procédures confidentielles et règlement les points clés 1346/2000 … · 2013-05-03 · l’abri...

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70 71 LES POINTS CLéS Le « centre des intérêts principaux » serait présumé se trouver au même endroit qu’au siège statutaire, sauf si « le centre effectif de gestion » se situe dans un État membre différent dans lequel est située l’administration centrale de l’entreprise Le champ d’application du règlement serait élargi aux procédures de pré-insolvabilité dans lesquelles le débiteur n’est pas dessaisi de son pouvoir de gestion La confidentialité, condition même du succès des procédures amiables, serait nécessairement exclue du champ d’application du règlement 1 CJUE, 2 mai 2006, n° C-341/04. 2 CJCE, 20 octobre 2011, C-396/09 3 La proposition ne modifie pas l’annexe A listant les procédures nationales auxquelles il s’applique, car la Commission doit être habilitée à adopter un « acte délégué », conformément à l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. 4 L’article 1 er de la proposition continue à ne viser que les procédures « collectives ». 5 Yves Lelièvre, Président du Tribunal de Commerce de Nanterre, « L’institution consulaire au cœur de la vie économique française » - Rentrée solennelle du 11 jan- vier 2013 Par Christian Roth, avocat associé, et Violaine Motte, avocat. rothpartners L a proposition du 12 décembre 2012 de la Commission euro- péenne prévoit des mesures permettant une meilleure informa- tion et protection des créanciers, et la prise en compte des procédures de pré-insolvabilité pour optimiser le redressement des entreprises in bonis. L’exclusion du champ d’appli- cation du règlement n° 1346/2000 des procédures « confidentielles » est toutefois révélatrice des limites et du paradoxe de l’exercice. Pour une information et protec- tion accrue des créanciers La proposition prévoit des règles de publicité obligatoires dans un registre électronique européen acces- sible gratuitement sur internet, pour les informations relatives aux procé- dures d’insolvabilité (date d’ouver- ture, type de procédure, débiteur, syndic désigné, date de clôture, délai pour la déclaration de créance…). La production des créances pour les créanciers étrangers est facilitée (for- mulaires uniformisés dans les langues officielles, un délai impératif de 45 jours minimum pour déclarer une créance, absence de représentation en justice obligatoire pour produire une créance devant une juridiction étrangère). Le droit d’attaquer la décision d’ouverture de la procédure principale est offert à tout créancier ou toute partie intéressée se trouvant dans un État membre différent. Ces avancées en faveur des créan- ciers étrangers sont fidèles à l’esprit du règlement, dont le considérant 21 prévoit depuis l’origine, le principe de « l’égalité de traitement des créanciers ». Pour une prévention optimale des difficultés d’entreprises Le champ d’application du règlement est élargi aux procédures de pré-insol- vabilité et hybrides, qui « favorisent le redressement d’un débiteur économi- quement viable » et « maintiennent en place l’équipe dirigeante ». Ces pro- cédures n’entraînant pas nécessai- rement la désignation d’un syndic, le règlement ne devrait s’appliquer que lorsqu’elles sont menées « sous le contrôle ou la surveillance d’une juri- diction ». Ainsi, le « dessaisissement du débiteur » ne constituera plus le critère déterminant l’application du règlement, comme cela est le cas à l’heure actuelle et notamment depuis l’arrêt Eurofood 1 . Le champ d’applica- tion du règlement est également élargi aux groupes de sociétés, une démarche « entité par entité » étant conservée et obligation est faite aux différents syn- dics des sociétés d’un même groupe de coordonner leurs actions. L’obli- gation d’ouverture d’une procédure de liquidation pour les procédures secondaires est supprimée, afin que l’ouverture d’une procédure secon- daire ne compromette pas automati- quement le plan de redressement ou de restructuration du débiteur dans son ensemble. Il est également prévu une coopération renforcée entre les juridictions des procédures princi- pales et secondaires, cette obligation étant à l’heure actuelle limitée aux syndics de ces procédures. Le critère de compétence juridictionnelle qu’est le « centre des intérêts principaux  » est redéfini par une présomption simple : il est présumé se trouver au même endroit qu’au siège statutaire. Cette présomption peut être renver- sée si « le centre effectif de gestion » se situe dans un État membre différent du siège statutaire et dans lequel est située l’administration centrale de l’entreprise. Cette intégration dans le texte de la jurisprudence Interdil 2 participe de la volonté de coordina- tion renforcée, afin d’éviter le « forum shopping » expressément dénoncé dans la proposition. Colosse aux pieds d’argile : les outils optimaux exclus ? En France, le règlement n° 1346/2000 applicable depuis l’origine aux procé- dures de redressement et liquidation judiciaires, s’applique également à la sauvegarde depuis 2006. L’élargisse- ment proposé aux procédures de pré- insolvabilité inclura-t-il la sauvegarde financière accélérée, nouvel outil de sauvetage des entreprises instauré en 2010, ainsi que les procédures amiables de mandat ad hoc et de conciliation ? 3 Dans ces trois procédures, le débiteur n’est pas dessaisi de ses pouvoirs de ges- tion, mais sa gestion est menée sous la surveillance du juge, sur compte rendu d’un administrateur judiciaire, d’un mandataire ad hoc ou d’un concilia- teur. Si la sauvegarde financière accélérée peut entrer dans le champ d’applica- tion du règlement, il en va différem- ment des procédures de mandat ad hoc et conciliation, qui sont des procédures amiables 4 caractérisées par le principe de confidentialité imposé par l’article L. 611-15 du code de commerce. Le succès de ces procédures repose en grande partie sur leur caractère confi- dentiel 5 . Il faut dire qu’elles favorisent davantage le redressement et la survie de l’entreprise en difficulté, et font passer au second plan les créanciers, amenés dans le cadre d’accords de moratoire, à renoncer à une partie de leur créance ou à en recevoir le paie- ment échelonné. Ces concessions constituent souvent un « pis-aller » pour les créanciers, qui préfèrent évi- ter une déconfiture de leur débiteur, et partant, le risque de devoir renoncer à l’intégralité de leurs créances. Or, la proposition exclut – à juste titre - du champ d’application du règlement les procédures confidentielles, soit les plus efficaces. Lorsque les difficultés d’une entreprise sont rendues publiques, s’enclenche pour celle-ci une spirale infernale, dans laquelle tant ses créan- ciers que ses débiteurs cherchent – légi- timement – à se mettre eux-mêmes à l’abri de difficultés de recouvrement et/ou de remboursement. L’étau se resserre alors inexorablement autour du débiteur, contraint à se déclarer en cessation des paiements. On aura compris le paradoxe de l’exercice consistant à réformer le règlement n° 1346/2000, dont l’ambition est de constituer un outil européen opti- mal pour le sauvetage des entreprises tout en promouvant une coopération renforcée et une meilleure protection des créanciers, alors que les vrais outils anti-crise doivent nécessairement, par leur nature confidentielle, rester à l’ombre des projecteurs… Christian Roth, avocat associé Violaine Motte, avocat Christian Roth et Violaine Motte exercent au sein du cabinet rothpartners présent à Paris et Bruxelles. Ayant développé un savoir-faire juridique et multilingue (anglais, allemand, italien, chinois) dans les relations internationales et transfrontalières, ils interviennent en droit des contrats et contentieux commerciaux, prévention et traitement des difficultés d’entreprises et corporate. SUR LES AUTEURS Procédures confidentielles et règlement 1346/2000 : un mariage impossible ? Dans la conjoncture actuelle, le credo d’un bon outil anti-crise en matière de procédure collective repose sur la protection efficace des créanciers et la prévention optimale des difficultés d’entreprises, le plus en amont possible. Exercice toutefois difficile et paradoxal, parfaitement illustré par la proposition de modification du règlement n°1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité. 60 50 40 30 20 10 0 1200 1000 800 600 400 200 0 41 47 21 16 168 1037 1002 888 206 158 18 17 30 30 66 Conciliations Redressements Mandats ad hoc Sauvegardes Liquidations Prévention des difficultés Entretiens de prévention Statistiques du tribunal de commerce de Nanterre Procédures amiables Procédures collectives Jugements d’ouverture En 2010 En 2011 En 2012 En 2010 En 2012 En 2011 En 2010 En 2011 En 2012 Total 1235 1105 1209

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les points clés

Le « centre des intérêts principaux » serait présumé se trouver au même endroit qu’au siège statutaire, sauf si « le centre effectif de gestion » se situe dans un État membre différent dans lequel est située l’administration centrale de l’entreprise

Le champ d’application du règlement serait élargi aux procédures de pré-insolvabilité dans lesquelles le débiteur n’est pas dessaisi de son pouvoir de gestion

La confidentialité, condition même du succès des procédures amiables, serait nécessairement exclue du champ d’application du règlement

1 CJUE, 2 mai 2006, n° C-341/04.2 CJCE, 20 octobre 2011, C-396/093 La proposition ne modifie pas l’annexe A listant les procédures nationales auxquelles il s’applique, car la Commission doit être habilitée à adopter un « acte délégué », conformément à l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

4 L’article 1er de la proposition continue à ne viser que les procédures « collectives ».

5 Yves Lelièvre, Président du Tribunal de Commerce de Nanterre, « L’institution consulaire au cœur de la vie économique française » - Rentrée solennelle du 11 jan-vier 2013

Par Christian Roth, avocat associé, et Violaine Motte, avocat. rothpartners

La proposition du 12 décembre 2012 de la Commission euro-péenne prévoit des mesures

permettant une meilleure informa-tion et protection des créanciers, et la prise en compte des procédures de pré-insolvabilité pour optimiser le redressement des entreprises in bonis. L’exclusion du champ d’appli-cation du règlement n° 1346/2000 des procédures « confidentielles » est toutefois révélatrice des limites et du paradoxe de l’exercice.

pour une information et protec-tion accrue des créanciersLa proposition prévoit des règles de publicité obligatoires dans un registre électronique européen acces-sible gratuitement sur internet, pour les informations relatives aux procé-dures d’insolvabilité (date d’ouver-ture, type de procédure, débiteur, syndic désigné, date de clôture, délai pour la déclaration de créance…). La production des créances pour les créanciers étrangers est facilitée (for-mulaires uniformisés dans les langues officielles, un délai impératif de 45 jours minimum pour déclarer une créance, absence de représentation

en justice obligatoire pour produire une créance devant une juridiction étrangère). Le droit d’attaquer la décision d’ouverture de la procédure principale est offert à tout créancier ou toute partie intéressée se trouvant dans un État membre différent.Ces avancées en faveur des créan-ciers étrangers sont fidèles à l’esprit du règlement, dont le considérant 21 prévoit depuis l’origine, le principe de « l’égalité de traitement des créanciers ».

pour une prévention optimale des difficultés d’entreprisesLe champ d’application du règlement est élargi aux procédures de pré-insol-vabilité et hybrides, qui « favorisent le redressement d’un débiteur économi-quement viable » et « maintiennent en place l’équipe dirigeante ». Ces pro-cédures n’entraînant pas nécessai-rement la désignation d’un syndic, le règlement ne devrait s’appliquer que lorsqu’elles sont menées « sous le contrôle ou la surveillance d’une juri-diction ». Ainsi, le « dessaisissement du débiteur » ne constituera plus le critère déterminant l’application du règlement, comme cela est le cas à l’heure actuelle et notamment depuis

l’arrêt Eurofood1. Le champ d’applica-tion du règlement est également élargi aux groupes de sociétés, une démarche « entité par entité » étant conservée et obligation est faite aux différents syn-dics des sociétés d’un même groupe de coordonner leurs actions. L’obli-gation d’ouverture d’une procédure de liquidation pour les procédures secondaires est supprimée, afin que l’ouverture d’une procédure secon-daire ne compromette pas automati-quement le plan de redressement ou de restructuration du débiteur dans son ensemble. Il est également prévu une coopération renforcée entre les juridictions des procédures princi-pales et secondaires, cette obligation étant à l’heure actuelle limitée aux syndics de ces procédures. Le critère de compétence juridictionnelle qu’est le « centre des intérêts principaux  » est redéfini par une présomption simple : il est présumé se trouver au même endroit qu’au siège statutaire. Cette présomption peut être renver-sée si « le centre effectif de gestion » se situe dans un État membre différent du siège statutaire et dans lequel est située l’administration centrale de l’entreprise. Cette intégration dans

le texte de la jurisprudence Interdil 2 participe de la volonté de coordina-tion renforcée, afin d’éviter le « forum shopping » expressément dénoncé dans la proposition.

colosse aux pieds d’argile : les outils optimaux exclus ?En France, le règlement n° 1346/2000 applicable depuis l’origine aux procé-dures de redressement et liquidation judiciaires, s’applique également à la sauvegarde depuis 2006. L’élargisse-ment proposé aux procédures de pré-insolvabilité inclura-t-il la sauvegarde financière accélérée, nouvel outil de sauvetage des entreprises instauré en 2010, ainsi que les procédures amiables de mandat ad hoc et de conciliation ?3

Dans ces trois procédures, le débiteur n’est pas dessaisi de ses pouvoirs de ges-tion, mais sa gestion est menée sous la surveillance du juge, sur compte rendu d’un administrateur judiciaire, d’un mandataire ad hoc ou d’un concilia-teur. Si la sauvegarde financière accélérée peut entrer dans le champ d’applica-tion du règlement, il en va différem-ment des procédures de mandat ad hoc et conciliation, qui sont des procédures amiables4 caractérisées par le principe de confidentialité imposé par l’article L. 611-15 du code de commerce. Le succès de ces procédures repose en grande partie sur leur caractère confi-dentiel5. Il faut dire qu’elles favorisent davantage le redressement et la survie de l’entreprise en difficulté, et font

passer au second plan les créanciers, amenés dans le cadre d’accords de moratoire, à renoncer à une partie de leur créance ou à en recevoir le paie-ment échelonné. Ces concessions constituent souvent un « pis-aller » pour les créanciers, qui préfèrent évi-ter une déconfiture de leur débiteur, et partant, le risque de devoir renoncer à l’intégralité de leurs créances. Or, la proposition exclut – à juste titre - du champ d’application du règlement les procédures confidentielles, soit les plus efficaces. Lorsque les difficultés d’une entreprise sont rendues publiques, s’enclenche pour celle-ci une spirale infernale, dans laquelle tant ses créan-ciers que ses débiteurs cherchent – légi-timement – à se mettre eux-mêmes à l’abri de difficultés de recouvrement et/ou de remboursement. L’étau se resserre alors inexorablement autour du débiteur, contraint à se déclarer en cessation des paiements. On aura compris le paradoxe de l’exercice consistant à réformer le règlement n° 1346/2000, dont l’ambition est de constituer un outil européen opti-mal pour le sauvetage des entreprises tout en promouvant une coopération renforcée et une meilleure protection des créanciers, alors que les vrais outils anti-crise doivent nécessairement, par leur nature confidentielle, rester à l’ombre des projecteurs…

christian Roth, avocat associé Violaine Motte, avocat

Christian Roth et Violaine Motte exercent au sein du cabinet rothpartners présent à Paris et Bruxelles. Ayant développé un savoir-faire juridique et multilingue (anglais, allemand, italien, chinois) dans les relations internationales et transfrontalières, ils interviennent en droit des contrats et contentieux commerciaux, prévention et traitement des difficultés d’entreprises et corporate.

suR les auteuRs

procédures confidentielles et règlement 1346/2000 : un mariage impossible ?Dans la conjoncture actuelle, le credo d’un bon outil anti-crise en matière de procédure collective repose sur la protection efficace des créanciers et la prévention optimale des difficultés d’entreprises, le plus en amont possible. Exercice toutefois difficile et paradoxal, parfaitement illustré par la proposition de modification du règlement n°1346/2000 relatif aux procédures d’insolvabilité.

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Conciliations

Redressements

Mandats ad hoc

Sauvegardes

Liquidations

Prévention des difficultésEntretiens de prévention

Statistiques du tribunal de commerce de Nanterre

Procédures amiables

Procédures collectivesJugements d’ouverture

En 2010 En 2011 En 2012 En 2010 En 2012En 2011

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