Protection sociale: ce que les travailleurs et les ...

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Protection sociale: ce que les travailleurs et les syndicats doivent savoir Education ouvrière 2000 / 4 Numéro 121

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Protection sociale:ce que les travailleurset les syndicatsdoivent savoir

Education ouvrière 2000/4Numéro 121

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Editorial V

Vues d’ensembleMondialisation et protection sociale: mythes, utopies et réalités,par Alejandro Bonilla García 1

La concertation sociale dans le domaine des retraites: l’expérience des paysindustrialisés, par Emmanuel Reynaud 7

Un engagement accru vers une sécurité sociale universelle,par Mohsen Ben Chibani 13

AfriqueDe l’aide humanitaire à une protection sociale durable,par Lambert Gbossa avec Bernardin Gauthé 19

Etat des lieux de la protection sociale dans les pays africainsde langue officielle portugaise (PALOP), par Alessandro Giuliano 25

Région Asie-PacifiqueAméliorer le financement public de la protection sociale en Asie:les cas de la Chine, de la Thaïlande et de la République démocratiquepopulaire lao, par Anne Drouin 31

Europe centrale et orientaleLa restructuration des retraites en Europe centrale et orientale:analyse des tendances récentes, par Elaine Fultz et Markus Ruck 41

AmériquesLes retraites de sécurité sociale et leur réforme dans les Amériques:quelques leçons pour les travailleurs et les syndicats,par Carmelo Mesa-Lago 53

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Sommaire

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La protection sociale se trouve, depuis plusieurs années, au centred’un débat parfois fort animé dans de nombreux pays. Là où elle existe àpeine, les discussions portent sur les questions suivantes: quel niveau deprotection faut-il établir pour assurer un filet de sécurité, qui devrait enbénéficier, qui devrait payer pour le système et qui devrait le gérer? Là oùla protection sociale est ancrée depuis plusieurs générations, c’est la péren-nité du système qui est en question: faut-il le réformer pour assurer la cou-verture aux futures générations et, si oui, comment?

Ce n’est un secret pour personne que les millions de travailleurs ettravailleuses des pays en développement, privés de toute protectionsociale, regardent avec espoir la «sécurité» dont jouissent les travailleursdu Nord. Cette «sécurité», qui est le résultat, faut-il le rappeler, d’un longcombat et d’une concertation sociale dans lesquels les organisations syn-dicales ont joué un rôle essentiel, reste pourtant fragile. Et, bien souvent,les réformes proposées ne sont qu’un moyen détourné pour détricoter lasécurité sociale et s’attaquer à d’importants acquis sociaux.

En tout cas, la protection sociale est aujourd’hui partout à l’ordre dujour. Elle le sera d’ailleurs aussi, de manière appropriée, à la prochaineConférence internationale du Travail au mois de juin où elle fera l’objetd’une discussion générale. A la veille de ce débat, Education ouvrière adécidé de faire le point de la situation et d’explorer des pistes susceptiblesd’élargir la protection sociale au plus grand nombre, en comparant lesexpériences de plusieurs régions.

Beaucoup d’encre a coulé sur la protection sociale. Les préjugés et lesjugements péremptoires ont succédé aux exagérations et rumeurs sans fon-dement. Education ouvrière a tenté dans ce numéro d’examiner la questionavec recul et sobriété. La sécurité sociale est quelque chose de vital pourdes millions de personnes. C’est un sujet trop sérieux pour laisser l’idéo-logie ou la recherche du profit prendre le pas sur le bon sens et l’expérience.

N’oublions pas que la protection sociale n’est pas un luxe. Il s’agitd’un droit humain fondamental, repris d’ailleurs dans le Pacte interna-tional relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté en 1966par l’Assemblée générale des Nations Unies. Et, comme le souligne à justetitre l’un de nos auteurs, la protection sociale reste un des mandats fon-damentaux de l’Organisation internationale du Travail (OIT).

Trop de personnes sont aujourd’hui privées de ce droit fondamen-tal: plus de la moitié de la population mondiale vit hors de portée des sys-tèmes de protection sociale. La convention concernant la sécurité sociale(norme minimum), 1952 (no 102), n’a été ratifiée que par 40 pays.

La croissance de l’économie informelle, les leçons de la crise asia-tique, la transformation rapide des économies des pays en transition etl’expérience de l’ajustement structurel sont autant de repères qui témoi-gnent qu’à l’heure de la mondialisation le besoin de protection sociale n’ajamais été aussi grand et que, dès lors, il faut plutôt viser l’élargissementde la protection au plus grand nombre que son démantèlement.

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Editorial

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Enfin, il ne fait aucun doute que la sécurité sociale a contribué à unimportant progrès économique et social partout où elle s’est développée.

Tous ces points doivent être dans nos esprits lorsque nous évoquonsou discutons de l’avenir de la protection sociale. L’objectif du débat doitêtre d’examiner les voies et moyens d’assurer au plus grand nombre pos-sible de travailleurs et travailleuses une couverture sociale basée sur desprincipes de solidarité et de veiller à la couverture de besoins nouveaux,en particulier ceux dont la satisfaction permettrait de promouvoir l’éga-lité et d’éliminer des discriminations qui continuent de nos jours à affec-ter les femmes dans de nombreux pays.

Alors que la privatisation a parfois été présentée comme la panacée,rien ne prouve que des systèmes privés de protection sociale soient plusperformants que les systèmes de répartition. En fait, la plupart des auteursqui ont contribué à cette édition d’Education ouvrière doutent de la fiabi-lité des systèmes privés (sans pour autant minimiser les problèmes quiplanent sur l’avenir à long terme des systèmes publics). Et ils sont quasiunanimes à mettre en garde contre les dangers réels que poserait l’aban-don de la protection sociale aux caprices des marchés financiers.

Finalement, qu’ils soient publics ou privés, l’objectif des plans deprotection sociale doit rester la solidarité. Solidarité entre générations,entre bien-portants et malades, entre travailleurs dans l’emploi et tra-vailleurs privés d’emploi, etc. Cette solidarité constitue le meilleur parisur l’avenir de la protection et du progrès économique et social.

Il y a encore une autre raison qui doit conduire syndicats, em-ployeurs et gouvernements à se préoccuper de l’avenir de la protectionsociale: en évitant l’exclusion et la fracture sociales, rôle dévolu à la pro-tection sociale, celle-ci permet d’assurer la participation du plus grandnombre au processus politique, qui est au cœur de la démocratie. Unesociété protectrice et basée sur la solidarité doit rester une priorité pour cenouveau siècle. C’est à l’aune de cet engagement que se mesureront lesprogrès de la justice sociale et l’élargissement comme l’approfondissementde la démocratie.

Manuel SimónDirecteur

Bureau des Activités pour les Travailleurs (BIT)

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Le destin a voulu que le début du millénairesoit marqué par trois réunions d’une importancemajeure pour le développement économique etsocial. Les deux premières sont les forums mon-diaux qui se sont déroulés en janvier 2001, àsavoir le Forum économique de Davos (Suisse)et le Forum social de Porto Alegre (Brésil). Latroisième réunion est la 39e session de la Com-mission de développement social du Conseiléconomique et social des Nations Unies, qui aeu lieu en février 2001 à New York et dont lethème principal était «une protection socialeaccrue et une vulnérabilité moindre dans le pro-cessus actuel de mondialisation».

L’incorporation effective de la protectionsociale dans le processus actuel de mondiali-sation représente des défis importants pourtous, en particulier pour le système multilaté-ral dont la tâche est de proposer des initiativesavec des objectifs intégrés sur le plan écono-mique comme sur le plan social. La difficulté neréside évidemment pas dans la déterminationdes objectifs mais dans leur réalisation. Ces ini-tiatives doivent donc inclure des élémentsconcrets et efficaces de coordination interinsti-tutionnelle, c’est-à-dire l’élaboration de cadresanalytiques pour le développement de poli-tiques internationales et nationales, sans hégé-monie de l’une sur l’autre, mais avec un déve-loppement parallèle de ces politiques.

On doit cependant se demander commentdéfinir et proposer des éléments concrets alorsque tout un ensemble de mythes, d’utopies etde réalités gravite autour du thème de la mon-dialisation de l’économie et de ses implications

et ses relations avec le contexte social, et quetous ces mythes, utopies et réalités gravitent entel nombre et à une telle vitesse qu’il est diffi-cile de les distinguer les uns des autres. L’objetde cet article est donc d’en analyser certains àl’aube de ce troisième millénaire.

En premier lieu, je m’intéresserai aux mythes.Un des premiers mythes rencontrés est l’affir-mation selon laquelle le processus de mondia-lisation est quelque chose d’extrêmement«moderne», qu’il est inévitable et qu’il plongel’humanité tout entière dans une situation d’ex-pectative.

Quant à la notion de «modernité», il est inté-ressant de se pencher sur cette publicité d’unesociété leader en informatique, qui signalait:«Nous sommes indubitablement entrés dansune ère nouvelle, une étape postindustrielledans laquelle il est devenu décisif de savoir uti-liser au mieux l’information. Cette ère nouvellea pour nom “l’âge de l’information”.» Commeon le voit, cette publicité, datant de 1977,annonçait déjà l’avènement d’une nouvelle ère.

Le mythe de l’âge de l’information croisecelui de l’âge de la mondialisation et de la nou-velle économie. Quelle que soit la désignationqu’on lui donne, les défenseurs de ce nouvelâge lui attribuent déjà deux décennies, si bienqu’on ne peut continuer de le qualifier indéfi-niment de «nouvel âge». En conséquence, si onfait une évaluation provisoire, on ne peut res-treindre l’analyse à ce qui va se passer à l’ave-nir; il faut aussi examiner le passé, les tendancesperceptibles et les orientations qu’on peut leurdonner.

Le thème de l’auto-orientation et de l’auto-protection projetées vers l’avenir, ou celui d’undéveloppement évolutif basé sur la participa-tion, pose à son tour la question de l’aspect

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Vues d’ensemble

Mondialisation et protection sociale:mythes, utopies et réalités

Alejandro Bonilla García*

Coordinateur des politiques et de la recherche duSecteur de la protection sociale

BIT

«Et elle bouge malgré tout.»Copernic

* Les opinions exposées dans cet article sont personnelleset ne représentent pas nécessairement les vues du BIT. Lescommentaires et réactions sont à adresser à: [email protected].

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«inévitable» de la mondialisation en cours etd’une économie globale quelle qu’elle soit.

Dans un article récent publié en Espagne1,Mario Vargas Llosa fait une référence quelquepeu «malinchiste» 2. En tant que Latino-Améri-cain, il s’élève contre ce qui est selon lui un traitde l’histoire de l’Amérique latine: le rejet du réelet du possible au nom de l’imaginaire et la chi-mère, tout comme le rejet des risques représen-tés dans le domaine social par la «réalité». Var-gas Llosa établit une similitude élégante entrele caractère absurde de la résistance à la forcede gravité et le processus de mondialisation, etil déplore le rôle joué par les prétendus oppo-sants à cette mondialisation, qu’il dénomme les«résistants» («quiebraquilos») de notre temps3.

Un processus de mondialisation qui n’estpas si nouveau, les résultats observés jusqu’àmaintenant, les questions que l’on se pose par-tout dans le monde, comme par exemple lacomparaison de Vargas Llosa avec la loi de lagravité, tout ceci me rappelle inévitablementCopernic et la «réalité» cosmique de sonépoque. Copernic avançait que les différentesplanètes ainsi que la terre tournaient en orbiteautour du soleil, une théorie considérée commeinacceptable par la majorité de ses contempo-rains, qui pensaient dans leur grande majoritéque l’univers tout entier tournait autour de laterre4.

D’autres scientifiques, célèbres ou ano-nymes5, se rallièrent à Copernic. Tous avec desidées justes et des idées fausses sur la gravita-tion dont parle Vargas Llosa. Tous avec unevision et une interprétation différentes de la«réalité» de l’univers. Je suis sûr que tous ontété traités à un moment ou un autre de «résis-tants» pour leur recherche assidue d’une «autreréalité». Le «silence des agneaux», c’est-à-direle refus de la dynamique même d’une réalitéchangeante, n’a jamais été facteur de change-ment. Einstein par exemple avait une telleconscience de ses erreurs et de la nécessité deles assumer et de tenter de les dépasser que, endécembre 1915, il disait de lui-même: «L’amiEinstein se prépare toujours à rétracter sesécrits de l’année passée.» Quelques sièclesaprès Copernic, Einstein parvint heureusementà rédiger sa version finale de la relativité géné-rale qui, depuis, est régulièrement révisée etaméliorée.

Ne faudrait-il pas reconnaître que la mon-dialisation n’en est qu’à ses débuts, et que saforme actuelle et la perception que nous enavons peut et doit changer avec le temps, enfonction des idées justes et fausses qu’elle véhi-cule et de ses carences inévitables? Les ques-

tions sur la structure, les perspectives et lesrésultats provisoires de la mondialisation fontpartie de la réalité, et il faut en tenir compte àl’heure de la mise en place d’une mondialisa-tion acceptable et acceptée par la majorité, parle biais du dialogue et de la participation démo-cratique.

Le second mythe, à savoir la guerre entre leNord et le Sud, peut lui aussi être considérécomme un mythe de notre époque. Au Nordcomme au Sud existent des groupes prônantdifférents types de mondialisation et diffé-rentes visions, ainsi que des groupes hostiles àquelque mondialisation que ce soit ou bien trèsfavorables à celle-ci. Le «village mondial»n’existe pas pour le moment. Par contre il existedes archipels ayant une identité mondiale oudes intérêts mondiaux.

Pour leur majorité, les entreprises et les acti-vités à caractère légal et illégal qui réussissentdans la nouvelle économie mondiale ont desramifications au Nord comme au Sud. Il s’en-suit de nombreuses interdépendances, légaleset illégales, que ce soit pour des biens de pre-mière nécessité ou pour des biens inutiles oubien nocifs comme la drogue.

Qui peut représenter le Nord et qui peutreprésenter le Sud si, dans chaque groupe, ontrouve des gens prônant différents types demondialisation? Le jeu démocratique des diffé-rents pays du Nord et du Sud influera inévita-blement sur la recherche permanente d’unenouvelle mondialisation pour l’avenir procheet lointain. Les manifestations nationales etinternationales en faveur et contre les différentstypes de mondialisation font partie de larecherche et de l’évolution naturelle. Cetterecherche doit cependant progresser et s’inten-sifier avec le temps. Pour constructive qu’ellesoit, la critique ne peut être permanente. Il estindispensable de formuler des propositionsconcrètes, viables et acceptées démocratique-ment. Celles-ci existent et je présenterai plusloin les grandes lignes des propositions de l’Or-ganisation internationale du Travail dans cedomaine. Mais je souhaiterais auparavant ter-miner l’analyse des mythes en vigueur et pré-senter aussi mes réflexions sur les utopies.

Le mythe auquel je me réfère maintenant esten fait le double reflet d’une seule image, cellede la garantie. D’un côté l’image de la garantiedu succès, qui est celle du «succès assuré», etde l’autre l’image de la garantie de l’échec, cellede l’«échec annoncé».

Pour aborder le double mythe de la garan-tie du succès et de l’échec, je ne résiste pas àl’envie de faire référence aux Jeux olympiques.

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Chaque fois que je les regarde à la télévision, jene peux m’empêcher de penser aux trois pre-miers qui reçoivent tous les lauriers, quand cen’est pas la gloire éternelle. Ce sont ceux quiarrivent au but, qui sautent le plus haut ou quisont les plus forts. Peu importe si on a décelétrès tôt chez le ou la lauréat(e) des aptitudesparticulières, si celui ou celle-ci a bénéficiéd’une bourse significative, d’entraîneurs spé-cialisés, d’installations pourvues des dernierséquipements, d’une alimentation adéquate etd’un soutien stimulant. Le point de départ etd’arrivée est le même pour le ou la lauréat(e) etle participant qui s’est entraîné en cachette dansun édifice en ruines, seul et avec une mauvaisealimentation. L’important est le succès ou larécompense. En contraste, les Jeux olympiqueslaissent toujours de côté une majorité qui, bienque s’étant totalement investie dans ces jeux, seretrouve perdante. Il ne reste le plus souventaux perdants qu’à se consoler avec la satisfac-tion d’avoir tenté les Jeux et d’y avoir participé.

A voir les Jeux olympiques à la télévision, jene peux pas non plus m’empêcher de penseraux millions de spectateurs, et aussi aux non-spectateurs. Les spectateurs ont une vision«médiatisée» de la réalité. Les non-spectateursn’ont aucune vision de la réalité par manque demoyens. Il existe des millions et des millions depersonnes de par le monde qui peuvent être des«résistants involontaires» parce qu’ils n’ont pasde moyens de communication à leur disposi-tion. Il en existe d’autres qui peuvent être des«moutons involontaires» parce qu’ils ne sontpas en mesure d’établir la différence entre le faitde voir et le fait de comprendre la réalité média-tisée.

Divers pays avec des points de départ dif-férents mais des points d’arrivée semblablesfont face à l’inévitable concurrence inhérente àla mondialisation et aux différentes perceptionsde la réalité. Les lauriers et la gloire éternellesemblent cependant leur échapper à tous. Iln’existe pas d’optimisme ni de pessimismedurable. Les bonnes nouvelles et les succèsd’une journée sont effacés par les mauvaisesnouvelles de la journée suivante, et de grosefforts peuvent être gommés par le manque deperspectives adéquates: on peut oublier unmardi noir à cause d’un vendredi très satisfai-sant, et vice versa.

Au moment précis où le monde se vantaitdu dynamisme de l’économie mondiale et del’absence de crise, les perspectives écono-miques de pratiquement tous les pays dumonde sont en cours de révision à la baisse. Lesquestions se multiplient de manière légitime

devant la réalité et les perspectives. La mon-dialisation actuelle peut-elle donner des résul-tats? Que reste-t-il en fait des années de crois-sance solide et durable des principales écono-mies mondiales? Les bonnes années sont-ellesdes souvenirs du passé? Comment sera l’ave-nir, facile ou difficile? Quelles seront les réper-cussions sur les niveaux de vie de ceux qui ontbénéficié de cette période de croissance? Et, pireencore, quelle sera la situation de tous ceux quin’en ont pas bénéficié? Quelle est la réalité desperspectives les meilleures et les pires? Quelleest la perspective d’une «meilleure» réalité?Quel sont les risques et conséquences d’uneréalité «pire»?

Sans aucun doute, la vision de l’avenir estmaintenant différente de ce qu’elle a été. Ilsemble que la seule chose dont on soit sûr àl’heure actuelle soit l’incertitude à l’égard de cetavenir. Ce qui a fonctionné pour les uns par lepassé peut ne pas fonctionner pour les autres àl’avenir. A une époque, les pays moins déve-loppés ont pensé que le succès et le développe-ment leur seraient garantis s’ils suivaient lestraces des pays plus développés. Le dévelop-pement était perçu comme une ligne imaginaireatteinte par les uns avant les autres, mais laligne était la même pour tous. Les pays moinsdéveloppés se voient maintenant obligés dechercher leur propre voie, en ne suivant surtoutpas la voie qui a permis la croissance d’autrespays à la recherche du succès. Comme le disaitAntonio Machado: «marche où il n’y a pas dechemin, le chemin se fait en marchant» (mais nesuis pas le chemin que j’ai suivi).

En ce qui concerne les pays actuellement lesplus développés, leur développement est dû àune combinaison de processus économiques etsociaux qui comprenaient notamment une poli-tique de promotion économique dans laquelleétaient savamment dosés une protection pru-dente et sélective, une libéralisation du com-merce, un rôle clair de la part de l’Etat, une pro-motion de la participation démocratique desagents économiques et sociaux, et le dévelop-pement de systèmes de protection sociale. Lespays développés conseillent aux pays moinsdéveloppés de ne pas suivre les politiques etstratégies ayant permis leur propre succès. A cesujet, l’argument qui revient le plus fréquem-ment est qu’à l’époque l’économie n’était pasrégie par une logique de mondialisation. Unautre argument revient très fréquemment chezles pays développés qui, aujourd’hui, ne res-pectent pas les recommandations générales àl’égard des pays moins développés, en particu-lier celles qui sont relatives à l’ouverture des

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marchés: c’est la crainte que le niveau de déve-loppement auquel ils sont arrivés ne soit de cefait compromis.

A la recherche de leur propre voie vers lesuccès, quelques pays moins développés pour-raient se trouver face à un paradoxe démocra-tico-mathématique et à une concurrencerenouvelée avec de nouveaux acteurs de poids.Un élément connu dans la théorie des systèmesest que l’optimisation des parties n’impliquepas nécessairement l’optimisation de l’en-semble. Tout comme dans les systèmes mathé-matiques il existe des «degrés de liberté» pourchercher des solutions, il faut se poser les ques-tions suivantes: quels sont les degrés de libertédes entreprises mondiales non viables? Quellessont les possibilités de démocratie dans les paysqui ne la pratiquent pas ou dont l’organisationdésuète n’est plus conforme à la logique mon-diale? Existe-t-il un autre choix de mondialisa-tion qui profite à tous ou subsistera-t-il toujoursun mélange hybride de pays et d’entreprisesgagnants et perdants? Une mondialisationdans laquelle tout le monde gagne est-elle uneutopie ou un oxymoron6, ou bien est-ce chosepossible?

A mon avis, il n’est pas utile de beaucoupargumenter pour confirmer que la mondialisa-tion réussie pour tous est déjà un oxymoron. Ilest évident qu’à l’heure actuelle tous ne gagnentpas, et que ceci n’est ni acceptable, ni acceptépar tous. Une mondialisation basée sur l’exclu-sion est un oxymoron et doit nécessairementévoluer pour se convertir au moins en une uto-pie ou une chose possible.

Les défenseurs de la mondialisation à toutprix paraissaient soutenir une certaine «e-uto-pie» selon laquelle l’existence de laissés-pour-compte permet aux autres d’atteindre desniveaux de développement plus avancés. Deleur côté, les opposants à toute mondialisationparaissent soutenir une «contre-e-utopie» selonlaquelle aucun élément de la mondialisationactuelle ne doit être retenu pour accéder à unniveau de développement plus avancé.

En vertu de la réalité contemporaine de lamondialisation avec ses qualités et ses défauts,du fait de la réalité de l’influence et du pouvoirde ses promoteurs, étant donné la nécessité deson acceptation par la majorité dans un contextedémocratique, il est nécessaire d’éliminer lanouvelle bipolarité d’utopies apparemmentirréconciliables et d’imaginer de nouveauxconcepts et stratégies conduisant à une mon-dialisation dynamique, intégrale, efficace dupoint de vue économique et basée sur l’équitésociale et le respect du milieu de travail.

De Copernic à Einstein, le chemin a été pavéde beaucoup d’erreurs, beaucoup de décou-vertes, beaucoup de transpiration et beaucoupd’imagination. Pour mieux comprendre etexpliquer les équilibres et déséquilibres auniveau micro- et macrospatial, on a dû trouverun élément constant auquel se référer, à savoirla vitesse de la lumière. De manière similaire,la mondialisation requiert un ensemble d’élé-ments et de valeurs constantes permettant àtous d’avancer et de se développer.

Suite aux «résistants» supposés et aux«moutons» supposés situés aux deux extrémi-tés du spectre de la mondialisation, on devraitvoir apparaître ou réapparaître avec force eténergie une génération effectivement réalistequi considère le dialogue comme un des élé-ments moteurs de la stabilité économique etsociale. Préalablement à l’ouverture des mar-chés et au développement économique, il fautaussi une ouverture des mentalités et une véri-table volonté d’assumer les différences depoints de vue et d’intérêts, et de proposer desalternatives fondées sur des intérêts partagéspar tous, sans exclusion. L’évidence montretous les jours un peu plus que la mondialisa-tion actuelle contribue à l’augmentation desinégalités entre les pays plus développés etles pays moins développés. Pareillement, lesinégalités se sont accrues aussi bien au sein despays développés qu’au sein des pays moinsdéveloppés. L’exclusion ne fait pas bon ménageavec la démocratie et elle est certainement lapire ennemie d’une mondialisation efficace àl’échelle planétaire.

Un des éléments les plus touchés par lamondialisation actuelle est sans aucun doute latransformation rapide du monde du travail. Letravail informel est la forme de travail la plusdynamique au niveau mondial. Son dyna-misme est le seul à concurrencer et sans doutesurpasser le dynamisme de l’économie baséesur le crime: vols, agressions, séquestrations,crimes de plus ou moins grande envergure etcomplexité, trafic de drogue, blanchiment d’ar-gent sale et corruption sous toutes ses formes.Il n’est donc étonnant pour personne que le sen-timent d’insécurité soit en hausse.

En ce qui concerne le travail «formel», l’aug-mentation de la concurrence au niveau mondiala entraîné de nombreuses disparitions de postesainsi que la création de nouvelles modalités detravail dans lesquelles on n’a pas cherché à neu-traliser, compenser ou comprendre ce phéno-mène. La mondialisation actuelle a mis enlumière les conséquences graves entraînées parle fait que la protection sociale ait été négligée.

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Il existe indubitablement une corrélationentre, d’une part, l’insécurité et, d’autre part, laquantité et la qualité du travail disponible etaccessible à la majorité. Une baisse de travailentraîne une baisse des charges sociales et ducoût de la protection sociale, mais aussi unebaisse dans le nombre de consommateurs. Quiconsommera les produits de la mondialisationactuelle ou future, qu’ils soient nationaux etinternationaux? Qui aura les moyens d’épar-gner et de promouvoir les financements etdéveloppements futurs? Comment résister àl’économie basée sur le crime, si les autresformes d’économies ne peuvent même passatisfaire les besoins vitaux?

Une démocratie effective et un dialogueconstructif sont sans aucun doute des élémentsfondamentaux pour la mondialisation dedemain. Le travail est le fil conducteur continuqui permettrait de passer de la mondialisationactuelle à une nouvelle mondialisation plusmûre et durable. Il est évident que, pouratteindre cet objectif unificateur, il ne faut paspromouvoir n’importe quelle forme de travail,avec les résultats catastrophiques que celaimpliquerait. Il ne s’agit pas simplement decréer des postes de travail, mais de s’assurer dela qualité de ces postes. Il importe de ne pas dis-socier la quantité d’emplois de leur qualité. Letravail doit permettre d’assurer les ressourcesnécessaires pour le logement, la nourriture,l’éducation, la protection sociale, ainsi que desrevenus conformes à la liberté, l’égalité, la sécu-rité et la dignité humaine.

Le travail requis par la mondialisationactuelle et future doit viser le respect universeldes principes et droits fondamentaux du tra-vail, créer des emplois plus nombreux et demeilleure qualité pour les femmes et leshommes, améliorer la qualité et élargir la cou-verture des systèmes de protection sociale, etpromouvoir le dialogue social. L’OIT a synthé-tisé le travail à faire en créant le concept de «Tra-vail décent», qui constitue le tronc commun deson programme et de ses objectifs stratégiques.

Il est évident que l’imagination est un pro-cessus antérieur à la création et que, pour pas-ser de l’idée à l’acte, il faut en premier lieu uncompromis important. On dit aussi qu’il n’y apas de vent favorable pour celui qui ne sait pasoù il va. Les entités de l’OIT – organisationsd’employeurs, organisations de travailleurs etgouvernements – ont offert un soutien total à lapromotion du Travail décent en tant que stra-tégie pour le développement.

La protection sociale est un élément fonda-mental du concept de Travail décent et elle a

des liens avec les objectifs de dialogue social, lapromotion de l’emploi et le respect des droitsfondamentaux des travailleurs. Pour confirmerceci, il faut tenir compte du fait que plus de lamoitié des conventions adoptées par l’OIT seréfèrent à la protection sociale. Une protectionsociale adéquate est par conséquent un élémentfondamental de la viabilité et de l’acceptationde la mondialisation économique. De plus, lapossibilité de procurer une protection socialeadéquate à la majorité de la population requiertune économie mondiale prospère.

Outre ses réussites dans le champ purementéconomique, il faudrait que toute mondialisa-tion visant le succès et l’acceptation généralecorrige l’énorme retard observé en matière deprotection sociale.

Pour sa plus grande partie, la populationmondiale ne dispose pas d’une protectionsociale adéquate. Il faut inclure dans les straté-gies nationales, régionales et internationales lanécessité d’améliorer et élargir la couverturedes systèmes de protection sociale sous toutesses formes: sécurité de revenu, santé et sécuritédu travail, conditions de travail et d’environ-nement, santé de la famille, retraites et pen-sions. Il est indispensable d’accorder la prioritéà l’égalité entre les sexes, de faire en sortequ’elle soit effective et de mettre en place desprocessus adéquats pour répondre à des ques-tions récentes comme les migrations interna-tionales ou l’épidémie du sida.

Les réponses à la nécessité d’un Travaildécent et d’une protection sociale pour tous nesont pas toutes à portée de la main. Pour l’ins-tant, la liste de questions est encore plus longueque celle des réponses, mais on doit sans aucundoute continuer d’étudier, discuter et proposerdes alternatives innovant à tous les niveaux:individuel, familial, communautaire, local,national, et ceci avec le secteur privé national etinternational, les organisations de travailleurs,la société civile et la communauté internatio-nale. Il est possible que les nouvelles alterna-tives et propositions incluent des éléments etdes combinaisons de réformes – renforcementdes systèmes de protection sociale, microassu-rance sociale, réassurance sociale, réseaux deprotection sociale, de sécurité et de conditionsde vie dans les nouveaux environnements detravail – le tout étant soutenu par une gestionefficace et démocratique de tous ces risquessociaux, qui sont nouveaux et changeants.

Tout comme les Aztèques qui sacrifiaientdes jeunes filles pour satisfaire les dieux, lesdéfenseurs de la mondialisation pensaient quela viabilité de celle-ci passait par la nécessité de

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sacrifier le contexte social, particulièrement laprotection sociale. Parallèlement, les défen-seurs du contexte social pensaient que le fait desacrifier la mondialisation permettrait de satis-faire les aspirations sociales.

La réalité du début de ce nouveau millénaireest que le social et l’économique sont néces-saires l’un à l’autre, qu’ils s’appuient l’un surl’autre et qu’ils sont unis comme des frères sia-mois pour une survie, un développement etune viabilité mutuelles. Ceci est fort bienrésumé dans cette phrase de l’OIT:

«Si vous prônez la mondialisation, promouvezun travail décent et la protection sociale pour tous.Si vous prônez un travail décent et la protectionsociale pour tous, promouvez la mondialisation.»

Notes

1 Mario Vargas Llosa, dans: El País (Espagne) no 1737 du3 février 2001.

2 En référence à Malinche, compagne, traductrice etconseillère de Hernán Cortéz.

3 En référence au soulèvement (violent) des «quiebraqui-los», nom donné à ceux qui, à la fin du XIXe siècle au Brésil,se rebellèrent contre le système métrique décimal. La traduc-tion littérale de «quiebraquilos» est: «casseurs de kilos». Etantdonné le contexte, ce terme est traduit ici par «résistants».

4 Il faut souligner que, si Copernic était certain de l’exis-tence des orbites, il n’était pas certain de leur forme: il pen-sait qu’elles étaient circulaires et non en ellipse comme ellesle sont en réalité.

5 Entre autres Galilée, Euler, Newton, Lagrange, Hamil-ton, Jacobi, Maxwell, Lorenz, Poincaré, Grossmann, Plancket Einstein.

6 Terme utilisé lors d’une intervention au Forum socialmondial de Porto Alegre (Brésil) les 25-30 janvier 2001.

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Les retraites sont au cœur du débat publicdans tout le monde industrialisé. Tous les payssont engagés dans un processus d’adaptation deleur système et cela depuis près de vingt ans.Malgré l’extrême diversité qui règne en matièrede conception et d’organisation des régimes, lesproblèmes se posent d’un pays à l’autre en destermes en définitive assez proches. Au-delà desspécificités nationales, qui s’expriment forte-ment dans ce domaine, on retrouve de nom-breuses similarités et en particulier deux pointscommuns. D’une part, les systèmes qui existentaujourd’hui ont tous été mis en place à la mêmeépoque, dans l’ensemble à la suite de la secondeguerre mondiale, et ils sont actuellement arrivésà maturité. Pendant leurs premières décenniesd’existence, ils ont connu une période de mon-tée en charge, c’est-à-dire des conditions parti-culièrement favorables pour leur gestion dansla mesure où il y avait alors relativement peu deprestations à verser par rapport au flux de coti-sations perçues. Cette période est révolue et l’onpeut considérer que l’on est maintenant dupoint de vue des retraites dans une situationstable. D’autre part, dans tous les pays indus-trialisés, les systèmes de retraite sont depuisplusieurs années confrontés à la même nécessitéde s’adapter à un contexte totalement différentde celui qui prévalait lors de leur création. Cechangement complet de contexte renvoie àdivers aspects, notamment aux transformationsaffectant le marché du travail, l’organisation del’économie, la démographie, l’espérance de vie,les structures familiales, les rapports hommes-femmes… En outre, du fait même de leur exis-tence, les systèmes ont créé de nouvelles pers-pectives pour l’après-travail et de fortes attentesparmi les salariés vis-à-vis de la retraite.

Il est aujourd’hui partout clair qu’il n’y a pasde solution simple aux difficultés auxquellesont à faire face tous les systèmes de retraite.

Quels que soient le mode d’organisation et lescaractéristiques des régimes, le problème sepose dans les mêmes termes. Que ceux-ci ver-sent une pension forfaitaire, comme auRoyaume-Uni, aux Pays-Bas ou au Japon, unepension proportionnelle au salaire, comme auxEtats-Unis, en Allemagne, en France ou enEspagne, ou encore une pension fonction ducumul des cotisations, comme dans les nou-veaux systèmes mis en place en Italie et enSuède, ils sont confrontés à la même contraintetechnique. Il s’agit toujours d’équilibrer sur lelong terme les ressources et les dépenses pourgarantir la pérennité des engagements à traversle temps. Tous les pays ont joué sur un éventailde mesures pour assurer cet équilibre: l’aug-mentation des cotisations, l’extension dessources de financement, la modification desrègles de calcul et d’indexation des pensions, lerecul de l’âge de la retraite ou l’allongement dela durée de cotisation. Cet aspect des réformesa souvent été décrit et il est dans l’ensemblebien connu (pour un panorama complet sur lesretraites voir Gillion et al., 2000). En revanche,les questions ayant trait aux modalités de laprise de décision et au cheminement lui-mêmequi a conduit à l’adoption des réformes restentgénéralement dans l’ombre (on peut toutefoisse référer à Chronique internationale de l’IRES,1997; Reynaud, 1999; Brooks et James, 1999;Palier et Bonoli, 2000; Myles et Pierson, àparaître). Il s’agit pourtant d’une dimensionfondamentale du processus de réforme.

De ce point de vue, une première constata-tion s’impose. Les mesures prises au cours desdernières années dans les pays industrialisés enmatière de retraites ne relèvent que très rare-ment d’une décision unilatérale du législateur.Elles ont été dans la très grande majorité des casadoptées en faisant intervenir diverses formesde consultation, de négociation et de débat

Vues d’ensemble

La concertation sociale dans le domainedes retraites: l’expérience des pays industrialisés

Emmanuel ReynaudService Politiques et développement de la sécurité sociale

Bureau international du Travail

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public. Ces mécanismes de concertation, mis enplace dans des conditions différentes selon lespays, ont constitué un élément essentiel des pro-cessus d’adaptation des systèmes de retraite.Dans certains pays, comme la France, les Pays-Bas ou la Suède, il existe même, parallèlementaux régimes légaux de sécurité sociale, une ges-tion négociée des retraites par les partenairessociaux au niveau national dans le cadre degrands régimes complémentaires issus deconventions collectives (sur le cas français, voirReynaud, 1997b).

D’une manière générale, l’exemple des paysindustrialisés montre bien que chacun, dansdes contextes institutionnels variés et à partirde traditions très différenciées, a mis en placedes procédures et des organes de consultationqui permettent de faire participer différentsacteurs à la formation de la décision politiquedans le domaine des retraites. Dans une pers-pective comparative, trois points caractéris-tiques du processus de réforme peuvent êtremis en évidence et ce sont ces trois points quel’on abordera successivement. Tout d’abord, ils’est manifesté dans la plupart des pays unevolonté de dégager un consensus sur la réformedes retraites. Ensuite, deux questions ont été aucœur des débats: d’une part, la conception dessystèmes en matière d’équité et de redistribu-tion et, d’autre part, la durée de la période detransition lors du passage à un nouveau sys-tème. Enfin, il est apparu que, au-delà desréformes ponctuelles, il est essentiel de dispo-ser de mécanismes de suivi et de pilotage dessystèmes.

Recherche d’un consensus

Dans l’ensemble, la plupart des pays ontmanifesté une volonté marquée de dégager unconsensus entre les diverses forces politiques etsociales sur les retraites. Les retraites constituenten fait un domaine bien particulier dans le cadredes démocraties contemporaines. Elles sont toutd’abord un élément majeur de la sécurité que lessociétés industrielles assurent à leurs membres,mais elles incarnent aussi de façon essentielle laquestion du temps. Les engagements en matièrede retraites portent sur de nombreuses années– jusqu’à 60, voire 70 ans ou plus – et la péren-nité des systèmes doit impérativement êtregarantie sur le très long terme. Il y a par consé-quent confrontation entre cette logique de longterme des systèmes de retraite et celle de l’al-ternance politique de relativement court terme,propre à la démocratie parlementaire.

On a ainsi vu, en matière de retraites, semettre en place dans la plupart des pays un cer-tain nombre de procédures et des pratiques quel’on peut qualifier d’«exceptionnelles». Dans denombreux cas, majorité et opposition se sontmises d’accord sur la politique à mener enmatière de retraites. La Suède est à ce titre toutà fait exemplaire (voir Wadensjö, 1999). En effet,elle a adopté en juin 1998 une réforme profondequi est le produit d’une longue démarche aucours de laquelle les principaux partis se sontretrouvés sur des positions communes. C’estune commission composée de représentants detous les partis représentés au parlement qui, enmars 1994, a proposé une refonte complète dusystème; proposition défendue par les quatrepartis alors au pouvoir et par le principal partid’opposition, le Parti social-démocrate. A par-tir de cette proposition, le gouvernement libé-ral-conservateur a formulé les principes géné-raux de la réforme qui ont été adoptés par leparlement en juin 1994. Un groupe de travail aalors été constitué avec les partis représentés auparlement et favorables à la réforme pour tra-duire ces principes généraux en proposition deloi. En septembre 1994, à la suite d’un change-ment de majorité, le Parti social-démocrate estrevenu au pouvoir, mais cela n’a pas profondé-ment affecté le processus de réforme. La com-position du groupe de travail parlementairechargé d’élaborer les propositions de loi n’a enparticulier pas été modifiée. Parallèlement, undébat interne au Parti social-démocrate, au seinduquel une opposition s’est manifestée sur cer-tains aspects du projet, a conduit à de nouvellesnégociations entre les cinq partis soutenant laréforme. C’est en définitive au printemps 1998que la proposition de nouveau système a étéprésentée au parlement qui l’a adoptée en juin1998.

En Espagne, il s’est manifesté dans le cou-rant des années 90 une volonté comparabled’aboutir à un consensus entre les principalesforces politiques (voir Lagares Pérez, 1999).Face à la situation préoccupante du système deretraite et compte tenu des difficultés rencon-trées pour le réformer, le parlement a décidé enfévrier 1994 de constituer en son sein un groupede travail composé de représentants de tous lesgroupes parlementaires. Les travaux de cegroupe ont débouché, un an plus tard, enfévrier 1995, sur la conclusion d’un accord poli-tique entre tous les partis, accord qualifié de«pacte de Tolède». L’objectif visé était de conso-lider le système de retraite existant et d’éviterque celui-ci ne devienne un enjeu et ne soit uti-lisé par les partis en périodes électorales. On

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peut également citer l’exemple des Etats-Unisoù, en 1983, la réforme du régime de retraitenational a été le fruit d’un accord tout à faitinhabituel entre républicains et démocrates.

L’Allemagne fournit un contre-exemple surce point. Il y existe pourtant une longue tradi-tion de recherche de consensus, notamment enmatière de retraites. Une rupture avec cette tra-dition a été opérée récemment et cette excep-tion vient en quelque sorte confirmer la règleet illustrer les difficultés pouvant résulter dedécisions prises de manière unilatérale. En1997, le dernier gouvernement Kohl a imposésa réforme malgré l’opposition des sociaux-démocrates et des syndicats. Ce passage enforce a certainement eu une influence sur lesélections et a très probablement contribué à ladéfaite des démocrates-chrétiens en 1998. A lasuite du changement de majorité, le nouveaugouvernement a finalement remis en cause lalégislation précédemment adoptée. Depuis, lesfils de la réforme ont été renoués sur la base,dans un premier temps, d’un accord entresociaux-démocrates et Verts, puis de l’élargis-sement de la discussion aux autres forces poli-tiques et sociales.

Cette volonté de trouver un compromis etd’aboutir à un consensus se traduit égalementsouvent par une forte implication des parte-naires sociaux, en particulier des syndicats. Lecas espagnol illustre bien ce phénomène. Aprèsla conclusion du pacte de Tolède entre lesgroupes parlementaires, le gouvernement anégocié directement un accord avec les deuxgrandes confédérations syndicales, les Com-missions ouvrières (CC.OO) et l’Union géné-rale des Travailleurs (UGT). Il s’agissait à tra-vers cet accord, dit «accord de consolidation»,de prolonger sur le plan social l’accord obtenusur le plan politique entre les partis. Lesemployeurs, réservés quant à la viabilité finan-cière du pacte de Tolède, n’ont pas voulu s’as-socier à la démarche. Le gouvernement aensuite présenté au parlement un projet de loitraduisant les principes généraux formulésdans le pacte de Tolède et dans l’accord deconsolidation conclu avec les organisationssyndicales. Ce projet de loi a été adopté enjuillet 1997.

On retrouve une démarche similaire en Ita-lie où, comme en Suède, a été réalisée uneréforme profonde du système de retraite (voirAntichi et Pizzuti, 1999; Reynaud et Hege,1996). En 1994, après une première réforme réa-lisée en 1992 par le gouvernement Amato dansun contexte de crise monétaire, le gouverne-ment Berlusconi a tenté de faire passer un train

de mesures malgré l’opposition des syndicats.Cela a provoqué un conflit social majeur enoctobre et novembre 1994. A la suite de grèvesdéclenchées dans plusieurs villes, les syndicatsont appelé à une grève générale d’une journéequi a rencontré un succès sans précédentdepuis de nombreuses années. La mobilisationcontre le projet s’est ensuite amplifiée et elle anotamment donné lieu à une manifestationparticulièrement imposante à Rome. Sous lamenace d’une nouvelle grève générale, le gou-vernement a finalement conclu avec les syndi-cats un accord vidant le projet initial de sesprincipales mesures. Le gouvernement sui-vant, celui de Lamberto Dini, a choisi de négo-cier directement le contenu de la réforme avecles trois confédérations syndicales (CGIL, CISLet UIL). Puis il a présenté et fait adopter au par-lement un projet de loi reprenant les termes del’accord conclu avec les organisations syndi-cales.

Par ailleurs, l’Autriche fournit également unbon exemple de participation syndicale au pro-cessus d’élaboration de la réforme. La réformede 1997 a été le produit d’une négociation pro-longée entre gouvernement et syndicats, ce qui,dans le cas autrichien, a jusqu’à ces dernierstemps constitué une démarche classique allantbien au-delà du domaine des retraites.

Dans ce contexte général où prévaut large-ment la volonté de rechercher le consensus et lacontinuité, un pays fait figure de contre-exemple, le Royaume-Uni. L’alternance entretravaillistes et conservateurs depuis la fin de laseconde guerre mondiale y a régulièremententraîné des changements importants dans lapolitique des retraites. Dans l’ensemble, lavolonté de parvenir à un consensus sur lesretraites est très faible au Royaume-Uni. Legouvernement utilise la majorité dont il disposeau parlement pour faire passer ses proposi-tions. L’on a ainsi assisté, depuis les années 60,à ce que l’on peut appeler un «schéma d’alter-nance» (Davies, 1999, pp. 23 et 24): les projetsmis en avant ou introduits par un gouverne-ment étant systématiquement remis en causelors d’un changement de majorité. Et au coursde cette période, les syndicats ont invariable-ment apporté leur soutien aux travaillistes, tan-dis que les organisations d’employeurs ont leplus souvent – mais pas toujours – appuyé lespropositions des conservateurs. Les incerti-tudes et l’instabilité liées à un tel schéma nemanquent pas de soulever à la fois un problèmede confiance vis-à-vis de la pérennité des enga-gements pris et de cohérence d’ensemble dusystème de retraite national.

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Equité, redistributionet période de transition

Les débats sur les retraites sont profondé-ment marqués par les contextes nationaux, enparticulier par les caractéristiques des systèmesen place. Ceux-ci ont leur propre inertie et ilssont eux-mêmes l’expression de choix déjà opé-rés par les sociétés concernées. La comparaisoninternationale des processus de réforme de cesdernières années permet cependant de mettreen évidence deux questions essentielles qui seretrouvent dans les différents cadres nationaux:d’une part, la conception des systèmes enmatière de redistribution et d’équité et, d’autrepart, le caractère graduel de la transition versun nouveau système.

L’Italie, qui constitue, avec la Suède, le seulexemple parmi les pays industrialisés d’uneréforme profonde du système de retraite,illustre bien le caractère central de ces deuxquestions dans les débats (voir Reynaud,1997 a). Ainsi, un des éléments majeurs de laréforme italienne a consisté à rompre avec unelogique de différenciation sur une base clienté-liste et à rendre le système de retraite plus équi-table. Cette volonté d’équité, partagée par l’en-semble des acteurs, s’est pour l’essentieltraduite dans l’harmonisation des régimesappliqués aux différentes catégories profes-sionnelles et la suppression des mécanismes deredistribution fonctionnant à l’avantage desplus favorisés. La conception de l’équité surlaquelle s’est appuyée la réforme consiste à éta-blir une stricte proportionnalité entre les pres-tations et l’effort contributif. Les mécanismesde redistribution internes au système sont limi-tés et un dispositif d’assistance, totalement dis-socié du système assurantiel, a été instaurépour garantir une pension minimum sousconditions de ressources.

Cette conception de l’équité se traduit defaçon similaire dans la réforme du système sué-dois, mais de manière plus générale la tendancequi consiste à établir un lien plus direct entreles prestations et le montant des cotisations ver-sées se retrouve dans la plupart des réformesintroduites dans les pays industrialisés, notam-ment dans l’Union européenne. La question aucœur des débats concerne l’équilibre à trouverentre les prestations qui correspondent à unestricte logique de contrepartie et celles qui nesont pas la contrepartie de cotisations versées.Autrement dit, il s’agit de faire la part de ce quirelève de la contributivité et de ce qui participede la solidarité. Dans cette perspective se poseen particulier la question des périodes ou des

activités pour lesquelles accorder des «droitsgratuits»: chômage, maternité, métiers diffi-ciles, poursuite des études, prise en charge desenfants, soins aux personnes âgées ou aux inva-lides, etc. Cette démarche, qui produit de lavisibilité dans les transferts opérés, conduit àfaire des choix explicites en matière de redistri-bution et de justice. Ceux-ci concernent à la foisl’étendue et les formes de la solidarité à mettreen œuvre et la part respective de chacun desacteurs – travailleurs, employeurs, Etat… –dans la prise en charge financière de celle-ci.

L’autre élément clé dans les réformes estcelui de la période de transition entre l’ancienet le nouveau système. Le temps est une dimen-sion essentielle en matière de retraites. L’hori-zon temporel des régimes est le très long termeet l’introduction de réformes, surtout dans dessystèmes à maturité, ne peut se concevoir quesur un mode très graduel. La transition d’unancien système à un nouveau pose le problèmedes engagements pris et des droits acquis surlesquels, pour des raisons mêmes de crédibilité,il n’est pas concevable de revenir brutalement.En Italie, par exemple, il s’est agi d’un despoints principaux de la négociation entre legouvernement et les syndicats. Le problème aété réglé en opérant une distinction entre troispopulations de travailleurs: les nouveauxentrants sur le marché du travail, les tra-vailleurs ayant totalisé moins de 18 ans de coti-sations fin 1995 et les travailleurs comptant 18ans de cotisations ou plus à la même date. Lapremière catégorie se voit entièrement appli-quer le nouveau système. La deuxième relèvede l’ancien système pour les droits acquis jus-qu’à fin 1995 et du nouveau pour les droitsacquis à partir de 1996. Et la troisième resteentièrement dans l’ancien système.

De la même façon, la réforme suédoise pré-voit une introduction graduelle du nouveausystème, cela en fonction de l’année de nais-sance des affiliés. Les pensions des personnesnées en 1954 ou après sont entièrement baséessur le nouveau système. Celles des personnesnées entre 1935 et 1953 le sont sur les deux sys-tèmes à la fois: 19/20e sur l’ancien système et1/20e sur le nouveau pour les personnes néesen 1935; 18/20e et 2/20e pour celles nées en 1936,etc. En outre, pour les personnes à cheval surles deux systèmes, un mécanisme est prévupour garantir que les droits acquis avant 1995dans le nouveau système ne produiront pas unepension inférieure à un niveau donné (celui dela pension complémentaire qu’ils auraientacquis dans l’ancien système).

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Suivi et pilotage des systèmes

L’exemple des pays industrialisés montrepar ailleurs l’importance, au-delà des réformesponctuelles, des mécanismes de suivi des sys-tèmes. Dans un domaine aussi technique que lesretraites, il apparaît tout d’abord essentiel dedisposer de données crédibles, c’est-à-dire à lafois fiables et acceptées par les différents acteurs,en ce qui concerne la situation financière desrégimes et leurs perspectives d’évolution. Detelles données fournissent la base des discus-sions et des débats et permettent d’opérer, enconnaissance de cause, les choix politiquesparmi les différentes options possibles. La façondont cette fonction de connaissance techniqueest remplie varie d’un pays à l’autre. AuRoyaume-Uni, il s’agit par exemple d’une insti-tution indépendante au sein de la structure gou-vernementale, l’Actuaire du gouvernement etson service (Government Actuary’s Department).Aux Etats-Unis, le suivi financier relève de laresponsabilité du conseil d’administration descaisses de sécurité sociale (dans lesquelles doitêtre obligatoirement représenté le parti d’oppo-sition). En Allemagne, les chiffres sont produitspar des institutions dont la réputation garantitle sérieux: la Fédération des institutions d’assu-rance pension, l’Office fédéral des statistiques etla Banque fédérale. Les formules diffèrent selonles contextes nationaux, mais le point importantqui ressort des différents exemples est que lesdonnées techniques concernant les régimessoient disponibles et que leur crédibilité ne soitpas susceptible d’être mise en cause.

On retrouve dans la plupart des pays la ten-dance à la constitution d’organes consultatifs oude groupe de travail pour participer, soit à titrepermanent, soit de façon ponctuelle, au proces-sus de décision concernant les retraites. Danscertains pays, comme l’Allemagne, les Etats-Unis et le Japon, des conseils consultatifs fontmême partie intégrante des procédures de suiviet de révision périodique du système et celadepuis de nombreuses années. Le Japon est par-ticulièrement systématique dans sa démarche,la loi y prévoit en effet qu’un examen du sys-tème de retraite doit être obligatoirement prati-qué au moins tous les cinq ans. Sous des appel-lations diverses (Sozialbeirat en Allemagne,Advisory Board aux Etats-Unis, Nenkin Shingi-kai au Japon, Conseil d’orientation des retraitesen France…), là où ils existent, les conseilsconsultatifs ont une composition assez simi-laire: ils comprennent notamment des repré-sentants des organisations patronales et syndi-cales, des universitaires et des personnalités

compétentes. Dans un domaine complexe et trèstechnique tel que celui des retraites, ces conseilsconstituent un lieu d’examen du système etd’élaboration de compromis qui contribue à ladécision du législateur. Dans plusieurs pays, cesont des groupes de travail parlementaires quiont joué un rôle majeur dans le processus deréforme, cela en permettant la formation d’unconsensus sur un sujet potentiellement conflic-tuel. En Suède, on l’a vu, les propositions de loide réforme ont été élaborées par un groupeconstitué en 1994 par des représentants desquatre partis alors au pouvoir et du principalparti d’opposition, le Parti social-démocrate. Demême, en Espagne, ce sont les travaux d’ungroupe composé de représentants de tous lesgroupes parlementaires qui ont permis dedéboucher sur la conclusion du pacte de Tolède.

D’une manière générale, on constate que,parallèlement aux mécanismes institutionnali-sés, le débat sur les retraites est animé partoutde façon très diverse. Cela peut passer par lacréation de commissions ad hoc, la productionde multiples rapports et de livres blancs, l’or-ganisation de colloques ou de rencontres à l’ini-tiative du pouvoir politique… Dans l’ensemble,il apparaît que le débat sur les retraites tend àsortir très largement du cadre institutionnelhabituel. Il occupe un vaste espace du domainepublic et fait intervenir une multitude d’ac-teurs. Ce qui renvoie à la fois à l’importance età la complexité du thème que constituent lesretraites. Mais cela conduit également à s’in-terroger sur la notion même de réforme en lamatière. On tend souvent à évoquer la réformedes retraites, comme si une réforme pouvaitrégler le problème une fois pour toutes. En réa-lité, ce qui est en jeu n’est pas à proprementparler le besoin de réformer, mais bien la néces-sité de constamment piloter les systèmes deretraite, en fonction des évolutions les affectant,afin que soit garantie leur viabilité à long terme.

Régulièrement analysé en termes de «crise»,le processus actuel d’adaptation s’inscrit en faitdans la logique même de fonctionnement derégimes de retraite aujourd’hui arrivés à matu-rité. Le propre de ceux-ci est justement de pou-voir s’adapter et leur force réside dans cettecapacité d’adaptation qui permet d’assurer àtravers le temps la pérennité d’engagements àtrès long terme. Les systèmes de retraite consti-tuent, dans les démocraties industrielles, unmoyen privilégié pour opérer des choix concer-tés en matière de répartition des revenus et desécurité après la cessation d’activité profes-sionnelle. Ils sont également un instrument clépour la mise en œuvre d’un nouvel équilibre

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entre travail, loisirs et formation au cours de lavie. L’enjeu aujourd’hui est de se donner lesmoyens d’opérer ces choix collectifs. Si bien quela réforme des retraites renvoie finalement àune question plus vaste: celle de la démocratieet de son mode concret de fonctionnement dansles sociétés industrielles contemporaines.

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Dans le cadre du débat très controversé surla sécurité sociale, il peut être utile de rappelerqu’un des mandats principaux de l’Organisa-tion internationale du Travail est d’obtenir«l’extension des mesures de sécurité sociale envue d’assurer un revenu de base à tous ceux quiont besoin d’une telle protection ainsi que dessoins médicaux complets»1.

Il n’existe cependant aucun doute sur le faitque nombre de systèmes de protection socialeexistants sont soumis à de réelles pressions. Dansles collectivités équipées de systèmes de sécuritésociale qui fonctionnent, on se pose des ques-tions sur leur viabilité. Nombreuses sont aussiles collectivités non équipées de tels systèmes etdans lesquelles le besoin de réseaux de sécuritésociale se fait cruellement ressentir. On tentemaintenant des réformes remettant en questionle fait que certains régimes soient publics.

Lors de la discussion générale qui aura lieupendant la Conférence internationale du Travailde juin prochain, il est très probable que l’OIT etses mandants renforcent l’engagement pris desauvegarder, développer et renforcer le cadrenormatif basé sur des valeurs et principes uni-versels. Le défi n’est pas tant de savoir s’il fautou non «privatiser» la sécurité sociale, même sicertains voudront sans doute orienter le débatdans ce sens. Le défi concerne la modernisationet l’optimisation des systèmes, ce qui permettraitd’augmenter les prestations et d’élargir la cou-verture de celles-ci, et plus encore d’étendre cetteprotection au plus grand nombre de personnespossible. De l’avis de nombre de responsablessyndicaux et d’organisations syndicales, c’est làque réside la véritable question sur l’avenir de lasécurité sociale. Tout en se penchant sur lesdemandes de redéfinition du rôle de l’Etat dansle domaine de la santé, ils ont également l’inten-tion de défendre leur propre rôle en tant qu’in-terlocuteurs clés dans ce débat.

La protection socialeet la mondialisation

Avec la forte croissance de l’économie infor-melle, les leçons tirées de la crise asiatique et latransformation rapide des économies des paysde transition, la mondialisation requiert un ren-forcement du secteur social, et non son affai-blissement. Plus de la moitié de la populationmondiale est toutefois privée de quelque sys-tème de sécurité sociale que ce soit. En Afriquesud-saharienne et en Asie du Sud, le niveau deprotection se situe entre 5 pour cent et 10 pourcent de la population active et il est en diminu-tion. En Inde, par exemple, au milieu des années90, 10 pour cent seulement de la populationactive travaillait dans le secteur formel et dis-posait d’un régime de sécurité sociale. Ce pour-centage était de 13 pour cent dix ans auparavant.En Amérique latine, le taux de couverture va de10 pour cent à 80 pour cent, et ce taux stagne.

En Asie du Sud-Est, l’écart est grand selon lespays puisque le taux varie de 10 pour cent à100 pour cent. Grâce aux leçons tirées de la criseasiatique, ces chiffres sont à la hausse. Dans lespays en transition d’Europe orientale, le pour-centage va de 50 pour cent à 80 pour cent, alorsque dans la plupart des pays industrialisés cechiffre atteint pratiquement 100 pour cent. «Lefait d’éviter l’exclusion et l’aliénation est impor-tant non seulement pour des raisons sociales etéconomiques évidentes, mais aussi pour garan-tir qu’il n’y a pas affaiblissement de la participa-tion dans le processus politique, un facteur quiest vital pour la démocratie», souligne la Confé-dération internationale des syndicats libres(CISL) dans un rapport publié l’année dernière2.

Des programmes d’ajustement structurelont laissé des pans entiers de la population sanssécurité sociale, et il existe le danger omnipré-sent de l’effondrement des mécanismes de sou-

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Vues d’ensemble

Un engagement accruvers une sécurité sociale universelle

Mohsen Ben ChibaniSpécialiste en sécurité sociale

Confédération internationale des syndicats libres (CISL)

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pour l’étude de la crise du système de sécuritésociale de l’Afrique francophone, toute analysequi considérerait uniquement le rôle douteuxjoué de temps à autre par les gouvernements nedonnerait qu’une vision incomplète du sujet.

Comme mentionné plus haut, en Afriquefrancophone, le système de sécurité sociale necouvre aujourd’hui que 10 pour cent de lapopulation active. Les personnes n’apparte-nant pas au secteur formel en sont exclues et lesprestations sont limitées aux allocations fami-liales et aux retraites.

«Les risques identifiés par la conventionno 102 de l’Organisation internationale du Tra-vail (OIT) sont au nombre de neuf (voir enca-dré). Dans le meilleur des cas, la plupart despays africains francophones n’en couvrent quesix», écrit Albertine Bankole, administratricepour les questions de travail au Bénin et auteurd’un rapport sur la sécurité sociale en Afrique3.Selon cette spécialiste, «aucun de ces systèmesne procure des allocations chômage. A l’excep-tion de pays comme le Gabon ou l’Algérie quiont des systèmes nationaux d’assurance mala-die, les soins médicaux et les allocations mala-die sont en général laissés à l’initiative desemployeurs, dont la participation est en géné-ral partielle et temporaire.»

Même là où ces systèmes existent, leur fonc-tionnement laisse fort à désirer. Un responsablede l’Union nationale des travailleurs du Congo(UNTC) a expliqué récemment que, «par lepassé, un travailleur ou un paysan malade pou-vait avoir un traitement dans un hôpital d’Etatpour un coût minimal. Maintenant les maladesont seulement une ordonnance et ils doiventacheter les médicaments eux-mêmes. Souventces médicaments sont soit très chers soit nondisponibles.» Les allocations familiales des paysafricains francophones vont de 200 à 2000 francs

tien traditionnel. Les syndicats voient donc deplus en plus la sécurité sociale comme faisantpartie intégrante du dialogue social, avec lanécessité pour chacun des partenaires d’enassumer la responsabilité.

Des bases qui s’effondrent en Afrique

«Depuis que le chef de l’Etat a accepté de lais-ser la gestion de la sécurité sociale aux parte-naires sociaux, nous sommes passés d’un déficitchronique à une réserve de 15 milliards de francsCFA (12 millions de dollars US)», déclarait il n’ya pas si longtemps à ses collègues Madia Diop,secrétaire général de la Confédération nationaledes travailleurs du Sénégal (CNTS), lors d’uneconférence des syndicats africains sur la protec-tion sociale qui avait lieu à Abidjan. Organisée àl’initiative de l’Organisation régionale africaine(ORAF) de la CISL, cette réunion regroupait dessyndicalistes de vingt pays africains franco-phones et des représentants de l’OIT, afin de dis-cuter de l’avenir de la sécurité sociale sur leurcontinent. A l’évocation du passé par le doyendu mouvement syndical africain, une impres-sion de «déjà vu» a saisi les participants: un cou-sin du président nommé pour gérer les caissesde la sécurité sociale, un ministre construisantun hôpital pour 7 milliards de francs CFA alorsque la totalité des factures s’élevait à la moitié decette somme, un dignitaire du régime puisantdans les caisses de la sécurité sociale pour finan-cer un voyage à l’étranger…

Son intervention a provoqué une avalanched’anecdotes, toutes plus originales les unes queles autres, et qui allaient de l’achat d’un jet parun dignitaire africain à la construction d’unaéroport, en bref tous les à-côtés que s’étaientautorisés ceux à qui on avait confié la gestiondes caisses de sécurité sociale. Aucun des par-ticipants présents n’a contesté l’analyse d’unreprésentant de la Banque mondiale qui affir-mait sans ménagement que, «dans de nom-breux pays, les systèmes de sécurité socialeétaient devenus la vache à lait des Etats pouréviter la banqueroute».

Mais, s’ils n’hésitaient pas à condamner lesexcès des Etats dans leur gestion des caisses desécurité sociale, les syndicalistes restaient vio-lemment opposés aux programmes promus parles institutions financières internationales pourla privatisation des systèmes. Au contraire, lesdirigeants syndicaux africains étaient d’accordsur le fait que «l’Etat doit endosser sa respon-sabilité en tant que régulateur du système desécurité sociale, tout en autorisant les parte-naires sociaux à l’administrer». A vrai dire,

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La convention no 102 concernant la sécuritésociale (norme minimum) de 1952 prévoit lesprestations suivantes:• Soins médicaux• Indemnités de maladie• Prestations de chômage• Prestations de vieillesse• Prestations en cas d’accident du travail

et de maladies professionnelles• Prestations aux familles• Prestations de maternité• Prestations d’invalidité• Prestations de survivant(e)s

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CFA mensuels par enfant, ce qui correspond àun maximum de 3 dollars US. «Ces allocationsn’ont pas augmenté depuis plusieurs dizainesd’années», déplorait Félix Ibara, un dirigeantsyndical du Congo Brazzaville. La situation estsimilaire dans tous les pays. Pratiquement danstoute l’Afrique, la liste des maladies profes-sionnelles officiellement reconnues est encorebasée sur celle des pays industrialisés, etnéglige donc de prendre en compte les mala-dies spécifiques au continent africain.

Pendant longtemps, les réseaux tradition-nels de soutien centrés sur la famille ou la com-munauté pouvaient suppléer les carences insti-tutionnelles. Dans certains cas, un salariépouvait répondre aux besoins de sa famille surplusieurs générations. Cette période a fait placeà celle de l’ajustement structurel qui, de l’avisde nombreux syndicalistes, est responsable del’augmentation importante du chômage, exa-cerbée par un exode rural qui se poursuit inexo-rablement. Au Cameroun, le chômage touche29 pour cent de la population active. En Gui-née, 16 pour cent des fonctionnaires ont étélicenciés.

La République du Congo ne compte qu’unmillion de salariés sur une population de 45millions d’habitants. Résultat, la somme repré-sentée par les cotisations de sécurité socialediminue rapidement. En Côte-d’Ivoire, lasomme représentée par ces cotisations est infé-rieure à celle de 1990.

A ceci vient s’ajouter l’évolution démogra-phique. «En 1972, le Sénégal comptait cinq tra-vailleurs actifs pour un retraité. Maintenant laproportion est de deux pour deux», notaitMadia Diop. On observe la même tendance enTunisie où, selon l’Union générale tunisiennedu travail (UGTT), on comptait huit tra-vailleurs actifs pour un retraité, alors qu’on encompte aujourd’hui quatre.

Les problèmes économiques existants fontpartie des facteurs ayant incité les syndicats àse tourner vers l’économie informelle pour élar-gir les structures de soutien de la sécuritésociale. Derrière le cliché – qui correspond à laréalité – des cireurs de chaussures et des ven-deurs de rue, le secteur non structuré a une tra-dition d’évasion fiscale.

Selon Célestin Nansis, spécialiste de la sécu-rité sociale au Bénin, une enquête menée auniveau national a montré que 59 pour cent despersonnes gagnant leur vie dans le secteur infor-mel auraient en fait suffisamment de revenuspour cotiser à un système de sécurité sociale.

Il est généralement reconnu qu’un systèmede sécurité sociale bien géré peut jouer un rôle

majeur dans la lutte contre la pauvreté, notam-ment par les biais des contraintes qu’il imposepour l’introduction ou le maintien des droits.Ceci est particulièrement vrai dans le domainedes allocations familiales. Les contraintesimposées permettent de réduire la mortalitématernelle et infantile lors de l’accouchement(pour l’octroi d’allocations, celui-ci doit avoirlieu sous le contrôle du personnel médical) etd’encourager l’envoi des enfants à l’école (ilfaut produire des certificats de fréquentationscolaire pour les enfants). Pour les syndicatsafricains, la sécurité sociale «doit être basée surles principes d’équité et de justice sociale, pre-nant en compte la nécessité pour tous les tra-vailleurs d’avoir une couverture sociale».

Les leçons de la crise asiatique

Ce besoin n’a jamais été aussi manifeste quependant la crise asiatique. «Les années de crois-sance spectaculaire ont conduit les dirigeantsdes pays asiatiques à croire que c’était la crois-sance elle-même qui procurait le filet de sécuritéde la protection sociale. Nous voyons mainte-nant les dommages causés par cette affirma-tion», déclarait Takashi Izumi, secrétaire généralde l’Organisation régionale pour l’Asie et le Paci-fique (ORAP) de la CISL. L’ORAPavait constam-ment et fermement dénoncé l’économie de typecasino pratiquée sur le continent asiatique etl’absence de toute protection sociale digne de cenom. Les pronostics des syndicats ont malheu-reusement été confirmés par les événements.

En Asie, la sécurité sociale était en générallimitée aux caisses de retraite, aux soins médi-caux et aux indemnités en cas d’accident sur lelieu de travail, et encore le plus souvent uni-quement dans le secteur formel. A quelquesrares exceptions près, il n’y avait pas d’alloca-tion chômage. «Le filet de sécurité de la pro-tection sociale se réduit à l’épargne réalisée parles particuliers et les familles. Le rôle de l’Etatest pratiquement inexistant», affirmait l’OIT.Les dévaluations répétées et l’effondrement desinstitutions financières asiatiques ont réduit lescomptes d’épargne à zéro. Pire encore, le tauxde pauvreté qu’on se félicitait de voir baisser audébut des années 90 est reparti à la hausse. Avecune économie informelle en rapide expansionet une importante main-d’œuvre d’immigrantsne disposant pas non plus de protection sociale,le risque d’explosion sociale n’échappa pas auxorganisations syndicales ou de l’OIT, quiavaient prévenu de ces dangers depuis le débutde la crise. Cette analyse a été confirmée par lesévénements qui se sont produits dans des pays

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tels que l’Indonésie, la Thaïlande, la Malaisie etla Corée du Sud.

Al’heure actuelle l’importance d’un systèmede sécurité sociale effectif ne fait plus de doute.C’est maintenant l’une des priorités essentiellesdes syndicats de la région, comme le montrel’article d’Anne Drouin dans ce numéro.

Les changements douloureuxaffectant l’Europe de l’Est

Le défi a été quelque peu différent dans lespays de l’ancien bloc de l’Est, où l’abandon dessystèmes publics de sécurité sociale pose denombreux problèmes aux nouveaux dirigeants.

Comment peut-on passer d’un système éta-tique qui, malgré ses défauts, assurait unniveau minimum de cohésion sociale à un autrequi, bien qu’équilibré du point de vue écono-mique, risque d’ajouter aux souffrances d’unepopulation déjà fortement éprouvée par larestructuration?

Henri Lourdelle, que la Confédération euro-péenne des syndicats (CES) a chargé d’écrire unLivre blanc4 sur le sujet, explique que «mêmesi, dans certains pays, les systèmes de protec-tion sociale appartenaient à une tradition plusancienne – datant d’aussi loin que 1912 en Rou-manie et 1918 en Bulgarie – l’intégration dansle bloc soviétique a entraîné une “mentalitéd’assistanat” et une perte totale de tout sens deresponsabilité personnelle».

Les mêmes défauts caractérisent les systèmesactuels, qui fonctionnent mal: un manque detransparence entre les recettes et les dépenses, cequi signifie un contrôle insuffisant des dépenseset un système totalement financé par des entre-prises, qui n’inclut pas les cotisations des parti-culiers concernés. Paradoxalement, les pre-mières mesures prises à la fin de 1989 à l’époquede l’implosion politique du communisme n’ontrien fait pour améliorer la situation. La ruéegénérale vers des situations «totalement libé-rales» en tant que remède à un système «totale-ment étatique» n’a fait qu’aggraver les pro-blèmes. (Voir à ce sujet l’article d’Elaine Fultz etde Markus Ruck dans ce numéro.)

Dans tous ces pays, l’Etat procure les soinsmédicaux gratuits, à l’exception des soins den-taires. En Pologne, tout comme en Bulgarie, enHongrie et en République tchèque, l’hospitali-sation est gratuite, mais on observe le dévelop-pement de systèmes privés ou même, comme enPologne, la création de cliniques financées pardes fondations au sein d’hôpitaux existants. Undes points noirs du système reste les pots-de-vinsouvent demandés par les médecins publics,

dont les salaires sont toujours très bas. Sauf enBulgarie et en République tchèque, la médecineest gratuite. La Pologne et la Hongrie ont toute-fois institué un système de paiement par lespatients, même s’ils sont remboursés plus tard.

En général, le nombre de médecins, phar-maciens et hôpitaux est jugé satisfaisant, maisleur répartition géographique est très inégale.Ici, comme partout en Europe, les tentatives derationalisation se sont heurtées à l’hostilité desmédecins et des usagers.

Si le système de santé est en difficulté, lasituation à l’égard des retraites est dramatique.Calculées en fonction du métier exercé et del’âge (sauf en Lituanie), les retraites sont insuf-fisantes et signifient une baisse importante desrevenus. Face à cette situation, ces pays ontadopté une double stratégie. D’une part, lalimite d’âge a été modifiée. Par exemple, en2006 en République tchèque, les hommes nepourront pas demander la retraite avant 62 ans,et les femmes 61 ans. D’autre part, les caissesde retraite ont droit à des exonérations fiscales.A l’heure actuelle il existe 44 caisses de retraiteen République tchèque, avec plus d’un millionde personnes inscrites. Une voie que la Bulga-rie s’efforce timidement de suivre.

En Europe centrale et orientale, la principalenouveauté a été l’introduction d’une assurancechômage, alors que ceci avait été éludé par lesgouvernements populaires précédents. Commetout le monde part de zéro, les solutions varientselon les pays, même si les principes restentidentiques. En Pologne, une expérience origi-nale consiste à prendre en compte le lieu d’ha-bitation dans la durée de l’allocation chômage.Dans une région au faible taux de chômage, unepersonne perdant son travail reçoit une alloca-tion chômage pendant six mois. Dans unerégion où le travail est difficile à trouver, cettedurée est étendue à un an.

Maintenant que le diagnostic est fait, quelssont les remèdes? Les syndicats tiennent à nepas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ils militentpour garder un système de sécurité sociale uni-verselle. Les gouvernements sont un peu pluscirconspects mais, dans l’ensemble, leur volontéd’intégrer l’Union européenne (UE) les incite àrechercher des solutions conformes au «modèlesocial européen», même si on tente de margina-liser l’activité des syndicats dans la gestion descaisses sociales. Trop souvent, on considèreencore que ces caisses font partie du budget del’Etat, avec utilisation des fonds par les gouver-nements comme ils l’entendent.

Cela signifie en tout cas que les pays d’Eu-rope centrale et orientale devront concilier loi

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du marché et cohésion sociale. Manifestementla tentation est grande de «privatiser» et, parexemple, de placer le système de santé dans lesmains de l’assurance privée, un choix qui a étéfait par la République tchèque. «Ce débat poseun problème fondamental: la santé est-elle undroit universel? Si tel est le cas, elle ne peut pasêtre privatisée. Il ne faut pas qu’elle entre entiè-rement dans le domaine de l’économie de mar-ché, qui finirait par n’accepter que ceux quipeuvent payer», déclare Henri Lourdelle, quiajoute que, «si la privatisation était une solu-tion miracle, la recette aurait déjà été utiliséeailleurs».

A vrai dire, c’est ce qui s’est produit. Maisles résultats sont mitigés, c’est le moins que l’onpuisse dire. Aux Etats-Unis, patrie du néolibé-ralisme, le système privé d’assurance sociale estnon seulement le plus cher du monde, mais ilexclut 44 millions d’Américains qui sont privésde toute couverture sociale.

Les réformes et la privatisationen Amérique latine: une bonneou une mauvaise solution?

En Amérique latine, la sécurité sociale arécemment été l’objet d’une privatisation mas-sive et de réformes importantes, souvent étroi-tement liées aux réformes de la législation dutravail. Ce processus a occasionné des dépensesimpressionnantes, qu’on a justifiées en arguantque ceci contribuerait à «une amélioration dusystème». Toutefois, les travailleurs argentinset brésiliens risquent bientôt de découvrir quela seule façon de financer les déficits de la sécu-rité sociale, conséquence de la privatisation,sera de payer davantage d’impôts.

De plus, étant donné que les membres affi-liés à des régimes de retraite privés versent danscertains cas jusqu’à 2 pour cent de leur salairemensuel pour payer les coûts de gestion de leurcaisse de retraite, on se demande pourquoi ceversement n’a aucune incidence sur le montantde la pension versée au travailleur à sa retraite.

Luis Anderson, secrétaire général de l’Or-ganisation régionale interaméricaine des tra-vailleurs (ORIT) de la CISL, pense que lescaisses de retraite privées ne doivent pas êtreexposées à de gros risques financiers, ce quiarrive quand elles sont dépendantes du succèsou non des investissements faits et des fluctua-tions du cycle économique. Il constate que,«lors de ces vingt dernières années, en Amé-rique latine, ces fluctuations ont été très impor-tantes, ce qui a influé sur les profits faits par cescaisses. Fait encore plus inquiétant, la somme

que les membres affiliés à ces caisses recevrontà leur retraite risque d’être au-dessous du mini-mum requis pour un niveau de vie décent.»

Il n’est guère possible d’évaluer très exacte-ment l’efficacité des régimes de retraite privés.En effet, la plupart des réformes ont pour butde résoudre le problème du financement desservices et non de procurer les fonds suffisantspour que l’engagement pris auprès des futuresgénérations de retraités soit respecté. L’ORITmaintient la nécessité de réformes, avec l’ob-jectif clairement établi de «garantir la durabilitéde tels régimes sur le long terme et d’améliorerconsidérablement les services offerts auxmembres affiliés, et ce à un coût minimal».

L’expérience montre que les réformes de lasécurité sociale peuvent résoudre les problèmesfinanciers des régimes de retraite sur le courtterme, mais qu’elles ne résolvent pas le pro-blème essentiel de répartition et d’équité de laretraite pour les futures générations de tra-vailleurs, ou celui de l’exclusion des groupes lesplus vulnérables qui, à l’âge de la retraite, vien-dront augmenter les rangs des personnes au-dessous du seuil de pauvreté. Les réformesn’ont pas garanti une durabilité à long terme,alors que celle-ci devrait être le véritable objec-tif des caisses de retraite.

Luis Anderson parlait de la nécessité detrouver «une formule appropriée et viable pourles régimes de retraite en Amérique latine. Cetteformule devrait inclure ceux qui en sont jus-qu’ici exclus (les travailleurs de l’économieinformelle et les travailleurs ruraux), et êtreconforme aux principes de solidarité et d’uni-versalité qui devraient régir la sécurité sociale.»

Les écrits abondent sur l’avenir des régimesde retraite. Dans son rapport de juin 2000, laCISL rappelle toutefois que, à l’heure actuelle,90 pour cent des personnes en âge de travaillerne sont pas couvertes par un régime de retraite.Ce rapport déclare que, «pour beaucoup tropde gens, être trop âgé pour travailler mais tropjeune pour mourir signifie devenir une chargepour leur famille, qui peut elle-même se trou-ver dans une situation difficile».

La CISL prévient aussi du danger représentépar l’assujettissement des retraites aux capricesdes marchés financiers. Au Chili, pays danslequel les retraites ont été privatisées, une baissedes cours de la Bourse en juin 1998 – résultat dela crise asiatique – a menacé de causer des dom-mages importants au système de caisses deretraite. Les conséquences seraient dix fois piresdans les pays les plus pauvres, dépourvus d’ins-titutions financières solides, notamment enAfrique où la privatisation est souvent présen-

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tée comme une réponse à tous les problèmes pardes institutions comme la Banque mondiale oule Fonds monétaire international.

Malgré toutes les (onéreuses) campagnespublicitaires en faveur de régimes de retraiteprivés, 88 pour cent des pensions de retraitesont payées par des organismes publics. Et lesrégimes de retraite publics ne vont pas vers lafaillite assurée, comme veulent le faire croire lesdéfenseurs des programmes de retraite privés.Bien qu’il ne faille pas minimiser les problèmesliés à l’avenir de tels régimes sur le long terme,il faut voir la réalité de manière plus mesurée.Aux Etats-Unis, où certains demandent unremaniement du système public, des étudesmontrent que les pensions sont assurées pourles 37 prochaines années, ou même pour 75 anssi la croissance économique continue au rythmeactuel. Selon les dires d’un expert cité dans lerapport de la CISL, «la privatisation en elle-même n’est en aucune manière la solution pourréduire les coûts de retraite de la génération dubaby-boom».

Une charge ou un investissement

«On ne devrait pas voir la protection socialecomme une charge, on devrait la voir commeun investissement. Sa modernisation est néces-

saire, mais l’Etat doit continuer de jouer un rôleessentiel de régulateur», argumente la CISL.Les syndicats espèrent faire clairement passerce message lorsque les délégués de la Confé-rence internationale du Travail se rencontrerontpour discuter de ce problème. A ce jour, seulsquarante pays ont signé la convention fonda-mentale de l’Organisation internationale duTravail sur la protection sociale, adoptée en1952. On perçoit aussi une tendance généraleconsistant à saper cette protection, qui estencore très inégale. Ces deux facteurs sont desraisons suffisantes pour que l’OIT fasse de lasécurité sociale universelle l’une de ses princi-pales priorités.

Notes

1 Déclaration de Philadelphie, article III, paragraphe f.2 CISL: A global priority – strengthening social protection in

the 21st century, Rapport publié à l’occasion de l’Assembléegénérale extraordinaire des Nations Unies sur le suivi duSommet social mondial (Genève, juin 2000).

3 ORAF: La situation de la sécurité sociale en Afrique, prin-cipes, problèmes et perspectives, Abidjan, septembre 1998.

4 Confédération européenne des syndicats: Livre blancsur la protection sociale dans les pays d’Europe centrale etorientale, coordonné et dirigé par Henri Lourdelle, Bruxelles,octobre 1999.

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En Afrique précoloniale, la protectionsociale des personnes pauvres ou incapablesd’assurer leur propre subsistance était assuréesoit par la famille élargie soit par la solidaritécommunautaire. Pendant la période coloniale,il s’est développé un nouveau système d’assu-rance sociale en relation avec le développementéconomique, le système politique ou le modede production. A côté des formes nouvelles deprotection sociale organisées par les associa-tions caritatives, religieuses ou sur une baseethnique dans le secteur urbain, sont apparuesdes formes plus organisées de système de pro-tection sociale. D’abord les puissances colo-niales ont étendu les systèmes d’assurancesociale à leurs concitoyens expatriés dans lescolonies. L’extension faite aux travailleurs indi-gènes s’est concentrée sur les travailleurs deszones urbaines et industrielles dans le butessentiellement de stabiliser la main-d’œuvreou pour apaiser les organisations syndicalesindigènes alors mobilisées pour lutter contre lesinjustices. Cependant, la majorité de la popula-tion est restée sans programme de sécuritésociale: le système mis en place a été très limitétant du point de vue du nombre de personnescouvertes (champ matériel) que des éventuali-tés couvertes (champ personnel). Dans les paysanglophones, outre les accidents du travail etles prestations en cas d’invalidité d’origine pro-fessionnelle, il n’existait par exemple au Zim-babwe avant 1976, qu’une prestation noncontributive de pensions aux ressortissants nonafricains âgés de plus de 60 ans. Même aprèsl’indépendance en 1980, ce régime n’a main-tenu ses prestations qu’aux personnes ayanteffectivement ou potentiellement ouvert desdroits au cours de la période antérieure. Dansles pays francophones, les éventualités cou-

vertes concernaient notamment les prestationsfamiliales, les accidents du travail et les pen-sions. Il a fallu attendre pratiquement dix ansen certains endroits pour obtenir une amélio-ration des prestations existantes (par exempleles pensions allouées en Afrique francophonedans le cadre de l’IPRAO)1. Depuis les indé-pendances, les inégalités ont pratiquement étémaintenues au niveau du champ personnel etpeu d’effort a été fait soit pour créer de nou-velles prestations soit pour étendre les pro-grammes à d’autres catégories de populations.

Le fonctionnement des systèmes

Presque partout, la protection sociale couvregénéralement moins de 10 pour cent au total tanten droits propres qu’en droits dérivés et les reve-nus distribués atteignent à peine un pour centdu PIB. La gestion des régimes de pensions aconnu des causes internes de détérioration:• Globalement et presque partout, l’espérance

de vie à la naissance a pesé sur les régimesde pensions. Elle s’est améliorée enmoyenne de 4 ans tous les 10 ans. L’espé-rance de vie à l’âge de la retraite à 55 ansétait de l’ordre de 17 ans en 1960. Elle aatteint 19 ans en 1990. Actuellement, si l’évo-lution très forte du VIH/sida affecte grave-ment cette amélioration de l’espérance devie, elle touche aussi fortement le monde dutravail et pèse sur le système financier desrégimes de protection sociale.

• Le fonctionnement des régimes a été handi-capé, notamment par:– l’évolution défavorable de l’emploi;– l’absence de la bonne gouvernance ou du

dialogue social pour consolider la parti-

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Afrique

De l’aide humanitaireà une protection sociale durable

L.F. Lambert GbossaDirecteur

OIT, Kinshasa

Bernardin GauthéConsultant

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cipation des partenaires sociaux à la ges-tion des systèmes.

• Le fonctionnement administratif et l’organisa-tion des institutions ont été dans certains casdéficients. Dans plusieurs pays, les institu-tions se sont trouvées généralement dansl’incapacité d’établir un contact opération-nel avec les assujettis par suite de l’inexis-tence des fichiers appropriés. Le système aaussi par sa lenteur et ses complicationsadministratives, pénalisé les assurés ou n’apas été capable d’assurer un taux normal derecouvrement des cotisations.

Presque partout la viabilité financière durégime n’a pas toujours été assurée. Les réservestechniques qui auraient dû être constituéespour faire face au paiement des prestations,n’ont pu être faites au niveau techniquementsouhaitable. Elles n’ont pas aussi été géréesavec toute la rigueur requise. Mais aux diffi-cultés liées à la capacité de gestion financière, ilfaut ajouter l’inexistence des opportunités d’in-vestissement à cause de l’existence sur le planinterne des institutions, d’un système régle-mentaire et d’un cadre juridique approprié oud’un système de contrôle; les investissementsn’ont pas été faits conformément aux normes etn’ont pas été de nature à garantir la contrepar-tie des engagements envers les assurés.

Le coût administratif de la gestion du régimegénéral de la sécurité sociale est très élevé. Parexemple, dans un pays d’Afrique centrale, pourdistribuer un peu moins de 5 dollars de presta-tions (rente et pensions), un agent coûte plus de3000 dollars. Ce cas est certainement extrêmemais connaît la même similitude partout.

La rentabilité sociale des systèmesde protection sociale

Dans ces conditions, dans beaucoup de paysles prestations sont inadéquates ou accusentencore plusieurs années d’arriérés. La confiancedans le système s’est totalement érodée.

Une crise profonde et prévisible

Mais la crise qui affecte les régimes de pro-tection sociale est aussi très profonde. Depuis1986, dans les pays d’Afrique au sud du Sahara,les revenus par habitant continuent de chuter.Les investissements publics se sont raréfiés.Alors que la pression démographique est forte,le volume de l’emploi s’est réduit et continuede se réduire autant dans le secteur public quedans le secteur privé. Dans certains cas, notam-

ment dans le service public, les salaires se sontdépréciés ou n’ont pas suivi les augmentationsdes prix. Avec l’évolution défavorable de lapauvreté, la réduction de la consommationnationale a eu comme corollaire la fermetured’entreprises. Des travailleurs sont sortis dusystème de protection sociale avec la perte dudroit à la prestation de sécurité sociale.

En moins d’une génération, les clivagessocio-économiques du monde du travail se sontmodifiés. A la fin des années 1970, tous les res-ponsables des pays et bon nombre de théori-ciens considéraient que le secteur modernecontinuerait à occuper une part importante etsans doute croissante de la population active; sibien que personne ne prêtait guère attention àcette population qui s’était réfugiée dans uncertain nombre d’activités informelles. Aucours de la troisième décennie du développe-ment (1980-1990), le phénomène que l’oncroyait passager et qui devait purement et sim-plement disparaître s’est renforcé sous l’in-fluence de trois facteurs: d’abord, une pousséedémographique galopante qui produisit chaqueannée des cohortes de primo demandeursd’emplois; ensuite, une crise économique graveproche de la récession ou des guerres qui affec-tent ou qui réduisent les capacités d’absorptiondu secteur moderne; enfin, la poussée del’exode rural obligeant bon nombre d’individusà venir bricoler dans les villes. La proportiondes jeunes et plus spécialement celle des primodemandeurs d’emploi augmente sans cesse. Aurythme actuel d’évolution des données, le tauxd’occupation des travailleurs salariés pourraitn’être plus que 2 à 3 pour cent au maximumdans les 25 prochaines années. Comme cettepopulation est la seule à bénéficier d’un sys-tème organisé de sécurité sociale, il y a ainsi unedégradation prévisible de la rentabilité socialedu système de couverture.

Les objectifs pour les prochainesannées: l’extension de la couverture

Les pays connaissent diverses mutationsd’ordre politique (la promotion de la démocra-tie), d’ordre économique (la promotion d’un sys-tème plus libéral et l’évolution vers un Etat pluscentré sur des fonctions de régulation) et d’ordresocial (un rôle plus accru dans le développementnational pour les acteurs économiques et lesmouvements associatifs) et culturel (la prise encompte des facteurs culturels dans le processusde développement). Avec ces facteurs, l’évolu-tion de la démographie et de l’emploi incitent àorganiser l’extension des régimes.

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Le concept d’extension n’est pas une idéerécente en matière de protection sociale. Eneffet, beaucoup de législations de sécuritésociale, qui ont vu le jour au lendemain desindépendances contiennent deux sortes de dis-positions spécifiques en faveur de l’extensionde la couverture sociale. Les premières figurentdans le champ d’application matériel desrégimes; c’est ainsi qu’à côté de la branche desrisques professionnels et de la branche des pen-sions, les législations prévoient la plupart dutemps une amélioration de la couverture en sti-pulant que: «…le régime est chargé du ser-vice… […] de toutes autres prestations de sécu-rité sociale à instituer ultérieurement en faveurdes travailleurs salariés…». Une autre série dedispositions concerne le champ d’applicationpersonnel du régime existant; en effet, beau-coup de réglementations en vigueur offrent lapossibilité de se prémunir contre le risquevieillesse ou les risques professionnels à toutepersonne physique si elle en fait volontaire-ment la demande. Telles sont les dispositionsqui figurent encore aujourd’hui dans le droitpositif de la sécurité sociale comme, parexemple, à Madagascar (CPS, art. 259), auRwanda (décret-loi du 22 août 1974, art. 1 et art.3), au Bénin (ordonnance du 17 janvier 1973, art.1 et art. 5), à Djibouti (loi du 19 juin 1989, art.4), etc. Or l’évolution attendue, c’est-à-dire l’ex-tension de la couverture sociale, ne s’est pasproduite.

Les Etats ont pris conscience des liens quiexistent entre protection sociale, promotion del’emploi et dialogue social. C’est un des princi-paux enseignements des réunions tenues àDakar (1994), à Abidjan (1996) et à Yaoundé(1997). A cette occasion, ils ont formulé desrecommandations pour la réhabilitation et laréforme du système de protection sociale.

Mais le débat sur l’amélioration du systèmede protection sociale s’est limité au secteur for-mel, à la restauration de l’équilibre financier parl’augmentation du taux de prélèvement sur lessalaires. Ce prélèvement devient de plus en plusinsupportable parce que leur importance rela-tive devient moindre dans l’ensemble de lapopulation. Le débat a peu abordé la questionfondamentale: l’absence de couverture de lamajorité des populations, la capacité d’auto-organisation des communautés et leur contri-bution au développement du système de pro-tection sociale. Face aux limitations qui ontaffecté les systèmes institutionnels de protectionsociale, les efforts faits par les populations pourorganiser des systèmes de solidarité de proxi-mité ont été peu pris en compte et l’évaluation

des programmes de protection sociale continued’ignorer les efforts des communautés.

Le débat devrait sortir du cadre originelétroit dans lequel il a toujours été inscrit, qui estcelui du revenu de remplacement, pour per-mettre de traiter en général des besoins nou-veaux que constituent le développement, lalutte contre la pauvreté, l’extension du secteurinformel, le lien entre protection sociale et pro-motion de l’emploi tant dans ce secteur qu’auniveau des communautés.

Que faire aujourd’hui pour étendre la pro-tection sociale? Ce que l’on sait c’est qu’il n’y ani recette ni solution transposable d’un pays àun autre. En revanche, des lignes directricespeuvent guider l’action des décideurs et desgestionnaires; tout au plus peut-on dans uneapproche normative définir une stratégie à l’ex-tension de la couverture sociale.

Cette stratégie pourrait reposer sur les prin-cipes suivants:i) replacer l’extension dans une vision globale

de la protection sociale nationale, en formu-lant une politique de protection sociale inté-grée, plus flexible, dans laquelle différentesoptions seraient possibles et différentes caté-gories de travailleurs pourront choisir descontrats différents de sécurité sociale;

ii) confier la responsabilité de l’extension auxcommunautés en transférant aux individusl’obligation d’assurer leur propre pré-voyance. Il s’agira de responsabiliser cescommunautés pour la prévoyance desrisques et la prise en charge de certainescatégories de prestations; et

iii) faire jouer à l’Etat un rôle régulateur, l’Etatgarant et non l’Etat gérant, en renforçant lescapacités institutionnelles pour organiserun dispositif réglementaire favorisant desinitiatives privées.

Dans cette démarche, trois niveaux de pro-tection sociale devraient être envisagés.

a) Le premier niveau:le filet de sécurité

Ce premier niveau de protection socialeconstituera en quelque sorte un filet de sécuritédestiné aux catégories dures de populationsrésidentes qui ne peuvent ni s’assurer, ni parti-ciper à leur propre protection. Le fondement dusystème est la solidarité nationale reflétant uncaractère distributif et le mécanisme de finan-cement reposera tant sur les communautés quesur l’Etat.

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Page 28: Protection sociale: ce que les travailleurs et les ...

Les difficultés éprouvées jusqu’ici pour réa-liser ce niveau proviennent entre autres decontraintes financières qui affectent l’Etat.Celles-ci n’ont pas été suffisamment prises encompte et l’on a pensé qu’il suffisait d’organi-ser ce niveau par le recours à l’impôt.

Dans le cas du Bénin, il a été montré qu’avecun seuil de pauvreté en moyenne estimé 240dollars US et par ménage en milieu urbain etqu’avec 31 pour cent de la population trèspauvre (avec un seuil de pauvreté absolu estiméà environ 140 dollars US par an) il sera difficilepour l’Etat de mettre en place le filet de sécuritépour l’ensemble des pauvres. Ni le budget del’Etat, ni le prélèvement sur l’emploi ne peuventgarantir de telles prestations. Ainsi le filet desécurité étendu à l’ensemble de la populationest un leurre et l’on comprend ainsi pourquoi ila été jusqu’ici difficile de l’organiser.

b) Le second niveau:la protection obligatoire

Le second niveau de protection socialedevra essentiellement fonctionner selon unelogique d’assurance. L’objectif est de couvrirsocialement toutes les catégories de la popula-tion qui peuvent prendre en charge leur propreprotection. Entièrement financé par des cotisa-tions, à la charge exclusive des assurés, ce sys-tème obligatoire et contributif aura pour butd’assurer une redistribution horizontale desjeunes vers les personnes âgées, des célibatairesvers les pères de famille, des bien-portants versles malades, des actifs vers les retraités.

c) Le troisième niveau:la protection complémentaire

Reposant également sur une logique d’as-surance, l’objectif est de fournir des prestationsen complément de celles distribuées par lesrégimes primaires de sécurité sociale. Ce troi-sième niveau s’adressera donc à toutes les caté-gories de la population (salariés, indépendants,etc.) qui pourront pleinement participer à leurprotection et qui souhaiteront améliorer lesprestations de base de la sécurité sociale.

d) Organiser un développementharmonieux et concerté du systèmede protection sociale: la hauteautorité

L’ouverture plus grande du système de pro-tection sociale à l’évolution économique et àl’organisation des communautés exigera des

actions pour un développement harmonieux.En effet, la question se pose de savoir commentharmoniser les trois niveaux et comment éva-luer les progrès réalisés ou les activités à entre-prendre, comment veiller à ce qu’en perma-nence les différents acteurs remplissent aumieux leur rôle. C’est dans cette optique quepourrait se justifier la création d’une hauteautorité en matière de protection sociale. Ils’agit d’une structure consultative représentanttoutes les parties prenantes du système (ges-tionnaires, bénéficiaires et bailleurs de fonds)qui devraient jouer un triple rôle:i) être pour les pouvoirs publics une instance

de concertation et d’information émettantdes avis motivés sur toutes les questionstouchant la protection sociale dans le pays;

ii) être une instance de régulation, pour véri-fier les fins assignées globalement aux troisniveaux de protection et si les objectifsrecherchés ont été atteints. Il s’agit doncessentiellement d’une régulation globale dusystème qui n’interférera en rien avec lesdifférents pouvoirs de tutelle exercés sur lesactes de gestion et sur les hommes. Ace titre,la haute autorité sera chargée de l’élabora-tion du budget social de la nation;

iii) d’arbitrer les conflits nés au sein des diffé-rentes institutions de sécurité sociale.

Comment réaliser l’extension:des approches nouvelles

Beaucoup d’efforts sont faits de nos jourspour appuyer les actions prises par le secteurinformel ou le monde rural pour son propredéveloppement.

Le lien entre emploi et protection sociale estnon seulement réel mais devient de plus en pluspertinent dans le processus de lutte contre lapauvreté. Il est possible conceptuellementaujourd’hui d’établir un pont entre microentre-prise et microassurance santé. Le microcréditalloué aux individus crée des emplois, génèredes revenus, il doit donc être protégé par uneassurance santé. C’est dire que le microcréditseul ne peut pas faire sortir l’individu de la pau-vreté.

Une des premières causes de non-rembour-sement des crédits est la maladie. L’identifica-tion des éléments favorables doit être une pre-mière étape dans une stratégie de mise enrelation et de mise en action de la trilogie micro-entreprise microcrédit et microassurance sousl’angle communautaire et mutualiste. Le défimajeur des structures qui relèvent de ces trois

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composantes, c’est d’inscrire leurs actions dansla durée, en associant la prévoyance à un pro-gramme d’éducation. L’assurance sociale par lebiais des mutuelles de santé présente une voied’avenir en ce qu’elle se fonde sur les principesde solidarité du groupe et de l’équité. Lesmembres d’une mutuelle sont liés par uneproximité professionnelle culturelle ou géogra-phique. Parmi les gages de réussite de ce typed’assurance santé, il y a la participation effec-tive des adhérents dans les organes de gestionqu’ils ont démocratiquement élus. La mutuellese révèle ainsi être un lieu d’apprentissage dela bonne gouvernance, de même que la positionde groupe facilite la négociation face aux pres-tataires de soins et la représentation des ins-tances supérieures chargées de définir la poli-tique en matière de santé.

Les caractéristiques du système pourrontêtre les suivantes:

a) La décentralisation

Contrairement au système institutionnelconstruit selon une approche centralisée, unmodèle décentralisé et de proximité est adopté.

b) La responsabilisationqui est basée sur:

• la gestion participative et démocratique;

• des prestations liées à paiement de cotisa-tion donc pas un régime d’assistance;

• des gestionnaires élus et leur gestion placéedirectement sous le contrôle des membres.

c) L’obligation d’assurance

Obligation d’assurance pour tous mais miseen œuvre par étapes: tous ceux qui peuventpayer leur affiliation: les travailleurs salariés,les travailleurs du secteur informel urbain ourural qui ont accédé ou accèdent à un pro-gramme générateur de revenus. L’extension dusystème de protection sociale est donc aussi liéeà l’extension de l’emploi et d’un programmegénérateur de revenus.

d) Un système basé sur le libre choixdes assurés

L’assurance est obligatoire mais l’assuré a lelibre choix:

• de la mutuelle;

• du centre de santé.

En fonction de l’appréciation réelle qu’il ferade la qualité des prestations reçues, il pourraaussi s’il le désire, selon des modalités prévues,changer de mutuelle ou de centre de santé.

e) Le contrôle direct exercépar les bénéficiaires

Les assurés désignent eux-mêmes leur ges-tionnaire et ils sont leur employeur:

i) grâce à la gestion de proximité et à la rela-tion directe entre cotisation et coût des pres-tations, les assurés exerceront eux-mêmesun contrôle direct sur le droit aux presta-tions;

ii) enfin, grâce à la liberté qui leur est offerted’exercer leur libre choix d’affiliation, desassurés contribuent au contrôle des mutuelleset centres de santé.

f) L’organisation libre d’un protocolede coopération entre mutuelle etcentre de santé

Assureurs (les mutuelles) et prestataires desoins (centres de santé) sont dans un systèmelibre de négociation du coût des prestationsselon les conditions du marché. Un protocoled’accord dûment signé entre les deux partiespermet de garantir le contenu des prestations.Le principe adopté n’est pas celui du paiementà l’acte, mais celui du paiement forfaitaireannuel par personne assurée et pour l’ensembledes prestataires définis (consultations, fraispharmaceutiques…). Périodiquement, assu-reurs et prestataires analysent les données degestion et déterminent le coût par bénéficiairesur la base du coût moyen par assuré.

g) Le rôle et la place de l’Etat: contrôleet garantie du fonctionnement

Tout en laissant les libertés s’exercer, l’Etatcomme autorité de tutelle:i) organise le cadre réglementaire;ii) octroie ou retire les agréations (mutuelle,

centre de santé…);iii) contrôle la bonne exécution des services

(contrôle à posteriori);iv) organise la garantie du bon fonctionnement

du système: Etat garant et non Etat gérant.

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Page 30: Protection sociale: ce que les travailleurs et les ...

h) L’articulation entre divers niveauxde protection sociale

Système institutionnalisé formel et systèmedécentralisé: coopération, assistance techniqueentre:

i) mutuelles et institutions de sécurité sociale;

ii) hôpitaux et centres de santé.

Organisé de cette manière, le systèmecontribuera aussi à la promotion de l’emploi etdonnera l’impulsion à la création:i) de mutuelles;ii) de centres de santé;iii) de pharmacies.

Identifier les besoins nouveauxpour les pays en crise ou en conflit

Près de deux tiers des pays africains sont encrise ou sont affectés par les conflits. Si l’adap-tation et la recherche d’une nouvelle formule deprotection sociale notamment en matière desanté pour répondre aux requêtes des popula-tions sinistrées ou vulnérables sont une prio-rité, il apparaît difficile cependant d’appliquerle schéma classique de protection sociale àtoutes les composantes de la population activeet dans toutes les situations et surtout enpériode de crise et de postconflit.

Par exemple, dans une situation de crise etde postconflit, les problèmes humanitaires sont

prioritaires, comment s’associer à cette aidehumanitaire, avec les appuis des systèmes decoopération au développement dont celui dusystème des Nations Unies, pour organiser laprise en charge de soins de santé, préparer lasortie de l’aide humanitaire et à terme asseoirpour les populations concernées un système deprotection sociale durable. En somme, il estpossible et souhaitable d’organiser le lien entreprogramme humanitaire et programme dedéveloppement. Ce lien permet de faire la dis-tinction entre programme d’assistance socialepour lequel il n’existe aucun «contrat de louagede services» et un contrat de louage de servicespour des travaux d’intérêt public pour lesquelsle paiement peut se faire soit en nature soit enespèces. Cette correspondance ou ce lien entretravail humanitaire et protection humanitaires’inscrit dans une approche de responsabilisa-tion qui exclut toute forme d’assistanat perma-nent et prépare la sortie de crise en articulant ledéveloppement de la protection sur les actionsprises dans l’urgence.

L’objectif est de s’associer au début du pro-cessus humanitaire pour organiser des pers-pectives de pérennisation à travers des activi-tés génératrices de revenus, l’organisation desmutuelles de santé.

Note

1 Institut de retraite et de prévoyance en Afrique occi-dentale.

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Bien que géographiquement éloignés lesuns des autres, les cinq pays normalementconnus sous la dénomination Pays africains delangue officielle portugaise (PALOP), c’est-à-dire, l’Angola, le Cap-Vert, la Guinée-Bissau, leMozambique et Sao Tomé-et-Principe, ont, dufait de leur culture, de leur langue et de leur his-toire, des caractéristiques communes qui lesrapprochent en faisant d’eux une sous-régioncohérente. Cette cohérence s’observe aussipour ce qui concerne la protection sociale, engénéral, et la sécurité sociale, en particulier. Eneffet on peut constater que, connaissant audépart une situation très similaire, ces pays ontmis en œuvre des solutions comparables ou,tout au moins, qui obéissent à la même philo-sophie de base.

Dans le contexte actuel, les PALOP n’échap-pent pas à la crise de la sécurité sociale qui sévitdans les autres pays d’Afrique. A l’impact de lacrise économique sur les politiques d’ajuste-ment structurel s’ajoute, pour certains d’entreeux, une instabilité politique qui, avec sesrépercussions, aggrave lourdement une situa-tion déjà précaire en termes de développementde l’emploi. Un pourcentage très grand de lapopulation active est, de ce fait, relégué auxmarges du marché du travail et, pour survivre,est obligé à exercer non pas des métiers maisdes petits emplois occasionnels dans ce qui estcommunément défini comme le secteur infor-mel. Ce secteur prend, dans certains de cespays, une dimension impressionnante, car laplus grande partie de ceux qui y travaillent sesitue au-dessus du seuil de pauvreté. Parailleurs la guerre, que plusieurs de ces pays ontconnue, a laissé des séquelles; invalides, orphe-lins, sans-abri et réfugiés sont venus grossir lesrangs des chômeurs des grandes villes et ontcontribué à la paralysie du fonctionnement des

structures d’aide, notamment des soins desanté, que les gouvernements avaient mis enplace avec difficulté.

Nous ne reviendrons pas ici sur les causesde la crise de la sécurité sociale pour ce quiconcerne ses aspects exogènes, découlant descontextes socio-économiques nationaux, et sesaspects endogènes, qui sont normalement de laresponsabilité des organes qui concourent à laconstruction de l’édifice de la sécurité sociale,c’est-à-dire, la tutelle, le conseil d’administra-tion et l’organisme gestionnaire1. Nous essaye-rons, en revanche, d’analyser brièvement lesefforts que ces pays ont mis en œuvre, d’unepart, pour créer des régimes efficaces de sécu-rité sociale et, d’autre part, pour les faire évo-luer et répondre ainsi aux besoins pressants dela grande majorité de la population.

La genèse de la sécurité socialedans les PALOP

Les régimes publics de sécurité sociale sontun phénomène relativement récent dans lesPALOP qui, sans exception, ont recouru à l’ap-pui des organismes internationaux, notammentle BIT, pour les mettre en œuvre. Ceci doit êtreinterprété comme une volonté des différentsEtats de partager au niveau international, desvaleurs, des normes, des procédures pour gérerun secteur essentiel de la vie économique etsociale. Ce n’est donc pas un hasard si la légis-lation actuellement en vigueur dans chacun descinq pays s’inspire largement de la conventionno 102 concernant la norme minimum de sécu-rité sociale.

Mais procédons avec ordre. Au moment deleur indépendance, ces pays ont hérité d’unestructure mise en place par l’ancien colonisa-teur et qui consistait en une pluralité de caisses

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Afrique

Etat des lieux de la protection socialedans les pays africains de langue officielle

portugaise (PALOP)

Alessandro GiulianoService Politiques et Développement de la Sécurité sociale

Bureau international du Travail

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de caractère corporatiste qui servaient des pres-tations essentiellement à court terme, maladieet risques professionnels en Angola et auMozambique, complétées par des prestationsde vieillesse et de survivants dans le cas duCap-Vert, de la Guinée-Bissau et de Sao Tomé-et-Principe. La protection offerte par ces caissesétait renforcée par l’intervention de mutuelles(Montepíos) qui servaient des prestations com-plémentaires ou bien des prestations de pro-tection sociale prises dans leur sens le plus large(crédit, allocations de décès, etc.). Avec l’intro-duction de la première loi générale de sécuritésociale dans les différents pays, ces caisses ontété supprimées et leur patrimoine transféré àl’organisme de sécurité sociale spécialementcréé pour la mettre en application. En contre-partie, cet organisme devait assumer leurs obli-gations, sauf en Angola où elles ont été main-tenues en vie en attente de leur éventuellereconversion, au niveau des services de protec-tion complémentaire, par exemple.

Le souci du législateur de chacun des cinqpays a donc été d’emblée de rationaliser lesmesures de protection sociale existantes. Lechoix du champ d’application personnel toutcomme celui d’application matériel ne s’est pas,par conséquent, vraiment posé puisqu’il s’agis-sait de couvrir tous les travailleurs salariés,indépendamment de leur métier, par unemême loi générale garantissant un panier et unniveau de prestations uniforme garantissant laprotection du revenu. Les travailleurs de la fonc-tion publique n’ont pas été touchés par ce pro-cessus, puisque leurs régimes ont été mainte-nus, sauf en Angola et à Sao Tomé-et-Principequi ont choisi de couvrir, par le nouveau régimegénéral, également les personnels de la fonctionpublique à l’exception des membres des forcesarmées et de la police. La protection de la santén’est pas entrée en ligne de compte puisqu’elle

était considérée comme relevant essentielle-ment de la responsabilité des services natio-naux de santé publique, son financementdevant être assuré par l’impôt.

Le tableau ci-dessous montre schématique-ment la situation de la couverture dans les cinqpays en termes de branches couvertes et de ladate d’entrée en application de la législation.

Pour gérer le régime de base, les pays ontopté pour la création d’organismes spécifiquesen considérant que les organismes préexistantsne remplissaient pas les conditions requisespour une gestion moderne et efficace des sys-tèmes. Ceci s’est fait progressivement. L’An-gola et le Mozambique ont créé leurs orga-nismes en concomitance avec la promulgationde la loi; le Cap-Vert et la Guinée-Bissau ontchoisi, dans un premier temps, de concentrerdans le même institut la gestion des assurancesprivées et de la sécurité sociale et ce n’est queplus tard, respectivement en 1991 et en 1997,que les instituts chargés uniquement de la ges-tion de la sécurité sociale ont été mis en place;Sao Tomé-et-Principe a confié la gestion de lapremière loi de sécurité sociale, promulguée en1979, à un département ministériel prévu à ceteffet dans l’attente de la création d’un orga-nisme gestionnaire doté de la nécessaire auto-nomie administrative et financière qui a vu lejour en 1994.

La couverture du territoire national par laloi de sécurité sociale a été graduelle, notam-ment en Angola et au Mozambique où, rappe-lons-le, la création des régimes de sécuritésociale a eu lieu en pleine période de guerrecivile. Le Mozambique a choisi de couvrird’abord la capitale et sa province et, ensuite, acréé des délégations provinciales de l’orga-nisme gestionnaire en donnant la priorité auxprovinces ayant la plus forte concentration detravailleurs salariés jusqu’à couvrir l’ensemble

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Eventualités couvertes par la sécurité sociale dans les PALOP

Pays Année Prestations

Angola 1990 Maladie, indemnités de (obl. de l’employeur, 1962); Maternité;Risques professionnels; Vieillesse; Survivants; Décès.

Cap-Vert 1982 Maladie, indemnités de; Maternité; Risques professionnels (resp. del’empl.,1978); Vieillesse; Survivants; Prestations familiales.

Guinée-Bissau 1986 Maladie, indemnités de; Maternité; Risques professionnels (1980);Vieillesse; Survivants; Prestations familiales; Décès.

Mozambique 1990 Maladie, indemnités de; Maternité; Risques professionnels;Vieillesse; Survivants.

Sao Tomé-et-Principe 1990 Maladie, indemnités de; Maternité; Risques professionnels (1979);Vieillesse; Survivants; Décès.

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du territoire national; l’Angola a maintenu unsystème centralisé mais n’a pu étendre la cou-verture qu’aux provinces contrôlées par le gou-vernement.

Cette manière de procéder démontre claire-ment une remarquable capacité d’adaptation etde pragmatisme par rapport aux conditions etaux nécessités nationales.

Les limites du systèmede sécurité sociale

C’est donc le pragmatisme qui a présidédans les PALOP à la mise en place des régimesactuels de sécurité sociale, qui n’a pas été effec-tuée sans effort à cause des conditions poli-tiques et socio-économiques reconnues souventdifficiles. Ce pragmatisme a présidé aussi auxchoix des législateurs pour ce qui concerne lechamp d’application matériel et personnel desrégimes de sécurité sociale qui a été limité nor-malement aux travailleurs salariés (en majoritédes entreprises publiques) et à ceux de la fonc-tion publique, pour un nombre de branchesréduit. En effet, il fallait, d’une part, permettreaux organismes gestionnaires de maîtriserd’abord les techniques de gestion pour qu’ilspuissent envisager de prendre en charged’autres catégories de travailleurs et, d’autrepart, de permettre à l’économie des pays de serenforcer pour prévoir la couverture de nou-velles branches. Or, sauf peut-être pour le Cap-Vert qui a essayé d’évoluer dans le sens de l’ex-tension des champs d’application de la loi, celan’a pas été possible dans les autres pays qui ontmême connu une diminution du nombre destravailleurs salariés du secteur moderne auprofit du secteur informel. Le clivage entre sec-teur formel et secteur informel constitue actuel-lement, pour ces pays, la vraie limite des sys-tèmes de sécurité sociale.

Conscients de ces limites, les gouverne-ments ont misé, d’une part, sur l’extension dela couverture aux catégories de travailleurs noncouvertes et, d’autre part, sur des programmesde lutte contre la pauvreté. Pour ce faire les cinqpays ont décidé, depuis deux ans déjà, de lan-cer un vaste programme de réforme ou derestructuration de la protection sociale com-prenant diverses composantes: dialogue social,développement de l’emploi, développement dela protection sociale et lutte contre l’exclusionsociale.

Les termes d’une réformede la protection sociale en cours

L’objet du présent article ne peut être dedécrire le détail d’une réforme en cours avantque celle-ci ne soit achevée. Cependant il peutêtre intéressant d’en examiner les orientations etla philosophie et, afin de mieux cadrer la pro-blématique globale de la réforme, on omettra dementionner les particularités propres à chaquepays. Les similitudes constatées dans la situationde chacun des cinq pays justifient largement uncertain degré de généralisation bien que, inévi-tablement, l’analyse globale pourrait ne pas tou-jours s’adapter aux spécificités locales.

Il faut rappeler que les PALOP se sont en-gagés, depuis quelque temps déjà, dans unprocessus de transformations économiquesprofondes destiné à les faire passer progressi-vement d’une économie planifiée et centraliséeà une économie faisant une large place aux loisde marché. Ce processus a conduit les pouvoirspublics à se désengager d’un certain nombred’activités. Ainsi d’entrepreneurs et de ges-tionnaires directs, les Etats ont choisi de deve-nir animateurs et coordinateurs, tout en gar-dant un droit de surveillance sur les activitésqui présentent un caractère d’intérêt généralpour tous les citoyens. Les pouvoirs publics deces pays ont également souhaité recourir auxpersonnes morales de droit privé pour gérer,selon les règles du secteur industriel et com-mercial, des activités spécifiques en faveur detoute ou partie des populations. Ces activitéssont tant de nature économique que sociale.

Du point de vue économique il faut souli-gner que le dynamisme du secteur financierdemeure en permanence un objectif prioritairedans le développement d’une économie demarché. Pour ce faire, les pouvoirs publics ontexprimé l’intention d’améliorer quantitative-ment et qualitativement le niveau de l’épargnefinancière, demeuré pratiquement inexistant àce jour dans la majorité de ces pays. Malheu-reusement, les différentes crises que ces paysont successivement connues et qui ont eu desconséquences graves sur l’économie, telles uneinflation souvent galopante et la stagnation detoute activité de production, ont réduit à néantles efforts qui avaient été dirigés, d’une part, endirection des agents économiques à petiteéchelle et, d’autre part, en direction de tous lesdétenteurs de contrats financiers à long termespécialisés dans la mobilisation de l’épargnecontractuelle. Parmi ces derniers, il était en effetprévu de créer une fonction d’investissementde fonds de réserve dégagés de la sécurité

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Page 34: Protection sociale: ce que les travailleurs et les ...

sociale, création qui n’a pas encore pu être réa-lisée dans la majorité des pays en question.

Du point de vue de l’organisation sociale, lessources du droit reconnaissent aux citoyens bonnombre de droits sociaux, comme par exemplele droit à la santé, la protection à la famille, l’aidede l’Etat aux citoyens dans le besoin etc. Tousces droits correspondent, somme toute, auxgrands objectifs de la protection sociale etconstituent des «droits créances» que les indi-vidus détiennent sur l’Etat, créances qui nepourront se matérialiser qu’au travers d’un pro-gramme de protection sociale relevant soit d’unrégime d’assistance, soit d’un régime d’assu-rance, soit des deux à la fois. Par ailleurs, les dif-férents Etats ont tous dicté un certain nombre deconcepts destinés à régir l’organisation socialedes pays respectifs, telles la notion de transpa-rence ou celle de participation des citoyens à lagestion de leurs affaires. Ces concepts convien-nent parfaitement à toute organisation de sys-tèmes de sécurité sociale modernes.

La stratégie globale de la réforme reposeessentiellement sur les idées suivantes:

a) liaison de la stratégie de la protection socialeet de la stratégie économique: La stratégie de laprotection sociale ne saurait être conçue endehors de la stratégie développée par les gou-vernements en matière économique. En effetces stratégies entretiennent des liens étroitsdans la mesure où l’étendue et la qualité de laprotection sociale dépendent de la santé écono-mique des pays. Il n’est effectivement pas conce-vable qu’il n’y ait aucune protection sociale,même au sens large, en l’absence d’activitésgénératrices de revenus, même si ceux-ci nepermettent pas de prendre complètement encharge les coûts de la protection.

b) conservation du mécanisme de solidarité degroupe comme élément principal du dispositif per-manent: On sait que le concept de solidarité élar-gie qui fonde la sécurité sociale a globalementbien fonctionné pour les catégories de per-sonnes protégées. La mise en commun obligéedes risques et des ressources a permis de réagiraux besoins des individus concernés par cetteprotection et, en particulier, aux plus défavori-sés d’entre eux. Le jeu des solidarités horizon-tales et verticales ainsi que la solidarité entregénérations successives qui sont au cœur dusystème font que les catégories des populationsqui entrent dans le champ du système bénéfi-cient d’une protection assez complète.

c) intégration dans le dispositif de l’initiativeprivée sous toutes ses composantes: L’ouvertureque les PALOP ont consentie sur le marché estdevenue une donnée importante que le sys-

tème de protection sociale ne peut plus ignorer.Ainsi l’initiative privée doit participer directe-ment à la couverture sociale des populations endistribuant tout un ensemble de prestationsvolontaires servies en complément des presta-tions obligatoires. Mais ce sont surtout les tech-niques du secteur industriel et commercialprivé, dont les preuves ne sont plus à faire, quidoivent s’imposer comme mode de gestion pri-vilégié à toute institution de sécurité sociale.

En définitive, cette stratégie conduit à obte-nir un système intrinsèquement plus cohérent,socialement plus équitable et économiquementplus adapté à un environnement plus ouvertsur le marché. Il va sans dire que le processusmis en œuvre obéit à des principes stricts d’or-ganisation et de structure à mettre en place ainsiqu’à des critères de prudence dans la réalisa-tion et d’adéquation des ressources aux besoinsrecensés.

Le dispositif permanent mis en place par laréforme est basé sur trois niveaux de protection,selon les critères énoncés dans l’article anté-rieur consacré à la protection sociale enAfrique2, et considère l’univers des personnesà couvrir en fonction de leur capacité à participerau financement de leur protection ou à en couvrirentièrement le coût. Ainsi, pour ces dernièrescatégories, sont respectivement destinés ledeuxième et le troisième niveau de protectionsociale, c’est-à-dire, le régime général obliga-toire répondant à une logique d’assurance, basésur la solidarité de groupe, et le régime com-plémentaire volontaire destiné à fournir unmeilleur niveau de protection, basé sur l’assu-rance individuelle. L’extension de la protectiondu deuxième niveau nécessite, évidemment, lacréation de régimes à l’intention des tra-vailleurs non salariés des différents secteurséconomiques ainsi que des régimes spéciauxpour des catégories spécifiques de travailleursayant des besoins particuliers. Les travailleursqui ne peuvent couvrir que partiellement lecoût de leur propre protection constituent uncas de figure à part. La réforme a prévu poureux l’application de techniques liées à lamicroassurance par le biais des programmes delutte contre l’exclusion sociale ayant recours àl’appui de structures de la société civile et audéveloppement de solidarités verticales quiviendraient compléter leur manque de capacitéde contribution. Le cas échéant, ces travailleurspourraient être admis à bénéficier de la protec-tion du premier niveau dont les prestations sontnormalement prévues pour les indigents, c’est-à-dire, pour les personnes n’ayant aucune capa-cité de participer à leur protection. Cette protection

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qui relève d’une pure logique d’assistance,serait gérée directement par les collectivitéslocales et serait financée par l’impôt.

Un cas spécifique de personnes n’ayantaucune capacité de participer à leur protectionest constitué par les jeunes abandonnés à eux-mêmes, phénomène connu dans les PALOPsous le nom «enfants de la rue», particulière-ment grave dans certains des pays à cause dela guerre ou de la misère. Pour eux, la possibi-lité de développer des solidarités verticales dusecteur national et international est actuelle-ment à l’étude.

La participation des organisationsdes travailleurs

Comme on a pu le constater, la tâche entre-prise par les PALOP pour réformer le systèmede protection sociale dans le sens de l’extensionde la couverture et d’une plus grande équitépour les citoyens est de grande envergure et sa

mise en application se doit d’être progressive.L’effort que cette tâche demande est grand etimplique la participation de toutes les forcesvives des pays. Les organisations des tra-vailleurs se doivent d’être en première lignedans le processus de réforme pour défendre,comme c’est déjà le cas, les intérêts des tra-vailleurs salariés, mais aussi pour les autres tra-vailleurs qui ne sont pas syndiqués, dans l’in-térêt général de la collectivité nationale.

Notes

1 Le lecteur intéressé à ces questions pourra aisémentconsulter l’article du même auteur «La situation actuelle desrégimes publics de sécurité sociale dans les pays franco-phones d’Afrique au sud du Sahara: un état des lieux» parudans la publication «Réflexions sur les stratégies de réformede la protection sociale», BIT, Genève, 2000.

2 Dans ce même numéro, voir l’article «Pensions et pro-tection sociale en Afrique». Les objectifs pour les prochainesannées étant l’extension de la couverture.

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Lorsqu’on parle de protection sociale, ilconvient tout d’abord de définir avec soin ceque l’on entend par ce terme. La significationpeut varier beaucoup étant donné que les pres-tations peuvent être offertes de diverses façonset par des voies différentes. D’après la défini-tion du Rapport sur le travail dans le monde2000, la protection sociale englobe non seule-ment les programmes de sécurité socialepublics mais également les systèmes privés ounon obligatoires dont l’objectif est similaire àcelui des régimes de sécurité sociale, y comprisles programmes d’assistance sociale financéspar des fonds publics. La sécurité sociale, quantà elle est définie comme la protection que lasociété offre à ses membres en prenant une sériede mesures publiques. Ces mesures peuventnotamment être:• programmes visant à compenser, ou à

réduire sensiblement, l’absence d’un revenudu travail dans diverses éventualités(notamment celles mentionnées dans laconvention de l’OIT (no 102) concernant lasécurité sociale (norme minimum), 1952;

• grands programmes de soins de santé sub-ventionnés; et

• mesures visant à offrir des prestations auxfamilles ayant des enfants ou des personnesà charge.

Le financement de la protection sociale estnormalement assuré par des affectations derecettes fiscales, par des cotisations de sécuritésociale spécialement réservées à cette fin, desrevenus d’investissements de fonds de la sécu-rité sociale et parfois par des fonds externesconstitués par des dons faits par des tiers,comme les institutions financières internatio-

nales. Les dépenses de protection sociale sonthabituellement effectuées par diverses institu-tions administratives, allant d’entités centralesà des entités villageoises ou leurs représentants.

En Asie, les types de systèmes offrant desprestations de sécurité sociale, les éventualitéscouvertes ainsi que la couverture de la popula-tion varient beaucoup. Un petit nombre de paysde la région ont des caisses de compensationnationales. Les principales éventualités cou-vertes sont les accidents du travail, la vieillesse,l’invalidité et les indemnités dues aux survi-vants d’un soutien de famille. Peu de pays dela région ont des systèmes d’assurance chô-mage (en plus des dispositions légales relativesaux indemnités dues en cas de licenciement);néanmoins la plupart des pays ont certainesdispositions relatives aux prestations devantêtre payées en cas de maladie de courte duréeet de maternité. Là où de nouveaux régimes desécurité sociale sont en train d’être conçus,notamment en Thaïlande, en RDP lao et au VietNam, les dispositions légales ont pour but d’ar-river finalement à une couverture universellede la population en autorisant l’introduction demécanismes de sécurité sociale complémen-taires. L’objectif de ces pays est d’offrir une basepour l’amélioration du bien-être des tra-vailleurs et de leur famille en donnant initiale-ment la priorité aux dispositions couvrant lessalariés du secteur formel de l’économie. Onestime qu’avec une telle approche progressiveil devrait être possible de constituer une basesolide en vue de renforcer les capacités natio-nales pour satisfaire les besoins de protectionsociale de la population.

Ce document est centré sur les considéra-tions qui déterminent le financement public dela protection sociale en Asie, en se référant tout

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Région Asie-Pacifique

Améliorer le financement public de la protectionsociale en Asie: les cas de la Chine, de la Thaïlande

et de la République démocratique populaire lao

Anne DrouinSpécialiste en sécurité sociale

Equipe consultative multidisciplinaire pour l’Asie de l’EstBureau international du Travail

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particulièrement à trois pays où des évolutionssont en cours. Parmi les pays couverts figurentégalement la République populaire de Chine entant qu’économie en transition, le Royaume deThaïlande en tant qu’économie à revenu moyenet la République démocratique populaire lao entant que pays le moins développé. Le documentrelève que le montant des ressources publiquesaffectées à la protection sociale est trop peuélevé dans la région en général. Il fait valoir quecertaines conditions préalables doivent êtreremplies pour que la protection sociale puissebénéficier d’affectations de ressources efficaceset que ces conditions sont étroitement liées aurenforcement des capacités des institutionsexistantes et à l’accroissement des ressourceshumaines chargées de gérer les programmes deprotection sociale. Le rôle des administrationslocales doit être accru afin de veiller à ce que lestravailleurs soient obligatoirement annoncésaux régimes de sécurité sociale – ce qui aug-mentera les recettes de la sécurité sociale –,d’évaluer les besoins de protection de la popu-lation et de gérer des programmes de protec-tion sociale. Enfin, le document aborde le pro-blème de la vulnérabilité et des limites desprogrammes de protection sociale qui résultede la mondialisation. Il préconise un accroisse-ment du rôle des instances et institutions régio-nales afin d’élaborer des programmes permet-tant de percevoir les ressources à l’échelonrégional et de les redistribuer dans l’ensembledu pays.

I. Un financement équilibréde la protection sociale

Il y a un besoin manifeste de percevoirdavantage de ressources ou de réaffecter desressources existantes en faveur de la protectionsociale. Au début des années 90, les dépensesde sécurité sociale représentaient en moyennemoins de 1 pour cent du PNB dans à peu prèsla moitié des pays d’Asie – parmi lesquels setrouvaient notamment le Bangladesh, les îlesFidji, l’Inde, la Malaisie, les Philippines et laThaïlande. Depuis, la proportion des dépensessociales par rapport au PNB a légèrement aug-menté mais reste en général faible comparée àla proportion d’autres régions du monde. Endépit d’affectations budgétaires accrues enfaveur de programmes de protection sociale, lapart relativement faible du PNB consacrée à laprotection sociale peut s’expliquer par le faitque la croissance annuelle du PNB a été d’en-viron 7 pour cent jusqu’à la crise asiatique alorsque les dépenses réelles en faveur de la sécurité

sociale n’ont augmenté que de 2,6 pour cent parannée. Cela signifie que le développementsocial a été plus lent que le développement éco-nomique. Tel est tout particulièrement le cas dela République de Corée, de la Malaisie et de laThaïlande.

Les causes sous-jacentes de cette cadenceplus lente du développement social sont engrande partie l’absence de dispositions légaleset d’infrastructures publiques.

La planification de l’accroissement de laportée des mesures et des capacités de protec-tion sociale exige une prise en considérationminutieuse des besoins des populations et desmécanismes devant permettre de répondre àde telles exigences. L’OIT accorde habituelle-ment la priorité à l’assurance sociale en tantqu’approche la plus viable pour instituer uneprotection sociale autofinancée à long terme.Une telle approche devrait être complétée parune assistance sociale financée par l’Etat,notamment au moyen de «filets de sécuritésociale» en faveur des groupes de personnesdémunies et exclues. Tant que les mesures d’as-surance sociale ne s’appliqueront pas à la majo-rité de la population, le fardeau devant êtresupporté par les gouvernements pour financerl’assistance sociale restera très lourd, tout spé-cialement en temps de crises économiques.Cela d’autant plus que le nombre de pauvresaugmente dans des pays où les priorités natio-nales consistent à procéder à des transfertspour venir en aide aux personnes et ne pré-voient pas de mesures de prévention pour ceuxqui ne sont pas dans le besoin mais dont lescapacités de gains sont menacées par desconditions potentiellement précaires. Tel a étéinévitablement le cas de milliers de travailleursqui se sont trouvés au chômage à cause de lacrise et qui ont ensuite eu besoin d’assistancesociale car il n’existait pas de protection socialedans la plupart des cas.

Le financement de la protection sociale doitêtre planifié à l’aide de stratégies nationales glo-bales élaborées avec soin afin d’englober tousles besoins de la population. Ces stratégies doi-vent avoir pour buts à la fois de prévenir la pau-vreté et de venir en aide à ceux qui vivent déjàdans la pauvreté. Une évaluation des dispari-tés entre les besoins et la protection sociale exis-tante devrait être basée sur une connaissanceapprofondie des besoins et des mécanismes enplace. Un examen efficace de la situationrequiert des informations de base devant êtrefournies par les administrations à l’échelonlocal, les entreprises, les représentants des tra-vailleurs et par d’autres groupes communau-

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taires qui sont susceptibles d’avoir unemeilleure connaissance des réalités spécifiquesauxquelles la population doit faire face. Lespriorités nationales en matière de sécuritésociale et d’assistance sociale peuvent alors êtremieux définies en veillant à assurer une coor-dination nationale avec la politique écono-mique et la politique en matière d’emploi. Ilconvient toujours de rechercher un consensuspublic pour l’adoption de politiques qui reflè-tent les souhaits et les besoins de la société –notamment ce que la société est en mesure d’of-frir et ce dont elle doit pouvoir disposer auminimum grâce à l’introduction de pro-grammes publics –, et de respecter les rôles desinitiatives prises par des personnes et des enti-tés privées (par exemple une aide familialeélargie).

L’expérience faite dernièrement après lacrise financière asiatique de 1997 a mis au jourles insuffisances des systèmes existants à cemoment. Les analyses politiques et adminis-tratives sont arrivées à la conclusion que dansbeaucoup de cas le développement futur de laprotection sociale devra être basé sur des capa-cités nationales et locales de prestations de pro-tection sociale qu’il faudra d’abord renforcer.

Financement de l’assistance sociale

Les sources de financement disponiblespour l’assistance sociale sont essentiellementles affectations budgétaires de l’Etat. Certainsdes pays les moins avancés bénéficient de mon-tants considérables octroyés par la commu-nauté internationale de donateurs.

La couverture de l’assistance sociale reflèteen général les priorités politiques et son effica-cité est de facto liée à l’activité ou les capacitésdes gouvernements locaux. Le financement del’assistance sociale est en général limité; c’estpourquoi on trouve rarement une assistancesociale universelle dans les pays en développe-ment. Les programmes sont habituellementaxés sur des groupes cibles spécifiques dont lesbesoins ne seraient pas pris en considérationautrement. Des prestations en nature ou enespèces sont en général accordées à ceux quisatisfont au critère des ressources. Le coût degestion de tels programmes est habituellementtrès élevé. L’OIT privilégie en général la four-niture de prestations d’assistance sociale «parcatégories», c’est-à-dire que l’ouverture dedroits est déterminée par des séries de critèresobjectifs qui peuvent être basés sur des carac-téristiques régionales, physiques ou d’âge évi-dentes. L’Etat joue un rôle décisif car les pro-

grammes d’assistance sociale dépendent de lavolonté des hommes politiques qui approuventles affectations budgétaires annuelles. Le suivides programmes d’assistance sociale devraitêtre assuré à l’aide d’indicateurs objectifs faci-lement disponibles tels que le pourcentage depersonnes qui bénéficient d’une protection parrapport au nombre total des personnes qui enauraient besoin. Des seuils devraient être éta-blis et les administrateurs publics devraientêtre tenus pour responsables des performancesqui ne répondent pas aux normes minimalescorrespondant à de tels seuils. Les acteursconcernés devraient impliquer les personneschargées de définir les politiques ainsi que lesadministrateurs. Il faut toutefois apporter toutel’attention nécessaire à la dotation en capacitésadministratives suffisantes pour pouvoir res-pecter de tels seuils.

Financement de l’assurance sociale

En Asie, les régimes de sécurité sociale cou-vrent en général surtout les travailleurs salariéscar leur capacité de revenu est plus facile àdétecter. La Thaïlande, les Philippines et laRépublique de Corée envisagent depuis long-temps d’étendre la couverture obligatoire deleurs régimes aux personnes travaillant à leurpropre compte. Il s’agit d’une tâche ardue carle coût administratif augmente dès que desentreprises de plus petite dimension et des tra-vailleurs établis à leur propre compte sont cou-verts.

Le financement de l’assurance sociale esthabituellement lié à la capacité des travailleurset des employeurs de verser des cotisations.Certains régimes de sécurité sociale dans larégion reçoivent des subventions gouverne-mentales; par exemple, le gouvernement de laThaïlande paie un tiers des cotisations de sécu-rité sociale dues par les travailleurs. De tellessubventions gouvernementales sont habituel-lement justifiées quand la couverture estpresque universelle. On décourage toutefois leversement de telles subventions dans les paysoù la couverture n’est pas encore maximale carelles impliquent que des groupes de la popula-tion non couverts contribuent dans une certainemesure au versement de ces subventions gou-vernementales en payant divers impôts,comme par exemple les taxes sur la valeur ajou-tée qui doivent être payées par chaque consom-mateur. L’utilisation de la perception de diversimpôts pour financer la sécurité sociale peut nepas être appropriée, d’autant plus que la plu-part des pays emploient des recettes publiques

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qui proviennent d’autres sources que lesimpôts sur le revenu personnel, tels que lesimpôts à l’importation, les droits d’accise et lesdroits perçus pour l’octroi de licences d’affaires.Les recettes gouvernementales qui correspon-dent à la part des cotisations versées par lesemployeurs de travailleurs du secteur publicdoivent toutefois pouvoir être utilisées.

La définition du paiement d’indemnitésdoit tenir compte de considérations actuariellesafin que la viabilité financière à long terme dela sécurité sociale soit assurée. Le rôle de l’Etatdevrait aller au-delà de la définition de poli-tiques afin d’englober également la réglemen-tation de la gestion et la supervision des per-formances des régimes de sécurité sociale.L’Etat devrait être l’ultime garant financier desrégimes de sécurité sociale ce qui implique qu’ila pour responsabilité d’adopter des disposi-tions concernant le paiement d’indemnités quisont financièrement viables. Dans les pays oùdes approches individualisées de la sécuritésociale existent, par exemple des caisses de pré-voyance, l’Etat devrait avoir pour obligation degarantir le versement d’indemnités minimalessi le résultat de gestion des investissements oude l’administration des caisses de prévoyanceest mauvais. De même, des dispositionsdevraient être prises pour garantir un mini-mum de transferts de recettes au profit desgroupes de travailleurs les plus vulnérables,comme par exemple les femmes qui se trouventdans des situations d’emploi précaires avec unecarrière de travail non maximale et qui pour-raient ne pas être en mesure d’épargner suffi-samment pour bénéficier d’une protectionsociale décente.

Etant donné que des limites ne permettentpas aux programmes de sécurité sociale natio-naux de couvrir la majorité de la populationactive, les administrations communautairesdevraient être encouragées à promouvoir desarrangements d’assurance sociale volontaireliés dans une certaine mesure à la sécuritésociale nationale, du moins en ce qui concernela garantie financière et les compétences tech-niques d’experts.

Les réserves de financement des régimes desécurité sociale devraient être gérées confor-mément à des dispositions réglementaires quiencouragent la constitution de réserves pour lagestion des éventualités – à savoir des dépensesannuelles intervenant 2-3 fois par année enpériodes stables – et des fonds de pensions. Detelles dispositions réglementaires devraienttoutefois décourager des accumulations exces-sives de réserves.

II. Limites de la redistributionde revenus par le truchementde la protection sociale

Les mesures d’assistance sociale sont desmoyens utiles pour acheminer des ressourcesvers ceux qui sont dans le besoin mais leur effi-cacité dépend directement de l’existence de res-sources suffisantes et de mécanismes de pres-tations efficaces. En Asie, la redistribution derevenus par le truchement de programmesd’assistance sociale s’est avérée d’une efficacitélimitée. Cela s’explique en partie par les mon-tants de ressources affectées relativementfaibles en raison du faible pourcentage desrecettes gouvernementales par rapport au PNB.

La couverture de l’assurance sociale peutêtre accrue progressivement si l’on reconnaîtbien clairement qu’elle devrait être fondée dèsle début sur une base solide avec des attentesraisonnables, notamment en ce qui concerne lacouverture effective de la population. L’appuipublic en faveur de l’assurance sociale est capi-tal. Les dispositions relatives à son financementdoivent dûment reconnaître quelles sont lesressources financières sur lesquelles on peutcompter et ce que l’on peut promettre en met-tant en place des mécanismes de prestations.

Le financement de la sécurité sociale n’estguère possible pour les groupes de la popula-tion dont les gains sont difficiles à détermineret à contrôler. L’implication d’organisations etd’administrations établies à l’échelon local estessentielle pour la conception d’arrangementsen faveur de tels groupes de la population,notamment pour les travailleurs du secteurinformel, de l’agriculture et les travailleurs àdomicile.

Afin d’assurer une utilisation financière effi-cace des ressources financières dont dispose lasécurité sociale, certaines conditions sine quanon doivent être remplies. Il s’agit d’aspectspratiques des régimes de protection sociale quipeuvent être résumés comme suit:• les cotisations perçues devraient couvrir

une grande proportion des gains assurés;• l’appui du public et des entreprises devrait

être obtenu au moyen de campagnes inten-sives d’information du public et d’adminis-trations de la protection sociale facilementaccessibles;

• la gestion des régimes doit être tripartite etne subir aucune pression politique; elle doitassumer ses responsabilités en respectantdes indicateurs et des normes de perfor-mance clairement définis;

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• des mesures doivent être prises afin d’éviterla corruption, y compris une gestion laxistedes régimes;

• l’administration de la protection sociale doitêtre dotée d’un personnel bien formé à tousles niveaux de gestion;

• les résultats de gestion doivent faire l’objetde rapports publics; et

• des dispositions légales doivent être pro-mulguées afin que des mesures puissentêtre prises en temps opportun pour assurerune administration efficace de la protectionsociale et de ses prestations.

III. Décentralisation de la politiqueet financement de l’assistancesociale et de l’assurance sociale

En République populaire de Chine

Le système de sécurité sociale pour lespopulations urbaines de la Chine doit êtreréformé au cours des trois prochaines annéesdans le cadre d’un projet de restructuration effi-cace des moyennes et grandes entreprisesd’Etat. Des mesures proposées et adoptées ontpour objectif premier d’accroître la stabilitésociale. La réforme de la sécurité sociale doitsurtout permettre de satisfaire les besoins despopulations urbaines; on estime actuellementque le gouvernement devrait promouvoir desapproches d’auto-assistance pour les popula-tions rurales. La situation en ce qui concerne lesprincipaux programmes de protection socialeobligatoire peut être résumée comme suit:

Assurance sociale pour la populationactive urbaine

L’assurance sociale est obligatoire pour lapopulation active urbaine, mais la couvertureréelle n’est que de 44 pour cent. Les dispositionsprévoient le versement de pensions de vieil-lesse, d’indemnités d’invalidité, d’indemnitésen cas de décès, d’indemnités de chômage enespèces, de prestations d’assurance maladie etde maternité. Le gouvernement est responsabledes énormes déficits des municipalités car lescotisations perçues ne suffisent pas pour finan-cer les prestations promises, à savoir le verse-ment de pensions de vieillesse aux retraités desmoyennes et grandes entreprises d’Etat; aupa-ravant, la protection sociale et les besoins delogement des employés devaient être assurésdirectement par leur entreprise durant leur vieactive et leur retraite. Les Bureaux municipauxdu travail et des questions sociales (MOLSS)

sont chargés de la politique et de l’administra-tion de l’assurance sociale. Les nombreux tra-vailleurs migrants n’ont en général pas droit àla protection des régimes d’assurance sociale.

Programme d’appui aux centresde réemploi des travailleurs urbainslicenciés

Il s’agit d’un programme temporaire basésur l’entreprise dont le but est de venir en aideaux travailleurs licenciés pour des raisons éco-nomiques. Les contrats de travail des tra-vailleurs licenciés reste en vigueur durantapproximativement trois ans; au cours de cettepériode, les travailleurs reçoivent des indemni-tés et bénéficient d’une assistance pour trouverun nouvel emploi. Le système des indemnitésde chômage en espèces et les budgets des gou-vernements locaux sont censés couvrir 2/3 descoûts de ce programme. Tous les Centres deréemploi devraient cesser d’exister en 2003.Cela implique un changement important et dif-ficile car le lourd fardeau du chômage devraêtre supporté par les régimes d’indemnités dechômage gérés par les municipalités. L’admi-nistration du programme est coordonnée entreles moyennes et grandes entreprises d’Etat etles Bureaux municipaux du travail et desaffaires sociales (MOLSS).

Programme de subventions pourassurer un niveau de vie minimumaux habitants des zones urbaines

Introduit en 1998, ce programme d’assis-tance sociale devrait apporter une aide finan-cière de dernier ressort aux habitants des zonesurbaines qui vivent au-dessous du seuil de pau-vreté. Les indemnités en espèces sont modesteset inférieures aux indemnités d’assurancesociale forfaitaires; de plus, les prestations desoins de santé ne sont pas normalisées. Onespérait que ce programme permettrait devenir en aide aux travailleurs et retraités desentreprises ayant fait faillite, ainsi qu’à leurfamille, qui devaient pourvoir à leurs propresbesoins de protection sociale. La valeur de ceprogramme est contestée dans diverses zonesde la Chine où l’on affirme qu’il n’apporte pasune aide suffisante et rapide à ceux qui sontdans le besoin. Ce programme a été améliorédans certaines zones rurales, notamment là oùdes travailleurs agricoles ont manifesté contreles autorités parce que leur revenu était bas etles impôts locaux élevés. Les bureaux munici-paux du ministère des Affaires civiles sont

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chargés de la mise en œuvre de ce programme.La politique de coordination avec les pro-grammes des MOLSS pourrait être améliorée.

Pensions, assurance santé et assistancesociale dans les zones rurales

Le ministère des Affaires civiles supervise lagestion des régimes de sécurité sociale enfaveur des populations rurales avec l’appui desConseils des villages. La situation varie beau-coup d’une localité à l’autre et certaines zonesn’ont aucune infrastructure. Les prestationssont versées volontairement et uniquement enfonction des cotisations payées par chaquerésident rural. Environ 85 millions de per-sonnes (soit environ 9,5 pour cent de la popu-lation rurale) sont couvertes par le système depensions, et l’assurance maladie couvre 20 pourcent de la population rurale. L’assurance mala-die des coopératives rurales a été introduite aucours des années 1970 et s’est avérée assez utileau début car elle couvrait la majorité de lapopulation rurale. Par la suite, des réformes ontplus ou moins proscrit ces coopératives. L’as-sistance sociale est habituellement apportéesous la forme de secours lors de catastrophesnaturelles et financée par des affectations bud-gétaires centrales et territoriales ad hoc. Desdispositions sur l’aide devant être apportée auxpauvres existent également mais leur portéevarie beaucoup et leur application semble sub-jective dans certains cas.

Les systèmes de sécurité sociale sont extrê-mement segmentés en raison des différentesresponsabilités gouvernementales. Le finance-ment et la gestion sont très décentralisés etdépendent dans une large mesure des condi-tions économiques prévalant au niveau local.C’est ainsi que des progrès économiquesrécents ont accru les disparités de revenus entreles villes de la côte orientale et les zones ruralesd’une part et les régions moins développées dela Chine de l’Ouest. Les problèmes sont encoreaggravés par les migrations croissantes dejeunes travailleurs des zones rurales qui vonttravailler dans les villes côtières et laissent der-rière eux de nombreuses personnes qui étaientà leur charge. Les autorités municipales derégions de l’Ouest et de zones rurales disposentpar conséquent de moins de recettes fiscalesperçues sur le revenu des travailleurs et doiventsupporter un fardeau plus lourd car elles doi-vent verser des prestations de sécurité socialeaux personnes qui étaient à la charge des tra-vailleurs partis vers l’Est.

Rôle de l’Etat central

Le rôle de l’Etat central consiste essentielle-ment à définir des politiques devant servir demodèles et à fixer des limites pour les disposi-tions réglementaires spécifiques pouvant êtrepromulguées au niveau des provinces. Ceslimites ont surtout pour but d’assurer un certaindegré d’uniformité dans l’ensemble du pays. Laredistribution globale des ressources de protec-tion sociale entre les provinces et les générationsest très difficile car peu de fonds sont collectés àl’échelon des administrations locales. L’Etat cen-tral doit recourir à d’autres sources de finance-ment pour couvrir les déficits de systèmes desécurité sociale locaux. Le gouvernement centralsuit les évolutions financières et démogra-phiques intervenant dans toutes les provinces.Seule une coopération limitée existe entre l’éla-boration de politiques et la supervision desrégimes de sécurité sociale (qui sont du ressortdu ministère du Travail et de la Sécurité sociale)et des programmes d’assistance sociale (qui sontdu ressort du ministère des Affaires civiles).

Rôle des administrations provinciales

Les autorités provinciales adoptent les dis-positions, y compris les dispositions financièresdéfinitives, devant être appliquées en matièrede prestations sociales en respectant les limitesfixées par les directives de l’Etat central. Parexemple, les taux de cotisations devant être ver-sés aux systèmes de pensions publics ne peu-vent pas être fixés à plus de 20 pour cent desrevenus sans l’approbation préalable de l’Etatcentral. Les ressources de sécurité socialeréunies restent limitées au niveau des munici-palités. Dans certaines provinces, 5 pour centdes recettes de cotisations collectées par lesBureaux du travail et des affaires sociales muni-cipaux sont transférés à l’administration pro-vinciale dans le but de redistribuer les recettesau profit de municipalités dont les dépenses deprestations sont supérieures au montant descotisations perçues. Les autorités provincialessurveillent l’administration des systèmes, exa-minent les rapports financiers qui doivent luiêtre soumis ainsi que les demandes présentéespar des villes en vue d’obtenir des affectationscentrales de «recettes redistribuées».

Rôle des administrations municipales

Les administrations municipales gèrent lessystèmes de sécurité sociale: elles enregistrentles entreprises et leurs travailleurs, inspectent

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les entreprises, perçoivent les cotisations, reçoi-vent les demandes de prestations, versent lesprestations, s’occupent de l’information dupublic et des appels. Ces activités constituent lamajeure partie de leur charge administrative.La gestion financière des systèmes de sécuritésociale est du ressort des Bureaux municipauxdu travail et des affaires sociales. Ces dernierstravaillent en coopération étroite avec les entre-prises étant donné que certains systèmes desécurité sociale, notamment l’assurance chô-mage, doivent fournir un tiers des ressourcesnécessaires pour soutenir des initiatives desécurité sociale concernant les entreprises, parexemple les centres de réemploi (qui doiventtoutefois être fermés en 2003). Les Bureauxmunicipaux travaillent également en coopéra-tion étroite avec les autorités fiscales locales quisont les garants financiers des systèmes desécurité sociale. Ils doivent également transfé-rer des ressources fiscales aux programmesd’assistance sociale. Quand les finances localesne permettent pas de faire face aux demandeslocales de protection sociale, des requêtes sontprésentées en vue d’obtenir des transferts dugouvernement central et des gouvernementsprovinciaux. C’est là un des principaux incon-vénients de l’approche de la Chine en matièrede financement de la protection sociale.

Rôle des administrations rurales

Les administrations rurales s’occupent prin-cipalement des systèmes d’assurance socialevolontaire et des programmes d’assistancesociale, notamment en cas de catastrophes natu-relles. Seuls 10 pour cent de la population ruralesont couverts par un système de caisse de pen-sions ou un autre et moins de 20 pour cent sontcouverts par les assurances maladie. Des expé-riences faites récemment ont démontré que cesassurances manquent de ressources financièrespour répondre aux besoins des populationsrurales. La sécurité sociale offre une protectioninadéquate en ce sens qu’il n’y a pas de garan-tie financière en cas de mauvais investissementset qu’elle n’offre qu’une aide limitée à ceux quine contribuent pas ou très peu. Les prestationsde protection sociale dépendent dans une largemesure des ressources fiscales des gouverne-ments locaux qui sont très limitées en raison desfaibles revenus des populations résidantes.Avec le temps, les localités ont introduit un vasteéventail d’impôts spéciaux devant être payéspar le petit nombre d’unité productives, notam-ment par les exploitants agricoles. Là où lesniveaux de revenus sont les plus bas, le niveau

de ressources disponibles pour la protectionsociale sont bien entendu aussi les plus faibles,alors que les besoins de protection sociale sontles plus grands. Les gouvernements locaux quine sont pas en mesure de satisfaire les besoinsde protection sociale essentiels de leurs habi-tants doivent présenter une requête pour rece-voir des subventions sous la forme d’affecta-tions budgétaires extraordinaires décidées parles gouvernements des provinces et le gouver-nement central. Comme les ressources des bud-gets des provinces et du budget national del’Etat sont souvent limitées, tous les besoinsd’assistance sociale ne peuvent pas être satis-faits. Au niveau national, ces affectations sonten général décidées en tenant compte des prio-rités du maintien de la stabilité sociale au niveaulocal. Le financement de la protection socialedonne ainsi la priorité aux affectations en faveurde régions où la stabilité sociale est précaire.

Le financement global de la sécurité socialeest basé sur une approche de bas en haut enRépublique populaire de Chine. Lorsqu’on sedemande si cette approche est la meilleure pourun pays comme la Chine, il convient de ne pasméconnaître les avantages et les inconvénientsde l’approche actuelle par rapport à d’autresoptions.

Avec l’approche actuelle, le fardeau dufinancement de la protection sociale incombeessentiellement aux administrations locales,qui sont le niveau où les fonds de sécuritésociale sont réunis. S’il y a un déficit, les res-sources fiscales locales devraient également lecombler. Cela implique inévitablement uneponction sur les ressources financières quidevraient servir au développement écono-mique à l’échelon local. Cela implique égale-ment une assistance sociale inéquitable etinadéquate étant donné que les localités dontles ressources fiscales sont relativement peuélevées ne sont pas en mesure de répondre auxbesoins d’assistance sociale. Et il y a bien deschances que les localités qui ont les ressourcesles plus limitées soient aussi celles où le besoinde transferts sociaux soit le plus grand. En cequi concerne l’assurance sociale, les problèmessont plus ou moins les mêmes mais, en prin-cipe, un peu moins graves car certains fonds,trop peu élevés il est vrai, sont réservés pourêtre transférés à des niveaux d’administrationplus élevés afin d’être redistribués pour veniren aide aux systèmes de sécurité sociale en dif-ficultés.

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En Thaïlande

En Thaïlande, la protection sociale joue unrôle limité car la plupart des mesures relativesà l’assurance sociale nationale ont été prisesdepuis l’introduction de la loi sur la sécuritésociale de 1990. Les programmes d’assistancepublique sont nombreux mais leur portée réelleest aussi limitée que les ressources financièresqui leur sont affectées. Les soins de santé offertsgrâce à des subventions publiques jouent unrôle important; en effet, les chiffres officiels esti-ment que 70 pour cent de la population béné-ficient d’une assurance maladie ou de soinssanté de subventionnés sous une forme ou uneautre. Ces chiffres ne sont toutefois pas confir-més par des études socio-économiques qui éva-luent la couverture des prestations de soins desanté à 40-50 pour cent de la population. Laqualité des soins de santé subventionnés estparfois contestée.

Dernièrement, le gouvernement nouvelle-ment élu a déployé des efforts de planificationconsidérables en vue d’introduire un systèmed’assurance maladie universel devant per-mettre aux patients de ne payer que 30 baht parvisite médicale (soit environ US$0,70). Un telsystème d’assurance maladie universel seraintroduit d’abord sous la forme de projet pilotependant deux ans. La viabilité de ce systèmed’assurance maladie universel et public a sus-cité beaucoup de scepticisme. Plusieurs optionssont à l’étude. Pendant les deux premièresannées, l’objectif consistera à rationaliserd’autres dépenses gouvernementales et à trans-férer les économies au système d’assurancemaladie universel. De plus, l’actuel systèmed’assurance maladie pour les fonctionnaires etles fonctionnaires retraités – qui est onéreux etbasé sur le principe «vous payez quand vousavez besoin de soins» – sera fusionné avec lesystème national de sécurité sociale obligatoire.Cette fusion devrait permettre de faire des éco-nomies budgétaires considérables qui servirontà financer en partie le coût du système d’assu-rance maladie universel.

En Thaïlande, le financement public de lasécurité sociale est également assuré par lepaiement d’un tiers des cotisations dues par lestravailleurs couverts par le système de sécuritésociale. Ce dernier système est obligatoire pourles travailleurs employés par des entreprisesayant 10 salariés ou plus. Néanmoins, l’obliga-tion de déclarer ces travailleurs est respectéedans 42 pour cent des cas (1999) par les entre-prises moyennes qui ont entre 10 et 99 employés,mais ce pourcentage est nettement plus élevé –

91 pour cent – dans les grandes entreprisesemployant 100 travailleurs ou plus.

Les dépenses sociales globales de la Thaï-lande se caractérisent par le fait qu’une grandeproportion des prestations d’assurance socialesont versées aux travailleurs du secteur publicet aux travailleurs du secteur privé employésdans de grandes entreprises ayant 100 tra-vailleurs et plus. D’autres transferts publicssont destinés essentiellement à des fins d’édu-cation. Dans une large mesure, la société thaï-landaise donne la priorité au bien-être desenfants.

Le gouvernement central prend la plupartdes décisions relatives à la politique en matièrede programmes d’assistance sociale. L’admi-nistration de ces programmes est superviséepar les autorités gouvernementales centralesqui comptent sur l’appui qu’elles peuventtrouver au niveau local pour l’offre de presta-tions et cet appui vient parfois en partie degroupes politiques; on estime en effet que cesgroupes connaissent mieux les besoins d’assis-tance sociale là où les infrastructures sontfaibles. D’importants changements pourraienttoutefois intervenir car le parlement de la Thaï-lande a adopté en l’an 2000 une législation quiprévoit la décentralisation de quelque 35 pourcent des budgets publics au profit d’adminis-trations locales. Il est prévu que ces transfertsse feront au cours d’une période de dix ans afinde veiller à ce que les capacités locales soient enmesure d’administrer de tels budgets à des finsd’assistance sociale.

D’une façon générale, la gestion desdépenses sociales est difficile en Thaïlande caril n’y a qu’une infrastructure limitée pour offrirune protection sociale. Pour l’assistance sociale,cela signifie que les capacités sont insuffisantespour administrer, assurer le suivi et présenterdes rapports sur les prestations offertes. Pourl’assurance sociale, cela signifie qu’il y a troppeu de bureaux locaux pour assurer l’applica-tion des mesures visant à accroître la couver-ture de sécurité sociale obligatoire de la popu-lation et pour obtenir l’appui du public. Lesréformes adoptées récemment devraientcependant remédier à la trop forte centralisa-tion de la gestion de la protection sociale. Ilconvient de veiller à ce que des capacités localesexistent avant que des ressources soient trans-férées aux communautés. Il est clair qu’il vautmieux ne pas affecter des ressources à des loca-lités qui ne disposent pas encore des capacitéset des mécanismes nécessaires pour assurer unebonne administration. A cet égard, on peutmentionner l’expérience faite dernièrement

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dans le cadre de programmes de servicessociaux professionnels. Des fonds ont été affec-tés à des comités locaux, mais beaucoup delocalités cibles de ces programmes, bienqu’elles n’aient reçu que peu de fonds, n’ont pasété vraiment satisfaites de ces innovations carl’objectif de cette dotation de fonds n’était pasbien comprise et des comportements rigides etpolitiquement tendancieux ont parfois faussél’utilisation de ces fonds. On constate donc quel’efficacité de la décentralisation du finance-ment de la protection sociale peut ainsi êtrelimitée.

La République démocratiquepopulaire lao

D’après la classification de la Banque mon-diale, la RDP lao est un des pays les moins déve-loppés. La capacité de l’Etat d’offrir une pro-tection sociale est très limitée en raison desfaibles ressources dont dispose le gouverne-ment, des disparités ethniques, de l’existenced’une économie non monétarisée en dehors dela capitale Vientiane et des autres grandesvilles. La mauvaise situation économique quiprévaut dans le pays serait une des consé-quences de la guerre, qui a pris fin il y a plus devingt-cinq ans, et des politiques d’économiecentralement planifiée.

La majeure partie des dépenses de protec-tion sociale est financée à l’aide de fonds dedonateurs internationaux, surtout en ce quiconcerne les dépenses de santé et d’éducation.La priorité est donnée à la création de capacitésinstitutionnelles devant résulter d’une meilleureéducation.

Il n’y a pratiquement pas de programmes deprotection sociale obligatoire, à l’exception dusystème de sécurité sociale pour les fonction-naires. Les fonctionnaires contribuent à ce sys-tème en versant 6 pour cent de leur salaire et lebudget de l’Etat couvre le reste des coûts de cesystème de sécurité sociale. Ce système est oné-reux et la protection sociale qu’il offre est limi-tée. Dernièrement, en décembre 1999, le Pre-mier ministre de la RDP lao a signé le décret 207qui prévoit l’introduction d’un système desécurité sociale obligatoire financé par cotisa-tions pour les travailleurs des entreprises dessecteurs privé et public. Ce système devraitdevenir opérationnel en juin 2001. Initialement,des pressions pour l’introduction d’un tel sys-tème ont été exercées par des entreprises carl’Union européenne avait annoncé que leursexportations pourraient être réduites si cesentreprises n’offraient pas des conditions de

travail décentes à leurs employés. Cette évolu-tion a conduit au début d’une assurance socialeen RDP lao.

A ce stade, il est difficile de prévoir unaccroissement du financement public de la pro-tection sociale en RDP lao car les fonds publicsdisponibles et les infrastructures publiquessont très limités. L’OIT pense que le dévelop-pement de la protection sociale devrait êtrebasé sur une approche processive étroitementliée au développement de l’économie, notam-ment en dehors de la capitale Vientiane. Unecoopération étroite avec les administrations vil-lageoises devrait être établie car ces adminis-trations connaissent souvent mieux les besoinset les réalités des populations locales et lescapacités potentielles de leur offrir des presta-tions de protection sociale.

ConclusionLe financement public de la protectionsociale est une nécessité

Le rôle de l’Etat dans le financement de laprotection sociale est souvent entravé par desconsidérations pratiques. Dans la plupart deséconomies de l’Asie de l’Est, la priorité devraitêtre donnée à la création de capacités institu-tionnelles pour l’évaluation des besoins de pro-tection sociale. Une telle évaluation est néces-saire pour réunir plus de ressources en faveurde l’introduction de la protection sociale. Deplus, il semble raisonnable que le gouverne-ment affecte davantage de fonds pour la miseen œuvre de programmes de protection sociale.

D’autres approches devraient bien tenircompte de la possibilité d’introduire un sys-tème de sécurité sociale financé par les cotisa-tions versées tant par les employeurs que lesemployés. L’introduction progressive demesures d’assurance sociale devrait permettrela mise en place d’infrastructures viablescapables d’assurer le versement de prestationsde protection sociale et de redistribuer lesrecettes en faveur de personnes exposées à des«risques sociaux» spécifiques. En Asie, les obs-tacles qui entravent la mise en œuvre de pro-grammes de sécurité sociale sont surtout lamauvaise administration des gouvernementsen général et les capacités insuffisantes des res-sources humaines dont dispose le gouverne-ment.

Etant donné le bas niveau des dépenses deprotection sociale dans la plupart des pays asia-tiques – où moins de 10 pour cent du produitnational brut sont dépensés pour la protectionsociale –, l’OIT encourage les pays à planifier

39

Page 46: Protection sociale: ce que les travailleurs et les ...

avec soin un accroissement des ressourcesdevant être affectées à la protection sociale. Unestratégie type pourrait notamment être définieen tenant compte des lignes directrices sui-vantes:• évaluation approfondie des besoins de pro-

tection sociale grâce à la participation actived’administrations locales renforcées et à desconsultations publiques;

• réexamen des programmes d’assistancesociale et d’assurance sociale existants ainsique des causes de leur inefficacité;

• là où la structure de base des programmesexistants est considérée comme adéquate, ilconviendrait de chercher des améliorationsen élargissant de tels programmes (plutôtque d’introduire de nouveaux programmesonéreux);

• là où la base de l’offre de protection socialeest inadéquate, la stratégie nationale devraitprévoir l’introduction de programmessociaux viables répondant aux besoins despopulations, à court et à long terme, ettenant compte des capacités institution-nelles de verser des prestations;

• renforcement des capacités des ressourceshumaines dont disposent les administra-tions locales;

• approche nationale concertée, suivi réguliersur la base d’indicateurs de performanceacceptés par le public et responsabilités biendéfinies; et

• le financement des programmes de protec-tion sociale devrait donner la priorité à desapproches qui permettent une certaineredistribution des revenus entre les régions,les groupes de revenus et les générations.

En tant que remarque finale relative aufinancement de la protection sociale, il convientde mentionner l’impact de la mondialisationsur les prestations de protection sociale. Lesgouvernements nationaux disposent inévita-blement de peu de capacités pour protégerleurs populations contre les mouvements decapitaux transfrontières souvent liés à des pers-pectives de stabilité et à de bas coûts de pro-duction. Il y a un besoin évident de renforcerles liens internationaux et régionaux pourmettre en place des mécanismes permettant deprévoir pour plus tard un financement de laprotection au moyen de transferts de ressourcesau-delà des frontières nationales. Ce besoin aété relevé dernièrement par un responsable enThaïlande qui envisage l’introduction d’un sys-tème d’assurance chômage obligatoire.

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Page 47: Protection sociale: ce que les travailleurs et les ...

Depuis quelques années, la restructurationdes régimes de retraite nationaux est un sujetd’actualité dans la plupart des pays d’Europecentrale et orientale, où la question suscite biendes polémiques. Les réformes en cours visent àla fois à limiter le coût des régimes et à distri-buer les prestations de façon plus individuali-sée, en les liant davantage à la rémunération, cequi rompt avec la tradition des systèmes deretraite universels fondés sur le principe de laredistribution caractéristiques des Etats socia-listes du passé. En outre, certains pays, nom-mément la Hongrie et la Pologne, ont mis enplace des réformes qualifiées de radicalesvisant à remplacer partie des régimes publicsde retraite par des systèmes de comptesd’épargne individuels et obligatoires gérésselon des principes commerciaux. Ces aména-gements ont eu pour conséquence d’accroîtreles inégalités, à la fois au sein des pays et entreeux, s’agissant des prestations versées auxretraités.

Le présent article décrit les réformes menéesà bien et met au jour les différentes tendancesqu’il est déjà possible de discerner s’agissant deleur mise en application. Il s’organise en troisparties. La première replace la question dansson contexte en décrivant les régimes deretraite dont les pays d’Europe centrale etorientale ont hérité, les conséquences de latransition et les effets que les mutations démo-graphiques devraient avoir dans les décenniesà venir. On trouvera dans la seconde une des-cription des réformes entreprises dans larégion au cours des années 90, qui sont pré-sentées sous deux grandes catégories distinctesselon qu’elles ont visé à restructurer les régimes

publics ou à faire appel au secteur privé. Lespremières tendances pouvant être dégagées àce stade avancé de la mise en application desréformes sont par ailleurs présentées. Dans latroisième partie, des conclusions et des recom-mandations destinées à nourrir les discussionssur la politique à suivre en matière de retraitesont formulées.

I. Remise en contexte

A. Les régimes de retraiteavant la transition

Lorsque les pays d’Europe centrale et orien-tale étaient encore sous domination socialiste,l’Etat jouait un rôle très important dans la four-niture de prestations de retraite: l’organisationdes retraites faisait partie des grands domainesrelevant de la compétence du gouvernement, etles systèmes privés étaient quasiment inexis-tants. Les retraites étaient financées par répar-tition au moyen de transferts de fonds desentreprises publiques vers la section du budgetde l’Etat qui était consacrée aux assurancessociales. L’encaissement et la redistribution desressources se faisaient sans beaucoup de trans-parence.

Autrefois, comme le montre le tableau 1,l’âge de la retraite était légèrement plus basdans les pays d’Europe centrale et orientale quedans les pays de l’OCDE. En effet, dans beau-coup des pays considérés, l’âge ouvrant droit àpension était fixé à 60 ans pour les hommes,pour autant qu’ils aient accumulé vingt-cinq ansde service, et à 55 ans pour les femmes, excep-tion faite de certains pays où ce seuil dépendait

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Europe centrale et orientale

La restructuration des retraitesen Europe centrale et orientale:analyse des tendances récentes

Elaine FultzSpécialiste principale en sécurité sociale

Markus RuckExpert en sécurité sociale

Bureau régional de l’OIT à Budapest

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du nombre d’enfants élevés. Par ailleurs, uncertain nombre de formules favorisaient laretraite anticipée, et, souvent, les nouveauxretraités continuaient d’exercer une activitéprofessionnelle tout en percevant une rente.

Les régimes en vigueur avant les réformesétaient généralement conçus en vue d’uneredistribution du revenu, et la relation entre lescotisations versées et les prestations perçuesétait limitée. Cependant, à l’époque, beaucoupde privilèges, pour reprendre l’appellationconsacrée, avaient cours (âge de la retraite infé-rieur et prestations plus généreuses pour cer-taines professions protégées par l’Etat parexemple). Dans un grand nombre de pays, cesprivilèges s’appliquaient non seulement auxtravailleurs exerçant des professions dange-reuses ou stratégiques mais aussi à desbranches d’activité tout entières (personnel dela direction et de l’administration des mines etouvriers du fond notamment) mais étaientfinancés par les cotisations versées pour l’en-semble des travailleurs, ce qui revenait à biai-ser le principe de la redistribution. Par ailleurs,la revalorisation des rentes n’était générale-ment pas suffisante pour suivre l’inflation etl’augmentation des salaires nominaux.

B. Les conséquences de la transition

Dans la plupart des pays considérés, la tran-sition s’est accompagnée d’une contractionmarquée de la production et de l’emploi, la pro-duction chutant ainsi de 20 à 50 pour cent parrapport aux niveaux de 1989. Généralement,dans les Etats parties à l’Accord de libre-échange d’Europe centrale, la croissance arepris à partir de 1993 et la production aretrouvé en 1997 le niveau qui était le sien avantla transition. Les pays baltes ont suivi le mou-vement, avec une reprise de la croissance qui adémarré en général au cours de la seconde moi-

tié de la décennie. Pour le sud-est de l’Europe,la croissance a été moins marquée, même si elleest effective aujourd’hui. Dans les Etats partiesà l’Accord de libre-échange d’Europe centrale,le déclin de l’emploi a été plus important quecelui de la production en pourcentage, la Répu-blique tchèque faisant exception cependant,alors que, dans d’autres pays, la baisse du chô-mage a été moindre, ce qui a mis au jour l’exis-tence d’un chômage caché sous la forme detemps de travail plus courts ou de congés nonrémunérés. Dans beaucoup des pays en transi-tion, la production a repris depuis deux à sixans maintenant alors que le niveau de l’emploicontinue de diminuer ou stagne.

Du fait du taux de chômage élevé, lesrégimes de retraite ont perçu moins de cotisa-tions tout en distribuant davantage de presta-tions. Ainsi, le nombre des cotisants a diminuéde 30 pour cent en Bulgarie, de 45 pour cent enLettonie et de plus de 60 pour cent en Albanie,les pertes restant plus limitées en Républiquetchèque (entre sept et huit pour cent) et en Slo-vaquie (cinq pour cent). En outre, un grandnombre d’entreprises confrontées à des diffi-cultés financières ne se sont pas acquittées régu-lièrement des abondements qu’elles devaientverser pour le compte de leurs salariés, accu-mulant des arriérés importants. Généralement,les travailleurs qui ont perdu leur emploi etrejoint les rangs du secteur non structuré enexpansion dans la région n’ont pas été pris encompte par les institutions chargées de perce-voir les cotisations sociales. Dans certains pays,ces travailleurs représentent aujourd’hui unquart de la population active, voire plus. Ainsi,la proportion des travailleurs non recensés estde 22 pour cent en Lituanie et de 28 pour centen Albanie.

S’agissant des dépenses des régimes deretraite, il convient de rappeler que beaucoupde pays ont assoupli les dispositions relatives à

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Tableau 1. Age ouvrant droit à pension (moyenne, 1950 et 1990)

1950 1990

Pays de l’OCDEHommes 68,5 62,2Femmes 66,0 60,0

Pays d’Europe centraleet orientale

Hommes 67,6 60,9Femmes 62,5 57,6

Source: Latulippe, D., «Effective Retirement Age and Duration of Retirement in the Industrial Countries between 1950and 1990». Issues of Social Protection, Bureau international du Travail, Document de travail no 2 (Genève) 1996.

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l’invalidité et à la retraite anticipée afin de faireface à l’augmentation du chômage. Les régimesde retraite ont ainsi été utilisés pour protéger lamain-d’œuvre en surplus en lieu et place desrégimes de protection sociale ou d’assurancechômage, encore embryonnaires dans un grandnombre de pays. Cependant, cette solution s’estrévélée bien plus onéreuse que ne l’aurait été leversement direct d’allocations de chômage, etla charge qui en résulte pour le financement desrégimes de retraite se fera sentir pendant plu-sieurs années encore.

C. Prévisions en matièredémographique

Dans la plupart des pays considérés, l’évo-lution démographique ne se fait pas encoresentir, mais selon les projections, cet élémentdevrait entraîner une augmentation considé-rable du coût des retraites dans l’avenir. Aucours des vingt prochaines années, la propor-tion des personnes âgées augmentera d’un tiersdans beaucoup de pays alors que le nombre dejeunes diminuera sensiblement (voir le ta-bleau 2). Les conséquences de l’évolutionescomptée du rapport entre inactifs et actifs surle ratio de dépendance effectif au sein desrégimes de retraite nationaux dépendront dansune large mesure de la situation économique,du marché de l’emploi et de la politique adop-tée quant aux prestations de retraite versées. Ilsemble en tout état de cause que le vieillisse-ment de la population posera des difficultésmajeures dans la plupart des pays.

II. La manière d’envisager les réformes

Au milieu et à la fin des années 90, la plu-part des pays d’Europe centrale et orientale ontentrepris de réformer leur système de retraitede façon approfondie. Cependant, l’adoption etla mise en application de ces réformes n’ont paseu lieu au même rythme dans tous les pays.Dans certains d’entre eux, des textes de loi ontdéjà été adoptés en la matière et leur mise enapplication est en cours (c’est le cas de la Hon-grie, de la Pologne et de la Slovénie), alors quedans d’autres, la discussion sur le sujet estencore ouverte (Slovaquie et Ukraine notam-ment). Les réformes en question visent non seu-lement à réduire le ratio de dépendance au seindes régimes mais aussi à modifier certaines descaractéristiques des systèmes antérieurs à latransition pour les adapter aux nouvelles cir-constances économiques et politiques. Dansnombre de pays, les réformes prévoient égale-ment un recours accru au secteur privé pour lafourniture de prestations de retraite. On trou-vera au tableau 3 des informations sur l’étatd’avancement des réformes en cours dans larégion en matière de retraite.

Il n’est pas dénué d’intérêt de classer lesmesures de réforme en deux grandes catégoriesdistinctes, en plaçant d’un côté celles qui visentà modifier les caractéristiques de base desrégimes publics existants et de l’autre celles quiportent sur la création de nouveaux systèmesprivés. Quasiment tous les pays se rangent dansla première de ces deux catégories. Les réformesqu’ils ont lancées visent notamment à élever

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Tableau 2. Proportion des jeunes, des actifs et des personnes âgées par rapportà la population totale (pourcentages)

Pays 1998 2020

–19 20-59 60+ –19 20-59 60+

Albanie 42 49 09 32 55 12Bulgarie 26 53 21 14 58 28Estonie 27 54 19 18 56 25ex-Rép. yougoslave

de Macédoine 33 54 13 23 54 23Hongrie 26 55 19 n.disp. n.disp. n.disp.Lettonie 26 54 20 18 57 25Lituanie 28 54 18 23 55 21Pologne 30 54 16 25 53 22Rép. tchèque 25 57 18 19 54 27Roumanie 31 52 16 n.disp. n.disp. n.disp.Slovaquie 30 55 15 19 58 22Slovénie 24 57 18 22 52 26n.disp. = non disponibleSource: Phare Consensus (1998), p. 63.

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l’âge de la retraite, à limiter le niveau de redis-tribution et le taux de remplacement du salaireutilisés dans les formules servant à calculer lemontant des prestations, à limiter les privilègesaccordés à certaines catégories de travailleursou à prévoir une source de financement dis-tincte à cet effet et à renforcer les procéduresrelatives à la collecte des cotisations.

Le tableau 4 porte sur le relèvement de l’âgede la retraite et montre que la plupart des paysconsidérés ont promulgué des lois prévoyantune élévation comprise entre deux et trois anspour les hommes et entre trois et six ans pourles femmes. La plupart de ces nouvelles loissont le résultat d’un compromis sur le plan poli-tique. En effet, les projets initiaux prévoyaientdes augmentations plus importantes encore quiont dû être revues après négociation avec lessyndicats et, parfois, avec les employeurs. Danscertains pays (notamment en Lettonie et enRépublique tchèque), il est question de repous-

ser encore l’âge de la retraite pour faire face auvieillissement démographique qui menace.

Les différents pays n’ont pas tous réforméles formules régissant le calcul des prestationsdans la même perspective. Ainsi, la Lettonie etla Pologne ont remplacé les formules tradition-nelles à prestations définies par des systèmes àcotisations notionnelles et définies, pour re-prendre l’appellation consacrée, en vertu des-quels le niveau des prestations dues à un tra-vailleur est fixé au moment de son départ à laretraite et calculé non pas à partir du niveau desa rémunération mais sur la base des cotisationsqu’il a versées tout au long de sa vie et sur l’es-pérance de vie moyenne de la cohorte d’âgedont il fait partie au moment considéré. D’autrespays en sont restés à des systèmes tradition-nels à prestations définies mais ont diminuéle taux d’acquisition du droit à pension pourchaque année de travail. Ainsi, en Slovénie, cetaux est passé de 2 pour cent à 1,5 pour cent de

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Tableau 3. Etat d’avancement des réformes des retraites entreprisespar différents pays d’Europe centrale et orientale

Pays Premier grand train de Introduction Autres systèmesréformes (obligatoire) d’un deuxième pilier facultatifs

En dis- Projet Projet En dis- Projet Projet En dis- Projet Projetcussion adopté entériné cussion adopté entériné cussion adopté entériné

par la loi par la loi par la loi

Albanie X XBulgarie X X XCroatie X X reporté* XEstonie X retiré* Xex-Rép. you-

goslavede Macédoine X X X

Hongrie X X XLettonie X X, reporté X

au 1/7/01Lituanie X X XPologne X X XRép.

tchèque X XRoumanie X X XSlovaquie X X XSlovénie X rejeté XUkraine X X X

reporté** En Croatie, le nouveau gouvernement a reporté la mise en application de la loi, qu’il a subordonnée à une amélio-ration de la situation économique. En Ukraine, il ne sera procédé à la mise en œuvre de la réforme projetée que lorsquecertaines conditions économiques et politiques données auront été remplies. Le gouvernement estonien a retiré unprojet prévoyant l’introduction d’un pilier obligatoire en raison des coûts élevés entraînés par une telle opération.

Sources: Phare Consensus (1999), p. 55, Pensions International (numéros de 2000), et des informations de mise à jourfournies par des participants à des conférences.

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Albanie

Croatie

Estonie

ex-Rép.yougoslavede Macé-doine

Hongrie

Lettonie

Lituanie

Pologne

Rép.tchèque

Roumanie

Slovaquie

Slovénie

1995

1998

1998(entrée envigueur en2000)

2000

1997

1998

1994

1998

1995

2000

1988

2000

60 ans pour 35 ans de service; pensionpartielle pour 20 à 35 ans de service.

D’ici 2007, doit passer à 65 ans pour15 ans de travail assujetti à cotisa-tions. Retraite anticipée possibledésormais à 60 ans pour 35 ans detravail assujetti à cotisation.

62,5 ans, doit passer à 63 ans en2001.

Doit passer à 64 ans (31/12/01) pour15 ans de service. Pendant unepériode de transition courant jusqu’à2005, les travailleurs peuvent partir àla retraite dès 35 ans de service (pasd’âge min.) s’ils en retirent un avan-tage.

62 ans

60 ans pour 10 ans de cotisations.

61 ans, doit passer à 62,5 ans en 2009par paliers de 2 mois par an.

65 ans pour 25 ans de service. Lespossibilités de retraite anticipée sontsupprimées.

Doit passer de 60 à 62 ans pour 25ans de service, par paliers de 2 moispar an entre 1996 et 2006.

Doit passer de 62 (possibilité deretraite anticipée à partir de 60 ans)à 65 ans d’ici 2013.

Cas ordinaires: 60 ans; pour certainesprofessions déterminées: 55 à 58 anspour 25 ans de service.

Doit passer de 61 à 63 ans pour uneretraite complète, période de serviceminimum de 40 ans, âge minimumpour le départ à la retraite: 58 ans.

55 ans pour 35 ans de service; 50ans pour 30 ans de service et sixenfants; pension partielle pour20 à 35 ans de service.

D’ici 2007, doit passer à 60 ans pour15 ans de travail assujetti à cotisa-tions. Retraite anticipée possibledésormais à 55 ans pour 30 ansde travail assujetti à cotisations.

57,5 ans, doit passer à 63 ans en2016.

Doit passer à 62 ans (31/12/07) pour15 ans de service. Pendant unepériode de transition courant jus-qu’à 2005, les travailleuses peuventpartir à la retraite dès 30 ans de ser-vice (pas d’âge min.) si elles en reti-rent un avantage.

57 ans, doit passer à 62 ans en 2009.

57 ans pour 10 ans de cotisations,doit passer à 60 ans par paliers desix mois par an.

57 ans, doit passer à 60 ans en 2009par paliers de 4 mois par an.

60 ans pour 20 ans de service. Lespossibilités de retraite anticipéesont supprimées.

De 53 à 57 ans selon le nombred’enfants; passera à 57-61 ans parpaliers de 4 mois par an entre 1996et 2007.

Doit passer de 57 (possibilité deretraite anticipée à partir de 55 ans)à 60 ans d’ici 2013.

Cas ordinaires: de 53 à 56 ans selonle nombre d’enfants élevés, pour 25ans de service.

Doit passer de 53-58 à 58-61 anspour une retraite complète avecune période de service minimum de38 ans, âge minimum pour ledépart à la retraite: 58 ans.

Tableau 4. L’âge de la retraite dans certains pays donnés

Pays Législation Hommes Femmesen vigueur

Sources: Social Security Throughout the World (US Social Security Administration, 1999); Association internationale dela sécurité sociale, Bases de données «Sécurité sociale dans le monde» (à l’adresse www.issa.in); Consensus Phare (1999),p. 33-38 et des informations de mise à jour fournies par des participants à des conférences.

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la rémunération moyenne pour chaque annéeet le nombre d’années utilisé pour calculer cettemoyenne a été augmenté de sorte à renforcer lelien entre les revenus perçus par le salarié toutau long de sa vie et la prestation qui lui est ver-sée.

De même, l’attitude face aux privilèges envigueur en matière de retraite n’a pas été iden-tique partout. En effet, certains pays ont déjàsupprimé ces privilèges ou prévu une sourcedistincte pour leur financement (Hongrie,Lituanie, République tchèque et Slovénienotamment) alors que d’autres n’ont pas encoreadopté de position définitive sur la question(c’est le cas par exemple de la Pologne, de laSlovaquie et de l’Ukraine).

Certains pays d’Europe centrale et orientalecherchent à favoriser la collecte des cotisationspar le biais de «systèmes de perception unifiés»en vertu desquels un organisme d’exécutionunique est chargé de collecter les cotisationsdestinées à financer différents régimes (retraite,soins de santé, chômage, assurance maladie,accidents professionnels, etc.) voire l’impôt surle revenu. Si cette méthode semble effective-ment devoir améliorer la collecte dans le sec-teur structuré, elle est moins efficace s’agissantdes indépendants et des personnes employéesdans le secteur non structuré. Des systèmes deperception unifiés sont en cours d’instaurationen Lettonie, en Lituanie et en Pologne. La Slo-vaquie et l’Ukraine s’y intéressent égalementde près.

Les réformes relevant de la seconde catégo-rie, soit celles qui visent à instaurer des régimesde retraite privés, sont fondées sur uneapproche distincte de celle qui a prévalu danscertains pays d’Amérique latine où les régimespublics ont été purement et simplement rem-placés par des systèmes privés. Les pays d’Eu-rope centrale et orientale considérés ont plutôtcherché à instaurer des systèmes de retraitemixtes en vertu desquels les futurs retraitésrecevront des prestations de deux sources, c’est-à-dire du régime public d’un côté et d’un secondpilier obligatoire constitué par des comptesd’épargne individuels gérés selon des principescommerciaux de l’autre. Généralement, les tra-vailleurs peuvent choisir librement de s’adres-ser à une société de gestion plutôt qu’à une autreet changer de caisse à leur convenance. En 1998,la Hongrie s’est dotée d’un régime à deuxpiliers, dont le second est également obligatoire,et la Pologne l’a imitée en 1999. Comme il res-sort du tableau 3, plusieurs autres pays sont surle point de mettre en place des réformes de cetype ou envisagent de le faire.

Les réformes relevant de la première commede la seconde des catégories considérées sontdes entreprises à long terme, d’abord parcequ’il est difficile, sur le plan politique, de sus-citer le consensus nécessaire à un tel boulever-sement, ensuite parce qu’il faut du temps pourmettre au point de nouveaux mécanismespropres à assurer une gestion plus individuali-sée des retraites et à réglementer l’activité dessociétés gérant des fonds de pension et enfinparce qu’il convient d’éviter des pertes tropbrutales pour les travailleurs, un dernier élé-ment dont les pays considérés sont pleinementconscients pour la plupart. Etant donné lecaractère récent des réformes entreprises, il estdifficile de parvenir à des conclusions défini-tives sur la question, mais plusieurs tendancesgénérales se laissent déjà entrevoir.

En Hongrie et en Pologne, les frais entraînés parle passage à un régime de retraite mixte ont été plusélevés que prévu en raison de l’engouement inat-tendu des travailleurs pour les régimes de pensionprivés. En effet, le passage d’un système parrépartition à un système mixte entraîne desfrais pour l’Etat, qui doit constituer des réservespour le régime par capitalisation tout en conti-nuant à verser les prestations dues dans le cadredu système par répartition encore en vigueur.Dans les pays d’Europe centrale et orientale, cecumul de responsabilités pose des problèmesparticuliers car la plupart des pays concernésne peuvent en aucun cas augmenter le niveaudes cotisations. Cet impératif vient de ce que lestaux en vigueur sont déjà élevés par rapport àceux qui sont pratiqués dans les autres régionsdu monde (voir le tableau 5). Dans leur volontéde parvenir à la compétitivité sur le plan inter-national, les Etats concernés sont plutôt portésà diminuer ces taux ou, du moins, à les main-tenir à leur niveau actuel, ce qui les contraint àfinancer les dépenses entraînées par le change-ment de système par d’autres sources.

Le gouvernement polonais a ainsi réaffectéprès d’un cinquième du revenu des cotisationsdu régime public par répartition au nouveaurégime privé (7,3 pour cent des 32,52 pour centprélevés pour chaque adhérent au régime dedeuxième pilier). Le gouvernement envisage derésorber le déficit qui en résultera pour le régimepublic en augmentant le niveau de l’emprunt,c’est-à-dire en émettant de nouvelles obligationsqui lui permettront de récupérer le montant descotisations affectées au nouveau régime privé.En Hongrie, le gouvernement a également réaf-fecté près d’un cinquième des cotisations aunouveau régime financé par capitalisation (soit

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6 pour cent des 30 pour cent prélevés pourchaque adhérent au régime de deuxième pilier).Le Gouvernement hongrois a lui aussi décidé derenflouer le déficit du régime public ainsi crééen émettant de nouvelles obligations.

Si les coûts entraînés par le changement desystème ont dépassé les prévisions, c’est parceque la Hongrie comme la Pologne ont laissé àcertains secteurs importants de la populationactive toute latitude quant à une éventuelleadhésion au nouveau régime. Cette possibilitéa été offerte à tous les travailleurs entre 30 et 50ans en Pologne et à tous les travailleurs en acti-vité en Hongrie. Dans un cas comme dansl’autre, le nombre des personnes qui ont choisid’adhérer au système mixte a dépassé de beau-coup les prévisions officielles. En Pologne, legouvernement avait estimé ce chiffre à 6 mil-lions alors qu’il a atteint 10,6 millions pour finir.En 2000, le gouvernement a de ce fait dû aug-menter le niveau des subventions que l’Etataccorde au régime public de 2,7 milliards deZlotys (650 millions de dollars E.-U) par rap-port au niveau de 1999. En Hongrie, le nombredes personnes intéressées par le nouveau sys-tème avait été évalué à 800 000 en 1998, mais ce

chiffre a pour finir atteint 1,4 million, et, depuis,le nombre d’adhérents au régime privé a atteintplus de 2 millions. De ce fait, le gouvernementdu Fidesz a abrogé la loi en vertu de laquelledeux pour cent supplémentaires du taux decotisation de 30 pour cent devaient être affectésau régime privé, ce qui revenait à porter le tauxde cotisation pour le second pilier de 6 à 8 pourcent. Du fait de cette abrogation, les avoirs durégime privé devraient représenter 35 pour centdu PIB au cours du siècle prochain au lieu des47,6 pour cent prévus auparavant. Etant donnéla diminution considérable des revenus affec-tés aux plans d’épargne privés, la probabilitéque le système de garanties légales qui assortitle second pilier soit mis en branle au cours desprochaines années augmente, ce qui accroîtraencore le coût de la réforme.

L’année dernière, les frais administratifs dessociétés de gestion du régime privé ont dépassé lesressources allouées à cet effet, ce qui a favorisé lespertes financières. L’expérience d’autres régionsdu monde (Chili et Royaume-Uni notamment)en matière de privatisation des régimes de re-traite montre que la gestion privée est coûteuse.

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Tableau 5. La contribution des salariés et celle des employeurs dans certains pays donnés(1999* ou 2000**)

Pays Part employeur Part salarié

Albanie* 26 10Bulgarie* 34,7 1Croatie** 8,75 10,75 Estonie** 20 0Hongrie** 22 8.1

Lettonie* 23,58 9Lituanie** 22,5 2.5Pologne** 16,26 16,26Rép. tchèque** 19,5 6,5Roumanie* 23.2 5.3

Slovénie* 15,54 8,85 (moyenne)5

Slovaquie* 21,6 5,9ex-Rép. yougoslave

de Macédoine* 20 01 Pour les salariés adhérant au système mixte, 6 pour cent des cotisations sont versées au pilier complémentaire financépar capitalisation et 2 pour cent aux assurances sociales. 2 Pour des conditions de travail ordinaires: 23 pour cent, pourles travaux pénibles ou très pénibles: 28 pour cent et 33 pour cent respectivement. 3 Pour les retraites complémen-taires. 4 Les taux de cotisation sont variables, avec une moyenne de 15,50 pour cent du revenu environ (le salarié s’ac-quitte de l’ensemble de la cotisation et l’employeur lui rembourse la part qui lui revient). 5 Taux de cotisation variable,se situant autour de 8,85 pour cent de la rémunération.

Note: La comparaison de ces taux est relative du fait que tous ne s’appliquent pas à la même base salariale et que cer-tains d’entre eux ne s’appliquent qu’aux rémunérations jusqu’à un certain seuil.

Source: Phare Consensus (1999), p. 49 et Social Security Administration (1999), p. 286; pour la Croatie, Faculté de droitde l’Université de Zagreb; pour l’Estonie, ministère des Affaires sociales; pour la Hongrie, Institut des études écono-miques de l’Académie des sciences hongroise; pour la Lituanie, Division de la politique sociale de la Lituanie; pour laPologne, ministère du Travail et pour la République tchèque, ministère du Travail et des Affaires sociales.

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Cette caractéristique s’explique par le fait queles économies d’échelle sont limitées lorsqueplusieurs sociétés privées se partagent le mar-ché, par la possibilité de changer de caisseofferte aux travailleurs et, enfin, par lesdépenses publicitaires que les sociétés privéesdoivent engager pour attirer de nouveauxadhérents. En Hongrie, les frais de gestionreprésentaient environ 8 pour cent du revenudes cotisations en 1999, soit plus de quatre foisplus que le taux en vigueur dans le régime deretraite public. Cependant, le revenu des coti-sations s’est révélé insuffisant, et les nouvellessociétés gérant des fonds de pension (desbanques et des sociétés d’assurance par ex-emple) ont dû être renflouées par leur sociétémère, occasionnellement dans certains cas etplus fréquemment dans d’autres. En Pologne,les frais de gestion ont fluctué de façon consi-dérable pendant la période pourtant courte quis’est écoulée depuis que les sociétés de gestionprivées sont en activité. Au milieu de l’année1999, ces frais représentaient entre 13 pour centet 15 pour cent des cotisations environ. Par lasuite, ils ont diminué pour atteindre entre6,5 pour cent et 10 pour cent du fait des effortsentrepris par les sociétés pour attirer de nou-veaux clients avant la date limite, fixée à la finde l’année, avant laquelle les travailleursdevaient choisir entre régime public et un fondsde pension. A la fin de l’année 1999, toutes lessociétés considérées ont enregistré des pertesimportantes (1,6 milliard de Zlotys, soit 403 mil-lions de dollars E.-U.). Pour l’essentiel, cespertes sont à mettre sur le compte de dépensesde promotion importantes, des commissionsversées aux agents et des frais de publicité, unposte qui a représenté plus de 400 millions deZlotys (100 millions de dollars E.-U.).

Les lois de privatisation entrent en vigueur alorsque certains aspects essentiels relatifs au versementdes prestations n’ont toujours pas été tirés au clair.Les lois de privatisation promulguées en Hon-grie et en Pologne ne contiennent pas de dis-positions précises au sujet du versement desprestations et, à l’heure de la mise en applica-tion, les gouvernements de ces deux pays sesont surtout attachés à mettre les nouveauxrégimes privés sur leurs rails, laissant pour plustard les problèmes relatifs au versement desprestations. En Hongrie, une zone d’ombremajeure demeure, en l’espèce la question del’indexation sur l’inflation, qui doit, en appli-cation de la loi, se fonder à parts égales surl’évolution du salaire annuel et sur l’évolutiondes prix. En effet, si le gouvernement, qui per-

çoit l’impôt, est en mesure d’assurer le respectde cette garantie, les modalités de son applica-tion doivent encore être précisées dans le casdes sociétés de gestion privées. En Pologne,plusieurs questions encore plus vastes sontencore pendantes. Il s’agit des suivantes: i)Quelles seront les modalités utilisées pourconvertir l’épargne accumulée par le travailleuren rente au moment de son départ à la retraite,et quels seront les frais afférents? (Le versementdes rentes sera-t-il assuré par plusieurs sociétésconcurrentes ou par une seule société natio-nale?); ii) La différence entre l’espérance de viedes hommes et celle des femmes sera-t-elleprise en compte lors du calcul des pensions?(Recours à des tables de mortalité unisexes oudifférentes pour chaque sexe?); iii) Commentles prestations versées par les sociétés privéesseront-elles indexées?; et iv) La possibilité deretirer une somme forfaitaire au moment dudépart à la retraite sera-t-elle prévue? Etantdonné l’importance des questions restées ensuspens, il apparaît que les travailleurs qui ontdû choisir dans un délai limité d’adhérer à unplan d’épargne privé ne disposaient pas desinformations nécessaires pour se décider enconnaissance de cause. Au vu de l’absence d’in-formation sur les questions susmentionnées, ilest clair par ailleurs qu’il faudra procéder à unbilan des réformes en se fondant sur un critèreessentiel, la sécurité de la retraite.

Les sociétés gérant des fonds de pension inves-tissent massivement dans des capitaux publics plu-tôt que dans des capitaux privés. L’argument prin-cipal des partisans de la privatisation est queles salariés pourront prétendre à des rende-ments supérieurs avec des titres de sociétés pri-vées. Cependant, en Pologne, à la fin de l’année1999, 68 pour cent de l’épargne des salariésavaient été placés sur le marché des bons duTrésor et des obligations de la Banque centralede Pologne contre 28 pour cent seulement pourles actions. En Hongrie, l’engouement pour lescapitaux publics est encore plus marqué. Ainsi,à la fin de l’année 1999, 85 pour cent environdes fonds étaient investis dans des titres émispar l’Etat contre 9 pour cent pour les obligationsde sociétés. Ce dernier chiffre particulièrementpeu élevé reflète la volatilité de la place bour-sière de Budapest, où l’indice principal a perdudeux tiers de sa valeur après la crise russe. Enoutre, les sociétés gérant des fonds de pensionont réduit de moitié leurs avoirs en actions, quine représentent plus que 7 pour cent des inves-tissements contre 14 pour cent auparavant. Unereprise du marché avait été annoncée pour le

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début de l’année 2000, mais cette prévision nes’est pas avérée et les fonds de pension ontcontinué d’investir en privilégiant la prudence.

Les changements de gouvernement, qui ont étéfréquents dans les pays considérés, se sont traduitspar une révision des orientations adoptées en matièrede retraite. Depuis 1990, les changements degouvernement se sont multipliés dans beau-coup des pays d’Europe centrale et orientale.Ainsi, depuis 1990, la Lettonie a compté cinqgouvernements différents. Ce chiffre est dequatre pour la Lituanie, la Slovaquie et la Slo-vénie, de trois pour l’Estonie, la Hongrie, laPologne et la République tchèque et de deuxpour la Croatie. Les conséquences de ces mou-vements sur la réforme des retraites semblentvarier suivant l’état d’avancement du proces-sus. Lorsque l’adoption d’une réforme estencore à l’étude, le changement de gouverne-ment peut déboucher sur un changementd’orientation ou un abandon pur et simple duprojet. Cependant, lorsqu’une loi entérinant laréforme a été promulguée, seule la mise enapplication du projet subit quelques aménage-ments mineurs. C’est le premier cas de figurequi s’est produit en République tchèque et enSlovaquie. En effet, le gouvernement tchèqueactuel a abandonné le projet de privatisationlancé par le gouvernement précédent au profitd’un plan visant à réformer le régime publicexistant. De son côté, le nouveau gouverne-ment slovaque a enterré le projet du régime pré-cédent, qui avait prévu de réformer le régimepublic conformément à l’exemple tchèque, auprofit d’un plan de privatisation. Le second casde figure est illustré à différents titres par laHongrie, la Croatie, et la Lettonie. En Hongrie,des dirigeants du parti du Fidesz, actuellementau pouvoir, s’étaient opposés à la privatisationdes retraites lorsqu’ils faisaient partie de l’op-position. Lorsqu’ils sont revenus au pouvoir, ilsont supprimé une disposition visant à aug-menter le taux des cotisations affectées au nou-veau pilier fondé sur l’épargne individuelle(voir ci-dessus). En Croatie, le nouveau gou-vernement a tout d’abord reporté l’entrée envigueur de la loi sur la privatisation desretraites promulguée par le gouvernementTudjman mais, depuis quelques mois, il a accé-léré les préparatifs en vue de son application.En Lettonie, la réforme des retraites de 1997 adepuis été amendée à neuf reprises et elle a faitl’objet d’un référendum à la fin de l’année 1999.Ces opérations ont ralenti la privatisation, maisle dernier gouvernement en date a imprimé unnouvel élan au processus. La Pologne constitue

une exception de taille à ce tableau: un change-ment de gouvernement a eu lieu alors que laquestion de la réforme était en pleine discus-sion (fin de l’année 1997) mais la restructura-tion du régime de retraite ne s’en est pas trou-vée modifiée de beaucoup. Cette particularités’explique en partie par l’appui massif que lapopulation a apporté à la réforme et, notam-ment, au consensus tripartite en vigueur surl’introduction d’un deuxième et d’un troisièmepiliers. Dans ces circonstances, les partis poli-tiques ont accepté tacitement de poursuivre lesréformes en cours et de ne pas faire de cettequestion un argument de campagne.

Dans beaucoup des pays considérés, cependant,la concertation sociale est limitée sur la question dela réforme des retraites, et le consensus tripartite estrarement de mise en la matière. En Hongrie, lessyndicats étaient divisés sur la question d’uneréforme radicale des retraites et les expertsnationaux ne l’étaient pas moins. En Slovénie,la question n’a suscité de consensus qu’auniveau du parlement et seulement après qu’unedisposition relative à l’introduction d’un régimede pension privé obligatoire a été retirée de laloi de réforme. En Croatie et en Macédoine,l’idée d’une réforme radicale a été retenue mal-gré les vives critiques des syndicats, critiquesqui continuent de se faire entendre maintenantque le projet est en discussion au parlement. Ledéfaut de consensus vient en partie de ce queles syndicats refusent toute diminution desprestations, que les salariés estiment avoirméritées et considèrent comme un dû, un casde figure qui n’est pas isolé dans la région.Cependant, les difficultés rencontrées par lespays d’Europe centrale et orientale viennentaussi de ce que la consultation des partenairessociaux n’est pas dans les usages, que certainsgouvernements ne reconnaissent pas la néces-sité d’une telle concertation et que les salariéset les employeurs n’ont pas pris l’habitude dejouer leur rôle en la matière. Ces difficultés sontaggravées par la place toujours plus importanteque les analyses macroéconomiques occupentdepuis quelques années dans la discussion surla réforme des retraites (l’accent étant mis parexemple sur l’effet de ces réformes sur l’épargnenationale et le niveau de l’investissement). Dufait de cette évolution, d’autres questions plusfondamentales en matière de protection socialeont été reléguées au second plan, et le rôle despartenaires sociaux a été quelque peu oublié. Cechangement de perspective touche avant toutles syndicats mais il affecte également les nou-velles associations d’employeurs de la région.

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Des difficultés similaires se posent dans cer-tains pays au sein des conseils d’administrationtripartites des régimes de pension, où les repré-sentants des salariés et des employeurs sontsouvent peu au fait de leur rôle et mal informésdes modes de fonctionnement des régimes desécurité sociale. Ce manque d’expérienceexplique le mécontentement suscité dans cer-tains pays par la manière dont les conseils d’ad-ministration s’acquittent de leurs fonctions.

Les réformes mises en œuvre dans la région ten-dent à se diversifier: dans certains pays, l’engoue-ment pour la privatisation s’essouffle et, dansd’autres, de nouvelles initiatives ont été lancées envue d’une restructuration des régimes publics exis-tants. L’adoption, en Hongrie et en Pologne, deréformes radicales a porté certains observa-teurs à prédire que la plupart des pays d’Eu-rope centrale et orientale finiraient par s’enga-ger dans la même voie. Depuis, comme ilressort de la lecture du tableau 3, les gouver-nements de plusieurs autres pays ont adoptédes lois similaires, ont prévu de le faire ou ontcette question à l’étude. Cependant, cette ten-dance a quelque peu perdu de sa force en 1999et au début de l’année 2000. En Roumanie, leparlement a adopté un texte de loi visant àrestructurer le régime public au milieu de l’an-née 2000 mais discute de la privatisation desretraites depuis plus d’un an sans parvenir àune décision. En Ukraine, face à l’oppositionmassive suscitée par le projet de réforme radi-cal qu’il avait lancé, le gouvernement a amendésa proposition, précisant que l’introductiond’un deuxième pilier obligatoire serait reportéejusqu’à ce que la situation économique et bud-gétaire s’améliore et formulant explicitementles critères qui devraient être remplis à cetégard. En Estonie, le gouvernement a aban-donné un projet visant à introduire un régimeprivé obligatoire en raison des coûts importantsqu’une telle opération pouvait entraîner. Enrevanche, il s’applique à élaborer une nouvelleloi prévoyant l’introduction d’un second pilierfacultatif qui devrait recevoir des subventionsdu régime public en fonction du nombre d’ad-hérents.

En outre, certains pays ont adopté des stra-tégies de réforme qui passent par une restruc-turation des régimes publics mais ne prévoientpas de privatisation. En décembre 1999, le par-lement slovène a retiré d’un projet de réformedes retraites global une clause qui prévoyait lacréation d’un nouveau plan d’épargne obliga-toire concernant tous les salariés du privé,approuvant au contraire d’autres dispositions

visant à renforcer le financement du régimepublic existant. En République tchèque, le gou-vernement actuel a décidé d’annuler les projetsde privatisation lancés par le gouvernementprécédent, craignant que les frais entraînés parun changement de système ne soient tropimportants. Ces deux pays doivent encore seprononcer sur d’autres réformes éventuelles durégime public, mais leurs deux expériencesprises ensemble laissent entrevoir une voiealternative pour ce qui touche à la réforme desretraites en Europe centrale et orientale, cellequi consiste à renforcer et à restructurer lesrégimes publics existants.

III. Conclusion

Ces premières tendances ne sont pas néces-sairement à l’image des réalités à venir; cer-taines s’estomperont avec le temps, d’autress’infléchiront en fonction d’événements et decirconstances qu’il serait difficile de prévoiraujourd’hui. Cependant, elles sont surpre-nantes à plus d’un titre au vu des projectionsqui les ont précédées, et elles doivent conduireà une remise en perspective des affirmations etdes prévisions formulées à partir de ces mêmesprojections. S’il convient de tirer des conclu-sions à ce stade, quel serait leur contenu?Conscients que la prudence s’impose en lamatière, les auteurs s’en tiendront à trois obser-vations.

Tout d’abord, il ressort de l’expérience accu-mulée à ce jour que les réformes radicales nesont pas forcément adaptées aux caractéris-tiques politiques et économiques des paysd’Europe centrale et orientale. En Hongrie et enPologne, en raison des dépenses considérablesnécessaires à la mise en place d’un régime privépar capitalisation, et du fait que l’Etat doitcontinuer de verser les prestations dues au titredu régime par répartition, les réformes coûtentpour finir plus que ce qui aurait été nécessairepour restructurer le système existant, soit entre0,5 pour cent et 1,3 pour cent du PIB par an envi-ron. Ces coûts accroissent considérablement lepoids du financement des retraites dans cesdeux pays, d’autant plus que les taux de coti-sation y sont déjà élevés. La Hongrie et laPologne auront dès lors plus de difficultésencore à respecter les critères budgétaires fixéspar l’Union européenne. En outre, comme il estimpossible de relever des taux de cotisationdéjà importants, le premier et le second piliersse trouvent dans une situation de dépendancefinancière, au point qu’il n’est plus possible definancer les prestations versées au titre des

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régimes privés qu’en privant le régime deretraite public des revenus dont il a besoin etvice versa. Ces deux manœuvres sont risquéescar elles mettent toutes les deux la sécurité desretraites futures en péril, même si ce n’est pasau même titre. La prise de conscience de cescharges et de ces risques semble être en courssi l’on s’en tient à l’attitude de plusieurs gou-vernements de la région – nommément ceux del’Estonie, de la République tchèque et de la Slo-vénie – qui ont renoncé à entreprendre uneréforme radicale des retraites.

S’agissant des stratégies d’investissement, ilsemble bel et bien plus prudent, au vu de lapetite taille et de la volatilité de la plupart desmarchés financiers des pays d’Europe centraleet orientale, de placer l’épargne des cotisantsdans des titres émis par l’Etat plutôt que dansdes titres de sociétés privées. Du fait de cettepréférence, cependant, l’accès des travailleursaux rendements particulièrement intéressantsque les investissements privés, certes plus ris-qués, peuvent rapporter, reste limité. En outre,si les bénéfices n’augmentent pas, les fraisadministratifs importants facturés par les socié-tés de gestion pourraient bien venir grignoterl’épargne des adhérents et réduire le niveau desprestations qu’ils recevront dans l’avenir. Lesdifférentes rectifications de tir auxquelles plu-sieurs des pays considérés ont procédé à mi-parcours ne semblent pas non plus être adap-tées à des réformes radicales, pour lesquellesune période de mise en œuvre prolongée s’im-pose. S’il est difficile de prévoir quel sera lerésultat des changements d’orientation effec-tués sur la période en question (voir notam-ment la décision du gouvernement du Fidesz,qui a renoncé à élever le niveau du revenuaffecté au second pilier), il semble d’ores et déjàque les objectifs visés par les réformes radicalesoriginelles ne seront pas atteints.

Certains observateurs ont continué de sou-tenir que, malgré ces difficultés, la privatisationrestait la méthode la mieux adaptée pourrestructurer les régimes de retraite de la région,arguant que seul un changement radical pou-vait vaincre les résistances de certains groupesdéfendant des avantages acquis tels que lesassociations de retraités et les syndicats. Toute-fois, l’expérience ne corrobore pas cette analyse.En effet, comme il est souligné dans la deuxièmepartie de la présente étude, la Lituanie, la Répu-blique tchèque et la Slovénie ont supprimé cer-tains privilèges relatifs à la retraite sans pourautant privatiser leur régime, alors que le gou-vernement polonais a toujours bien du mal àrégler cette question dans le cadre de la mise en

œuvre de sa loi de privatisation. De même, lestrois pays susmentionnés sont parvenus à éle-ver l’âge de la retraite, et la Slovénie a lancé unprojet de réforme majeur, entériné par la loi, quiprévoit que les futurs retraités percevront desprestations inférieures de 25 pour cent à cellesdes retraités actuels. D’autres pays encore,parmi lesquels la Slovaquie, projettent de pro-céder à des privatisations importantes sansenvisager pour autant d’élever l’âge de laretraite ou de supprimer les traitements préfé-rentiels accordés à certaines catégories. Ce pre-mier bilan contrasté ne corrobore donc pas l’af-firmation selon laquelle la privatisation est laseule voie possible en matière de réforme desretraites.

La deuxième des observations qui s’impo-sent est que les réformes entreprises à ce joursont restées de portée relativement limitée. Si larestructuration des prestations de retraite estun sujet de préoccupation majeur dans larégion, les pensions invalidité ont connu peu dechangements depuis le début de la période detransition, alors même que les gouvernementsont assoupli les critères ouvrant droit aux pres-tations considérées dans le but de faire face àl’accroissement du chômage. De ce fait, ondénombre beaucoup de retraités invalides quipourraient encore occuper un emploi sous uneforme ou une autre mais n’y sont pas encoura-gés ou ont peu d’occasions à saisir. De même,les conséquences des réformes menées dans lespays d’Europe centrale et orientale sur l’égalitéentre les sexes ont été largement occultées, alorsque les femmes sont souvent plus touchées queles hommes par le relèvement de l’âge de laretraite et l’abandon du principe de redistribu-tion autrefois utilisé pour le calcul des presta-tions. Un troisième problème reste encoreentier, celui des individus toujours plus nom-breux qui sont exclus de la protection socialeparce qu’ils travaillent pour un secteur nonstructuré en expansion. La plupart des respon-sables des régimes de retraite en vigueur dansles pays considérés sont conscients qu’il fauttrouver le moyen de recenser les travailleursconcernés et d’élargir la protection à leurendroit, mais les efforts entrepris à cette fin sontencore peu nombreux. Pour favoriser larecherche de solutions à ces différents pro-blèmes, il conviendrait d’élaborer des étudesfaisant le point sur la situation, sur les besoinsdes groupes cibles ainsi que sur les pratiquesexemplaires qui peuvent être relevées en lamatière dans la région, en Europe occidentaleou ailleurs et pourraient servir de modèles à defutures réformes. De telles études sont absolu-

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ment nécessaires car elles pourraient susciterl’adoption de réformes plus ambitieuses.

Enfin, il est très préoccupant de constaterque, dans beaucoup des pays considérés, larestructuration des retraites en cours ne fait pasl’objet d’un consensus au sein de la population.Qui oserait parier, pourtant, sur le succès à longterme d’une réforme que les principales partiesprenantes n’auraient pas acceptée? Qui pour-rait affirmer qu’une telle acceptation peut êtresuscitée sans que les intéressés aient leur mot àdire quant au contenu de la réforme? Qui pré-tendrait enfin que les parties prenantes peuventparticiper effectivement au processus alorsqu’elles n’ont pas bien perçu le rôle qui leurrevient et les enjeux de la discussion? Dans ungrand nombre des pays d’Europe centrale etorientale, cependant, la concertation sociale esttoujours un maillon manquant ou défaillantdans l’élaboration des réformes des retraites, etnombre de travailleurs et d’employeurs conti-nuent à chercher le moyen d’exercer uneinfluence sur les politiques adoptées en lamatière, sans grand succès pour l’heure. La for-mation est l’un des éléments qu’il convient demettre en œuvre pour régler ce problème. Il doits’agir, par cette formation, d’aider les parte-naires sociaux à formuler des objectifs reflétantleurs préoccupations à court et à long terme età parvenir à leur réalisation par la mise au pointde stratégies concrètes. En outre, la formationdevrait donner aux intéressés l’occasion de tirerles leçons des succès remportés par les parte-naires sociaux d’autres pays de la région oud’ailleurs, d’analyser les aspects techniques dufinancement des retraites ainsi que les avan-tages et les désavantages des différentes straté-gies de réforme et d’obtenir des informationsempiriques sur les premiers résultats desréformes mises en œuvre dans d’autres pays dela région. La formation dont il est questionpourrait favoriser de façon très significative la

concertation sociale sur la réforme des retraitesdans la région et, par là même, contribuer à ceque les politiques adoptées par les gouverne-ments en la matière soient appliquées avec suc-cès et se prolongent dans le temps.

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I. Aperçu historique

Sur le continent américain, l’histoire de lasécurité sociale a débuté en Amérique latinesous l’influence des programmes mis en placeen Allemagne à la fin des années 1880. Les pre-miers régimes relatifs aux risques profession-nels font leur apparition au début du XXe siècleet, en 1920, onze pays en sont dotés. Desrégimes de pension (vieillesse, invalidité et sur-vivants) ont ensuite été mis en place à l’inten-tion de certains secteurs stratégiques et de caté-gories de fonctionnaires et de travailleursparticulièrement puissantes dans un groupe depays qui a été désigné comme le groupe despionniers. Il convient d’y inclure l’Uruguay(1919), le Chili (1924), le Brésil et Cuba (années20) ainsi que l’Argentine (années 30). Des assu-rances maladie ou maternité ont suivi de peu.Un deuxième groupe, celui des pays intermé-diaires, a attendu les années 40 pour se doterd’assurances sociales (sous l’influence du rap-port Beveridge) voire les années 50 pour uneminorité d’entre eux. Ce groupe comprend leCosta Rica, le Mexique, le Pérou, la Colombie,la Bolivie, l’Equateur, le Paraguay et le Vene-zuela. Enfin, un troisième groupe, celui desretardataires, englobe les pays qui n’ont pas éta-bli de régime avant les années 60 ou 70. Il s’agitde la République dominicaine, du Guatemala,de El Salvador, du Nicaragua, du Honduras etde Haïti. Seuls une minorité de pays disposentde systèmes d’allocations de chômage et d’al-locations familiales. L’institution de systèmesde sécurité sociale a été étroitement liée auniveau de développement des pays, c’est-à-direque les plus développés d’entre eux ont été lespremiers à s’en doter et inversement. Cepen-dant, outre le rôle de l’Etat, l’influence des

groupes de pression, syndicats y compris, ajoué un rôle important dans l’histoire de lasécurité sociale.

Les pays d’Amérique latine appartenant augroupe des pionniers ont précédé les Etats-Unis, qui ont promulgué leur loi sur la sécuritésociale («Social Security Act») en 1935 seule-ment, une loi qui ne portait du reste que surl’institution d’allocations de chômage et depensions de retraite. Au début du XXIe siècle,les Etats-Unis ne disposent toujours pas d’unprogramme d’assurance maladie national.Lorsqu’ils faisaient partie du Commonwealthbritannique, le Canada et la plupart des paysdes Caraïbes n’appartenant pas à l’Amériquelatine se sont inspirés des programmes de sécu-rité sociale mis en place au Royaume-Uni et ontinstitué des systèmes d’assurance maladienationaux. Dans les Caraïbes, pays d’Amériquelatine exclus, les premiers régimes de retraitene sont apparus qu’après l’indépendance, enJamaïque pour commencer (1966) et au Belizepour finir (1979). Le premier régime d’assu-rance maladie et maternité apparaît à la Bar-bade (1966) et le dernier à Grenade (1983).

Les pays d’Amérique latine, qui ont été àl’avant-garde en matière de sécurité sociale, ontaussi été les premiers à être confrontés à descrises financières et à lancer des réformes radi-cales des retraites. Dans les pays du groupe despionniers, les régimes de sécurité sociale ontcouvert l’ensemble de la population et assuréun niveau de prestation satisfaisant pendant lescinquante premières années qui ont suivi leurcréation. A la fin des années 60 et pendant lesannées 70, cependant, ces pays ont commencéà être confrontés à un certain nombre de pro-blèmes, y compris à des déséquilibres finan-ciers qui ont entraîné l’adoption de réformes

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Amériques

Les retraites de sécurité socialeet leur réforme dans les Amériques:

quelques leçons pour les travailleurs et les syndicats

Carmelo Mesa-LagoProfesseur émérite de sciences économiques

à l’Université de Pittsburgh,Professeur et chercheur à l’Université internationale de Floride

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«paramétriques», c’est-à-dire de réformes por-tant sur les conditions ouvrant droit aux pres-tations, les cotisations et autres facteurs simi-laires. Par ailleurs, l’Etat a été contraint decouvrir les déficits par des subventions. Plu-sieurs facteurs expliquent les difficultés ren-contrées: introduction de nouvelles prestationssans que des moyens de financement adéquatssoient prévus en parallèle, importance de ladette publique, défaut ou retard de paiementdes contributions par les sociétés privées, pla-cement peu judicieux des réserves, frais de ges-tion élevés et manque d’efficacité, interventionexcessive du gouvernement et utilisation desréserves pour d’autres dépenses que celles dela sécurité sociale. En outre, dans les pays dugroupe des pionniers, où les régimes de retraitecomme la population ont été parmi les premiersà connaître un vieillissement, un problèmedémographique a commencé à se poser: lenombre des cotisants à la sécurité sociale a dimi-nué de façon relative par rapport au nombre deretraités, qui connaissait au contraire uneexpansion (diminution du rapport entre actifset passifs). La crise économique grave, prolon-gée et profonde des années 80 a porté un coupsupplémentaire à la sécurité sociale, qui a subiles conséquences de l’hyperinflation, dunombre toujours plus élevé de cotisants ne res-pectant pas leurs obligations, de la diminutiondes subventions publiques et de la détériora-tion des prestations.

Au début des années 80, sous l’influence dunéolibéralisme, le Gouvernement militaire duChili a entrepris de réformer de façon radicalele régime de retraite et le régime d’assurance-maladie du pays en procédant à une «privati-sation» plus ou moins poussée selon le cas. Cesréformes n’ont pas eu de répercussions sur lereste de la région avant les années 90, princi-palement à cause de l’image négative véhicu-lée par le régime chilien mais aussi du fait de laforte opposition affichée par les syndicats, lesassurés, l’administration de la sécurité sociale,les associations de retraités et certains partispolitiques. Dans les années 90, deux événe-ments ont fait évoluer les choses. Tout d’abord,la démocratie a été restaurée au Chili et le nou-veau gouvernement a donné son aval auxréformes entreprises en matière de sécuritésociale, leur donnant de la sorte une nouvellerespectabilité sur le plan politique. Ensuite, laBanque mondiale a publié deux rapports, por-tant respectivement sur les systèmes de santé etsur les retraites, dans lesquels elle a pris fer-mement position en faveur des réformes dutype de celles qui avaient été adoptées au Chili.

Par le biais de conditions assorties à l’octroi decrédits, la Banque mondiale a du reste encou-ragé l’adoption de réformes similaires en Amé-rique latine et ailleurs. Sur la période 1993-2000,des réformes radicales des retraites ont étéadoptées dans neuf pays d’Amérique latine etdes réformes des systèmes de santé dans cinqd’entre eux. Cependant, s’agissant de la santé,les caisses et les fournisseurs sont plus nom-breux que dans le cas des régimes de retraite,et le degré de privatisation est moindre.

S’il est vrai que les réformes des retraitesadoptées en Amérique latine ont fait desémules en Europe de l’Est (Hongrie, Pologne,République tchèque) voire en Europe occiden-tale (Suède), elles n’ont pas été imitées ailleursen Europe. Au Canada, outre le régime de pen-sions traditionnel en vigueur dans les pro-vinces anglophones, un régime particulier à larégion francophone, le Régime des rentes duQuébec, a été créé en 1966, qui est géré par l’ad-ministration mais à la manière d’un fondsprivé. Les pays des Caraïbes, Amérique latineexclue, continuent d’appliquer des plans depension traditionnels, de même que les Etats-Unis. Dans ce dernier Etat, il convient de signa-ler cependant qu’une discussion sur la réformedes retraites s’est ouverte dans les années 90 etque le débat a pris de l’ampleur au cours desélections présidentielles de 2000.

Du fait de la longueur et de la diversité del’expérience accumulée par l’Amérique latineen matière de réforme des retraites, et commela privatisation a été plus poussée et plus ambi-tieuse dans ce cas que dans celui des réformesdes systèmes de santé, c’est sur le premier de cesdeux aspects que le présent article se concentre.Il sera question des différents modèles deréforme des retraites suivis par dix pays don-nés, de leurs caractéristiques, du rôle qu’yjouent le secteur privé et l’Etat, du résultat desréformes et, enfin, de leurs conséquences éven-tuelles pour les assurés et les futurs retraitésainsi que pour l’économie. Enfin, quelquesleçons seront formulées à l’intention des tra-vailleurs et des syndicats. Différents points devue relatifs à la réforme des retraites aux Etats-Unis seront évoqués brièvement par ailleurs.

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II. Les caractéristiques de la réformedes retraites en Amérique latine

Trois modèles de réforme structurelleJusqu’au début des années 1980 des réformes

«paramétriques», ou non structurelles, ont étémises en œuvre dans un grand nombre de paysd’Amérique latine désireux d’améliorer et derenforcer leur régime de sécurité sociale (ci-des-sous appelé «régime public»). Les réformesplus récentes peuvent être désignées commedes «réformes structurelles» car elles ont visé àtransformer de façon radicale l’essence durégime public traditionnel, que ce soit en leremplaçant par un nouveau régime, que nousqualifierons de «privé» pour simplifier, en ledoublant d’un tel régime ou en l’y intégrant. Laréforme des retraites mise en œuvre au Chili estgénéralement présentée comme un modèle uni-versel et unique mais les dix pays qui ontadopté des réformes de ce type ont en réalitésuivi trois grands modèles différents, qu’ils ont misen application avec des différences considé-rables en fonction de leurs caractéristiques et deleurs besoins particuliers. Ces trois grandsmodèles sont les suivants:

Modèle du remplacement

Ce modèle, qui est similaire à celui que leChili a mis au point, a été adopté en Bolivie(1997), au Mexique (1997), à El Salvador (1998)et au Nicaragua (2000). Dans ce cas de figure,le régime public est clos, toute nouvelle adhé-sion devenant impossible. Le régime public enquestion présentait les caractéristiques sui-vantes: a) un financement collectif par réparti-tion (les revenus étaient utilisés pour payer lesprestations et un principe de solidarité s’appli-quait entre les différentes catégories de revenuet les générations), avec un recours à une capi-talisation partielle dans certains cas cependant(réserves); b) des cotisations salariales qui ten-daient à augmenter avec le temps à cause duvieillissement du régime et de la population(diminution du ratio entre actifs et passifs);c) des prestations «définies», c’est-à-dire que laloi prévoyait une rente minimum, une formulepour le calcul de la prestation, etc., et que l’Etatgarantissait le versement de la rente (après lacrise, certaines de ces conditions n’ont plus étégaranties, avec, par exemple, une diminutiondes pensions en termes réels du fait de l’infla-tion. Ce régime public a été remplacé ou substi-tué par un régime «privé» présentant les carac-téristiques suivantes: a) une capitalisation totaleet un financement individuel, c’est-à-dire que

les cotisations versées par l’assuré sont dépo-sées sur un compte individuel puis investies, lerendement (rapport de l’investissement ouintérêt) étant versé sur ce même compte; il n’ya donc plus de solidarité entre les catégories derevenu ou les générations; b) des cotisations«définies», c’est-à-dire qui restent au mêmeniveau au fil du temps (quoi qu’elles puissentêtre augmentées sur le long terme si l’espérancede vie des retraités augmente); c) des presta-tions «non définies» car le montant de la renten’est pas connu: il dépend en effet du salaireassujetti à cotisation, du volume des cotisationset du rendement de l’investissement généré parles fonds déposés sur le compte d’épargneindividuel; et d) une administration assurée pardes sociétés privées qui se consacrent exclusi-vement à cette tâche (c’est-à-dire qu’elles nepeuvent pas exercer d’autres activités que lagestion de fonds de pension), sauf au Mexique,où la gestion est «multiple» (assurée par desorganismes privés, publics et mixtes).

Modèle parallèle

Dans le cas de ce modèle mis en œuvre auPérou (1993) et en Colombie (1994), le régimepublic ne disparaît pas mais se double d’un nou-veau régime privé qui constitue une alternative.Le régime public repose toujours sur les mêmesprincipes mais il est réformé, que ce soit partiel-lement ou dans sa totalité, et le régime privé pré-sente les mêmes caractéristiques que le régimechilien, sauf en Colombie où il est administré parplusieurs organismes de nature différente.

Modèle mixte

Ce modèle a été adopté par l’Argentine(1994), l’Uruguay (1996) et le Costa Rica (2000).Dans ce cas, le régime public ne disparaît pasmais devient l’un des deux piliers d’un nouveausystème obligatoire et intégré. En effet, le pilierpublic garantit une pension de base alors quele pilier privé correspond à une retraite com-plémentaire. Le régime public conserve lesmêmes caractéristiques qu’auparavant maissubit quelques réformes et le régime privé pré-sente les mêmes caractéristiques que le systèmechilien sauf qu’il est géré par plusieurs orga-nismes de nature différente.

La «privatisation» et le rôle de l’Etat

Le nouveau système a été qualifié de«privé» à défaut de mieux, mais ce terme estimprécis, connoté politiquement et ne donne

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pas une idée exacte de la réalité. Ainsi, c’est seu-lement dans la moitié des dix réformes desretraites examinées que la gestion du régime estconfiée exclusivement à des sociétés privées, etce n’est le cas que pour des pays relevant dumodèle du remplacement. Il s’agit du Chili, dela Bolivie, de El Salvador et du Nicaragua (maisaussi du Pérou pour le régime privé proposé enparallèle au régime public). Au contraire, dansle cas du modèle parallèle adopté en Colombieet au Pérou, le régime public est géré par lesassurances sociales. Dans trois régimes mixtes(Argentine, Uruguay et Costa Rica), la gestionest publique pour le régime de base alorsqu’elle est assurée par plusieurs caisses privéespour le régime complémentaire. Pour le régime«privé» parallèle mis en place en Colombiecomme dans le cas du système de remplace-ment du Mexique, il est fait recours à plusieurssociétés de gestion. Le pourcentage de tra-vailleurs ayant adhéré au régime unique oucomplémentaire «privé» varie de façon mar-quée selon les pays. En effet, il est de 100 pourcent en Bolivie et au Mexique, de 97/99 pourcent au Chili et à El Salvador, de 78/79 pourcent en Argentine et au Pérou et de 49/50 pourcent en Uruguay et en Colombie (aucune don-née n’est encore disponible pour le Costa Ricaet le Nicaragua). Il convient de souligner que,dans le cas des systèmes parallèles ou mixtes,et à une exception près, la gestion est assuréepar plusieurs organismes de nature différente.

Par ailleurs, il est apparu que l’interventionde l’Etat était essentielle au bon fonctionne-ment et à la pérennité des régimes privés. Plu-sieurs raisons entrent en jeu à cet égard: a) ils’agit de régimes obligatoires et non pas facul-tatifs; b) ils sont fortement réglementés parl’Etat et sont contrôlés, surveillés et sanctionnéspar une institution publique de surveillance quiest financée par l’Etat dans plusieurs pays; c) lesinstruments d’investissement sont réglementéset notés par une institution publique; et d) l’Etatverse des subventions importantes et offre cer-taines garanties, comme il sera exposé plus endétail ci-dessous.

Les réformes relevant du modèle dit du rem-placement et du modèle parallèle génèrent troistypes de charges financières lourdes pourl’Etat. La première découle du déficit du régimepublic, qui perd tous ses cotisants ou n’enconserve qu’une minorité alors qu’il doit conti-nuer d’assumer la charge des retraites en courset de celles qui seront versées plus tard aux coti-sants encore affiliés. En effet, l’Etat finance cedéficit dans tous les pays. La deuxième de cescharges est liée au montant des cotisations ver-

sées au régime public par tous les assurés quil’abandonnent au profit du régime privé (onparle souvent à cet égard d’une «obligation dereconnaissance»). Ce montant est indexé surl’inflation chaque année et deux pays (Colom-bie et Chili) versent par ailleurs un intérêt surcette somme. L’Etat s’acquitte de cette obliga-tion dans tous les pays sauf au Mexique et enUruguay (le Pérou a accordé relativement peud’obligations de reconnaissance). Une troi-sième charge découle de la pension minimumqui est garantie à tous les assurés du régimeprivé même si le montant accumulé sur leurcompte d’épargne individuel ne suffit pas àfinancer une pension de ce niveau. L’Etat prendla différence à sa charge dans cinq pays, maisni la Bolivie ni le Pérou n’assurent cette garan-tie dans les faits. Dans le cas du modèle mixte,le pilier public peut être déficitaire ou non, maisil n’est pas nécessaire de prévoir des méca-nismes tels que les obligations de reconnais-sance ou les pensions minimums garantiespour le pilier privé car les assurés sont toujoursaffiliés au pilier public, qui assure le versementd’une rente minimum. L’Etat fournit parfoisd’autres garanties et prestations: a) octroi d’unepension relevant des assurances sociales pourles travailleurs non assurés démunis (Argen-tine, Chili, Costa Rica et Uruguay); b) indexa-tion des retraites sur l’inflation, y compris dansle cas de la pension minimum; c) rendementannuel minimum de l’investissement si lesfonds de la caisse ne sont pas suffisants pourpermettre le versement d’un tel rendement; etd) versement des rentes si la caisse fait faillite etque les assurés et les retraités adhérant au fondscorrespondant ne bénéficient plus d’aucuneprotection (c’est le cas en Argentine, au Chili,en Colombie et en Uruguay).

La liberté de choix

Entre autres objectifs essentiels, la réformevisait à rompre le monopole du régime publicet à permettre aux assurés de choisir librementleur régime et leur caisse et de changer de caisseà leur convenance. Cependant, ces libertés sontparfois totalement inexistantes ou assorties derestrictions importantes. Ainsi, lors de l’entréeen vigueur des réformes adoptées en Bolivie etau Mexique, les assurés n’ont pas eu la possi-bilité de rester dans le régime public: tous ontété transférés d’autorité vers le régime privé.Qui plus est, en Bolivie, le gouvernement aréparti les assurés entre les deux seules caissesexistantes en fonction de leur domicile et il ainterdit le transfert de l’une à l’autre excepté en

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cas de changement de domicile. Partout, à deuxexceptions près, toute personne intégrant lapopulation active qui a droit à une couverturedoit adhérer au régime «privé» ou au régimemixte. Dans trois pays donnés (El Salvador, leNicaragua et l’Uruguay), les assurés ont étérépartis par classes d’âge au moment de l’en-trée en vigueur de la réforme et seuls les plusjeunes ont été autorisés à continuer d’adhérerau régime public s’ils le souhaitaient. L’Argen-tine et la Colombie sont les pays dans lesquelsla liberté de choix est la plus grande puisque lespersonnes affiliées au moment de la réformecomme ceux qui intègrent la population activepeuvent choisir entre le régime public et lerégime privé ou mixte et changer de système àleur convenance. Dans six pays dotés d’unrégime ou d’un pilier privé, il est possible dechanger de caisse entre une et deux fois par anseulement. Enfin, les assurés ne peuvent paschoisir leurs instruments d’investissement ni lacomposition de leur portefeuille car la caisse estsouveraine en la matière, et, au moment de leurdépart à la retraite, ils n’ont pas droit à retirerle montant accumulé sur leur compted’épargne individuel. Seules trois options s’of-frent à eux: la perception d’une rente, uneretraite programmée ou un panachage de cesdeux possibilités.

III. Les résultats de la réformeen Amérique latine

Cela fait près de vingt ans que le Chili aréformé son régime, contre trois à sept ans poursept autres pays (pour les deux pays restants,le processus vient de commencer). Le momentest donc venu de faire le bilan de ces réformesà partir des critères fondamentaux suivants: leniveau des cotisations, le pourcentage de cou-verture de la population active et l’égalité entreles hommes et les femmes, la concurrence etles frais de gestion, l’accumulation de capitalet le rendement de l’investissement et, enfin,les conséquences sur le marché financier etl’épargne nationale.

Contributions des employeurset cotisations des assurés

Les régimes de retraite sont principalementfinancés par des cotisations salariales verséespar les employeurs et les travailleurs couverts(avant la réforme, la part employeur représen-tait en moyenne trois fois la part travailleur).Cependant, une discussion toujours ouverte estnée sur la question de savoir si les employeurs

devaient s’acquitter effectivement de leurcontribution ou la transférer vers leursemployés ou vers le consommateur. Si l’on s’entient au parti adopté par les promoteurs de laréforme au Chili et par la Banque mondiale, lesemployeurs doivent verser leur part, mais ilspeuvent remplacer le capital par du travail afinde la réduire en tout ou en partie, c’est-à-direlimiter la création d’emplois. C’est en raison dece point de vue que le Chili, la Bolivie et le Pérouont décidé de supprimer la part employeur.Cependant, s’il y a effectivement transfert decotisations, il ne devrait pas y avoir de consé-quences négatives sur l’emploi. Partant de cetteidée, et compte tenu des principes constitu-tionnels et de la ferme opposition des tra-vailleurs et des syndicats, quatre pays ont pré-féré ne pas toucher à la part employeur(Argentine, Costa Rica, El Salvador et Mexique)et un autre s’est contenté de la réduire dans unefaible proportion (Uruguay) alors que troisautres Etats l’ont augmentée (Colombie, CostaRica et Nicaragua). Inversement, le niveau descotisations prélevées aux assurés a augmentédans six pays (Bolivie, Colombie, El Salvador,Nicaragua, Pérou et Uruguay). Dans troisautres pays (Argentine, Costa Rica et Mexique),il est resté inchangé. Dans la plupart des pays,le coût de la réforme a donc été transféré del’employeur vers l’assuré, et la suppression dela part employeur s’est traduite par une aug-mentation de la cotisation due par l’assuré oudes subventions versées par l’Etat selon le cas.

Portée de la protection et égalitéentre hommes et femmes

Avant la réforme, le pourcentage de cou-verture des actifs par les régimes de retraitedépendait du niveau de développement, etnotamment de la taille du secteur structuré, soitdu nombre de salariés. Dans les pays les plusdéveloppés, le secteur structuré était particu-lièrement développé et le niveau de couvertureimportant. En revanche, dans les pays les moinsdéveloppés, les travailleurs de l’agriculture etceux du secteur non structuré (c’est-à-dire lesindépendants, les employés de maison, les sala-riés de micro-entreprises, les individus tra-vaillant pour l’entreprise familiale sans rece-voir de rémunération et les travailleurstemporaires) étaient particulièrement nom-breux. Tous ces groupes étant exclus desrégimes de retraite, ceux-ci couvraient dès lorsune proportion bien moindre des actifs. Dansles dix pays considérés ayant réformé leurrégime de retraite tels qu’ils sont répartis entre

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les trois groupes définis précédemment, lespourcentages de couverture étaient les sui-vants: groupe des pionniers (c’est-à-dire l’Ar-gentine, le Chili et l’Uruguay, le Costa Ricadevant toutefois être ajouté) de 70 pour cent à80 pour cent; groupe des pays intermédiaires(Colombie, Mexique et Pérou) de 32 pour centà 44 pour cent et groupe des retardataires (Boli-vie, El Salvador et Nicaragua) de 12 pour centà 23 pour cent.

Le pourcentage des actifs couverts aprèsl’entrée en vigueur des réformes a été estimésur la base de deux chiffres différents: a) lenombre de membres, c’est-à-dire des personnesayant adhéré au régime à un moment ou à unautre de leur vie professionnelle, et b) le nombrede cotisants actifs, soit le nombre de membresqui versent régulièrement une cotisation aurégime. Le premier de ces deux chiffres est sen-siblement supérieur au second. A la fin de l’an-née 1998, ces pourcentages, calculés sur lesdeux estimations correspondantes, étaient lessuivants: 72 pour cent et 66 pour cent en Uru-guay, 109 pour cent (impossible du point de vuestatistique) et 59 pour cent au Chili, 63 pour centet 30 pour cent en Argentine, 44 pour cent et 23pour cent en Colombie, 36 pour cent et 23 pourcent au Mexique, 29 pour cent et 20 pour cent àEl Salvador, 26 pour cent et 13 pour cent auPérou et 13 pour cent en Bolivie (aucune don-née n’est disponible sur les cotisants actifs pource pays). Les estimations fondées sur le nombrede membres réalisées pour les périodes précé-dant et suivant la réforme montrent que la cou-verture a diminué dans quatre pays, l’Uruguayet El Salvador faisant exception (pas d’évolutionsignificative), de même que le Chili et la Colom-bie (avec, pour le premier de ces deux pays, uneaugmentation dont l’importance est difficile àapprécier). Les estimations relatives à la cou-verture qui se fondent sur le nombre de coti-sants actifs ne peuvent pas être comparées avecles données portant sur la période précédant laréforme mais elles sont en tous les cas infé-rieures de beaucoup à celles qui sont fondéessur le nombre de membres. Cette particularités’explique en grande partie par le fait que seuls55 pour cent en moyenne des membres sontaussi des cotisants actifs (ce chiffre est comprisentre 46 pour cent pour l’Argentine et 65 pourcent pour l’Uruguay). Elle pourrait aussi décou-ler accessoirement du fait que les cotisationsversées par les assurés ont augmenté.

Le déclin de la couverture des actifs est sansdoute une conséquence de l’expansion du sec-teur non structuré dans la région d’une part etde la «flexibilisation» de la main-d’œuvre que

la mondialisation a entraînée de l’autre. Ce pro-blème soulève des préoccupations quant àquatre aspects fondamentaux: a) l’avenir de lasécurité sociale, qui doit s’adapter aux muta-tions du marché du travail afin que la couver-ture qui prévaut dans le secteur structuréaujourd’hui perdure et que de nouveaux méca-nismes propres à assurer la couverture du sec-teur non structuré, des travailleurs à temps par-tiel et des autres travailleurs non protégés soientmis au point; b) la détérioration de la protectionréservée aux pauvres, étant donné que la pau-vreté s’accroît, que seul un petit nombre de paysfournit des retraites relevant de l’assistancesociale et que ces pensions, lorsqu’elles sont ver-sées, ne sont pas suffisantes pour couvrir lesbesoins essentiels des intéressés; et c) la propor-tion minime des dépenses de sécurité sociale etdu PIB qui est affectée aux pensions relevant del’assistance sociale et aux allocations verséesaux membres de certaines catégories donnéespour les aider à adhérer au système.

Les membres de sexe féminin reçoivent sou-vent des pensions inférieures à celles de leurshomologues masculins, ce qui s’explique partrois raisons: a) les rémunérations perçues parles femmes sont généralement inférieures àcelles qui sont versées aux hommes à travailéquivalent; b) les femmes cotisent de façonmoins continue que les hommes car elles sontamenées à interrompre leur activité à titre tem-poraire pour cause de grossesse ou pour éleverun enfant; et c) en Amérique latine, les femmesprennent souvent leur retraite cinq ans avantles hommes alors que leur espérance de vie estde quatre ans supérieure à la leur en moyenne.Les régimes publics peuvent corriger partielle-ment ces déséquilibres grâce au principe desolidarité qui prévaut en leur sein et à la redis-tribution des hommes vers les femmes qui y acours, mais les régimes de retraite privés ne fontrien pour palier cette discrimination.

Concurrence et frais de gestion

Les réformes structurelles lancées enmatière de retraites avaient entre autres objec-tifs fondamentaux celui de garantir une concur-rence adéquate entre les sociétés gérant desfonds de pension, car la concurrence joue unrôle clef pour améliorer la rentabilité et réduireles frais de gestion. En théorie, les caisses sonten concurrence auprès des assurés et ceux-cidisposent des informations nécessaires pourchoisir la meilleure d’entre elles, c’est-à-direcelle qui offre un rendement sur l’investisse-ment optimum tout en facturant des commis-

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sions aussi modestes que possible. Les donnéesdisponibles sur l’Amérique latine montrentcependant que la concurrence ne fonctionnepas de façon idéale. L’analyse de huit réformesdes retraites montre que plus le nombre d’as-surés est élevé, plus les caisses sont nom-breuses, et vice versa. Ainsi, le Mexique compte14 millions d’assurés pour 14 caisses, des chiffresqui passent à 8 millions et 13 pour l’Argentine,6 millions et 8 pour le Chili, 3 millions et 6 pourla Colombie (mais la gestion est assurée par dif-férents types d’organismes, ce qui facilite l’ad-hésion), 2 millions et 5 pour le Pérou, 670 000 et2 millions pour El Salvador et 492 000 et 2 mil-lions pour la Bolivie. Rappelons que, dans cedernier pays, le gouvernement a réparti lesassurés entre les deux régimes en fonction deleur lieu de résidence en leur interdisant de pas-ser de l’un à l’autre, si bien qu’il n’y a pas deconcurrence mais une situation de duopole.

En outre, les assurés se répartissent de façonprépondérante entre les trois caisses principalesde leur pays. C’est le cas pour 100 pour centd’entre eux en Bolivie et à El Salvador, et cechiffre passe à 78/75 pour cent pour le Chili etle Pérou, 69/60 pour cent pour l’Uruguay et laColombie, 54 pour cent pour l’Argentine et 45pour cent pour le Mexique, où chaque caissecouvre donc 17 pour cent des assurés au maxi-mum. Une telle concentration n’aurait rien depréjudiciable si les trois caisses principalesétaient aussi les meilleures, mais des étudesmenées au Chili et en Colombie montrent queles sociétés considérées ne sont pas celles qui ontfacturé systématiquement les commissions lesmoins élevées ni versé les rendements les plusintéressants. Comment expliquer dès lors la pré-férence des travailleurs? Plusieurs élémentsinterviennent en la matière: a) l’activité desreprésentants, qui perçoivent une commissionpour chaque adhérent qu’ils convainquent des’affilier à l’une des caisses existantes (au Chili,il y avait 19 000 représentants en 1998, soit unpour 160 cotisants actifs); b) les cadeaux et autrestraitements préférentiels offerts aux assuréspour les encourager à changer de caisse; c) le faitque les assurés ne disposent pas des informa-tions ni des connaissances nécessaires pour sedécider en connaissance de cause et choisir lasociété de gestion la plus intéressante; et d) l’ef-fet des campagnes publicitaires, qui se placentsur un plan symbolique et ne fournissent pasd’informations sur la performance.

Puisque la concurrence ne joue pas commeelle le devrait, les frais de gestion ne devraientpas diminuer, et c’est bien le cas si l’on en croitles informations disponibles pour neuf des

pays considérés. Les commissions, qui sontentièrement à la charge des assurés et sontgénéralement prélevées sur la rémunérationreprésentent 4,1 pour cent au Mexique, entre 3,8pour cent et 3,0 pour cent au Pérou, en Colom-bie, en Argentine, à El Salvador et au Nicara-gua et entre 2,6 et 2,5 pour cent en Uruguay, auChili et en Bolivie. La commission comprenddeux éléments: les frais que la caisse facturepour la gestion du compte d’épargne retraiteindividuel, élément principal dont le montantvarie beaucoup mais qui n’a pas tendance àbaisser, ou quasiment pas, et la prime que lasociété en question transfère à une compagnied’assurance des entreprises pour couvrir lesrisques invalidité et survivants, un deuxièmeélément qui est secondaire et tend à diminuer.La combinaison de ces deux tendances se tra-duit par une commission stable ou en trèslégère diminution. Il est possible d’évaluer lesfrais de gestion considérables qui sont à lacharge de l’assuré en calculant le pourcentagede la rémunération qui sert à payer la commis-sion par rapport à la retenue totale (commissionplus montant accumulé sur le compte indivi-duel). Ce pourcentage est compris entre 30 pourcent et 32 pour cent au Pérou, en Argentine, àEl Salvador et au Mexique et entre 20 pour centet 26 pour cent en Colombie, au Chili et en Boli-vie; il est de 17,5 pour cent en Uruguay.

Accumulation de capital et rendementde l’investissement

Les partisans de la réforme des retraites(Banque mondiale y compris) affirment quecette opération génère un cercle vertueux pourl’économie: l’accroissement de l’accumulationde capital conduirait à une augmentation del’investissement sur le marché financier, qui sedévelopperait d’autant, cette évolution favori-serait la diversification du portefeuille, entraî-nant par conséquent une augmentation du ren-dement de l’investissement, et tout celaaboutirait pour finir à une augmentation del’épargne nationale et de la croissance. Si lesinformations relatives à huit des pays considé-rés confirment un petit nombre de ces affirma-tions, elles montrent aussi que la plus grandepartie d’entre elles ne sont pas fondées.

Ainsi, il semble avéré que l’accumulation decapital dans les fonds de pension a été impor-tante. Voici la mesure de cette accumulation, enmillions de dollars des Etats-Unis puis en pour-centage du PIB pour la période 1998/1999:33 616 et 52 pour cent au Chili; 16 787 et 5,6 pourcent en Argentine; 8 300 et 2,5 pour cent au

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Mexique; 2 925 et 2,3 pour cent en Colombie;2 274 et 2,5 pour cent au Pérou; 472 et 4 pour centen Bolivie; 591 et 3,5 pour cent en Uruguay et211 et 1,7 pour cent à El Salvador. Les différencesentre les pays s’expliquent bien sûr par la diver-sité des stratégies d’investissement adoptées,qui ont été plus ou moins heureuses selon le cas,mais aussi par d’autres facteurs, notamment parle temps écoulé depuis la mise en œuvre de laréforme (près de vingt ans au Chili contre deuxans seulement à El Salvador), le développementdu marché financier, le nombre d’assurés, leniveau du PIB et, enfin, le niveau des salaires, levolume des sommes déposées sur les comptesindividuels et le rendement de l’investissement.

Les rendements moyens réels sur l’année,calculés pour la période allant du début de laréforme à la fin de l’année 1998 ou 1999, ont éga-lement atteint des niveaux relativement élevés,soit 13 pour cent en Argentine, 11 pour cent auChili, 10 pour cent en Colombie, 8 pour cent auMexique et 7,5 pour cent en Bolivie, au Pérouet en Uruguay. Pour bien interpréter ces chiffrescependant, il convient de tenir compte desmises en garde suivantes: a) il s’agit de chiffresbruts, et les frais de gestion, dont le montant estconsidérable, devraient être retranchés pourobtenir le rendement net; b) dans tous les pays,exception faite du Chili, le régime a commencéà fonctionner dans les années 1990, lorsque lesmarchés internationaux généraient des rende-ments très élevés; c) le rendement moyen étaitbien plus élevé jusqu’à 1995, car le rendementa diminué de beaucoup à la suite des crisesrégionales de 1995 et de 1997/1998. Il ressort dece dernier point que les fluctuations du marchéfinancier ont un effet sur le montant des pen-sions, qui peut être très différent selon que latendance est à l’expansion ou à la récession –on parle à cet égard de la «roulette de laBourse». Ainsi, au Chili, les travailleurs qui ontadhéré au système dans les années 1980 rece-vront une rente bien plus élevée que ceux quis’y sont affiliés par la suite.

Evolution des marchés financierset de l’épargne nationale

Deux études portant sur le Chili, le pays oùla réforme est la plus ancienne, ont examiné lebien-fondé des affirmations selon lesquelles lesréformes des retraites seraient favorables audéveloppement des marchés des capitaux et del’épargne nationale. Elles ont conclu que cetteaffirmation était fausse pour l’une et qu’il étaitimpossible de conclure en la matière pourl’autre. La première de ces études, réalisée à la

demande du Fonds monétaire international,qui en est également l’éditeur, aboutit auxconclusions suivantes: a) certains éléments empi-riques semblent corroborer l’affirmation selonlaquelle la réforme des retraites aurait contri-bué au développement du marché financier,mais ces éléments ne suffisent pas à prouver defaçon irréfutable que la réforme a joué le rôleprincipal dans l’amélioration constatée (c’est-à-dire que d’autres facteurs ont pu jouer un rôleprépondérant); et b), dans l’hypothèse la plusoptimiste, il semble incertain que la réforme aiteu un effet bénéfique sur l’épargne nationale, etrien ne viendrait donc justifier l’optimisme demise en Amérique latine et en Europe de l’Est,où les réformes des retraites sont présentéescomme un moyen facile de stimuler l’épargnenationale et la croissance. La seconde étude, réa-lisée par un haut fonctionnaire du ministère desFinances du Chili, conclut que la réforme desretraites a eu un effet net négatif sur l’épargnenationale. Elle montre en effet que, pour lapériode 1981/1996, l’épargne moyenne annuelleaccumulée sur les comptes individuels repré-sente 2,7 pour cent du PIB mais que, comptetenu de la charge assumée par le budget del’Etat, qui est de 5,7 pour cent, le résultat estnégatif et représente –2,6 pour cent du PIB.

IV. Les discussions sur la réformedes retraites aux Etats-Unis

Le régime de retraite de la sécurité socialeen vigueur aux Etats-Unis a subi plusieurs ré-formes «paramétriques» au fil des ans (aug-mentation des taux de cotisation et du plafondcorrespondant et relèvement de l’âge de laretraite de 65 à 67 ans). Ces aménagements per-mettront d’assurer l’équilibre du régime jus-qu’en 2037, année à partir de laquelle l’excédentse transformera en un déficit qui devraitatteindre 1,7 milliard de dollars des Etats-Unisd’ici 2050 selon des estimations. Ce déficitdécoulera en partie de la diminution du rapportentre actifs et inactifs. En effet, lorsque les indi-vidus de la génération du baby-boom (qui ontmoins d’enfants que les générations précé-dentes et vivront plus longtemps qu’elles) par-tiront à la retraite, ils cesseront de s’acquitter deleurs cotisations et commenceront à percevoirune rente, qui leur sera versée pendant unepériode prolongée. Lors de la campagne prési-dentielle de 2000, le débat a fait rage sur la ques-tion, Georges W. Bush défendant l’idée d’uneréforme radicale en la matière alors que Al Gorea affirmé qu’il n’aurait jamais recours à une telleméthode. Cependant, l’un et l’autre des deux

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candidats se sont engagés à ne pas éleverdavantage le niveau des cotisations ni l’âge dela retraite.

La proposition formulée par Al Gore, ancienVice-Président, prévoyait une réduction d’im-pôt modeste et discriminée et le prélèvement,sur les excédents budgétaires escomptés pourles douze prochaines années, de 3,5 milliards dedollars E.-U. qui seraient affectés au rembour-sement de l’intégralité de la dette publique.L’épargne qui en découlerait chaque année dufait du non-paiement des intérêts serait ensuiteaffectée au régime, ce qui permettrait de pro-longer la solvabilité du système de dix-sept ans.La proposition prévoyait en outre que les tra-vailleurs gagnant moins de 100 000 dollars E.-U.par an seraient autorisés à ouvrir des comptesd’épargne facultatifs, dont le montant serait exo-néré d’impôt, en vue de se constituer une retraitecomplémentaire. Des voix se sont élevées contrecette proposition, soulignant que, si les excé-dents budgétaires escomptés ne se concréti-saient pas, le gouvernement serait contraint decombler le déficit en augmentant l’impôt sur lerevenu ou les cotisations de sécurité sociale ouencore en diminuant le montant des pensions etqu’un tel plan ne ferait que remettre à plus tardun déficit imminent sans régler véritablement leproblème. Notons cependant que ces difficultésdevraient se poser de façon plus aiguë encoreavec la proposition de Georges W. Bush.

S’inspirant en partie des réformes mises enœuvre en Amérique latine, le Président Bush aproposé pour sa part d’utiliser la moitié desexcédents de la caisse de la sécurité sociale (soit1 milliard de dollars E.-U.) pour créer un sys-tème dans le cadre duquel les jeunes travailleurspourraient réaffecter un sixième de leurs coti-sations à un compte d’épargne individuel etinvestir les sommes correspondantes en actionset en obligations. De la sorte, et si les marchésfinanciers continuent leur croissance de 7 pourcent par an, ce qui n’a pas de précédent dansl’histoire, les pensions futures devraient êtreplus généreuses que celles d’aujourd’hui. Cer-tains ont critiqué cette proposition, qui péche-rait selon eux par trois aspects. Il a été dit ainsique si la moitié des excédents générés par lacaisse était prélevés, celle-ci serait déficitairequatorze ans avant ce qui avait été escompté,que la gestion de millions de comptes d’épargneindividuels entraînerait des coûts très considé-rables (voir l’exemple latino-américain) et queles travailleurs qui prendraient leur retraite pen-dant des périodes de récession recevraient unerente bien inférieure à ceux qui quitteraient lavie active en période d’expansion. En outre,

cette proposition, qui prévoit de réduire lesimpôts de 1,6 milliard de dollars des Etats-Unis,accroîtrait la dette publique et réduirait les res-sources fiscales disponibles pour lutter contreun déficit appelé à se manifester plus tôt queprévu. M. Bush a été élu à une majorité trèsfaible et ne bénéficie pas d’un soutien massif dela population; en outre, le Sénat est divisé à partségales entre républicains et démocrates. S’il estvrai que M. Bush a réitéré sa proposition tellequ’il l’avait formulée initialement dans le pre-mier discours qu’il a prononcé en tant que pré-sident élu, il convient de souligner que certainsmembres éminents du Parti républicain ontexprimé publiquement leurs réserves quant à lapossibilité de réaliser un tel programme dans lapratique et ont plaidé pour son abandon au pro-fit de réformes partielles qui pourraient recevoirl’agrément des deux partis au Congrès.

Selon des actuaires, il faudra, pour assurerla solvabilité du régime de retraite sur le longterme, relever progressivement l’âge de laretraite (de 67 à 70 ans) et le plafond des coti-sations (mécanisme qui aura un impact plusprogressif sur la distribution que ce qui seraitle cas avec une augmentation des cotisations enpourcentage). Sans cela, les prestations devrontnécessairement être revues à la baisse, c’est-à-dire qu’il faudra utiliser une formule de calculmoins avantageuse, diminuer le niveau desrentes ou appliquer une indexation moins favo-rable sur l’inflation. La plupart des réformesmises en œuvre en Amérique latine ont adoptécertaines de ces mesures ou l’ensemble d’entreelles.

V. Quelques leçons à retenir pourles travailleurs et les syndicats

Le vieillissement démographique sembleinexorable sur le long terme, même si les paysdont la population et le régime de retraite sontplus jeunes ont plus de temps devant eux queceux dans lequel le vieillissement est plusavancé pour l’un et l’autre de ces éléments. Lesmodifications apportées à certains paramètresdes régimes peuvent prolonger la périoded’équilibre, mais pas indéfiniment.

La privatisation, terme vague qu’il convientde préciser, n’est pas la panacée. En outre, dansce cadre, un rôle fondamental revient à l’Etat,qui doit à la fois réglementer et surveiller le sys-tème et payer le triple coût de la réforme, uncoût qui est considérable. La liberté de choix quiserait offerte aux assurés n’existe pas dans lesfaits ou a été assortie de restrictions très impor-tantes dans certains pays.

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L’expérience accumulée par l’Amériquelatine en matière de réforme a permis de consta-ter que la suppression de la contribution de l’em-ployeur alourdit la charge pesant sur les tra-vailleurs ou élève le niveau des subventionspubliques selon le cas, que la couverture de lapopulation active a décliné, que les femmes per-çoivent des pensions moins généreuses du faitde la suppression du principe de la solidarité,que la concurrence ne joue pas suffisamment etque les frais de gestion sont très élevés et n’ontpas diminué de façon significative. En revanche,l’accumulation de capital et le rendement de l’in-vestissement ont atteint des niveaux élevés, maisles différences sont grandes selon les pays pources deux données, et les chiffres relatifs au ren-dement de l’investissement doivent être inter-prétés avec prudence en tenant compte de plu-sieurs mises en garde. Enfin, rien ne prouve quela réforme mise en œuvre au Chili a conduit àun développement du marché financier dans cepays alors que certains éléments attestent qu’ellea eu un impact négatif sur l’épargne nationale.

Il n’existe pas de modèle de réforme univer-sel et unique. En Amérique latine, on peut dis-tinguer trois grands modèles que les dix paysconsidérés ont adaptés à leurs particularités et àleurs besoins. Cette expérience et la discussionengagée aux Etats-Unis montrent qu’il faudra

consentir certains sacrifices, que ce soit en jouantsur le niveau des cotisations, le niveau des pres-tations ou sur ces deux plans à la fois, pour assu-rer la stabilité du système sur le long terme.

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