Projet de thèse en économie - Final

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Projet de thèse en économie de l’environnement Essai d’analyse économique des services écosystémiques : cadres de référence, échelles et mesures. PENISSON Bruno Justification du sujet et revue de la littérature Deux raisons fondamentales ont conduit à considérer la biodiversité et les services écosystémiques comme des objets pertinents pour l’analyse économique. La première est que la biodiversité est source de valeur dans la société. Pour de multiples raisons une plus grande diversité biologique se traduit généralement par plus de bien-être. La seconde est que les choix et les comportements des hommes en société ont et continueront d’avoir des impacts indéniables sur la biodiversité. Ces choix, souvent de façon non délibérée, ont déjà conduit à une diminution de la diversité, quelle que soit la façon de la mesurer, et continueront de le faire. La biodiversité et les services écosystémiques apparaissent comme une ressource utile et rare, et donc susceptible d’être appréhendée par le cadre conceptuel et méthodologique de l’économie. La Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen - Concilier nos besoins et nos responsabilités en intégrant les questions d'environnement dans la politique économique /* COM/2000/0576 final */ est ainsi un exemple parlant de l’importance que prennent les questions de services environnementaux dans les enjeux européens. La directive européenne 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale, entrée en vigueur en 2007 et transcrite en droit français en août 2008 montre d’ailleurs les préoccupations communautaires relatives à la détermination de la valeur de la biodiversité. Mais il ne s’agit là que la partie émergée de l’iceberg, de très nombreuses publication émanant de l’Europe tiennent 1

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Projet de thèse en économie de l’environnement

Essai d’analyse économique des services écosystémiques : cadres de référence, échelles et mesures.

PENISSON Bruno

Justification du sujet et revue de la littérature

Deux raisons fondamentales ont conduit à considérer la biodiversité et les services écosystémiques comme des objets pertinents pour l’analyse économique. La première est que la biodiversité est source de valeur dans la société. Pour de multiples raisons une plus grande diversité biologique se traduit généralement par plus de bien-être. La seconde est que les choix et les comportements des hommes en société ont et continueront d’avoir des impacts indéniables sur la biodiversité. Ces choix, souvent de façon non délibérée, ont déjà conduit à une diminution de la diversité, quelle que soit la façon de la mesurer, et continueront de le faire. La biodiversité et les services écosystémiques apparaissent comme une ressource utile et rare, et donc susceptible d’être appréhendée par le cadre conceptuel et méthodologique de l’économie.

La Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen - Concilier nos besoins et nos responsabilités en intégrant les questions d'environnement dans la politique économique /* COM/2000/0576 final */ est ainsi un exemple parlant de l’importance que prennent les questions de services environnementaux dans les enjeux européens. La directive européenne 2004/35/CE sur la responsabilité environnementale, entrée en vigueur en 2007 et transcrite en droit français en août 2008 montre d’ailleurs les préoccupations communautaires relatives à la détermination de la valeur de la biodiversité. Mais il ne s’agit là que la partie émergée de l’iceberg, de très nombreuses publication émanant de l’Europe tiennent désormais compte de l’importance de la biodiversité et en particulier des services environnementaux.

Afin de quantifier cette importance la science économique a développé de nombreuses méthodes de détermination de la valeur que peuvent avoir ces services environnementaux. (Chevassus-au-Louis, B. and e. al., 2009)

L’ambition de l’investigation conduite est de renforcer la connaissance autour des questions de déterminations de la valeur d’un service sur un territoire défini : celui de l’estuaire de la Gironde. L’accent sera en particulier mit sur les questions de temporalité ainsi que de spatialité ; sur la place quelles occupent respectivement dans les méthodes de détermination de la valeur des services écosystémiques ainsi que sur l’impact d’estimations erronées pour le reste de l’analyse et les réponses qui peuvent être apportées à tout cela.

Ces questions de temporalité et de spatialité sont presque toujours négligées dans les protocoles des méthodes de détermination de la valeur ; or, elles peuvent avoir une incidence capitale sur le résultat final.

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Par ailleurs, la réflexion engagée va se concentrer sur les services délivrés par les zones humides avec une attention particulière portée aux espèces migratrices à potentiel halieutique. Ce choix s’explique par l’existence de deux programmes de recherche du GREThA. Le programme Eel Scope (de dimension européenne), montre ainsi l’intérêt de prêter une attention particulière à une espèce migratrice halieutique (en l’occurrence l’anguille) afin d’évaluer la vulnérabilité de l’estuaire de la gironde et permettre une évaluation économique de ces vulnérabilités). Le programme Gouvernance à pour objectif de décrire les flux économiques des services délivrés par les zones humides estuariennes.

Ces deux programmes utilisent pour leurs réflexions une ou des populations de poissons migrateurs jugées explicatives du milieu à analyser.

Ainsi le choix d’axer l’application de la réflexion autour des espèces migratrices à potentiel halieutique en lien avec les services délivrés par les zones humides offre la possibilité de se servir des données et résultats de ces programmes pour nourrir notre propre réflexion d’où un gain de temps certain. Cela permet enfin de savoir que la réflexion qui s’apprête à être entamée et susceptible d’intéresser une partie de la communauté scientifique et peut intéresser, par les applications qui peuvent en découler, les décideurs politiques.

Aujourd’hui, les méthodes d'évaluation économique utilisées sont diversifiées et englobent des méthodes directes comme l'étude des préférences exprimées, des méthodes indirectes comme l'étude des frais de déplacement et de la valeur de production ou l'évaluation de la rentabilité nette, et des méthodes d'évaluation approximative comme l'examen des coûts de remplacement et l'évitement des dommages. Même pour un site ou un avantage donné, un chercheur peut parvenir à des conclusions fortes différentes selon la méthode d'évaluation qu'il utilise.

Enfin, si la littérature a beaucoup évolué autour de la notion de services écosystémiques, désormais une classification commune, adoptée par le Millennium Ecosystem Assessment relatif aux écosystèmes, est utilisée pour hiérarchiser les services écosystémiques. Cette classification s’opère en quatre grandes catégories: services d’approvisionnement, services de régulation, services culturels et services de soutien1. Elle permettra de voir l’influence des deux concepts précités dans l’évolution de la valeur des services écosystémiques.

Problématique et hypothèses de recherche retenues

Le rapport d’étape (Sukdev, 2008) portant sur l’économie des écosystèmes et de la biodiversité, pose le problème de la bonne échelle temporelle dans l’évaluation de la valeur d’un service. De plus, comme le souligne le rapport Stern, l’importance cruciale du choix des taux d’actualisation dans les décisions à long terme dépassent les calculs économiques conventionnels. Ce taux d’actualisation a même été décrit comme la «plus grande incertitude de toutes au niveau de l’économie du changement climatique» (Weitzman, 2007). Cette détermination du taux d’actualisation fait ainsi bien plus appel à des notions d’éthique ou politiques (Dasgupta, 2001), c'est-à-dire des considérations mêlant l’économique au 1 Ecosystems and human well-being: a framework for assessment par le Millennium Ecosystem Assessment, 2003

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sociologique (Walters, B. B., P. Rönnbäck, et al., 2008). Néanmoins pour une approche purement économique de la question, il peut être très intéressant de se référer aux travaux d’Hotelling (1931) et aux amples développements ayant eut après le premier choc pétrolier fin 1973.

Les questions liées à la spatialité ont connues des développements beaucoup plus récents, on peut s’orienter vers les travaux tournant autour de l’économétrie spatiale (Anselin L., 2001) et ce afin de prendre en compte dans l’analyse les individus qui ont réellement un rapport avec le service que dont on cherche à déterminer la valeur. En effet, il est illusoire de croire que seule la population vivant à proximité immédiate du service est la seule à même de s’exprimer directement (via par exemple une question contingente) ou indirectement (grâce à l’analyse conjointe) sur la valeur que revêt ce service.

Enfin, il convient de s’interroger sur les facteurs qui orientent le comportement de l’utilisateur dans les situations économiques. En effet, cela permettrai d’améliorer l’analyse en y incluant une dimension sociologique, psychologique. L'économie comportementale en tant que champ de la science économique, et sa composante expérimentale via l’économie expérimentale, apparaît comme la plus à même de remplir ce rôle. En tentant de décrire et d'expliquer pourquoi, dans certaines situations, les êtres humains adoptent un comportement qui peut sembler paradoxal ou non-rationnel, l’économie expérimentale offre des interprétations aux biais cognitifs qui impactent la forme temporelle et spatiale de l’étude. Par ailleurs, l’utilisation de l’économie comportementale permettrait de déterminer aussi si ces biais résultent de comportements individuels ou d'effets de groupe.

L’objectif central de la thèse est alors de répondre à un certain nombre de questions clefs :

Quels sont les éléments qui conditionnent le choix des échelles spatiale et temporelle ? Sont-elles indépendantes l’une de l’autre ?

Ces choix ont-ils une réelle incidence sur la détermination de la valeur d’un service indépendamment de la méthode utilisée ?

Peut-on mettre en place des protocoles permettant de déterminer des échelles spatiale et temporelle dont la pertinence dépend de la méthode de détermination de la valeur utilisée, ou des services environnementaux que l’on cherche à analyser ?

Méthodologie

Pour accomplir l’objectif fixé, nous tenterons dans un premier lieu de mettre en lumière la façon dont l’application des méthodes actuelle de détermination de la valeur des services environnementaux s’écarte de certaines préconisations venues à la fois de la théorie et de la connaissance de terrain. Par cette démarche nous tenterons de montrer que les méthodes ont certains problèmes communs inhérents à la façon qu’elles ont de définir le cadre de leurs analyses. Ceci conduira ensuite à établir et hiérarchiser les critères communs essentiels à prendre en compte lors de la mise en œuvre des méthodes. C’est ainsi que les concepts de spatialité et de temporalité peuvent apparaitre comme déterminant sur tout les autres car ce

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sont eux qui vont conditionner le territoire sur lequel va s’effectuer l’étude (et donc de la pertinence de ce territoire) ainsi que toute les notions de durée qui peuvent exister (période sur laquelle se déroule l’étude, acceptabilité dans le temps des conclusions et des moyens mis en œuvre,…).

Ensuite nous opèrerons une réflexion poussée sur le concept de temporalité en nous interrogeant sur son importance dans chacune des méthodes ; ainsi que sur les éléments dont se basent les agents pour choisir sa valeur, sa durée. Il en est de même autour de celui de spatialité (Soja, 1988), incluant le concept de spatialité propre (Rosier & Dockès, 1983 ; Lipietz & Benko, 2000), où seront mobilisées les réflexions théoriques sur l’économétrie spatiale, la méthode du coût de transport (Hotelling, 1929) et les facteurs de détermination d’une échelle d’étude spatiale optimale. L’idée étant d’avoir une vision d’ensemble de ces concepts utilisés par les méthodes de détermination de la valeur de service(s) tant dans la littérature.

Enfin pour confronter ces réflexions à la réalité, une étude sur le terrain sera réalisée. Cette confrontation s’opèrera en plusieurs temps. Tout d’abord il sera procédé l’étude proprement dite en jouant sur la variation du facteur temporel et du facteur spatial, de manière indépendante puis simultanée. La méthode retenue pour l’étude est celle de l’évaluation contingente, car elle serait plus à même d’apprécier les différents types de valeurs (Luchini, 2002). Ensuite ce résultat sera comparé avec les résultats issues des méthodes « standards » ou traditionnelles afin de mettre en évidence la présence ou non de différences entre les méthodes et au sein d’une même méthode, différences qui feront alors l’objet d’une analyse. C’est là où l’intérêt du choix porté aux espèces migratrices à potentiel halieutique se fait particulièrement sentir, car du fait de leur nature migratoire ces espèces ont des liens très forts avec les notions de temporalité et de spatialité.

Néanmoins, différents problèmes existent dans le cadre d’une telle réflexion. Même si économiquement parlant, il n’y a pas de réelle limites imposées par les connaissances ; les raisonnements qui sont tenues sont fait sur des bases qui elles sont sujettes à des limites. En effets, pour déterminer les limites, les capacités, la composition d’un milieu, on fait appel à des scientifiques venant d’autres disciplines telles que la biologie, la géologie, la physique, la chimie, etc. Ce sont leurs observations qui serviront le raisonnement économique ; néanmoins il peut exister des discordes dans ces disciplines quand à la place à accorde à l’importance d’un facteur précis dans l’écosystème d’où des problèmes de modélisation par la suite. En outre, inventorier, classer l’ensemble du vivant peut être une tâche longue et compliquée, ainsi faire appel à biologiste par exemple pour connaître la composition d’un espace peut donner lieu à des approximations qui peuvent conduire là encore à des modélisations et une analyse erronée.

De plus, l’analyse peut aussi avoir besoin d’un éclairage juridique et là encore des limites peuvent survenir ; cela peut être due à l’absence d’une réglementation ou bien la présence de nombreuses réglementation se chevauchant (tant horizontalement que verticalement) et créant par là même une difficulté supplémentaire pour appréhender correctement l’espace étudié.

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Enfin le problème principal posé par l'évaluation contingente est sa sensibilité à des biais. C'est-à-dire que des paramètres, qui en théorie ne devraient pas influer sur les réponses, ont en pratique une influence (Flachaire & Hollard, 2005). Ainsi, les individus sont interrogés sur leur capacité à payer pour, par exemple, la mise en place d’un programme de réhabilitation d’espèces migratrices à potentiel halieutique, mais, bien souvent lors de la présentation dudit programmes aux individus, les mécanismes qui le régissent sont souvent assez flous. Nous ne savons souvent pas si les individus comprennent réellement l’état de l’espèce ou la procédure utilisée pour la réhabilitation. Par ailleurs, il n’est souvent pas précisé quel territoire de l’espèce considérée fait l’objet de la procédure de réhabilitation, sans compter le fait que la population qui réside sur ce territoire n’est pas toujours la seule à même de pouvoir répondre correctement à l’évaluation contingente. Enfin quand il est question de durée ; il n’est que peu souvent précisé combien de temps va prendre la réhabilitation, combien de temps les individus devront payer, ou encore la durée de vie de la réhabilitation que l’on escompte.

L’ensemble des investigations conduira à des résultats directement utiles aux personnes désireuses de réaliser une évaluation de la valeur de service(s) écosystémique(s). Ainsi, selon le type de service que l’on cherche à étudier et la méthode que l’on souhaite appliquer, en dehors de toute considérations pratiques ou théoriques ; on aura les données suffisante pour déterminer les frontières spatiale et temporelle de l’étude qui offrent le meilleur compromis entre accès à une information exhaustive mais très lourde à obtenir et à manipuler et des données faciles à obtenir mais génératrice d’incertitudes importantes.

Modes de coordination prévus avec les équipes

Le travail s’effectuera en utilisant les ressources dont dispose le GREThA, est en particulier avec l’équipe du programme B « Environnement, Bien-être et Développement ». Plus particulièrement, la thématique de la thèse est en relation avec le sous-programme B1 (Économie du patrimoine naturel et innovations environnementales). La thèse sera réalisée sous la direction conjointe de S. Ferrari et P. Point.

En outre, ce travail amènera à côtoyer les participants au projet européen EEL-scope (Eco-toxicological and Economical Liability of eel exposed to Seasonal and global Change-induced O2-depletion and Pollution in Estuaries) car ce projet interdisciplinaire est susceptibles de produire nombre de données pertinentes pour la réalisation du troisième objectif fixé plus haut.

Enfin, il existe une réponse à l’APR Programme « EAUX & TERRITOIRES » : Gouvernance des zones humides estuariennes, fonctionnalités environnementales, flux financiers et économiques - l’exemple de l’estuaire de la Gironde. La volonté de renforcer la connaissance et la compréhension des enjeux et des mécanismes d’action sur le territoire défini de l’estuaire de la Gironde, permettra d’alimenter notre propre réflexion.

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Bibliographie

Anselin L., Companion to Econometrics, Basil Blackwell, Oxford, Spatial econometrics, Ed. Baltagi B., 2001

Barbier, E. B., M. Acreman, et al., Évaluation économique des zones humides Bureau de la Convention de Ramsar, 1997

Buleon P., Spatialités, temporalités, pensée complexe et logique dialectique moderne, EspacesTemps.net, Textuel, 01.05.2002

Chevassus-au-Louis, B. and e. al., Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes, Centre d’analyse stratégique, 2009

Dasgupta, P. (2001) Human Well-being and the Natural Environment. Oxford University Press, Oxford

Flachaire E. & Hollard G., Une approche comportementale de l'évaluation contingente, Cahiers de la Maison des Sciences Économiques, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), 2005

Gowdy J. M., Behavioral economics and climate change policy, Journal of Economic Behavior & Organization, 2008

Hotelling H., Stability in Competition Economic Journal, vol. xxxix, 41-57, 1929

Lipietz A., Benko G., La richesse des régions. Pour une géographie socio-économique, PUF, Paris, 2000, Chapitre 1

Luchini S., De la singularité de la méthode d'évaluation contingente. Economie et Statistique, N° 357-358, 2002

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Rosier B., Dockès P., Rythmes économiques, crises et changement social, une perspective historique, Paris, La Découverte/Maspéro, 1983

Soja E. W., Postmodern geographies, The reassertion of space in critical social theory, Londres, Verso, 1988

Sukdev P., L’économie des écosystèmes et de la biodiversité, Communautés européennes, 2008

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