Prise en charge nutritionnelle d’un patient atteint d’une insuffisance cardiaque

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Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Nutrition clinique et métabolisme 28 (2014) 59–63 À propos d’un cas : testez vos connaissances Prise en charge nutritionnelle d’un patient atteint d’une insuffisance cardiaque Management of a patient with cardiac failure Pauline Coti Bertrand , Esther Guex Service endocrinologie, diabétologie, métabolisme unité de nutrition clinique, centre hospitalier universitaire Vaudois, rue du Bugnon 46, 1011 Lausanne, Suisse Rec ¸u le 12 septembre 2013 ; accepté le 15 novembre 2013 Disponible sur Internet le 20 janvier 2014 Résumé L’insuffisance cardiaque chronique est une maladie cachectisante amenant à une perte de poids fréquente, progressive et le plus souvent irréversible. La cachexie cardiaque est définie comme une perte de poids supérieure à 6 % par rapport au poids pré-morbide, non volontaire, en l’absence d’œdème. Elle s’accompagne d’une hypotrophie des muscles squelettiques et d’une hypotrophie myocardique. L’anorexie n’est impliquée que dans 10 à 20 % des cachexies cardiaques. La plupart du temps, les ingesta sont maintenus. Cependant ils ne permettent pas de couvrir l’augmentation des besoins secondaires à un hypermétabolisme de repos. Les autres mécanismes de cachexie cardiaque sont la malabsorption et l’entéropathie exsudative par hypoperfusion splanchnique/stase veineuse splanchnique, le déséquilibre neuro-endocrinien et immunologique associé à une hyperactivation de facteurs cataboliques (catécholamines, cortisol, TNF alpha) et une diminution ou résistance aux facteurs anaboliques (GH, IGF-1, insuline, DHEA, activité physique). Une évaluation alimentaire est nécessaire pour identifier les restrictions ou évictions instaurées dans le cadre d’une prévention cardiovasculaire et qui ne se justifient plus au stade de la cachexie cardiaque. L’enrichissement et le fractionnement de l’alimentation sont les premières interventions visant à couvrir les besoins énergétiques et protéiques. En cas d’échec, la nutrition entérale par sonde naso-gastrique est à envisager. La nutrition parentérale est à réserver aux cas d’intolérance ou d’échec de la nutrition entérale. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Insuffisance cardiaque ; Nutrition ; Cachexie ; Conseils diététiques Abstract Weight loss in chronic heart failure (CHF) occurs frequently, progressively and its reversal is rare. Weight loss of more than 6% is used to define the presence of cachexia. Patients with CHF develop skeletal muscle and cardiac muscle atrophy. Anorexia plays a significant role in only 10–20% of all cases of cardiac cachexia. Higher resting metabolic rate in patients with heart failure at least partially accounts for unexplained weight loss. Fat malabsorption and protein loss are thought to be influenced mainly by bowel perfusion and bowel edema and may contribute to the development of cardiac cachexia. A severe catabolic/anabolic imbalance in favor of catabolic metabolism is observed in cachectic CHF patients. Food intake should be assessed in order to identify and stop dietary restrictions recommended for cardiovascular risk factors and no more indicated in patients with cachexia. Many enriched small meals are necessary to cover energy and protein requirements. If this first attempt fails, nasogastric tube feeding is indicated. Parenteral nutrition should be reserved for those patients in whom enteral nutrition has failed. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Cardiac failure; Nutrition; Cachexia; Nutritional advice Ce cas clinique a été rédigé par les auteurs à la demande du Comité édu- cationnel et de pratique clinique (CEPC) de la Société Francophone Nutrition Clinique et Métabolisme (SFNEP). Il a été discuté, corrigé et validé par les membres du CEPC et soumis à validation au conseil scientifique de la SFNEP. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Coti Bertrand). Monsieur A., 30 ans, marié sans enfant, conseiller dans une banque, en arrêt de travail depuis 6 mois est adressé pour bilan nutritionnel préopératoire. Son histoire débute à l’âge de 5 ans par la découverte d’un néphroblastome avec métastases syn- chrones pulmonaires et médiastinales pour lesquelles il bénéficie d’une néphrectomie gauche avec radio-chimiothérapie. Une insuffisance cardiaque iatrogène secondaire à l’exposition aux 0985-0562/$ see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.nupar.2013.12.004

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Nutrition clinique et métabolisme 28 (2014) 59–63

À propos d’un cas : testez vos connaissances

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Management of a patient with cardiac failure

Pauline Coti Bertrand ∗, Esther GuexService endocrinologie, diabétologie, métabolisme – unité de nutrition clinique, centre hospitalier universitaire Vaudois, rue du Bugnon 46, 1011 Lausanne, Suisse

Recu le 12 septembre 2013 ; accepté le 15 novembre 2013Disponible sur Internet le 20 janvier 2014

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L’insuffisance cardiaque chronique est une maladie cachectisante amenant à une perte de poids fréquente, progressive et le plus souventrréversible. La cachexie cardiaque est définie comme une perte de poids supérieure à 6 % par rapport au poids pré-morbide, non volontaire,n l’absence d’œdème. Elle s’accompagne d’une hypotrophie des muscles squelettiques et d’une hypotrophie myocardique. L’anorexie n’estmpliquée que dans 10 à 20 % des cachexies cardiaques. La plupart du temps, les ingesta sont maintenus. Cependant ils ne permettent pas de couvrir’augmentation des besoins secondaires à un hypermétabolisme de repos. Les autres mécanismes de cachexie cardiaque sont la malabsorption et’entéropathie exsudative par hypoperfusion splanchnique/stase veineuse splanchnique, le déséquilibre neuro-endocrinien et immunologique associé

une hyperactivation de facteurs cataboliques (catécholamines, cortisol, TNF alpha) et une diminution ou résistance aux facteurs anaboliques (GH,GF-1, insuline, DHEA, activité physique). Une évaluation alimentaire est nécessaire pour identifier les restrictions ou évictions instaurées danse cadre d’une prévention cardiovasculaire et qui ne se justifient plus au stade de la cachexie cardiaque. L’enrichissement et le fractionnement de’alimentation sont les premières interventions visant à couvrir les besoins énergétiques et protéiques. En cas d’échec, la nutrition entérale paronde naso-gastrique est à envisager. La nutrition parentérale est à réserver aux cas d’intolérance ou d’échec de la nutrition entérale.

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Weight loss in chronic heart failure (CHF) occurs frequently, progressively and its reversal is rare. Weight loss of more than 6% is used toefine the presence of cachexia. Patients with CHF develop skeletal muscle and cardiac muscle atrophy. Anorexia plays a significant role in only0–20% of all cases of cardiac cachexia. Higher resting metabolic rate in patients with heart failure at least partially accounts for unexplainedeight loss. Fat malabsorption and protein loss are thought to be influenced mainly by bowel perfusion and bowel edema and may contribute to theevelopment of cardiac cachexia. A severe catabolic/anabolic imbalance in favor of catabolic metabolism is observed in cachectic CHF patients.

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� Ce cas clinique a été rédigé par les auteurs à la demande du Comité édu-ationnel et de pratique clinique (CEPC) de la Société Francophone Nutritionlinique et Métabolisme (SFNEP). Il a été discuté, corrigé et validé par lesembres du CEPC et soumis à validation au conseil scientifique de la SFNEP.∗ Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (P. Coti Bertrand).

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Monsieur A., 30 ans, marié sans enfant, conseiller dans uneanque, en arrêt de travail depuis 6 mois est adressé pour bilanutritionnel préopératoire. Son histoire débute à l’âge de 5 ansar la découverte d’un néphroblastome avec métastases syn-

hrones pulmonaires et médiastinales pour lesquelles il bénéficie’une néphrectomie gauche avec radio-chimiothérapie. Unensuffisance cardiaque iatrogène secondaire à l’exposition aux
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nthracyclines et à la radiothérapie médiastinale va progres-ivement s’installer, favorisée par une cyphoscoliose sévèreesponsable d’une déformation de la cage thoracique et de’abdomen supérieur compliquée d’un syndrome restrictif res-iratoire. L’insuffisance cardiaque globale est actuellementerminale et se décompense à chaque épisode d’infection pulmo-aire. Le patient est inscrit sur la liste de greffe cœur-poumon.on traitement comprend amiodarone, diurétiques, anticoagu-

ant, ilomédine en inhalation.Le dernier bilan cardiologique révèle des activités quo-

idiennes réduites par une dyspnée stade NYHA II, avecépatalgie à la marche après environ 200 m ; à l’ECG, une aryth-ie de type flutter auriculaire est notée ; l’échocardiographie

bjective une dilatation importante des ventricules droit etauche avec insuffisance tricuspidienne, mitrale et aortique,raction d’éjection de 25 % et une hypertension artérielle pul-onaire (HTAP) sévère à 70 mmHg.L’état général est altéré, l’humeur dépressive. Le patient

ange comme d’habitude, environ 1500 kcal et 50 g de pro-éines/j. Le poids est à 45 kg pour un poids usuel à 46 kg.es œdèmes des membres inférieurs remontent à mi-mollets.’indice de masse corporelle (IMC) est à 17 kg/m2, le pli cutanéricipital (8 mm) au 25e percentile et la circonférence musculairerachiale (CMB) inférieure au 5e percentile (202 mm).

. Question 1

Quel diagnostic nutritionnel suspectez-vous ?

. dénutrition absente

. dénutrition modérée

. cachexie cardiaque

. sarcopénie

. réponses b + d

La réponse exacte est : c.Commentaires :

les réponses « a » « b » et « e » sont fausses : ce patient présenteune perte de poids partiellement masquée par les œdèmesdes membres inférieurs. Il est classiquement admis que desœdèmes visibles correspondent à une prise minimale de 3 à5 % du poids. Chez notre patient, la perte de poids totale doitêtre estimée à 3 kg (1 + 2 kg d’œdèmes) soit 7 % minimumdu poids habituel. La CMB est très basse (inférieure au 5e

percentile), la masse musculaire de ce patient est effondrée.Ce patient présente donc une dénutrition sévère ;

la réponse « c » est vraie : la cachexie est définie selon leconsensus européen [1] comme une triade associant desanomalies métaboliques (inflammation, insulino-résistance,hypercatabolisme protéique . . .), une maladie chronique sous-

jacente (insuffisance cardiaque ou respiratoire ou rénale,cancer, infection chronique. . .) et une sarcopénie avec ou sansfonte de la masse grasse. De manière spécifique, les travaux del’équipe d’Anker [2] ont défini la cachexie cardiaque comme

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une perte de poids supérieure à 6 % du poids pré-morbide,non volontaire et en l’absence d’œdèmes ;

la réponse « d » est fausse : la sarcopénie est évoquée devantune baisse progressive, involontaire et généralisée de lamasse et de la force musculaires chez une personne âgéebien portante [3]. Lorsqu’elle survient dans un contexte demaladie chronique (insuffisance cardiaque ou respiratoireou rénale, cancer, infection chronique. . .) et d’anomaliesmétaboliques (inflammation, insulino-résistance, hypercata-bolisme protéique. . .), elle définit alors une cachexie (cf.commentaire de la réponse c).

. Question 2

Parmi les critères suivants, quel est le critère prédictif indé-endant de mortalité le plus puissant lors d’une insuffisanceardiaque chronique ?

. stade NYHA

. fraction d’éjection ventriculaire gauche

. perte de poids

. âge

. albuminémie

La réponse exacte est : c.CommentairesAnker et son équipe [2] ont publié deux études essentielles

our la prise en charge nutritionnelle du patient avec insuffisanceardiaque chronique (ICC). L’étude V-HeFT II (Vasodilatator-eart Failure Trial) portant sur 619 patients avec ICC démontreu’une perte de poids de 6 % est associée à une mortalité dou-lée à 9 mois indépendamment de l’âge, de la fraction d’éjectionentriculaire, du score d’insuffisance cardiaque selon NYHA, dea tolérance de l’effort et de la natrémie. L’étude SOLVD (Stu-ies of Left Ventricular Dysfunction) démontre que cette pertee poids est le plus souvent irréversible et progressive.

Il est important de noter que la cachexie cardiaque’accompagne d’une hypotrophie du muscle squelettique et’une hypotrophie myocardique [4].

D’autres paramètres nutritionnels tels que l’albuminémie, laholestérolémie et l’indice de masse corporelle (IMC) sont desritères pronostiques. Une hypoalbuminémie inférieure à 30 g/Lnfluence négativement la survie globale lors de transplantationardiaque. Une hypocholestérolémie représente un facteur deisque de mortalité accrue à 1 an alors qu’une hypercholestérolé-ie compromet le pronostic vital à 10 ans. L’IMC est également

n facteur pronostique majeur à long terme. C’est le « paradoxee l’obésité » de l’insuffisant cardiaque dont la mortalité appa-aît comme plus faible lorsque l’IMC est supérieur à 25 voireupérieur à 30 [5,6].

. Question 3

La cachexie cardiaque est multifactorielle. Parmi les facteurshysiopathologiques suivants, lequel est le moins fréquemmentmpliqué dans la survenue de la cachexie cardiaque ?

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. anorexie

. malabsorption des graisses

. entéropathie exsudative

. hypercatabolisme protéique

. réduction de l’activité physique

La réponse exacte est : a.Commentaires :

la réponse « a » est vraie : l’anorexie n’apparait responsableque dans 10 à 20 % des cachexies cardiaques. La plupart dutemps, les ingesta sont maintenus. Cependant ils ne permettentpas de couvrir l’augmentation des besoins secondaires àun hypermétabolisme de repos. L’étude de Poehlmann [7]montre en effet qu’en moyenne la dépense énergétique quoti-dienne de repos est majorée de 20 % chez le sujet insuffisantcardiaque chronique comparativement au sujet sain alorsmême que la masse maigre est réduite ;

les réponses « b » et « c » sont fausses : le tube digestifjoue un rôle dans la pathogénèse de la cachexie cardiaque.L’insuffisance cardiaque droite et gauche est impliquée pardes mécanismes différents. Lors d’une insuffisance cardiaquedroite, une stase veineuse splanchnique est responsable d’unœdème de la muqueuse intestinale à l’origine d’une maldi-gestion avec malabsorption des graisses et d’une entéropathieexsudative avec perte fécale de protéines [8]. Il a été démon-tré que la stéatorrhée était associée à la sévérité et à ladurée de l’insuffisance cardiaque. Lors d’une insuffisancecardiaque gauche, une hypoperfusion gauche avec isché-mie de la muqueuse digestive se complique d’une altérationde la barrière intestinale avec translocation bactérienne etd’endotoxines. Ces phénomènes sont considérés comme lesinitiateurs de l’inflammation systémique à l’origine de lalibération des cytokines pro-inflammatoires, entraînant lesanomalies métaboliques décrites dans la cachexie cardiaque[9] ;

la réponse « d » est fausse : la cachexie cardiaque s’installedans un contexte de déséquilibre métabolique avec unétat d’hypercatabolisme associé à une diminution del’anabolisme. Parmi les facteurs catabolisants identifiés lorsde la cachexie cardiaque [10], les hormones et neuropeptidesde stress (cortisol, catécholamines telles que norépinéphrineet épinéphrine) ainsi que les cytokines (TNF-�) sont aug-mentés tandis que les hormones anabolisantes (DHEA,testostérone) sont diminuées ou subissent une résistance àleur action (pour GH et IGF-1, insuline) ;

la réponse « e » est fausse : l’activité physique est habituelle-ment réduite chez le patient ICC. Cette réduction est l’un desdéterminants de la fonte musculaire décrite dans la cachexiecardiaque. L’équipe de Castillo-Martinez a démontré que leparamètre prédictif de l’entrée en cachexie à 6 mois était laréduction de l’activité physique [11].

. Question 4

Il faut bien distinguer les carences pouvant favoriser’insuffisance cardiaque et les carences observées chez les

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atients ICC. Quel(s) déficit(s) nutritionnel(s) spécifique(s)ourrai(en)t être responsable(s) d’une insuffisance cardiaque ?

. sélénium

. vitamine B1

. calcium, magnésium, phosphore

. vitamine A

. cuivre

Les réponses exactes sont : a, b, c, e.Commentaires :L’insuffisance cardiaque peut être secondaire à des déficits

utritionnels spécifiques qu’il faut rechercher, en particulier enélénium, en thiamine, en magnésium, calcium, ou phosphate,inc, taurine, créatinine, carnitine, ubiquinone, vitamines D, E,6, B12 et folates.

la réponse « a » est exacte : le sélénium est impliqué dans larelaxation du muscle cardiaque. Un déficit majeur en séléniumprovoqué par un virus Coxsackie a été décrit dans la maladiede Keshan. Il est responsable d’une cardiomyopathie dilatéedont l’évolution vers une fibrose par lésions oxydatives desfibres ventriculaires gauches est fatale ;

la réponse « b » est exacte : un déficit en vitamine B1 outhiamine, impliquée dans le métabolisme énergétique, està suspecter lors d’une insuffisance cardiaque. La vitamineB1 est un co-facteur de carboxylases. C’est le classique béri-béri ou forme humide de la carence en vitamine B1. Cetteforme humide est décrite essentiellement dans les populationsd’origine asiatique, faisant suspecter un facteur génétiqueassocié. En Occident, c’est la forme neurologique (formedite « sèche ») qui prédomine (syndrome de Gayet-Wernicke).Néanmoins, ce déficit peut être impliqué dans l’insuffisancecardiaque dans les populations d’origine caucasienne, en par-ticulier lors d’une insuffisance rénale hémodialysée et lorsd’un éthylisme chronique ;

la réponse « c » est exacte : une chute brutale des taux plas-matiques du magnésium, calcium, ou phosphate survient encas de renutrition inappropriée chez un patient dénutri sévère,menacant le pronostic vital [12]. Une renutrition progressiveavec correction de déficits intracellulaires préalables à touteintervention nutritionnelle permet leur prévention efficace ;

la réponse « e » est exacte : une carence en cuivre peut être res-ponsable de défaillance cardiaque, mais les signes précurseurssont essentiellement l’anémie ferriprive (le cuivre permetl’absorption du fer), la neutropénie et les lésions osseuses.En revanche, chez l’insuffisant cardiaque, le cuivre sériqueest généralement augmenté du fait d’un syndrome inflamma-toire, en raison de l’augmentation de la protéine transporteuse(la céruléoplasmine) [13].

Chez ce patient, le bilan biologique est le suivant : sodium39 mmol/L, potassium 2,9 mmol/L, créatinine 113 �mol/L,

RP 32 mg/L, albumine 27 g/L, glycémie 5 mmol/L, taux derothrombine 21 % avec INR à 2,8. La gazométrie est nor-ale. La clairance fécale de l’�1-antitrypsine est de 35 mL/j

norme < 24 mL/j).

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Au total, il présente une cachexie cardiaque avec hypoalbu-inémie secondaire à une entéropathie exsudative. Son bilan

ipidique montre : triglycérides 1,3 mmol/L, cholestérol total,7 mmol/L, LDL cholestérol 3,9 mmol/L.

. Question 5

Compte tenu de l’hypercholestérolémie, quelle interventionutritionnelle proposez-vous en première intention ?

. conseils diététiques pour contrôle des graisses animales

. fractionnement et enrichissement de l’alimentation en 3 repaset 3 collations dont un complément nutritionnel oral

. nutrition entérale par sonde naso-gastrique par bolus

. nutrition entérale par sonde naso-gastrique à débit continu

. nutrition parentérale

La réponse exacte est : b.Commentaires :

la réponse « a » est fausse : ce patient présente une cachexiecardiaque dont le pronostic à court terme doit être mis enbalance avec celui du risque cardiovasculaire à plus longterme. Il est important de bien distinguer deux phases chezle patient ICC : la phase qui précède la cachexie et laphase de cachexie. Avant l’installation de la cachexie, lerisque cardiovasculaire amène à des conseils alimentairesde type régime méditerranéen associé à une hygiène de viepromouvant l’activité physique. Dès que la cachexie car-diaque s’installe, le pronostic vital est engagé à court terme.L’intervention nutritionnelle doit alors prioritairement viserà prévenir la perte de poids. Des études de cohorte montrentbien l’association inverse entre IMC et mortalité [5]. Le risquede décès est ainsi accru lorsque l’IMC est inférieur à 18 (HR1,21) par rapport à un IMC supérieur à 30 (HR 0,81). On parlealors de paradoxe de l’obésité chez le patient ICC ;

la réponse « b » est exacte : ce patient présente une cachexiecardiaque dont le pronostic, compromis à court terme, rendprioritaire l’arrêt de la perte de poids. Il est important quele patient augmente ses ingesta caloriques et protéiques : ilsn’ont certes pas diminué mais ne sont plus adaptés aux besoinsaccrus par l’ICC. En raison de la dyspnée, le fractionne-ment par introduction de collations liquides et en particulierde compléments nutritionnels oraux (CNO) devrait faciliterl’enrichissement de son alimentation et la couverture de sesbesoins énergétiques et protéiques ;

les réponses « c » et « d » sont fausses : chez ce patient,l’assistance nutritionnelle par sonde est un second choix etne doit s’envisager qu’en cas d’échec du fractionnement etde l’enrichissement de l’alimentation orale. Concernant laplace de l’assistance nutritionnelle entérale ou parentérale lorsd’ICC, la littérature est pauvre. L’ESPEN ne recommandepas d’assistance nutritionnelle pour prévenir la cachexie

cardiaque [14,15]. En revanche, elle recommande la nutri-tion entérale (NE) pour stopper ou corriger une perte depoids (niveau C). La tolérance de la NE est optimale lorsd’une administration par un débit continu qui minimise la

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consommation en O2 du myocarde. En revanche, une NEpar bolus doit faire craindre un vol mésentérique et uneaggravation de l’insuffisance cardiaque [16]. L’essai cliniquerandomisé francophone NUTRICARD (NCT 01864733)visant à apprécier l’effet sur la capacité d’exercice d’uneprise en charge multimodale de la dénutrition de l’insuffisancecardiaque chronique d’une durée de trois mois, associantréhabilitation cardiaque et musculaire, CNO, acides graspolyinsaturés oméga3 et testostérone, est en cours ;

la réponse « e » est fausse : lorsqu’une assistance nutrition-nelle est indiquée pour stopper ou corriger une perte de poids,l’ESPEN recommande la NE en premier choix, et la nutri-tion parentérale en cas d’intolérance ou d’échec de la NE(niveau C) [14,15].

Catamnèse :Le patient a bénéficié de plusieurs consultations diététiques

ui permettent une reprise pondérale à 46,5 kg sans œdème grâceu fractionnement en 5 à 6 repas quotidiens et à l’enrichissemente son alimentation par un CNO quotidien. Parallèlement, il a éténcouragé à reprendre des sorties, 2 à 3 fois par jour en fonctione sa tolérance à l’effort, ce qui a contribué à lui redonner uneilleur moral et une meilleure qualité de vie. Plusieurs épisodes

e surinfections pulmonaires et de décompensation cardiaquent marqué les deux années d’attente de greffe.

Le patient est décédé dans les suites immédiates de sa greffe.

éclaration d’intérêts

Les auteurs n’ont pas transmis de déclaration de conflits’intérêts.

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