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1 PRECOCITE, TALENTS ET TROUBLES DES APPRENTISSAGES Dr Gérard BLEANDONU - Dr Olivier REVOL Texte paru dans « Approche neuropsychologique des troubles d’apprentissages » éditions Solal, juillet 2010 La dernière décennie restera sans doute celle de la réhabilitation des enfants en délicatesse avec l’Ecole. En 2002, le rapport Ringard attire l’attention des pouvoirs publics sur les troubles d’apprentissage en général, et ouvre la porte à la reconnaissance du handicap cognitif. Trois ans plus tard, la loi pour l’avenir de l’école s’engage à assurer la réussite de tous les élèves. En octobre 2007, une circulaire ministérielle incite les enseignants à s’intéresser au parcours scolaire des enfants précoces. Comprendre comment un enfant surdoué peut se retrouver en situation d'échec apporte un éclairage nouveau sur les processus cognitifs mobilisés dans les acquisitions scolaires. A la croisée des talents et des risques de handicap, cette réflexion devrait profiter à tous les enfants différents. Des enfants difficiles à définir (Revol et al. 2004) On rencontre une première difficulté lorsqu’on veut venir en aide aux enfants dont le niveau intellectuel est supérieur à la moyenne. Il existe plusieurs appellations pour les désigner en raison de la complexité du sujet. Le mot gifted a été adopté aux Etats-Unis dans les années 1920 et il reste d’un usage répandu dans le monde anglo-saxon. Il a été traduit en français par « surdoué» dans les années 1970. Ce mot désigne un enfant dont l’efficience intellectuelle évaluée par des tests est supérieure à celle obtenue par la majorité des enfants de son âge. Certains ont jugé le terme gênant parce qu’il ferait état d’une supériorité (un don) et qu’il produirait une confusion avec les enfants prodiges. Ils ont préféré mettre en avant la précocité intellectuelle, d’où le sigle EIP pour enfant intellectuellement précoce. L’intelligence de ces enfants se développe plus vite que celle de la majorité des enfants de leur âge. On a aussi critiqué ce point de vue. En effet, rien ne garantit que, à l’instar de l’avance staturale, les autres enfants le rattraperont un jour, ni qu’à l’âge adulte, ces individus conserveront des capacités supérieures à la normale. D’autres ont alors proposé de parler d’enfant à «Haut Potentiel » (HP). Les québécois ont

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PRECOCITE, TALENTS ET TROUBLES DES APPRENTISSAGES Dr Gérard BLEANDONU - Dr Olivier REVOL

Texte paru dans « Approche neuropsychologique des troubles d’apprentissages »

éditions Solal, juillet 2010 La dernière décennie restera sans doute celle de la réhabilitation des enfants en délicatesse avec l’Ecole. En 2002, le rapport Ringard attire l’attention des pouvoirs publics sur les troubles d’apprentissage en général, et ouvre la porte à la reconnaissance du handicap cognitif. Trois ans plus tard, la loi pour l’avenir de l’école s’engage à assurer la réussite de tous les élèves. En octobre 2007, une circulaire ministérielle incite les enseignants à s’intéresser au parcours scolaire des enfants précoces.

Comprendre comment un enfant surdoué peut se retrouver en situation d'échec apporte un éclairage nouveau sur les processus cognitifs mobilisés dans les acquisitions scolaires. A la croisée des talents et des risques de handicap, cette réflexion devrait profiter à tous les enfants différents.

Des enfants difficiles à définir (Revol et al. 2004)

On rencontre une première difficulté lorsqu’on veut venir en aide aux enfants dont le niveau intellectuel est supérieur à la moyenne. Il existe plusieurs appellations pour les désigner en raison de la complexité du sujet. Le mot gifted a été adopté aux Etats-Unis dans les années 1920 et il reste d’un usage répandu dans le monde anglo-saxon. Il a été traduit en français par « surdoué» dans les années 1970. Ce mot désigne un enfant dont l’efficience intellectuelle évaluée par des tests est supérieure à celle obtenue par la majorité des enfants de son âge. Certains ont jugé le terme gênant parce qu’il ferait état d’une supériorité (un don) et qu’il produirait une confusion avec les enfants prodiges. Ils ont préféré mettre en avant la précocité intellectuelle, d’où le sigle EIP pour enfant intellectuellement précoce. L’intelligence de ces enfants se développe plus vite que celle de la majorité des enfants de leur âge.

On a aussi critiqué ce point de vue. En effet, rien ne garantit que, à l’instar de l’avance staturale, les autres enfants le rattraperont un jour, ni qu’à l’âge adulte, ces individus conserveront des capacités supérieures à la normale. D’autres ont alors proposé de parler d’enfant à «Haut Potentiel » (HP). Les québécois ont

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cherché à éviter toute connotation en inventant un néologisme : « douance ». En pratique, on peut dire aussi bien doué, surdoué, précoce ou à haut potentiel. (Bléandonu,2006).

On rencontre ensuite une deuxième difficulté qui nous plonge dans un paradoxe bien connu: comment se fait-il que ceux que la nature paraît prédisposer à de hautes performances soient plus exposés à des difficultés scolaires? Au début du XXème siècle, alors qu’il étudiait les difficultés scolaires des débiles mentaux, Binet avait remarqué cette situation paradoxale: d’autres enfants ne profitaient pas de l’enseignement parce qu’ils étaient « trop intelligents ». On a établi par la suite qu’une portion importante d’enfants surdoués se retrouve en difficulté, voire en échec, dans leurs études. Nous allons voir quels sont les troubles des apprentissages chez les enfants intellectuellement précoces.

Les troubles spécifiques des apprentissages

Dans les années 1980, on désignait les difficultés d'apprentissage comme un ensemble hétérogène de troubles qui se manifestent par des difficultés significatives dans l'acquisition et l'utilisation d'habileté d'écoute, de la parole, de la lecture, de l'écriture, du raisonnement ou d'habiletés mathématiques.

En 1994, la 4ème version du DSM a confirmé cette conception en remplaçant « les troubles des acquisitions scolaires » par « les troubles des apprentissages ».

La rubrique associe: trouble de la lecture, trouble du calcul et trouble de l'expression écrite. Les troubles commençant par le préfixe « dys » sont écartés parce qu'ils apparaissent trop limitatifs (de même que le mot « autisme » avait été remplacé par « trouble envahissant du développement »). En pratique, les troubles des habiletés motrices et les troubles de la communication font partie intégrante des troubles des apprentissages.

Le DSM IV se veut précis. Il déclare ces troubles comme intrinsèques à la personne; c'est-à-dire qu'ils proviennent d'une dysfonction du système nerveux central. Des difficultés d'autorégulation, de perception et d'interactions sociales peuvent coexister avec les troubles des apprentissages, mais elles ne doivent pas être un trouble des apprentissages en soi. De même, si le trouble d'apprentissage apparaît avec des limitations d'autres natures, il ne faut pas qu'il soit le produit de ces limitations.

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On peut s'étonner d'une définition aussi restrictive. Il faut comprendre qu'elle se veut opérationnelle. Cela veut dire qu'elle est censée permettre d'agir de façon adaptée dans tous les cas de figure. On a aussi voulu englober les adultes et ces critères doivent s'appliquer a tous les âges. Cette définition devrait aussi aboutir au même résultat quelle que soit la formation de l'examinateur ou les tests utilisés. Cette classification n'a pourtant pas échappé a certaines critiques. On lui a reproché de ne pas aborder les processus et les stratégies, c'est-à-dire le traitement de l'information, la base de l'approche cognitive. On lui a aussi reproché d'attendre l'échec scolaire avant d'identifier le trouble d'apprentissage. Mais une classification n'est pas orientée de la même façon selon qu'elle se focalise sur les besoins pédagogiques des élèves ou sur la description de troubles ouvrant droit à une aide spécialisée.

La question est en train d’être renouvelée grâce aux progrès que nous avons faits sur la relation entre le cerveau et l’esprit. Nous disposons de nouvelles techniques qui ont permis d’expérimenter aux deux extrêmes d’un large spectre: les méthodes classiques de la neuro-anatomie, de la neurophysiologie et de la neurochimie d’une part, la neurobiologie moléculaire, la combinaison de la neuro-imagerie avec une approche cognitive d’autre part. Tout ceci débouche sur une vision à plusieurs dimensions sur le cerveau engagé dans une activité intellectuelle.

L’enfant HP en délicatesse avec l’école : des difficultés à l’échec scolaire…

L’échec scolaire tel qu’il est défini par l’Education Nationale (« sortie du système scolaire sans diplôme ni qualification »), reste rare dans les cohortes d’enfants HP, et certainement en dessous du chiffre retenu en population générale (150 000 enfants, soit 21% des classes d’âge). Les difficultés sont, par contre, fréquentes, avec deux tiers d’enfant à Haut Potentiel qui n’atteindront pas le lycée. Il nous semble plus intéressant, en raison de la fréquence des co-morbidités, d’envisager les difficultés scolaires chez les enfants à Haut Potentiel plutôt que de détailler les troubles spécifiques des apprentissages (Revol, 2006). En effet, on peut retrouver plusieurs causes, souvent intriquées, à ces difficultés. Certaines sont spécifiques parce qu’elles proviennent de ses caractéristiques cognitives tandis que d’autres son liées à des réponses inadaptées de l’entourage. Enfin, des troubles psychoaffectifs peuvent intervenir seuls ou venir perturber d’autres causes qui les ont précédés.

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Des stratégies d’apprentissage particulières

Les causes liées au profil cognitif particulier sont maintenant bien connues. De solides travaux confirment les spécificités neuro-développementales des enfants HP: augmentation du sommeil paradoxal [Grubar et al. 1997), suractivation du cortex pré-frontal lors des tâches saturées en facteur g, meilleure transmission inter-hémisphérique (In Lubart, 2006).

D’une façon générale, les enfants HP préfèrent un traitement global et simultané de l’information. Il en résulte une très grande rapidité de la pensée qui ne manque pas de surprendre un entourage non averti. L’enfant à Haut Potentiel fait intervenir des réseaux neuronaux plus étendus et active des zones corticales supplémentaires (pensée en «arborescence»). Il a volontiers recours à la mémoire épisodique, ce qui le conduit à faire des analogies avec d’autres situations déjà connues. Tout ceci finit par donner à ses réponses un aspect intuitif qui fascine, mais aussi désarçonne son interlocuteur.

Cela ouvre la voie vers des difficultés scolaires bien connues: ennui, absence de méthode d’apprentissage, évitement de l’effort et rejet des tâches routinière et opposition.

- L’enfant intellectuellement précoce peut ressentir de l’ennui dès la maternelle lorsque l’enseignement lui paraît inadapté. Il décroche vite puisqu’ il comprend souvent avant les autres. Cela peut susciter un manque d’intérêt ou même conduire à une sorte de phobie scolaire.

- Ce désintérêt peut finir par induire des troubles de l’attention, de l’instabilité psychomotrice et des troubles anxieux. Le propre de ces manifestations est de disparaître dès que l’enfant rentre chez lui, ou lorsque l’enseignement satisfait son profil cognitif particulier.

- L’absence de méthode est la conséquence d’une capacité à comprendre très vite, à fournir des réponses exactes sans fournir un travail de réflexion. Le surdoué peut faire l’économie de l’apprentissage d’une méthode parce qu’il n’a pas besoin de faire une analyse séquentielle pour trouver la réponse. Ce fonctionnement reste acceptable tant qu’il reste dans le primaire. Mais dés le secondaire il peut être pénalisé lorsqu’on lui demande d’expliquer comment il procède. La difficulté ou le refus à expliquer agace et provoque une dépréciation du travail scolaire de la part des enseignants. Il risque de se produire une épreuve de force qui aggrave encore la situation et peut conduire à l’échec scolaire. L’élève du secondaire peut finir par

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manquer de temps d’autant qu’une lenteur de l’écriture persiste. Il s’enclenche un cercle vicieux si l’enfant perd toute motivation à étudier.

- L’opposition apparaît volontiers dès qu’il est question de tâches répétitives comme recopier, apprendre par cœur. Le point d’achoppement surgit lorsqu’il est question d’apprendre des règles ou, de façon plus générale, lorsqu’une tâche donne l’impression de perdre son temps par l’absence de créativité. En outre, la fréquence de difficultés graphomotrices conduit à éviter l’écrit et à une mauvaise orthographe qui pénalise dans toutes les matières.

En résumé, on peut opposer de façon schématique un enfant au développement intellectuel moyen que nous qualifions d’« enfant scolaire » et un enfant à Haut Potentiel (tableau I).

Certains enfants à Haut Potentiel arrivent cependant à composer avec ces particularités cognitives, en particulier lorsqu’ils trouvent dans leur enseignant la bienveillance et l’empathie indispensables à leur motivation. A l’inverse, le sentiment d’incompréhension risque de brouiller plus encore le rapport aux apprentissages.

Les causes liées à l’environnement Elles proviennent d’attitudes qui ne tiennent pas compte des besoins spécifiques de ces enfants ou de la tentation des jeunes surdoués de se conformer aux attentes pédagogiques globales (Terrassier, 1999). Certaines réactions des enseignants découragent ou contrecarrent l’investissement scolaire de ces enfants: refus d’interroger un enfant qui a réponse à tout, stigmatisation des points faibles comme l’écriture par exemple.

L’enfant précoce peut perdre intérêt pour toute forme d’apprentissage. Il peut aussi se rebeller ou, à l’inverse, se forcer à satisfaire les exigences de l’enseignant par du conformisme. Cela peut aller jusqu’à une suradaptation, ce que Terrassier avait appelé un « effet pygmalion négatif ». L’enfant HP se contente de satisfaire la demande en mettant à l’écart ses compétences et ses talents. Cette attitude peut se généraliser et envahir toutes les relations sociales. Cela peut aussi conduire à un conflit ouvert avec l’école si les parents supportent mal ce renoncement. Et aggraver ainsi les dysfonctionnements psychologiques pré-existants, eux-mêmes sources de frein aux apprentissages.

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Les causes psychoaffectives On rencontre chez les EIP surtout deux formes de troubles: l’anxiété généralisée et les troubles obsessionnels compulsifs. On explique les troubles anxieux par un « effet loupe » généré par le fonctionnement cognitif: celui-ci amplifie les sensations et amène l’enfant à anticiper tout seul des dangers. Il arrive que cette anxiété s’organise en un véritable TOC. On y pense chez un enfant qui passe beaucoup de temps pour sortir ses affaires scolaires, qui ritualise leur installation sur son bureau, qui écrit ses devoirs avec un crayon papier pour pouvoir gommer les éventuelles erreurs, qui recopie plusieurs fois ses cours. La fréquence de ces troubles conduit à faire pratiquer un test psychométrique chez un enfant intelligent mais inquiet, à le questionner sur l’existence de soucis ou de gestes qui lui paraissent stupides. Il est clair que ces pensées anxieuses sont d’autant plus fréquentes que l’enfant s’ennuie à l’école.

Le problème des co-morbidités Il existe un autre éventualité fréquente qui pose parfois des problèmes ardus: l’enfant intellectuellement précoce peut être aussi atteint d’un déficit de l’attention sans ou avec hyperactivité (TDA/H). Ce syndrome peut masquer le haut potentiel intellectuel de ces enfants et compliquer leurs difficultés d’apprentissage. L’évaluation psychométrique ne suffit pas parce que certains items du QI sont effondrés à cause du déficit de l’attention (arithmétique, code, mémoire des chiffres, symbole).

La reconnaissance du TDA/H est délicate chez des enfants intellectuellement précoces qui présentent des symptômes évocateurs comme l’impulsivité, l’instabilité motrice. Ceux-ci peuvent aussi provenir de l’ennui. On ne peut poser un double diagnostic que si les symptômes sont retrouvés dans toutes les situations (maison, école et loisirs) et s’ils sont davantage présents pendant les cours ou lorsque l’enfant n’est pas assez stimulé. L’analyse psychométrique peut aider en montrant un profil spécifique: nette réussite aux épreuves sollicitant la logique et l’abstraction (similitudes, cubes, compréhension) et échec relatif aux épreuves nécessitant l’attention (code, arithmétique, mémoire des chiffres, symboles). Cette découverte peut conduire à prescrire un médicament stimulant l’attention en plus des réponses habituelles.

Par ailleurs, la précocité intellectuelle peut aggraver les troubles spécifiques des apprentissages (dyslexie, dysphasie, dyscalculie, dysorthographie, dysgraphie, etc.)

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Cette conjonction risque surtout de retarder le double diagnostic puisque on peut ignorer tantôt une facette, tantôt l’autre, et dans tous les cas, sous-évaluer les compétences de l’enfant. Cela arrive surtout lorsque la précocité intellectuelle a longtemps permis de masquer le trouble d’apprentissage ou d’inventer des stratégies qui pallient jusqu’à un certain point le déficit fonctionnel.

Ces constatations plaident pour une évaluation globale, clinique et psychométrique, de tout enfant apparemment intelligent en échec scolaire.

Du don au talent La recherche sur les enfants surdoués n’est pas loin de couvrir un siècle. Cette recherche dépend de la manière de concevoir l’intelligence. Le débat s’est élargi lorsqu’on a aussi considéré les intelligences sociale, émotionnelle et pratique qui sont assez peu corrélées avec l’intelligence générale que mesurent les tests psychométriques classiques. Au fur et à mesure que le niveau général d’instruction a augmenté, on a aussi exploré en dehors de activités de type verbal, logico-mathématique ou spatial que valorise le monde de l‘éducation.

Différentes formes d’intelligence

Au début des années 2000, la Fondation de France a voulu connaître l’état de la recherche sur les enfants surdoués. Lorsqu’il a présenté en 2004 son travail dans un numéro spécial de Psychologie française, Lautrey a choisi un titre significatif : « Hauts potentiels et talents ». (« Haut potentiel » n’est qu’une énième manière de traduire le mot anglais « giftedness ».) Le premier terme renvoie à des dispositions intellectuelles qui ne sont pas investies dans un domaine particulier d’expertise (en pratique, il s’agit d’un QI élevé) et le second désigne des capacités qu’on observe lorsque des dispositions sont, de plus, investies dans un domaine où elles ont permis d’atteindre une expertise de niveau exceptionnel.

Cette prise de position renvoie à un débat ancien et loin d’être clos. L’intelligence est-elle une ou multiple? Jusqu’où est-il légitime d’étendre le domaine de l’intelligence? Le choix de Lautrey reflète une préférence pour des théories assez récentes qui postulent des formes d’intelligence indépendantes. Une des théories les plus connues est celle de Howard Gardner. Il s’agit de la théorie des intelligences multiples. Il a distingué diverses formes d’intelligence à partir de trois critères: l’existence de créateurs géniaux dans un domaine, l’existence de localisations cérébrales spécifiques à une forme d’intelligence et, enfin, l’existence d’idiots savants ou d’artistes géniaux qui pouvaient être extraordinaires dans un

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domaine et médiocres ailleurs.

Robert Sternberg a publié presque en même temps que Gardner une « théorie triarchique de l’intelligence ». Il annonce dès le titre de son livre l’intention d’aller « au-delà du QI ». Sternberg attribue trois aspects fondamentaux à l’intelligence. A côté des facultés d’analyse que mesurent les tests, il y a l’esprit de synthèse et de créativité ainsi que les aptitudes pratiques.

Ce renouvellement théorique a eu des conséquences sur l’identification des enfants intellectuellement précoces. Plusieurs chercheurs proposent actuellement des approches multidimensionnelles de cette identification. Ils avancent trois principes essentiels en faveur de leurs propositions. L’identification doit s’élargir aux domaines où peut s’exprimer un haut potentiel. Il faut utiliser, dans une même procédure, plusieurs outils d’évaluation. Enfin, il faut solliciter différentes sources d’information comme les enseignants, les parents et les pairs.

L’intelligence modélisée

Nous évoquerons trois conceptions multidimensionnelles récentes:

- La théorie des « trois anneaux » de Renzulli

- Le « modèle différencié du don et du talent » de Gagné

- Le modèle de Munich du don et du talent proposé par Heller et ses collaborateurs.(Lubart et al. 2006).

1) Renzulli caractérise le haut potentiel par un jeu d’interactions complexes entre trois composantes: un niveau d’aptitude intellectuelle supérieur à la moyenne, l’engagement dans la tâche et la créativité .Ce modèle postule qu’aucune composante n’est plus importante que les autres ; c’est donc leur combinaison qui détermine le haut potentiel. (tableau II).

2) Le modèle de Gagné cherche à intégrer toutes les variables pertinentes pour l’analyse du développement du talent. Il paraît donc bien plus complexe que le précédent. Ce modèle repose sur la distinction entre le don et le talent et, de façon plus générale, entre l’aptitude et la réussite. (tableau III).

3) Le modèle de Munich distingue sept aptitudes fondamentales et relativement indépendantes. Il postule que ces aptitudes s’inscrivent dans un réseau de relations que la personnalité et l’entourage viennent moduler. En pratique, l’identification des enfants se fait en milieu scolaire. Dans un premier temps, les enseignants désignent

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10 à 20 % des enfants les plus doués pour les aptitudes fondamentales. Ensuite, des épreuves standardisées et des échelles d’aptitude seront utilisées. A l’issue de cette procédure, il reste seulement 2 à 5 % des élèves les plus doués. (tableau IV).

Trop créatifs pour réussir à l’école ?

On définit le plus souvent la créativité comme la capacité à produire un travail original adapté aux contraintes d’une situation ou d’une tâche. Elle a volontiers été considérée comme une capacité inhérente au haut potentiel intellectuel. Un enfant surdoué peut être doté très tôt d’un don lui permettant d’exceller dans un ou plusieurs domaines. Le surdoué n’est pas pour autant un enfant prodige. Ce dernier apparaît comme une version extrême de l’enfant intellectuellement précoce. Il est capable de fournir dès l’enfance ce qu’on attend d’un adulte exceptionnel. Les enfants prodiges font souvent preuve de créativité ; ils découvrent par eux-mêmes les règles et les gestes techniques qui permettent d’exceller dans un domaine avec un minimum d’aide de part des adultes. Il faut distinguer créatif et créateur. Les surdoués peuvent être créatifs, mais ils ne deviendront pas pour autant des adultes d’exception en matière de création. Les surdoués deviennent le plus souvent des experts dans leur domaine de prédilection, mais l’expertise nécessite rarement de la création. Il existe des mesures de la créativité que l’on peut répartir en deux groupes. Certaines sont des mesures du potentiel créatif comme les tests de pensée divergente tandis que d’autres évaluent des productions spécifiques comme des dessins ou des histoires inventées.

Les réponses

La reconnaissance de la précocité intellectuelle permet le plus souvent d’apporter des réponses qui améliorent les difficultés scolaires. L’essentiel est de respecter leur profil cognitif particulier; de confirmer leur haut potentiel et de remédier à leurs points faibles. On met en place le plus souvent des mesures pédagogiques et thérapeutiques. Les troubles des apprentissages se situent à la charnière entre plusieurs domaines professionnels. Cela entraîne une grande diversité des réponses. A une extrémité, un enfant est pris en charge seulement par une rééducatrice ou il reçoit une aide scolaire spécialisée. A une autre extrémité, l’enfant et ses parents ont besoin d’une équipe pluridisciplinaire (ou de plusieurs). Nous laissons de côté les cas où s’ajoutent des personnes du secteur social et médico-social parce qu’ils n’ont pas besoin de techniques spécifiques. Dans tous les cas, la reconnaissance de la différence par les enseignants est la

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première et la meilleure des réponses. Il devient alors possible de proposer à l’enfant des aménagements pédagogiques calqués sur ceux proposés aux enfants « dys ». (tableau V).

En somme,

Du « Petit Prince » qui déplore que « les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules » à Harry Potter qui a commencer à s’apaiser après son arrivée dans une école de sorcier, où il s’est enfin senti compris, les enfants HP (réinterprétés par certains comme « Hors Programme » ?) n’ont cessé de réclamer, souvent maladroitement, le respect de leur différence. Juste pour que l’école prenne en compte leur créativité.

Nous laissons le dernier mot à un écrivain français qui fut sans doute un enfant surdoué avant de devenir prix Nobel de littérature. On a retrouvé un manuscrit inachevé après sa mort tragique. Camus avait rédigé l’ébauche d’une autobiographie qui devint un livre sous le titre: « Le premier homme ». Un chapitre est consacré à l’école. Il parle de la rencontre entre un élève exceptionnel et d’un instituteur capable de répondre à sa manière d’apprendre.

« Non l’école ne leur fournissait pas seulement une évasion de la vie de famille. Dans la classe de M. Germain du moins, elle nourrissait en eux une faim plus essentielle encore à l’enfant qu’à l’homme et qui est la faim de la découverte. Dans beaucoup d’autres classes, on leur apprenait sans doute beaucoup de choses, mais un peu comme on gave les oies. On leur présentait une nourriture toute faite en les priant de vouloir bien l’avaler. Dans la classe de M. Germain, pour la première fois, ils sentaient qu’ils existaient et qu’ils étaient l’objet de la plus haute considération: on les jugeait dignes de découvrir le monde. ».

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REFERENCES

Bléandonu G. « Les enfants intellectuellement précoces » « Que sais-je? » Paris: PUF; 2004.

Bléandonu G. et Revol O. « Les enfants intellectuellement précoces » EMC Psychiatrie, (127), 2006.

Camus, A. « Le premier Homme » Paris, Gallimard Folio, 2000.

Lubart, T. (sous la dir.) « Enfants exceptionnels: Précocité intellectuelle, haut potentiel et talents », Paris, Bréal, 2006.

Gardner, H. « Les intelligences multiples: La théorie qui bouleverse nos idées reçues. » Paris, Retz, 2008.

Grubar JC, Duyme M, Cote S. « La précocité intellectuelle : de la mythologie à la génétique. » Liège: Mardaga; 1997.

Lautrey J. « Étude de la recherche sur la précocité intellectuelle » Psychol. Fr. 2004; 49 (n°3).

Revol, O. « Même pas grave ! L’échec scolaire, ça se soigne… » Paris, JC Lattès, 2006 Revol O, Louis J, Fourneret P. « L’enfant précoce : signes particuliers » Neuropsychiatr Enf Adolesc 2004; 52: 148-53. Revol O, Fourneret P. « Les troubles du comportement de l’enfant précoce » Revue du Praticien, 2006, 56, 4 : 402-403.

Sternberg R. Beyond IQ: A Triadic Theory of Intelligence Cambridge, Cambridge University Press, 1985.

Terrassier JC. « Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante » Paris: ESF, 1999.

Tordjman S. (sous la direction de) « Enfants surdoués en difficulté » Presses Universitaires de Rennes; 2005.

Gérard Bleandonu, Pédopsychiatre 18, allée du Vallon, 69570 Dardilly, France.

Olivier Revol, Pédopsychiatre Hôpital neurologique, Service de psychiatrie de l’enfant, 59, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France. [email protected]

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Conseils pour favoriser la scolarité d’un enfant à Haut Potentiel

Se rappeler que l’enfant – ne répond pas toujours juste – ne dispose pas des mêmes compétences dans toutes les matières – peut présenter un décalage entre ses aptitudes intellectuelles et son

développement moteur (gêné en EPS, dans les activités graphiques…)

Se rappeler que le Haut Potentiel – peut revêtir des formes multiples, variables selon les sexes, le milieu

environnant… – doit être relu à la lumière de la personnalité et du profil cognitif et

affectif (précoce et dyslexique, précoce et agité, précoce et docile.…) – s’accompagne de spécificités cognitives: pas d’apprentissage linéaire,

pensée en arborescence…

Comment les aider – ne pas pénaliser l’enfant qui a besoin de faire plusieurs choses en

même temps : faire bouger des stylos entre ses doigts, crayonner sur une feuille l’aident à se concentrer

– autoriser l’utilisation d’un ordinateur pour la restitution des travaux – ne pas pénaliser la présentation – favoriser les apprentissages qui valorisent la créativité – laisser une marge de manœuvre dans une activité proposée pour qu’il

puisse se l’approprier et s’investir dans son travail – donner du sens aux apprentissages les HP recherchent le « pourquoi »

de chaque tâche – leur apprendre à décomposer leur raisonnement : les aider à remonter

le chemin depuis la réponse jusqu’à l’énoncé – accepter que leur rythme ne soit pas celui de la classe : trouver ce

qu’ils peuvent faire en attendant les autres – ne pas les pénaliser en leur donnant plus de travail, mais un travail

différent, approfondi et enrichi – ne pas les laisser s’ennuyer – utiliser l’humour pour dédramatiser une situation – favoriser les échanges parents-enseignants-élève en les associant au

dialogue – éviter les « routines » et les répétitions – proposer des questions « ouvertes » – favoriser la pensée divergente

Tableau V