PROBLÈMES DE LA VIE - Michel-Schooyans.org - Accueil€¦ ·  · 2015-07-02évidemment inspiré...

18
Michel SCHOOYANS professeur à l'Université catholique de Sâo Paulo PROBLÈMES DE LA VIE L'HEURE DE L'ÉGLISE Tiré à part de RYTHMES DU MONDE T. XI (1963) p. 185^200. RYTHMES DU MONDE

Transcript of PROBLÈMES DE LA VIE - Michel-Schooyans.org - Accueil€¦ ·  · 2015-07-02évidemment inspiré...

Michel SCHOOYANS

professeur à l'Université catholique de Sâo Paulo

PROBLÈMES DE LA VIE

L'HEURE DE L'ÉGLISE

Tiré à part deRYTHMES DU MONDET. XI (1963) p. 185^200.

RYTHMES DU MONDE

&

Problèmes

de la vie universitaire brésilienne

L'heure de l'Eglise

DANS une première partie, nous examinerons quels sont les problèmesqui se posent aujourd'hui à l'université brésilienne. Nous indiquerons

successivement les principales questions qui concernent, d'une part, les insti-stutions universitaires en général, et d'autre part, les institutions officielleset privées. Les institutions officielles sont celles dont la direction et le financement incombent à la fédération, à un État, voire à un municipe. Par institutions privées, il faut entendre celles dirigées par des particuliers ou desassociations, par exemple religieuses. Dans le présent article, il ne sera question que des institutions privées catholiques.

Un second groupe de réflexions sera consacré à l'exposé de quelqueslignes maîtresses de solution. Tantôt ces suggestions auront une portée générale. Tantôt elles tendront à montrer quelle peut être l'action de l'Égliseau sein des institutions officielles, et quelle est la mission propre de sesinstitutions d'enseignement supérieur.

Nous conclurons en indiquant comment, à travers les institutions universitaires, l'Église du Brésil peut être à la pointe du développement national,et quels sont les bénéfices qu'elle peut espérer retirer de son action dans cedomaine.

La crise universitaire En 1962, une grève d'environ deux mois a para-actuelle, lysé les activités universitaires presque partout

dans le pays. Les étudiants revendiquaient, entreautres choses, une représentation d'un tiers, avec voix délibérative, au seindes organismes de direction des universités. Leurs revendications n'ont pastoujours eu la suite* qu'ils en espéraient. Un an après, un climat de tensionrègne toujours dans le monde estudiantin. Le conflit, toujours latent, risquede réapparaître au moindre prétexte.

On peut à bon droit s'interroger sur l'inspiration idéologique profondede ce mouvement, qui a ses homologues dans d'autres pays d'Amériquelatine. Il est hors de doute que l'inspiration communiste n'y est pas étrangère. Cependant, la grève et le malaise qui s'ensuit encore ont eu pour conséquence heureuse de forcer à une réflexion critique sérieuse sur les problèmes

m

que pose et qu'impose la situation actuelle des universités dans le contextecomplexe du Brésil actuel. La tournure nettement politique qu'ont parfoisprise les débats n'est pas pour simplifier les choses : un climat passionné enest la conséquence fatale.

L'inspiration idéologique de la grève a fait en sorte que les étudiants etune partie du corps académique prennent conscience des faiblesses de l'université par le biais de la fonction sociale, sinon politique, qu'on attend d'elle.Ce qu'on lui reproche, ce n'est pas tellement ses insuffisances sur le planscientifique : l'ensemble du monde universitaire a une notion trop imprécisedu travail de recherche et de ses exigences pour se rendre compte que c'estlà surtout que le bât blesse. Les critiques les plus fréquentes se situent à unautre plan : il est significatif qu'elles s'habillent fréquemment d'un jargonévidemment inspiré d'un marxisme populaire. C'est ainsi que l'on expliquegravement que la culture brésilienne est « aliénée », « transplantée », «hété-ronome », etc. ; que l'université brésilienne est le sanctuaire où cette culturese transmet par des privilégiés à des privilégiés qui n'ont guère d'intérêt pourles problèmes actuels du pays ; que les professeurs sont les gardiens de cetteculture, et donc des privilèges sociaux qu'elle confère ; que les universités sedonnent pour mission essentielle de conserver les privilèges de l'époquecoloniale, ce à quoi les professeurs s'appliquent de leur mieux en distribuantune culture d'apparat; et que, pour tout dire, dans son état actuel, l'université brésilienne fait, dans l'ensemble, le jeu de l'impérialisme international,qui souhaite que rien ne bouge. Pour sortir de l'impasse, on propose doncune démocratisation générale de l'université ; dans la pratique, celaveut dire:recrutement démocratique des étudiants et des professeurs, multiplicationeffrénée des institutions pour que tous y aient accès. Et comme les forcesconservatrices ne se montrent guère disposées à abandonner facilement leursprivilèges, on prône plus ou moins ouvertement la « lutte des classes » entreétudiants et professeurs, et, au besoin, la « révolution », en l'occurrence,et ne fût-ce que provisoirement, la grève (1).

Tous les étudiants sont loin de souscrire sans réserves à ce genre d'affirmation. Mais .étant donné leur commodité, et la dose de vérité qu'ellescontiennent, ces thèses ont largement pénétré dans la mentalité estudiantine.A la suite de ces débats, le public estudiantin s'est éveillé, s'est uni et alargement pris conscience de constituer une classe.

Les vraies dimensions Que la culture dispensée dans bien des facultésdu problème. de lettres ou de droit, soit une culture d'apparat,

on l'admettra assez facilement. Que sous certainsaspects, et dans certaines de ses manifestations, la culture brésilienne soit uneculture transplantée, on n'en disconviendra pas davantage. Toutefois, malgréleur valeur heuristique incontestable, ces catégories doivent être maniées avec

(i) Voir les « Résolutions du deuxième séminaire national de réforme universitaire », (Curitiba, mars 1962), publiées par l'Union nationale des Étudiants, sous letitre de Caria do Paranâ (Cademos da UNE, 2). On comparera utilement ce documentavec A qitestào universitâria, de Alvaro Vieira Pinto, (Cademos universitarios, 1),(Rio de Janeiro, 1962).

[2]

~-<l

I•M

précaution, car chez les meilleurs représentants de la culture brésilienne,il y a, au delà des liens de dépendance et à travers eux, une volonté d'originalité créatrice et d'affirmation personnelle. Ceci se vérifie aussi bien dansle droit que dans la littérature, dans la musique que dans l'architecture, etc.Dirions-nous que Racine est «aliéné » par rapport à Virgile, et celui-ci parrapport à Homère? Pour prendre des exemples dans le domaine de la philosophie, est-il si sûr que les meilleurs représentants du positivisme au Brésilne cherchaient pas, dans l'œuvre de Comte, une doctrine du progrès, pourleur pays, une idéologie du développement, en quelque sorte ? Aussi bien,est-il sisûr qu'en recourant volontiers à certaines catégories marxistes, certainsinspirateurs de la réforme universitaire ne tombent pas, — sera-ce sans lesavoir ? — dans le travers de l'« aliénation culturelle » qu'ils sont si promptsà blâmer chez leurs compatriotes ?

Nous touchons dès lors un des premiers grands problèmes qui s'imposeaux universitaires brésiliens : prendre mieux conscience des caractères propresde leur culture; découvrir le projet profond qui animait les philosophes,écrivains, juristes, etc., lorsqu'ils «réactivaient » la pensée d'autres étrangers ;mesurer le parti qu'ils ont tiré des traditions autochtones et de celles quirésultent du brassage des races. Comment pourraient-ils procéder à cetteconfrontation en se fermant au dialogue? Un peuple peut-il prendre conscience de ses valeurs propres en se privant de points de repère extérieurs,en refusant des dépendances historiques évidentes et des options antérieuresqui ne le sont pas moins ? Comment, sans cela, pourrait-il prendre du reculvis-à-vis de cet héritage, sans lequel les impulsions originales n'auraient paseu de point d'appui ?

On pourrait également exprimer ceci en termes de dialogue. Touteœuvre culturelle suppose le dialogue, et s'il est vrai qu'au Brésil beaucoupse sont bornés à imiter sans jamais quitter les bancs de l'école, d'autres —justement les meilleurs — avaient assez de personnalité pour dépasser leursmodèles. Au demeurant, si les premiers s'en sont tenus à une attitude d'imitation, c'est précisément parce que leurs contacts avec les cultures étrangères avaient été par. trop superficiels pour qu'une vraie assimilation fûtpossible, — condition du travail créateur.

Il faut donc que l'université brésilienne ouvre les étudiants à des contacts féconds avec toutes les valeurs que le génie de l'homme a promues,au prix de tant de peines, à travers les siècles. Si l'on peut parler, au Brésil,de culture d'apparat, et presque équivalemment, de culture transplantée,c'est parce qu'un seuil d'assimilation personnelle n'a été atteint que par lesmeilleurs — pensons par exemple à Machado de Assis, à Villa-Lobos, àNiemeyer — et non pas parce que cette culture transplantée aurait étoufféles germes d'une culture radicalement autochtone. Il y a au contraire desvaleurs humaines typiquement brésiliennes qui n'ont pas encore reçu leurexpression parce qu'un contact trop épidermique avec la culture importéen'a pas encore permis d'en évaluer l'originalité, ni rendu possible la médiation à travers une œuvre culturelle.

Cette situation, déjà regrettable pour le Brésil, l'est aussi pour l'humanitéen général. A notre époque, on parle volontiers de planétarisation, d'interna-

[3]

tionalisation, d'universalisation, etc. Or il est certain que les Brésiliens ontune expérience brésilienne de la vie humaine, qu'ils sont plus particulièrement sensibles à certaines valeurs humaines. Le reste du monde est en droitd'attendre d'eux qu'ils mettent en lumière ces valeurs, qu'ils explicitent cesexpériences de la vie humaine. Or ceci suppose à nouveau un dialogue, unecommunication. Il y a une contribution au progrès moral de l'humanité quidépend de l'initiative des Brésiliens, et d'eux exclusivement. L'expériencebrésilienne de la vie humaine possède des caractères propres suffisammentmarqués pour que, rejetant quelque obscur complexe d'infériorité collectif,les Brésiliens cessent de voir dans une attitude d'accueil au monde unemenace pour leur autonomie. Ils ont atteint une maturité humaine suffisantepour pouvoir envisager le dialogue avec le reste des hommes en termesd'échanges et d'enrichissement réciproque.

Bref, pour le Brésil lui-même, et pour le reste du monde, il serait regrettable que le pays s'enfermât dans un isolationnisme culturel mesquinet anachronique, dont le résultat le plus clair serait un appauvrissement culturel du Brésil lui-même, et un important manque à gagner pour le restedu monde.

Ces observations trouvent leur application dans la délicate question dudéveloppement national. D'une façon générale, le mouvement de réformeuniversitaire auquel nous nous sommes déjà référé, présuppose implicitementet de façon plus ou moins simpliste, que le Brésil est un pays sous-développé :d'où la commodité des schémas d'inspiration marxiste qu'on peut lui appliquer. En réalité, le sous-développement du Brésil se présente d'une façonsui generis, non seulement par rapport aux pays sous-développés d'Afriqueet d'Asie, mais même par rapport aux autres pays d'Amérique latine. Commel'a fort bien montré Jacques Lambert (2), il y a, en fait, deux Brésiis: l'unrural, colonial, traditionnel; l'autre urbain, moderne, progressiste. Ces deuxBrésiis coexistent parfois géographiquement, mais diffèrent profondémentnon seulement par leur style de vie, mais surtout par le rythme de développement. Selon que l'on fixe l'attention sur le Brésil «archaïque » ou sur leBrésil « moderne », on aboutit à un nationalisme mesquin, qui redoute toutcontact avec l'étranger, qui vit du souvenir des humiliations passées et présentes, — ou au contraire à un nationalisme optimiste, fier, qui a foi enl'avenir et ne redoute ni l'aide ni la collaboration étrangères. Alors que lenationalisme première manière préconisera une «meilleure répartition desrichesses », l'autre insistera sur la nécessité de créer de nouvelles sources derichesses, c'est-à-dire, pratiquement, sur la nécessité de moderniser l'agriculture et de développer l'industrie. Tout le problème actuellement consisteà savoir si le Brésil moderne parviendra à imposer son rythme de développement à l'ensemble du pays, donc à multiplier la création de sources nouvelles de richesses et à établir un marché intérieur équilibré, caractéristiquesd'une économie moderne.

A cet égard, il semble clair qu'à moyen ou long terme les solutions

(2) Jacques Lambert, Os dois Brosis, Rio de Janeiro, 1959.

[4]

prônées par les réformateurs universitaires soient de nature à maintenir lepays dans un état de sous-développement inquiétant. En effet, le développement du Brésil, y compris sur le plan social, suppose une économie moderne :il serait inutile d'avoir une législation sociale ultra-progressiste si le développement économique du pays n'en permettait pas l'application. Il est utopiquede prêcher une « démocratisation » à outrance de l'enseignement universitaire si, faute de ressources, le pays a déjà de la peine à maintenir convenablement les institutions existantes.

Or pour créer de nouvelles sources de richesses, il est certes indispensable de disposer d'importants capitaux. Mais l'effort le plus important ne sesitue pas précisément dans ce secteur. Il est surtout indispensable que l'onse préoccupe davantage des investissements humains. Ainsi considéré, on voitque le développement harmonieux du Brésil suppose une attention spécialeaux problèmes de l'éducation. C'est dans ce cadre général que doit êtreenvisagé le problème universitaire.

A notre époque, les liens deviennent chaque jour plus étroits entre larecherche scientifique et les applications pratiques. Il s'ensuit que, de mêmeque la science, l'industrie est de plus en plus en état de progrès. A leur tour,ces progrès incessants supposent une reformulation constante de l'économie,de la politique, des relations sociales, du droit, etc. Les conditions de l'existence humaine sont constamment mises en question ; de nouvelles exigencesapparaissent. Or, ces transformations multiples et profondes, si elles sontde nature à rendre les conditions de vie plus humaines, supposent des chercheurs hautement qualifiés et compétents dans tous les domaines. La contribution de l'université au développement du pays est donc fonction de sacapacité à déterminer un changement profond dans le rythme traditionneldu développement. De nos jours, cela ne signifie pas simplement que lesuniversités doivent se borner pratiquement à divulguer des techniques importées de l'étranger, — des techniques « aliénées », pour employer la terminologie reçue.

Un pays comme le Brésil peut avoir plus d'ambition. Parce que le seuilcritique du sous-dévelôppement a été franchi largement dans quelques grandscentres, il peut ambitionner d'entrer en dialogue, sur pied d'égalité, avec lesgrands courants scientifiques internationaux, et ce dans les divers domainesde la recherche. Le reste, c'est-à-dire les applications, viendra par surcroît.Aussi bien, si les universités ne deviennent pas rapidement ces centres derecherche, y aura-t-il un décalage progressif entre l'état des techniques importées de l'étranger et l'état des techniques telles qu'elles existent actuellement à l'étranger. Là aussi, en effet, tout dépend du rythme de développement. En somme, pour exercer sa fonction sociale dans la conjoncture nationale actuelle, l'université brésilienne doit d'abord être une institution scientifique de premier ordre.

Les institutions actuelles. Pour faire face à ces problèmes, le Brésil dispose d'un nombre considérable d'institutions. En

1959, il y avait environ 1400 unités scolaires supérieures, groupées en quelque

[5]

400 établissements, comptant quelque 100.000 étudiants et plus de 21.000professeurs. Des informations récentes indiquent qu'il y a 22 universités officielles et 10 catholiques. Du côté catholique, le nombre des institutions, parexemple de facultés isolées, n'a cessé de s'accroître jusqu'en 1962. Il y en aà présent plus de 130 (3).

Sur quelque 18.000 étudiants gradués en 1959, 26 % environ le furentdans les facultés de philosophie, sciences et lettres (4), 20 % en droit. Parcontre, 8,3 % ont terminé leurs études de médecine; 8,3 % encore sontdevenus ingénieurs (civils, pour la plupart) ; 1,6 %^ sont sortis agronomes,chose étrange pour un pays dont plus de la moitié de la population estagricole (5). Par rapport àl'enseignement officiel, on note, du côté privé, uneproportion nettement plus grande des facultés de PhScL, de droit et autressemblables, en comparaison avec les facultés «scientifiques» (ingénieurs,médecins, agronomes surtout) : les premières sont moins onéreuses, voirelucratives (6).

Le coût annuel de fonctionnement par étudiant, déjà variable selonla faculté considérée, varie davantage encore selon qu'il s'agit d'institutionsofficielles ou privées. En 1962, l'étudiant en odontologie coûtait, à l'Étatde Sâo Paulo, quelque 600 dollars dans la capitale de l'État, mais 5000 (!)à Baurû, ville de l'intérieur de l'État, où la faculté ne comptait qu'une dizaine d'étudiants. Le coût moyen par étudiant s'accroît aussi là ou il y apléthore de personnel. On a signalé récemment que l'université fédérale deRecife avait plus de personnel (professeurs, fonctionnaires, etc.) que d'étudiants. On peut estimer que, pour l'ensemble des facultés, l'étudiant coûtaitenviron 850 dollars à l'État de Sâo Paulo en 1962. Compte tenu des réserves déjà notées, l'étudiant devait coûter, pour la même année, quelque150 dollars à une université catholique du même État.

Une dernière indication : elle est relative à la répartition des crédits affectés à l'enseignement. En 1948, 60,3 % étaient affectés à l'enseignementdu premier degré, 27,3 % à celui du second degré et 12,4 % au supérieur.En 1956, les données correspondantes étaient respectivement: 43,2 %;30,8 %;'et 26 % (7).

(3) Voir le dernier Amiârio estatistico do Brasil, paru en 1961, et publie par le« Conselho nacional de Estatistica ». Les données, relatives à 1959, se trouvent auxPP 361-363. Nous avons arrondi les chiffres et complété les données par 1annexe 44publiée à la suite du Piano de emergência para a Igreja do Brasil, (publication de laConférence nationale des évêques du Brésil), Rio de Janeiro, 1962. Cf. p. 72.

(4) L'organisation de cette faculté rappelle celle de la Sorbonne. Cest, en gros,la faculté qui prépare surtout les professeurs de l'enseignement secondaire. Elle comprend plusieurs sections : philosophie, lettres, pédagogie, mais aussi géographie, physique, mathématiques, etc. Nous emploierons l'abréviation : PhScL.

(5) Voir YAnmrio cité à la note (3), p. 363. , ' , , , ,, . „ •«.(6) Voici quelques exemples. En 1959, il y avait dans les facultés officielles et

privées (catholiques et autres) respectivement: en PhScL: 2145 professeurs contre•U96: 1323 étudiants diplômés contre 3537; en droit: 587-506 et 1835-1665; en médecine: 1147-495 et 1184-292; chez les ingénieurs: 3477-848 et 1147-348; en agronomie:445-18 (!) et 286-16 (!!). Source: Amdrio cité, pp. 361-363.

(7) D'après le chapitre sur le Brésil, publié par le bureau détudes de 1Economat(Londres) sous le titre L'enseignement technique du second degré dans les pays sous-développés. (Études et documents d'éducation, 33), Unesco, (Paris, 1959), P. "•

[6]

Les difficultés. L'effort humain et financier consenti pour l'enseignement supérieur paraît disproportionné par

rapport à celui consenti pour l'enseignement primaire surtout, mais aussisecondaire et technique. Actuellement encore, l'analphabétisme, qui atteintenviron 50 % de la population, tend à s'accroître légèrement au Brésil, parceque la création des écoles primaires ne suit pas le développement démographique. Par conséquent, même à supposer que les universités existantes forment de bons éléments, les bénéfices du progrès, par exemple économique,risquent d'être partiellement neutralisés par la sustentation d'une masse analphabète, poids pour ainsi dire mort dans un pays moderne, mais qu'il faudraitremorquer. En outre, il est bien connu qu'un minimum d'instruction permetla diffusion rapide de techniques simples mais très efficaces (par exemple,pour l'agriculture, l'hygiène, etc.). Enfin et surtout, une instruction, mêmeélémentaire, est de nature à créer une profonde aspiration vers le mieux:et ce ressort psychologique est indispensable à tout progrès. Notons au passage que, dans le même ordre d'idées, il faudrait multiplier les écoles techniques, aussi bien dans les zones rurales que dans les villes (8).

On est frappé aussi par le nombre des facultés de PhScL, en particulierprivées. Or, dans leur état actuel, la majorité de ces facultés ne jouent pasle rôle humain que nous avons indiqué, et qui est pourtant important pourle développement du pays. Elles ne sont pas équipées pour le faire : qu'onconsulte les catalogues de bibliothèques, ou les maigres publications qui ensont le produit fréquent. Dans bien des cas, on en est toujours au régimedu manuel : d'où des professeurs du secondaire à formation livresque.

La situation est un peu différente dans les facultés de droit, car le Brésilcompte une brillante tradition de juristes. Mais tout d'abord, cette traditionne se maintient que dans quelques centres (Sâo Paulo, Recife, Bahia, Riode Janeiro). Ensuite, le nombre de bacheliers en droit déversés chaque année dans la société dépasse de très loin les nécessités réelles du pays. Il s'ensuit que beaucoup de bacheliers s'adonnent à des emplois qui ne sont pas,à proprement parler, de leur ressort. Parmi ceux-ci, un nombre importantest d'ailleurs improductif. Mais ce qu'il faut surtout regretter, c'est que deséléments de grande valeur humaine, attirés par les études de droit, n'apporteront pas, dans d'autres secteurs plus directement liés au progrès, leur précieuse contribution. A cet égard, il est tristement significatif que, jusqu'aujourd'hui, le prestige du bachelier en droit soit encore supérieur à celui del'ingénieur dans bien des milieux.

Ces observations semblent indiquer que la vieille mentalité colonialeest encore très vive. Dans la société archaïque, en effet, la stratification sociale était figée, et, l'industrie étant pratiquement inexistante, on n'éprouvaitguère le besoin de nombreux ingénieurs spécialisés. De même pour les mé-

(8) Le problème de l'enseignement au Brésil vient de faire l'objet d'une étudetrès lucide de Maria José Garcia WerEbe, Grandezas e misérias do ensino brasileiro,(Corpo e Aima do Brasil, io), Sâo Paulo, 1963. Pour l'enseignement universitaire proprement dit, on se reportera à la note brève mais substantielle du Professeur LéonardVan Acker, De Braeiliaanse Universiteiten, publié dans Kerk en Missie-Documentotie,xxxvn, 1956, réf. 378.4 (81).

[7]

decins : il n'en fallait guère que pour les besoins de la classe sociale privilégiée.La culture d'apparat, littéraire, rhétorique et juridique, permettait une carrière honorable dans la société, et en particulier dans la politique.

Et pourtant... Le Brésil moderne a besoin de bons juristes, certes. Maisaussi de bons professeurs, d'hommes de science et de techniciens. Dans lamesure où les universités continuent à divulguer une culture d'apparat, ellesconstituent un obstacle au développement, et les universitaires médiocresqui en sortent ont tout intérêt à maintenir, consciemment ou non, des privilèges de classe, un état de stagnation sociale: parasites qu'ils sont de la société.

Parmi les universités officielles, il y en a qui brillent par tels professeurs,par tel institut, par telle faculté. Sâo Paulo, l'État le plus développé duBrésil, s'est donné une université qui compte plusieurs savants et plusieurscentres de renommée internationale. Il y a d'autres exemples, non moinsnotables. Mais il faut reconnaître que ce n'est pas la règle générale dans lepays. Il y a des facultés officielles fondées pour des motifs politiques ouélectoraux. Il y en a qui sont fondées sans qu'y corresponde un réseau suffisant d'enseignement secondaire ou primaire. Dernièrement, certains réformateurs, soucieux de « démocratiser » l'université, recommandaient l'ouverture de facultés, bonnes ou mauvaises, un peu partout dans le pays. Maisétant donné leur inspiration idéologique profonde, on peut se demander s'ilssont de bonne foi en y voyant une issue au sous-développement, ou si, aucontraire, ils n'entendent pas établir ainsi un réseau favorable au maintiend'un climat d'agitation.

Du côté catholique, on n'échappe pas à l'impression que certaines fondations sont inspirées plus par la vanité naïve de certains prélats ou de certaines congrégations que par des motifs dictés par l'opportunité réelle.Quant au manque de moyens humains et financiers, il fait parfois songerà une certaine histoire de tour inachevée dont il est question dans l'Évangile.Les universités catholiques connaissent encore d'autres difficultés qui leursont propres. Énumérons les principales.

Elles sont financièrement démunies, et étant donné leur multiplication,il serait utopique d'attendre ou d'exiger que les pouvoirs publics les subventionnent convenablement. Il en découle plusieurs conséquences graves. Lesprofesseurs sont mal payés : à la faculté de PhScL d'une université catholiquede l'État de Sâo Paulo, l'heure de cours donnée est payée actuellement unpeu plus d'un dollar (8bis). D'où sélection insuffisante du corps professoral,tant du point de vue scientifique que du point de vue religieux ; multiplication des heures de cours, données par les professeurs (certains en donnentplus de vingt-cinq par semaine !) ; cumul de divers emplois ; impossibilitématérielle de se constituer une bibliothèque personnelle ; départ des meilleursprofesseurs, à la première occasion, vers l'enseignement officiel. Les bibliothèques et les laboratoires sont insuffisamment équipés : la bibliothèque d'uneuniversité catholique possédant cinq facultés compte environ vingt millevolumes, — et lesquels ! Les étudiants paient une annuité; malgré des me-

(8bis) En soi, ce système de paiement est d'ailleurs stupide.

[8]

1:..

sures d'exception, le recrutement s'effectue donc dans un éventail social plusrestreint que dans les établissements officiels, et ceci influence forcément laqualité du recrutement. Ainsi comprend-on aussi que des étudiantes, spécialement parmi les jeunes filles «de bonne famille», abandonnent fréquemment et parfois rapidement la profession à laquelle elles s'étaient préparées (par exemple, l'enseignement dans le secondaire) ; le diplôme devientalors socialement stérile. Et comme l'université catholique subsiste en grandepartie grâce aux annuités, elle est moins exigeante pour la sélection des candidats (9). Enfin, pour boucler le budget, il arrive que les institutions catholiques doivent accepter des alliances plus ou moins compromettantes avecdes hommes ou des organismes à moralité douteuse, ce qui entraîne parfoisdes restrictions appréciables pour la liberté d'expression, par exemple enmatière sociale.

La séduction communiste. Compte tenu d'une part de l'inspiration idéologique du mouvement de réforme universitaire,

et d'autre part des déficiences vraies des institutions, il n'est pas étonnantde voir l'attrait exercé par le communisme sur un certain nombre d'étudiants brésiliens.

Aux meilleurs le communisme se présente comme une philosophie accessible, qui sollicite leur générosité et leurs talents, qui leur propose uneinterprétation séduisante de l'histoire du Brésil et de sa situation présente,qui leur suggère des lignes d'action assez précises, tant en politique qu'enéconomie. Parmi celles qu'on leur présente, quelle mystique a tant de séduction ? Un communisme, même grossier, les éveille aux graves problèmesque pose le développement du pays. C'est à travers ses schémas, plus oumoins reconnus, plus ou moins assimilés, qu'ils prennent conscience de certaines vraies lacunes du système universitaire actuel.

A notre avis, s'il y a un danger communiste au Brésil, c'est là qu'ilfaut le chercher d'abord. Pour que le communisme s'implante ici, il lui suffitd'obtenir l'adhésion d'une poignée d'étudiants intelligents et décidés. S'il seprépare, au Brésil, des dirigeants marxistes, c'est dans les universités d'abord,— et pas rien que dans les officielles — qu'il faut les chercher. Il faut leschercher ensuite dans l'armée, qui est assez divisée, puis chez les ouvrierset les paysans.

(g) Voici, à titre d'exemple, des résultats d'un examen d'entrée à la faculté dePhScL de l'université d'État de Sâo Paulo, et de l'université catholique de la villevoisine de Campinas. En i960, 2165 étudiants se sont présentés à l'université d'État deSâo Paulo ; 450 d'entre eux, c'est-à-dire 21 %, ont été admis. La même année, 280 sesont présentés à l'université catholique de Campinas; 212 d'entre eux ont été admis,c'est-à-dire 75 %. Ce qui est significatif, c'est le pourcentage des étudiants admis dansJes deux universités. Les chiffres absolus n'ont pas la même signification, étant donnéque la faculté de PhScL de l'université d'État comporte des sections qui n'existentpas à Campinas. Toutefois, si l'on établit la moyenne en ne retenant que les sectionscommunes aux deux université, on constate que le pourcentage des étudiants admis àSâo Paulo est constant et est d'environ 21 %. Nous citons les résultats officiels publiés respectivement dans O Estado de Sâo Paulo du 20 mars i960, p. 22; et dans laRevista da Universidade catôlica de Campinas, 6e année, juin i960, n° 18, p. 173.

[9]

Quant à la masse des étudiants médiocres, elle sera tout aussi sensibleaux attraits du communisme, même populaire. Faute d'esprit critique,^ cepaternalisme d'État leur apparaîtra comme une planche de salut, destinée àsuppléer à leur incompétence professionnelle. Comment ne pas voir danscette masse une clientèle électorale malléable, docile, disposée à aliéner saliberté en échange de quelques services bien rémunérés mais improductifs,au sein d'une administration partisane?

Le danger est d'autant plus grave que c'est dans le milieu universitaireque l'on trouve, au Brésil, la conscience de classe la plus vive. Or le moinsqu'on puisse dire, c'est que ce milieu est déjà sous l'emprise de dirigeantsentreprenants, qui appliquent des plans froidement arrêtés, dont l'inspirationprofonde n'échappe qu'aux niais.

Les communistes brésiliens, il est vrai, seraient bien incapables de résoudre les problèmes du développement du pays, même en faisant appel àdes spécialistes étrangers. Établi ici, le communisme devrait forcément songerà former des cadres hautement qualifiés, — ou livrer sans frein le pays àun autre impérialisme que celui dont ils prétendaient le libérer. C'est pourquoi l'attrait du communisme est spécialement redoutable : y adhérer retarderait considérablement le développement. Aussi bien, du point de vueidéologique, serait-il rapidement ressenti comme un facteur puissant d'aliénation, peu en harmonie avec les traditions culturelles typiquement brésiliennes.

Surprendrons-nous en disant que les universitaires catholiques sont plusexposés à ce danger? Tout d'abord, à cause même de la multiplication desinstitutions, la Hiérarchie en contrôle difficilement l'orientation ; ce contrôleest rendu difficile par ailleurs, étant donné le manque de clergé. Par conséquent, dans les universités catholiques, la pénétration communiste n'est pasaussi difficile qu'on l'imagine à première vue. A cause du manque de clergéencore, il est difficile de donner une formation religieuse solide. Peut-on direque l'ensemble des institutions catholiques fournit aux étudiants une visionchrétienne des problèmes brésiliens ?

Mais ce qui est surtout en question, c'est la formation scientifique elle-même, qui, en ne développant guère un véritable esprit critique, rend paradoxalement l'ensemble des universitaires catholiques plus vulnérables auxséductions communistes, soit dans le cadre de l'université elle-même, soit unefois sortis de son ambiance artificiellement préservatrice.

Il faut enfin noter le snobisme assez «adolescent » de quelques étudiants, catholiques, surtout de la bonne société, qui colportent tels sloganscommunistes, mais se montrent peu disposés à réduire leur train de vie, ouà consacrer cinq ans de leur jeunesse à l'enseignement des pauvres. Jeu dangereux pourtant, car tous n'ont pas leur ingénuité. Peut-être cette attitudes'expliciue-t-elle en partie par quelque complexe de culpabilité, fruit desomissions de leur classe sociale. Mais comment ne pas voir en eux de ces«innocents utiles» qui jouent avec le feu? Il est vrai qu'ils sont parfoissoutenus plus ou moins ouvertement par quelques ecclésiastiques plus inconscients qu'éclairés. Faut-il voir dans l'attitude de ceux-ci les derniers sou-

[10]

bresauts d'un cléricalisme dissimulé mais passé de mode, ou plutôt un complexe de culpabilité, analogue à celui auquel nous venons de faire allusion,et résultant des omissions du passé?

Quoi qu'il en soit, à force de faire de la surenchère, et de s'inspirer, dansleur langage et leur action, des idéaux communistes, ces « révolutionnaires »en pantoufles pourraient payer très cher, dans un avenir qui est peut-êtreproche, le prix de leur étourderie. Ces apprentis-sorciers sont en train demettre en route un processus révolutionnaire qu'ils sont incapables d'orienter,faute de compétence, et dont le contrôle leur glissera des doigts. L'histoirerécente de Cuba est-elle en train de se répéter au Brésil ? Mis en route, dansune première phase, par ces « innocents utiles », le processus révolutionnaireserait pris en charge, dans une seconde phase, par d'authentiques communistes. Mais les appréhensions redoublent en pensant à ce qui pourrait alorsse passer au Brésil, que l'accès des communistes au pouvoir se fasse ou nonde façon violente. Souvenons-nous que les universitaires cubains, si promptsà faire la révolution, se sont révélés incompétents à l'heure d'en tirer lesprofits escomptés.

Il ne faut donc pas se méprendre sur l'importance exacte du dangercommuniste parmi les universitaires. Dans l'ensemble, le danger paraît plusgrand dans les facultés où il est relativement facile de se payer de mots.Or, on l'a vu, ces facultés continuent à attirer beaucoup d'étudiants ; ellessont proportionnellement plus nombreuses et plus fréquentées dans les milieux catholiques. La pénétration paraît un peu moins grande dans les facultés scientifiques, où l'esprit critique est plus éveillé, et où il est plus difficile de donner le change.

Perspectives. Tout ce qui a été dit montre combien le mondeuniversitaire brésilien est vivant. On peut re

gretter la tendance à la politisation de l'université, et il est hors de doute quela tournure houleuse de certains débats n'est pas de nature à apporter beaucoup de lumières. On compte aussi, bien entendu, un certain nombre d'étudiants professionnels, victimes d'une incurable stérilité intellectuelle et depauvreté de caractère, juste capables de démolir sans construire, d'agiter sansanimer, cancrelats d'une certaine société vouée à la disparition. Ces gens-làn'ont aucun avenir dans la société démocratique de demain, et un régimecommuniste vrai ne pourrait guère attendre d'eux plus qu'une soumissiond'esclaves.

Mais l'ensemble de la jeunesse universitaire brésilienne a trop de cœuret trop d'intelligence pour qu'on la juge à travers les moins qualifiés de sesreprésentants. A celui qui arrive d'une université européenne multiséculairela jeunesse universitaire brésilienne donne le témoignage poignant du sens deses responsabilités sociales. Nous pensons qu'à la longue, ce sens social del'étudiant brésilien, ce souci de la promotion humaine de tous les citoyens,constituera un puissant stimulant pour la vie scientifique elle-même. Devantce sens collectif de la responsabilité, on est honteux et gêné au souvenir de

nu

certaines disputes mesquines et anachroniques qui, à l'ère de l'universalisation, divisent encore certains milieux universitaires occidentaux.

De même pour le corps enseignant. Il y a quelque chose d'émouvant àvoir l'esprit de recherche qui anime tels savants brésiliens, alors que lemilieu ne les porte pas autant que dans la vieille Europe, et que leurs étudiants ne leur donnent parfois que de maigres « consolations » 1 II ne fautjamais perdre confiance dans cet amour de la vérité, qui n'est le monopoled'aucun continent ni d'aucune race.

Si la matière humaine est bonne, — et elle l'est, dans l'ensemble, —aucun désespoir n'est de mise. Ce point acquis, encore faut-il voir froidementde quels moyens on dispose, et comment les utiliser au mieux.

Pays jeune, le Brésil dispose forcément de moyens financiers limités.Il doit résoudre des problèmes complexes d'infrastructure, s'équiper industriellement et moderniser son agriculture. Il doit aussi faire des investissements qui ne sont rentables qu'à long terme : c'est le cas pour l'enseignement.Pour tous les motifs qui ont été exposés, nous pensons que, dans ce domaine,il faut envisager d'urgence une meilleure répartition des efforts. La luttecontre l'analphabétisme s'impose d'abord. Ensuite, l'amélioration et le développement du secondaire et du technique, puis l'amélioration de l'enseignement supérieur. Mais, dira-t-on, il y a cercle vicieux. Par où le briser ?

Nous pensons qu'il faut précisément agir par l'enseignement supérieur.C'est là qu'un effort décisif, et relativement peu onéreux en hommes et enargent, pourrait être fait. En effet, en regroupant ses meilleurs savants, enconcentrant les efforts financiers, en faisant appel à la coopération de fondset de savants étrangers, il y a moyen de fonder au Brésil plusieurs centres derecherche de niveau international. On vérifierait alors, à l'échelle du pays,ce qui se vérifie actuellement, par exemple, à l'université d'État de SâoPaulo. Là ne peuvent songer à entrer que des candidats doués et ayant faitun bon cours secondaire. S'il y avait, sur l'ensemble du territoire, cinq ousix établissements de ce genre, — ce qui est possible, — les établissementssecondaires devraient forcément relever leur niveaux, ne fût-ce que paramour-propre. Faute de quoi, leurs étudiants ne seraient jamais admis dansces établissements vraiment supérieurs.

Que deviendraient, dès lors, les dizaines de facultés éparpillées un peupartout? Elles conserveraient loyalement une fonction d'école techniquesupérieure, qui est d'ailleurs leur vraie destination actuellement. L'émulationjouant, leurs professeurs pourraient aspirer aux centres supérieurs, bien équipés, de recherche et d'enseignement.

Une réforme allant dans cette ligne suppose naturellement que l'on renonce à des résultats spectaculaires immédiats. Mais elle conduirait l'université brésilienne à jouer un rôle efficace et décisif pour le développementnational et le progrès des sciences.

Enfin, une réforme de ce genre suppose et exige une vraie « démocratisation » de l'enseignement. On veut dire par là qu'il est de l'intérêt du paysd'éliminer l'analphabétisme, afin que les enfants les mieux doués, quelle quesoit leur origine sociale, puissent révéler leurs talents et en faire bénéficier

[12]

la communauté. Plus grande sera l'aire sociale sur laquelle se fera la sélection,plus grande aussi sera la probabilité de découvrir des talents endormis. Avrai dire, les plus grandes richesses inexploitées du Brésil ne se trouvent nien Amazonie, ni dans le sein de la terre: elles croupissent et pourrissentpartout où un enfant n'a pas la chance de pouvoir manifester ses dispositionsexceptionnelles. Voilà qui est scandaleux, parce que, dès maintenant, il pourrait en être autrement.

Les responsabilités Malgré le pluralisme religieux qui va s'accen-universitaires tuant, malgré certaines formes relativement dis-des catholiques. crêtes d'anticléricalisme, l'Église du Brésil jouit

encore d'un prestige considérable dans le pays.Il est vrai que le mythe du «Brésil, pays catholique » est de plus en plusbattu en brèche. Mais il n'en est pas moins incontestable que l'Église a profondément marqué le pays, et que son autorité morale est encore grande.On en est toutefois arrivé à un tournant décisif : dans la conjoncture actuelle,toute omission, comme toute erreur, pourrait avoir des conséquences désastreuses. Si les catholiques minimisent l'attrait du communisme sur les universitaires autant que sur le peuple, rien ne dit que la religion traditionnelleconstituera un obstacle suffisant à l'implantation du communisme. Si aucontraire le développement devait se faire sans recours au communisme,mais en marge de l'Église, le Brésil aboutirait peut-être à un matérialismepratique analogue à celui de Scandinavie, que la religion traditionnelle, encore une fois, ne pourrait pas endiguer davantage. Or c'est justement à cettecroisée des chemins que l'Église du Brésil a peut-être la plus grande chancede son histoire. On attend d'elle une doctrine, un témoignage.

On attend d'elle une mystique du progrès. A condition d'évincer toutcléricalisme et de respecter l'autonomie propre des diverses disciplines, unebonne partie du monde intellectuel, jeune et adulte, est encore disposée àécouter sa voix sur ce chapitre. Mais il faut qu'elle parle sans crainte et sansretard. Il faut que sa doctrine stimule les énergies humaines qui dorment ouqui divaguent. Il faut qu'elle mette en lumière, pour les catholiques, lesimplications humaines de la vie chrétienne intégrale; et que, par ce faitmême, elle attire l'attention de tous, catholiques ou non, sur les champsd'action temporelle où une collaboration loyale est possible et nécessaire.

Mais il faut aussi que l'Église donne un témoignage vivant d'attentionaux problèmes humains que doit résoudre le pays. Pour cela, l'exigence d'unregroupement, déjà vraie pour les établissements officiels, s'impose a fortioriaux institutions cathbliques. Il y a un devoir général de témoignage qui s'impose aux universitaires catholiques brésiliens, comme à tous les universitairescatholiques : à savoir que loin de redouter la science, ils la respectent, loinde redouter la vérité scientifique, ils la cherchent loyalement à travers undialogue ouvert avec tous les hommes. Ce devoir de témoignage s'imposeà un titre spécial ici : l'Église, en effet, doit non seulement animer le développement par sa doctrine, mais aussi le promouvoir effectivement en apportant sa pierre, modeste peut-être, mais indispensable, à l'édifice. Si, perdant

[13]

cette chance unique, — peut-être la dernière, — les catholiques manquentà leur mission, ils risqueront de donner un témoignage à rebours.

Aux catholiques donc de regrouper leurs forces vives, de concentrerleurs ressources, de renoncer à leurs ambitions personnelles, régionales ouconventiculaires. Quel témoignage serait-ce pour l'Amérique latine si, commeii est possible, le Brésil comptait deux ou trois excellentes universités catholiques I Quel témoignage aussi pour le Brésil! Dans un'monde qui exigeraun nombre croissant d'universitaires et de chercheurs hautement qualifiés,l'Église aurait ainsi une place royale et s'imposerait au respect de tous, mêmedans une société religieusement pluraliste.

Un regroupement des énergies catholiques valables rendrait possible lasolution de bien des problèmes : sélection des professeurs, des étudiants, formation religieuse plus approfondie, équipement meilleur des laboratoires etbibliothèques. Il serait possible de concentrer les efforts sur les facultés« scientifiques », où se formeront et se recruteront de plus en plus les dirigeants de demain. Enfin, les problèmes financiers passant au second plan,le recrutement pourrait être plus démocratique, avec les avantages que celaentraîne. Dans un pays jeune et dynamique, c'est faire preuve de sagesse quede miser sur les forces qui montent.

Ainsi seraient créées, en outre, des conditions favorables à une actionchrétienne dans les universités officielles. Sans attendre l'accroissement del'autorité morale qui découlerait des initiatives que nous venons d'évoquer,le monde universitaire est encore fort accessible à l'influence religieuse. Lesprêtres, libérés de fonctions académiques religieusement peu efficaces, pourraient se consacrer à l'aumônerie universitaire. Par ailleurs, des laïcs, compétents et apostoliques, formés ou non dans les universités catholiques, pourraient prétendre enseigner dans les universités officielles.

La grande option. Dans le domaine universitaire comme dansd'autres, l'Église du Brésil est ainsi acculée à

un pari. Par timidité, par conformisme, ou même trompée par le souveniridyllique de son passé colonial, elle pourrait connaître la tentation de vouloirconserver pieusement l'héritage du passé. Est-ce souhaitable? Est-ce mêmepossible ? Aujourd'hui, la fidélité à sa mission historique de « mère et maîtresse » exige d'elle des prises de position et des décisions hardies, mais dontles fruits seront considérables. En assumant leurs responsabilités humaines etchrétiennes face au développement du pays, les catholiques brésiliens serontforcément amenés à imprimer un nouveau rythme de développement *à leurÉglise. Voilà ce qui nous semble particulièrement riche de promesses. Carl'action, même temporelle, des catholiques, ne tarde pas à urger l'exigencede certains approfondissements intérieurs, théologiques et pastoraux. Montrons-le sur un point (10).

Moyennant un pari confiant, et fondé sur l'avenir du Brésil moderne,

(10) Nous avons développé ce thème dans O co?mmismo e o futuro da Igrejano Brasil, Sâo Paulo, Herder, 1963. Voir pp. 50-96.

[14]

1Église du Brésil peut amorcer résolument la solution de ses deux problèmes majeurs: celui d'un laïcat adulte et celui des vocations sacerdotales

En animant le développement et en y collaborant, au niveau universi-ta1 '̂ !,Eg!!f Creem P0Ur Ie laïcat la condition historique indispensable pourqu il séveille enfin pleinement àses responsabilités chrétiennes et temporelles,bi^ le laïcat chrétien marque si peu dans la vie de l'Église du Brésil, cela estdu en partie au fait que le clergé ne lui a pas assigné le terrain d'action quilui revient; doù, d'ailleurs, certaines formes de cléricalisme qui voudraientsuppléer a cette carence organique de l'Église. Or, aujourd'hui, le problèmede la formation des universitaires laïcs est peut-être le seul qui puisse êtrerésolu dès maintenant, malgré le manque de prêtres. Mais d'autre part si lesaumôniers universitaires brésiliens parviennent à canaliser et à approfondir lesens social, si vif chez beaucoup d'étudiants brésiliens, en leur indiquant lesexigences religieuses qui en découlent, un grand pas sera fait pour résoudre leproblème des vocations. Il semble qu'un sens aigu des responsabilités temoo-relles des universitaires chrétiens soit actuellement l'un des principaux facteurs intervenant dans l'éveil des vocations, auprès des jeunes gens de grandevaleur humaine. L'exemple du grand séminaire de Santiago du Chili, oùenviron la moitié des séminaristes sont d'anciens universitaires, montre qu'ils'agit là d'un facteur de motivation très important psychologiquement. Acondition d'y mettre le prix, rien n'indique apriori que la même motivation,bien orientée, ne s'exercerait pas également auprès des meilleurs universitairesdu Brésil. *

* *

On éprouve une certaine difficulté à appliquer aux universités brésiliennes les normes reçues pour les vieilles universités européennes. Peut-êtreest-ce justement parce que, s'inspirant parfois servilement de l'Europe, lesfondateurs des universités brésiliennes n'ont pas intimement assimilé leursmodèles étrangers. Actuellement, c'est au fond cela qui est en question, sousla pression des circonstances. Même s'il y a des faux pas, on le regretterad'autant moins que le mouvement est irréversible. Dans son fond, le mouvement, ou plutôt l'aspiration vers une réforme, est bon et nécessaire, bienqu'il existe des agitateurs qui, par leurs attitudes ambiguës, en corrompent lesens profond.

Pour que son développement soit harmonieux et intégralement humaine Brésil doit se donner de véritables centres de recherche, aussi bien pour

les sciences humaines que pour les sciences tout court. Il doit pour celaregrouper les hommes et les moyens, sélectionner davantage les étudiants.Il doit aussi démocratiser l'enseignement à tous les niveaux, en particulierpar une lutte sans merci contre l'analphabétisme. C'est de tout cela que lesuniversitaires brésiliens prennent de plus en plus conscience.

Cette prise de conscience, par les universitaires, de la gravité des problèmes nationaux, se double, chez les catholiques, d'une prise de consciencedes problèmes profonds de l'Église. Pourquoi, dès lors, les catholiques n'in-vertiraient-ils pas à leur avantage la thèse, si chère aux marxistes, selon laquelle les problèmes ne sont perçus que quand il ya moyen de les résoudre ?fct s il est vrai qu'une élite marxiste menace de prendre en mains l'orientation

[15]

- _>__„^»„. Us cathoHaues de retourner cette tactiquegfcérate du pays, »»cn «^^vTteSons que cela suppose.àleur avantage encore- *taf ° Jf.^JS «>M«aît-rt 1» àla solution qui seraAtari, IW* de i»É*!*e du ^ *»*2J tes catholiques engager*donnée àson <»év«loPPe««^Q«°'̂ £«£,75 parte, ««e leurs mains,

est important. Et nouveau.

Michel SctwxwAMS.professeur àl'Université catholique de Sâo Paulo-

1161