Prag Mati Que

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 Pragmatique (linguistique)  Pour la doctrine philosophique, voir Pragmatisme.  Pour les articles homonymes, voir pragmatique (homonymie). La pragmatique est la branche de la linguistique qui s'intéresse aux éléments du langage dont la signification ne peut être comprise qu'en connaissant le contexte de leur emploi. Cet o bjectif est l'un des buts des études visant à mettre en évidence la cohérence propre du la ngage naturel. Introduction La pragmatique est née au xix e siècle aux États-Unis mais elle a commencé à se développer surtout après la Seconde Guerre mondiale. Dès le xixe siècle, plusieurs penseurs, s’appuyant sur le "scepticisme spéculatif", que produit souvent les prétentions à une connaissance "spéculative" valable de la réalité, ont soutenu l’idée que la pensée ne saurait jamais aller au- delà d’une connaissance pratique. Sur cette base, William James (1842-1910) a développé une doctrine qu’il a appelé pragmatique (du grec pragma « action »). Son ami Charles S. Peirce (1834 -1914) a, lui, employé le terme voisin de pragmaticisme, et il a mis l’accent sur l’activité sémiotique de l’homme, donc sur l’emploi des signes. Tout naturellement, sa réflexion a rencontré les signes linguistiques et leur emploi. Objet de la pragmatique linguistique La pragmatique s'intéresse ainsi d'un côté, aux phénomènes de dépendances contextuelles propres aux termes indexicaux, c'est-à-dire ceux qui, comme je, ici ou maintenant, ont leur référence déterminée par des paramètres liés au contexte d'énonciation (vo ir notamment les travaux du philosophe et logicien californien David Kaplan), ainsi qu'aux phénomènes de présupposition. D'un autre côté, elle vise aussi parfois à faire une théorie des inférences que l'on tire des énoncés linguistiques sur la base de no s connaissances générales sur le monde et d'hypothèses sur les intentions des locuteurs. Elle s'appuie en particulier sur la distinction introduite par le philosophe américain Paul Grice entre le sens pour le locuteur et le sens proprement linguistique des énoncés. En France, à peu près à la même époque, Oswald Ducrot (Dire et ne pas dire, 1972) développait des idées comparables. Dan Sperber, philosophe et anthropologue français, et Deirdre Wi lson, linguiste britannique, ont développé à partir de ces idées une théorie pragmatique générale, connue sous le nom de théorie de la pertinence. Les principaux travaux d'Oswald Ducrot portent d'une part sur la présupposition, c'est-à-dire sur le fait que certaines expressions linguistiques, pour être utilisées de manière appropriée, requièrent que les locuteurs partagent certaines croyances (par exemple, pour pouvoir comprendre de manière appropriée « Paul aussi est venu », il faut que l'ensemble des participants à la conversation partagent la croyance que quelqu'un d'autre que Paul est venu). D'autre part, Ducrot s'est intéressé à la façon do nt certains énoncés véhiculent, au-delà de leur signification littérale, certaines informations implicites. Toujours en France, la pragmatique est envisagée par d'autres théoriciens comme une science de la communication (Jacques Moeschler et Anne Reboul, La pragmatique aujourd'hui, 1998).

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pragmatique

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  • Pragmatique (linguistique)

    Pour la doctrine philosophique, voir Pragmatisme.

    Pour les articles homonymes, voir pragmatique (homonymie).

    La pragmatique est la branche de la linguistique qui s'intresse aux lments du langage dont la

    signification ne peut tre comprise qu'en connaissant le contexte de leur emploi. Cet objectif est l'un

    des buts des tudes visant mettre en vidence la cohrence propre du langage naturel.

    Introduction

    La pragmatique est ne au xixe sicle aux tats-Unis mais elle a commenc se dvelopper surtout

    aprs la Seconde Guerre mondiale. Ds le xixe sicle, plusieurs penseurs, sappuyant sur le

    "scepticisme spculatif", que produit souvent les prtentions une connaissance "spculative"

    valable de la ralit, ont soutenu lide que la pense ne saurait jamais aller au-del dune

    connaissance pratique. Sur cette base, William James (1842-1910) a dvelopp une doctrine quil a

    appel pragmatique (du grec pragma action ). Son ami Charles S. Peirce (1834-1914) a, lui,

    employ le terme voisin de pragmaticisme, et il a mis laccent sur lactivit smiotique de lhomme,

    donc sur lemploi des signes. Tout naturellement, sa rflexion a rencontr les signes linguistiques et

    leur emploi.

    Objet de la pragmatique linguistique

    La pragmatique s'intresse ainsi d'un ct, aux phnomnes de dpendances contextuelles propres

    aux termes indexicaux, c'est--dire ceux qui, comme je, ici ou maintenant, ont leur rfrence

    dtermine par des paramtres lis au contexte d'nonciation (voir notamment les travaux du

    philosophe et logicien californien David Kaplan), ainsi qu'aux phnomnes de prsupposition.

    D'un autre ct, elle vise aussi parfois faire une thorie des infrences que l'on tire des noncs

    linguistiques sur la base de nos connaissances gnrales sur le monde et d'hypothses sur les

    intentions des locuteurs. Elle s'appuie en particulier sur la distinction introduite par le philosophe

    amricain Paul Grice entre le sens pour le locuteur et le sens proprement linguistique des noncs.

    En France, peu prs la mme poque, Oswald Ducrot (Dire et ne pas dire, 1972) dveloppait des

    ides comparables. Dan Sperber, philosophe et anthropologue franais, et Deirdre Wilson, linguiste

    britannique, ont dvelopp partir de ces ides une thorie pragmatique gnrale, connue sous le

    nom de thorie de la pertinence.

    Les principaux travaux d'Oswald Ducrot portent d'une part sur la prsupposition, c'est--dire sur le

    fait que certaines expressions linguistiques, pour tre utilises de manire approprie, requirent

    que les locuteurs partagent certaines croyances (par exemple, pour pouvoir comprendre de manire

    approprie Paul aussi est venu , il faut que l'ensemble des participants la conversation

    partagent la croyance que quelqu'un d'autre que Paul est venu). D'autre part, Ducrot s'est intress

    la faon dont certains noncs vhiculent, au-del de leur signification littrale, certaines

    informations implicites. Toujours en France, la pragmatique est envisage par d'autres thoriciens

    comme une science de la communication (Jacques Moeschler et Anne Reboul, La pragmatique

    aujourd'hui, 1998).

  • Dans cette perspective largie, elle tudie l'usage du langage dans la communication et dans la

    connaissance. Largement tributaire du cognitivisme, la pragmatique largie considre les

    mcanismes infrentiels dans la connaissance, la construction des concepts, l'usage non littral du

    langage, l'intentionnalit dans l'argumentation, etc. C'est, par exemple, le cas de l'approche

    pragmatique en psychologie qui s'intresse l'tude des processus cognitifs et psychologiques en

    jeu dans les interactions langagires en partant du principe que la conversation, en tant que lieu

    naturel d'expression des comportements, constitue un cadre d'observation privilgi de l'intrication

    du cognitif et du social o l'on peut esprer observer certaines heuristiques cognitives spcifiques de

    la gestion des mcanismes de coopration. De mme, de plus en plus de chercheurs considrent

    dornavant que l'analyse conversationnelle, telle qu'elle est ralise par l'approche pragmatique en

    psychologie, est dterminante en matire de psychopathologie scientifique dans la mesure o elle

    contribue l'explication de certains processus mentaux, en partie infra-intentionnels, qui sont

    activs par les sujets communiquants.

    La pragmatique peut tre envisage de deux points de vue :

    Une pragmatique qui s'occupe de l'influence et des consquences du langage sur le contexte

    (extralinguistique) optique proche de celle d'Austin (comment modifier le monde en disant

    quelque chose / comment agir sur le monde en disant quelque chose)

    Une pragmatique qui s'occupe plutt de l'influence et des consquences du contexte sur le langage

    (dans quelle mesure ce qui est dit dpend des circonstances dans lesquelles cela est dit). Cette

    deuxime perspective permet galement de rendre compte de ce que l'on appelle la

    communication non verbale (distincte des comportements non verbaux (cf. Jean Corrase).[rf.

    ncessaire]

    Contexte et cotexte

    Deux notions sont distinguer en pragmatique : Le contexte et le cotexte (ou co-texte).

    Le contexte englobe tout ce qui est extrieur du langage et qui, pourtant, fait partie d'une situation

    d'nonciation. Dans le cadre du contexte, on englobe tous les lments comme le cadre spatio-

    temporel, l'ge, le sexe des/du locuteur(s), le moment d'nonciation, le statut social des

    nonciateurs etc. Nombre de ces marques contextuelles sont inscrites dans le discours, et font

    intgralement partie de la dixis. Ce sont, comme on les appelle, des dictiques. En tout, nous

    pouvons numrer cinq types de dictiques

    Dictiques personnels: ce sont des outils de grammaticalisation des marques de personne dans une

    situation d'nonciation correspondant aux participants. Nous pouvons placer dans cette catgorie

    les dictiques je , tu , nous , vous et on . Pour ce dernier, peu importe le fait qu'il

    n'est pas covalent avec un emploi de la troisime personne car il peut englober aussi bien des

    rfrents qui, en discours dfini , prendraient les marques de la premire et de la deuxime

    personne du pluriel et/ou du singulier.

    Dictiques temporels: ce sont des marqueurs de temps qui situent l'nonc par rapport au moment

    de l'nonciation. (Exemples : aujourd'hui , il y a trois jours , cet automne .)

  • Dictiques spatiaux : ce sont des marqueurs de lieu qui situent l'nonc par rapport au moment de

    l'nonciation. (Exemples : ici , l .)

    Dictiques discursifs : Quelques exemples : a, ci-dessus, ledit citoyen, cette histoire, par la

    prsente, dans le dveloppement subsquent, ce dont au sujet duquel j't'avons caus hier soir. 1

    Dictiques sociaux (en relation troite avec les dictiques de la personne): Quelques exemples :

    votre altesse, mon cher collgue, la grande bont dont votre excellence a su faire preuve en de

    semblables circonstances. 2

    Outre ces dictiques, on peut aussi citer les implicatures conversationnelles, lorsque la signification

    d'un nonc dpend de quelque chose qui est impliqu par le contexte (et non simplement

    prsuppos par l'nonc lui-mme).

    Littralement, cotexte signifie le texte autour d'un nonc. D'un point de vue cognitif et

    conversationnel, le cotexte peut tre dfini comme l'interprtation des noncs immdiatement

    prcdents, servant ainsi de prmisse la production d'un nonc donn. Les phnomnes

    cotextuels renvoient pour leur part aux liens des diffrents noncs entre eux (cohsion,

    anaphore...).

    Mthode de la pragmatique

    Le statut du sens

    La linguistique, tant une science empirique qui soccupe des faits fournis par lexprience, se

    dfinit par :

    la partie de la ralit quelle tudie, savoir le langage articul des tres humains ;

    les connaissances scientifiques quon a sur ce domaine

    les mthodes permettant de construire ces connaissances scientifiques, puis de les apprcier, cest-

    -dire de dceler leurs qualits et leurs insuffisances.

    On peut suivre Saussure, et bien dautres linguistes, quand ils disent que le langage comporte deux

    faces : lune constitue de sons ou de lettres, plus rarement de gestes (cas de la langue des signes

    pratique par les malentendants), et qualifie de "matrielle" parce quelle est perue par les

    organes sensoriels que sont loue et la vue (le toucher pour lalphabet Braille des non-voyants) ;

    lautre, la face smantique, qui sige dans lesprit (ou le cerveau) des usagers et qui nest pas

    "matriellement" communicable. Concrtement, tous les noncs, quils soient oraux, crits ou

    gestuels, relvent de la face matrielle , et seulement delle. Quand on dit quils ont un sens, on

    utilise le verbe avoir avec une valeur figure. En fait, les usagers leur attribuent un sens quils

    construisent chacun pour sa part dans son esprit. En consquence, dun individu lautre, les sens

    affects au mme nonc ne peuvent pas concider tous les coups, il arrive que le locuteur et

    lauditeur lui donnent des sens diffrents. Toutefois, alors que labsence complte de concidence

    entranerait limpossibilit complte de communiquer par le langage, cette communication, sans

    tre parfaite, existe incontestablement. Il demeure donc tout fait exact que les noncs sont faits

    pour le sens et visent lunit du sens, bien quils ne le contiennent pas "matriellement". Le sens

  • fait partie des phnomnes "psychologiques", ce qui implique que le domaine de la linguistique est,

    au moins pour une partie essentielle, commun la psychologie.

    Difficults de mthode en smantique

    Malheureusement, les phnomnes psychologiques ne sont pas, ou pas encore, directement

    accessibles aux disciplines scientifiques dans leur tat actuel. Les techniques dont elles disposent

    restent mal adaptes cet objet. Cest pourquoi le grand problme auquel se heurtent les linguistes

    est bien celui du sens, partie du langage dont traite la smantique. Les insuffisances que le linguiste

    amricain Leonard Bloomfield (1887-1949) et ses disciples ont releves dans cette discipline il y a

    plus de cinquante ans, nont toujours pas t limines.

    En smantique, on en est en effet rduit tenir un discours sur le sens, avec cette difficult

    supplmentaire, propre toutes les spcialits de la linguistique, que, ce faisant, on se sert du

    langage pour dcrire le langage. De fait, peu prs tous les exemples de lacte de langage

    constituent des expriences mentales , dites encore expriences imaginaires . Cela veut dire

    que nous fabriquons des noncs, que nous leur prtons des interprtations, que nous leur

    inventons des rponses pour confirmer ces interprtations. Cette faon de procder peut apparatre

    peu scientifique. En physique, o on ne peut se contenter dimaginer des expriences, mais o on

    doit les raliser laide dappareils, elle serait condamne sans appel, comme totalement dpourvue

    dobjectivit. Mais en linguistique, comme dans dautres sciences humaines, on ne peut jamais

    lviter compltement : laspect smantique des faits tant, pour linstant, inaccessible aux

    "procds d'objectivation et denregistrement", on est bien oblig de dcrire l'exprience

    verbalement ; ou alors il faudrait ne pas en tenir compte, ce qui amputerait, dune de ses parties

    majeures, le domaine tudi.

    La seule amlioration quon puisse exiger consisterait rechercher les noncs et leurs rponses

    dans la ralit, au lieu de les imaginer. Cest du reste une pratique courante dans certains secteurs

    de la linguistique, par exemple en sociolinguistique, o on se livre des enqutes et des

    enregistrements sur le terrain . Mais elle ne dispense pas ensuite des interprtations

    "subjectives". Dans le cadre prsent, son bnfice serait mince. Lexprience montre quil faut un

    norme travail pour collecter suffisamment de donnes, avec des rsultats qui ne sont pas toujours

    la mesure des efforts consentis. Aussi les pragmaticiens inventent-ils leurs exemples, ou bien les

    empruntent-ils leurs prdcesseurs. Les enqutes de terrain sont relgues plus tard, lorsque les

    expriences purement mentales sembleront avoir puis leur fcondit.

    Au total, le spcialiste prend comme appui sa propre comptence dusager du langage, son aptitude

    comprendre les noncs quil tudie. La seule autre garantie quil ait, cest lassentiment de ses

    lecteurs, surtout des autres spcialistes, sur les analyses quil propose. Mais eux aussi accordent ou

    refusent cet assentiment en fonction de leur sentiment linguistique dusagers. Au fond, on ne va

    pas au-del dune concidence de subjectivit. Telle est ce jour la condition du linguiste.

    Lillusion descriptive

    Le terme de smantique na pas plus dun sicle, mais presque de tout temps, on a fait de la

    smantique sans le savoir, chaque fois quon a privilgi ( vrai dire presque toujours, mais pour des

    raisons diverses), un des aspects du sens : le sens appel descriptif (ou encore constatif), cest--dire

  • le sens donn un nonc quand le locuteur a pour but de dcrire un tat de choses , une partie

    de la ralit. On savait bien qu une telle fonction du langage, appele souvent assertive, il fallait

    opposer le langage dit actif , mais celui-ci paraissait tout fait secondaire.

    Or, il arrive couramment que le sens ne soit pas, ou pas compltement, du type descriptif.

    Supposons lnonc : Son expos a la note 12. Si cest un tudiant qui parle dun camarade, il sagit

    bien dune description de la note attribue par un professeur lexpos. Mais si la phrase est incluse

    dans un roman, il ny a en ralit aucun expos et aucune note ; le monde quelle fait mine de

    dcrire est purement imaginaire, et ni lauteur ni les lecteurs ne sont dupes. Enfin si celui qui parle

    ainsi est un examinateur en train dapprcier lexpos dans un jury, il fixe la note du fait mme quil

    prononce la phrase. Rien pourtant dans la lettre de lnonc ne nous indique de quel sens il sagit ;

    cest lusager de le deviner.

    On voit quelle est la varit des sens possibles pour une mme phrase. Le sens descriptif est trs

    frquent, absolument essentiel, mais il ne bnficie daucune exclusivit. Croire quil est le seul, ou

    le seul important, cest tomber dans ce qui sappelle lillusion descriptive. Le langage nest pas

    seulement, comme on dit, vriconditionnel, cest--dire visant tre vrai en dcrivant la ralit

    telle quelle est ou telle quon croit quelle est. Il comporte dautres sortes de sens, auxquels la

    notion de vrit ne s'applique pas, il sert autre chose. Au lieu de se borner reproduire la ralit, il

    permet notamment dagir sur elle, et en premier lieu sur linterlocuteur (qui fait partie lui-mme de

    la ralit !).

    Le meneur de jeu dans le langage

    nonc et nonciation

    Parmi les linguistes franais, mile Benveniste (1902-1976) parat avoir t le premier relever

    systmatiquement dans ses articles des faits analogues ceux que dautres ont, la mme poque

    ou plus tard, rangs sous la rubrique pragmatique . On lui attribue tout du moins et avec raison,

    le mrite davoir clairement spar lnonc et lnonciation et d'avoir soulign lintrt dtudier

    cette dernire.

    Utilisons une mtaphore clairante : dans la fabrication des objets, on ne doit pas confondre la

    production, le produit, son utilisation, sans compter le(s) producteur(s) et le(s) utilisateur(s). De

    mme, propos du langage, il convient de distinguer lacte par lequel on produit un nonc,

    lnonc lui-mme ( matriel puisquon peut lenregistrer), lacte par lequel on le comprend, mais

    aussi lnonciateur qui le produit, le ou les destinataires qui le comprennent. La comparaison avec la

    fabrication des objets matriels sarrte l, car lactivit langagire comporte laffectation de sens

    dont nous avons parl et quoi rien ne correspond dans les domaines non smiotiques.

    La deixis

    Saussure avait dj propos un circuit de la parole et Roman Jakobson, bien plus rcemment, un

    schma de la communication linguistique. Ce dernier avait en outre soulign limportance

    dlments quon retrouve pratiquement dans tous les systmes linguistiques, quon peut donc tenir

    pour des universaux du langage et dont le fonctionnement smantique est insparable de la

    situation dnonciation. Il les a dnomms embrayeurs (en anglais shifters), terme auquel on

  • prfre souvent aujourdhui une appellation emprunte Peirce, celle de dictiques . Ainsi les

    pronoms personnels, objet dune tude souvent cite de Benveniste, sont ranger parmi les

    dictiques.

    Dictique est ladjectif correspondant deixis, qui signifie en grec l' action de montrer . Elle

    sapplique une famille doprations smantiques insparables de la situation o lnonc est

    produit, donc de lnonciation. Supposons quen rponse une invitation, jaccepte en prononant

    le trs court nonc : Jirai . On y trouve deux lments dictiques. Le plus apparent est le

    pronom personnel je (repris dailleurs par la dsinence verbale -ai, du fait que le verbe, en franais,

    saccorde avec son sujet). Pour savoir qui est dsign par je, pour identifier cette premire

    personne , il faut savoir qui prononce lnonc. Or ce renseignement est normalement fourni par la

    situation dnonciation : lauditeur entend et gnralement (mais pas dans lobscurit ni au

    tlphone !) voit la personne qui parle ; elle lui est ainsi montre par la situation, do le terme

    de deixis. Le dictique je invite donc lauditeur complter le sens en se reportant la situation.

    Pour comprendre, on a en effet besoin dune indication que les mots de lnonc ne fournissent pas.

    Quant au second dictique de lnonc, cest tout simplement le morphme de futur -r-. Par lui-

    mme, il veut dire que le procs signifi par le verbe aura lieu dans lavenir. Mais lavenir est une

    notion relative. Il suppose un moment donn aprs lequel il est situ. Quel est ce moment donn ?

    L encore, il est prcis par la situation dnonciation : il sagit du moment prsent , qui est

    linstant o lnonciateur est en train de parler. Mais nous y sommes tellement habitus que nous

    nen prenons plus conscience et que lavenir comme le prsent ou le pass nous paraissent des

    notions allant de soi.

    Quand la situation dnonciation nest pas connue, il faut, sinon renoncer tout fait aux dictiques,

    du moins les prciser par des renseignements objectifs, par exemple, dans un crit, en fournissant la

    date et en signant, de manire permettre au lecteur de localiser le prsent et didentifier la

    personne dsigne par je. Le contexte sert alors de situation, ce qui explique que certains dictiques,

    comme les dmonstratifs (ce, etc.), peuvent indiffremment servir montrer ce quon a sous les

    yeux dans la ralit ( O conduit cette route ? ) ou renvoyer des mots du contexte ( Jai eu un

    coup de tlphone de Pierre ; ce vieil ami ma donn de bonnes nouvelles ). Dans le second cas, on

    parle communment demploi anaphorique.

    Trs schmatiquement, on peut dire que tout locuteur, en prenant la parole, tablit un ensemble de

    trois coordonnes (ego - nunc - hic, dit-on avec des mots latins) lies la situation dnonciation et

    manifestes par les dictiques. Il fixe ainsi :

    un repre subjectif, la premire personne , le je (ego en latin), par rapport auquel se dterminent

    dune part la deuxime personne , cest--dire le destinataire de lnonc, donc tu (ou vous),

    dautre part le reste, ce ou ceux qui ne participent pas au dialogue, mais dont on parle, la troisime

    personne (la personne absente, disent les grammaires arabes) ;

    un repre temporel, le maintenant (nunc en latin), moment de lnonciation, soit un prsent avant

    et aprs lequel se situent respectivement le pass et lavenir ;

    un repre spatial, le ici (hic en latin), cest--dire lendroit o se trouve lnonciateur, ce qui permet

    de dfinir la proximit et lloignement.

  • Lnonciateur

    Ainsi stablit une sorte de hirarchie fonctionnelle, o lnonciateur bnficie sur le destinataire

    dun privilge trs net. Lnonciateur a en effet, au moins momentanment (tant quil a la parole),

    linitiative ; le destinataire ne peut quessayer de le suivre. Une analyse attentive fait dailleurs

    apparatre limportance qua dans le langage la subjectivit , cest--dire le rle qui revient au

    sujet parlant (o crivant) : non seulement, comme on vient de le voir, il occupe grammaticalement

    un rle central, mais encore cest lui qui inflchit le cours du dialogue, choisit ce qui est dit et la

    faon de le dire, peut donner ses jugement, pourtant personnels, comme des vidences, tend ou

    dtend latmosphre, etc. Cet avantage lautorise mme, quand il est court darguments valables,

    en invoquer un qui est au fond absurde, mais qui rvle bien une dominance provisoire : Puisque

    je te le dis On comprend que linterlocuteur ait intrt ne pas demeurer trop longtemps dans la

    condition dauditeur et prendre lui-mme son tour la parole. Celui qui reste trop souvent muet a

    vite conscience de son tat dinfriorit.

    Cependant, qui est je ? Cette question parat comporter une rponse vidente, mais ce nest pas le

    cas. Voyons en effet qui je peut dsigner en dehors du sujet parlant. On passera rapidement sur

    certains cas souvent voqus comme le discours rapport au style direct. Rapportant ou faisant

    comme sil rapportait les paroles dautrui, le locuteur peut rpter le je de cette tierce personne ; on

    a alors une citation ou mention, que lusage lcrit est de mettre entre guillemets (Il ma dit : Je

    viendrai , exemple o les deux pronoms de premire personne me et je ne visent pas le mme

    individu, mais o il et je ont mme rfrence). Moins connu et pourtant usuel est ce qu'on peut

    appeler le discours anticip , o le locuteur formule par avance les paroles que son auditeur doit

    prononcer. Ainsi un prsident de tribunal invitera en ces termes chaque tmoin prter serment :

    Dites : Je le jure . Il peut encore arriver quon sadresse un indiscret en lui disant De quoi je me

    mle ?, ce qui constitue une sorte dagression verbale, o l'on sempare illgitimement, sinon du moi

    dautrui, au moins du dictique le dsignant.

    En fait, je renvoie aussi lnonciateur et, malgr les apparences, ce terme dnonciateur, avec

    lequel le terme de locuteur (ou de scripteur) a lair de faire double emploi, ne dsigne pas toujours la

    mme personne que lui. Lnonciateur est le responsable du discours tenu, bien plutt que le sujet

    parlant ou crivant. Cest seulement dans la mesure o le plus souvent le responsable et le locuteur

    effectif sidentifient que cette double rfrence de je ne pose pas de problme. Dautre part, on

    devra viter la confusion entre la notion linguistique de sujet parlant , ou de subjectivit, et la

    notion philosophique ou psychologique de sujet , mme si, au moment de lapprentissage du

    langage, lassimilation du systme dictique contribue sans aucun doute la constitution du sujet

    psychologique.

    Il faut donc tre conscient des difficults que soulve la notion dnonciation. Il arrive, plus souvent

    quon ne pourrait le croire, que lnonciateur soit incertain ou mme multiple. Il est incertain, par

    exemple, quand le locuteur ou le scripteur nest manifestement quun porte-parole, mais quil nest

    pas prcis un porte parole de qui. Cest de plus en plus frquent dans le monde contemporain, o

    nous sommes assaillis de messages impratifs vhiculs par des machines, des haut-parleurs, des

    affiches sans que lautorit responsable soit nomme.

  • Il est multiple, auquel cas on parle de polyphonie chaque fois que, dans un nonc, la responsabilit

    de ce qui est dit incombe plusieurs instances. Ainsi le locuteur qui cite un proverbe lappui dune

    apprciation le prend son compte, mais en mme temps il rappelle que ce nest pas lui qui la

    invent, si bien que lopinion commune, la doxa, se trouve galement en cause : elle est ainsi

    associe au locuteur dans la responsabilit de lnonciation.

    Il faut donc prendre garde aux simplifications abusives, qui enfermeraient le fonctionnement

    langagier dans le cadre dictique troitement conu. Le langage est plus subtil, il permet dautres

    effets. Toutefois, ce sont des effets indirects, qui ne remettent pas en cause ce qui a t dit sur les

    bases de la deixis. De lexamen des dictiques et de la constatation de leur frquence, on pourra

    donc tirer la conclusion que les langues sont faites avant tout pour fonctionner en situation .

    Comme le langage est un jeu qui se joue normalement deux (ou davantage), la conversation face

    face, le dialogue, semble bien le plus typique de ses modes dutilisation. Il en autorise dautres,

    comme lcriture, le monologue, le discours unilatral, mais ils ne sont pas aussi fondamentaux et ils

    comportent, ne serait-ce que par le recours aux temps verbaux, eux-mmes dictiques comme on l'a

    vu, des lments dont lorigine est certainement chercher dans les emplois conversationnels. Cest

    pourquoi les pragmaticiens mettent volontiers laccent sur le langage ordinaire , celui de lusage

    quotidien.

    Les actes de langage

    Classification

    Austin, aprs avoir tudi les actes accomplis grce aux noncs performatifs , qui, dans le

    langage, lui paraissaient les plus dignes dintrt, sest aperu que le terme mme dacte tait

    extrmement extensible et il a propos une classification englobante. Il propose dappeler

    locutoires une premire srie dactes, ceux sans lesquels il ny aurait aucune mise en uvre du

    langage : par exemple concevoir des phrases, choisir des mots, les ordonner en phrases, leur

    attribuer du sens, les prononcer ou les crire, les entendre ou les lire, les comprendre, etc. Il sagit ici

    des formes multiples que prend lactivit langagire dans lorganisme humain (rappelons que nous

    avons accept de considrer comme organique ce qui est dordre psychologique aussi bien que ce

    qui est dordre musculaire ou sensoriel).

    La seconde catgorie est celle des actes illocutoires , cest--dire des actes contenus dans le

    langage. Avec le langage, on peut en effet accomplir une multitude dactions, si nombreuses que nul

    nen a tabli une liste complte : dcrire, interroger, rpondre, ordonner, juger, promettre, prter

    serment, certifier, parier, sexcuser, pardonner, condamner, fliciter, blmer, remercier, saluer,

    inviter, insulter, menacer, argumenter, conclure, avouer, prsenter une enqute, nommer un

    poste, etc. Les actes illocutoires vont donc bien au-del de la simple description du rel laquelle on

    sintressait classiquement. Dcrire nest quune des activits que permet le langage.

    La notion dacte illocutoire est assez proche de celle de sens, mais seulement condition que cette

    dernire ne soit pas troitement conue. Le sens doit englober non seulement ce quon appelle

    couramment, dun mot imag, le contenu , disons le sens des mots, mais aussi la force

    illocutoire de lnonc, autrement dit lacte ou les actes illocutoires que dans une nonciation

    donne , il sert accomplir. Car un mme nonc peut avoir des forces illocutoires diffrentes

    selon les nonciations .

  • Certains des actes voqus ici impliquent forcment le recours au langage, ils sont donc toujours

    illocutoires. Ainsi, il est difficile de promettre autrement quen se servant de mots. Au contraire,

    pour dautres, on a le choix : on peut saluer en disant Bonjour ou Salut , donc en

    accomplissant un acte illocutoire, mais, tout aussi bien, en faisant un geste (embrasser, serrer la

    main, retirer son chapeau) ou encore, en recourant la fois une formule et un geste (serrer la

    main et dire Bonjour ). Cette remarque corrobore la lgitimit du rapprochement quont effectu

    les pragmaticiens entre langage et action.

    La troisime et dernire catgorie vise les actes perlocutoires , tous ceux, en nombre

    indtermin, quon cherche ou quon peut chercher accomplir au moyen du langage : faire

    comprendre, persuader, consoler, instruire, tromper, intresser, impressionner, mettre en colre,

    calmer, faire peur, rassurer, se concilier, influencer, troubler, etc. Ici encore, certains des actes ne

    peuvent gure tre raliss que par la voie langagire, ainsi ceux de persuader ou dinstruire, alors

    que dautres peuvent sobtenir aussi bien ou mieux par dautres moyens, par exemple faire peur.

    Entre les actes illocutoires et les perlocutoires, la distinction est parfois assez dlicate. On serait

    tent de dfinir les premiers comme les actes de langage qui ne peuvent chouer, justement parce

    quils sont insparables du langage : si, selon une formule familire aux pragmaticiens, dire cest

    faire, il suffit davoir dit pour avoir fait. Ainsi la promesse est constitue ds quon a mis les paroles

    convenables (par exemple je promets) et il faut alors la distinguer de son excution : sera-t-elle

    tenue ou non, cest, en effet, une toute autre question. De mme un ordre est donn ds quon a dit

    jordonne, mme si, ensuite, il nest pas excut : ordonner, cest--dire exiger lobissance, est un

    acte illocutoire, tandis quobtenir cette obissance ne lest pas ; cest ou ce peut tre (car il existe

    pour lobtenir dautres moyens que le langage) un acte perlocutoire. Les actes perlocutoires, de leur

    ct, connaissent donc couramment lchec, comme la plupart des autres activits humaines.

    Malheureusement, ce critre un peu simpliste ne fonctionne pas toujours. De nombreux actes

    illocutoires ne peuvent tre valablement accomplis que par des personnes qualifies et places dans

    une situation bien dtermine et pas par nimporte qui, ni dans nimporte quelle circonstance. Ils

    sont alors on dit en pragmatique soumis des conditions de russite. (en anglais felicity ).

    Voici des exemples. Dcrter fait partie des actes illocutoires : un dcret se prsente sous la forme

    dun document crit. Mais seuls sont en tat de dcrter des gens investis dune autorit

    particulire, prsident de la Rpublique ou ministres. Et encore faut-il quils se mettent dans les

    conditions de validit requises : ainsi certains dcrets prsidentiels ne sont-ils valables que

    contresigns par le Premier ministre. De mme une nomination (M. Untel est nomm directeur de

    tel service) ne peut tre faite que par une personne qui en a le pouvoir. De nombreux actes

    illocutoires mais pas tous dpendent donc dun cadre juridico-social appropri.

    Largumentation

    On peut sans doute ranger parmi les actes illocutoires largumentation , que les travaux dOswald

    Ducrot et Jean-Claude Anscombre ont mise en relief. Selon eux, cest, au moins autant que la

    description, une des fonctions essentielles du langage. Elle consiste appuyer un certain nombre

    dautres qui vont dans le mme sens. Les destinataires, en effet, ne sont pas disposs admettre le

    contenu de nimporte quel nonc, ils attendent souvent des justifications avant daccorder leur

    adhsion. En dpit de ladage Qui ne dit mot consent , les locuteurs savent fort bien que le silence

  • des auditeurs peut tre lourd de scepticisme. Autrement dit, il faut les persuader, acte perlocutoire

    comme nous lavons dit. Sa russite est suspendue lefficacit de largumentation prsente. Par

    exemple, on nacceptera un jugement tel que Pierre est un honnte garon, sauf si cest une opinion

    trs gnralement reue et donc incluse dans la comptence encyclopdique des gens ( lexception

    de lintress !), que si lauteur du jugement peut citer des faits o Pierre a montr la qualit quon

    lui prte ainsi.

    Ducrot et Anscombre ont tabli quon pouvait difficilement dfinir certains lments linguistiques

    sans faire entrer en compte leurs orientations argumentatives . Soit lnonc Pierre est riche,

    mais honnte. Pourquoi mais, tant donn que cette conjonction semble indiquer une opposition

    (aussi lappelle-t-on communment adversaire qui soppose ) alors que la richesse, situation de

    fait, et lhonntet, vertu morale, ne sont pas sur le mme plan ? Lexplication serait que mais

    indique une inversion dorientation argumentative. tre riche est, dans lopinion gnrale, une

    prsomption en faveur de la malhonntet : lorigine dune fortune est a priori suspecte. Ici, la

    conclusion soutenue, Il est honnte, ne dcoule pas, bien au contraire, de largument

    prcdemment donn, qui apparatra alors comme une sorte de concession faite la ralit. On

    aura donc sans doute besoin dautres arguments, ceux-l positifs, pour la rendre acceptable.

    La performativit

    John Langshaw Austin avait prt une attention particulire un certain type dnonc quil avait

    qualifi de performatif (de langlais to perform = faire, accomplir). La diffrence entre les

    noncs performatifs, comme Viens ici ! ou Je promets de venir et les autres, dits constatifs

    , comme On ma tlphon sur cette question , tient ce quon a appel depuis la direction

    dajustement . Les noncs constatifs ont pour but de dcrire le rel, donc de sajuster lui ; le rel

    reste, aprs lmission de lnonc, ce quil tait auparavant. Au contraire, les noncs performatifs,

    agissant sur lui, le modifient : aprs un nonc performatif, le rel nest plus tout fait ce quil tait

    auparavant ; cette fois-ci, cest donc le rel qui sajuste lnonc : dans les exemples qui viennent

    dtre proposes, il comporte dsormais la promesse ou lordre cr par voie verbale.

    Paradoxalement, Austin a ensuite renonc isoler la catgorie des noncs performatifs. En effet,

    la rflexion, ses limites peuvent paratre incertaines. Par exemple, lnonc constatif On vous

    appelle au tlphone ne fait, en apparence, que dcrire une situation. Mais en fait, il modifie la

    ralit. Grce lui, on est pass dun monde o le destinataire ntait pas prvenu de lappel

    tlphonique un monde o il lest. Sur un point, lnonc, visant reprsenter le rel, sajuste lui

    ; sur un autre, cest linverse, puisquil a pour effet denrichir les connaissances du destinataire.

    Lnonc, tout en restant constatif, a donc un aspect performatif. Lnonciation dune seule et

    mme phrase fait alors dune pierre deux coups : elle dcrit et elle informe , actes qui

    appartiennent des catgories diffrentes. Il faut retenir que trs couramment une nonciation

    unique a ainsi des effets multiples , sa force illocutoire est complexe.

    Malgr les scrupules dAustin, les pragmaticiens ont pourtant conserv ltiquette de performatif. Ils

    appliquent des noncs, des nonciations, des verbes, etc., quoique dune faon qui nest pas

    toujours dune parfaite cohrence. Tantt performatif signifie qui ralise effectivement tel acte par

    voie verbale (il vaudrait mieux dire performant ), tantt il signifie qui est susceptible de raliser

    lacte par voie verbale . Car, comme on le voit sur des exemples, un mme nonc peut raliser ou

  • ne pas raliser lacte. Ds lors il est ou il nest pas performant, cela dpend de lnonciation. Quand

    a va rpond une interrogation sur ltat de sant de linterlocuteur, cest une simple

    information, et on ne parlera pas dans ce cas dnonc performatif ; quand il rpond Je mexcuse

    , il constitue le pardon sollicit, on le classera donc parmi les noncs performatifs.

    On peut, par exemple, inviter quelquun aller au cinma en lui disant : Viens au cinma avec moi

    . Cest un nonc performatif (et mme performant), grce auquel on fait (acte !) linvitation.

    Lemploi de limpratif, mode qui exprime lordre (latin impero : jordonne ) ou, plus

    exactement, lincitation, amicale (comme ici) ou contraignante, est alors responsable du caractre

    performatif revtu par lnonciation. Mais le mme effet peut tre obtenu laide dun nonc tout

    diffrent : Je tinvite aller au cinma . Lnonc est performatif, comme le prcdent, et en

    outre il inclut un verbe performatif (susceptible de performer), le verbe inviter .

    Sont classs dans la catgorie des verbes performatifs tous les verbes dsignant un acte performatif,

    mais qui, en mme temps, peuvent servir laccomplir, la condition expresse dtre la premire

    personne sils ont la forme active ( Il tinvite aller au cinma nest pas un nonc performatif ;

    tout au plus peut-il servir transmettre linvitation dautrui) ou davoir la forme passive (dire Cest

    promis est une faon courante de promettre). Curieusement, les verbes dsignant un acte

    performatif ne sont pas tous des verbes performatifs : on ninsulte pas quelquun en lui disant Je

    tinsulte , mais en employant des injures.

    Quand il utilise un verbe performatif dans un nonc tel que Je tinvite aller au cinma ,

    lnonciateur dcrit sa propre action, puisque le mode utilis est lindicatif, ainsi dnomm parce

    quil sert fournir des indications sur ce qui se passe. Mais cette action consiste justement dire

    Je tinvite aller au cinma . On dit ce quon fait, mais on le fait en le disant, ce qui semble

    paradoxal. Les logiciens se mfient de ce type de formules qui dcrivent leur propre emploi, qui sont

    disent-ils rflexives , car ils dmontrent quelles peuvent aboutir des paradoxes , cest--

    dire des contradictions internes. Malgr le risque, les langues naturelles nhsitent pas en faire

    usage et sen portent fort bien. Elles fonctionnent efficacement, mais selon des mcanismes qui,

    comme la soulign Ludwig Wittgenstein, ne sont pas toujours ceux de la logique. Il nappartient

    donc pas aux logiciens de les rgenter.

    Pour accepter linvitation daller au cinma, lusager rcepteur a, sa disposition, bien des manires

    de dire (les langues sont trs riches !). Il peut dire Jaccepte , en faisant usage dun verbe

    performatif, mais il peut aussi bien utiliser lnonc : Jirai . Au premier abord, ce second nonc a

    simplement lair de dcrire une action future, et cette interprtation serait suffisante sil sagissait de

    rpondre la question : As-tu lintention daller demain au cinma ? On relve au passage que

    dcrire nest, pas plus qu' insulter , un verbe performatif, et, qu'habituellement, un nonc

    descriptif ne signale pas quil dcrit. Cest au destinataire den prendre conscience ; comme on l'a vu,

    une partie du sens attribu aux noncs ne correspond aucun mot ou aucune expression

    explicite. Et dans le cas prsent, o il sagit de rpondre une invitation, lauditeur comprendra que

    le second nonciateur accepte sans que rien le dise explicitement.

  • Classement des noncs performatifs

    Parmi les noncs performatifs (cest--dire, sinon performants, tout le moins susceptibles de

    ltre), on peut distinguer :

    les noncs performativit lexicalement dnomme : donc ceux qui comprennent un

    verbe performatif (type Jaccepte ) ou, mais bien plus rarement, du moins en franais, un

    mot dune autre classe dsignant lacte accompli (par exemple Rectification ! pour

    indiquer quon modifie ce quon vient de dire) ;

    les noncs performativit indique autrement : cette indication peut consister en un

    procd grammatical, ainsi lusage du mode impratif pour inciter lauditeur faire telle ou

    telle chose, de la tournure interrogative utilise pour poser une question ; mais il existe aussi

    des interjections spcialises : chut ! demande le silence, halte ! constitue une

    injonction pour sarrter, bis peut inviter donner une nouvelle excution dun morceau

    de musique ou dun spectacle, etc.

    les noncs performativit non exprime : ils sont de types trs varis, allant des

    noncs dclaratifs comme Jirai examin plus haut jusqu des formules toutes faites (

    Pardon , pour demander pardon ; Faute ! au tennis pour signaler quon juge quune

    faute a t commise, etc.), en passant par les fausses interrogations comme Pouvez-vous

    me passer le sel ? o il sagit en ralit dune requte : linterlocuteur est sollicit de passer

    le sel. Ici ! peut indiffremment tre une rponse une question, donc descriptif, une

    exclamation ou un ordre dune nergique brivet lintonation pouvant marquer la

    diffrence.

    Dans la premire de ces trois catgories, on ne trouve que des noncs qui ne sont pas toujours

    performants, mme sils le sont en gnral. Tout dpend alors de lnonciation, du contexte verbal

    ( cotexte ) o elle intervient, de la situation concrte o se trouvent les interlocuteurs. De tels

    noncs sont en effet de forme dclarative, donc apparemment descriptifs, et ils peuvent, dans un

    contexte appropri, ne revtir que cette fonction.

    Dans la troisime, le caractre performatif devrait tre foncirement pisodique, si bien que

    dautres interprtations restent possibles. En fait, dans certaines tournures, il est si frquent quil en

    devient conventionnel. Il en est dailleurs qui, prises la lettre, recevraient difficilement un sens

    raisonnable. Ainsi une simple rponse verbale, par oui ou non , la question Pouvez-vous

    me passer le sel ? , aurait toute chance de paraitre absurde, en dehors de circonstances tout fait

    exceptionnelles. Cela montre bien quil ne sagit pas dune vraie question. La force illocutoire est

    autre.

    Seule la seconde catgorie ne comporte en principe que des noncs constamment performants.

    Cest pourtant elle que la pragmatique sest le moins intresse, sans doute parce que ce domaine

    lui semblait prsenter moins de difficult : les mthodes plus traditionnelles pouvaient sy appliquer.

    Le sens implicite

    Les composants du sens

  • Comme on l'a vu, l'nonciateur a le privilge de choisir les noncs quil va utiliser et den

    dterminer le sens. Mais il a aussi se faire comprendre. Sous peine de violer les rgles du jeu

    langagier, qui stipulent que la tche du destinataire ne consiste pas rsoudre au hasard des

    devinettes, il lui revient de sassurer que son partenaire a les moyens de reconstituer le sens. Avant

    d'examiner quels sont ces moyens, il faut revenir sur les diffrents composants de ce quest le sens

    (conu dans une acception trs large) :

    le sens conventionnel des mots, dcrit dans les dictionnaires, relve de la smantique

    classique, de mme que la combinatoire permettant dattribuer la phase un sens global

    partir de celui des mots.

    les problmes poss par la rfrence, autrement dit la question des rapports entre les

    noncs et leurs lments dune part, les constituants de la ralit dautre part, sont loin

    dtre compltement claircis ; ils paraissent peu prs du mme ordre pour tous les

    noncs, performatifs ou non. Il faut cependant souligner que les noncs performatifs,

    dans la mesure o ils voquent non seulement la ralit ou les reprsentations que nous en

    avons, mais encore soit du purement imaginaire, soit ce quon voudrait voir se produire,

    contribuent aux difficults de la smantique.

    il faut distinguer le sens pos, qui est peu prs le sens conventionnel, le contenu des mots,

    du sens prsuppos ; le critre tant quen gnral, et contrairement au sens pos, les

    prsupposs ne sont pas modifis quand lnonc prend une forme ngative ou

    interrogative. cette paire, on avait ajout limplicite, ou en un terme plus imag, le non-

    dit . (La terminologie ntant gure fixe, on parle aussi, par exemple, de sous-entendus

    ou d' infrences , les dfinitions et les usages pouvant varier sensiblement).

    il y a lieu galement de prendre en compte la force illocutoire, alors quelle nest pas

    toujours, loin de l, signifie expressment par un mot ou une expression.

    Le sens

    Dune faon gnrale, on saperoit que les destinataires tirent des noncs plus d'information quil

    nen figure explicitement dans les mots. Si je lis sur la porte dune picerie un criteau Ouvert le

    dimanche , je considrerai quil signifie Ouvert mme le dimanche , donc le dimanche, mais

    aussi les autres jours. linverse, sur un bureau administratif linscription Ouvert du lundi au

    vendredi , apparemment parallle la prcdente, donnera lieu une interprtation diffrente,

    comme sil y avait Ouvert seulement du lundi au vendredi , donc pas le samedi ni le dimanche. De

    tels exemples regardent le contenu de lnonc. Mais dautres, dj donns, concernent dans

    lnonciation lacte de langage effectu en utilisant lnonc, sa force illocutoire. Il est apparu que le

    mme nonc Son expos a la note 12 pouvait tre compris diffremment, comme une

    constatation, comme une invention ou encore comme une notation. De mme, selon les

    circonstances, a va sert donner des nouvelles ou pardonner. Autre exemple : Il pleut

    peut constituer un renseignement dsintress sur le temps quil fait, mais aussi un argument pour

    ne pas sortir, ou encore un avertissement davoir se munir dun parapluie.

    De mme, en remarquant que La poubelle est pleine , ce qui, dans la forme, semble tre une

    simple constatation, on peut accomplir bien des actes annexes : solliciter lauditeur de vider la

    poubelle, lui reprocher de ne pas lavoir fait temps, se plaindre dune grve des boueurs et de ses

    consquences fcheuses, etc. Rien dexplicite ne signale ces actes, et pourtant le destinataire en a

  • bien conscience, comme le montrera la diversit de ses ractions. Sil prend lnonc pour une

    requte davoir vider la poubelle, il pourra rtorquer : Ce nest pas mon tour de la vider . Sil le

    considre comme une accusation de retard, on aura une rponse telle que : Jai oubli de la vider

    , interprter comme une excuse. Enfin, sil y voit une allusion la grve des boueurs, cette faon

    de comprendre se manifestera ventuellement par : Jai entendu dire que la grve va se terminer

    . Or, la plupart du temps, de telles ractions ne surprendront pas lauteur de lnonc initial. Cela

    montre bien quil prvoyait la faon dont son nonciation serait reue.

    De tels exemples se prsentent de prime abord comme des constatations, mais le sens quils

    peuvent revtir dborde largement la description pure. Cependant quen est-il de la description elle-

    mme ? Elle recourt, a-t-il t dit, au mode indicatif. Or, bien des linguistes, tel Andr Martinet, ont

    remarqu que, dans la plupart des langues, il ny a pas de marque dindicatif, alors que les modes

    non-indicatifs, par exemple le subjonctif, en comportent en gnral une : en franais, le subjonctif

    peut se caractriser par un suffixe -i- (chant-i-ons), un radical caractristique (fasse oppos fais ou

    fait), parfois les deux (fass-i-ons). On peut, soit considrer que lindicatif a une marque zro, soit y

    voir un non-mode, la forme fondamentale du verbe, sans spcification modale. Selon cette dernire

    interprtation, lacte de description lui-mme relverait du non-dit dans la plupart des cas. [rf.

    ncessaire]

    Le calcul interprtatif du sens

    Comment les destinataires parviennent-ils tablir le sens dune nonciation quand ce sens est ainsi

    laboutissement dune drivation , cest--dire quand il nest pas li au signifiant par un rapport

    immdiat stock dans la mmoire, mais rsulte dune sorte de raisonnement, gnralement

    automatique et inconscient ? On considre que pour faire ce raisonnement, parfois appel calcul

    interprtatif , ils utilisent, outre lnonc lui-mme, diverses sources dinformation et se

    conforment diverses rgles.

    Une conception assez rpandue aujourd'hui envisage lesprit comme un ensemble de systmes

    souvent appels, dun terme traditionnel, facults (conception modulaire de lesprit-cerveau).

    Tout usager du langage possderait ainsi diverses comptences, tant un ensemble organis de

    connaissances et de mcanismes psychologiques. Ainsi distingue-t-on :

    la comptence linguistique ;

    la comptence encyclopdique ;

    la comptence logique ;

    la comptence rhtorico-pragmatique.

    Par comptence linguistique, on entend la maitrise dune langue, de sa prononciation, de son

    lexique, de sa syntaxe, etc. ; par comptence logique, laptitude raisonner de manire logique,

    dduire, apercevoir les tenants et les aboutissants dune ide, relier les ides entre elles, etc. ;

    par comptence encyclopdique, les connaissances dordre vari portant sur linfinie diversit des

    sujets dont une langue permet de parler (tant donn quil est peu prs impossible de comprendre

    un nonc, aussi clair soit-il, sur un sujet dont on ignore peu prs tout) ; par comptence rhetorico-

    pragmatique, les mcanismes dont il va maintenant tre question. On peut ranger sous la rubrique

    comptence de communication lensemble de ces diverses comptences, mais il faut tre

    conscient quune appellation aussi gnrale englobe aussi les moyens non linguistiques de

  • communication. Les comptences varient bien entendu dun individu lautre : ainsi la comptence

    logique dun mathmaticien sera-t-elle vraisemblablement plus tendue que celle du commun des

    mortels.

    Reprenons lexemple de La poubelle est pleine et supposons que le locuteur, en prononant la

    phrase, lui attribue la force illocutoire dune requte de vider la poubelle. Comment le destinataire

    peut-il comprendre quil sagit bien dune requte, puisque ce nest dit nulle part et que dautres

    interprtations seraient a priori possibles ? Il attribue une premire interprtation lnonc en

    vertu de sa comptence linguistique : il peut hsiter sur le caractre descriptif de lnonciation, mais

    supposons quil ladmette en labsence dindice poussant la comprendre autrement. Il sait, par sa

    comptence encyclopdique, que les ordures mnagres se mettent habituellement dans la

    poubelle familiale, que la prsence dordures en dehors de la poubelle est dommageable ou

    considre comme telle, quil existe aussi pour les ordures un rcipient extrieur, dont les boueurs

    municipaux vacuent rgulirement le contenu, quon a coutume de vider la poubelle dans ce

    rcipient, que lui-mme peut le faire et la dj fait. Sa comptence logique lui permet dtablir un

    lien entre ces connaissances : on vide la poubelle dans le rcipient extrieur de faon laisser de la

    place pour de nouvelles ordures, et on peut toujours le faire puisque ce rcipient est son tour

    rgulirement vid. Reste dterminer comment, de cet ensemble de connaissances et de rapports

    logiques (ou pseudo-logiques), on passe linterprtation que cest au destinataire de lnonciation

    quil revient de vider la poubelle. Les pragmaticiens suggrent que la comptence rhtorico-

    pragmatique comporte la rgle suivante : dcrire une situation dommageable quelquun qui est en

    mesure de la faire cesser, cest inciter cette personne la faire cesser. Ds lors, le sens souhait

    sobtient facilement.

    Tout cela peut paratre simpliste ou incertain. Il est cependant probable que le sens adquat ne peut

    tre reconstitu que par des mcanismes de ce genre, fonctionnant partir des connaissances et

    des rgles que nous avons rappeles. Peu de chose suffit du reste favoriser une force illocutoire

    diffrente : par exemple la connaissance dun tour de rle entre les personnes de la famille charges

    de vider la poubelle et du jour o on est. Si ce nest pas le jour du destinataire, le sens injonctif

    Vide est la poubelle devient bien moins vraisemblable, et il peut sagir dune rflexion du type On

    ne peut jamais compter sur lui sur lincurie dun tiers. Mais son tour, la connaissance de lestime,

    haute ou pitre, en laquelle le locuteur tient le dfaillant favorisera ou dfavorisera ce dernier sens.

    On laisse le soin au lecteur de poursuivre lexprience mentale, en imaginant des variantes cette

    situation et en en dduisant le sens mergeant alors.

    La rgle qui a t suggre demeure cependant dapplication assez restreinte et on se demandera si

    la comptence rhtorico-pragmatique peut tre dcrite comme un simple conglomrat de telles

    rgles. Il est souhaitable, pour expliquer son efficacit, de dcouvrir des principes plus gnraux,

    entretenant de prfrence entre eux une liaison organique. Cest ce qui va tre examin maintenant.

  • Les lois du discours

    Enumrons-en plusieurs, en nous inspirant des analyses dOswald Ducrot, qui leur donne ce nom.

    Elles expliquent le choix dune expression ou dun sujet plutt que dun autre, mais guident aussi

    lauditeur dans sa reconstitution du sens, car le locuteur, cens les respecter, nest pas libre

    daffecter un nonc un sens qui les enfreindrait. Ces lois sont en effet des sortes de conventions,

    analogues aux rgles dun jeu : qui prend part au jeu en accepte les rgles, sinon il se rend coupable

    de tricherie. De mme, qui se sert du langage se soumet ses lois, sous peine de se marginaliser.

    La premire est la loi de la sincrit . On est tenu de ne dire que ce quon croit vrai et mme que

    ce quon a des raisons suffisantes de tenir pour tel. Autrement, on sexpose laccusation de parler

    la lgre. Sans cette convention, aucune espce de communication, mme le mensonge, ne serait

    possible, puisque lauditeur naccorderait a priori aucune confiance au locuteur. Apparemment,

    cette loi va de soi. Mais elle ne vaut que dans la mesure o le langage a une fonction descriptive.

    Lorsque la fonction est autre, par exemple dans un roman, o les descriptions sont, par convention,

    illusoires, elle est sans objet. Il est donc normal que certains indices rvlent au destinataire si oui ou

    non elle sapplique. Cest bien pourquoi on fait souvent figurer les indications Roman ou

    Nouvelle sur la couverture des livres qui appartiennent ces genres. Mais comme la littrature

    dimagination est aujourdhui dominante, on se dispense souvent de les donner. Il y a donc des

    possibilits de mprise, en particulier loral o les indices, supposer quils existent, sont de toute

    faon plus fugitifs. La plaisanterie, dont le sel consiste faire comme si ce quon disait tait vrai

    alors que ce ne lest pas, consiste de ce point de vue un domaine haut risque : lauditeur peut

    prendre lnonc au srieux , ce qui entraine de fcheux quiproquos.

    En second lieu, le fonctionnement du langage est soumis une loi d intrt , selon laquelle on

    nest en droit de parler quelquun que de ce qui est susceptible de lintresser. Ainsi sexpliquerait

    la difficult dengager la conversation avec un inconnu : on ne sait pas quel sujet aborder avec lui

    sans violer la convention dintrt. Aussi existe-t-il des sujets passe-partout, censs intresser tout le

    monde et bien commodes pour nouer connaissance, le temps quil fait par exemple. Tout le monde

    est concern par le chaud, le froid, la pluie, le soleil Mais, il est des privilgis qui chappent

    cette existence. Ce sont les dpositaires de lautorit, dont la parole simpose tous comme si elle

    tait de soi intressante. Cest ainsi que les enseignants, en tant que reprsentants qualifis de la

    socit, ont droit la parole devant leur auditoire scolaire. Si, ce quils disent, celui-ci ne prend pas

    effectivement intrt, il na dautres ressources que de penser autre chose ou de donner un

    exutoire son mcontentement sous forme de chahut.

    A peu prs tous les "principes" quon peut invoquer connaissent, en effet, des exceptions, quon ne

    peut expliquer quen recourant dautres principes, parfois, on le verra, franchement

    contradictoires. Ainsi en est-il justement de la loi d' informativit . Daprs elle, un nonc doit

    apporter son destinataire des informations quil ignore. Sinon, le locuteur sexpose des ripostes

    du type Je le sais dj ou Tu ne mapprends rien . Pourtant, en parlant de la pluie et du beau

    temps, on nenseigne gnralement rien son interlocuteur. Tout se passe comme si devant une

    urgente obligation de parler et devant la ncessit de satisfaire les principes rgissant la parole, on

    donnait la priorit la convention dintrt sur la convention dinformativit.

  • Par ailleurs, un nonc bien form, sil doit contenir de linformation neuve, doit aussi rappeler des

    choses dj sues (redondance). Dans le cas contraire, il semble que la trop grande information,

    dpassant les capacits dassimilation de lauditeur, gne la comprhension. Les linguistes ont

    distingu ce point de vue dans tout nonc le thme et le rhme (on dit aussi, au lieu de

    rhme, focus ou propos ), le thme reprenant le dj connu et le rhme constituant lapport

    original exig par le principe dinformation. Si on met en parallle le point de vue nonciatif et le

    point de vue grammatical, on constate que, dans les langues sujet comme le franais, il y a affinit

    entre la partie sujet et le thme, la partie prdicative et le rhme.

    Dautre part, lexpression de linformation semble obir une loi dite d' exhaustivit , stipulant

    que le locuteur est tenu de donner, dans un domaine donn, linformation maximale compatible

    avec la vrit. Entendant dire quelquun quil a trois enfants, on comprendra quil nen a pas quatre,

    ce qui pourtant nest pas explicite. Or, il existe un procd exactement inverse, celui de la litote .

    La litote consiste dire moins quon ne veut laisser entendre. Ainsi, dans Le Cid, Chimne adresse

    Rodrigue un Va, je ne te hais point qui en ralit signifie quelle laime, et quil comprend ainsi ;

    un tel nonc signifierait quil lui est indiffrent, si ctait la loi dexhaustivit qui sappliquait. Mais

    on est loin encore davoir rpertori tous les mcanismes expliquant pourquoi parmi ces lois cest

    tantt lune tantt lautre qui sapplique. De mme, ce jour, nul na fourni une liste complte des

    lois de discours.

    Les maximes conversationnelles

    Le philosophe amricain Paul Grice (1913-1988) a, le premier, dgag des maximes

    conversationnelles , ressortant d'une logique de la conversation et auxquelles les interlocuteurs

    seraient tenus de se conformer. Au nombre de quatre quantit, qualit, pertinence et manire

    elles dpendraient toutes dun principe trs gnral de coopration, applicable lensemble du

    comportement humain et donc la conversation. Elles recoupent en partie les lois du discours

    dcrites ci-dessus. Sous la forme que Grice leur donne, elles ont du reste un champ dapplication

    restreint, car elles ne valent que pour les aspects descriptifs (vriconditionnels) de la conversation.

    Mais Grice sest efforc de montrer comment lauditeur pouvait prendre appui sur elles pour dceler

    ce qui ne figurait pas dans un nonc. Quand lnonc les enfreint, il doit supposer que linfraction

    est seulement apparente, puisque autrement le locuteur naurait pas appliqu le principe de

    coopration, dont dpendent les maximes elles-mmes. Il faudra donc chercher une hypothse

    smantique selon laquelle elles sont respectes, bien que seulement dans la mesure du possible. Si

    une question sur ladresse de quelquun, on rpond Il habite quelque part dans le Midi , la

    rponse ne comporte pas toute la prcision quexigent les maximes de quantit et de pertinence ;

    mais le locuteur nen a pas dit davantage cause de la maxime de qualit, qui oblige navancer que

    ce quon sait de source assure. Autrement dit, il a viol certaines maximes pour en respecter une

    autre. Et lauditeur est fond considrer que le sens reconstituer inclut dune certaine faon Je

    nen sais pas plus 3.

    Lexplication, bien sr, nest que partielle. Car lnonc aurait pu tre tout aussi bien Je ne sais pas

    au juste , et son interprtation naurait pas soulev de problme. Pourquoi choisit-on de faire

    compliqu alors quon aurait pu faire simple ? Dans le cas examin, on peut donner une rponse : le

    locuteur profite de la situation pour indiquer brivement ce quil sait, mme si cest insuffisant pour

  • satisfaire le destinataire. Dans dautres cas, lavantage est pour le locuteur de pouvoir

    ventuellement refuser la responsabilit du sens non-dit. Plus lcart est grand entre le sens

    conventionnel, donc explicite et le sens indirect, donc implicite, quon peut prter lnonc, plus le

    locuteur a la possibilit daffirmer de bonne ou de mauvaise foi, quil na pas envisag le sous-

    entendu en question. Le langage offre des ressources multiples pour suggrer sans dire. Mais on ne

    voit pas toujours aussi clairement les raisons qui poussent inclure dans lnonc du sens non-dit,

    au lien de sexprimer explicitement. De toute manire, linterprtation se fait aux risques et prils du

    destinataire. La ncessit o il est mis de reconstituer du sens non-dit loblige une dmarche plus

    ou moins contourne et plus ou moins incertaine. Ainsi se trouve renforce la dominance signale

    plus haut de lnonciateur sur le destinataire. Bien que cette vision puisse encore tre tudie

    puisque l'on peut considrer que la russite ou l'echec de la communication ( au sens large ) de

    l'nonciateur est soumise la bonne interprtation par le destinataire. Ce qui, comme on l'a vu, peut

    frquemment ne pas tre le cas. Dans cette optique, c'est bien le destinataire qui est garant de

    l'achvement des intentions de l'nonciateur et qui peut donc tre plac dans une position

    dominante au sein de l'acte de communication.

    Notes et rfrences

    1. GUILLOT (Cline). Dmonstratif et dixis discursive : analyse compare d'un corpus crit

    en franais mdival et d'un corpus oral de franais contemporain. In: Langue franaise.

    N152, 2006. pp. 56-69. Avec des rfrences bibliographiques.

    2. WALDEGARAY (Marta Ins), Discours et relations de sociabilit dans la Brevsima relacin

    de la destruccin de las Indias de Bartolom de Las Casas, in INDIANA 17/18 (2000/2001),

    379-399. Avec des rfrences bibliographiques.

    3. D'autres interprtations sont possibles, comme Je le sais, mais je n'ai pas envie de le

    dire , ou a n'a pas grande importance de savoir o prcisment . Le dcryptage du sens

    rel s'appuie aussi sur des signaux extra-linguistiques (ton, geste, mimique, etc.)

    Bibliographie

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    Essais , 2 septembre 1998, 209 p. (ISBN 978-2020304429)