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Projet Grands Lacs Fournir une réhabilitation holistique et à base communautaire aux victimes de torture au Burundi, en République Démocratique du Congo et au Rwanda Ce projet est financé par l’Union européenne

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  • Projet Grands LacsFournir une réhabilitation holistique et à base communautaire aux victimes de torture au Burundi, en République Démocratique du Congo et au Rwanda

    Ce projet est financé par l’Union européenne

  • Avant-propos

    Pendant quatre ans, le Projet Grands Lacs de l’IRCT a soutenu une collaboration unique et enthousiaste entre six centres de réhabilitation au Burundi, en République Démocratique du Congo et au Rwanda, qui a directement bénéficié aux victimes de torture.

    Dans une région marquée par les conflits, la violence et la cruauté, ces centres ont uni leurs efforts pour permettre aux victimes de torture de devenir des acteurs proactifs, engagés et responsables dans le développement social, économique et politique de leurs communautés. Le concept de ce travail repose sur la mission de l’IRCT, qui vise à promouvoir une mise en œuvre effective du droit à la réhabilitation pour les victimes de torture, tel qu’il a été défini par le Comité des Nations Unies contre la torture dans l’Observation Générale 3 sur l’article 14 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Les membres de l’IRCT estiment qu’une réhabilitation adéquate doit être holistique et décidée par les détenteurs des droits, afin de garantir aux victimes de torture une réelle possibilité de faire usage de ce droit1. Ce rapport met en lumière les histoires de victimes de torture qui reconstruisent courageusement leurs vies avec l’aide et les soins fournis par les centres à travers quatre approches principales :

    1. un système d’orientation médicale

    2. la restauration de la dignité par les moyens de subsistance

    3. l’assistance aux victimes dans la lutte contre l’impunité

    4. un changement de vie grâce au counseling social à base communautaire.

    L’un des principaux éléments du Projet Grands Lacs consistait à offrir des moyens aux victimes de torture, mais aussi aux victimes secondaires, souvent oubliées, mais affectées par les expériences traumatisantes de leurs proches. Le projet s’est en outre concentré sur les zones rurales, allant à la rencontre des victimes dans le besoin qui n’auraient autrement jamais bénéficié de services de réhabilitation.

    Le projet a réuni des communautés, en soignant des blessures et en créant des plateformes de dialogue et de réconciliation dans des pays ayant connu des guerres civiles, un génocide et des crises de réfugiés. Le travail entamé se poursuit à travers de nouveaux partenariats entre les prestataires de services, un accès facilité aux services, de nouvelles entreprises

    créées par les victimes, des groupes de counseling social organisés uniquement sur l’initiative des bénéficiaires du projet, des professionnels médicaux qui peuvent désormais fournir une documentation médico-légale de qualité et des victimes assistées dans les procédures judiciaires et la lutte contre l’impunité.

    L’IRCT et ses partenaires espèrent que ce rapport fournira un aperçu du travail des centres et des résultats accomplis par le Projet Grands Lacs, qui constituent à nos yeux un précieux tremplin pour garantir que le plus grand nombre possible de victimes de torture bénéficient de services de réhabilitation holistiques et puissent jouer à nouveau un rôle actif dans leur communauté.

    2015 © International Rehabilitation Council for Torture Victims (IRCT, Conseil international de réhabilitation pour les victimes de torture)

    Tous droits réservés

    Imprimé en Uganda

    ISBN (impression) : 978-87-93113-13-8

    ISBN (en ligne) : 978-87-93113-14-5

    Le Conseil international de réhabilitation pour les victimes de torture (IRCT) est une organisation internationale indépendante de défense des droits de l’homme axée sur la santé, qui promeut et soutient le droit à la réhabilitation pour les victimes de torture. Il agit comme une plateforme mondiale de connaissances sur la réhabilitation de l’état de santé et dirige le processus mondial de consensus sur le droit à des normes de réhabilitation. La vision de l’IRCT est celle d’un monde sans torture.

    Vesterbrogade 149, building 4, 3rd floor, 1620 Copenhagen V, Danemark

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    Pour plus d’informations, voir www.irct.org

    Victor MadrigalSecrétaire général de l’IRCT

    mailto:irct%40irct.org?subject=http://www.irct.org

  • 3 Avant-propos

    6 Introduction

    13 Créer des pistes et des partenariats : le système d’orientation médicale

    16 Restaurer la dignité par les moyens de subsistance

    20 Guérir par la justice : aider les victimes à lutter contre l’impunité

    24 Changer des vies grâce au counseling social à base communautaire

    28 Les partenaires du projet

    29 Notes et références

    Sommaire

  • 6 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 7

    IntroductionUn grand nombre d’hommes, de femmes et d’enfants vivant dans la région des Grands Lacs en Afrique centrale ont souffert de conflits. Ces dernières décennies, le génocide au Rwanda, la guerre civile au Burundi et une série de guerres brutales et prolongées dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC) ont profondément marqué la région.

    Entre 1993 et 2005, la guerre civile au Burundi, alimentée par des générations de tensions ethniques, aurait fait entre 250 000 et 300 000 victimes.2 Près de 700 000 personnes, soit 10 pour cent de la population, ont été forcées de quitter leurs terres.

    Au Rwanda, on estime qu’environ un million de personnes ont été tuées durant les 100 jours de génocide.3 Ce dernier a également entraîné l’une des plus importantes crises de réfugiés de ce monde, environ 1,2 million de personnes ayant fui vers les provinces de Kivu, en RDC.4

    L’ombre du génocide de 1994 plane encore aujourd’hui et a des effets sur les communautés à travers tout le pays.

    En RDC, les crises de réfugiés de 1996 à 1997 et de 1998 à 2003 ont fait éclater une guerre qui, en 2008, avait fait 5,4 millions de morts, victimes principalement de maladies et de la famine. Cela en a fait le conflit le plus mortel au monde ces derniers temps.5

    À travers toute la région, les conflits intra- et inter-étatiques sont étroitement liés. L’association d’une violence directe et d’une violence structurelle durable, comme la pauvreté extrême et le manque d’accès aux

    biens et aux services de base, a un effet dévastateur sur la vie des populations.

    Fournir des services de réhabilitation aux victimes de tortureOn ne connaît pas le nombre exact de personnes torturées dans la région des Grands Lacs. Cependant, il est clair qu’au Rwanda, au Burundi et en RDC, de très nombreuses personnes ont subi diverses formes de torture et de mauvais traitements, comme des viols et des disparitions forcées. Beaucoup restent traumatisées depuis 20 ans, voire plus, et n’ont jamais reçu de traitement. Les conséquences sont considérables, touchant les victimes elles-mêmes, leurs familles et leurs communautés. De nombreuses victimes de torture souffrent de stress post-traumatique (anxiété, flashbacks, insomnie, cauchemars et dépression, entre autres) et ressentent souvent de la honte (causée par l’humiliation endurée). Lorsque la torture est utilisée de manière systématique et répandue, des sociétés entières peuvent être traumatisées.

    C’est sur fond de ce climat d’instabilité politique que le Projet Grands Lacs de l’IRCT a été lancé en avril 2011. Un projet unique dans sa conception, qui a mis en relation six centres de réhabilitation dans la région pour leur permettre de partager leurs expériences au-delà des frontières.

    Le projet a aidé les six centres à fournir aux victimes de torture et de violence sexuelle, de génocide et d’autres formes de violence politique des services holistiques et à base communautaires dont elles avaient grandement besoin. Son objectif était simple : permettre aux victimes de torture et à leurs familles au Burundi, en RDC et au Rwanda de réclamer leurs droits et de devenir des citoyens proactifs participant au développement social, économique et politique de leurs communautés.

    De bons services de réhabilitation pour les victimes de torture incluent une sensibilisation des communautés, des services médicaux et psychologiques accessibles et leur intégration dans des initiatives orientées sur les communautés. Ces services sont une composante essentielle des efforts de développement socio-économique dans les pays sortant d’un conflit.

    Les États qui ont connu un conflit manquent souvent des fonds, de l’expertise ou de la volonté politique nécessaires pour garantir des services de réhabilitation accessibles, disponibles et appropriés. Les États

    Centres de réhabilitation du Projet Grands Lacs

    République Démocratique

    du Congo

    Rwanda

    Burundi

    SOLIDARITÉ ET ACTIONS

    POUR LA PAIX /GRANDS LACS

    (SAP-GL) (Bujumbura)

    REGROUPE-MENT DES

    MAMANS DE KAMITUGA

    (Kamituga)

    FÉDÉRATION DES FEMMES

    POUR LE DÉVELOPPEMENT

    INTÉGRAL AU CONGO

    (FEDICONGO) (Uvira)

    AMIES DES

    VICTIMES DES VIOLATIONS DE DROITS HUMAINS

    (Uvira)

    UYISENGA NI IMANZI

    (Kigali et Rwamagana)

    ARAMA (Kigali and

    Ngoma)

  • 8 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 9

    les phases du processus de réhabilitation et leur ont apporté un soutien moral. Dans le cadre d’affaires juridiques, ceci peut prendre la forme d’une mise à disposition de transports et d’hébergement pour les familles ou les membres de la communauté, afin de leur permettre d’assister à des audiences devant les tribunaux. À travers des orientations médicales, les centres ont fourni des informations et une aide psychologique aux familles et aux membres de la communauté lors des visites à l’hôpital.

    Le projet a également pris en charge la coordination des activités de sensibilisation au niveau communautaire, notamment dans les zones rurales. Ces événements ont rassemblé les victimes, la police locale, les autorités locales, l’armée et le personnel des centres aux côtés des membres de la communauté et ont offert aux victimes la possibilité de s’exprimer et de réclamer les soins qu’elles requièrent et qu’elles méritent. Ces événements ont également permis aux centres d’expliquer ce que sont la torture et la violence, et comment les empêcher, et de faire connaître leurs services et leurs activités auprès des membres de la communauté.

    Les survivants du génocide chantent à l’ouverture du nouveau centre de réhabilitation dans le district de Ngoma, Rwanda, en Décembre 2014. L’importance de la réhabilitation holistique et le rôle de la société civile a été discuté par des représentants des communautés locales, des groupes de survivants, le maire de Ngoma, le chef de le Délégation de l’Union Européenne au Rwanda, l’IRCT et des représentants de la police.

    Entre 2011 et 2015, 11 événements de sensibilisation ont été organisés dans les trois pays pour souligner l’importance de la lutte contre l’impunité des auteurs de tortures et le droit à la réhabilitation pour les

    victimes de torture. Au total, plus de 750 personnes ont participé à ces événements, qui ont rassemblé des acteurs clés et leur ont offert le temps et l’espace nécessaires pour créer des réseaux plus solides et améliorer la coordination et la coopération.

    De manière générale, le projet visait à améliorer la qualité et la quantité des services existants et à renforcer les liens entre les services. Dans les centres, trois services de réhabilitation principaux étaient généralement disponibles : conseils médicaux, psychologiques et juridiques. Les soins médicaux se limitaient le plus souvent aux premiers soins et à l’administration de médicaments de base. L’aide psychologique comprenait différents types de psychothérapie, comme l’ergothérapie, la thérapie par le mouvement, la thérapie par la danse, la thérapie de groupe et la thérapie relationnelle.

    L’aide juridique consistait généralement à fournir des informations et des conseils, à se mettre en relation avec les instances judiciaires au nom de la victime et dans certains cas, à agir comme médiateur directement entre deux clients. De nombreux centres ont également des programmes sur le VIH-Sida, l’éducation, l’abri et mènent des recherches sur les différents types d’approches utilisées et sur leur efficacité. Le projet a aidé les centres de réhabilitation à renforcer et à développer ces services en leur permettant de les proposer directement aux victimes ou d’orienter ces dernières vers d’autres prestataires de services dans quatre domaines principaux :

    • soins médicaux grâce à l’orientation vers des établissements médicaux spécialisés

    • aide juridique en faisant appel à des cabinets d’avocats pour saisir la justice

    • aide psychosociale à travers un counseling social à base communautaire

    • développement des moyens de subsistance et activités génératrices de revenus

    Une approche holistique et à base communautaire a été mise en œuvre dans les trois pays.

    1. La réhabilitation holistiqueLes victimes de torture réagissent différemment face à leurs expériences, de même que les conséquences de la torture sont susceptibles d’être influencées par de multiples facteurs internes et externes. Alors que la torture est utilisée pour fragmenter, briser et détruire les personnes, l’objectif de la réhabilitation est de les aider à recoller les morceaux. La torture a un impact si dévastateur que les survivants peuvent avoir besoin d’aide à différents niveaux pour reconstruire leur vie.

    reconnaissent également rarement la réhabilitation des victimes de torture comme une question de priorité, de justice ou de développement. De plus, les victimes préfèrent parfois se tourner vers des services non étatiques, car elles ne font pas confiance à l’État, qui est parfois à l’origine de leurs tortures. Par conséquent, ce sont souvent les établissements et les centres de réhabilitation privés ou non gouvernementaux qui jouent un rôle clé dans l’aide apportée aux victimes de torture.

    En fournissant une aide psychosociale et une redres-sement aux victimes de torture et de traumatismes, les centres de réhabilitation peuvent les aider à se réintégrer, reconstruire des sociétés brisées et donner des moyens aux communautés. Sans ce type d’assis-tance, les victimes de torture sont souvent incapables de participer aux processus décisionnels locaux qui forment le cœur du développement démocratique.

    Dans la région des Grands Lacs, la disponibilité des ser-vices est extrêmement limitée. Au Rwanda, par exemple, le ministère de la Santé a établi en 2010 que près de 30 pour cent des Rwandais souffraient de traumatismes graves ; or, on estime que seulement deux pour cent ont accès à des services de santé mentale.6 Le projet visait à combler les lacunes de ce type. Pendant quatre ans, il s’est attaché à faciliter l’accès à des services de réhabil-itation plus efficaces pour les victimes et leurs familles vivant dans les zones rurales du Burundi, de la RDC et du Rwanda. Il s’est également concentré sur les zones rura-les qui ont un accès limité aux services de réhabilitation.

    Selon l’Atlas de la santé mentale 2011 de l’Organisation Mondiale de la Santé, le Rwanda ne compte qu’un psychiatre pour 2 000 000 habitants, soit six psychiatres pour l’ensemble du pays.7 Au Burundi, ces chiffres sont encore plus faibles, avec seulement un psychiatre pour 10 000 000 habitants8. En RDC, on compte 6,6 psychiatres pour 10 000 000 habitants.9

    Même lorsque les victimes ont accès aux services existants, celles qui nécessitent une réhabilitation ne sont parfois pas diagnostiquées correctement, car les personnes censées de fournir des services holistiques, comme les hôpitaux, la police, les avocats, les psycho-logues, les autorités locales, les travailleurs communau-taires et autres ne sont pas formés à ce genre de travail ou ne travaillent pas en collaboration. L’expertise requise pour diagnostiquer les maladies psychosomatiques, par exemple, est très rare. De plus, dans les centres de soin existants dans les zones rurales du Burundi, du Rwanda et de la RDC, on trouve souvent des infirmières plutôt que des docteurs ou des psychologues.

    La principale cause du manque de disponibilité et d’accès aux services est la pauvreté. L’Indice de développement humain 2014 des Nations Unies classe le Rwanda à la 151e place, le Burundi à la 180e place et la RDC à la 186e place sur un total de 187 pays.10 En ce qui concerne le Produit Intérieur Brut par habitant de 2011 à 2014, le Rwanda se classe 171e, la RDC 182e

    et le Burundi 184e sur 186 pays.11 Ce manque criant de ressources se traduit par des infrastructures de services de réhabilitation très limitées. Mais surtout, les personnes vivant dans la pauvreté extrême ont du mal à satisfaire leurs besoins de base comme l’alimentation, l’assainissement ou un logement adéquat et ne peuvent pas se permettre de demander des soins. Dans les trois pays, de nombreuses victimes de torture n’ont pas d’assurance maladie et ne peuvent pas se permettre de payer le transport jusqu’aux prestataires de soins, les factures d’hôpitaux ni les médicaments prescrits.

    La pauvreté a également un impact négatif sur le processus de réhabilitation. La torture entraîne un stress important, un manque de confiance en soi et une dévalorisation de soi-même. Ces sentiments de vulnérabilité, d’échec et d’« incompétence » sont exacerbés par la lutte quotidienne pour acheter des biens de base et par le statut social inférieur associé à la pauvreté extrême. Pour que les services de réhabilitation soient vraiment efficaces, il faut lutter contre la pauvreté.

    Au-delà des victimes, les centres de réhabilitation jouent également un rôle important dans les soins offerts aux victimes secondaires de torture et de violences sexuelles, qui sont souvent oubliées par les prestataires de soins traditionnels. Grâce au développement de relations étroites avec les communautés, les centres de réhabilitation peuvent constater eux-mêmes l’impact de la violence sur les proches des victimes. Les enfants qui ont vu leur mère se faire violer, les femmes qui ont vu leur mari se faire battre, les pères dont les filles ont été torturées en prison ; tous ont enduré des niveaux extrêmes de stress et de souffrance mentale, et nécessitent eux aussi des soins.

    Le projet a tout particulièrement inclus les victimes secondaires dans le processus de réhabilitation et leur a fourni une aide psychologique, psychosociale et parfois socio-économique. Les victimes secondaires ont été impliquées dans tous les services de réhabilitation à base communautaires, comme les activités génératrices de revenus et le counseling social. Outre l’aide psychologique, juridique ou socio-économique, les centres de réhabilitation ont inclus les membres des familles des victimes dans toutes

  • 10 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 11

    communaux traditionnels ont été rompus pendant des décennies de violences intercommunales, une approche de réhabilitation à base communautaire avec une solide composante de « guérison collective » est essentielle pour garantir un sentiment d’acceptation et d’appartenance à ses membres les plus vulnérables. Cela leur permet ensuite de reprendre suffisamment confiance pour pouvoir participer à la vie communale et devenir un membre estimé de leur société.

    Sur le plan pratique, une approche de réhabilitation à base communautaire peut réduire le coût des services, faciliter l’accès aux services pour les victimes vivant dans des communautés éloignées et peut être considérée comme un espace intime permettant aux victimes de parler de leurs expériences. À travers le projet, les approches existantes d’intervention auprès des communautés ont été renforcées et des structures de réhabilitation à base communautaire ont été créées. Les victimes n’ont pas seulement eu accès à des soins médicaux et psychologiques de qualité, elles ont aussi participé à des groupes de conseils communautaires et ont entamé des activités génératrices de revenus. Il en a résulté un processus de réhabilitation qui a offert des moyens d’agir non seulement aux victimes, mais aussi à leurs familles et à leurs communautés.

    3. Les réponses de réhabilitation sexospécifiques Environ 70 pour cent des bénéficiaires du Projet Grands Lacs étaient des femmes. C’est souvent le cas dans les sociétés post-conflits, car beaucoup d’hommes ont été tués, laissant des femmes survivantes qui ont vécu des expériences extrêmement traumatisantes. Il est également fréquent que les femmes victimes de torture soient doublement désavantagées. Elles subissent de lourdes séquelles physiques et mentales, mais se heurtent également à des stigmates supplémentaires et à la honte en raison des blessures subies, notamment en cas de torture sexuelle.

    Le viol est souvent utilisé comme une arme de guerre. Durant le génocide au Rwanda, environ 250 000 femmes ont été victimes de viol.12 En RDC, un rapport détaillé sur les tortures sexuelles rédigé par l’organisation Freedom from Torture en 2014 a indiqué que le viol et d’autres formes de violence sexuelle étaient courants dans le pays. Le rapport a établi qu’« en plus des actes commis par les soldats de l’armée congolaise et par les membres des groupes armés dans le contexte du conflit, les viols commis par des civils sont devenus un problème à part entière, aggravé par l’impunité dont jouissent généralement les auteurs de ces crimes. »13 Au Burundi, de nombreux groupes de défense des droits de l’homme ont signalé des niveaux alarmants de violences sexuelles commises pendant et après la guerre civile. Dans un rapport détaillé sur les viols au Burundi, Amnesty International a indiqué : « La pauvreté et la prédominance d’une société patriarcale ainsi que d’une culture qui ne

    prend pas au sérieux le viol et les violences sexuelles créent une situation telle que de nombreuses femmes sont trop effrayées pour oser dénoncer ces crimes. De nombreuses victimes de viol ne sollicitent pas réparation et elles ne sont pas soutenues par l’État ni par leur communauté ou leur famille. Dans la plupart des cas, les femmes ne dénoncent pas le viol dont elles ont été victimes car elles craignent les représailles. Qui plus est, au Burundi les femmes font l’objet de différentes formes de discrimination fondées sur le genre — notamment la réprobation sociale envers les victimes de viol. » 14

    En raison de cette stigmatisation, les femmes dans les communautés et les familles qui ne bénéficient d’aucune aide ni d’aucune compréhension tentent de dissimuler ce qui leur est arrivé. C’est pour cette raison que la réhabilitation doit être structurée, à travers des approches individuelles, maritales ou de groupe, pour aider les victimes à raconter leur histoire, chose essentielle pour pouvoir apporter des réponses appropriées. Pour atteindre ces victimes, les prestataires de services doivent prendre en compte cet aspect spécifique.

    « De nombreuses femmes ont peur d’être stigmatisées si elles reçoivent des soins spécialisés dispensés par des professionnels travaillant dans le domaine de la violence sexuelle basée sur le genre. À Panzi, nous traitons différents types de patientes présentant différents problèmes gynécologiques. Nous ne nous contentons pas de traiter les victimes de violences sexuelles basées sur le genre, nous proposons également des services gynécologiques généraux. Ainsi, les femmes qui ont peur de la stigmatisation peuvent venir pour un traitement ‘ordinaire’ : il n’y a aucune honte à venir ici. »

    Dr. Denis MUKWEGE, directeur de l’hôpital de Panzi, RDC

    Une réhabilitation holistique signifie que les centres adoptent une approche qui comprend des services multidisciplinaires coordonnées et intégrés. Ces services s’étendent au-delà du traitement médical et psychologique et incluent une aide sociale, professionnelle et juridique, fournie aux victimes primaires et secondaires de torture, d’une manière répondant autant que possible à leurs besoins, à leurs attentes et à leurs aspirations. Les centres de réhabilitation devraient être informés sur les principes de base des soins holistiques et formés aux méthodes et techniques leur permettant d’adopter des attitudes et des pratiques essentielles cette approche.

    L’IRCT et ses centres de réhabilitation partenaires reconnaissent la complexité et l’interconnectivité des séquelles sociales, économiques, médicales et psychologiques de la torture, où un aspect peut avoir un impact négatif ou positif sur l’autre. Sans une approche holistique, le processus de réhabilitation a peu de chances de réussir.

    Les services de réhabilitation holistiques sont centrés sur les victimes. L’individualité de chaque victime est prise comme point de départ du processus. En traitant les effets physiques et psychologiques de la torture et en offrant une aide sociale, économique et juridique, les centres ont donné aux victimes des moyens de réparation et leur ont permis de se réintégrer dans la société. Il était essentiel de fournir un traitement professionnel et spécialisé aux victimes de torture pour améliorer le système de santé publique et aider à reconstruire les sociétés brisées de la région.

    2. La réhabilitation à base communautaireLe projet se fonde sur l’idée que les services ne commencent et ne se finissent pas dans un centre de réhabilitation. L’espace physique du centre de réhabilitation est important pour les traitements médicaux, les conseils psychologiques et juridiques, en tant qu’espace sûr et pour divers autres services proposés à titre individuel.

    Cependant, la communauté dans laquelle on vit est un espace tout aussi important pour le processus de réhabilitation des victimes. Par exemple, les victimes vivant dans la pauvreté extrême ou exclues socialement au sein de la communauté sont parfois plus vulnérables, ce qui peut avoir un profond impact négatif sur le processus de réhabilitation.

    L’approche de réhabilitation à base communautaire facilitée par le Projet Grands Lacs est venue compléter les services de réhabilitation basés sur les centres avec des services à base communautaires. Les services holistiques qui s’adaptent à ce contexte et promeuvent une réintégration sociale jouent un rôle essentiel dans la guérison des traumatismes. Dans le Projet Grands Lacs, cette approche à base communautaire a été affirmée.

    « Je dois m’asseoir et réfléchir à ce que j’ai vécu pour préparer mon avenir. Notre histoire a changé et nous avons recommencé à vivre. Je suis solide, je dois travailler pour atteindre mes objectifs et avoir un bel avenir. »

    T. A., Rwanda

    Pour les victimes de torture, cela signifie réaffirmer leur identité en tant que membre d’une famille et d’une communauté. Cela signifie soigner et être soigné par les proches, participer à la vie sociale, aux événements culturels et aux réunions de la communauté. Cela signifie également avoir les outils et les compétences nécessaires pour satisfaire à ses besoins et à ceux de sa famille. Pour les victimes qui veulent retrouver leur identité, il est vital de regagner la capacité à faire les choses mêmes que les auteurs des tortures ont essayé de leur enlever.

    Dans une région où l’identité d’une personne est étroitement liée au statut social, mais où les liens

    Groupes de counseling social facilitent la discussion des questions anciennes et nouvelles dans la communauté

  • 12 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 13

    Créer des pistes et des partenariats : le système d’orientation médicale

    L’accès à des soins médicaux appropriés est un défi permanent pour de nombreuses victimes de torture dans la région des Grands Lacs. Dans de nombreux endroits de ces trois pays, et notamment dans les régions rurales, les soins dont les victimes ont besoin ne sont tout simplement pas disponibles.

    Comme mentionné précédemment, les victimes qui souhaitent accéder à des services de réhabilitation se heurtent également à d’autres obstacles comme la pauvreté, un diagnostic incorrect et la réticence des victimes à demander des soins.

    De plus, les structures médicales existantes ne fournissent pas toujours les services nécessaires ou la

    qualité de services requise. Même si des services de plus grande qualité sont disponibles, les capacités sont souvent insuffisantes pour faire face au grand nombre de victimes.

    Cela est notamment le cas pour les victimes souffrant de traumatismes psychologiques ou de troubles psychosomatiques. Un diagnostic médical basé sur les symptômes n’est pas toujours adapté à ces pathologies graves et complexes. De ce fait, les victimes de torture peuvent passer entre les mailles du système médical.

    Le Projet Grands Lacs a cherché à remédier à cette triste réalité en mettant en place un système efficace d’orientation médicale coordonné par les centres. Grâce au système d’orientation, près de 3 000 victimes de torture ont reçu un traitement médical au Rwanda, au Burundi et en RDC. Le projet a ciblé les communautés isolées et rurales en développant et en renforçant les relations avec les travailleurs communautaires, les associations de victimes, les ONG locales et internationales, ainsi que les autorités locales. Le système d’orientation a permis de détecter davantage de victimes ayant besoin de ces services.

    En développant des services à base communautaires et en garantissant des visites de suivi régulières des victimes ayant préalablement bénéficié du système d’orientation médicale, les centres ont gagné en crédibilité. Cela a abouti à une plus grande coopération avec les communautés locales et à un meilleur accès aux informations sur les nouveaux cas.

    Le projet a également expliqué aux centres comment s’engager auprès des médias de masse. Ceci s’est avéré très utile pour faciliter la sensibilisation des communautés et, en fin de compte, améliorer l’accès des victimes aux soins médicaux. À titre d’exemple, le centre REMAK a lancé un spot radio en juin 2014 à Mwenga, dans le Sud-Kivu (RDC), pour informer la population sur les services fournis. Suite au spot radio de REMAK, le nombre de victimes de torture sexuelle venues des villages reculés pour demander des soins médicaux au centre a augmenté de manière exponentielle. Alors que REMAK n’avait reçu que moins de 10 cas issus de la zone reculée de Bisembe - Mulombozi avant juin 2014, le centre a accueilli 74 victimes de cette zone sur les deux seuls mois de juillet et août 2014.

    L’une des nombreuses conséquences des guerres multiples dans la région a été la destruction partielle des systèmes de santé. Suite au génocide rwandais, par exemple, la plupart des femmes victimes de viol, estimées à 250 000, n’ont reçu que des soins d’urgence et ont eu un accès limité, voire inexistant, à des gynécologues ou à toute forme de soins psychologiques.15

    L’un des éléments clés du projet pour répondre à ce problème a été de rompre le silence et d’expliquer aux femmes quels étaient leurs droits. À travers des activités de sensibilisation, les centres ont fourni des informations indiquant vers qui se tourner pour recevoir de l’aide et réclamer ces droits. Au Burundi, au Rwanda et en RDC, des informations sur les lois nationales relatives à la violence sexuelle basée sur le genre ont été mises à disposition et la liaison avec les programmes existants a été facilitée.

    Dans le district de Ngoma au Rwanda, par exemple, une étroite coopération avec le One-Stop Centre pour la violence sexuelle basée sur le genre a permis la mise en place d’un numéro gratuit disponible 24 h sur 24 et 7 jours sur 7 afin que les victimes puissent avoir un accès immédiat à des soins de santé mentale et physique et à une protection juridique. Au Burundi, une plus grande coopération avec

    les autorités locales a permis aux associations de femmes survivantes de signaler plus facilement à la police les cas de violence sexuelle basée sur le genre. Dans les cas de violence sexuelle et basée sur le genre, la police locale demande souvent aux associations de survivantes d’aller à la rencontre des familles et de soutenir les victimes en les incluant dans des groupes de counseling social à base communautaire.

    De plus, chaque formation organisée dans le cadre du Projet Grands Lacs avait un aspect sexospécifique. Par exemple, les formations sur les activités génératrices de revenus incluaient la gestion de microprojets et le leadership. En apprenant aux femmes à subvenir aux besoins de leur famille et à devenir indépendantes, ces formations ont offert des moyens aux femmes, qui ont découvert qu’elles pouvaient avoir un impact et jouer un rôle de leadership au niveau de la communauté et au-delà.

    « Suite à leur implication dans le projet, de nombreuses femmes ont été élues présidentes de groupes de counseling social et de groupes d’activités génératrices de revenus, reconnus et enregistrés auprès des autorités locales. Certaines des bénéficiaires sont désormais membres de comités de médiation locaux, élus par tous les membres de la communauté, et d’autres sont membres du Conseil national des femmes. Ces femmes, auparavant victimes, ont désormais atteint un statut et une position qui leur permettent de représenter les autres et de plaider en leur nom. »

    Jules GAHAMANYI, Directeur exécutif d’ARAMA, Rwanda

    « En raison de mon état de santé, j’ai été informée par les autorités locales que je pouvais participer à un événement de sensibilisation sur la torture et la violence sexuelle basée sur le genre organisé par ARAMA dans ma communauté. Lorsque j’ai participé, j’ai réellement senti qu’il était temps de m’exprimer et de demander de l’aide. Le personnel d’ARAMA m’a écoutée et m’a aidée à comprendre ma situation, à rompre le silence qui entourait mon désespoir et à soulager ma douleur. C’est dans le cadre de ce processus que j’ai été invitée au centre d’ARAMA à Kibungo, j’ai été conseillée et orientée vers l’hôpital référent du district de Kibungo pour y être soignée. C’est grâce à ARAMA que j’ai retrouvé goût à la vie. »

    A. M., Rwanda

    « J’ai été contacté pour orienter

    des cas compliqués de violence

    physique, dont certains cas de

    violence sexuelle. En juillet

    2013, nous avons signé un accord

    de coopération. Jusqu’à présent,

    SAP-GL a orienté 45 cas, dont

    32 cas de torture et 13 cas de

    violence sexuelle. Tous les cas

    ont nécessité une chirurgie

    réparatrice. Notre coopération s’est

    avérée très fructueuse. Grâce à ce

    projet, les patients ont bénéficié

    de soins holistiques. De plus,

    notre collaboration avec SAP-GL

    nous a fait prendre conscience de

    l’importance de l’aide psychologique

    et psychosociale. Grâce à SAP-

    GL, deux employés de l’hôpital

    ont participé à une formation

    sur le counseling social à base

    communautaire et nous avons créé

    une unité de suivi psychosocial à

    l’hôpital. »

    Dr. Ernest KILUNGA, chirurgien en

    chef et gynécologue, hôpital de

    Rushubi, Burundi

  • 14 IRCT Great Lakes Project

    Le fonctionnement du système d’orientation Une fois qu’une victime a été détectée, ses besoins sont évalués, en général par un médecin et un psychologue. Le projet a élaboré des formulaires standards utilisés par les centres pour procéder à cette évaluation, dans un double objectif : évaluer la victime et renforcer la qualité des dossiers des clients dans les centres. Ce formulaire simple a permis à l’ensemble des centres partenaires de recueillir des données comparables, qui ont pu être utilisées pour déterminer les tendances dans la région (les types d’auteurs de violences, les types de soins dispensés et leur efficacité).

    En fonction de l’évaluation des besoins, le personnel du centre décidait si la victime avait besoin d’être orientée. Le cas échéant, le personnel déterminait alors quel établissement était en mesure de lui fournir les soins les plus appropriés. Cette approche a été garantie à travers son intégration dans un réseau d’hôpitaux référents. Entre 2011 et 2015, les centres ont identifié 18 hôpitaux référents, avec qui ils ont signé des accords de coopération prévoyant que les victimes soient traitées immédiatement et se voient proposer davantage d’options au niveau des services proposés.

    En permettant aux centres d’entrer en contact avec les hôpitaux, le projet a forgé de nouvelles relations entre des établissements qui travaillaient auparavant chacun de leur côté. Les hôpitaux n’étaient souvent pas conscients du rôle qu’ils pouvaient jouer dans les soins holistiques apportés aux victimes de torture.

    Les hôpitaux référents fournissent un large éventail de services de réhabilitation physique, incluant des examens cliniques standard et des consultations, mais aussi des prescriptions de médicaments et autres traitements, de la chirurgie et des hospitalisations. À travers une série de formations sur la documentation médico-légale de la torture (basée sur le Protocole d’Istanbul), une documentation de grande qualité a été produite sur les cas de torture, aidant les centres dans leurs plaidoyers et leurs activités juridiques. Ces formations destinées au personnel des hôpitaux et des centres ont permis à chaque participant de développer ses capacités à documenter la torture. Elles ont également amélioré la coopération entre les centres et les établissements référents pour produire une documentation de qualité.

    Les centres détectent les victimes et les orientent vers des établissements médicaux de confiance pour qu’elles bénéficient de soins médicaux spécialisés appropriés, mais assurent également des visites de suivi dans les hôpitaux référents. Pendant ces visites, les victimes reçoivent une aide psychologique directe et parfois même de la nourriture.

    Le système d’orientation médicale s’est également concentré sur les victimes secondaires, comme les enfants, les époux(ses), les parents et les membres

    de la communauté proches de la victime. Les victimes secondaires ont bénéficié d’une aide psychologique, psychosociale et parfois socio-économique. En 2014, par exemple, le centre Uyisenga Ni Imanzi au Rwanda a reçu un patient présentant un grave trouble psychiatrique. Il s’agissait d’un orphelin qui était devenu chef de ménage après le génocide et qui s’occupait de ses deux jeunes sœurs. Pendant le génocide, il a été gravement blessé à la tête et sa santé s’est considérablement dégradée plus de dix ans après, lorsqu’il a commencé à souffrir de problèmes psychiatriques chroniques. Son état a eu un profond impact psychologique et économique sur ses sœurs, qui étaient toujours dépendantes de lui. Le centre l’a orienté vers un hôpital neuropsychiatrique, où il a été soigné pendant une longue période. En parallèle, le centre a pris en charge ses sœurs en les impliquant dans des activités génératrices de revenus et dans des groupes de counseling social, en veillant à les tenir informées de l’état de santé de leur frère. Le centre leur a apporté un soutien économique pour leur permettre d’effectuer le long voyage pour lui rendre visite, souvent accompagnées par une infirmière ou un psychologue du centre.

    Une fois la victime arrivée au terme du processus d’orientation initial, débute alors l’étape post-orientation. Les victimes sont généralement renvoyées vers le centre de réhabilitation après avoir été soignées. Elles reçoivent toute autre aide médicale dont elles ont besoin ainsi qu’un soutien juridique et psychologique. Avant de retourner dans leur communauté, plusieurs visites de suivi sont planifiées. Bien souvent, les centres de réhabilitation continuent d’assurer ce suivi sous forme de visites à domicile pendant des mois et parfois des années. Les victimes sont également encouragées à s’impliquer dans des groupes de counseling social et des activités génératrices de revenus dans la communauté.

    « Uyisenga Ni Imanzi nous a sortis de l’ombre, mes frères et moi, et nous a redonné espoir en l’avenir. Ils m’ont aidé à chasser ma tristesse et ma haine. Parfois, je n’ai plus de force et tout va mal. Mais Uyisenga est comme un parent pour moi et lorsque ces sentiments négatifs m’envahissent, ils sont toujours là pour me redonner espoir. »

    E. R., Rwamagana, Rwanda

    Cela signifie que le système d’orientation médicale est intégré dans une approche de réhabilitation plus générale de nature holistique, où les centres jouent un rôle essentiel dans la coordination, la mise en œuvre et le suivi des différents services de réhabilitation. Le personnel des centres soutient les victimes lorsqu’elles

    retournent dans leur communauté et garantissent un suivi au niveau de la communauté à travers des services de réhabilitation à base communautaires.

    Outre la coordination et l’apport de services aux victimes primaires et secondaires, les centres de réhabilitation offrent la protection et la confidentialité que les victimes de torture recherchent et dont elles ont besoin, une chose que les infrastructures médicales contrôlées par l’État ne peuvent pas fournir. Par leur neutralité et leur indépendance vis-à-vis des établissements étatiques, les centres de réhabilitation peuvent gagner la confiance des victimes, de leur famille et des communautés. Un élément essentiel dans le processus de réhabilitation.

    L’aide apportée par le Projet Grands Lacs a démontré qu’un système d’orientation médicale fonctionnel est fondamental pour permettre aux victimes de torture de retrouver la force physique et psychologique dont elles ont besoin pour reconstruire leur vie et participer activement à la société.

    « J’avais huit ans lors du génocide.

    Lorsque toute ma famille a été tuée,

    un voisin s’est occupé de moi. J’ai été

    blessé à la jambe et mes cicatrices

    n’ont pas guéri. Pendant toute ma

    scolarité, la plaie n’a cessé de se

    rouvrir et de s’infecter. Je pouvais

    à peine marcher et bien que je suive

    des cours de mécanique automobile, je

    n’arrivais pas à trouver de travail.

    Je n’arrivais pas à parler aux autres

    et j’étais un étranger au sein de ma

    communauté. Je n’avais pas d’amis et

    je me sentais très seul. J’ai commencé

    à souffrir de dépression.

    Il y a quelques années, j’ai découvert

    ARAMA, qui a décidé de m’aider et

    m’a envoyé à l’hôpital militaire de

    Kanombe, où ma jambe a été opérée. Ils

    sont restés à mes côtés et m’ont donné

    des médicaments et des chaussures

    thérapeutiques. Je ne trouve pas

    les mots pour décrire ce que j’ai

    ressenti en marchant sans douleur.

    Ils m’ont également apporté une aide

    psychologique et psychosociale.

    Avant de connaître ARAMA, je

    n’arrivais pas à dormir. J’avais peur

    des mauvais souvenirs qui revenaient

    me hanter la nuit pendant mon sommeil.

    Depuis la semaine dernière, j’ai

    retrouvé le sommeil et je ne fais plus

    de cauchemars ! Grâce à ARAMA, je ne

    me sens plus seul et j’ai recommencé

    à parler à d’autres personnes. Je me

    sens tellement mieux maintenant. »

    B.M., Rwanda

    Victimes orientées vers des institutions de santé spécialisées

    769TOTAL HOMMES

    1,328TOTAL FEMMES

    884TOTAL ENFANTS

    794

    520

    89TOTAL

    RWANDA

    1,403

    90 415

    539

    TOTAL DRC

    1,044

    0393

    141

    TOTALBURUNDI

    534

  • 16 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 17

    Restaurer la dignité par les moyens de subsistance La capacité à pourvoir aux besoins de ses enfants et à participer à la vie socio-économique de la communauté augmente considérablement les chances d’intégration sociale et de récupération de la confiance en soi. Par conséquent, la réhabilitation socio-économique des victimes de torture est un élément essentiel dans la réhabilitation holistique. Du fait de la pauvreté extrême qui prédomine dans ces trois pays, ce sont les groupes les plus vulnérables, comme les victimes de torture, qui ont le plus de risques de tomber dans un cycle de pauvreté et d’exclusion sociale, qui viendra à son tour aggraver les traumatismes et mettre en péril le processus de réhabilitation individuel.

    Restaurer le statut socio-économique d’une personne peut permettre de briser le cycle de stigmatisation et d’exclusion dont les victimes sont captives. Cela lui permet de retrouver un capital social en lui offrant la possibilité d’aider les autres, ce qui conduit à renforcer ses liens avec la communauté.

    Après avoir reçu une aide médicale, psychologique et parfois juridique, les victimes bénéficient d’un counseling social à base communautaire associé à des activités génératrices de revenus. Le projet a organisé de nombreuses formations sur les activités génératrices de revenus et les approches de gestion de groupe pour permettre aux participants de correctement sélectionner, gérer et maintenir leurs projets, et leur apprendre à travailler ensemble sous forme de groupes formels reconnus par les autorités locales.

    Les principaux domaines de travail choisis par les participants étaient l’agriculture et l’élevage d’animaux,

    « Je travaillais dans les champs lorsqu’ils m’ont violée. J’ai été battue et laissée pour morte. Il était trop difficile pour moi de retourner aux champs et je ne pouvais plus assumer mes responsabilités vis-à-vis de ma famille. Je n’étais plus personne aux yeux de la communauté, tout le monde disait du mal de moi, me parlait méchamment et me considérait responsable de ce qui était arrivé. AVVDH s’est occupé de moi et m’a amenée à l’hôpital à Uvira. Lorsque je suis retournée au village, ils m’ont aidée à retravailler et à reprendre ma vie en main. Les personnes qui me montraient du doigt sont maintenant les premières à venir me voir et à me demander conseil. »

    S. W., 70 ans, Sud- Kivu, RDC

    95NOMBRE DE GROUPES D’ACTIVITÉS

    GÉNÉRATRICES DE REVENUS

    2,982NOMBRE TOTAL

    DE PARTICIPANTS

    2,344FEMMES

    638HOMMES

    car beaucoup vivent dans des zones rurales et voulaient améliorer leurs compétences. De plus, la majorité des victimes avaient perdu leurs biens et voulaient relancer leurs activités. Par exemple, dans le district de Ngoma, dans l’est du Rwanda, la plupart des victimes ont choisi les chèvres pour leurs activités, car elles sont moins chères à élever et leurs agneaux peuvent être donnés à d’autres familles dans le besoin.

    Pour déterminer le type d’activité génératrice de revenus adapté à chacun, un processus de sélection a été mis en place. Une analyse de la communauté a également été effectuée pour déterminer s’il s’agissait d’une communauté rurale ou urbaine et dans quelle province elle était située, car tous ces facteurs influencent les activités disponibles.

    Une fois l’activité choisie, les personnes ont été rassemblées en groupes et ont été formées à la gestion d’un groupe. On leur a notamment expliqué comment élaborer un plan d’activités, comment élire un comité avec un président, un secrétaire et un trésorier et comment attribuer un rôle à chaque membre du groupe. Elles ont également bénéficié d’une formation sur la manière de gérer les procédures bancaires, car beaucoup n’avaient jamais travaillé avec une institution financière. Le centre a ensuite effectué une analyse de base sur les revenus du groupe afin d’évaluer leurs progrès et un contrat a été rédigé pour décrire le processus qui devait être suivi et ce que le groupe souhaitait atteindre.

    Des critères permettant d’évaluer le groupe ont également été définis. Ceux-ci incluaient le contrôle de la participation aux réunions et au processus décisionnel. Le processus décisionnel était important, car le groupe, par exemple en cas de bonne récolte, devait décider s’il devait partager la récolte ou la vendre. Ils ont également parfois été amenés à décider s’ils devaient diversifier leur production, par exemple vendre leur maïs pour la consommation humaine ou le transformer en fourrage, ce qui nécessite un plus grand effort mais génère des plus gros profits.

    Des formations spécifiques à chaque activité ont également été organisées. Ceux qui travaillent dans l’agriculture ont été formés par des agronomes et ceux qui ont choisi l’élevage d’animaux ont appris à construire des écuries et à administrer les médicaments appropriés aux animaux.

    Dans un premier temps, les centres ont soutenu les groupes d’activités génératrices de revenus en apportant 100 % des fonds ou du matériel nécessaires, par exemple des terres et des graines. Cette aide financière directe a été systématiquement réduite pour apprendre aux groupes à devenir autonomes. Le processus pour chaque groupe peut prendre jusqu’à deux ans. Au Rwanda, de nombreux groupes sont devenus des coopératives reconnues par les autorités et se sont développés en accueillant d’autres membres de la communauté.

    Les centres ont également aidé les groupes qui voulaient vendre leurs produits en leur permettant d’accéder aux marchés appropriés. Les centres les ont mis en contact avec des acheteurs dans les grandes villes, où ils pouvaient obtenir un meilleur prix pour leurs produits.

    Au Rwanda, la pastèque a la même valeur que 3 kg de maïs et est devenu une culture populaire pour les victimes de cultiver et de vendre.

    L’une des réussites du projet a été l’introduction de la culture de pastèque à Rwamagana, au Rwanda. La pastèque est une culture commerciale idéale à exporter, car trois mois lui suffisent pour mûrir et une pastèque vaut autant que trois kilos de maïs. Une victime en particulier qui a commencé à cultiver la pastèque en 2014 a récolté l’équivalent de deux millions de francs rwandais au cours de sa deuxième saison. Cette personne travaille désormais à plein temps, a acheté sa propre moto et son activité continue de se développer.

    Des démonstrations de jardins potagers impliquant d’autres membres de la communauté ont montré qu’apprendre à cultiver des aliments peut redonner espoir, guérir les traumatismes à travers un travail productif et aider les victimes à se sentir soutenues et encouragées par leurs communautés. Au Rwanda, un jardin de démonstration et un ranch ont été construits à Rwamagana, dans lesquels les victimes de torture ont pu suivre des formations sur les techniques et la théorie de l’agriculture dispensées par le Conseil rwandais de l’agriculture.

    À Uvira, en RDC, le projet a soutenu la construction d’une usine qui produit du savon à partir d’ingrédients locaux. L’usine emploie 12 anciennes victimes, qui sont toutes membres d’un groupe de counseling social créé en 2013. Le projet a soutenu le groupe non seulement en organisant une formation sur la production de savon artisanal, mais aussi en aidant les bénéficiaires à vendre leurs produits auprès des acheteurs locaux.

  • 18 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 19

    Une démonstration de jardin potager à Gasamagera, district de Ngoma, Rwanda

    Le groupe gagne aujourd’hui de l’ampleur et ses revenus continuent de croître. Il a développé un système de microcrédit rotatif pour ses membres qui leur permet de financer d’autres initiatives commerciales, comme la vente de poisson. Mais surtout, l’activité a renforcé la confiance et la dignité des bénéficiaires, qui peuvent de nouveau jouer un rôle dans la société et fournir des revenus à leurs familles.

    À Kamituga (RDC), les victimes orientées vers Bukavu pour être soignées à l’hôpital local ont constaté que là-bas, des champignons étaient vendus toute l’année, quelle que soit la saison. Ce n’était pas le cas là où elles vivaient, à Kamituga. Pour reproduire cette approche, le partenaire rwandais du projet, ARAMA, a soutenu REMAK en dispensant au personnel du centre à Kigali une formation sur la culture des champignons dans différentes conditions. Une plantation de champignons a ainsi été mise en place à Kamituga, gérée par 15 bénéficiaires. Les revenus de la plantation fournissent des revenus stables aux bénéficiaires et financent un fonds de solidarité géré par le groupe.

    Les victimes secondaires sont également impliquées dans les activités axées sur les moyens de subsistance. Dans le cas d’activités agricoles, par exemple, si la victime primaire est incapable de travailler suite à une blessure, les autres membres de la famille peuvent participer à sa place aux diverses activités physiques requises. Même dans les cas où les membres du groupe peuvent travailler mais ont besoin d’une aide supplémentaire, ils peuvent impliquer leurs familles plutôt que de payer de la main-d’œuvre. Des familles entières participent et partagent les bénéfices.

    Ces groupes ont non seulement fourni (et continuent de fournir) des revenus aux bénéficiaires, en

    promouvant l’indépendance et l’autosuffisance, mais ont également créé un cadre thérapeutique dans lequel les victimes peuvent travailler ensemble dans un environnement de confiance et d’entraide. L’élément thérapeutique des groupes d’activités génératrices de revenus s’est révélé particulièrement efficace lorsqu’il a été associé à un counseling social à base communautaire. Tous les partenaires et organisations associées ont entamé des activités génératrices de revenus bénéficiant directement à environ 3 000 personnes et indirectement à plus de 10 000 personnes.

    Le Projet Grands Lacs a aidé les victimes à retrouver leur place au sein de leurs communautés, à se forger une nouvelle identité, à effacer les traumatismes du passé et à ne plus être définies comme victimes. Ce sont désormais des agriculteurs accomplis (ou du moins elles y aspirent), des parents fiers et engagés et des chefs de communauté ou de ménage.

    « J’avais six ans lorsque ma famille

    a été assassinée. C’était ma première

    année d’école et tout le monde avait

    peur. Lorsque les tueurs sont arrivés,

    nous nous sommes cachés sous un pont.

    Ma mère portait ma sœur sur le dos et

    a dit qu’elle allait nous chercher de

    la nourriture. Je suis restée sous le

    pont avec ma grand-mère et mes autres

    frères et sœurs. Lorsque ma mère est

    revenue avec de la nourriture, les

    tueurs l’ont vue et l’ont tuée à coups

    de machettes devant nous. Ma petite

    sœur a survécu.

    Pendant la nuit, nous avons cherché

    de l’herbe et nous avons couvert ma

    mère pour lui dire au revoir. Nous

    sommes allés à l’église et nous avons

    retrouvé les autres membres de la

    famille, y compris mon père.

    Alors que nous traversions Musambira,

    les tueurs sont revenus. Ils ont pris

    mon père et ont commencé à le battre.

    Les autres ont été également battus et

    ils ont commencé à tuer tout le monde

    avec des machettes. Il y a avait du

    sang partout. Le plus grand problème,

    encore maintenant, est que je n’ai

    jamais retrouvé le corps de mon père.

    Mes quatre frères et sœurs, ma tante

    et ma grand-mère ont survécu.

    Une fois le génocide terminé, nous

    sommes revenus au village. Tout était

    détruit. Quelqu’un a eu pitié de nous

    et nous a accueillis dans sa maison.

    Je suis retournée à l’école mais tout

    était si difficile. J’avais 12 ans

    lorsque ma grand-mère est décédée et

    j’étais l’aînée de mes frères et sœurs,

    je suis donc devenue la chef de ménage.

    En 2010, j’ai découvert Uyisenga Ni

    Imanzi à travers d’autres orphelins qui

    faisaient partie d’une association. Je

    me suis rendue à Kigali et j’ai demandé

    au directeur d’Uyisenga Ni Imanzi de

    créer une association pour nous.

    Dans mon village, il y avait 15

    familles comme la mienne, dans

    lesquelles les enfants étaient

    chefs de ménage. Nous nous sommes

    rassemblés et nous avons entamé

    un projet d’apiculture. En 2012 et

    2013, Uyisenga Ni Imanzi nous a donné

    deux millions de francs rwandais et

    nous a formés à l’apiculture et à

    l’utilisation de machines à coudre.

    Avec nos profits, nous avons acheté un

    terrain avec des arbres. Mes frères et

    sœurs ont tous pu aller à l’école et

    nous avions suffisamment de nourriture

    chaque jour.

    Uyisenga Ni Imanzi nous a divisés

    en petits groupes : des groupes de

    discussion, des coopératives et nous

    a impliqués dans d’autres projets.

    Avant l’arrivée d’Uyisenga Ni Imanzi,

    j’avais tellement de problèmes à

    l’esprit. Pendant les séances de

    counseling social, je pleurais, je

    riais, je dansais… Je n’arrive pas

    à trouver les mots pour dire ce

    qu’Uyisenga Ni Imanzi a fait pour moi.

    Je remercie Dieu.

    L’un de mes frères est à l’université

    et étudie le journalisme. Ma petite

    sœur qui a survécu sur le dos de

    ma mère vient de se marier. Avant

    l’arrivée d’Uyisenga Ni Imanzi,

    j’étais dégoutée de tout et je

    n’envisageais pas que la vie puisse

    continuer. J’avais le sentiment d’être

    morte. Mais aujourd’hui, l’espoir est

    revenu dans notre vie. Maintenant que

    mes frères et sœurs ne dépendent plus

    de moi, j’espère pouvoir commencer

    mes propres études et me marier. Mais

    je sais que quoi que je fasse, je

    peux toujours me rendre chez Uyisenga

    Ni Imanzi, leur porte est ouverte,

    ils seront là et toujours prêts à

    m’écouter et à m’aider. »

    J.I., 26 ans, Kamonyi, Province du

    sud, Rwanda

  • 20 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 21

    Guérir par la justice : aider les victimes à lutter contre l’impunité Bon nombre de ceux qui ont commis des tortures au Burundi, au Rwanda et en RDC (et continuent de le faire) n’ont jamais été traduits en justice. Souvent, les victimes vivent dans les mêmes communautés que leurs agresseurs et sont confrontées à eux chaque jour. Ceci rappelle constamment aux victimes les mauvais traitements qu’elles ont subis et contribue à faire perdurer leurs traumatismes et leurs souffrances. Dans la région des Grands Lacs, l’impunité persiste souvent pour les abus des droits de l’homme perpétrés par des acteurs étatiques et non étatiques, y compris la torture et la violence sexuelle.

    Des participants d’une formation sur le Protocole d’Istanbul, Burundi, 2014

    L’IRCT et ses centres partenaires considèrent que la « justice guérit ». Cela signifie que pour certaines victimes, voir les agresseurs traduits en justice, toucher des dommages-intérêts pour le préjudice subi, recevoir le soutien de la communauté et obtenir une reconnaissance publique des mauvais traitements sont des étapes qui font partie intégrante de leur réhabilitation. Les actions en justice peuvent également aider à restaurer la dignité de la victime en transférant la culpabilité sur l’agresseur et en reconnaissant le statut de victime. Cela peut également servir à faire respecter l’État de droit en traduisant les agresseurs en justice, et à faciliter le processus de réparation et de réconciliation.

    Le fait d’obtenir justice envoie un message fort disant que personne n’est au-dessus des lois et que chacun peut à tout moment revendiquer son droit

    à réparation. Par conséquent, apporter une aide juridique effective aux victimes de torture a non seulement un impact positif sur les victimes, mais également sur les communautés et sur la société dans son ensemble, et est essentiel pour éviter que ces crimes ne se reproduisent.

    Les activités d’aide juridiqueCes quatre dernières années, le Projet Grands Lacs a aidé les centres de réhabilitation à apporter une aide juridique à leurs clients, un élément clé dans le processus de réhabilitation holistique. Cette aide juridique s’est accompagnée d’un soutien psychologique et psychosocial pendant toute la procédure judiciaire. Les centres ont reçu une aide financière pour engager des avocats et assurer le suivi des affaires, ont participé à des formations sur la documentation médico-légale de la torture, sur le counseling social et les traumatismes psychologiques et ont organisé des événements de sensibilisation sur le droit à la réhabilitation, la lutte contre l’impunité et l’utilisation du Protocole d’Istanbul (IP).

    Le projet a reconnu qu’il était impératif que chaque client comprenne la procédure judiciaire ainsi que les avantages et les risques potentiels lorsqu’il envisage d’engager des poursuites. Chacun peut ensuite décider, en connaissance de cause, s’il veut engager des poursuites ou non. Le Projet Grands Lacs a appuyé les centres en fournissant aux clients des informations sur les procédures judiciaires, sur les possibilités de recours juridique, sur les faits qui constituent des preuves légales et sur la manière de se comporter devant les tribunaux.

    Pendant toute la procédure judiciaire, il existe un risque élevé de re-traumatisation des victimes. Elles doivent raconter leur histoire plusieurs fois dans des environnements qui ne leur sont pas familiers et des éléments de cette histoire sont souvent remis en question. Pour de nombreuses victimes, être confronté à l’auteur des faits dans une salle d’audience est une expérience intimidante. Pour éviter la re-traumatisation, le projet a organisé des formations destinées aux avocats et aux autres professionnels impliqués dans les procédures judiciaires sur les traumatismes psychologiques et les techniques à utiliser pour interroger les victimes.

    « J’utilise toujours les techniques que j’ai apprises dans les modules de formation sur les traumatismes psychologiques dispensés par l’IRCT lorsque je recueille des preuves pour une affaire. Avant la formation, je n’avais pas conscience que les questions très directes pouvaient affecter la victime. Je pose désormais des questions que je n’avais pas l’habitude de demander et je remarque que les informations que j’obtiens sont plus riches et m’en apprennent bien plus sur ce qui s’est passé. »

    Jules MILENGE, avocat au barreau de Bukavu, Burundi

    Entre 2011 et 2015, plus de 1 500 bénéficiaires directs ont reçu un mélange d’aide juridique et psychosociale et 28 affaires soutenues par le projet ont été portées devant un tribunal. Cependant, de nombreuses affaires prises en charge par les centres n’ont pas été portées devant des tribunaux officiels. Par exemple, les affaires liées à la propriété de terres ont souvent été réglées par des comités de médiation locaux. On peut citer l’exemple d’un jeune homme de 21 ans qui a contacté Uyisenga ni Imanzi en 2014. Il est devenu orphelin pendant le génocide et a grandi dans un orphelinat mais était trop vieux pour continuer à y vivre.

    Le juriste et le psychologue du centre se sont impliqués et ont retrouvé le lieu où il vivait avant le génocide. Ils ont contacté les membres de sa famille qui avaient vendu la propriété dont le jeune homme aurait dû hériter. Le juriste du centre a contacté le comité de médiation local et les terres ont été restituées au jeune homme. Avec l’appui du centre, qui a fourni des équipements et des matériaux de construction, et l’aide de la communauté qui a fourni de la main-d’œuvre, une maison a été construite pour le jeune homme, un travail qui a été achevé en 2015.

    D’autres raisons expliquent le faible nombre d’affaires portées en justice, comme les coûts occasionnés par la procédure judiciaire et la réticence des victimes à engager des procédures en raison de leur incertitude

    Une cérémonie de plantation d’un « arbre de paix » a eu lieu dans le district de Ngoma au Rwanda en présence des survivants du génocide, le chef de police, le maire de la commune de Ngoma, le chef de le Délégation de l’Union Européenne au Rwanda, des représentants de l’IRCT et ARAMA.

    quant à leur futur. Par exemple, dans les cas de violences domestiques où les femmes sont parties vivre dans une autre communauté avec la famille de leur mari, elles se retrouveront livrées à elles-mêmes dans le village si celui-ci va en prison. Elles n’auront alors aucun revenu pour élever leurs enfants et subvenir à leurs besoins et pourront faire l’objet d’intimidations de la part de la famille et du reste de la communauté.

    À Uvira (RDC), le projet a pris en charge quatre cas devant des Chambres Forraines. Basée sur l’adage selon lequel « La justice doit non seulement être rendue, mais elle doit l’être de manière visible », la Chambre Forraine est un système dans lequel le tribunal vient siéger dans la communauté pour que le public puisse y assister. Cela permet aux membres de la communauté d’assister aux audiences judiciaires et aide à éliminer l’impression d’impunité au niveau de la communauté. Cela permet également aux communautés éloignées et rurales d’avoir accès à la justice. De plus, le système de la Chambre Forraine administre la justice de manière rapide et efficace.

    La documentation médico-légaleLe Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, également connu sous le nom de Protocole d’Istanbul (PI), est le principal instrument international fournissant des directives et des normes sur la manière d’enquêter sur la torture et de la documenter effica-cement, y compris à travers des preuves physiques et psychologiques. Ces preuves médico-légales fournissent une base scientifique fiable aux tribunaux pour évaluer les allégations de torture et prononcer des décisions.

  • 22 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 23

    L’expérience ne cesse de montrer qu’un rapport médi-co-légal de qualité peut augmenter considérablement la qualité des jugements contre les auteurs de torture. Ceci a souvent permis de faire aboutir des affaires, où justice a été rendue et où les victimes ont obtenu réparation.

    Ces dix dernières années, l’IRCT a joué un rôle majeur à l’échelle mondiale dans les enquêtes et la documentation de la torture effectuées conformément au Protocole d’Istanbul et a partagé son expertise dans le monde entier avec ses partenaires et ses centres. Avant le Projet Grands Lacs, de nombreux médecins et juristes de la région ne connaissaient pas le Protocole et n’y avaient jamais été formés, bien que le Protocole d’Istanbul soit internationalement reconnu comme un instrument clé dans les enquêtes sur les tortures. Pour combler cette lacune, le Projet Grands Lacs a organisé une série de formations sur le Protocole d’Istanbul au Burundi, au Rwanda et en RDC. Ces formations s’adressaient aux avocats, aux médecins et aux psychologues. Au total, soixante professionnels ont été formés.

    En plus de ces formations, des conférences de haut niveau ont été organisées à Bujumbura et à Kigali sur l’importance de la documentation médico-légale. Plus de 100 personnes y ont participé, parmi lesquelles des législateurs, des agents de police, des agents pénitentiaires, des juges, des procureurs, des avocats, des représentants des ministères et de diverses institutions nationales, des autorités locales et des organisations de défense des droits de l’homme.

    Ainsi, les centres comprennent aujourd’hui mieux les besoins des victimes de torture et peuvent enquêter et documenter plus efficacement toutes les preuves de torture, y compris les preuves physiques et psychologiques. Les centres sont également capables de produire des rapports médico-légaux de grande qualité qui appuient considérablement leurs actions en justice. En optimisant ces compétences, les centres se sont fait davantage connaître au sein des communautés et sont devenus plus crédibles en tant que défenseurs des droits de l’homme.

    Au Rwanda, grâce à l’appui fourni par le Projet Grands Lacs, ARAMA a réussi à faire pression sur la police, le procureur, l’hôpital et les agents du tribunal de grande instance pour rouvrir une affaire de viol impliquant une fille de 14 ans qui avait été close. La jeune fille avait été violée par son voisin qui menaçait de la tuer si elle en parlait à quelqu’un. Ses parents ont signalé l’incident aux autorités locales et le suspect a été arrêté, mais a été par la suite relâché et s’est enfui de chez lui.

    Le personnel d’ARAMA a entendu parler de l’affaire et a engagé un cabinet d’avocats pour l’assister en tant que partie civile. Le suspect a été de nouveau arrêté par la police et a été jugé, mais il a nié le crime et a gagné l’affaire en première instance. Finalement, ARAMA a prouvé que la défense utilisée par le criminel contenait des documents médicaux falsifiés et le défendeur a été condamné à deux ans de prison.

    « J’ai également participé à la formation de l’IRCT sur l’utilisation du Protocole d’Istanbul dans la documentation médico-légale de la torture. Après cette formation, notre méthodologie a changé et nous avons commencé à rédiger des rapports plus détaillés incluant également des preuves psychologiques. À plusieurs occasions, nous avons partagé ces connaissances avec les médecins qui travaillent dans les hôpitaux provinciaux. Nous sommes désormais contactés par des avocats, des procureurs et des officiers de police judiciaire, qui nous demandent de les aider à fournir des preuves dans des affaires de torture. Notre coopération avec SAP-GL et l’IRCT a considérablement amélioré notre manière de travailler et notre réputation. »

    Dr. Ernest KILUNGA, chirurgien en chef et gynécologue, hôpital de Rushubi, Burundi

    Ce cas illustre parfaitement la manière dont les centres assistent les victimes secondaires durant les procédures judiciaires. La famille de la victime a été impliquée dans toutes les étapes de la procédure et la mère en particulier a reçu un soutien car elle était traumatisée par l’incident. Elle a bénéficié d’une aide psychologique et a été impliquée dans des activités génératrices de revenus. Toute la

    famille a été tenue régulièrement informée par le juriste du centre et leurs transports, leur hébergement et même leurs frais de restauration ont été pris en charge. Lorsqu’ils ont gagné l’affaire, cela a été non seulement un grand moment pour la famille, mais aussi pour toute la communauté, où les liens ont été resserrés pour les aider à guérir ensemble.

    « Je remercie ARAMA de tout mon cœur pour son soutien pendant cette période difficile. Ils ont engagé un avocat pour notre famille, m’ont accompagnée au tribunal, ont payé les transports, les frais de justice et les factures d’hôpital. Ils font désormais partie de ma famille. »

    K. N., mère de la victime

    Plaidoyer et sensibilisationLe projet a également appuyé diverses activités de plaidoyer et de sensibilisation, en réunissant les législateurs, les professionnels du droit et de la santé, ainsi que les communautés, pour discuter de la responsabilité des acteurs étatiques. En reliant ceux qui interviennent pour que les victimes puissent revendiquer leurs droits et obtenir justice, les progrès peuvent être plus rapides et plus efficaces. Ces événements ont également évoqué la nécessité pour les tribunaux de mieux comprendre les besoins et les vulnérabilités des

    victimes de torture et le fait qu’assister les victimes pendant les procédures judiciaires nécessite une coordination efficace entre divers acteurs pour garantir que les victimes ne soient pas retraumatisées et que les affaires soient conduites de la manière la plus efficace pour que justice soit faite.

    Grâce à ces événements, les principaux acteurs du système juridique, tels que les commissions nationales de défense des droits de l’homme, les procureurs, les commissaires de police et les centres de réhabilitation des victimes de torture, coopèrent aujourd’hui de manière plus efficace lorsqu’ils traitent des cas de torture. Ceci facilite l’accès à la justice pour les victimes. Au Burundi, par exemple, un événement de sensibilisation sur la documentation médico-légale destiné aux professionnels du droit a mis SAP-GL en relation avec le procureur de la province rurale de Bujumbura. Ainsi, le procureur contacte fréquemment SAP-GL pour fournir une documentation médico-légale des affaires.

    « Le 5 février 2013, les autorités

    minières de Kamituga ont décidé de

    mettre en place une nouvelle taxe

    illégale. Moi et deux autres militants

    des droits de l’homme avons informé

    les habitants locaux et préparé une

    pétition que nous avons présentée

    aux autorités administratives

    locales après une marche organisée

    le 6 février.

    Lorsque nous l’avons présentée,

    nous avons été arrêtés, menottés

    et flagellés. On nous a ensuite

    forcés à marcher jusqu’à la prison

    sous un soleil brûlant, blessés et

    à moitié nus, sur une distance de

    plus d’un kilomètre. Les assistants

    psychosociaux du centre REMAK nous

    ont rendu visite en prison et ont

    soigné nos blessures. Tard ce soir-

    là, nous avons été mis dans une petite

    camionnette sans savoir où nous

    allions. Nous sommes arrivés à la

    prison centrale de Bukavu. Ma famille

    a contacté REMAK pour que je bénéficie

    d’une aide juridique. Au bout de

    trois mois et grâce à l’aide de REMAK,

    un jugement a été rendu en notre

    faveur et nous avons été libérés. Je

    ne saurais décrire la joie que j’ai

    d’être à nouveau libre et d’avoir

    retrouvé ma famille. »

    G.S., 27 ans, Wamuzimu, Kamituga,

    Sud- Kivu, RDC

  • 24 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 25

    Changer des vies grâce au counseling social à base communautaire

    Les groupes de counseling social comprenaient habituellement jusqu’à 15 personnes du même village.

    Dans le cadre de l’approche de réhabilitation holistique et à base communautaire adoptée par le projet, les centres ont été formés au counseling social à base communautaire afin que celui-ci puisse être intégré aux approches et aux interventions thérapeutiques existantes.

    Les groupes de counseling social peuvent faciliter le dialogue et bâtir une cohésion de groupe et sociale parmi les membres de la communauté. Ils facilitent l’inclusion sociale, la réintégration et, comme le montrent de nombreux cas rwandais, la réconciliation. Le counseling social permet également aux membres de la même communauté de guérir les uns les autres dans un cadre privé. Les centres ont mis en place des groupes de thérapie composés de victimes de torture et d’autres formes de violence, ainsi que de non-victimes. Ceci a permis aux membres du groupe de résoudre leurs problèmes individuels, de comprendre les difficultés des autres et de faire preuve d’empathie, et d’agir comme un catalyseur pour un changement positif durable au sein de leur communauté. L’inclusion de non-victimes dans les groupes s’est avérée essentielle pour l’inclusion sociale des membres les plus vulnérables de la communauté.

    Dans les communautés qui connaissent des divisions ethniques en particulier, ce type de thérapie de groupe peut combler le fossé entre les anciens ennemis en créant un cadre de confiance qui promeut le dialogue et le respect mutuel. Au Rwanda, par exemple, les groupes peuvent être composés de victimes ainsi que des génocidaires.

    Au sein des groupes, les symptômes des traumatismes ont été soulagés à travers un soutien, une psychoéducation et des conseils. Les principaux objectifs étaient la restauration du respect mutuel, la confiance, les soins et la sécurité, et l’instauration de règles démocratiques. Les groupes étaient limités à un maximum de 15 participants pour faciliter les échanges et renforcer la confiance parmi les participants. L’élément clé de chaque groupe était que les participants se connaissaient : ils pouvaient être de la même communauté, être voisins ou amis. Chaque groupe avait un animateur appelé « socio-thérapeute » qui avait été formé à animer les groupes de counseling social. Cette personne était un membre de la communauté qui avait suivi une semaine de formation, une formation de suivi et était supervisée régulièrement par le personnel du centre.

    Les réunions avaient lieu une fois par semaine pendant trois heures et le groupe choisissait le lieu et l’heure de ses réunions. Les groupes ont choisi différents types de lieux, comme la maison d’un membre, une église, un immeuble de bureaux ou tout simplement sous un arbre du village. Chaque groupe a traversé les mêmes

    phases. La première phase était la sécurité. Il a souvent fallu plusieurs semaines aux participants pour arriver à se débarrasser de leurs peurs et parvenir à partager leurs expériences et leurs pensées. La seconde phase était celle des échanges, durant laquelle les participants se sont habitués à partager et à entendre des idées et à avoir un dialogue ouvert. Les groupes passaient ensuite aux phases axées sur le respect, le souci des uns des autres, de nouvelles règles et les souvenirs.

    Chaque groupe a été fondé sur des principes de base. Le premier était l’intérêt commun, car les participants faisaient face à des problèmes similaires. Le deuxième était de se considérer les uns les autres comme égaux. Le troisième était la démocratie et le fait que toutes les décisions doivent être prises par consensus. Le quatrième était la responsabilité : si quelque chose de bien ou de mal se produit, ils ont tous une responsabilité égale. Le cinquième était la participation, le sixième était l’apprentissage par la pratique et le concept selon lequel si un problème se produit, une solution est trouvée en commun, et pour finir, le principe d’ici et maintenant, qui signifie résoudre les problèmes le plus vite possible. Après 15 semaines, le groupe pouvait décider de passer à autre chose et de commencer une activité génératrice de revenus, de devenir une coopérative et de continuer à travailler ensemble ou d’arrêter les réunions.

    Les groupes de counseling social ont été un grand succès, avec 90 pour cent des bénéficiaires déclarant que cette aide psychosociale leur avait permis de mieux surmonter leurs problèmes psychologiques et émotionnels. L’approche d’autogestion et le transfert de compétences étaient essentiels pour garantir que les techniques apprises restent dans la communauté et puissent être développées. Ceci est clairement illustré par le nombre important de participants ayant mis en place leurs propres groupes de sociothérapie, sans l’aide financière du projet, lorsque leurs groupes de counseling social se sont terminés au bout de trois mois.

    « Ce que j’ai vu aujourd’hui est un petit microcosme de ce qui se passe au Rwanda lorsque chacun aide l’autre à surmonter les démons du passé et à élever ce pays vers quelque chose de plus grand. La torture et les mauvais traitements ne devraient jamais être tolérés dans une société, et je tiens à souligner l’importance du travail accompli par des organisations telles que l’IRCT pour empêcher la torture et atténuer les préjudices. »

    L’ambassadeur Michael Ryan, Chef de la Délégation de l’Union Européenne au Rwanda, pendant une visite dans l’un des groupes de sociothérapie à base communautaire dans le district de Ngoma

    Avec des ressources limitées, les communautés ont créé un cadre qui a permis un dialogue pacifique sur des problèmes auparavant considérés comme trop difficiles à aborder. De plus, ce dialogue communal structuré a résolu un grand nombre de problèmes mineurs, comme les disputes entre voisins et les soins aux enfants. Ce processus a renforcé l’appropriation des décisions communales à travers un processus participatif incluant les membres les plus vulnérables de la communauté.

    Par exemple, le centre rwandais Uyisenga Ni Imanzi a travaillé avec des parents qui pensaient ne pas avoir d’autre option que de laisser leurs enfants à la frontière du Rwanda pour se rendre en RDC pour travailler. Le centre les a intégrés dans des groupes de counseling social et les a aidés à organiser des activités génératrices de revenus. On leur a également expliqué comment épargner et demander des crédits. Suite à l’impact positif de cette approche sur les vies des parents et de leurs enfants, le centre a étendu ces activités à quatre écoles de la région. Des groupes de counseling social ont été mis en place pour les

    117NOMBRE DE GROUPES

    DE COUNSELING SOCIAL

    1,806NOMBRE TOTAL

    DE BÉNÉFICIAIRES

    1,093NOMBRE TOTAL

    DE FEMMES

    713NOMBRE TOTAL

    D’HOMMES

  • 26 IRCT Projet Grands Lacs IRCT Projet Grands Lacs 27

    professeurs, les parents et les enfants. Ils ont aidé les groupes à élire leurs représentants et ont renforcé la coopération entre les parents, les autorités scolaires et les enfants. Cela a été particulièrement efficace en permettant de détecter et de résoudre des cas de conflits familiaux, de maltraitance d’enfants et de déscolarisation.

    Cet exemple montre que la communauté a en elle-même le pouvoir de résoudre les problèmes qui la touchent si la collaboration et la compréhension mutuelle entre ses membres sont renforcées.

    Les activités d’épargne et de crédit ont fait partie intégrante de l’approche. Les participants ont utilisé un système d’épargne géré par la communauté, où chaque personne contribue en versant une certaine somme qui, au bout d’un certain temps, est donnée à un membre du groupe. Une fois que le dernier membre a reçu son argent, le cycle reprend. Le système a fourni aux membres une plateforme d’entraide sur le plan social, émotionnel et financier.

    Les victimes secondaires ont été également prises en charge à travers un counseling social. Dans la plupart des cas, cela a donné aux participants la possibilité de résoudre des problèmes enfouis depuis de nombreuses années. Dans une communauté au Rwanda, cela a permis à un couple de se réunir. La femme avait été gravement battue et violée pendant le génocide et était tombée enceinte. Au cours de cette même période, son mari avait été emprisonné pour avoir commis des actes de génocide. Dix ans plus tard, il a été libéré et est rentré dans la communauté pour y trouver sa femme avec des enfants qui n’étaient pas les siens, chose qu’il avait beaucoup de mal à accepter. Tous deux ont rejoint un groupe de counseling social et en partageant leur colère et leur frustration avec le reste du groupe, ils ont permis à la communauté de comprendre leurs

    points de vue et de les aider à mieux se comprendre l’un et l’autre. La famille s’est réconciliée et vit aujourd’hui ensemble, l’homme agissant comme un père pour les enfants.

    Les groupes de counseling social ont également constitué une parfaite introduction aux groupes d’activités génératrices de revenus. Le Projet Grands Lacs a soutenu la création de plus de 100 groupes de counseling social avec plus de 1 800 bénéficiaires. Le counseling social à base communautaire s’est avéré extrêmement efficace pour reconstruire les communautés brisées. Il a permis aux centres de renforcer et de développer leurs services psychosociaux et a apporté aux communautés les outils dont elles avaient besoin pour surmonter les traumatismes du passé et les difficultés actuelles.

    A.M. est un travailleur social à

    Rukarama, au Burundi, qui, grâce

    à SAP-GL, a reconstruit sa vie

    après des années de traumatisme en

    tant qu’enfant soldat. Il se sert

    maintenant de son expérience pour

    aider les autres victimes de guerre

    et les victimes de torture.

    « Quand j’étais enfant, j’étais

    soldat avec les rebelles mais j’ai

    été démobilisé après la guerre. Je

    n’arrivais pas à dormir la nuit car

    je faisais des cauchemars. Je rêvais

    de mes amis et je les revoyais se

    faire tuer. Tous les mauvais souvenirs

    de ma vie de soldat revenaient la

    nuit. Il y avait beaucoup de violence

    ici, à Rukarama, et nous avons encore

    beaucoup de problèmes. Les rebelles

    n’ont pas réellement disparu et

    reviennent parfois voler.

    SAP-GL est venu au village il y a

    quatre ans et a écouté mes problèmes.

    Ils m’ont redonné espoir et je ne

    me sentais plus seul. Ils m’ont fait

    confiance et m’ont aidé à trouver un

    travail. SAP-GL m’a appris à aider

    les autres qui avaient vécu la même

    expérience que moi. En août 2013, j’ai

    été formé au counseling social à base

    communautaire au Rwanda, par l’Église

    anglicane du Rwanda. Lorsque je suis

    revenu, nous avons créé un groupe de

    counseling social ici, au Rwanda.

    Les conseils sociaux ouvrent nos

    cœurs et ramènent l’espoir dans notre

    communauté. Nous avons tant souffert

    des guerres, c’est sûrement Dieu qui

    a envoyé SAP-GL à Rukarama. »

    A. M., travailleur social,

    Rukarama, Burundi

    « Le 5 avril 2013, des hommes armés sont arrivés dans mon village et m’ont emmené dans les collines. Pendant une semaine, j’ai été torturé dans les conditions les plus extrêmes et les plus insupportables. Une fois libéré, j’ai vécu la vie d’un animal sans maître. J’étais