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PRAGMATIQUEIntroduction: le domaine de la pragmatiqueLa pragmatique constitue la dernire partie de votre cours de Langue Franaise Contemporaine (LFC); ce cours prsente la dernire des disciplines que vous avez tudies dans les quatre premires annes (la morphologie, la syntaxe, la lexicologie et la smantique). La pragmatique linguistique tudie les rapports qui existent entre les noncs et le contexte extralinguistique dans lequel lnonc est employ par les locuteurs. La pragmatique soccupe de ltude de la dixis, de limplication conversationnelle, des prsuppositions, des actes de langage et des aspects structuraux du discours. Dans toutes ces manifestations de lemploi de la langue, les relations entre la langue et le contexte se trouvent grammaticaliss ou codifies dans la structure de la langue. La linguistique est intresse la dimension pragmatique du langage parce que un certain nombre de faits de syntaxe et de smantique dmandent la prise en compte des faits extrieurs au langage, savoir lacte dnonciation. Les exemples les plus significatifs sont constitus par les verbes performatifs, certains connecteurs, les lments indexicaux*, les adverbes dnonciation et ceux de ngation, les prsuppositions, etc. Soit les exemples : (1) (2) (3) (4) Je te promets de venir demain. Jean vient dtre reu lexamen, mais ne le dis personne. Franchement, je ne crois pas que Marie soit malade. Paul na pas deux autos, il en a trois.

La comprhension de chacun de ces exemples impose la prise en compte de lnonciation. Pour comprendre (1) il faut savoir: qui est le locuteur (quon doit identifier : qui est le locuteur dans le contexte dnonciation ?), linterlocuteur (qui est linterlocuteur dans le contexte dnonciation ?), le temps (quel est le moment de lnonciation, pour pouvoir identifier lintervalle dsign par le prsent) ; il faut aussi savoir que le locuteur fait lacte de promettre, il sengage une action future (par son nonciation, il ralise un acte illocutionnaire). En (2), la conjonction mais nenchane pas le contenu de la premire phrase (Jean vient dtre reu lexamen), mais sur son nonciation (lopposition porte sur la supposition que linterlocuteur pourrait communiquer aux autres linformation fournie par la premire phrase de lexemple). En (3), ladverbe de phrase franchement ne rfre pas au contenu smantique de la phrase (je ne crois pas ), mais lacte dnonciation de la phrase. Enfin, dans lexemple (4) on ne nie pas que Paul ait deux autos, (parce que le fait davoir trois voitures implique quon a deux autos).

1. Les trois tapes de la constitution de la pragmatiqueLe terme de pragmatique a t introduit dans 1938 par Charles Morris dans Foundations of the Theory of Signs (La Fondation dune Thorie des Signes). Morris se proposait de jeter les bases dune thorie gnrale pour ltude de la smiotique (= thorie gnrale des systmes de signes) Les systmes de signes peuvent tre tudis trois niveaux: la syntaxe est tude des "relations formelles d'un signe avec un autre", la smantique, tude des "relations entre les signes et les objets auxquels ils sont appliqus" (leurs designata ou rfrents) et la pragmatique, tude des "relations des signes avec leurs usagers".

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lpoque de Morris, la pragmatique nexistait pas encore, et la dfinition de Morris correspond presque exclusivement aux termes indexicaux (pronoms personnels de la premire et de la deuxime personne, les dmonstratifs, les adverbes temporels dictiques du type maintenant, etc.) Bar-Hillel (1954) dfinissait dans ce sens la pragmatique et des philosophes et des logiciens, surtout par les reprsentants de la philosophie analytique*, ont tudi surtout ce type dexpressions dune perspective vriconditionnelle*. La philosophie du langage a inaugur une autre direction de dveloppement de la pragmatique : les actes de langage sont constitus de phrases dclaratives qui nont pas un usage descriptif mais qui correspondent une action. La thorie des actes de langage, qui a t propose par John Austin (1962/1970) et dveloppe par John Searle (1969), a largi beaucoup le territoire de la pragmatique, passant du niveau du mot (indexicaux) celui de la phrase. Cest une poque de grand essor pour la pragmatique qui devient une discipline part entire. La troisime tape de dveloppement de la pragmatique est reprsent, surtout, par Paul Grice et sa thorie conversationnelle, partant de lide que linterprtation dun nonc consiste dans lapplication des infrences* non dmonstratives (= dont les conclusions ne sont pas obligatoires) sur la base de certains principes et rgles qui sont, probablement, universelles, parce que ce sont les rgles gnrales de la communication. La thorie se base sur une hypothse (les interlocuteurs cooprent pendant lchange verbal) et que cette coopration se ralise par le respect ou par la violation des rgles ou maximes conversationnelles (quantit, qualit, pertinence et manire). Cette direction a t dveloppe, dune part, par Laurence Horn (1985) qui a dcouvert un nouveau type dimplicature conversationnelle, les implicatures scalaires. Une autre direction actuelle est reprsente par la thorie de la pertinence due Sperber et Wilson (1986) qui, dans le contexte de lessor gnral de sciences cognitives proposent une pragmatique cognitive. Dans leur conception la linguistique (phonologie et syntaxe et smantique) est considre un module fournissant une premire analyse des donnes ; les donnes de cette premire analyse, spcialise, recevront une interprtation concrte grce un deuxime module, non spcialis, qui est la pragmatique.

2 La valeur explicative de la pragmatiqueParmi les reprsentants de cette direction philosophique et logique qui ont tudi les lments indexicaux, Rudolf Carnap et Bertrand Russell ont t intresss tablir les conditions dans lesquelles des noncs contenant des paroles dictiques (pronoms personnels, dmonstratifs, les temps verbaux) sont vrais ou faux, vue que la logique est vriconditionnelle. Par exemple, dans quelle conditions une phrase comme (1) Pierre Roux est malade

peut recevoir une interprtation smantique* correcte? On doit savoir qui est la personne nomme Pierre Lafont et si, au moment o lmetteur prononce cette phrase, cette personne est malade. Pour interprter la phrase (1) nous pouvons nous rsumer nos connaissances smantiques, car il suffit didentifier correctement la personne nomme Pierre Roux, de connatre le sens du prdicat tre malade et de savoir si la phrase dcrit correctement la ralit. Russell a observ que ces connaissances ne sont plus suffisantes pour interprter correctement les phrases (2) ou (3) : (2) (3) Je suis malade. Tu es malade.

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Pour savoir si les affirmations contenues dans ces phrases sont vraies ou fausses, on doit savoir qui sont les personnes dsignes par les pronoms je et tu. Du point de vue logique, un nom propre dsigne la mme personne dans toutes les circonstances (S. Kripke a introduit le terme de dsignateur rigide pour nommer cette caractristique des noms propres). Un nom propre comme Pierre Roux est identifiable (cest une personne qui a certaines caractristiques, qui est n , fils de, habitant , etc.) Par contraste, les pronoms personnels de la premire et de la seconde personne dsignent des personnes diffrentes dun contexte lautre. On sait que le pronom je dsigne la personne qui, dans un certain contexte, est lmetteur et tu - la personne qui est le rcepteur; cependant sans connatre ce contexte*, on ne sait pas quels sont les rfrents de ces pronoms. Donc, si le rcepteur ne peut pas donner une interprtation smantique adquate une phrase comme (2) ou (3) sil ne peut pas identifier la personne qui est metteur, respectivement rcepteur dans le contexte de la communication. Une partie de la pragmatique tudie ce type dexpressions linguistiques, dont le rfrent* varie dun contexte lautre. Quand, dans une premire tape, la pragmatique soccupait seulement de cette classe relativement restreinte de items, le territoire de la pragmatique tait trop rduit pour pourvoir constituer une discipline part entire. La pragmatique analyse aussi les principes d'emploi et de comprhension de la langue, principes qui ont peu faire avec la structure de la langue. Par exemple, on a constat que le locuteur L prononce parfois un nonc E ayant le contenu smantique S1 avec lintention de communiquer son rcepteur un contenu smantique diffrent, S2, et le rcepteur comprend cette intention du locuteur. Supposons le dialogue suivant: (4) A: Je pourrais manger tout le gteau, moi tout seul. B. Oh! Merci.

Apparemment le personnage A fait une affirmation, mais la rponse du personnage B nous dvoile le fait quil ait compris la phrase prononce par A dune manire diffrente. Pour comprendre le dialogue de (4) on doit connatre le contexte dans lequel la conversation se droule. Le dialogue devient parfaitement normal si on imagine que le personnage B est la personne qui a prpar ou a achet le gteau offert au personnage A. Le personnage A a lintention de faire un compliment son interlocuteur en lui communiquant que le gteau est trs bon. Il aurait pu dire une phrase du type ce gteau est trs bon mais il choisit de prononcer seulement la phrase (4), o linformation que A apprcie le gteau est seulement implique: je pourrais manger le gteau moi du seul... implique, dans ce contexte, car il est tellement bon. Lauditeur B, comprend parfaitement les intentions de A et il le remercie pour le compliment. Ces situations communicatives pour le fonctionnement desquelles il est ncessaire de comprendre les intentions communicatives du locuteur sappellent implicatures conversationnelles. Dans la vie quotidienne, nous employons tout le temps dans la conversation des noncs qui impliquent dautres noncs: par exemple, quelquun demande sa mre as-tu achet du caf pour dire je voudrais en boire, on dit dans un comportement de train il fait tellement froid pour dire fermez la fentre, etc. etc. La pragmatique tudie ce genre dimplication et le mcanisme qui permet aux interlocuteurs de se comprendre parfaitement malgr le fait que leur intention communicative ne correspond pas, au sens strict, au contenu des paroles prononces. Nous avons vu que, pour linterprtation smantique, on vrifie si le contenu de la phrase correspond la situation extralinguistique dcrite. Des phrases du type il pleut, Jean est arriv en Roumanie le 15 mai, cette route conduit la ville, etc. ont la proprit dtre vrais ou faux, si ltat de choses correspond ou non leur contenu. Les phrases de ce type sont nommes constatives. Mais il existe des noncs qui ont a proprit curieuse de ntre ni vrais ni faux :

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Je te promets de venir demain.

Une telle phrase ne constitue pas une prsentation, vraie ou fausse, dun tat de choses. En la prononant, le locuteur accomplit un acte (nomm acte de langage, de langlais speech act) savoir une promesse. Dans le cas de cet acte de langage, le locuteur il fait une prvision sur son comportement futur, et il dit que ce comportement futur sera en faveur de lauditeur. Un acte de langage nest ni vrai ni faux, mais il peut tre bien ou mal excut. Une mauvaise excution peut conduire lannulation de lacte. Ltude des actes de langage reprsente un autre chapitre important de la pragmatique. La pragmatique tudie aussi les prsuppositions, auxquelles nous avons consacr un chapitre distinct.

3. Les diffrences entre la smantique et la pragmatiquePour comprendre bien quel est le domaine d'tude de la smantique il est essentiel de comprendre la diffrence entre les phnomnes tudis par la smantique et ceux tudis par la pragmatique. La diffrence entre les deux disciplines linguistiques se situe, essentiellement, au niveau de la fonction essentielle d'une langue naturelle: la communication. Il existe, essentiellement, deux modles pour expliquer la communication verbale, qui sont compatibles et complmentaires: le modle du code et le modle infrentiel. 3.1. Le modle du code La communication est, essentiellement, la transmission d'information travers un code. La communication implique l'existence d'une source et d'une destination (identifies, dans le cas de la communication humaine avec l'metteur et le rcepteur); le message circule entre ces deux ples et, pour pourvoir circuler, il doit tre "traduit" dans un code. Un code consiste en un ensemble conventionnel de signes (appeles aussi 'signaux' ou 'symboles') et des rgles qui tablissent leur emploi; un code sert transmettre des informations d'une source une destination pour raliser une communication ou pour faire une transposition de l'information d'un systme un autre. Grce au code, un message reoit une forme: un message sonore, s'il s'agit d'une langue naturelle, un message graphique s'il s'agit de la transposition d'un message oral (code oral) dans un message crit (code crit). La codification (c'est--dire la transposition de l'information dans un message l'aide d'un code) permet l'information de devenir transportable. Grce la codification l'information peut circuler travers un canal de la source la destination. Dans le cas d'une langue naturelle, le locuteur (la source) encode le message (l'information qu'il a l'intention de communiquer). Supposons que cette information concerne la situation mtorologique et qu'il a l'intention de la communiquer son interlocuteur travers une langue naturelle, disons le franais. Il transformera cette information dans des phonmes, morphmes, syntagmes et phrases prononces par l'appareil phonatoire (bouche, lvres, langue, cordes vocales, etc.). Il prononce la phrase: (1) Il fait trs chaud.

Seulement les vibrations produites par le locuteur en prononant cette phrase peuvent circuler travers le canal (l'air) et arriver l'oreille du rcepteur, qui fera le processus inverse, la dcodification: les vibrations perues seront transformes en phonmes morphmes

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syntagmes - phrases du franais. Grce au fait que l'metteur et le rcepteur connaissent le mme code (une personne qui ne connat par le franais a peu de chances de dcoder un message prononc dans cette langue) il arrive comprendre le message qui lui a t transmis. Nous prsentons une schmatisation du modle du code: (2) message transmis signal transmis signal reu source codeur canal bruit Le modle du code (Moeschler et Auchelin 1997: 155) message reu

dcodeur destination

Le modle du code a le mrite d'expliquer la constitution du processus de communication, savoir comment les signes sont mis, transmis et interprts. Ce modle est plus gnral que le schma de la communication inter-humaine. Dans la communication verbale, le schma gnral se ralise sous la forme suivante: (i) la source et la destination correspondent aux mcanismes cognitifs de l'metteur et du destinataire. (ii) le codeur et le dcodeur se manifestent au niveau de leurs capacits linguistiques, de la matrise, plus ou moins complte, du code linguistique employ; (iii) le message correspond la pense, le signal un signal acoustique (le signifiant du signe linguistique) et le canal l'air. Le modle du code se fonde sur trois hypothses: - les langues naturelles sont des codes (ide exprime dj par F. de Saussure); - ces codes relient des penses des sons (ils associent de signifis des signifiants pour employer encore une fois la terminologie saussurienne); - la communication verbale comporte un mcanisme d'encodage et de dcodage. Pour dcrire la communication, le modle du code est satisfaisant du point de vue explicatif. Nanmoins, il n'est pas appropri du point de vue descriptif parce qu'il laisse de ct une proprit essentielle de la communication verbale: le processus infrentiel. Pour la communication, il est absolument ncessaire que les interlocuteurs partagent le mme code, qu'un canal soit disponible, etc. mais ces conditions ne sont pas suffisantes. Le modle du code doit tre complt par le modle de l'infrence. 3.2. Le modle d'infrence Le terme infrence signifie une opration logique par laquelle on admet une proposition en vertu de sa liaison avec d'autres propositions dj tenues par vraies. Le modle infrentiel est un modle pragmatique: il ressemble l'infrence logique parce qu'il produit une conclusion sur la base des prmisses; la diffrence de l'infrence logique, dans le modle infrentiel pragmatique on essaie d'expliquer comment le rcepteur arrive formuler des hypothses interprtatives, essentielles pour la communication. La conclusion est tire d'hypothses contextuelles. Ces infrences permettent au rcepteur de comprendre ce que l'metteur a dit parce qu'il comprend ce que l'metteur a voulu dire. la diffrence de l'infrence logique, dans le modle infrentiel pragmatique rien ne garantit la vrit de la conclusion. Ce type d'infrence est appel non dmonstrative. Dfinition: On appelle non dmonstrative toute infrence qui ne garantit pas la vrit

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de ses conclusions tant donne la vrit de ses prmisses. (Moeschler et Auchelin 1997: 157). 3.2.1. Infrences logiques (dmonstratives) Les infrences logiques ont la proprit d'tre valides, c'est--dire, la vrit des prmisses (ou hypothses) garantit la vrit de la conclusion. Une rgle logique des plus connues s'appelle modus ponens, qui connat deux variantes: modus ponendo ponens et modus tollendo ponnens. (3) Modus ponendo ponens: a. si p, alors q (p q) b. p c. donc q

Il faut rappeler la dfinition de l'implication: (4) L'implication de deux propositions p q est vraie ssi la proposition q est vraie.

Prenons un exemple pour le schma logique (3): (5) a. s'il fait beau (p) alors Dora ira faire des courses (q) b. il fait beau (p) c. donc Dora ira faire des courses (q) Modus tollendo ponens: a. p q b. p c. donc q a. p q b. q c. donc p

(6) I.

II.

De nouveau, nous devons rappeler la dfinition de la disjonction: (7) La disjonction de deux propositions, p q, est vraie ssi la proposition p, ou la proposition q ou toutes les deux sont vraies.

Prenons de nouveau un exemple, pour illustrer l'infrence de (6): (8) I. II Modus tollendo ponens: a. Jean parlera demain (p) ou Paul parlera demain (q) b. Jean ne parlera pas demain ( p) c. donc Paul parlera demain (q) a. Jean parlera demain (p) ou Paul parlera demain (q) b. Paul ne parlera pas demain ( q) c. donc Jean parlera demain (p)

Dans toutes ces rgles, les propositions qui apparaissent sous (a) et (b) s'appellent des hypothses ou des prmisses, tandis que la proposition de (c) constitue la conclusion. L'infrence consiste justement dans le passage de (a) et (b) (c): l'infrence est l'opration

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logique qui permet, en partant d'une ou plusieurs hypothses, d'aboutir une conclusion. Dans le cas d'une infrence logique il s'agit d'une rgle dductive, car si les prmisses sont vraies, la conclusion est vraie. Les deux rgles d'infrence s'appellent des rgles d'limination parce qu'elle rduit une formule complexe, contenant un connecteur (l'implication, la disjonction) une formule simple, atomique. En logique il existe aussi des rgles qui introduisent des connecteurs, donc des rgles qui permettent, en partant de formules simples, atomiques, d'obtenir des formules complexes, contenant des connecteurs. On sait que la conjonction logique a la dfinition suivante: (9) (10) La conjonction de deux propositions, p q, est vraie ssi tant la proposition p, que la proposition q sont vraies. Rgle d'introduction de et: a. p b. q c. p q

(Si p est une proposition vraie, et q est une proposition vraie, leur conjonction, p q sera aussi une proposition vraie) Il est facile de formuler une rgle d'limination de et: (11) a. p q (hypothyse) b. p (conclusion) c. q (conclusion)

(La formule dit que, si la conjonction de deux propositions est vraie, alors chacune des formules formant la conjonction est vraie. Donc, de l'hypothse (a) on peut dduire tant la conclusion (b), qui constate la vrit de p, que la conclusion (c), affirmant la vrit de q).

3.2.2. Les Infrences non dmonstratives

la diffrence des infrences logiques, dans le cas des infrences pragmatiques, le destinataire n'est pas sr que l'hypothse interprtative infre est correcte. Si elle n'est pas correcte, on arrive une sorte de 'court-circuit' de la communication. Nous savons que la communication n'aboutit pas toujours, et le thtre de l'absurde, tout comme des diffrentes incomprhensions de la vie courante en sont la preuve. C'est pour cela que la communication a t caractrise comme une opration " haut risque", particularit dfinie de la manire suivante: (12) La communication est un processus haut risque en ce que rien ne garantit au destinataire qu'il a fait les bonnes hypothses contextuelles lui permettant d'obtenir la conclusion de l'infrence non dmonstrative, notamment l'intention communicative de son locuteur. (Moeschler et Auchelin 1997: 159)

3.2.3. La construction des hypothses contextuelles Le modle infrentiel se propose d'expliquer les dysfonctionnements possibles de la

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communication verbale. Une premire cause d'un tel dysfonctionnement communicatif rsulte du fait que les hypothses ne sont pas donnes explicitement. Dans le cas des infrences logiques, les hypothses sont explicites. Prenons la situation suivante: (13) Si Dora a la fivre (p) elle restera la maison (q). Si Dora reste la maison (q), Paul portera au bureau de Dora le compte rendu pour la runion (r) ou Anne portera au bureau de Dora le compte rendu pour la runion (s). Dora a la fivre. Anne ne portera pas au bureau de Dora le compte rendu pour la runion. Donc Paul portera au bureau de Dora le compte rendu pour la runion.

Ici toutes les hypothses sont explicites, et la phrase pourrait tre formalise de la manire suivante: (14) a. (p q) [q (r s) ] b. p c. s d. donc r.

Dans la communication normale, cette explicitation des prmisses n'apparat pas. Normalement la situation dcrite dans (13) conduira une communication verbale du type suivant: (15) Dora: Paul, J'ai la fivre; je ne peux pas aller au bureau; Anne vient de me tlphoner qu'elle doit porter le petit Jacques chez le pdiatre.

Paul, en interprtant (15), comprend que Dora lui demande d'aller porter son bureau le compte rendu qu'elle avait rdig le soir prcdent. Paul peut faire toutes ses infrences justement parce qu'elle connat le contexte dans lequel Dora prononce la phrase (15). Pour donner l'interprtation juste la phrase de Dora, Paul doit pouvoir accder des hypothses contextuelles du type suivant: (16) a. Si Dora a la fivre, elle ne se rendra pas au bureau. b. Si Dora ne va pas au bureau quelqu'un doit y porter son compte rendu: Anne portera le compte rendu, ou bien Paul.

L'information fournie par les hypothses contextuelles doit tre complte par les noncs de Dora (15) et produit (17): (17) (18) a. Dora a la fivre b. Dora restera la maison c. Anne est occupe a. Anne ne portera pas le compte rendu au bureau de Dora. b. Paul portera le compte rendu au bureau de Dora.

S'il est en possession de toutes ces informations, Paul devrait comprendre qu'en prononant les phrases de (15), Dora lui demande de porter le compte rendu au bureau: (18) c. Dora demande Paul de porter son compte rendu au bureau.

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Une deuxime caractristique des infrences pragmatique est leur caractre annulable ou dfaisible. Les infrences logiques ne peuvent pas tre annules, elles sont toujours vraies. Au contraire, les infrences pragmatiques sont annulables. Il suffit de supposer que le locuteur ajoute une information supplmentaire: (19) Dora: Paul, J'ai la fivre; je ne peux pas aller au bureau; Anne vient de me tlphoner qu'elle doit porter le petit Jacques chez le pdiatre. propos, Marie, la secrtaire du directeur, passera un peu plus tard pour prendre mon compte rendu.

Si l'nonc se prsente sous cette forme, l'hypothse de Paul, selon laquelle Dora lui demandait de porter le compte rendu son bureau s'avre fausse. Il tait justifi faire une telle hypothse par les prmisses (16), (17) et (18). Cependant Dora voulait communiquer une information diffrente: mme si Anne ne peut pas porter le compte rendu, Paul ne doit pas s'en occuper parce que c'est Marie qui le fera. Ces exemples mettent en relief deux proprits importantes des infrences pragmatiques: (i) l'interprtation d'un nonc dpend de son contexte (il s'agit mme d'une fonction logique) et (ii) les infrences non dmonstratives sont annulables ou dfaisibles, dans le sens qu'elles peuvent tre vraies dans certains contextes et fausses dans d'autres.3.2.4. Aspects vriconditionnels et non vriconditionnels

La principale diffrence entre la smantique et la pragmatique consiste dans le fait que la smantique dcoule des aspects vriconditionnels de l'nonc, tandis que la pragmatique relve des aspects non vriconditionnels. Une phrase du type (20) Marie a cinq cousins.

Du point de vue logique, (20) implique (21) (23), car, si (20) est vraie, alors (21)- (23) sont aussi vraies: (21) (22) : : (23) Marie a quatre cousins. Marie a trois cousins Marie a un cousin.

Cependant, si quelqu'un prononce les phrases (21) (23) la place de (20), il pourrait tre accus de ne pas avoir donn une information correcte. Comme nous allons voir dans la deuxime confrence (celle qui traite la pense de Grice), si un metteur prononce (20), alors le destinataire est autoris conclure (24): (24) Marie a cinq et seulement cinq cousins.

Cette conclusion est admise parce, en vertu des normes de la conversation, il existe une rgle de quantit qui oblige les locuteurs fournir son interlocuteur l'information la plus prminente. Donc une personne qui sait que Marie a cinq cousins mais qui affirme qu'elle en a trois ou quatre ne respecte pas les rgles de la conversation. Les rgles de la conversation ne sont pas des rgles logiques ou smantiques, elles n'ont pas une valeur de vrit (car, de ce point de vue, si (20) est vraie, alors (21) (23) sont vraies aussi).

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L'observation que les phnomnes pragmatiques ne sont pas vriconditionnels est valable non seulement pour les rgles de la conversation; nous avons dj vu dans la section prcdente que la diffrence entre: (25) a. Le livre se trouve sur la table. b. Je te promets de t'apporter le livre

consiste dans le fait que la phrase (25 a) a la proprit d'tre vraie ou fausse, tandis que le bon fonctionnement de la phrase (25 b) dpend d'autres facteurs que sa valeur de vrit: si le contenu se la promesse constitue un avantage pour le destinataire, si l'metteur est sincre, s'il a vraiment l'intention de remplir sa promesse, etc. Notre cours ne sera pas exhaustif. Il traitera seulement les thmes que son auteur considre plus importantes et plus utiles pour les spcialistes en linguistique franaise. Il sera structur en quatre chapitres: 1. la deixis; 2. limplication conversationnelle; 3. la prsupposition; 4. les actes de langage.

Bibliographie Austin, John (1962), How to do things with words, Oxford, Clarendon Press (trad. fr. Quand dire cest faire, Paris Ed. Minuit) Bar-Hiller, Y (1954) Indexical expressions dans Mind LXIII 359-379 Horn, Laurence (1984) Toward a New Taxinomy for Pragmatic Inferrence: Q-based and Rbased implicature in D. Schiffin (ed.) Meaning, Form and Use in Context. Georgetown University Press Levinson, Stephen (1983) Pragmatics, Cambridge, Cambridge University Press Moeschler, Jacques (1995) La pragmatique aprs Grice: contexte et pertinence dans Linformation grammaticale 66 : 25 - 31 Moeschler, Jacques et Antoine Auchlin (1997) Introduction la linguistique contemporaine, Paris, Armand Colin Reboul, Anne (1995) La pragmatique la conqute de nouveaux domaines : la rfrence dans Linformation grammaticale 66 : 32-37 Searle, J. R. (1969), Speech Acts, Cambridge, Cambridge University Press (trad. fr. Les Actes de langage, Paris, Hermann) Sperber, Dan et Deirdre Wilson (1989), La Pertinennce. Communication et cognition, Paris, Minuit

I. Les Dictiques1. Introduction

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Le terme dictique drive du mot grec deiktikos dmonstratif , qui, a son tour, provient du substantif grec deixis dsignation. Lexistence dans la langue des lments dictiques est une expression de la manire dans laquelle la langue codifie les traits du contexte de lnonciation ainsi que de la situation communicative. Les dictiques nous rappellent le fait essentiel que, fondamentalement, les langues soient destines une communication face face. Les difficults lies aux dictiques apparaissent, justement, quand il ne sagit pas dune communication dans la prsence des deux interlocuteurs. Le phnomne de la dixis a t observ par plusieurs grands linguistes et logiciens du e sicle, bien avant la conscration de ce terme. E. Benveniste (1966, 1974) a employ le XX terme de indicateurs de la subjectivit pour dsigner les marques qui servent de point de repre au discours organis autour du locuteur ; par exemple, dans la catgorie des pronoms personnels, Benveniste distingue les pronoms personnels indicateurs (de Ire et de la IIe personne) des pronoms substituts (les pronoms de la IIIe personne). Benveniste propose donc une opposition* entre indicateurs (appartenant au plan du discours) substituts (les pronoms anaphoriques, appartenant au plan de lhistoire). Dans la littrature linguistique courante, le syntagme lments (termes) indexicaux1 est souvent employ comme synonyme du terme dictique. Pour la mme catgorie, R. Jakobson propose le terme de embrayeur (angl. shifter), tandis que Bertrand Russell dsigne les mme lments avec le terme de particules gocentriques. Les plus importants lments de la catgorie des dictiques sont: les adjectifs, les pronoms et les adverbes dmonstratifs, les pronoms personnels de la premire et de la seconde personne, le temps grammatical2, certains adverbes de temps comme maintenant et autres traits grammaticaux directement lies aux circonstances de communication. On se rend compte de limportance de linformation dictique si on examine les situations dans lesquelles celle-ci manque, fait qui rend la communication difficile sinon impossible. Imaginons le cas quand sur la porte dun bureau on voit un billet sur lequel quelquun a crit une proposition comme celle de (1): (1) Je rentre dans une heure

La personne qui lit cette notification a des difficults la comprendre, justement cause du manque dinformations dictiques. Elle pourrait avoir des problmes comprendre qui est la personne dsigne par le pronom je, mais elle peut supposer quil sagit de la personne qui travaille normalement dans ce bureau. Cette information parfois est rcupre si, par exemple, sur la porte du bureau il y a une pancarte avec linscription chef de service ou doyen ; dans ce cas, le lecteur du billet pourrait supposer que celui qui a crit lannonce est le chef de service ou le doyen qui travaille dans ce bureau. Pourtant tout individu qui lit la notification aura srement des difficults comprendre le complment temporel dans une heure. Si on ne sait pas quand on a crit lannonce, il est, pratiquement, impossible identifier le moment dsign par ladverbe.

2. Dmarches philosophiquesLes logiciens et les philosophes ont tent de rsoudre deux catgories de problmes. Ils ont essay dabord de rduire toutes les expressions dictiques une seule expression1

Certains linguistes (par exemple Janssen 1996 voir 4.3.2.1) emploient le terme indexical (par exemple, appliqu aux adjectifs dmonstratifs) pour dsigner la catgorie dans tous ses emplois, tandis que le terme dictique est rserv aux emplois des lments indexicaux lis au contexte dnonciation. 2 Vue le fait que le terme temps est polysmique, les grammairiens franais emploient souvent le terme tiroir pour dsigner le temps grammatical, reprenant ainsi une suggestion de Damourette et Pinchon.

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fondamentale. Le grand philosophe et logicien Bertrand Russell a traduit les expressions dictiques avec le dmonstratif celui-ci se rfrant une exprience subjective. Par exemple, Russell (1905) a propos de traduire le pronom je avec l'expression la personne qui fait cette exprience-ci et tous le autres dictiques ont t traduits dune manire similaire. Cependant cette dmarche a t abandonne, car elle conduit des difficults logiques. Le second problme tudi par les logiciens concerne linfluence des lments dictiques sur limplication3 logique. Soit les phrases suivantes: (1) A : M. Maurice Dupont est blond et il pse 100 kilos. B : M. Maurice Dupont est blond.

Il est clair que la phrase (B) peut tre dduite de la phrase (A). Ce type de dmarche constitue ce que les logiciens appellent une infrence valide, dans le sens que, si la prmisse (A) est une proposition vraie, la conclusion (B) doit tre vraie aussi. La situation change si on fait intervenir dans ce schma un lment dictique: (2) A. Je suis blond et je pse 100 kilos. B. Je suis blond.

Linfrence (2) est valide seulement dans certaines conditions, par exemple si les deux phrases sont prononces par Maurice Dupont. Mais il est possible que ces deux noncs soient prononcs par des locuteurs diffrents. Par exemple la phrase (A) de (2) pourrait tre prononce par Maurice Dupont et la phrase (B) par Jean Mercier. Dans le cas des noncs contenant des lments dictiques, la thorie de linfrence doit, donc, contenir des conditions supplmentaires: linfrence est permise si le contexte pragmatique est identique, c'est--dire si l'metteur des deux phrases (A) et (B) est la mme personne. Une autre dcouverte importante faite par les philosophes est la entre deux possibles emplois des dictiques: un emploi rfrentiel et un emploi attributif. Cette distinction a t faite pour la premire fois par K. S. Donnellan (1966) qui ne s'occupait pas de dictiques mais de descriptions dfinies*. Donnellan a dcouvert que les descriptions dfinies peuvent tre employes pour identifier une personne. Par exemple, au cours dune fte, quelquun veut identifier un des invits, disons l'invit qui s'appelle Lord Godolphin. Son interlocuteur, qui connat cette personne, peut lui dire (3) L'homme qui est en train de boire du champagne est lord Godolphin.

Dans ce cas, la description dfinie lhomme qui est en train de boire du champagne a une fonction rfrentielle, cest--dire elle sert identifier la personne nomme Lord Godolphin. Donnellan a observ le fait curieux que cette description dfinie sert identifier la personne dsigne mme si elle n'est pas entirement correcte. Pour l'exemple (3), il est possible que le locuteur pense seulement que lord Godolphin est en train de boire un verre de champagne, mais le lord peut, en ralit, boire un verre dorangeade. Malgr le fait que la description dfinie l'homme qui est en train de boire du champagne seulement les mots homme et boire offrent des informations correctes, l'interlocuteur arrive identifier le rfrent correctement. Les descriptions dfinies peuvent tre aussi attributives. Dans cette situation, le locuteur peut ne pas connatre le rfrent de la description dfinie, mais il attribue cette personne une3

Limplication est une relation logique consistant en ce qu'une chose en implique une autre (si A, alors B, not aussi A B)

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qualit. Par exemple, un policier qui a commenc une enqute sur lassassinat dun homme nomm Smith et qui ne connat pas encore lidentit de lassassin peut dire (4) Le meurtrier de Smith est fou.

voulant dire quil faut tre fou pour tuer Smith de cette manire. Dans ce cas, la description dfinie le meurtrier de Smith nest pas rfrentielle, mais attributive. L'nonc (4) est ambigu, se prtant deux lectures: une lecture attributive (quand on ne connat pas l'identit de l'assassin) ou une lecture rfrentielle (si on a dcouvert l'identit de l'assassin). Ce qui compte ce n'est pas l'ambigut mais le fait qu'une description dfinie puisse avoir non seulement une fonction rfrentielle, mais une fonction attributive aussi. Les expressions dictiques ressemblent aux descriptions dfinies justement parce qu'on peut les employer pour identifier un rfrent (emploi rfrentiel) ou pour attribuer une proprit un individu (emploi attributif). Un locuteur pourrait dire: (7) (8) Cet homme-l (le locuteur indique lhomme qui est en train de boire du champagne) est lord Godolphin. Ce meurtrier-ci (dans le sens la personne qui a commis ce meurtre, quelle que soit son identit) est fou.

Les recherches philosophiques et logiques ont bauch quelques-uns des problmes lis aux expressions dictiques. Ces recherches ont t continues et approfondies par les linguistes.

3. Dmarches descriptivesLes dictiques se caractrisent par une organisation gocentrique, c'est--dire ayant pour centr sur la personne qui prononce lnonc. Pour les divers types de dictiques, le centre dictique est constitu par les lments suivants: (i) la personne qui se trouve au centre du processus communicatif (le locuteur); (ii) le temps prpondrant: le moment dans lequel le locuteur prononce l'nonc; (iii) le lieu principal: la position spatiale du locuteur au moment de l'nonciation; (iv) le centre du discours: le point du discours dans lequel se trouve le locuteur quand il prononce son discours et (v) le centre social: le statut social et la situation sociale du locuteur par rapport auquel on dfinit le statut et le rang social des interlocuteurs ou les entits auxquelles on fait rfrence. Ce centre dictique est une sorte despace quatre dimensions, form des trois dimensions de l'espace (longueur, largeur, hauteur) auxquelles on ajoute le temps. Le locuteur occupe le centre de cet espace qui sorganise autour de lui dans des cercles concentriques qui individualisent les diverses zones de la proximit / distance par rapport au locuteur. On ajoute laxe temporel, axe du discours et axe du rang social relatif. Les expressions dictiques sont des expressions complexes, qui ne sont pas toujours employes comme dictiques. Comme nous avons vu, beaucoup de linguistes les appellent des indexicaux, pour dsigner toute la catgorie dlments qui sont parfois utiliss comme dictiques, parfois comme des non dictiques. Nous allons prsenter maintenant ces divers emplois. Emplois dictiques. Les linguistes ont individualis deux types d'emplois dictiques un emploi gestuel (appel aussi ostensif) et un emploi, symbolique. L'emploi gestuel implique un contact visuel entre les participants au processus de communication: (1) (Un expert dart, indiquant chaque fois un tableau): Celui-ci est authentique, mais celui-

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ci est faux. (Deux visiteurs dans le hall dun chteau, accueillis par deux personnes; le locuteur corrige son compagnon qui a pris le majordome pour le duc, en indiquant chaque fois un des deux): Ce n'est pas lui le Duc, le Duc c'est lui. Lui, cest le majordome.

Parfois le geste est vocal, dans le sens que le locuteur prononce avec force un des constituants de phrase: (3) Charles parle SI FORT. (4) Tu ne dois pousser maintenant, mais MAINTENANT! Le second type d'usage dictique est lemploi symbolique. Lemploi symbolique correspond la fonction fondamentale des dictiques: la capacit de rfrer au locuteur du pronom personnel je, la facult du pronom dmonstratif celui-l de dsigner un objet qui se trouve loin du locuteur, la tendance de ladverbe maintenant de prciser un intervalle temporelle contenant le moment o lon parle, etc. Chacun de ces emplois suppose la connaissance des paramtres fondamentaux du discours, en particulier des informations spatiotemporelles concernant l'vnement communicatif : (5) (6) (7) Cette ville est vraiment trs belle (Cette phrase implique la connaissance de la ville dans laquelle le locuteur se trouve au moment o il parle). Vous pouvez venir tous avec moi, si vous le voulez (On doit savoir quels sont les interlocuteurs). Cette anne nous ne pouvons pas nous permettre des vacances. (Le rcepteur devrait avoir les informations pouvoir identifier lanne dont on parle).

Les dictiques peuvent tre retrouvs avec les deux types demplois : dans les exemples qui suivent, dans a marque lusage gestuel (ostensif) et dans b, celui symbolique : Lopposition qui existe entre les divers emplois dictiques et non dictiques concerne parfois les mmes morphmes. Dans les exemples qui suivent a = emplois gestuels, b = emplois symboliques, c = emplois anaphoriques d = emplois non dictiques (Levinson 1983): (8) (9) (10) (11) (12) a. Toi, toi mais pas toi, suivez-moi ! b. Voici le plan de notre futur appartement. Qu'en penses-tu? a. Ce doigt me fait mal. b. Cette ville sent mauvais. a. Ne pousse pas maintenant, mais maintenant. b. Allons-y maintenant au lieu de demain. a. Ceci est mieux que cela, idiot. b. Buvez cela a. Dplacez-vous de l, l. b. All! Charles est l?

Les emplois non dictiques des lments indexicaux sont principalement des emplois anaphoriques, mais il existe aussi des emplois non anaphoriques. Lemploi est anaphorique quand lexpression individualise comme son rfrent une entit dj prsente dans le discours par un terme prcdent. Dans: (13) Charles embrassa Anne et elle sourit.

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le pronom elle est anaphorique, parce quil renvoie Anne, terme dj prsent dans le discours. Les emplois non dictiques et non anaphoriques ont t moins tudis, mais ils existent. Par exemple, lemploi du pronom tu appel gnrique, signifiant nimporte qui dans des phrases comme (14) Dans cette maison il y a toujours un vacarme d'enfer, tu ne peux pas te reposer.

Nous reprenons les exemples (8) (12) pour montrer des emplois non dictiques pour les indexicaux qui, dans a et b taient utiliss comme dictiques. Dans lments souligns dans c sont anaphoriques, tandis que dans les exemples de d les mots souligns sont non dictiques, non anaphoriques: (8) (9) (10) (11) (12) c. Jean, peux-tu venir ici ? Je veux te montrer quelque chose. d. Tu commences parler et il t'interrompt rgulirement. c. Rome, capitale de lItalie, est fameuse pour ses monuments millnaires. On appelle cette ville La Ville ternelle d. J'ai connu ce type trange il y a quelques jours. c. Cest dj midi et jusqu' maintenant Marie na pas tlphon. d. Maintenant, je ne voulais pas dire cela. c. Marie a trs bien dormi mais ceci n'empche pas quelle se sente encore fatigue. d. Dans ma vie j'ai toujours fait un peu de ceci et un peu de cela. c. Allez dans le jardin ! Cest l que votre pre vous attend. d. Allons l o tu veux.

Pour les emplois anaphoriques, il est facile de se rendre compte que, dans (8c) tu et te sont corfrentiels* avec Jean. Dans les autres cas nous avons les identits rfrentielles Rome = cette ville, midi = maintenant, le jardin = l. Quant aux emplois non dictiques et non anaphoriques, dans (8d) tu signifie nimporte qui, tant donc un tu gnrique. La phrase (9d) marque un tel emploi par exemple si elle se trouve au dbut dun texte narratif: le lecteur ne sait rien sur ce type trange (personnage qui sera prsent, ultrieurement, au cours du rcit), donc lemploi nest pas dictique, mais anaphorique non plus, puisque cest le dbut du texte. Quant lexemple (10d), ladverbe maintenant nest pas dictique (il ne renvoie pas au moment de lnonciation) ni anaphorique (il ne reprend pas une information temporelle dj prsente dans le texte). En tte de phrase maintenant est un marqueur de discours, il marque une pause pendant laquelle le locuteur considre une nouvelle possibilit. Dans (11d) ceci et cela signifie tantt une profession, tantt une autre, sans prciser de quelles professions le locuteur parle. Le lieu dsign par l dans (12d) est gnrique, on ne connat quune de ses proprits, celle dtre agrable linterlocuteur. Comme il arrive souvent en linguistique, ces distinctions entre les emplois dictiques et non dictiques ne sont pas hermtiques. On rencontre parfois un emploi anaphorique et dictique la fois. Dans la phrase (14) Je me suis coup un doigt: celui-ci.

le pronom celui-ci se rfre au substantif un doigt (emploi anaphorique), mais il doit tre accompagn de l'exhibition du doigt coup (emploi dictique gestuel). De mme, dans les exemples (15) Je suis n Londres et j'ai toujours vcu ici.

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Je suis n Londres et j'ai toujours vcu l.

les adverbes ici et l se rfrent au mme lieu que le terme Londres (emploi anaphorique); en mme temps ces deux adverbes ralisent une opposition de nature dictique, puisque la phrase (15) peut tre prononce seulement si les participants au discours se trouvent Londres. La phrase (16), en revanche, implique le fait que les participants l'acte dnonciation ne soient pas Londres (emploi dictique symbolique). On peut donc rsumer les divers empois des dictiques: 1. emplois dictiques: a. gestuel b. symbolique 2. non dictiques: c. non anaphorique d. anaphorique

4. Classes de dictiquesComme nous lavons montr dans lintroduction, il existe plusieurs classes de dictiques. Les plus importantes sont les dictiques de la personne, les dictiques temporelles et les dictiques spatiaux. Dans les dernires annes, on a commenc parler de deux autres types de dictiques, les dictiques textuels et les dictiques sociaux. Nous allons regarder de plus prs chacune de ces dictiques.

4. 1. Les dictiques de la personne Ces dictiques sont reflts dans la catgorie morphologique de la personne, qui grammaticalise les rles possibles des participants la communication: source de lnonc (locuteur), destinataire(s), auditeurs (spectateurs ou assistants). John Lyons (1968) a propos une description des pronoms personnels de type componentiel*, laide de quelques traits caractristiques: la Ire personne est marque par le trait (+P) qui exprime l'inclusion du locuteur, de celui qui parle; la II e personne est dtermine par l'inclusion de l'interlocuteur (+I) tandis que la IIIe personne est marque ngativement, par l'exclusion du locuteur et de l'allocutaire (-P, -I). Cette spcification ngative exprime le fait que la troisime personne soit compltement diffrente des deux premires, parce qu'elle n'exprime aucun rle spcifique de participation au processus de communication. Cressels (1995), insatisfait de la dfinition de la catgorie du pronom personnel4 propose une classification de ces formes morphologiques selon un point de vue pragmatique, savoir conformment leur rle nonciatif dans le discours. Cressels propose dabandonner les termes traditionnels de premire, deuxime et troisime personne et de les substituer avec les termes locutif (du substantif (une) locution, provenant du latin elocutio parole dans le sens de expression verbale de la pense) allocutif (du substantif (une) allocution du latin allocutio le fait de parler quelquun, discours) et dlocutif (de d- prfixe privatif et le latin loqui parler ). Il propose le terme interlocutif pour englober la fois locutif et allocutif, pour leur comportement particulier dans le discours. Cressels prsente le tableau4

Par exemple, Cressels trouve que le terme de pronom personnel est inadquat pour dcrire le fonctionnement dans la langue des pronoms il ou elle qui nont pas ncessairement comme rfrent une personne. Les pronoms dits de premire et de deuxime personne ont toujours pour rfrent une personne humaine, mais il difficile de les qualifier comme pronoms, parce que ces formes ne sont pas anaphoriques, donc elles ne sont pas de vrais pronoms (le mot pronom signifiant, justement unit qui est mise pour un nom.)

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suivant pour exprimer la correspondance entre les termes traditionnels et ceux quil propose de leur substituer : locutif interlocutif dlocutif allocutif premire personne deuxime personne troisime personne (Creissels 1995 :122)

On doit remarquer que, parfois, les pronoms personnels sont ambigus. Par exemple, en franais (1) est une phrase ambigu quant au nombre d'interlocuteurs, mais (2) est adresse un allocutaire unique: (1) (2) Vous parlez franais? Vous tes le professeur de franais?

On a constat que les pronoms interlocutifs, (surtout lallocutif) peuvent tre employs pour faire rfrence la personne (emploi rfrentiel) ou pour lappeler (emploi appellatif): (3) (4) Tu es arriv en retard (emploi rfrentiel). Toi, viens ici (emploi appellatif).

Si le contact entre les participants au discours nest pas face--face, on constate des modifications dans lemploi des pronoms. Par exemple, dans une ptition ou une dclaration, on peut remplacer les pronoms de la Ire personne par celui de la troisime personne. En franais et en roumain on peut choisir entre la premire et la troisime personne (le soussign dclare que vs. je soussign dclare que, subsemnatul... cer vs. subsemnatul... cere). Dans d'autres langues la substitution est obligatoire (par exemple en italien la troisime personne est obligatoire: il sottoscritto dichiara (IIIe personne) che... le soussign dclare que... ). Il y a des modifications dans la conversation tlphonique aussi. Normalement, la personne qui se prsente emploie le pronom je: (5) A: Qui tes-vous? B: Je suis Jean Dubois.

Cependant au tlphone on emploie souvent la troisime personne: (6) A: - All! B: - All! Cest Jean Dubois / Ici Jean Dubois. A: Bonjour, Monsieur Dubois.

Parfois mme dans le cas dune conversation face face on assiste une modification de lemploi des pronoms, normalement pour obtenir divers effets de sens. Le locuteur adopte le point de vue de la personne qui assiste la conversation: (7) (8) (Une mre qui dit au pre en prsence de l'enfant) Papa, le petit Charles peut manger une glace? (Une mre qui ne veut pas donner trop dimportance lattitude de son fils): On est fch? (au lieu de tu es fch)

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Parfois on fait une distinction entre le locuteur et la source ou entre l'interlocuteur et le destinataire: l'htesse de l'air qui dit: maintenant vous devez attacher vos ceintures n'est que le porte-parole du commandant; dans les crmonies religieuses le prtre sadresse non seulement aux interlocuteurs (la congrgation qui assiste la crmonie) mais aussi Dieu, qui est le vrai destinataire.

4. 2. Les dictiques temporels Les dictiques temporels, tout comme les dictiques spatiaux, ont des manifestations extrmement complexes, cause de linteraction des coordonnes dictiques avec les concepts non dictiques du temps et de lespace. Dans le cas du temps, nous avons disposition deux grands systmes: (i) un systme de mesures qui se rapporte un point fixe d'intrt comprenant le centre dictique (des expressions comme dans trois jours (qui rfre un jour x par rapport au jour y, quand le locuteur parle), la semaine passe (identifiant la semaine x par rapport la semaine y, quand le locuteur prononce la phrase), anne prochaine (qui dnote une anne x par rapport lanne quand le locuteur parle) ; tous ces syntagmes se rapportent au moment de lnonciation dans des phrases comme : (1) (2) (3) Jean finira son travail dans trois jours. Marie est arrive la semaine passe. Lanne prochaine Paul sera diplm.

(ii) le systme des calendriers* qui ordonnent les vnements par rapport une origine absolue. Le deuxime systme est ultrieur au premier. Les calendriers sont, en grande mesure, conventionnels. Particulirement important est le point de repre ou d'encrage, cest--dire l'anne qui constitue le moment initial, partir duquel commence le comptage (la naissance de Jsus, la fondation de Rome, lanne de la proclamation de la premire Rpublique Franaise, etc.). L'existence d'un point d'encrage reprsente la caractristique commune de la temporalit non linguistique (du calendrier), et de la temporalit linguistique, qui est en grande partie dictique. Pour les calendriers ce point d'encrage est diffrent pour les divers systmes d'organisation du temps. Pour le temps linguistique, le moment d'encrage est le moment o l'on parle. Les dictiques temporels rfrent la localisation temporelle du discours et, souvent, du positionnement temporel des vnements auxquels le discours renvoie. L'expression prototype pour ce type de dictiques est considre ladverbe maintenant qui peut tre interprt comme le moment dans lequel le locuteur prononce l'nonc et qui contient l'adverbe maintenant. Pour les dictiques temporels, il est important de distinguer le moment de lmission du message et le moment quand quelquun reoit ce message. Le moment o lon parle est appel temps de codification (TC): c'est le laps de temps au cours duquel lmetteur prononce, crit, enregistre, etc. son message. Le moment o le rcepteur reoit le message sappele temps de rception (TR). Les rapports temporels diffrents qui peuvent exister entre TC et TR conduisent aux situations suivantes: (a) dans la situation canonique d'nonciation (cest--dire quand il sagit dune communication face face), on assume que le TC concide avec le TR. John Lyons appelle cette situation simultanit dictique; (b) quand on sloigne de ce schma canonique, des difficults apparaissent: Fillmore a montr quil faut tablir si le centre dictique reste le locuteur et le TC, comme dans (4) ou si

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ce centre est projet sur le TR, comme dans (5): (4) (5) a. Ce programme est enregistr aujourd'hui, vendredi, le 10 avril, pour tre transmis jeudi prochain. b. Pendant que j'cris cette lettre, j'coute le Songe d'une nuit d't de Mendelssohn. a. Ce programme a t enregistr mercredi dernier, le 10 avril, pour tre transmis aujourd'hui. b. Pendant que j'crivais cette lettre, j'coutais le Songe d'une nuit d't de Mendelssohn.

4.2.1. Adverbes temporels dictiques Dans la langue on trouve des lments dictiques purs, fixant lintervalle de rfrence sans la contribution des mthodes non dictiques d'identification du temps. Les temps grammaticaux dictiques et les adverbes dictiques maintenant, alors, tout de suite, rcemment, etc. appartiennent cette catgorie. Ladverbe maintenant est interprt comme le laps de temps dtermin pragmatiquement qui comprend le TC. Dans cette dfinition, le laps de temps peut tre le moment associ la production du morphme, comme dans l'emploi gestuel (1) Appuie sur la dtente, maintenant! ou bien une priode, peut-tre trs longue (2) Maintenant je travaille ma thse de doctorat. Ladverbe maintenant sert dfinir un autre adverbe temporel, alors qui signifie "pas maintenant" vue quil peut servir exprimer tant le pass, que le futur. Pour cette raison on considre que l'adverbe alors est un lexme de nature anaphorique et qu'il n'a pas d'emploi dictique gestuel. Il existe peu dexceptions, comme lexemple du Nunberg 1978 d'un nonc prononc par une personne qui dit, tout en indiquant un Chevrolet de 1962: (3) J'tais trs jeune, alors. Pour certaines expression on constate une interaction des dictiques temporels avec le mesurage du temps, par exemple pour les adverbes aujourd'hui, hier, demain. Ces termes impliquent une division du temps dans des intervalles diurnes. Ces adverbes ont les dfinitions suivantes: aujourd'hui = "l'intervalle diurne qui inclut le TC", hier = "l'intervalle diurne qui prcde l'intervalle qui inclut le TC", etc. Ch. Fillmore a montr que ces adverbes ont deux types de rfrents: ils peuvent se rfrer dans son ensemble, (aujourd'hui c'est mercredi) ou a un point, une partie ( un sous-intervalle) de l'intervalle, (hier Charles a rencontr Anne dans la rue). Cette distinction est partiellement codifie en franais, par les oppositions an vs. anne, jour vs. journe, matin vs. matine, soir vs. soire : le premier terme de lopposition apparat souvent dans des phrases qui expriment un sous-intervalle, tandis que le deuxime terme est employ pour rfrer lintervalle dans son ensemble: (4) Jean sort souvent le soir. (5) Marie passe ses soires lire. Toute une srie dexpressions nominales illustrent cette opposition. Voici quelques exemples: (i) an: le jour, le premier de l'an (= le premier janvier) ; l'an 150 avant Jsus-Christ ; il gagne 10.000 euros par an ; elle a quarante ans anne ; anne budgtaire(= priode

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d'exercice d'un budget); anne sabbatique (= anne de cong accorde dans certains pays aux professeurs d'universit); il y a bien deux annes que je ne l'ai pas rencontr ; il doit une anne de loyer ; (ii) jour : en plein jour ; service de jour ; hpital de jour (= o les malades sont soigns pendant la journe, puis rentrent chez eux le soir) ; journe : journe de travail (= le travail effectu pendant la journe) ; journe continue (= o le travail n'est pas interrompu pour le repas, et qui se termine plus tt) ; la journe de huit heures ; tre pay la journe ; femme, homme de journe (= qui fait des travaux domestiques la journe); (iii) matin: (je lai rencontr) ce matin, vers 11 heures ; (il arrivera) le 23 mars au matin ; chaque jour au matin (il fait un heure de sport) ; tous les dimanches matin (elle assiste la messe) ; matine: (travailler) deux matines par semaine ; faire la grasse matine (= se lever tard) ; (ce cinma affiche) deux matines et une soire le dimanche (= spectacle qui a lieu dans laprs-midi); (iv) soir: la presse du soir (= qui apparat dans laprs-midi) ; le journal tlvis du soir ; tre du soir (= aimer se coucher tard, tre actif le soir); (il viendra) ce soir (= la soire d'aujourd'hui), venez dimanche soir, tous les samedis soir(s) (il sort pour danser); soire: les longues soires d'hiver ; passer ses soires lire ; les programmes tlviss de la soire ; donner une soire dansante ; une soire mondaine ; une soire littraire ; projeter un film en soire (= sance de spectacle qui se donne le soir, oppos matine). Les termes dictiques hier, aujourd'hui et demain, ainsi que les noms des jours de la semaine employe comme dictiques supposent un vidage prliminaire des rfrences temporelles selon le calendrier. (5) Jean est arriv jeudi le 5 mai et il part aujourd'hui / demain / il est parti hier.

La premire partie de la phrase tablit une rfrence temporelle selon le calendrier pour lvnement arriver; mais cette rfrence ninfluence pas celle de lvnement partir, qui a une rfrence temporelle dictique, rapport au moment de codification (le jour du TC, ou le jour qui prcde le jour du TC, ou le jour qui suit le jour du TC). Dans la phrase suivante le nom jeudi est employ comme dictique, car le moment de rfrence est le temps de codification (lvnement de se rencontrer aura lieu un jour qui suit le jour du TC): (6) Nous allons nous voir jeudi

Si cette phrase est prononce un jeudi, elle peut faire rfrence seulement au jeudi successif, autrement le locuteur aurait d dire aujourd'hui. Ces adverbes ont des correspondants non dictiques: dans un texte narratif, par exemple, aujourd'hui sera remplac par ce jour-l, hier par le jour prcdent, demain par le jour successif. 4.2.2. Syntagmes nominaux exprimant le temps L'interaction de l'identification selon le calendrier avec les dictiques temporels se manifeste aussi dans des syntagmes circonstanciels complexes. Ces adverbiaux sont forms d'un modificateur dictique du type dernier, prochain, ce... -ci et d'un substantif non dictique ou dun mot qui indique une division temporelle. Il sagit de syntagmes comme lundi dernier, l'anne prochaine ou cet aprs-midi. Leur interprtation dpend: (i) de la manire d'identification (dictique ou selon le calendrier) et (ii) de la distinction entre des units qui se

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comportent comme des noms communs (semaine(s), mois, anne(s)) et des units constitues de substantifs qui se comportent comme des noms propres (lundi dimanche, janvier... dcembre. Nous allons adopter en ce qui suit la terminologie de Fillmore: le terme de nom commun sera appliqu aux substantifs de type mois, semaine, anne tandis que le terme de nom propre sera rserv aux noms des jours de la semaine et les noms des mois de lanne. Fillmore a fait cette distinction parce quil a constat que les deux catgories de substantifs ont un comportement diffrent. Soit le mot anne, classifi par Fillmore comme un substantif commun. Le syntagme cette anne peut avoir deux lectures: (1) unit du calendrier qui commence le 1er janvier et qui finit le 1er janvier successif et qui inclut le TC (voir (7)) (2) une mesure de 365 jours qui commence le jour du TC. La phrase (7) (8) 2 000 a t proclam par Sa Saintet Jean Paul II anne sainte (lanne sainte a commenc le 1 janvier 2 000 et a finit le 31 dcembre 2 000) Jean, n le 15 aot, est maintenant dans sa dix-huitime anne. (chaque anne de lge de Jean commence le 15 aot et finit le 14 aot de lanne successive. Ici anne est une unit de mesure, de 365 jours).

Soit le syntagme ce X (X = semaine, mois, anne). En prsence dun dictique comme ladjectif dmonstratif, les noms communs rfrent l'unit X qui inclut TC. Le syntagme ce X sera ambigu entre une interprtation selon le calendrier et une interprtation de mesure. L'expression le / la X prochain(e) se rfre l'unit X qui suit une unit du mme niveau incluant le TC. Par exemple, le syntagme la semaine prochaine indique une semaine qui suit la semaine incluant le TC, similairement le mois prochain indique un mois qui suit le mois qui inclut le TC, etc. Le comportement des noms des jours de la semaine ou des mois de lanne est compltement diffrent dans un syntagme ce Y a un comportement diffrent sil sagit dun nom commun ou dun nom propre. Nous avons vu que, si Y est un substantif commun dsignant une subdivision du calendrier, lexpression ce Y signifie souvent "l'unit Y qui fait partie dun l'intervalle plus tendu Z et qui inclut TC". Par exemple, les syntagmes cette semaine, ce matin indiquent normalement la semaine en cours ou lunit diurne qui contient le TC. Cependant si Y est un nom propre (dans le sens de Fillmore), la signification change: ce mois d'aot ne signifie pas le mois dans lequel on se trouve mais le mois d'aot de l'anne qui contient le TC. Imaginons la situation suivante: Victor prononce la phrase (9) 7 heures, le 14 dcembre: (9) Ce matin, je dois aller chez mon dentiste.

Le locuteur, Victor, emploie le syntagme ce matin pour dsigner le matin (un intervalle temporel qui commence 6 h et qui finit midi) du 14 dcembre. Le locuteur peut utiliser lexpression ce matin tant au cours du matin (dans nimporte quel moment entre 7 h. et midi) que dans l'aprs-midi (disons, 17 h.) avec la rfrence au mme intervalle (la priode qui commence 6 h. du matin du jour 14 dcembre 2000 et qui finit 12 h. du mme jour), par exemple si, 18 h. Victor prononce la phrase (10) Ce matin, je suis all chez mon dentiste.

Fillmore 1975 a constat que ladjectif prochain employ avec les noms des jours de la semaine conduit une ambigut: jeudi prochain peut dsigner le jour de jeudi de la semaine qui suit la semaine dans laquelle se situe le TC ou le premier jeudi qui suit le TC. Pour le nom propre jeudi l'ambigut se manifeste surtout si on prononce le syntagme jeudi prochain un

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lundi ou un mardi. Supposons que le locuteur prononce un mercredi la phrase: (11) Jean arrivera Bucarest jeudi prochain.

Il est clair quil sagit du jeudi de la semaine suivante, autrement le locuteur aurait d dire: (12) Jean arrivera Bucarest demain.

La complexit du problme de la description correcte des expressions ci-dessus drive du fait que ces expressions se trouvent un carrefour form de: (i) les expressions dictiques, problme clairement linguistique; (ii) le systme d'identification du temps spcifique une certaine culture et (iii) emploi des paroles dictiques (problme qui se trouve plus ou moins mi-chemin entre les deux premiers). 4.2.3. Le temps grammatical Le temps grammatical est un autre lment important pour les dictiques temporels. Les morphmes temporels exprimant le temps grammatical assurent l'ancrage dictique de chacune des phrases nonces. Cet encrage consiste dans le fait de lier la phrase au contexte d'nonciation. Nous voulons remarquer en passant que les grammaires traditionnelles ont fait une confusion entre le temps et l'atemporalit: elles ont continu parler de la valeur temporelle de prsent, par exemple, pour des phrases du type: (13) (14) (15) Deux et deux font quatre. Le soleil se lve l'Est. Les lions mangent des gazelles.

C'est une erreur de parler de temporalit dans le cas des noncs (13) (15): on ne peut pas parler dans ce cas dnoncs au prsent, justement parce quils nexpriment pas une simultanit avec le TC, ni aucune autre valeur temporelle. Les phrases illustrent le soi-disant prsent ternel. 4.2.3.1. Temps dictiques (absolus) et temps anaphoriques (relatifs) Theo Janssen 1996 a remarqu des similitudes dans le fonctionnement dictique des temps verbaux et des dmonstratifs. Il dfinit ainsi les deux emplois: (a) Emploi dictique dun lment indexical Un lment indexical est employ comme dictique sil est , du point de vue rfrentiel, li linformation qui peut tre dduite du cadre de la situation de communication, situation cognitivement accessible un ensemble gnralement constant de locuteur(s) et dinterlocuter(s) Emploi anaphorique dun lment indexical Un lment indexical est employ comme anaphorique sil est du point de vue rfrentiel li une information qui peut tre identifie grce au cadre de rfrence du texte, cadre cognitivement accessible un ensemble gnralement constant de locuteur(s) et dinterlocuter(s) (Janssen 1995 : 80-81)

(b)

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La distinction entre les emplois dictiques et les emplois anaphoriques des lments indexicaux est parfois embrouille par de nombreux facteurs : pour lemploi dictique, le cadre gnral de communication est parfois constitu par ce que le locuteur a dit auparavant et souvent les noncs contiennent des indexicaux; pour lemploi anaphorique, la rfrence en question peut tre dtermine, si linformation du verbe est insuffisante, de la situation pour laquelle lnonc constitue une description adquate. Parfois lemploi dictique est trs clair, comme dans cette premire paragraphe de ltranger dAlbert Camus : (16) Aujourdhui maman est morte. Ou peut-tre hier, je ne sais pas. Jai reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments distingus. Cela ne veut dire rien. Ctait peut-tre hier.

Les mots crits en gros sont clairement dictiques. Mais que dire du pronom je de la troisime proposition (jai reu )? On pourrait le caractriser danaphorique, parce quil est corfrentiel avec le je de la proposition prcdente (je ne sais pas). Pourtant il est difficile de caractriser le pronom je comme anaphorique, et voici pourquoi : les vrais anaphoriques ne peuvent pas rfrer dans labsence de lantcdent. Transposons lexemple (16) la troisime personne : (17) Aujourdhui sa mre est morte. Ou peut-tre hier, Meursault ne sais pas. Il a reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments distingus. Cela ne veut dire rien. Ctait peut-tre hier.

Comparons les deux sujets du verbe recevoir: dans (17), il est anaphorique, il rfre Mersault, personnage prcdemment identifi dans le texte. Faisons un autre petit exprience : faisons commencer le texte avec cette phrase : (18) a. Jai reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments distingus. b. Il a reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments distingus.

Il est clair quil existe une diffrence. Dans (18a) le pronom je est parfaitement capable didentifier son rfrent (le locuteur de la situation) ; cette observation nest pas vraie pour le sujet du verbe recevoir dans (18b): en absence dun antcdent, il ne russit pas identifier. Pour cette raison, les linguistes ont des difficults considrer un lment dictique comme je dans un contexte comme celui de (16) comme anaphorique, parce quil existe la diffrence mise en lumire par la comparaison de (18a) et (18b). Nous avons le mme problme pour lemploi des temps. Examinons de nouveau (16). Le prsent est (morte), dont la rfrence est fixe par ladverbe aujourdhui, est, videmment, dictique (se rapportant au moment de codification). Mais comment considrer le prsent de je ne sais pas ? Il est corfrentiel avec le premier prsent, lintervalle de rfrence est toujours constitu par le jour dsign comme aujourdhui. Doit-on le considrer une forme anaphorique ?Refaisons lexprience prcdente, cette fois nous concentrant sur le temps. Transposons (16) au pass : (19) Ce jour-l maman tait morte. Ou peut-tre le jour auparavant, je ne savais pas. Javais reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments

distingus. Cela ne voulait dire rien. Ctait peut-tre le jour prcdent.

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Il est clair que le premier imparfait est non dictique, encr dans un pass non dfini par ladverbial ce jour-l et que tous les autres imparfaits de la phrase (savais, voulait, tait) sont corfrentiels et simultans avec lui. Ladverbial dancrage ce jour-l est interprt comme le jour o la narration commence. Imaginons ne nouveau un texte commenant avec une forme dictique (le prsent) ou anaphorique (limparfait). (20) a. Je ne sais pas si maman exactement quand maman est morte. Jai reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments distingus. b. Je ne savais pas exactement quand maman tait morte. Javais reu un tlgramme de lasile : Mre dcde. Enterrement demain. Sentiments distingus.

Il est clair que, en absence de toute ancrage temporel (reprsent normalement par un adverbial) (20b) ne russit pas identifier lintervalle temporel de la situation, tandis que le prsent de (20a) peut le faire, identifiant, dictiquement, un intervalle incluant le temps de codification.

Janssen parle dun dilemme dfinitionnel quand dlments dictiques qui corfrentiels avec dautres lments dictiques qui les prcdent dans le texte. Mais, vue la diffrence quon voit dans des exemples contenant des lments dictiques - (18a), 20a) - et des fragments de texte contenants des lments clairement anaphoriques - (20a), (20b) il semble enclin ne pas considrer ces indexicaux comme anaphoriques. Comme dautre indexicaux, les temps verbaux peuvent tre employs surtout comme dictiques ou particulirement comme anaphoriques. Nous nous limiterons prsenter ces emplois pour les temps de lindicatif, qui expriment une temporalit pure, sans la complication des valeurs modales du conditionnel et de limpratif, le problme du contrle pour le subjonctif ou les modes impersonnels, etc. Le prsent est considr comme le temps dictique archtypal. Sa dfinition mme nous le dit:La forme grammaticale prsent entretient une relation privilgie avec lpoque prsente (lactuel) qui est contemporaine de lacte dnonciation. Le point de rfrence de lvnement Rgine est dans sa chambre concide, sauf indication contraire, avec le moment de la parole. (Riegel et alii 1994 :298)

La valeur dictique du prsent (= simultanit avec le moment dnonciation) est la valeur fondamentale de cette forme verbale : (21) a. Je parle avec toi. b. Paul est en train de lire le roman La Guerre et la Paix de Lev Tolsto. c. Marie crit une lettre son fianc.

Dans tous ces noncs les verbes expriment la simultanit avec le moment dnonciation. Si le rcepteur ne connat pas ce moment, il ne peut pas identifier le moment o le locuteur parle, ou celui o Paul lit, ou quand Marie crit sa lettre. Dans le cas dune narration, le prsent a la capacit dexprimer une succession situations par un mcanisme dajournement, propre cette relation discursive. (22a) (a) Jean se lve, va la fentre, et ouvre les persiennes. (b) Le soleil brille. (c) Il ferme de nouveau les persiennes et retourne dans son lit. (d) Il nest pas prt affronter le jour. Il est trop dprim. Cette brve narration dcrit un enchanement dvnements, chaque vnement se situant dans un ordre prcis les uns par rapports aux autres. Soit t1 tn des intervalles temporels, e1 en

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un ensemble dvnements (prdications dynamiques), et s1 sn un ensemble dtats (prdications non dynamique, du type Marie est blonde ou La villa se trouve au pied de la colline); nous noterons avec ei ti ou si ti le fait que lvnement ei, respectivement ltat si se situe dans lintervalle ti. La notation t1 > t2 exprime le fait que lintervalle t1 est antrieur linervalle t2, tandis que le symbole sert noter le mcanisme dajournement de la temporalit. Le symbole n (le langlais now maintenant) symbolise le moment dnonciation. La narration de (22) pourrait tre reprsente sous la forme dune DRS (discourse representation structure = structure de reprsentation du discours) la manire de Kamp et Reyle (1993). (23)t1, e1, t2, e2, t3, e3, s1, t4, n, u nom(u, Jean) nom(v, soleil) t1 = n , e1 t1 e2 t2, t1 2 t e3 t3, t2 3 t t4 s1, t1> t2 > t3 t5 e1: lever(u) e2: aller__la_fentre(u) e3: ouvrir_les_persiennes(u) s1: briller(v)

Le diagramme montre dabord quau moins lancrage temporel est dictique (t1 = n) ; ensuite, grce au mcanisme de mise au jour, on sait que laction de saller le fentre suit laction de se lever; cet vnement est suivi par celui douvrir les persiennes ; quant lintervalle pendant lequel le soleil brille englobe (t4) englobe la squence t1> t2 > t3 (t1> t2 > t3 t5) (pour dautres dtails voir Costachescu 2004) Si la valeur caractristique du prsent est celle de la rfrence au moment de lnonciation, cela ne signifie pas que cest lunique valeur. Les grammairiens ont parl de lomnitemporel ou de prsent ternel dans des phrases comme deux et deux font quatre, la Terre autour du soleil, leau gle 0o Celsius, etc. Comme nous allons voir dans la section suivante, dans ce cas le prsent est dpourvu dune valeur temporelle, dans le sens quil nindique pas un rapport dantriorit, de postriorit ou de simultanit entre un point de rfrence temporelle (le moment dencrage). Deux autres valeurs du prsent, sa capacit dexprimer un futur proche ou un pass rcent (situations dans lesquelles il est gnralement accompagn par un complment de temps) sont toujours dictiques, parce que la non simultanit (lantriorit ou la postriorit) est exprime toujours par rapport au moment dnonciation: (24) a. Votre pre ? Je le quitte linstant b. Jarrive dans cinq minutes. (Grevisse 1988 :1288)

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Ici le prsent a la mme valeur dictique le pass rcent ou le futur proche, qui ont la mme signification, mme sans laide de ladverbial: (25) a. Votre pre ? Je viens de le quitter ( linstant). b. Je vais arriver (dans cinq minutes). (Grevisse 1988 :1288)

En revanche, le prsent historique ou narratif (= le prsent employ dans les rcits pour donner limpression que le fait, quoique pass, se produit au moment o lon parle) nest pas dictique. Voici comment Henri Perruchot emploie le prsent historique pour prsenter la naissance du grand peintre hollandais Vincent Van Gogh (1853-1890): (26) Maintenant, Anna-Cornlia attend un enfant. Sil sagit dun garon, il sera prnomm Vincent. Cest effectivement dun garon quelle accouche le 30 mars 1852. On lappelle Vincent, comme son grand-pre de Brda. [] Six semaines plus tard, hlas ! lenfant dcde. [] Le 30 mars 1853, exactement un an, jour par jour, aprs la naissance du petit Vincent Van Gogh, Anna-Cornlia a le bonheur daccoucher dun second fils. Ses vux sont exaucs. Lui aussi, cet enfant, en souvenir de son an, il sera prnomm Vincent [] Il sera Vincent Van Gogh. (Henri Perruchot La vie de Van Gogh)

Le prsent une valeur modale dans la phrase conditionnelle, ou il se trouve en corrlation avec le futur de la rgente: (27) Si vous venez la bibliothque demain 5 heures, vous rencontrerez Anne.

Le pass compos a deux valeurs essentielles : (i) du point de vue aspectuel il exprime laccompli, tant le corrlatif perfectif du prsent, mais il exprime parfois cette valeur aspectuelle par rapport un imparfait; (ii) du point de vue temporel, il exprime une antriorit par rapport un prsent. Si le pass compos se rapporte un prsent dictique, il est dictique aussi : (28) (29) (30) On sonne la porte et c'est certainement Janvier qui a fini de djeuner. (Simenon La Patience de Maigret) Prends ces livres, je les ai apports pour toi. Roberte et moi, raconte Milan, nous nous sommes rencontrs pour la premire fois, il y a juste quinze ans, dans la nuit du 9 au 10 septembre 1932 (Vailland, Les mauvais coups)

En tant que pendant perfectif du prsent, il peut exprimer, comme le prsent, un vnement ultrieur, prsent comme trs proche du moment dnonciation : (31) Attends moi, jai fini dans une minute.

Sil est rapport un pass le pass compos nest pas dictique : (32) (33) Le soir, Marie est venue me chercher et m'a demand si je voulais me marier avec elle. J'ai dit que cela m'tait gal et que nous pourrions le faire si elle le voulait. (Camus, Ltranger) Lorsque j'avais six ans j'ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Fort Vierge qui s'appelait Histoires Vcues. (Saint-Exupry Le Petit Prince)

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Il na pas de valeur dictique non plus quand il exprime lomnitemporel: (34) Hlas, on voit que en tout temps / Les petits ont pti des sottises des grands (La Fontaine apud Robert)

Aprs si conditionnel, le pass compos exprime un vnement futur hypothtique : (35) Si les lves nont pas trouv dans un quart dheure heure la solution ce problme, le professeur la leur expliquera.

Limparfait est considr par beaucoup de linguistes un temps anaphorique, vue sa dpendance rfrentielle, justement parce quil est dfini comme dnotant un procs situ hors de lactualit prsente du locuteur (Riegel et alii 1994 :305). Du point de vue aspectuel, limparfait exprime linaccompli, un procs dont on ne connat pas les limites : (36) Manuel, prsent, approchait de ses soixante ans et, depuis qu'il avait reu plusieurs balles de mitraillette alors qu'il baissait le volet du Clou Dor, il ne quittait plus sa petite voiture d'infirme. [] Maigret bourrait sa pipe, car c'tait toujours long. (Simenon La Patience de Maigret)

Liliane Tasmowski-De Ryck, (1985) a montr que le caractristique essentielle de limparfait consiste dans sa dpendance rfrentielle, dans le sens quune phrase limparfait demande tre lie un antcdent temporel. Cette caractristique a t releve par un nombre important de linguistes, entre autres par Riegel: Limparfait ne peut gure introduire lui seul un repre temporel nouveau, mais il sappuie gnralement sur un repre temporel install par un verbe antrieur ou une indication temporelle (en ce sens, il fonctionne comme un temps anaphorique) (Riegel et alii 1994 : 306)

Lantcdent dun imparfait est souvent un vnement mentionn avant : (37) midi, Paul entra dans la chambre. Assise dans son fauteuil prfr, Marie lisait un journal. Le pass simple de lvnement entrer_dans_la_chambre (e1 t1) offre lencrage temporel des deux noncs, en tablissant que lvnement a eu lieu dans un moment temporel antrieur au temps de codification (t1> n), intervalle mieux identifi encore par ladverbial midi. La rfrence temporelle exprime par limparfait du verbe lire (e2 t2) dpend de lencrage temporel prcdemment introduit, puisque limparfait identifie un intervalle quil met en rapport avec t1 , qui est plus long que t1 et qui le comprend : t1 t2. La relation anaphorique peut aussi sinstituer par rapport une situation non explicite. Molendijk (1996) propose lexemple suivant, inspir par Tasmowski-De Ryck (1985 :70) : (38) Quest-ce que cest que a? Oh, rien, ctait Pierre qui fermait la porte

dans lequel limparfait exprime la corfrence temporelle avec le moment o claque la porte. Molendijk (1996) montre que limparfait peut rfrer des situations temporellement prsupposes ou impliques :

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(39)

On congdia Jean. Cela ntonna personne. Il nexerait pas ses fonctions la satisfaction gnrale.

Dans (39), lantcdent temporel de la phrase limparfait nest pas un fait explicitement prsent dans sa gauche, mais une situation non explicite : Jean avait un certain emploi quelque part, fait impliqu par le verbe congdier. Voici un autre exemple du mme type : (40) Jean se remit en marche. Il avanait avec prcaution.

Ici la phrase limparfait exprime une simultanit avec Jean_tre_en_marche, information qui nest pas formule dans la phrase prcdente, mais seulement prsuppose. (Molendijk 1996: 307) Limparfait connat de nombreux autres emplois : on parle dun imparfait descriptif, normalement en corrlation avec un pass simple (41), dun imparfait narratif (42), dun imparfait dhabitude (43), limparfait de rupture, ayant la valeur dun futur (44) (41) (42) L'attaque de la premire ferme commena. C'tait un matin tranquille, avec des feuilles immobiles comme des pierres (Malraux, LEspoir) Il gravissait, aprs avoir salu les deux hommes en faction, le large escalier, pntrait dans son bureau dont il ouvrait la fentre, retirait son chapeau, son veston et, debout, contemplait la Seine et ses bateaux en bourrant lentement une pipe. (Simenon, La Patience de Maigret) Il billait vingt-quatre heures par jour. (Yourcenar - Luvre au noir) Une semaine plus tard Charles pousait Emma. (Flaubert apud Riegel)

(43) (44)

Les grammairiens parlent aussi le limparfait de limminence contrecarre (45) et de limparfait hypocoristique, utilis pour sadresser un enfant, un animal, etc. (46) : (45) (46) Encore une minute et le train draillait. Le petit Charles ntait pas sage ?

Tous ces emplois de limparfait sont anaphoriques. Nous ne parlerons pas des valeurs modales de limparfait (dans la subordonne introduite par si conditionnel, pour formuler une demande polie, etc.) Le pass simple apparat souvent en corrlation avec limparfait. Il sagit toujours dun tiroir anaphorique car il nest pas formellement mis en relation avec le moment dnonciation. la diffrence de limparfait le pass simple exprime la globalit, le perfectif. Comme nous avons vu, dans des exemples comme (37) - (41) quand il apparat au dbut du texte, le pass simple fournit le moment dencrage non dictique. Cest le tiroir quon rencontre le plus frquemment pour exprimer la progression narrative : le premier pass simple assure lencrage temporel, tous les autres tant anaphoriquement lis ce premier moment, par la relation de mise jour Il est facile de transposer le texte de (22) au pass simple : . (22b) Jean se leva, alla la fentre et ouvrit les persiennes. [Le soleil brillait.] Il ferma de nouveau les persiennes et retourna dans son lit. [Il ntait pas prt affronter le jour. Il tait trop dprim]. Le pass simple de aller est corfrentiel avec celui de se lever ; il est, donc, anaphorique, comme tous les autres formes au mme temps qui suivent. Voici un autre exemple du mme type :

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(47)

Une femme s'avana. []Elle fit des recommandations au capitaine [] Les pompiers, au nombre de six, escaladrent la grilles, cernrent la maison, grimpant de tous les cts. Mais peine l'un d'eux apparut-il sur le toit, que la foule, comme les enfants Guignol, se mit vocifrer, prvenir la victime. (Radiguet Le diable au corps)

Le plus que parfait est aussi un tiroir anaphorique, situant lvnement par rapport un autre repre du pass, explicite ou implicite. (48) On tait lundi, le lundi 7 juillet. Le samedi soir, ils s'taient rendus, en train, Meungsur-Loire, dans la petite maison qu'ils amnageaient depuis plusieurs annes pour le jour o Maigret serait forc par les rglements prendre sa retraite. (Simenon, La Patience de Maigret)

Il est clair que laction de se rendre Meung-sur-Loire est antrieure au repre exprim par limparfait descriptif de la premire phrase en association avec ladverbial (le lundi 7 juillet). Le plus que parfait connat toute une srie demplois temporels et modaux, qui correspondent, dans le registre du perfectif aux emplois de limparfait pour laspect imperfectif : un emploi hypothtique dans la subordonne introduite pas si conditionnel, avec une nuance dirralit (si jtais riche, je machterai une villa sur la Cte dAzur), affirmations attnues par politesse (jtais venu pour vous parler), le regret ou un reproche dans des phrases exclamatives (Oh, si javais mieux tudi ! Si Javais suivi tes conseils !), etc. Le futur exprime non seulement une valeur temporelle mais il a aussi une nuance modale, mme si avec le futur simple la charge hypothtique est minimale. En dbut de texte, quand il exprime un vnement postrieur au moment dnonciation, le futur est un tiroir dictique: (49) (50) Je partirai demain. Marie reviendra dans une heure.

En corrlation avec un temps du pass, il est anaphorique et lquivalent dun futur du pass (le conditionnel prsent) : (51) Jai appris que ce cinma fermera dans une semaine. (Riegel)

Il est toujours anaphorique quand il sagit du futur danticipation, ou de perspective, comme dans un exemple dj donn : (52) Le 30 mars 1853, [] Anna-Cornlia a le bonheur daccoucher dun second fils. [] Il sera Vincent Van Gogh. (Henri Perruchot La vie de Van Gogh)

Sans mentionner les diffrentes valeurs modales du futur simple (futur injonctif, futur de promesse, futur prdictif, futur dattnuation, futur dindignation, etc. v. Riegel et alii 1994 : 313-315), nous nous limitons indiquer que le futur antrieur exprime laspect accompli ou lantriorit dun futur simple. Avec un adverbial appropri, il peut tre dictique, mais cest un emploi assez rare : (53) Au XXII-e sicle, les hommes auront puis les ressources de la Terre. (Riegel)

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Nous avons constat que les temps dictiques par excellence sont le prsent, le pass compos et le futur, parce que ces tiroirs rfrent dhabitude par rapport au moment dnonciation (TC). En revanche, limparfait, le pass simple et le plus que parfait sont surtout des formes anaphoriques, leur point dencrage tant, normalement, un moment de pass. 4.2.3.2. L temps grammatical dans une approche logique Le logicien H. Reichenbach 1947 et ensuite A. N. Prior 1968 ont mis les bases dune logique formalise du temps. Cette logique temporelle a fourni aux linguistes les concepts essentiels pour analyser le temps au niveau conceptuel. Reinchenbach a montr que la description dun systme temporel doit se base sur trois lments: le tems de la parole (S, de langlais speech), le temps de lvnement (E) et le temps de la rfrence (R). Le systme logique temporel exprime antriorit, postriorit ou simultanit. Par exemple, les diffrences entre les phrases: (54) Paul a dit avant-hier (R) quil viendrait (E) hier. E R S (= prsent) ___________ __________ ____________ ______________Paul_dire Paul_venir

(55)

Paul a dit avant-hier (R) quil viendrait (E) aujourdhui. R E = S (= prsent) ___________ _____________ _________________________Paul_dire Paul_venir

(56)

Paul a dit avant-hier (R) quil viendrait (E) demain. R S (= prsent) E ___________ __________________ _____________ __Paul_dire Paul_venir

Pour toutes ces phrases, le verbe a dit dsigne le temps de rfrence, les diverses formes du verbe venir exprimant le temps de lvnement. Le temps de la parole, S, est postrieur R, puisqu'il sagit du pass compos, donc d'un temps du pass. Voyons maintenant quel est le rapport entre les trois temps S, R et E. Dans (54), Paul a parl dans un moment antrieur S, dun vnement (E) qui est postrieur R mais antrieur S. Disons que moi, locuteur, je dis aujourdhui, mercredi 3 dcembre 2004 (temps S) que Paul a dit lundi 1 dcembre (temps R) que Paul viendrait hier, mardi, 2 dcembre (temps E). Lordre est, donc, R E - S. L'exemple (55) exprime un autre rapport entre S et E: moi, locuteur, je prononce mon message mercredi 3 dcembre (temps S), message qui consiste dans laffirmation que Paul a dit lundi, 1 dcembre (temps R), quil viendrait aujourdhui, mercredi 3 dcembre (temps E). Donc lordre, cette fois ci, est R - (S = E). Dans le dernier exemple, (56), le locuteur prononce son message toujours mercredi 3 dcembre (S), en disant que Paul avait communiqu lundi, 1 dcembre (R) quil viendrait demain, jeudi 4 dcembre. Donc cette fois-ci lvnement est postrieur non seulement au temps de rfrence, mais aussi au temps quand le locuteur parle (R - S - E). Le systme temporel de Reichenbach a eu une grande influence sur les tudes dans le domaine de la smantique temporelle, surtout aprs 1970 (C. Vetters 1996: 27). Pourtant il reprsente un systme idal, conceptuel. Si ce type de conceptualisation tait ralis tel quel dans langues naturelles, alors toutes les langues naturelles auraient eu le mme systme temporel, ce qui, videmment, nest pas vrai. En plus, les morphmes du verbe expriment non

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seulement le temps, mais aussi laspect. Pour rendre compte de ces diffrences, Lyons 1977 a propos de faire une distinction entre la catgorie thorique du temps et les morphmes temporels dune langue particulire. Il a appel 'temps mtalinguistique*' ou temps-M cette catgorie thorique, tandis que les morphmes temporels d'une langue particulire, sont nomms 'temps de la langue' ou temps-L. Le temps-M peut tre interprt dictiquement et dans une manire strictement temporelle. Cette distinction permet, par exemple, de rsoudre le problme du soi-disant prsent ternel que nous dj avons mentionn. Soient les exemples: (57) (58) Deux et deux font quatre Le soleil se lve l'Est

Les deux phrases prsentent des temps-L, savoir les morphmes du prsent, parce que dans les langues indo-europennes il n'est pas possible d'avoir dans la phrase un verbe dpourvu de morphme temporel. Toutefois, les phrases (57) - (58) sont dpourvus de temps-M parce quelles nexpriment pas une relation temporelle cest--dire il ne rfrent ni une relation de simultanit, ni dantriorit, ni postriorit entre deux intervalle temporels. Les prsents de (57) - (58) ne sont pas dictiques non plus. parce qu'elles ne se rapportent pas au TC. Dans un mtalangage contenant la notion de temps-M nous pouvons spcifier facilement le pass (les vnements raliss avant le TC), le prsent (les vnements qui se trouvent dans un intervalle qui inclut le TC) et le futur (les vnements postrieurs au TC). Nous pouvons distinguer par la suite des points et des intervalles; puis nous pouvons faire les premires approximations des temps complexes, comme le plus que parfait, qui exprime des vnements qui prcdent d'autres vnements qui