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REGULAR ARTICLE Production des aciers inoxydables : Histoire et développements Partie I. Electrométallurgie, production des FeCr Jean Saleil 1,*, a , Marc Mantel 2,3, b , et Jean Le Coze 1, c 1 Cercle dÉtudes des Métaux, École Nationale Supérieure des Mines, 42023 Saint-Étienne Cedex 2, France 2 Centre de Recherche UGITECH, 73400 Ugine, France 3 Université Grenoble Alpes SIMaP, F-38000 Grenoble, France Reçu le 11 décembre 2019 / Accepté le 18 mars 2020 Résumé. La production des aciers inoxydables a été lune des dernières conquêtes techniques de la sidérurgie au 20 e siècle. Cet article (en trois parties) sappuie principalement sur les développements conduits par des sociétés sidérurgiques françaises, pour montrer les étapes techniques successives qui ont permis en moins dun siècle de passer de productions condentielles à des productions de grande masse. En matière délaboration sont examinées successivement : (Partie I) lélectrométallurgie et la réduction des minerais de chrome ; (Partie II) la fusion électrique, lafnage sous vide (VOD), lafnage avec dilution à largon (AOD), les lières reposant sur lafnage de la fonte de hauts fourneaux. La recherche de la haute propreté inclusionnaire est évoquée, notamment avec la refusion ESR. La Partie III traite de la coulée en lingots et en continu et des difcultés liées à la transformation à chaud et à froid de ces nuances, ainsi que des moyens développés pour y faire face. Mots clés : aciers inoxydableschrome / électrométallurgie / four électrique / procédés dafnage VOD et AOD / fonte au chrome / coulée en lingots / coulée continue / propreté inclusionnaire / laminage à chaud / laminage à froid Abstract. Stainless steel production: history and development Part I. Electrometallurgy, FeCr production. Stainless steel production is one of the latest technical achievements in 20th century steelmaking. This article (in three parts), relies mainly on technical developments, implemented by French steelmaking industry, and deals with successive improvements in the production process. They allowed stainless-steel production level to move from condential to massive. The following processes are surveyed: (part I) electrometallurgy and chromium ore reduction; (part II) electric furnace melting and rening, Vacuum Oxygen rening (VOD), Argon/oxygen rening (AOD), stainless steels production through rening blast furnace hot metal. High clean stainless steel production is surveyed, including ESR process. Part III describes ingot casting and continuous casting, and specic problems occurring in hot and cold rolling. Keywords: stainless steel / chromium / electrometallurgy / electric arc furnace / VOD and AOD rening / chromium containing hot metal rening / ingot casting / continuous casting / cleanliness / hot rolling / cold rolling 1 Introduction Les aciers inoxydables ont été mis au point pour leur résistance à la corrosion et à loxydation, conférée principalement par le chrome dont les teneurs dans ces aciers séchelonnent entre 11 et 28 %. Leur supériorité par rapport à dautres matériaux traités pour tenue à la corrosion (galvanisation et autres revêtements) tient à leur caractère passivable, qui permet à la couche supercielle dite passive (qui assure la protection contre la corrosion) de se régénérer en cas dendommagement (Annexe A). Cest cette présence du chrome, en relativement forte teneur, qui allait compliquer sérieusement la production de ces aciers en contraignant les aciéristes à avoir recours à des procédés délaboration spéciques. Les aciers inoxydables occupent une place singulière dans la production sidérurgique, (i) par leurs propriétés de résistance à divers types de corrosion en milieu aqueux ou à * e-mail: [email protected] a Ingénieur civil des mines (Nancy 59), carrière dans les sociétés sidérurgiques Ugine (Moutiers), Imphy, Creusot-Loire, Ascome- tal ; longtemps en charge des développements en matière de procédés délaboration. b Directeur Scientique UGITECH Chercheur associé SIMaP, Grenoble INP <[email protected] ; [email protected]>. c Ingénieur civil des mines (Saint-Étienne 63), Dr. Es Sciences, ex enseignant chercheur ENSMSE. Matériaux & Techniques 108, 103 (2020) © SCF, 2020 https://doi.org/10.1051/mattech/2020015 Matériaux & Techniques Disponible en ligne : www.mattech-journal.org

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Matériaux & Techniques 108, 103 (2020)© SCF, 2020https://doi.org/10.1051/mattech/2020015

Matériaux&TechniquesDisponible en ligne :

www.mattech-journal.org

REGULAR ARTICLE

Production des aciers inoxydables : Histoire et développementsPartie I. Electrométallurgie, production des FeCrJean Saleil1,*, a, Marc Mantel2,3, b, et Jean Le Coze1, c

1 Cercle d’Études des Métaux, École Nationale Supérieure des Mines, 42023 Saint-Étienne Cedex 2, France2 Centre de Recherche UGITECH, 73400 Ugine, France3 Université Grenoble Alpes SIMaP, F-38000 Grenoble, France

* e-mail: ja Ingénieursidérurgiqutal ; longteprocédés db DirecteuGrenoble Imarc.mantc Ingénieurenseignant

Reçu le 11 décembre 2019 / Accepté le 18 mars 2020

Résumé. La production des aciers inoxydables a été l’une des dernières conquêtes techniques de la sidérurgie au20e siècle. Cet article (en trois parties) s’appuie principalement sur les développements conduits par des sociétéssidérurgiques françaises, pour montrer les étapes techniques successives qui ont permis en moins d’un siècle depasser de productions confidentielles à des productions de grande masse. En matière d’élaboration sontexaminées successivement : (Partie I) l’électrométallurgie et la réduction des minerais de chrome ; (Partie II) lafusion électrique, l’affinage sous vide (VOD), l’affinage avec dilution à l’argon (AOD), les filières reposant surl’affinage de la fonte de hauts fourneaux. La recherche de la haute propreté inclusionnaire est évoquée,notamment avec la refusion ESR. La Partie III traite de la coulée en lingots et en continu et des difficultés liées àla transformation à chaud et à froid de ces nuances, ainsi que des moyens développés pour y faire face.

Mots clés : aciers inoxydableschrome / électrométallurgie / four électrique / procédés d’affinage VOD et AOD /fonte au chrome / coulée en lingots / coulée continue / propreté inclusionnaire / laminage à chaud / laminage à froid

Abstract. Stainless steel production: history and development Part I. Electrometallurgy, FeCrproduction. Stainless steel production is one of the latest technical achievements in 20th century steelmaking.This article (in three parts), relies mainly on technical developments, implemented by French steelmakingindustry, and deals with successive improvements in the production process. They allowed stainless-steelproduction level to move from confidential to massive. The following processes are surveyed: (part I)electrometallurgy and chromium ore reduction; (part II) electric furnace melting and refining, Vacuum Oxygenrefining (VOD), Argon/oxygen refining (AOD), stainless steels production through refining blast furnace hotmetal. High clean stainless steel production is surveyed, including ESR process. Part III describes ingot castingand continuous casting, and specific problems occurring in hot and cold rolling.

Keywords: stainless steel / chromium / electrometallurgy / electric arc furnace / VOD and AOD refining /chromium containing hot metal refining / ingot casting / continuous casting / cleanliness / hot rolling / cold rolling

1 IntroductionLes aciers inoxydables ont été mis au point pour leurrésistance à la corrosion et à l’oxydation, conférée

[email protected] des mines (Nancy 59), carrière dans les sociétéses Ugine (Moutiers), Imphy, Creusot-Loire, Ascome-mps en charge des développements en matière de’élaboration.r Scientifique UGITECH Chercheur associé SIMaP,NP <[email protected] ;[email protected]>.civil des mines (Saint-Étienne 63), Dr. Es Sciences, exchercheur ENSMSE.

principalement par le chrome dont les teneurs dans cesaciers s’échelonnent entre 11 et 28%. Leur supériorité parrapport à d’autres matériaux traités pour tenue à lacorrosion (galvanisation et autres revêtements) tient à leurcaractère passivable, qui permet à la couche superficielledite passive (qui assure la protection contre la corrosion) dese régénérer en cas d’endommagement (Annexe A). C’estcette présence du chrome, en relativement forte teneur, quiallait compliquer sérieusement la production de ces aciersen contraignant les aciéristes à avoir recours à des procédésd’élaboration spécifiques.

Les aciers inoxydables occupent une place singulièredans la production sidérurgique, (i) par leurs propriétés derésistance à divers types de corrosion en milieu aqueux ou à

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1 Les centres de recherche d’AUBERT&DUVAL et d’IMPHY seconsacreront plus spécialement aux superalliages (base Ni et Co),aux aciers à très haute limite élastique (aciers maraging) et pourIMPHY aux alliages au Ni de la métallurgie de précision (typeInvar à 36% de Ni et nuances dérivées).

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haute température, (ii) par leurs caractéristiques struc-turales diverses (aciers martensitiques, ferritiques, austé-nitiques, dont les nuances typiques sont respectivement le13%Cr, le 17%Cr, le 18%Cr–8%Ni) permettantd’obtenir une large gamme de propriétés mécaniques,(iii) par les problèmes spécifiques posés par leur élabora-tion et leur mise en forme et (iv) par leur contenu élevé enéléments d’alliages (Cr, Ni, Mo) qui en font un matériauau prix de revient d’autant plus onéreux que sonélaboration et sa mise en forme auront été plussophistiquées pour satisfaire aux propriétés d’emploi lesplus exigeantes.

La place importante prise par les aciers inoxydables,aussi bien dans les développements technologiques de lasociété industrielle, quedans les équipements courants de lasociété de consommation, justifiait qu’on remette enperspective les procédés qui ont contribué à leur développe-ment, d’autant que d’anciennes sociétés métallurgiquesfrançaises, aujourd’hui soit disparues, soit fusionnées dansde nouvelles entreprises, jouèrent un rôle de premier plandans le développement de cette métallurgie. On ne pouvaitlaisser s’effacer de la mémoire technique collective de telsdéveloppements alors que les sites initiaux de production,qui contribuèrent puissamment à l’essor de cette méta-llurgie, ont souvent été démantelés au profit de nouvellesusines plus modernes mettant en œuvre des procédés plusperformants ; on trouvera donc au fil des trois articles lesprincipales contributions de ces sociétés en matière deprocédés de fabrication.

L’aptitude du chrome, en tant qu’élément d’alliage, àralentir la corrosion du fer et accroître sa dureté avait étémise en évidence parBerthier dès 1821 et il proposait un telalliage pour la coutellerie [1]. Le besoin de conférer auxaciers une résistance à la corrosion et à l’oxydation apparutà la fin du 19e siècle, mais les outils et procédésd’élaboration permettant d’industrialiser de telles fabrica-tions, n’existaient pas. De plus, de nombreux forgeronsrejetaient l’idée de tels produits : au début du 20e siècle,selon Monypenny, les couteliers de Sheffield accueillirentl’offre d’un acier inoxydable par des « exclamations qu’ilserait peu séant d’imprimer » [1].

La fin du 19e siècle et surtout le début du 20e voient lesétudes métallurgiques se multiplier autour des aciers auchrome. Aux aciéries Holtzer à Unieux (Loire), Brustleinvers 1880 crée les premiers aciers au chrome pour lafabrication de projectiles et Boussingault en 1886 confirmeleur résistance à l’oxydation.Guillet (1904) publie une sériede mémoires sur les aciers au chrome et au chrome-nickel.En Allemagne, Monnartz (1911), définit la limite critiquede 12% de chrome pour la passivité de ces alliages etmontre le rôle du carbone et l’influence favorable dumolybdène. En 1914, Strauss et Maurer décrivent larésistance à la rouille et aux acides, d’aciers contenant uneforte proportion de chrome et de nickel. Ces aciers serontmis sur lemarché vers 1920. EnAngleterre,Brearley (1913)signale la bonne résistance à la corrosion d’aciers contenant9 à 16% de chrome. Aux États-Unis, Haynes (1915),inventeur des stellites (Co, Cr, W), prend un brevetexploité dès 1919. A Imphy, Chevenard (1917–1918)invente les « aciers » contenant 10 à 15% de chrome et20 à 40% de nickel.

En 1931 et 1934, les Aciéries d’Unieux produisirent,« industriellement », (i) le premier acier austénitique à trèsbas carbone (C< 0,02%), (ii) les premiers aciers biphasésausténo-ferritiques et (iii) le premier acier fortement alliéau nickel-chrome-molybdène-cuivre résistant dans lesacides sulfurique et chlorhydrique. Ils furent tous « redé-couverts », ailleurs, plusieurs années après, lorsque lesmoyens industriels ont permis d’en assurer la productiondans de bonnes conditions. Quant aux aciers résistant auxtempératures élevées, c’est le nom de Chevenard que l’ontrouve à l’origine des alliages à durcissement structural quiont permis l’essor des turbines à vapeur et à gaz [2]. Lescentres de recherches d’Ugine et d’Unieux (CAFL puisCREUSOT-LOIRE)1 contribueront fortement, au long dela seconde moitié du 20e siècle, à l’accroissement desconnaissances sur la métallurgie structurale des aciersinoxydables, à l’élucidation des mécanismes de corrosion, àl’adaptation des nuances aux applications envisagées etfinalement à la diversification du catalogue de nuancesdisponibles. On notera que des industries clientes,notamment l’industrie chimique et l’industrie pétrolière,par leurs études en matière de corrosion, contribuerontsignificativement à ces développements.

Les aciers inoxydables sont nés et se sont développés àpeu près simultanément dans cinq pays : la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les USA, la Suède et la France,cinq pays dans lesquels allaient se déployer les conséquencesde la révolution industrielle où les aciers inoxydablesjoueront un rôle incontournable. Cependant, les réalisationsindustrielles ne se manifesteront réellement qu’à partir desannées 1920, pour prendre toute leur ampleur lors de laseconde moitié du 20e siècle, après que toutes les difficultéstechniques qui obéraient leur développement eurent étélevées.

2 Partie I : Naissance de l’électrométallurgieet production des ferro-chromes, deuxtechnologies indispensables à l’élaborationdes aciers inoxydables

2.1 Exigences pour le développement des aciersinoxydables et aboutissements techniques2.1.1 Les obstacles surmontés

Les difficultés à produire des aciers inoxydables tenaientprincipalement à quatre obstacles :

– le caractère réfractaire et difficilement réductible desoxydes de chrome (Cr2O3), qui posait problème pourdisposer de ressources importantes en chrome à un coûtacceptable ;

la nécessité de disposer d’un moyen de fusion/affinagecapabled’atteindredehautes températures (> 1700 °C)oùalterneraient phases oxydante et réductrice (ce qu’aucun
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des moyens traditionnels d’affinage de la sidérurgie dudébut du 20e siècle, fourMartin ou convertisseurs Thomasou Bessemer, n’était capables de réaliser) ;

la nécessité pour bon nombre de nuances inoxydablesde les élaborer avec de très faibles teneurs en carbone(%C< 0,030) pour échapper à la corrosion inter-granulaire (Annexe B). Il fallait donc disposer d’unapport de chrome sous forme d’un ferro-alliage bascarbone, que la fusion de la charge soit non carburante ouqu’on sache la décarburer ;

la résistance à la déformation à chaud des austénitesfortement alliées et la présence d’un trou de ductilité deces austénites dans la zone des températures de la mise enforme à chaud.

Le premier obstacle, celui constitué par la réfractaritédes oxydes de chrome, fut levé avec l’invention, au début du20e siècle, de l’Electrométallurgie avec les travaux deHéroult (1863–1914) et de Moissan (1852–1907), quiallaient donner à la France une place longtemps pré-pondérante en matière d’aciers inoxydables, notammentgrâce à la Société UGINE avec sa filière globale deproduction, depuis la réduction du minerai de chromejusqu’aux produits finis : tôles laminées à froid, barres, fils,tubes (avec la société Vallourec). Cette maîtrise de laproduction des ferro-alliages à base de chrome (x2.2),d’abord carburés puis à bas carbone, sera le premierdéverrouillage décisif pour la production réellementindustrielle des aciers inoxydables. Au début des premièresproductions d’aciers inoxydables bas carbone, on utiliserasouvent le chrome d’origine aluminothermique, mais onimagine son coût dissuasif si l’on considère ce qu’était leprix de l’aluminium dans les années 1930 ; le chromeélectrolytique sera aussi utilisé autour des années 1950.

Le second obstacle, l’exigence d’une élaboration de hautetempérature faisant se succéder dans le même réacteur unephase oxydante et une phase réductrice (Partie II x2.1) nesera rendue possible que par l’invention par Héroult du fourélectrique à arc. La société UGINE, dont UGITECH estl’héritière, et dont le fondateur Paul Girod (1878–1951)mettra en service dès 1909 la première aciérie électriqueperformante en Europe, poursuivra, par sa branche ferro-alliages, ledéveloppementde l’électrométallurgiedesalliagesde chrome et posera les bases de la large industrialisation desaciers inoxydables. Les autres sociétés sidérurgiques d’aciersspéciaux s’équiperont progressivement de fours électriques àarc de fusion et accéderont ainsi à la production d’aciersinoxydables. Le four électrique à arc de fusion sera donc lesecond déverrouillage décisif dans lafilière de production desaciers inoxydables.

Le troisième obstacle, l’exigence des très basses teneursen carbone, imposa initialement une fusion non carburanteet donc le recours au four à induction, ce qui limitait lescharges coulées à quelques tonnes. Il fut définitivementsurmonté, après le passage à la fusion au four électrique àarc et la fabrication des FeCr suraffinés bas carbone, par lamise au point simultanément de l’injection d’oxygène enpoche sous vide (procédé VOD) et par l’injection partuyères de mélanges O2/Ar, (cornue AOD) qui permettaitde décarburer hors du four de fusion le bain métallique sanstrop oxyder le chrome (Partie II x2.1 et 2.2). Ces deux

procédés prirent leur essor à la fin des années 1960. Ce serale troisième déverrouillage décisif de la production desaciers inoxydables permettant à tout aciériste électriqued’accéder à leur production dans des conditions deproductivité inconnues jusqu’alors.

Le quatrième obstacle, celui de la transformation àchaud, fut progressivement levé, d’abord par la compré-hension des phénomènes métallurgiques à l’origine de laperte de ductilité des austénites alliées, aux températuresmoyennes (Partie III x3) ; ensuite par la réalisation decoulées à très basses teneurs en soufre (une dizaine de ppm)et par des possibilités de désoxydation très précises, grâceaux procédés d’affinage AOD et VOD qui permirent demieux contrôler les processus métallurgiques à l’origine dela faible forgeabilité à chaud des nuances austénitiques. Ledéveloppement de la coulée continue et le perfectionnementdes outils de transformation à chaud assurèrent la maîtrisecomplète des fabrications en même temps qu’ils ouvraientle champ à la production de masse des aciers inoxydables.

La sidérurgie traditionnelle, notamment celle desproduits plats minces, restait pour la filière inoxydableun modèle de productivité d’autant que la filière inoxy-dable devait avoir recours pour ses produits plats, auxoutils de laminage à chaud de l’usine intégrée : le slabbing etle train à bandes. Ce challenge incita des industriels audébut des années 1970 à regarder d’assez près une filièredont la phase liquide serait basée sur l’affinage d’une fonteau Cr (Partie II x3). Cette tentation tournera court devantle développement de l’affinage AOD.

2.1.2 Aboutissements techniques et spécialisationdes filières actuelles

Les progrès considérables en productivité du four électriqueà arc de fusion, les performances métallurgiques du conver-tisseur AOD, le passage en coulée continue, les disponibilitéscroissantes en ferrailles inoxydables, ont définitivementconforté la filière fusion électrique, affinage AOD, couléecontinue. Toutefois, certaines grandes usines intégrées enproduits plats minces non alliées ont conçu, en dérivation surleurfilière principale d’affinage de la fonte de hauts fourneaux,une ligne de production d’aciers inoxydables avec traitementspécifique des apports de chrome (Partie II x4).

À partir des années 1970, l’évolution économiquemarquée par la très forte demande en produits platsminces (nuances ferritiques à 17%Cr et austénitiques18%Cr / 8%Ni), couplée à la banalisation des outils deproduction, sera le moteur d’une spécialisation progressivedes sociétés productrices d’aciers inoxydables entre pro-duits plats et produits longs, sur le modèle de la sidérurgiedes aciers non alliés. On distingue désormais, pour ce quiconcerne l’héritage des usines françaises :

– une filière produits plats minces inoxydables, trèscomparable en son aval à sa parente des produits platsminces non alliés. Elle est représentée par la sociétéAPERAM avec ses aciéries de Genk et de Chatelet (prèsde Charleroi en Belgique), cette dernière étant héritièredes deux aciéries à produits plats inoxydables del’Ardoise (Gard) (ex UGINE) et d’Isbergues (Pas deCalais) (ex CHATILLON-COMMENTRY-BIACHE),son train à bandes (TAB) de Chatelet, et ses ateliers
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d’meu3

aureetti

4 J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020)

de transformation à froid de Genk, d’Isbergues (Pas deCalais), Gueugnon (Saône et Loire) et Pont de Roide(Doubs).

unefilière produits longs inoxydables (barres et fils, ronds àtubes, pièces forgées) représentée en France par la sociétéUGITECH (aciérie d’Ugine, Savoie), la société AUBERT& DUVAL (aciérie des Ancizes, Puy de Dôme). L’usineAPERAMd’Imphy (Nièvre) longtemps active en produitslongs inoxydables se consacre désormais essentiellementaux alliages de la métallurgie de précision (alliages aunickel à propriétés physiques particulières).

4 Il convient de mentionner, parmi ces productions électrother-miques, le carbure de silicium (SiC) utilisé comme matériauréfractaire en conditions réductrices et comme abrasif et lecarbure de calcium (C2Ca) dont le principal débouché sera laproduction d’acétylène, vecteur des premières synthèses organi-ques jusqu’à l’arrivée des vapocraqueurs de l’industrie pétrochi-mique permettant la production d’éthylène en grande quantité.5

une filière tôles fortes, et gros lingots destinés à la forgereprésentée par la société INDUSTEEL (filiale d’ARCE-LOR MITTAL) et son aciérie du Breuil au Creusot(Saône et Loire) qui coule en lingots des aciersinoxydables, dans une production majoritaire d’aciersfaiblement alliés.

Le tableau 1 regroupe de manière chronologique lesprincipales évolutions techniques pour l’industrie françaiseet sa filiation, qui sont décrites dans les paragraphessuccessifs de la présente synthèse.

La production mondiale d’aciers inoxydables, d’abordnord-américaine et européenne, s’est étendue progressive-ment vers l’Asie, très rapidement vers le Japon, puis vers laCorée du Sud et la Chine. Elle représente environ 3% de laproduction mondiale d’aciers, en tonnages mais bien plus envaleur. Sur un demi-siècle, son développement a étéimpressionnant (Fig. 1), notamment en produits plats :entre 6 et 7millions de tonnes à la fin des années 1970, elledoublait au début des années 1990, avant une croissancespectaculaire à partir de 2000 sous l’influence de laChine quireprésente, aujourd’hui, 50% de la production mondialed’aciers inoxydables2. En 2017, la répartition entre produitsplats et produits longs était de 82 et 8% ; les aciers Cr-Ni(série 300) représentaient55%de laproduction ; les aciers auchrome (série 400), 25% ; les aciers Cr-Mn (série 200), 20%[3]. On observe que c’est bien la demande en produits platsqui a été le moteur principal du développement de laproduction d’aciers inoxydables ; c’est aussi la raison pourlaquelle les principales aciéries productrices de demi-produits plats en aciers inoxydables se sont rapprochéesdes trains à bandes pour le laminage à chaud.

2.2 Naissance de l’électrométallurgie : la réductiondes minerais de chrome2.2.1 Naissance de l’électrométallurgie

Les travaux d’Héroult3 (1863–1914 : invention du fourélectrique à arc) et ceux de Moissan (1852–1907 : réductiondes oxydes réfractaires et productiondes carburesmétalliques

À la fin du 20e siècle, la Chine ne produisait pratiquement pasaciers inoxydables, en 2005, elle produisait 13% du totalondial, en 2017, 54%. Entre 2005 et 2017, la part de l’Unionropéenne est passée de 34 à 15% [3].On ne saurait oublier qu’Héroult, concurremment avec Hall, estssi l’inventeur du procédé d’électrolyse ignée de l’alumine quiste aujourd’hui toujours à la base de la production d’aluminium,dont les sociétés Péchiney et Ugine développeront l’exploita-

on en France.

aux températures de l’arc électrique), au tout début du20e siècle, allaient être à l’origine de l’électrométallurgie. Lestravaux scientifiques des deux précurseurs furent relayés pardeux industriels : PaulGirod fondateur des aciéries d’Ugine etHenry Gall (1862–1930) à l’origine de la Société d’Electro-chimie (fabrication des chlorates par électrolyse) et de laSociété des Carbures Métalliques (notamment pour lafabrication du carbure de calcium).Ces trois entreprises, sousl’impulsion d’HenryGall, fusionneront en 1920 pour former laSociétéd’Electrochimieetd’ElectrométallurgieetdesAciériesElectriques d’Ugine (SECEMAEU).Celle-ci se développeradans les vallées alpines (vallées de la Maurienne, de laRomanche, de la Tarentaise, de l’Arly, de l’Arve et duGiffre)par la mise en exploitation des ressources hydro-électriqueslocales. C’est ainsi qu’allait être produite, par voie électro-thermique, une large variété de ferroalliages dont le débouchéprincipal serait la sidérurgie et ses besoins en élémentsd’alliages : Fe Mn (mais qui pouvait être aussi produit auxhaut-fourneaux), FeSi, FeCr, FeMo, FeW, FeTi, FeV, SiCa,SiCr4… Une bonne partie de cette électro-métallurgie alpineest aujourd’hui démantelée.

2.2.2 Les minerais de chrome

Les minerais de chrome traités par l’électrométallurgiecontiennent entre 45 et 55% de Cr2O3, 13% à 17% de FeOprincipalement liés dans un spinelle (la chromite) : Cr2O3,(FeMg)O. L’industrie des ferro-alliages utilise préféren-tiellement des minerais où le rapport Cr/Fe est supérieur à3. La gangue est principalement composée de minérauxalumino-magnésiens (les minerais de chrome contiennentautour de 20%MgO. 10%Al2O3, 5%SiO2). Les principauxgisements de minerais de chrome, d’origine magmatique, setrouvent (par ordre décroissant d’importance) en Afriquedu Sud, Turquie, Kazakhstan, Inde, Finlande5, Russie,Iran, Albanie, Madagascar, (où la société UGINE avait misun gisement en exploitation pour alimenter en minerais sesfours de réduction de l’usine de l’Ardoise). La productionminière mondiale annuelle de chromite approche aujour-d’hui les 40millions de tonnes6.

Au vu de cette composition des minerais, on peut déjàobserver que leur réduction posera un double problème : par

La mine de Kémi, près de Tornio au fond du golfe de Botnie,alimente en chrome, par l’intermédiaire d’une usine voisine deFeCr carburé, une aciérie produisant des aciers inoxydables, letout opéré par la société Outokumpu.6 Un très important gisement de minerais de chrome a étédécouvert, il y a quelques années, dans le nord de l’Ontario, ausud-ouest de la baie James. C’est le seul gisement significatifd’Amérique du Nord. Sa mise en exploitation est prévue pour2028. Pour traiter le minerai extrait une usine de production deFeCr carburé est également envisagée à Sault- Sainte Marie sur leLac Supérieur.

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Tableau 1. Chronologie des évolutions techniques dans la production des aciers inoxydables.

Table 1. Chronology of technical evolutions in stainless steels production.

Dates Procédés Commentaires Renvois

Début 20e siècle Début de l’Electrométallurgie Ferroalliages (Alpes) (Travaux deHéroult et Moissan)

PI x2.1

1909 Aciérie électrique P. Girod crée l’aciérie électriqued’Ugine

Vers 1920 Premières réalisationsindustrielles-inox

Développement : 2e tiers 20e siècle

Elaboration des Ferro-chrome et des inox avec FeCr suraffiné liquide Partie I1913 Smelting furnace La France produit 8000 t de FeCr

carburé, la Suède 4000 t.PI x2.2.3

1937 Brassage métal-laitier partransvasements poche à poche

Brevet du procédé Perrin PI x2.2.4

1938 Procédé Perrin-GreffeProduction inox avec FeCrsuraffiné liquide

Implantation par Ugine del’aciérie de Moutiers (deux foursélectriques de fusion de 20 t) et deson unité de production de FeCrsuraffiné. (2 smelting furnaces).

PI x2.2.4

1957 idem Première unité de production deFeCr suraffiné implantée àl’Ardoise par Ugine, en amontd’un four d’aciérie de 40 t.

PI x2.2.4

1963 idem Deuxième unité de production deFeCr suraffiné implantée àl’Ardoise en amont d’un secondfour d’aciérie de 70 t.

PI x2.2.4

1969 idem Atelier d’agglomération duminerai de chrome de Madagascarà Ugine/l’Ardoise

PI x2.2.4

Elaborations des inox sans FeCr liquide Partie II1949 Travaux de Hilty (USA) Equilibres C,O,Cr dans Fe liquide PII x2.2.1Jusqu’au débutdes années 1970

Elaboration «Tout au four »électrique

Démarrage de l’aciérie d’Isbergues(1971)

PII x2.1

1954 Injection Ar/O2 (AOD) Argon/Oxygen Décarburization

Brevets LINDE (UNION-CARBIDE)

PII x2.2.3

Fin années 1960 Décarburation sous vide parl’oxygène dissous du bain liquide

Ugine/Moutiers PII x2.2.2

Id VOD Vacuum OxygenDecarburization

Injection d’oxygène en poche sousvide. (Witten ; Creusot-Loire)

PII x2.2.2

1975 AOD Isbergues et Ugine Savoie PII x2.2.31982 AOD L’Ardoise19802006

AOD APERAM : Genk (+CC),Chatelet (+CC).

PII x2.2.3

Refusion ESR appliquée aux aciers inoxydablesFin années 1950(1964 en France)

Procédés de refusion ESR Electro Slag Remelting(Kiev)

PII 2.3.2.4

1988 Refusion haute pression Hautes teneurs N (PESR-Krupp) PII x2.3.32007 Refusion ESRR UGITECH PII x2.3.2.4

Elaborations des inox à partir de fonte au chrome ou dans des usines intégrées1970 KALDO-VAC Réacteur à l’Ardoise (UGINE) PII x3.1.2Début des années 1970 CLU UDDEHOLM (Degerfors)

CREUSOT-LOIRE (Decazeville)PII x3.2

1981 SR-KCB KAWAZAKI (Mizushima) PII x4

J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020) 5

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Tableau 1. (suite).

Dates Procédés Commentaires Renvois

2002 Fonte+AOD APERAM (Acesita)Auparavant LD et VOD

PII x4

1995 CLU COLUMBUS (Middelburg/Afrique du sud)

PII x3.2.2

Coulée des inoxJusqu’à la findes années 1970

Coulée en lingots majoritaire Coulée sous laitier chez UGINE PIII x2.1

1971 Coulée continue produits plats Isbergues PIII x2.11975 Coulée continue produits longs Coulée rotative AUMD/

DecazevillePIII x2.1

1978 idem Coulée rotative Imphy PIII x2.11982 idem Coulée verticale Ugine PIII x2.11983 Coulée continue

Produits platsL’Ardoise PIII x2.1

Mise en forme des inox produits platsJusqu’au débutdes années 2000

Accords nécessaires avec TAB Isbergues fait laminer chezCarlam (Aperam)L’Ardoise fait laminer à Fos/mer

PIII x3.5

Après 2000 Regroupement desaciéries autour d’un TAB

ARCELOR puis APERAM(fermetures de l’Ardoise etd’Isbergues et concentration surle site de Charleroi)

PIII x3.5

Fig. 1. Evolution de la productionmondiale d’aciers inoxydables [3].

Fig. 1. Stainless steel world production.

Fig. 2. Four électrique pour la production des ferro-alliages(smelting furnace) [4].Crt : creuset en graphite ; Tc : trou decoulée ; El : électrode ; Ch : alimentation (coke et minerais).

Fig. 2. Smelting furnace.

6 J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020)

la stabilité de Cr2O3, beaucoup moins réductible que Fe2O3des minerais de fer ; par son caractère réfractaire propre (leminéral est aussi utilisé comme matière première dansl’industrie des produits réfractaires, notamment dans ceuxdestinés aux réacteurs métallurgiques) ainsi que celle de lagangue. Pratiquement seule l’électrométallurgie permettrad’atteindre facilement les températures requises pour laréduction par le carbone de l’oxyde de chrome et la fusion dela gangue.

2.2.3 La fabrication des FeCr carburés

On distingue commercialement trois catégories de FeCrcarburés, selon la teneur en carbone :

carbone compris entre 6 et 10% ; – carbone compris entre 4 et 6% ; – carbone compris entre 4 et 10% avec une forte teneur en Si(entre 2 et 10%) ; les variétés les plus chargées en siliciumsont référencées sous la dénomination « charges Cr».
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Fig. 3. Solubilité du carbone dans les alliages Fe-Cr-Si [4].Onobserve que la solubilité du carbone devient pratiquement nulle àpartir de 40% de Si.

Fig. 3. Carbon solubility in Fe-Cr-Si alloys.

J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020) 7

La réduction au four électrique du minerai de chromeest une carbothermie, où le carbone est l’agent réducteur(et non le CO comme dans un haut-fourneau) avecformation de carbures (Cr3C2 et Cr23C6), ces carburesaux températures croissantes (> 1500 °C pour Cr3C2 ;> 1700 °C pour Cr23C6) vont eux-mêmes réduire Cr2O3 ;ce qui explique que les FeCr carburés produits seront àteneur d’autant plus faible en carbone que la températurede leur élaboration aura été plus élevée. Lors de l’opérationde réduction, aux températures atteintes dans le four, il y aaussi une carbothermie de la silice d’où les teneurs parfoisélevées en silicium du FeCr produit [4].

Cette séquence de réactions, avec les températuresrequises, faisait pratiquement du four électrique deréduction (smelting furnace) le seul outil adapté pourproduire des FeCr en masse, d’autant que la nonréductibilité des oxydes de chrome par le CO rendaitpratiquement inutile la fonction échangeur chimique gaz/solide à contre-courant qui était principalement celle duhaut-fourneau dans la réduction des minerais de fer.

Le smelting furnace (Fig. 2) est un four électrique àarc alimenté en courant alternatif triphasé. Il se distinguedu four à arc de fusion de ferrailles par les caractéristi-ques suivantes, qui en font une sorte de bas fourneauélectrique :

le four est le plus souvent non basculant et coule par untrou de coulée qu’on débouche périodiquement, lorsque laquantité de ferroalliage liquide accumulée dans le creusetest suffisante ;

la production est quasi-continue au sens où la puissanceélectrique appliquée est quasi permanente et l’apport enminerais à réduire et en réducteur (coke métallurgique)quasi-continue ;

le creuset où se rassemble le ferro-alliage liquide est bâtiavec un garnissage graphite ;

il est surmonté d’une courte cuve où se préchauffe lacharge (minerais à réduire et coke métallurgiqueréducteur) ;

les électrodes en graphite qui plongent verticalementdans la charge sont parfois des électrodes auto-cuiseuses(électrodes Söderberg : graphitisation progressive àmesure que l’électrode descend dans la charge).

Dans les usines récentes productrices de FeCr carburéle smelting furnace est précédé d’un atelier de préparationdu minerais (broyage, pelletisation et frittage) et depréchauffage de la charge par la post-combustion desfumées (riches en CO) issues du four électrique deréduction.

Compte-tenu de la faible teneur en carbone exigée par laplupart des aciers inoxydables et de l’impossibilité dedécarburer des bains riches en chrome sans réoxyder duchrome, les FeCr carburés ne pouvaient être l’uniquevecteur du chrome dans les aciers inoxydables. Avec lesmoyens dont disposaient les aciéristes jusqu’à la fin desannées 1960, ces FeCr carburés ne pouvaient représenter aumieux que 60% du chrome de la nuance ; il était doncnécessaire de disposer de ferro-chrome à teneur bien plusbasse en carbone, obtenus à partir du minerai de chrome enprenant le détour d’une silicothermie.

2.2.4 La fabrication des FeCr affinés et suraffinés(bas carbone)

La société UGINE, par le procédé Perrin-Greffe mis aupoint par sa branche ferro-alliages, va remarquablementindustrialiser cette production de FeCr suraffiné (75%Cr,%C< 0,030). L’obtention de ce FeCr suraffiné à bascarbone, à partir de minerais de chrome, par la voieélectrothermique, repose sur une silicothermie qui exploitela propriété des alliages riches en chrome de dissoudred’autant moins de carbone qu’ils sont plus riches ensilicium (Fig. 3).

Le procédé de fabrication du FeCr suraffiné va doncconsister à opérer en parallèle deux smelting furnaces :

– l’un pour fondre le minerai de chrome et obtenir unminerai fondu. Ce four est chargé en minerais de chromeet en chaux (ajoutée à la charge en prévision de lasilicothermie ultérieure). Ce four n’a qu’une fonction defusion d’une charge minérale réfractaire.

l’autre pour élaborer et couler un alliage SiCr (44%Si,38%Cr) dont la teneur en silicium garantira sa très basseteneur en carbone (%C< 0,020) bien que la réductionprocède de la carbothermie. Ce four est chargé enquartzite (SiO2), en minerai de chrome (Cr2O3, FeO) eten coke métallurgique (carbone réducteur).

Il s’agira ensuite de faire réagir le SiCr liquide sur leminerai de chrome fondu (silicothermie par réaction métalliquide/laitier liquide), de manière à obtenir un FeCrliquide bas carbone (le carbone a été éliminé du système parla présence du Si à forte teneur). La très grande originalitédu procédé Perrin-Greffe sera d’opérer cette réduction duminerai de chrome par le SiCr à contre-courant ens’appuyant sur la maitrise des échanges métal/laitier partransvasements poche à poche, acquise par les aciéristesd’UGINE avec le procédé Perrin.

Le procédé est schématisé à la figure 4. La réduction àcontre-courant qui permet une excellente récupération duchrome contenu dans le système, consiste à faire réagir leréducteur le plus puissant (SiCr) sur un laitier déjà

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Fig. 4. Le procédé Perrin-Greffe pour la production du FeCrsuraffiné bas carbone [5].

Fig. 4. Low carbon FeCr production by Perrin-Greffe process.

8 J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020)

partiellement épuisé en chrome (laitier S à 10%Cr2O3), cequi produit un alliage intermédiaire (métal E à 45%Cr et20%Si). Ce métal intermédiaire est lui-même utilisécomme réducteur sur le minerai fondu pour produire leFeCr suraffiné bas carbone recherché, le sous-produit decette réduction étant le laitier S (que nous avonsmentionnéprécédemment) qui sera épuisé en chrome par le traitementau SiCr.

Le point de fusion du FeCr suraffiné bas carbone étantvoisin de 1650 °C, les points de fusion des charges minéralesdes fours étant supérieurs à 1800 °C et les réactions desilicothermie étant fortement exothermiques, les trans-vasements poche à poche se font sur des charges liquides(laitiers et alliages) à des températures approchant les2000 °C, soit 400 °C au-dessus des températures usuelles enaciérie. Cela suppose une gestion particulière des garnissa-ges réfractaires des poches en service (pratique des auto-garnissages : tapissage du garnissage réfractaire des pochespar le minerai fondu).

Ce procédé mis en œuvre, avec un ballet assezimpressionnant des poches d’alliages et de laitiers liquidesassurant les transvasements poche à poche, en amont desaciéries électriques de Moutiers (Savoie) et de l’Ardoise(Gard) (ces deux usines sont aujourd’hui démantelées)assurera à la société UGINE, jusqu’à l’arrivée de l’AOD, unleadership industriel en matière d’aciers inoxydables.

Dans les années 1950 était apparu aux USA (sociétéUnion Carbide) un procédé dit «Simplex» [4] consistant àdécarburer en phase solide, sous vide, des briquettesconstituées d’un aggloméré de FeCr carburé broyéfinement et d’oxydes (SiO2, Cr2O3, FeO) pour fournirl’oxygène de décarburation. Le four (capacité 75t) chaufféélectriquement par résistors de graphite vers 1250 °C,soumis au vide, traitait sa charge en 80 h environ.L’avantage du procédé était d’éviter les très hautestempératures en traitant la charge en phase solide.

Son principal inconvénient, outre son temps opératoire,était de fournir un alliage à la propreté inclusionnairelargement déficiente (les résidus des oxydes incorporés auxbriquettes qui ne pouvaient décanter faute de passage parune phase liquide), qui avait un effet repoussoir sur lesaciéristes déjà à la recherche de la propreté inclusionnaire.Ce procédé «Simplex» est à notre connaissance la premièreintervention industrielle du vide dans la fabrication desalliages de chrome.

2.2.5 La réduction des minerais de chrome parcarbothermie sans apport d’énergie électrique

L’éventualité d’un passage par la fonte au chrome (Partie IIx3), incita la société CREUSOT-LOIRE à réfléchir à laréduction directe des minerais de chrome pour obtenir unFeCr carburé sans passer par l’électrothermie.

2.2.5.1 Principe du procédé Bouchet

Au début des années 1960 au moment où la professionsidérurgique s’enflammait pour la réduction directe desminerais de fer (avec l’objectif de court-circuiter les hauts-fourneaux), un cadre dirigeant de la Société Métallurgiqued’Imphy (Mr Bouchet, ingénieur spécialiste de fonderie)imagina, à partir d’un four électrique de fonderie (fourMazières : four électrique monophasé, tournant autourd’un axe horizontal, avec les deux électrodes disposéeshorizontalement dans l’axe du four), un procédé deréduction directe dont le réacteur ressemblait assezfortement à une cornue tournante Kaldo (Partie II x3.1),puisque qu’on substituait une lance à oxygène auxélectrodes. La démarche paraissait paradoxale puisque leprocédé opérait en réduction (grâce à du charbon chargéavec le minerai) alors que le bilan énergétique du procédéreposait sur la consommation d’oxygène. Le procédéfonctionnera cependant parfaitement en réduction/fusion.

2.2.5.2 Description du procédé

Dans le procédé Bouchet, on poussait aux extrêmes lacoexistence d’une charge solide en cours de réduction et defusion, composée de carbone réducteur et du minerai àréduire, et d’une atmosphère oxydante où le CO émis par lacharge était brûlé en CO2 dans le réacteur par l’injectiond’oxygène. La température et la cinétique de réductionétaient pilotées par la vitesse d’apport d’oxygène au sens oùplus on injectait d’oxygène dans l’atmosphère plus latempérature s’élevait, mais plus la consommation deréducteur (le carbone de la charge) croissait. Le garnissageexposé à l’atmosphère du four était surchauffé par lapostcombustion de CO en CO2 et transmettait à la charge,grâce à la rotation de la cornue, une partie de son énergieemmagasinée. Le réacteur, si on le poussait aumaximumdeses capacités productives, se révèlerait être un redoutableconsommateur de carbone, d’oxygène et de briquesréfractaires.

Les réflexions de la société CREUSOT-LOIRE, autourde l’affinage en convertisseur CLU (Partie II x3.2) decharges à haut carbone et chrome et son exploitation àl’aciérie AUMD de Decazeville (Aveyron) conduisirent à y

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expérimenter la réduction de minerais de chrome unique-ment par carbothermie afin de produire un alliage dechrome carburé. Le four Bouchet paraissait être unréacteur adapté au projet compte tenu des températuresqu’il permettait d’atteindre, sans avoir recours à l’énergieélectrique (la région étant à l’époque assez déficitaire aupoint de vue de la puissance électrique disponible). Lacharge du four était constituée de boulets moulés associantfines de charbon et minerais de chrome poudreux auxquelson ajoutait du charbon réducteur en vrac. Le four Bouchetcoula sans problèmes majeurs un FeCr carburé.

Il est clair que l’idée d’un tel procédé ne pouvait naîtreque dans un monde industriel ne se préoccupant absolu-ment pas des émissions de CO2 puisque la problématiquedu réchauffement climatique n’était pas encore apparue.Cependant à un moment où le pays se lançait massivementdans son programme électronucléaire, revenir à un procédéreposant entièrement sur l’énergie fossile issue du charbonet se substituant à l’électrométallurgie, n’allait pasvraiment dans le sens de l’Histoire. Nous l’avons retenucomme une illustration, appliquée aux minerais de chrome,de cet engouement pour la réduction directe qui avait saisila profession sidérurgique, au plan mondial, dans lesannées 1960/1970.

2.2.6 Production actuelle des Ferro-chromes

Les moyens modernes d’affinage des aciers inoxydables(procédésAODetVOD,voirpartie II)ont considérablementréduit les besoins en FeCr suraffinés bas carbone (utilisésdésormais uniquement pour le réglage final de la teneur enchromede la nuance élaborée). En conséquence l’essentiel duchrome neuf destiné à la production des aciers inoxydablesl’est désormais sous forme de ferro-chrome carburés dont lesusines productrices (suivant le schéma décrit en 2.2.3) sontsouvent proches des gisements de chromite (Finlande,Turquie, Inde, Russie, Afrique du Sud).

2.2.7 Production du nickel

Le nickel entre, pour des teneurs comprises entre 8 et 20%,dans la composition des nuances inoxydables austénitiques.Il nous parait utile de rappeler ici, dans ses très grandeslignes, cette métallurgie extractive du nickel car elle pèsed’un grand poids, par le prix du nickel qui en résulte et parsa perpétuelle fluctuation de grande ampleur, sur l’écono-mie des aciers inoxydables (Annexe C).

Les gisements de nickel sont de deux natures :

– ceux où les minerais sont de type oxydes : gisementslatéritiques type Nouvelle-Calédonie ou Cuba.

ceux où les minerais sont de type sulfures : gisements deSudbury dans l’Ontario au Canada, de la presqu’île deKola et de Norilsk en Russie.

On notera la très faible teneur en nickel de tous cesgisements (moins de 3% de Ni contenu et le plus souventmoins de 1,5%), ce qui entraine, au point de vue del’extraction minière et du traitement métallurgique lamanipulation d’une très grande quantité de matièresminérales avec les coûts en résultant. Le cobalt est le plussouvent associé au nickel dans ces minerais, de même que lecuivre dans les minerais sulfureux.

Les traitements des minerais de nickel sont différentsselon qu’on a affaire à des minerais oxydes ou des mineraissulfures. Ils peuvent être électrothermiques, hydrométal-lurgiques, ou combiner les deux types de procédés.L’annexe C illustre ces procédés de manière non exhaus-tive, en fournissant un exemple de traitement pour chacundes deux types de minerais ; quelques éléments relatifs àl’économie du nickel y sont aussi rassemblés.

Les producteurs d’aciers inoxydables consomment lenickel neuf (par opposition à celui contenu dans lesferrailles inoxydables) sous forme de gueuses de Fe-Ni(24%Ni), de Ni « pur » (rondelles, billes, briquettes,cathodes…) issu de divers procédés (Annexe C) selon leniveau d’impuretés tolérable par la nuance d’acier élaborée(teneur en Co notamment).

2.2.8 Importance économique des chutes d’aciersinoxydables

La croissance dumarché des aciers inoxydables a fortementaccru la production de ferrailles et chutes inoxydables enmême temps que s’organisait rationnellement leur recy-clage avec séparation des chutes ferritiques sans Ni(magnétiques), des chutes austénitiques contenant du Ni(amagnétiques). La filière du four électrique à arc, devenuetrès largement majoritaire dans l’élaboration des aciersinoxydables, est particulièrement adaptée à la consomma-tion de cette source essentielle de chrome et de nickel.

3 Conclusion

Dans la liste des problèmes aujourd’hui résolus, le premierpoint crucial pour produire des aciers inoxydables était ladisponibilité d’importantes quantités de chrome. Lesminerais de chrome étant très réfractaires, c’est grâce àl’invention de l’électrométallurgie au début du 20e siècle,que cet obstacle fut levé. La production de ferro-chromescarburés, puis à bas carbone, est passée par plusieursstades : réduction carbothermique au four électrique(smelting furnace) ; FeCr surraffiné (très bas carbone)par le procédé Perrin-Greffe grâce à un détour par la silico-thermie à des températures voisines de 2000 °C.

Aujourd’hui les principales sources de chrome de lamétallurgie des aciers inoxydables sont les ferrailles etchutes d’aciers inoxydables et les ferro-chromes carburés.Ces matières sont fondues au four électrique à arc etl’affinage (dont la décarburation), grâce aux méthodes dedécarburation sous vide ou par dilution d’argon, estconduit en aval du four de fusion, ce qui accroitconsidérablement la productivité du four électrique à arcen le spécialisant sur sa fonction principale : la fusion. Laprésentation des nombreux problèmes thermochimiquesrencontrés et des solutions techniques apportées fait l’objetde la partie II.

Annexe A: Passivité des aciers inoxydables

La résistance à la corrosionn’est pas une propriété du métal,mais celle de l’interface métal-milieu corrosif.

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10 J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020)

« Inoxydabilité». Les aciers « inoxydables » résistent à lacorrosion parce qu’ils sont déjà oxydés ! En anglais on dit« stainless » (sans tache) et en allemand « rostfrei » (sansrouille). C’est le chrome (à des teneurs de 12 à 25%) quiconfère les propriétés de résistance à la corrosion, enformant un film protecteur, appelé couche passive,constituée d’oxydes de chrome et de fer plus ou moinshydratés. Pour que cette couche soit stable et protectrice, ilfaut que les milieux corrosifs soient oxydants, sinon laprotection ne se forme pas et le fer se dissout rapidement.C’est pourquoi, l’eau distillée désaérée est plus corrosiveque l’acide nitrique concentré !«Aciers inoxydables ». De façon générale, pour être appelés« inoxydables », les aciers doivent avoir une teneur enchrome supérieure à 12%. Cette norme est issue de lamesure de la vitesse d’attaque des alliages Fe-Cr enfonction de leurs teneurs en chrome, dans des atmosphèresindustrielles ou semi-rurales. Cette vitesse devient quasinulle lorsque Cr>12%. Cependant, la teneur limite enchrome est fonction du milieu corrosif. Dans certains cas, ilfaut au moins 25%Cr. Le niveau de carbone est variable enfonction des applications, généralement en dessous de 0,1%et, assez souvent, on exige des teneurs inférieures à0,03%C. En revanche, dans la famille des aciers inoxyda-bles martensitiques, largement utilisés pour des outils oudes pièces pour l’industrie mécanique, la teneur en carbonepeut aller jusqu’à 0,7%. En plus du chrome, les autreséléments d’alliages les plus importants sont le nickel, entre8 et 25% et le molybdène, entre 2 et 6% pour des nuancesdevant résister à certains milieux chimiques plus agressifs.Il s’agit là des éléments principaux. On trouve aussi dusilicium, dumanganèse, du cuivre, du titane, et du niobiumetc. et de l’azote dans des nuances plus récentes. Ceséléments d’alliages, en fixant l’état structural après lesmises en forme et les divers traitements thermiquesinterviennent à la fois sur la tenue à la corrosion face àun milieu déterminé et sur les caractéristiques mécaniquesobtenues.«Passivité». La réalité des mécanismes de protection desaciers inoxydables dans différents types demilieux agressifsest bien plus complexe que celle qui est décrite, en premièreapproximation, par l’existence d’une couche protectriced’oxyde à base de chrome. Pour synthétiser la complexitédes mécanismes de corrosion-résistance à la corrosion, ilfaut comprendre que « la couche protectrice, dite couchepassive, ne se forme que lorsque l’acier est en contact avec lemilieu corrosif » ; et dépend de la nature du milieu agressif.Cette protection ne sera acquise qu’à la condition quel’acier soit correctement choisi pour qu’il n’y ait pas decorrosion active.La situation est très différente de celle de l’acier galvaniséoù la couche de zinc est mise en place à la fabrication duproduit. On sait que si la couche de zinc est localementendommagée le fer restera protégé (effet de couplagegalvanique favorable), mais l’endommagement du zinc estirréversible. Cette protection n’est valable que dans descirconstances bien précises : le fer galvanisé dans l’air, sousdes conditions d’humidité et de pluie intermittentes, alorsque dans l’eau, en permanence, le zinc se dissout et le fer estattaqué.

«Stabilité de la couche passive ». Dans le cas des aciersinoxydables, la couche passive se forme par réaction entrele métal (avant tout le chrome) et le milieu agressif. Si uneperturbation détruit localement la couche passive, laréaction avec le milieu agressif répare cette couche.Cependant, une couche passive établie dans des conditionsstables, ne sera plus protectrice s’il se produit desvariations importantes du milieu agressif : acidité, tempé-rature, vitesse d’écoulement, aération, etc. La couchepassive pourra être endommagée par des sollicitationsmécaniques en traction ou en fatigue du métal. Enfin, lacouche passive n’aura pas la même structure sur la totalitéde la surface du métal : la présence d’inclusions, essen-tiellement de sulfures, ou de carbures après soudage, peutaffaiblir localement la couche, de même que des états desurface grossiers (traces d’usinage, sablage imparfait,dépôts mal nettoyés, …) et conduire à des corrosionslocalisées (notamment corrosion par piqûres).La mise enservice d’un équipement en acier inoxydable nécessite doncde multiples précautions : définition la plus précise possibledes conditions d’utilisation (milieu corrosif, stabilitéchimique du milieu, température, … contraintes mécani-ques), capacité d’inspection des endroits les plus sensibles(confinement, turbulences, coudes de tuyauteries…),respect des procédures de soudure, d’usinage, de contrôledes états de surface, etc. C’est seulement à ce prix que l’onpourra affirmer, selon la formule populaire, que « l’acierinoxydable est un bon acier !».Lectures recommandées :

– L. Colombier, J. Hochmann, Aciers inoxydables, aciersréfractaires, Dunod, 1965

P. Lacombe, B. Baroux, G. Béranger, Stainless steels,Editions de physique, 1993

Annexe B: Le rôle du carbone dans les aciersinoxydables

Effet durcissant du carbone. Le carbone a un effetdurcissant dans les aciers inoxydables comme dans les« aciers au carbone ».

Critère primordial de choix d’un acier inoxydable. Dansla grande majorité des conditions d’utilisation des aciersinoxydables, c’est d’abord la résistance à la corrosion quiest recherchée, et non pas un haut niveau de résistancemécanique. Les aciers inoxydables (sauf nuances trèsspécifiques) ne sont pas des matériaux de constructioncomme les aciers au carbone, même si certaines piècesmécaniques sont fortement sollicitées, en milieu corrosif.Pour les aciers austénitiques à très bas carbone (ex : 304L,316L…) un traitement d’écrouissage par déformation àfroid (étirage des barres, tréfilage des fils, skin-pass destôles fines) est souvent indispensable pour assurer unelimite d’élasticité acceptable.

Compromis. Le carbone est indispensable dans certainsaciers inoxydables, et néfaste dans d’autres. Il s’agit àchaque fois de trouver le meilleur compromis entre larésistance à la corrosion et le niveau de propriétésmécaniques recherché. Le carbone en solution solide ne

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J. Saleil et al.: Matériaux & Techniques 108, 103 (2020) 11

pose pas de problème vis-à-vis de la résistance à lacorrosion, c’est la précipitation de carbures de chrome danscertaines circonstances de mise en œuvre (soudage,traitements thermiques, …) qui peut mettre en péril ladurée de vie du produit et ceci, en fonction des conditionsd’utilisation : nature du milieu corrosif, nature et niveaudes contraintes appliquées (statiques, fatigue, tempéra-ture, …).

Equilibrage des microstructures. Le carbone, « gamma-gène » comme le nickel, stabilise les structures austéniti-ques. Pour équilibrer la composition d’une austénite, parexemple 18–8 par rapport au 18–10, il faut faire le choix deplus oumoins de Ni ou de C. Le nickel coûte cher, le carbonenon. Le chrome est toujours l’élément de base pour larésistance à la corrosion. Le niveau de carbone recherchéest atteint par une conduite contrôlée de la décarburationen cours d’affinage et par des additions éventuelles deproduits carburés lors du réglage analytique final.

Deux exemples extrêmes

– Forte teneur en carbone : Acier de coutellerie de typebistouri chirurgical. On utilise des « aciers martensiti-ques » à 17%Cr–0,7%C qui présentent une duretéélevée et une résistance suffisante à la corrosion ;

Très basse teneur en carbone : Les aciers austénitiques àtrès bas carbone (C< 0,03%) ou ceux stabilisés au Ti ouNb sont indispensables dans les situations où touteprécipitation de carbures de chrome est interdite,notamment après soudage (corrosion intergranulaire).

Hypertrempe des aciers austénitiques. Les aciersausténitiques sont généralement livrés dans l’état « hyper-trempé ». Ce terme signifie qu’une trempe rapide depuisune haute température (ex 1200 °C) où l’acier estausténitique et tout le carbone en solution solide, produitune microstructure identique à celle de haute température,c’est à dire : la même austénite avec le même carbone ensolution solide. Pour un refroidissement moins rapide ou unmaintien même court à des températures intermédiaires(ex : 800–850 °C), les carbures de chrome précipitent auxjoints de grains, car la solubilité du carbone décroit auxplus basses températures. Cette précipitation a desconséquences très néfastes sur la tenue à la corrosion (cf.infra : corrosion intergranulaire), d’où la nécessité del’éviter par l’opération d’hypertrempe.

Dans les aciers ferritiques, une trempe rapide neparvient pas à empêcher les carbures de précipiter auxjoints de grain, parce que la solubilité du carbone est quasinulle à basse température dans la ferrite et que la diffusiondu carbone y est rapide, beaucoup plus que dansl’austénite.

Corrosion intergranulaire par précipitation de carburesde chrome (austénites et ferrites)

Au cours de certains traitements thermiques, plusspécialement après soudage, les zones qui sont passéesquelques minutes dans le domaine de températures 800–850 °C, sont soumis à une précipitation intergranulaire decarbures à forte teneur en Cr, de type Cr23C6 (quatreatomes de Cr pour un atome de carbone).Il s’ensuit uneforte déchromisation locale le long des joints de grains où lateneur en chrome n’est plus suffisante pour résister à lacorrosion.Cette sensibilisation à la corrosion intergranulaire

est plus marquée sur les aciers ferritiques que sur les aciersausténitiques en raison de la faible solubilité et la grandediffusivité du carbone dans la ferrite.

C’est uniquement le carbone, en solution solide à plushaute température ou dans une tôle hypertrempée, quiparticipe à la réaction de précipitation des carbures dans ledomaine critique. Il existe plusieurs solutions pour yremédier : (1) baisser le carbone au-dessous de 0,03% ou (2)piéger une partie du carbone par du Ti ou du Nb quiforment des carbures stables à haute température etdiminuent le carbone libre en solution solide ou (3) faire untraitement thermique à une température suffisammentélevée pour faire diffuser le chrome et combler partielle-ment ou totalement le déficit en chrome le long des joints degrains, mais cette solution est peu utilisée car elle impliqueun traitement thermique après soudage ou (4) remplacer lecarbone par de l’azote.

Rôles de l’azote. Au cours du soudage, dans le domainede températures 800–850 °C, ce sont des nitrures de typeCr2N qui précipitent aux joints de grains. De ce fait, ladéchromisation locale est plus faible qu’avec le carbone, carla consommation de Cr par le nitrure est à peu près deuxfois plus faible que par le carbure : Cr/N=2 contre Cr/C=3,8. On pourra accepter un niveau d’azote plus élevéque celui du carbone, ce qui améliore les propriétésmécaniques de l’acier. Des teneurs en manganèse plusélevées permettent d’augmenter la solubilité de l’azote(Fig. 15, Partie II x2.3.3) cependant l’introduction d’azoteau-delà de 0,3% nécessite des techniques d’élaborationspécifiques comme la mise sous pression de la phase liquide.L’augmentation de la teneur en manganèse permet, pourun même équilibrage de la nuance, de baisser la teneur ennickel, ce qui a un effet intéressant sur le coût des matièrespremières utilisées.

Annexe C: Éléments techniqueset économiques concernant la métallurgieextractive du nickelProcédés [Bo,Ti]Le traitement des minerais de type oxydespar la société SLN en Nouvelle-Calédonie

Le minerai après sa préparation (enrichissement) estpréchauffé dans des fours tournants de type cimenterie,puis chargé avec du coke dans un « smelting furnace »électrique, qui produit un ferro-nickel (Ni : 24% ; S : 0,3% ;C : 2% ; Si : 3%). Cette « fonte au nickel » sera plus oumoins affinée (désiliciée, décarburée, désulfurée) par lesmoyens sidérurgiques conventionnels (convertisseurs àl’oxygène, traitements en poche). Les FeNi obtenus sontcoulés en gueuses qui pourront être incorporées à la chargedes fours électriques des producteurs d’aciers inoxydables.

On peut aussi passer par la matte (sulfures) enchargeant le minerai d’oxydes dans un bas-fourneau eten ajoutant du gypse (sulfate) à la charge. On récupère ensortie de fourneau une matte liquide à 10%S, 63%Fe,27%Ni+Co. La matte liquide est ensuite traitée auconvertisseur pour déferrage. Le produit coulé contient

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alors 78%Ni+Co, 22%S. Cette matte sera traitée soit parhydrométallurgie, soit par pyrométallurgie (par grillageoxydant) pour éliminer le soufre. On obtient ainsi un Niplus ou moins purifié. On notera que seuls les procédéshydro-métallurgiques permettent de séparer le Co.

Le traitement pyro-métallurgique des mineraissulfureux

Il comprend en général trois étapes :

– le grillage oxydant qui vise à éliminer une partie du soufresous forme de SO2 et transformer une partie des sulfuresde fer en oxydes. Ce grillage peut se faire sur des chaînesd’agglomération (analogues à celles utilisées dans l’ag-glomération des minerais de fer), dans des fours à litsfluidisés, dans des fours tournants de cimenterie. Leproduit sortant est un aggloméré solide ;

smelting. C’est une fusion oxydante en présence de SiO2visant à éliminer le fer restant de l’opération précédente(FeS), sous forme silicate de fer qui sera éliminé avec lelaitier. Elle peut se faire en bas fourneaux, par flashsmelting dans un courant d’oxygène (la combustion descomposée de S est fortement exothermique), dans un fourélectrique ;

conversion. Les opérations précédentes ont permisd’éliminer l’essentiel de la gangue et une bonne partiedu fer. Ni, Cu et Co sont sous forme dematte. L’opérationde conversion vise à parachever le déferrage (la mattecoulée après conversion est à 1% de fer).

Il reste à séparer le Ni du Cu, cela peut se faire parsolidification et refroidissement contrôlés de la matteliquide (séparation des deux phases Ni3S2 et Cu2S),électrolyse, hydrométallurgie.

On notera au passage que le traitement des mineraissulfureux et l’affinage oxydant des mattes engendrent detrès grands volumes de SO2 qui posent de redoutablesproblèmes de dépollution des gaz émis (ces émissionscontribuent à la formation de pluies acides détruisant lavégétation environnante).

Les procédés de purification finaux. [Bo, Kr]

Ils ont pour objectif de délivrer un nickel pur (à plus de 99%de Ni) et de valoriser les éléments métalliques mineurs(dont le Co). On distinguera parmi une grande variété deprocédés :

– La carbonylation (procédé Mond : historiquement lepremier procédé de purification) : Ni en présence de COforme à 50 °C du Ni tétracarbonyle Ni(CO)4 gazeux, quise décompose à 250 °C pour redonner du Ni métallique.Le procédé suppose un déferrage préalable de la mattepour éviter la carbonylation simultanée du fer ;

Hydrométallurgie des sulfures de Ni. Le procédé concerneaussi bien les mattes issues du traitement des mineraisoxydes que des minerais sulfures. Les procédés compor-tent successivement une lixiviation pouvant faire appel àdiverses chimies, une purification des solutions pour enretirer les précipités de Co et de Cu, une réduction parl’hydrogène qui donne une poudre de nickel frittée enbriquettes ;

Electrolyse. L’électrolyte est un sulfure de nickel mélangéà de l’acide sulfurique. On récupère le métal purifié sousforme de cathodes.

Quelques données économiques à proposdu nickel

Dans les années 1950 la productionminière mondiale (en Nicontenu) fluctuait autour de 180 kt/an, elle dépassedésormais 2000 kt/an, une part très significative de cetaccroissement de production est liée au développement desaciers inoxydables austénitiques, notamment en Chine(développement des gisements indonésiens et philippins).L’industrie des aciers inoxydables consomme 70% de laproduction mondiale de nickel [Nii].

Les minerais oxydes (latérites) sont devenus laprincipale source de nickel.

Les principaux producteurs, en 2017, étaient lessuivants [Wa], (en kt de Ni contenu, production annuelle) :Indonésie 400 ; Philippines 230 ; Canada 210 ; NouvelleCalédonie 210 ; Australie 190 ; Russie 180 ; Brésil 140 ;Chine 98 ; Guatemala 68 ; Cuba 51. Les importantesvariations de production d’une année à l’autre sont lerésultat des fluctuations de prix de grande ampleur (lesgisements marginaux suspendant leurs productions lorsqueles cours du Ni sont trop bas) et/ou des problèmes depollution [Wa].

Les fluctuations des cours du nickel [Cx] sont de grandeampleur et traduisent les difficultés de l’ajustement del’offre et de la demande, compte tenu de la lourdeur et de lalenteur de la mise en exploitation des nouveaux gisementset des usines de traitement. Sur les cinquante dernièresannées les cours du nickel (exprimés en US$ 2019/lb denickel) ont fluctué entre des points hauts : 14 (1970) ;13,3 (1988) ; 20,4 (2007) et des points bas (1966 : 6,1 (1966) ;1986 :4,0 (1986) ; 3,2 (1988) ; 4,6 (2106), pour une moyenneà 7,6US$. L’année 1988 est particulièrement remarquableavec des cours oscillant entre 13,3 et 3,8US$ !

Références Annexe C[Bo] J. Boldt, jr, P. Queneau, The winning of Nickel,

Van Nostrand Company, 1967[Cx] www.croixdusud.Info-Nouvelle-Calédonie, 2019[Kr] F.K. Krundwell, M.S. Moats, V. Ramachandran,

T.S. Robinson, W.G. Davenport, Extractive Metallurgy ofNickel, Cobalt and Platinum Group Metals, Elsevier, 2011

[Nii] Nickel Institute, www.nickelinstitute.org/[Ti] Eramet, Métallurgie du nickel, Tech. Ing. M2250

(1996)[Wa] www.worldatlas.com/articles/top-nickel-produc

ing-countries.html

References

1. R. Castro, Historical Background to stainless steels. Stainlesssteels, Les Editions de Physique, 1993

2. L. Colombier, J. Hochmann, Aciers inoxydables et réfractaires,Dunod, 1965

3. ISSF, Stainless steels in figures 2018, www.worldstainless.org(statistics)

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4. G. Volkert, K. Frank, Metallurgie der Ferrolegierungen,Springer Verlag, 1971

5. J. Davené, G. Gay, J. Saleil, Le four électrique à arc, partie II,Matériaux & Techniques 102, 301 (2014)

Citation de l’article : Jean Saleil, Marc Mantel, Jean Le Coze, Production des aciers inoxydables : Histoire et développementsPartie I. Electrométallurgie, production des FeCr, Matériaux & Techniques 108, 103 (2020)