Présentation générale. -...

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LARCIER INTRODUCTION 9 INTRODUCTION 1 Présentation générale. Dans l’imaginaire de chacun, la représentation du droit s’effectue sous forme de symboles – le glaive, la balance, le chêne ou le juge- ment rendu par Salomon 1  –, d’activités professionnelles – le magistrat, l’avocat, le notaire ou l’huissier de justice –, de lieux – le palais de justice, la prison ou la faculté de droit –, ou encore d’étapes essentielles de la vie, réglementées par des textes – le mariage, la filiation ou le décès avec l’ouverture d’une succession. La retranscription de ces différentes représentations du droit dans les médias est constante, comme l’illustre la place essentielle conférée aux procès en matière pénale dans la presse écrite ou audiovisuelle, en particulier lors de la diffusion de comptes rendus de procès d’assises. Or, le droit ne peut et ne doit pas se li- miter à une telle approche qui resterait nécessairement superficielle. La première difficulté réside dans la définition qu’il convient de retenir du concept de « droit ». Le droit a vocation à régir, de la manière la mieux adaptée, les relations entre les hommes au sein d’une société, quelles que soient la nature et les circonstances de ces relations : dans le cadre du cercle familial, lors de l’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale, ou encore pour la dé- termination des prérogatives respectives conférées à l’État et aux collectivités territoriales notamment. Quel que soit le domaine appréhendé, la matière juri- dique est nécessairement présente dès lors qu’existe une société, conformément à l’adage traditionnel ubi societas, ibi ius : « où il y a une société, il y a le droit ». Cette formule justifie l’affirmation selon laquelle le droit apparaît manifeste- ment comme un outil de régulation sociale, sa finalité étant d’organiser les re- lations entre sujets de droit. Sa complexité est directement liée à la diversité des relations humaines concernées par les règles de droit en vigueur. 2 Appréhension du droit. Dans la vie quotidienne de chacun, les éléments qui re- lèvent de la matière juridique tiennent une place essentielle. À maints égards, il s’avère même impossible de se passer de droit. En dépit de son importance ma- nifeste, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une matière délicate à appréhen- der, singulièrement en raison de ses différentes spécificités. Le droit est tout d’abord fortement marqué par de nombreuses difficultés et incertitudes d’ordre terminologique. Le sens courant des mots ne correspond pas nécessairement à celui retenu par la communauté des juristes. Toute per- sonne qui poursuit une formation de juriste ou qui souhaite exercer une activité 1. Récit biblique selon lequel Salomon ordonne de partager un enfant que se disputent deux femmes : la vraie mère, renonçant à l’enfant pour ne point le sacrifier, est ainsi reconnue, J. CARBONNIER, Flexible droit – Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10 e  éd., Paris, L.G.D.J., 2004, pp. 434 et s.

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LARCIER INTRODUCTION 9

I N T R O D U C T I O N

1 Présentation générale. Dans l’imaginaire de chacun, la représentation du droits’effectue sous forme de symboles – le glaive, la balance, le chêne ou le juge-ment rendu par Salomon1 –, d’activités professionnelles – le magistrat, l’avocat,le notaire ou l’huissier de justice –, de lieux – le palais de justice, la prison oula faculté de droit –, ou encore d’étapes essentielles de la vie, réglementées pardes textes – le mariage, la filiation ou le décès avec l’ouverture d’une succession.La retranscription de ces différentes représentations du droit dans les médias estconstante, comme l’illustre la place essentielle conférée aux procès en matièrepénale dans la presse écrite ou audiovisuelle, en particulier lors de la diffusionde comptes rendus de procès d’assises. Or, le droit ne peut et ne doit pas se li-miter à une telle approche qui resterait nécessairement superficielle.

La première difficulté réside dans la définition qu’il convient de retenir duconcept de « droit ». Le droit a vocation à régir, de la manière la mieux adaptée,les relations entre les hommes au sein d’une société, quelles que soient la natureet les circonstances de ces relations : dans le cadre du cercle familial, lors del’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale, ou encore pour la dé-termination des prérogatives respectives conférées à l’État et aux collectivitésterritoriales notamment. Quel que soit le domaine appréhendé, la matière juri-dique est nécessairement présente dès lors qu’existe une société, conformémentà l’adage traditionnel ubi societas, ibi ius : « où il y a une société, il y a le droit ».Cette formule justifie l’affirmation selon laquelle le droit apparaît manifeste-ment comme un outil de régulation sociale, sa finalité étant d’organiser les re-lations entre sujets de droit. Sa complexité est directement liée à la diversité desrelations humaines concernées par les règles de droit en vigueur.

2 Appréhension du droit. Dans la vie quotidienne de chacun, les éléments qui re-lèvent de la matière juridique tiennent une place essentielle. À maints égards, ils’avère même impossible de se passer de droit. En dépit de son importance ma-nifeste, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une matière délicate à appréhen-der, singulièrement en raison de ses différentes spécificités.

Le droit est tout d’abord fortement marqué par de nombreuses difficultés etincertitudes d’ordre terminologique. Le sens courant des mots ne correspondpas nécessairement à celui retenu par la communauté des juristes. Toute per-sonne qui poursuit une formation de juriste ou qui souhaite exercer une activité

1. Récit biblique selon lequel Salomon ordonne de partager un enfant que se disputent deuxfemmes : la vraie mère, renonçant à l’enfant pour ne point le sacrifier, est ainsi reconnue,J. CARBONNIER, Flexible droit – Pour une sociologie du droit sans rigueur, 10e éd., Paris,L.G.D.J., 2004, pp. 434 et s.

INTRODUCTION Introduction au droit10

professionnelle en lien avec la matière juridique doit nécessairement connaîtreet parfaitement maîtriser les significations des termes juridiques utilisés2.

Ensuite, le domaine du droit est très étendu, et ce, bien au-delà de l’ap-proche parfois proposée. Par principe, la matière juridique ne doit pas seconfondre – bien au contraire – avec la seule loi édictée et sanctionnée par lespouvoirs publics. Certes, à certaines époques, et pour certains systèmes juri-diques plus particulièrement, une assimilation rigoureuse du droit à la loi s’im-posait. À cet égard, la définition retenue par les auteurs favorables à l’École del’Exégèse au XIXe siècle3 supposait une telle assimilation du droit à la loi édictéequi s’applique au sein d’une société.

L’approche renouvelée du droit, développée au XXe siècle, a progressive-ment nuancé celle antérieurement privilégiée : le droit ne peut et ne doit pas selimiter à l’unique loi et plus généralement aux textes adoptés par les pouvoirspublics, comme l’illustre en particulier la place grandissante donnée aux déci-sions de justice. De manière corrélative au développement de l’activité judi-ciaire, il convient de relever, et parfois de regretter, un affaiblissement del’influence du pouvoir législatif : la qualité de la règle de droit est contestée, laquantité de textes – illustrée par l’inflation législative – est ponctuellement dé-plorée, contribuant à ce que certains appellent « la crise du droit »4. Il estdésormais devenu indispensable de ne pas circonscrire le droit à l’unique loi,sous peine de ne pas aborder l’ensemble de la matière juridique.

3 Évolution du droit. Le droit, comme toute science humaine, ne cesse d’évoluerà plusieurs titres. Il convient de prendre en considération les innovations quis’imposent de manière inéluctable, liées en particulier aux progrès de la science,à la création de nouvelles technologies et à l’informatisation de la société. À titred’illustration, le droit de la filiation a nécessairement dû s’adapter en fonctiondes données de la science. De même, les règles de preuve se sont récemmentadaptées pour prendre en compte les nouveautés inhérentes au développementde l’informatique. Face à ce mouvement, l’évolution de la matière juridique,certes indispensable, se révèle en pratique très souvent lente et parfois mêmevigoureusement contestée. Car, comme le soulignait déjà Georges Ripert, « toutjuriste est un conservateur »5. Quelle que soit l’activité professionnelle exercéeen lien avec le droit – universitaire, magistrat, avocat, huissier de justice ou no-taire par exemple –, des efforts d’adaptation et de renouvellement des connais-sances sont nécessairement exigés.

De tels efforts doivent être accomplis en raison de l’évolution constante dudroit, liée à un double mouvement.

D’une part, une place grandissante est désormais conférée à une nouvelleapproche de certaines notions fortement marquées par l’influence des « droits

2. Pour un apprentissage de la matière juridique en respectant les définitions, il convient deconsulter les ouvrages suivants : G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, 10e éd., Paris, P.U.F.,2014 ; D. ALLAND et S. RIALS (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, P.U.F.-Lamy,2003 ; R. CABRILLAC (dir.), Dictionnaire du vocabulaire juridique, 6e éd., Paris, Litec, 2014 ;T. DEBARD et S. GUINCHARD et G. MONTAGNIER, Lexique des termes juridiques, 21e éd., Paris,Dalloz, 2013.

3. Sur la méthode d’interprétation dite de l’exégèse, voy. infra, nos 48 et s.4. F. TERRÉ, Le droit, Paris, Flammarion, 1999, p. 88.5. G. RIPERT, Les forces créatrices du droit, 2e éd., Paris, L.G.D.J., 1955, p. 8.

LARCIER INTRODUCTION 11

et libertés fondamentaux » proclamés par les textes ou reconnus comme telspar le Conseil constitutionnel, au niveau interne, et par la Cour européenne desdroits de l’homme, au niveau européen. Quel que soit le domaine concerné – lafamille, l’entreprise ou encore l’administration – nul ne peut ignorer une telleinfluence qui garantit à chacun un certain nombre de prérogatives au titre desdroits ou des libertés dites fondamentales. À titre d’illustration, si la propriétéd’un bien est protégée par divers textes adoptés lors de l’époque révolutionnaireou juste après, les décisions rendues par le Conseil constitutionnel et la Coureuropéenne des droits de l’homme assurent une protection renouvelée de cemême droit6.

D’autre part, certaines classifications du droit, en particulier celles quiconcernent la hiérarchie des normes ou encore les classifications des différentesmatières juridiques, doivent parfois évoluer, notamment en raison de l’in-fluence grandissante des normes supranationales. Les réformes adoptées par lelégislateur ou les décisions de justice rendues affectent ces différentes classifica-tions ainsi que les raisonnements et les solutions traditionnellement privilégiés.

4 Une double acception du droit. En droit interne, l’approche retenue de la ma-tière juridique, marquée prioritairement par les concepts du droit civil7, peuts’effectuer sous deux acceptions complémentaires :

– d’une part, le Droit – au singulier avec une majuscule – permet de désignerles différentes règles qui ont vocation à régir les rapports entre les hommes.Cette définition correspond au droit qualifié de Droit objectif, dont l’étudesuppose que soient déterminés ses caractères et ses sources en particulier ;

– d’autre part, les droits – au pluriel avec une minuscule – sont les préroga-tives conférées à une personne par le Droit objectif, pour permettre àcelle-ci de vivre en société. Cette deuxième acception concerne plus préci-sément les différents droits qualifiés de droits subjectifs. Ces derniers béné-ficient d’une dimension individuelle : chaque sujet de droit peut seprévaloir de la mise en œuvre de ces droits subjectifs à l’encontre des tiers,qu’il s’agisse du droit de propriété ou du droit au respect de la vie privée,par exemple.Cette approche de la matière juridique, selon ces deux catégories de droit

(« Droit » et « droits ») a été l’occasion, pour le doyen Carbonnier, de distin-guer le grand Droit et les petits droits8. L’introduction à l’étude du droit peutdonc être réalisée en effectuant une présentation préalable du Droit, au sens dedroit objectif (Partie 1), puis en exposant la diversité des droits, en tant quedroits subjectifs (Partie 2) pour lesquels existent des règles particulières qui as-surent leur mise en œuvre (Partie 3).

6. Sur cet exemple, voy. infra, nos 288 et s.7. La présentation retenue dans cet ouvrage aborde la matière juridique à partir d’une étude

qui privilégie essentiellement le droit civil interne, approche ponctuellement complétée pardes éléments relevant d’autres matières comme le droit public notamment. Sur les princi-pales distinctions des différentes matières, voy. infra, nos 56 et s.

8. J. CARBONNIER, Flexible droit – Pour une sociologie du droit sans rigueur, op. cit., pp. 105 et s.