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réalités en rhumatologie # 28_Septembre 2010_Cahier 1 Revues générales Médecine interne 37 Prise en charge des ulcères digitaux dans la sclérodermie systémique 37 L a sclérodermie systémique (ScS) est une maladie auto- immune, associant d’une part des anomalies de la microcirculation responsables d’une hyperréactivité au froid, d’autre part une accumulation de matrice extracellulaire aboutissant à une fibrose intéressant principale- ment la peau, le poumon, le cœur et le tube digestif. La physiopathologie de la ScS est complexe et encore mal comprise. Elle associe des dysfonc- tionnements des cellules endothélia- les, des fibroblastes et des cellules du système immunitaire [1]. En fonction du degré d’extension de l’atteinte cutanée, on distingue : – les formes cutanées diffuses de la maladie, caractérisées par des lésions de sclérose remontant au-dessus des coudes et des genoux et pouvant inté- resser le tronc [2], – les formes cutanées limitées, au cours desquelles les lésions de sclé- rose intéressent les extrémités, mais ne remontent pas au-dessus des cou- des ou des genoux, – les formes limitées, au cours des- quelles la peau est épargnée [3]. La ScS touche avec prédilection le sexe féminin et débute vers 50 ans. Sa prévalence est encore mal connue, avec une disparité importante en fonction des pays. Elle est estimée en Europe entre 100 à 200 cas/million d’habitants [4]. La ScS est responsable d’une réduction significative de la survie, et en particu- lier dans les formes diffuses au cours desquelles les atteintes viscérales sont plus fréquentes : pneumopathie infil- trante diffuse (PID), hypertension arté- rielle pulmonaire (HTAP), atteinte digestive basse, crise rénale scléroder- mique (CRS), atteinte cardiaque. Les deux premières causes de décès liées à la ScS sont l’HTAP et la PID [5]. [ Des ulcères digitaux souvent récidivants Les ulcères digitaux (UD) sont une complication fréquente de la ScS. Leur prévalence est estimée entre 35 et 58 % selon les études [6]. Le délai médian d’apparition du premier ulcère digital à partir du premier RÉSUMÉ : La sclérodermie systémique (ScS) est une maladie auto-immune qui se complique fréquemment d’ulcères digitaux, souvent récidivants. Ces derniers peuvent engendrer infection et/ou gangrène, voire aboutir à une amputation. Ces ulcères sont à l’origine d’un handicap important. Leur prise en charge repose sur le traitement de l’ulcère actif, avec des soins locaux qui vont favoriser la cicatrisation et des traitements vasodilatateurs, Iloprost et inhibiteurs calciques, qui vont diminuer la douleur et accélérer la cicatrisation. Les mesures préventives reposent sur l’éviction des facteurs aggravant le phénomène de Raynaud, la limitation des facteurs déclenchant des ulcères (microtraumatismes), la prescription d’inhibiteurs calciques et, éventuellement, d’un inhibiteur des récepteurs de l’endothéline 1, le bosentan, en cas d’ulcères multiples récidivants. A. BEREZNE , L. MOUTHON Pôle de Médecine Interne, Hôpital Cochin, PARIS. Centre de Référence pour les Vascularites Nécrosantes et la Sclérodermie Systémique, PARIS. Université Paris Descartes, Faculté de Médecine Paris Descartes, PARIS.

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Revues généralesMédecine interne

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Prise en charge des ulcères digitauxdans la sclérodermie systémique

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La sclérodermie systémique(ScS) est une maladie auto-immune, associant d’une part

des anomalies de la microcirculationresponsables d’une hyperréactivité aufroid, d’autre part une accumulationde matrice extracellulaire aboutissantà une fibrose intéressant principale-ment la peau, le poumon, le cœur et letube digestif. La physiopathologie dela ScS est complexe et encore malcomprise. Elle associe des dysfonc-tionnements des cellules endothélia-les, des fibroblastes et des cellules dusystème immunitaire [1].

En fonction du degré d’extension del’atteinte cutanée, on distingue :– les formes cutanées diffuses de lamaladie, caractérisées par des lésionsde sclérose remontant au-dessus descoudes et des genoux et pouvant inté-resser le tronc [2],– les formes cutanées limitées, aucours desquelles les lésions de sclé-rose intéressent les extrémités, maisne remontent pas au-dessus des cou-des ou des genoux,– les formes limitées, au cours des-quelles la peau est épargnée [3].

La ScS touche avec prédilection lesexe féminin et débute vers 50 ans. Saprévalence est encore mal connue,avec une disparité importante enfonction des pays. Elle est estimée enEurope entre 100 à 200 cas/milliond’habitants [4].

La ScS est responsable d’une réductionsignificative de la survie, et en particu-lier dans les formes diffuses au coursdesquelles les atteintes viscérales sontplus fréquentes : pneumopathie infil-trante diffuse (PID), hypertension arté-rielle pulmonaire (HTAP), atteintedigestive basse, crise rénale scléroder-mique (CRS), atteinte cardiaque. Lesdeux premières causes de décès liées àla ScS sont l’HTAP et la PID [5].

[ Des ulcères digitauxsouvent récidivants

Les ulcères digitaux (UD) sont unecomplication fréquente de la ScS.Leur prévalence est estimée entre 35et 58 % selon les études [6]. Le délaimédian d’apparition du premierulcère digital à partir du premier

RÉSUMÉ : La sclérodermie systémique (ScS) est une maladie auto-immune qui se complique fréquemmentd’ulcères digitaux, souvent récidivants. Ces derniers peuvent engendrer infection et/ou gangrène, voire aboutir àune amputation. Ces ulcères sont à l’origine d’un handicap important. Leur prise en charge repose sur letraitement de l’ulcère actif, avec des soins locaux qui vont favoriser la cicatrisation et des traitementsvasodilatateurs, Iloprost et inhibiteurs calciques, qui vont diminuer la douleur et accélérer la cicatrisation.Les mesures préventives reposent sur l’éviction des facteurs aggravant le phénomène de Raynaud, la limitation desfacteurs déclenchant des ulcères (microtraumatismes), la prescription d’inhibiteurs calciques et, éventuellement,d’un inhibiteur des récepteurs de l’endothéline 1, le bosentan, en cas d’ulcères multiples récidivants.

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cependant pas toujours aussi schéma-tique et de nombreux UD relèvent pro-bablement de plusieurs mécanismes.

Les UD sont souvent l’objet de compli-cations puisqu’un tiers d’entre euxvont se surinfecter durant le suivi, etqu’environ 10 % vont se compliquerd’ostéite [7]. La surinfection retardeconsidérablement la guérison. Elledoit être recherchée systématiquementet n’est pas toujours facile à diagnosti-quer du fait de la sclérose cutanée, del’œdème souvent présent chez cespatients. Un érythème sensible rapide-ment extensif autour de l’ulcération,un œdème chaud de l’extrémité, unécoulement non crayeux et purulent,ou encore une nécrose rapidementextensive doivent faire suspecter uneinfection sous-jacente. Une radiogra-phie des mains doit être faite pour éli-miner une ostéite, rechercher une cal-cinose et en évaluer la taille. L’IRM estle plus souvent nécessaire, car beau-coup plus sensible et spécifique.

La guérison de l’UD est longue et le délaide cicatrisation mal connu, mais souventsupérieur à 6 mois. 30 % des patientsprésentant un UD vont avoir des séquel-les irréversibles après cicatrisation,constituées le plus souvent par une pertede substance. Cette dernière s’accompa-gne souvent d’un retentissement fonc-tionnel. Les patients sclérodermiquesont un handicap global accru par rapportà la population générale. Nous avonsrécemment mis en évidence que le han-dicap de la main contribue pour 75 % auhandicap global au cours de cette mala-die [8]. Dans une étude prospective réa-lisée chez 213 patients, dont 67 avec UD,nous avons montré une corrélation entrela présence d’UD et une augmentation duhandicap global, du handicap de la mainet une diminution de la mobilité de lamain et du poignet. En témoigne un scoreHealth Assessment Questionnaire-Disa-bility Index (HAQ-DI) de 1,2 versus 0,9dans le groupe avec UD (p < 0,008) et unindice de mobilité de la main et du poi-gnet à 75,3 versus 81,7 (p < 0,0001) [9].D’autres études montrent l’existenced’un handicap fonctionnel marqué chezles patients atteints d’UD. Les ulcères ontégalement un impact sur la composantepsychique de la qualité de vie avec unscore résumé psychique du SF-36 signi-ficativement plus mauvais que lespatients sans ulcères, ainsi qu’un préju-dice esthétique important (p < 0,026 etp < 0,0001) [9].

[ Prise en chargedes ulcères digitaux

La prise en charge des UD repose surdes mesures curatives et préventives.

1. Les mesures curatives

● Traitements locaux

Le traitement local a pour but de dimi-nuer les douleurs, de favoriser la cica-trisation et de lutter contre le risqued’infection.

signe, hors phénomène de Raynaud,est d’environ 2 ans. Entre 20 % et40 % d’entre eux apparaissent dans lapremière année de la maladie [7].

Ces ulcères sont très souvent récidi-vants et leur cicatrisation est lente,pouvant dépasser 6 mois. Un tiers despatients présentent des complicationssévères à type d’infection, de gan-grène et certains nécessiteront uneamputation [6]. Les UD sont plus fré-quents chez les hommes, les sujetsnoirs, au cours de la forme diffuse deScS. Leur présence est également cor-rélée à la durée d’évolution de la ScSet à la sévérité de l’atteinte cutanéemesurée par le score de Rodnan modi-fié [6, 7]. Dans certaines séries, unecorrélation avec la détection d’anti-corps anti-Scl70 est retrouvée.

Les mécanismes à l’origine de la sur-venue d’UD sont multiples. L’élémentinitiateur est probablement la vascu-lopathie avec une raréfaction et uneoblitération microvasculaire, reflétéespar le phénomène de Raynaud, maisd’autres facteurs interviennent, enparticulier les microtraumatismesrépétés sur du tissu ischémié demanière chronique. Schématique-ment, l’UD de mécanisme purementischémique est préférentiellementlocalisé au niveau de la pulpe desdoigts et, de manière plus générale,sur leur face palmaire (fig. 1). Lesulcères d’origine mécanique se trou-vent en regard des reliefs osseux oud’une calcinose (fig. 2). Ils sont favori-sés par les rétractions digitales liées àla sclérose cutanée et aux rétractionstendineuses qui mettent en tension lapeau sur les reliefs osseux. Les micro-traumatismes répétés sont favoriséspar l’impotence fonctionnelle desmains rétractées et constituent un fac-teur favorisant les UD. Quant aux cal-cinoses, elles constituent égalementune cause d’UD et un facteur d’entre-tien important. La distinction entreces différentes catégories d’UD n’est

FIG. 1 : Ulcération digitale pulpaire du majeur chezun patient sclérodermique. Mécanisme vasculaire.

FIG. 2 : Ulcérations des faces d’extension des articu-lations métacarpo-phalangiennes des deuxième ettroisième doigts de la main droite et du quatrièmedoigt de la main gauche en cours de cicatrisation.Rétraction des doigts en flexion.

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La première étape consiste à laver laplaie avec du savon de Marseille et del’eau du robinet, puis de rincer avec dusérum physiologique et de sécher. L’utili-sation d’antiseptique peut entraîner deslésions irritatives et des eczémas decontact retardant la cicatrisation, ouencore la sélection de germes résistantsaux antibiotiques: elle doit donc être évi-tée. Ensuite, vient la phase de détersionmécanique qui consiste à éliminer lanécrose et la fibrine (parfois les calcifica-tions) avec un grattoir, curette de Brocqou bistouri. Une détersion soigneuse per-met d’accélérer l’épidermisation. Cetteétape peut être très douloureuse et justi-fie l’utilisation d’antalgiques locaux(Emla à 5 % ou Xylocaïne gel) et systémi-ques de classe II ou III.

L’étape suivante consiste à mettre unpansement primaire dont la nature vadépendre du stade évolutif de l’ulcère.Sur les plaies nécrotiques, un panse-ment de type hydrogel est conseillé enprenant soin de protéger les berges. Pourles plaies fibrineuses, un pansement detype hydrocellulaire, hydrocolloïde ouhydrogel peut être proposé. Pour lesplaies bourgeonnantes, un pansementhydrocellulaire, hydrocolloïde, hydrofi-bre ou tulle/interface peut être appliqué,et renouvelé toutes les 72 heures. Pourles plaies plus superficielles, des panse-ments hydrocellulaire, hydrocolloïdemince, tulle/interface ou film polyuré-thane peuvent être utilisés. En ce quiconcerne les plaies infectées, il estconseillé d’utiliser des alginates, hydro-fibres, un pansement à l’argent ou aucharbon. Ces pansements primairesnécessitent parfois d’être maintenus parun pansement secondaire (film, com-presse, bandage) et changés indépen-damment du pansement primaire.

● Traitements médicamenteux

>>> Les antalgiques

Les antalgiques par voie générale sontle plus souvent indispensables du fait

de l’importance de la douleur et doi-vent également être utilisés systémati-quement avant les soins locaux. Letype d’antalgique doit être adapté auseuil de douleur évalué à l’aide d’uneéchelle analogique visuelle. Les soinslocaux doivent être également précé-dés d’application d’analgésiqueslocaux comme de la xylocaïne gel oude l’Emla. L’utilisation d’une analgé-sie inhalée (Kalinox) est égalementpossible et souvent bien tolérée chezles patients sclérodermiques.

>>> Les antibiotiques

La colonisation des plaies par des ger-mes est presque constante et n’est passynonyme d’infection, la recherchepar écouvillonnage systématique desplaies n’est pas recommandée. Le trai-tement antibiotique est réservé auxinfections patentes dont les signes ontété développés plus hauts.

L’antibiothérapie de première inten-tion doit couvrir les germes CocciGram+ et sera secondairement adap-tée à une identification bactériologi-que éventuelle. Ainsi, en l’absenced’ostéite, une synergistine (Pyosta-cine) ou une association d’amoxicil-line et d’acide clavulanique (Augmen-tin) seront prescrites en premièreintention. En cas d’ostéite, il faudrachoisir une antibiothérapie ayant unebonne diffusion dans l’os, comme laDalacine ou la rifampicine. Elle devraêtre administrée pendant 6 semaines,parfois davantage. L’utilisation d’uneantibiothérapie locale n’est pasrecommandée car son efficacité n’estpas démontrée et qu’elle risque desélectionner des germes résistants.

>>> Les vasodilatateurs

Le traitement médicamenteux reposeessentiellement sur l’utilisation desanalogues de la prostacycline par voieintraveineuse (Iloprost) malgré unniveau de preuve faible [10]. Il sera

utilisé pendant 5 jours consécutifs à ladose de 0,5 à 2 ng/kg/min en fonctionde la tolérance sur 6 heures.

Les inhibiteurs calciques n’ont pasprouvé leur efficacité en traitementcuratif. Cependant, leur efficacitédans le phénomène de Raynaud estdémontrée dans plusieurs études [11].Ces médicaments sont le plus souventdéjà préalablement prescrits à la sur-venue d’un UD et doivent être mainte-nus lors de la survenue d’un ulcère.Les assauts liquidiens ont montré uneefficacité très modeste dans une seuleétude ouverte et le niveau de preuveest trop faible pour les recommander.

Le sildénafil (inhibiteur de la phos-phodiestérase de type 5) est efficacesur le phénomène de Raynaud endiminuant la fréquence et l’intensitédes attaques. En ce qui concerne sonaction sur la cicatrisation des ulcéra-tions actives, quelques études ouver-tes semblent montrer un bénéfice [12].Les données sont pour l’instant insuf-fisantes pour recommander ce traite-ment ; le résultat d’études prospecti-ves randomisées contre placebo encours pourrait modifier cette attitude.

● Traitements chirurgicaux

>>> L’amputation

La règle en matière d’UD est d’éviterle recours à la chirurgie d’amputa-tion. Mais une amputation limitée estparfois indispensable en cas de gan-grène humide ou d’ostéite résistanteau traitement antibiotique.

>>> La sympathectomie

La sympathectomie périartérielle desartères digitales, intermétacarpiennes,radiales ou cubitales peut être proposéeen cas d’ulcérations très récidivantes eten cas d’ischémie digitale étendue résis-tante au traitement vasodilatateur intra-veineux, mais son efficacité n’est pas

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démontrée. Lorsqu’il y a un bénéficeconstaté, il est le plus souvent temporaire.

>>> L’exérèse

Une exérèse chirurgicale des calcinosespeut être proposée en cas d’ulcérationsdouloureuses en regard d’une calcinose.

2. Les mesures préventives

Les UD au cours de la ScS sont sou-vent récidivants. En cas d’UD actif, ilfaut mettre en place de manièreconcomitante les mesures curatives etrenforcer les mesures préventives.

● Traitements vasodilatateurs

>>> Les inhibiteurs calciques

Les inhibiteurs calciques prescritspour le phénomène de Raynaudseront maintenus.

>>> L’Iloprost

L’Iloprost n’a pas montré son effica-cité en prévention de la survenue oude la récidive des UD au cours de laScS. Son utilisation séquentielle a ététestée au cours de plusieurs études,mais celles-ci sont de faible puissanceet non randomisées. L’utilisation pré-ventive de l’Iloprost pour le phéno-mène de Raynaud sévère et les UDn’est donc pas recommandée (PNDS(Protocole de diagnostic et de soin –Haute autorité de santé) [13].

>>> Le bosentan

Le bosentan (Tracleer) est un antago-niste non sélectif des récepteurs A etB de l’Endothéline-1 impliquée dansla pathogénie de la vasculopathie dela ScS. Son efficacité a été démontréedans la prévention des récidives d’ul-cères digitaux par deux études contrô-lées, randomisées, contre placebo(RAPIDS 1 et RAPIDS 2) [14, 15]. Cesétudes ont montré à 16 et 24 semaines

une diminution du nombre de nou-veaux UD avec un risque relatif res-pectivement de -48 % et -30 % dans legroup Tracleer. Cette efficacité estplus prononcée chez les patients pré-sentant des UD multiples. En revan-che, le Tracleer n’a pas montré d’effi-cacité sur la cicatrisation des UD. Ilest utilisé à une dose initiale de62,5 mg x 2/j pendant 1 mois et aug-mentée à 125 mg x 2/j en cas de bonnetolérance clinique et hépatique. Il estbien toléré avec comme principal effetsecondaire une élévation des enzymeshépatiques qui nécessite un contrôlemensuel des transaminases.

● Mesures préventives générales

>>> La recherche de facteurs aggravants

La recherche de facteurs aggravant lephénomène de Raynaud doit êtrerigoureuse. Le tabagisme est un surris-que important au cours de la ScS dedévelopper des UD. Il faut essayerd’obtenir le sevrage des patients ens’aidant d’une consultation anti-tabac. La consommation de cannabisou de cocaïne doit également être for-mellement contre-indiquée. La prisede médicaments vasoconstricteursaggrave le phénomène de Raynaud.Elle doit être recherchée et évitée sipossible (tableau I).

Les bêtabloquants n’ont qu’unecontre-indication relative et,lorsqu’ils sont absolument nécessai-res, il faudra donner la préférenceaux cardiosélectifs. En cas d’histoireulcéreuse sévère ou d’ischémie dis-tale, il faudra rechercher uneatteinte macrovasculaire qui peutêtre à l’origine d’une aggravationdes phénomènes microcirculatoires.

>>> L’éducation des patients

Les mesures de protection contre lefroid et les intempéries doivent êtreexpliquées aux patients. Cette pro-

tection doit concerner les mains etles pieds, mais également le nez, lesoreilles et le visage. L’utilisation degants et de sous-gants, de chaussu-res à semelles épaisses et de chauf-ferettes doit être recommandée.

Les variations thermiques doiventêtre évitées au maximum, notam-ment lors des tâches ménagères(ménage, vaisselle, congélateur…).Il est important de repérer les com-portements à risques des patients,lors des loisirs ou dans le cadre pro-fessionnel, qui pourraient entraînerdes microtraumatismes répétés,même minimes (frappe clavier,piqûre, bricolage, jardinage, cou-ture, cuisine). Le reclassement pro-fessionnel doit être envisagé pourtout patient exposé au froid, ayantun métier à risque de vibrations, demicrotraumatismes, ou de blessuresrépétées.

[ Conclusion

Les UD sont une complication fréquenteau cours de la ScS et source de douleurset d’un handicap important. Leur priseen charge repose sur un traitement cura-tif, à la fois systémique avec de l’Iloprost

Revues généralesMédecine interne

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Décongestionnants nasaux– Pseudo-éphédrine– Phényléphrine– Phénylpropanolamine

Antimigraineux dérivés de l’ergot de seigle– Dihydroergotamine– Ergotamine

Bêtabloquants

Collyres bêtabloquants antiglaucomateuxTraitements de l’hyperprolactinémie– Bromocriptine– Cabergoline– LisurideAntiparkinsoniens

TABLEAU I : Médicaments vasoconstricteurscontre-indiqués au cours de la sclérodermie.D’après Francès et al., 2008 [13].

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et des traitements locaux qui vont per-mettre d’accélérer la cicatrisation. Cesmesures curatives doivent être absolu-ment accompagnées des mesures pré-ventives. Ces dernières reposent à la foissur une éducation du patient qu’il fautoptimiser et un traitement médicamen-teux par inhibiteurs calciques; et pourles patients les plus sévères du Tracleer.

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POINTS FORTS

û Près d’un patient sclérodermique sur deux développe au moins unulcère digital au cours de sa maladie. On distingue les ulcères digitauxde mécanisme purement ischémique, préférentiellement localisés auniveau de la pulpe des doigts, des ulcères d’origine mécanique qui setrouvent en regard des reliefs osseux ou d’une calcinose.

û Les UD sont souvent l’objet de complications, puisqu’un tiersd’entre eux vont se surinfecter durant le suivi, et qu’environ 10 %vont se compliquer d’ostéite.

û Les ulcères digitaux sont associés à une augmentation du handicapglobal, du handicap de la main et à une diminution de la mobilitéde la main et du poignet.

û La prise en charge des ulcères digitaux repose sur des mesurescuratives et préventives : le traitement curatif repose essentiellement surl’utilisation des analogues de la prostacycline par voie intraveineuse(Iloprost), malgré un niveau de preuve faible. Le traitement préventif,en plus des calcium- bloqueurs, repose sur la prescription de Tracleer, dontl’efficacité a été démontrée dans la prévention des récidives d’ulcèresdigitaux par deux études contrôlées, randomisées contre placebo.