Providentia Deorum Martin

495

Click here to load reader

Transcript of Providentia Deorum Martin

Jean-Pierre Martin

Providentia deorum. Recherches sur certains aspects religieux du pouvoir imprial romainRome : cole Franaise de Rome, 1982, 520 p. (Publications de l'cole franaise de Rome, 61)

Citer ce document / Cite this document : Martin Jean-Marie. Providentia deorum. Recherches sur certains aspects religieux du pouvoir imprial romain. Rome : cole Franaise de Rome, 1982, 520 p. (Publications de l'cole franaise de Rome, 61) http://www.persee.fr/web/ouvrages/home/prescript/monographie/efr_0000-0000_1982_ths_61_1

COLLECTION

DE

L'COLE 61

FRANAISE

DE

ROME

Jean-Pierre MARTIN Professeur l'Universit de Reims

PROVIDENTIA DEORUM

RECHERCHES DU POUVOIR SUR CERTAINS IMPRIAL ASPECTS ROMAIN RELIGIEUX

COLE FRANAISE DE ROME PALAIS FARNESE 1982

- cole franaise de Rome - 1982 ISBN 2-7283-0039-9 ISSN 0223-5099 Diffusion en France : DIFFUSION DE BOCCARD 11 RUEDEMDICIS 75006 PARIS Diffusion en Italie : L'ERMA DI BRETSCHNEIDER VIA CASSIODORO, 19 00193 ROMA

SCUOLA TIPOGRAFICA S. PIO X - VIA ETRUSCHI, 7-9 - ROMA

AVANT-PROPOS

Parmi les problmes qui se posent tout observateur de la ralit antique, celui du pouv oir, de sa conception, de son sens, est un des plus dlicats. Habitus une autorit dlgue, limite dans le temps par le verdict populaire, reflet d'une opinion publique, il nous est difficile de pntrer une mentalit qui apprhende le pouvoir comme issu de la volont divine ou, tout au moins, plac dans un rapport troit avec le monde des dieux; le souverain est alors consid r comme ayant personnellement le droit de gouverner et l'on est enclin confondre la fonc tion souveraine avec un homme qui se trouve plac, d'un mouvement naturel, au-dessus des autres hommes. Ce pouvoir s'inscrit dans le temps ; il a un pass et il se projette dans l'avenir. Il est partie d'une conception globale de l'volution gnrale de l'univers qui engage le cours de la vie humai ne dans ses aspects purement individuels com medans les rapports que chaque individu entre tient avec ses semblables dans une socit orga nise politiquement. Cette conception du temps est religieuse par excellence et par ncessit; les Romains, le peuple le plus religieux du mond e, ne pouvaient concevoir le pouvoir qu'im prgn de droit divin. De ce fait, il tait lgitime de s'interroger sur les conduites fondamentales de l'homme romain vis--vis du pouvoir. Mais une telle question devait trouver un point d'ap puisolide, riche de substance, une notion dont l'anciennet et la permanence prouvaient le poids. Utilisant le pass, intervenant dans le pr sent, ouvrant la raison la connaissance et la comprhension de l'avenir, Prouidentia parut

tre la notion idale pour permettre le dchiffr ement de certaines formes caches, ou peu appar entes, mais parmi les plus importantes, du pou voir imprial. Elle l'est d'autant plus que cette Providence est toujours Prouidentia Deorum; tout homme qui utilise sa propre providence emploie ce que les dieux lui ont donn. partir du moment o un homme, par sa fonction, est plus que ses propres concitoyens, il est normal qu'il puisse se rserver l'exclusivit de la Provi dence, de toute ternit et jamais issue des dieux. Comment pourrions-nous oublier que c'est M. William Seston, membre de l'Institut, profes seur honoraire la Sorbonne, que nous devons l'ide initiale de ce travail. Qu'il soit remerci d'avoir su juger de la richesse et de la porte du thme d'tude propos et d'avoir suivi avec une bienveillante efficacit sa longue laboration; ses conseils ne nous ont jamais fait dfaut, tout en nous laissant une entire libert intellectuelle dans l'orientation de notre recherche, ce qui est la marque des vrais matres. Il nous est aussi particulirement agrable de tmoigner notre reconnaissance l'indulgence claire de M. Michel Meslin, directeur de l'Ins titut d'Histoire de l'Universit de Paris-Sorbonne, dont la connaissance de l'homme romain nous a t indispensable, et celle de M. Jean Branger, professeur honoraire l'Uni versit de Lausanne, qui a si souvent crois Prouidentia au cours de ses tudes pntrantes sur le pouvoir imprial; tous deux nous ont beaucoup apport. Nous avons galement bnfici de l'exp-

VI

AVANT-PROPOS Mais cette thse n'aurait pu paratre si M. Pierre Grimai, membre de l'Institut, profes seur l'Universit de Paris-Sorbonne, ne s'en tait port le garant et n'en avait propos la publication dans la Collection de l'cole franaise de Rome, et si M. Georges Vallet, son directeur, n'avait accept de l'accueillir. Qu'ils nous per mettent de leur en exprimer toute notre respec tueuse gratitude.

rience irremplaable que possde de la vie rel igieuse sous le Haut-Empire M. Jean Beaujeu, professeur l'Universit de Paris-Sorbonne. Nous sommes enfin redevable M. Marcel Le Glay, professeur l'Universit de Paris X-Nanterre, si intime connaisseur des mcanismes du sentiment religieux dans le monde romain, d'avoir bien voulu prter nos travaux un int rtaverti.

INTRODUCTION

Dans notre civilisation occidentale, le mot Providence voque invinciblement le christia nisme, l'action d'un dieu bienfaisant dans la cration et dans l'volution du monde des homm es. Elle est, comme nous pouvons le lire dans le dictionnaire d'E. Littr, cette suprme sages se par laquelle Dieu conduit tout. Aussi aurions-nous facilement tendance en accorder la formation et l'exclusivit au christianisme. Ce serait une conception fausse de la ralit, car le terme prexiste au christianisme dans la langue latine et il n'est en rien un mot savant ou peu employ. Il fait partie de la langue courante et est accessible tous comme le montre sa pr sence dans les documents publics tels que les inscriptions et les monnaies, comme nous le verrons plus avant dans cette tude. D'ailleurs, en reprenant les termes utiliss par Littr, et en remplaant simplement Dieu par les dieux, nous aurions une dfinition acceptable d'un des aspects de Prouidentia l'poque romaine paenn e. Son sens est dj large, son contenu comp lexe, ses emplois assez nombreux et varis pour en faire une notion intressante; elle l'est sur le plan de la langue, elle l'est dans la pers pective historique o nous chercherons nous placer le plus souvent et le plus troitement possible.

En effet, un mot ne peut tre employ pen dant plusieurs sicles sans subir dans son utilisa tion,son contenu, la faon dont ceux qui s'en servent le comprennent, des changements, des interprtations, des distorsions de sens qui ncessitent une tude prcise. Pouvoir en parler en toute connaissance de cause oblige en rechercher l'origine dans la langue latine. Les philologues n'ont eu aucune difficult en ta blir l'tymologie; dj Littr, sans risque d'er reur, voyait dans prouidentia un driv de pro, pour et uidere, voir. A. Ernout et A. Meillet pla cent prouidere dans les drivs et composs de uideo1. Sous sa forme verbale prouidere, le mot apparat pour la premire fois dans la littrature latine, dans deux pices de Plaute2, avec toute la valeur de ses lments composants, voir l'avance, prvoir, d'o prendre des prcaut ions . Puis, peu de temps aprs, il est utilis par le pote M. Pacuvius, cet osque lve d'Ennius et ami de Laelius, qui crivit quatorze tragdies dont il ne nous reste que 425 vers. Parmi ceux-l, il s'en trouve un qui contient prouidere : Nam si qui quae euentura sunt, prouideant, aequiparent Iovi2. Il est videmment difficile de savoir si Plaute est l'introducteur du terme dans la langue ou s'il

1 A. Ernout-A. Meillet, Dictionnaire tymologique de la langue latine, Paris, 1967, 4e d., p. 733. 2 Asinaire, II, 4, 44 : Non, hercle, te prouideram, ...... Le Revenant, II, 2, 94: Nil me curassis, inquam; ego mhi prouidero. Cf. A. Walde- J. B. Hoffmann, Lateinisches etymologis ches Wrterbuch, Heidelberg, t. II, 1954, p. 378.

3 Frg. 407 R3 : Car s'il y avait des mortels capables de lire dans l'avenir, la terre les placerait au rang de Jupiter. Cf. M. Valsa, Marcus Pacuvius, pote tragique, Paris, 1957. K. Latte, Rmische Religionsgeschichte, Munich, 1960, p. 265, n. 2.

INTRODUCTION emploie un vocable dj courant. Plusieurs indi ces font pencher pour la premire solution. Il faut replacer l'volution du vocabulaire dans la grave crise de croissance que Rome connat durant le deuxime sicle avant notre re. La crise politique ne du choc avec l'adversaire punique, de la peur de la dfaite et de la dispari tion de YUrbs, des dbuts de l'imprialisme mditerranen et de l'volution de la socit Rome et en Italie, eut des rpercussions matr ielles, mais aussi morales, importantes. Le lan gage ne resta pas l'abri de ces transformations; il lui fallut s'adapter un tat de choses nou veau. Plaute fut un de ceux qui permirent la langue latine de traverser cette crise en s'adaptant, se purifiant et en se fixant4, tout en lui gardant l'essentiel de son originalit primitive. Mais dans Plaute, seule la forme verbale prouidere est utilise. Nous ne trouvons chez lui aucune trace du substantif prouidentia. L'tape qui spare l'introduction de prouidere de celle de prouidentia est, paradoxalement, longue. Ce der nier terme ne se trouve pour la premire fois que dans la Rhtorique Herennius, cet ouvrage d'auteur inconnu, publi sans doute entre 86 et 82 av. J.-C, et dont le titre exact a disparu. L'auteur, qui ne peut tre Cicron, est sans dout e un homme dj mr qui, sans tre crivain de mtier, emploie une langue simple5. C'est dans le IVe livre, o est tudi le style, qu' propos de la priphrase se trouve prouidentia: Circuito est oratio rem simplicem adsumpta circumscrbens elocutione, hoc pacto : "Scipionis prouidentia Karthaginis opes fregit". am hic, nisi ornandi ratio quaedam esset habita, Scipio potuit et Karthago simpliciter appellari6. Le terme se trouve ensuite dans de nom breux passages de Cicron. Ce dernier avait un jour dclar: Jusqu'ici la philosophie a t nglige et n'a eu aucun clat dans les lettres latines. Il m'appartient de la mettre en lumire, de la faire sortir de l'ombre7. Le latin, langue d'une population raliste, que l'on a mme pu qualifier de fruste la suite de certaines de ses ractions, en tout cas profondment attache la terre, est, par l mme, capable d'exprimer le concret sous toutes ses formes. La contrepartie en est son peu d'adaptation l'abstraction. Dans ce domaine, son indigence s'est rvle quand il a fallu faire passer en latin la culture hellnique et les subtilits de sa pense philosophique. Les premiers s'attaquer ce problme se content rent simplement d'emprunter le mot grec et de le transcrire dans l'alphabet latin; ce fut le cas de philosophia. Cicron refusa cette facilit et chercha enrichir la langue latine, dans le domaine de la pense spculative, en ralisant l'quivalent de ce qu'offrait le grec8. Il partit de l'ide que le latin tait capable de tout exprimer condition de savoir s'en servir, c'est--dire d'utiliser les ressources fournies par le vocabul aire latin, mme le plus banal. Si Cicron s'est servi, lui aussi parfois, de la traduction pure et simple du grec en latin, ou de l'quivalence d'un terme grec et d'un groupe de mots latins9, il a surtout cr de nouveaux ter mes. Il l'affirme d'ailleurs lui-mme, se rservant le droit d'inventer des nologismes10, l'exemple de Zenon et l'encontre, semble-t-il, d'une gran departie des linguistes et crivains romains11. Les crations de Cicron furent nombreuses et, pour la plupart, restrent dfinitivement dans la langue latine; ce fut le cas de qualitas, 'humanitas, de conuenientia (pour ), d'aequilibritas (pour ). Mais, si l'on en croit J. Marouzeau, la plus belle de ses crations

4 J. Marouzeau, Quelques aspects de la formation du latin littraire (Coll. linguistique pubi par la Soc. de Linguistique de Paris, LUI), 1949, p. 28. 5 H. Bornecque, p. XVII-XIX de l'introduction son di tion-traduction, Paris, 1932. 6 IV, 32, 43. Il est dj intressant de noter que, dans ce passage, le mot prouidentia est employ pour signifier la qualit d'un homme. Grce elle, Scipion a pu vaincre les ennemis de Rome. 7 Acad. Post., I, 9. 8 J. Marouzeau, op. cit., p. 139. 9 M. O. Liscu, L'expression des ides philosophiques chez

Cicron, Paris, 1937, p. 97 sq. C'est ainsi que l'ide de Destin, dsigne en grec par est rendue par Cicron l'aide de fatum {De Divin., I, 125) ou bien par fatalis ncessitas (De Nat. Deor., I, 20) ou bien encore uis fatale (De Fato, III, 5). 10 Cic, De Fin., III, 2, 5 : Quodsi in ea lingua quant plerique uberiorem putant concessimi est, ut doctissimi homi nes de rebus non peruagatis inusitatis uerbis uterentur, quanto id nobL magis est concedendum, qui ea nunc primum audemus attingere?. 11 Cic, ibid., Ill, 15, 51 : . . . quod nobis in hac inopi lingua non conceditur.

INTRODUCTION peut-tre fut proiiidentia12 et tous les autres drivs de proldere qui ne sont pas attests avant lui, prouidus et prouidenter en particulier. Comme toutes les autres, il s'est agi de crations savantes, dont les modles ont t, partir du terme grec , ceux qui en sont issus, , , . Sans enlever Cicron tous ses mrites, il est possible de ne pas tre en accord avec J. Marouzeau sur ce point prcis. En premier lieu parce que le mot existe dans la Rhtorique Herennius. Ensuite parce que, si nous suivons l'ordre chro nologique, la premire uvre dans laquelle Cic ron emploie le terme proiiidentia est le trait que nous appelons De Inuentione rhetorical. Nous ne savons pas grand chose sur les condi tions et la date de sa composition. Mais ce trait est manifestement de la jeunesse, sinon de l'e xtrme jeunesse de l'orateur. Certains pensent que la rdaction dfinitive a t ralise en 81 av. J.-C; pour d'autres14, beaucoup plus tt, puisque Cicron aurait rdig l'ensemble en 91 (il n'avait que quinze ans) et l'aurait publi ds 87, ce qui, d'ailleurs, le rendrait antrieur la Rhtorique Herennius. Tout le monde est en accord pour juger qu'il s'agit l d'un trait de rhtorique; l'Invention ne devait tre que la pre mire partie d'un ensemble regroupant les con naissances ncessaires au bon orateur. Mme si l'orateur Cicron lui-mme affecte, plus tard, de n'y voir qu'un travail d'tudiant15, l'uvre est plus qu'un simple livre de notes. Mais ses limites sont trs prcises; Cicron n'a pas cherch l'originalit et, tant donn sa jeu nesse, nous ne pouvons y trouver l'expression d'une pense indpendante des coles alors dominantes. Il est ais d'y dfinir une source essentielle stocienne interprte peut-tre par un rhteur du IIe sicle, Hermagoras de Temnos16, sans ngliger les influences pripatticien nes. Ce recueil de vocabulaire et de ces ncessaires l'orateur pour pratiquer son mtier n'a pour but que de prciser la valeur technique des mots17 et ne peut donc en rien exprimer un aspect original de la pense du jeune Cicron qui n'tait encore qu'un bon lve. Il n'a fait qu'utiliser une terminologie technique plus ou moins uniforme et courante en latin dans les coles de rhtorique l'poque de ses tudes. Comment croire alors que le jeune Arpinate aurait eu l'audace d'introduire un terme latin entirement nouveau et si parfaitement adapt; et ce d'autant plus que proiiidentia, dans le De Inuentione, n'est, avec intellegentia et memoria, qu'une des parties de prudentia, ellemme composante essentielle de uirtus, avec iustitia, fortitudo et temperantia18. Cicron nous pr sente un tat de la rhtorique dans les annes 91-81; il ne peut, tant donn ce but, avoir cr un terme nouveau. On ne saurait donc attribuer Cicron la cration du mot proiiidentia qui tait certainement dj employ dans les coles latines de rhtorique l'poque de ses propres tudes. Ces remarques n'enlvent aucun mrite l'Arpinate qui a su ensuite, comme nous le ver rons, sortir des dfinitions trop rigides pour donner au mot une souplesse d'adaptation et un contenu riche qu'il ne possdait pas auparavant. C'est pourquoi nous adhrons pleinement l'a ffirmation de saint Augustin, la philosophie en latin a commenc avec Cicron; elle a atteint avec lui sa perfection19. Sans tre le crateur absolu et unique du vocabulaire philosophique latin comme trop facilement certains l'ont pens, Cicron n'en reste pas moins celui qui a su utiliser habilement les matriaux qu'il a trouvs et les adapter aux ressources les plus anciennes du latin; c'est bien lui qui a donn sa langue cette richesse d'expression qui a fait des Romains les dispensateurs de la pense en Occi dent et les crateurs de notre humanisme20.

12 Op. cit., p. 139. 13 De Inv., II, 160. 14 C'est l'avis de H. M. Hobbell dans son introduction l'uvre, dans la collection Lb, Oxford, 1949. 15 De Orat., I, 5. 16 C'est du moins ce que prtend H. M. Hobbell qui rapproche ce trait de la Rhtorique Herennius. A. Hus, Intellegentia et intellegens chez Cicron, dans Hommage

J. Bayet (Coll. Latomus, LXX), 1964, p. 267, insiste sur la source stocienne. 17 A. Yon, Ratio et les mots de la famille de reor, Paris, 1933, p. 175. "De Inv., II, 159-163. "Contra Ac, I, 8. 20 A. Meillet, Esquisse d'une histoire de la langue latine, Paris, 1933, p. 217.

INTRODUCTION II faut donc enlever Cicron le mrite de l'invention du mot prouidentia, sans pouvoir d'ailleurs l'attribuer quiconque. Mais si, un jour, quelqu'un a ressenti la ncessit de trouver un quivalent latin de , c'est que ce te rme avait lui-mme un contenu prcis et signifi catif pour celui qui pntrait dans les domaines de la pense spculative. Dans de telles condit ions, retracer rapidement l'histoire de cette notion dans le monde grec permet d'en dgager les aspects les plus profonds et les plus intres santspour la suite de notre tude. Elle nous conduira dfinir le rle que prouidentia a jou, grce son riche contenu, durant la plus grande partie de l'histoire du principat, dans ses rap ports avec les dieux et les hommes, et au sein du pouvoir imprial.

PREMIRE PARTIE

DES ORIGINES TIBRE : COMMENT UNE NOTION COMMUNE PREND UNE PLACE OFFICIELLE

CHAPITRE I

DE A PROVIDENTIA OU DE DRACON CICRON

Saisir la notion qui nous intresse le plus haut possible dans le temps ne saurait tre superflu. En effet, puisque Rome doit la Grce l'introduction du terme latinis dans son voca bulaire, donc dans les exercices de sa pense, nous devons nous proccuper de son contenu et de son rle dans le monde grec. Les Romains, et Cicron le premier, l'ont accueillie et utilise avec tout l'acquis qu'elle possdait et qui se trouvait tre dj trs diffrenci. Ds les po ques archaque et classique, avait atteint une place de choix dans les domaines de la justice, du gouvernement des hommes, de la vie religieuse. Elle ne devait plus l'abandonner tout en voluant avec le temps. La priode qui s'ou vre avec l'installation de royauts hellnistiques dans tout le bassin oriental de la Mditerrane est remarquable par la transformation profonde des rapports de l'homme et du monde; , comme les autres notions la base de l'intell igenceet de la raison, en a subi l'effet. Il a t d'autant plus important que le stocisme s'en est empar et que c'est travers les thories du Moyen Portique que s'est effectu le passage de prouidentia.

I - , L'HOMME ET LES DIEUX 1 - La justice La notion de apparat trs tt dans des cadres aux contours prcis : ceux de la justi ce entre les hommes. Dans le dcret athnien de 409/408 av. J.-C, qui reprend la loi de Dracon sur le meurtre des dernires annes du VIIe sicle, nous pouvons lire pour la premire fois la formule ; elle exprime ici l'action volontaire, dlibre et rflchie en vue de pro voquer la mort de quelqu'un: ' [][] [][ '1. Ce sens est dsormais trs frquent2. Dans cette accep tiontroite, et qui donne au mot une significa tion forte, la langue juridique s'est empare du terme et nous connaissons l'existence d'une , c'est--dire d'une action pour blessures avec intention de donner la mort3. Dans la mme ligne, mais en dehors du cadre judiciaire, Platon applique l'expression la survie du genre humain et condamne celui qui, dlibrment4, refuse la procration et qui, par l'exercice de cette volont, repousse les lois de la

1 R. Dareste-B. Haussoulier-Th. Reinach, Recueil des ins criptions juridiques grecques, 2e s., fase. I, Paris, 1898, n XXI, p. 1-24; R. Meiggs-D. Lewis, A Selection of Greek Historical Inscriptions, Oxford, 1961, n 86, 1. 11. 2 Ainsi quand Platon, dans les Lois, aborde le problme du meurtre entre concitoyens (IX, 871a) : "

3 Athnes un procs engag selon cette procdure devant l'Aropage peut entraner le bannissement; Lysias est souvent intervenu dans ce genre de procs (Contr. Simon, 28; 41 ; 43. Surtout le au 6, 7 et 12), Cf. aussi Eschine, Contr. Ctsiphon, 212. "Lois, VIII, 838e; IV, 721c.

DES ORIGINES TIBRE nature. C'est la condamnation sans quivoque de celui qui carte la vie et, par ce refus rflchi, porte atteinte au groupe humain dont il fait partie et l'humanit entire. L'expression est aussi souvent utilise pour voquer tout ce qui aboutit un rsultat danger eux, mauvais ou mme catastrophique pour la personne humaine, mais sans entraner obliga toirement la mort5. Dans tous les cas, il s'agit d'exprimer l'ide d'une dcision rflchie, mrie; de ce fait, s'oppose , le hasard6. Mais elle peut tre aussi la pense volontaire contraire la justice, c'est--dire ce qui permet l'existence d'une socit organise dans laquelle l'individu est protg et se sent protg7. Cepen dant n'est pas seulement employe pour voquer la pense rflchie qui rpand le mal heur. Ses consquences peuvent tre positives et elle peut permettre d'viter les dangers en appli quant son esprit ne commettre aucune faute8. C'est l'attitude d'un homme conscient de ses responsabilits de dirigeant9. 2 - Le gouvernement des hommes a) Un des aspects du pouvoir. L'utilisation la plus frquente du terme se trouve, avec ses drivs, dans un 5 Plat., Lois, IX, 874e; XI, 932e. Her., II, 161; VIII, 87. 6 Her., Vili, 87. 7 C'est pourquoi Platon, Lois, IX, 871a, met en parallle et . Cf. Her., II, 151. 8 Dem., Contr. Arisi., 7; 22. Contr. Everg. et Mnes., 19: Dmosthne vite de confondre dans la mme accusation, grce l'action de sa rflexion, Thphimos, celui qu'il accuse au nom de son client, et ses parents qui ne sont en rien responsables des actes de leur fils. Her., I, 159. Isocr., Arop., 31. Sur l'Attel., 9 (Alcibiade exil applique son esprit ne commettre aucune faute). 9 Comme l'est le cocher de Platon qui russit imposer sa dcision mrement rflchie la mauvaise bte de son attelage (Phdre, 254e). 10 Disc. Nie, 6. Voulant flatter Philippe de Macdoine, il lui applique cette dfinition {Phil., 69-70) et il en fait le seul dirigeant en Grce vers qui tous peuvent tourner leurs regards puisqu'il sait marquer sa sollicitude chacun en particulier. Une ide semblable se trouve exprime sous la mme forme dans deux inscriptions trs mutiles, de l'extrme fin du IVe sicle; un dcret des Milsiens (IG, IV, II, 5, suppl., n 546b) et un autre dcret, des Athniens, au moment de la guerre contre Alexandre, fils de Cratre, et Antigone Gonatas (IG, IV, II, 5, suppl., n 371c, frg. a). Cf. aussi Xen., Econ., VII, . ne la fois large et au contenu prcis, celui de l'exercice du pouvoir. C'est un des aspects fonda mentaux de l'action de la puissance dirigeante qui sait faire montre de prvision et qui agit pour le bien de ses sujets ou de ses concitoyens administrs. Isocrate exprime cette ide en dfi nissant la royaut comme l'activit humaine la plus haute et celle qui exige le plus de 10. Il n'est pas possible de mieux synthti ser le contenu de qu'en laissant s'expr imer Pricls dans le discours que lui fait tenir Thucydide : elle (l'intelligence) prfre, en se fondant sur les circonstances, se fier la rflexion, dont la est plus solide11; il s'agit de l'intelligence qui permet de tenir ferme la cit dans la bonne voie; c'est celle de l'homme d'tat, celle des magistrats, celle des chefs de guerre12. est utilise sur tous les terrains o le pouvoir peut jouer un rle, l o il doit agir avec justice et quit. Le stratge du Pire Heraclite et le stratge d'Eleusis, Dmainetos, en sont remercis par des inscriptions honorifiques13. Et nous retrouvons le mme tat d'esprit dans l'a ttitude des rois lagides qui ordonnent de veiller strictement l'application des lois qu'euxmmes ont dictes14; est bien cette prudence protectrice ncessaire aux magistrats 38 (pour la reine des abeilles). 11 Thuc, II, 62, 5 : . . . , . 12 Ainsi Phormion dans Thuc, II, 89, 9: . Ainsi celle que Nicias s'attribue en voulant dtourner les Athniens de l'aventureuse expdition de Sicile (Thuc, VI, 13, 1). Ainsi celle qui, mle intimement et efficacement l'audace, pous se Epaminondas tenter de surprendre les Athniens (Xen., Hell., VII, 5, 8 : " , . L'audace, , n'est pas rflchie, mais elle complte ici heureusement la . C'est l'union de ces deux tendances qui fait le grand chef sur le champ de bataille). 13 IG, II, 5, 591b, Salamine, 244-243 av. J.-C. (= Ditt., SylL, P, 454, 1. 9). IG, ibid., 619b, Eleusis, 216 v. J.-C. (?) ( = Ditt., SylL, IP, 547, 1. 16). Dans un cas approchant, les membres de la confdrat ion des Nsiotes ont honor, par des loges officiels, des couronnes et les titres de proxnes et bienfaiteurs, les juges chargs de trancher les diffrends et qui, eux aussi, l'avaient fait avec justice et quit (IG, XII, 5, 870, Tnos, IIe sicle av. J.-C). 14 Ainsi Ptolme VI Philomtor qui veut que personne ne soit ls et n'ait ainsi l'occasion de venir se plaindre lui :

DE PROVIDENTIA et aux chefs, mais qu'ils ont le devoir de trans mettre; elle est, tous les chelons de la socit et de l'administration, la base vritable de la justice15. Cette pense rflchie, ncessaire la bonne direction du monde des hommes, indi spensable la marche rgulire de la cit, a des effets bnfiques lorsqu'elle se transforme en actes; Dmosthne lie expressment et et, pour lui, les hommes ne peuvent tre conduits au bonheur que par la rflexion, les saines penses et une grande prvoyance16. Seule une rflexion bien mene peut donner des rsultats positifs si l'on veut apporter soin et protection ses semblables. C'est pourquoi, par l'exercice de la , il ne faut pas hsiter s'attaquer aux problmes les plus terre terre qui, dans la vie quotidienn e, se prsentent de faon continue : la sauvegar de des biens matriels17, la rparation des dom mages de guerre18, l'approvisionnement d'une cit et l'accs certains privilges19, mais aussi la protection contre les dangers extrieurs20 et les questions d'instruction ou d'ducation21. C'est avec la que doit s'exercer le res pect de la loi qui permet aux cits de conserver leur autonomie22 et de vivre dans la paix23. Ce

M. Th. Lenger, Corpus des Ordonnances des Ptolmes, dans Mm. Acad Roy. Belgique, Lettres, LVII, I, 1964, n 35, 22 septembre 163 av. J.-C. Dans un contexte de rorganisation du pays et de pacifi cation sociale, le roi est oblig de se prsenter comme un conservateur de l'ordre existant (cf. Cl. Praux, La paix l'poque hellnistique, dans Ree. Soc. Jean Bodin, XIV, 1961, p. 260-264). Ainsi Ptolme vergte II, Cloptre II et Cloptre III (M. Th. Lenger, op. cit., n 56, 22 mai 117 av. J.-C). Le mme auteur a tudi cette inscription dans les Studi in onore di Vincenzo Arangio-Ruiz, I, Naples, 1952, p. 495, . 53 et p. 499, . 79, et dans les Mlanges Georges Smets, Bruxelles, 1952, p. 497-508 et 514-515. 15 Un trait caractristique de l'Egypte lagide doit tre not. Chaque fois qu'il est question d'exercer la il ne s'agit que de fonctionnaires et jamais du, ou des, souverains; cette hirarchie est toujours respecte. Une lettre envoye par un stratge son suprieur, le dioecte, nous le montre de faon claire et prcise : Grce d'abord la Tych de notre dieu et seigneur le roi, grce ensuite ta prvoyance (), grce enfin nos efforts qu'inspirent la crainte et la vigilance ... (Aegyptische Urkunden aus den Kniglichen Museen zu Berlin. Griechische Urkunden = BGU, VIII, 1764). La Tych est rserve au souverain, les efforts, le travail purement matriel au stratge et c'est le dioecte qui poss de la , la prvoyance ncessaire pour comprendre les ordres du roi, les interprter et les faire appliquer dans tous les nomes. 16 Dem. Contr. Aristog., I, 33; ici est oppose , le dsespoir qui limine toute rflexion. C'est ce bonheur que les Athniens ont cru trouver dans les masses de richesses accumules sur le territoire de leur cit au moment de l'apoge de la ligue de Dlos; mais ce n'tait justement pas un bonheur fond sur une rflexion positive (Isocr., Sur la Paix, 83). Il ne pouvait, de ce fait, que conduire les Athniens aux plus grandes catastrophes, celles de la guerre du Ploponnse. Isocrate aborde ce mme problme plusieurs reprises: Phil., 32; Pan., 2 et 136; Plat., 1. 17 Ainsi dans l'arbitrage que Magnsie du Mandre impos e aux Itaniens et aux Hirapytniens; le jugement en faveur des Itaniens est ainsi justifi: [ ]

[] [ (Ditt., SylL, IP, 685, 1. 106, 139 av. J.-C). Ainsi aussi dans les honneurs dcerns Aristocls, Messene, parce qu'il avait t quitable IG, V, I, 1432, 1. 40). Dans les mmes termes, Ptolme II Philadelphe demande un haut fonctionnaire de l'intendance militaire de veiller ce que la localit d'Arsino ne soit pas soumise au logement de garnisons militaires, privilge dont elle avait t gratifie ds sa fondation; la sollicitude doit mettre fin aux abus (M. Th. Lenger, op. cit., n 24, vers 255 av. J.-C). 18 J. Pouilloux, Choix d'inscriptions grecques, Paris, 1960, n 4, 1. 34-36. 19 L'pidaurien vanths est honor d'un dcret de ses concitoyens pour avoir assur l'approvisionnement de la cit et pour avoir obtenu des Romains qu'pidaure ne fournisse jamais aucun contingent militaire (IG2, IV, I, 66, 72-71 av. J.-C). Un autre exemple montre que est aussi la quali t que chacun doit apporter l'administration de ses biens propres, ce qui doit tre compris comme un apport la collectivit et la meilleure preuve d'un parfait esprit civique. C'est dans ce sens que les Hirapytniens ont essay d'agir (Ditt., Syli, IP, 581, 1. 51-52). 20 Les Salaminiens protgs des pirates par les soins du stratge du Pire Chrdmos (Ditt., Syli, P, 454, 1. 9 et 14 = IG, II, 5, 591b). Dans un sens identique, les habitants de Samothrace ont pris un dcret honorifique pour Hippod mon, un gnral de Ptolme vergte, qui avait parfait ement organis la dfense de l'le contre les assauts d'Antigone Doson (Ditt., Syli., P, 502, 1. 9-10).' 21 Un gymnasiarque d'rtrie (IG, XII, 9, 234, 1. 6) et le cosmte des phbes d'Athnes (Ditt., SylL, IP, 717). 22 Comme en 196 av. J.-C. Lampsaque (Ditt., SylL, IP, 591). C'est aussi le sens qui ressort de la lettre du consul Cn. Manlius Vulso aux Hraclotes sur la libert et l'immunit accordes aux cits grecques; il leur garantissait l'autonomie pour avoir pris dlibrment le parti de Rome (Ditt., SylL, IP, 618, 1. 10). 23 Ainsi Comas, hipparque des clrouques de Lemnos (IG, II, 5, suppl., 318c). Deux autres inscriptions nous fournis sent des exemples semblables. Un dcret du pagus des Halasarnitains de Crte en l'honneur de la prvoyance d'un

10

DES ORIGINES TIBERE lier particulier26. Cette protection est accorde par un suprieur des individus qu'il a sous sa direction27, mais aussi soi-mme; en effet, un gnral est ncessaire son arme en toute circonstance et il ne doit pas s'exposer inconsi drment28. Polybe utilise le terme avec une trs grande abondance lorsqu'il s'agit de montrer la sollicitude du chef dans la bataille, le soin qu'il apporte prparer, puis remporter la victoire, avant de savoir en tirer tout le profit possible. Elle est indispensable dans les prparatifs matr iels de la guerre29 et elle est la qualit essentiell e de tout gnral qui tudie la faon dont il va mener ses troupes, qui envisage quelles seront les consquences du combat qui va s'engager30. Cette qualit ne fait pas dfaut aux deux grands chefs puniques, Hasdrubal31 et surtout Hannibal qui sut toujours maintenir la condition physique et morale de l'ensemble de ses troupes en vue des combats futurs32. Au moment d'engager la partie dcisive, le vritable chef doit envisager ce qui arriverait en cas d'chec33 et il doit s'occu per des dtails matriels les plus mineurs34. Dans le combat, tous ceux qui sont dpour vus de courent l'chec sans appel35; les autres ne peuvent que triompher36. Mais, sur ce plan, Polybe a sa personnalit de prdilection, Scipion. trois reprises, il signale sa ; ainsi dans les dispositions tactiques qu'il prend Ilipa et Zama37. Par sa rflexion sur les vne-

sont tous ces aspects si divers que nous retrou vonschez le premier crivain qui emploie rgu lirement et abondamment , Polybe. b) Polybe. Le contenu et la signification de l'uvre de Polybe ont particulirement excit les imaginat ions des rudits depuis dj longtemps. Le fait est d'autant plus important que le mot se trouve de trs nombreuses reprises dans son ouvrage24. Aprs avoir cart l'avis de ceux qui ne veulent voir dans la pense de Polybe qu'un reflet parfait de la philosophie stocien ne25, encore faut-il essayer de dfinir quel sens l'historien a donn . Lui donne-t-il une place particulire et un contenu original, comme le nombre d'emplois dans son uvre pourrait le laisser supposer? En ralit, Polybe utilise le mot dans son sens courant, en lui appliquant parfois une coloration personnelle et en privil giantcertains aspects. Ces derniers sont particu lirement intressants pour nous cause de l'influence que Polybe a pu avoir sur ses contemp orains, surtout les Romains. Nous retrouvons chez lui les sens courants de que nous venons d'numrer. Il exprime par ce mot la ncessit des prcautions pren dre pour ne nuire personne, la manire de faire ressortir le rle important que peut jouer toute prudence protectrice, qu'elle soit celle d'un peuple sur un autre peuple ou de

sauveur, celle de Philippe V de Macdoine (Ditt, Syll., IP, 568, 1. 7). Un dcret d'Oropos en l'honneur de la prvoyance de Hiron qui a permis la dlivrance de la cit (Ditt., Syll., IP, 675, 1. 23-24; Cl. Michel, Recueil d'inscriptions grecques, I, n 205). 24 Relev soixante-huit reprises par R. Hercod, La con ception de l'histoire de Polybe, Lausanne, 1902, p. 97-98. 25 Certains, pour renforcer ce qui tait chez eux une ide prconue, ont cherch dans la , matresse de la marche du monde et du cours des affaires humaines, le paravent facile de la Raison, de la Providence stocienne. Ce fut le cas de R. Hirzel, Untersuchungen zu Ciceros philosophischen Schriften, II, Leipzig, 1882, pour qui et taient parfaitement assimilables. R, Hercod, op. cit., p. 95-102, a pu dmontrer qu'il ne pouvait y avoir eu substitution et que les deux notions n'avaient pas chez Polybe mme contenu et mme sens. 26 Les Romains avec les Achens contre les Messniens (XXIII, 17, 3) ; les lens qui organisent la justice dans les campagnes (IV, 73, 8). Cf. aussi XVIII, 36, 4 et XV, 2, 5. 27 Scipion et les femmes et filles des Ilergtes (X, 18,

28 Ainsi Hannibal durant toutes ses oprations en Italie (X, 33, 3); son action est marque au coin de la sagesse: . 29 Les Romains (III, 106, 7; VI, 52, 3); les Carthaginois (III, 87, 5; XIV, 6, 9). 30 Philippe choue devant Mlitaa parce qu'il n'a pas pens prparer un matriel de sige et d'assaut (V, 98, 2). Cf. X, 41, 3. 31 XI, 2, 10. 32 III, 60, 7. 33 XI, 2, 6. 34 Ainsi la transmission des signaux optiques (X, 44, 6). 35 C'est le cas de l'Aitolien Thodotos qui choue dans sa tentative d'assassiner Ptolme sous sa tente (V, 81, 7) ou de Flamininus face aux Gaulois (II, 33, 6). 36 Philopoemen Mantine (XI, 17, 1); Adherbal Drpane (I, 52, I); Hannibal Cannes (III, 115, 11). 37 XI, 24, 6; XV, 12, 4 : VOUXV .

15).

DE PROVIDENTTIA* ments prsents et passs, il a su acqurir tout ce qui lui tait ncessaire pour mener son action dans les meilleures conditions; il exprime la sagesse contenue en tout homme38. Bien entend u, aprs la bataille, le chef doit montrer la mme pour faire respecter les droits de chacun, prisonnier ou soldat39. Par ces exemples, nous voyons que chez Poly be exprime la rflexion individuelle por te son plus haut degr d'intelligence et de pntration, sans qu'il soit question d'y introdui re l'extraordinaire, c'est--dire le divin40. Hannib al comme Scipion n'utilisent que leurs qualits humaines41. La est bien la vertu essent ielle du chef puisqu'elle est toute pense et jugement port sur les ralits du moment, les causes qui les ont cres et les consquences inluctables qui en dcouleront. Elle s'oppose totalement la fougue irrflchie, au courage tmraire qui est la meilleure qualit du soldat mais qui ne peut, en aucun cas, tre suffisante pour le gnral42. c) dans l'tat. La place tenue par lui permet de jouer un rle essentiel dans les affaires de politi quegnrale, intrieure ou extrieure, intres sant l'tat. De nombreuses inscriptions 38 XXXVI, 8, 4 : ... . Scipion est alors tribun des soldats dans l'arme de Manilius (automne 149). 39 XVIII, 33, 8. 40 De ce fait, Polybe s'en prend aux historiens qui refu sent de dcrire les choses telles qu'elles sont et qui font intervenir des dieux ou des enfants des dieux (III, 47, 7). 41 X, 2, 13; XI, 31,7. 42 Par l s'explique l'chec de Minucius, seulement tmr aire, et le succs de Fabius dont la s'exprime dans sa circonspection, cause du salut de la rpublique (III, 105, 9). Une remarque analogue, mais sans l'emploi de en I, 84, 6 et en IX, 14, 1-4, oppose le soldat de mtier et le tacticien. 43 C'est le cas de Ptolme VI Philomtor qui attache une grande importance la , ncessaire au bon ordre du pays qui ne peut survivre que si les rcoltes sont bonnes : Nous avons reu de vous le serment non seulement dans les temples mais par crit, au nom des rois de mettre la prvoyance la plus empresse ce que les parcelles soient rparties chacun suivant ses ressources, personne n'tant laiss de ct et personne n'tant au con traire surcharg . P. Paris 63 (UPZ 1 10) reproduit et traduit

11

les y font une allusion prcise. Le roi hellnisti que est toujours la recherche rflchie de la sauvegarde de ses propres concitoyens ou sujets; c'est ce qui apparat dans de nombreuses demandes d'excution d'ordres royaux dans le squelles le souverain rclame la de ses subordonns43. Souvent le souverain emploie le mot dans sa correspondance44 et expri me alors le respect de la lgalit45. La cristallisation de la notion sur la personne du souverain s'est faite trs tt et Eumne II, dans une lettre la ligue ionienne, parle de sa qui a procur la paix46. Cet attachement est rendu vident par l'emploi constant, et en rapport direct avec Ptolme, de dans la Lettre d'Ariste Philocrate47 ; le mot est utilis pour signifier la sollicitude du roi dans la prpa ration des cadeaux, coupes en or et cratres, destins au grand-prtre de Jrusalem, et le soin qu'il apporte la renomme de sa bibliothque enrichie par la traduction en grec des livres de la Loi des Juifs48. Cette sollicitude est celle du chef pour les peuples qu'il doit diriger dans le meilleur des chemins, pour l'ordre du pays et sa prosprit; c'est la rponse que fait le troisime sage juif au roi qui lui a demand comment faire pour que ses amis lui ressemblassent49. C'est de la mme faon que Polybe utilise pour parler des citoyens qui prennent en mains les dans P. Vidal-Naquet, Le bordereau d'ensemencement dans l'Egypte ptolmaque, dans Papyrologica Bruxellensia, 5, 1967, p. 16. De mme la lettre adresse au gouverneur de la satrapie de Carie (C. Bradford Welles, Royal Correspondanc e..., 37). 44 M. Th. Lenger, op. cit., n 60 de 1 15 av. J.-C. Cf. P. Collomb, Recherches sur la chancellerie et la diplomatique des Lagides, Paris, 1926, p. 178-180 et 193-196. 45 C'est le cas des deux Hraclopolitains qui reoivent satisfaction du souverain (M. Th. Lenger, op. cit., n 110 et R. Taubenschlag, The Provisional Legal Protection in the Papyr i, dans The Journ. jurist. Papyrol., V, 1951, p. 153). 46 C. Bradford Welles, op. cit., n 52, 1. 10-11 (hiver 167/ 166 av. J.-C). Dans le mme esprit, Attale II accorde la cit d'Amlada un moratoire de ses dettes qui taient dues sa rvolte contre Pergame en 168/167, lors de la guerre galate {Id., ibid., dp 54, 1. 11). 47 Que nous datons de la fin du IIIe sicle ou du dbut du IIe av. J.-C. (cf. infra, p. 24, note 135). 48 VI, 80 et IV, 30. 49 XI, 190. Les deux premiers sages de Jrusalem avaient mis en vidence, le premier la magnanimit, le second la justice.

12

DES ORIGINES TIBERE

affaires de la cit50 ou pour parler de Rome protectrice de ses amis et allis en Mditerran e51 ou bien encore pour voquer quelques souverains comme Antiochos ou Philippe en Macdoine52. La est indispensable la marche d'un tat; grce elle, les Romains peuvent esprer les louanges et la gloire53; grce elle, Flamininus est aid et servi dans toutes ses entreprises54, aussi bien publiques que personn elles. Grce elle, les jeunes princes devraient savoir choisir leurs amis, ceux qui resteront leurs conseillers durant toute leur vie55. Rien ne peut tre pire pour des dirigeants et pour leurs peuples que l'imprvoyance56. Mais, dans ce cas, il ne faut surtout pas accuser les dieux car, pour Polybe, la est totalement et profond ment humaine. Rien ne peut mieux exprimer cette ide que ce passage des Histoires qui sem ble synthtiser avec le plus de rigueur et de justesse la pense de l'crivain grec: Les gens qui, cause de leur esprit naturellement born, de leur inexprience ou de leur paresse intellec tuelle,sont incapables de discerner avec exacti tude les occasions d'agir ainsi que les divers facteurs en jeu et les dispositions de chacun, attribuant aux dieux et leur chance ce qui est l'effet d'une sagacit appuye par la rflexion et la prvoyance57. Cet aspect purement humain conduit invitablement limiter ses possibilits.

domaine qui lui a t assign par crainte de la dmesure qui guette tout homme et dont les consquences invitables se traduisent dans la condamnation par les dieux. La rflexion fait aussi appel la prudence et la est aussi prudence; les tragiques nous en fournissent le meilleur exemple, que ce soit le chur prchant cette prudence Electre ou Ajax s'adressant sa femme et approuvant son attitude58. Tous les hommes sont limits par leur propre faiblesse, mme s'ils usent de leur . Xnophon soutient le mme point de vue et faisant de la une simple ressource de l'esprit humain, il en montre les limites; elle n'est mme pas capable de donner l'homme toutes les connais sancesqui lui seraient ncessaires. L'homme est alors oblig de faire appel la divination et est l'oppos de 59; il peut aussi se montrer audacieux, car l'audace est le com plment indispensable de la rflexion60. La serait-elle donc incapable de sort ir l'homme du rle mineur qu'il tient dans la marche de l'univers? Ses facults devraient-elles le maintenir dans les seuls domaines restreints o il lui est loisible d'agir? Tout le monde n'a pas pens comme Xnophon ou Polybe, et Thu cydide nous le signifie quand il affirme qu'il vaut mieux des prvisions sres que des souhaits incertains et des espoirs inconsidrs61. Mais ne serait-il pas possible de penser que cette assurance que l'homme possde de prendre de d) Les limites de son emploi. bonnes dcisions, s'il fait effort de rflexion, Il ne peut tre question d'utiliser la viendrait, tout au contraire, du lien troit que les dans n'importe quelle circonstance et dans n'im dieux ont tabli avec les hommes? Certains l'ont porte quel but. L'effort de l'homme, quand il agit cru et il ne manque pas d'exemples o avec rflexion, doit tre de jauger ses propres est utilise dans un contexte religieux ou comme capacits; chacun doit rester dans les limites du une notion de contenu religieux.

50 Que ce soit directement (VI, 9, 3) ou par l'intermdiai re d'une assemble comme le snat Rome (VI, 13, 6; XXVIII, 16, 2). 51 Eumne et ses frres (XXI, 48 [46], 9 et XXI, 21, 1), les voisins de Philippe (XXIII, 1,2) 52 C'est ce qui leur permet d'imposer en Botie des gouvernements leur dvotion (XX, 5, 13). 53 XXI, 23, 5. 54 XVIII, 12, 2. 55 VII, 14, 6. 56 Celle des Elens qui ne cherchent pas recouvrer leur antique inviolabilit et provoquer une nouvelle reconnais sance gnrale de ce privilge essentiel pour leur existence autonome (IV, 74, 2). Celle de Philippe rappel ses devoirs

envers la terre grecque (V, 104, 5). "X, 5, 8, traduction D.Roussel (Bibl. Pliade, 1970, p. 622). 58 Soph., El, 1015-1016; Ajax, 536; Philoct., 774. Vision encore plus pessimiste dans Oed. T., 977-979. Il est vrai que dans ce passage Jocaste repousse toute rflexion pour dfen dre une vie laisse aux mains du hasard. A s'oppose l'adverbe ; nous retrouvons la mme opposition des deux termes dans Isocr., Pan., 136, o d'ailleurs l'auteur dfend la position inverse. 59 Cyr., I, 6, 23. 60 Xen., Hell, VII, 5, 8. 61 Thuc, IV, 108, 4.

DE PROVIDENTIA. 3 - Le sacr a) Dans les relations des hommes avec les dieux.

13

Quand les problmes religieux sont abords dans leur fond, les auteurs font souvent appel la humaine qui agit sur plusieurs plans se rejoignant pour former un mme ensemble. Il s'agit d'abord pour l'homme d'assurer la protec tion de ce qui est considr comme du domaine des dieux; il doit en prendre le plus grand soin pour ne pas s'attirer la colre divine62. Dans la mme ligne s'inscrivent les devoirs dus aux anctres; ils sont recommands pour entretenir de bons rapports avec les dieux. Isocrate expri me parfaitement ce point de vue en rapprochant et , la prvoyance et la pit63. C'est l'attitude qui permet l'homme de faire agrer sa demande par les dieux. En outre la de chacun doit s'appli quer la sauvegarde des temples et des sanc b) Dans les relations des dieux avec les hommes. tuaires64. La de l'homme est au service des dieux; elle parat indispensable au bien com Si les hommes ont une dont ils peu vent et doivent se servir, les dieux en sont natumun qui ne peut dcouler que de l'attitude 62 Remerciement au chrysonome des lampadistai de Patmos (Ditt., SylL, IIP, 1068, vers 200 av. J.-C). Problmes intressant les artistes dionysiaques (C. Bradford Welles, op. cit., n 53, frg. II A), les technites d'Athnes (Ditt., SylL, II3, 704e 1.31; l'inscription se trouve sur le Trsor des Athniens Delphes). Les mmes expressions sont employes pour toutes les actions purement matrielles qui touchent au domaine religieux : l'tablissement d'une corporation pour honorer perptuellement une certaine pictta, son mari et ses deux fils, pour la gravure et la conservation du rglement et du testament (cf. R. Dareste, Le testament d'pictta, dans Nouv. Rev. hist. Droit fr. et trang., 1882, p. 249). De mme pour l'rection d'une statue Prine (C. Bradford Welles, op. cit., n 63) et l'tablissement et la conscration d'une stle Magnsie (IG, IX, 2, 1111, 1.36-37). 63 Isocr., Plat., 60. G. Mathieu et E. Brmond traduisent par respect (coll. des Universits de France). C'est certainement insuffisant parce que beaucoup trop vague. 64 En particulier pour Apollon et Dionysos. Inscription de Paros, peut-tre venue de Dlos (IG, XII, 5, 270. Cf. L. Homolle, dans BCH, III, 1879, p. 158; VI, 1882, p. 3; VIII, 1884, p. 149 sq.). Inscription de Korop o il est question d'assurer le bon ordre pendant les consultations de l'oracle d'Apollon Coropaios (F. Sokolowski, Lois sacres des cits grecques, Paris, 1962, n 83, 1. 16 et 51 = Ditt., SylL, IIP, 1157). Inscription de Lindos pour honorer, avec le plus d'clat possible, Dionysos (Id., ibid., n 137 A). 65 Pit l'gard d'une divinit particulire Mantine; une certaine Nicippa, en 61 av. J.-C, avait montr sa gnros it l'occasion de la clbration des Coragia (IG, V, 2, 265). Pit envers la Mre par une ancienne prtresse qui en reoit le nocorat vie, au Pire (F. Sokolowski, op. cit., n 48, frg. B, 1. 15-16). Pit envers Isis Athnes (Id., ibid., n 50 A, 1. 20). Reconnaissance par les Amphictyons de Del phes de la pit montre par les technites athniens (Ditt., SylL, P, 399, 1. 28, de 278/277 av. J.-C). Reconnaissance de la pit de l'Athnien Ammonios qui reoit les honneurs delphiques aux jeux pythiques de 94 av. J.-C. (Id., ibid., IP, 734, 1. 6; trsor des Siphniens). 66 Soph., Oe mnagrent jamais l'expression de leur admirat ion pour un homme qui avait su tablir un lien troit entre ses travaux historiques, sa psycholog ie et son thique, entre sa cosmologie et sa physique d'un ct, sa thorie du destin et de la divination de l'autre. Sa doctrine, la fois savante et pratique, symtrique mais rigoureus e, comme le dit M. Laffranque164, le mentre en opposition Pantius sur des points essentiels. En particulier, il a su redonner la providence la place qu'elle avait dans l'Ancien Portique et son systme du monde, celle d'une fonction cratrice immanente, celle d'un principe direc teur. Cette Providence est une divinit active qui est charge de soutenir et d'orienter la vie dans le monde, puisque tous les tres qui ne sont pas ternels relvent de la juridiction de la Natur e165. Tout possde une cause qui est une raison dterminante et il est possible de remonter la chane des causes qui aboutit la Providence, loi primordiale et rgle essentielle qui est un art qui se ralise en actes166. Cette Providence acti vequi pntre dans toutes les parties du monde se confond avec la divinit qui prvoit en pour voyant insparablement167 et qui, de ce fait, gouverne et ordonne l'Univers; elle permet de faire, en profondeur, l'unit organique de ce dernier. cette place, elle est premire d'un point de vue tlologique, gntique et ordonnat eur168. Si la Providence est l'instance suprme, elle est donc l'artisan de destin; or, les tres les plus visiblement conformes ses desseins sont les astres la course rgle et rgulire. De l la confiance de Posidonius en l'astrologie, mais aussi en tous les genres de divination. En effet, si, dans un sens, l'enchanement des causes fait remonter au principe premier de l'Univers, dans l'autre sens il permet une prvision qui ne peut laisser aucune place au doute. La divination n'est pas absolue dans ses conclusions, car elle saisit les signes et non directement les causes. 164 Op. cit., p. 57. 165 Dans ce dveloppement, nous nous appuierons surtout sur les excellentes remarques de M. Laffranque dans son ouvrage cit ci-dessus. 166 Diog. Larce, VII, 149: , . . . - .

29

Mais toutes les pratiques divinatoires sont util isables condition de connatre les limites des lments qu'elles nous apportent. Il n'est pas possible de faon consquente d'en carter une seule, mme si l'on pense que certaines doivent tre plus signifiantes que d'autres (l'astrologie en particulier qui utilise des corps clestes qui se confondent avec les dieux du Panthon, com me leurs noms l'indiquent) et permettent de mieux dfinir et localiser les causes multiples qui expliquent clairement la ralit. Mais si la Providence est immanente l'Uni vers, si elle en dirige l'volution par la force de sa raison, elle possde en chaque homme une parcelle d'elle-mme169. Il est vident que l'me de chaque tre humain est dote de providenc e, c'est--dire de la facult rationnelle de con natre dans un premier temps, et d'uvrer dans un second moment, le tout dans le sens de l'ordre universel. C'est cette facult rationnelle qui doit primer dans l'homme. Elle doit contrl er toutes ses nergies et l'ensemble de ses facult s. En effet, ce sujet connaissant qu'est l'homme n'est pas seulement un responsable passif, mais aussi un agent capable de modifier le cours des vnements par la connaissance elle-mme, et par tous les moyens qui mnent cette connais sance : la science, la divination, la philosophie170. L'homme est fait pour l'action, pour toute action, et il ne lui faut pas vivre dans le dsert s'il veut tre un vritable sage. C'est en collaborateur de la divinit que l'homme peut agir sur les destins, le sien propre et ceux des autres hommes aussi. En effet, cette action ne peut s'tablir qu'en suivant les directi ves de la Providence suprme, sans se laisser conduire par le hasard et sans s'abandonner une fatalit qui serait inexorable. Il faut que l'homme organise, amnage, dirige, dans les limi tesde sa condition, mais en appliquant sa raison la raison universelle. M. Laffranque rsume parfaitement ce point de vue trs cohrent quand elle dclare que l'homme a uvrer, 167 . Laffranque, op. cit., p. 338. 168 Id, ibid., p. 342. 169 Si, sur la divination, Posidonius s'oppose totalement Pantius, sur l'existence de la providence dans l'homme, il s'en rapproche troitement par l'importance qu'il donne l'individu. 170 M. Laffranque, op. cit., p. 479.

30

DES ORIGINES besoin de transformer en profondeur toutes leurs habitudes. Grce Posidonius, la notion de , et bientt son quivalent latin de prouidentia, deve nait une notion qu'il tait sduisant de placer au centre de la vie. Nous ne pouvons, ds lors, nous tonner qu'un homme comme Cicron en ait fait un lment fondamental de sa pense comme nous le verrons plus avant dans ce travail174. Il est l'hritier direct de toute cette ligne de pen seurs qui remonte aux premiers temps de la Grce et qui ont, peu peu, donn une place de choix. Mais il a su adapter cette notion, l'apprivoiser Rome, l'assimiler en l'i ntroduisant dans la vie et la rflexion purement romaines. Il en est le vritable introducteur dans la Ville et c'est lui que nous devons son impor tante postrit dans le monde paen, puis chrt ien.

pour autant qu'il le peut, dans le sens de la Providence et de l'Ordre universel, en assumant la vocation sociale et raisonnable de son esp ce171. La vocation de chaque tre humain sur terre, dans ce contexte providentialiste , est la recherche du bonheur, fin suprme pour soi et pour les autres. L'homme doit tre novateur et son but doit tre de donner son temps une impulsion gnratrice de progrs heureux172. La cohrence, exceptionnelle dans l'ensemble de la philosophie antique, d'une telle construction oriente vers la vie et aboutissant l'individu, matre de sa propre libert, ne pouvait que plai re aux Romains. La justification de tous les sy stmes de divination, dont les plus employs Rome173, laissait aux Romains la sensation qu'ils avaient trouv, dans la , l'expression la plus simple et la plus directe de leur compr hension du monde, sans qu'ils prouvent le

171 Id, ibid., p. 509. 172 Id, ibid., p. 502. 173 Dont l'haruspicine: Cic, De Divin., II, 15. 174 II n'est pas utile ici d'entrer dans le dtail de la discus sion qui a oppos K. Reinhardt et P. Boyanc sur les probl mes des sources de la conception de la Providence dans Cicron: Pantius pour le premier, dans Kosmos und

thie, p. 92 (ide dveloppe de nouveau par A. J. Festugire, La rvlation d'Herms Trismgiste. II. Le Dieu cosmisque, Paris, 1949, p. 397 et 416), Posidonius pour le second, dans Les preuves stociennes de l'existence des dieux d'aprs Cicron, dans Herms, XC, 1962, p. 45-71, repris dans tudes sur l'humanisme cicronien, Bruxelles, 1970, p. 327-331.

CHAPITRE II

UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR : CICRON

Comme nous l'avons vu au tout dbut de ce travail1, le mot prouidere apparat dans la littra turelatine avec Plaute et ne se dveloppe en prouidentia, comme l'avait fait en , que trs tardivement. Si bien que, dans les crits latins du IIe sicle av. J.-C, nous ne trou vons employ que prouidere, et encore un nomb re de fois trs restreint. Nous pouvons d'ail leurs noter que, dans la perspective de l'volu tion de la langue, les contacts directs que les Romains eurent avec les Grecs, et en particulier les contacts qui furent pris directement dans le fameux cercle de Scipion avec Polybe, n'eu rent pas une influence dcisive. Le cas de Trence est exemplaire cet gard; trois fois dans son uvre prouidere est employ et, chaque fois, d'une faon qui peut dj sembler banale. C'est ainsi que, dans le Phormio, l'esclave Geta indique qu'on a pourvu tout ce qui tait matriellement possible2. Dans l'Andrienne, il s'agit pour Davus de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que la situation ne tourne pas sa confusion et celle de son matre3. Mais chez un auteur pour qui l'lment humain est devenu primordial au point qu'il s'interroge sur les mobiles des actes de chaque individu4, prouidere possde un contenu plus

ample que prcdemment. Comme chez Polybe, il est question de l'expression de la volont indi viduelle d'un homme appuye sur sa rflexion; d'ailleurs dans le passage de YAndrienne cit ci-dessus, prouidere s'oppose la segnitia, l'indo lence, et la socordia, le manque d'nergie, c'est-dire une attitude d'esprit qui empche d'agir et d'intervenir efficacement par manque de volont. Plus prcis encore est ce passage de l'Heautontimoroumenos; il va dans le mme sens: Putauit me et aetate et beneuolentia Plus scire et prouidere quant se ipsum sibi, In Asiani ad regem militatum abiit, Chrme! 5. La liaison avec l'ge introduite ici par Trence est intressante, car elle nous indique que la rflexion juste ne peut venir qu'avec l'ge; nous avions not le mme tat d'esprit chez Polybe propos d'Hannibal6. Le rapprochement prouidere-beneuolentia n'est pas trs significatif; peuttre faudrait-il ici prfrer la correction apport e par quelques diteurs: aetate et sapientia7. En effet, s'il est vrai que beneuolentia est souvent employe avec aetas, dans Plaute et aussi dans Trence, sapientia est parfaitement en concor dance avec prouidere', le mot exprime l'ide

1 cf. p. 1. 2 Phorm., v. 777-779. 3 Andr., v. 208: Quae si non asu prouidenur, me aut erum pessum dabunt. 4 Cf. P. Grimai, Le sicle des Scipions. Rome et l'hellnisme au temps des guerres puniques, 2e d., Paris, 1975, p. 284 et 290-291, avec le rappel du fameux vers 77 de l'Heautontimo-

roumnos: Homo sum: humani nihil a me alienum puto. 5 V. 115-117, dans l'dition-traduction de J. Marouzeau (Coll. des Univ. de France), t. II, 1947. 6 Cf. supra, p. 17, n. 97. 7 ditions de K. Dziatzko (1884) et de W. M. LindsayKauer (1926).

32

DES ORIGINES HBRE cette dclaration tait le reflet de la ralit, une simple tude de la faon dont Cicron a trans form en prouidentia, ou a utilis une transformation qui lui tait antrieure comme nous l'avons vu plus haut10, serait suffisante et ne ncessiterait pas de longs dveloppements; en effet, il suffirait, dans les textes, de remplacer prouidentia par pour retrouver les crits des Grecs. Une tude plus ample est justifie par le fait que le travail de l'Arpinate a t beaucoup plus complexe qu'il n'y parat au premier abord. Sa production philosophique est tardive dans sa vie puisqu'il n'a commenc le De Republica qu'en 54 av. J.-C. et que toutes les autres uvres, l'e xception du De Legibus, n'ont t rdiges qu'en tre 46 et 44, un moment o l'activit politique de Cicron tait rduite par l'intransigeante domination de Csar. La rapidit, sinon la prci pitation, avec laquelle ces traits ont t crits a pu faire douter certains de leur valeur, sinon de leur intrt. En ralit plusieurs tudes rcentes ont cherch montrer en Cicron, et ont russi le faire, un penseur cohrent et consquent11. En effet, il s'est intress ds son plus jeune ge aux diffrents mouvements de pense grecs; il eut comme matres qui faonnrent son esprit les plus fameux du moment: l'picurien Phaedros, un ami d'Atticus12, l'acadmicien Philon de Larissa, l'hritier spirituel de Camade u, le sto cien Diodote14 et Antiochos d'Ascalon, un plato nicien15 qui avait essay de raliser la synthse de l'Acadmie, du Lyce et du Portique, et enfin Posidonios d'Apame qui fut son ami16. Les uvres philosophiques de Cicron sont un aboutissement, le rsultat d'une longue matur ation de la rflexion pendant des dcennies, nourrie par les leons de ses matres, par les chos des polmiques, par ses lectures nombreus es tout au long de sa vie, mme au plus fort de

d'une action rflchie et pense en vue d'un rsultat positif. Il n'est pas besoin pour l'instant d'insister sur ce point; nous retrouverons plus loin, dans Cicron, les rapports troits qu'entre tiennent proldere et sapientia8. Il n'y a donc chez Trence aucun changement dans le vocabul aire, mais une simple transformation des rap ports entre proldere et tout ce qui constitue la pense rflchie; dans cet aspect des choses, l'influence du milieu culturel grec, et sans doute celle de Polybe lui-mme, sont certaines. Mais il faut attendre Cicron pour que s'ouvre le chapi tre dcisif de l'introduction et du dveloppe ment de prouidentia dans le vocabulaire et la pense Rome.

I - PROVIDENTIA, UN LMENT DE LA PHILOSOPHIE CICRONIENNE 1 - Les conditions DE LA CRATION PHILOSOPHIQUE CHEZ CICRON II est normal de trouver le mot prouidentia dans les traits philosophiques de Cicron puis que, pour la plupart, ces ouvrages sont une pr sentation et un reflet des grands courants philo sophiques grecs du moment, de l'picurisme la Nouvelle Acadmie et au Moyen Portique. Ce fait est d'autant plus normal que, comme nous l'avons dit, ce mot est la transcription du terme grec dont nous venons de voir les diff rentes acceptions et qui est une des notions fondamentales du systme stocien. Or, Cicron lui-mme, propos de la rdaction de ses ouvra ges philosophiques, dclare : Ce ne sont que des transcriptions; ils me cotent peu de peine; je n'ai qu' apporter les mots et j'en suis riche9. Si

8 Cf. infra, p. 52. 9 Ad Ait, XII, 52, 3 . Cette lettre est date du 21 mai 45. 10 Cf. supra, p. 3. 11 Cf. ce sujet N. I. Barbu, Cicron philosophe et homme d'action, dans Studii Clasice, VI, 1964, p. 137-47. On trouve dans cet article les rfrences aux crits antrieurs allant dans le mme sens. A. Michel, La philosophie de Cicron avant 54, dans REA, LXVII, 1965, p. 324-341; Cicron et les sectes philosophiques. Sens et valeur de l'clectisme

que, dans Eos, LVII, I, 1967/1968, p. 104-116; et les nombreux articles de P. Boyanc contenus dans tudes sur l'humanisme cicronien (Coll. Latomus, vol. 121), Bruxelles, 1970. 12 Ad Fam., XIII, 1, 2. 13 Brut., 306. 14 Ad Att., II, 20, 6. 15 Acad. Prior., II, 113. l6Ad Att., II, 1, 2.

UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICRON son activit politique. Il possdait des biblioth ques dans toutes ses villas comme sa correspon dance en fait foi, mais il allait aussi lire chez des amis, tel Varron, ou chez des parents, comme son frre Quintus17. Ce long travail a trouv son point final dans une uvre originale; elle reste appuye sur une documentation abondante18 qui lui sert tayer sa pense personnelle qui se refuse tre le simple cho attnu et romanis d'une seule doctrine, d'un seul matre. Elle se prsente tout au contraire comme un message adapt l'esprit romain, dans un clectisme que Cicron a toujours voulu vivant et donc convainc ant19,parce que prsent de manire personn elle et originale, dans une trs grande indpen dance d'esprit qu'il a su conserver et qui fait l'intrt de ses tudes. 2 - La Providentia clcronienne est stocienne II est temps d'aborder l'tude du terme prouidentia dans l'uvre philosophique de Cicron en n'oubliant pas que ce dernier cherche prsent er une synthse cohrente mais aussi, autant qu'il le peut, originale. En vrit, prouidentia et les drivs de proldere apparaissent presque exclusivement dans un seul des traits de Cic ron, le De Natura Deorum20; nous n'avons relev que deux exceptions, dans la traduction-adaptat ion du Time de Platon que Cicron a ralise21 et dans le De Diuinatione22. Le point est d'impor tance puisqu'il nous permet dj de conclure que, pour l'Arpinate, la prouidentia est une

33

notion qui trouve sa place de prdilection dans le domaine prcis qui est l'objet du De Natura Deorum, c'est--dire la part prise par les dieux, la fois dans la formation et l'volution de l'uni vers, et dans l'activit et le rle des hommes dans cet univers. Nous retrouvons ici l'expression mme des ides stociennes sur le cosmos; un fait le prouve l'vidence: c'est dans le livre II du De Natura Deorum que nous trouvons le plus grand nomb rede fois cits prouidere et ses drivs23; or, ce livre II est consacr la prsentation, par Lucilius Balbus, de la thologie stocienne. En outre, chaque fois que le mot prouidentia est plac dans la bouche de l'un ou de l'autre des interlo cuteurs de Balbus, l'picurien Velleius ou l'ac admicien. C. Aurelius Cotta, c'est en ralit une allusion la doctrine du Portique ou bien mme une attaque virulente qui lui est porte24, com me le fait Cicron lui-mme tout au dbut de son uvre25. D'ailleurs, dans ce mme trait, et trois reprises, Cicron affirme l'quivalence du grec et du latin prouidentia26. Cependant, trois reprises galement, notre auteur se content e de transcrire dans l'alphabet latin et d'en faire Pronoea. Serait-ce, de sa part, une incertitude de vocabulaire ou bien une position de repli possible si la transformation en proui dentia avait paru trop audacieuse ou incomprh ensiblealors mme pourtant qu'elle tait dj courante dans les cercles lettrs comme nous l'avons vu plus haut? En ralit, dans deux des trois cas, il s'agit de paroles de Velleius adres ses Balbus; il emploie Pronoea plus par dri-

17 P. Boyanc, Les mthodes de l'histoire littraire. Cicron et son uvre philosophique, dans REL, XIV, 1936, p. 288-309, reproduit dans tudes . . . , p. 199-221. Cicron utilise, ds 60, les uvres de Pantius, de Dicarque et de Thophraste. Cf. E. Smethurst, Cicero and Dicearchus, dans TAPA, LXXXIII, 1952, p. 224-232. C'est ce que prtend Cicron lui-mme, De Nat. Deor., I, 6: Nos autem nec subito coepimus philosophari nec mediocrem a primo tempore aetatis in eo studio oprant curamque consumpsimus et, cum minime uidebamur, turn maxime philosophabamur . . . et principes Uli, Diodotus, Philo, Antiochus, Posidonius, a quibus instituti sumus. 18 Quand Cicron ne possde pas certains ouvrages dans sa bibliothque, au moment de la rdaction, il n'hsite pas faire appel ses amis: Ad Att., XIII, 8: Epitomen Bruti Caelianorum uelim mihi mittas et a Philoxeno (de Tusculum, 8 juin 45).

19 P. Grimai, Cicron fut-il un philosophe ?, dans REA, LXIV, 1962, p. 121; J. C. Davis, The Originality of Cicero's Philosophical Works, dans Latomus, XXX, 1971, p. 115-119. Entre autres passages, c'est ce que Cicron affirme propos du devoir en De Off., I, 2, 6. 20 Prouidentia apparat 18 fois; prouidere et ses autres drivs, 10 fois. 21 De Univ., 3. 22 I, 117. 23 9 fois prouidentia; 7 fois prouidere et ses autres drivs. 24 Velleius: I, 18 et I, 54. Cotta: III, 17; 65; 70; 78; 92 et 94. 25 1, 4. 26 1, 18: , quam Latine licet prouidentiam dicere. , 58: prouidentia. . . (Graece enim dicitur). II, 73: ... a Stoicis induci, id est prouidentiam .

34

DES ORIGINES TIBRE dieux. Nous voulons parler ici du passage du De Diuinatione, crit d'ailleurs immdiatement aprs le De Natura Deorum, en 44 av. J.-C, dans lequel Quintus s'appuie sur la dmonstration de Balbus en utilisant alors tout naturellement le mot prouidentia: si obtinemus . . . esse deos, et eorwn prouidentia mundum administrari . . .30. De faon moins tranchante, mais cependant su f isamment claire, nous trouvons le mme aspect dans la paraphrase du Time; dans le paragra phe 3, 8, Cicron dclare parler des dieux et de la naissance du monde31; tout naturellement vient dans la dmonstration diuina prouidentia; il s'agit du mme contexte de pense, d'une semblable orientation d'esprit, celle affirme dans les passages prcdemment cits32. Il est parfaitement normal que le vocabulaire utilis soit le mme.

sion que par conviction27. Ce caractre de dri sion et de ddain que veut faire ressentir Velleius est accentu par le uestra qui marque, la fois, l'attribution exclusive Balbus, donc aux stociens, de cette , et toutes les rserves qu'un picurien peut avoir son gard. Et mme si, un peu plus haut, Velleius cite l'quivalence -prouidentia, il le fait avec beaucoup de rticence et en laisse d'autres la responsabilit : , quant Latine licet prouidentiam dicere; le terme licet est trs significatif de l'tat d'esprit d'un homme qui veut rejeter l'ensemble d'un systme philosophique en insistant sur son origine trangre et en voulant aussi montrer son inadaptation la mentalit et au monde romains. Lorsque Balbus rpond en prsentant la dfense de son propre systme, il n'a pas oubli les arguments de Velleius; il ne trouve rien de mieux pour le rappeler que d'employer le mme vocabulaire que son interlocuteur. C'est pourquoi nous trouvons chez lui aussi le terme de Pronoea28. Au ddain rpond l'ironie; parler de providence stocienne, en employant Pronoea, propos de la bonne saveur des poissons et des oiseaux, est manire de plaisanter et de montrer qu'il ne peut s'agir d'un argument srieux. Par l mme, refuser l'emploi de prouidentia dans la langue latine n'est pas plus srieux; et c'est curieusement travers les pro pos de Balbus que Cicron lui-mme affirme le bien-fond de l'adoption de la transcription = prouidentia29 . Que la prouidentia et les problmes qu'elle pose soient au centre des dbats du De Natura Deorum nous est encore prouv par le fait que, lorsque le mot est employ dans une autre uvre philosophique de Cicron, il ne l'est que par allusion l'tude sur la nature des

3 - Elle est preuve de l'existence des dieux et de leur action sur le monde Dans la totalit de ces traits, la cohrence de la pense de Cicron dans sa prsentation de la providence divine est parfaite33. Il lui faut dmontrer, avec des arguments solidement fon ds, l'existence des dieux et leur action sur les hommes. Les preuves en sont innombrables: Balbus fait sa dmonstration l'aide d'argu ments dj prsents par ses prdcesseurs, les grands matre du Portique, Zenon, Clanthe, Chrysippe: le spectacle du ciel en son ordre immuable, l'abondance des biens dans l'univers, la divination . . . Un seul Dieu pntre toutes choses, il est la Nature, l'Intelligence du cosmos qui pourvoit et veille tout ce qui prsente de

27 1, 20: Pronoea uero uestra, Lucili, si est eadem, eadem requiro. I, 22: Quaero, Balbe, cur Pronoea uestra cessauerit . 28 II, 160: ut interdum Pronoea nostra Epicurea fuisse uideatur?. 29 On sait que dans la tradition manuscrite certains mots laisss par Cicron dans l'alphabet grec ont t transcrits par les copistes dans l'alphabet latin. S'il en tait ainsi pour ces exemples, la dmonstration ci-dessus serait sans valeur. Il ne le semble pas puisque nous trouvons dans d'autres passages; Cicron a certainement employ volontairement Pronoea.

30 De Divin., I, 117. 31 de deorum natura, ortuque mundi. 32 3, 10 : Quam ob causam non est cunctandum profited, si modo inuestigari aliquid coniectura potest, hune mundum ani mal esse idque intellegens, et diuina prouidentia constitutum . 33 Nous ne rechercherons pas ici quelles ont pu tre les sources de Cicron sur ce problme; peut-tre s'agit-il plus prcisment de Posidonius comme le pensent H. Jeanmaire, Introduction l'tude du livre II du De Natura Deorum, dans Rev. d'Hist. de la Philos, et d'Hist. Gn. de la Civ., 1933, p. 34-57, et H. A. K. Hunt, The Humanism of Cicero, Mel bourne, 1954, p. 136.

UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICRON l'intrt et de l'utilit34. Cette Intelligence est donc une providence doue de jugement; elle a cr un monde capable de durer, complet, et parcouru en son entier par la beaut et l'excel lence35. Dans un deuxime temps, Balbus prouve que la providence divine s'intresse directement au monde en le gouvernant36. Les preuves de cette direction du monde par la providence sont aussi multiples: l'excellence de la marche du monde est une des plus fondamentales, car les dieux ne s'intressent qu'au plus important; tou tes les parties du monde sont en sympathie, ce qui est bien la marque d'une force intelligente, organisatrice, artiste; le monde est dispos pour durer toujours, il ne manque de rien et il est souverainement beau dans sa propre perma nence et la permanence des lments qui le constituent; de ces lments font partie tous les tres vivants, hommes y compris. La structure du corps de l'homme, les qualits de son esprit, ne peuvent tre l'uvre du hasard; elles sont donc le rsultat d'une action volontaire et rfl chie pratique par une Intelligence, une Raison qui peut porter le nom de Providence divine37.

35

4 - Ses voies d'intervention dans le monde des hommes S'il existe une providence des dieux qui rgne sur le monde et qui le gouverne, il ne faudrait pas ngliger la providence particulire des dieux qui mne l'humanit dans son ensemble et cha que homme qui en est une des composantes. Tout ce qui est dans le monde a t prpar et dispos pour l'utilit des hommes: le ciel et les 34 II, 58: Ipsius nero mitndi, qui omnia complexu suo coercet et coninet, natura non artificiosa solum, sed plane artifex ab eodem Zenone dicitur, consultrix et prolda utilitatum opportunitatumque omnium . 35 Cf. A. J. Festugire, La rvlation d'Henns Trismgiste, II, Le Dieu cosmique, Paris, 1949, p. 393-394. 36 II, 73: Proximum est, ut doceam, deorum prouidentia mundum administrari . ... prouidentiam . . . quae mundum omnem gubernet et regat. II, 77: Ex quo efficitur id, quod uolumus, deorum prouidentia mundum administrari. De mme en II, 80; III, 65. De Divin, I, 117. 37 Cf. en particulier: II, 87; 98; 127-128. Pour l'homme: II, 133 (perfection de la structure de l'organisme humain); 140 (haute situation de l'homme dans l'univers); 142-144 (les

astres qui le parcourent, non seulement comme spectacle, mais aussi comme cause ncessaire du rythme crateur des saisons qui fait natre les fruits de la terre. Enfin Balbus utilise l'argument de la providence divine rvle aux hommes par la mantique; que les dieux fassent connatre l'humanit son avenir est la preuve de leur int rtpour la condition humaine38. Allant du tout la partie, cette providence veille sur chaque tat, sur chaque homme l'intrieur de chaque tat ou de chaque peuple; elle n'est que le corollaire indispensable de la providence universelle. La Providence est donc, la fois, l'Intellect, la Raison du monde, la Nature intelligente et crat rice, nous retrouvons tous les caractres de la classique grecque, la pense rflchie qui permet l'action positive et qui est souvent l'action des dieux eux-mmes. Elle est alors la providence qui s'exerce dans le monde, tous les niveaux et mme pour les plus petites chos es, pour permettre l'homme, crature supr ieure, de mieux vivre et d'tre parfaitement adapt au monde dans lequel il se meut. Il ne peut tre mis en doute qu'il s'agit bien l de la pense de Cicron lui-mme; la dernire phrase du De Natura Deonim nous le confirme tout fait: Haec cum essent dicta, ita discessimus, ut Velleio Cottae disputano uerior, mihi Balbi ad ueritatis simlitudinem uideretur esse propensior39. Il n'est pas ncessaire d'y trouver une ambigut40. Il est bien entendu que, dans le cours du trait, certains arguments stociens prouvant l'existence de la providence sont utili ssavec une grande prudence: ainsi quand Cic ron aborde la preuve par la divination; il ne le fait que dans trois courts paragraphes d'une vingtaine de lignes41. Il n'y a l rien d'tonnant, particularits physiques de l'homme ne peuvent tre dues au hasard). Rticences de Cotta. 38 II, 162-164: . . . praedictionem rerum futurarum, mihi uidetur, nel maxume confirmare, deorum prouidentia constili rebus humants... Nec nero immerso generi hominum solum, sed etiam singulis a dis immortalibus constai et prouideri solet. 39 III, 95. 40 A. Michel, L'picurisme et la dialectique de Cicron, dans Actes du VIIIe Congrs Ass. Guil. Bud (Paris, 1968), Paris, 1969, p. 406: ... que l'on songe encore la conclusion ambigu du De natura Deorum , et n. 2. 41 II, 162-164.

36

DES ORIGINES donc providence, ou, tout au moins, il montre clairement l'existence d'une providence humain e, individuelle, mais qui ne peut tre rserve qu' un petit nombre45. Comment ne pas penser la formule reprise par Cicron Platon qui lui-mme s'adressait Archytas de Tarente: Nous ne sommes pas ns pour nous seuls, mais pour la patrie et pour nos concitoyens46. De telles aspirations ne pouvaient qu'tre trs bien comprises et acceptes par les Romains de son temps.

ni d'anti-stocien, puisque d'autres adeptes du Portique ont eu la mme attitude dans ce domain e, commencer par Pantius lui-mme42. Si ce paragraphe final semble tourner court, il n'enl ve rien l'impression gnrale et l'adhsion de Cicron aux thses stociennes sur le problme de la providence. Simplement il met l'accent le plus prononc sur l'intervention de la providen ce au plan humain43.

5 - L'homme doit tre le reflet de la providence divine Puisque la Providence, immanente l'univers, en dirige l'volution, l'homme doit faire primer en lui ses facults rationnelles, car la raison humaine est de mme nature que la Raison qui gouverne l'ensemble du monde. La prsence de la raison en l'homme est due l'existence de l'me qui est issue directement de la divinit : Animorum nulla in terris origo inueniri potest. Nihil enim est in animis mixtum atque concretum, aut quod ex terra natum atque fictum esse uideatur, nihil ne aut umidum quidem aut flabile aut igneum. His enim in naturis nihil inest, quod uim memoriae, mentis, cogitationis habeat, quod et praeterita teneat et futura prouideat et complecti possit praesentia, quae sola diuina sunt nec inuenietur umquam unde ad hominem uenire possint nisi a deo 44. La raison humaine possde donc, son tour, un pouvoir de direction, de command ement, de rflexion et d'organisation que l'homme doit utiliser pour s'adapter l'ordre du monde qu'il ne peut ni transformer ni transgress er. L'homme est actif et prsent dans sa vie quotidienne; il ne peut tre l'cart de la ralit historique de son temps. C'est pourquoi celui qui agit est le sage par excellence; sa recherche est celle du bonheur. Dans notre monde, le sage ordonne et dirige, donne l'impulsion gnratrice et cratrice. Il est 42 Cf. M. van den Bruwaene, La thologie de Cicron, Louvain, 1937. 43 Cf. A. J. Festugire, op. cit., p. 424. 44 Tiisc, I, 66. 45 Si l'on suit l'analyse de M. Laffranque, Poseidonios d'Apame, Paris, 1964, p. 502 sq., Cicron doit cette concept ion son ami philosophe qui aurait t le premier rendre II - PROVIDENTIA, UN LMENT DE LA NATURE HUMAINE L'acceptation fut d'autant plus aise que Cic ron n'a pas rserv l'essentiel de ses penses et de sa rflexion ses seules tudes philosophi ques. Pragmatique comme tout Romain, il a cr un vocabulaire philosophique latin, mais, en outre, il a tent de faire passer ce vocabulaire dans la langue courante; pour lui, il ne devait pas y avoir d'obstacle entre les mots chargs d'exprimer la pense philosophique et les mots de tous les jours; tout au contraire, les premiers devaient venir enrichir les autres. C'est pourquoi nous trouvons proldere, prouidentia et tous leurs drivs exprims et utiliss dans toutes ses uvres, quel qu'en soit le genre. 1 - Un aspect de son pouvoir de rflexion Tout homme a la capacit de prouidere, car c'est le reflet de l'existence de sa propre pense, de sa rflexion individuelle; c'en est mme un des aspects fondamentaux. plusieurs reprises Cicron l'affirme, en par ticulier en se servant de l'intermdiaire d'Aristote pour montrer que la pense, mens, est cons-

solidaires trois aspects de l'homme, le politique, le savant, le philosophe (p. 508). D'ailleurs lui-mme s'est vant, puisque ce n'tait pas ordinaire son poque, d'avoir fait descendre sur le forum et dans les affaires publiques la philosophie qui ne pouvait rester simple objet de loisir (Ad Fam., XV, 4, 16). 46 Pro Sestio, 138; De Off., I, 22; De Fin., II, 45.

UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICRON truite partir d'lments divers: Cogitare enim et prouidere et discere et docere et iniienire aliquid et tam multa alia meminisse, amare odisse, cupere timere, angi laetari, haec et similia. . ,47. Mens, divinit d'origine purement romaine, faisait l'ob jet d'un culte dans YUrbs depuis longtemps et possdait mme son temple48; l'occasion de son installation et le sens qui lui a t donn ne sont pas indiffrents notre propos. C'est en 217 av. J.-C, aprs le dsastre de Trasimne entran par les diverses impits de Flaminius49, que la partie consulte des Livres Sibyllins exigea, entre autres mesures expiatoires, d'lever un temple Mens sur le Capitole. Rome avait alors install, au centre religieux de la cit, la divinit qui est l'antithse de tout ce qui est du domaine du sensus, c'est--dire de la sensation physique pure50; son caractre intellectuel est trs pro nonc. C'est la divinit de la raison et de la rflexion. Deux motifs avaient conduit les quindecimuiri sacris faciundis et les snateurs introduire Mens dans l'ensemble des divinits officielles: dans un premiers temps, il s'tait agi de mettre en avant la facult qui avait manqu le plus Flaminius dans la conduite de la guerre51, la facult qui seule pouvait permettre le redresse ment et la victoire, l'oppos donc de tout laisser-aller et de toute tendance la tmrit52. Mais le but poursuivi fut sans doute plus import ant; un moment o se rpandaient dans Rome les bruits les plus extravagants, les craintes les plus folles, o l'esprit de chacun tait hant par la menace proche d'Hannibal, o dj des mou vements d'extrmisme mystique se dvelop paientdans la plbe urbaine, ne fallait-il pas mettre au premier plan la divinit de la rflexion, de la raison, du jugement, seule capa ble d'apporter le calme, ncessaire et indispensab le aux succs futurs, dans les esprits? Mens ne

37

s'oppose plus seulement la tmrit aveugle, mais aussi et surtout au mysticisme, si contraire l'esprit romain, et la peur panique, reflet d'une me abandonne par l'intelligence et inca pable, de ce fait, d'avoir une vue claire des vnements53. Ds lors, nous comprenons mieux pourquoi Cicron se flicite plusieurs reprises de l'exi stence de ce temple, signe tangible de la prsence de la divinit54. Nous saisissons aussi trs bien le sens des composants divers de Mens dont Cic ron nous donne la liste dans le passage des Tusculanes cit ci-dessus. Cogitare est le terme fondamental et ne prte pas quivoque; il s'agit de l'acte de penser, de rflchir, de songer dans un but prcis; d'ailleurs cogitano est pris, par Cicron lui-mme, dans un sens trs proche de mens55. Tous les autres termes ne sont l que pour expliciter cogitare : discere et inuenisse nous orientent vers l'tude, la recherche des connais sances ncessaires, la dcouverte par la r flexion; mais cette dernire ne peut tre assure et tre utile que par l'enregistrement de la mmoire: meminisse) cette exprience acquise doit tre utilise en faveur des autres tres humains en agissant de deux faons, docere, enseigner, et prouidere, prvoir; seules la mmoir e et l'exprience peuvent le permettre. La lia ison entre mens et prouidere affirme l'existence chez l'homme de caractres particuliers qui le distinguent de tous les autres tre vivants. La prouidentia est donc bien, essentiellement, un des aspects de ce qui fait la supriorit de l'hom me dans le monde o il vit, la pense56. 2 - TOUS LES HOMMES NE LA POSSDENT PAS Si tout homme possde la facult essentielle de prouidere, chacun ne l'a pas avec la mme

47 Tusc, I, 22. 48 II fut ddicac en 181 av. J.-C. Cf. Tite-Live, XL, 34, 4-5. 49 Tite-Live, XXII, 9, 7-11. 50 Cf. Cic, Or., 8. 51 P. Grimai, Le sicle des Scipions . . . , p. 122. 52 G. Dumzil, La religion romaine archaque, Paris, 1966, p. 458. 53 Nous pouvons noter aussi que R. Schilling, La religion romaine de Vnus, Paris, 1954, p. 251-252, a rattach Mens aux

origines mmes de Rome en montrant en elle une des qualits essentielles d'Ene, le pre des Romains. Un tel rapprochement ne pouvait que renforcer l'importance don ne cette divinit. 54 De Leg., II, 19. De Nat. Deor., IL 79. 55 Cic, Or., 8. 56 Le couple prouidere (ou ses drivs) - mens se trouve plusieurs reprises dans l'uvre de Cicron: Pro Lig., 17. De Orat., IL 333. De Divin., II, 1 17.

38

DES ORIGINES A ron emploie des mots d'une grande violence pour expliquer l'attitude servile et le comporte ment fminin; esclaves et femmes ne peuvent exister quabiecte, c'est--dire sans aucun courag e, en s'abandonnant au destin et en restant sans raction devant les vnements parce que sans foi dans l'avenir, ce qui est le contraire mme de ce que doit ressentir celui qui veut agir; timide, c'est--dire avec la crainte qui paralyse au moment de prendre une dcision; ignaue, dans une inertie qui refuse l'action et qui peut mme transformer l'action en lchet. tant donn cet talage de dfauts, il est ais de comprendre que, dans l'esprit de Cicron, la facult de prouidere est rserve l'homme, uir, dans la force de l'ge, la plnitude de ses qualits intellectuelles, la totale libert individuelle, que ne possdent ni les femmes ni les esclaves, ncessaire la comp lte indpendance de la rflexion qui ne peut s'panouir qu'en dehors de toute contrainte matrielle. 3 - Ses limites dans l'homme qui la possde Cela nettement affirm, Cicron reste en mesure de juger l'homme bien souvent impr voyant; mais cette carence, grave dans la conduit e de la vie, ne lui est pas totalement due et n'importe quel individu peut en tre atteint par fois; en effet, il peut s'agir d'un cas o la volont personnelle et individuelle n'est plus d'aucun secours. Il est des moments o l'homme prend de solides rsolutions et ne peut aboutir parce qu'il se heurte la volont divine qui peut ellemme tre cause de catastrophes61; avec l'aide

intensit et la mme force, ni la mme plnitude. C'est, en effet, une qualit attache celui qui est en pleine possession de ses moyens physi ques, tmoignage du dveloppement optimum de son intellect. C'est pourquoi elle ne peut appartenir la jeunesse que Cicron appelle improuida aetas57; travers l'exemple de Denys le Tyran, il nous rend vident que la jeunesse est le temps de la passion, du mouvement, du manque de rflexion qui conduisent sans conteste l'erreur. Si la jeunesse a la mmoire, elle n'a pas suffisamment de connaissances, donc d'exprience, pour ins truire et prvoir58. Mais cette qualit ne peut tre conserve aussi longtemps que la vie; il arrive un ge o l'esprit perd ses possibilits et, tout particulirement, celle de juger en toute connaissance de cause puisqu'il ne peut plus embrasser toutes les donnes d'un problme. Dans ce sens, il est normal de voir les vieillards appels par Cicron improuidi59 et de leur acco ler un terme aussi pjoratif que celui de creduli; il est vrai que, dans ce passage, il est question du vieillard de comdie, hrit du thtre hellnisti que, dont la btise permet le rebondissement de l'action; mais, travers ce personnage drisoire, ce sont toutes les faiblesses relles de la vieilles se humaine qui sont mises en valeur. D'ailleurs d'autres exclusives sont prononces par l'Arpinate; les femmes et les esclaves sont totalement dpourvus de cette qualit puisque les unes comme les autres sont destins ne s'occuper que de ce qu'il y a de mdiocre et que leur comportement est le reflet oblig de cette mdiocrit, surtout lorsqu'ils se trouvent face aux difficults ou affronts la douleur60.

57 Tusc, V, 62: ... iis enim se adulescens improuida aetate inretierat erratis eaque commiserat, ut saluus esse non posset, si sanus esse coepisset . 58 De Rep., II, 1, 2: neque cuncta ingenia collata in iinum tantum posse uno tempore proldere, ut omnia complecterentur sine re rum usti ac uetustate . Usus reprsente ici l'exprience qui vient avec l'ge et uetustas a le sens d'une amicitia renforce par l'anciennet des relations. 59 Lael., 100. Il serait ais de trouver une certaine contra diction avec le De senect. dans lequel, tout au contraire, Cicron montre que la vieillesse est l'ge du consilium, de Yauctoritas, de la sententia et de la prudentia (Cat. m., 17). Mais il s'agit alors de vieillards illustres, encore capables de

donner des conseils de gouvernement grce l'immense acquis de la vie; pour les autres, le commun, il reste le travail de la terre! En outre, nous pouvons remarquer que proldere ou l'un de ses drivs n'est jamais employ dans le Cato maior. 60 Tusc, II, 55: ... ne quid seruiliter muliebriterue faciamus ... Les cris de Philoctte, abandonn dans l'le de Lemnos, sont inutiles et dgradants. Cf. Pro Cluent., 184: midier abundat audacia, consilio et ratione deficitur. 61 Pro Lig., 17: ... fatalis quaedam calamitas incidisse uidetur et improuidas hominum mentes occupauisse, ut nemo mirari debeat humana consilia diuina necessitate esse superat a.

UN INTRODUCTEUR ET UN VULGARISATEUR: CICERON de toutes ses qualits, l'homme ne peut atteindre ce qui est du domaine des dieux. La raison en est que personne ne peut prvoir ce qui est sans cause, et ce qui vient des dieux reste sans cause dcelable pour l'homme. trois reprises, Cicron nous le dmontre dans son trait De Diuinatione; voulant mettre en valeur l'ide mise cidessus, il affirme qu'il n'est pas possible de pr voir sans cause assignable62; si nous ne pouvons prvoir ce qui arrive par cas fortuit63 la divina tion n'existe pas ou bien, si elle existe, elle reste en dehors des possibilits humaines dfinies par Xars et la sapientia64. Ces deux dernires notions reprsentent, d'une part la capacit personnelle rsultant de l'tude et de l'exprience, d'autre part la capacit de juger et d'agir sainement et sagement. Il est vident que, dans ce contexte, prouidere s'oppose tout ce qui est fortuitum; c'est un chanon supplmentaire ajout la lia ison troite, que nous avions dj note, entre la prvision et la pense. 4 - QUI SERT-ELLE? a) soi-mme: pour la russite de l'action immd iate. L'homme doit donc prvoir. Mais dans quel but doit-il le faire, et cette prvision est-elle courte ou longue chance? Cicron rpond ces questions; l'homme doit d'abord assurer la russite de l'action immdiate. C'est le cas de l'orateur qui a besoin, pour le succs des propos qu'il tient, de prter la plus grande attention aux ractions de son auditoire; il peut ainsi adapter son discours et le rendre plus convaincant puisq u'il ira dans le sens attendu par les auditeurs65. Lorsque Cicron lui-mme prononce son pla idoyer qui est, la fois, attaque contre Verres et

39

dfense des habitants de la Sicile, toute son argumentation est btie en fonction des choix de son illustre adversaire, Hortensius, et des proc ds