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Livre blanc PROFESSION D’AVOCAT ACTUALITÉ 2015

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Livre blanc

PROFESSION D’AVOCAT

ACTUALITÉ 2015

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Livre blanc | Profession d’avocat : actualité 2015

Propos introductifs L’actualité 2015 de la profession d’avocat aura principalement été marquée par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron ». Cette loi fleuve étend notamment, sauf exception, le champ d’application de la postulation à l’ensemble des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel dans lequel un avocat a établi sa résidence professionnelle, et supprime le tarif de la postulation en première instance. Mais, au-delà, ses modifications les plus marquantes impactent surtout la réglementation applicable aux structures d’exercice, et aux honoraires, ces derniers étant par ailleurs le terrain d’élection d’un vaste mouvement de consumérisation de l’activité des avocats. Enfin, le secret professionnel aura également été marqué par une forte actualité jurisprudentielle.

Laurent DARGENT Département civil

Éditions Dalloz

FAITES LE POINT SUR L’ESSENTIEL DE L’ACTUALITÉ : - des honoraires - des structures d’exercice - et du secret professionnel

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SOMMAIRE

I. Honoraires

1. Loi Macron : ce qui change pour les avocats et quand, Marine Babonneau, Dalloz actualités du 9 sept. 2015 (extrait)

2. Transparence des honoraires d’avocats : la DGCCRF pointe des « anomalies », Anne Portman, Dalloz actualités du 9 sept. 2015

3. La consumérisation de l’activité d’avocat, Cécile Caseau-Roche, Dalloz avocats n°8-9 août-septembre 2015, p.268-271

4. Le droit de la consommation toujours plus applicable aux avocats ?, Christophe Jamin, Dalloz avocats n°10 octobre 2015, p.320-321

II. Structures d’exercice

5. L’exercice en société des professions libérales – essentiellement juridique, Gilles Parléani, Revue des sociétés 2015, p.638-645

III. Secret professionnel

6. Code de l’avocat 2015, commentaire de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (extraits)

Publication : janvier 2016

© Éditions Dalloz 2016

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Loi Macron : ce qui change pour les avocats et quand Dalloz actualité du 9 sept. 2015 (extrait)

[…]

Contrôle des conventions d’honoraires

Désormais – la règle étant d’application immédiate -, tous les honoraires sont fixés en accord avec le client et obligatoirement matérialisés dans le cadre d’une convention d’honoraires écrite (montant ou mode détermination des honoraires, frais divers et débours envisagés…).

Aucune dérogation n’est prévue, sauf en cas d’urgence, de force majeure ou de recours à l’aide juridictionnelle totale.

En matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires, les droits et émoluments sont fixés sur la base d’un tarif déterminé par la Chancellerie et Bercy. Les agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) seront là pour constater tout manquement de l’avocat.

Cette disposition avait hérissé le poil de la profession mais le Conseil constitutionnel l’a validée.

Le contrôle des agents se limitera néanmoins à la seule constatation de l’existence matérielle de la convention d’honoraires. Et la DGCCRF devra informer le bâtonnier pour toute demande d’acte d’investigation, « au moins trois jours avant ».

Le CNB précise bien « qu’il ne s’agit donc pas de pouvoirs de perquisition. La DGCCRF doit demander la communication des documents ».

[…]

Marine Babonneau © Éditions Dalloz 2016

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Transparence des honoraires d’avocats : la DGCCRF pointe des « anomalies » Dalloz actualité du 9 sept. 2015

Au mois de mai 2014, la DGCCRF avait lancé une enquête dans quarante départements sur les honoraires d’avocats et l’information du consommateur dans ce domaine. Retour sur les résultats.

Une enquête sur la pratique des honoraires d’avocats à but essentiellement « pédagogique ». C’est ainsi que, interrogée, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a qualifié son travail. « Il s’agissait de voir comment cela se passait dans les cabinets », ont précisé ses services (V. Dalloz actualité, 27 mai 2014, obs. M. Babonneau ). L’enquête comportait « un volet informatif et un volet correctif ». Les agents de la DGCCRF ont contrôlé plus de 300 professionnels et adressé 27 avertissements. Les opérations en elles-mêmes se sont, selon les avocats concernés, déroulées la plupart du temps dans le respect des dispositions relatives au secret professionnel, les agents ayant seulement demandé la communication de conventions d’honoraires types. Quelques représentants de la profession

ont toutefois rapporté, dans certains barreaux, des incidents avec des agents qui ont parfois demandé la communication de documents figurant dans des dossiers précis, en contravention des dispositions relatives au secret professionnel.

Les résultats de l’enquête, qui n’ont pas donné lieu à un rapport public mais à une simple note interne, ont révélé « trois types d’anomalies », à savoir « une transparence tarifaire imparfaite, une pratique des conventions d’honoraires variable et une remise de note au consommateur parfois inexistante ».

Information lacunaire Les agents de la DGCCRF ont pu constater que les prix communiqués à la clientèle étaient souvent exprimés hors taxes. « L’affichage des prix dans les lieux de réception de la clientèle peut s’avérer partiel », nous indique ainsi la Direction. « Pas de prix TTC » dans certaines conventions d’honoraires, est-il ajouté. Selon les services de Bercy, « l’information précontractuelle peut être améliorée ». Les agents ont relevé que certains des avocats contrôlés ne distinguaient pas assez clairement les prestations soumises à un tarif réglementé de celles soumises à un honoraire libre.

Par ailleurs, l’information des clients sur les « prestations externalisées auprès d’un autre confrère » n’est pas toujours fournie. Les agents soulignent la difficulté de prévoir l’évolution des honoraires et observent que la détermination du montant des honoraires est faite selon plusieurs modalités : « il peut être forfaitaire pour les affaires récurrentes (divorce), ; il peut dépendre du temps passé pour des dossiers complexes (droit de la santé notamment) ; il peut être lié au résultat pour des affaires à forts enjeux financiers (procédures fiscales ou recouvrement de créances importantes, par exemple) ».

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Des pratiques hétérogènes Cette diversité, ainsi que « la très grande variété de présentation et de terminologie des prestations proposées », ne permettent pas au consommateur de comparer facilement les prix proposés par les avocats. L’hétérogénéité des pratiques est également soulignée en ce qui concerne les conventions d’honoraires. Certains avocats remettent à leurs clients « des devis et des courriers », l’accord étant « formalisé par le paiement d’une provision ». Par ailleurs, si les conventions d’honoraires type sont monnaie courante dans les grands cabinets « pour les affaires simples et récurrentes », dans les cabinets de taille plus modeste, « ce sont les jeunes entrants qui formalisent le plus les relations avec les clients ».

Défaut de remise de note Les avertissements délivrés par les agents ont « essentiellement » porté, indique la Direction, sur l’absence de délivrance d’une « note », conforme aux dispositions de l’arrêté n° 83/50/A du 3 octobre 1983, relatif à la publicité des prix et des services. « De nombreux avocats ne respectent pas les conditions de délivrance de la note détaillée », constate l’administration. Outre le compte détaillé, prévu par les dispositions de l’article 12 du décret du 12 juillet 2005, intégré au RIN, généralement bien appliquées par les avocats, l’arrêté prévoit la délivrance d’une note, qui pourra être produite par le client comme justificatif, à un tiers (services fiscaux par exemple).

La DGCCRF a rappelé que les nouvelles dispositions figurant dans la loi Macron, qui imposent le recours préalable à une convention d’honoraires écrite permettront de remédier aux anomalies constatées lors des investigations ainsi menées. Par ailleurs, en marge des principales anomalies relevées, la Direction indique avoir émis un avertissement pour « présomption de pratique commerciale trompeuse relative aux modalités de la tarification ».

Anne Portmann

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La consumérisation de l'activité des avocats Dalloz avocats - Exercer et entreprendre, 2015, p. 268-271

L'essentiel La relation avocat/client apparaît désormais de plus en plus marquée par l'analyse consumériste. L'évolution controversée est-elle inéluctable ? Elle invite à réfléchir sur l'éventuelle valorisation de l'activité de l'avocat grâce à une exploitation des outils professionnels mis à sa disposition.

Aussi bien la loi Hamon adoptée il y a un an que la récente loi Macron, que la jurisprudence européenne et nationale récente révèlent une même tendance qui alerte les avocats : la « consumérisation » de leur activité (1). La « consumérisation » peut être définie comme le « fait de devenir un produit de consommation ». Appliquée aux avocats, elle fait référence à l'application du droit de la consommation à certaines de leurs activités, alors que la profession est par ailleurs confrontée à des changements de grande ampleur (2). Le cabinet est devenu, avec la pression économique et la concurrence à la fois d'autres professions juridiques et de nouveaux acteurs, une véritable entreprise, soumise à un impératif de rentabilité. La prestation juridique devient une prestation de marché concurrentiel

(3). Les clients eux aussi changent : ils sont plus volatils, n'hésitent pas à faire des appels d'offre, à multiplier les demandes de devis et à changer d'avocat. Plus exigeants, ils font aussi davantage preuve de vigilance et disposent, grâce aux nouvelles technologies, d'un savoir partagé (4). Les enjeux d'une telle mutation sont décisifs. Les avocats - spécialement ceux exerçant à titre individuel et ayant une clientèle composée de particuliers - doivent faire évoluer leur mode d'exercice en modernisant leurs méthodes de travail et en repensant complètement la relation avec le client au risque, sinon, d'éprouver de grandes difficultés économiques, voire - selon les plus pessimistes - de disparaître (5). Dans ce contexte, il paraît utile de faire le point sur les rapports entre les avocats et le droit de la consommation. Certains peuvent déplorer et craindre cette marche forcée vers l'assimilation de l'activité d'avocat à une activité dite marchande. D'autres, au contraire, y voient un nouveau souffle en espérant que la profession sache saisir les opportunités offertes (6). La réalité n'est-elle pas finalement duale ? Si la soumission de la convention d'honoraires de l'avocat au droit de la consommation semble inéluctable, il faut aussi admettre que la valorisation de l'activité de l'avocat par les nouveaux outils professionnels mis à leur disposition est possible.

1. L'inéluctable soumission de la convention d'honoraires de l'avocat au droit de la consommation

Les conventions d'honoraires de l'avocat peuvent relever du droit de la consommation. Les juges de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et ceux de la Cour de cassation appliquent en effet de façon extensive le droit protecteur lorsque le client est préalablement qualifié de consommateur.

1.1 La reconnaissance préalable de la qualité de consommateur au client de l'avocat La lecture comparative des motivations des juges européens et français montre que ces derniers utilisent une méthode analogue pour reconnaître que le client de l'avocat est un consommateur. Selon les juges européens (7), « la Directive 93/13 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'applique à des contrats standardisés de services juridiques, tels que ceux en cause au principal, conclus entre un avocat et une personne physique qui n'agit pas à des fins qui entrent dans le cadre de son activité professionnelle ». La CJUE a développé une argumentation dorénavant classique selon laquelle le système de protection est justifié par la situation d'infériorité du consommateur à l'égard du professionnel tant par le pouvoir de négociation que par le niveau de connaissances qui le

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conduit à adhérer aux conditions imposées par ce dernier. Elle a ainsi relevé l'asymétrie d'information entre l'avocat et son client, qui découle de la technicité de la matière juridique ; les clients peuvent éprouver des difficultés à apprécier la qualité de la prestation. Réciproquement, l'avocat doit être considéré comme un professionnel en raison de sa compétence technique et nonobstant le caractère « public » de sa profession. De son côté, la Cour de cassation (8) distingue désormais le client qui a recours aux services de l'avocat dans le cadre de la gestion de ses affaires personnelles et le client qui a recours à ses services à des fins entrant dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou le client personne morale. Pour instaurer une telle dichotomie, les juges ont intégralement repris la définition du consommateur récemment adoptée par le législateur et issue de l'article 2 de la directive européenne n° 20011/83/UE du 25 octobre 2011. Depuis la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (9), le code de la consommation comporte en effet un article préliminaire selon lequel « est considérée comme consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». Traiter les avocats comme les autres professionnels peut heurter, mais ne pas considérer le client personne physique en situation d'infériorité serait également discutable. La réunion dans un même ensemble des avocats et des vendeurs en tout genre ne permet pas de prendre en compte les particularités des premiers par rapport aux seconds. Il s'agit certes dans les deux cas de professionnels qui fournissent une prestation, cependant l'avocat fournit une prestation de services de nature particulière qui se distingue nettement d'une relation de consommation. L'avocat doit faire preuve d'une grande capacité d'inventivité ; une analyse a d'ailleurs montré comment la

spécificité du marché des services juridiques réside dans le fait que, pour fournir le service qui maximisera ex post la satisfaction de son client, les avocats doivent dépasser ce que souhaitent leurs clients (10). Il ne faut donc pas minimiser le caractère intuitu personnae de la relation entre l'avocat et son client. Sur le marché de l'avocat, le client n'achète pas encore un service ; il recrute un représentant à qui il confie son affaire. La prestation de l'avocat n'est donc pas de l'ordre du service marchand (11) ; elle reste perçue comme étant une prestation de confiance. Ceci étant, force est de constater que la relation avocat/client n'est pas construite par des personnes égales. Si l'avocat n'est plus forcément le détenteur exclusif des connaissances juridiques dans la mesure où le droit est devenu accessible, il détient seul la compétence pour les comprendre et les utiliser. L'analyse est plus délicate lorsque le client passe un contrat à double finalité à la fois personnelle et professionnelle. Dans quelle mesure pourra-t-il être considéré comme un consommateur ? Le juge sera amené à rechercher le caractère principal ou accessoire de l'objet de la demande et ne devra retenir la qualité de consommateur que dans l'hypothèse où la part professionnelle restera vraiment minime. Seule l'existence d'une relation déséquilibrée peut justifier l'application des règles protectrices.

1.2. L'application extensive des règles protectrices au client de l'avocat Selon les jurisprudences européenne et nationale, la convention d'honoraires qui lie l'avocat à son client est dorénavant soumise à la législation sur les clauses abusives et à la prescription biennale. Répondant à une question préjudicielle lituanienne, la CJUE a en effet jugé que la directive européenne 93/12/CEE sur les clauses abusives est applicable aux contrats relatifs à des services juridiques conclus entre un avocat et un client personne physique (12). Par ailleurs, dans deux arrêts importants (13), la Cour de cassation vient d'appliquer à l'action en fixation d'honoraires la prescription biennale de l'article L. 137-2 du code de la consommation, au détriment de la prescription quinquennale prévue par l'article 2224 du code civil. Cette solution inédite, à laquelle s'est déjà ralliée le premier président aixois(14), met fin aux divergences constatées tant au sein de la doctrine que de la jurisprudence. Ces jurisprudences nouvelles soulèvent deux questions qui, selon toute vraisemblance, ne manqueront pas de faire l'objet de prochains contentieux. La première porte sur l'articulation des règles consuméristes protectrices du consommateur avec les règles déontologiques propres aux avocats qui leur imposent de nombreuses obligations afin de rééquilibrer leurs rapports avec les clients. Comme cela a déjà été justement souligné (15), le contrôle judiciaire des relations contractuelles entre client et avocat est susceptible d'interférer notamment avec l'incontournable obligation de confidentialité. Pour trancher ce type de conflit, la direction empruntée pourrait consister à appliquer le principe selon lequel les lois spéciales excluent les lois générales, en considérant le code de la consommation plus général que le code de déontologie. La deuxième question porte sur la délimitation du champ d'application des règles consuméristes applicables aux avocats. Après les dispositions sur les clauses abusives et celles sur le délai de prescription, quelles seront les suivantes ? Est-ce tout le droit de la consommation qui a vocation à s'appliquer ? La solution ne serait pas raisonnable au regard de l'objectif poursuivi. En revanche, il est permis de penser que, dans la suite

logique des évolutions, la convention d'honoraires signée par le client démarché pourrait être soumise au délai de rétractation prévu par l'article L. 121-21 du code de la consommation. Ce faisant, au lieu de subir cette politique consumériste, les avocats ne pourraient-ils pas au contraire entreprendre une valorisation de leur activité en adaptant à leur profession certains principes essentiels adoptés dans l'industrie et les services ?

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2. La possible valorisation de l'activité de l'avocat par les outils professionnels mis à leur disposition Afin de faire face à l'opacité et à la saturation du marché, l'avocat ne devrait-il repenser sa relation avec le client ? Cela suppose d'une part une appropriation de la promotion de ses services et d'autre part une meilleure maîtrise de la facturation.

2.1. L'appropriation de la promotion des services de l'avocat La libéralisation de la publicité et de la sollicitation personnalisée, suite à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (16) et sous l'impulsion de la jurisprudence européenne, rapproche la relation avocat/client d'une relation de consommation. Ajoutant deux alinéas à l'article 3 bis de la loi du 31 décembre 1971, l'article 13 de la loi autorise l'avocat à recourir à la publicité ainsi qu'à la sollicitation personnalisée dans des conditions déterminées par un décret qui a finalement été promulgué le 28 octobre 2014 (17). Selon ce texte, (qui fait l'objet d'un recours en contestation de sa légalité), la sollicitation personnalisée doit être écrite ; elle peut prendre la forme d'un envoi postal ou d'un courrier électronique adressé au destinataire de l'offre de service, à l'exclusion de tout SMS. Le décret supprime par ailleurs le deuxième alinéa de l'article 5 du décret du 25 août 1972 qui prévoyait l'application d'une peine de nature contraventionnelle aux actes de démarchage. De son côté, le Conseil national du Barreau a réformé l'article 10 du RIN en distinguant l'information professionnelle et la publicité personnelle destinée à promouvoir les services d'un avocat à l'attention d'une personne physique ou morale déterminée. Le nouvel article précise en outre que toute publicité doit être communiquée au conseil de l'Ordre sans délai. La nouvelle réglementation fournit donc aux avocats un des moyens habituels du commerce. Encore faudrait-il que les avocats souhaitent s'en emparer. Or pour une majorité d'entre eux, faire de la promotion reste inconcevable, pour ne pas dire indigne de la profession (18). En dehors de l'apposition de leur plaque, de l'inscription dans un annuaire ou de la distribution de cartes de visite, peu d'avocats ont jusqu'à présent vraiment utilisé toutes les formes classiques de publicité autorisées dès les années 1990. La sollicitation personnalisée n'est ni dans la culture, ni dans les gênes de l'avocat traditionnel. Dans ces conditions, il faudra une évolution des mentalités pour qu'ils exploitent les techniques de marketing désormais admises, en ayant éventuellement recours à des professionnels en communication. Vu le marché concurrentiel, les avocats doivent non seulement se faire davantage connaître mais aussi créer une offre pertinente et mener une stratégie de développement. Ils ne peuvent plus se contenter de leurs relations sociales pour capter la clientèle. Chemin faisant, cette promotion pourrait contribuer à lutter contre la prolifération de sites Internet offrant des services allant de la mise en relation avec un professionnel du droit jusqu'au conseil juridique (19). En outre, elle offrirait l'opportunité (malgré les difficultés et le risque d'une telle politique) d'afficher le prix des prestations, sachant que celui-ci est devenu un facteur décisif pour le consommateur de droit.

2.2. La maîtrise de la facturation des services de l'avocat Les clients ont aujourd'hui besoin d'être fixés et rassurés sur le montant des honoraires bien avant de recevoir une facture récapitulative. Pour répondre à ces nouveaux besoins, les avocats, souvent pudiques sur la question, pourraient exploiter la jurisprudence récente et la loi afin de mieux maîtriser les différentes phases de la facturation. En ce qui concerne l'élaboration de la facture, les avocats étaient jusqu'à présent libres de proposer ou non une convention d'honoraires (20). Rarement utilisée en 2001, plus largement répandue depuis (21), elle devient obligatoire. La loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron (22), rend en effet la rédaction d'une convention d'honoraires obligatoire en toutes matières et permettra à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d'exercer des contrôles pour vérifier que les avocats remplissent effectivement leur obligation d'information préalable. Exiger une telle transparence et un tel formalisme sera doublement bénéfique. Cela devrait d'abord renforcer le lien de confiance (23) entre l'avocat et son client en énonçant précisément et préalablement le mode de rémunération convenu et les modalités de paiement. Cela devrait ensuite réduire l'important contentieux qui alimente actuellement les tribunaux et subséquemment sécuriser les relations avocats/clients. Quant au règlement de la facture, les avocats pourront désormais se retrancher derrière la courte prescription de l'action en recouvrement pour veiller à être payés au fur et à mesure des prestations effectuées et pour inciter leurs clients à régler rapidement les honoraires dus. En condamnant tout laxisme, la jurisprudence pourrait finalement se révéler plus protectrice des intérêts de l'avocat créancier que de ceux du client débiteur. Au-delà des exigences légales et jurisprudentielles, les avocats pourraient s'inspirer davantage des techniques commerciales éprouvées pour attirer et rassurer les clients. Il faudrait par exemple développer davantage la pratique de la première consultation gratuite accompagnée d'un devis. Sachant par ailleurs que de plus en plus de clients rencontrent des difficultés financières pour régler leurs factures, pourquoi ne pas institutionnaliser des facilités de paiement qui sont déjà de facto accordées dans de nombreux cabinets ? L'idée de transposer aux cabinets d'avocats les principes de la franchise est encore plus innovante ; l'avocat franchisé adhérant au réseau bénéficierait d'un soutien logistique et d'outils permettant de rationaliser le travail et d'améliorer la rentabilité (24). Les avocats sont donc confrontés à une alternative difficile : résister à la logique de marché au risque de disparaître ou bien s'y conformer en espérant pouvoir en tirer profit.

Cécile Caseau-Roche, Maître de conférences à l'Université de Bourgogne-Franche-Comté

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Mots clés : HONORAIRES * Droit de la consommation * Conséquences Notes : (1) V. en ce sens égal., J. Lasserre-Capdeville, Nouvelles précisions sur le régime de l'article L. 137-2 c. consom., JCP 2015. 393. (2) Sont récemment parus : L'avocat de demain, D. avocats, déc. 2014, dossier; T. Wickers, La grande transformation des avocats, éd. Dalloz, 2014 ; sous la dir. M.-A. Frison-Roche et J.-L. Forget, Avocats et ordres du XXIe siècle, Dalloz 2014. (3) Sur ce point, les interviews de P. Eydoux, nouveau Président du CNB, accessibles sur le site du CNB. (4) F. Perrotin, Ces avocats qui se réinventent, D. avocats, 2014. 384 . (5) V. en ce sens, Ch. Jamin, Le dilemme des avocats (et des professions juridiques réglementées) : se réformer ou disparaître, D. avocats, 2014. 391 . (6) D. Jensen, Travaillerons-nous différemment ?, D. avocats, 2014. 387 . (7) CJUE, 15 janv. 2015, n° C-537/13, Birute Siba c/ Arunas Devenas, JurisData n° 2015-002560, S. Moracchini-Zeidenberg, L'avocat, un professionnel ?, JCP E 2015, 1127 ; L. Bloch, L'avocat, l'abus et le consommateur de droit, RCA 2015. Alerte 9 ; S. Cazet, Application de la directive 93/13/CEE aux contrats de services juridiques, Europe 2015, comm. 125 ; RLDC 2015, n° 124 ; Gaz. Pal. 19 févr. 2015, p. 24, note S. Piedeliėvre ; D. 2015. 213 ; ibid. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; D. avocats 2015. 154, obs. D. Landry . (8) Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-15.013, JurisData n° 2015-006375 et n° 14-11.599, FS PBRI, Juris-Data n° 2015-006376 ; J. Lasserre Capdeville, préc. ; F. Julienne, La soumission de l'avocat à la prescription biennale dans le cadre d'actions en contestation d'honoraires, Lexbase Hebdo, éd. Professions, nº 192 ; C. Caseau-Roche, Les honoraires de l'avocat et le droit de la consommation, JCP 2015. 649 ; JCP 2015. Doctr. 673, n° 8, nos obs. (9) Pour une analyse du texte, v. G. Raymond, Définition légale du consommateur par l'article 3 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, CCC 2014, dossier 3. (10) F. Bessis, in « Les avocats, entre ordre professionnel et ordre marchand », Rapport sous la dir. de O. Favereau, Lextenso éditions, 2009, p. 111.

(11) En ce sens v. égal., G. Raymond, Prescription du paiement des honoraires d'un avocat, CCC avr. 2015, comm. 100. (12) CJUE, 15 janv. 2015, n° C-537/13, Birute Siba c/ Arunas Devenas, D. 2015. 213 ; ibid. 588, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; D. avocats 2015. 154, obs. D. Landry , préc. (13) Civ. 2e, 26 mars 2015, n° 14-11.599, et n° 14-11.599, préc D. 2015. 812 . (14) Aix-en-Provence, 7 avr. 2015, n° 2015/85. (15) F. Julienne, préc. (16) C. Enkaoua, Démarchage des avocats : beaucoup de bruit pour pas grand-chose, Gaz. Pal. 25-26 avr. 2014, p. 8 ; N. Ferrier et A.C. Martin, Aperçu rapide, JCP 2014, act. 376 ; F. G'Sell, JCP 2014. Doctr. 597, n° 3 ; Quand les avocats font leur publicité, Enquête par A. Coignac, JCP 2015. 970. (17) Décr. n° 2014-125, F. G'Sell, Publicité des avocats : le décret du 28 octobre 2014 est-il compatible avec la directive Services ?, Procédures 2015. Alerte 1 ; S. Bortoluzzi, JCP 2015. Doctr. 673, n° 9. (18) Les avocats, entre ordre professionnel et ordre marchand, Rapp. préc., éd. Lextenso, p. 152. (19) A. Bolze, JCP 2015. Doctr. 673, n° 17. (20) H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz Action 2013-2014, n° 46-01 s. (21) V. en ce sens, V. Lasbordes, Libres propos sur la fixation des honoraires de l'avocat : de l'utilité de la convention préalable d'honoraires, D. 2001. Chron. 1893, n° 1 . (22) L. n° 2015-990 du 6 août 2015, JO 7 août p. 13537. (23) G. Haas, La convention d'honoraires renforce le lien de confiance entre l'avocat et son client, D. avocats, 2015. 79 . (24) Le cabinet Coll. a reçu le prix de l'Innovation, catégorie relations-clients, décerné par le Village de la justice le 14 avril dernier. V. F. Creux-Thomas, Cabinet à tous prix, JCP 2015. 643.

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Livre blanc | Profession d’avocat : actualité 2015

Le droit de la consommation toujours plus applicable aux avocats ? Dalloz avocats - Exercer et entreprendre, 2015, p. 320-321

L'essentiel L'ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation, qui détermine les règles directrices régissant « la médiation des litiges de la consommation », semble bien, en l'absence de restriction explicite, devoir s'appliquer aux activités de l'avocat.

Aussi L'ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015, qui crée un titre V au sein du livre Ier du code de la consommation, a un champ d'application très vaste. On ne peut a priori en exclure les avocats qui sont des professionnels libéraux visés par le texte(1) et parce que leurs activités ne sont pas au nombre de celles qui sont exclues du champ d'application du texte(2). Seule restriction : il faut qu'il s'agisse d'un litige de consommation qui oppose ces avocats à un consommateur dont le texte ne donne d'ailleurs pas la définition, mais que l'on peut peut-être déduire a contrario de celle du professionnel. De façon générale, le texte détermine les règles directrices régissant « la médiation des litiges de la consommation », selon l'intitulé même de ce nouveau titre V, les modalités selon lesquelles le processus de médiation est mis en œuvre devant être par la suite précisées par un décret en Conseil d'État(3).

En l'occurrence, l'ordonnance confère au consommateur « le droit de recourir gratuitement à un médiateur de la consommation en vue de la résolution amiable du litige qui l'oppose à un professionnel » et enjoint à cet effet au professionnel l'obligation de lui garantir un « recours effectif à un dispositif de médiation de la consommation »(4). De façon générale, le nouveau dispositif est particulièrement disert sur le statut du médiateur et les obligations mises à sa charge(5) et les attributions et moyens de la nouvelle « commission d'évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation »(6) chargée de contrôler l'ensemble du dispositif qui ne devrait pas manquer d'être complexe compte tenu du champ d'application très vaste du texte et des obligations nombreuses mises à la charge des professionnels.

Nouvelle manifestation d'une économie qui ne cesse d'être administrée sous le nom plus moderne d'économie régulée, ce nouveau dispositif n'a manifestement pas été imaginé en référence au mode spécifique de régulation des relations entre clients et avocats. Aucun visa de l'ordonnance ne reprend d'ailleurs les textes relatifs à la profession et ses articles 2 et 3 n'en modifient pas le contenu. De manière plus spécifique, on peut se demander comment le nouveau dispositif se combinera avec celui des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 censés régir à titre exclusif les contestations sur le montant et le recouvrement des honoraires des avocats. Au premier regard, il semble que les deux textes s'appliqueront de manière parallèle, voire concomitante, ne serait-ce que parce que leur objet n'est pas le même : le client pourra saisir le bâtonnier s'il veut obtenir une décision rendue le cas échéant exécutoire ; il aura dans le même temps la faculté de saisir le médiateur de la consommation qui pourra tenter de mettre d'accord les litigants sur l'issue de leur litige.

Toujours au premier regard, on peut penser que ce n'est pas chaque cabinet qui sera tenu de nommer un médiateur de la consommation. L'article L. 152-1, alinéa 2, du code de la consommation offre une alternative en précisant que le professionnel peut mettre en place son propre dispositif « ou » proposer au consommateur de recourir à un autre médiateur à la condition que ce dernier réponde aux exigences propres à la médiation des litiges de la consommation. Quelques indices laissent penser que cet autre médiateur peut être mis en place par la profession elle-même. D'une part, immédiatement après avoir mentionné cette alternative, le texte envisage l'existence éventuelle d'un médiateur » dont la compétence s'étend à l'ensemble des entreprises d'un domaine d'activité économique » dont le professionnel relève, médiateur qui, s'il existe, pourra toujours être saisi par les consommateurs(7). D'autre part, au titre des mesures propres à garantir son indépendance, le texte envisage le cas où le médiateur serait « employé ou rémunéré exclusivement par un organisme ou une fédération professionnelle »(8)

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On peut donc imaginer que la charge de nommer un médiateur de la consommation et d'organiser le mécanisme de médiation revienne au Conseil national des barreaux dont la compétence s'étend à l'ensemble des avocats, autrement dit à l'ensemble de leur domaine d'activité, pour reprendre les termes de l'article L. 152-1, alinéa 3, précité, plus certainement qu'aux différents barreaux qui ne régissent qu'une partie d'entre ces avocats. Compte tenu de la lourdeur

du mécanisme, le souci de rationalisation économique plaide d'ailleurs en ce sens. Pour autant, la tâche ne sera pas simple. Un seul exemple : le texte mentionne l'existence d'un médiateur de la consommation qui peut être une personne physique ou morale(9). Compte tenu du nombre de litiges à venir, qui ne concerneront évidemment pas que les honoraires, mais le cas échéant la responsabilité des avocats à des titres divers, on peut imaginer que les instances représentatives de la profession ne s'en tiendront pas à un seul médiateur personne physique et se tourneront plutôt vers la création d'une personne morale. Restera alors à savoir si les exigences des articles L. 153-1 à 3 du code de la consommation s'appliqueront à cette seule personne morale ou aux personnes physiques qui concourront à son fonctionnement, alors que ces dernières n'auront pas le statut de médiateur puisqu'il sera réservé à la seule personne morale.

En l'état, il est néanmoins encore trop tôt pour augurer du destin concret de ce texte en l'absence de décret d'application sur le processus de médiation. Néanmoins, la profession doit certainement s'emparer de cette question pour commencer à la régler. Ce faisant, elle sera de plus en plus soumise à une logique professionnelle qui l'excluait des règles du marché, ce qui lui fera perdre encore un peu plus de sa spécificité parmi les agents économiques.

Christophe Jamin, Agrégé de droit privé et sciences criminelles, directeur de l'École de droit de Sciences Po

Mots clés : CLIENTS * Droit de la consommation * Application

Notes : (1) C. consom., art. L. 151-1 a. (2) C. consom., art. L. 151-4. (3) C. consom., art. L. 152-1, al. 4. (4) C. consom., art. L. 152-1. (5) C. consom., art. L. 153-1 à L. 154-2.

(6) C. consom, art. L. 155-1 à 155-6. (7) C. consom., art. L. 152-1, al. 3. (8) C. consom., art. L. 153-3. (9) C. consom., art. L. 151-1 g.

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Livre blanc | Profession d’avocat : actualité 2015

L'exercice en société des professions libérales - essentiellement juridiques - dans la loi Macron(1) Revue des sociétés 2015, p.638-645

L'essentiel La loi Macron du 6 août 2015 a eu l'ambition de libéraliser en profondeur le droit des sociétés dont l'objet est d'exercer une ou plusieurs professions libérales, ainsi que les règles de détention de leur capital. L'objectif ne semble guère atteint. En dehors de l'ouverture de l'exercice professionnel à des formes sociales auparavant interdites, la loi du 6 août 2015 maintient des règles contraignantes en ce qui concerne la détention du capital et des votes dans les sociétés d'exercice, et exige le respect de ces mêmes règles par les sociétés (françaises ou établies dans l'espace européen) qui seront associées des sociétés d'exercice. Finalement, seules les SPFPL du droit français peuvent effectivement jouer le rôle de holdings. De surcroît, de très nombreux décrets sont attendus. Le visage du droit français de l'exercice des professions libérales n'est pas encore définitivement figé. 1. L'exercice à titre individuel des professions libérales reflue chaque jour davantage. Les qualités individuelles s'estompent derrière les marques et les firmes, ou derrière les réseaux. Ce n'est pas à dire que tout sera en société, ou que tout sera collectif. La qualité des prestations et l'exigence d'indépendance demeurent des vertus personnelles. Dans un contexte qui devient chaque jour plus international, le législateur français ne pouvait éternellement freiner les évolutions inéluctables. Le droit français évolue cependant à pas comptés, avec l'objectif final de donner aux professionnels français le cadre économique national et international qui leur fait encore défaut, au moins au niveau européen. Un des arguments en faveur de l'évolution législative a été de rendre plus attractif le territoire national, pour favoriser l'arrivée de nouveaux entrants en provenance des autres pays de l'Union européenne. Mais le secteur économique demeure très sensible. On comprend ainsi la prudence de la loi Macron qui reste fidèle à la méthode douce qu'a toujours privilégiée le législateur français.

Avant même de parler de la loi, il faut dire un mot du rôle éminent qui sera celui du décret. La plupart des textes législatifs issus de la loi Macron devront faire l'objet de décrets, dont la publication est envisagée pour la fin de l'année 2015. Ces décrets devront déterminer les « conditions d'application » des nouveaux textes législatifs, dans le respect notamment des règles déontologiques applicables à chaque profession. On peut présager de longues soirées de lobbying auprès des cabinets ministériels impliqués. Le visage définitif du droit positif ne sera peut-être pas tout à fait celui qu'on comprend à la seule lecture de la loi.

L'essentiel des dispositions législatives nouvelles ne touche que les professions juridiques ou judiciaires que sont celles d'huissier, de notaire, de commissaire-priseur, d'avocat au barreau ou « aux conseils », d'administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire. Pour ces professions, il s'est agi à la fois d'ouvrir l'éventail des formes sociales d'exercice, de modifier le régime des SEL et de ces sortes de holdings que sont les SPFPL (mono-professionnelles et pluridisciplinaires), et de faciliter l'exercice en commun de ces professions du droit. Derrière cette évolution se profile déjà une réelle pluridisciplinarité, englobant les professionnels du droit et ceux du chiffre. Il faudra pour cela attendre une future ordonnance prévue par la loi Macron. A nouveau, le législateur passe le relais au pouvoir réglementaire.

Les professionnels de santé sont traditionnellement traités de façon spécifique. Pour eux, la loi Macron s'est contentée de modifier le régime des SEL. Les SEL de professionnels de santé connaissent déjà des règles particulières. Par exemple, dans le secteur sensible des laboratoires de biologie médicale, l'ordonnance n° 2010-49 du 13 janvier 2010 et la loi de ratification n° 2013-442 du 30 mai 2013 avait déjà retouché le droit de l'exercice en société de ces professionnels, en insérant des dérogations au droit commun des SEL contenu dans la loi du 31 décembre 1990. Les professions de santé peuvent, de leur côté, se regrouper dans des réseaux ou des structures qui n'ont pas d'équivalent dans les autres secteurs économiques (v. les maisons et pôles de santé pluri-professionnelles ou les réseaux de santé ; v. par ex. les art. 6223-1 s. CSP). Finalement, la loi Macron ne concerne très directement que le secteur des activités juridiques ou judiciaires.

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2. On peut regretter cet émiettement de la législation relative aux professions libérales. Les contraintes sont-elles si différentes d'une profession à l'autre, ou d'un secteur économique à l'autre ? Ne retrouve-t-on pas partout l'opposition sourde entre ceux qui désirent l'ouverture et la constitution de véritables groupes, et ceux qui défendent l'individualisme ou le mono-professionnalisme au nom de la qualité des prestations et de l'indépendance des prestataires ? Le législateur français peine à trouver l'équilibre. La loi Macron est de ce point de vue un nouveau tâtonnement.

3. La lecture des articles 63 à 68 de cette loi ne dévoile en tout cas pas au premier regard l'amplitude de la réforme intervenue. Tout est ici affaire de spécialistes, et les mots ne sont signifiants que pour les professionnels eux-mêmes, et encore à la condition qu'ils maîtrisent le droit des sociétés d'exercice en commun. Ainsi, les règles de détention du capital, de majorité, de gouvernance sociale semblent absconses. Elles nécessitent à coup sûr d'être éclairées par l'histoire et par la perspective. De ce point de vue, la loi Macron traduit un double mouvement. Un mouvement en faveur de la liberté, d'abord, par la possibilité désormais reconnue de choisir librement parmi la plupart des formes sociétaires qu'offre le droit français (I). Mais ce mouvement est aussitôt contrebalancé. Les contraintes qui figuraient jusqu'à présent dans le droit des SEL sont étendues. Elles s'appliquent désormais dans toutes les formes sociales possibles, avec, il est vrai, quelques aménagements. Au fond, se pose la question fondamentale de savoir si la loi Macron a été aussi libérale qu'on a pu le dire (II). Enfin, la pluridisciplinarité se profile aujourd'hui clairement, mais, comme toujours, en demi-teinte (III).

I. Un choix plus libre entre les formes sociales 4. Il ne s'agit ici que des professions juridiques ou judiciaires. Les professionnels de santé sont, on le rappelle, maintenus à l'écart car ils relèvent de dispositions spécifiques(2). Pour les professions du droit, il faut distinguer les sociétés de premier rang, ou sociétés d'exercice professionnel (A), des sociétés holdings ou de contrôle (B).

A. Les sociétés d'exercice

5. Les trois ordonnances du 2 novembre 1945 relatives à ces officiers ministériels que sont les huissiers, les notaires, et les commissaires-priseurs, la loi du 10 septembre 1817 relative aux avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, et celle du 31 décembre 1971 relative à la profession d'avocats, puis, enfin, les articles L. 811-7 et L. 812-5 du code de commerce pour les administrateurs et mandataires judiciaires, ont tous été remaniés dans le même sens.

6. La liste des formes sociales d'exercice qu'il est possible de choisir s'ouvre considérablement. Tous ces professionnels peuvent désormais exercer en société ou en groupements, à la seule condition que la personne morale ne leur confère pas la qualité de commerçant. Le principe nouveau est donc « tout sauf commerçant ». En dehors de la SNC et de la SCS, l'éventail est large (les SCP de la loi du 29 novembre 1966 n'ont pas été touchées par la réforme). Le choix ne semble pas ouvert en faveur de la SCA, car les commandités ont la qualité de commerçants(3), et il n'y a pas dans la loi Macron de dérogation générale pour les commandités comme il y en a une pour les SEL (la loi nouvelle est en effet silencieuse sur la qualité de professionnels exerçants ou non que doivent avoir les commandités, qui sont commerçants, et ce silence renvoie au droit commun de ces sociétés). La loi n'impose de surcroît qu'un seul de ces professionnels au sein des conseils d'administration ou de surveillance (rien n'est dit pour les SAS ; cela sera-t-il réglé par les décrets attendus fin 2015 ?).

7. Auparavant, la loi énumérait les formes sociales. Le simple fait de procéder de façon limitative dévoilait les réticences du législateur. Certes, parmi les formes sociales les plus couramment permises figurait la SEL de la loi du 31 décembre 1990. Cette loi dispose depuis l'origine, en son article 1er, que la SEL « peut » être constituée. L'emploi du mot « peut » donnait l'illusion que d'autres formes sociales pouvaient être choisies. L'impression de liberté était en outre confortée par l'affirmation que la SEL pouvait (et peut toujours) revêtir la forme de la SA, de la SARL, ou de la SCA (dans les SEL, les associés commandités des SCA n'ont pas la qualité de commerçants, grâce à la dérogation expresse qui figure à l'art. 13 de la loi du 31 déc. 1990 relative aux SEL). Toutefois, l'impression de liberté était un leurre. Les textes spéciaux, profession par profession, énuméraient les seules formes sociales admissibles. Nulle part il n'était question des sociétés de droit commun. De plus, le régime des SEL était bien éloigné de celui de la forme sociale dont elle empruntait le manteau. La loi du 31 décembre 1990 était très contraignante en ce qui concerne la détention du capital et des droits de vote, ou en ce qui concerne la gouvernance(4).

Avec la loi Macron, l'article 1er de la loi du 31 décembre 1990 change de signification. Il devient conforme à sa lettre : le mot « peut » prend tout son sens. La SEL devient une possibilité parmi d'autres. Les SA, SAS, SARL, deviennent donc possibles (puisque leurs associés ne sont pas commerçants), à côté des sociétés civiles, ou des SEL (pour les SCP, la question se pose plus simplement, parce que ces sociétés ne peuvent comprendre comme associés que des professionnels). En clair, les formes de SEL auparavant dédiées à l'exercice des professions libérales deviennent simplement optionnelles, et l'on peut augurer qu'elles deviendront un jour minoritaires. Mais le législateur a aussitôt tempéré les conséquences de cette apparente liberté en transposant (certes avec quelques aménagements) les principales règles jusque-là applicables aux SEL. En effet, dans les sociétés d'exercice, le capital et les droits de vote doivent être détenus par des personnes exerçant une profession juridique ou judiciaire, française ou établie dans un État membre de l'UE, de l'EEE, ou en Suisse. De plus, si l'associé personne morale exerçant la profession est une personne morale, celle-ci doit satisfaire aux conditions propres au capital et aux droits de vote prévues pour les SEL(5). C'est en réalité une boucle juridique, car le droit spécial des SEL devient par ce détour obligatoire les associés personnes morales des sociétés d'exercice. En outre, les règles contraignantes s'adressent aux dirigeants des sociétés d'exercice : présence de l'un des professionnels exerçant au sein de la société parmi les associés, et dans les conseils (quid si la société ne comprend pas de conseils ; attendons les décrets). On le constate une fois de plus, le

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droit français des professions libérales avance toujours avec des mouvements de balancier. L'ouverture à des formes nouvelles (tout sauf commerçant) s'accompagne d'une généralisation des contraintes en capital et droits de vote.

8. Toutefois, la loi Macron crée malgré tout une sorte de tronc commun. Les mêmes formes sociales sont offertes aux différentes professions juridiques ou judiciaires. Ce tronc commun reprend les variantes quelque peu marginales qui existaient déjà selon les professions. Ainsi, par exemple, les huissiers, officiers ministériels, peuvent toujours constituer entre eux des associations de la loi de 1901 et des syndicats professionnels ; les notaires comme les administrateurs judiciaires ou les mandataires judiciaires continuent de pouvoir créer des GIE ou des GEIE, et les avocats peuvent toujours créer des GIE, des GEIE, ou des AARPI (les SCP sont toujours possibles).

9. Si le choix entre les formes sociales s'ouvre, la question du passage de l'une à l'autre se pose nécessairement. On aborde la question de la transformation. Pourtant, les différents articles ouvrant les possibilités de choix entre les formes sociales sont silencieux sur les transformations de SEL ou de SCP en SA, par exemple. Aucun texte n'interdisait dans le droit antérieur les transformations des SCP ou SEL en sociétés susceptibles d'avoir pour objet l'exercice en commun des professions libérales. Mais on estimait cependant que la transformation des SCP en sociétés de droit commun (SA, par ex.) bouleversait le pacte social, et qu'elle nécessitait pour cela un vote unanime, à supposer que la transformation soit possible (ce qui n'était même pas le cas, puisque les sociétés de droit commun étaient exclues(6)). Cet obstacle a disparu avec la loi Macron, non seulement en raison de la possibilité légale de choisir des formes de droit commun, mais surtout parce que le choix de la SA (par ex.) obligera à respecter les nouvelles règles de composition du capital ou de répartition des droits de vote(7). Le pacte social ne sera donc pas complètement bouleversé. Mais il faudra toujours tenir compte des lois spéciales(8), et de l'obligation de satisfaire aux règles impératives applicables à la forme nouvellement choisie, étant observé de surcroît que la transformation en association est impossible(9).

10. Mais la loi ne dit pas tout. L'ensemble des textes législatifs contenus dans la loi Macron relatifs à l'exercice en société des professions libérales renvoient à des décrets dont la publication est annoncée pour la fin de l'année 2015. Ces décrets devront déterminer les « conditions d'application » des articles qui posent le principe d'exercice en société. Bien entendu, les décrets devront régler les conditions d'inscription ou d'omission des sociétés par les autorités professionnelles.

Une interrogation naît à ce propos, que l'adverbe « notamment » le signale. Les articles législatifs prévoient ainsi, par exemple, que le capital ou les organes de direction ou de surveillance doivent comprendre « au moins » un professionnel. Les décrets pourraient-ils alors en exiger plus d'un ? On voit tout de suite que cela posera des difficultés dans les sociétés où il peut n'y avoir que très peu d'actionnaires. On doit toutefois relever ici que, si ces formes sociales que sont la SARL, la SA (« simplifiée » de l'ordonnance n° 2015-1127 du 10 sept. 2015), ou la SAS peuvent, en droit commun, ne comporter que deux associés, l'ordonnance n° 2015-1127 a maintenu le nombre de trois associés prévu par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1990 relatif aux SEL. En bref, l'autorité réglementaire aura une grande liberté de décision. On peut craindre dès lors le retour de l'émiettement du droit, sur fond de lobbying (10).

B. De nouvelles fausses holdings d'exercice

11. Toutes les sociétés d'exercice (SA, SAS, SEL...) peuvent comprendre parmi leurs associés des personnes morales, françaises ou légalement établies dans l'UE, dans l'EEE ou en Suisse. Cela semble une innovation voulue par les rédacteurs de la loi. La France semble ici vouloir s'ouvrir au marché européen. Encore faut-il regarder comment cet objectif a été atteint. Les sociétés d'exercice permises depuis la loi Macron peuvent comprendre, parmi leurs associés, des personnes physiques ou morales « exerçant » une profession juridique ou judiciaire, mais, on le souligne à nouveau, ces sociétés associées des sociétés françaises d'exercice devront satisfaire aux conditions de détention du capital et des votes requises pour les SEL. Le droit spécial des SEL revient donc comme un boomerang. Certes, avec la loi Macron, on pourra voir apparaître plus qu'avant des chaînes de sociétés d'exercice. Cela permettra en fait de constituer des groupes de sociétés d'exercice. En effet, la condition d'exercice exclut la détention du capital des sociétés d'exercice françaises par des sociétés (françaises ou européennes) qui n'exercent pas l'activité professionnelle en cause. Cela interdit donc les holdings financières. Ce sont donc les règles françaises relatives aux SEL qui vont décider de la possibilité pour une société réglementée dont le siège se trouvera dans l'UE, dans l'EEE, ou en Suisse, de participer à une société commerciale de droit commun et d'exercice française (société anonyme par exemple) exerçant une profession réglementée. Bel exemple d'extraterritorialité du droit français. Sans doute l'obstacle à la liberté d'établissement ou à la LPS européenne est sans doute plus limité qu'il n'y paraît. L'intérêt général de qualité des prestations et l'indépendance professionnelle pourront vraisemblablement être invoqués(11). Toutefois, le système mis en place en France n'est pas à l'abri de la critique, en raison de sa complexité, et en raison des cloisonnements de marché qu'elle induit inéluctablement.

12. La seule forme de holding prévue demeure celle de SPFPL des articles 31-1 et 31-2 de la loi du 31 décembre 1990(12).

13. Ces SPFPL qui peuvent depuis l'origine emprunter les formes de SA, de SAS, de SARL, de SCA, ont vu les règles relatives à leur capital et aux droits de vote assouplies et européanisées avec la nouvelle loi(13).

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II. Une généralisation des contraintes en capital, gouvernance, et droits de vote 14. C'est la contrepartie de l'ouverture du choix relatif aux formes sociales. Le législateur n'a pas attendu (en 2015) que le choix d'une SA ou d'une SAS puisse aboutir à une application brutale du droit des sociétés commerciales. Si tel avait été le cas, le droit (désormais spécial) des SEL serait devenu obsolète. Aussi le législateur a créé une boucle juridique afin de faire translater les règles de la SEL (aménagées pour l'occasion) dans le droit des personnes morales qui peuvent être associées des sociétés d'exercice.

Or, le droit spécial des SEL (contenu dans la loi du 31 déc. 1990) était depuis longtemps très contraignant. Les articles 5 et 6 de la loi du 31 décembre 1990 étaient décisifs. Ils le demeurent aujourd'hui, même s'ils ont été retouchés. La principale contrainte provient toujours du rôle réservé par le législateur aux professionnels « en exercice » au sein de la société, et aux professionnels « exerçant la profession en cause »(14). Cette distinction entre les « exerçants au sein de la société », les « exerçants la profession » en dehors de la société, et, enfin, les non exerçants, est capitale en l'occurrence. Des décrets pouvaient certes déroger aux règles légales(15), notamment en permettant, entre autre aux SPFPL, seules holdings prévues par le droit français, de détenir une part majoritaire dans le capital.

15. La loi Macron a donc été l'occasion d'une évolution du droit spécial des SEL, et, par ricochet, du droit spécial des SPFPL, afin de parvenir autant que possible à un régime de quasi-droit commun pour toutes les sociétés d'exercice (A), et pour les seules holdings admises par le droit français (B).

A. Un quasi-droit commun pour les sociétés d'exercice

16. Les sociétés admises avec la loi Macron à être des sociétés d'exercice sont soumises à des règles communes (1). Mais leur actionnariat doit être contrôlé. Ce point est essentiel, car l'indépendance professionnelle d'une société d'exercice dépend de son actionnariat. La situation des personnes physiques (exerçants dans la société ou non) soulève évidemment moins de difficultés que celle des personnes morales associées. Le contrôle par une personne morale d'une société d'exercice conduit à se pencher sur le contrôle indirect. La loi Macron a donc exigé des personnes morales associées des sociétés d'exercice qu'elles respectent les règles relatives aux SEL. Le droit des SEL devient ainsi le droit commun des personnes morales associées des sociétés d'exercice. Cela a entraîné logiquement une mise à niveau du droit des SEL, pour éviter de les marginaliser (2).

1. Le droit commun des sociétés nouvellement aptes à devenir des sociétés d'exercice des professions juridiques et judiciaires

17. La loi Macron a modifié en des termes identiques l'ensemble des textes relatifs aux professionnels du droit(16).

Lorsque la forme juridique d'exercice retenue est une société (SEL, SA, SAS, SARL, sauf les SCP qui ne sont pas touchées) le capital social et les droits de vote peuvent être détenus par des personnes physiques ou morales « exerçantes ». Il ne s'agit plus des « exerçants » dans la société. Cette condition d'exercice a été pluridisciplinarisée avec la loi Macron (le droit ancien des SEL exigeait l'exercice de la profession en cause ou de l'objet social de la SEL). La loi prévoit dorénavant que les sociétés d'exercice des professionnels du droit pourront avoir comme associés des personnes exerçant une profession juridique ou judiciaire (ainsi un avocat pourra être associé d'une société de notaires). Cela pose donc la question lancinante du contrôle des personnes morales qui deviendront associées de sociétés d'exercice de la profession en cause. Afin de régler la délicate question du contrôle indirect, la loi Macron a obligé les associés personnes morales des sociétés françaises d'exercice à respecter les règles très détaillées que connaît le droit français des SEL (loi du 31 déc. 1990). Pour l'occasion, ces règles ont été aménagées. Elles demeurent toujours extraordinairement compliquées. Cela a conduit d'une part une mise à niveau du droit des SEL, d'autre part, à placer des garde-fous en ce qui concerne les dirigeants(17), sans aborder la question du contenu du décret d'application qui devra intervenir pour tenir compte des règles déontologiques.

18. Les personnes exerçant une profession juridique ou judiciaire susceptibles d'être associées peuvent être françaises ou étrangères. C'était une des difficultés majeures à laquelle a été confronté le législateur. L'ouverture internationale est une réalité (tout au moins dans la profession d'avocat(18)). Il n'était plus possible d'ignorer la construction du marché unique européen des services, avec, notamment, la directive Services n° 2006/123 du 12 décembre 2006, qui fait entrer l'activité juridique dans son champ d'application, et qui régit aussi le droit d'accéder au capital, distinct du droit d'accéder à l'exercice d'une profession. Aussi, les textes issus de la loi Macron permettent l'entrée au capital des sociétés d'exercice des personnes qui exercent en France, dans l'UE, l'EEE, ou en Suisse (pour cette dernière, il s'agit des accords du 21 juin 1999 sur la libre circulation des personnes, tel qu'il a été modifié), l'une quelconque des professions juridiques ou judiciaires, à la condition que, dans l'État d'origine, l'exercice de ces professions soit soumise à un statut législatif ou réglementaire, ou subordonnée à la profession d'une qualification nationale ou internationale reconnue(19). Aucune faveur n'est en revanche accordée aux ressortissants des pays tiers.

Ces personnes susceptibles d'être associées peuvent être des personnes physiques ou morales. Ici, la loi Macron a réintroduit le droit spécial français des SEL en l'amendant quelque peu. Les personnes morales européennes (UE, EEE, et Suisse) qui désirent être associées des sociétés d'exercice françaises nouvelle manière, devront satisfaire aux exigences de détention du capital et des droits de vote prévues par loi du 31 décembre 1990. Cela aboutit à neutraliser les éventuels contrôlaires capitalistiques ou financiers des sociétés d'exercice établies en Europe, qui désireraient devenir associées des sociétés d'exercice françaises (par ex. si la société établie dans l'UE, l'EEE, ou en Suisse, est financièrement contrôlée par un fonds de pension). En clair, lorsqu'une société dont le siège est dans un autre État membre de l'UE désire devenir associée d'une société d'exercice française, la répartition de son capital et des votes devra être conforme au droit français. Cela peut surprendre. On peut légitimement se demander si un tel système est

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conforme au droit européen, et notamment à la directive n° 2006/123. Sans doute cette règle est claire et précise, ce qui répond à une des premières exigences de la directive (mais les conditions d'inscription qui seront fixées par décret devront l'être aussi, comme devront l'être les exigences des autorités compétentes ; une attestation de l'ordre d'origine doit suffire). La directive n'exige pas, en outre, de résidence en France pour exercer les professions du droit. Les exigences en capital, ou qui tiennent à la forme sociale sont évidemment au centre du dispositif français. Elles constituent l'essentiel du régime des SEL ; elles doivent cependant, en application de la directive n° 2006/123, être évaluées par les États membres et notifiées à la Commission(20). L'objectif est de déterminer si elles répondent à une raison impérieuse d'intérêt général de façon objective et proportionnée. Les exigences de qualité des prestations, et surtout d'indépendance des professionnels devraient a priori justifier un système de la nature de celui qui est mis en place. Mais la complexité et l'intelligibilité du système français - et peut-être son objectif discriminatoire inavoué - peuvent susciter des hésitations.

2. Le nouveau droit commun des SEL et des sociétés associées des sociétés d'exercice

19. Bien sûr, les SEL peuvent continuer leur existence autonome. Les modifications intervenues les concernent au premier chef. Mais il a fallu retoucher le droit des SEL, puisqu'il est devenu, en ce qui concerne le contrôle, le droit commun français que doivent respecter les sociétés qui désirent devenir associées d'une société d'exercice française, dont l'objet social sera d'exercer les professions d'huissier, de notaire, d'avocat, et d'administrateur ou de mandataire judiciaire.

20. La détention du capital et des votes a certainement été au centre des préoccupations du législateur (a), mais la loi Macron touche aussi au statut des dirigeants (b).

a. La détention du capital et des droits de vote

21. La loi Macron touche aux articles les plus complexes et les plus sensibles de la loi du 31 décembre 1990, que sont ses articles 5, 5-1 et 6.

22. Ces articles, on le rappelle, reposent sur la distinction fondamentale entre trois catégories de personnes : ceux qui exercent la profession au sein de la société, ceux qui l'exercent en dehors de la société, et ceux qui ne l'exercent pas. La lecture de ces textes est passablement complexe. Ces articles contiennent aussi des règles distinctes relatives à deux fractions de capital et des droits de vote, que sont, d'une part, la fraction qui représente « plus de la moitié du capital », et, d'autre part, la fraction minoritaire appelée « complément » (qui correspond donc à moins de la moitié du capital et des droits de vote). À partir de ces deux grandes distinctions, on tentera d'y voir clair, parce que la loi contient de multiples dérogations aux principes qu'elle pose, et que ces dérogations jouent en chaîne.

1° La fraction majoritaire du capital des SEL

23. Il faut partir de la composition de la fraction qui représente « plus de la moitié du capital et des droits de vote » des SEL(21). Il s'agit du contrôle majoritaire, puisqu'une double majorité est exigée, en capital et en votes. Cette double majorité doit être détenue, soit directement par des professionnels en exercice au sein de la société (si tel est le cas, la société sera vraiment entre les mains des professionnels), soit par l'intermédiaire de deux types de sociétés seulement (le contrôle peut donc ne pas être entre les mains des professionnels « en exercice » au sein de la société). Les sociétés ici admises sont, soit les sociétés constituées en application de l'article 220 quater A du CGI (sociétés constituées pour le rachat d'une entreprise au moins 50 % par les salariés, à condition qu'il s'agisse de professionnels en exercice au sein de la société), soit par une SPFPL (dans ces SPFPL, plus de la moitié du capital doit être détenu par des personnes exerçant la profession, même en dehors de la société d'exercice(22)).

24. Le droit de la fraction qui représente « plus de la moitié du capital et des droits de vote » serait simple s'il n'y avait pas de dérogations. Celles-ci sont exposées à l'article 6. Les premières dérogations concernent les professions autres que les professions de santé. Sont ici principalement visées les professions du droit. Pour celles-ci(23), peuvent participer à la fraction de « plus de la moitié du capital et des droits de vote », des personnes établies en France exerçant la profession qui constitue l'objet social de la SEL, des personnes établies dans un État européen (UE, EEE, ou Suisse) exerçant une activité réglementée dont l'exercice constitue l'objet de la SEL(24), ou des SPFPL (qui doivent elles aussi respecter des règles très précises de composition du capital).

Mais, pour les professions juridiques ou judiciaires(25), une dérogation supplémentaire est possible au profit des sociétés établies dans l'UE, l'EEE, ou la Suisse, qui exercent l'une quelconque de ces professions (mais ces sociétés étrangères doivent toujours respecter les règles de détention du capital et des votes propres aux SEL).

Pour les professions de santé(26), la dérogation unique joue uniquement au profit des Européens susmentionnés(27) ou SPFPL.

25. Le législateur ne s'est pas arrêté en si bon chemin ! Il a posé des interdictions d'appartenir à la fraction majoritaire du capital et des votes. Pour les SPFPL mono-disciplinaires, la participation à la majorité en capital et en vote suppose que la même majorité au sein de la SPFPL soit détenue par des personnes qui exercent la même profession que celle (au singulier) exercée par la société dont les parts ou actions sont détenues, ou que la SEL(28). Les règles relatives aux SPFPL pluridisciplinaires sont évidemment plus souples, et se contentent de l'exercice de l'une des professions exercées par les sociétés détenues(29).

26. Une fois clarifiées les règles relatives à la détention de la majorité, il faut passer à celles qui concernent le « complément ».

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2° La fraction minoritaire du capital des SEL

27. Le « complément » est organisé à l'article 5-I-B de la loi du 31 décembre 1990 (il s'agit de la fraction qui constitue moins de la moitié du capital et des votes). Celui-ci peut être détenu par plusieurs catégories de personnes : i) celles qui exercent la profession qui constitue l'objet social de la SEL, mais en dehors de la SEL ; ii) les anciens exerçants dans la société pendant dix ans, iii) les ayant droits des deux personnes figurant dans les premières catégories pendant les cinq ans qui suivent le décès, iv) les sociétés constituées pour racheter une entreprise si leurs membres sont exerçants dans la société, v) les SPFPL, vi) les personnes physiques ou morales exerçant des professions juridiques ou judiciaires, ou de santé, ou l'une quelconque des professions libérales, selon l'objet social de la société, vii) toute personne physique et morale établie dans l'UE, l'EEE, ou la Suisse, exerçant une activité réglementée, et répondant elle-même aux exigences de détention du capital et des votes prévues par la loi.

28. Mais il y a bien sûr des dérogations prévues à l'article 6-III. Ces dérogations ne concernent pas les professions juridiques ou judiciaires(30). Peuvent alors entrer dans la fraction minoritaire en capital et votes des SEL des personnes qui seront mentionnées dans les décrets à venir (pour les professions de santé, cette part est fixée à 25 % au maximum).

29. Et, pour tenir compte des « nécessités propres à chaque profession », sauf toujours pour les professions juridiques et judiciaires, et « dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement de la profession, de l'indépendance de ses membres ou de la déontologie », des décrets pourront i) supprimer la dérogation contenue à l'article 5.I.1° et 2° au profit des personnes établies en France ou en Europe et qui exercent la profession qui constitue l'objet social de la SEL ou l'objet social de la SPFPL, ii) limiter, pour les professions de santé, le nombre de sociétés dans lesquelles un même professionnel ou une même SPFPL peuvent être associés directement ou indirectement, iii) limiter le nombre de sociétés dans lesquelles des SEL ou des SPFPL peut être associée directement ou indirectement, iv) interdire ces participations à certaines personnes.

On demeure une fois encore pantois devant une telle législation, et devant le nombre de renvois au décret. On en vient à se demander si la complexité d'une loi ne pourrait pas, à elle seule, être une entrave à la liberté de circulation des personnes, des services, et des capitaux en Europe.

30. Afin que les règles de contrôle ne puissent pas être contournées, la loi prévoit la forme nominative pour les actions, et interdit le vote double au profit des associés qui sont des sociétés détenues par des professionnels non exerçants au sein de la société. Lorsque des droits de votes doubles peuvent être accordés, ils doivent l'être à tous les exerçants au sein de la société. Le transfert des actions fait perdre le vote double (mais le vote double est possible dans le secteur de la santé pour les détenteurs de la fraction majoritaire du capital et des votes, art. 8, L. 31 déc. 1990). De même, les actions à dividendes prioritaires ne sont pas admises.

31. Et ce n'est pas tout ! D'autres dispositions mériteraient qu'on s'y attarde. Mais il faut renoncer à l'exhaustivité à moins de vouloir perdre définitivement le lecteur.

b. Les dirigeants

32. Il faut ici distinguer la situation dans les sociétés qui peuvent désormais exercer les professions en cause, de la situation qui doit prévaloir dans les sociétés associées de ces sociétés d'exercice.

33. Dans les sociétés d'exercice désormais habiles à exercer les professions en cause, la loi Macron précise de façon systématique que « au moins un membre de la profession exerçant au sein de la société » doit être membre du Conseil d'administration ou de surveillance. Mais il n'y a pas de tels conseils dans les SARL, et leur création n'est pas imposée dans les SAS. Le décret devrait pallier ce vide(31).

34. Mais dans les SEL, la proportion d'exerçants au sein de la société est considérablement augmentée et cela influe sur les dirigeants. Doivent toujours être exerçants au sein de la société les dirigeants opérationnels (présidents et D.G.), et la proportion de ces exerçants doit atteindre les deux tiers dans les conseils(32). De surcroît, les dispositions du droit des SA relatives aux rémunérations des dirigeants et aux conventions réglementées ne sont pas applicables, et les délibérations relatives aux conventions réglementées ne doivent être adoptées que par les exerçants au sein de la société si ces conventions touchent aux conditions de leur exercice professionnel. Ces dispositions ne sont pas applicables si la majorité du capital et des votes de la SEL est détenue par une des sociétés établie dans un État européen (art. 12). De surcroît, des dispositions spéciales visent les SEL qui ont la forme de SCA (art. 13).

35. En ce qui concerne les sociétés qui deviendraient associées des sociétés d'exercice, les dispositions issues de la loi Macron sont libérales. Aucune règle légale n'oblige ces sociétés à avoir une direction composée de professionnels exerçants. Les dispositions légales n'obligent ces sociétés qu'à satisfaire aux « exigences de détention du capital et des droits de vote prévues par la loi du 31 décembre 1990 ».

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B. Le nouveau droit commun des holdings et des sociétés de participation

36. La loi Macron avait pour ambition de faciliter les regroupements, notamment au niveau européen, et de donner les moyens matériels et financiers aux professionnels français. Mais le législateur français est ici demeuré sur la réserve.

37. Le droit français connaît, depuis la loi du 11 décembre 2001, deux formes de SPFPL, les SPFPL mono-professionnelles de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 (1), et les SPFPL pluri-professionnelles de son article 31-2. Ces dernières avaient fait en particulier l'objet d'une première réforme d'envergure avec la loi du 28 mars 2011(33) (2).

1. Les SPFPL mono-professionnelles ou mono-secteurs

38. Dans une perspective européenne peu discutable, la loi Macron a, on le rappelle, facilité la prise de contrôle des sociétés d'exercice françaises par des sociétés d'exercice européennes, à la condition que, dans leur État d'origine, celles-ci satisfassent aux conditions posées par le droit français en matière de capital et de votes(34).

Mais elle a aussi facilité le développement des SPFPL mono-professionnelles. Ces sociétés ont un objet limité à la détention de titres de sociétés d'exercice d'une même profession, en France et hors de France(35) (a).

Bien plus, mais toujours à propos des professions juridiques ou judiciaires, la loi Macron a créé une sorte de mono-disciplinarité élargie, certes limitée au niveau de l'actionnariat, qui peut désormais être étendu à toute personne exerçant dans le vaste secteur juridique et judiciaire. Il s'agit des sociétés pluri-professionnelles de l'article 31-2 de la loi du 31 décembre 1990 (b).

a. L'élargissement de l'objet des SPFPL

39. La loi Macron a élargi l'objet légal des SPFPL. Elles peuvent d'abord détenir des parts ou actions des sociétés autres que les SEL, qui sont désormais susceptibles d'être des sociétés d'exercice. Cela est la conséquence logique de la réforme intervenue(36). Elles peuvent ensuite exercer, en sus de la détention de parts ou d'actions dans les sociétés d'exercice, « toute activité », sous réserve qu'elle soit « destinée exclusivement » aux sociétés dans lesquelles elles détiennent des participations. L'exigence d'un lien « accessoire » et d'une « activité », en « relation directe avec l'objet de ces dernières sociétés », disparaît. Cela peut ouvrir un champ d'activité non négligeable aux SPFPL, qui se rapprochent en cela des coopératives.

40. Les associés des SPFPL peuvent désormais être des sociétés européennes (« personne morale reconnue soumise à un statut » [...], et « exerçant la profession »). Mais ces sociétés ne peuvent pas être des sociétés financières ou des holdings. Elles doivent respecter tant les règles relatives au capital et aux votes contenues dans la loi de 1990(37).

Au fond, l'accès au capital des sociétés d'exercice françaises suppose, soit d'être le fait d'une société d'exercice établie en Europe, soit d'être réalisé sur le sol français, dans une SPFPL, qui peut désormais avoir des associés exerçants eux aussi la même profession, mais établis en UE, EEE, ou en Suisse. Les chaînes de holdings financières sont donc empêchées.

41. On retrouve dans le droit des SPFPL la même différence de régime entre la fraction qui représente plus de la moitié du capital et des droits de vote, et la fraction minoritaire, appelée « complément ». La loi Macron a explicitement permis aux sociétés exerçantes constituées dans d'autres États européens de participer à la fraction majoritaire.

42. De plus, les dirigeants opérationnels (gérants, présidents, directeurs...) ainsi que les deux tiers des conseils doivent être des personnes exerçant la même profession que celle exercée par les sociétés détenues (ce qui a entraîné la suppression de l'ancien sixième alinéa de l'art. 31-1).

b. L'atténuation de la mono-disciplinarité

43. Un régime spécial de mono-disciplinarité élargie (ou de pluri-disciplinarité réduite) au niveau de l'actionnariat est mis en place pour les professions juridiques ou judiciaires(38). Le capital des SPFPL qui détiennent des parts ou actions de sociétés qui ont pour objet l'exercice d'une même profession juridique ou judiciaire peut être détenu par toute personne qui exerce une profession quelconque juridique ou judiciaire, y compris des personnes physiques ou morales établies dans l'UE, l'EEE, ou en Suisse. En ce cas, le tempérament est que les organes de contrôle de la SPFPL doivent comprendre au moins une personne qui exerce la même profession que celle exercée par les sociétés détenues.

44. Des réformes mineures sont relatives à la dénomination des SPFPL. Lorsque celles-ci contrôlent des sociétés qui ont pour objet l'exercice d'une même profession juridique ou judiciaire, leur dénomination doit mentionner l'objet social des sociétés dont les participations sont détenues(39).

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2. Les SPFPL pluri-professionnelles

45. L'ouverture à la multi-professionnalité a réellement débuté avec la loi du 28 mars 2011(40). Cette loi a fait l'objet d'un décret d'application n° 2014-354 du 19 mars 2014. Ce décret a défini les conditions d'inscription auprès des divers ordres ou autorités professionnels, et a posé le principe évident de la pluri-déontologie(41). La loi Macron a voulu favoriser plus encore cette pluri-disciplinarité. Elle a pour cela retouché l'article 31-2 de la loi du 31 décembre 1990 qui est relatif aux SPFPL qui détiennent des participations dans des sociétés qui ont pour objet l'exercice d'une ou plusieurs des professions d'avocat, de notaire, d'huissier, de commissaire-priseur, de mandataire judiciaire, d'expert-comptable, de commissaire aux comptes, ou de conseil en propriété industrielle, ou de tout groupement de droit étranger ayant pour objet l'exercice de l'une ou de plusieurs de ces professions. C'est en effet dans ces secteurs que la pluri-disciplinarité est à la fois la plus désirée et la plus redoutée(42).

D'abord, les règles relatives à la détention de la fraction majoritaire du capital et des droits de vote sont modifiées. Cette fraction majoritaire n'a plus à être détenue par ceux qui exercent dans les sociétés contrôlées. Cette fraction peut désormais être détenue par des personnes qui exercent la même profession (et non plus dans les sociétés détenues). Toutefois, si l'une des sociétés détenues exerce une profession juridique ou judiciaire, la fraction majoritaire peut aussi être détenue que par une personne physique ou morale admise à être majoritaire dans cette société(43).

Ensuite, l'ouverture au profit des groupements européens devient explicite, selon les modalités déjà décrites(44).

Enfin, les membres dirigeants (dirigeants opérationnels et membre des conseils) doivent, à concurrence d'au moins les deux tiers, être choisis parmi des personnes exerçant les mêmes professions que celles exercées par les sociétés détenues, et, si l'une de ces sociétés exerce une profession juridique ou judiciaire, par des personnes admises à en détenir le contrôle majoritaire.

46. Finalement, les retouches apportées par la loi Macron au régime actuel des SPFPL pluri-professionnelles demeurent assez modestes. L'innovation, plus formelle que réelle, consiste, comme dans l'ensemble de la loi, à reconnaître explicitement le droit pour les sociétés ou groupements européens de participer, en France, au capital des SPFPL française. Mais le droit français exclut toujours les contrôles financiers à partir d'un État membre de l'UE, de l'EEE, ou de la Suisse. Il est vrai qu'il y a là de délicates questions de déontologie, d'indépendance, et de conflits d'intérêts à régler(45).

III. Demain, l'interprofessionnalité dans l'exercice des professions 47. La loi renvoie ici totalement à une ordonnance. Le législateur a voulu favoriser le développement des sociétés d'exercice réellement pluridisciplinaires, mais il s'est bien gardé de le faire concrètement. Ici aussi, ce sera au pouvoir exécutif de façonner le visage du droit français des professions libérales. Sont toujours envisagées des sociétés qui permettraient l'exercice en commun du droit et du chiffre. Cette question hante les esprits depuis de longues années(46). La loi Macron veut « faciliter » la constitution de telles sociétés. C'est sans doute pour cela qu'elle a ouvert la possibilité aux experts-comptables de réaliser des prestations ou des « consultations » juridiques, certes sans que cela devienne une activité principale, et dans la mesure où ces prestations sont directement liées aux travaux comptables(47).

48. L'article 65 de la loi Macron prévoit en réalité des sociétés pluri-professionnelles (droit, chiffre, et conseils en propriété industrielle), qui seraient refermées sur ces seules professions regroupées. Leurs membres ne pourraient être que des professionnels qui exercent en commun dans la société d'exercice, mais aussi des personnes exerçant, en France ou dans l'UE, l'EEE, ou la Suisse, une ou plusieurs professions constituant l'objet de la société. L'article 22 de la loi Macron reprend l'exigence du respect de la déontologie applicable à chaque profession(48), mais, surtout, prévoit des règles destinées à prévenir les conflits d'intérêts, ou à maintenir les missions spécifiques des officiers ministériels regroupés dans les structures d'exercice en commun. Enfin, en rappel du droit des SEL, un membre exerçant dans la société appartenant à chaque profession doit figurer dans les conseils d'administration ou de surveillance. Il faudra pour tout cela, soit de sérieuses précisions dans l'ordonnance, soit que celle-ci renvoie à son tour au décret. La méthode législative française a de quoi surprendre.

* * *

49. En conclusion, notre droit des professions libérales est à la croisée des chemins.La loi Macron a peiné à débarrasser les lois françaises de leur gangue réglementaire, à la fois trop détaillée, obscure, et au fond destinée à dissuader. Il faut ouvrir et faciliter les regroupements, sans doute. Il faut s'ouvrir à l'Europe, évidemment. Mais il faut respecter la déontologie, et la qualité du service offert aux clients. Il faut à présent faire le tri entre ce qui est réellement utile, et ce qui n'est que le résultat de l'action de lobbies arc-boutés sur le passé. Notre droit n'est pas sorti de la zone de turbulences.

Gilbert Parleani, Professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Paris 1), Avocat au Barreau de Paris

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Mots clés :

SOCIETE EN GENERAL * Régime * Profession libérale * Société d'exercice * Profession juridique * Loi du 6 août 2015 SOCIETE D'EXERCICE LIBERAL * Régime * Loi du 6 août 2015 * Profession juridique * Société de participation financière de profession libérale * Pluridisciplinarité

Notes : (1) La Revue des sociétés a consacré un dossier intitulé : « Réflexions collectives sur la loi Macron » dans son n° 11-2015, comprenant, outre le présent article :

- La loi Macron : une loi Omnibus, par Pierre-Henri Conac et Isabelle Urbain-Parleani, p. 623;

- Les réformes touchant au droit des sociétés dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, par Bernard Saintourens, p. 625;

- Information des salariés en cas de cession d'entreprise, par Bénédicte de Kervern, p. 629;

- Le régime juridique des attributions gratuites d'actions et des BSPCE, par Régis Foy, p. 631;

- Brèves observations sur la cession forcée d'actions d'une entreprise en redressement judiciaire, par Philippe Roussel Galle, p. 636;

- La société de libre partenariat française et la société en commandite spéciale luxembourgeoise, quel degré de parenté ?, par Isabelle Riassetto et Isabelle Corbisier, p. 646. (2) V. supra, n° 1. (3) C. com., art. L. 226-1. (4) V. la distinction cardinale entre « exerçants » et non-exerçants, et avec la sous-distinction entre exerçants « au sein de la société » et exerçants « la profession » ; v. les art. 5 s. de la loi du 31 déc. 1990. (5) V. infra, n° 13 s. (6) V. F. Maury, V° Sociétés civiles professionnelles, Dalloz Rép. sociétés, n° 113. (7) V. infra, n° 21 s.

(8) V. par ex. l'art. L. 227-3 c. com. qui exige d'unanimité pour la transformation en SAS. (9) V. Le Cannu et Dondero, Droit des sociétés, Montchrestien, 5e éd., n° 562 s. (10) V. supra, n° 2. (11) V. par ex. CJCE, 19 févr. 2002, n° C-309/99, Wouters, AJDA 2002. 326, chron. C. Lambert, J.-M. Belorgey et S. Gervasoni; D. 2002. 1465, et les obs.; RTD com. 2002. 389, obs. S. Poillot-Peruzzetto; ibid. 392, obs. S. Poillot-Peruzzetto; RTD eur. 2003. 287, chron. L. Idot; ibid. 2013. 837, obs. J.-B. Blaise; v. infra, à propos de la directive Services n° 2006/123 du 12 déc. 2006, infra n° 18. (12) V. G. Parleani, Les SPFPL de 2011, fausses holdings et vraies têtes de réseau, Rev. sociétés 2012. 407. (13) V. infra, n° 36 s. (14) L. 31 déc. 1990, art. 5 (15) Art. 5-1 et 6. (16) V. supra, n° 5.

(17) V. infra, n° 32 s. (18) V. l'art. 87 de la loi du 31 déc. 1990 (19) V. par ex. la directive n° 2005/36 sur la reconnaissance des qualifications professionnelles entrée en vigueur en Suisse. (20) Directive n° 2006/123, art. 15 (21) L. 31 déc. 1990, art. 5.I.A (22) V. infra, n° 38 s. (23) Art. 6-I-1°. (24) V. l'art. 5.B.6° ; s'il s'agit d'une personne morale, elle doit à son tour respecter les règles que l'on est en train de décrire ; c'est la boucle juridique déjà signalée, supra, n° 7 et 11. (25) Art. 6-I-3°. (26) Art. 6-I-2°. (27) V. ci-dessus. (28) Art. 6.I. (29) L. 31 déc. 1990, art. 31-2. (30) Art. 6.V. (31) V. supra, n° 1. (32) L. 31 déc. 1990, art. 12. (33) V. G. Parleani, art. préc. (34) V. supra, n° 24. (35) L. 31 déc. 1990, art. 31-1. (36) V. supra, n° 4 s. (37) v. le nouvel al. 1er de l'art. 31-1. (38) Art. 31-III. (39) Nouvel art. 31-1-IV. (40) V. G. Parleani, art. préc. in Rev. sociétés 2012. 407. (41) V. l'art. 8 du décret.

(42) V. déjà, CJUE, 19 févr. 2002, Wouters, aff. C-309/99, préc. (43) On retombe ici en fait sur les règles de la SEL, v. supra, n° 21 s. (44) V. le nouvel art. 31-2-III, et supra, n° 7 et 18. (45) V. à ce sujet, par ex., le décr. n° 2014-354 du 19 mars 2014, appliquant l'art. 31-2. (46) V. par ex. l'arrêt Wouters du 19 févr. 2002, préc. (47) Les mots sont ici lourds de sens, v. les art. 54 s. de la loi du 31 déc. 1971 ; la modification est apportée à l'art. 22 de l'ord. n° 45-2138 du 19 sept. 1945 instituant l'ordre des experts-comptables. (48) V. déjà le décr. n° 2014-354 du 19 mars 2014, préc.

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Livre blanc | Profession d’avocat : actualité 2015

CODE DE L’AVOCAT 2016 Commentaire de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (extraits) […]

I. UN DROIT FONDAMENTAL

Le principe du secret professionnel est d'ordre public; il est érigé au rang de droit fondamental (P. Roscher, Legal privilege et confidentialité des communications avocat-client en matière d'arbitrage international. Vers une possible harmonisation?, Gaz. Pal. 22 nov. 2007, p. 21 s.).

La CJCE a estimé qu'il existait une confidentialité des communications entre l'avocat et son client malgré l'absence de disposition expresse en ce sens en droit européen (CJCE 18 mai 1982, AM&S Ltd. c/ Commission: cité note 1 ss. le présent art.). La Cour a énoncé que «la confidentialité des correspondances entre les avocats et leurs clients devait faire l'objet d'une protection au niveau de l'Union, sous réserve de deux conditions cumulatives: un lien avec l'exercice des droits de la défense et l'indépendance de l'avocat». A cette occasion, elle a également rappelé que «le principe de la confidentialité de certains documents est un principe de droit communautaire» qui «répond à l'exigence selon laquelle tout justiciable doit avoir la possibilité de s'adresser en toute liberté à son avocat dont la profession comporte la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin; (…) la correspondance entre l'avocat et le client est protégée par la confidentialité, dès lors qu'il s'agit d'une correspondance échangée dans le cadre des droits de la défense et émanant d'avocats indépendants qui ne sont pas liés au client par un rapport d'emploi; (…) la confidentialité couvre toute correspondance échangée après l'ouverture d'une procédure administrative susceptible d'aboutir à une décision et doit être étendue également à la correspondance antérieure ayant un lien de connexité avec l'objet d'une telle procédure». La CJCE est allée plus loin dans la décision Wouters du 19 février 2002 en affirmant que «le secret professionnel est la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client. Il impose à l'avocat de ne divulguer aucune information qui lui a été communiquée par son client, et s'étend ratione temporis à la période postérieure à la fin de son mandat et ratione personae à l'ensemble des tiers. Le secret professionnel constitue également une «garantie essentielle de la liberté de l'individu et du bon fonctionnement de la justice», de sorte qu'il relève de l'ordre public dans la plupart des États membres» (CJCE 19 févr. 2002, Wouters, pt 182).

Le respect du secret professionnel est également reconnu comme un droit fondamental par la Cour européenne des droits de l'homme: dans sa décision Campbell c/ Royaume-Uni (CEDH 25 mars 1992: cité note 1 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5 ), la Cour énonce qu'il ne peut être porté atteinte au respect de la confidentialité qui s'attache aux relations entre avocat et client qu'en cas d'abus avéré par l'avocat de sa qualité, sans qu'une simple éventualité d'abus puisse justifier l'atteinte. Statuant sur la validité de dispositions législatives servant de fondement à des perquisitions et saisies dans des cabinets d'avocats, la CEDH a ajouté que le secret professionnel «est la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client», sa protection étant notamment «le corollaire du droit qu'a le client d'un avocat de ne pas contribuer à sa propre incrimination, ce qui présuppose que les autorités cherchent à fonder leur argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions, au mépris de la volonté de l'«accusé» (CEDH 3 mai 2001, J.B. c/ Suisse: Rec. 2001-III, § 64; V. aussi, parmi d'autres: CEDH 25 févr. 1993, Funke c/ France: série A n° 256-A, § 44; V. aussi: CEDH 16 déc. 1992, Niemetz c/ Allemagne: req. n° 13710/88; CEDH, 29 sept. 2000, Foxley c/ Royaume Uni: req. n° 33274/96; CEDH 24 juill. 2008, André c/ France: req. n° 18603/03; CEDH 6 déc. 2012, Michaud c/ France, req. n° 12323/11: cité note 3, 31 déc. 1971, art. 66-5; JCP 27 mai 2013. 622, n° 5, obs. Lévy).

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Le secret professionnel est protégé en droit interne par l'article 226-13 du code pénal, qui sanctionne sa violation et en donne un début de définition: «La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état soit par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.» L'élément matériel constitutif du délit est double: une information à caractère secret et une révélation de cette information. La chambre criminelle de la Cour de cassation a admis une définition extensive du secret professionnel et considéré qu'il «couvre non seulement les renseignements reçus du client par son avocat, mais également ceux reçus à son propos ou à propos de tiers, dans le cadre des affaires concernant ledit client; [qu'] au-delà du secret stricto sensu, cela s'étend à ce que le dépositaire a pu constater, découvrir ou déduire personnellement» (Crim. 2 mars 2004, n° 03-85295). Toutefois, l'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable en cas de révélations de privations ou sévices, y compris lorsqu'il s'agit d'atteintes sexuelles, infligées à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique (C. pén., art. 226-14). Ces dispositions donnent aux avocats la simple faculté de s'exonérer du secret professionnel, mais ils n'en ont pas l'obligation et doivent se déterminer en conscience.

La protection accordée au secret professionnel ne serait pas concrètement assurée sans l'existence de procédures spécifiques destinées à le protéger. Ainsi, la saisie de documents au domicile ou au cabinet de l'avocat doit respecter la procédure prévue à l'article 56-1 du code de procédure pénale: cette perquisition doit être effectuée obligatoirement par un magistrat, et en présence du bâtonnier ou de son représentant. Celui-ci doit faire noter les réserves qu'il émet et peut s'opposer à la saisie de documents qui seront alors mis sous scellés et soumis au juge des libertés et de la détention, lequel se prononce sous cinq jours sur la légalité de leur saisie par une ordonnance non susceptible de recours. Le magistrat qui effectue la perquisition doit énoncer et justifier au préalable l'objet de la perquisition et ne peut procéder à une fouille générale. Cependant, le secret professionnel de l'avocat ne peut faire obstacle à la saisie de pièces susceptibles d'établir sa participation à une infraction pénale, dès lors que la saisie effectuée, en relation directe avec l'infraction objet de la poursuite, est limitée aux documents nécessaires à la recherche de la vérité (Crim. 20 janv. 1993: Bull. crim. n° 29; Crim. 12 mars 1992: Bull. crim. n° 112; Crim. 14 janv. 2003: Bull. crim. n° 6; D. 2003. IR 944; V. aussi Crim. 25 juin 2013: cité note 10 bis ss. C. pr. pén., art. 56-1, reproduit ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5). Toutefois, lors d'une perquisition, la correspondance échangée entre l'avocat et son client, qui est liée à l'exercice des droits de la défense, ne peut pas être saisie car le pouvoir, reconnu à l'officier de police judiciaire par les articles 56 et 76 du code de procédure pénale ou au juge d'instruction par l'article 96 de ce code, de saisir les objets et documents utiles à la manifestation de la vérité «trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense» (Crim. 13 déc. 2006: cité note 6 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5; Crim. 24 avr. 2013: cité note 10 bis ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5).

En matière fiscale, dans le cadre des visites domiciliaires effectuées sur le fondement de l'article L. 16 B LPF, le secret professionnel de l'avocat bénéficie aussi d'une protection, à condition que les conditions suivantes soient remplies: lors d'une visite domiciliaire fiscale, les pièces ne peuvent être saisies que si elles ne sont pas couvertes par le secret professionnel, et si elles ont un lien avec la fraude ou si les documents sont de nature à établir la preuve de la participation de l'avocat à la fraude présumée (Com., 3 mars 2015, Stés Dolphin Business Intelligence Inc et Dacomi Investissements SA, n° 13-27.605). Par ailleurs, si, selon l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, seules sont couvertes par le secret professionnel des avocats les correspondances échangées entre le client et son avocat ou entre l'avocat et ses confrères, le secret professionnel ne couvre pas les correspondances échangées entre un avocat et l'expert-comptable de son client qui peuvent être saisies dans ce cadre (Com., 4 nov. 2014, cité note 10 bis ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5). En outre les pièces fournies par l'administration fiscale à l'appui de sa requête en autorisation de visite domiciliaire devant le juge des libertés et de la détention ne sont recevables que si elles ont un caractère licite, notamment au regard du secret professionnel (Com. 7 juin 2011, n° 10-18.110: Dalloz jurisprudence). Enfin, le secret professionnel est opposable à un contrôleur fiscal qui ne peut pas demander à l'avocat l'identité de ses clients et la nature des prestations fournies (CAA Lyon, 16 mai 2013: n° 11LY01009).

Cependant, la Cour de cassation juge que les notes d'honoraires et factures émanant d'avocats ne relèvent pas du secret professionnel de l'avocat et peuvent être saisies dans le cadre de visites domiciliaires fondées sur les dispositions de l'article L. 16B LPF (Com., 23 juin 2015, n° 14-15524).

Le secret professionnel de l'avocat est également touché par les réquisitions effectuées sur le fondement de l'article 99-3 du code de procédure pénale destinées à obtenir la remise de documents intéressant l'instruction de toute personne ou de tout organisme privé ou public, sans que puisse être opposée, sans motif légitime, l'obligation au secret professionnel. Dans le cas d'une réquisition demandant à des banques dans lesquelles un avocat avait ouvert ses comptes professionnels la transmission des relevés de ses comptes et des photocopies des chèques les créditant, la Cour de cassation a précisé que les enquêteurs agissant en exécution d'une commission rogatoire n'avaient pas à recueillir l'accord dudit avocat (Crim.17 déc. 2013: n° 13-85.717).

Le secret professionnel bénéficie aussi d'une relative protection en matière d'écoutes téléphoniques: l'écoute doit être demandée par un juge d'instruction pour une durée maximale de quatre mois, toutefois renouvelable dans les mêmes conditions de forme et de durée (C. pr. pén., art. 100-2). Lorsque l'écoute est faite sur la ligne d'un avocat, le bâtonnier doit en être informé (C. pr. pén., art. 100-7). L'écoute téléphonique d'un avocat ne doit pas porter atteinte au secret professionnel et ne doit pas compromettre les conditions d'exercice du droit de la défense (Crim. 18 janv. 2006: cité note 11 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5), sauf dans les cas où l'avocat est complice d'une infraction ou lorsqu'il a participé à la commission d'une infraction. La conversation transcrite doit être de nature à faire présumer la participation de l'avocat à une infraction (Crim. 8 nov. 2000: cité note 11 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5; Crim. 1er mars

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2006: cité note 7 ss. le présent art.; 27 janv. 2001: Bull. crim. n° 163; 15 janv. 1997: Bull. crim. n° 14) ou doit constituer elle-même le corps du délit. Une telle «ingérence» au sens de l'article 8 de la CEDH, constituée par la perquisition et la saisie de documents, doit alors être pertinente, prévue par la loi, viser un but légitime et être nécessaire (CEDH 25 févr. 2003, Roemen et Schmit c/ Luxembourg: cité note 6 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5).

II. LA DÉFINITION DU SECRET PROFESSIONNEL

Le secret professionnel n'est pas explicitement défini par l'article 66-5. Il reste une notion aux contours flous qui tend à être confondu avec la «confidentialité». Si le secret professionnel est un principe d'ordre public, garanti par la loi, établi dans l'intérêt des clients de certains professionnels qui, pour le bon exercice de leur activité, deviennent des confidents nécessaires, la confidentialité est une construction déontologique interne à la profession d'avocat, directement liée aux principes de confraternité et de loyauté, destinée à permettre et faciliter, entre confrères, un échange de propositions, l'expression d'un avis, sans compromettre les intérêts des clients (B. Van de Moortel, Confidentialité et secret professionnel: pour en finir avec la confusion, Gaz. Pal. 6 mai 2003, p. 6).

Les règles relatives aux correspondances entre avocats sont donc autonomes, indépendantes du secret professionnel, même si ces correspondances entre avocats sont protégées, comme en dispose l'article 66-5, par ledit secret. C'est la confidentialité, et non le secret professionnel, qui interdit de remettre au client le double d'une lettre adressée au confrère adverse ou reçue de lui. C'est le secret professionnel, et non la confidentialité, qui interdit a priori la saisie d'une correspondance échangée entre le client et le confrère adverse. Tandis que le secret professionnel protège la confidence faite au client et est opposable au confrère adverse, la confidentialité protège la confidence faite par ce confrère et elle est opposable au client. Pourtant confidentialité et secret professionnel semblent assimilés dans la rédaction des textes. L'article 66-5 accorde ainsi la même protection aux correspondances échangées entre avocat et client qu'aux correspondances échangées entre avocats. Cette assimilation est explicable, au sens où l'article 66-5 accorde une protection d'ordre public à toutes ces correspondances, alors que la confidentialité crée une protection supplémentaire, d'ordre déontologique et disciplinaire, qui, s'agissant des correspondances échangées entre confrères, se superpose et s'ajoute au secret professionnel sans pour autant se confondre avec lui. La CJCE donne cependant du secret professionnel une définition limitative lorsqu'elle précise que la correspondance entre avocats et clients est protégée par la confidentialité «dès lors qu'il s'agit d'une correspondance échangée dans le cadre de droits de la défense et émanant d'avocats indépendants qui ne sont pas liés aux clients par un rapport d'emploi», et que «la partie qui oppose à l'administration le caractère confidentiel des documents doit, sans dévoiler leur contenu, fournir au vérificateur des éléments utiles permettant de prouver que le document remplit bien les conditions juridiques pour bénéficier d'une protection légale» (CJCE 18 mai 1982, AM&S Ltd. c/ Commission: cité note 1 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5).

En matière pénale, l'avocat a aussi le devoir de respecter le secret de l'instruction. Sa violation est un délit et également une faute professionnelle (Décr. n° 2005-790 du 12 juill. 2005, art. 5; RIN, art. 2 bis, Partie I, I, Profession d'avocat; Crim. 18 mars 2015: cité note 3 ss. Décr. n° 2005-790 du 12 juill. 2005, art. 5, Partie I, Profession d'avocat). La notion de secret professionnel et la notion de secret de l'instruction, si elles se recoupent, ne se recouvrent pas. Le secret de l'instruction, dont la violation est réprimée par la loi pénale (C. pén., art. 434-7-2; C. pr. pén., art. 11), ne concerne que l'enquête et l'instruction pénale. Pour sa part, le secret professionnel, visé par l'article 66-5, s'étend à toutes les procédures civiles et pénales. En outre, il s'impose à toutes les personnes qui concourent à la procédure pénale.

Pour sa part, le secret professionnel, visé par l'article 66-5, s'étend à toutes les procédures civiles et pénales. En outre, il s'impose à toutes les personnes qui concourent à la procédure pénale.

Par ailleurs, le secret de l'instruction ayant pour seul fondement la protection du mis en examen, le respect du secret de l'enquête et de l'instruction ne doit pas nuire à l'exercice des droits de la défense. Ainsi, l'avocat, en respectant la procédure prévue aux articles 114 et 114-1 du code de procédure pénale, peut communiquer copie du dossier à son client; il ne peut communiquer aux tiers que les copies des rapports d'expertise pour les besoins de la défense (C. pr. pén., art. 114, al. 6). Le secret professionnel a donc une portée plus générale que la confidentialité ou le secret de l'instruction.

III. L'ÉTENDUE DU SECRET PROFESSIONNEL

Si le secret professionnel est absolu dans son principe (RIN, art. 2.1), il ne l'est pas dans son étendue.

C'est l'avocat qui détermine ce qui, dans les confidences de son client, doit être gardé secret. Le secret est, selon une ancienne jurisprudence, subordonné au discernement de l'avocat et n'a d'autre règle que sa conscience (Civ. 24 mai 1862: DP 1862. 1. 545). En outre, le secret professionnel ne s'étend qu'aux informations qui ont en elles-mêmes un caractère secret (Civ. 1re, 4 avr. 2006 et Civ. 2e, 5 juill. 2006: cités note 15 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5, ne violait pas le secret professionnel l'avocat qui produisait devant le juge de l'exécution des correspondances de son client ne

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faisant que confirmer une situation notoire). L'article 2-2 RIN étend par ailleurs la protection du secret professionnel aux consultations, correspondances entre avocat et client, notes d'entretien, noms des clients, agenda de l'avocat, règlements pécuniaires et maniements de fonds.

En revanche, les correspondances échangées entre un avocat et les autorités ordinales ne sont pas protégées par la confidentialité, selon un arrêt récent et très remarqué de la première chambre civile de la Cour de cassation (Civ. 1re, 22 sept. 2011: cité note 21 ter ss. L. préc., 31 déc. 1971, art. 66-5). Celle-ci y énonce que le règlement intérieur d'un barreau ne peut étendre, «sans méconnaître les dispositions de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, aux correspondances échangées avec les autorités ordinales le principe de confidentialité instauré par le législateur».

Quant au client, il n'est pas soumis au secret professionnel. Destinataire de la consultation qu'il a sollicitée d'un avocat, il est en droit d'en faire usage par la production dans un débat judiciaire, tout comme il peut produire en justice les correspondances que son avocat lui a adressées (Civ. 1re, 30 mai 2013, n° 12-24.090: cité note 15 ss. L. 31déc. 1971, art. 66-5). De même, un document que le client demande à son avocat de produire en justice et qui est utile à la défense de ses intérêts, ne constitue pas, à l'égard de la juridiction et de l'adversaire, une information à caractère secret que l'avocat devrait s'abstenir de révéler sous peine d'encourir les sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal. Il n'y a donc a priori aucun obstacle à ce que l'avocat verse aux débats, avec l'accord de son client, des correspondances échangées entre eux, ou, bien entendu, tout autre écrit émanant du client et dont il appartient à la juridiction d'apprécier la valeur probante.

La protection de la confidentialité accordée aux correspondances échangées entre avocats est également limitée: elle ne s'étend pas aux correspondances «officielles» entre confrères. Comme l'a rappelé récemment la Cour de cassation, une lettre officielle n'est en aucun cas couverte par le secret professionnel, y compris à l'égard des tiers. Une telle lettre peut ainsi constituer la preuve de l'engagement du client de l'avocat de consentir à la vente d'un bien immobilier (Civ. 3e, 9 mai 2012: n° 11-15.161), et être produite par l'acheteur à titre de preuve de ce consentement. A contrario, la Cour de cassation rappelle qu'une correspondance entre avocats qui ne comporte pas la mention «officielle» est couverte par le secret professionnel et doit être écartée des débats dans lesquels elle serait produite (Civ. 1re, 13 déc. 2012: cité note 13 ss. L. préc., 31 déc. 1971, art. 66-5). Cette jurisprudence rappelle la grande prudence avec laquelle il «convient d'user des lettres officielles» (D. Piau, Gaz. Pal., 24-26 juin 2012, n° 176-178, p. 9).

La protection accordée au secret professionnel ne saurait non plus s'étendre aux tiers, qui ne sont pas liés par celui-ci. Ainsi, un journaliste prétendant être un client qui s'introduit chez un avocat et enregistre à son insu leur conversation peut en faire état dans un article relatant son enquête (Crim. 18 nov. 1986, n° 85-93.308: Bull. crim. n° 345; Gaz. Pal. 1987. 1. 167, note Doucet et Le Faucheur). Va dans le même sens la jurisprudence récente de la chambre criminelle qui confirme un arrêt d'une chambre de l'instruction en énonçant, par simple application du droit de la preuve pénale, que l'enregistrement d'une conversation entre un avocat et son client, prise à leur insu par un particulier, est une preuve recevable en la matière (Crim. 31 janv. 2012: cité note 11 ss. L. préc., 31 déc. 1971, art. 66-5).

En outre, le secret professionnel est limité en ce qu'il est lié à l'indépendance de l'avocat: c'est pourquoi le juriste d'entreprise, même s'il porte le titre d'avocat, ne saurait en bénéficier (CJUE 14 sept. 2010, Akzo Nobel Chemicals Ltd. c/ Commission européenne: cité note 2 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5, qui observe que l'exigence relative à la qualité de l'avocat indépendant procède d'une conception du rôle de ce dernier, considéré comme collaborateur de la justice et appelé à fournir, en toute indépendance et dans l'intérêt supérieur de la justice, l'assistance légale dont le client a besoin. Il en découle que l'exigence d'indépendance implique l'absence de tout rapport d'emploi entre l'avocat et son client, si bien que la protection au titre du principe de la confidentialité ne s'étend pas aux échanges au sein d'une entreprise ou d'un groupe avec des avocats internes).

De même, ne sont pas protégées par le secret professionnel les informations divulguées par un avocat dont il n'a pas été rendu dépositaire par son état ou sa profession (Crim. 2 mars 2010: cité note 14 ss. L. 31 déc. 1971, art. 66-5).

Enfin, la question du respect du secret professionnel a été de nouveau posée par les dispositions de l'article 51-V, de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 (JO 7 août) qui, d'une part, en modifiant l'article 10, alinéa 3 de la loi de 1971, obligent l'avocat à conclure par écrit une convention d'honoraires avec ses clients qui précise notamment le montant ou le mode de détermination des honoraires, et, d'autre part, créent un article 10-1 qui permet aux agents de l'administration de la concurrence et de la consommation (DGCCRF) de vérifier que cette obligation est bien respectée. En tout état de cause, l'article L. 141-1, III bis, du code de la consommation, lui aussi modifié par la loi du 6 août 2015, précise que le contrôle effectué dans les cabinets d'avocats doit être effectué «dans le respect du secret professionnel mentionné à l'article 66-5» de la loi de 1971 (V. aussi Cons. const., Décis. n° 2015-715 DC du 5 août 2015, cons. 60-64, JO 7 août). Ce contrôle, qui ne pourra être effectué qu'après une information écrite du bâtonnier, et non du cabinet visé, trois jours avant, sera limité au seul constat de l'existence matérielle de la convention d'honoraires. La DGCCRF pourra demander un dossier aux fins d'attester que la convention a été établie et qu'elle est conforme à la procédure. La convention pourra lui être présentée après anonymisation de tout ce qui a trait au secret professionnel (nom et coordonnées du client, nature des diligences demandées à l'avocat, etc.). La DGCCRF ne pourra contrôler ni les modalités d'un cas précis ni ce qui relève de la relation entre un avocat et son client. Enfin, et cela doit être précisé, ce contrôle ne constitue pas une visite domiciliaire ou une perquisition. En effet, les agents de la DGCCRF ne peuvent procéder à une fouille des lieux et à une saisie de documents ou de fichiers. Ils ne peuvent recueillir que les informations et documents qui leur sont fournis volontairement. Les débats parlementaires précisent

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que si, dans le cadre d'un contrôle sur place, un avocat refuse la présentation d'un document, l'agent rédigera un rapport signalant ce point qui sera transmis au bâtonnier, lequel aura à en tirer les conséquences dans le cadre de son contrôle déontologique. En vertu de la gradation, l'administration pourra décider de procéder ensuite à une visite domiciliaire.

IV. LE SECRET PROFESSIONNEL ET LA LUTTE ANTI-BLANCHIMENT

Malgré son caractère de droit fondamental, le secret professionnel est régulièrement remis en question au nom des impératifs de lutte contre la délinquance financière et le financement du terrorisme (V. les quatre directives dites «anti-blanchiment» des 10 juin 1991 (Dir. 91/308/CEE, JOCE L 166 du 28 juin 1991), 4 décembre 2001 (JOCE L 344/76 du 28 déc. 2001), 26 octobre 2005 (Dir. 2005/60/CE, Partie II, Blanchiment de capitaux); V. aussi la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, dite 4e directive anti-blanchiment, présentée le 5 février 2013 (COM(2013) 45 final) et 20 mai 2015 (Dir. n° 2015/849 du Parlement européen et du Conseil, Partie II, Blanchiment de capitaux).

Le Conseil d'État, saisi par plusieurs organes représentatifs de la profession d'avocat, a annulé le 10 avril 2008 plusieurs dispositions du décret n° 2006-736 du 26 juin 2006 (JO 27 juin) qui transposait des éléments de la directive n° 2001/97/CE du Parlement et du Conseil du 4 décembre 2001 (CE 10 avr. 2008: cité note 3 ss. le présent art.). Allant plus loin que la CJCE qui s'était fondée sur le seul article 6 Conv. EDH (CJCE 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophone et germanophone et a.: cité note 3 ss. le présent art. ), le Conseil d'État a contrôlé la directive n° 2001/97/CE au regard de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (droit au respect de la vie privée). Aussi a-t-il décidé que les informations reçues ou obtenues par un avocat lors de l'évaluation de la situation juridique du client, c'est-à-dire la mission de conseil et de consultation juridique, ainsi que dans le cadre de la défense et de la représentation en justice, étaient exclues des obligations de vigilance et déclaratives, sauf dans les cas où l'avocat prend lui-même part à des activités de blanchiment de capitaux, ou lorsque la consultation juridique est fournie à des fins de blanchiment et lorsque l'avocat sait que son client souhaite obtenir des conseils juridiques aux fins de blanchiment. Ainsi, le droit fondamental du secret professionnel protégé par l'article 8 de la

Convention européenne des droits de l'homme doit céder face à une mesure «nécessaire à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales.». Le Conseil d'État a par ailleurs censuré la disposition qui prévoyait que la cellule Tracfin pouvait adresser des demandes d'information directement à l'avocat sans passer par le filtre du bâtonnier.

Dans sa décision du 6 décembre 2012, Michaud c/ France (préc.), la Cour européenne des droits de l'homme a repris le raisonnement du Conseil d'État. La Cour de Strasbourg a jugé que, «telle que mise en oeuvre en France et eu égard au but légitime poursuivi et à la particulière importance de celui-ci dans une société démocratique, l'obligation de déclaration de soupçon ne porte pas une atteinte disproportionnée au secret professionnel des avocats» et, par conséquent, ne viole pas l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme (pt 131). La Cour a considéré que si le secret professionnel de l'avocat revêt une importance fondamentale pour l'avocat et son client, et constitue l'un des principes fondamentaux sur lesquels repose l'organisation de la justice dans une société démocratique, il n'est cependant pas intangible. Le juge européen estime en effet que l'importance du respect du secret professionnel doit être mise en balance avec l'intérêt que revêt pour les États membres la lutte contre le blanchiment de capitaux issus d'activités illicites, susceptible de servir à financer des activités criminelles, notamment dans le domaine du trafic de stupéfiants ou du terrorisme international, et la prévention d'activités constitutives d'une grave menace pour la démocratie (pt 123). Surtout, la Cour européenne des droits de l'homme a fondé la proportionnalité de la déclaration de soupçon au regard de deux éléments qu'elle a qualifiés de «décisifs». D'une part, elle relève que les avocats sont exemptés de la déclaration de soupçon dans deux cas rappelés par la décision du Conseil d'État du 10 avril 2008, ce qui les conduit à n'y procéder que pour «des activités éloignées de la mission de défense» qui leur est confiée (pt 127). L'obligation de déclaration de soupçon ne touche donc pas à l'essence même de la mission de défense, qui, comme indiqué précédemment, constitue le fondement du secret professionnel des avocats (pt 128). D'autre part, la loi française met en place un filtre protecteur du secret professionnel en la personne du bâtonnier. Ainsi, les avocats ne communiquent pas les déclarations directement à Tracfin mais au bâtonnier de l'ordre auprès duquel ils sont inscrits. La Cour relève qu'il «peut être considéré qu'à ce stade, partagé avec un professionnel non seulement soumis aux mêmes règles déontologiques mais aussi élu par ses pairs pour en assurer le respect, le secret professionnel n'est pas altéré». Le bâtonnier, «plus à même que quiconque d'apprécier ce qui est couvert ou non par le secret professionnel, ne transmet ensuite la déclaration de soupçon à Tracfin qu'après s'être assuré que les conditions fixées par l'article L. 561-3 du code monétaire et financier sont remplies» (C. mon. fin., art. L. 561-17) (pt 129).

Sous réserve des modifications qui seront liées à la transposition de la quatrième directive anti-blanchiment (Dir. n° 2015/849 du 20 mai 2015, préc.), les modalités de la déclaration de soupçon sont définies par les dispositions des articles L. 561-15 et suivants du code monétaire et financier. Dans les cas où l'avocat a un doute sur l'origine des sommes utilisées pour financer une des opérations visées par l'article L. 562-2-1 du code monétaire et financier, la déclaration de soupçon se fait par l'intermédiaire du bâtonnier, qui décide ou non de la transmettre à Tracfin. L'avocat, lorsqu'il n'agit pas en qualité de fiduciaire, adresse la déclaration au bâtonnier de son ordre, qui devra vérifier que les conditions d'une telle déclaration sont remplies (C. mon. fin., art. L. 561-17). Le bâtonnier doit s'assurer de l'absence de tout manquement aux règles du secret professionnel. Il doit vérifier que les faits décrits par l'avocat justifient une transmission de la déclaration, parce qu'elle porte sur des opérations et des sommes visées à l'article L. 561-3 du code

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monétaire et financier. Si tel est le cas, le bâtonnier transmettra la déclaration à Tracfin. Ce dernier effectuera alors la même vérification que le bâtonnier.

S'il estime que la déclaration a été transmise en méconnaissance des prescriptions dérogatoires applicables à l'avocat, il devra en refuser la communication et informer dans les meilleurs délais le bâtonnier de l'ordre auprès duquel l'avocat déclarant est inscrit (C. mon. fin., art. L. 561-17, al. 2).

La déclaration est obligatoirement faite par écrit, sauf dans le cas de l'avocat agissant en qualité de fiduciaire qui peut aussi la faire verbalement auprès de Tracfin (C. mon. fin., art. L. 561-18). Tracfin en accuse réception, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, sauf si l'avocat a indiqué expressément ne pas vouloir en être destinataire. Lorsque la déclaration lui a été adressée par le bâtonnier, Tracfin l'informe de sa transmission au procureur de la République (C. mon. fin., art. L. 561-28 — V. JCP 2009. I. 120, n° 4, obs. D. Lévy).

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