decerf n’est pas frappée d’interdit parti-culier comme certains gibiers tradi-tionnels à valeur emblématique, telsla roussette rousse (Pteropus ane-lians) ou le notou (Ducula goliath),mais elle participe du systèmed’échange et de partage propre à lacoutume kanak.

Avec l’usage des armes à feu etde la voiture, certains chasseurs sesont spécialisés dans la revente localedes produits de leur chasse et ils pro-curent un apport monétaire supplé-mentaire à la tribu.

12 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

Observations Zone de passageAbsente Existante Total

Abroutissement Nul à faible Effectif 56 29 85

Pourcentage dans le passage 27,1 11,8 18,8

Moyen à fort Effectif 151 217 368

Pourcentage dans le passage 72,9 88,2 81,2

Total Effectif 207 246 453

χ2 de Pearson : 17 ; probabilité < 0,001.

Tableau III

Fréquence des niveauxd’abroutissement selon

l’existence d’une zone depassage

Page 9: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

Pratiques dechasse

Les lieux de chasse semblentêtre toujours les mêmes, comme l’at-teste la présence de campementspermanents. D’après les chasseurs,la savane à niaouli (Melaleuca quin-quinerva) d’altitude et les plaines res-tent les zones les plus propices à lachasse au cerf. Ils connaissent lespassages empruntés par les animauxet les utilisent pour se positionnerpendant les battues.

La chasse est une activité ré-servée aux hommes bien que lesfemmes puissent y prendre part pourrenforcer l’équipe de rabatteurs.Traditionnellement, la battue avecdes chiens est la pratique la plus cou-rante : elle consiste à poster des ti-reurs avec des fusils à canon lissedans les zones de passage emprun-tées par les animaux, généralement enligne de crête dans un espace dégagé,et à leur rabattre le gibier levé et tra-qué par la meute de chiens. La chassede nuit au projecteur séduit de plusen plus de chasseurs en raison de sonefficacité. Elle se pratique à pied enutilisant une batterie de moto avec unprojecteur mais aussi en voiture.L’ouverture de la route transversalePoya-Ponérihouen et le réseau depistes forestières praticables en véhi-cule tout-terrain semblent favoriserce mode de prélèvement, notammentpar les chasseurs de Gohapin.

L’usage du feu, bien que critiqué, estsouvent utilisé pour débusquer lecerf ou l’attirer en provoquant des re-pousses précoces.

La confrontation des récits deplusieurs chasseurs révèle que lestroupeaux de cerfs couramment ren-contrés comportent trois à six indivi-dus. Lors des battues, un maximumde deux ou trois cerfs seraient tuéspar action de chasse. Toutes les caté-gories d’animaux sont tirées sans dis-tinction de sexe ou d’âge.

Discussion

Les plantations de kaor ide l’Aoupinié

Les kaoris sont des Agathis de lafamille des araucariacées, dont legenre comporte une vingtaine d’es-pèces dont cinq endémiques à laNouvelle-Calédonie (A. ovata, A. cor-bassonii, A. montana, A. moorei et A.lanceolata) (De Laubenfels, 1972). Laforêt de l’Aoupinié renferme essen-tiellement des Agathis corbassonii,dont le volume d’arbres de diamètreégal ou supérieur à 70 cm est estiméà 4 840 m3 (Cherrier, 1980). Cetteespèce croît en ligne de crête et surles pentes couvertes de forêt sur unterrain non serpentineux, entre 300 et700 m d’altitude. Le choix d’Agathismoreii, bien qu’absent de l’Aoupinié,comme espèce d’enrichissement est

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 13CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

Observations Type de protectionTémoin Tubex Norten Deer away Stop gibier Total

Abroutissement Oui Effectif 68 1 1 75 71 216

Pourcentage 100,0 1,3 1,3 100,0 100,0 58,4dans la protection

Non Effectif 76 78 154

Pourcentage 98,7 98,7 41,6dans la protection

Total Effectif 68 77 79 75 71 370

Pourcentage 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0dans la protection

χ2 de Pearson : 362 ; probabilité < 0,001.

Tableau IV

Fréquence de l’abroutissementdu plant selon le type deprotection uti l isé

Abroutissementd’un plant de kaoridans une zone depassage. Browse damage toa kaori plant alonga deer trail. Photo S. Le Bel.

Pied de Freycinetiaabrouti par descerfs.Freycinetia plantbrowsed by deer.Photo S. Le Bel.

Page 10: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

justifié sur le plan sylvicole car, ayantles mêmes exigences que A. corbas-sonii, il se prête bien à la productionde plants en pépinière. Néanmoins, ilfaut avoir à l’esprit que l’introductiondans un biotope d’une espèce récenteest susceptible de provoquer sonabroutissement sélectif par les cervi-dés (Delannoy, 1994).

À deux ans, le jeune kaori fait 50cm de haut. Il croît en saison despluies d’une hauteur de 1,0 à 1,5 m etde 1 à 2 cm de diamètre par an (Cher-

rier, 1980). Les performances enre-gistrées dans les périmètres de plan-tation révèlent que, hormis unefraction d’entre eux, la majorité desplants sains a végété depuis cinq ans.

L’importance des abroutisse-ments observés est en apparence laprincipale contrainte, mais elle nedoit pas occulter le fait que cette essence de demi-lumière a souffertd’une absence d’entretien et d’unmanque de lumière (Cherrier, 1980).La présence de rouille sur la plupartdes plants semble attester cette hy-pothèse.

Sur le plan sylvicole, l’essaid’enrichissement en kaori a été unéchec, dans la mesure où l’objectifd’une centaine de tiges à l’hectare(Cherrier, 1980) ne sera jamais at-teint. Si on considère la densité natu-relle du site en kaori, soit neuf tigesde plus de 20 cm de diamètre parhectare (Ctft, 1975), l’opération pour-rait aboutir au renouvellement dustock naturel, à condition d’entreteniret de protéger les plants restants.

Abroutissement desplants de kaor i et impact

sur les écosystèmesnaturels

L’abroutissement du kaori par lecerf n’est pas limité à l’Aoupinié maissemble révéler une appétabilité parti-culière de cette araucariacée pour lecerf rusa. L’exemple le plus frappantest celui de l’abroutissement sélectifdes pieds de kaori par les cerfs dePort-Laguerre qui n’en avaient jamaisvu auparavant. Le kaori n’est pas laseule essence d’intérêt forestier àêtre abroutie en Nouvelle-Calédoniepar le rusa puisque Delion (1995)rapporte des observations similairessur des houps introduits dansl’Aoupinié entre 1993 et 1994.

Jaffre et Veillon (in Gargominy

et al., 1996) soulignent l’effet dubroutage des cerfs sur la forêt scléro-phylle qui entraîne la disparition du sous-bois par l’absence de recrû. La résistance au broutage de cer-taines plantes allochtones aboutit àla formation de faciès monospéci-fiques, tel le faciès à Homalium de-planchei dans le secteur de Déva àBourail, et l’extension de certainesadventices comme le goyavier(Psidium goyavia) et le lantana

(Lantana camara) (Le Chartier,1996). Sur l’îlot Leprédour, Letour-

neur et Pascal (1994) ont identifiéquatre espèces inféodées à la forêtsclérophylle qui, soumises à unabroutissement total par le cerf rusa(Casearia deplanchei, Maclura co-chinchinensis, Premna seratifolia,Psydrax odorata), favorisent une co-lonisation monospécifique du milieupar des végétaux à fort pouvoir dedissémination, comme Cloezia arten-sis et Croton insularis, ou faiblementappétents, comme Passiflora sube-rosa, Catharantus roseus, Vitex trifoliata et V. rotundifolia. L’actionconjointe du cerf rusa et du lapin(Oryctolagus cuniculus) a récemmentcontribué à l’extinction d’une espècearbustive de la forêt sclérophylle,Pittosporum tanianum (Bouchet inGargominy et al., 1996). En Papou-asie-Nouvelle-Guinée, l’introductiondu cerf rusa, en 1920, s’est accompa-gnée de la modification de lacomposition floristique des savanesavec la disparition d’espèces succu-lentes (Fraser Stewart, 1985). À laRéunion, où le cerf rusa est présentdans le massif forestier de la plainedes Chicots, son abroutissementcontribuerait à la raréfaction d’une di-zaine d’espèces indigènes (Acacia he-terophylla, Forgesia racemos...)(ATTIE, 1994).

La grande plasticité du régimealimentaire du cerf rusa expliquel’étendue des espèces végétalesspontanément appétées et leur apti-tude à coloniser différents milieux na-turels. L’abroutissement des jeunesplants de kaori permet une nouvelleexpression de leur comportement.Introduites dans un environnementsans contraintes exogènes, les popu-lations de cerfs rusa exercent, par en-droits, un abroutissement excessifsusceptible de modifier les faciès devégétation et de dégrader la capacitéde charge des massifs.

14 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

Jeune plant de kaori protégépar une gaine Norten. A kaori sapling protectedwith a Norten casing. Photo S. Le Bel.

Page 11: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

Prévention des dégâtsde gibier en forêt

L’abroutissement d’un jeuneplant provoque chez l’arbuste uneforme défectueuse, une perte decroissance allant jusqu’à la mort del’individu. Son impact varie selon lesespèces, certaines espèces étant par-ticulièrement attractives ou tou-chées, du fait de leur faible représen-tation et de leur introduction récente(Delannoy, 1994). La réduction desdégâts nécessite :

▪ des aménagements sylvo-cynégétiques ;

▪ le recours à des mesures deprotection individuelle ;

▪ un contrôle des populationsd’ongulés.

Les aménagements sylvo-cyné-gétiques visent à diminuer la pres-sion cynégétique dans les zones à ré-générer. Plusieurs axes de travail sontproposés (Delannoy, 1994) :

▪ alterner les peuplements fer-més avec des superficies ouvertesdisséminées ;

▪ maintenir des peuplementsmélangés et d’âges variés ;

▪ maintenir des espèces appé-tentes dans les zones d’essencessensibles ;

▪ entretenir les zones de gagna-ge en lisière ou sur les chemins en fa-cilitant leur enherbement ;

▪ ne pas trop dégager les semisou les plants en laissant environ derecrûs ligneux autour du pied.

Ce dernier point est particulière-ment important car la visibilité duplant est un facteur déterminant deson abroutissement par les cerfs. Laprotection par engrillagement total,qui se justifie pour de petites sur-faces, est impropre au site de l’étude.La protection individuelle convient aureboisement par de grands plantsissus de pépinières, plantés à faibledensité. Elle nécessite un suivi ré-gulier des plantations et son effica-cité dépend de la qualité du piquetutilisé.

En attendant d’évaluer l’efficaci-té des mesures d’aménagementsylvo-cynégétique, la meilleure pro-tection des plants de kaori est lagaine grillagée de type Norten.

Gestion du cerfen zone forestière

Fréquentation du massifpar le cerf rusa

Le recensement d’une popula-tion d’ongulés s’effectue en utilisantdifférentes méthodes de dénombre-ment :

▪ le comptage direct des ani-maux (battues, etc.) ;

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 15CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

Départ à la chasse à cheval. Departure for a mounted huntingexpedition.Photo S. Le Bel.

Page 12: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

▪ le comptage indirect, en s’ap-puyant sur des indices de présencedes animaux (fumées, traces…) ousur des changements de rapports dedonnées numériques (méthode demarquage).

La méthode des fumées, utiliséedans ce suivi, présente un certainnombre de biais. Collins (1981),Mandujano et Gallina (1995) etRowland et al. (1984) estiment que lecomptage des dépôts de fumées, uti-lisé comme indicateur de présencedes cervidés, est un indice médiocrede l’utilisation des habitats car lerythme de défécation est soumis àdes variations comportementales etdépend du type de végétation ingéré.Ces informations indiquent que lesdensités obtenues pour l’Aoupiniédoivent être relativisées. Le résultatde janvier 1998 (0,2 cerf/ha), compa-rable à ceux obtenus en savane ou-verte sur la côte ouest, est vraisem-blablement surestimé. Les fortespluies de mai 1998 et de mars 1999,en entraînant les dépôts de fuméesdans le lit des torrents, expliquentsans doute les faibles densités obser-vées lors de ces relevés (0,04 et 0,01 cerf/ha).

La méthode des fumées pour-rait être néanmoins améliorée dansl’Aoupinié, avec des relevés men-suels dans les zones de gagnage lelong des pistes de débardage, où lesobservation sont plus faciles.

Il est raisonnable de tabler surune faible densité de cerfs si l’on sereporte aux difficultés qu’ont leschasseurs de Goa à réussir une actionde chasse. Les cerfs de l’Aoupinié uti-lisent la forêt d’abord comme unezone de refuge, en exploitant deszones de gagnage en lisière et en pé-riphérie du massif forestier. La vérifi-cation de cette hypothèse pourraits’effectuer en suivant le déplacementd’un petit nombre de cerfs par radio-pistage.

Chasse en milieu tribalet gestion cynégétique

Comme l’attestent les résultatsde l’enquête sociologique, la chasseau cerf reste une tradition bien an-crée dans la vie des tribus, dont l’im-pact sur l’amélioration du régime ali-mentaire était déjà rapporté parBarrau et Devambez (1957).

L’implication des chasseursdans une gestion cynégétique a étédifficile et peu productive. Les étudessocio-anthropologiques menées en1996 (Maruia, 1998) soulignentl’existence de tensions multiples, quirendent difficile le consensus de latribu. Il est fort probable que le projetd’associer des chasseurs à la récolted’informations cynégétiques ait étéperçu par les groupes sociaux commeun événement susceptible de réacti-ver des conflits fonciers (droit d’usa-ge du massif ) ou coutumiers (renfor-cement de la légitimité de certainsacteurs). Il aurait fallu commencer àconcilier, comme le précise Djama (inMaruia, 1998), « les deux niveaux decontacts locaux que représentent lachefferie et les groupes revendiquantun droit foncier sur la zone ». On re-tiendra, néanmoins, dans les revendi-cations recueillies à Goa, la volonté :

▪ de faire connaître leur savoir-faire dans le domaine de la chasse ;

▪ d’exercer une pression dechasse continue rémunérée dans leszones de plantation ;

▪ de renforcer le contrôle sur lacommercialisation de certaines es-pèces emblématiques comme lenotou ;

▪ de légaliser la commercialisa-tion de la viande de cerf.

La chasse au cerf est une tradi-tion bien ancrée dans la vie de la tribuet elle participe du système d’échan-ge et de partage propre à la coutumekanak. Toute tentative non négociéede gestion cynégétique est vouée àl’échec si elle n’intègre pas les droitsd’usage du massif et la légitimité desacteurs sociaux.

« Nul Néo-Calédonien, qu’il soitEuropéen ou autochtone, ne conce-vrait, aujourd’hui, son île sans cerf :l’effigie de ce dernier figure sur lesbillets de banque… et sur biend’autres symboles de la Nouvelle-Calédonie. » (Barrau, Devambez,1957).

16 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

Chasseur à l’affût en ligne de crête. Hunter stalking game along a crestline.Photo M. Lepoutre.

Page 13: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

RÉFÉRENCESBIBLIOGRAPHIQUES

ATTIE M., 1994. Impact du cerf de Java, Cervus timorensisrussa, à la Plaine des Chicots et proposition de restaura-tion du milieu. Le Tampon, la Réunion, Office national desforêts.

BARRAU J., DEVAMBEZ L., 1957. Quelques résultats inat-tendus de l’acclimatation en Nouvelle-Calédonie. Terre etVie, 4 : 324-334.

BOISAUBERT B., MAILLARD D. et al., 1985. Étude du ré-gime alimentaire du chevreuil en forêt de Haye. XVIIthCongress of the International Union of Game Biologist,Bruxelle, Belgique.

CHARDONNET P., 1988. Étude de faisabilité technique etéconomique de l’élevage de cerfs en Nouvelle-Calédonie.Nouméa, IEMVT-ADRAF.

CHERRIER J., 1980. Les kaoris de Nouvelle-Calédonie.Nouméa, Centre Technique Forestier Tropical : 16 p.

COLLINS W. B., 1981. Habitat preferences of mule deer asrated by pellet-group distributions. J. Wild Manage., 45(4) : 969-972.

CTFT, 1975. Inventaire des ressources forestières de laNouvelle-Calédonie. Nouméa, Centre Technique ForestierTropical.

DELANNOY E., 1994. Que faire contre les dégâts de gibieren forêt ? CRPF Nord-Pas-de-Calais Picardie : 16 p.

DE LAUBENFELS D., 1972. Agathis (gymnospermes). Florede la Nouvelle-Calédonie et Dépendances. Paris, France,Muséum National d’Histoire Naturelle : 126-142.

DELION S., 1995. Plantation de houps : Aoupinié-Ponérihouen. Poindimié, Nouvelle-Calédonie, DDRP,Service de l’agriculture et de la pêche de la province Nord.

EBERHARDT L. L., VAN ETTEN R. C., 1956. Evaluation of thepellet group count as a deer census method. J. WildManage., 20 : 70-74.

FRASER STEWART J., 1985. Deer and development inSouth-West Papua New Guinea. Biology of deer produc-tion, Dunedin, Nouvelle Zélande, The Royal Society of NewZealand.

GARGOMINY O., BOUCHET P. et al., 1996. Conséquencesdes introductions d’espèces animales et végétales sur labiodiversité en Nouvelle-Calédonie. Rev. Ecol. (Terre Vie),51 : 375-402.

LE CHARTIER S., 1996. Caractérisation de la végétation etutilisation alimentaire par le cerf rusa (Cervus timorensisrussa). Application au domaine de Gouaro Déva enNouvelle-Calédonie. Mémoire DESS, université H.Poincaré, Nancy, France.

LEPOUTRE M., 1998. Une approche socio-anthropologiquedes pratiques de chasse au cerf dans les tribus riverainesdu massif de l’Aoupinié : Goa et Gohapin. Nouméa,Mandat de gestion : 44 p.

LETOURNEUR J., PASCAL M., 1994. Modalités susceptiblesde permettre une réhabilitation écologique de l’îlotLeprédour et une restauration de sa flore par des mesuresde gestion de sa faune sauvage. Nouméa, Nouvelle-Calédonie, Études et synthèses du CIRAD, Mandat de ges-tion Nouvelle-Calédonie.

MANDUJANO S., GALLINA S., 1995. Comparison of deercensuring methods in tropical dry forest. Wildl. Soc. Bull.,23 (2) : 180-186.

MARUIA (éd.), 1998. La conservation de la biodiversitédans la province Nord, Nouvelle-Calédonie. Volume II :Appendices. Nelson, Maruia Society (Nouvelle-Zélande) etConservation International (Washington DC).

ROWLAND M. M., WHITE G. C. et al., 1984. Use of pellet-group plots to measure trends in deer and elk population.Wildl. Soc. Bull., 12 : 147-155.

WHITHEAD G. K. (éd.), 1993. The Whitehead encyclopediaof deer. Shrewsbury, Grande-Bretagne, Swan Hill Press.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 ) 17CERF RUSA / GESTION DE LA FAUNE

DOSSIER

Page 14: Présence du cerf rusa dans le massif de l’Aoupiniéagritrop.cirad.fr/480282/1/document_480282.pdf · by dung heaps, was estimated to range from 0.01 to 0.17 deer/ha. Browsing affected

18 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 1 , N ° 2 6 9 ( 3 )

FAUNA CONTROL / RUSA DEERDOSSIER

Synopsis

RUSA DEER IN THEAOUPINIÉ MOUNTAINSOF NEW CALEDONIAAND IMPACT ON KAORIREFORESTATION

Sébastien LE BEL, Jean-Michel SARRAILH, Fabrice BRESCIA, Alain CORNU

Rusa deer were intro-duced to New Caledonia on 6February 1870, and their impact oncrops and rangelands was already re-ported in 1882. In 1994, enrichment ofthe natural forest with kaori trees(Agathis moreii) in the AoupiniéMountain region was abandoned dueto excessive browsing of young plantsby deer. The plantations were moni-tored to assess this phenomenonprior to planning new silvicultureoperations.

Materials and methodsThe research focused on the ecologi-cal impact of deer and its tribal so-cioeconomic importance.The sampling fraction was set at 10%of the plants using transects runningfrom logging trails to thalwegs. Eachkaori plant was characterized by a setof qualitative and quantitative varia-bles defining its habitat, position,growth, health and browse status,and deer browse rate. The rate of useof the forest by deer was assessedwith kilometric indices on the basis ofdung heaps, hoofprints and deertrails. The plant browse status wasdetermined according to theBoisaubert scale. The efficacy of me-chanical and chemical protection wastested at Port-Laguerre on kaori treesplanted in a deer rearing plot. A tribalexpert was present during the hunt-ing season to help with the sociologi-cal aspects of the study.

ResultsThe sampling rate ranged from 18%for plants in the 1992 plantations to40% and 60% for those of 1993 and1994. A low proportion of plants inthe 1992 plantations survived (9%),whereas the survival rate was as highas 28% in the 1993 plantations and46% in the 1994 plantations. FromJanuary 1998 to March 1999, the plantsurvival rate dropped to 4% in the1992 plantations, to 17% in the 1993plantations and to 24% in the 1994plantations. Less than 1% of thehealthy plant population had a nor-mal growth pattern. In terms of thenatural plant density at the kaori site(9 stems larger than 20 cm dia./ha),forest enrichment can renew thenatural stock if the remaining plantsare protected.During the seasonal monitoring, nodeer were visually observed but theirdensity was evaluated on the basis ofdung heaps: 6 ha/deer in January1998 and 68 ha/deer in March 1999.This dung assessment technique canlead to some bias because defecationpatterns are influenced by behaviou-ral variations and depend on the typeof vegetation ingested. Deer in theAoupinié region use the forest as arefuge area, utilizing feeding groundson the edges of the forest. A smalldeer population should be monitoredby radiotracking to confirm this hypo-thesis.Rusa deer were found to browse treesand herbaceous plants growing alongold logging trails. There was veryheavy browsing, thus affecting kaorigrowth in 19% of cases and comple-tely striping them in 64% of cases.The location of plants along the deertrails and their visibility were signifi-cantly correlated with heavy brow-sing. Sylvo-synergy arrangements,protection measures, and deer popu-lation control would be required to re-duce browsing damage. Individualtree protection tests revealed thattubes and casings were effective inprotecting the plants, with less than

2% of the trees browsed. Chemicalrepellents were found to be comple-tely inefficient 1 month post-treat-ment, with 100% of the treesbrowsed.Traditional hunting areas located 2-3 hwalking distance from the tribal vil-lage were enlarged when the loggingtrails were built, thus upsetting tra-ditional territorial sharing arran-gements. Hunting drives with dogs isthe most common traditional huntingstrategy, but night hunting with spot-lights is attractive to hunters due toits efficiency. Fires are often used toflush out deer or promote early plantgrowth to attract these animals. Amaximum of two to three deer arekilled during dog drives. Inhabitantseat around 16 kg/year of venison,with 20 deer killed per month. Kanakscustomarily trade and share thisproduct. Hunter involvement in synergy mana-gement has proven difficult becausesocial groups consider that land-ownership and tribal tensions couldbe induced if hunters were to begincollecting synergy data.