Principes comptables pour les instruments financiers … · 1 15.06.10 PRINCIPES COMPTABLES POUR...

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1 15.06.10 PRINCIPES COMPTABLES POUR LES INSTRUMENTS FINANCIERS A la demande du G 20, les normalisateurs comptables internationaux et américains ont entrepris de réviser les normes gouvernant les principes de comptabilisation des instruments financiers. Mais, en dépit du mandat que leur a confié cet organisme lors du sommet de Londres, à savoir, prendre en compte la liquidité des marches et l’horizon de détention des instruments, les deux Boards de ces deux normalisateurs ont poursuivis séparément leur stratégie d’avant crise visant à « simplifier » la comptabilité de tels instruments par l’extension du champ d’application de la juste valeur par résultat à des instruments non effectivement largement négociés. Basée sur un diagnostic erroné du rôle de la comptabilité dans l’amplification de la crise financière, cette approche doctrinaire ne peut que conduire à la transformation récurrente des bulles financières inévitables en crises profondes du secteur bancaire. Il devient donc urgent de changer cette orientation au plan international et de formuler des propositions alternatives. C’est l’objet de cette note que de tenter d’y contribuer. 1 - LES LEÇONS DE LA CRISE : Le débat sur la place de la juste valeur dans le cadre comptable n’est pas nouveau. Il s’est toutefois exacerbé notamment depuis 2000, avec la publication du document du FIJWG 1 , et l’intention affichée par le normalisateur américain, le FASB, et son homologue international, l’IASB, d’étendre, à un horizon non précisé, ce mode d’évaluation à l’ensemble des instruments financiers. La crise économique permet de l’aborder sous un autre angle, puisque, pour la première fois, certaines affirmations ou hypothèses, qui justifiaient son emploi ou au contraire, suggéraient d’écarter sa mise en œuvre, ont été testées, à l’épreuve des faits. C’est en effet la première période de retournement de cycle qui survient alors que des instruments non négociés sur un marché liquide, sont évalués dans les états financiers des établissements de crédit selon cette modalité ; les précédentes crises majeures qui ont affecté cette industrie, crise de l’immobilier américain dans les années 90, et auparavant crise des risques pays au début de la décennie 80, se sont déroulées alors que les positions les plus affectées par la conjoncture économique de l’époque étaient valorisées au coût historique, déprécié, le cas échéant au titre du risque de contrepartie. 1 Document du FIJWG : Draft standard : accounting for financial instruments and similar items décembre 2000

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PRINCIPES COMPTABLES POUR LES INSTRUMENTS FINANCIERS

A la demande du G 20, les normalisateurs comptables internationaux et américains ont entrepris de réviser les normes gouvernant les principes de comptabilisation des instruments financiers. Mais, en dépit du mandat que leur a confié cet organisme lors du sommet de Londres, à savoir, prendre en compte la liquidité des marches et l’horizon de détention des instruments, les deux Boards de ces deux normalisateurs ont poursuivis séparément leur stratégie d’avant crise visant à « simplifier » la comptabilité de tels instruments par l’extension du champ d’application de la juste valeur par résultat à des instruments non effectivement largement négociés. Basée sur un diagnostic erroné du rôle de la comptabilité dans l’amplification de la crise financière, cette approche doctrinaire ne peut que conduire à la transformation récurrente des bulles financières inévitables en crises profondes du secteur bancaire. Il devient donc urgent de changer cette orientation au plan international et de formuler des propositions alternatives. C’est l’objet de cette note que de tenter d’y contribuer. 1 - LES LEÇONS DE LA CRISE : Le débat sur la place de la juste valeur dans le cadre comptable n’est pas nouveau. Il s’est toutefois exacerbé notamment depuis 2000, avec la publication du document du FIJWG 1, et l’intention affichée par le normalisateur américain, le FASB, et son homologue international, l’IASB, d’étendre, à un horizon non précisé, ce mode d’évaluation à l’ensemble des instruments financiers. La crise économique permet de l’aborder sous un autre angle, puisque, pour la première fois, certaines affirmations ou hypothèses, qui justifiaient son emploi ou au contraire, suggéraient d’écarter sa mise en œuvre, ont été testées, à l’épreuve des faits. C’est en effet la première période de retournement de cycle qui survient alors que des instruments non négociés sur un marché liquide, sont évalués dans les états financiers des établissements de crédit selon cette modalité ; les précédentes crises majeures qui ont affecté cette industrie, crise de l’immobilier américain dans les années 90, et auparavant crise des risques pays au début de la décennie 80, se sont déroulées alors que les positions les plus affectées par la conjoncture économique de l’époque étaient valorisées au coût historique, déprécié, le cas échéant au titre du risque de contrepartie.

1 Document du FIJWG : Draft standard : accounting for financial instruments and similar items décembre 2000

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Ce changement fondamental de paradigme comptable a été introduit par la publication de deux textes étendant le champ d’application de la juste valeur, l’un par l’IASB, l’autre par le FASB. Proches dans leurs principes, même s’ils diffèrent sur certaines dispositions spécifiques, la norme IAS 39 et son équivalent américain, SFAS 159, introduisent l’option juste valeur et, donc la faculté d’étendre ce principe d’évaluation au-delà de l’activité de trading entendue dans un sens étroit de négoce permanent, focalisé sur la multiplication des transactions à court terme. Ce dernier texte est considéré, aux Etats-Unis, par certains2, au sein de la profession, comme le grand tournant de la doctrine comptable et la norme qui marque l’abandon du cadre conceptuel antérieurement admis, basé sur l’enregistrement de transactions et des revenus acquis, et non sur la valorisation de positions portées. Les modalités de mise en œuvre de ces normes ont été précisées par un autre texte américain, SFAS 157, consacré à la définition de la juste valeur, appréciée comme la valeur de clôture de la position. SFAS 157 n’a pas encore été repris en IFRS, mais il a influencé les préparateurs de comptes qui publient selon les deux référentiels, et, par ricochet, l’ensemble des banques actives internationalement. Une lecture très restrictive des possibilités qui existent dans le texte initial de se départir de rares transactions observées sur des marchés illiquides et des ventes dites forcées, a été publiée en juillet 2007 par un organisme proche des réseaux d’audit américain, le Center for Audit Quality3, interprétation qui a joué un rôle non négligeable comme vecteur de propagation de la crise, à ses débuts. Ce n’est qu’à la suite de nombreuses critiques émanant notamment des pouvoirs politiques, particulièrement du sénat américain, que le FASB et la SEC ont cherché à atténuer la portée de ce texte, en publiant une « clarification » excluant notamment la prise en compte des ventes forcées4, position reprise en IFRS dans un communiqué du Board d’octobre 2008 et en France, dans la recommandation des quatre autorités publiée également en octobre 2008. Cette position a fait l’objet d’une nouvelle clarification en mai 2009 par le FASB (FSP FAS 157-4), reprise dans l’exposé-sondage de l’IASB relatif à l’évaluation de la juste valeur publié en mai 2009. 2 - LA BASE CONCEPTUELLE DE L’EVALUATION EN JUSTE VALEUR : La base conceptuelle de la juste valeur repose sur l’hypothèse des marchés efficients : Au plan conceptuel, l’évaluation en valeur de marché des actifs et des passifs est la déclinaison au plan comptable de l’hypothèse des marchés efficients, formulée de manière générale par Pareto sur l’allocation des ressources à la fin du 19ème siècle et appliquée aux marchés financiers en tant que vecteurs de la diffusion d’informations par de nombreux auteurs, tels que par exemple E.Fama5. Celui-ci a introduit le concept d’efficience informationnelle. Selon cette thèse, les prix des actifs observés sur les marchés à n’importe quel moment, reflètent pleinement l’ensemble des informations disponibles sur ces actifs (et donc, la séquence des flux de trésorerie qu’ils vont générer dans le futur), ainsi que les risques liés à ces actifs (incertitude et prix du temps). Dès lors, si l’objectif de la comptabilité est défini comme étant de fournir aux investisseurs existants et potentiels6, l’information relative aux cash flows futurs de l’entreprise, aucune autre méthode d’évaluation n’est supérieure à une valorisation aux prix de marché de ses actifs et passifs. Sur un marché efficient au sens informationnel, le prix d’un actif financier est à tout instant une estimation non biaisée de sa 2 SFAS 159, CPAs at a crossroad, J Cataldo , The CPA journal, août 2007 3 CAQ : measurements of fair value in illiquid markets, octobre 2007 4 SEC/FASB : Clarifications on fair value accounting, septembre 2008 5 E.Fama : Efficient capital markets : a review of theory and empirical work Journal of finance 1970 6 Fasb statement of concepts 7. 26

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valeur intrinsèque. Les prix des actifs ne varient que lorsque de nouvelles informations sont disponibles, qu’ils reflètent alors instantanément, donnant entre autres une information actualisée sur la position en risque de l’établissement. Les variations des prix sont alors indépendantes les unes des autres et distribuées suivant une loi normale. Si le revenu est assimilé au changement de richesse globale sur la période7, les variations de valeur des actifs et des passifs constituent le résultat non biaisé de la période. De surcroît, dans cette approche, bonne gouvernance et valorisation objective sont intimement liées : Ce mode d’évaluation favorise la perception par les investisseurs du profil de risques de l’entreprise, ce qui, grâce à la discipline de marché, leur permet de pouvoir influencer les décisions de gestion du management. Les chiffres comptables jouent alors un double rôle : ils reflètent les actions des participants aux marchés et constituent ainsi une validation externe des décisions internes à la firme, mais, ils servent également de fondements aux actions futures qui auront une incidence sur les prix. Soulignons simplement à ce stade, que ce dernier mécanisme est à l’origine d’un effet circulaire, une boucle de rétroaction endogène au système financier, où, dès lors que les marchés sont imparfaits, il n’y a plus coïncidence absolue entre les fondamentaux de la valeur d’un actif et son prix observé sur le marché. Celui-ci ne reflète plus les flux de trésorerie futurs liés à l’actif, mais les vues existantes des participants sur la valeur qu’ils attribuent aux flux tels qu’ils peuvent les percevoir, sur la base d’informations fragmentaires. L’hypothèse des marchés efficients a fait l’objet de nombreux travaux, tant de validation que de réfutation. Synthétiser cette abondante recherche dépasse le cadre de cette note. Il est néanmoins intéressant de rappeler les caractéristiques que doit présenter un marché pour être qualifié d’efficient. Un marché est efficient seulement si les prix des titres reflètent à chaque instant toute l’information disponible : toute nouvelle information, complètement imprévisible et non corrélée avec l’information diffusée précédemment, est instantanément intégrée dans les cours et est seule à l’origine des changements de prix. Le comportement des agents est en moyenne rationnel, c'est-à-dire que sur la base des informations disponibles correctement interprétées, la population des agents maximise leur utilité, en l’occurrence leur espérance de gains, compte tenu du niveau de risque qu’ils admettent. Certains d’entre eux peuvent agir irrationnellement, mais, dès lors que leur comportement est aléatoire et suit une distribution normale, la moyenne de leurs comportements est rationnelle. A l’épreuve des faits récents et d’observations plus anciennes, il se confirme8 que l’hypothèse des marchés efficients est souvent invalide, que les marchés illiquides sont plutôt la règle et non l’exception. Les mouvements de prix ont d’autres origines que la diffusion d’informations nouvelles, et donc les prix de transactions isolées ne donnent pas nécessairement une bonne prévision des cash flows que l’entreprise générera dans le futur. L’observation du fonctionnement des marchés au cours de la période récente a renforcé la validité de cette critique, conceptualisée par les économistes du comportement, tels que R.Shiller9. La crise a permis d’invalider la thèse des marchés financiers efficients :

7 Définition du revenu selon l’économiste J.R.Hicks : value and capital 1946 8 Voir, par exemple, A.Shleifer : Inefficient markets. An introduction to Behavioral Finance. Clarendon lectures,

oxford university press, 2000 9 Robert J. Shiller : the new financial order : risk in the 21st century 2003

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Depuis son origine à l’été 2007, plusieurs phénomènes ont pu en effet être observés : dès lors que les marchés deviennent illiquides, les évaluations ne font que refléter le

pessimisme ou l’optimisme des rares participants, dont le comportement ressort alors de phénomènes de hordes, déclenchant de brutales variations de valeur des actifs, à la hausse comme à la baisse. Appliquer les prix observés à l’ensemble des positions existantes sur cet actif revient à appliquer un prix marginal à un stock de transactions, ignorant ainsi la loi de l’offre et de la demande qui montre qu’un prix n’est pas indépendant des quantités offertes ou demandées, et générant un mouvement auto entretenu ( donc procyclique) à la hausse, comme à la baisse, amplifiant la tendance générale des actifs financiers à présenter une élasticité négative aux variations de prix (plus le prix d’un actif financier évolue à la hausse, plus sa demande augmente, contrairement aux hypothèses sur la formation des équilibres de marché).

les niveaux auxquels s’effectuent les transactions sur marchés illiquides reflètent la forte

prime que demandent les investisseurs pour entrer sur de tels marchés.

Aux primes de liquidité, s’ajoutent alors des primes pour incertitudes, qui provoquent alors un phénomène dit de « marché du citron »10. Lorsque des investisseurs potentiels examinent des papiers sur lesquels existe par exemple, une incertitude sur le niveau de risque de contrepartie, leur déficit d’information les conduit à estimer ce risque au niveau le plus élevé, et donc, à intégrer dans leur valorisation, l’hypothèse que tous vont subir des pertes extrêmement significatives. C’est ainsi que certains titres hypothécaires de séniorité élevée ont été valorisés à la clôture 2008 à des niveaux impliquant des taux de défaut jamais vus, même lors de la dépression de 1929. Cette contagion de l’aversion au risque entraine une hausse mécanique des primes à l’ensemble des actifs et des dérivés, même si ces actifs présentent des profils de risques très diversifiés11.

le processus de diminution de l’endettement global (phénomène dit de « deleverage »)

tend à déprimer le prix des actifs les moins liquides. Dès lors que ces actifs sont valorisés en valeur de marché dans le bilan des institutions financières, celles-ci constatent des pertes qui diminuent leurs fonds propres, réduisant ainsi leurs capacités à distribuer du crédit, ce qui a pour effet d’enclencher un autre cycle de diminution du prix des actifs. Ce mécanisme est particulièrement affirmé, lorsque les actifs sont financés en repos. Il y a en effet une relation circulaire de dépendance entre la valeur d’un instrument apprécié en tant que collatéral et son financement, sous forme de repurchase agreement : la baisse des prix entraine un appel de marges qui ne peut être satisfait qu’en cédant des actifs à n’importe quel prix, ce qui déclenche un nouveau cycle baissier.

Les marchés sont un exemple de système dans lequel les composants individuels

réagissent au changement de situation de leur environnement et où ces réactions rétroagissent12 sur les caractéristiques de l’environnement. Les prix des actifs reflètent, à un moment donné, les préférences des investisseurs, mais aussi, constituent la base de décisions des investisseurs. Ils peuvent alors évoluer sous l’effet d’actions de participants aux marchés résultant de facteurs exogènes aux actifs dont les prix bougent. Il y a alors rétroaction des anticipations des comportements des autres participants sur les actions décidées par quelques uns d’entre eux : les décisions ne sont plus alors basées sur les

10 Phénomène de marché du citron : identifié par G Akerlof : The market for lemons quality uncertainty and the

market mechanism Quaterly journal of economics, aout 1970 11 Le même mécanisme a joué dans l’autre sens à la hausse des prix- et donc, à la baisse des primes-dans la

phase précédente du cycle, contribuant ainsi à la formation de la bulle financière. 12 On parle alors de génération d’externalités, ce qui confère à la comptabilité un statut de bien public, indépendamment de la définition retenue de ses destinataires, investisseurs ou cercle plus large d’utilisateurs.

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fondamentaux de l’actif, mais sur les anticipations des décisions des autres participants. Les marchés développent alors une dynamique propre, non fondée sur la prise en compte d’informations nouvelles extérieures.

Dès lors que l’on admet que les prix des actifs peuvent s’écarter durablement des

fondamentaux (ce que nie la théorie des marchés efficients), un investisseur rationnel peut obtenir un meilleur rendement en profitant de la vague spéculative plutôt qu’en cherchant à la contrarier. Il peut en effet être trop couteux d’emprunter pour aller contre une tendance du marché. Tout l’enjeu de la stratégie d’investissement consiste alors à sortir de la position avant que la tendance des prix, haussière ou baissière, ne s’inverse. Mais, dans ce contexte, un investisseur rationnel a plus de chances de contribuer à la formation de bulles que de participer à leur étouffement. Dès lors qu’un marché devient illiquide, le prix qui résulte de transactions épisodiques peut s’écarter des fondamentaux ; il s’établit en fonction de la position de liquidité respective des rares acheteurs et vendeurs

Lorsque certains vendent en masse, les prix de transaction observés sont plus bas que

ne le justifieraient les fondamentaux, ce qui a une incidence négative sur ceux qui continuent un temps de porter ces actifs, si ceux-ci sont contraints de les valoriser en valeur de marché.

Dès lors, il existe une forte incitation à se défaire de tels actifs en anticipant une chute ultérieure des prix, anticipation qui se vérifie alors sous l’ampleur des mouvements de vente. Lorsque les prix fluctuent, les investisseurs ajustent leurs positions en conséquence et la valorisation en valeur de marché conduit à ce que tous ces ajustements tendent à se produire simultanément, dans le même sens. Personne ne dispose de la liquidité nécessaire pour contrer ces mouvements de marché et assurer, comme le voudrait la théorie des marché efficients un retour à un prix d’équilibre

Ces différentes observations amènent à conclure que loin d’assurer des décisions optimales des investisseurs, les mécanismes d’évaluation en valeur de marché d’instruments négociés sur des marchés non pleinement efficients génèrent une volatilité endogène des prix qui les empêchent de jouer un rôle dans l’affectation efficace des ressources. Ils donnent de surcroît une fausse vision des résultats des entreprises. Comme l’a souligné P. Samuelson13, investir dans la phase ascendante du cycle, devient un jeu où tout le monde apparemment gagne, mais, ces gains latents sont des « gains sur le papier » et destinés à disparaître si les investisseurs voulaient les réaliser par cession effective des instruments sur le marché. Si les mouvements de marché résultent principalement de la position de liquidité des différents acteurs et non de l’intégration de nouvelles informations dès lors qu’elles sont disponibles, alors les prix observés ne reflètent pas nécessairement (voir rarement) les flux de trésorerie futurs associés aux actifs détenus. Faut-il pour autant bannir toute valorisation en mark to market dans les techniques comptables d’évaluation ? Non, mais, la place de cette modalité d’évaluation ne peut être définie en assignant à la comptabilité un objectif de production d’information sur les cash flows futurs, dès lors que l’hypothèse des marchés efficients n’est pas vérifiée.

13 P.A. Samuelson : Economics, an introductory analysis

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3 - QUEL EST LE ROLE DE LA COMPTABILITE ? Le rôle d’une comptabilité basée sur des bilans à une date donnée, et des comptes de résultats reflétant des périodes passées, ne saurait être défini comme visant directement à prévoir les flux de trésorerie futurs de l’entreprise. Si tel était son objectif, il faudrait modifier le contenu des états financiers et demander à celle-ci de publier un budget prévisionnel et un plan de trésorerie à moyen terme. La comptabilité n’a pas non plus pour objet de donner en lecture directe la valeur d’une entreprise à la date de la publication de ses états financiers. Le fait de ne pas enregistrer comptablement les actifs incorporels crées en interne génère de toute façon un large écart entre la valeur d’une entreprise pour un investisseur et sa valeur comptable, quelle que soit la définition de celle-ci. Par ailleurs, ce qui fait la force d’un marché actif, c’est la confrontation d’opinions variées des participants basées sur des informations différentes ou des interprétations différentes de données communes. Le prix final du marché résultera de cette confrontation. Une évaluation en valeur de marché d’instruments non activement négociés ne constitue qu’une mimique de ce process, une réplication tronquée, basée sur l’actualisation des flux de trésorerie futurs estimés dans laquelle le choix des paramètres du modèle par le management est hautement subjectif. Le montant qui en résultera ne peut lui-même qu’être subjectif, donc incertain. Un système de mesure affecté d’une marge d’erreur supérieur à l’objet de la mesure est conceptuellement insoutenable et sera donc rejeté par les utilisateurs. Plus modestement, une comptabilité doit permettre d’apprécier la performance financière de l’entreprise sur une période passée, facilitant la formation d’un jugement sur l’efficacité du management pendant celle-ci. Pour ce faire, l’objet de la comptabilité doit être de mesurer le bénéfice réalisé, non pas le bénéfice encaissé, mais celui qui peut être enregistré, car déterminable avec une incertitude acceptable. Il s’agit d’évaluer la valeur ajoutée par l’entreprise au cours de ses transactions de marché, après prise en compte des risques que lui font courir les transactions non dénouées. Le dégagement de revenus sur la base de valorisation d’actifs à un prix théorique, résultant de l’observation de transactions marginales, mais qui ne peuvent être reproduites en raison de l’illiquidité des marchés de ces actifs, ne répond manifestement pas à ce critère. La comptabilité doit également présenter un résultat unique de la performance financière de l’entreprise sur une période passée. Cette unicité est le gage de la fiabilité de l’information financière. La tentation de présenter de multiples résultats en réponse à des besoins ponctuels contribuerait à semer la confusion parmi les utilisateurs et lecteurs d’états financiers y compris en interne. N’oublions pas que la comptabilité et ses principes sont utilisés avant tout par les personnes clés du management dans le cadre du suivi de gestion et de la prise de décision stratégique. Afin d’assurer cette unicité, le résultat doit donc pouvoir refléter la réalité économique du mode de gestion de l’entreprise appliqué aux instruments financiers. Dans ce cadre, il est difficile d’accepter les dernières propositions de D. Tweedie, Président de l’IASB, qui, au nom de la transparence, souhaite présenter aux côtés du résultat net, référence pour les investisseurs, un résultat prudentiel répondant aux besoins des superviseurs chargés de la stabilité financière et servant de base au calcul des dividendes et des bonus. Dès lors, le mode de recouvrabilité des cash flows liés aux actifs (et mutatis mutandis, aux passifs), et donc du dégagement de leurs bénéfices, doit déterminer leur mode d’évaluation.

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Ce mode de recouvrement des flux de trésorerie est étroitement lié au modèle d’entreprise, ou plus précisément dans le cas d’un groupe bancaire, au modèle d’activité retenu pour créer un segment de ce groupe. Schématiquement, il existe dans le domaine bancaire deux modèles d’activités : l’un utilise les instruments financiers actifs et passifs comme des facteurs d’exploitation

(l’équivalent des immobilisations du monde industriel) pour générer des séquences de flux de trésorerie futurs positifs et négatifs, le résultat de l’établissement étant le solde net de ces deux types de flux,

l’autre est basé sur la rotation des stocks d’instruments (l’instrument est alors l’équivalent d’un produit fini industriel en attente de commercialisation), le recouvrement des cash flows reposant alors sur la cession à un horizon plus ou moins proche.

La segmentation des modes d’évaluation et donc celle des catégories d’instruments doivent reposer sur le mode de gestion de ceux-ci. 4 - QUELLE CLASSIFICATION COMPTABLE DES ACTIFS RETENIR ? En première analyse, il semble possible de classer les actifs en trois catégories selon les caractéristiques de leur marché et leur mode de gestion par les établissements qui les portent: Les actifs dont la recouvrabilité repose sur l’encaissement de flux : Ils tendent à présenter des caractéristiques spécifiques, non connues d’éventuels participants aux marchés. Ces asymétries d’informations expliquent pourquoi, alors que tout instrument financier est négocié nécessairement sur un marché primaire, bien peu sont négociables sur un marché secondaire. Pour les établissements qui les émettent, le mode de gestion majeur est le portage de tels instruments14 et, en conséquence, les flux de trésorerie qui seront perçus se limitent à ceux qui résultent des dispositions contractuelles. La valeur de tels instruments ne dépend pas directement des variations des prix de marché. La majorité des prêts rentrent dans cette catégorie, de même que la plupart des passifs bancaires. Ils doivent en conséquence être enregistrés au coût historique de la transaction initiale qui justifie leur inscription à l’actif de la banque et leurs revenus comptabilisés, limités aux conditions prévalant lors de leur acquisition ou de leur rachat. Bien évidemment, il y a lieu de prendre en considération le risque de contrepartie dont la réalisation remet en question la recouvrabilité des cash flows et ce, dès la naissance du risque, et non lors de sa matérialisation. En effet, une fraction des revenus perçus (intérêts) correspond à la couverture de ce risque et la méthode des pertes avérées revient à considérer cette prime perçue comme un résultat, dès lors qu’aucun sinistre n’est survenu pendant la période de perception. Outre son fort caractère pro cyclique, cette approche ne traduit pas le niveau de risque supporté par l’établissement dès lors que le risque inhérent à un concours ne se manifeste pas dès la mise en place du concours. Valoriser de tels actifs en valeur de modèles (marked to « no market »), et non en valeur de marché puisqu’il n’existe pas de marchés pour de tels instruments, revient à enregistrer des

14 Sauf à les repackager en les associant à d’autres instruments pour gommer leurs caractéristiques

idiosyncratiques, mais il s’agit là de la fabrication de nouveaux instruments financiers dont ils deviennent l’un des composants.

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produits et coûts d’opportunité théoriques à la hausse, comme à la baisse, éléments que le management ne peut réaliser, sauf à brader les actifs auxquels ils correspondent, comme l’ont montré récemment, les opérations forcées réalisées par différents véhicules de titrisation ou par certaines banques d’investissement à court de financement et/ou de fonds propres. Dès lors que la juste valeur d’un instrument, calculée sur base de modèles, est définie comme un prix de sortie de la position, une mesure de marché par opposition à une évaluation interne faite par l’entreprise, il y a une contradiction irréfragable dans la démarche consistant à déterminer un prix de marché d’un instrument pour lequel il n’existe précisément pas de marché ; une telle valorisation doit inclure une prime de risque reflétant le montant que demanderaient d’hypothétiques participants à un marché supposé à la date d’évaluation, en prenant en compte les conditions existant sur le marché en date d’évaluation. Mais, précisément, à cette date, les conditions prévalant en général sur les marchés font que celui spécifique à l’instrument n’existe pas, si on exclut de ce champ, les transactions forcées à divers titres. Précisément, il n’y a pas de participants parce que ces instruments ont des caractéristiques trop spécifiques pour être négociés autrement que sur base bilatérale. De telles négociations peuvent aboutir à déterminer le prix d’une transaction spécifique, pas le prix de marché indistinct d’un instrument. Toutefois, la négociabilité d’un instrument ne justifie pas, à elle seule, sa réévaluation en valeur de marché, si, parallèlement, l’activité à l’origine de son émission ou de son portage, ne vise pas le recouvrement par voie de cession dans un avenir prévisible. Dans ce cas, le mode d’évaluation le plus approprié est celui de la catégorie précédente. La liquidité du marché (appréciée en tenant compte de la taille de la position détenue par rapport au volume des échanges constatés) justifie dans ce cas qu’il soit fait mention dans les notes annexes des plus ou moins values latentes qu’un changement de stratégie permettrait de dégager Les actifs de transaction : Les actifs de transaction sont détenus dans une optique de court terme pour bénéficier des évolutions de prix, soit de ces actifs pris isolément, soit de différences de prix entre des actifs dont les valeurs intègrent les mêmes variables (positions d’arbitrage entre différents instruments). Pour pouvoir bénéficier des variations de prix, et transformer un résultat potentiel en cash sans impact sur les prix, de tels instruments doivent nécessairement être négociés sur des marchés liquides ou être totalement décomposables en sous-instruments négociables sur des marchés liquides. Il faut donc définir, au plan comptable, les critères de caractérisation d’un marché liquide. Généralement, la clôture des positions détenues se fait par cession des instruments qui les constituent et il est donc assez aisé d’identifier des indicateurs simples, reflets du nombre de transactions sur une période. Il est plus délicat, mais néanmoins nécessaire, de caractériser et donc délimiter de manière précise, une activité de trading lorsque celle-ci s’exerce sous forme d’empilement de transactions de sens opposés, comme, par exemple, dans la gestion d’un book de swaps de taux. D’autres indicateurs pertinents, mesurant la liquidité du marché, devront être identifiés pour couvrir ce cas de figure, l’importance de la fourchette cours acheteur/ vendeur venant dans ce contexte immédiatement à l’esprit. Mais, il en est peut être d’autres, plus pertinents en certaines circonstances15. Les instruments négociés sur des marchés présentant ces caractéristiques de liquidité ou décomposables en instruments négociables sur des marchés liquides doivent donc être comptabilisés en juste valeur16, avec enregistrement des variations de celle-ci en résultat. 15 Ecart cours acheteur/vendeur, profondeur du marché, volume des transactions, coût des transactions, facilité des négociations, résilience-capacité d’un marché à intégrer des informations nouvelles, notamment négative, sans que sa liquidité en soit altérée 16 A ce stade, la problématique très spécifique des relations de couverture n’est pas couverte dans cette note.

Elle fera l’objet de développements ultérieurs

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Il faut être néanmoins conscient que ce mécanisme participe à la formation des bulles financières, qu’elles soient positives- lorsque les prix sont significativement supérieurs aux valeurs intrinsèques- ou négatives- dans le cas inverse. Valoriser des positions sur la base de transactions réalisées par d’autres a pour effet de créer une distorsion par rapport au prix d’équilibre, résultant du jeu de l’offre et de la demande. En effet, les quantités susceptibles d’être offertes sont valorisées au prix marginal demandé d’équilibre. Cette simplification n’est réellement pertinente que si l’élasticité des prix des actifs est faible par rapport aux quantités offertes, c'est-à-dire dans le cas des marchés liquides. Valoriser ainsi des actifs illiquides crée un effet de levier sur la valorisation des portefeuilles concernés, à la hausse quand la bulle enfle, à la baisse quant celle-ci éclate. Il va sans dire qu’il est difficile de prévoir les cash flows futurs qui seront réalisés par un établissement sur la base d’une telle méthodologie appliquée aux actifs illiquides. Les produits structurés couverts partiellement en risques sur le marché : Il existe enfin, une troisième catégorie d’instruments, qui, au regard du critère de la liquidité de leurs marchés, ne relève pas de la catégorie précédente, mais dont la valeur est étroitement liée à l’évolution de paramètre(s) de marché, auquel(s) leur mode de rémunération fait référence. Il s’agit d’instruments structurés, conçus pour les besoins d’une classe restreinte d’investisseurs, voire quelquefois dessinés sur mesure pour l’un d’entre eux. Ils sont à l’actif des banques lorsque celles-ci ont investi dans de tels instruments soit lors de leur émission, soit par rachat sur le marché secondaire. Leur mode de rémunération, voir de remboursement, dépend de paramètres de marché autres que de simples taux d’intérêt relatifs à la monnaie du libellé de l’instrument et présente un profil non linéaire, soit avec des facteurs multiplicatifs, soit avec des facteurs optionnels. Ces critères de rémunération génèrent un effet de levier significatif en ce sens qu’ils sont susceptibles de dégager un résultat positif ou négatif sans commune mesure avec le capital engagé, représenté par le coût historique de l’instrument. Au plan opérationnel, ces instruments sont « gérés en juste valeur » ; plus précisément, les risques qu’ils génèrent sont gérés séparément par type de risque, par retournement des positions induites au moyen de contrats dérivés négociés eux, sur des marchés liquides. Il nous semble indispensable d’éviter une asymétrie entre le traitement comptable de ce type de produits et leur mode de gestion et de suivi en risque. En effet, la comptabilité doit traduire au mieux dans les comptes des banques les véritables risques pris en cohérence avec la politique de gestion réelle des produits, et éviter tout arbitrage comptable. Ce principe doit être appliqué indépendamment de la capacité ou non à retourner intégralement la position en risques sur ce type de produits Toutefois, en raison de leurs caractéristiques idiosyncratiques, le retournement des risques n’est ni total, ni opéré de façon unitaire. Il repose entre autres sur l’application de corrélations constatées sur base historique, sur des périodes plus ou moins longues. La crise a mis en évidence l’instabilité de telles corrélations en période de stress des marchés, et donc l’incertitude inhérente aux valorisations basées sur de tels paramètres. Si on prend l’exemple de certaines tranches de CDOs figurant à l’actif des établissements en juste valeur depuis leur émission, l’absence de liquidité de leur marché interdisait, à l’évidence, de réaliser en cash les réévaluations ainsi opérées au plan comptable. Dans les années précédant la crise, dès lors que le prix de transactions marginales était appliqué à des encours d’instruments non réellement négociables, certains établissements ont empilé des positions directionnelles, dont la valeur dépendait étroitement de ce que de nouveaux

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arrivants sur le marché étaient prêts à payer pour acquérir des produits similaires. Dans la phase ascendante du cycle, ce mécanisme a contribué à doper la demande, et donc à augmenter les prix, compressant ainsi les spreads17 correspondant aux différents risques attachés à de tels produits. Néanmoins, les résultats comptables résultant de cette évolution des prix ont été dégagés par application du marked to market. Au moment où les marchés se sont retournés, le mécanisme que nous venons de décrire, a joué en sens inverse. En effet, en cas de turbulences sur les marchés, la détermination des paramètres des modèles utilisés pour valoriser en juste valeur les instruments qui ne font pas l’objet de nombreuses transactions sur des marchés liquides, devient de plus en plus difficile, ce qui rend incertains les résultats obtenus. Cette incertitude nourrit alors les craintes des opérateurs qui, en réaction, vendent ou cessent d’acheter ces instruments, déprimant encore un peu plus leurs marchés. Cette dépression est immédiatement répercutée dans les états financiers des banques concernées, via l’évaluation en juste valeur de ces positions, avec les conséquences que l’on a évoquées au début de cette note. Ce mode de valorisation, appliqué à de tels instruments, revient donc à importer dans les comptes l’euphorie ou la panique des marchés, certainement pas à établir une prévision des cash flows futurs qui leur sont associés. Il n’est donc pas approprié et n’offre aux investisseurs aucune valeur prédictive, comme le montre l’examen des états financiers d’une grande banque suisse. Il est difficile de prétendre que les comptes publiés par cet établissement pour l’exercice 2006 très largement bénéficiaire, constituent une prévision adéquate des cash flows et des pertes massives qui ont affecté ses exercices 2007, 2008 et continueront probablement d’impacter 2009. Autre leçon de la crise, il est de plus en plus couramment admis que certaines entités, bancaires ou non, s’appuyant sur des hypothèses par trop optimistes sur la négociabilité de certains instruments ont conduit de façon massive et inappropriée des politiques effectives de transformation, conduisant à la crise de liquidités qui s’est avérée être l’un des détonateurs majeurs de la crise actuelle. En effet, ces positions longues étaient financées par des opérations de pension, en majorité au jour le jour dans le cas notable de Bear and Stearns. Contrairement aux prévisions, ces positions se sont révélées invendables et de moins en moins acceptées comme collatéral. Au plan comptable, en raison de l’incertitude inhérente à la valeur d’instruments très difficilement négociables, (même en l’absence de crise), donc portés pour la plupart jusqu’à leur maturité, la reconnaissance des résultats liés à ces produits structurés dont les risques ne sont pas retournables sur un marché liquide doit être gouvernée par le principe de prudence. Celui-ci doit imposer de ne pas enregistrer de plus-values latentes (dont nombre se sont révélées fictives au cours de la crise) mais de constater les moins-values correspondant aux risques inhérents aux instruments. Plusieurs méthodes peuvent être envisagées pour atteindre l’objectif comptable ainsi défini. Nous suggérons une évaluation sur base de modèles incorporant des réfactions significatives pour tenir compte du risque de modèle18 inhérent à ce processus de valorisation. Cette approche parait adaptée aux instruments aux revenus non linéaires contingents à des valeurs de paramètres de marché, et donc, sensibles à des effets de seuil 17 Notons que ce mécanisme invalide la thèse selon laquelle seule la valeur de marché permet d’apprécier les risques portés par l’netreprise 18 Dès lors qu’il n’y a pas de véritable marché pour un instrument, il est très difficile de calibrer un modèle avec la précision requise pour déterminer un résultat au sens comptable. Voir la théorie de la connaissance économique imparfaite. Roman Frydman « imperfect economic knowledge : exchange rates and risk » NY 2008.

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qui sont difficiles à appréhender par d’autres méthodes. De surcroît, celle-ci facilite la prise en compte d’opérations de couverture qui leur sont souvent liés. Reste le problème de la détermination de la prime de liquidité applicable en ces circonstances. La crise a montré les dangers de déduire ce paramètre crucial de transactions marginales, donc probablement forcées, ou d’évolution de prix de dérivés plus ou moins comparables et surtout à la liquidité propre aussi discutable. Dès lors que la couverture dynamique de telles positions ne peut être parfaite, il n’est pas correct de déduire la valeur d’un instrument du seul prix de réplication de sa couverture. En conséquence, le niveau retenu de la prime pour illiquidité doit à la fois tenir compte du fait que ces positions ne peuvent être cédées, sauf à accepter une décote considérable par rapport à un prix théorique déduit d’un marché hypothétique en équilibre et du fait qu’il ne doit pas avoir d’arbitrage possible « comptable » entre la valeur ainsi déterminée des instruments couverts et celles des instruments de couverture, qui, négociés sur un marché liquide, intègrent une véritable prime de liquidité. Dans l’incertitude, ce processus devrait in fine pencher vers le conservatisme. En complément de ces mesures d’évaluation prudentes, via notamment l’utilisation des réfactions significatives, il est nécessaire que la marge réalisée soit différée dès lors qu’elle est incertaine dans son montant et/ou dans sa probabilité de réalisation. Cette incertitude existe pour les produits structurés qui ne peuvent être intégralement couverts en risque par des produits de couvertures dont la liquidité est assurée. La « marge » telle que calculée par les établissements de crédit lors de la mise en place ou la commercialisation de ces produits structurés risque alors de n’être que théorique : d’une part parce que la détermination de cette marge repose sur l’utilisation de modèles incorporant un jeu d’hypothèses et de paramètres dont la pertinence n’est pas incontestable, d’autre part parce que cette marge ne peut être considérée comme acquise lorsqu’il n’est pas possible de retourner une partie (potentiellement significative) du risque ou de céder l’actif (ou racheter le passif) en question. Une marge non assurée ne peut être anticipée en résultat, et doit être différée jusqu’à ce que tous les risques de l’instrument puissent être couverts ou jusqu’à l’échéance, voire, dans certains cas, être étalée dans le temps. Le dispositif actuel existant en IFRS (et reconduit dans le projet IFRS 9), permettant de différer le « profit en date de mise en place » doit être renforcé. Une caractérisation plus précise des critères de reconnaissance de la marge calculée par les établissements, intégrant clairement la problématique de liquidité, doit être établie. De plus, les textes actuels sont silencieux sur le traitement postérieurement à la date de mise en place du produit. Ces textes doivent être complétés pour empêcher que les modifications ultérieures de modèles ou de paramètres non liquides entrainent la reconnaissance de profits immédiats : ces profits doivent être, là encore, différés et étalés dans le temps. Les pertes, qu’elles soient mesurées à l’émission ou suite à une réévaluation des paramètres de risques non couvrables par des instruments liquides doivent, elles, être reconnues immédiatement en résultat. Toutefois, pour la seule partie retournable, les plus values et les moins valeurs latentes sont toutes deux comptabilisées afin de permettre un traitement comptable symétrique avec celui des dérivés de retournement qui assurent le cas échéant la couverture économique des risques. Le cas particulier des actions : Les actions sont rémunérées sur des bases simples, mais discrétionnaires, sous forme de dividendes. Elles ne sont pas remboursées, aussi l’investisseur ne peut il récupérer le capital investi qu’à l’occasion d’une cession à un autre investisseur ou par rachat par la société de ses propres actions. Le fait que leur rendement ne soit pas contractuellement défini et que le montant investi ne constitue pas du principal remboursable à une échéance déterminée ne signifie pas pour autant que ces instruments doivent nécessairement être valorisés en valeur de marché au bilan des entreprises. Dès lors qu’elles ne sont pas activement négociées sur un marché liquide, les résultats latents ne sont pas forcément réalisables dès lors qu’une

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cession n’est pas envisagée dans un avenir prévisible. En particulier, des actions même cotées mais au flottant limité ont un prix très sensible aux mouvements marginaux d’achats et de ventes. Cela ne signifie pas pour autant que ces prix soient reproductibles pour des transactions futures de volume plus significatif, et donc que la valeur du patrimoine des détenteurs de tels papiers se soit accrue dans les proportions découlant des prix auxquelles les transactions marginales ont été réalisées. Il n’y a donc pas lieu de valoriser en juste valeur par résultat des actions autres que celles qui relèvent de la catégorie « transaction ». Pour celles dont l’horizon de détention est le long terme sans objectif de cession dans un avenir prévisible et indépendamment de leur négociabilité, le maintien au coût avec le cas échéant dépréciation paraît le plus approprié. Enfin pour les actions pour lesquelles une vente peut être réalisée à tout moment dès lors qu’une opportunité survient, l’évaluation à la juste valeur en contrepartie d’un compte de capitaux propres avec le recyclage de ces plus ou moins values latentes dès la cession réalisée et la constatation d’une dépréciation le cas échéant paraît être une meilleure solution. Dès lors que cette dépréciation n’est plus justifiée la provision correspondante doit être reprise. Il est significatif que dans les activités de private equity, certes le résultat comptable est souvent évalué en juste valeur, mais des clauses contractuelles interdisent toute distribution avant la réalisation effective des plus values latentes. Bien évidemment, dès lors qu’une dépréciation n’est plus considérée comme temporaire après prise en compte de l’horizon de détention, elle doit être constatée en compte de résultat, que l’action soit ou non cotée. 5 - LE PROJET DE REFORME D’IAS 39 DE L’IASB : Répondant à la demande de nombreux acteurs des marchés financiers (établissements de crédit, régulateurs, gouvernements, …), l’IASB a initialisé en juillet 2009 un projet de réforme de la norme 39. Celui-ci est découpé en quatre phases : évaluation et classifications des actifs financiers évaluation des passifs dépréciation au titre du risque de crédit des actifs évalués au coût amorti comptabilité de couverture.

En novembre 2009, seule la phase 1 a fait l’objet de la publication de la nouvelle norme IFRS 9. Le texte de celui-ci aborde la problématique de la valorisation des instruments sous l’angle de la « complexité » des dispositions actuelles, ce qui ne semble pas être le thème majeur qui ressort de la période de crise économique actuelle. Il constitue néanmoins une inflexion positive de l’orientation des normalisateurs comptables internationaux, qui se limitait jusque là à l’objectif de généraliser la juste valeur à l’ensemble du bilan des banques. Pour la première fois en effet depuis longtemps, il est indiqué dans cette nouvelle norme que la valorisation de toutes les composantes des bilans bancaires en valeur de marché n’est pas la solution la plus appropriée pour améliorer le reporting financier. Il est également reconnu l’importance du modèle d’entreprise, en tant que déterminant du mode de recouvrement des cash flows procurés par les instruments détenus. Le Board a déduit de ces deux constatations qu’un modèle comptable mixte, faisant coexister juste valeur et coût amorti en tant que mode de valorisation était le plus approprié pour traduire la réalité économique des opérations bancaires. Néanmoins, à la lecture des délibérations de cette instance, il apparait clair que cette inflexion doctrinale n’est que superficielle et nombre de membres semblent encore convaincus qu’une évaluation en juste valeur, définie comme un prix de cession, avec impact en résultat, reste appropriée pour la majorité des instruments financiers. Il est à cet égard significatif que le texte prévoit un encadrement strict de

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l’utilisation du coût amorti alors que pratiquement aucune condition n’est attachée à la mise en œuvre des valeurs de marchés. Pour déterminer dans quelles circonstances chacun de ces deux modes de valorisation s’applique, deux critères ont été retenus, celui du modèle d’entreprise de l’entité et celui des caractéristiques des flux de trésorerie contractuels de l’instrument financier reprenant ainsi une distinction conçue lors de la rédaction de la norme relative aux petites entreprises. Toutefois, dans l’articulation des dispositions de la nouvelle norme IFRS 9, les caractéristiques de l’instrument relatives à son mode de rémunération prévalent sur le modèle de gestion de l’entité rendant inopérant ce dernier critère. Seuls les instruments dont les termes contractuels donnent droit à des flux de trésorerie constituant seulement le paiement de principal et d’intérêts pourront être évalués au coût amorti, s’ils sont destinés à être portés par l’établissement, en principe jusqu’à leur maturité. La notion de flux financiers contractuels est caractérisée par un remboursement en principal prédéterminé19 et un rendement basé uniquement sur la valeur temps de la monnaie et le risque de crédit brut. L’accent est donc mis sur les caractéristiques des conditions d’intérêt, avec l’idée sous jacente que seuls constituent des intérêts les rémunérations correspondant aux taux Libors de maturité équivalente. La définition de cette notion d’intérêt « basique » se veut donc très restrictive, mais, à l’examen des exemples fournis, elle est incohérente : une obligation servant un taux variable, mais de maturité constante, n’est pas considérée

comme rémunérée selon la valeur temps, puisque la durée résiduelle en date de fixation ne correspond pas à la référence de marché du taux refixé,

mais, un prêt à taux variable cappé est lui éligible au coût amorti, alors même que l’effet du cap est de ne pas faire correspondre sa rémunération au taux contractuel de référence.

De même, il est indiqué qu’un hybride dont la rémunération peut être suspendue sans répétition en raison des difficultés de l’émetteur n’est pas rémunéré au taux de marché. Il en résultera logiquement que tout prêt à un client en difficulté pour lequel sont consentis des abandons d’intérêt devra être valorisé en juste valeur.

Le cas des prêts sans recours est particulièrement troublant (B4.16). Sauf erreur d’interprétation de ce paragraphe particulièrement abscons ; le fait que la garantie soit, dans ces contrats, limitée à un actif spécifique du débiteur semble changer la nature de la rémunération perçue et fait basculer l’instrument dans le champ de l’évaluation en valeur de marché.

Tous les autres instruments ne satisfaisant pas aux critères des flux financiers contractuels devront être valorisés en valeur de marché, et notamment toutes les actions, que ces dernières soient négociables sur un marché ou non. Le raisonnement sous jacent justifiant la primauté donné aux caractéristiques de l’instrument est que la juste valeur donne une information sur le potentiel de réalisation de l’instrument dès lors que sa rémunération est hautement variable : Un dérivé par exemple présente une chronique de flux hautement volatile en fonction des niveaux de marché. De même, les flux associés à des actions ne sont pas stabilisés par des dispositions contractuelles. Cette approche aboutit au paradoxe que tous les instruments difficiles à évaluer et donc peu ou pas du tout négociables seront valorisés en valeur de marché (ou en pratique en valeur de modèle), niant ainsi l’un des enseignements majeurs de la crise, à savoir que toutes les valeurs de modèle sont discutées, car discutables. En période de volatilité des marchés, il n’y a pas un nombre suffisant de transactions pour calibrer les paramètres avec la précision requise pour pouvoir déterminer le résultat, surtout s’il est relatif à de courtes périodes, telles que le trimestre.

19 Avec toutefois semble t il une exception pour les instruments perpétuels

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Il résultera de ces dispositions une volatilité accrue des résultats, retraçant des flux théoriques qui ne seront jamais réalisés ou réalisés pour des montants significativement différents. Toute vente effectuée sur des marchés illiquides s’effectue en effet à un niveau qui dépend principalement de la liquidité disponible chez l’acheteur et chez le vendeur ; celui qui a besoin de liquidité est prêt à faire des concessions sur le prix pour couvrir ce besoin. Dans son cas, le timing de la transaction est plus important que la valeur réalisée. Il est alors bien difficile de distinguer les ventes forcées des transactions réalisées dans des conditions d’équilibre auxquelles fait référence la définition de la juste valeur dans les textes comptables. Ces incertitudes aléatoires sur les justes valeurs d’ouverture et de clôture de la période se cumulent lors de la détermination du résultat de la période et aboutissent à remettre en question la pertinence d’états financiers basés sur la mise en œuvre de telles conventions comptables. De plus, le projet, incidemment, modifie profondément la nature des éléments enregistrés en capitaux propres. Il est en effet prévu que les entreprises puissent enregistrer les variations de valeurs des actions détenues dans une optique de long terme en contrepartie des capitaux propres, mais cette option emporte que les plus ou moins values réalisées lors des cessions ne transitent pas par le compte de résultat et restent en capitaux propres. Il était communément admis jusqu’à présent que l’agrégat OCI ne comportait que des variations de valeur d’instruments susceptibles de renversement sur la période de portage envisagée de ceux-ci. Inclure des résultats réalisés en modifie profondément la nature, sans que ce changement majeur ne résulte d’un due process de consultation approprié. La publication d’IFRS 9 a été suivie par celle de deux exposés sondages, l’un relatif au provisionnement du risque de crédit, l’autre relatif à la prise en compte du spread de crédit propre lorsque les passifs sont évalués en juste valeur. Le projet provisionnement vise à passer d’un modèle de pertes avérées, très critiqué au cours de la crise, à un modèle de pertes attendues, ce qui constitue une évolution positive. Malheureusement, la proposition de l’IASB présente deux insuffisances majeures :

- elle est basée sur un mécanisme de taux d’intérêt effectif intégrant les pertes attendues, ce qui suppose qu’il est possible de les positionner dans le temps au cours de la vie du produit, ce qui bien évidemment n’est pas le cas. De surcroît, un tel mécanisme semble extrêmement difficile à mettre en place et à maintenir au plan opérationnel

- elle impose l’utilisation de paramètres de pertes calculés ponctuellement et interdit formellement l’emploi de valeurs estimées tout au long d’un cycle économique, ce qui imposerait de qualifier le cycle économique jusqu’à la maturité finale du concours. Puisque ceci est clairement impossible, les banques devraient constamment réviser leurs paramètres de provisionnement, en fonction de leur changement d’appréciation de la conjoncture future, ce qui conduira inévitablement à une plus grande procyclicité des résultats que sous la réglementation existante

6 - LE PROJET DU FASB ET LA CONVERGENCE DES NORMES AU PLAN

MONDIAL : Le projet du FASB vient d’être publié. Il couvre l’ensemble de la problématique comptable des instruments financiers : • Trois critères sont retenus pour définir les différentes catégories de classification des

instruments financiers : le modèle d’entreprise opportunément distingué de l’intention du

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management relative au traitement d’un instrument particulier, la variabilité des cash flows recouvrables en fonction des modifications de la valeur des paramètres de marché, le caractère actif ou non du marché spécifique d’un instrument. Toutefois, ce dernier critère ne semble pas à ce stade recouvrir la liquidité intrinsèque d’un marché, mais plutôt sa variabilité en temps de crise ; il n’est utilisé en conséquence que pour distinguer les transactions forcées, dont le prix n’est pas représentatif de la juste valeur.

Tous les instruments financiers sont présentés au bilan en juste valeur selon des

modalités qui combinent sur deux lignes distinctes le coût historique des transactions constitutives des agrégats du bilan et l’écart de réévaluation en valeur de marché de ces positions (modèle dit juste valeur/ OCI). Seules les dettes finançant des actifs non financiers peuvent sur option être comptabilisées au coût amorti. Selon le Board, seule la valeur de marché permet aux utilisateurs « d’apprécier en temps réel le niveau de risques porté par l’entreprise20 ». Cette affirmation est hautement discutable, pour de nombreuses raisons. Citons en simplement deux : - Premièrement, toute chose égale par ailleurs, à niveau de risque constant, la juste

valeur d’un instrument de dette converge vers sa valeur de remboursement au cours de la période de portage jusqu’à sa maturité : la juste valeur varie donc indépendamment du niveau de risque

- Deuxièmement, par définition, l’évaluation en juste valeur ne couvre que les éléments présents au bilan en date d’évaluation. Un mismatch de liquidité, risque crucial dans le domaine bancaire comme l’a montré la crise, ne saurait être identifié par examen des variations des valeurs de marché des agrégats du bilan.

La contrepartie des variations de valeurs enregistrées au bilan est soit le compte de

résultat, soit un compte de capitaux propres, selon une combinaison des critères de variabilité des cash flows et de modèle d’entreprise. Les instruments de dettes sont appréciés par rapport aux critères définis dans les textes actuels pour identifier les dérivés incorporés (effet de levier supérieur à 1 : texte US équivalent à IAS 39 AG 33 a) et le mode de gestion (portage ou cession). Pour la première fois en comptabilité, les dépôts à vue sont valorisés en valeur de marché, sur la base de leur durée économique théorique, de façon à assurer une certaine symétrie avec les prêts Quant aux actions, la contrepartie de leur réévaluation permanente serait toujours le compte de résultat

Les intérêts courus, les dividendes, l’amortissement des premiums et discounts, les

résultats de cession seraient enregistrés en compte de résultat. Un état de résultat global regrouperait le compte de résultat et les variations de valeur

comptabilisées en capitaux propres, avec, est il précisé dans le projet, une prééminence équivalente, donnée aux deux soldes.

Indépendamment du critère retenu pour distinguer les impacts résultats de ceux enregistrés en capitaux propres, cette approche revient en fait à généraliser la juste valeur à l’ensemble des instruments financiers. Il ne traduit pas de façon appropriée le modèle d’entreprise, ni la stratégie du management pour recouvrer les flux de trésorerie relatifs aux instruments détenus en principe jusqu’à leur échéance, puisque des variations de cash flows a priori irréalisables seront enregistrés en capitaux propres, générant une volatilité artificielle de cet agrégat fondamental dans le domaine bancaire. Le FASB maintient donc son objectif fondamental d’extension de la juste valeur à l’ensemble des instruments financiers, indépendamment des critiques qui se sont élevés contre ce mode d’évaluation au plus fort de la crise. Dans son modèle, la juste valeur par résultat est le

20 Mr Linsmeier, membre du FASB, meeting du 1/10/09.

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mode de comptabilisation par défaut et ce n’est que lorsque certaines conditions liées au mode de recouvrement des cash flows que les variations de valeur non réalisée sont enregistrés en « other comprehensive income ».Toutefois, en maintenant de ce fait, une reconnaissance des résultats de nombreux instruments équivalente à celle qui résulterait de leur comptabilisation au coût amorti, il ne fait qu’ajouter à la confusion en présentant deux jeux d’informations financières fondamentalement incompatibles. Il se distingue ainsi, au moins marginalement, de l’IASB, remettant en cause l’objectif assigné aux normalisateurs comptables par le G20 de Pittsburgh de produire un corps unifié de norme pour 2011. Il est cependant à craindre que, dans cette optique de convergence, l’IASB abandonne les rares avancées que nous avons notées pour s’aligner sur les positions du FASB, jugées totalement inacceptables par l’American Bankers Association. 7 - LES AUTRES PHASES DU PROJET DE L’IASB : La dépréciation des créances au titre du risque de crédit : Telles qu’interprétées par le Board et la majorité des auditeurs, les dispositions d’IAS 39 relatives aux dépréciations des créances dans les établissements de crédit n’ont pas passé le test que constitue la crise financière actuelle. En effet, elles ont conduit de nombreux établissements à être en reprise nette de provisions dans la période d’expansion (2005-2007), alors même que leur portefeuille de crédit était en forte croissance et qu’elles accumulaient du risque de contrepartie. Seule la Banque d’Espagne a imposé aux établissements dont elle a la tutelle (et à leurs auditeurs), une lecture particulière de la norme comptable permettant de mettre en regard la prise de risque et sa probabilité de réalisation appréciée sur base de portefeuille, autorisant ainsi la constitution de provisions dans les comptes consolidés, dès la mise en place des concours. Au plan conceptuel, le modèle comptable des pertes avérées utilisé dans toutes les juridictions ayant adopté les IFRS, autres que l’Espagne, constitue une singularité au regard du principe de prise en compte symétrique des revenus et des coûts, du principe de prudence, et même de la doctrine comptable, telle qu’elle s’applique dans le domaine des garanties industrielles ou de la reconnaissance des revenus dans celui des assurances. En effet, la théorie financière reconnait l’existence d’un spread de crédit dans les intérêts perçus au titre d’un concours, destiné à couvrir le risque de contrepartie qui se manifestera dans le futur, avec plus ou moins d’intensité selon la conjoncture économique. Aucune disposition du cadre conceptuel IFRS ne justifie l’assimilation de l’encaissement de ce montant à une perception de revenus, puisque les sommes ainsi collectées sont destinées à couvrir la réalisation d’un risque hautement probable dès la mise en place du concours, s’il est apprécié sur base de portefeuille. Sans aucune base de principe, le modèle de pertes avérées impose une règle spécifique de constitution de provision subordonnée à l’aggravation de ce risque pendant la durée du concours, voire à sa matérialisation effective21. Il a donc pour effet d’amplifier la traduction comptable des variations du niveau de risque de crédit au cours du cycle économique. Pour éviter ce phénomène, il convient de prendre en compte, au plan comptable, le risque de crédit lorsque l’établissement l’assume, ce que d’ailleurs un investisseur, actuel ou potentiel, doit absolument connaître pour agir rationnellement. Le mécanisme le plus simple pour aboutir à un tel résultat consiste à différer les spreads de crédits collectés sous forme de provision constituée sur base de portefeuilles de concours homogènes.

21 Aggravation matérialisée par la survenance « d’évènements de crédit », tels que par exemple, l’existence d’un impayé

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Le projet de l’IASB vise à obtenir un résultat similaire par le biais de l’introduction des pertes attendues dans le calcul du taux effectif des instruments de dettes enregistrés au coût amorti, avec impact immédiat en résultat des révisions du niveau de pertes attendues. Les banques françaises estiment que la mise en place d’un tel modèle pose des problèmes majeurs de faisabilité. Cette méthode impliquerait en effet de développer des systèmes informatiques très couteux afin d’effectuer le calcul des TIE relatifs à des millions de contrats, mis à jour à chaque révision des estimations de pertes. De surcroît, le mécanisme proposé va générer un effet pro cyclique très prononcé, inverse de l’objectif poursuivi par le G 20 en la matière : les pertes attendues sont estimées en fonction de la conjoncture économique existante (évaluation instantanée, « point in time » ) et leurs ré-estimations impactent immédiatement le compte de résultat, alors qu’aujourd’hui, la constatation des pertes avérées est susceptible de s’étaler sur plusieurs exercices postérieurement au retournement du cycle économique. Alternativement, nous proposons la mise en œuvre d’un modèle de provisionnement basé sur les stocks d’encours et les pertes attendues au sens bâlois de ce terme, mais à maturité22, appréciées sur la base d’un cycle économique comme le requiert la réglementation prudentielle. La provision pour pertes attendues ainsi déterminée serait constituée sur la durée moyenne du portefeuille. Toute révision du niveau de pertes attendues serait immédiatement comptabilisée en résultat. Toutefois, dès lors que ce paramètre serait calculé sur la base d’un cycle économique, la fréquence de tels changements d’estimation devrait être beaucoup moins fréquente que dans le modèle de l’IASB Les opérations de couverture : L’IASB projette de réviser la comptabilisation des opérations de couverture, également dans une optique de simplification. En pratique deux aspects de la comptabilité de couverture ont été source de problèmes pour les établissements de crédit depuis leur passage aux IFRS : la non reconnaissance des contrats de dérivés internes et la macro couverture. Il n’est pas envisagé de rouvrir le débat sur le premier thème. S’agissant du second, aucune proposition n’a été à ce stade formulée par l’IASB, si ce n’est une orientation générale visant à élargir le champ d’application de la couverture de flux de trésorerie afin d’étendre son mode de comptabilisation à celui de la couverture en juste valeur. S’il devait être confirmé, ce développement gênerait beaucoup les établissements de crédit, puisque seuls les dérivés de couverture sont réévalués dans ce cadre avec les variations de valeur enregistrés en capitaux propres. Il en résulterait qu’un établissement gérant de manière conservatrice son risque de taux et donc très peu exposé à ce titre, serait en risque considérable sur son niveau de capitaux propres, uniquement pour des motifs liés au mécanisme de comptabilisation des dérivés, sans aucun rapport avec l’efficacité des couvertures pratiquées. La macro couverture vise à gérer risque interbancaire de taux d'intérêt dans les transactions du banking book, excluant le spread de crédit. Les expositions du banking book résultent de transactions non comptabilisées en tant que transactions de trading. Dans le cadre de cette stratégie, les transactions de couverture sont des dérivés vanille, des swaps de taux en particulier. Le risque de taux d'intérêt sur le banking book résulte des écarts de taux fixe/ variable entre les actifs et passifs financiers. La gestion des risques consiste dans la réduction de la variabilité résultant de ces écarts en concluant des opérations de couverture qui compensent tout ou partie de ces écarts.

22 Les pertes attendues dans le dispositif Bale 2 sont évaluées à l’horizon d’un an.

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Dès lors qu’il est admis, comme viennent de le faire l’IASB et le FASB que le business model d'une entité ne se rapporte pas à un choix (c'est-à-dire ce n'est pas une désignation volontaire) relatif à un instrument pris isolément, mais plutôt à un état de fait qui peut être observé par la façon dont une entité est gérée et dont l’information est fournie à la direction de l’entité ", la comptabilité de couverture ne devrait pas constituer une option, mais devrait représenter dans les états financiers les activités de gestion des risques de l'entité et leur efficacité. La comptabilité de couverture devrait être basée sur une approche par les principes : - Une approche par les principes est plus robuste et apporte plus de réponse aux

évolutions qui pourraient être constatées dans les marchés, les produits et les stratégies de couverture.

- La comptabilité de couverture devrait être cohérente avec les principes de gestion saine

des risques pour gérer le risque de taux d'intérêt dans le banking book (habituellement par la gestion ALM), comme recommandé par les superviseurs bancaires (Bâle II).

Les éléments clés de cette approche basée sur les principes devraient être : - Les cash-flows économiques devraient prévaloir sur les cash-flows contractuels,

notamment pour des dépôts à vue dont les cash-flows économiques sont plus longs que leurs maturités contractuelles et des actifs susceptibles de remboursement anticipé dont les options de paiement par anticipation incorporées conduisent à des cash-flows attendus plus courts que leurs maturités contractuelles

- Aligner l'efficacité avec l'objectif de couverture : quand l'objectif est de sous-couvrir à dessein l’exposition au risque, la relation de couverture devrait être considérée efficace tant qu'il y a en réalité sous-couverture. La sous-couverture devrait porter dans les soldes et les maturités (c'est-à-dire : la couverture partielle est une forme de sous-couverture). Cela correspond à l'approche « bottom layer » : la part couverte est définie comme base d'un portefeuille.

Il est par ailleurs fondamental de conserver en IFRS l’approche par composant de risques dans la mesure de l’efficacité des couvertures, point qui distingue actuellement la norme IAS 39 de son équivalent en US GAAP, FAS 133. Un swap de taux n’a clairement pas vocation à protéger contre la variation du spread de crédit de l’instrument qu’il couvre ; mesurer l’efficacité de la relation de couverture par rapport aux variations globales de valeur de l’instrument couvert n’a donc aucun sens. Les passifs financiers : la composante risque de crédit. Lors de la publication de la norme IFRS 9 en novembre 2009, l’IASB avait reporté la publication de la partie relative aux passifs financiers afin de se donner le temps de la réflexion sur un sujet controversé. En effet, dans un exposé-sondage de juin 2009, il avait envisagé un mode de valorisation des instruments de dettes émis par les banques basé sur la juste valeur avec reconnaissance de la composante risque de crédit dans les autres éléments du résultat global. La FBF a toujours critiqué une règle amenant à des résultats intuitifs inverses : plus la société a des ennuis, meilleur est son résultat. Des gains seront constatés quand la qualité de risque de crédit propre empire et des pertes quand elle s'améliore.

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Si une société peut racheter sa dette à tout moment, sur un marché liquide à un prix diminué sans aucune contrainte de liquidité (elle n'est pas obligée de trouver simultanément un nouveau financement à un prix plus élevé), il est évident qu'un gain peut être réalisé sur l’accroissement du marge d'une telle société. Mais si la même société ne peut pas racheter son passif, en raison de son profil de liquidité ou de la situation du marché - personne ne veut vendre-, le résultat basé sur le mark-to-market est purement théorique et tant que la société n’est pas en faillite ou ne renégocie pas ses dettes avec ses créanciers, il sera retourné pour atteindre son niveau contractuel sur la date de maturité. Etant donné que les variations de marge de crédit peuvent seulement être réalisées dans des circonstances très exceptionnelles, il n’est pas possible d’inclure les variations de marge de crédit propre pour valoriser les dettes. En outre, à la date d’initiation, quand le passif résulte d’une transaction, les participants du marché ont pris en compte la solvabilité de leur contrepartie. Ainsi, la marge de crédit est incorporée dans le prix du passif en date d’émission. Le prix de transaction est le montant enregistré au bilan. Postérieurement, le principe de continuité d’exploitation devrait interdire la prise en considération de la probabilité de faillite de la société jusqu'à l'extinction de son obligation. Donc, les variations ultérieures de la marge de crédit après la date d’émission ne doivent pas être incorporées dans le calcul de valorisation d'un tel passif, et donc n’être enregistrées ni en résultat, ni en capitaux propres.

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CONCLUSION : La crise a mis en évidence ce que les banques françaises soulignaient depuis longtemps, à savoir que valoriser en valeur de marché des instruments non activement traités sur des marchés secondaires, conduisait une volatilité artificielle des résultats des établissements, avec pour effet d’accentuer par divers canaux le cycle économique. L’incertitude inhérente à ce type d’évaluation a eu de surcroît pour effet de décrédibiliser toute l’information financière diffusée, contribuant ainsi au développement de l’aversion pour le risque, notamment celui porté par les établissements financiers, jugé impossible à mesurer et à la défiance vis-à-vis de leurs comptes en général. Au plan comptable, l’argument que cette méthode est la plus appropriée pour fournir l’information que les investisseurs recherchent sur les cash flows futurs de l’entreprise, est irrecevable : les prix de marchés ne reflètent les flux de trésorerie futurs appréciés selon les paramètres de marchés que dans l’hypothèse des marchés pleinement efficients au sens informationnel. La crise a confirmé les conclusions des études universitaires récentes dans ce domaine, à savoir que bien peu de marchés satisfont à ce critère. S’agissant de la comptabilisation des instruments financiers, seul un modèle mixte peut rendre compte de leur réalité économique. Il doit reposer d’abord sur le modèle d’entreprise, ensuite sur la liquidité des marchés des différents instruments, enfin sur leurs caractéristiques et notamment sur le profil de leur rémunération. Seule la prise en compte de ces trois critères et de leur hiérarchie d’application permet de définir de façon également positive le champ d’application du coût amorti et celui de la juste valeur, contrairement à la démarche de l’IASB ; IFRS 9 aboutit en effet à la création d’une catégorie juste valeur s’appliquant par défaut lorsque les conditions étroites délimitant de façon restrictive l’application du coût amorti ne sont pas satisfaites. Il n’a y a par contre aucune limitation à la détention d’un instrument évalué en juste valeur. Au plan macro économique, la valorisation de positions sur la base de transactions effectuées par des tiers, crée un lien supplémentaire entre les participants au système financier. Or celui-ci est déjà instable par nature, en raison des phénomènes de horde qui affectent les comportements de ses différents acteurs. La théorie des systèmes enseigne qu’en phase d’instabilité, il faut pour restaurer un équilibre stable, créer des points de rupture entre les différents éléments qui les composent. Ce mode de valorisation fait précisément l’inverse, en jouant le rôle de vecteur de la contagion. Il ne peut donc que contribuer à rendre plus difficile l’apparition des équilibres. Il a également pour effet de distendre le lien entre les contraintes de liquidité et les prix d’équilibre en formation. Il renforce donc l’effet de l’apparition des dérivés, qui, toutes choses égales par ailleurs, déplacent également les prix d’équilibre qui se formeraient sur la base du seul jeu de l’offre cash et de la demande solvable. Il contribue en conséquence à la volatilité des prix autour des fondamentaux, à la formation des bulles financières et à leur éclatement. Il faut donc limiter la valeur de marché aux instruments qui font véritablement l’objet d’une activité de transaction. Finalement, il faut souligner que les actifs financiers ne sont pas intrinsèquement différents des autres actifs exploités dans l’industrie ou le commerce. L’investissement que représente leur acquisition ou leur émission peut être recouvré également de deux manières, par encaissement des flux qui leur son associés au cours du cycle d’exploitation ou par cession.

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Il serait d’ailleurs intéressant que les normalisateurs comptables qui défendent un traitement particulier des instruments financiers, à l’opposé des principes comptables généralement admis pour les autres secteurs d’activité, explicitent leur approche au plan conceptuel. Pourquoi réserver la mesure du résultat des entreprises par revalorisation des positions aux seuls instruments financiers si ce modèle est le seul à permettre une évaluation des flux de trésorerie futurs des entreprises ? Cette question pose de manière plus large le débat sur le cadre conceptuel comptable. Il est clair que les développements initialisés par les deux Boards sur les instruments financiers se font de manière empirique, au cas par cas, sans cadre d’ensemble assurant la cohérence des décisions prises. Le seul texte qui cherche à justifier sur ce plan l’usage de la juste valeur, le « Statement of Financial Accounting Concept n°7 » américain est entièrement fondé23 sur l’hypothèse des marchés efficients et le modèle de valorisation des actifs CAPM (« Capital Asset Pricing » ou Modèle d’Evaluation des Actifs Financiers) qui en découle. L’invalidation de cette hypothèse par les faits démonte le raisonnement comptable qui en découle. Or la place respective des deux modes d’évaluation, coût amorti et juste valeur est la problématique centrale de la seule information que doit véhiculer la comptabilité, à savoir la mesure du résultat de la période. Il est donc inapproprié de résoudre cette problématique au cas par cas en multipliant les décisions d’opportunité incohérentes dans les différentes normes. Ce n’est que dans la définition de cadre conceptuel qu’il est possible de répondre à cette question en tenant compte de l’objectif de la comptabilité qui ne saurait, comme nous l’avons souligné au début de cette note de fournir des informations sur les cash flows futurs de l’entreprise. Ce cadre conceptuel doit intégrer d’autres besoins que ceux attribués par certains à des investisseurs court termistes. Dès lors qu’elle génère des externalités, la comptabilité doit être intégrée dans les réflexions sur la stabilité financière, qui est une dimension que doivent prendre en compte les normalisateurs comptables. Si l’expansion des valorisations en valeur de marché que provoquerait l’adoption en l’état des projets du FASB et de l’IASB est confirmée, il est pratiquement acquis qu’après une période d’euphorie liée à la sortie de crise, le moindre retour de l’aversion pour les risques aura des conséquences dramatiques pour les états financiers des établissements de crédit par le biais des variations des primes de liquidité. C’est pourquoi nous adhérons à la suggestion de l’American Bankers Association24 de confier la supervision des normalisateurs comptables aux organismes en charge de la stabilité financière, en l’occurrence le FSB. Le Comité de stabilité Financière validerait le cadre conceptuel et s’assurerait que les nouvelles normes adoptées sont bien conformes à ce cadre conceptuel. Ainsi, il devrait être possible d’éviter que l’éclatement inévitable de la prochaine bulle financière ne se transforme en une crise et une récession majeures. C’est aussi l’intérêt des investisseurs.

23 Voir notamment les paragraphes 26, 37, 68, 69, 70 et 71. 24 EL Yingling, président de l’ABA, témoignage devant le comité des services financiers de la Chambre des Représentants, 29/10/09