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1 Mythe et fiction | Danièle Auger, Charles Delattre L’Iliade et l’Odyssée relèvent-elles de la « fiction » ? Mimèsis, muthos et plasma dans l’exégèse homérique Christophe Bréchet p. 35-67 Texte intégral SI UNE HISTOIRE GÉNÉRALE de la « fiction » en Grèce ancienne reste à écrire 1 , on s’accorde généralement à voir dans les romans grecs les œuvres les plus fictives, sans doute parce que la rupture y est nette avec toute la littérature mythique et historique antérieure : aussi bien la « fiction » ne peut-elle exister que si elle se démarque du muthos et de l’historia. Le choix de partir ici des deux épopées homériques, et de chercher la « fiction » non pas dans les récits en prose, mais au cœur de la poésie épique, peut surprendre. Il se justifie pourtant, car les « fictions d’Homère 2 » ont très tôt retenu l’attention des Anciens. Les épopées homériques étant une terre d’élection pour la critique littéraire ancienne, c’est même au sein de la critique homérique que se joue, me semble-t-il, une partie importante du débat sur la « fiction », laquelle va être pensée avant de s’incarner dans des œuvres entièrement fictives. Pourquoi Homère est-il au centre de ce débat ? Parce que les Anciens ont du mal à donner une seule étiquette à l’Iliade, par exemple, qui oscille entre l’histoire – la guerre de Troie a bien eu lieu – et le mythe – nombre d’épisodes sont incroyables : Aphrodite blessée par Diomède, Héphaïstos jeté du ciel par Zeus, la Pesée des âmes, etc. Mais ils ont conscience aussi que tout, dans les épopées, n’est pas ou vrai ou invraisemblable : dans beaucoup de cas, l’exégète peut tout au plus se prononcer sur la vraisemblance du passage : l’historicité des scènes de bataille, par exemple, est Presses universitaires de Paris Ouest - L’Iliade et l’Odyssée relèvent-ell... http://books.openedition.org/pupo/1804 1 sur 18 05/03/2013 10:27

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  • 1Mythe et fiction | Danile Auger, Charles Delattre

    LIliade et lOdysserelvent-elles de la fiction ? Mimsis,muthos et plasma danslexgse homriqueChristophe Brchetp. 35-67

    Texte intgralSI UNE HISTOIRE GNRALE de la fiction en Grce ancienne reste crire1, on saccordegnralement voir dans les romans grecs les uvres les plus fictives, sans doute parceque la rupture y est nette avec toute la littrature mythique et historique antrieure : aussibien la fiction ne peut-elle exister que si elle se dmarque du muthos et de lhistoria.Le choix de partir ici des deux popes homriques, et de chercher la fiction non pasdans les rcits en prose, mais au cur de la posie pique, peut surprendre. Il se justifiepourtant, car les fictions dHomre2 ont trs tt retenu lattention des Anciens. Lespopes homriques tant une terre dlection pour la critique littraire ancienne, cestmme au sein de la critique homrique que se joue, me semble-t-il, une partie importantedu dbat sur la fiction , laquelle va tre pense avant de sincarner dans des uvresentirement fictives. Pourquoi Homre est-il au centre de ce dbat ? Parce que les Anciensont du mal donner une seule tiquette lIliade, par exemple, qui oscille entre lhistoire la guerre de Troie a bien eu lieu et le mythe nombre dpisodes sont incroyables :Aphrodite blesse par Diomde, Hphastos jet du ciel par Zeus, la Pese des mes, etc.Mais ils ont conscience aussi que tout, dans les popes, nest pas ou vrai ouinvraisemblable : dans beaucoup de cas, lexgte peut tout au plus se prononcer sur lavraisemblance du passage : lhistoricit des scnes de bataille, par exemple, est

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    ARCHOLOGIE DE LA QUESTION LPOQUE CLASSIQUE

    invrifiable. Les scholies homriques, ainsi, soulignent constamment la crdibilit de telou tel dtail, avec ladjectif 3. La question est la suivante : la fiction , conuecomme catgorie littraire autonome, a-t-elle t thorise dans lanalyse de la posiehomrique, et si oui, quel nom les Anciens lui ont-ils donn ? Car autant le mythe a untymon grec (), autant la fiction plonge ses racines dans le monde latin (fictio),si bien quon ne peut crire lhistoire de fiction en Grce ancienne en sappuyant surun mot grec qui simposerait de lui-mme4. Faut-il alors partir du mot qui, pour le sens,est lquivalent du latin fictio, savoir 5 ? Une tripartition du Contre lesprofesseurs pourrait nous y inviter, o Sextus Empiricus distingue parmi les histoiresracontes ( ) celles qui relvent de lhistoire (), celles qui relvent dela fiction (), et celles, enfin, qui relvent du mythe ( ). Entre ce qui estconforme aux vnements historiques et ce qui est invention invraisemblable, il existe unentre-deux : Le plasma expose des choses qui ne se sont pas produites comme si ellesavaient eu lieu6 .Pourtant, il est, je crois, non seulement illusoire, mais encore rducteur de vouloircirconscrire la fiction dans le seul plasma, qui est trs complexe. Les traductionsduvres antiques riches en vocabulaire de critique littraire rvlent, elles seules, lesproblmes que pose le concept moderne de fiction . Dans la traduction du Commentcouter les potes de Plutarque que nous devons A. Philippon7, le substantif fiction et ladjectif fictif recouvrent, en grec, plusieurs termes qui se ramnent trois grandesfamilles smantiques : le pseudos8, le plasma9 et le muthos10 lesquels mots peuvent,dans la mme traduction, tre rendus diffremment11. Dans une phrase, le traducteurrecourt au mme substantif fiction pour rendre deux mots diffrents12. Si on faisait lemme relev partir de la clbre traduction dAmyot, au XVIe sicle, ou partir detraductions trangres, le constat serait le mme : chaque socit et chaque poque ontleur conception de la fiction , quelles croient retrouver dans les textes antiques ouquelles projettent sur eux. Certes, lobjectif dune traduction est de rendre un texteaccessible un lectorat donn, et le lecteur moderne est familier de la fiction . Maispeut-on restituer fidlement lanalyse des Anciens en ramenant un dnominateurcommun une srie de termes nettement distingus dans leurs textes ?Je me propose ici de suivre les analyses des Anciens, de lpoque classique lpoqueimpriale, afin de tenter de comprendre en quels termes se pose la question de la fiction homrique. Si les analyses varient considrablement selon les auteurs, laconception quils se font des popes homriques et la vise de leur discours, trois termesjouent un rle dterminant : mimsis, muthos et plasma. Ce sont eux que je suivrai, enmen tenant des jalons significatifs de chaque priode.

    Lanalyse des grands penseurs de lpoque classique est centre sur le concept demimsis. Dans un article fondamental consacr la notion dimitation, D. Babut rappelleque la langue classique na pas de mot correspondant ce que nous appelonsimagination et imaginaire13 .Cela ne veut pas dire que les Grecs ont mconnulimaginaire potique, mais simplement que pour eux, il tait plus important de mettre lorigine de la cration potique le monde extrieur, qui prcde et nourrit le pote, quelimagination personnelle de ce dernier, qui se traduit dans une uvre. Si les Grecs ontprfr insister sur lorigine de la cration (le rel) plutt que sur son agent (le pote) ouson rsultat (luvre dart), cest quils avaient la conviction que tout art estncessairement tourn vers la ralit extrieure : luvre dart nest jamais pure crationde lesprit, mais toujours reflet ou cho du monde qui se dcouvre lartiste14. Aussiont-ils insist sur le caractre mimtique de la posie : elle transpose le monde, elle endonne une reprsentation. Malgr la spcificit de leur approche, Platon et Aristote,rappelons-le, sont fondamentalement daccord sur la nature mimtique de la posie : lapremire fois que les potes sont dfinis, dans la Rpublique, cest en tant quils fontpartie des imitateurs (, II, 373b5), et les premires lignes de la Potiquecommencent par rappeler que lpope, la tragdie et la comdie sont des imitations(, 1, 1447a1615).Loin de vouloir proposer un nouveau bilan sur les conceptions de Platon ou dAristote en

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    Mimsis

    matire de posie horresco referens , je voudrais regarder la place et la significationquont chez eux les termes qui sont appels jouer un rle majeur par la suite, savoirmimsis, muthos et plasma, pour men tenir aux principaux.

    Le concept de mimsis permet aux philosophes de dire la nature de cet art quest laposie. Comme le rappelle D. Babut, Platon et Aristote sont fondamentalement daccordsur le fait que la mimsis du pote, et de lartiste en gnral, est profondmentdiffrente, pour lun comme pour lautre, du simple dcalque de lobjet delimitation16 . Le chapitre 9 de la Potique montre parfaitement que limitationpotique nest pas une reproduction du rel : De ce que nous avons dit, il ressortclairement que le rle du pote est de dire non pas ce qui a lieu rellement, mais ce quipourrait avoir lieu ( ... ) dans lordre duvraisemblable et du ncessaire17 . Ainsi, lhistorien raconte les vnements qui ont eulieu ( ), le pote, des vnements qui pourraient avoir lieu ( , 9,1451b4-5). Quon songe galement au fameux passage du chapitre 15, o Aristote crit : Puisque la tragdie est la mimsis dhommes meilleurs que nous, il faut imiter les bonsportraitistes : tchant de rendre la forme propre, tout en les faisant ressemblants, ilspeignent les gens plus beaux ( )18. Si le passage estdifficile19, le comparatif kallious implique en tout cas que la mimsis de lartiste nexclutpas une transformation du modle. Il sagit non pas de copier la ralit, mais de crer unenouvelle ralit20, un monde autonome qui obisse certaines rgles, commencer par levraisemblable (leikos). La fiction conue comme monde possible et vraisemblable,distinct de lhistoire et du mythe, nest donc pas trangre la mimsis21.Le concept, adapt une approche philosophique globale de la nature de la posie, posede nombreux problmes quand on sattache au dtail des uvres potiques. La premiredifficult concerne le champ dextension de la mimsis. Si Platon est le premier avoiridentifi aussi troitement la poisis une mimsis, il y a chez lui au moins deuxacceptions du terme22 : celle des livres II et III de la Rpublique, o il oppose, du point devue de lnonciation, digsis et mimsis, et celle du livre X, o il envisage le rapport delintelligible et du sensible, du modle et de luvre dart, en termes de mimsis. En effet,au livre III, Socrate opre une distinction entre la digsis quand le pote par le enson nom et la mimsis quand le pote prononce un discours sous le nom dunautre (392c sq.). De ce point de vue, lIliade et lOdysse sont une alternance depassages digtiques (pris en charge par le narrateur) et de passages mimtiques (mis par le narrateur dans la bouche de tel ou tel personnage). Au livre X, en revanche, lespopes homriques sont tout entires mimtiques : parce quil na pas la science de cequi est vraiment, le pote imite le monde sensible, qui nest quune copie de lintelligible.Luvre dart, de ce fait, nest que la copie dune copie, laquelle se caractrise par uneforte carence ontologique. Selon la perspective adopte (nonciative ou ontologique), cestdonc tantt une partie des popes homriques, tantt les popes homriques dans leurensemble qui relvent de la mimsis23, et qui sont de ce fait, pour Platon, condamnables.Il convient galement de prciser ce qui, chez les deux philosophes, peut tre objet dunemimsis potique, en anticipant sur lexpression la plus claire des limites de la mimsis,qui sera formule au IIIe sicle aprs J.-C., dans la Vie dApollonios de Tyane (VI, 19).Philostrate se demande comment on peut reprsenter ce que lon na jamais vu et rpondainsi : Si limitation () va crer ce quelle a vu, limagination (), elle, vacrer aussi ce quelle na pas vu. Toute la cration, par consquent, ne relve pas de lamimsis : la divinit, en particulier, ne peut tre reprsente que par une opration quirelve de la phantasia. Quen est-il chez Platon ? Platon dfinit principalement la posiecomme une mimsis dtres humains : La posie mimtique reprsente des hommes quiaccomplissent des actions forces ou volontaires24. Les dieux, eux, font surtout lobjet demuthoi, comme on va le voir. Dans un passage du livre III (388c), cependant, Socrateentend demander Homre de ne pas reprsenter () Achille, Priamou les dieux enpleurs ; sils reprsentent les dieux, que, du moins, ils naient pas laudace de faire uneimitation inadquate ( ) de Zeus au point de lui faire tenir despropos o il safflige du sort de mortels, comme la fait Homre25. Daprs ce passage

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    Muthos

    Plasma

    isol26 , la reprsentation des dieux relverait donc, au mme titre que celle des hros, dela mimsis. Le concept de mimsis, lpoque classique, est donc suffisamment largepour englober leur reprsentation.

    Quand ils prennent en compte non pas la nature de la posie, mais le contenu despomes, leur composition, leur matire, Platon et Aristote ne peuvent faire lconomie duterme de muthos. Si le pote est troitement associ au muthologos, dans la Rpublique(III, 392d2 et III, 398a8-b1), cela nimplique pas pour autant que Platon considrelensemble de lIliade et de lOdysse comme des muthoi : les mythes sont simplementemblmatiques de la posie homrique27. Dans ce dialogue, comme le note L. Brisson, seize des vingt occurrences de muthos sont concentres dans les livres II et III28 . Lesmots de la famille de muthos semblent indispensables dans la section o Socrate rflchit la place de la posie traditionnelle dans lducation, mais ils deviennent superflus dansla perspective ontologique du livre X29. Il est intressant de rappeler ce que dsigne lemuthos dans les livres II et III : onze occurrences ne renvoient que de faon gnraleaux mythes raconts en Grce ancienne30 ; deux renvoient des mythes particuliers31 ;et en Rp., II, 377d5, Socrate voque les mythes raconts par Homre et Hsiode. Quellessont les caractristiques de ces muthoi ? Ils sont associs principalement au mensonge,mme sils peuvent contenir quelques vrits32, et aux dieux33, mme si la muthologiaenglobe la reprsentation des hommes34.Dans la Potique, le terme muthos ne dsigne pas, comme souvent ailleurs, les rcitstraditionnels sur les dieux, mais il acquiert une signification trs spcifique. De fait,lobjet de la Potique, tel quil est annonc ds les premires lignes (1, 1447a9), cest lafaon dont il faut composer les histoires ( ) si lon veutque la posie soit russie [] . Aristote, on le sait, entend dfinir les rgles quipermettent de composer de belles uvres potiques, et dans ce travail de composition,priorit est donne la mise en forme ou en intrigue des lments en vue de crer uneunit organique qui correspond, chez lui, au muthos. Cette acception trs spcifique duterme complique lopposition entre mythe et fiction , en franais : Aristote pense la fiction potique en termes de mimsis, mais analyse sa facture concrte en termes demuthos. Et l encore, il nest gure question que dhommes : le muthos, puisquil estreprsentation daction, doit ltre dune action une et qui forme un tout []35 . Homrea donn lexemple en composant ses popes : il na pas racont tous les pisodes de la viedUlysse, dans lOdysse, ni entrepris de raconter () toute la guerre de Troie, danslIliade : le muthos et t trop grand (23, 1459a30-34)36.

    Quant au substantif plasma, il napparat pas davantage dans la Potique que dans laRpublique. Tout au plus relve-t-on, dans la Rpublique, quelques occurrences deplattein, dont une seule caractrise le travail du pote37 : les jeunes mes, dit Socrate, nedoivent pas couter nimporte quels mythes forgs par nimporte qui ( , II, 377b)38. Le muthos nonseulement rsulte dun faonnage39, mais il peut son tour tre linstrument dunfaonnage : dans la cit idale, dit Socrate, les mres et les nourrices faonneront les mesdes enfants avec des muthoi homologus ( , II, 377c3-4).En dautres termes, la famille de plattein, occulte par celle de poiein, sertponctuellement envisager lactivit potique en elle-mme, et non son rsultat(plasma). Cest ce qui explique que muthos et plattein puissent tre associs jusquformer le compos , chez certains auteurs , au rebours de mimsis etplattein, que les Anciens semblent avoir t particulirement rticents associer : ds lorsquon insiste sur le rapport mimtique entre luvre dart et le rel, lactivit du pote estcomme mise entre parenthses40. Lessentiel est de noter que le substantif plasma na pas,chez les deux philosophes, le sens technique quil aura par la suite dans lanalyselittraire, et quil ne constitue pas une catgorie distincte du muthos.Pour conclure cette rapide archologie de la question lpoque classique, je dirais quelapproche philosophique de la posie est trop unitaire pour que diffrents lments

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    LE TOURNANT DE LPOQUE HELLNISTIQUE

    puissent prendre leur autonomie41. Toute la rflexion des deux philosophes sordonneautour du concept de mimsis, qui va la fois freiner, court terme, la rflexion sur la fiction homrique parce quil est suffisamment large pour tout englober , etprcipiter cette rflexion, moyen et long terme parce quil est prcisment trop large ettrop ambigu pour les successeurs de Platon et dAristote. Or, du point de vue de lacomposition, il nest gure quun terme qui aura retenu lattention des deux auteurs :muthos. Ces derniers vont ainsi lguer leurs successeurs, qui privilgieront lanalyse ducontenu des popes la rflexion sur leur essence, de dlicats problmes : quel estprcisment le champ dextension de la mimsis ? Y a-t-il des lments en marge decelle-ci ? Comment sarticulent mimsis et muthos ?Cest lunit mme des pomes qui pose problme. lpoque classique, si lon sort duchamp de la philosophie, une autre notion semble jouer un rle important : lornement(kosmos)42. Quand Thucydide, au dbut de lHistoire de la guerre du Ploponnse,aborde lexpdition des Grecs contre Troie, il juge vraisemblable quHomre, parce quectait un pote, la embellie pour la grandir ( ... 43).Et cest prcisment sous ce terme de kosmos quIsocrate, dans son vagoras,apprhende les interventions divines dans les pomes. Selon lui, les potes, pour clbrerla gloire dun homme, disposent de beaucoup de moyens dembellir ce quils disent( ;... , 9, 8-9). Entre autres exemples de licence potique, ils ont la facultde mettre les dieux en contact avec les hommes ; ils les font parler, venir en aide, quandils le veulent, leurs personnages . Lide sous-jacente est que la posie est lornementdune base relle, ou une base relle rehausse dlments qui chappent au rel. Ds lapriode classique, on aurait lide que la posie implique sinon un ajout, du moins uncart par rapport au rel.

    Lpoque hellnistique, notamment avec le travail des Alexandrins sur le texte dHomre,est une poque charnire dans lanalyse de la cration potique. Le concept de mimsisperd progressivement sa prminence dans lapproche de la posie homrique, parce quelintrt grandissant pour lanalyse de dtail et lapprciation circonstancie du rapport la ralit le rendent doublement inadapt. Autant il a permis Platon et Aristote derpondre aux questions quils se posaient sur lessence de la posie, dun point de vueenglobant, autant il est mal taill pour rpondre au travail de philologues et de critiques.Plus exactement, il est taill trop large, et mme rajust, il ne peut plus apporter quunerponse partielle aux nouvelles questions quon se pose.Dune part, on ne se satisfait plus dexprimer synthtiquement le rapport de luvre dartau rel par le seul concept de mimsis : dune certaine manire, on cherche prsent dcomposer les uvres potiques et isoler en leur sein des lments distincts (delhistoire, du mythe). La volont de distinguer tous les degrs de proximit ou dcartpar rapport au rel nest pas trangre au dveloppement de lart raliste44 : ds lorsquun type dart se propose dimiter le rel et cherche en donner lillusion, la dimensionmimtique dautres formes dart, et notamment des crations potiques, incluant pourcertaines des mythes invraisemblables, peut sembler moins vidente. Les uvres quePlaton et Aristote, rflchissant sur lessence de lart, considraient comme des imitations(mimseis) sont, du point de vue de la conformit au rel, plus ou moins ralistes ,voire pas du tout : peut-on alors encore parler indistinctement de mimsis45 ? On le peut, condition dinflchir la signification du concept et dinsister davantage sur la dimensionreproductrice de la mimsis que sur sa dimension cratrice, en rservant le terme auxpassages les plus ralistes ; mais en admettant quon veuille dterminer le rapportquentretiennent les popes homriques avec une ralit passe, cest--dire aveclhistoire, le concept ne peut que subir la concurrence dhistoria. Cest en effet ce mot quisimpose ceux qui relvent, dans les pomes, ce qui est le plus proche de la ralithistorique46.Dautre part, lattention accrue au dtail et la spcificit de chaque passage entrane elleaussi une adaptation des termes critiques au nouvel chelon danalyse. Car on ne tient pasle mme discours selon quon sintresse la macrostructure ou la microstructure despopes : ce qui vaut pour le tout ne vaut pas ncessairement pour la partie, et vice versa.

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    Que Platon ne blme pas la nue dor qui vient bout mme du Soleil une nue tellequHphastos lui-mme nen aurait pas cre , ni la couche de fleurs. Car Posidon fait demme quand il cache ses amours par les flots. Il est trois modes, selon lesquels toute laposie peut tre apprhende : celui qui imite la ralit (un homme qui aime son pre, qui

    Ds lors que lunit de base est le vers ou un groupe de vers, on comprend que lescommentateurs ne soient pas enclins relever constamment la dimension mimtique ausens o lentendaient les philosophes classiques, et quils rservent ce qualificatif auxpassages les plus mimtiques, cest--dire, pour eux, les plus ralistes . Cela ne signifiepas que Platon et Aristote nanalysaient pas, eux, de passages particuliers, dans laRpublique ou dans la Potique47 : mais ils ne cherchaient pas leur donner un nomspcifique, comme vont sy attacher les spcialistes de critique littraire. Lapprochefragmentaire de la posie homrique et la volont de donner un nom pertinent chaquepassage ne sont pas trangres au travail critique des Alexandrins : pour qui commenteles popes vers par vers, il nest gure doccasions dexposer une thorie complte sur laposie, relevant dune potique, la priorit tant de parler adquatement du passagecomment.Lvolution est nette dans les scholies de lIliade48 : par bien des aspects, elles restentfidles aux penseurs classiques, mais elles refltent aussi un autre type danalyse.Lapproche classique de la mimsis nest pas oublie. La distinction qutablit Platonentre des passages digtiques et des passages mimtiques, au livre III de la Rpublique,est trs prsente, dans les scholies A comme dans les scholies exgtiques : lescommentateurs soulignent volontiers la transition ,cest--dire entre le rcit pris en charge par le narrateur et les passages o il laisse parlerun personnage49. Mais la scholie qui permet le mieux de mesurer linfluence desconceptions classiques est celle qui porte sur les vers 839-841 du chant XVI de lIliade.Hector imagine les mots quAchille a pu adresser Patrocle ( Ne reviens pas [] aux nefscreuses, avant davoir autour de sa poitrine dchire la cotte sanglante dHectormeurtrier ), ce qui donne lieu au commentaire suivant : Homre imite de faoncrdible ( ) les paroles quAchille a vraisemblablement adresses Patrocle, quand il lenvoyait au combat . Nous sommes ici dans la droite ligne de laPotique : le pote raconte non pas ce qui est arriv, mais ce qui pourrait avoir lieu danslordre du vraisemblable et du possible (1451a36-38).Trs souvent, les passages dont la dimension mimtique est souligne sont les passagesles plus ralistes , ceux o leffet de rel est le plus fort. Ainsi, si Homre estqualifi d (d minent imitateur de la ralit ), cest parcequau chant V, quand ils tentent de soustraire Sarpdon bless de la mle, sescompagnons ne songent pas lui retirer la lourde pique quil a dans la cuisse : la scholierappelle que nous oublions souvent, dans la vie quotidienne, de faire quelque chose50 ! Lesexemples de ce type sont nombreux. Au chant VI, Astyanax est effray par le casquedHector et se blottit contre sa nourrice, ce qui donne lieu au commentaire suivant : Silest difficile darracher [les enfants] ceux qui les lvent, le spectacle aussi vient effrayercelui-l. Et ces vers sont tellement emplis dvidence () quon nentend passeulement les faits : on les voit. Le pote a tir ce dtail de la vie et a atteint des sommetsdans sa mimsis51 . Et quand, quelques vers plus loin, Hector embrasse son fils et leberce, une scholie approuve sa faon de soccuper des enfants : En effet, cest ce quenous faisons pour les dtendre ; et il a atteint des sommets dexcellence dans sa mimsissans entamer en rien la grandeur hroque52 . La premire personne du pluriel estrcurrente : la mimsis est russie si tout un chacun peut se reconnatre dans lesexpriences dcrites.Ces analyses de dtail se prtent mal des exposs plus gnraux sur la posie, mais onpeut signaler, dans les scholies, une exception notable : la scholie Iliade, XIV, 342-51nous offre un exemple particulirement intressant de tripartition. Au chant XIV delIliade, Zeus est pris dun irrsistible dsir de sunir Hra. Comme celle-ci lui fait partde ses scrupules sunir lui au grand jour, Zeus les dissipe : Hra, ne crains pasquhomme ni dieu te voie, au milieu de la nue dor dont je veux tenvelopper. Le Soleillui-mme ne nous verra pas travers, lui dont les rayons sont les plus perants (Il., XIV,342-51). Et la terre fait pousser sous eux un tendre gazon. Voici le commentaire duscholiaste :

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    hait les femmes, quon ne peut pas croire, qui est franc) ; celui qui imagine daprs la ralit,quil ne faut pas presser de trop prs par exemple, lorsque les mes mangent et parlent,dira-t-on absolument quelles ont une langue et une gorge ? ; le troisime mode, cest celuiqui procde en outrepassant la ralit et selon limagination les Cyclopes, les Lestrygons etce passage sur les dieux53.

    Lintrt de ce passage est de nous fournir des exemples pour chacun des trois modes. Lepremier, celui qui imite la ralit ( ), renvoie avant tout,semble-t-il, la comdie nouvelle, avec quatre types de personnages54. Le second est plusdifficile rendre, cause de lexpression , . Lexemple aide nanmoins comprendre, si lon admetque le scholiaste songe ici au chant XI de lOdysse dont est galement tir lexemple dePosidon (v. 243-244) , o les mes des morts viennent boire le sang et parler Ulysse.Homre na pas vu ce quil dcrit, mais ses fantmes, en buvant et parlant, ne procdentpas autrement que les vivants : cest la ralit qui sert de paradigme sa reprsentationdes morts55. Aussi ai-je propos de traduire : celui qui imagine daprs la ralit, quil nefaut pas presser de trop prs . Le troisime mode, lui, procde en outrepassant laralit et selon limagination ( ). Les exemplesmontrent quil sagit de muthoi : les Cyclopes ne sont ni vrais, ni vraisemblables, mais desinventions sans rfrent dans le rel.La signification du substantif phantasia amne donner cette scholie une daterelativement tardive56. Mais elle montre bien que tout le texte homrique peut tredcoup en fonction de son degr de proximit ou dloignement avec le rel. La crationhomrique nest plus apprhende de faon monolithique, sous un terme unique, maisjuge dans ses moindres nuances. On a pu vrifier, avec les emplois des mots de la famillede mimeisthai, que le changement dchelle tait net : la mimsis est salue dans despassages particuliers, ce qui nest pas sans incidence sur lacception du concept. Les deuxautres termes, muthos et plasma, nont pas la place ni la signification quils auront par lasuite, notamment dans les tripartitions57. Le plasma, ainsi, peut dsigner des pisodescrdibles ou incroyables. Au chant XXII, par exemple, Achille narrive pas attraperHector, qui narrive pas chapper Achille ; et comme ce dernier craint que la gloire detuer Hector ne lui chappe, dun simple signe de tte dont tous les commentateursantiques ont soulign linvraisemblance , il interdit aux Grecs de sen prendre au Troyen.Cet pisode de la poursuite dHector, quAristote utilisait pour illustrer les actionsimpossibles que le pote a le droit de reprsenter pour frapper davantage son auditeur58,est comment ainsi dans les scholies : Mgaclide prtend que ce combat est un plasma.Comment, sinon, Achille a-t-il pu, dun signe, dtourner tant de milliers dhommes ? Ailleurs, on salue lart avec lequel Homre rend ses inventions crdibles. Au chant XIII,aprs quIdomne a inflig un coup Asios et la fait tomber terre, son cocher nose pasfaire demi-tour pour soustraire son corps aux ennemis : Ce plasma , lit-on dans unescholie, est convaincant ( ), dans la mesure o mme les chevauxsont pris et que le cocher est boulevers59. Mais dans ces deux exemples, ce sont biendes pisodes quon analyse.Les scholies homriques ne sont pas les seuls tmoignages de cette tendance fragmenterles pomes. Dautres auteurs, comme Asclpiade de Myrla grammairien du Ier sicleavant J.-C. ou Polybe, attestent plus clairement que la mimsis perd sa prminencedans lanalyse de la cration potique, et que lheure est dsormais la dlimitation deplusieurs lments, au sein des pomes.Sur la foi du rapprochement entre deux passages (252 et 263-265) du Contre lesprofesseurs de Sextus Empiricus, on voit gnralement en Asclpiade de Myrla la sourcedu sceptique. Si lhypothse est exacte, nous aurions un jalon important dans lhistoire dela fiction, puisque la typologie propose consacre lautonomie du plasma. Selon SextusEmpiricus (I, 263-264), il faut distinguer, parmi les histoires racontes ( ),celles qui relvent de lhistoire () Lhistoire est lexpos de choses vraies quisont arrives , celles qui relvent de la fiction () La fiction expose deschoses qui ne se sont pas produites comme si elles avaient eu lieu et celles, enfin, quirelvent du mythe () Le mythe, lui, est lexpos dvnements non advenus etfaux60. Le critre est le degr de proximit ou dloignement au rel. Entre ce qui estcompltement vrai et ce qui est compltement faux, il existe un entre-deux, proche de la

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    LA COMPLEXIT DE LPOQUE IMPRIALE

    fiction telle que la dfinissent certains critiques modernes, et qui porte le nom deplasma. Certes, il nest pas question dHomre, mais les exemples donns prouvent que latypologie ne sapplique pas un type duvres bien prcis, lexception peut-tre duplasma, illustr par les arguments de comdies et les mimes61 : cest un simple nonc quiillustre lhistoria62, et les deux exemples de muthos se rduisent des scnes63. Cest l unpoint trs important : les tripartitions nont pas seulement pour vocation de rpartirtoutes les uvres littraires en trois catgories, en constituant par exemple un corpusduvres fictives, elles permettent aussi de caractriser, au sein dune mme uvre, deslments de composition. Cest ainsi quon pourra isoler dans les popes homriques despassages qui relvent de lhistoire, de la fiction ou du mythe.Bien quune telle tripartition semble mieux atteste dans la tradition rhtorique latine,avec fabula, argumentum et historia64, on observe un systme assez voisin chez Polybe.Pour cet historien, le mtre talon, dans le jugement des pomes homriques, est le rel.Si, crit-il dans ses Histoires (34, 4, 1-4), ce que dcrit Homre ne concorde pas avec ceque nous connaissons, il y a trois explications possibles : ou bien les choses ont chang, oubien Homre a commis une erreur involontaire, ou bien cest une licence potique( ). Celle-ci consiste pouvoir mler trois lments, qui ont chacun leurbut propre. Lhistoire () a pour but la vrit () : dans le Catalogue desvaisseaux, les pithtes des cits renvoient des caractristiques relles. La composition (), elle, est tendue vers la vivacit (65) : cest ainsiquHomre nous montre des hros en train de se battre. Le mythe (), enfin, entendprocurer plaisir et saisissement ( ). Dans cette tripartition, cest ladiathesis qui assure lentre-deux entre lhistoria et le muthos. Les pomes dHomre sontainsi des composs, o des dtails historiques assurent leffet de rel , o des passagesinvents permettent de crer des scnes singulires66, et o le mythe donne lauditeur leplaisir et lmotion quil recherche aussi dans les pomes. Polybe ajoute que tout forgernest ni crdible ni homrique ( ),soulignant, en mme temps que le subtil quilibre atteint par le Pote, le danger duplasma intgral : son manque de crdibilit. La terminologie tend ainsi distinguer deuxtypes de plasma, mme si les quivalences ne sont pas explicitement formules : ladiathesis semble tre le nom que prend le plasma quand il est partiel et vraisemblable67 ;le plasma total, lui, semble se confondre avec le muthos.Lpoque hellnistique, qui voit se dvelopper le vocabulaire de la critique littraire,constitue un intermdiaire dans lapprciation de la fiction homrique : on sintressemoins la fiction densemble que serait lpope quaux passages fictifs quelle contient,par opposition aux passages historiques ou mythiques. Lanalyse de la crationhomrique, par consquent, fait de plus en plus lconomie du concept de mimsis :lheure est la dlimitation dlments, au sein de ces composs que sont les pomeshomriques. Pour analyser les inventions dHomre, le substantif plasma prend uneimportance grandissante, mais la catgorie intermdiaire entre ce qui est historiquementvrai et ce qui est compltement invent et impossible ne semble pas encore clairementdlimite68.

    Lpoque impriale est, sans conteste, la plus riche pour ltude de la fiction, parce quellevoit fleurir non seulement les romans en prose, uvres qui, dans les histoires de lalittrature, sont le plus volontiers qualifies de fictives , mais aussi toute une srie deproductions qui relvent de la fiction69. Si la question de la thorisation de cettelittrature fictive est complique70, il est probable que lexistence duvres tout entiresfictives a influenc, ne serait-ce que par comparaison, lapprciation de la dimensionfictive des popes. Le plasma tient de plus en plus de place dans les analyses, mais laclassification prsente dans le Contre les professeurs de Sextus Empiricus nest gurereprsentative. Certes, les auteurs font de plus en plus lconomie du concept de mimsisdans lanalyse de la posie, et le plasma acquiert une place grandissante, mais il peine seconstituer comme catgorie intermdiaire et autonome, proche de notre fiction . Lesapproches sont trs diverses, selon les auteurs et loptique de leurs discours, et rvlenttoute la complexit de la notion de plasma.

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    Si Strabon approuve plusieurs fois Polybe, dans sa Gographie71, son approche de lacration dHomre nen demeure pas moins diffrente, pour une raison fort simple : legographe nadmet pas quon accuse le fondateur de la science gographique de lamoindre ignorance. Lexactitude de nombreuses donnes est un dmenti ratosthne,qui qualifie tort la posie homrique daffabulation de vieille femme, o lon peutforger, dit-il, tout ce qui semble propre captiver72 . Les thories classiques ne sont pasoublies, puisque Strabon rappelle que la valeur du pote rside dans son art dimiter lavie au moyen du langage ( , I, 2, 4). Mais quand il sagitdapprcier ce rapport au rel, lanalyse laisse de ct le concept de mimsis73 pour mettrelaccent sur la nature duelle de la posie, qui dcoule des deux buts concomitammentrecherchs par le pote : Homre voulant la fois instruire () et sduire(), ses pomes associent lhistoria et le muthos.Les passages les plus intressants sont naturellement ceux qui explicitent le rapport entreces deux lments74. Strabon insiste sur le fait que lIliade et lOdysse reposent sur unebase relle75 : la guerre de Troie a bien eu lieu, et Ulysse est effectivement rentr chez lui.Mais si cest lhistoire (, I, 2, 9) qui a inspir les popes, tout ne sest pasncessairement pass comme Homre nous le dit : le pote, ne loublions pas, doit aussicharmer son auditeur avec des mythes. Sa posie consiste ainsi en faits rels pars demythes. Homre, en effet, ajoutait aux pripties vridiques un lment fabuleux, parcequil cherchait agrmenter et orner llocution ( , ), mais en se proposant le mme but que lhistorienou le narrateur de faits rels. Cest ainsi que, prenant la guerre de Troie, fait rel, poursujet, il la pare de ses crations mythiques ( ) ; et il ne procdapas autrement pour le priple dUlysse. Partir dun fait dpourvu de vrit pour yaccrocher de vains prodiges nest pas du tout dans le style dHomre ( , I, 2, 9) . Strabon donne-t-il unnom synthtique cette alliance entre lhistoria et le muthos ? La posie homrique peut,semble-t-il, tre dfinie comme llaboration potique dune base historique. De fait, labonne faon de considrer le priple dUlysse, dit Strabon, cest dadmettre quHomre,convaincu que le priple dUlysse sest ralis au voisinage de la Sicile et de lItalie76, apris cette base relle et la dispose potiquement ( , I, 2, 11) . Toute la difficult consiste savoir ce que recouvreexactement cette diaskeu potique77. Cette diaskeu et Strabon insiste sur ce point ne doit pas tre prise pour de lhistoria, le produit labor ntant pas la matirepremire. celui qui prend la diaskeu pour de lhistoria, dailleurs, il ny a pas lieu derpondre : les Enfers et les bufs du Soleil sont des inventions dun pote qui donneouvertement dans le merveilleux ( ). Strabon ajoute quil nyaurait pas davantage lieu de lui rpondre, sil prtendait que cest exactement de cettefaon que se sont passs le retour dUlysse Ithaque, le massacre des prtendants, et labataille qui sengagea dans la campagne entre les habitants dIthaque et Ulysse (I, 2, 11).Ces derniers exemples sont plus intressants, parce quils ne font pas explicitementintervenir le merveilleux. Mais sil est question ici dune laboration de lhistoria, un autrepassage montre quil peut y avoir aussi laboration du muthos (XIV, 1, 27, 8). Bref, ilsemble que la diaskeu potique inclue lhistoria et le muthos, et soit de lordre de la miseen forme. La fiction , en tout cas, peine trouver sa place entre ces deux dernierslments, ou comme la synthse de plusieurs lments.Il est autre chose qui peut sopposer la reconnaissance de la fiction : lallgorie. AinsiHraclite, dans ses Allgories dHomre, ne sadresse pas aux ignorants qui, parce quilsne comprennent pas ce qui a t exprim philosophiquement, sattachent ce quHomresemble forger de faon mythique ( ). Si le trait contient denombreuses occurrences des mots de la famille de muthos, celle de plasma est plusdiscrte. vrai dire, lauteur nemploie quune seule fois le substantif. Au dbut delIliade, Hphastos raconte comment Zeus le jeta du ciel (Il., I, 592). Ce nest pas parcequil cherche charmer ses auditeurs par des inventions potiques ( ) quHomre nous a transmis un Hphastos boiteux (26, 4), mais parce quil parle en physicien. Aussi ne faut-il pas recevoir comme unplasma ce qui recle un sens philosophique cach. La forgerie mythique nest

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    quapparente, comme le montre lexemple des aventures de Prote, au chant IV delOdysse. Au premier abord, cet tre qui dort avec des phoques est tout fait fabuleux ( ), et ses mtamorphoses semblent tre de prodigieux mythes potiques ( , 64, 4), moins quune me cleste ne viennenous initier aux clestes mystres dHomre . Liniti, lui, comprend que Protereprsente la matire informe. On comprend alors pourquoi les mots de la famille deplasma sont si rares : partir du moment o lintrt des popes rside dans ses mythessrieux, que lallgoriste doit dcrypter, les fictions ludiques, conues pour le seulplaisir de lauditeur, nont pas leur place.Tout dpend, en dfinitive, de lintention relle ou suppose du pote. Ainsi, sicertains se sont employs dmontrer quHomre a crypt ses uvres pour dlivrer unenseignement aux initis, et que ses forgeries ne sont pas des fictions mais des vritscaches, dautres ont pu samuser les prsenter non pas comme des fictions ni desvrits, mais comme des mensonges destins abuser ses auditeurs. Cest la faonsingulire dont Dion de Pruse, dans son Discours troyen, aborde lIliade. En seconcentrant sur les affaires humaines, il passe au peigne fin la chronologie de lpope,qui se rsume, pour lui, une succession de mensonges et de vrits. Loin du raffinementde certaines typologies, il nutilise gure que deux mots : (vrit) et (mensonge)78. Lide est fort simple : Homre connaissait la vrit sur la guerre de Troie,mais, parce quil favorisait les Grecs, il ne la pas transmise ; au contraire, il lui a substitudes mensonges et a tout mis en uvre pour les rendre indtectables, en brouillant lachronologie. Dion se donne ainsi pour tche, dans son discours, de mettre en lumire lesmensonges homriques.Comment procde-t-il ? Quil soumette lIliade aux critres de l (le vraisemblable ) et du (le crdible ), quil traque les contradictions internesou quil sappuie sur la suite des vnements pour discrditer la version que tentedimposer Homre, il ne sintresse qu la trame historique, dans le pome79. Ds lors, onne stonnera pas de la quasi-absence des mots de la famille de , de et de dans le Discours troyen, quon opposera la surreprsentation des mots de lafamille de . De fait, loin danalyser la cration homrique en soi do lemploiconstant du verbe gnrique et du substantif , Dion na quune questionen vue : les faits prsents sont-ils vrais ou faux ? Quon ny voie pas un retour uneapproche de type platonicien : quand il tente de dmler le vrai du faux, la rfrence nestpas le monde des Ides, mais lhistoire. Son point de vue nest ni potique nimtaphysique, mais historique.On comprend alors lvitement des mots de la famille de plasma. Tout au plus Dionemploie-t-il un compos du verbe plattein, quand il dnonce la navet de ceux quicroient que Pris a pu sprendre dune femme quil navait jamais vue et la convaincue detout quitter pour le suivre : Cest cette absurdit qui a conduit forger le mythedAphrodite, qui, bien plus que le reste, frappe lesprit ( A , 53). Lactivitde plattein, ici, est troitement lie au muthos et concerne une intervention divine.Ailleurs, les passages o Homre scarte de la vrit ne sont pas des forgeries potiquesdestines charmer ou frapper lauditeur, mais des mensonges destins labuser80 ense substituant la vrit. Il nest plus question de la libert cratrice du pote, mais dedformation des faits : plus prcisment, Dion prsente Homre comme le premierfalsificateur de lhistoire. On est, dans une telle perspective, loppos de la fiction81 .Toute diffrente est lapproche de Plutarque dans le Comment couter les potes. Dans cetrait, qui fait de la posie une propdeutique ltude de la philosophie, on trouve lafois une rflexion unitaire sur la posie, dans la droite ligne de Platon et dAristote (laposie est, globalement, mimtique), et une mise profit du commentaire linaire, etdonc fragment, des pomes, qui aboutit un systme original, dont je vais tenter deprciser les grandes lignes82.Ce systme peut tre analys, dans un premier temps, comme une bipartition, puisquetoute la posie se laisse rapporter aux deux grands ples du et de l. Onsait que, pour les Grecs, le recouvre la fois le faux et le fictif, et l, lavrit ou la ralit cest ce qui rend si complexe, pour nous, leur terminologie. En tenant

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    compte de ces doubles acceptions, tous les passages potiques peuvent entrer dans quatrecases, selon que le pote ment volontairement (en inventant quelque chose qui nexistepas dans la ralit), ment involontairement (en nous communiquant une opinion fausse),exprime une vrit (en nous communiquant une opinion vraie) ou imite la ralit (enreprsentant des actions qui ne sont pas historiques, mais qui auraient pu ltre). Enregroupant croyance fausse et croyance vraie, on arrive une tripartition qui, par sonorientation philosophique, se dmarque de celle des rhteurs : le pote inventedlibrment quelque chose qui nexiste pas dans la ralit, exprime une croyance tantt vraie, tantt fausse , ou imite la ralit83.On peut, provisoirement, prsenter leschoses de la faon suivante :

    Il vaut la peine de reprendre ces diffrentes catgories, pour comprendre ce qui amnePlutarque ne pas apprhender sparment et . Commenons par lemensonge, qui est le point de dpart du trait : Les potes disent beaucoup demensonges, tantt volontairement, tantt involontairement84. Volontairement , poursuit-il, parce que, pour offrir une lecture qui procure du plaisiret de lagrment but recherch par la plupart , ils jugent la fiction moins rbarbativeque la ralit : comme celle-ci a effectivement lieu, mme si le dnouement en estattristant, on ne peut en modifier le cours, tandis que lautre, cration de lesprit, trsaisment peut tre inflchie et oriente pour que, au lieu dtre affligeante, elle procure duplaisir85 . Le plaisir est en effet lobjectif : rien ne prsente autant dattrait et de charmequun rcit fabuleux la trame habilement ourdie86 .Et le dveloppement que Plutarqueconsacre aux mensonges volontaires sachve de la faon suivante, qui corroborelquivalence entre le mensonge volontaire, artistique, et le plasma : Voil le genre dechoses que les potes inventent volontairement87. Les exemples donns par Plutarqueconcernent les dieux. Au chant XXIV de lIliade (v. 525 sq.), Zeus pse les mes dAchilleet dHector : cet pisode apparat clairement comme un mythe imagin par le pote, uneinvention destine charmer ou frapper lauditeur88 . De mme, Homre reprsente desdieux qui se battent entre eux : Cela est invent pour frapper les gens89. ct des inventions volontaires, il en est de plus nombreuses quils ninventent paseux-mmes, mais quils ont dans lesprit et quils croient vraies ; ils nous communiquentalors ces erreurs par contagion90. Nous sommes dans le domaine de la : ceserreurs involontaires sont les paroles de gens atteints et sduits par un prjug et unetromperie91 . Le vers dHomre o Zeus est prsent comme le seul arbitre des combatsque se livrent les hommes (Il., IV, 84) est dit conformment lopinion et la croyance( ... ) dhommes qui nous transmettent et nous font partager leurtromperie et leur ignorance au sujet des dieux (17B).Dautres passages relvent, linverse, de la . Quand nous entendons que l,les dieux bienheureux passent dans la joie tous leurs jours (Od., VI, 46), nous sommesdans le domaine des opinions saines et justes92 .Enfin et surtout, la posie imite la ralit : la posie est limitation du caractre et de lavie dhommes ( ) non parfaits ni purs niirrprochables en tout point, mais composs de passions, dopinions fausses etdignorances, capables souvent, toutefois, grce dheureuses dispositions naturelles, dese transformer pour devenir meilleurs (26A). Limitation de la ralit apparat comme labase fondamentale de la cration potique : La posie, du fait quelle a un fondementmimtique ( ), si elle entoure dornements et dclatles actions et les caractres quelle prend pour sujet ( ), nabandonne nanmoins pas la ressemblanceavec la ralit, car lattrait de limitation rside dans sa crdibilit ( , ). Aussi limitationprsente-t-elle des actions o se manifestent mls le vice et la vertu, si elle ne sedsintresse pas compltement de la ralit (7, 25B). Les exemples que donne Plutarqueau chapitre 8 ne laissent aucun doute sur ce quil entend par ce fondement mimtique dela posie : il tudie lvolution de la conduite des hros dHomre, commencer par

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    la tte du port slve un olivier feuilluet tout prs une grotte aimable et embrumeddie ces nymphes que lon nomme les Naades.On voit l des cratres, des amphores tout en pierre ;et l encore, les abeilles font leur miel.L sont de longs mtiers de pierre o les Naadestissent, merveille voir, des toffes pourpre de mer ;l sont dintarissables eaux. Il est deux portes,lune vers le Bore, par o descendent les humains,lautre vers le Notos, plus divine, par o les hommesne passent pas : cest le chemin des Immortels.

    Achille, qui, au chant I de lIliade, se conduit tantt correctement, tantt incorrectement.Pour le dire autrement, la divinit, au moins dans les illustrations, est exclue de la posiemimtique.Ce passage est essentiel, et claire, bien des gards, la conception classique de lamimsis. Lexpression montre que la mimsis reste, pour Plutarque,la base stable pour apprhender la posie, et quil conoit en dfinitive le pome sur lemodle dune stratification la premire strate, ou la strate la plus importante, tant lamimsis dhommes en action. Tout ce qui nest pas de lordre de la mimsis est prsentcomme un ajout ( ) qui rehausse (... ). On nest pas si loin, cet gard, des dont parle Isocrate dans sonvagoras (9, 8-9), quand il rappelle que les potes peuvent faire intervenir des dieuxpour rehausser lloge quils font de tel ou tel personnage.Plutarque ne peut que se dmarquer de Sextus Empiricus. Il nest pas question, pour lui,de faire la part entre ce qui est historique, fictif et mythique, dans les popes. Sonapproche repose sur une dichotomie entre ce qui est vraisemblable analys en termesde mimsis et ce qui est invraisemblable analys en termes de muthos et de plasma.Muthos et plasma, ici, ne sont pas clairement dissocis, si bien que Plutarque peut parleruniformment de ce qui est , en 16C. Le muthos ne soppose pas auplasma comme linvention invraisemblable sopposerait la cration vraisemblable : lavraisemblance est le propre de la mimsis (25B), et delle seule. Le pote qui recourt aumuthos ou au plasma a dautres intentions, et cette diffrence est trs nette quandPlutarque analyse les effets de chaque type de cration, et notamment le type de plaisirquil suscite chez lauditeur : quand le pote imite la ralit, lauditeur ressent un plaisirqui nat de la conformit de luvre la ralit (il y a un plaisir qui tient laconformit93) ; quand il forge, ce sont les motions qui sont sollicites (il y a un plaisir delordre du charme magique et du saisissement). Ce qui est en jeu, on le voit, cest lobjet dela cration : le pote est un imitateur si ce quil cre pouvait tre sous ses yeux, dans laralit ; il invente ds lors que son objet nest pas de ce monde ou quil matrialise lesupra-sensible.Un dernier point mrite dtre soulign. Ces deux grands types de cration, du point devue de Plutarque qui soppose violemment aux lectures allgoriques (4, 19E) , ont leurlgitimit propre. Ds lors que le pote imite, il peut, et mme doit, reprsenter la ralitdans son ensemble, bonne et mauvaise. Quand il invente et fait intervenir les dieux, il agalement carte blanche , non pas parce quil doit tenir compte des bonnes et desmauvaises actions des dieux par dfinition, la divinit ne saurait tre mauvaise , maisparce quil doit susciter de fortes motions, dans cet art de la poikilia, si tranger luniformit, quest la posie : Mme des dieux, quand ceux-ci se jettent dans les affairesdes hommes, ils ne font pas des tres impassibles ni infaillibles, pour viter, en lesmettant labri des dangers et des luttes, de laisser inemploys les procds par lesquelsla posie bouleverse et frappe le lecteur94. Ds lors quon prend en compte les butspropres de lart, toute cration, quelle soit vraisemblable ou non, a sa lgitimit95.De telles conceptions nont pas leur place dans la dernire uvre que je souhaiteraisvoquer, lAntre des Nymphes, que le noplatonicien Porphyre crit au IIIe sicle aprsJ.-C.96. Le but de lopuscule est de faire la lumire sur la description que fait Homre delantre des nymphes, au chant XIII de lOdysse (v. 102-112), laquelle navait pas manqudintriguer les Anciens :

    Porphyre, sans jamais faire appel au concept de mimsis, propose trois hypothses pour

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    CONCLUSION

    comprendre les onze vers qui dcrivent ce curieux endroit. Le passage peut-il, pourcommencer, relever de lhistoria ? Il faudrait, pour cela, quil propose la description dequelque chose qui a ou a eu une existence dans la ralit. Or ces quelques vers, ce nestpas conformment la ralit quHomre les a crs ( ... ),daprs le souvenir des faits conservs par la tradition . De fait, comme aucunedescription dIthaque ne fait tat dun antre qui aurait ces caractristiques, il ne contientpas la description dun endroit vritable.Lhypothse de linvention (plasma) pure et simple est, elle aussi, carte, et mmetriplement carte. Porphyre invoque dabord la pithanots : en utilisant sa licencepotique pour inventer un antre ( ) et en linventant () nimporte comment et au hasard , on ne peut esprer avoir lecrdit ncessaire () pour persuader ses auditeurs de son existence. Ensuite, lesnombreuses obscurits du passage montrent que ce nest pas une invention faite auhasard pour divertir lme ( ) : il y a un projet hermneutique. Enfin, penser que cest l pure invention (... , 4, 2), cest tre bien ngligent, ds lors que des gographes de qualit,comme Artmidore dphse, ont mentionn lexistence dun antre Ithaque. Il nesaurait donc sagir dune invention complte dHomre ( O , 4, 10-11). partir de ces diffrentes justifications, on comprend enquoi consiste le plasma pur et simple et quoi il tend : cest linvention de quelque chosequi nexiste pas dans la ralit et qui a pour but, non pas dtre crdible cest lhistoriaqui assure la crdibilit , mais de charmer lauditeur.Lantre des nymphes tel que le dcrit Homre mle donc ces deux lments clairementidentifis que sont lhistoria et le plasma. Selon Porphyre, il nest ni tout fait rel puisquon ne connat pas dantre semblable , ni tout fait invent puisque lexistencedun antre Ithaque est avre. Quel est alors cet intermdiaire entre la reprsentation dela ralit et linvention de ce qui nexiste pas dans la ralit ? La formulation de 4, 10apporte un premier lment de rponse : soit il a dcrit les choses comme elles taient,soit il a procd des ajouts de son cru ( ). Lentre-deux serait donc de lhistoria laquelle on aurait ajoutquelque chose. Et cet ajout est envisag en termes de plasma. De fait, si Homre na paspropos un plasma intgral97, on ne peut nier que dans linvention dun petit mythe, ilcachait les images de ralits plus divines ( ) .Cette dernire phrase vient compliquer une terminologie jusqu prsent domine par leplasma, car le plasma o rside lnigme nest pas tranger au muthos crypt quontrouve ailleurs. Plus exactement, il sagit dun mutharion, dun petit mythe . Homre,dit Porphyre, nous propose en fait une allgorie et une nigme ( ). Lallgorie se devine aux nombreuses obscurits de la description98, quilconvient de lever par un travail de recherche99. Les lments obscurs , curieux et merveilleux sont lexpression masque dune ralit plus profonde.On ne sort des difficults, me semble-t-il, quen renonant lide que lensemble dupassage doive relever exclusivement de lune ou lautre de ces catgories : loin de devoirdonner un nom synthtique ce qui relverait la fois de lhistoria, du plasma et dumuthos, on doit admettre que le passage repose sur un savant dosage. De ce point de vue,lanalyse de Porphyre rejoint celle de Plutarque, chez qui on a pu mettre en vidence unesorte de stratification. Porphyre explique quHomre ne pouvait inventer au hasard unebase complte, sans transformer certains lments rels pour remodeler son invention ( ). Autrement dit, certains lments et mme certains vers, serais-je tent de dire ont pour fonction dassurer lancrage dans la ralit, et dautres, de renfermerlnigme100. Bref, que propose Homre, dans ce court passage ? Une base relle, laquelleil a ajout des plasmata, qui demandent tre interprts allgoriquement. Dans cetteperspective, lexgte cherche instaurer entre Homre et son public une lecture qui est loppos de la feintise ludique partage de J.-M. Schaeffer.

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    Notes1. Entre autres tudes, on peut signaler CASSIN Barbara, Du faux ou du mensonge la fiction (de pseudos plasma) , in Le Plaisir de parler, Colloque de Cerisy, Paris, Les ditions de Minuit, 1989, p. 3-29 ; GILLC. & WISEMAN T.P., Lies and Fiction in Ancient World, Exeter, University of Exeter Press, 1993 ; CASSINBarbara, LEffet sophistique, Paris, Gallimard, 1995 ; Finkelberg M., The Birth of Literary Fiction inAncient Greece, Oxford, Clarendon Press, 1998.

    2. Je reprends ici le titre dune tude de BALLABRIGA Alain, Les Fictions dHomre, linventionmythologique et cosmographique dans lOdysse, Paris, PUF, 1998.

    3. ERBSE H., Scholia Graeca in Homeri Iliadem (Scholia vetera), VI, Indices I-IV, Berlin, de Gruyter, 1983,p. 450, s. v. (plus de 170 rfrences). On peut se demander si ladjectif et ladverbe eux seuls, nont pas t un frein la thorisation de la notion de fiction sous forme nominale.

    4. Mme les romans grecs sont une forme sans nom. Cf. MORGAN J.R., Make-Believe and Make Believe :The Fictionality of the Greek Novels , in GILL C. & WISEMAN T.P., Lies and Diction, op. cit., p. 176.

    5. Cf. CHANTRAINE Pierre, Dictionnaire tymologique de la langue grecque 2, Paris, 1999 (1re d.1968-1980), s. v. plavsma : ce qui est faonn, figurine ; do invention, fiction, falsification . Voiraussi CASSIN Barbara, Du faux , op. cit., : Un pseudos qui se sait pseudos et se donne pour tel dans uneapat librement consentie, un discours qui renonce toute adquation ontologique pour suivre sadmiurgie propre, logou kharin et non semainein ti, cest bien la fiction (plasma) romanesque .

    6. I, 263-264 (je reviendrai sur ce passage).

    7. PLUTARQUE, uvres Morales, t. II, Paris, CUF, 1987.

    8. 2, 16A (p. 93) : ils jugent la fiction moins rbarbative que la ralit ( ).

    9. 2, 17A (p. 96) : un mythe imagin par le pote, une fiction destine charmer ou frapper lauditeur ( ).

    10. 1, 15F (p. 92) : ses lments de fiction et de thtre ( ) ; 4, 20BC (p.103) : les potes font de mme avec des vnements quils faonnent eux-mmes et des rcits daventuresfictives ( ) ; 10, 28DE (p. 124) : au sein du langage de la

    Au terme de ce (trop) rapide parcours, il me semble que lexgse homrique montrecomment la fiction a pu faire dbat en Grce. En suivant les analyses des Anciens, oncomprend mieux quelles conditions ils ont pu penser les popes comme des uvres defiction, mais aussi tout ce qui a pu freiner la reconnaissance de la fiction homrique. Cesanalyses, complexes, nous rappellent quil ny a pas quune faon daborder la question dela fiction. Lchelle danalyse, notamment, est trs variable. Certains, convaincus que laposie ne saurait se confondre avec lhistoire, envisagent le caractre globalement fictif deces crations potiques que sont les popes homriques. Dautres circonscrivent la placede la fiction au sein de ces uvres complexes que sont lIliade et lOdysse, les popestant alors une succession de passages plus ou moins fictifs. Pour dautres, enfin, il nesaurait y avoir la moindre fiction dans ces uvres fondamentales.Pour suivre les mtamorphoses de la fiction homrique, on ne peut suivre un seulterme : le vocabulaire avec lequel se dit la fiction dpend de lapproche globale qui estfaite de la posie homrique, et du point de vue adopt. La fiction peut ainsi se dire entermes de mimsis, de muthos ou de plasma. lpoque classique, cest sans doute lesubstantif mimsis qui permet le mieux de dire que les potes font uvre de fiction, enreprsentant des hommes en action. Et cest sans doute le seul terme qui permet deconcevoir synthtiquement la posie comme fictive101. Quand Aristote abordellaboration concrte de la fiction potique, il parle de muthos, mais cette acception duterme est reste trs isole. Enfin, partir du moment o on cherche faire la part entrece qui est historique et ce qui est invent, dans les popes, et notamment entre lesinventions vraisemblables et les inventions invraisemblables, le mot plasma va jouer unrle important. Mais le mot plasma, foncirement, ne dit que linvention, si bien quilpeut dsigner diffrents types de fictions : le plasma peut tre crdible (pithanon)ou incroyable (apithanon)102 ; total (teleon) ou partiel ; apparent , aussi103.Le statut trs particulier des popes homriques a permis aux Anciens de mesurer la fiction tout ce qui peut freiner la reconnaissance de son existence ou de salgitimit : le mythe, lhistoire, lallgorie, etc. Tout le monde nest pas prt reconnatreune feintise ludique partage dans ces uvres qui sont au centre de multiples enjeux.Mais cest prcisment dans ce rapport conflictuel que va saffiner peu peu la notion de fiction , prparant la reconnaissance duvres plus fictives.

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  • posie et des fictions qui lenvahissent ( ) ; 14, 36D (p.144) : on dgage les pomes du masque de la fiction et du thtre ( ).

    11. Pour muthos, A. Philippon parle de fable (16C, 17A, 36E), de mythe (19E) ; pour muthdes, de fabuleux (16F) et de fable (15F).

    12. 2, 16C (p. 94) : de mme en posie, une uvre qui mle la fiction limitation du vrai fait plusdimpression et agre plus quun ouvrage qui najoute ni fable ni fiction la qualit des mtres et du style ( ).

    13. BABUT Daniel, Sur la notion dimitation dans les doctrines esthtiques de la Grce classique , inRevue des tudes Grecques, n98, 1985, p.78-79(=Parerga. Choix darticles (1974-1994), Lyon, Maison delOrient et de la Mditerrane, 1994, p.289-290). Selon D.Babut, ibid., p.73-74 (=Parerga, op. cit.,p.284-285), il faut attendre le III sicle aprs J.-C. pour trouver au sens d imaginationcratrice . Pour comprendre ce qui prpare la dfinition thorique de limagination cratrice, voirnotamment ARMISEN M., La notion dimagination chez les Anciens : II La rhtorique , in Pallas, n27,1980, p.3-37.

    14. BABUT Daniel, Sur la notion dimitation , op. cit., p.90 (=Parerga, op. cit., p.301). Lauteur expliqueque le concept de mimsis, de ce point de vue, ne fait que prolonger la voix des Muses, qui reprsente laralit objective simposant au pote de lextrieur .

    15. Voir aussi 2, 1448a11-12 ; 3, 1448a21 ; 5, 1449b9-12 ; 6, 1449b21.

    16. BABUT Daniel, Sur la notion dimitation , op. cit., p. 89 (= Parerga, op. cit., p. 283-303). Voir aussi Lunit du livre X de la Rpublique et sa fonction dans le dialogue , in Bulletin de lAssociationGuillaume Bud, n 1, 1983, p. 31-54 (= Parerga, op. cit., p. 235-258) et Paradoxe et nigmes danslargumentation de Platon au livre X de la Rpublique , in Histoire et Structure. la mmoire de V.Goldschmidt, BRUNSCHWIG Jacques et alii (dir.), Paris, Vrin, 1985, p. 123-145 (= Parerga, op. cit., p.259-281).

    17. 9, 1451a36-38.

    18. comparer, chez PLUTARQUE, avec Cimon, 2, 3-4.

    19. 15, 1454 b 8. Pour la discussion, voir FRAZIER Franoise Entre morale antique et esthtique moderne :lanalyse aristotlicienne de luvre littraire , Association des Publications de la Facult des Lettres deNice, Paris, CID diffusion, 1996, p.31 sq.

    20. Sur ce passage, entre autres, voir lexcellente tude de MEIJERING R., Literary and Rhetorical Theoriesin Greek Scholia, Groningen, E.Forsten, 1987, p.57.

    21. Aussi bien SCHAEFFER Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Paris, ditions du Seuil, Potique , 1999,sattache-t-il longuement ltude de limitation chez Platon.

    22. Sur le dcalage des deux critiques de la posie, correspondant ces deux sens, cf. BABUT Daniel, Lunit , op. cit., en particulier p.252-254 ; sur la mimsis ontologique du livre X, GRIMALDI N., Lestatut de lart selon Platon , in Revue des tudes Grecques, n93, 1980, p.25-41 ; pour une tudedensemble rcente sur la mimsis, voir HALLIWELL S., The Aesthetics of Mimesis. Ancient Texts andModern Problems, Princeton, Princeton University Press, 2002.

    23. Ce faisant, Platon a ouvert la voie aux auteurs ultrieurs, qui tenteront de faire de la posie mimtiqueun sous-genre de la posie.

    24. [] (Rp., X, 603c). Cf. aussiRp., X, 605d, pour limitation dun hros.

    25. Cf. Iliade, XXII, 168-169 et XVI, 431-438.

    26. Chacun a lesprit les nombreux passages sur les dieux que Socrate passe en revue aux livres II et III dela Rpublique : il est bien question de dieux, mais on note une certaine rticence de Platon utiliser lesmots de la famille de mimsis avec les dieux.

    27. Comparer aux propos de PLUTARQUE, Comment couter les potes (16C) : Il ny a pas de posie l o ilny a pas aussi mensonge et nous ne connaissons pas de posie sans fable ni mensonge .

    28. BRISSON Luc, Platon, les mots et les mythes. Comment et pourquoi Platon nomma le mythe ?, Paris, LaDcouverte, 1994, p. 179.

    29. Le mot napparat que pour une production platonicienne, au livre X (621b8), quand Socrate en atermin avec le mythe dEr.

    30. BRISSON Luc, Platon, op. cit., p. 180 (Rp., II, 376d9, 377a4, 377a6, 377b6, 377c1, 377c4, 378e5, 379a4 ;Rp. III, 391e12, 398b7).

    31. Rp., II, 381e3 (les dieux circulant la nuit, dguiss) et III, 386b8 (lHads).

    32. Rp., II, 377a5-6.

    33. Cf. notamment Rp., II, 379a2-6 ; II, 380c2 ; III, 391e12.

    34. Cf. notamment Rp., II, 392b6.

    35. [...] , , (8, 1451a30-32).

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  • 36. Au chapitre 17, quand Aristote rsume le sujet (logos) de lOdysse, il parle de lerrance dun hommetroitement surveill par Posidon (17, 1455b18) : la divinit nest prsente quindirectement.

    37. Aristote emploie mme encore moins que Platon les mots de la famille de plattein : tout au plusrelve-t-on lexpression (17, 1455a34).

    38. Cette activit de forgerie, rappelons-le, nest pas propre aux potes : si ces derniers forgent des muthoi,Socrate et ses interlocuteurs forgent, eux, la cit idale ( , II, 374a), ou une imagemonstrueuse de lme ( , IX, 588b), qui nest pas trangre aux craturesde la mythologie (, 588c). Pour une autre association de ce type, cf. PLATON, Time, 26e.

    39. Cette association des deux familles sobserve pour le pote, mais aussi pour le philosophe : cf. II, 376d9et IX, 588b-c.

    40. Ce qui ne veut pas dire que le travail et le gnie dun Homre ne sont pas reconnus (cf. BABUT Daniel, Sur la notion dimitation , op. cit., p. 91-92).

    41. Mme quand il analyse la cration potique, Aristote ne perd jamais de vue ce qui fait son unit.

    42. Cf. WISEMAN T.P., Clios cosmetics, Bristol, Bristol Phoenix Press, 2003, p. 4.

    43. Voir aussi I, 21, 1 : .

    44. Voir en particulier MEIJERING R., Literary and Rhetorical Theories, op. cit., p. 70, pour la nouvelleacception de mimsis paralllement au dveloppement de lart raliste ; voir aussi ZANKER G., Realism inAlexandrian Poetry : A Literature and its Audience, Londres, Croon Helm, 1987, et FOWLER B.H., TheHellenistic Aesthetic, Madison, The University of Wisconsin Press, 1989.

    45. Le fait que les Anciens nont presque jamais employ ladjectif au comparatif et au superlatifme semble rvlateur de la conception quils se font de la mimsis : celle-ci nest gure susceptible dedegrs.

    46. Il sagit l dune tendance forte dans lhistoire du concept de mimsis, dont laffaiblissement, entreautres, permettra Plutarque, lpoque impriale, de ranger lhistoire dans les productions qui relvent dela mimsis. Dans le Sur la gloire des Athniens, Plutarque crit que la peinture et lhistoire ne diffrent que dans le matriau et les procds dimitation ( , 347A). Indpendamment dusens exact de lexpression hul kai tropoi, lessentiel est de noter que lhistoire relve de la mimsis, ce quina rien de platonicien ni daristotlicien. Si des rflexions comme celles de Douris qui ont permis aucritique moderne dlaborer le concept d histoire tragique ne sont pas trangres ce rattachement,sans doute sexplique-t-il aussi par le fait que la peinture, la posie et lhistoire ont dsormais en communleur objet (le rel) et leur but (imiter le rel). Sur lhistoire tragique, voir WALBANK F.W., History andtragedy , in Historia, n 9, 1960, p. 216-234, et Tragic History : a Reconsideration , in Bulletin of theInstitute of Classical Studies, 1955, p. 4-14.

    47. Le meilleur exemple est sans doute le troisime livre de la Rpublique, o Socrate voque de nombreuxpassages homriques, mais avec comme seuls critres, le vrai et le faux.

    48. Je ne parle ici que des scholies de lIliade dites par ERBSE H., Scholia Graeca, op. cit.

    49. Cf. par exemple scholie ad Il., I, 17.

    50. Cf. scholie ad Il., V, 667b.

    51. (sch. ad Il., VI, 467). Sur cettescholie, voir MEIJERING R., Literary and Rhetorical Theories, op. cit., p. 70 et SCHMIDT M., Die Erklrungzum Weltbild Homers und zur Kultur der Heroenzeit in den bT-Scholien zur Ilias, Munich, Beck, 1976, p.61 sq.

    52. (scholie ad Il., VI, 474).

    53. 342-51. : (cf. Rep. III, 390c2) , , . b (BCE3E4) T (cf. Od., XI, 243-4). , , , , , , , , , , K, . b (BCE3E4) T.

    54. Cest lavis de MEIJERING R., Literary and Rhetorical Theories, op. cit., p. 68. De fait, les scholiastesrelvent souvent, chez Homre, des exemples dhommes francs, mais beaucoup plus rarement des exemplesdhommes misogynes, incrdules ou qui aiment leur pre. Une scholie Il., IX, 394a fait dailleurs le lienavec Mnandre.

    55. Le parallle avec Cicron confirmerait cette lecture, puisque dans ses Tusculanes (I, 16, 37), il expliquequon ne pouvait sempcher de donner aux morts une forme sensible pour se reprsenter la vie de lme : On nen prte pas moins la parole pareils fantmes, comme sil tait possible de parler sans langue, sanspalais, sans que fonctionnent les organes de la gorge, de la poitrine, des poumons.

    56. Cf. supra, note 11.

    57. De faon gnrale, muthos et plasma interviennent respectivement quand il sagit dapprcier la part detradition ou dinnovation dans la cration homrique. Le muthos apparat comme un rcit ancr dans latradition, indissociable dun processus de transmission, que ce soit Homre qui reoive un muthos, un

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  • hros qui rapporte un muthos, ou un auteur postrieur qui forge un muthos partir dHomre. Lesubstantif plasma est trs peu employ, mais si on procde des recoupements avec les mots de la famillede plattein, on peut dgager quelques constantes : le plasma dsigne notamment une cration par rapport ce qui a t transmis.

    58. Selon lui, il faut prfrer ce qui est impossible mais vraisemblable ce qui est possible mais nonpersuasif ( , Potique, 1460a26-27). Le potepeut ainsi reprsenter des actions impossibles (), si cela lui permet de frapper davantage() lauditeur. Mais Aristote, lui, ne parle pas de plasma.

    59. Scholie ad Il., XIII, 395-6.

    60. Trad. C. Dalimier, D. et J. Delattre et B. Prez, Paris, ditions du Seuil, 2002,

    61. Sextus Empiricus renvoie aux arguments de comdies et aux mimes. Dans la scholie ad Il., XIV, 342-51,rappelons-le, les personnages de la comdie illustraient le premier mode, celui qui imite le rel .

    62. Sextus Empiricus donne lexemple suivant : Alexandre est mort empoisonn Babylone, victime duncomplot.

    63. Les deux exemples sont Pgase surgissant de la tte de la Gorgone gorge et Hcube transforme enchien.

    64. On la trouve dans la Rhtorique Herennius (I, 12), dans le De linvention (I, 27) de CICRON et danslInstitution Oratoire (II, 4, 2) de QUINTILIEN.

    65. Sur lhsitation entre et , cf. WALBANK F.W., A Historical Commentary on Polybius,III, Oxford, Clarendon Press, 1979, p. 584, ad 34, 4, 3.

    66. Les actions reprsentes ne sont pas historiques : Homre na pas sous les yeux des hros qui se battentquand il compose ses monomachies.

    67. WISEMAN T.P., Clios cosmetics, op. cit., p.148 n. 29, indique que le terme usuel pour diathesis, aveccette signification, est plasma.

    68. Quand les Grecs veulent souligner la crdibilit dun passage ou, au contraire, son caractre peuconvaincant, ce sont avant tout ladjectif ( crdible , parce que vraisemblable) et son contraire qui simposent. Dans les scholies de lIliade, on en trouve des centaines doccurrences.

    69. Cf., par exemple SAD Suzanne, Formes de la fiction , in S. SAD, M. TRD et A. LE BOULLUEC,Histoire de la littrature grecque, Paris, PUF, 1997, p. 501-527.

    70. Cf. MORGAN J.R., Make-Believe and Make Believe , op. cit.

    71. En I, 2, il cite notamment le passage des Histoires de Polybe (34, 4, 1-4) voqu supra.

    72. , , , (Gog., I, 2, 3).

    73. Dans le premier livre de sa Gographie, le substantif nest pas un concept philosophique ni un terme decritique littraire.

    74. Je ne mtends pas sur leur part respective, Strabon donnant des indications contradictoires.

    75. Mme si en I, 2, 7, laccent est mis plutt sur le muthos : Plus encore que ses successeurs, quand ilcompose ses fables, il se garde de mettre du prodige partout (, ).

    76. Lhistoricit du priple est prouve par les traces quauraient laisses Ulysse et ses compagnons.

    77. Voir les contextes suivants : I, 2, 7, 5 ; I, 2, 23, 16 ; XI, 14, 12, 11 ; XIII, 1, 36, 22 ; XIV, 1, 27, 8.

    78. Mais ce pseudos na rien voir avec le pseudos pour le pseudos dont parle CASSIN Barbara, LEffetsophistique, op. cit.

    79. Mme si le mot historia napparat quune fois, en XI, 38.

    80. Homre avait compris, chemin faisant, quil tait facile de labuser, et quil ne mritait gure plus queson mpris ( 35).

    81. Si fiction il y a dans le Discours troyen, ce nest pas dans lIliade quil faut la chercher, mais dans ladmonstration mme de Dion, quil faut bien videmment prendre avec du recul : en soutenant que Troiena jamais t prise, Dion sinscrit dans la tradition de lloge paradoxal, et cette position nest pas sansincidence sur la terminologie employe. Quoi quil en soit, rappelons que dans le Discours 53 (SurHomre), il nemploie pas non plus les mots de la famille de mimsis ou de plasma. Tout au plusvoque-t-il, de faon assez vague, les muthoi homriques.

    82. Pour plus de dtails, voir BRCHET Christophe, Le De audiendis poetis de Plutarque et le procsplatonicien de la posie , in Revue de Philologie, n 73.2, 1999, p. 309-344 ; voir aussi, sur la question delunit de la posie dans le Comment couter les potes, BRCHET Christophe, Homre dans luvre dePlutarque. La rfrence homrique dans les uvres Morales, Thse de doctorat en grec ancien, UniversitPaul-Valry Montpellier III, dcembre 2003, p. 527-574.

    83. Cette prsentation ne doit pas occulter des chevauchements, qui sont une constante dans toutes lestypologies : les uvres se laissent mal dcouper selon des critres trop prcis.

    84. " ", , (2, 16 A).

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