Pour faire fondre son coeur (HQN) (French...

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Chapitre1

Rebeccahésitadevantlaportedelasuite.Ellefaisaitlàunefolie.Elle lesavait,maisellevoulaitseprouverqu’elleenétaitcapable.EllevoulaitprouveràSeth

qu’ellen’étaitpaslafemmeprudeetfroidequ’ilcroyaitqu’elleétait.Elleregardalacartemagnétiqueempruntéeàlaréceptiondel’hôtel,carrédeplastiquerouge,clé

duparadisetdesonavenir.Personnenel’interrogeraitjamaissurcetemprunt.Ilétaitprimordialpourelle.Ilenallaitdeson

bonheur.Depuisunmois,Seths’éloignaitd’elle.Ellelesentaitauplusprofonddesonêtre.Unesemaine

auparavant,leurconversationluiavaitfaitentrevoirl’affaiblissementdessentimentsdeceluiqu’elleaimait,tandisquechaquenouvellerencontreexacerbaitlessiens.

Ilétaitl’hommedesavie.Ellerestadevantlaporte,indécise,uneangoissesourdeaucreuxduventre.Ellenedevaitplus

réfléchir.Elledevaitagir.Ellerespiralentementpourralentirlesbattementsfousdesoncœur,s’exhortaaucalme.C’était

ellequidécidait.ElleallaitfairecequeSethlasuppliaitdefairedepuisdeuxmoisetqu’ellerefusait.Sedonneràlui.Iln’avaitaucuneidéeducadeauqu’elleluioffraitlà,maiscettenuit,ilcomprendraitl’étendue

de ses sentiments. Il serait le premier.Le cadeaude sa virginité représentait la plus grandepreuvequ’ellepouvaitluidonnerdesonattachementpourlui.

Elle regardadans lecouloiràdroiteetàgauche. Ilétaitvideàcetteheureavancéede lanuit.Personnenes’étonneraitdelacroiserenpeignoir,alorsqu’ellelogeaitàquelquesportesdelà.

Elleavançalamain,tremblantdecequ’elleallaitfaire.Lacarterougeglissadanslafentedelaserrure avec facilité, le déclic d’ouverture se fit à peine entendre, et la lumière verte l’avertit dudéverrouillagedelaporte.

Ellehésitauncourtinstantfaceàcettelumièremarquantpourellel’irrémédiable.Ellesedécidaenfin, poussa la porte, se glissa dans l’entrée sombre de la suite. Elle la connaissait, cette suite.Commetoutescellesdel’hôtel.Elleylogeaitparfoisetpouvaits’ydirigerlesyeuxfermés.Horsdequestiond’allumer,devoirlesyeuxsombresdeSethbrillerdesontriomphe.

Demainmatin…Demainmatin, elle accepterait de lire la victoire dans sesmagnifiques yeuxbruns.Demain.

Cette nuit, elle voulait n’être qu’une créature évanescente dans ses bras, une personne sansvisage,sansexpression.Seulsleurscorpsseparleraient,seprouveraientleuramourmutuel.

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Elle traversa legrandsalon, frémitdessensations,qu’ellenesavaitplus reconnaître.Sesyeuxs’habituèrentàlaluminositédoucequelavilleapportaitparlagrandebaievitrée.

Laportedelachambreétaitentrouverte.Ellelapoussa,lecœurbattant,lesjambesflageolantesde l’émotion qui l’étreignait. Le ronflement léger la fit s’arrêter, fermer les yeux. Elle écouta cesouffle lent et profond, accorda sa propre respiration à ce bruit apaisant. Une sérénité nouvellel’envahit alors. Elle prenait la seule décision qui lui assurerait un avenir prometteur et heureux.Arrivéeprèsdulit,ellelaissatombersonpeignoirausol.Lefrottementlégerdutissusurelle,puisellefutnue.Unfrissoncourutsursapeaucommeunsouffleinfimed’excitation.Larougeurdesesjoueslabrûlaitdesonintensité.Ellesesentaitfortetoutàcoup.Toussesdoutess’envolaient,tenduequ’elleétaitverscesoufflequi,bientôt,semêleraitausien.

Elle respira profondément, se glissa entre les draps, frémit de la caresse du tissu sur sa peau,impatiente de sentir les larges mains la porter vers le plaisir. La chaleur du corps tout proche lagalvanisa.L’obscuritécomplète laprotégeaitdesapeur.Sesyeuxpercevaient lescontoursducorpsprèsd’elle.Elledevinaitcequ’ilétaitsousledrapsoulevéparsonsouffleendormi.

Sa main tremblante s’approcha du torse qu’elle savait solide pour s’y être réfugiée depuisquelques mois. Elle caressa les muscles longs avec délectation. Les yeux fermés, elle se rappelachaquedétail.Sesdoigtspartirentàl’aventurepourunedécouverteplusintime.Lapeaudoucevibraitdesacaresse,latoisonluichatouillaitlapaume.LesoupirdeSethlafigeauncourtinstant.Puissonexcitation,plusgrandede secondeen seconde, lapoussaàpoursuivre sa route.Elle frissonnade lesentir totalementnu.Aucunebarrièrene sedressait entreeux.Sesmainsglissèrent sur leshanchesmincesauxmusclesfermes.Soncœurbattaitàcentàl’heuredesentirlapeaumâlefrémirsoussesdoigtsaventureux,échoauxfrissonsdesaproprepeau.

Ilestsibeau!pensa-t-elleavecadmiration.JamaishommeneseraitplusbeauqueSeth.Dès leurpremière rencontre,elleenétait tombée follementamoureuse.Pendantdesmois,elle

l’avait regardé vivre. Elle s’était ingéniée à assister à toutes les réunions, réceptions, galas où ilparaissait, elle qui fuyait ces manifestations guindées qu’elle détestait par-dessus tout. Au fil dutemps, il l’avaitregardéed’unœilamusé, touchéparsapersévérancerespectueuseet lointaine.Elleavaitétéfolledejoielorsqu’ill’avaitinvitéeàdanser,lapremièrefois.Maissatimiditél’avaitrenduidiote.Elle n’avait pudire unmot.Elle s’était sentie la femme la plus stupidede la terre,muette,tremblantdanslesbrasdeceluiquiétaittoutpourelledepuisdesjours.Maisilavaitpersévéré.Illuiavaitavouéquecettetimiditéfroidel’avaitrenduavidedelaconquérir.

Etcesoir,elleétaitlà.Elleserapprochadececorpsfrémissantcontresapeauémue.Soncœurbattaitlachamade.Sa

poitrinesesoulevaitsousl’effetdesonsouffletendu.EllesepressacontreSeth,notaquesonsouffles’accélérait.

Ilseréveille,pensa-t-elle,émerveillée,excitéed’uneémotionnouvelle.Elles’approchadesonvisageviril,oùbientôtlesextraordinairesyeuxdeveloursbrilleraient,si

doux,siveloutés,sicaressantsqu’elleperdaitlesensdesréalitéslorsqu’elles’ynoyait.Elleposaseslèvressurleslèvrespulpeuses,lescaressad’unbaisersensuel.Soussatendresollicitation,labouches’éveilla avec une lenteur dont elle frissonna. Une main se posa sur son dos nu, l’explora d’unecaresselégère.

–Qu’est-ce…,s’étonnalavoixsourde,ensommeillée.Ellel’embrassadoucementpourlefairetaire.Aucunmotn’étaitutile.L’autrebouchesefitexigeante,avide…Luiimposaunbaiserenivrant.Leurslanguesdansaient

un ballet savant, ivresse de la découverte de l’autre. Elle gémit de l’attaque exigeante. Deux brasl’enserrèrentsansdouceur,desmainsauxdoigtsdéliésexplorèrentsoncorpschaud.

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Ungrognement fondit contre ses lèvres.Elle s’écarta, haletante, excitéepar les sensationsquil’envahissaient. Jamais auparavant Seth ne l’avait embrassée avec cette sauvagerie exigeante, cettesensualitétorride.

–Qu’est-ce…,répéta-t-ilcontreseslèvres.Elleposalesdoigtssurcetteboucheétrangementinconnuequiluiapportaittantdeplaisir.–Chut!Cettenuitestànous,monamour.Neparlepas,s’ilteplaît,chuchota-t-elled’unevoix

érailléeparl’émotion.Jeteveux.Elleessayadepercer l’obscuritépourentrevoir sur levisageaiméun frisson,un tremblement

d’émoi.Mais la nuit était trop profonde. Sesmains reconnaissaient ses traits harmonieux. Le plusbeauvisagedelaterre.

Elle voulait le découvrir comme ça, dans l’amour, à l’aveugle, sentir avec force toutes lessensationsdel’extase.Unemanièredesedévoiler,deluioffrircequ’elleavaitpréservéfarouchementjusque-là.

–Mais…Ellesentitlemouvementdubrasendirectiondel’interrupteur,prèsdelatêtedulit.Ellel’arrêta

avecautorité,attrapa lamainpour laplaquersur l’oreiller, imposasavolonté.L’obscuritéétait soncourage;levoirlaperturberaittrop.Ellevoulaitcettedécouverteaveuglepourluifairecomprendretoutl’amourqu’elleavaitpourlui.

–Non!Jeveuxtedécouvrircommeça,dit-elle.Ellel’embrassaavecfureur,luiimposaàsontourcequ’ilavaitfaitvibrerenelle.Lerirechaudsousseslèvresladélivradel’angoissequil’étreignaitencore.Ilattrapaàsontour

samain,l’entraînasursoncorpsdansdescaresseshardies.–Jesuisàvosordres,madame,réponditlavoixsourde,érailléeparl’excitation.Ellenelareconnutpas,maiscesparoles,illesluidisaitsouventpoursemoquerd’elle.Illapritcontrelui,réponditaubaiserfougueuxqu’elleluidonnait.Leurslanguesivrespartaient

àladécouvertel’unedel’autre,leurslèvressegrisaientdepassion.Ilss’embrassèrentcommejamaisauparavantavecunedouceurardente,blottisl’uncontrel’autredansleurchaleurmoite.

Elle était perdue, secouée de la tête aux pieds par les sensations nouvelles. Les mainsaventureuses de Seth parcouraient son corps avec une sensualité grisante. Elle tremblait d’attenteentresesbras.Elletremblaitd’amour,d’impatience,defrayeur,desoninnocencedesjeuxdel’amour.

–Tuesplusdoucequelasoie,murmura-t-ildansunsoufflehaletant.Illarepoussasurlematelas,lacouvritdesoncorps,l’embrassad’unbaiserlangoureux.Ellesuffoquadesesmainssurseshanches,deleurdescentelenteverscequ’elleluioffrait,dela

caressehardie,explicite.Lesoufflecourt,ellesetenditcommeunarc.Labouchegourmandedessinadesarabesquessursoncou,sagorge,saisitlapointedesonsein,l’avalagoulûment,larejetaavecunelenteur torturante.Ellegémitde toutes ces sollicitations, émerveilléepar lanaissancede sondésir.C’étaitunebrûlureplusfortedesecondeenseconde.Ilsemontraitdélicat,tendre,savouraitsapeauavecunelenteurexaspérante,luifaisaitdécouvrirl’ivresseduplaisir.Elleseconsumasoussabouche,soussesmainsintrépides.Ellelecaressaàsontour,découvritlepouvoirdelefairefrémir,s’enivradesa force,dececorpsmusclédontelleavait admiré labeautéau sortirde lapiscinede leurmaisond’été.

Ilétaitleplusbeau.Illuiprouvaitàprésentqu’ilétaitleplustendre.Elles’offritavecabandon,gémitsanshontedesescaressesexpertes,d’unedouceurexigeante.

Ses baisersmouillés torturèrent la peau de son ventre, remontèrent sur sa poitrine. Ilmordilla lespointesdurciesdesesseinstendus.Lesmainssoussesfesses,illaguida,luiécartalescuissesd’ungestepossessif,seglissacontreelled’autorité,onduladeshanchespourserapprocherdel’oréedesaféminité.Ellesefigea,impatienteetdanslamêmesecondeterrorisée.Ellehaletadesonapproche,de

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la caresse de son sexe tendu, source pour elle d’une exaltation intense. Il la caressait de sa force,effleurait son sexe gonflé de sensations inconnues. Elle ignora sa peur, offrit sa bouche à l’autrebouche,l’appeladesoncorpsenivrédedésir.Ellesetendit,retintsoncridesalenteplongée,suffoquadeladouleurfugace.Ils’immobilisa,tendu,pétrifiéau-dessusdesoncorpsfrémissant.Lereculfutcommeuneperteirrémédiable.

–Pourquoitu…?–Chut!Elle l’attira contre sa bouche. D’une main posée sur ses fesses fermes, elle l’empêcha de

s’éloigner.LereculdeSethétaitlapreuvedesonémoi,desasurprisequ’elleespéraitémerveillée.Ilsn’en

avaientjamaisparlé.Ilavaittoujourscruqu’elleserefusaitàluiàcausedesconvenancesimposéesparsonpère.Maiscettenuit,elle luiprouvaitqu’ilétaitplus importantque toutcequ’on luiavaitinculqué depuis l’enfance, plus important que toutes ses croyances, tous ses vœux. Malgrél’intransigeance de son père, malgré ce qu’elle s’était promis à elle-même, elle passait outre sonéducation,sapropreconscience,pourluiprouversonamour.Ellemontraitàl’hommequ’elleaimaitqu’ilétaitpourelleplusquesavie.

À son tour d’être émerveillée, elle remonta le bassin, l’invita à l’explorer. Son râle de plaisirs’étrangladans sagorge sèche, les spasmesdedouleuratténuéspar l’excitationduplaisirmontant.Ellerouladeshanchespourlerassurer,luicaressaledos,l’incitaàpoursuivresaroute.Ilsedécida,acceptadeluiprendrecequ’elleluioffraitavecpassion.Illaportaversleplaisir,lafitsedécouvrirfemme. Elle était en fusion sous sesmains, sa bouche, sa peau, son corps qu’elle faisait sien. Lebonheurparfait!

Elle s’abandonna aux émotions de plus en plus violentes. Portée par le plaisir inconnu decaressessanscesserépétées,reformulées,dessinées,ellenaissaitàlaviesoussadirectionexperte.Ill’incita à enrouler les jambes autour de lui, à prendre à son tour, à l’accompagner. Leurs hanchessoudéesdevinrentdiaboliques,souverainesduplaisirpartagé.Elleseperdit,s’abandonnaàlapassionsauvage, accompagnade tout son corps cette danse si belle qu’elle en succombait de plaisir.Leursgémissements rauques finirent en appel à l’assouvissement d’un désir insoutenable. Le plaisir lafoudroyadesabeauté.Sonrâleétoufféparsagorgeenfeuaccordalavictoireàceluiquilacomblaitdesapassion.

C’estçal’amour?s’émerveilla-t-elle.Ils’apaisaentresescuisses,picoradebaisersseslèvresinertes,sonvisage,sagorgecommepour

laréveillerdelaléthargiedebien-êtreoùellesecomplaisait.Ellegémitdecessollicitationslégères,s’émerveilladecequ’illuipromettaitencore:quelque

chosedeplusâpre,deplusrude,deplussauvage.Elles’agrippaàcecorpsdontellesentaitl’intensevibration, s’accordaà ladansedans laquelle il l’entraînait, leurscorpsenparfaitecommunion.Sonsouffle n’était plus qu’un gémissement de bonheur. Elle s’agrippa, s’arc-bouta pour le suivre, setendit.La tempêteduplaisir fracassait sessensdéboussolés.Elleexplosadansunsoubresautqu’ilspartagèrent intimement. Leurs râles se perdirent dans le cou de l’autre. Leurs corps tendus par lavibrationde la jouissances’affaissèrent l’uncontre l’autre.Elles’abandonna,unsoupird’extaseaucœur, le corps tremblant du tsunami si fabuleusement beau. Plus rien ne comptait que les lèvresfermesvenues cueillir son soufflehaché.Elle exhalaunultimegémissementde leperdre, dernièretracedecequilesavaitunis.Surréaliste.

C’estçal’amour?Elles’abandonnalangoureusementàsonbaiser,leslèvrestremblantesetgonflées.Les mots d’amour voletaient dans son cerveau anéanti de plaisir. Son bonheur était si

extraordinairequ’ilendevenaitl’univers.Sethétaitparfait!Ellen’avaitplusaucundoutequantàleur

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avenir.Unavenirheureuxetinfini.Avait-il ressenti la même force étrange qui les avait menés si loin dans le plaisir ? Avait-il

ressentilacommunionparfaitedeleursâmes?– C’est le plus beau cadeau que l’on m’ait fait, murmura-t-il d’une voix rauque et vibrante

d’émotion.Ellesavouraledouxbaiserpartagéenrécompense.Pasde triomphalismedans lavoix sourde.Un tonde reconnaissanceémerveillé.Elle se sentit

combléeparcessimplesmotschuchotésavecdélicatesse.Ilsapaisaienttoutessesangoisses.Ilétaittelqu’ellel’avaitimaginé.Soncœurtressautait,ivred’allégresse.Lebonheurétaitdanscessimplesmots.Leurvieseraitparfaite.

–Àtoiseuljevoulaisl’offrir,dit-elle,seblottissantdanslaréconfortantechaleurdesesbras.Illaserracontrelui,aveccettetendressenouvelledontelleserassasiaavecbonheur.–Merci.Ilsrestèrentainsi,étroitementblottis,sansunmot, tantilsétaientinutiles.Seulsleurssouffles

s’élevaient dans la chambre obscure. Ils ressentaient le même apaisement, la même plénitudebienheureuse. Bientôt, leurs respirations devinrent lourdes de sommeil. Ils furent emportés par lesmêmesrêvesdebonheur.

Un sourire ébloui étira les lèvresgonfléesdeRebecca.Elle était à saplace.Uneplacequi luiétait dévolue depuis toujours.Tout étaitmerveilleux, comme la plus belle histoire que samère luicontaitdanssonenfance.

Etilsvécurentheureux…UnraidelumièreeffleurasonvisageetRebeccasourit.Une plénitude bienheureuse la baignait de sa langueur. Elle était sur un nuage ouatiné, doux,

suave.Merveilleusementbiendanslesbrasdesonamour.Lesentircontreelle,sentirsachaleurétaitleplusbeaudesparadis.Elleouvritlesyeux.Samaincaressalentementletorsesurlequelsatêteétaitnichée.

Letorsedesonamant…Sonfiancébientôt,puissonmaripourlavie.Elle regarda sapoitrine se souleverd’un souffleprofond.Elle frémit ànouveaudedésir,d’un

désirbrutdevouloirpartagerunefoisencoreleparadisaveclui.Le bras ferme s’abandonnait sur sa taille. La main, sur sa hanche, lui donnait des frissons

d’impatience. Elle voulait le sentir à nouveau la caresser, et toutes les parcelles de sa peau enfrissonnaientd’anticipation.

Lapénombredelachambresecoloralentement.Lesrayonsdusoleilnaissantperçaiententrelesrideaux de velours sombres. Elle releva la tête pour regarder l’homme de sa vie, son amour, sonamant,sonparadis,sonavenir.

Elle se figea, pétrifiée d’horreur, en découvrant le visage sombre, dans la lumière douce del’aubenaissante,sonespritpeinantàacceptercequeluimontraientsesyeux.L’hébétudeétaitsifortequ’elle fut incapable de bouger, les yeux posés sur les traits fermes qui s’offraient à elle dans leslueursvaporeuses.

Cen’étaitpasSeth!Elle suffoqua, trembla d’une terreur sombre, le souffle et le cœur figés par l’inconcevable.

Qu’avait-ellefait?EllequivoulaitprouveràSethqueluiseulcomptait,elleavaitfaitl’amouravecuninconnu,lui

avaitoffertcequ’elleréservaitdepuisvingt-huitansàl’hommedesavie.Etàluiseul.Elleétaitglacée,tétaniséefaceauxtraitsséduisantsdel’inconnu.

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Il dormait paisiblement. Un sourire effleurait ses lèvres ourlées, sensuelles. Son nez droitfrémissait du souffle profond de son sommeil. Ses pommettes marquées, son menton carré, samâchoiresolidedonnaientàses traitsde l’autorité,mêmedans le repos. Ilétaitbeau,mêmesi sonvisagen’avaitpaslaperfectiondeceluideSeth.

Elle ne pouvait en détacher les yeux. Il dormait contre elle, inconscient du bouleversementintense qui la terrassait. Les pensées se bousculaient sous son crâne en une sarabande folle,destructrice.Leslarmesaffluèrentàsespaupières.Ellefermalesyeux,priapourquecenesoitqu’uncauchemar.Elleretintsessanglotspournepasréveillercethommeavecquielleavaitdécouvertlescontréesmerveilleusesduplaisir.L’horreurdelasituationlasubmergea.Undégoûtprofondluimontaàlagorge.

Elle se reprit. Son esprit cartésien repoussa ses émotions, son désespoir. Personne ne devaitjamaisapprendrecequis’étaitpassécettenuit.Personne,encoremoinsSeth.Cethomme,contreelle,nepouvaitsedouterdequielleétait.Etilneledécouvriraitjamais.

Elle repoussa lentement sonbraspournepas le réveiller. Il grogna sourdement, sonvisage sefroissauncourtinstantavantqu’unsouffleprofondnel’apaise.Elleavaitcesséderespirer,paniquéeàl’idéequ’ilseréveille.Ildormaitprofondément,fortheureusement.Ellelerepoussaunpeuplus,seglissa en dehors de sa chaleur bienfaisante devenue son enfer. Il était brun de peau et de poil, lesmuscles dessinés harmonieusement sous sa peau qu’elle savait douce. Une impression de forcetranquilleémanaitdelui.

Elleserisquahorsdulit,attentiveàtouslessignesdesonéveil.Elleexhalaunpauvresouffle,récupérasonpeignoirabandonnéaupieddulit.Sansmêmes’envêtir,ellesortitdelachambreaprèsundernierregardàl’hommeendormi.

Illuiavaitoffertunedécouverteintenseduplaisir,l’avaitcombléeplusqu’ellel’avaitimaginé.Uninconnu!

Enmoinsdedeuxsecondes,ellerefermait laportedesapropresuite.Elles’écroulaausol,ensanglots,terrasséeparlahonteetl’horreur.

–Maisqu’est-cequej’aifait?Lessouvenirsdelanuitaffluaientavecviolence.Elleétaitdevenueindigne.Indigned’êtrelafemmedeSeth.Indignedelaconfiancequ’illuiavaitaccordée.Indignedesonpère,desafamille.Ellevenaitdepasserlanuitdanslesbrasd’uninconnuetyavaitprisleplusgrandplaisirqu’elle

aitjamaisressentidetoutesavie.Au-delàdecequ’elleauraitpuimaginer.Au-delàduparadis.Elleétaitperdue!Perdueetanéantiedehonte.

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Chapitre2

Bruce entendit à peine la porte se refermer, et l’absence soudaine de chaleur au creux de sahanchefinitdeleréveiller.

Unrayondesoleilfiltraentrelesépaisrideauxetluifrappalesyeux.Ilsourit,posalamainsurlematelasprèsdelui.Lachaleurducorpsprésentquelquesminutesplustôtluiréchauffalesdoigts.

Cen’étaitdoncpasunrêve,maisbienleparadis.Laplusbellenuitdesavie,songea-t-il,souriantdeplusbelle,lesyeuxferméssurlesfabuleux

souvenirs.Il s’étira avec lenteur, savoura la volupté des courbatures de sesmuscles, rappels de l’extase

vivifiante. Ils avaient partagé unmoment unique. Elle lui avait offert le plus beau des cadeaux. Ilgrognadeplaisirauxsouvenirsdelanuit,tenduànouveauparundésirnaissant.Ilregardalaplaceàcôtédelui.

Vickyluiavaitoffertunmomentmerveilleux.Unsoupirluigonflalapoitrinedebonheur.Elleluiavaitfaituncadeauexceptionnel.Jamaisiln’auraitimaginéquecellequ’ilpoursuivaitdesesassiduitésdepuisdeuxmoispouvait

êtrel’unedecesjeunesfemmeslibéréesetpourtantencorevierges.Quelplusbelaveuquecelui-làpourluiprouversonamour?Ils’extasia,raviqu’ellesesoitdonnéeàlui.Sonémoivibraplusprofondetplusfortquejamais.

Ilvenaitd’entomberamoureux!Totalementetirrémédiablement.Elles’étaitabandonnéedanssesbrasavectantdepassionetd’abandonqu’ilenrestaitsurpris,

émerveillécommeungaminlejourdeNoëlendécouvrantletrainélectriquetantconvoitédepuisdesmois.

Émerveilléetamoureux.Passionnément.Jamaisunsentimentaussifortnel’avaitétreintalorsqu’ilsedélectaitdesoncorpsdoux.Elle

l’avaitrejointavectantdesimplicité,deconfiance,d’abandontendreetpassionné!Touslessouvenirsremontèrentavecpuissanceenlui,provoquantuneflambéededésirbrutdans

sesreins.Soncorpsfrémitdesrappelsintensesdesplusbeauxmomentsdelanuit.Sentirsesmainsfinessurlui,commedesailesdepapillon,l’avaitsortideslimbesdusommeil

avec douceur. Sa bouche sur la sienne, pour éteindre ses questions, avait été un savoureux délice.L’entendre luimurmurer «Cette nuit est à nous,mon amour, je te veux» de cette voix voilée parl’émotion,àpeinereconnaissable,l’avaitpuissammentcharmé.Qu’ellerefusequ’ilallumelalumièrepourqu’ilssedécouvrentàl’aveuglel’avaitconquis.Qu’ellesedonneàluiavectantdefouguel’avait

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fait tremblerd’undésirprofond, sauvage, avide. Il avaitvouluprolonger leur attentepourque leurplaisirsoitplusfort,pluspur,plusféeriqueetill’avaitété…au-delàdecequ’ilavaitimaginé.

Vierge.Vickyétaitviergeets’étaitdonnéeàlui!Ilsouritd’unsourirebéat,idiot,tantilétaittroublé,émud’untelprésentdesapart.Leplusbeau

cadeauqu’elleluiaitfait.Leplusbelaveud’amour!Ilseremémoraleurpremièrerencontre.Ilavaitétésubjuguéaupremierregard.Elleétaitmagnifique,distinguée,d’uneélégancesouverainequiladésignaitcommelaplusbelle

detoutes.Ill’avaitremarquéedèsqu’elleétaitentréedanslegrandsalonderéceptiondel’hôteloùCharlyl’avaittraînémalgréluipourungaladebienfaisance.Ils’ennuyaitfermeaumilieudetoutesceshuilesquisecongratulaienthypocritementdepuisplusd’uneheure.

LorsqueVicky était apparue, royale, splendide de hautainemajesté, il s’était senti revivre.Lafille de Marshall Aberdeen pouvait se permettre ce dédain hautain. Sa famille était une famillepuissantedansledomainedel’hôtelleriedeluxeàtraverslemonde.ToussepliaientauxdésirsdesfillesAberdeen.

Dèslepremierregard,ilavaitétésubjuguéparsoncharmeflamboyant.Iln’avaiteudecessedel’approcherpourseprésenteràcettecréatureenvoûtante,sortie toutdroitduparadis.Elle jouaitdesoncharmeavecunerouerietouteféminine,ensorcelante,suprêmementattirante.

AlorsqueCharlyleprésentaitenfinàelle,ellel’avaitdévisagélonguement.Sessplendidesyeuxbleus teintés de violet, si mystérieux qu’on pouvait y plonger pendant de longues minutes sansdécouvrirlesmerveillesqu’ilscachaient,luiavaientfaitpalpiterlecœur.Ellel’avaitensorcelédesonsourireàpeinedessinésurseslèvrescharmantesdesensualité.Unedéessed’uneroyalebeauté!

–Heureusedevousrencontrer,monsieurWayne.BruceWayne?Iln’avaitpuretenirunemouecomiquedevantl’incongruitédesonnom.BruceWayne.Toutesavien’étaitqueplaisanterieàcepropos,maisilyavaitbelleluretteque

celaneluiimportaitplus.Lejouroùilavaitdonnésapremièrecorrectionàungaminmoqueur,qu’ill’avaitbattuàplatecouture,ilavaitprisconsciencequec’étaitpeut-êtreunatout.Sataille,sacarruren’avaientrienàenvieràcellesdescélèbresBruceWayneducinéma.Celaluidonnaitmêmeuncertainmystèrequin’étaitpaspourdéplaireauxfemmes.Ilenabusait,avechumouretfierté.

–Monpèreestfandecomics.Ilatrouvéamusantdemeprénommercommesonhérospréféré,avait-ilrépliqué,unenoted’humourcharmeusedanslavoix.

LesyeuxdeVickyavaientpétilléd’unamusementmêlédecuriosité.–Êtes-vousunsuper-héros,monsieurWayne?avaitalorssusurrél’adorablecréaturedesavoix

sucréecommeunecaresse.– Pour vous, je suis prêt à le devenir, avait-il dit sur lemême ton, avec une petite révérence

cocassepourfairerirelabelle.Etdepuisdeuxmois,ils’étaitattachéàsespas.Elle était recherchée par tous les hommes, quel que soit leur âge,mais elle luimontrait une

préférencedontilserengorgeaitàchaquerencontre.Iltombaitpeuàpeuamoureuxdecetteicônesimystérieuse qu’elle en devenait unique pour lui. Jusqu’à présent, elle s’était refusée à lui, ne luiaccordantquedesbaiserstorridesquilelaissaientpantelantdedésir.

Il pensait au mariage depuis une semaine, rêvassait à ce que serait leur vie côte à côte. Unparadis.Cettenuitleluiconfirmait.

Elle l’aimait et ne refuserait pas sa demande. L’offrande qu’elle lui avait accordée était plusqu’unaveu.C’étaitundonimmense,sidélicatqu’ilfrémissaitd’impatiencedelarevoirpourlatenirànouveaudanssesbras,laporterversleplaisirpartagé.

Ilsesoulevasurlecoudepourregarderverslasalledebains,maisaucunelumièren’ybrillait,nidanslesalon.Ils’inquiétasoudaindel’absencedeVicky.Ilsejetahorsdulitpourlachercher.Après

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avoirfaitletourdelasuite,forceluifutdeconstaterqu’elleavaitdisparu.Il s’arrêta au milieu du salon, les sourcils froncés par l’incompréhension. Puis il regagna la

chambred’unpaslent,pensif,déçuqu’ellesesoitsauvée,éclipséecommelesongequ’elleluiavaitfaitvivresiintensément.

–LepèreAberdeenestundespotepoursesfilles,avaitaffirméCharly,quelquessemainesplustôt.

Ils déjeunaient ensemble après une importante réunion de travail. Leur conversation avaitnaturellementdéviésurVicky.

–Sesfilles?Il s’était intéressé aux renseignements qu’il pouvait obtenir sur celle qui occupait une place

grandissantedanssonesprit.Sigrandissantequ’ilnes’étaitjamaisinterrogésursafamille.Ilsavaientd’autres sujets de conversation. Depuis qu’il était revenu d’Europe, il n’avait guère accordéd’attentionauxragots,auxbruitsdesalondelasociéténew-yorkaise.Vickyseuleoccupaittoutessespensées.Toutcequin’étaitpaselleétaitdevenuinsignifiant.

–Oui.MarshallAberdeenaquatre filles.Poursonplusgranddésespoir.Elisabeth, l’aînée,estmariéeàuncélèbreavocatdelacôteOuest.Ilsontdeuxfilles,jecrois.Legrand-pèrefulminecontresafilleincapablededonnerunhéritiermâleàladynastieAberdeen.

–Ilyenaurabienunequilesatisfera,avait-ilfaitremarquer,moqueur.Maisilavaitsoudainprisconsciencedel’importancesocialedecellequ’ilvoulaitséduireavec

tantdedétermination.Les louvoiementsde labelleétaientuneexcitationprofonde,un jeududésirexaltant.

–Oui,maisellesnesontpaspressées.Rebecca, ladeuxième,secondesonpère.Pour l’instant,personneneluiconnaîtdeliaisonsérieuse.OnparledeSethHamilton.MaislaPrincessedeglacenesemblepastotalementfondrepourlebelétalon,audésespoirdepapaAberdeen.Àvingt-huitans,ellen’estpasencoredécidéeàselieràquiquecesoit.Lafamilleesttrèscatholique.Ledivorceestexcludansleclan.Unprécepteinculquéautoritairementparlepapa.

–La«Princessedeglace»?s’était-ilétonné.–ToiquicôtoiesassidûmentVicky,tun’asjamaisentenduparlerdeRebecca?L’exclamationmoqueusedeCharly l’avait faitgrimacer. Ilmontraitpeud’attentionauxautres

femmes,lorsqueVickyétaitprésente.–Non,j’avouequejenemesuispasparticulièrementintéresséàsafamille.–Tuauraisdû.Ilestbondesavoiroùl’onmetlespieds.MarshallAberdeenestunvieuxrenard.

Unhommedespotiqueenverssesfillesetsafemme.Ilesttrèsvieuxjeu.Sesfillesn’ontaucunintérêtàsortiravecunhomme,sicen’estpaspour l’ameneraumariage.PapaAberdeenne tolèreaucunedérivedeleurpart,crois-moi!Etilalesmoyensdelesrappeleràl’ordre.

–Queveux-tudire?Ils’étaitinquiété,peudécidé,àl’époque,àaliénersaliberté,mêmepourlaplusdélicieusedes

déesses.Ilavaittantdechosesàvivre!–Onditdanslemilieuquesil’unedesfillesfaituneincartade,elleserabannieduclan.Cequi

équivautàunedéchéancetotale.Aberdeenafaitensortequ’ellessoientdépendantesdelui.Aucunen’afaitdevraiesétudes,àpartRebecca,quiasuivipendantunoudeuxansdescoursàlafacdedroit.Sans poursuivre vraiment. Elisabeth s’estmariée à vingt ans et a gagné son indépendance par sonmariage.Victoria,taVicky,secontentedereprésenterlegroupeAberdeenàtraverslemondedepuissasortiedulycée.Uneoccupationquiluiprendtoutsontemps.Quantàlabenjamine,Amanda,ellesemblesuivrelestracesdesonaînée.Onladitfiancéeaufilsd’unindustrielenénergierenouvelableduBrésil.Unegrossepointure.Un«de»quelquechose,d’aprèsmesinformations.Etlefiancén’aaucunementl’intentiondereprendrelesaffairesdefuturbeau-papa.

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–Jecomprendsmieux,avait-ilmurmuré,dépitédenepass’êtreintéresséplustôtàcequifaisaitlaviedesadéesse.

Sa situation, même si elle était très confortable, était très loin d’égaler celle de Vicky.L’entreprisederobotiquequ’ilsavaientcrééedixansauparavant,Charlyetlui,étaitsortiedepuispeudeslimbesdel’anonymat.Deuxgroscontratssignésavecl’agenceeuropéenned’aérospatialeavaientrenflouélescaisses.Leurnotoriétéétaitdésormaismondiale.Encoredeuxoutroisansetleurfortuneseraitfaite,sanstoutefoiségalerlafortuneduclanAberdeen.

Dans moins d’une semaine, le premier robot spatial qu’ils avaient conçu se poserait sur lacomèteTchouri.LeurpetitPhilémonétaitleuravenir.Unsuccèsetlescontratsallaientpleuvoirsurleurentreprise.IlvenaitdepasserdeuxansàToulouseetFrancfortpourmettreaupointcefabuleuxprojet.Bientôt,lepetitlogodelaBatmancoverraitleslumièresdel’espace.UnefiertéimmensepourCharlyetlui.Sonrêvedegosseseréalisaitau-delàdecequ’ilavaitimaginédanssessongeslesplusfous.Leurpetitechauve-sourisrougeallaitbattredesailesdanslecosmos.

– Autrement dit, les espoirs du paternel sont tournés vers Rebecca et Vicky, avait poursuiviCharly,avecunsoupirattristé.

–EtRebeccanesemblepaspresséedeconvolerenjustesnoces,d’aprèscequetudis,avait-ilsoufflé,désappointéd’avoirespéréuneautreissueàsonaventurequelemariage.

–Personnen’ensaitrien.Cettefille,c’estunglaçon.Cen’estpaspourrienqu’onl’appellela«Princessedeglace».Elleestleportraitcrachédesonpère!

LamineapitoyéedeCharlyl’avaitpousséàenconnaîtreplussurlafamilledeVicky.Iln’avaitpasenviedesefourrerdansuneimpasse.

–Àcepoint?avait-ildemandé,atterré.Il avait croisé Marshall Aberdeen une ou deux fois au cours de soirées, sans véritablement

s’intéresseràlui.Toutesonattentionn’étaittournéequeversVicky.Ilsesouvenaitvaguementdelui.Unhommegrand,solidementcharpenté,auvisageaussicoupantqu’unprofild’aigle.Lesyeuxd’unbleusifroidqu’ilsvousglaçaientaupremierabord,etsacrinièreblancheetfournien’adoucissaitenrienlasévéritédesestraits.

Safemmeétaitsonantithèse.Vickyenétaitleportraitcraché.Fine,élégante,d’unedistinctionraffinée,blondecommelesblés,avecdestraitsd’unefinessedereine.Lapluspuredesbeautés.

Charlyavaitridesonexclamationeffrayée.– Jeneparlepasde sonphysique.Mais ellene ressemblepas à ses sœurs, elle est le portrait

crachédeleurmère.LaPrincessedeglaceestàpartdansleclan.Ilssonttousblonds,elle,elleestbrune, de cet auburn sombre qui lui donne un faux air de sorcière. Parmi ses sœurs les fées, ellechoque. Et son regard ! Peu de personnes arrivent à le soutenir. De la glace à l’état pur. Froid,indéchiffrable.Maisd’unecouleurexceptionnelle,d’unbleuazurdélavéà l’extrême.Lorsqu’elle tefixe,tutesensdevenirtoutpetit!

–Nemedispasqu’unefemmetefaitpeur?s’était-ilmoqué,étonnéden’avoirjamaiscroisélessœursdeVickyauxsoiréesoùilsserejoignaienttacitement.

–Tucomprendraslorsquetularencontreras.Vickyestdistanteethautaine,maisRebeccaestlaglacepersonnifiée.D’ailleurs, c’est la seuledes fillesAberdeenquin’apasdediminutif.Personnen’oserait jamais l’appelerBeckyhorsde sa famille !Aucunnes’y risque.MêmeSethHamiltonsemontrerespectueuxaveclademoiselle.

–Quelâgea-t-ellepourfaireaussipeuràunhommedetatrempe?Laminerespectueuse,presqueapeuréedeCharly,étaitcomique.–Vingt-huitans.PapaAberdeenena fait sonbrasdroit.Dumoins,à lamodeAberdeen. Ilne

confierait jamais des responsabilités à une femme, qu’elle soit sa fille ou non. Il la façonne à sa

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manièrepourqu’elledeviennel’épousedufuturP-DGdelacompagnie.C’estlaraisonpourlaquellelepaternelvoitd’unbonœilsonrapprochementavecSethHamilton.

–SethHamilton,deHamiltonaviation?– Lui-même.Marshall Aberdeen espère une alliance entre leurs deux empires. Imagine… les

hôtelsAberdeenetlesavionsprivésHamilton.Ilsrégneraientsurl’hôtellerieetlesvoyagesdeluxepourlongtemps.

–Et la fortunedesdeuxfamillesréuniesseraituneréussitegrandiose,avait-il terminé,dépité,maisavecunespoiraucœur.

Une fois Rebecca mariée à Hamilton, peut-être papa Aberdeen serait-il moins intraitable surl’avenirdeVicky?

–Oui.Aberdeenvatoutmettreenœuvrepourfaireaboutirsonprojet.Onditqu’Hamiltonpèreseréjouitluiaussid’unetellealliance.Unesorted’assurancepourl’avenirdesdeuxcompagnies.IlsuffiraquelaPrincessedeglacepondeunpetitHamilton-Aberdeen,et lesdeuxgrands-pèresserontravis.

LesproposdeCharlyenmémoire,ilcomprenaittout,etbienplusencore.SonamiétaitendeçàdelavéritéenaffirmantqueMarshallAberdeenétaituntyran.

Quellefilleétaitencoreviergeàvingt-sixans?SurtoutunebeautéaussiéblouissantequeVicky?Ilpoussauncridetriomphe.Ellenel’étaitplusdésormais,elleluiavaitfaitdondesavirginité.

Il allait devoir se dénoncer auprès de papa Aberdeen, avouer qu’il avait compromis la belleVicky !Et surtout qu’il était prêt à réparer sa faute.Elle aurait dû rester avec lui dans la suite, selaissersurprendreparlepersonneldel’hôtel.Lesbruitsdecouloirsauraienteutôtfaitd’arriverauxoreilles de Marshall Aberdeen. Il aurait alors dû avouer son forfait, et réparer ce crime de lèse-majesté,d’aprèscequeluiavaitapprisCharly.

Ilcomprenaitmaintenantqu’uneaussibellejeunefemmesoitencoreviergeàvingt-sixans.Lapeurdupère, lesmenacesqu’ilavaitdûfairepesersursesfilles lesavaientpréservées.Vickyétaitcoquette,aimaits’entourerdeluxe.Cen’étaitpasunefemmeàselaisserentraînerdansuneaventurepourtoutperdre.

Ilfitlagrimace.Ellelemanipulait,là!Maisnesouhaitait-ilpas,depuisquelquesjours,liersavieàcelledeVicky?Elle avait simplement pris les devants. Lui avait fait une déclaration d’amour détournée. Elle

aussil’aimait.Assezpourvouloirs’uniràlui.Uneboufféededésirluiscialesreins,tandisqu’ilseremémoraitleurétreintepassionnée,douce

et fougueuse, si pleine d’abandon et de soumission, si délectable, si merveilleuse…Un sentimentnouveaunaissaitdanssoncœur,unefiertéimmense,sereine.Ilavaittrouvélafemmedesavie.Lui,l’anti-romantique qui se moquait de l’amour fou et exclusif, avait été pris au piège par deuxmagnifiquesyeuxbleu-violet.

Ilregrettaitsoudainden’avoirpasallumélalumièrepourlacontemplerdanslajouissance,pourvoirceregardexceptionneléclaterdansleplaisir.

Larevoir.C’étaitlaseulechosequicomptait.Dèsaujourd’hui.S’illefallait,iliraitfairesademandeàMarshallAberdeenavantsondépartpourl’Europe.Ilne

pouvaitpasattendreunmois.Dansmoinsdequinzeheures,ils’envolaitpourFrancfort,pourassisteraudécollagedePhilémon.SiVickyvoulaitl’accompagner,ceseraitlaconsécrationfabuleusedecesdeuxansdetravail.Partageraveclafemmedesavielaplusgrandejoiedesacarrièreprofessionnelle.Unrêvequ’ilattendaitdepuisdesannées.

Sonriredebonheurrésonnadanslesalon.Ilseprécipitadanslasalledebains,l’espoiraucœur.

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Unimmensebonheurvenaitdeluiouvrirlesbras.CommelesbrasdouxdeVickyl’avaientenserrésifortdansl’amour.

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Chapitre3

Letéléphonesonnadanslachambre,maisRebeccanebougeapas.Elleétaittransiedefroid.Affaléeparterrecontrelaporte,elleserraitautourd’ellesonpeignoir

commeunrempart.Unrempartàlahonte,àl’humiliation,àlafoliequil’avaitpousséesiloinqu’ellesedégoûtait.Ellen’avaitplusdelarmesdepuisuneheure,anéantieparsastupidité.

Commentavait-ellepufaireunechoseaussiidiote?Ellequ’ondisaitlaplusterreàterre,laplusréfléchiedetouteslesfillesAberdeen.

VickyouMandyauraientétécapablesd’unetellefolie,paselle!Letéléphonesonnaànouveauavecinsistance,pendantdelonguessecondes.Sonportableavait

vibrésurlatabledusalonquelquesminutesplustôt.Elleselevaavecdifficulté,meurtriecommesionl’avaitbattue,lecorpspesantd’unpoidsdouloureux.Ellerespiraprofondémentpourreprendresesesprits,écarter lesévénementsde lanuitpournepassombrerdansunenouvellecrisededésespoir.Elle réfléchiraitplus tard.Ellen’enpouvaitplusdedétresse.L’horlogesur lacheminée indiquait9heures.Illuisemblaitquecelafaisaitdesheuresqu’ellepleuraitsursonincommensurablesottise.

Elledécrochad’unemainlourde.–Oui?–MademoiselleAberdeen?–Oui,Benjamin.Elleessayad’affermirsavoixenreconnaissantleconciergeenchefdel’hôtel.– Un monsieur insiste pour vous parler, mademoiselle, dit l’homme d’un ton confidentiel

inhabituel.Elle dut faire un effort pour se concentrer. Heureusement, entendre la voix de Benjamin la

replongeait dans la vie de tous les jours, l’aidant à reléguer au second plan, avec toute la volontéqu’ellegardaitencoreaufondd’elle,lessouvenirsimpies.

Quipouvaitsavoirqu’elleétaitlà?Seth?–M.Hamilton?demanda-t-elled’unevoixincertaine.Lanauséeluiremontaauxlèvres,legoûtdelabile,commeledégoûtqu’elleressentaitdepuis

desheures.Commentavoueràceluiqu’elleaimaitpar-dessustoutqu’elles’étaitjetéeàlatêted’unparfait

inconnupourluifairel’amouravecfougueetabandon?L’excusequ’ellel’avaitprispourluin’étaitpasvalable!Jamaisellenepourraitavoueruntelforfait.

–Non,mademoiselle.Ils’agitdeM.Wayne,réponditleconcierge,commesilenomdel’hommedevaitluiêtreconnu.

DesWayne,ilyenavaitpléthoredansleshôtelsdugroupeAberdeen.

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Unclientmécontent?Ce n’était pas son rôle de répondre aux demandes et réclamations des clients de leurs

établissements.Lecôtécommercialrelevaitdelaresponsabilitédudirecteur,pasdelasienne.Ellenes’occupaitquedel’administratifenfonctiondesordresdesonpère.

Ce n’était pas pour rien qu’il lui avait fait suivre des études de droit à l’université. Il l’avaitensuiteentraînéedansuntourdumondedeshôtelsAberdeen.Ensixans,elleavaitapprisàcernerlesmultiplesaspectsdesvingt-quatreétablissementsrépartisdans lescapitalesdespayslesplusrichesdumonde.Ellesecondaitsonpèreautantqu’illeluipermettait.

Elleneregrettaitpasderesterenretraitdumondeoùsessœurssecomplaisaient.Satimidité–quel’onprenaitsouventpourdelafroideur–étaitunhandicapqu’ellesurmontaitparundétachementhautain.

Depuis toujours, elle préférait jouer dans les cuisines ou les offices des étages, plutôt quedéambulerdanslesmagnifiquestoilettesquesamèrelaforçaitàrevêtirpourfigurerdanslessoiréeshuppéesdelaville.Ellesesauvaitdèsquel’occasionseprésentait.Invariablement,lelendemain,samèresechargeaitdeluifairedesremontrances.

Sonpère, lui,nese formalisaitpasdesasauvagerie.Elle restait ainsi à sadisposition.Petit àpetit,ilavaitfaitd’elleson«héritièretravailleuse»commeledisaientensemoquantsessœurs,peudésireusesdeseplieràundictatimposéparuntravail.

Plus tard,elleserait lagarantede lapolitiqueimposéeparsonpère. Il laforgeaitàsonimagepourtransmettresavisiondel’avenir.

–Tuescommepapa!luiassénaitsouventVickyavecdédain,leregardméprisantpourlafourmitravailleusequ’elleétait.

Defait,elleneressemblaitpasauxsplendidescigalesqu’étaientsessœurs,ellesquiobtenaienttouslessuffrages,alorsqu’elle-mêmenerecueillaitquedesreprochesàpeinevoilés.Ellen’enprenaitplusombrage.Sontravailluidonnaitl’impressiondefairequelquechosedesavie.Loindel’oisivetéoùsessœurssecomplaisaient.

Àcôtéd’elles,elleétaitlevilainpetitcanard.Sa réputation de « princesse de glace » ne rendait pas ses contacts sociaux aisés. Elle ne se

sentaitpasà l’aiseparmi touscesgensenversquielledevait fairepreuvedecourtoisie.Sonespritvagabondait souventversd’autrescieux.Sesoccupationsdans leshôtelsétaientplusenrichissantesquetoutes lesréceptionsguindéesauxquelleselleétait tenued’assister.Elleydécouvraitunmondeattrayant, fait de peines, de joies simples, de rencontres vraies, enrichissantes, même si son nomdéclenchaitlaréservedesunsoudesautres.

Dèsqu’ellelepouvait,ellevisitaitlespaysoùsaprésenceétaitrequise,découvraitdesculturesquilafascinaient.Elleauraitadorépartirunappareilphotoàlamainauxquatrecoinsdumondepourrecueillir l’air du temps, les témoignages de vie. Lorsqu’elle avait lancé l’idée de devenirphotographe-reporter,sonpèreavaitrefusé.Vingtansdesoumissionl’avaientalorsfaitsetairepourobéiraudespotismepaternel.

L’arrivéedeSethavaittoutchangé.Elles’étaitsentierevivre.Elleavaitfrémidecesentimentdelibertéquiavaitsoufflétimidement

surlesbraisesdesarébellionétoufféedansl’œufdesannéesplustôt.–Crois-tudoncquesansargenttupourrasvivredetapassionBecky?avaitdemandésonpère

lorsqu’elleluiavaitexposésonprojet.–Papa,jeneveuxfairequecequej’aime!–Onnefaitpastoujourscequel’onaimeoucequel’onveutdanslavie,mafille.Situasenvie

de devenir photographe, libre à toi.Mais ne compte pas sur nous pour t’aider financièrement. Tudevrastedébrouiller.Totalement.

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Elleavaitcompris.Nonseulementilnel’aideraitpas,maisilferaittoutpourluimettredesbâtonsdanslesroues.

Elleavaitcédéparpeurdel’avenir.Elleétaitfaible, incapabledeserévolter.Commetoujours,elles’étaitpliéeauxdésirspaternels.Elleavaittrouvéuncompromis,parvenaitmalgrétoutàgarderunecertaine liberté. Dans chaque pays où elle séjournait, elle partait une ou deux journées sans quequiconque ne découvre son occupation. Elle prenait des photos à n’en plus finir, se soûlait d’unelibertéqu’elleneposséderaitjamaistoutàfait.

C’étaitsonjardinsecret.Saboufféed’oxygènepourrésisteràl’étouffementfamilial.Maiscettenuit,toutavaitétébouleversé.Elleétaitperdue.–MademoiselleAberdeen?soufflaBenjamin,manifestementinquietdeneplusl’entendre.–M.Wayne?répéta-t-elle,déboussoléepartoutcequ’ellevenaitdeperdre.Elle tenta de mettre ses idées au clair, mais ses pensées étaient bouleversées par cette nuit

maudite.–Oui,mademoiselle.M.BruceWayne,réponditleconciergecommesicenomluiétaitconnu.Ellecherchait,maisletrounoirqu’étaitdevenusoncerveaurefusaitdeluidonnerlasolution.–Queveut-il?demanda-t-elleavecindifférence.–C’estpersonnel,mademoiselle.–Bien,je…jedescendsdansdixminutes,souffla-t-elleavantderaccrocher.Encoreunclientmécontentd’unservicequelconque.Sereplongerdansletravailétaitlemieux

pourelle.Laroutinelalaisseraitpeut-êtreenpaixpourquelquesheures.Ellesedirigeaverslasalledebains,sedéshabilla,frissonna,tremblaànouveau.Sonvisageétait

décomposé. Elle se regarda sans pitié. Elle détailla sa silhouette élancée aux courbes fermes, sidifférente des corps longilignes de ses sœurs. Elle était aussi grande que Vicky, mais ses épaulesétaienttropcarrées,sesjambestroplongues,seshanchestroprondespourquesasilhouettesoitaussiharmonieuse et attire les regards de convoitise des hommes, comme c’était le cas pour Vicky ouMandy.Samèreluiimposaitdesrobesdegrandscouturiersdanslesquellesellenesesentaitpaselle-même. Elles l’engonçaient de leurs élégances ostentatoires, l’oppressaient comme une gangueétouffante.

Son visage aurait été beau si ses yeux si grands ne lui mangeaient le visage. Leur couleurparticulière,decettenuancedeglacebleutée,incitaitsesinterlocuteursàsedétourneravecembarras.Pourcouronner le tout,sescheveux,decetauburnsombre, faisaientparaîtresesyeuxplusclairsetaccentuaient la froideur de son regard. Elle ne s’était jamais vue belle. La comparaison que tousétablissaiententresessœursetelle l’avaitpersuadéedesoninsignifiance.Ellen’yavait jamaisfaitattentionavantqueSethn’apparaisse,maismaintenant,lechocétaitrude.

Commentunhommecommeluiavait-ilpulapréféreràVicky?Elle se posait la question si souvent qu’elle croyait au miracle de l’âme sœur. Un attrait

irrésistibleet immédiat lesavaitentraînésl’unversl’autre,et jamaisriennepourrait lesséparer.Ilétaitdevenutoutpourelle.Saufquelaseulechosequ’ellepouvaitluioffrir,ellel’avaitofferteàuninconnuparunactestupide,irréfléchi.

Elle essuya ses larmesd’unemain rageuse, seprécipita sous ladouchepour effacer cettenuitmaudite. Les souvenirs des sensations, des émotions remontaient avec violence sous la caresse del’eauchaudesursapeau.Elleengémitdehonte,dedépit.

Plusjamaisellenedevaitpenseràcettenuit.Plusjamais,sejura-t-elleenfrottantsoncorpsavecénergiepoureffacerl’infamiedescaresses

qu’elleavaitacceptéesavectantd’abandonetdepassion.Soncorpsétaitsoudaindevenusoudainsonpireennemi.Ellelecontraindraitàoublier,commesonesprit.

Définitivement.

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Enmoinsd’unquartd’heure,elleétaitprête,avaiteffacédesonvisagesondésarroietsahonte,repritsonmasquede«princessedeglace».Uncoupd’œildanslegrandmiroirdel’entréedelasuiteetellesedétourna,satisfaitedemontrercequetousattendaientd’elle.Unefemmeglacée,impassible,indifférenteaumondeautourd’elle.

Sontéléphonebipadanslavestedesonsévèretailleur.Ellelerécupéra,s’agaçaqueBenjaminlarappelleàl’ordre.

Jedébarquecesoir.Vicky.

Vicky?Elledevait resteràLondres jusqu’à l’inaugurationdel’hôtelrénové!Sasœurs’étaitproposée

pour la remplacer parce que l’inauguration coïncidait avec la grande semaine des défilés à Paris.Vicky avait certainement passé peu de temps à l’hôtel.Rebecca avait cédé sa place avec joie pourresterprèsdeSethprésentàNewYorkpourquelquessemainesencore. Ildevait repartirenFloridedans la propriété familiale avant l’été. Rebecca avait espéré partir avec lui en tant que fiancéeofficielle.

Danstroisjours,c’étaitl’inaugurationàLondres.SiVickynes’yrendaitpas,elleallaitdevoirs’absenterdeNewYork.Peut-êtreétait-ceunesolutionaprèstout?

Quelquesjoursaucalmepourréfléchiràsonavenirqu’ellevenaitdecompromettre.Sansvéritableintérêtnicolèrepourlecomportementinconséquentdesasœur,elledemanda:

Pourquoi?Monboyfriendmemanque!

Ellehaussalesépaules.Lesaventuresamoureusesdesasœurousacollectiondeboyfriendsnel’intéressaientplus.Leurpère fermait lesyeux sur lesamusements de sa fille préférée, considérantqu’uneaussijoliejeunefemmedevaitavoirdesprétendants.Ilserengorgeaitdevoirleshommesàsespieds,sansqu’elleaccordeàaucununsemblantdefaveur.

Rebecca sortit de l’ascenseur, se dirigea vers le comptoir de la réception d’un pas affermi,commes’affermissaientsesrésolutionspourlesprochainsjours.Ellesalualepersonnelcroisédanslehall,sonregardattentifaumoindredétail.

Benjamin l’aperçut immédiatement. Il discutait avec l’homme accoudé nonchalamment aucomptoir.Lasilhouettebiendécoupléedansuncostumesombresurmesureseredressa.

Rebeccasefigeaaumouvementdel’hommeverselle.L’enviedefuiràtoutesjambesl’étreignitsifortqu’ellesedétournaverslesascenseurs,prêteàsesauver.Saretraitefutcoupéeparunchariotàbagagestiréparunchasseur.Lelourdchargementl’effleura,labousculalégèrement.Ellevacillasursesjambesflageolantes,bouleverséeparlavisiondel’hommeaucomptoir.Unemainfermelasaisit,l’écarta du lourd chariot. Le chasseur, insensible à l’incident qu’il venait de provoquerinvolontairement,poursuivitsaroute.

–Attention!s’exclamalavoixgravereconnaissableentretoutes.Rebeccafrissonnadesentirlamainsursonbras,alorsqu’illatiraitenarrière.Elletrébuchasur

le bord du tapis retroussé, se retrouva contre la poitrine ferme de l’homme. Il l’avait rattrapée dejustessepourqu’ellenechutepas,legestepleindeprévenanceetdesollicitude.

–MademoiselleAberdeen?fit-il,étonné,commes’ilnes’attendaitpasàlarencontrer.Elleblêmitdel’interpellation,lesoufflecourt,affolée.Elles’écartad’unbonpas,setournavers

lui.Ilattendait,unelueurdesurprisedanslesyeuxgrisargent.Fairefaceetnier,luicriasaraison.

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C’était la seule solution pour éviter le scandale qui éclabousserait sa famille et les hôtelsAberdeen.Quellepublicitépourlaconcurrence!

Ellevoyaitdéjàlesgrostitresdanslapresse.

Servicespécialàl’AberdeenPalace!LadirectriceRebeccaAberdeenseglissedanslelitdesesclientspourunenuitd’amourtorride!

Sa honte fut comme un aiguillon pour sa fierté. Elle se redressa de toute sa taille, releva lementonavechauteur,plantasonregarddansleregardd’argentemplidecuriosité.

–Àquiai-jel’honneur?demanda-t-elled’untoncoupant.– Bruce Wayne, se présenta-t-il en lui tendant la main poliment sans qu’elle fasse mine de

vouloirlaserrer.Elle ne broncha pas, adopta le comportement habituel en face d’un client mécontent ou

revendicatif.– Que puis-je pour vous, monsieur Wayne ? lui demanda-t-elle, soutenant sans broncher

l’examendontellefaisaitl’objet.M’a-t-ilreconnue?pensa-t-elle,lecœurbattantdesonaffolement.– À vrai dire, je crois n’avoir pas été assez précis dans ma demande, dit-il avec un sourire

avenant.–Quelleétaitvotredemande,monsieurWayne?répéta-t-elle,ens’écartantlégèrementdelui.Ils’étaitrapprochépouréviterunnouveauchariotàbagages,levisageempreintd’unamusement

dontelles’effraya.Lesourirelargemarquédesabéatitudelafigeadansl’attentedel’attaque.–JevoulaisvoirVicky,annonça-t-ild’untonémerveillé,leregardpensif.–«Vicky»?répéta-t-elle,hébétéeparlademandeinsolite.D’uncouplevoilededoutessedéchira.BruceWayne!Batman!Elle sentit son sang se retirer de son visage. Elle flageola imperceptiblement, se rattrapa au

dossier du fauteuil derrière elle, le souffle coupé par la fulgurante illumination qui traversait soncerveausurchaufféausouvenird’uneconversationavecsamère.

BruceWayne!LenouveauboyfrienddeVicky,celuiquetoutlemondeappelaitBatmandanslafamille!Lapaniquelasaisit.Courageusement,ellerefoulasonémoihorrifié.Ellesedétournapourcacher

son désarroi, s’éloigna vers la réception, louvoya entre les chariots, le personnel, les clients pourreprendresesesprits,effondréeparcequ’ellevenaitdecomprendre.

Ilnel’avaitpasreconnue,comprit-elleavecunsoulagementangoissé.C’était le seul point positif dans cette abominable affaire, mais l’autre hypothèse était plus

effrayante.ElledevaitprotégerVickyd’unemauvaiseinterprétationdelapartdecethommeàproposdecettenuit.

Personnenedevaitjamaissavoir.Luimoinsquetoutautre.

***

–Mademoiselle!s’exclamaBruce,redescendusurterreparlasoudainefuitedelajeunefemme.LasœurdeVicky.LaPrincessedeglace,avait-ilpressentidèslepremierregard.

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Il s’attendait à voir Vicky, pas cette jeune femme qu’il avait qualifiée d’étonnante tant sonsurnomluiallaitcommeungant.

ElleneressemblaitenrienàVicky,enétaitl’antithèsepresqueparfaite.Lacheveluresombretombaitsursesépaulesenvagueslégèrementondulées,encadraitlevisage

auxtraitsfermes,àl’opposédeladouceurangéliquedeVicky.Laboucheauraitpuêtrebellesiellen’avaitpasétéserréeenunplid’arroganceetdedureté.Etquediredesdeuxlacsdeglacebleutésquil’avaienttoiséavechauteur.

Ilyavaitperçuunevibrationétrange,unbattementinfimelorsqu’elles’étaitécartéedelui.Quelleétrangefille!sedit-ilenlapoursuivantverslaréception.Ilcomprenaitquetousl’affublentdece«Princessedeglace»tantellesemontraitfroidecomme

laglacedel’Arctique.IlsouhaitaitbonnechanceàSethHamiltonpourdégivrerceglaçonraididansuneattitudesévèreethautaine!

Ilévitadepeuunecollisionavecunchariotàbagagesetlarejoignitaucomptoir.Unvraimatind’hiver,pensa-t-il,deplusenplusintriguéparcettefemmeoccupéeàconsulterun

registretenduparleconcierge.Illuicoulaunregardattentif,s’attardasurlachevelureàlacouleursiétrangequ’ilsedemandait

quelcoiffeuravaitpuinventeruntelmélange.Ilessayadel’imaginerenblonde,sanssuccès.Aucuneautrecouleurnepouvaitconveniràcevisageglacial.Lachevelurelecontrastaitparsa

chaudelumière,leréchauffait.Lessourcilsfinssefroncèrentsurlaglaceduregard,unepetiteridesecreusaentrelessourcils,sansquelevisagenefrémisseounemontreunquelconqueintérêt.

–Vickyestabsentepourl’instant,dit-elle,sansunregardpourlui.–«Absente»?Pourlongtemps?s’étonnaBruce.Ils’accoudaaucomptoirprèsdeRebeccaplongéedanssonregistre.PresquelemêmeparfumqueVicky,constata-t-il.Ilneputretenirunsourireextatique.Ah,Vicky…–Elleseraderetour…Benjamin,àquelleheureMlleVickya-t-elleprissonavionàHeathrow?

lesortitdesarêverielavoixfroidedeRebecca.–Levolestà10h12,mademoiselle.Lalimousinepasseralaprendreàl’aéroportà17h30.–Parfait.Prenez-moiunbilletpourLondres,pourcesoir.Bruceécoutait, l’incompréhensionà l’esprit. Il fixacellequise tournade troisquartsvers lui,

l’attitudeferme,levisagemarquéparsafroideur.– Si vous souhaitez lui laisser un message, elle rentrera de Londres ce soir vers 18 h 30, le

prévint-ellesèchement.–«Londres»?répéta-t-ilstupidement.–Oui.VickyétaitàParispourlesdéfilésdemodeetelledevaitassisteràl’inaugurationdenotre

nouvelhôtel. Il semblequ’elleait choiside revenirplus tôt.Ellevientdem’en informer. Je rentremoi-mêmedeLasVegas,expliqua-t-elled’unevoixposée.

–Mais…c’estimpossible!s’exclama-t-il,ahuriparl’incohérencedel’informationdonnéeparRebecca.

CommentVickypouvait-elle être àLondres et dans ses bras, cette nuit ?C’était impossible !Pourtant…iln’avaitpasrêvé.Ilavaitbientenudanssesbrasunefemmequis’étaitabandonnéeavecpassion,enuneétreinteparfaite.

IlscrutalevisageimpassibledeRebeccaAberdeen,cherchadanssonregarddeglacelavérité.– Qu’est-ce qui est impossible ? Que j’arrive de Las Vegas ? rétorqua-t-elle d’une voix

indifférente.–Non…queVickysoitàLondres!

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–Sivousnemecroyezpas,allezl’attendreàl’aéroport.Sonarrivéeestprévueà17h30,lâcha-t-elled’untonsec.

Elle se détourna sans façon, l’abandonnant devant le comptoir sans même une formule depolitesse.

–C’estimpossible!murmura-t-il,déboussoléparlesproposdecellequitraversaitlehalld’unpasvif.

***

Rebeccafuyait.Elleretenaitleslarmesquiinondaientsesyeux.Lechasseurs’écartadevantelleavecunsourirecontraint,inquiet,sansdoute,qu’ellepuissefaireuneremontrance,tantsacrispationdevaitêtrevisible.Mais,cematin,elleavait latêteailleurs.Ellequittal’hôtelsansmêmerépondreauxsalutscourtoisdupersonnel.

Onl’aimaitbienàl’AberdeenPalace,pourtant.MlleRebeccaneressemblaitpasàsessœurs…Combiendefoisn’avait-ellepasentenducette

remarque?Combiendefoisn’avait-ellepasjouédanslescouloirsdesoffices,encuisineoudanslesétages,

bavardantaveclepersonnelcommes’ilsétaientsafamille?Etdepuisqu’elleavaitdesresponsabilités,nombred’entreeuxnecraignaientpasd’allerlavoir

pourluiexposerleursdéboires,leurscraintesouleursdemandes.Touslapréféraientàsonpère,ellelesavait.

Elle,elleétaithumaine,mêmesilesautresl’appelaientla«Princessedeglace».Àl’AberdeenPalace,elleétaitleurprincesse.Unepetiteprincessequi ressemblaitplutôtàunecendrillondanssonenfance,abandonnant les

soiréesraffinéespourvenirseréfugierparmieux.

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Chapitre4

Debout sur le trottoir, Rebecca regardait la façade de l’Aberdeen Palace scintiller de tous sesfeux.L’hôtelétaitpourellesadeuxièmemaison,sonpied-à-terre.

Si l’empire Aberdeen devait un jour sombrer, le seul établissement qu’elle regretterait seraitcelui-ci.Iln’étaitpasleplusgrand,nileplusluxueux,maisilétaitlepremieretrevêtaitpourelleuncharmedésuet.

Elleleregretterait,mêmesi,depuisunmois,ilétaitdevenusahantise.Ellefrissonnamalgré ladouceurdecettesplendidesoiréededébutd’été.Lesgrosseschaleurs

n’avaientpasencoreenvahiNewYork,etunpetitventvenudelamerrafraîchissaitlaville.Elle sedécidaà traverser la ruepour rejoindre l’hôtel, affrontercequ’elleavait fuidepuisun

mois.Elles’étaitabrutiedetravailpournepaspenser.Elleavaitfuilagrandevillepoursenoyerdansuneautre,anonymeetfroide.

L’inaugurationdel’AberdeenGrandHôteldeLondresavaitétéunsuccèsretentissant.Sonpèrel’avait félicitée de la performance qu’elle avait mise au point en moins d’une semaine, après lelâchagedeVicky.Lafrénésiedetravailluiavaitfaitoublierl’invraisemblablesituationdanslaquelleelles’étaitmise.

Elles’étaitjetéedanslelitdel’hommedontsasœurétaitamoureuse!Cettetrahison-làétaitpirequesatrahisonenversSeth.ElleavaittoutfaitpourqueBruceWayne

nepuissepascroirequeVickyl’avaitrejoint,cettenuit-là.Ellesupposaitquecelal’avaitjetédansundésarroiaussiprofondquelesien.

Àcettedifférencequ’elle,ellesavaitlavérité.BruceWayneneconnaîtrait jamais lequiproquoqui avait précipitéune inconnuedans son lit.

Unefemmeàquiilavaitfaitl’amourenimaginantqu’elleétaituneautre.Unefemmequiluiavaitfaitundondontjamaisilnecomprendraitlavaleur.

Après avoir marché pendant des heures, ce jour maudit, elle avait rejoint l’hôtel en milieud’après-midi.Elleavaitconsultélesréservationspourtenterdecomprendrecommentunetelleerreuravaitpuarriver.

Seth avait annulé sa réservation au derniermoment, sans qu’elle en soit informée. Suite à unproblème de fuite d’eau dans sa chambre, Bruce Wayne avait été relogé dans la suite libérée.Benjaminavaitcrubienfaireenluiaccordantcesurclassement,sanssedouterqueson«cadeau»auboyfrienddeVickytourneraitaucauchemarpourelle-même.

Unconcoursdecirconstancesdramatique.Ellevoulait sepersuaderquepourBruce,cen’étaitqu’unehistoire invraisemblable.Quecette

nuit avec une inconnue resterait pour lui un souvenir étrange destiné à disparaître au fil du temps,

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commeelles’évertuaitpoursapartàlefairedisparaître.Après l’inauguration de Londres, elle avait proposé à son père de rester sur place quelques

semaines pour s’intéresser de plus près à la gestion de l’établissement. Il avait tiqué de sonéloignement.Àmotsàpeinecouverts,ill’avaitincitéeàaccepterlademandeenmariagequepourraitluifaireSeth,commes’ilétaitassuréqu’elleétaitimminente.Elleavaitfrémi.Letroubles’étaitfaitplusgranddanssonesprit.

Était-elledigned’épouseruntelhomme?Toutétaitsiconfusdanssonesprit!Maisaprèstout,elleseulesavaitsahonte.Etdenosjours…Jimmy,leportierenchef,lasaluachaleureusement,poussantavecdéférencelaporteàtambour

devantelle.Elleréponditauxsalutsdupersonnelqu’ellecroisait.Ilsluisouriaientaveccettechaleurqu’ellenetrouvaitnullepartailleurs.D’autres,d’unsignedetête,luiprouvaientleurattachement.

–Bonsoir,mademoiselleRebecca, lasaluaBenjaminaveclesourire jovialqu’il luiréservaitàchacundesesretours.

–BonsoirBenjamin,répondit-elle,avecunsourireàpeineébauché.Elle croisa son reflet dans legrandmiroir duhall d’entrée.La fatigueduvoyage lui tirait les

traits, ses yeux paraissaient plus grands dans son visage amaigri. Une lassitude sourde au fond duregardluidonnaitunairdemélancolieétrange.

–Avez-vousfaitbonvoyage,mademoiselle?–Oui,merci.Parfait,commetoujours,assura-t-elleenprenantlecourrierqu’illuitendait.Ellelesentaitquil’observaitdiscrètement,tandisque,deboutaucomptoir,elletriaitleslettres.EllesavaitqueBenjaminl’appréciait,qu’ilapprouvait–commetouslesautres–sonimplication

dans la marche des hôtels. Elle n’avait que peu de pouvoir, mais elle tentait autant que le luipermettait sonposted’agir auprofitdupersonnel.UnmoisàLondresoùelle s’étaitnoyéedans letravailluiavaitfaitentrevoirdenouvellespossibilitésd’avenir.Sisonpèrel’yautorisait.

Ellerepoussasoncourriersurlecomptoird’ungestelas.–M.Hamiltonviendravouscherchercesoirà19h30,mademoiselle,laprévintBenjamin,qui

semblaitétonnéparsapassivitéinhabituelle.Ellerelevalatête,fronçalessourcils,effrayéedepasserlasoiréeavecSeth.Ilétaituneréalité

qu’ellesouhaitaitécarterpourquelquetempsencore.–Faites-luisavoirque…non, jevais le fairemoi-même.Merci,Benjamin,dit-elled’unevoix

lasse,avantdesedirigerversl’ascenseur.Enquelquessecondes,ellefutaudernierétage.Ellesedirigeaverslasuitequiluiétaitattribuée

à l’année. Son privilège en tant que fille deMarshall Aberdeen. La suite confortable n’avait riend’extravagantcomparéeauxappartementsnew-yorkaisluxueuxquesessœursavaientréclamésàleurpère.Elle, ellepréféraitde loindormir auPalace ; elle s’y sentait commechezelle.BienplusquedansleurmaisonfamilialedeLongIsland,surl’îleAberdeen.Aufildesans,deschaletsindépendantspourchacuned’elleyavaientétéconstruitssurordredesonpère.Unemanièrecommeuneautredegarderlamainmisesurleurvie.

Elle y résidait rarement lorsque la famille s’y trouvait. Les allées et venues incessantes desinvités perturbaient le silence de l’île dont elle préférait goûter la sauvagerie silencieuse. Elle yséjournait l’hiver, lorsque tout le monde avait déserté les lieux et migré vers New York. Elle secomplaisaitày jouer lesermitespendantquelquessemaines,savourait lesilence, laplénitudedelanatureautourd’elle.

Affaléedansleprofondcanapédevantlabaievitréedusalon,elleprofitaitdelavuesurlaville,perduedanssestristespensées.Sontéléphonebipa,laramenantàlaréalité.

Ellelerécupéradanslapochedesonpantalondelin,consultalemessage.Soncœurseserrad’unpincementdouloureux.

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Jepasseteprendredansuneheure.Ordredetonpère.S

Elle posa la tête sur le dossier du canapé et soupira profondément. Elle devait prendre unedécision.Letempsdestergiversationsétait terminé.Unmoisàtourneretretournerleproblème.Laseulesolutionluilaissaitungoûtdehontedanslabouche.Hontequ’elleseraitseuleàconnaître.

Neriendire,toutsimplement.Tairesastupiditéàtous,neplusypenser.Oubliercettenuitmaudite,l’enfouiràjamais.Elleauraitdesremords,ellelesavait.SanaturefranchesouffriraitdenerienavoueràSeth,mais

elle l’aimait. Elle ne voulait pas le perdre pour une folie. Sa décision était prise. S’il insistait ànouveaupourqu’ilscouchentensemble,elleseplieraitàsavolontépournepasleperdre.

Qu’ellen’aitplussavirginitéàluioffrirn’avaitcertainementpaslamêmeimportancepourlui.Ilseraitpeut-êtredéçu,maiselleendoutait.

Quipouvaitcroirequ’unefilledevingt-huitansn’aitencorejamaiscouchéavecunhomme,danslasociétéactuelle?

Elles’abandonneraitdanssesbrassansqu’aucunepromessenesoitproféréeentreeux.Etellegarderaitsonsecret.Àjamais.

***

Assis dans un fauteuil du hall, Seth vit Rebecca sortir de l’ascenseur. Elle paraissait pensive,inattentiveaumondeautourd’elle.Elleavançaitdecettedémarcheélégante,reconnaissable.Biendesgens la suivaientdu regard sansqu’elle en soit consciente.Sonaurademystère,decharmeattiraitétrangement,cesoir.

Ilseleva,souritavecorgueil.Illadétaillaavecsoin,unfrissondeconvoitiseleparcouruttoutentier.LaPrincessedeglaceseraitàluietànulautre.Uneglacequ’ilsefaisaitfortdefairefondrepourdévoilerlevolcanquicouvaitsouscettefroideapparence.Lasentirfrémircontreluilorsqu’ilsdansaient,tendrementenlacés,l’excitaitprofondément.

Celaavaitétésisimpledelaséduire,delamaintenirsoussacoupe!Elle approchait sans l’empressement qu’elle y mettait d’habitude. Il remarqua son visage

amaigri, ce voile étrange dans ses grands yeux clairs assombris. Il s’inquiéta de ces signauxinsignifiants,pourtantflagrantsetdéroutants.

Pasd’étincelledanssonregardbleu.Pasdepetitsourireaucharmesecretaucoindeslèvres.Pasdepetiteinspirationrapide,preuvedesontrouble.Il l’avaitdécryptéesiaisément !Sonémoiétaitvisiblepour tousetbienpluspour lui. Il s’en

étaitenorgueilli.Ilavaitséduitcelledontondisaitqu’elleétaitcommeunebanquisejamaisconquise!Laseulerésistancequ’elle luiopposaitétaitsonrefusd’unerelationplus intime.Ledernierbutàatteindreafindesavourerentièrementsavictoire,d’affirmersasupériorité.

–Bonsoir,Rebecca…Elleluitenditlajouesanscepetittremblementparticulierdelabouche,signedesontrouble.–Bonsoir,Seth,répondit-elled’unevoixlisse,dénuéedecevoiled’émotionteintédesensualité

auquelils’étaithabitué.–Tuasfaitbonvoyage?Illapritparlebraspourlaguiderverslasortiesansattentionauxpersonnesautourdelui.Les

employés saluaient Rebecca avec déférence. Un sourire à peine dessiné sur ses lèvres fardéesrépondaitàcesmarquesdeconsidération.

–Oui,merci.

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– Tu as l’air fatiguée. Nous pourrions rester ici pour dîner, si tu le veux ? proposa-t-il avecsollicitude.

Testersonpouvoirsurelledevenaitunnouveaujeu.Lasentirs’éloignerlepoussaitàobtenirtoutd’elle.

–Non,Seth.Jenecroispasquepapaappréciera,répondit-elled’unevoixétrangementretenue.Elleétaitsilointaine,cesoir…Ilenressentitunesourdedéception.Aumilieudelafoule,ellese

refermait toujours. L’émouvoir devenait impossible. Il s’inquiéta de ne pas la sentir émue commed’habitude.

Ilavaitdesprojets.ÉpouserRebeccaAberdeenétaitl’undeux.IldeviendraitainsilebrasdroitduvieuxAberdeenet

l’empireseraitàluienunriendetemps.Plusderestrictionpourrefrénersesenviesdeluxe.Sonpère,malgréleurimmensefortune,faisaitmontred’unemesquineriedontilrageait.Unefoisàlatêtedel’AberdeenCompagnie, ilaurait lescoudéesfranches.EtceneseraitpasRebeccaqui freineraitsesenvies,tantelleétaitsoumiseàsavolonté.Ilferaitd’elletoutcequ’ilvoudrait.

Ilavaithésitéàpoursuivre leurrelation lorsqu’elleavait refuséqu’ilscouchentensembled’unsimple:«C’esttroptôt.»Maissonmoisd’absenceetlesremontrancesdesonproprepèreàproposdedépensesqu’il jugeait inutiles l’avaientpersuadéqu’ilnedevaitpas laisserpasser l’occasiondes’allieràunefortunesolideetdisponible.

Les propos deMarshall Aberdeen avaient été clairs. S’il épousait Rebecca, il serait directeurgénéralenmoinsdedeuxans. Ildeviendraitalors leseulgestionnairedeshôtelsde luxe.Aberdeenjugeaitqu’unefemmenepouvaitgéreruntelempire.Seulunhommeenétaitcapable.Aumoins,cettevisionrétrogradeavait-ellel’avantaged’allerdanssonsens!Seulauxcommandes,ildisposeraitdelafortunedugroupesansquepersonnen’aitàyredire.

Etpuis,cettepetiteRebeccan’étaitpassilaide…Intéressante,même,constata-t-ilenlafaisantpasserdevantlui.Ilcontemplaseshanchesrondes,sachutedereinsharmonieusementmiseenvaleurparlarobe

couleurcuivrerougedontelles’étaithabillée.Presquedelamêmecouleurquesescheveuxretenusenunchignonbasdontquelquesbouclesonduléesluifrôlaientlesépaules.

Plusqu’intéressante,renchérit-il,étonnéduconstatqu’ilfaisait.Ilne l’avait jamaisvraiment regardée. Il était éblouipar labeautééclatantedeVicky,paspar

l’étrangetédeRebecca.Mais il ladécouvraitdifférente, toutàcoup,et l’observaavecuneattentionredoublée. Le charme insolite, secret, le voile d’ombre de ses grands yeux clairs la rendaient plusenvoûtantequeVicky,àlabeautéplusclassique.

Commentnel’avait-ilpasremarquéplustôt?LechasseurouvritlaportièredelaJaguaroùRebeccas’installasansunmot.Seths’installaauvolant,s’engageadanslacirculationdensedecettesoiréeestivale,attentifàsa

passagèremuette.Elleluiréponditàpeinelorsqu’illuidemandadesnouvellesdesonséjourlondonien.Levisage

tourné vers la vitre, elle s’isolait dans cette gangue de glace dont elle se protégeait du mondeextérieur.

Ils’inquiétadecemutismepoli,desonattitudeindifférente.Ilnecomprenaitpas.Oùétaitpassécetroublequ’ellemontraittoujoursensaprésence?Cettedévotionbéatequ’elle

avaitàsonégard?Ellenedevaitpasluiéchapper!Cen’étaitpaslemoment…Heureusement,unplandebatailles’organisaitdanssonesprit.Ildevaitlafairecédercoûteque

coûteetrapidement!Unefoisdanssonlit,ellenepourraitplusreculer,etl’affaireseraitconclue.La

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réputationdeduretédupèreAberdeenn’étaitpasunsecret.Rebeccacéderaitàtoutessesdemandes,unefoisqu’ill’auraitcompromise.Etpuis,pluselles’éloignait,plusilladésirait.

LaPrincessedeglaceseraitàluietànulautre!sepromit-il,certaind’arriveràsesfinsd’unemanièreoud’uneautre.

Quelquessemainesetelleseraitensonpouvoir.Ungrandsourireétiraseslèvresfermestandisqu’illaguidaitàtraverslafouleprésentedansla

grandesallederéceptionoùsetenaitlegaladebienfaisance.–Tonpèreettamèresontlà-bas,luiindiqua-t-ilàl’oreille,enmontrantuncoindelasalled’un

gestediscret.–Allonslessaluer,proposa-t-elleavecunhaussementd’épauleslas.

***

Marshall Aberdeen repéra sa fille et Seth Hamilton parmi la foule. Il sourit de voir le jeunehomme se pencher à l’oreille deRebecca d’un geste de séduction chargé de douceur et d’autorité.Preuve évidente de ses intentions. Tout comme lamain qu’il avait posée sur sa taille fine pour laguider.Iln’ignoraitparailleursriendupenchantdesafillepourlejeunehomme.

IlconnaissaitRebeccamieuxqueVickyouMandy.Neladirigeait-ilpasdepuisdesannéespourlafaçonneràsonimage?Rebecca était comme lui, il l’avait toujours senti.Une femmede tête capable de reprendre la

directiondesonempire.Siellen’avaitpasétéunefemme,elleauraitétésadignehéritière.Soussesabordsglacés,ellemontraitunepassiondiscrètedanstoutcequ’ellefaisait.

Il se rengorgea de l’alliance qu’il envisageait avec plaisir, observa le couple qui se frayait uncheminàtraverslafoule.

Lavoirs’enticherdeSethHamiltonl’avaitsurpris,toutd’abord.IlavaittoujourscruqueVickyl’attirerait.Maiscelan’étaitfinalementpaspourluidéplaire.Aucontraire,lejeunehommeseraitundirigeantàlahauteurdesesambitionsetlerapprochementdesempiresAberdeen-Hamiltonseraituneaubainepourlesdeuxfamilles.

Unebonneaffairequ’ilsallaientconclurelà,etrondementmenée!Observant lesdeuxjeunesgensavecplusd’attention, ils’étonnade lafroideurdeRebecca,de

sestraitstirés.Elleétaitcependantsplendide,cesoir.Ildétaillaaveccomplaisancesarobe,decetteétrangecouleursombreauxrefletsdecuivre,sasilhouetteélégammentmiseenvaleur.Levêtementmoulaitsapoitrineferme,s’évasaitsurseslonguesjambes…

Elleavaitl’airsauvage.Elleétaitbelle.–MonDieu!s’exclamaCamilleàsescôtés.Qu’est-cequec’estquecechiffon?Marshalllançauncoupd’œilàsafemme,s’étonnantdesonavisdédaigneux.Ilnepartageaitpas

l’avisdesonépouse.Pourunefois,Rebeccanesemblaitpasempruntée.Larobeluiapportaituncôtéombrageuxattirant.

–Jelatrouvetrèsjolie,commeça,dit-il.–Tun’yconnaisrien,monpauvreami!Ondiraitune…sauvage!asséna-t-elle,endétaillantla

robe.Marshall retint son haussement d’épaules, reconnaissant chez sa femme l’irritation qu’elle

exprimaitsouventvis-à-visdeRebecca.Soussesairsdedocilité,ellesemontrait laplusrebelledeleurs filles. Aucune rébellion directe, mais des comportements qui exaspéraient Camille, depuisl’enfance.

Ilsouritaucouplearrivéprèsd’eux,ungraindefiertéàl’idéequ’unedesesfillesluiressembleunpeu.

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Sielleavaitétéunhomme…– Bonsoir, maman, bonsoir, papa, les salua Rebecca d’une voix calme, dénuée de sentiment,

avantdeposerunbaisersurleursjoues.–Bonsoir,Becky…Marshalllaserrauncourtinstantcontrelui.–Becky!Pourquoias-tumisuneguenillepareille?attaquaCamillesansautrespréambules.

***

Rebeccareculad’unpas,souritd’unsouriredésabusé.–Chrisseraitmécontentquetutraitesunedesescréationsde«guenille»,maman!répliqua-t-

elle,unelueurespiègledansleregard.–«Chris»?répétasamère.Sethetsonpères’étaientécartésetdiscutaientdelasoiréesansplussepréoccuperd’elles.–ChristopherBane,précisa-t-elle,unsourirelégerauxlèvres.–Tuveuxdireque…,s’étranglasamèreaunomducélèbrejeunestylistedonttouss’arrachaient

àprixd’orlesplusbellescréationsenEurope.–Oui,maman.C’estunecréationdeChris.–Commentl’as-turencontré?–Unconcoursdecirconstances.Nousavonspartagélemêmetaxietunoragemonstrueuxnousa

momentanémentcoincésàPiccadilly.Nousavonssympathisé.Ilm’afaitpromettredevenir levoirdanssonatelier.Etvoilàlerésultat!

Elleécartalesbraspourquesamèreadmirelarobequelejeunestylisteavaitcrééepourelle.Unepénuriedetaxisàlasortied’unrestaurantoùelledéjeunait,un«nouspouvonspartager?»lancéavec espièglerie avait été le déclencheur de cette rencontre. L’orage avait contraint leur taxi às’immobiliserpendantdelonguesminutes.Lasympathieentreeuxavaitétéinstantanée.Christopherluiavaitavouéqu’ellel’inspirait,qu’uneidéederobeluiétaitvenueentête.Iln’avaiteudecessedelui arracher la promesse de venir le voir dans ses ateliers. Elle s’était laissée convaincre et ne leregrettait pas. Les tenues de Chris lui ressemblaient. Rien de comparable à ce que sa mère luiimposait.

–MonDieu!ChristopherBane?IlfaudraquetuluirecommandesVicky!Rebeccaretintàgrand-peineunegrimace.Vicky…Elledétourna lesyeux.Sonsentimentdehonte lasubmergeadenouveau.Ellenepouvait s’en

détacher.Elleavaittrahisasœurinvolontairement,mêmesicelarestaitsonsecret.–Regarde,lesvoilà!s’exclamasamèred’untonenchanté.Rebecca se tourna, l’estomacnoué.Elle se raidit à la vuede l’hommeaccroché aubrasde sa

sœur.BruceWayne!Lechocétaitrudebienqu’elles’ypréparaitdepuisdesjours.Unjouroul’autre,elledevraitfaire

face.Plusviteseraitlemieuxpourécartercequiluitaraudaitl’espritdepuiscettenuitmaudite.Elleseforçaàlesobserver,détaillantavecacuitéleurattitude.Vicky,unefoisdeplus,étaitsublime,royalemême.Sarobedesoieblanchemettaitenvaleursa

beautéangélique,ladésignaitunefoisdepluscommelareinedelasoirée.Appuyéenonchalammentcontrel’épauledesoncavalier,elleselaissaitguideràtraverslafoule,acceptaitlescomplimentsdesunsetdesautresaveccettehauteurdédaigneusecaractéristiquedecellequisesaitau-dessus.

D’unesuprêmeélégancedanssonsmokingnoir,BruceWayne jouaitauchevalierservantavecfierté.Sasilhouetteétaitadmirablementdécoupéeparletombantparfaitducostumesurmesure.Ses

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cheveux sombres coupés court lui donnaient un air martial, tandis que son attitude nonchalantemontraittoutesonautoriténaturelle.

Unbelhomme,vraiment…Elle les considéra avecattention, sentantunechaleur lente luimonter aux joues, alorsque les

sensationsenvahissaient soncorpsdemanièredérangeante.Elle segourmanda,écartaavec férocitéles souvenirs, se concentra sur le couple qui s’avançait vers eux. Les contrastes les rendaientirrésistibles.

SonregardsereportasurSeth,enunecomparaisoninévitable.BruceétaitmoinsbeauqueSeth,dontlabeautéétaitparfaiteavecsescheveuxblondcendré,sonregarddebraise,sonvisageauxtraitsd’un classicisme pur, sa silhouette élancée. Seth attirait tous les regards des femmes tant il étaitl’incarnation de la beauté masculine. Et cet homme fabuleux la regardait, elle, de son regardsouverain.

–Becky!s’exclamaVickyenlaprenantdanssesbrasavecretenue.Pasd’embrassadeschaleureusesdanslafamilleAberdeen.Rebeccavitleregardacérédesasœursursarobe,samimiqueperplexeetl’étincelledesurprise

danssesyeux.Ellesedétournapoursesoustraireàl’inquisitiondeVicky.Celle-cis’empressaauprèsdeleurs

parentsdanscetteparodiedetendressedontelleétaitcoutumière.–JeteprésenteBruce,annonça-t-elled’untondesupérioritéhabituelle.Rebeccacachasontrouble,letremblementlégerdesesmains.Personnenesait,serappela-t-ellepourrésisteràsonenviedefuirdanslaseconde.Personne.

***

Bruce contempla Rebecca Aberdeen qui le saluait d’un signe de tête indifférent. Elle étaitdifférente de ses souvenirs et pourtant si semblable que c’en était troublant. Une intense étincelleavaitvrilléunquartdesecondedanssesyeuxclairs,redevenusimpassibles.

Insolite,pensa-t-il,commeàleurpremièrerencontre.Ellelemettaitmalàl’aise.Pourtant,ilpercevaitunevibrationtroublantequiémanaitd’elle.–Nousnoussommesdéjàrencontrés.Vicky,pendueàsonbras,leregardaavecsurprise.–TuasdéjàrencontréBecky?demanda-t-elle,lançantuncoupd’œilfroisséàsasœur.–Oui,réponditRebeccad’untonpoli,auquelilréponditd’unsignedetête.Monsieur…Wayne,

c’est ça ?M.Wayne a logé auPalace avant ton retour deLondres, ajouta-t-elle à l’intention de sasœur.Nousnoussommescroisésdanslehall.

–Oh!Jecomprendspourquoitum’attendaisàl’aéroport,alors!s’écriaVickyavecl’undecesrirescharmantsquienvoûtaientsonauditoireinstantanément.

Ilhochalatêtesansunmot,charméparsonregardmalicieux,puisjetaunderniercoupd’œilàRebeccaquirepartaitverslebuffet,samainfineposéesurlebrasdel’hommequil’accompagnait.

Étrange,pensa-t-il,avantquelesouriredeVickyn’effacetoutcequin’étaitpaselle.

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Chapitre5

Les mains dans les poches de son short, Bruce avançait sans bruit sur le chemin couvertd’aiguillesdepin.Ilsifflotaitgaiement.

Vicky lui avait donné rendez-vous sur une petite plage éloignée de lamaison. Un sourire luieffleuraleslèvres.Ilavançaitd’unbonpas,impatientdelaretrouver.

Quatremoisqu’ill’avaitrencontrée.Leurrelationglissaitlentementversuneententetacite.Elleseraitsonépouse, ilenavait lacertitude.Peut-êtremêmeferait-ilsademandecettesemaine…Elleétaitlafemmedesavie.Ilsemoquadesonromantisme.

IlétaitdésormaisinclusdanslesrelationsduclanAberdeenetavaitétéinvitéàlagrandesoiréecostuméedu lendemainsoir.Soiréerecherchéepar l’élitequecomptait lepays.LebalcostumédesAberdeenétait l’unedesmanifestationslesplussomptueusesducalendrierdesgalasdelacôteEst.Touteslespersonnalitésdumondedesaffairesyassisteraient.Depuisunesemaine,lesyachtsdeluxeaffluaient dans les eaux proches de l’île, qui serait bientôt cernée par des embarcations de toutessortes,véritablecataloguepourunarmateurouunacheteurpotentieldepalaceflottant!

Unrirecascadantrésonnaàsadroite,etlesurpritparsamusicalitésemblableàuneeauclaire.Curieux, il s’écarta du chemin, et se rapprocha du bord de la petite falaise rocheuse couverte debuissonsquisurplombaitlamer.

–AllezSkippy!Ose!claironnaunevoixàl’accentchaleureux.Un grand cri retentit, suivi d’un bruit d’éclaboussures auquel semêla de nouveau le rire qui

l’avaitdétournédesasongerie.–Froussard!clamaencorelavoixqu’ilidentifiaenfin.Rebecca?Ils’approchaetobservalascèneavecintérêt.L’ombredusous-boislecachaitsanspourautant

qu’ilneperdeunemietteduspectaclequis’offraitàlui,àquelquesdizainesdemètresdelà.Ungrandjeunehommeblondsetenaitsurunpromontoire,àplusdehuitmètresau-dessusdes

flots.Ilsemblaithésiteràplonger.Rebeccanageaitsurplacedansl’eaucouleurémeraude.Elleriaitdeboncœur.

–Sitonpèreapprendqu’onaplongélà,ilvamevirer!protestaleditSkippyd’untonrogue.

***

Rebeccaplongeadanslamaréemouvantepourreparaîtrequelquesmètresplusloin.Lesvaguesl’entraînaientverslelarge,lentement,sansqu’elles’ensoucie.

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–Quiveux-tuquiailleluidire?Toi,peut-être?demanda-t-elleauchauffeurdesonpèreavecungrandrireeffronté.

Ilsétaientamisdepuisl’enfance.Skipavaitprislaplacedesonpère,l’ancienchauffeur,pargoûtpourlesvoituresdeluxequ’ilconduisaitetentretenaitavecgrandsoin.Sondiplômed’ingénieurenpoche,ilavaitvadrouilléàtraverslemondeavantdeseproposer,sixansplustôt,commechauffeurattitrédelafamilleAberdeen.Sademandeavaitétéacceptée.

Il conduisait parfoisVicky etMandy, elle, jamais.Elle lui volait le volant à chaque fois.Unevraie furie ! Elle lui avait flanqué la frousse plus d’une fois, sans pour autant qu’ils aient jamaisd’accident.Ilsétaientdumêmeâge,avaientflirtéunété,sansqueleuridylledevacancesn’ailleplusloin.

Désormais, ilsétaientamis.Devéritablesamis.Desdeux,cen’étaitpasSkipquiavaitbesoind’amitié,maisbienelle.Elledébarquaitdans sonappartementpour se faireoffrirunebière,parleravecquelqu’unde«normal»,commeelledisait.LepatronymeAberdeenétaitlourdàporterpourelle!

Nesesauvait-ellepasdepuisl’enfancepourenfreindrelesrèglesimposéesparsesparents,sansquepersonnenes’endoute?

Comme aujourd’hui. Son père interdisait à quiconque de plonger de ce promontoire depuisl’accident,heureusementsansgravité,d’uninvitétéméraireetmaladroit.Maisc’étaitleurplongeoirdepuistoujoursetpasquestionpourellederenoncerauplaisirdel’utiliser!

–Siquelqu’unpasseenjet-skietnoussurprendici,çavafairedugrabuge,repritSkip.– Raison de plus de te dépêcher ! Allons vers la crique, personne n’ira nous y chercher !

s’exclamaRebeccaenpartantd’uncrawlvigoureux.EllevitSkip la suivredesyeux,puisplongerdans l’eau fraîcheà son tour,non sans lui avoir

lancé:–Mauditebonnefemme!

***

Bruceavaitassistéà lascèneaveccuriosité.Lesdeux jeunesgenssedirigeaientvers lapetitepointe de l’île, à l’ouest. Ils nageaient de concert. Les gestes fluides et accordés indiquaient unecomplicitédelonguedate.

LechauffeurdeMarshallAberdeen!Iln’aurait jamais imaginéque laPrincessedeglacepuissemontrerautantde jovialitéavecun

subalterne.Jovialitéouplus?Ilrepritsaroute,accéléralepaspourrejoindreVicky,laissantsesréflexionsamuséesoffrirun

dérivatifpassageràsespréoccupations.Ilatteignitlaplageenquelquesminutes.Ilfitlamoueenconstatantqu’ilsneseraientpasseuls,

contrairementàcequ’ilavaitespéré.TouteunetroupeentouraitVickyetMandy,pendueaubrasdesonpresque fiancé.D’aprèsVicky, l’annonceofficielledeses fiançaillesavecJuandeMedeiros, lefilsd’unindustrielbrésilien,seferaitlelendemain.Ungros4×4garésurleborddelaplagetenaitlieudebar,pourleplusgrandplaisirdesjeunesgensprésents.

Ils’avança,terriblementdéçudetrouverlàautantdemonde.Avecsestrenteans,ilsetrouvaitparfoisâgéencomparaisondesjeunesoisifsquigravitaientautourdessœursAberdeen.Ilretintsonenviedefairedemi-tour,soupiradedépit.

–Bruce!s’exclamaVickyenledécouvrant,indécis,enhautdeladune.Elle l’encourageaà la rejoindred’ungrand signede lamain. Il sedécida, espérantpouvoir la

soustraireà«sacour»,commedisaitCharly.Ill’avaitconstatédepuissonretour,Vickynepouvait

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pas vivre sans être entourée d’une ribambelle de jeunes hommes séduisants.Royale, elle les tenaitéloignés,maisilenétaitjaloux,mêmesiellenelequittaitpaslorsqu’ilétaitprésent,montrantainsisapréférence.

–Jepensaisquenousserionsseuls,murmura-t-il,déçu,àsonoreille.Ill’embrassasurlajoue,fitployersataillefinesoussonbras.Elleseserralascivementcontre

lui.–Nousnepouvonspasabandonnernosinvités,chuchota-t-elled’unevoixcâline.Mais,promis,

nousrentreronsensembleenjet-ski.Elleluiembrassalecoindeslèvresoùfleuritsonsourireconquisetamoureux.Lecorpschaudcontreluiétaitunepromesseenivrantedontellesavaitjouerpourlefairecéderet

luiredonnerlesourire.Unsouvenirfusa,fulgurant.S’abandonnerait-elleavecautantdepassionquesoninconnueduPalace?Depuisdeuxmois,l’énigmerestaitentière.Mêmes’ilavaitéchafaudélesscénarioslesplusfous,

il n’avait aucune idée de l’identité de cette femme. Il doutait parfois d’avoir vécu un tel rêve,l’imaginaitcommeunfantôme.

Quipouvaits’êtreglissédanssonlitcettenuit-là?Quipouvaitluiavoiroffertsavirginitéavecunabandonsipassionné?Iln’enrevenaitpas,hésitaitencoreàcroireàlaréalitédecettenuitféerique.Ellerestaitgravée

danssamémoirecommeuntrésorcaché,pur,mystérieux,envoûtant.Unehistoireincompréhensible,déstabilisante…Nepasconnaîtrel’identitédecettefemmeétaitcommeuneaiguilleplantéedanssoncerveau,unmurmureétrangedeparadis.SonangeduPalace,commeilseplaisaitàpenserparfoisavecmélancolie.

Aprèscettefabuleusenuit,ilavaitrejointVickyàl’aéroport,constatéparlui-mêmequ’elleétaitàLondres et non pas dans ses bras, la nuit précédente. Il n’avait pas cruRebecca lorsqu’elle avaitprétenduque sa sœurétait enGrande-Bretagne, alorsqu’il faisait l’amouravecpassionàuneautrefemme.Pour lui,Vickyétait revenueàNewYorksansavertirquiconquepour lui faireunesurpriseinattendue,magique.Unsecretentreeux.Elleavaitfaitcroireàsonretourquelquesheuresplustard,afindecacheràsafamilleleuraventuremerveilleuse.Ils’étaitaccrochéàcetteidéetoutelajournée,l’avaittrouvéetouchanteetexcitante.Maislavoirsortirdel’aviondeligneàl’aéroportl’avaitjetédansuneconfusiontotale.Illuiavaitbienfalluserendreàl’évidence:Rebeccan’avaitpasmenti.

Iln’avaitaucuneidéedel’identitédelafemmequis’étaitglisséedanssonlit.Aucunindicenel’avaitmis sur lavoie. Il était retournéenEuropepour lagrandeaventurePhilémon, les souvenirsenfouisdansuncoindesoncerveau.

L’aventurespatialedeleurpetitrobotavaittouteffacépouruntemps.Leurprojets’étaitrévéléêtre une réussite presque totale. Si le robot n’avait pas rebondi, si les grappins avaient été plusefficaces,lesrésultatsauraientétéfabuleux.Cependant,chercheursetconcepteursétaientenchantés.Deux gros contrats pour deux nouvelles aventures spatiales avaient été signés à grand renfort depublicité.

Dansmoinsd’unesemaine,leurentrepriseallaitentrerenbourse.Charlynedescendaitplusdesonnuagerose.Leurfortuneétaitfaite.L’aventuredébutéedansungaragesepoursuivaitenapothéosedanslesétoiles.Étoilesquiluifaisaientmiroitersonfuturparadis.

MarshallAberdeen ne pourrait pas lui refuser lamain de sa fille, son aisance financière étaitdésormaisreconnue.LeuraventurespatialefaisaitdeCharlyetluideshommesenvue,recherchéspartous.Unenotoriétédontilneseprivaitpasdeprofiter.

Seth Hamilton s’approcha d’eux, son sourire légendaire aux dents blanches accroché sur sonvisageinterrogatif.

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–Vicky,Rebeccan’estpasarrivée?–Becky?Jecroisqu’elledevaitfairejenesaisquoipourjenesaisquelhôtel,réponditVicky

langoureusementappuyéecontrelui.Elleestrestéeaumanoiravecpapa.Brucesouritfinement,repensantàRebeccaquis’ébrouaitdansl’eauaveclechauffeur,loindela

fouleprésenteici.Ill’envia.Luiaussiauraitaimégoûterdesinstantsd’intimité,commesemblaients’enêtreaccordéRebeccaetSkippy.

Seth parut mécontent de la réponse de Vicky. Bruce rit intérieurement. Il appréciaitmoyennement cet homme. Il le trouvait imbu de lui-même, arrogant.Un fils à papa dans toute sasplendeur,quil’horripilaitprodigieusement.

Sonfuturbeau-frère,réalisa-t-ilsoudain,sisesprojetsprenaientlecheminqu’ilespérait.LesfiançaillesdeRebeccaetSethétaientpresqueconclues,sansque,pour l’instant, l’annonce

officielle n’ait été promulguée parMarshallAberdeen.Depuis unmois qu’il avait intégré le clan,aprèslesuccèsdel’expéditionPhilémon,ils’amusaitàétudierdeprèslafamille.Ilyprenaitunréelplaisir, tant la mainmise deMarshall sur tous ses membres était évidente. Rétrograde, d’un autretempsetpourtantréellementeffective.

Aberdeenétaitunhommedur,intransigeant.Brucel’avaitconstatéavecstupeur.Camillen’étaitguèreplustendreavecsesfilles.Lessœursdevaientseplierauxvolontéspaternellesqueleurmères’empressaitdefaireappliqueravecautorité.Aucuned’ellesnerechignait.Vickyavouaitsanshontequelepaternalismedesonpèreétaitteintéd’unecertaineindulgenceenverselle.

Ill’avaitobservémaintesfois.Elleétaitmontréeenexempleàsessœursparleursparents.Ilsnecachaient pas l’orgueil qu’elle leur procurait, la préférence qu’ils lui accordaient. Lui-même latrouvaitjustifiée.VickyétaitlaplusbelledesquatrefillesAberdeen,avecsadistinctionhautainedespluscharmantes.Sil’uned’ellesallaitpouvoirimposersonfuturmariàMarshall,c’étaitbienVicky!

Mandys’étaitpliéeauchoixpaternel.Elles’accommodaittrèsbiendedevenirlafutureMmedeMedeiros. Juan était un jeune homme gai, un peu fou. Ils s’accordaient merveilleusement. Leurscaractères et leurs goûts communs les rapprochaient, notamment celui du luxe. De ce côté-là, ilsseraient comblés au-delà de ce qu’ils espéraient. L’hacienda brésilienne de Juan était un véritablepalaisdesmilleetunenuits,leursfortunescumuléeslapromessed’unevieoisivepourlemillénaire.Leurattirancemutuellen’étaitpasfeinte.Depuisunesemaine,lesdécouvrirenlacésamoureusementaudétourd’uncheminn’étaitpasétrangeràBruce.Envoilàunequin’attendraitpaslemariagepourjetersagourme!avait-ilpensé.Illesavaitsurprisàs’étreindreavecpassion,unjouroùilcouraitdebonmatindanslesbois.

IlavaitplusdemalàémettreunavissurRebecca.Cettedernièrel’évitaitavecsoin,sansqu’ilendécouvrelaraison.Leursfréquentesrencontresne

luiavaientpaspermisdecernersoncaractère,ellequisemblaitlaplussoumiseaudesideratadesonpère et de sa mère. Elle se montrait toujours froide envers tous, le regard clair impénétrable,impassible.Elle restaiten retraitpar rapportàsessœursplusexpansiveset insouciantes,commesiellesesentaitétrangèredansleclandesprincesses.

Depuisledébutdelasemaine,ellelogeaitdanssonpavillonpersonnel,etnonaumanoir,commelerestedelafamille.Ellemontraitdessignesqu’ilavaitdumalàanalyser.

Rébellion?Volontéaffichéedegardersesdistances?Ilavait remarquéquede toute la fratrie,elleétait la seuleàavoirunevéritableoccupationau

seindugroupe.MarshallAberdeensereposaitsouventsurellepourrésoudredesproblèmesdansleshôtels.Enunmois,elles’étaitenvoléepourTokyo,LeCapetParispourdesséjourséclairs,augranddésespoirdeSethHamilton,dont l’affairesentimentalenesemblaitpasprendre lecoursvoulu.Sonregardetsamâchoirecrispéeàl’annoncedesdépartsrépétésdecellequel’ondisaitsafuturefemmeavaientamuséBruce,maislecomportementindifférentdelafuturefiancéel’avaitlaisséperplexe.

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VickyprétendaitqueRebeccan’attendaitquelademandedeSethpourquesesépousaillessoientàl’ordredujour.

Nebrûlait-ellepasd’amourpour lui ? s’était-ellemoquéeaigrement.Rebeccan’avait-ellepasassistéavecassiduitéàtouteslesréunions,réceptions,galasoùSethHamiltonétaitattendu?

La passion dévorante et exclusive dont Vicky se moquait n’était pas pour lui une évidencetangible.Vickyraillaitouvertementsonaînéelorsquelafamilleétaitréunie.Luis’étonnaitdurefusderétorquerdeRebecca.EllesecontentaitderegarderVicky,dehausserunsourcil,alorsqu’unriendesourireétiraitsalèvresupérieure.Uncomportementdontilneperçaitpaslemystère,alorsqu’ellelui semblait différente. Étrange jeune femme dont il aurait aimé découvrir la vraie nature. Ilreconnaissait sans honte et sans remords que Rebecca Aberdeen le fascinait par son impassibilité.Mêmelesremontrancesmaternelles,parfoissévères,nesemblaientpaslatoucher;elleobéissaitsansrechigner.Uneénigmepourlui.

SiVickyn’avaitpasoccupétoutessespensées,ilauraitaimémieuxconnaîtreRebecca,s’enfaireuneamie.Maisellel’évitaitavecrigueur.Dumoinsétait-cecequ’ilressentait,uneimpressiondiffusedontilnepouvaitsedébarrasser,bienquel’attitudedecettedernièrenesoitpasouvertementdistante.Vicky avait ri lorsqu’il lui en avait parlé. Elle avait prétendu que Rebecca ne se liait jamais avecpersonne.Aprèsavoirassistéàlascèneduplongeoir,unpeuplustôtdansl’après-midi,ilendoutaitfortement.RebeccamontraitaucontraireunegrandefamiliaritéaveclechauffeurdeMarshall,bienéloignéedesafroideurenpublic.

Vickylesortitdesesréflexions,l’entraînaverslesjet-skisarrivéssurlaplageetprisd’assaut.Une course s’organisa pour rejoindre le ponton devant le manoir. Bientôt, dans la petite criqueensoleillée,lescrissemêlèrentauxvrombissementsbruyantsdespuissantsmoteurs.

–Restonsenarrière,luimurmuraVickyàl’oreillecommeuneinvitationàs’écarterdugroupe.Ilfrémitetplusriennecomptaqu’elle.Ellesecollaàsondos,etlemoteurvibraàsasollicitationadroite.Ilsouritbéatement,ravide

cetteintimité,s’élançasurlesflotsàlapoursuitedelacohorteégayéecommeunevoléed’étourneauxauxcrisdesauvages.

LesbrasdeVickyautourde sa taille, sapoitrine contre sondos, ses cuisses fermes serrées lelongdesescuissesleravissaient.Sonmentonposésursonépauleluidonnaitunsentimentd’intensepuissance.Lesvagues soulevaient le jet-ski, les éclaboussaient copieusement.Leurs rires joyeux semêlaient,musiquedeleurjeunesseinsouciante.

–Là!ditsoudainVicky,montrantdudoigtunepetitecriqueàlapointedel’île.Bruce sourit, ydirigea le jet-ski.Cette invitation àunpeud’intimité fit naître en lui undésir

enivrant.Deuxcorpsseprélassaientsurlesgaletschauffésàblancparlesoleil triomphant, invisiblessi

l’onn’approchaitpasdelacriqueabritée.Unesilhouettesesoulevaàleurapproche.Brucereconnutlesdeux jeunesgens. Ilvit levisagedeRebeccas’assombrir.Elle secouasoncompagnonendormi.L’appareil vint s’échouer sur la plage dans un raclement de galets, et le bruit du moteur mourutlorsqu’ilcoupalecontact.

–Becky?Maisqu’est-cequ’ellefaitlà?s’étonnaVicky.Il l’aida à descendre du jet-ski, observant du coin de l’œil le couple qui s’était levé

précipitammentàleurapproche.Ilsesentitembarrassédelesdéranger.–Merde,entendit-ilgrommelerRebecca.–Ellevacafter?s’inquiétaSkippy.Unemoueamusanteplissasonvisagebronzé.Rebecca répondit,avecunsourirequivibraune

secondedeférocité:–Ellen’apasintérêt!J’aiquelquesmunitionsd’avance.

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Ellelepoussaverslafalaise.–Vas-y,jeterejoins,ajouta-t-elled’unevoixennuyée.–Jecroyaisquetuétaisaumanoir,ditVickyenobservantlechauffeurs’éloigner.–J’avaisterminé.J’ailedroitdem’accorderunpeudeloisirs,non?LeregarddeRebeccadurcitdevantlaminehautainedesasœur.–AvecSkip?–Oui,avecSkip.Ellecommençaàs’éloigneràsontour.–Vousavezencoreplongédupromontoire!s’écriaVickyd’untonaccusateur.Rebeccasetournaversellelentement.–Oui,nousavonsplongédupromontoire,Vicky…Unsourirenarquoisilluminasonvisagepétillant.Bruce les observait, étonné de l’acrimonie que montrait Vicky envers son aînée. À cause du

chauffeur?Unerivalitéféminine?Ilsefitplusattentif,observalesdeuxvisagesdébarrassésdeleursmasqueshabituels.–Sipapal’apprend…,commençaVickyd’unpetitairsournois.Le riredeRebeccacascada, ricochadans lapetite crique.Sesyeuxbrillaientd’unamusement

vibrant.Brucefutméduséparsonbrusquechangementdephysionomie.–Tuveuxallerleluidire,Vicky?rétorqua-t-elled’unevoixdoucecommeduvelours.Vickyblêmit,reculad’unpas.–Sipapatevoittraîneraveclepersonnel…–Skipestunami,trancharudementRebeccadontlestraitsvenaientdesechargerd’unecolère

fugace.Nel’oubliesurtoutpas!ElleseretournasansattendrelaréponsequeVickys’abstintdefaireetpartit,ladémarcheraide.Bruce la suivit des yeux, rempli de curiosité, étonné par les répliques virulentes de Rebecca.

L’antagonismeentrelesdeuxsœursétaitflagrant.Pourlapremièrefoisdepuisqu’illesconnaissait,RebeccaavaitmontrédelarudesseenversVickyqui,s’ilenjugeaitparlesapparences,avaitétémiseK-O.

Ainsi,cellequijamaisnerétorquaitavaitdelarepartie?–Sipapal’apprend,ilvalajeterdehorsetSkipavec!jeta-t-ellerageusement.

***

Vicky gardait une rancœur sourde envers Skip. Il l’avait repoussée, un été, alors qu’elle avaittenté de le séduire. Rebecca avait assisté à la scène. Lorsqu’elle avait voulu se plaindre du jeunehommepoursevenger,Rebeccal’avaitprévenuequ’ellerévéleraitàleurpèresesincartades.Etcesavertissementsn’étaientpasdesmenacesenl’air.

Rebecca était aussi prude que leur père.La trouver au lit avec un jardinier, alors qu’elle étaitencoremineure,l’avaitbouleversée.Rebeccaavaitpourtantdix-huitans,àl’époque.Depuis,Vickysegardaitdedévoilerlesaventures.Ellesemontraitprudenteaveclesextraqu’elles’accordaitaveclepersonneldeshôtels.Lesmenacesdelicenciementoulespropositionsd’avancementpermettaientderendre ces liaisonsdiscrètes.Les employés étaient faciles à circonvenir, et leurs petits rendez-vouscoquins restaient secrets. L’allusion de Rebecca l’inquiétait pourtant. Mieux valait abandonner labataille,semontrerplusaimableenverselle.

Leurpèreétaitintransigeantsurladécence,etsurcetteidiotiedevirginitéavantlemariage.Uneaberrationàlaquelleelles’étaitsoustraitedepuislongtemps.Entoutediscrétion,pournepassubirles

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foudrespaternellesoulesconséquencesdésagréablesdesesmenacesimplicites.Lesrenier,niplusnimoins.Lesjeteràlaruesansespoirdepardon.Lespriverimmédiatementdumoindrerevenu.Joueraveclefeuétaitplaisant,maispasaupointdefinircarbonisée!

Elleseredressa,plaquaunsourirecharmeursurseslèvrespourqueBrucenesedoutederien.N’avait-ellepasdécidéde se faireépouserpourvivrepleinement savie, sansavoir à recevoir

d’ordresdesonpèreouàsesentirflouerdanssesgoûtsdeluxe?DirequeRebeccaavaitsuattirerceluienquielle-mêmeavaitplacétoussesespoirs!Pourquoi

Seths’était-ilentichédesasœur?Ellenecomprenaittoujourspas.Elleavaitpourtanttoutfaitpourquecesoitd’ellequ’iltombe

amoureux,outoutaumoinsqu’ildemandeenmariage.LafortuneHamiltonvalaitcelledesAberdeen.Lepactolequesonpèreluiverseraitpoursonmariageavaitunavant-goûtdeliberté,maisn’étaitpassuffisantpourassouvirsesgoûtsdeluxe.EtcettebécassedeRebeccaavaitprisdanssesfiletsleseulhommesurlequelelleavaitjetésondévolu!

Ilauraitétéunmariparfait.Beau,jeune,malléable.Elle sourit à Bruce, vint se coller à lui, lui offrit ses lèvres pour lui faire oublier leur petite

escarmouchefamiliale.Il ne fallait pas le perdre, celui-là ! Il était tellement subjugué qu’elle en ferait ce qu’elle

voudrait.La bouche chaude deBruce vint couvrir la sienne et elle soupira de dépit. Pourquoi Seths’était-ilentichédeRebecca?

***

Arrivéeenhautdelafalaise,Rebeccaseretourna.EllecachaàSkipsondésarroidevoirsurlaplagelesdeuxcorpsenlacésétroitement.Unfrissonremontalelongdesacolonnevertébrale,irradiasoncerveaud’un frémissement intense.Elledétourna lesyeuxpournepluspenserà la foliequi latorturaitdepuisdeuxmois.

Elledevaitoubliercethomme!Impérativement.

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Chapitre6

–Faiteslenécessaire.Nousseronssurlebateauà23h30,aprèslefeud’artifice.Neprévoyezpas de flash pour que les photos soient plus probantes. Elles devront paraître avant le week-end,précisaSethd’untonautoritaire.

Pendantquelquessecondes,lesilencesefitdanslepetitbois.–Une légende?Jecroisque lesphotosserontassezparlantes.Mais,unpetit textedugenre«

RebeccaAberdeenlaPrincessedeglacefondantsouslecharmedeSethHamilton»pourraitfairesoneffet.Lasituationserasanséquivoque,croyez-moi,jem’enchargepersonnellement!

Ilsouritférocement.Cettepetitedinde,avecsesgrandsairs,n’allaitpasmettreàmalsonplansibienélaboré.Elleavaitrejetésademandeenmariage!Sansuneexplication,d’unsimple«Jenepeuxpas».

Unmoisqu’ilsentaitqu’elleluiéchappait!Ilnes’étaitpastrompé.DepuissonretourdeLondres,Rebeccasedérobait.SisournoisementqueMarshalln’avaitrien

remarqué.Lui-mêmeavaitmislesbouchéesdoubles,l’avaitentouréedeprévenances.Maisplusilsemontrait tendre, plus elle s’éloignait, redevenait cette glace froide et lointaine. Elle avait dûrencontrerunhomme,àLondres,ets’iln’yprenaitgarde,safortunepourraitbienluipassersouslenez. Or, il ne s’y résolvait pas. Il devait bien se l’avouer, la résistance de Rebecca à céder à sesavances était devenue pour lui un défi à surmonter. Son orgueil ne pouvait accepter la défaite. LaPrincessedeglace luiappartiendrait. Il lasoumettraitàsondésir.Cettefemmeétaità luiet ilétaitprêt à toutes les bassesses pour l’obtenir. Jamais aucune autre n’avait provoqué en lui un telchambardement,unetellevolontédelaposséder.Cen’étaitpasdel’amour,maisundésirbestialqu’ildevait assouvir. Une fois qu’il la posséderait, il en ferait sa chose, soumise, conquise à toutes sesdemandes.

Ilsouritdenouveau,dansl’obscuritédupetitbois.Unsourirecruel.Lepiègeétaitparfait.Ellen’yverraitquedufeu.Avantlelendemainsoir,elleseraitàlui.Lebalcostuméfiniraitenapothéosepourlui,endéfaitecinglantepourRebeccaAberdeen.

Sonpère,pourétoufferlescandalequ’ilallaitprovoquer,ordonneraitlemariageimmédiatdesafille indigne.Lui seplierait à lademandeavecune soumissionabsolueetune indignation révulséecontrelesjournalistes.

Toutseraitparfait!Il repartit vers le manoir d’une démarche nonchalante, riant déjà en pensant à la soirée du

lendemainets’endélectantd’avance.Rebeccaseraitàlui!

***

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Quelleordure,ceSethHamilton!Adosséàungroschêne,àquelquesmètresde laclairièreoùSethse tenait l’instantprécédent,

Brucenedécoléraitpas.Mêmes’iln’avaitentenduqu’unepartiedelaconversationtéléphonique,ilsefaisaituntableautrèsprécisdecequeSethpréparait.Celui-cinesedoutaitpasquecetappel,qu’ilavaitvouludiscret,aumilieudesbois,étaitparvenuauxoreillesdequelqu’un.Quelqu’unquibrûlaitd’envied’abattresonpoingsursonvisage!

Brucerenonçaàallumersacigarette,lajetaauloind’ungesteénervé.IldevaitprévenirRebeccadupiège que lui tendait son fiancé. Il fronça les sourcils. Son fiancé ?PourquoiSethmettait-il aupointcepiège,s’ilcomptaitl’épouser?

Unscandalepareilnepencheraitpasensafaveur.LepèredeRebeccapouvaitdéciderdereniersafillepouruntelmanquementàl’éthiquefamiliale.

Aberdeen avait été clair lorsqu’il l’avait entretenu de sa relation avecVicky. Pas de relationsavantlemariage.C’étaittotalementvieuxjeu,incroyablementabsurdeàl’èredel’informatique,desfilmspornosetdesboîtesdenuitéchangistes,maisiln’endémordaitpas.

Et forceétaitdeconstaterqueVicky l’avaitgentiment repoussé laveille,alorsqu’ilss’étaientenflammésaprèsunbaisertorride.Lorsqu’ilavaitvoululuienleverlehautminusculedesonmaillotdebainblanc,ellel’avaitrepousséd’un«Non,s’ilteplaît,jenepeuxpas!».

Ilenétaittombéunpeuplusamoureux.Savoirqu’elleserefusaitàluiavecceregardbrûlantdedésir l’avait conforté dans son sentiment qu’elle était exceptionnelle. Résister aux avances deshommesjusqu’aumariageétaithéroïquepourunefemmeaussisomptueusementbelleetdésirée.Elleétaitaussipurequ’ill’avaitimaginée.Ilenfrémissaitd’unsentimentprofondettendre.Elleseraitsareine.

Iln’enétaitqueplusfurieuxcontreHamiltonetsadéloyautéenversRebecca.Safiancée?Ilyréfléchitenrevenantverslemanoir.S’ils étaient fiancés ou prévoyaient de l’être, Seth n’avait pas besoin de cet artifice immonde

pourl’épouser.C’étaitmêmecontre-productifetmettraitAberdeenenfureur.Lequelétaitcapabledespiressanctionscontreeux.

Rebeccaaurait-ellerejetésademande?Depuis une semaine qu’il l’observait, il avait pu constater qu’elle ne montrait pas de signes

particuliers d’un tendre attachement envers Seth, au contraire. Elle le tenait en respect avec unedétermination imperceptiblequ’ilavaitcependant remarquéeau traversdepetits indices.Elleneselaissait plus prendre par la taille, détournait la tête légèrement lorsque Seth montrait tropd’empressementàl’embrasserauxcoinsdeslèvres,toutescesmanifestationsdetendressequ’ilavaitlui-mêmepourVicky.

PasdedémonstrationsintempestivessousletoitdeMarshall.Ilnelesacceptaitpas,mêmedesafillemariée,tancéesévèrementparcequ’elleavaitembrassésurlabouchesonmaridevantlerestedelafamille.Personnen’avaitriendit.Elisabethavaitrougicommeunegaminededixans,Bryanguèreplusfierdevantsonbeau-père.

Bruce aurait envoyé promener Marshall sans hésitation. Il avait eu la velléité de faire uneremarque acerbe. Le regard de Rebecca, qu’il avait croisé à ce moment-là, l’avait stoppé net,inexplicablement,commesilamêmerévoltesourdelesavaitétreintsetrapprochés.

Rebecca l’intriguait. Il ne comprenait pas qu’elle ne le laisse pas approcher pour qu’ilsdeviennentamis.Sonamitiéavec lechauffeurétait incompréhensiblepour lui.L’idéequ’une idyllesecrètelesliaitétaitlaseuleexplicationplausibleàcequ’ilavaitsurprislaveille.

Vicky refusait de parler de son aînée.Elle la jugeait durement. La considération queRebeccamontrait envers le personnel l’excédait. Rebecca ne fuyait-elle pas les relations sociales de leurmondepoursecomplaireparmilecommundesmortels?Nesesauvait-ellepasdetouttempspour

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rejoindrelepersonnel,sousprétextededonnerdesordres?s’était-elleindignée,laconsciencedesonrang ancrée profondément en elle. Il n’avait pas poussé plus loin son interrogatoire. L’énervementvisibledeVickylorsqu’ilparlaitdeRebeccaprouvaitleconflitsourdentrelesdeuxsœurs.

Plusilréfléchissait,plusilenétaitcertain:RebeccaavaitrejetéHamilton,maiscelui-cin’avaitpasl’intentiondelaisserfilersaproie.

Charly, source intarissablede renseignements sur la sociétédeNewYork, lui avait révéléqueSeths’étaitfaitcouperlesvivresparsonpère.Tropdépensierd’aprèslarumeur,ilavaitétéremisaupasavecsévérité.S’ilétaitacculé,ildevaittrouverunenouvellesourcederevenus.Vickyneluiavaitpas caché que leur père les doterait royalement pour leursmariages. Pasmoins de 10millions dedollars!UnepeccadillepourVicky,l’empireAberdeenvalantaubasmot667millionsdedollars.Ellene comprenait pas la mesquinerie de son père. Bruce avait sourcillé à ses plaintes à propos de laprétendueradineriedesonpère.Ellevivaitdansunluxeinouï.Ils’étaitdemandésielleaccepteraitsademandeendécouvrantquesafortunepersonnelleétaittrèsloind’égalercelled’unSethHamilton.Àpeine10millionsdedollars, tous injectés dans l’entreprise. Il vivait confortablement,mais il étaitloindepouvoirsoutenirletraindeviedelafamilleAberdeen.

Ilgrimaçaàcespensées,qu’ilprenaitsoind’écarterdepuisunesemaine.IlaimaitéperdumentVicky et elle semblait répondre à son amour. Ils seraient heureux ensemble, il la comblerait desattentionslesplusfolles.Elleseraitunereinepourlui…Unsourired’espérancerevintsurseslèvres,sesréflexionségayéesparlesimagesd’avenirquifleurissaientdanssoncerveau.

Tandisqu’ilapprochaitdelagrandemaisonsurlacolline,lesproposd’Hamiltonluirevinrentenmémoire.IldevaitprévenirRebeccaqu’ellenedevaitpaslesuivrelelendemainsoir.Qu’ellel’évitelepluspossible,nerestepasseuleaveclui.Mais ilne luirévéleraitpascequ’ilavaitdécouvert. Iln’avaitpasl’intentiondefairelesfraisd’unprocèsendiffamationdelapartdeSeths’ilsetrompaitouquesesmisesengardeluisoientrapportées.UniquementprévenirRebeccadenepasresterseuleaveclui,denepasapprocherd’unbateaudetoutelasoirée.

Lemanoirétaitéclairédemillefeux.Ilsedressaitmajestueusementdanslejardinluxuriantquel’étéparaitdetoutessescouleurssublimes.Lesparfumsenivrantsmontaientdesparterresdefleursdisséminéssurlapelouseenpentedoucejusqu’àlaplagedegalets.L’embarcadèreétaitéclairé.Deuxembarcations légèrespermettaient de rejoindre les yachts à l’ancre, que l’ondistinguait à quelquesencabluresde l’île.Écrinmagnifiquedepaixpour lemanoirdressécommeunseigneurorgueilleuxdominant lamer à ses pieds.La foule des invités se pressait sur la pelouse et la terrasse,mélangehétérocliteetsurprenant.

Il scruta les environs et finit par découvrir Rebecca. Seth l’accompagnait, montraitostensiblement qu’elle était sa propriété. Il les observa discrètement un longmoment, adossé à larambardedelagloriettecouvertedefleurs,pourobtenirconfirmationdecequ’ilpensait.

Ilnese trompaitpas.Sonregardacérécaptait tous lessecretscachés.Rebeccane luimontraitpasd’affection.Ellesetenaitéloignéedeluilepluspossible.

BrucesedécidaàagirlorsqueSethfutaccaparéparunhommequil’entraînaàquelquespas.Ils’approchadiscrètementdelajeunefemmeesseulée.

–Rebecca,pourrions-nousparleruninstant?Ellesefigea.Uneombreeffleurasesyeuxdeglaceavantqu’ilsneredeviennentimpassiblessous

leslongscilsbruns.–Dequoivoulez-vousquenousparlions,Bruce?demanda-t-elled’untondistant.–J’aiquelquechosed’importantàvousdire.Enprivé,précisa-t-il.IlsurveillaitSethducoindel’œil,maisletroubledeRebecca,commesasoudainepâleur,nelui

échappèrent pas. Les mains tremblantes, elle resserra son châle de cachemire sur ses épaulesdénudées,commepourinstaurerunebarrièreentreeux.

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–Pourquoi?s’enquit-ellesourdement.–C’est important,Rebecca.Jevousenprie,souffla-t-ilavecunaccentdesupplication.Allons

danser,nousseronsplustranquilles.–Non!Ellesedégagead’ungestebrusque,s’écartad’unpas,sansqu’ilcomprennesonrecul.Pourquoi Rebecca se montrait-elle si distante avec lui, comme si elle le détestait ou qu’il

l’effrayait?–Jedoisvousparler.C’esttrèsimportant.Ilenvadevotreavenir,jevousenprie,croyez-moi.Ils’étonnadelaflammededétressedanssonregardclair,aussitôtdérobéesousleslongscils,de

lacrispationinfimedesabouche,nouvelleénigmepourlui.Pourquoilerejetait-elleainsi,sansluiaccorderunsemblantd’amitié?–Je…–Rebecca,c’estprimordial,jevousassure,lapressa-t-il,alorsqueSethrevenaitverseux.Iln’avaitplusqu’uneissuepourluiparler.Ill’attrapaparlebraset,sansluilaisserletempsde

réagir,l’entraînasurlapeloused’unpasvif,déterminéàcequ’ellel’écoute.Sonpetitcridesurprisen’arrêtapassavolontéàsefaireentendred’elle.Mauditeentêtée!

–MonsieurWayne!protesta-t-elle,alorsqu’ill’entraînaitàsasuited’unepoigneferme.Ils’arrêtaprèsdel’embarcadère,lâchalebrasraidedesaprisonnière,irritéqu’ellemontreàson

égardunetellerépulsion.Pourquoi?– Je suis désolé de vous avoir kidnappée si cavalièrement, plaisanta-t-il pour détendre

l’atmosphère.Elleluiopposaunvisagefermé,impassible.Elleneditrien,baissantlesyeuxpoursedéroberà

sonattention.Mauditefemme,pensa-t-ildansunéclairdecolèrecontenue.Il respira profondément pour calmer sa tension, se lançant à l’assaut de la forteresse de glace

qu’elleétait.–J’aimeraisquenoussoyonsamis,Rebecca.Je…jevousappréciebeaucoupetj’aimeraisvous

connaîtremieux,commença-t-il,pour tenterdepercer lacarapacede froideurqu’elledressaitentreeux.

Sontremblementneluiéchappapas.IlnesavaitpascommentluiconseillerdesedéfierdeSeth.–Rebecca,j’aimeraisque…quevousévitiezde…Ilsetrouvasoudainridiculefaceàcettefemmeglaciale.Elle tremblait d’une colère sourde, lui semblait-il, et il en était touché, bien plus qu’il ne s’y

attendait.Pourquoirefusait-ellesonamitié?Àcausede l’amourqu’ilportaitàVicky?Duconflitentre

elles,ceconflitqu’ilavaitpressentilorsdeleurquerellelaveilledanslapetitecrique?Ilsoupiradedépit,troubléparladéceptionprofondequ’ilressentaitdenepouvoirsefaireune

amiede la sœurdeVicky.Elle l’intriguait tant ! Ilpressentaitqu’elle étaitdifférentedecequ’elleparaissaitauxyeuxdetous.

–Demain, j’aimeraisquevousne restiezpas seule avecHamilton, lança-t-il d’une traitepourfairecessercetentretienstupide.

Ilobservaleprofilpuràpeinedessinédanslapénombre,lasilhouettesomptueusedanslarobedecejauned’orqu’elleseulepouvaitporter,sapeaudoréecommeunabricotmûr,contrasteparfaitaveccettecouleurinsolite.

Elleestbelle,constata-t-ilavecsurprise.Loindelabeautéclassiquedesessœurs,trèsloin,même.

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Rebeccane ressemblaitpasàunedeces rosesqu’ilcomparait toujoursàVicky.Elleétaituneorchidée sauvage comme il en avait vu en Amazonie, belle, mystérieuse, envoûtante. Secrète.Indéchiffrable.

***

Le tonbougondeBruce, lesmotsqu’ilvenaitdeprononcer tétanisèrentRebecca.Depuisqu’ill’avaitsuppliéedelesuivre,qu’ill’avaitentraînéeàl’écartdesautres,ellenerespiraitplus.

Ill’avaitreconnueetallaitluidemanderdesexplications!Elle suffoqua de la soudaine bouffée de chaleur dans ses reins. Les souvenirs, vivaces,

perturbants, affluaient, lui liquéfiant la raison.Elle ne se reconnaissait plus, ne comprenait plus cequ’elleétaitàcausedecethommequiserapprochaitd’elle,levisagetendu.

Queferait-elles’illuidisait«Jevousaireconnue!»?Ellen’avouerait jamais.Mêmesous la torture.Ellebaissa lesyeuxpournepas luimontrerce

qu’elleressentait,pourqu’ilnesedoutepasunseulinstantdesonsecret.C’étaitsiconfusdanssatêteetpourtantsifort,sipuissantqu’ellenepouvaitplusignorercequ’elles’obstinaitàvouloircacher.

Mais elle n’admettrait jamais les ravages qu’une simple nuit avait provoqués en elle, surtoutdepuisqu’elleleregardaitvivre.

Elle chassa ces pensées de son esprit, ferma son cœur à l’émoi violent que sesmots avaientprovoquéenelle.

–Pourquoi?murmura-t-elle,incapablededireunmotdeplus,tantlavibrationmontaitenelle,lasecouaitd’unetempêted’espérance.

– Faites-moi confiance, s’il vous plaît. Je ne peux vous en dire plus,mais… votre avenir endépend.

Ladouceurdesavoix,sagentillesse,latroublèrentencoreplus.–«Monavenir»?répéta-t-elle,incapablederéfrénersontremblementd’émoi.–Oui,Rebecca.Votreavenir.Comptez-moicomme…unami sincère, jevousenprie.Unami

sincèrequisouhaitevotreamitié.Brucenepouvaitsedouterdesravagesquesesmotsavaientprovoquésdanssonâmetourmentée.

Àprésent,soncœurbondissaitd’allégresse.Laconfusiondesonesprit ladéroutait.Ellegardait lesyeuxbaisséspourqu’ilnevoiepasleslarmesquipalpitaientsoussespaupières.

Pourquoi lui faisait-il cette demande insolite ? Avait-il découvert qu’elle était l’inconnue duPalace?Ressentait-ilpourellecequ’elles’efforçaitd’étoufferdepuisdesjours?

Les questions voltigeaient dans son cerveau en surchauffe. Elle se tourna de trois quarts pourqu’ilnepuissepas lire sur sonvisage l’espérancequ’ilmettaitdans soncœur.Uneespérance follequ’elleavaitécartéedepuisdeuxsemaines.Elleseforçaitàleregardervivreetaccordersatendresseàsasœurpouréloignersesdémons.

–Monamitié?répéta-t-elle,chambouléeparlavoixcaressantedeBruce,plusravageusequelesmotsdontellesedélectaitavecémoi.

– J’aimerais être plus pour vous. Je vous en prie ne restez pas seule avec Hamilton demain,durantlasoirée.Vousmelepromettez?

«J’aimeraisêtrepluspourvous.»Cettepetitephraserésonnasoussoncrânecommeunchantdevictoire.

Les mots que lui disait Bruce atteignaient à peine son cerveau, tant elle suffoquait sous unedéferlantedejoiedévastatrice.

IlvoulaitêtrepluspourelleetluidemandaitdenepluscôtoyerSeth?Lafoliequ’elleécartaitdepuistantdejoursexplosaenelle,noyantsaraisonsouslesespérances.

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S’était-ilrenducomptequ’ilsefourvoyaitavecVicky?L’aimait-il,elle?Était-ilattiréparellecommeellel’étaitsipuissammentparlui?Était-iljalouxdeSethetserefusait-ilàfaireunesclandreenpublic?Avait-ilpeurdenepouvoirseretenirpluslongtemps?L’avait-ilreconnue?

Elleexultait.LesderniersmotsdeBrucefurentperdusdanslafureurdesonamourquiexplosaitcommedesmilliersdefeuxd’artifice.

***

–Vousleferez?insistaBruce,inquietdesonsilence.Ilsentaitsontrouble,sipuissantqu’ilenétaitpresquepalpable.L’enviedelatoucherl’enivrait

sourdement.Ilretintsongestepournepaslavoirreculercommeellel’avaitfaitpeuavant.Ilnelesupporteraitpas.

–Rebecca,vousmelepromettez?Ellesetournalentementverslui.Leursregardss’accrochèrentetl’intensitébrutequihabitaità

cetinstantlaglacedesesyeuxclairslefitreculer.Elleavaitdesyeuxextraordinairementvivants!Ilsreflétaient l’âmepure qui palpitait dans cette poitrine légèrement haletante.La glace était devenuefusion,l’émotionvibranteilluminaitsonvisaged’unelumièreinsolite,captivante.

Illacontempla,etunsentimentcurieuxluiétreignitlecœur.Princessedefeu,pensa-t-il,avantquecevisageauxtraitssiexpressifsnereprennesonmasque

d’immobilité.Ilclignadesyeuxpoursortirdecetroubleétrange.Soncœurbattaitsourdement.Ildoutaitdece

qu’ilavaitentraperçutantelleétaitdenouveau«Princessedeglace».–Jevouslepromets,Bruce,dit-elleenfind’unevoixsourde,leslèvresfrémissantes.Ilhochalatêteensignederemerciement,perturbéparcequ’ilavaitpressentiuncourtinstant.

Elles’étaitdévoilée.Luiavaitmontréfugacementcequ’elleétait.Une belle âme, pensa-t-il, étonné d’une telle pensée mystique. Terriblement perturbant et

déstabilisant.

***

Rebecca se détourna de ce regard qui tentait de la déchiffrer sans rien pouvoir lire de ce quiflamboyaitdanssoncœur.

–Merci,Rebecca,murmura-t-il.Il sedétourna, repartitvers lemanoir, lesmainsdans lespochesdesonpantalon, ladémarche

assurée,l’allurepensive.Elleleregardas’éloigner,incapabledebougertantl’émotionavaitanéantisavolontéàécarterla

folie de cette nuit fatale.Une folie qui était devenue son enfer depuis son retour deLondres. Jouraprèsjour,elleavaitvouluseraccrocheràsonamourpourSeth,maisforceluiavaitétédeconstaterqueSethétaitinsipideàcôtédeBruce.

Elleavaitfuipournepaslaisserl’impossibles’installerdanssonâme.Maisquoiqu’ellefasse,Bruceétaitdetoutessespensées.Elleétaitvenuesurl’îlecommeundernierremèdeàsonégarement.Une torture qu’elle voulait libératrice. Mais le voir embrasser Vicky avec passion dans la criquel’avaitbrûléedejalousiepourlajeterlaminutesuivantedansunprofonddésespoir.

Sethluiavaitdemandésamainquelquesheuresplustard.Aprèsuninstantderéflexiondurantlequelelles’étaitdit«pourquoipas»,elleavaitrefusé.

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ImaginerSethlatoucherl’avaitrévulsée.Elleavaitrejetélademandedeceluiqu’elleavaitcruaimer.Désormais,ellesavaitcequec’étaitd’aimer.Ellehurlaitdedouleurdevant l’amourqui liaitVickyetBruce.

MaisBrucevenaitdetoutbouleverserparsesparoles.«J’aimeraisêtrepluspourvous.»Unephrasequi résonnaitdanssa têtecommeunemusique

d’espoir.La fureur de son amour éclatait, dévastait toutes ses résolutions, ses doutes, ses peines. Il lui

avaitfaitentrevoirleparadis,unecertainenuitet ilvenaitdeluienouvrir lesportesengrand.Sonavenirétaitaveclui,contrelui,pourlui.Ellelesentaitaufondd’elle,leursâmesavaientcommuniquépendantunemicroseconded’unbonheuretd’uneextaseparfaits.Ilétaitsavie.Àjamais.

Ellenepouvaitplussupporterlebruitdumanoirets’éclipsaverslaplagepoursavourercesmotsaugoûtd’avenirheureux.

«J’aimeraisêtrepluspourvous.»Jamaisparolesn’avaientétéplusfabuleusementsourcedebonheur.– Je t’aime,Bruce,murmura-t-elle, assise sur laplage, son regardperdudans les refletsde la

lunesurlamerétincelante.Desrefletssemblablesàunregardgrisd’argent.

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Chapitre7

Papa.Jepréfèret’annoncermoi-mêmequejeviensderefuserd’êtrelafemmedeSethHamilton.Jesaisquejevaistedécevoir

etj’ensuisprofondémentchagrinée.MaisSethn’estpasl’hommedemavie.J’aimeraisquetumecomprennesetquetuacceptesmonchoix.Jepars.Tafillequit’aime.Rebecca

Rebeccarelutsalettreavecsoin,hésitaàdonnerlenomdeBruce.Elle n’était plus certaine de rien. L’attitude de Bruce était incompréhensible. Alors qu’elle

pensait qu’il partageait ses sentiments, après la discussion qu’ils avaient eue la veille au soir, iln’avaitpasquittéVickyd’unesemelle,ets’étaitmontréempresséauprèsdesasœur.

Laconfusionétaittotaledanssoncœuretsonesprit.Depuisdeuxsemaines,elleavaitdécouvertl’attirancequ’elleéprouvaitpour lui,elles’étaitavouéqu’elleétait tombéeamoureusede l’hommequicourtisaitsasœuravecfougue.Elleétaitanéantie!

Elleavaitlutté,refusédeselaisserporterverscepenchantqu’elletrouvaitdéloyalenversVicky.Sasœursemblaitamoureuse,elleaussi,mêmesiRebeccadoutaitdelaprofondeurdessentimentsdesacadette.SeullebonheurdeBrucecomptait.

Il n’empêche, lemanège deVicky avec le personnel du groupe ne lui avait pas échappé.Elleressentaituneprofondehumiliationchaquefoisqu’elledécouvraitunenouvelleliaisondesasœur,àlabarbeet aunezde leursparents, trèsàcheval sur ladécencepoureux-mêmeset lesautres.Elleavaitcouvertsesfrasquespourquepersonnen’apprenne jamais ladéchéancede lafillepréféréeduclanAberdeen.

Unetelledécouvertepouvaitêtredramatique.Elleseuleconnaissaitl’étatdesantéréeldesonpère,maladeducœurdepuisquelquesannées.Il

n’avaitpuleluicacheraprèsunecriseimportante,alorsqu’ilssetrouvaienttousdeuxàPékinpourunenégociationd’affaires.Elle s’enétaitaffolée,mais il luiavait faitpromettredene riendireaurestedelafamille.Mêmesamèreignoraitlagravitédelamaladiedesonépoux.

Depuis deux ans, elle portait ce fardeau. Elle s’évertuait à soulager le travail de son père, yprenaitduplaisirdepuisqu’illuidéléguaitquelquesresponsabilités.Ledirecteurgénéraldugroupe,au courant de la faiblesse cardiaque de son père, l’encourageait à s’investir dans son rôle desuppléante.

L’empressementde sesparentsà lavoirmariéeavecSeth trouvait là sa raison.Ungendrequis’engageaitàreprendrelesrênesdel’entrepriseétaitunatoutpuissantpoursonpère.MaisRebeccanepouvaitplussementir,nimentiràSeth.Elleenétait incapable.LaviolencedesessentimentspourBrucelalaissaitpantelanteetperdue.

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Cesoir, elle luiparlerait.Si elle s’était fourvoyée, elledisparaîtraitde savie.Ellepriaitpourqu’iln’épousepasVicky.Ilseraitmalheureuxavecelle.Hélas,elle lesavaitassezorgueilleuxpourrefuserdelereconnaître.Surtoutdevantsonpèreetsamanièredeclamerhautetfortqueledivorceétait interditchez lesAberdeen.Biensûr, ilspourraientpasseroutresi leurcouplebattaitde l’aile.Mais elle connaissait assez Vicky pour savoir qu’elle ne s’aliénerait jamais leur père, de peur deperdresapartd’héritage.Aucundivorcepossibledansleurfamille,àmoinsd’accepterd’êtrereniéeetbannie.JamaisVickyneferaituntelsacrifice.Elleaimaitleluxepar-dessustout.

RebeccaredoutaitlejouroùsasœurouvriraitlesyeuxsurlaréalitédelasituationdeBruce,bienmoins riche que les journaux le prétendaient. Ses avoirs étaient réinjectés dans son entreprise etl’entrée enBourse imminente n’apporterait pas la richesse queVicky escomptait.Même s’il vivaitconfortablement, jamais le train de vie duménageWayne ne serait à la hauteur des ambitions deVicky. Les 10 millions de dot promis par leur père seraient un feu de paille pour la dépensièrecompulsivequ’elleétait.Trèsvite,lavieducoupledeviendraitunenfer.Vickynepourraitplustenirsonrangavecbrio.Elleenferaitlereprocheàsonmariinfortuné.Ilfallaitêtreréaliste:aucunavenirheureuxpourunetelleunion,malgrélapassionqueBruceéprouvaitpourelle.

Elleregardasamontre-bracelet,constataqueledînerallaitêtreservidansmoinsdetroisquartsd’heure.Elleselevadesonbureau,sedécidaàenfilersoncostumepourlebalmasqué.Unelonguerobesimple,commeenportaientlesdamesduMoyenÂgeenEurope.Uneceintured’argentégayaitlacouleurrouilledesatenue.Unecoiffelégèreenserraitsescheveux,puisleslaissaitcascadersursondos en une flamboyante ondemouvante. Sa tenue était d’une grande sobriété, telle qu’elle l’avaitvoulue,simpleetdiscrète, loindelarobeà laScarlettO’Haraquesamèreavaitvoulului imposer.Ellesesentaitelle-mêmedanscedéguisement.Etellepasseraitinaperçuedanslacohuedontleparcétaitenvahidepuisledébutdel’après-midi.

Elleavaitprétextélafatiguepourseréfugierdanssonchalet,oùelles’étaitbarricadéepourneplusvoirBruceetVickytendrementenlacésparmilesinvités.

Sonpèreet samèreallaient le lui reprocher,maisplus rienne lui importait.Le lendemain, siBruce luiannonçaitquec’étaitVickyqu’ilaimait,ellepartirait.Savieneseraitplusque travailetdévouementaugroupeAberdeen.

Ellejetaundernierregarddanslegrandmiroirdesachambre,sedétournapournepasliredanssesyeux ladétresse, tapie làdepuisdesheures.Aprèsunbonheur immensequiavaitduréquelquesheures,ellesesentaitauborddugouffre.Siellen’yprenaitpasgarde,ill’engloutirait.Maiselleavaitassezdeforcepourrésister.Elleledevaitàsonpère,pourlesoutenir.

Ellerespiraprofondément,sortit,etrejoignitlegrandchapiteauoùlesdeuxcentsinvitésétaientattablés.Ellefitundétourparlebureaudesonpère,désertencettejournéedefête,déposasalettresurlesous-maindecuir.Lesexplicationsattendraientqu’ellesoitprêteàl’affronterentoutesérénité.Quelquesoitsonavenir,heureuxoumalheureux.

Cesoir,elledonnaitunedernièrereprésentation.Demain, elle serait la plus heureuse des femmes ou la plusmalheureuse à jamais. Elle ne se

leurraitpas.SonamourpourBruceétaitunfeudévorantquil’anéantiraitsiellen’yprenaitgarde.Ellelecombattraitdetoutessesforcessielledevaitrenonceràlui.Pasd’apitoiement.Elleavanceraitversl’avenir avec détermination. Peut-être, un jour, un autre homme entrerait-il dans son cœur et selaisserait-ellealorsaimer.

Le chapiteau était comble. Le brouhaha des conversations, des rires couvrait la musique del’orchestre installésous lagloriette.Rebeccarestaun instantà l’entréepourobserver lesnombreuxinvités.Ilsdéambulaientpourtrouverleursplacesdansuneambiancecommunicative.

Les invités rivalisaient d’élégance et d’extravagance. Les toilettes somptueuses des femmess’agrémentaientd’unedébauchederubans,deperles,devolants,defrou-frou,debijouxéblouissants.

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LecarnavaldeVenisen’avaitrienàenvierauxcostumesquis’exhibaientàquimieuxmieuxsouslechapiteauilluminé.

Rebecca ne prit pas garde aux regards posés sur elle, l’esprit occupé par son tourment. Soncostumed’unesimplicitémonacaleladésignaitcommel’exceptionparmilesautresfemmes.

Elleentenditsamères’exclamait:–MonDieu!Oùest-elleencorealléechercherça!Rebeccarelevalementonavecunepointed’insolence,leregarddéterminépouraffronterleclan

réuniprèsdelatablequileurétaitdévolue.Ellesavaitquelecontrastequ’elleoffraitavecsessœursétaitplusdétonnantqued’habitude.

–Becky!soupirasamère,endésignantsarobeautissumoiré.–Oui,maman, je sais, cen’estpas la robedeprincesseque tuas commandée,mais ily a ici

assezdeprincessespourquejeresteenCendrillon,ironisaRebeccaavecuncoupd’œilnarquoisàsessœurs.

Leproposatteignitsacible.Unpetitrappelàleurenfance,àleuradolescence,oùlevilainpetitcanardqu’elleétaitavaitsouffertdescommentairesméchantsdesessœursqu’ondisaittoujoursplusbelles,plusparfaites,plusintelligentes.

–VousêteslaplusbelleCendrillonaumonde,Rebecca,déclaraSethavecgrandiloquence.Ils’inclina,luipritlamainpourlaporteràsaboucheetyposerleslèvres.–Merci,Seth,répondit-ellefroidement.Elleretirasamainsurlaquelleils’attardaitavecunecomplaisancequil’agaça.Laclochetinta.Lesilencesefitparmilesinvités.Lesfestivitéscommençaient.Rebeccas’assitentreSethetBruce.Cedernier luiglissauncoupd’œilamicaldeconnivence.

Ellefrissonnatoutentière,sedétournapournepasvoirsonbrasglissésurledossierdelachaisedeVicky.

Lerepasfutunetorture.Ellerestamuette,lagorgeserréeparledésarroi,incapabledeprononcerunmot.

Bruce lui lançait des coups d’œil inquiets, mais elle s’était barricadée pour ne pas hurler àchaquegesteenveloppantqu’ilavaitvis-à-visdeVicky.Ellen’auraitpasbesoindeluiparler,cesoir.Soncomportementétaitexplicite.Ellenecomprenaitpascequis’étaitpassélaveille.

Elles’enfermaalorsloin,trèsloin,pourneplussouffrir.Pours’éloignerdesonenfer,elleacceptatouteslesdanses.Pasuninstant,ellenerevintàlatable

dudîner.Ellepassadebrasenbras, répondantd’unsourire froidà sescavaliersqui tentaientde ladérider. Elle était plus que jamais la Princesse de glace, enfermée dans sa tour, sourde aumondeenvironnant.Plusriennecomptaitquesondépart.Ellevivaitdansunétatsecond,sanspenseràriend’autre.

Aumomentdufeud’artifice,Sethdéclaraquelespectacleseraitexceptionnelvude lamer. Ill’entraînaverslecanotàmoteursansqu’ellerechigneàlesuivre.Peuimportaitlapromessequ’elleavaitfaiteàBruce,laveilleausoir.Toutétaitfaux,lesmotss’étaientenvolés.

***

Sethjubilait,frémissaitd’impatience.Cettenuit,Rebeccaseraitàlui!Soncomportementindifférentnel’effrayaitpas;labouteilledechampagneauraitraisondeses

réticences. Il savait qu’elle ne buvait guère. Il l’inciterait à le faire pour qu’elle soit ivre. Oui,vraiment,sonplanétaitparfait!

Lorsqu’ilabordaleyachtdesonami,ilétaitdansunétatprochedel’exaltation.

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–Pourquoim’as-tuamenéeici?demandasoudainRebecca,seréveillantdusongeoùelleétaitplongée.

–Pourvoirlefeud’artifice,Becky.D’ici,ceserafabuleux,crois-moi,luicertifia-t-ilenmontantl’échelledecoupée,avantdeluitendrelamainpourl’inviteràlerejoindre.

–Ramène-moiàterre,s’ilteplaît.–Pourquoi?Lanuitestmagnifiqueetregardelavuequel’onad’ici!Lemanoirestsplendide.

Allez,viens,insista-t-ild’unevoixamicaleetbonenfantpourlarassurer.Une fois à bord, il libérerait le canot à moteur. Ainsi, elle ne pourrait pas s’enfuir, et ils

passeraientlanuitàbord.IlespéraitqueleurabsenceseraitrapportéeàMarshall.

***

Rebecca hésita, son esprit embrumé par la détresse de son cœur, mais ses sombres penséesavaientanéanti savolonté.Elleprit lamaindeSeth. Il lahissaàbord,uneexpressiondeprofondesatisfactionsurlevisage,l’attiracontrelui,l’enserradesesbras,etcherchalabouche.Ellesedéroba.

–Non!Elletentadesedégager,maislaforcedeSethétaitau-delàdesarésistance.–Tuenasenvie,autantquemoi,Becky,murmura-t-il,lavoixérailléeparledésir.Ill’embrassa,écrasadesonaviditéseslèvresfrémissantesdedégoût.Elles’arc-boutapourlui

fairelâcherprise,maisilétaittropfort.Saboucheavidelaparalysaitdeterreur.Sesbrasvigoureuxlaserraientsanséchappatoirepossible.

–Non!répéta-t-elle,anéantie,leslarmesauxyeux.Les souvenirs d’une autre bouche sur la sienne effaçaient l’ignominie du baiser de Seth. Ses

forces la quittaient tant son désespoir se faisait grand. Elle s’amollit entre ses bras, ses sanglotsretenusdanssagorgeserrée.Plusrienn’avaitd’importance,detoutefaçon.

–Ladameaditnon!fitalorsunevoixcoupantedansleurdos.Sethensursautadesurpriseetlalibéra.Ellerepritsesesprits,sedégageapourseprécipiterde

l’autrecôtédupont.Leslarmesruisselaientàprésentsursonvisagedéfait.–Wayne?Qu’est-cequevousfoutezlà?crachaSethavecdédain.Brucesetenaitfaceàlui,appuyécontrelebastingage.–JevienschercherMlleAberdeen,Hamilton,répliqua-t-ild’untonsec.Rebecca,figée,vitqu’illuijetaitunregardrapide.Elleleluirendit,lesyeuxécarquillés,lavue

encorebrouilléedelarmes.–Vickynevoussuffitpas,ilvousfautaussiBecky,ironisaSeth.Se redressant avec morgue, il toisait Bruce de sa haute taille. Sand doute espérait-il

l’impressionner,maisBruce,que l’attitudedédaigneusedeSethamusaitmanifestement,n’avaitpasbougé,lesbrascroiséssurlapoitrine.Sethn’étaitpasungamindesruescommeellesavaitqueBruceétait. Se battre n’était pas enseigné dans les établissements qu’il avait fréquentés.Alors queBruceavaitdûs’imposerdepuisl’enfance,sonnomcommeunappelàlabagarre.

– Je ne crois pas queMlle Aberdeen souhaite rester en votre compagnie, reprit Bruce, en serapprochantd’elle.

Ellereculad’unpas,lesoufflecourt,confuse,incapabledecomprendrepourquoiilétaitlà,surlebateauoùSeth l’avait entraînée.Son reculn’échappapasàSeth,dont le regard sombreétinceladetriomphe.

–Jenecroispasquema fiancéeait l’intentiondevoussuivre,Wayne, réponditSethd’un tonhautain.

–Votrefiancée?soulignaBrucesourdement.

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Il fronça les sourcils, la fixa comme pour obtenir d’elle confirmation, mais elle se tenaitimmobile,presqueabsenteàcequ’ilsepassaitautourd’elle.

–Vousêtesréellementfiancée,Rebecca?luidemanda-t-ilavecdouceur.Ellen’essayaitplusdesavoirpourquoiBruceétaitlà.Ilétaitlà,etc’étaittoutcequicomptait.Il

était venu la chercher.Son cœur s’ouvrait à nouveaud’un sentimentbrûlant.Elle secoua la tête ensignededénégation.

Sethenserra lesmâchoiresderage.Il fonçasurBrucequis’écartaà tempspour l’éviter.Sethpoussauncriderage,seretournaetluienvoyauncrochetdudroit.Bruceesquiva,répliquad’uncoupdepoingquifitunbruitsourdens’enfonçantdansl’estomacdeSeth.Celui-cisepliaendeuxsouslabrutalitédel’assaut.Àpeineseredressait-ilquelepoinglecueillitaumenton,puisqu’undeuxièmeuppercutlefaisaitvaldinguerdansl’escaliermenantàlacabine.

Bruce grimaça, se massa le poing douloureusement sollicité. Il s’approcha de Seth en deuxenjambées,etconstataqu’ilétaitK-O,affalésurlesmarches,sansblessuregraveapparente.Ilauraitdesbleusdemainmatin.Lesourirefleuritsursabouche.Sethn’iraitpassevanterd’avoirétémisK-Osansmêmeavoirputouchersonadversaire!

Rebecca avait assisté au pugilat sans un mot, sans un cri, hébétée par le spectacle des deuxhommes qui se battaient sur le pont, éclairés par les lumières du feu d’artifice. Les fuséesmulticoloreséclataientdanslecielsombre,lumièresjoyeusesloindel’apathiedouloureuseoùellesenoyait.

–Çava,Rebecca?Bruces’approchaendeuxpas.Ellechanceladefaiblessecommeunefeuilleemportéeparunventfou.Illarattrapadejustesse,

lafitasseoirsurlabanquettedupont,unmasqued’inquiétudesurlevisage.Iltrouvalabouteilledechampagneetluiservitunecoupe.

–Buvez,celavousremettra,luiconseilla-t-ild’unevoixdouce.De détresse, elle leva les yeux vers lui, ses larmes débordant sans qu’elle puisse retenir son

chagrin.Dansungestederéconfort,Brucelapritdanssesbras,laberçacommeunbébé.Ellenerésista

pasàsagentillesse.Lessanglotséclatèrentsansqu’ellepuisselesrefréner.Elles’accrochaàlatailledeBruce, la tensionqui l’avait soutenuedepuis des semaines ne suffisant plus à retenir les diguesqu’elleavaitdresséespourécarterlafolie.

Foliequ’unenuitdanslesbrasdecethommeavaitprovoquéeenelle.Sadouleur,sesespoirs,sonincompréhensionetl’amourfouqu’illuiinspirait,toutfilaitavecses

larmes, ses sanglots frémissants. Elle retrouvait la force de ses bras, la chaleur de sa poitrine, ladouceur de ses mains qui caressaient ses cheveux comme le ferait un père pour son enfantmalheureuse.Ellepleuraitsanspouvoirseretenir,expulsaitsonchagrincommeunedélivrance.

Bruceétaitlà.Ilétaitvenupourelle.Pourlasauver.Plusriennecomptaitquecettevoixdouceetlesmotspleinsderéconfortqu’illuimurmurait.

Deréconfort,maispasd’amour,réalisa-t-elleauplusprofondd’elle.Ladouleursourdeenflapourlasubmergerd’unenouvellevaguededésespoir.

***

BruceétaitdépasséparlacrisedelarmesdeRebecca,inquietdecedésespoirqu’ilsentaitdanslecorps tenducontre lui.Ellehoquetaitcontresachemise.Lessanglots s’espacèrentenfinauboutdelonguesminutes,puisellefinitpars’écarterdelui.

–Vousm’aviezpromisdenepaslesuivre!lagronda-t-ilgentiment.

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Il la redressa, lui tendit une serviette en papier attrapée sur le guéridon où le champagneattendait. Elle le fixa intensément de son regard clair, avant que la lueur vive ne s’éteigne, quel’ombrenerecouvresesprunellessibleuesqu’ellesétincelaientsouslesrayonsdelalune.Ellesecoualatêtesansunmot,commesiellecomprenaitseulementcequ’ilavaitvoululuidirelaveille.

–Buvez,insista-t-ilenluitendantunecoupedechampagne.Puisilseservitàsontour.Ilenavaitbesoin.LedésespoirdeRebeccal’avaitbouleversé.Sentir

son corps frémissant contre lui avait fait naître une sensation étrange, perturbante, qu’il étaitincapabled’analyser,lecerveaurenduconfusparlesévénementsrécents.

Rebecca but cul sec, évitant soigneusement de le regarder, luttantmanifestement pour ne paséclaterdenouveauensanglots.L’alcoolsemblaitàpeinelaréchauffer.Ellerenifla,laissatombersacoupesurlabanquettederrièreelle.

–Venez,allons-y,luiconseilla-t-il.Iljetauncoupd’œilàSethquigrognaitetsortaitdesonhébétude.Unebagarresuffisaitpource

soir,iln’avaitnullementl’intentionderécidiver.IlpritRebeccaparlataillepourlaguiderversl’arrièredubateauoùilavaitamarrélayolequ’il

avaitempruntée.Toute la soirée, il les avait surveillés, inquietdupiègequeSethavait tenduà la jeune femme

pour arriver à ses fins. La nuit précédente, il avait été incapable de trouver le sommeil. Il avaitréfléchiauplandeSeth,quiluiavaitparuplutôtjudicieux.Quelquesphotoscompromettantesdanslapresseetlemariageauraitforcémentétéconcluparlasuiteafind’éviterlescandale.Marshallétaitintraitableetprêtàtoutpourfairerespectersesconvictions,protégersesfilles,etéteindrelescandaleinévitablequiauraitsuiviladivulgationdephotos.C’étaitlaraisonpourlaquelleVickyluirésistaitdepuisdesmois.LemariageétaitlaseuleissuepourlesfillesAberdeen.Ilenavaitlapreuvedepuisunesemaine.

Ildescenditdanslayole,attrapaavecdélicatesseRebeccaparlataillepourl’aideràprendrepieddanslafrêleembarcationquitangua.

LecanotàmoteurutiliséparSethavaitdisparu,sansdoutemalamarré.Iln’avaitàprésentplusqu’àramerpourramenerleplusdiscrètementpossibleRebeccaaumanoir.Ildétachal’amarre,poussalabarqueloinduyacht.Puisilpritlesramesetcommençaàramer,toutenobservantRebeccaassisesurlebancenfacedelui,dansuneattitudelointaine.

Ilneditrienpourluilaisserletempsdeseressaisir,etselaisserlui-mêmeceluidesecalmer,tantilétaitencolèredurisquequ’elleavaitencouru.

Pourquoinel’avait-ellepasécoutéetn’avait-ellepassuivisesconseils?Elleleluiavaitpromispourtant!Leseulbruitdesramesperduraentreeux,tandisquelefeud’artificeleséclairaitdeseslumières

multicolores.

***

Sethgrognadedouleur:unetempêtehurlaitsoussoncrâne.CemauditWayneallait luipayerça ! Il ferait toutpour l’empêcherd’épouserVicky.Rebecca

aussipayeraitpourl’humiliationqu’ilvenaitdesubirparsafaute.Ilseredressa,réussitàselever,maisladouleuràl’estomaclepliadenouveauendeux.Iln’y

avaitpasétédemainmorte,cesatanéWayne!Ilremontasurlepont,et,s’appuyantàlacloisonpoursesoutenir,s’approchadubastingagepourvoirlayolefileràl’ouestdel’île.

Son cerveau s’échauffait de rage. Le bruit d’un canot à moteur qui approchait le fit sourireméchamment.Ilconnaissait lescourantsautourdel’île.Waynen’avaitaucunechancederevenirau

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manoiravantdesheures,avecpareilleembarcation.Ilréfléchitàsavengeance.Lemoteurducanotsetut;seulleclapotisdel’eaucontreleflancdu

bateaurésonnadanslanuit.Unrictusluiétiraleslèvres.Iltenaitsarevanche…S’ilsedébarrassaitdeWayne,Vickydevenaitlibre.N’était-ellepaslafillepréféréed’Aberdeen

?Son rire sourd courut sur les eaux calmes comme une menace pour les deux fuyards. Ils

s’éloignaientversundestinqu’ilsn’imaginaientpasetqu’ilsefaisaitfortdeprovoquerpourqu’ilspayentdurementsonhumiliation.

Lephotographesehissaàbordduyacht.– Changement de programme, lui annonça-t-il alors. Suivez la yole, là-bas, sans vous faire

repérer.Sansmoteur,etaveclescourants,ellerisquedes’échouerd’iciuneheureoudeux.Prenezdesphotos, et envoyez-les-moi le plus rapidement possible. Je vous dirai quoi faire. Nous allonsprovoquerunscandaleretentissant,Sam!

UnscandaledontWayneneserelèveraitpas!–Ramenez-moiàterreavant,ajouta-t-il,entendantlebraspouratteindrel’échelledecoupée.MarshallAberdeen pouvait être terrible si la colère l’aiguillonnait et il allait se charger de le

mettreencolèrecontreRebeccaetWayne.Trèsencolère!

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Chapitre8

La barque effilée glissait sur l’eau dans un silence que seuls les battements des rames et lesoufflehachédeBrucetroublaient.Lecourantadverseétaitdifficileàcombattredanslanuitobscureetsansrepère.Lalunevoiléeparlesnuagesleséclairaitàpeinedesesrayonsd’argent.

–Merde!maugréaBruce,lesyeuxrivésaurivage.Les lumières du manoir s’éloignaient malgré ses efforts pour se rapprocher du ponton. Il

s’épuisait dans un effort inutile. Il ne connaissait pas l’île ni les courants qui l’entouraient.L’embarcationsuivaitsaroutesansluiobéir.

QuantàRebecca,prostréesurlebancenfacedelui,sansdireunmot,nifaireungeste,elleneluiétaitd’aucunsecours.

–Rebecca!appela-t-ilpourlafaireréagir.Ilavaitbesoindesonaide.Elleconnaissaitlesenvironsetpourraitleguiderverslaterreferme.

Illavittressailliràsonappel;sesyeuxclairss’ouvrirentdanssonvisagequelapénombredessinaitàpeine.

–Rebecca,ilfautquevousmeguidiez,lecourantnousentraîne.Àcetinstant,layoleconfirmasesdiresparuneembardéeplusvivequelesautres.

***

Rebecca sortit de son hébétude. Ses pensées, bouleversées et confuses, s’entrechoquaient soussoncrâne.Elle regardaBruce commesi elle se réveillait d’un songedouloureux.Sa raison,perduedansleslimbesdesontrouble,refitsurface.Elleobservaautourd’elleetenquelquessecondes,pritlamesuredeleursituation.

–Lecourantnousentraîneausuddel’île,maisnousnepouvonsrienyfaire,dit-elled’unevoixassourdieparlessentimentsdésordonnésdesoncœur.Mieuxvautselaisserdériverjusqu’àlapasse.Là,ilfaudraquenousredoublionsd’effortpouratteindrePineCrick,sinonnousallonsfinirenhautemer.Cetteembarcationnerésisterapasaucourant.

–«PineCrick»?–Del’autrecôtédel’île.Nouspourronsyaccosteretreveniràpied,répondit-elle,sanspouvoir

retenirunegrimacededécouragement.Unebonneheuredemarcheparlespetitscheminsescarpésetsinueuxdel’îleseraitnécessaire

pourrejoindrelemanoirousoncottage.Lesilences’installaentreeux,leursréflexionssurleuraventureoccupantleursesprits.

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Elleresserralesbrasautourd’elle.Lafraîcheurdelanuitpénétraitsesvêtementsinadaptésàunepromenadesurl’eau.Elleretintsonrirefêlédedétresseàl’idéed’unepromenaderomantiqueaufildel’eauavecl’hommequ’elleaimait.Quelleironie!

Layoletournoyaunefoisencoresouslaforceducourant.Installéàl’arrière,Brucelastabilisa,utilisantlesramescommegouvernaildefortune.Ilscrutaitlesenvirons,incapabledeserepérer.Lacôte n’était qu’une simple ligne sombre que le courant les empêchait de rejoindre. Ils n’étaientpourtantqu’àquelquesmalheureusesencablures.

–Parlà,dit-elle,luimontrantunpointclairsurlacôte.Iltentadefairedévierlayole,appuyasurlaramedetoutessesforces.Maislamaréedescendait,

et le courant était d’une puissance telle que seul un moteur pouvait le contrecarrer. Rebecca pritl’autre rame, l’aida du mieux qu’elle put, mais leurs forces réunies étaient impuissantes face àl’élémentmarinenperpétuelmouvement.

–Nousn’yarriveronspas,haleta-t-elle,épuiséepar la luttequ’ilsmenaientdepuisde longuesminutes,dansunsilencechargédetension.

–Nepouvons-nouspasaccosterailleurs?demanda-t-il,lesoufflecourt.La sueur couvrait son front, ses traits étaient crispés de la tension que leur combat inégal

provoquaitdanssesmuscles.–Si,maisnousseronsalorsdanslemaraisetlesabordsensontdangereux…Latournurequeprenaitleuraventurecommençaitàl’inquiéter.–Tentonsnotrechance,proposa-t-il.Ellehochala têteensigned’assentiment,s’écartapour lui laisserdelaplaceàcôtéd’elle.De

concert,ilsramèrenténergiquement,leurssoufflesrauquesdeleureffortsoutenu.Au bout d’un long quart d’heure de bataille contre les courants, ils furent récompensés. La

barqueglissadansl’ondecalmed’unepetiteanseauxcourbesarrondies.Rebeccascrutalesabordspourtrouverunlieud’accostage,toutenseremémorantlesrécitsde

Serena, la cuisinière, à propos d’hommes perdus dans lemarais sans que personne ne les retrouvejamais.Deshistoiresdebonnefemme,certes,maisladangerositédulieun’enétaitpasmoinsréelle.S’ilsaccostaientsanspeine,ilsnedevraientpass’éloigner.

À l’aube, lamaréeremonterait. Ilsseraientalorspoussésvers l’île. Ilsallaientdevoirattendrejusque-làquelaclémencedesélémentsleuraccordeleurdélivrance.

–Là,dit-ellesoudain,désignantàBruceunepercéeplusclairequelesautres.Enquelques coupsde rames adroits, il dirigea l’embarcationversunepetite plageherbue.Un

saule aux longuesbranches feuillues se languissait sur les bords escarpés ; sa silhouette sombre sereflétaitdansl’eauclapotantàsespieds.

Rebecca attrapa les branches, tira l’embarcation vers la plage. Bruce poussa pour guider leuresquif.Un raclement sourd les prévint qu’ils touchaient le fond de l’anse. La barque s’immobilisabrutalement,retenueparlesracinesdusaule.Rebeccaseretintaubordpournepaschuter.Letangageprononcés’équilibrapeuàpeusoussespiedshumides.

–Allons-y,ditBruceensautantdansl’eausaumâtreoùils’enfonçajusqu’augenou.Lesol,unmélangedelimonetdevase,sedérobasoussespieds.Iltrouvaappuisurlesracines

del’arbreprovidentiel,stabilisasaposition,puisl’aidaàlerejoindre.– Nous devrions peut-être rester dans la barque, suggéra-t-elle, en scrutant l’obscurité autour

d’eux.–Elleprendl’eau…Illuimontralefonddel’embarcationoùprogressaitlentementunfiletlimoneux.–Ilfautquenouslatirionsausec,sinousvoulonsavoirunechancederejoindrel’île.

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Il lui tendit lamain.Elle regardasespieds,constataque l’eau recouvrait seschaussures fines.Bruceavaitraison,labarqueprenaitl’eau.Avantlafindelanuit,elleauraitcouléetleurseraitinutilepour franchir les centaines demètres qui les séparaient de l’île. Ils ne pouvaient la laisser là.Elleremontasarobesurseshanches,pritlamaindeBrucepours’équilibrer.

–Ilyadesracinesaufond,essayezdevousystabiliser,luiconseilla-t-ilenl’aidantàprendrepiedprèsdelui.

Elle tata le sol, trouva un appui sûr avant de quitter le canot. Ils avancèrent prudemment,atteignirent laplageherbuequ’ils avaient repérée, et s’y laissèrent tomberavec lemêmesoupirdesoulagement.

–Noussommeséchoués!Bruceriait,lesyeuxfixéssurlalunebrillanteau-dessusd’eux.–Jusqu’àl’aube,constata-t-elled’unevoixassourdieparl’angoisse.Ilseredressa,levisagebaignéparlesrayonsargentés,etlaregarda.Autourd’euxs’étiraientdes

ombresinconnues.–Nevousinquiétezpas,personnen’apprendranotrepetiteaventure.Ellefermalesyeux,exténuée.Tropdechoseslabouleversaient.D’unmouvementsouple,Bruce

sereleva,provoquantsoninquiétude.Elleseredressaàsontour.– Je vais sauver notre pauvre barque pour qu’elle nous ramène vaillamment dans quelques

heures, dit-il d’un ton gai dans l’espoir manifeste de détendre l’atmosphère et de relativiserl’inconfortdeleursituation.

Elleobservasagrandesilhouetteseperdredansl’obscurité,écoutalesbruitsqueluiapportaitlanuit.Le raclementduboisde labarquesur lescaillouxde leurpetit refuge, leclapotisde l’eau, lebruissementdesfeuillesdusaulesousleventfraisvenudelamer…

Elle sursauta devant la silhouette dressée dans l’ombre de l’arbre. Elle ne l’avait pas entendurevenir.

–Notrefidèledestrieralespiedsausec,l’avertit-il,unriresourddanslavoix.Elleappréciasonhumour.Soneffortpourdétendrel’atmosphèreetlarassurerétaitlouable.La

situationétaitpeuenviablepourlui.IlauraitcertainementpréférésetrouverdanslesbrasdeVickyàdanserplutôtqued’êtresurcetteminiplageinconfortableavecelle.Elledevaitsavoirpourquoiilétaitvenuàsonsecours.

Ilselaissatomberprèsd’elledansunsoupirqu’elleimaginaderegrets.Toutcelaàcausedesonimprudence!Leslarmesaffluèrentsoussespaupières.Ellefermalesyeuxpournepasselaisseraller.Elleavaitétésiridiculesurleyacht,àfairecettecrisedenerfsstupide!

Stupide,maisbienfaisante.Après des semaines de confusion, ses idées reprenaient le chemin de la raison froide et sans

appel. Elle s’était laissé submerger par ses émotions à cause de cette nuit démente, qui l’avaitbouleversée et déstabilisée.Mais ce n’était au fond qu’une nuit sans importance, ni pour l’hommeassisàsescôtés,nipourelle.Personnenesauraitjamais.Etluimoinsquetoutautre.

Maiselledevaitsavoirpourquoiilétaitlà,cequ’ilavaitapprisetluiavaitcaché.–Voussaviez?lança-t-ellepourmettreleschosesaupoint,connaîtrelavérité.–Jem’endoutais,répondit-ilensetournantverselle.Mais elle ne lui offrit que son profil noyé de pénombre, tourné vers la mer, d’une tension

palpable.–Comment?Letonétaitsec,froid,impérieux.QueBrucesoitmêléàcetteaffairel’humiliaitprofondément.

Imaginerqu’il lacroyaitstupideoupire,consentanteauxdesseinsdeSeth, lamettaitdansuneragenoire.

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Ilhésitaunlongmoment,manifestementsurprisparlarudessedesaquestion.–J’aisurprisuneconversationtéléphoniquehiersoir.Bieninvolontairement,jel’avoue,précisa-

t-il,sansdoutepournepaspasserpourunintrigantauprèsd’elle.–VousconnaissiezlesprojetsdeSeth?Iltiquadureprocheàpeinevoilé.–Disonsquejem’étaisfaituneidéedecequ’ilprojetait.–Pourquoinem’enavez-vouspasparlé?–Jevousaidemandédenepasresterseuleaveclui!s’énerva-t-il,detouteévidencefroissédu

tonaccusateurqu’elleavaitemployé.–Vousauriezdûm’expliquerpourquoi!Elleétaitfurieused’avoirimaginédesmotstendresdanscequin’étaitqu’unavertissementd’un

danger.Elleavaitétéidiote,vraiment,s’étaitmisedansunesituationdifficile.Sisonpèredécouvraitcequis’étaitpassé,ellen’auraitd’autrechoixqued’épouserSeth.Or,ellen’enavaitpasl’intention!Illarévulsait,plusencoredepuissatentativedeséduction.Elleseraitcontraintederefuserl’offredemariage sanspouvoir endonner la raison, àmoinsdevouloir que sonhumiliation soit plusgrandeencore.Sonpèrelarenieraitcommeilavaittoujoursaffirméqu’illeferaitsisessœursouelle-mêmesemontraientindignes.

Elle n’était rien.Sa dépendance envers sa famille était unpiègedans lequel elle s’était laisséentraînerparfacilitéetloyauté.Sonpères’étaitchargédelesgardersoussacoupesansleuraccorderlesmoyens de vivre autre chose. Elle prenait lamesure de ce que sa soumission provoquait. Elledépendaitentièrementdesonbonvouloir.Sansargent,elleétaitàsamerci.Sescompétencesdanslemilieu de l’hôtellerie ne lui seraient pas d’un grand secours.MarshallAberdeen avait le bras longdanslemilieuetpouvaitfermertouteslesportes.Quepouvait-elleespérer?

–Jenevoulaispasvouseffrayer,réponditBruce.Maisjemerendscomptequej’auraisdûvousavertirclairementdudanger,aulieudevousarracherunepromessesansvousenpréciserlesenjeux.J’aivoulumontrerdeladélicatessedanscetteaffaire,maisc’étaituneerreur.

–QuelsétaientexactementlesplansdeSeth?Avoir repousséSeth l’entraînait sur des cheminsdifficiles.Les conséquencesde cequi s’était

passécesoirétaientimprévisibles.C’estpourquoielledevaittoutsavoirdesesplanspourmieuxlecontrer. Il n’avait pas hésité à l’isoler sur un yacht pour la contraindre à céder à ses avances.Ellefrissonnad’imaginercequ’ilseseraitpassésiBrucen’étaitpasintervenu.

–Celan’aplusd’importance,Rebecca.Vousêtessaineetsauveetpersonnen’apprendranotrepetiteaventure.

–Jeveuxsavoir!martela-t-elled’untondur,levisagetournéverslui.Elledétecta l’hésitationdeBruce,s’effrayadecequ’ilavaitpuinvolontairementapprendrede

cette conversation téléphonique. Elle frissonna de colère, humiliée de devoir son sauvetage à cethommepourquiellen’étaitriend’autrequ’uneimbécile.

–Écoutez…–Parlez!ordonna-t-ellesèchement.Brucepoussaunsoupirdelassitude.–Hamiltonaconvoquéunphotographesurlebateau,lâcha-t-ild’unetraite.– «Unphotographe » ? répéta-t-elle d’une voix haletante, horrifiée du piège qui lui avait été

tendu.Toutétaitsafaute.Pourquoin’avait-ellepasétéplusprudente?–Oui.J’imaginequ’ilvoulaitquevoussoyezsurprisensembleetque…Lavoix sourde deBruce, son hésitation à prononcer ce qu’il imaginait la frappèrent au cœur.

Comment avait-elle pu semontrer aussi imprudente ? L’humiliation était de taille, l’ignominie de

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Sethunenouvelleblessurehonteuse.Direquequelquesmoisplustôtellenerêvaitquededevenirsafemme!

Ellesedétournapourcacherseslarmes,bouleverséeparlesrévélationsdeBruce.Ilnepouvaitsedouterdesconséquencesde la situationdont il l’avait sortie.Situationprovoquéepar sa stupiditéàs’êtreglisséedanslelitd’unhommeetd’avoircédéàlapassion.Ellerecevaitlà,lajustepunitiondeseserreursdejugement.

Sethsavaitqu’ellen’auraitjamaisportéplaintecontreluidepeurquelescandalen’éclabousseleurfamille.Maiscequi l’aurait retenudecrierhautet fortà l’agressionétaitplusfortencorequel’humiliation.Sonpèreauraitpuavoirunmalaise fatalendécouvrant lesphotos.Pourcette raison,elleseseraittue,auraitvécuaveccettehontepourlepréserver.

Ellefrissonnarétrospectivementdecequiseraitarrivéetledégoûtd’elle-mêmelasubmergea.Sanscettenuitmauditeàl’hôtel,elleauraitacceptédedevenirlafemmedeSeth.Toutauraitété

dansl’ordredeschoses,jamaiselleneseraittombéeamoureusedel’hommeamoureuxdesasœuretsavieauraitétésimpleetheureuse.

Aulieuden’êtreplusquechaosdésormais…Elledevraitpayersesincartadespourlerestedesesjours.Undéfaitismeprofondl’envahit,tous

ses espoirs anéantis sous les tonnes de remords qui l’assaillaient. Elle ricana sourdement, faiblesoulagementauxsentimentsviolentsquilabouleversaient.Elleresserralesbrasautourdesesgenouxpourseréchauffer,alorsquelefroidtombaitsurelle.Lefroiddel’âme.

–Rebecca,appelaBruce.Elleneréagitpas,secouéedetremblementsincontrôlables.Soncœurseglaçait.L’espéranced’un

quelconquebonheur ladésertait.Elleétait indigned’êtreaimée,etcetteconvictionprofondenoyaittoutdansungouffredenoirceur.

–Rebecca!l’appela-t-ilànouveau.Ilserapprocha,l’enlaçadoucementdesesbras.Ellelerepoussadansungestedepanique.Plusjamaisellenevoulaitsentirsachaleurrassurante.

Ellelemaintiendraitloind’ellepournepassuccomber,nepasselaisseraller.–Rebecca…Elletremblaitenlongsspasmesincontrôlés,moinsdefroidquedehontedésespérée.–Vousêtesfrigorifiée.Venezlà!Ill’attrapadenouveau,maisellesedébattitpoursedégager.–Lâchez-moi!souffla-t-elle,exténuéedeluttercontreelle-même.Soncorpslatrahissait,criaitsafaminedelesentircontreelle.–Non.Vousêtesglacée!Ilnemanqueraitplusquevousattrapiezlamort! jeta-t-ilâprement,

visiblementagacédesonobstinationàrefusersonsecours.Illacalad’autoritésursontorse.Ellesetintcontrelui,lecorpstenducommeunarc.–Lâchez-moi,supplia-t-elle,àboutdeforce.Elle renonçait à se battre contre ce qu’elle ressentait. Elle était épuisée. Physiquement,

nerveusement,mentalement.Plusriennecomptaitquecettepoitrinefortequisesoulevaitsoussajoue,quecettechaleurqui

l’envahissait,quelesmainsautoritairesquilarapprochaientdelasourcedesonbonheur.Bonheurquineluiappartiendraitjamais,ellelesavait.Ellefermalesyeuxpournepaspleurer,refusantdeselaissersubmergerparledésespoirprêtà

éclateretàluifaireavouerlessentimentsquil’habitaient.–Arrêtezdejoueràl’enfant!grogna-t-il.

***

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Bruceresserrasonétreinte.Leparfumdouxdelacheveluresombrecontresonmentonl’enivrad’unesensationétrange.

–Dormezunpeu,l’aubeneseralàquedansquelquesheures,annonça-t-ild’untonbourrupournepaslaisserentendrel’attendrissementquesoncorpstremblantcontreluiprovoquait.

Elleétaitcommeunpetitanimalpeureuxlovédanssachaleur.Delasentirs’abandonnercontresapoitrinelefitsourired’unsourireàpeineesquissé.

Peut-êtreaccepterait-ellededevenirsonamie?Il attendit de longues minutes avant que son souffle léger s’apaise et qu’elle plonge dans le

sommeil.Lorsqu’ilsentitqu’elles’étaitendormie,ils’allongeadansl’herbe.Elleselovacontrelui,inconsciemment, chercha la chaleur écartée un instant. Il en ressentit de nouveau cette sensationétrange.Ilfronçalessourcils.C’étaitcommesiunsouvenirremontaitàsamémoire,imprécis,vague,confus.Lesommeil lepritàson tour. Ilse laissaaller,serapprochadeRebeccaétroitementblottiecontrelui.

***

Le photographe les trouva aisément. Il jubila de les voir étroitement enlacés, leurs jambesemmêlées dans l’abandon du sommeil. L’appareil ronronna, et les cliquetis des prises de vues neréveillèrentpaslesdormeurs.

Ilvérifialesphotos,souritd’allégressedesclichésexplicites.Parfait!Jamaisiln’avaiteudesphotosvoléesd’une telleperfection. Il exultait. Il avait làune fortuneentre lesmains.Lescandaleallaitfairegrandbruit.

L’entréeenBoursedelaBatmancoallaitsubirlecontrecoupdel’affaireAberdeen!Ilregagnasoncanot,sansmêmequelesdormeursnes’aperçoiventqu’unpiègeserefermaitsur

eux,prêtàlesbroyerdesesmâchoiresimpitoyables.

***

Sethsouritméchammentàlavuedesphotosquelephotographevenaitdeluitransmettre.WayneetRebeccaallaientluipayerl’humiliationqu’ilavaitendurée!

Sonscénarioétaitparfaitcettefois.Wayneallaitchuterdesonpiédestal.LaPrincessedeglaceseraithumiliée,rejetéeparsafamille,

etVickyn’endeviendraitqueplusriche.Dèslelendemainmatin,ilsonneraitl’hallali.Personnellement.IlcherchadesyeuxMarshallparmilafoulesouslechapiteauoùlafêtebattaitsonplein.Instiller

ledoutedansl’espritduvieilhomme.Etsurtoutfairesademandeofficielle.C’étaitprimordial.LesséquellesdesabagarreavecWaynen’étaientpasencorevisibles,ildevaitdoncpousserson

avantage. Dans une heure ou deux, il retournerait voir Marshall pour l’avertir que Wayne venaitd’enleverRebecca,qu’ils’yétaitopposé,vaillamment,quel’autrel’avaitrossé.Ildeviendraitalorslefiancétrahi,désespéré,profondémentbouleversédelatrahisondesapromise.

Vicky ne résisterait pas à l’envie de le consoler, humiliée d’apprendre que son petit ami luipréféraitsasœurhonnie.Ilallaitsefaireundevoirdeluienfournirlapreuve!

LesphotosseraientdanslapresseetInternetallaitleservir.Rebeccaavaitosés’opposeràlui?Elleallaitleregretter.Amèrement.

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Chapitre9

LorsqueBruceseréveilla,lespremièreslumièresdel’aubefaisaientdansersurlamerdesrefletsrosesetmauves.Ilétaitfrigorifié,courbaturédelapositioninconfortablequ’ilavaitadoptée.

Le corps chaud contre lui le rassura. Sans comprendre son geste, il déposa un baiser dans lacheveluresombreprochedesonmenton.Ilsouritbêtement,habitéd’unsentimentdesérénitéintense,etexhalaunsoupirdebien-êtredansl’airfraisdumatin.Ilétaitbien,Rebeccaaucreuxdesahanche,abandonnéeen touteconfiance. Il lacontempladormir,découvritses traitsapaisés,sabeautédoucerévéléeparl’abandondusommeil.

Ilcaressasajouedoréecommeunabricotmûr.Letressaillementsoussondoigt lefitpalpiter.Sespaupièresfinesbattirentlentement,sesyeuxclairsseposèrentsurlui.Laclartévibrantedesonregardexplosacommeuneaubenaissante,radieusedepromesses.Leursregardss’accrochèrent,leurssouffles se bloquèrent dans leurs poitrines. La même émotion sourde les laissa pantelants. Leursvisagesétaientsiprochesl’undel’autrequeleursbouchesseréchauffaientdumêmesouffleretenu.

***

Rebecca réagit la première, terrorisée par ce qu’elle avait souhaité avec tant de force.Elle serelevabrusquementpours’écarterdeBruce.Laflammesourdedanssonregardgrisétaitpirequ’uneinvitationaubonheur.L’instantdevérités’étaitenvolécommelesaigrettesquesonmouvementavaitfaits’enfuirau-dessusd’eux.

–Ilfautyaller,dit-elled’unevoixrauque,peuassurée.Ellesemitdebout,grimaçadescourbaturesdesondosetsesjambes.–Oui.L’aubeestlà,réponditBruced’untonétrange,qu’elleserefusaàanalyser.Sans plus demots, ils se dirigèrent vers la yole.En quelquesminutes, elle était à l’eau et ils

embarquèrent. Bruce poussa la barque dans le courant. Rapidement, ils prirent de la vitesse, sansgrandeffort.Iljouaitdugouvernailpourdirigerl’embarcationverslapointedel’îledessinéecommeunfantômeparlebrouillardmatinal.

Elleleguidaitdepeudemots,profondémenttroubléeparlacertitudequ’ill’auraitembrassée,sielle ne s’était pas reculée. L’émotion que cette évidence avait provoquée en elle était pire qu’unouragan.

La barque progressait rapidement. Le courant les entraînait vers la côte. Ils devaient serapprocherlepluspossibledumanoir,sansquequiquecesoitnes’avisedeleurretour.Ellepriadetoutessesforcespourqueleurdisparitionsoitpasséeinaperçue.

L’aventures’arrêteraitlà.

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–Ilfautaccosterici,dit-elleendésignantlapetitecriquedegaletsoùàpeinedeuxjoursplustôtelleavaitvuBruceetVickytendrementenlacés.

Avaient-ilsfaitl’amour?sedemanda-t-elleànouveau.Laquestionl’avaittaraudéependantdesheures,sajalousieexacerbéeparsesdoutes.Maiselle

luttait,refusantdelaissersonesprits’enliserdansdetellespensées.Avantmêmequelayolen’accoste,elleavaitsauté,regagnélarive,del’eaujusqu’auxgenoux,sa

robe trempée. Bruce la suivit, remorqua l’embarcation sur les galets, la cala soigneusement pourqu’ellenesoitpasemportéeparlamarée,puisillarejoignit.

***

–Ilestpréférablequevousrentriezseulaumanoir.Quantàmoi,jeretourneàmoncottage,luiannonça-t-ellealors,levisageglacé,lavoixdépourvuedetoutsentiment.

Il la fixa, perplexe. Il ne comprenait pas l’attirance brutale qui l’avait poussé à vouloirl’embrasser.Siellenes’étaitpasreculée,ilauraitsavouréceslèvrespleinesd’oùlesmotstombaientàprésentavecfroideur.Ilneprotestapasàcequiétaitlameilleuredécision.Elleavaitraison.Ilsnedevaientpasêtrevusensemble.Celaprovoqueraitdescomplications,lesobligeraitàdesexplicationsqu’iln’avaitpoursapartaucunementl’intentiondedonner.

Ils remontèrent vers la falaise pour emprunter le petit chemin escarpé, Rebecca devant, luiderrière,silencieux,plongédanssesréflexions.

Drôled’aventurequiheureusementsefinissaitbien,songeait-il.Lorsqu’ilsfurentparvenusenhaut,illuitenditlamainenungested’amitié.–Àtouteàl’heure?fit-il.Ellehésitaavantdelaprendre,delaserrerrapidement.–Non,onnevapasserevoirtoutdesuite.JeparspourNewYorkdansquelquesheures.Elle lui avait répondu d’une voix qu’elle voulait sans doute indifférente,mais il y perçut une

légèrefêlure.–Pourquoi?demanda-t-il,étonnédecedépartdontiln’avaitpasentenduparler.–Lesaffaires…Elle se retourna pour disparaître dans le bois sans lui laisser le temps de lui souhaiter bon

voyage.Elleétaitdevenueànouveaufroideetinaccessible.Ilhaussalesépaules,déroutéparcecomportementsiétrange.Unerafaledeventluifitprendreconsciencequ’ilétaitfrigorifié.Ilpartitd’unbonpasversle

manoir.Lesquestionstourbillonnaientsoussoncrâne,sanstrouverderéponses.Il était temps qu’il reprenne le travail pour redevenir lui-même, admit-il avec un petit rire

amusé.IldevenaitsentimentalàjouerauhérosdebandedessinéeensauvantunePrincessedeglaceen

détresse. La situation aurait été cocasse s’il s’était agi d’une tout autre personne que la fille deMarshallAberdeen.

Ilréussitàseglisserdanslemanoirsanssefairerepérer,réintégrasachambreavecunsoupirdesoulagement.L’ordredeschosesétaitrétablietdèsaujourd’hui,ildemanderaitsamainàVicky.Unsourire heureux naquit sur ses lèvres. Une bonne douche chaude et les émotions de la nuitdisparaîtraient!

Une heure plus tard, il se présenta dans le salon où le petit déjeuner était servi. Il y trouvaMarshallseul.Lafêteavaitdûsepoursuivretarddanslanuit.Lesinvitéss’étaientsansdoutecouchésàl’aube,aumomentmêmeoùilsrevenaientversl’île.

–J’aimeraisvousparler,monsieurWayne,lâchaMarshalld’unevoixsècheetinamicale.

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Brucefronçalessourcils,étonnédelafroideurnouvelledesonhôte.Depuisunesemaine,celui-cil’appelait«Bruce»,etleprotocolaire«M.Wayne»dontilvenaitd’userluifitcourirunfrissondansledos.

Leurescapadeaurait-elleétédécouverte?Bah…Illuisuffiraitd’expliquerlasituationettantpispourHamilton.Rebeccasoutiendraitson

histoire.–Mepermettez-vousdeprendremonpetitdéjeuner?demanda-t-ilavecunsourireaimablepour

détendrel’atmosphère,montrerqu’ilnecraignaitrien.Iln’avaitrienàsereprocher.Aucontraire,ilavaitsecourusafille!–Dansunedemi-heuredansmonbureau!Surcesmots,Aberdeenselevapesammentetsortitdusalon.

***

Marshall froissa la lettre de Rebecca dans sa poche, furieux de la trahison de celle qu’ilconsidéraitcommel’héritièrelégitimedugroupe.Ellel’avaithonteusementtrompé!Lescandaledesa fuite avecWayne allait éclabousser leur famille et leur respectabilité.Quant à Seth, il avait étéd’unedélicatesseparfaiteenpromettantdenepasrévélersoninconséquence.

CeWayneavaittoutcalculé.Toutétaitsiclair!IlavaitcomprisqueséduireRebeccarevenaitàdevenirl’héritierpotentieldelaprésidencedugroupe.N’avait-ilpasforméRebeccapourmaintenirsapolitique?Qu’ellerestelebrasdroitdufuturdirigeant?Lorsqu’ilavaitcomprisqueRebeccaauraitplus de poids pour atteindre la présidence du groupe, il l’avait circonvenue, n’avait pas hésité à ladéshonorerparcettefuiteindigne.Maisilferaitpayeràcetinsolentsonplanmachiavélique!Rebeccaseraitreniée,ellen’auraitpasunsou.Illaradieraitdesontestament,elleneseraitplusrienpoureux.

***

Brucemangeadebonappétit,etunedemi-heureplustard,ilseprésentaaubureaudeMarshall.Unordresecretentitdanslagrandepiècepourl’inviteràentrer.–Asseyez-vous!BruceneseformalisapasdelavoixfroidedeMarshall.Iln’étaitpasunpantin,cethommene

l’impressionnaitpas.Ils’assitmalgrél’enviederesterdeboutpourprouversadéterminationànepassesoumettre.

–Oùétiez-vous,cettenuit?demandaMarshalld’untonaccusateur.Bruceserembrunit.Leurescapadeavait-elleétédécouverte?Mieuxvalaitavouer lavéritépournepas laissers’installerdequiproquo.Mentirserait lapire

deschoses.–ÀLongIsland,dansunepetiteanseprèsdesmarais,répondit-ilalorsd’unevoixassurée.BruceremarqualefrémissementdeMarshall,laduretéduregardclairposésurlui.–Avecqui?–Rebecca.Jel’aisauvéed’unemanœuvrequ’Hamiltonavaitmiseaupointpourladéshonorerà

vosyeux, en l’attirant surunyacht. Je suis intervenuà temps,mais le courantnousaportés sur lecontinent.Demandezàvotrefille,ellevousleconfirmera.

–Évidemment!ricanaMarshall.Bruces’alarma,inquietdes’êtreimmiscédansuneaffairequineleconcernaitpas.

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Marshallavaittoujourssemblél’apprécierdepuisledébutdeleurrelation,maisilsentitqueleventavaittourné.

Laportedubureaus’ouvritsoudainviolemmentsuruneVickyéchevelée,levisagetorduparunrictus de colère. La beauté avait déserté son beau visage. Bruce se leva, plus inquiet que l’instantprécédent.Leregardbleudelajeunefemmelebrûlaitdesondédain.

Quesepasse-t-ildonc?La situation lui échappait sans qu’il comprenne pourquoi, et il fut assailli d’une angoisse

confuse.–Commentavez-vousosé?criaVickyd’unevoixaiguë.Laquestionrésonnacommeuneaccusationdanslebureau.–Je…LegestebrutaletimpérieuxdeVickyl’interrompit.

***

Vickysedirigeaverslebureaudesonpèred’unedémarcheraide.Enquelquessecondes,elleseconnectasurlesitedujournalàscandaleetaffichalesphotosincriminantes.

Seth l’avait appelée pour lui demander si Rebecca était revenue, inquiet, prêt à pardonner àl’infidèle. Il avait tenté de lui cacher la vérité,mais avait fini par l’informer de cette publication.CommentSethpouvait-ilsemontreraussiconciliant?

Elle-mêmebouillonnaitdehainepoursasœur,latraîtresse!N’avait-ellepasdétournéBruce?Non pas qu’elle l’aime véritablement, mais il l’idolâtrait et elle s’était habituée à l’idée de

l’épouser. Or, cette sainte-nitouche de Rebecca lui avait volé celui qu’elle considérait commel’hommedesavieparunhypocritemensonge.Qu’illuiéchappeetilluidevenaitcher.

Sonpèrepoussauncridecolèreendécouvrantlesphotosaffichéessurl’écrandesonordinateurdont les légendes étaient plus qu’offensantes pour leur famille.Les deux corps étroitement enlacésétaientreconnaissablesetletitrenelaissaitaucundoute.

LaPrincessedeglaceattiréeparlesétoiles?

Lecommentaire,souslesphotos,étaitencoreplusexplicite.

NousapprenonsdesourcesûrequeMlleRebeccaAberdeen,officiellementfiancéeàM.SethHamilton,aétévueencompagniedeM.BruceWayne,dontpersonnen’ignorelacoureffrénéequ’ilmenaitauprèsdeVictoriaAberdeen.Ondisait même qu’ils étaient secrètement fiancés. M. Hamilton, effondré d’une telle trahison, se refuse à touscommentaires.

–Commentavez-vouspumefaireunechosepareille,alorsquejevousaimais?lançaVicky,entournantl’écranversBruce.

***

Déboussoléparleventdefoliequisemblaitsoufflersurlui,Brucepoussaàsontouruncrienvoyant les photos, s’approcha pour lire le titre et le commentaire accusateur, interloqué qu’un telmensongeaitpuprendrecorps.

–Toutcelaestfaux!s’exclama-t-il,leregardflamboyantdecolère.

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– Vraiment ? Prétendez-vous que les photos sont truquées ? N’est-ce pas vous qui enlaceztendrementmasœur,destinéeàunautrehomme?martelaVickyavecgrandiloquence.

–Vicky,laissez-moivousexpliquer!–Non!Jeneveuxplusdevosmensonges!Ellesortitdubureauencourantsansunregardpourlui.Pourquoiavait-ilvoulujoueraupreuxchevalier?IlmauditHamiltonetRebecca,lesincluantdanslemêmeressentiment,lamêmerageincisive.–Riendetoutcecin’estréel,monsieur,sedéfendit-il,faceauregardglacialdeMarshall.Jene

saispasquia intérêtàsalir laréputationdevotrefilleet lamienne,mais jemesuiscontentédelasortird’unmauvaispas.Ilnes’estrienpasséentrenous.

–Cen’estpascequemelaissesupposerceci,déclarafroidementMarshall,en lui tendantunelettre.

Brucelapritetlalut.«Pourquoi?»futlaseulequestioncohérentequiluivintàl’esprit.PourquoiRebeccaavait-elle

écritunetellechose?Unfauxpourlesconfondre?–C’estabsurde!s’écria-t-ilavecviolence,révoltéparunesituationqu’ilnecomprenaitpas.Iljetalalettresurlebureaucommesielleluibrûlaitlesdoigts.–C’estpourtantbienl’écrituredemafille,objectaMarshalld’untondur.Elle-mêmeavoueses

fautes,monsieurWayne.Ayezaumoinslecouragedereconnaîtrelesvôtres!Jenevouspermettraipasdevousdéfiler!Personnenesemoquerademoi.

–Jen’aicommisaucunefaute!s’insurgeaBruce,larageaucœur.Il décortiquait les événements de la nuit pour tenter de comprendre cet incroyable imbroglio.

PourquoiRebeccaprétendait-ellel’aimeretavouait-ellequ’elles’enfuyaitaveclui?Quelétaitleplanmachiavéliquequ’elleavaitmisaupoint?

Ilnedoutaitplusdesaculpabilité.Ellel’avaitentraînévolontairementdanscetteaventure,sansqu’ilnesaisisseuntraitmotdecettehistoirerocambolesque!

Détestait-elleàcepointsasœurqu’elleétaitprêteàdétruiresapropreréputationpourempêcherlebonheurdeVicky?

Toutétaitsiincohérent!Maisunechoseétaitcertaine:ellepayeraitpourl’avoirmanipuléainsi!Àcaused’elle,ilperdaitlaseulefemmequicomptaitdanssavie.Sonbonheuravaitdisparuaveclesphotosétaléessurl’écrandel’ordinateur.Vickyleméprisait.C’étaituncauchemar!

–Cesphotossont lapreuvedevosmensonges,monsieurWayne.Jevousestimais,mais jemerendscomptequejen’aipassudécouvriràtempsquelêtreabjectvousêtes.Jerefusequemafille,mêmesi,désormais,ellen’estplusmafille,soitcouvertedehonteparvotrefaute.

–Quevoulez-vousdire?–N’était-ilpasdansvosintentionsdelacompromettre?–Jamais!–Nementezpas!Vousespériezlacompromettrepourquejenepuisserefuservotremariage,ce

quivouspermettait demettre lamain sur la fortunedugroupe. Jevois clair dansvosmanigances,Wayne,maisjenevouslaisseraipasfaireetjevousécraseraisanspitié!

–Vousmemenacez?sifflaBruced’unevoixsourde.– Non, je vous préviens. Je n’admettrai pas que Rebecca vive dans la honte, même si elle

n’appartient plus à notre famille. J’ai les moyens de vous faire plier ! Une entrée en Bourse esttoujoursdélicatepourunejeuneentreprise.

–Précisezvotrepensée,monsieur,ditBruce,alorsqu’unfroidglacialfusaitdanssesveines.–ÉpousezRebeccaetjememontreraimagnanime.–Etsiellerefuse?

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Jamaisellenel’épouserait.ElleavaitfomentéceplandiaboliquepoursevengerdeVicky,maisellen’iraitpasjusqu’àl’épouserpourfaireendureràsasœuruneplusgrandehumiliation.Commentavait-ellepuimaginerunplanpareil?

Elle avait dormi dans ses bras avec tant d’abandon !Elle avaitmontré une si grandedétresseaprèsl’agressiond’Hamilton!Toutcelan’avaitdoncétéqu’unecomédie?Jamais ilnepourraitselieràunetellefemme.Elleledégoûtait.Illahaïssait.Jamaisilnecéderaitauchantage.

–Pourquoileferait-elle?réponditMarshall.Rebeccan’aaucunintérêtàrefuserdevousépouser!Maissic’estmalgrétoutlecas,jemedésintéresseraidevous.Necroisezalorsplusjamaismarouteoujeseraiimpitoyable.

–Pasautantquemoi,monsieur!grondaBruce.Ilquittalebureaud’unedémarcheraide,l’espritenébullition.

***

Aprèsavoirfrappéuncoupléger,Rebeccapénétradanslebureaudesonpère.Elleluitrouvalaminefatiguéeets’inquiéta.

–Papa?Elleavaitfaitseschoix.Ellepartait.EllenevoulaitpluscroiserBruce.Elleavaitl’intentionde

demanderàsonpèredel’autoriseràgérerleshôtelseuropéenspourquelquesmoisouplus.Undépartforcépouroublierlafolied’unenuitetunregardgrisenvoûtant.

–Commentoses-tuteprésenterdevantmoi?l’apostropha-t-ild’unevoixdetonnerre.Ellesepétrifia,clignadesyeux,toutenenregistrantsonattitudesévèreetpleinedecolère.Elle

sentitlesangrefluerdesonvisageencomprenantqu’ilavaitdûapprendrecequeSethavaitfomentépourl’humilier.

–Mais,papa…–Commentoses-tu,Rebecca?souffla-t-il,l’airsoudainplusdésorientéquefurieux.Elles’approchadubureau,lecœurchaviréparsonregardimpitoyable.–Dequoim’accuses-tu?Desphotos, sur l’écrande l’ordinateur, l’interpellèrent.Elle sepencha,et lut,horrifiée.Seth !

Luiseulpouvaitavoirinventéuntelplanpourl’humilier,lafairerejeterparsafamille.–Papa,cen’estpascequetucrois!Brucem’a…–Netefatiguepasàinventerdesmensonges.Jesaistout.Waynesortdemonbureauàl’instant,

répliqua-t-ild’untoncoupant.Ellenecomprenaitplusrien,toutàcoup.Qu’avaitracontéBruce?–Épouse-leetnotrehonneurserasauf,poursuivit-ild’unevoixmarquéedelassitude.Ellesursautaàcetteproposition.JamaisBruceneluidemanderaitdel’épouser!IlaimaitVicky,

pas elle. Sans le vouloir, sonpère créait la confusiondans son esprit perturbépar des semaines dedésarroi,faisaitnaîtreunnouvelespoirdanssoncœurmeurtri.

Bruceétait-ilvenuluidemandersamain,aprèsleurépopée?Lemomentoùleurslèvresavaientétésiproches luiavait-il révélésonamourpourelle?Avait-il senti lessentimentspuissantsqui lapoussaientverslui?

Les questions tournoyaient dans sa tête, la folie reprenait le chemin de son cœur. Sa raisonaveugléesombraitdel’allégressequelesmotsdesonpère–unconsentementàleurunion–venaientd’allumerenelle.Leurfeujoyeuxlaréchauffaitd’avoirétéglacéesilongtemps.

Brucel’aimaitdonc?–Tuacceptesquejel’épouse?demanda-t-elletimidement,effrayéeparlaviolencequ’unetelle

phraseéveillaitenelle.

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Uneexaltation indestructiblequi lui ferait tout accepterde l’hommequ’elle aimaitpar-dessustout.

–C’estlaseulesolution,gronda-t-iletcesparolesraffermirentencoresonespoirfou.Elleseperdaitdansunrêve,laréalitéàl’opposédecequ’elleimaginait.Elleseprécipitavers

lui.–Merci,papa.Jet’aime!Ellel’embrassaavecfougue,commejamaisauparavant.Cettenouvellebalayait lepeuderaisonaccrochéeàsonesprit.Sonpèreacceptaitsansergoter

qu’elleépouseBruce!Elleseprécipitaausalonpourrejoindrel’hommedesavie.Iln’étaitpaslà.Ellelecherchaun

moment,exaltéepardesrêvesdebonheur.Elleledécouvritprèsdel’embarcadère.Elles’émutdesagrandesilhouetteisolée,deboutfaceàlamer.

***

Marshalln’eutpaslecouraged’annonceràRebeccaqu’illareniait,qu’elleneseraitplusjamaissa fille. Il ferait bonne figure jusqu’au mariage pour apaiser les remous inévitables qui allaientsecouersonempire,maisensuite,lorsqu’elleseraitMmeWayne,illuisignifieraitsonlicenciementduclanAberdeen.

Plusjamaisilnevoudraitentendreparlerd’elle.Ilfroissalalettred’ungesterageur,sadéceptiond’avoirététrahiparRebeccaplusgrandeque

sonhumiliation.

***

–Bruce!Ledostendu,Bruceseretournaàl’appeldesonnom.IlscrutalevisagerayonnantdeRebecca,

se renfrognade lavoir réjouie. Ilplanta son regarddans lesyeuxclairs semblablesàdesbullesdechampagne.Elleexultaitd’avoirgagné!Ill’endétestaunpeuplus.Iln’avaitpaslechoixetdevaitseplierà lademandedeMarshall. Ilavait réfléchiàsesmenaces.Ellesétaientbienréelles.Aberdeenavaitvraimentlepouvoirdedétruiretoutcequ’ilavaitconstruit.LeurentréeenBourselesfragilisait,ilslesavaienttouslesdeux.S’ilavaitétéseul,jamaisilneseseraitpliéàcettedemande,maistroiscentsemployésdépendaientdelui.Ilnepouvaitpasécarterlerisqued’undésastre.

Ilretintunricanementamer.Oui,Rebeccaavaitgagné.JamaisplusVickynevoudraitentendreparler de lui, et Marshall avait été clair sur leurs futures relations. Rebecca n’irait pas jusqu’àl’épouser,maisildevaitluifairesademandepourqu’elleavertissesonpèredesadécisionetdesonrefus.

–Voulez-vousm’épouser?lança-t-ild’unevoixsourde,oùlaragegrondait.Il observa le visage où un sourire radieux éclaira l’onde des yeux clairs, remarqua le

frémissementdecontentementdestraitsdébarrassésdeleurfroideur.–Oui,Bruce.Jeleveux.Ilentenditlajubilationdanssavoix.Ceouilefrappacommeunegifle.Ilsecrispa,recula,alors

queRebeccaapprochait.Pourquoi?Uneidéel’effleuraalors.Marshalll’avaitreniée,ilnevoyaitpasd’autreexplication.Lespropos

deCharlyluirevinrentàl’esprit,confirmantsonhypothèse:Rebeccaétaitdésormaissansressources,etsavengeancecontresasœurseretournaitcontreelle!Ellel’épousaitpourl’argent,pourgarderun

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niveaudevieacceptableàsesyeuxderichehéritière.Ilretientunricanement.Ellen’auraitriendelui.Ilsevengeraitd’unetellebassesse.

–Bien,siffla-t-il.Ilestpréférablequenousquittionsl’îledèsaujourd’hui.Je…jevaisvoirvotrepère…

Ilpassadevantelled’unedémarcheraideets’éloignasanslaregarder.

***

Rebecca le regardapartir,déboussoléepar sa fuite soudaine sansqu’il lui accordeungestedetendresse.

Elles’étaitprécipitée, lecœurgonfléd’amour,émerveilléepar le troublequ’elleavaitentendudanssavoix.Ellecomprenaitquepourlui,faireunepareilledemandeétaitdélicate.Laveilleencore,ilserraitdanssesbrasuneautrefemme.Elleluiavaitsouri,avaitmisdanssonregardtoutsonamourpourlui.Ellel’aimait.

Enfaisantsademandesivite,ilprouvaitsavaleur.Illuipermettaitd’éviterlescandaleprovoquéparlesphotospubliées,desauversaréputationetl’honneurdesafamille.Sonamoursegonflaitd’unsentimentdereconnaissanceimmense,d’uneadmirationsansbornes.

Il remontait l’alléed’unpasvif, ledos raidede la tensionqu’elleavait sentivibreren lui.Lasilhouette deVicky dressée sur la terrasse lui donna l’explication du comportement distant de sonfiancé.Elles’émerveilladesadélicatesse.Ilnevoulaitpassemontrergrossierenverssasœur!

Ilétaittelqu’ellel’avaitimaginédepuisdesjours.Délicat,tendreetréservé.Sonchevalierauregardd’argent.Soncœurbonditd’allégressealorsqu’elleretournaitverslemanoir.LafroideurhaineusedeVickylalaissademarbre,carplusriennecomptaitquesonamourpour

l’hommequiseraitbientôtsonmari.Unrêvequiseréalisaitplusmerveilleusementqu’ellenel’avaitespéré.

Elle seprécipitavers la chambrede samèrepour lui annoncer lanouvelle,mais celle-ci étaitsouffranteetrefusadelavoir.

Sursonnuagedebonheur,c’estàpeinesielleremarqual’attituderéservéedesessœurs, leursregards froids, désapprobateurs. Seul son avenir occupait ses pensées, sa raison ayant cessé de lamettreengardecontrelafoliedesoncœur.

Uneheureplustard,sonpèrelaconvoquaitdanssonbureau,luiapprenaitledépartdeBruce,lesdispositionsqu’ilsavaientprisespouréviterlescandale.Ilssouhaitaientquelemariagesoitcélébrétrèsvite,etdanslaplusstricteintimitépourcoupercourtauxragots.

Ellecompritlesenjeux,sansmêmequesonpèren’yfasseallusion.L’entreprisedeBruceentraitenBourseàlafindelasemaine.Leurmariagedevaitêtremaintenusecretpournepasprovoquerunespéculationdéstabilisantepourlapetiteentreprise.

La fille de Marshall Aberdeen épousait le P-DG de Batmanco. Une affaire juteuse pour lesmarchésfinanciers!

Touteàsajoiefolle,ellen’accordaquepeud’importanceàsamèrequiluiexpliquaitqu’ellenepourraitpas lasuivreàNewYork,auxréticencesdesonpère…Ellepartitconfiante, lecœuremplid’unbonheurimmense,lesyeuxrivéssurl’avenir,aveugleàtoutcequin’étaitpassonamourcombléau-delàduréel.

L’amourétouffaitsaraisondansunbrasierféroce.

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Chapitre10

L’avionseposasurlapistesansmêmequ’ilsaientéchangéunmotdetoutlevol.RebeccahésitaàdemanderàBrucepourquoiilétaitsisombre.Lafatiguesansdoute.Ilsétaientpartissivite!

Elle sourit, admira les lumièresde l’aéroportCharlesdeGaulleoù ilsvenaientd’atterrir.UnelunedemielenFranceeffaceraitlessoucisdesonmari.Ilseraittoutàelle,délivrédescomplicationsqueleurmariageavaitprovoquées,lestenantéloignésl’undel’autredepuisunesemaine.

Unepetitesemainedepuisl’aventurequilesavaitjetéssurlerivagedumarais.Unepetitesemainedepuisqu’il luiavaitdemandéde l’épouseretqu’unventde folie furieuse

avaitsoufflésursavie.Elle était survoltée par le bonheur que ces simples mots avaient provoqué : « Voulez-vous

m’épouser?»Ilss’étaientàpeinevusdelasemaine.Ilsavaientcommuniquéparmessageriespourmettreau

pointlacérémoniedemariage,unsimplemariagecivil.La fête religieuse aurait lieu plus tard, avait déclaré Bruce. Ses obligations l’appelaient en

Europepourdeuxmois.Laprécipitationétaitvenuedelà.Leurdépartavaitprovoquéunbouleversementbrutaldanssa

vie.Ellen’avaitpaseuuninstant,occupéeàpréparersondépart,lemariage,sonavenir.Lacérémonieavaitétéconfidentielleaupossible,maintenuesecrètepourquelquessemaines.Ellenecomprenaitpaspourquoi.Fairetairelesrumeursenoffrantauxyeuxdetousleurbonheurcommeundémentiauraitété plus simple,mais Bruce ne voyait pas les choses de cetœil. Elle s’était pliée à ses décisions,heureusedeluifaireplaisir.

Lasemaineétaitpasséecommeunouragan.Bruces’étaitoccupédetoutavecdiligence.Mêmesielleavaitregrettél’absencedesesparentspendantlasemaine,elleenavaitcomprislaraison.Lejourdumariage,levisagefatiguédesonpèrel’avaiteffrayée.Quantàsamère,ellemontraitunegrandeinquiétudepourlasantédesonmari.RebeccapartaitenEuropeavecunepointeaucœurdelesquittersi vite.Mandy et Elisabeth avaient assisté aumariage,mais pasVicky. Elle ne pouvait pas lui envouloir.Lajalousielataraudaitencore.Elleavaitpeut-êtreespérésefaireépouserparBruce…

Maiscequilaperturbaitplusquetout,c’étaitladistancedeBrucedepuislafindelacérémonie.Pasunefoisilnel’avaitembrassée,serréecontreluiouneluiavaitditdesmotsd’amour.

Ilss’étaientsipeuvus!Àpeineentraperçusentredeuxrendez-vousdeBruce.Ilavaittravailléd’arrache-pied avant leur départ. Charly, son ami et associé, s’étaitmontré embarrassé, lorsqu’elleétait venue voirBruce au bureau.Ce dernier était absent. La réserve dont avait fait preuveCharlyl’avait persuadéequeBrucen’aurait pas apprécié son interventiondans savieprofessionnelle.Elles’étaitalorseffacéepournepaslecontrarieroulebousculer.Ilsauraientletempsdediscuterpendant

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leur lune demiel, s’était-elle dit, enivrée à la perspective de ces instants de paradis qu’elle avaitplanifiésavecsoin.

Àpeinelesregistressignés,ilss’envolaientpourl’Europe!Ellesetournaverssonmari,admirasonprofilferme,étonnéedenerienconnaîtredelui.Ellene

savaitmêmepass’ilavaitencorede la famille.Charlyavaitété leseul,desoncôté,àassisterà lacourtecérémonie.

Heureusement,lafoliedesprécédentsjourssecalmaitenfin!Depuis huit heures, BruceWayne était sonmari et n’avait pas décroché unmot. Elle regarda

l’allianceàsondoigt,signedeleurunion,preuvedeleuramourmutuel.«Mutuel»?Lemotrésonnabizarrementdanssatête.Soudainl’angoissedéferla.Levoilesedéchiradanssatête,etlesincohérencesdeleurmariage

luiapparurentavecunenettetéaffolante.Unepaniqueincompréhensiblel’envahit,alorsquel’hôtesseleurconseillaitdedétacherleursceinturespours’apprêteràdescendredel’appareil.

Sesmainstremblaientsurlaboucle.Bruceétaitdéjàdebout,ilrécupéraitsonbagagedanslecoffreau-dessusdeleurssiègesetnefit

rienpourl’aider.–Tenez!dit-il,enluitendantsonsacVersace.Letonétaitfroid, impersonnel.Elleseglaçasoussonregardacier insensible,àpeineposésur

elle,commes’ilrefusaitdeposerlesyeuxsurelle.Lacrispationétaitvisiblesursestraitsfigés.Quellefolieavait-ellefaite?Laterreurlaparalysa.Elleregardasonsaccommesiellepouvaitypuiserlaforcedeselever,de

fairefaceàl’hommequis’éloignaitsansl’attendre.Sonmari!Lemotl’atteignitenpleincœur,ettoutremontacommeunevaguefurieuse.Touteslesincohérences.Touslesnon-dits.Touslesgestesabsents.Ilneluiavaitjamaisdit«jet’aime».Il la vouvoyait comme s’ils étaient des étrangers, alors qu’il tutoyait Vicky avec cet accent

tendrequ’iln’avaitjamaiseupourelle.Ilnelatouchaitjamais,commesielleledégoûtait,alorsqu’ils’étaitmontrésienveloppantavec

Vicky.Ilnelaregardaitpas,commesisavueluiétaitinsupportable,alorsqu’ilnedétachaitjamaisles

yeuxdeVickylorsqu’elleétaitprésente.Ilneluiparlaitjamais,saufpourlesbanalitésdetouslesjours,alorsqu’ilaimaitconfronterson

pointdevueavecVickydansdesconversationsamusantes,tendresouémailléesdechamailleries.Il l’appelait Rebecca et jamais Becky, alors qu’il n’avait jamais appelé Vicky que par son

diminutif.Il était froidetdistant comme ilne l’avait jamais été,même lorsqu’elle le fuyaitpournepas

succomberàl’attirancequ’elleavaitpourlui.Ils’étaitmontréamical,avaitcherchéàl’apprivoiserlorsqu’ellesedérobait,etmaintenantqu’ils

étaientmariés,ilétaitglacial.–Allez-vousvousdécider?lahouspilla-t-il.Ilvenaitdeseretournerverselle.Unéclatdedédaintraversasesyeuxgris.Ellesesentitblêmir

souslefeudesonregarddur,conscientesoudainquerienn’étaitcommeellel’espérait.Elleserralesdentspournepashurlerdedésespoir.Levisagedesonmarirestaitimpavide,sans

unsoupçondecompassionpourelle.Commentavait-ellepuêtreaussiaveugleet sourde?Commentsonamourpour luiavait-ilpu

effacerlavéritéquisefaisaitjourdanssoncerveau?Comment?Elleselevalourdement,anéantieparsonaveuglement.

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Bruceattenditqu’ellesedécideà le rejoindre,et remercia l’hôtessed’unsourire.Elleprit sonsac,s’yraccrochacommeàunebouéedesauvetage,chanceladetouslessouvenirsensarabandefollesoussoncrâne,assaillieparlatristevérité.Brucenel’aimaitpas.Ilnel’avaitjamaisaimée.

Depuis une semaine, elle se leurrait sur les sentiments de celui qui était désormais sonmari.Alorsquesonamourgrandissait,senourrissaitdechimères,luinefaisaitquelamépriser.

Maissoncerveaurefusaitdecroireàl’inéluctable.Elle l’aimait. Elle le lui dirait.Ce soir, elle lui avouerait tout. Leur nuit à l’hôtel, son amour

inexorablepourluiaufildesjoursmalgrésesrésolutions,Vicky.L’espoirrenaissaitcommeunefleuraupetitmatin.Ellelerejoignit,unnouvelélanaucœur.Ilnefitpasungesteverselle,l’attenditàpeine,alors

qu’ilsedirigeaitversleterminal,letéléphoneenmain.–J’aifaitsuivrelesbagagesàToulouse,l’avertit-ilensaisissantlesdeuxpetitesvalisesqu’ils

avaientpréparées.Ellecomprenaitpourquoi il luiavaitdemandédepréparerunbagagelégerpourParis.Ellequi

avaitcruqu’ilsparcourraientlesbeautésdelavilleenamoureuxpoursavourerleromantismedelacapitalefrançaise!Elledéchantaitdurement.

Rienn’étaitcommeellel’avaitespéré.– Quand partons-nous à Toulouse ? demanda-t-elle d’une voix qu’elle espérait assurée, alors

qu’elleétaitbouleversée.–Demain. J’aides rendez-vousdès ledébutde la semaine, répondit-il sansmême lui jeterun

regard.Elleétaitquantiténégligeable.Ilnetenaitpascomptedesonavis.Enquelquesminutes,ilsfurentàlasortiedel’aéroport.Aulieudesedirigerversleparkingdes

navettesd’hôtels,Brucel’entraînaverslalonguefiledestaxis.–Lanavettedel’hôteldoitnousattendre,protesta-t-elle.Elle tentait de se maintenir à sa hauteur, la main rude de Bruce accroché à son coude sans

douceur.Illatraînaitsansménagement.–Nousn’enavonspasbesoin.Ilhélaun taxidont lechauffeurdescenditpour leurouvrir lesportièreset lecoffre.Puis il la

poussaàl’arrière,s’installaàl’avantprèsduconducteur,luisignifiantainsiqu’ellen’étaitrienqu’unpaquetdontilsedébarrassait.Elleétaitanéantieparsoncomportement.Pourquoiilluiavaitdemandédel’épouser,sic’étaitpourlatraitersimal?

Pasàcausedesphotoscompromettantesoudescommentairesinsultants,toutdemême?Jamaisilneseserraitplieràunetellemascarade.Elleseuleauraiteuàsubirlesconséquencesde

la fureur de son père.Nous n’étions plus auMoyenÂge.MêmeMarshallAberdeen n’avait aucunmoyendepressionpourforcerlamaind’unhommecommeBruceWayne.

Alorspourquoiunetellemascaradedontelleprenaitenfinlamesuredésastreuse?Àmoinsquesonpèreaitmenacéde la renier?Brucen’auraitpasété jusqu’ausacrificedesa

libertépourlasauverdecettedéchéancesupposée?Lesjournauxauraienttrèsvitecesséleurharcèlement,quitteàcequ’elles’exilepourquelques

moisdansunquelconquehôteldugroupe.Si l’on considérait tout cela, la demande de Bruce devenait incompréhensible. Pourquoi

l’épouser,sic’étaitpouravoirensuitececomportementquilamettaitdansdestransesdouloureuses?Peut-être doutait-il de son amour à elle ? Elle non plus ne lui avait jamais dit « je t’aime ».

S’inquiétait-ildessentimentsqu’ellepouvaitressentirpourlui?N’était-ellepaslaPrincessedeglace?Pourquoineluiparlait-ilplus?

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Elleétaitcomplètementperdue!Letourbillondesespenséesluifaisaitoublierl’endroitoùelleétait.Letaxis’arrêtadevantlafaçaded’unhôtel.Ellefronçalessourcils.Cen’étaitpasl’AberdeenHôteloùilsdevaientpasserleurlunedemiel!Elleavaitelle-mêmeréservélasuitenuptiale,lesrepasgastronomiques,lapromenaderomantiquesurlaSeineàlanuittombée.

Bruceétaitdéjàsortidutaxi.Leportiervintluiouvrirlaportière,tandisqueBruceattendaitavecimpatiencequ’elledescendedelavoiture.

–Bruce,pourquoinesommes-nouspasàl’Aberdeen?–Ce n’est pas le lieu d’en discuter, répliqua-t-il sèchement, en la prenant par le bras pour la

meneràl’intérieurdel’hôtel.Leréceptionnistelesaccueillitavecdéférence,lechasseurlesaccompagnaàleurschambres.Leurs chambres, réalisa-t-elleenmontantdans l’ascenseur.Soncœurseglaça.Ellenepouvait

ignorercessignespluslongtemps…Pourquoi?hurlaitunevoixdanssatête,sespenséesincohérentes,confuses.Aprèsl’avoirpousséedanslapièce,Bruceremercialechasseur,etluidonnaunpourboirepour

sedébarrasserdelui.Ilrefermalaportedelachambreoùseulesavalisetrônaitsurlebancaupieddulit.– Pourquoi ne sommes-nous pas à l’Aberdeen ? demanda-t-elle de nouveau, dans l’attente

angoisséedelaréponse.– Jen’y tenaispas, jeta-t-il, enfouissant lesmainsdans lespochesde sonpantalond’ungeste

rageur.–Pourquoi?Les soupçons assaillaient son cerveau anesthésié par des évidences qu’elle refusait encore

d’admettre.–Jen’ainullementl’intentiondedevoirquoiquecesoitàvotrepèreouàlafamilleAberdeen.L’accentinsultantaveclequelilprononçasonnomdefamillefutpourellecommeunegifle.Elle

reculacontrelelit.LeregardfarouchedeBrucelabrûladesaduretéglaciale.–Jenecomprendspas,Bruce…– Vous ne comprenez pas, vraiment ? Seriez-vous amnésique ? La situation est parfaitement

claire,pourtant,mesemble-t-il,lança-t-ilâprement.

***

BrucesedirigeaverslafenêtrepourneplusvoirlatraîtrisesurlevisagedeRebecca.Lesdeuxflaquesdeglacedesonregardinterrogatif,écarquillésurunedétressequ’ilserefusaitàprendreencompte,n’étaientquemensonges.

Elle ne l’attendrirait plus. Elle était une comédienne machiavélique. Il n’avait pas découvertpourquoi elle avaitmonté ce plan perfide contre lui,mais il l’avait contré sansmêmequ’elle s’endoute.

Dans quelques mois, dès que son entreprise serait à l’abri des machinations sournoisesd’Aberdeen,ildemanderaitledivorceetl’obtiendraitsansdifficulté.Elleneseraitjamaissafemme,ilsel’étaitjuré.Aucunecérémoniereligieusenesanctifieraitcelien.Maispendanttoutletempsquedureraitcemariage factice, ilnesepriveraitpasde la fairesouffrir, sic’étaitensonpouvoir. Il sevengeraitdecequ’elleluiavaitinfligé.

–Pourquoim’avez-vousépousée?demanda-t-elle.– Et vous, Rebecca ? Pourquoi avez-vous accepté ma demande ? rétorqua-t-il méchamment,

décidéàconnaîtrelavéritédecetteincroyablestupidité,mêmesisonopinionétaitfaite.

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Ellen’avaitpasmesurétouteslesconséquencesdupiègedanslequelellel’avaitentraînépoursevengerdesasœur.Lereniementdesonpèrel’avaitpousséeàl’épouserlui,fautedemieux.

Ilbouillaitdepuisunesemaineetilnelaménageraitpas.–Parcequejevousaime,Bruce,répondit-elle.C’étaitcommesiellel’avaitpiquéavecuntisonbrûlant.Ilseretournad’uncoup,furieux.–Vousm’aimez,Rebecca?Vousnesavezriendel’amour.Vousêtesincapabledeleressentir.Si

vousm’aviezaimé,vousm’auriezlibéréduchantagequevotrepèreafaitpesersurmoipourquejevousépouse!

–Duchantage?Quelchantage?bredouilla-t-ellesansqu’ils’attendrisse.Ilreculad’unpas,grondantdecolère,sonregardplantédanslesyeuxécarquillésoùilrefusaitde

lirel’incompréhension.Mensonges!pensa-t-il,ivrederagequ’elleoseprétendrel’aimer.–Nefaitespasl’innocente!Voussavezparfaitementcequevotrepèrem’aimposé.Vousépouser

ouildétruisaitmonentreprise!Vousseuleauriezpumelibérerdecetignoblechantageenrefusantmademande,maisvousenétiezl’instigatrice,n’est-cepas?Votrelettreenestlapreuve.Vousavieztoutmanigancé.

–Non!LecriétouffédeRebeccan’arrêtapasleflotd’amertumerageusedesesparoles.–Nemementezpas!JenesaispasquellehaineenversVickyvousafaitinventerunplanaussi

machiavélique,maisjenesuispasdupe.Vousavezvoulum’épouser?Parfait.Noussommesmarietfemme,maisn’attendezplusriendemoi.Vousnem’êtesrien,etvousdemeurerezuneétrangèredansmamaison.Jenevousaccordeaucundroitsurmavie.Vousserezmonépousepourmesamisetmesconnaissances,mais,pourmoivousn’êtesdésormaisplusrien.Dèsquelesmanœuvresdevotrepèrene pourront plusmettre en périlmon entreprise, nous divorcerons. Je n’ai nullement l’intention dem’attacheràunefemmetellequevous.Jevoushais,RebeccaAberdeen!Je regretteprofondémentd’avoirunjourvouluvousaider.

–Bruce,je…,commença-t-ellemaladroitement.D’ungeste,illafittaire,larageaucœur.– Taisez-vous ! tonna-t-il. Je refuse de vous écouter débiter de nouveaux mensonges ! Vous

assumerezvotrerôled’épouseauprèsdemesamisetdemesrelationsletempsdenotreviecommune,quinesauraitseprolonger.Jemedésintéressedecequevouspouvezfaireetdevenir,unefoisquenousseronsdivorcés.Jemeplieàcettecomédiepoursauverlesemploisdespersonnesquim’ontfaitconfiance.Uneseuleentourloupedevotrepartetjevousjurequevouslepayerezaucentuple,votrepèreetvous!J’ypasseraispeut-êtremavie,maisjevousdétruiraiscommevousavezvouludétruiremavie.

Rebeccarecula,unefrayeurpeintesurlevisage.Ilsecontint,sonenviedelagiflersegonflantdesaragedeplusenplusforte.

Raged’avoircruqu’elleétaitautre,raged’avoirperducellequ’ilaimait,raged’avoirvoulufairede cette femmequi se tenait tremblante devant lui une amie, rage d’avoir voulu, un certainmatin,céderàl’enviedelaprendredanssesbrasetdel’embrasser.

Ilavaitétéstupidefaceàlaroueried’unepareillesorcière!Ilsemaudissaitd’avoirunjourposélesyeuxsurunedesfillesAberdeen.

Durantuninstant,lesyeuxclairséteints,noyésdelarmes,letouchèrent.Unremordsinfimeluimorditlecœur,maissacolèreeffaçabienvitecebrefmomentdefaiblesse.Rouerieencore!

Ilsedétourna,sedirigeaverslaporte.–Nouspartironsà10heures,demainmatin.Tenez-vousprête!jeta-t-ild’untonrude.Ilquittalachambresansunseulcoupd’œilverselle.

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***

Anéantie,Rebeccaselaissalentementglisserausol,renvoyantsanscesselevisagehaineuxdeBruce.Ellenecomprenaitplusrienàcequ’elleavaitcruêtrelebonheur.Dessanglotssilencieuxlasecouèrentdansunecrisededésespoirdestructeur.

Elle resta prostrée une partie de la nuit, recroquevillée au pied du lit, incapable de penser, deréfléchir. « Ilme hait » étaient les seulsmots qui franchirent le brouillard dans lequel elle s’étaitenfoncée.

Jamaisellen’avaitpenséqu’elle souffriraitautant,qu’elleneseraitplusqu’unecoquillevide.Bruce l’avait déchirée de sa haine, de son mépris, sans même vouloir l’écouter. Tout le bonheurqu’elleavaitressentipendantlasemaineavaitvoléenéclat,brisédemilliersdemorceauxfichésdanssoncœuretsonâme.Ellesemourait.

Tous ses rêves, ses espoirs se dissolvaient dans ces quelquesmots : « Je vous hais, RebeccaAberdeen.»

Lebruitducamionpoubelle,danslarue,lasortitdesonapathie.Elleserelevalourdement,mouluecommes’ill’avaitfrappéedesespoingsetnondesesmots.

Ellenepouvaitpasréfléchir.Ellefermasonespritàtout,secouchasurlelit,rabattitlecouvre-litsursoncorpsfrissonnant,etsombradansunsommeildouloureux,épuiséedefatigue.

Lasonneriedutéléphonelatiradesongouffreobscur.Elledécrocha,hébétée,nesachantpluscequ’elleétait.

–Jevousattendsdansdixminutes,dit lavoixgravedeBruce,gifle froideet tranchantede ladureréalitéquedevenaitsavie.

Undésastremonstrueux…Elleselevadifficilement,alladanslasalledebains,sebaignalevisage,sansseregarder.Ellese

dégoûtaitautantqu’elleledégoûtait.Elleauraitdûquestionnersonpère,Bruce,aulieudecroireàunrêvestupidequ’elleavaitdésiré

detoutessesforces.Elleétaitfautiveentoutpoint.Elleregardasatenuedevoyagefroissée,sechangeapourgarderunpeudesadignité.Ellenemontrerait jamais àBrucecombien il l’avait blessée, comment chaquemot tombédes

lèvrestantaimées,chaqueregarddédaigneuxétaitunesouffrancepourelle.Elleseredressadansunderniersursautd’orgueil,unerévoltesourdeaucœur,résolueetforte.Ilnelaplieraitpas.Ellenelesupplieraitpas.Plusjamais,iln’entendraitl’aveutendreavouélaveilleausoir.Jamaisplusdetelsmotsnefranchiraientseslèvres,pourquiquecesoit.Pendantlesquelquesmoisoùelleseraitsafemme,ellesemontreraitdigne,froide,indifférente.

Unricanementsourdrésonnadanslachambrequ’ellequittait.Elleredeviendraitla«princessedeglace»nonplusàcausedesatimidité,maisparcequeson

cœur était mort dans cette chambre impersonnelle. Plus aucun sentiment n’effleurerait jamais soncœuretsonâme.

Sonpère,Bruce,Seth…Toustroisl’avaientbrisée.Maintenant,elleseraitinaccessibleàtous.

***

Bruce regardaitRebeccaapprocher, s’étonnantdesadémarcheassurée.Laveille, il avait lu ladétressedanssonregard.Détresseprofondequiluiavaitrappelél’abandonqu’elleavaiteuentresesbras,aprèsl’agressiond’Hamilton.Maisilétaitsansremordspourlesmotsdursqu’ilavaitproférés,

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libérantsarageaccumuléedepuisunesemaine.Unenuitderéflexionl’avaitcalmé,maisilétaitloindeluipardonnersatraîtrise.

Pourtant, son « je vous aime, Bruce », dit de cette voix voilée, l’avait fait palpiterinvolontairement.Unnouveaupiègequ’elleluiavaittendu,pourdesmotifsunefoisdeplusinconnus.Etlaquestionrevenait:«Pourquoi?»

Lorsqu’ellefutprèsdelui, ilvitmieuxsonvisage,unvisageravagéparleslarmesetunenuitblanche,probablement.Elleavaitdelargescernessombres,etsesyeuxbleusparaissaientplusgrands,immenses lacs d’une froideur jamais égalée. Plus un seul éclat n’y brillait. Il était invisible, etl’attitudedeRebeccaplusglacialequ’ellenel’avaitjamaisétéauparavant.Unebanquiseinaccessible.Mortelle.

–Bonjour,Bruce.Plusunseulaccentdechaleur.Ilfrissonnadecessimplesmots,ditssanshaine,sanssentimentaucun.Ellen’attenditpasqu’illuiréponde.Elleledépassapoursortirdel’hôtelsanss’occuperdelui,

commedevenueindifférenteàtout.Le chasseur s’inclina devant elle sans qu’elle n’esquisse un remerciement, comme il l’avait

toujoursvufaire.Elles’engouffradanslaporteàtambour,etmontadansletaxi.Ilsedécidaàlasuivre.Unsentimentétrangel’étreignituninstant,commeunremordsd’avoir

provoquéchezellecettenouvellefroideur,del’avoirjetée,parsesmotsinsultantsdelaveille,danscegouffred’insensibilité.

LespetitssalutsbienveillantsquelesemployésdumanoirouduPalaceoctroyaientàRebeccaluirevinrent en mémoire. Cette déférence amicale, les employés la témoignaient à elle seule. Elle yrépondaittoujours,aveccepetitsourirequiluiplissaitlespaupières.

Il se secoua pour ne pas s’attendrir, monta dans le taxi près d’elle. Il retint son ricanement.Jamaisilneferaitd’ellesafemme.

Iljetaundernierregardàsonprofilpur,figé,commeunvisagesculptédanslesglaceséternelles,avantdesedétourner.

Toutétaitdésormaisditentreeux.

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Chapitre11

–JeparspourFrancfortaprès-demain,j’yresteraiquelquesjours,annonçaBruceenselevantdetable.

–Voulez-vousquejevousaccompagne?réponditRebeccadecettevoiximpersonnellequ’elleavaitdepuisquinzejours.

DepuislematinoùilsavaientquittéParis.Pasunjour,iln’avaitpulireunsentiment,unémoi,unsignedeviesurlevisagefigémêmedans

lesommeil,commeilavaitpuleconstaterlaveille.Ilétaitrentrétard.Ill’avaittrouvéeendormiesurlecanapédugrandsalon,unlivreabandonnéà

sespieds.Ill’avaitregardéedormir.Lesouvenirdesonvisagepaisible,durantlanuitqu’ilsavaientpasséeprèsdumarais,luiétaitrevenuentête.

Aucundestraitsdelajeunefemmeneluiavaitrappelécevisagecharmantquil’avaituninstanttroublé.Mêmedanssonsommeil,elleétaitfroide,figureciseléedanslaglaceimmaculée.Plusriennevibrait enelle.Cettevibrationdont il se souvenait avecunecertaineémotionavaitdisparu, elleaussi.

Plusdesentiments,plusdepalpitation,plusdefrémissement.Rebeccan’exprimaitplusrien.Comme dans leurs conversations. Elle ne faisait que répondre à ses questions, sans jamais

émettreunavisouuneopinion.Ellesepliaitàsesvolontésdansunetotaleindifférence.Etcetteattitude,bienplusque la révolte, lemettaitmalà l’aise.Ellesemontraituneparfaite

maîtressedemaison, s’occupaitde la résidencequ’ilpossédait auxalentoursdeToulouseavecuneefficacité impersonnelle. Lorsqu’il rentrait le soir, il retrouvait son logis tel qu’il l’avait quitté lematin.Rienn’avaitbougéoun’avaitétédéplacé,commesiRebeccan’yvivaitpas.

Elleétaitunfantôme.–Sivousledésirez,Rebecca,répondit-il.Il laregardaavecattentionpourdécouvrirunsigne,unsimplefrémissementqui luiprouverait

qu’elleétaitànouveauvivante,maisilnedécelarien,unefoisdeplus.–Sicelanevousdérangepas,jepréfèreresterici…Elle se leva pour débarrasser la table et plaça la vaisselle sur un plateau posé sur la petite

console.–Rebecca…,commença-t-il,sanssavoircequ’ilvoulaitluidire.La voir sourire, exprimer un sentiment ou même simplement frémir lui devenait soudain

indispensable,maissonvisageetsoncorpsnebronchèrentpas.Ellesecontentadesetournerverslui,leregardimpassible.

Mort,eut-ilenviededire,unremordsaucœur.

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–Oui?–Non,rien,maugréa-t-il,furieuxcontrelui,contreelle.–Souhaitez-vousquejevousprépareunevalise?demanda-t-ellesansbouger.Ellelefixaitdeceregardqu’illuidevenaitimpossibledesoutenir,tantsafroideurleglaçait.Il

retintunsoupirexcédé.–Non,Amandines’enoccupera.– Quand devez-vous revenir ? s’enquit-elle, tout en poursuivant le débarrassage de la table,

commetouslesmatins.Unequestiondepurepolitessepourremplirsonrôledemaîtressedemaison,réalisa-t-il.–Mardidelasemaineprochaine.–Voulez-vousquejevousconduiseàl’aéroport?–Oui,sicelanevousdérangepas.–Sivousmecommuniquezl’heuredevotreretour,jeviendraivouschercher.–Merci,Rebecca,répondit-il,sansmêmequesonremerciementnelafassebroncher.Illaregardadisparaîtreverslacuisine,insupportéparcettesituationridicule.Lesjournéesétaientimmuablesentreeuxdepuisleurarrivée.Dèslepremierjour,elleluiavaitdemandélesconsignespourlesrepas,cequ’elleauraitàfaire,

commeunefemmedecharge.Defait,ellesecomportaitensimpleemployéeparsonattituded’unedocilitéindifférente.

Tous les matins, il descendait, trouvait le petit déjeuner prêt. Ils le prenaient ensemble sansparlerd’autrechosequedutemps,desnouvellesdelarégion.

Rebeccanemontraitaucunecuriositépourquoiquecesoit.Nipourlesenvirons,nipourcequ’ilfaisait, ni pour les activités dont elle pourrait bénéficier. Elle était comme insensible au mondeextérieur. D’après Amandine, la femme de ménage qui venait deux fois par semaine, Rebeccas’installaitdanslejardinetlisait,sansjamaisfaireuneseuleréflexionoudemande.

Ill’avaitconstatélui-même,unjourqu’ilétaitrentréplustôtqueprévu.Ill’avaittrouvéedanslejardin,unlivreentrelesmains.Ellenes’étaitpasétonnéedesonretour,neluienavaitpasdemandélaraison.

Ellecuisinaitdivinement.Durantlesquinzejoursquis’étaientécoulés,elleluiavaitpréparédesplatsdélicieux,dignesd’ungrandcuisinier.

–Oùavez-vousapprisàcuisiner?luiavait-ildemandéunsoir,aprèsavoirdégustéunematelotedepoissonssavoureuse.

–Àl’hôtel,avait-elleréponducommeellelefaisaitsouvent,sansdonnerplusdedétails.S’iln’insistaitpas,ellenedévoilaitjamaisplus.Luiarracherunmotétaitcommearracherune

dentàunepoule. Impossible !Endépitde leurviecommune,elle restaitpour luiuneénigmeplussecrèteetimpénétrablequ’àNewYork.

Ilnerentraitquepourledîner.Commelematin,leurconversationselimitaitaustrictminimum.S’il lui parlait de son travail, elle écoutait sagement, ne posait pas de question, montrant sondésintérêt pour ce qu’il pouvait faire. Au bout de quelques jours, il avait renoncé à l’idée d’uneconversation plus nourrie, perturbé par cette volonté qu’elle avait de n’être qu’unmeuble dans samaison.

–Àcesoir,Rebecca.–Àcesoir,Bruce,répondit-elle,sansajouterle«Bonnejournée»auquelils’attendait,compte

tenudesonextrêmepolitesse.Ilquittalamaison,unsentimentderageimpuissanteaucœur.

***

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Lavoituredisparutsous leregardattentifdeRebecca.Elleattendaitcetteoccasiondepuis leurarrivée.Enfin,elleallaitpouvoirdemanderdescomptesàsonpère.Elleseprécipitadanslebureau,seconnectaà Internet.Enquelquesclics,elleavaitachetésesbilletsd’avion.Unaller-retourexprèsàNewYork.Elleappelalasecrétairedesonpère,luiordonnadeluiprendrerendez-vous.Ellevoulaitdesexplicationsetellelesaurait.

Quinzejoursqu’ilsétaientarrivésàToulouse.Ellefourbissaitsesarmes.Elleavaiteuletempsde réfléchir à sa situation. Une révolte grandissante gonflait son cœur où un espoir, pourtant, senichait.

Dansmoinsdequelquessemaines,ellesedégageraitdesliensquil’unissaientàBruce.Ellenevoulaitplusdecettefolie,decettevieàdeuxqu’ilsnepartageraientjamais.IllaméprisaitetaimaitVicky.Elledisparaîtraitpour lui laisser lechamp libre,mêmesielle savaitque jamaisVickyne lerendraitheureux.MaissasœurincarnaitlerêvedebonheurdeBruce.Elle,ellen’étaitrienpourlui,qu’unefemmequ’ilhaïssait.

Qu’importe à présent… Qu’il soit malheureux avec Vicky ne la concernait plus. Elle s’enréjouissaitmêmedanssesmomentsderévoltecombative.

Maisavantderomprelelienqui,pourl’instant,luiassuraitunecertaineaisancematérielle,elledevaitrégler laquestiondesonaveniravecsonpère.Elleavaituneidéeprécisedelasituation.Dumoins,lecroyait-elle.

Ellepréparasavalise,appelauntaxi.Enmoinsd’uneheure,elleétaità l’aéroport,etdéposaitsonbagageàlaconsigne.

Le surlendemain, elle s’envolerait pour New York. Avant même que Bruce ne revienne, elleseraitànouveaulà,commesiellen’avaitpasbougé.

***

LevoldeBruceétaitannoncéà10h40.Ilgaralavoituresurleparkingdel’aéroport.Ilstoppalemoteur,setournaversRebecca,assiseà

sescôtés.Elleregardaitàtraverslepare-brisedeceregardimpénétrablequil’excédaitdeplusenplus.Il

avaitbesoindecetéloignementpourréfléchirà leursituation,devenueintenableaufildes jours.Ilsupportaitmalsonattitude,mêmes’ilenétaitleseulresponsable.Lesmotsblessantsqu’illuiavaitassénés sous le coup de la colère ne le quittaient plus. Il les regrettait presque. Ses sentimentsn’avaientpaschangé,maislecomportementdeRebeccaétaitperturbantpourlui.Ils’envoulait,puisl’instantsuivant,grondaitderagedes’êtrefaitpiéger.

–Saurez-vousconduirelavoiture?s’inquiéta-t-il.Laboîtedevitessesétaituneboîtemécanique.–Oui.Ilretintsonhaut-le-corps,furieuxdumutismedesafemme.Àcerythme,ilsn’auraientplusrien

àsediredansunmois!Ilsoupira,secoualatêtedecetteaberrationqu’étaitleurmariage.Ildescenditdevoiture,récupérasavaliseetsonmanteausurlesiègearrière.– Je vous appellerai en arrivant, proposa-t-il dans un souci de conciliation, avec un vague

remordsàl’idéedelalaisserseuledansunpaysinconnu.–Nevousensentezpasobligé,répliqua-t-elle.Ellesortitàsontourdelavoiturepourenfaireletour,sanss’émouvoirdelacolèrequ’ilavait

peineàcontenir.

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Elleluifaisaitcomprendreparcetteremarquedétachéequ’iln’étaitrienpourelle,toutcommeilluiavaitditqu’elleneseraitjamaisrienpourlui.

Ilpritsavalise,sansunaurevoir,etsedirigeaversleterminalnimbédesoleil.Bruceentenditlavoituredémarrer.Ilseretourna,attenditinexplicablementunsignedeRebecca.

Elle ne tournamêmepas les yeux vers lui, toute son attention portée vers la sortie du parking.Lacolèreseranimaenlui;ilmauditcettefemmeetsonattitudeindifférente.Elleluipourrissaitlavie.

Pourquoi?Pourquoiavait-elleacceptédel’épouser?Ilsefrottalefront,commesicegestepouvaiteffacerlaquestiondevenueenvahissante,même

danssontravail.Plusildécortiquaitlasituation,pluselledevenaitinvraisemblableetincohérente.Quecroyait-elleobtenirde lui?La liberté?Uneéchappatoireau jougpaternel?Unesécurité

financièreaprèsavoirétéreniée?Pourquoineréclamait-ellejamaisuncent,depuisquinzejours?Pasunefoisellen’avaitfaitunequelconqueréclamation.Celaledéstabilisait,cecomportement

étaitincompréhensible.S’ilsdivorçaient,commeilleluiavaitpromis,dequoivivrait-elle?Ilpoursuivitsoncheminversleterminal.Ildevaitoublierceregardclairquiavaitflamboyéet

vibréd’unevieintenseunmatinmaudit,bouleversantirrémédiablementsavie.

***

Rebeccas’étaitretenuedel’appelerpourluisouhaiterbonvoyage.Ellenedevaitmontreraucunefaiblesse.Ill’avaitpiétinéedesonmépris.Ellenedevaitjamaisl’oublier.Ilnel’attendriraitplus.

Jamais,s’était-ellepromis.Cejamaislapousseraitàagirpourelle-même.Elleattendituneheuredanslavoiture,jusqu’audépartdel’aviondeBruce.Ellepoussaunsoupir

dedéceptiondesentirsoncœurbattreencorepourcethommequilahaïssait.Ellesesecoua.L’effacerdesamémoireleplusvitepossible.C’étaitsapriorité.Oubliercettefoliequil’avaitdétruite.

Ilpleuvaitquandl’avionseposasurlapistedeNewYork.Elleregardalavilleétaléesoussesyeux.Enmoinsd’uneheure,ellearrivaausiègesocialdel’AberdeenCompagnie.Leportierlasaluaaveccesourirebienveillantauquelelleréponditàpeine,l’esprittenduversl’entretienqu’elledevaitavoiravecsonpère.

Nancy, la secrétaireparticulière, la fitpatienterquelquesminutesavantde l’introduiredans lebureaupaternel.

Elles’avança,déterminée,sa froideurcommeunmasquedontellenepouvaitplussedépartir.Ellenecroyaitpassonpèrecapabledechantage,maislesproposdeBruceavaientétédévastateurs.Celuiqu’elleavaittoujoursadmiréavaitperdudesasuperbeàsesyeux.

***

–Queveux-tu?luidemandaMarshallfroidement.Ilappréhendaitl’entretienqu’elleluiavaitimposé.Elleétaitpartiesiviteaprèslemariageque

pourlui,l’affaireétaitclose.–Tun’esplusmafilledepuisquetum’asdéshonoréenvolantcethommeàtasœur.Necompte

pas sur un quelconque héritage, je t’ai rayée de ma succession ! attaqua-t-il pour éloigner sonindécision.

Camillerefusaitqu’il larenie, tandisqueVickyréclamait justicecontrecettesœurindignequis’étaitjetéeàlatêtedeceluienquiellevoyaitsonfuturmari.MandyetElisabethneprenaientpasparti.Ildoutaitparfoisdubien-fondédesesdécisions.DepuisledépartdeRebecca,forceluiavaitété

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de reconnaître l’aide précieuse, efficace et discrète, qu’elle avait été.Mais lemasque froid, d’uneduretéinhabituelle,qu’ilavaitenfacedeluilemettaitsoudainmalàl’aise.

–Avez-vousfaitpressionsurBrucepourqu’ilm’épouse?demanda-t-elledecettevoixcoupantequ’elleavaitdepuissonmariage.

Iltiquaduvouvoiement.Jamaisauparavantellenel’avaitvouvoyé.–Ilt’adéshonorée,sedéfendit-ilorgueilleusement.Il se remémorait cematin où il avait posé sonultimatumàWayne ; sondroit de père bafoué

l’avaitincitéàfrapperdurement.

***

LesmotsdesonpèrefurentdesaiguillonsàlacolèredeRebecca.Ainsidonc,illarejetait?Sansmêmel’enavertir,sansendiscuter?Ill’avaiteffacéedesavied’uncoupdegomme,commesiellen’avait jamais existé. La douleur, au lieu de l’affaiblir, la rendit au contraire plus dure, plusimpitoyable,commecetteglacepolaireàlaquelleonlacomparaitsisouvent.

–Iln’arienfaitdetel,père.Aucontraire.Ilm’asortidesgriffesdeSethHamiltondontj’avaisrejeté la demande enmariage, lui asséna-t-elle brutalement, décidée à tout lui révéler sans plus deménagement.

Quil’avaitménagé,elle?Personne.Etlejugementiniquedesonpèremontraitlepeud’attachementqu’ilavaitpourelle.

Ellel’avaittoujourssu,maissesentirrejetéeparsonpropresangétaitunedouleureffrayantequilapoussaitànepluss’émouvoir.

–Qu’est-ceque…,suffoqua-t-il.– Oui. Celui que vous encensez n’a rien de reluisant. Il m’a entraînée sur un yacht pourme

compromettre.C’estluiquiaconvoquélephotographepourprendredesphotos.Bruceaeuventdel’affaire et a voulu m’aider. Les circonstances ont joué contre nous. Je suppose que Seth vous acirconvenuparsesmensonges?Vouspréfériezluifaireconfianceplutôtqu’àvotreproprefille!

–Qu’est-cequetuessaiesdemefairecroire?Talettre!Talettreprouvequecequetudisestfaux ! rétorqua-t-il, rougedecolèrede sesaccusations. Je l’ai lueet reluependantdesheures, j’enconnaistouslestermes!

–Ma « lettre » ? Elle vous avertissait que je venais de refuser la demande de Seth et que jeretournaisàNewYork,s’exclama-t-elle.

–Non!Tuydisaisquetut’enfuyaisavecWayne.Tiens,lapreuve!Ilouvritletiroirdesonbureaupourensortirunfeuilletqu’illuitendit.–Croyais-tuquej’allaislabrûler?C’estlapreuvedetoncomportementodieux.Rebecca lut, lessourcils froncés.Elle retint soncrienarrivantauxderniersmots,uneodieuse

machination!Jamaisellen’avaitécritça!Ellesedéplaçaverslabaievitrée,yposalalettre.–Cen’est pasmoiqui ai écrit les derniersmots.Regardez, cen’est pas exactement lamême

couleurd’encreetjefermemes«e»àl’enversetnoncommececi,luimontra-t-elle.Il examina la lettre. Son air atterré indiqua à Rebecca qu’il se rendait à l’évidence, prenant

conscience du désastre, des bouleversements que quelques mots tracés avec malveillance avaientprovoquésdansleursvies.

Papa.Jepréfèret’annoncermoi-mêmequejeviensderefuserd’êtrelafemmedeSethHamilton.Jesaisquejevaistedécevoir

etj’ensuisprofondémentchagrinée.MaisSethn’estpasl’hommedemavie.J’aimeraisquetumecomprennesetquetuacceptesmonchoix.JeparsavecBruceWaynepourvivreaveclui.Tafillequit’aime.

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Rebecca

Ladouleurdurejetfitplaceenelleàunefureurâpre.Ilsl’avaienttouscondamnéesurunfaux.EtSethétaitderrièrecettemachination.Quid’autre,sinon?Ellesepromitqu’ilnes’ensortiraitpassifacilement.

Commentsonpèrequi laconnaissaitavait-ilpucroireune telle ignominiedesapart?Jamaiselleneseseraitenfuiesansfairefaceàlasituation.EtBruce?

–Brucealucettelettre?demanda-t-elled’unevoixsourdeauxaccentsmétalliques.–Oui.Sonpèreselaissatomberdanssonfauteuil, levisageravagé.Rebeccahochala tête.Toutétait

partidecettemauditelettre.–L’avez-vousmenacépourlecontraindreàm’épouser?Elle le fixait à présent avec une dureté impitoyable. Il n’y avait plus une once de pitié ou

d’amour dans son cœur.Ne l’avait-il pas condamnée ?Ne lui avait-il pas fait endurer une douleurinsupportable?

–Répondez!ordonna-t-elle.C’enétaitfinideleménager.Ellen’étaitplusrienpourlui,commeiln’étaitdésormaisplusrien

pour elle. Sans l’ultimatum qu’il avait imposé à Bruce, celui-ci ne l’aurait jamais demandée enmariage.ElleseraitretournéeàNewYork,LondresouParispournepluslecôtoyer.IlauraitépouséVickyettoutauraitétédit.

–Tudisaisl’aimer,je…Sonriremétalliqueéclatadanslapiècecommeuncoupdefouet,sec,cinglant.–Cen’estquevotreeffroyablehonneurquevousvouliezprotéger,nemefaitespasl’affrontde

me faire croire que vous vouliez mon bonheur ! Je n’ai toujours été pour mère et vous qu’unedéception,quandmessœursétaient,elles,portéesaupinacle.Jemesuistoujourspliéeàvosdésirs.J’airespectécequevousnousimposiez,jemesuisdévouéepourquemessœurssoientdégagéesdesresponsabilitésquileurincombaient.Jel’aifaitavecjoie,parcequejevousaimais.Maisvousm’avezrejetée, vousm’avez condamnée sansm’entendre et avez imposé à un homme respectable le plusiniquedesmarchés.Soyezheureux,Brucemedéteste.Nousallonsdivorcer,maiscelavousimporterapeupuisquejenesuisplusvotrefille.Maisjeréclamejustice.

–«Divorcer»?répéta-t-il,visiblementanéantiparlanouvelle.Son rire claqua une fois encore, sarcastique, dédaigneux. Elle était animée d’une sourde rage

mêléed’unejubilationprofonde.Àsontourdeluifairemal!–Oui.Leplustôtpossible.Maiscelanevousregardeplus.Maisjeréclamecequim’appartient.–«Cequit’appartient»?–Cequime revientdedroit etdontvousnepouvezmespolier.Mapartd’héritagedegrand-

mère.Jevoussecondedepuissixanssansquevousnem’ayezaccordéaucunsalairesousprétextequej’étais votre fille. J’ai dépensé bien moins que Vicky ouMandy. J’exige l’Aberdeen Palace. Il necomblerapasvotredetteàmonégardpourlecarnagequevousavezfaitdemavieparvotremanquedeconfianceetvotreorgueildémesuréetstupide,nin’éteindravosfautes.C’estlaseulechosequinemeferapasvousdétester.

–Becky!lasupplia-t-ilpourlapremièrefoisdesavie,tandisqu’ellesedirigeaitverslaporte.Elleseretourna,letoisaavecmépris.–Beckyn’existepluspourvous.Ilseraittempsquevousouvriezlesyeux.J’aitoujoursétédigne

de vous, mais vous ne m’avez jamais vue, tandis que d’autres vous trompaient honteusement.DemandezdoncàBenjaminpourquoiVickyréservelachambre312etquelepersonnelydéfiledepuisdesannées,asséna-t-elledurement,sanss’attendrirdelasilhouettetasséedanslefauteuil.

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Àsontourdefairesouffrirceuxqu’elleavaitaimés.Ellesortitdubureaulecœurbroyéparladouleurden’avoirjamaisétépoureuxqu’uneombre

dédaignée.–AppelezmamèreetleDrLorimer,monpèrevaavoirunmalaise,jeta-t-elleàNancyavantde

quitterlebureaud’unedémarcheraide.Leslarmesaffluèrentàsespaupièreslorsqueletaxis’arrêtaàl’aéroport.Lahontedecequ’ils

avaientfaitd’ellelasubmergea,doubléed’unprofondsentimentd’injustice.Pourunhommequ’elleavaitcruaimer,elles’étaitjetéedanslesbrasd’unautreetdésormais,

elleenpayaitleprix.Ellen’avaitplusdefamilleetvenaitderompreledernierlien.Commeellerompraitledernierlienquil’attachaitàsonmari.Dèssonretour.

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Chapitre12

Rebecca courait sur le chemin pour arriver à temps à la maison. Elle avait pris du retard etn’avaitaucuneenviequeBrucedécouvresesactivités.

DeuxsemainesétaientpasséesdepuissonretourdeNewYorketl’explicationqu’elleavaiteueaveclui.

Commeprévu,elleétaitalléel’attendreàl’aéroport.– J’aimeraisvousparler,Bruce,dèsquevous serezdisponible, lui avait-elledit, lui laissant à

peineletempsdes’affalersurlecanapé.Il s’était redressé pour la détailler, le regard acéré. Elle n’avait pas failli sous son attention.

Mêmesiellecomprenaitpourquoiilavaitcédéauchantagedesonpère,elleneluipardonnaitpaslefait qu’il ait pu croire qu’elle avaitmanigancé le piège où il était tombé. Aucun d’eux n’avait suparler.Ilsseretrouvaientfaceàfacedansunesituationdésastreusepourl’unetl’autre.

Elle voulait son amour et lui ne voulait que se débarrasser d’elle. Elle ne se faisait plusd’illusions.Ellelesavaitperduesfaceaurejetdesonpère.Lagouttequiavaitfaitdéborderlevasedesa docilité.Elle allait reprendre sa liberté, vivre sa vie telle qu’elle la souhaitait. Elle écarterait lepassérésolument,sansplusjamaisseretourner.Ilsn’étaientdésormaisplusrienpourelle.

–Dequoivoulez-vousparler,Rebecca?–Denotredivorce.–De…Ils’étaitredressépourluifaireface.–Ilesttempsquecettecomédiecesse.Monpèreneferariencontrevous,jem’ensuisassurée.Il

n’yaplusderaisonquenousrestionsmariés.Nouspouvonsdivorcerenquelquesheures.J’aiprisnosbilletspourlasemaineprochaine.Adelinem’aditquevousétiezlibre.

Iln’avaitrienditpendantdelonguesminutes.–C’estcequevousvoulez?avait-ildemandé,alorsqu’elle s’apprêtaitàquitter lapiècepour

fuirsonsilence.–Oui.Elleavaitrépondufermement,sansseretourner,pourqu’ilnelisepassursonvisagel’espoirfou

quecettesimplequestionavaitfaitpalpiterdanssoncœur.– Bien.Mais je vous demanderai un délai si cela ne vous est pas trop désagréable de rester

officiellementmafemmejusqu’ànotreretourauxÉtats-Unis.–Pourquoi?–Mes collaborateurs français souhaitent vous être présentés et j’aimerais garder une certaine

crédibilitéauprèsd’eux.Unmariageexpresssuivid’undivorcetoutaussiexpressn’estpasunsigne

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destabilité.Jenevoudraispasqu’ilsdoutentde…monsérieux.–Laissez-moiyréfléchir,avait-ellerépondu,lagorgeserréed’angoisse.Elles’étaitenfuieàlacuisine,lapréparationdurepasluiservantdeprétextepours’éloigneret

retrouversoncalme.Lerepasavaitétésilencieux,chacunplongédanssespenséessombres.Elleavaitretournéleproblèmedanstouslessens.Resterétaitunrisquequ’ellenevoulaitpas

courir. Sa rancœur ne serait pas assez puissante pour annihiler les sentiments qu’elle savaitprofondémentancrésenelle,malgrésadéterminationousarage.Couperlespontsauplusviteétaitlaseulesolution.Accepter,unefolie.Elles’étaitdécidéeàrefuser,maiselleavaitétéincapabledeleluiannoncercesoir-là.

–Bonsoir,Rebecca.J’aimeraissincèrementquevousréfléchissiezàmonoffre,avait-ilditavantdedisparaîtredanssachambre.

Leregarddébarrassédudédainouduméprishabituelqu’illuiavaitlancél’avaitbouleversée.Ellen’enavaitpasdormide lanuit.Elle s’était retournéedansson litpendantdesheures, les

parolesdeBrucecommeunferrougedanssoncerveausurchauffé.Touslesargumentsenfaveurdesondépartimmédiatavaientétépesésavecsoin,maissoncœurbattantavaitrejetéchacund’eux.

Pourrait-il l’aimerun jour?Elle s’étaitposé laquestionà l’aube,alorsque l’espoir renaissaitdanssoncœur.Puisellel’avaitrejetéeavecforce.N’avait-ellepasassezsouffert?N’avait-ellerienapprisdecequesafolieavaitprovoqué?

Elle s’était levéeépuisée, était descenduepréparer lepetit déjeuner, àpeine concentrée sur cequ’ellefaisait.Elledevaitrefuser.Saconvictionétaitprofonde.Pourtant,unfaibleespoirlaretenaitencorededirenon.

Brucel’avaitrejointeunquartd’heureplustard,fraîchementrasé,sonodeurd’eaudeColognereconnaissableentretoutes.Elleavaitimaginécequ’auraitpuêtreleurvies’ilss’étaientrencontrésdans d’autres circonstances, sans complication, quiproquo ou chantage. Il n’y aurait pas eu de vie,parcequ’ilaimaituneautrefemme.Lepetitdéjeuneravaitétésilencieuxcommetouslesmatins.

Ilavaitquittélamaisonavecun«Bonnejournée,Rebecca»inhabituel.Elleenavaitvibréd’émotionde longuesminutes, lesoreillesbourdonnantesdesavoixque la

sécheresseavaitdésertée.Toute la journée,elleavaithésité, tergiversé,saisi tous lesprétextespourfuir,maissespasrefusaientdelaporterendehorsdelamaison.

Pourlapremièrefois,elleenavaitfaitletour.Elleavaittoutobservépourdécouvrirquiétaitsonmari.Amandine lui avait expliqué queBruce avait retapé et décoré la vieille fermette. Elle s’étaitsentieenaccordavecl’atmosphèredelamaisonoùellelogeaitenpassagèreclandestinedepuistroissemaines.Dès le premier jour, elle avait eu envie de fleurir les pièces, avant que le dédain de sonmari,sesproposméprisantsn’étouffentsondésird’enfaireunfoyer.Cettemaisonn’enseraitjamaisunpourelle.Elledevaitpartirauplusvitepourespérervivre.

Les barrières qu’elle avait dressées pour oublier ses sentiments ne résisteraient pas, s’il luimontraitunautrevisage,unvisagedébarrassédehaine.

Ledilemmel’avaitdéchirépendantdeuxjours,jusqu’àlaveilledudépartprévupourledivorce.Brucen’avaitpasabordélesujet,enattentedesadécision.Mêmesisoncomportementn’étaitplusteintédedédain,ilrestaitàdistance.

– Alors, acceptez-vous de rester quelques semaines de plus ? avait-il demandé d’une voixindifférentecejour-làaupetitdéjeuner.

Elleavait frémi intérieurement.Maintenirsonattitudefroidepourqu’ilnepuissesedouterdubouleversementqu’ilprovoquaitenelleparcettesimplephraseavaitétéunactedifficile.

Pourquoi,aulieuderépondre«non»,avait-ellevouluseprouverqu’iln’étaitrienpourelle?Elleavaitrefusédefuirpoursecroireforte.

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–Vousavezréellementbesoinquenousrestionsmariésquelquessemainesdeplus?avait-elledemandéavecundétachementforcéconvaincant.

–Celamerendraitservice.Elles’étaitpersuadéequ’ellepouvaitluiaccordercesquelquessemaines.Iln’étaitplusrienpour

elle, s’était-elle forcée à croire. Il ne luimontrait aucune amitié, aucune attention. La folie de sessentimentsne résisteraitpasàcette indifférencepolie.Elleavaitdoncaccepté. Il avait simplementhochélatête,sansunsignedecontentement.Elleenavaitétéprofondémentdésappointéeavantdesegourmander. Le mépris de Bruce était le seul remède pour la débarrasser définitivement dessentimentsqu’elleavaitpourlui.

Dèsleurretouretleurdivorce,ilretourneraitversVicky.Iltenteraitsachance.Ellesechargeraitd’apprendreàsasœurlavéritésurleurmariageetcelle-ciretourneraitdanslesbrasdesonamant.Sixsemainesencoreetellecouperaitlesponts.

Ellepressalepaset,danslacourbeduchemin,heurtadepleinfouetunhommequiarrivaitensensinverse.Ellepoussauncridesurpriseet,souslaviolenceduchoc,roulasurlesolmousseux.

Unjuronlarenseignasurl’identitédel’homme.Bruce!–Rebecca?s’exclama-t-ilensefrottantlapoitrineoùsatêtel’avaitheurté.Elle se releva, épousseta son jean sale, sa chemise poussiéreuse. Quelques mèches s’étaient

échappéesdelaqueue-de-chevalqu’ellesefaisaità lahâte lorsqu’ellesesauvaitdelamaisonpourrejoindreClara,saseuleamie.

–Vousnevousêtespasfaitmal?s’inquiétaBruce,d’unairdesurprise.Il considéra son accoutrement inhabituel, les sourcils froncés. Elle qui était toujours tirée à

quatreépinglesdumatinausoirdevaitlesurprendreavecsatenuedépenaillée.–Non,chevrota-t-elle.Ellereprenaitsonsouffle,lesmainssurlesgenoux,penchéeenavant.–Quefaites-vousici?luidemanda-t-il.Elleseredressa,plaquantaussitôtsursonvisagesonmasquedefroideur.Ellesedétournafaceau

regardinquisiteur,troubléeparl’acuitéqu’ilmettaitàladétailler.–Jecours.–Vouscourez?Danscettetenue?Elleavaitlacertitudequ’ilnelacroyaitpas.–Elleestpratiqueetmeprotègedes ronces, sedéfendit-elled’un ton impersonnel, lementon

relevéavecarrogance.–Sivousledites!répliqua-t-il,levisageexcédé.Sanspluss’occuperdeBruceplantéaumilieuduchemin,ellerepritsacoursepourcorroborer

sonmensonge.À son grand étonnement, il se porta à sa hauteur d’une foulée souple, accorda sonrythmesurlesien.Elleluijetauncoupd’œilcontrarié,constatantqueluinecouraitpaspourrattraperletempsperdu.Satenuedémontraitqu’ilétaitadeptedecesport.Ellenes’enseraitjamaisdoutée.

–Vouscourezsouvent?demanda-t-il,calquantsafouléesurlasienne.Lecoupd’œilperplexesursesballerinestachéesdepeinture,satenueinadéquateàfairedusport

nelaperturbapas.Ellehochavaguementdela tête,à luidechoisirsaréponse.Lemutismeétait lameilleureparadepouréviterqu’illaquestionnesursesoccupations.Celaneleregardaitpas.

– Nous pourrions courir ensemble, si vous voulez ? Le travail à l’usine s’allège dans lesprochainessemaines.Jevaispouvoirrentrerplustôt,proposa-t-ild’unevoixconciliante.

Elleluilançauncoupd’œilméfiant,puisrépliquasèchement:–Jepréfèrecourirseule.–Commeilvousplaira.

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D’undemi-tourbrusque,ilcoupacourtàlaconversationsansissue,etrepartitensensinverse,sansunmot.

Elle le suivit des yeux, remarquant la foulée raidie par la tension qu’elle avait provoquée enrejetantsapropositiond’armistice.Ellenes’attendaitpasàuneréactionaussiorgueilleusedesapart.

Jel’aivexé!pensa-t-elle,unfaibleélanderegretaucœur.Elleralentitl’allure,ettrottinajusqu’àlamaison.Ladéceptionbousculaitsesrésolutions.Depuisquinzejours,Brucesemontraitplusconciliantà

son égard. Après des milliers de questions, des espoirs fous, ses résolutions de ne plus jamaiss’intéresseràlui,lavéritéluiavaitbroyélecœur:Vicky.

Le mot divorce, la promesse que les menaces exercées par son père n’étaient plus de mise,l’espoirdereconquérirsasœuravaitadouciBruceetmodifiésonattitudevis-à-visd’elle.Ilespéraitsansdoutequ’elledeviennesonambassadriceauprèsdeVicky,qu’elleplaidesacause.C’étaitainsiqu’elleanalysaitsonchangement.

Iltentaitparmaintesmanœuvresdel’apprivoiser,semontraitsociable,conciliant,sanssedouterquesesattentionsétaientdestorturesinsupportablespourelle.

Ses sentiments s’exacerbaient, ses espoirs renaissaient des cendres de son cœur. Sa raisondemeuraitledernierfreinàl’emballementdesoncœur.

Ellerésistaitvaillamment,comptantlesjoursjusqu’àleurdépartpoursedonnerlecouragedenepascéder.Quatresemaines,martelaitsoncourageépuiséparunebatailledontelleconnaissaitl’issue:ladéfaite.

Sans Clara, elle aurait sombré dans une neurasthénie déprimante ou se serait noyée dans dessentimentsimpossibles.Ellerêvaitd’unnouvelavenir,leconstruisaitpasàpasàlabarbedeBruce.Quatresemainespouracquérirsatotaleliberté,sonémancipationdéfinitive.Elleeffaçaittout,etsansremordslesreniaittousd’avoirétébafouée.

Unsourireétiraseslèvres,sesyeuxbrillèrentdesespoirsnouveauxinsufflésparClara.–Libère-toi!Vistavie,Becca.Toiseulepeuxdéciderdetonavenir.Plus aucun contact, avait-elle décidé depuis quelques jours.Même si son père lui refusait le

Palace,ellesesavaitassezfortepourfairefaceàsanouvellevie.Ellen’avaitjamaiseudesgoûtsdeluxe.Travaillerneluifaisaitpaspeurtantqu’elleselibéraitdujougdupassé.

Quatresemainesencore…Brucepourraitchoisird’êtremalheureuxavecVicky,sicelaluichantait…Ypenser la fit se rembrunir.Mordue par la jalousie, elle sprinta sur les derniersmètres pour

exhalersarageenversleshommes,pourextirpercettestupiditédevouloirlesaimer.C’étaitunepertedetempsetd’énergie.

Clara semoquait de l’amour, disait que cen’était qu’un sentiment éphémère, uneutopie faitepour disparaître à peine effleurée.Cette illusion du bonheur engluait, étouffait ce que l’on était aufonddesoi,transcendaitparfoissanatureprofonde,maisdétruisaitplussouvent.Ondevenaitl’autreens’oubliant.Selibérerétaitleseulcheminpossibleversunetotaleliberté.

Penser àClara, à leur rencontre insolite, à leur amitié spontanée lui rendit le sourire. Sans lajeuneartiste,jamaissarévolten’auraitbrisésoncarcandesoumission.Claralabousculait,ironisaitàproposdecequ’elleétait,ridiculisaitsestourments,semoquaitsansconcessionnicompassiondesatiédeur.Ellenelaquestionnaitjamaissursonpassé,sonmari,savie.

Unesimplerencontredansunchemincreux,àquelquesmètresdelamaison,avaittoutbousculé.Elleavaitadmirélecoupdepinceauincisif,lescouleursexplosivesdespeinturesposéesdanslefossé.Elles avaient discuté art un long moment. La sympathie de cette première rencontre avait poussél’artisteàproposerunevisiteguidéeàlapauvreétrangèrereclusequ’elleétait.

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Bruceàpeineparti,ellerejoignaitsanouvelleamie.Ellessillonnaient larégionaugrédeleurfantaisie. Voir travailler Clara pendant des heures dans des lieuxmagnifiques était une expérienceexaltante. La région la charmait de toutes ses découvertes. À tel point qu’elle s’était procuré unappareil photo pour emmagasiner ses émerveillements. Clara avait un œil critique, acéré. Elle lahouspillaitlorsqu’ellefoiraitunephoto.Jamaispersonnenel’avaitpousséeainsiàdonnerlemeilleurd’elle-même.Clarasi,etellelefaisaitavecuneexigencemordante.

Rebecca se sentait revivre lorsque son œil se collait à l’objectif. Le frémissement qui laparcourait,lorsquelaphotosublimaitsavisiondusujet,étaitunplaisirdontellesegavait.Danscesmoments-là,mêmesonamoursansespoirpourBruces’effaçait.SaquêtedeLAphotoremplissaitsonâmedetoutcequ’ellen’avaitjamaisconnu.Elleexprimaitenfincequ’elleétaitaufondd’elle.

–C’esttropmièvre!seplaignaitparfoisClaradecequ’elle-mêmeconsidéraitcommeréussi.–Mièvre?–Oui, trop commun.Tu ne ressembles pas à ça,Becca. Tu es… flamboyante, étincelante. Tu

attirespartonmystère,lesecretdetonregard.Tudoisfaireparlertanatureprofonde,nepastelaisserétoufferpar tonéducation.Toutça,c’estcommun,or, toi, tupeuxfairede l’exceptionnel. Il faut telibérer,Becca.Detout!luiavaitassénéClarasansdouceurdeuxjoursplustôt.

«Detout»?Elles’étaittoutd’abordeffrayéedelasolutionradicaleimposéeparsonamie.Puiselleavaitreconnudelajustessesonjugement.

Oui,selibérerdetout,etsurtoutdesonamourpourunhommequilahaïssait.Quatresemaines, se répéta-t-elle en poussant le portail du jardin, un sourire de triomphe aux

lèvres.

***

Bruceexhalaitsamauvaisehumeurdanssacourserapide.QuanddoncRebeccacesserait-elled’êtreglaciale?Son«Jepréfèrecourirseule!»l’avaitblesséplusqu’ilnel’auraitvoulu.Ilétaitresponsabledecettesituation,ilenétaitconscient.Maisdepuisdeuxsemaines,iltentait

d’apaiserl’atmosphèredeplusenpluslourdeentreeux,ilfaisaitdeseffortspoursefairepardonnerlesparolesinsenséesqu’ilavaitprononcéesàParis.

Aborder Rebecca équivalait à vouloir grimper l’Himalaya en short et tongs. Gel immédiat etengeluresmortelles!

Il sesentaitcoupabledepuis l’appeldeMarshall,alorsqu’ilséjournaitàFrancfort.LepèredeRebeccaavaitfaitleforcingpourluiparler.Auquinzièmeappel,ilavaitcédé.Marshallluiavaitalorsexpliquélesdessousdecettehistoiredelettre,quin’étaitqu’unfaux.Cettepreuve irréfutablede latraîtrise de Rebecca n’en était donc pas une. Aberdeen avait cherché à découvrir la vérité surl’implicationd’Hamilton.L’interrogatoireavaitétéserré.Bruceavaitadmisqu’ilavaitsortiRebeccadesgriffesdeSethsansdévoilersesmanigancesdéloyales. Ilestimaitquecen’étaitpasà luide lefaire.

Laquestiondudivorce,abordéeparMarshall,avaitouvertlesvannesdesarévolte.Iln’avaitmisaucunedélicatesseàassénerquelquesvéritésàcethommerétrograde.N’avait-ilpasreniésafille?LesortdeRebeccaneleconcernaitplus,luiavait-ildit.Ilnepouvaits’enprendrequ’àlui-mêmeaulieud’accuserlesautresdudésastrequ’ilétaitleseulàavoirprovoqué.L’explicationavaitétérude,maisl’avaitsoulagé.

LavolontédeRebeccadedivorcerleplusrapidementpossiblel’avaitsurpris.Maissessoupçonsnes’étaientpaséteintspourautant.Mêmeaprèscettemiseàplatdesfaits,soncomportementrestaitincohérent:ellel’épousaitettroissemainesplustardréclamaitledivorce?

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ÀParis,l’avait-ellecruassezstupidepourtomberdanslepiègedu«Jet’aime»?etcroirequ’ilaccepteraitsansbroncherdesubirlechantagedeMarshall?

S’était-elleaperçuequelaviedoréequ’elleespéraitétaitloindesesattentes?La garder près de lui jusqu’à ce que laBatmanco vole de ses propres ailes lui avait paru une

solution.Quelquessemainessupplémentairespourconsoliderleurentrepriseétaientnécessairesafinde la soustraire aux menaces d’Aberdeen. L’excuse invoquée pour faire patienter Rebecca n’étaitqu’une demi-vérité. En réalité, son orgueil se rebellait d’avouer à ses partenaires européens qu’ildivorçaitmoinsde trois semainesaprès sonmariage.Sacrédibilitémoraleauraitvoléenéclat.Or,danslemilieuoùilnaviguait,cettecrédibilité-làétaitprimordiale.Cacherledivorceétaitimpossible.Les journalistesétaientà l’affûtdepuis lescandale«LaPrincessedeglaceattiréepar lesétoiles».Laissercoulerl’eausouslespontsétaitpréférablejusqu’àcequel’attentionmédiatiquesetourneversd’autresproies.

Etpuis,ildevaitréfléchiràcequecedivorceimpliqueraitpourlui.VickyavaitétésapremièrepenséelorsqueRebeccaluiavaitannoncéqu’elleavaitprogrammé

leur divorce et queMarshall renonçait aux représailles dont il l’avaitmenacé.EtVicky ? s’était-ilalors demandé. Elle l’avait condamné sans qu’il puisse s’expliquer. Et il s’était marié. Luipardonnerait-elle?Accepterait-elledelerevoir?

Laquestionnelequittapasjusqu’àsonretourchezlui,demêmequ’uneautre,déstabilisante:PourquoiRebeccaaacceptédem’épouserpourdivorcersivite?

Il la trouva installée au salon, un livre à lamain, soignée et élégante comme à l’accoutumée.Indifférenteetglaciale,également.S’ilnel’avaitpassurprisedanscettetenuedébrailléeinhabituelle,ilnel’auraitjamaiscruecapabled’êtreautrechosequecettefemmefroideettiréeàquatreépingles.

Queluicachait-elle?Elleluimentait,illesentait.–Nousdînonsaurestaurantavecdesamis,annonça-t-ilsuruncoupdetête.Dansunautrecadre,peut-êtresedévoilerait-elle.–Cesoir?–Oui.Uneinvitationdedernièreminute,mentit-il.–Dois-jem’habiller?Ils’attardasursasilhouettemiseenvaleurparlajupeévaséed’uneélégantesimplicité,parle

chemisier dont l’échancrure dévoilait sa gorge dorée. Une simplicité rehaussée par son maintiendistingué,parsonportdetêtealtier.

–Non.Votretenueestparfaite.Ilnel’avaitjamaisregardéecommeaujourd’hui,constata-t-il,troublédel’avoirtenuedansses

bras touteunenuit,prèsdesmarais, sans remarquer sa séduction. Iln’avait jamaisvuque laglacebleutéedesesyeuxoùuneétincelleavaitvibréuncertainsoir,jusqu’àl’émouvoir.Ilsedétournadesaimantsqu’étaientcesyeuxdeglace,perturbédechercheràyrevoircettelueurdevie.

–Jemechangeetnousyallons,laprévint-il.

***

RebeccaregardaBrucedisparaîtredanslehall,inquièteduregardqu’illuiavaitlancé,commesi,toutàcoup, il lavoyaitvraiment.Ellebarricadasespenséeségarées,raffermitsesrésolutions.Plusd’espoirfou,nidefolie.

Vicky,seforça-t-elleàpsalmodierpourécartersontrouble.Elles’angoissaitdecettesoiréeimprévue,maiselleétaitlàpourça,aprèstout.Dèslepremier

jour,ilavaitétéclairsursonrôledepetitefemmesoumiseetobéissante.Elleavaitdétestélasoiréeguindéeoùill’avaittraînéepourlaprésenteràsescollaborateurs.Elleavaitdétestésamainsurson

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brasousataille.Elleavaitdétestécettedansequ’illuiavaitimposée.Elleavaitdétestétoutcequ’ilsétaientdevenusàcausedel’intransigeancerétrogradedel’hommebornéetaucœursecqu’étaitsonpère.Elleavaitdétestésonenviedevouloirseblottircontrelui.

ChaquegesteouregarddeBruceavaitensuiteoccupésanuit.Ellen’enavaitpasdormipendantdelonguesheures.Elleavaitmauditsafaiblesse.Domptersoncœurpournepaslaissersessentimentsl’engloutirétaitunebataillede tous les instants.Unebataillequ’elles’effrayaitdeperdreàchacundesregardsappuyésqu’ilposaitsurelle.

Quatresemainesencore…ElleimaginasavieavecClarapoursedonnerducourage.Sonâmevibradesonespoirfutur.Lesyeuxperdusdanslacontemplationdujardin,ellesouritde

cequeseraitsonavenir.

***

Àsonretourausalon,BrucesurpritlesourireéthérédeRebecca.Unsourire,commeilneluienavaitjamaisvudepuisleurmariage.Silencieux,ilrestaàlaporte,contemplasafemmeimmobileetrêveuse. Le rappel de cematin étrange où il avait vibré du désir fou de l’embrasser remonta à samémoire. Il recula imperceptiblementpourmieuxcontemplercevisagedébarrassédesaganguedefroideur.

Elledutlepercevoir,carlemasqueglacéretombasurlestraitsoùuneviesecrèteavaitvibrédedouceurunmillièmedeseconde.

Ils’efforçadechassersontroubleets’approchacommes’ilvenaitsimplementderevenir.–Êtes-vousprête?Ilrestaàquelquespas,déconcertéparsondésirdelaprendredanssesbras,del’embrasserpour

fairerenaîtrecesourireéthérédontils’étaituninstantémerveillé.–Oui,répondit-elle.

***

Rebeccatentadeconserveruneattitudeimpassible,maislemasqueétaitdeplusenplusdifficileàmaintenir,surtoutlorsquelesétoilesd’argents’invitaientdansleregarddeBruceetluirappelaitcequ’ilétaitavantledrame.

Soncœurétouffaitdesonattirancepourceluiqu’elleaimaitmalgrélahaineetleméprisdontilfaisaitmontre.

Vicky.ElledevaitpenseràVicky…Ellesereprit,écartalafolie.SeremémoralesparolesdeClara–unparapetpournepastomberdanslegouffred’unamour

impossible.Quatresemaines.Quatresemainesettoutseraitterminé,serépéta-t-elleavecconviction.

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Chapitre13

Deboutdevantlabaievitréedesonbureau,Bruceréfléchissait.LaGaronnescintillaitdepetitséclatsdesoleil,coulaitlentementsansluiapporterl’apaisementhabituel.

Marshallleharcelaitdepuistroisjourspourqu’ilpersuadeRebeccaderépondreàsesappels.Or,il refusaitde s’immiscerdanscecombatentre la filleet lepère.C’étaient leursaffaires, ilne s’enmêleraitpas.

Detoutemanière,Rebeccanel’écouteraitpas.Elleavait instauréentreeuxcettebarrière infranchissable, et le repoussaitde sa froideuravec

une détermination dont il s’agaçait tout en l’admirant. Lui qui la croyait mièvre et docile, il ladécouvraitintransigeanteettenace.Trèstenace.

Ilsoupiradesonindécision.Devait-iltoutdemêmel’avertirdel’insistancedeMarshall?D’uncôté,ilvoulaitresterneutre,maisdel’autre,Marshallpourraitdevenirunalliépourplaider

sa cause auprès de Vicky. Accepterait-elle de l’écouter pour qu’il s’explique ? Ou allait-elle semontreraussibornéequesasœuraînée?

Lasonneriedutéléphonelesortitdesesréflexionsmoroses.Ilretournaàsonbureau,décrochalecombinéd’unemainmolle.

–BruceWayne,répondit-ild’unevoixmorne,découragépartantdequestionssansréponse.–SalutBruce,reconnut-illavoixenjouéedeCharly.–BonjourCharly.Déjàlevé?– Je dirais plutôt pas encore couché. Il n’est que 4 heures dumatin, plaisantaCharly, la voix

enrouéedesesexcès.–Nouvellesoirée?demandaBruceensouriant,heureuxd’échapperauxmondanitésoùCharly

adoraitsepavaner.Elles ne lui avaient guère réussi, à lui, depuis cinq mois. Il se retrouvait dans une situation

inextricabledontilnesavaitcommentsesortirpouratteindresonbut.–Nouvelleestunbiengrandmot.Riennechangevraimentdanscegenredesoirée.Toujoursles

mêmespersonnes,toujourslesmêmespotins,toujourslesmêmesbuffets,réponditsonamid’untondésenchanté.

–Pasmêmeuneépauledefemmepourquetupleuresdedevoirteplieràtesdevoirs?–Moque-toi!Notreentréeenbourse,tonmariageavecRebeccaAberdeen,votrefuiteenFrance

font les chouxgrasde tous, ici.Tout lemondeveut connaîtremaversionde l’histoire romanesqueentreBatmanetlaPrincessedeglace,bougonnaCharly,beaucoupmoinsenjoué.

Brucesecrispadel’entendreparlerdesavieprivéecommed’unfaitdiversdontsemblaientserepaîtreleursamis.

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–Etqueracontes-tu?–Rien.Jen’ainullementl’intentiondecrieràlaplanèteboursequetuasépouséRebeccaàcause

du chantage de son père. Notre titre s’est envolé avec la caution de l’empire Aberdeen. Certainsprétendentquevotremariageaétéuncoupmédiatiquepourfairegrimperlecoursdenosactions.

Brucegrinçadesdents,mécontentdescommentairesqueluirapportaitCharly.–Quelqu’unsedoutedequelquechose?–De l’histoire rocambolesquedans laquelle tu t’es fourré ?Non,pour l’instant tout lemonde

croitaucoupdefoudreouaubébé.Bruceseredressa,interloquéd’unetellestupidité.–«Aubébé»?finit-ilparrépéter.–Denos jours, unmariage aussi précipité ne peut avoir que deux raisons. Soit l’un des deux

mariés est proche de la fin et le mariage devint un dernier vœu à exaucer, ou la demoiselle estenceinte. Tout lemonde connaîtAberdeen et ses positionsmoyenâgeuses. La balance penche doncpourl’arrivéeprochained’unpetitWayne.

–C’eststupide!–Pasplusqued’épouserunefillequetudétestespoursauvertonentreprise!Nousaurionspu

faire face, Bruce. Aberdeen nous aurait peut-être contrés, mais nous nous en serions sortis. Noscontrats sont solides, nous aurions pu retarder l’entrée en bourse, le dénoncer pour manœuvresdéloyales,voirechantage,sicelaavaitéténécessaire.Tut’escomportécommeuncrétin!

Unefoisencore,Charlys’emportait,luirappelantlepiègedanslequelils’étaitenglué.Dès son retour àNewYork, il lui avait annoncé ses fiançailles expresses avecRebecca.Deux

heures et une demi-bouteille dewhisky avaient suffi à Charly pour lui faire avouer la galère danslaquelleils’étaitembarqué.Aveugléparsaragevengeresse,iln’avaitécoutéaucuneadmonestationdesonassocié.Uneseulechosecomptait–sevengerdeRebecca–etpeuimportaits’ilgâchaitsavie.

Malgrésesexhortations,sesmenaces,sessuppliques,sonamin’avaitpuledissuaderd’épouserRebecca. Il reconnaissait que le sauvetage de leur entreprise n’était qu’un prétexte. Son caractèreorgueilleuxl’avaitpousséàfonceraulieuderéfléchirposément.

Brucesepassalamainsursesyeux.Charlyavaitraison,iln’avaitétéqu’uncrétin.S’il avait discuté calmement avec Rebecca, comme aurait dû le faire un homme sensé, la

falsificationde la lettreauraitété immédiatementdécouverte.SethHamiltonauraitétéconfonduetlui-mêmeauraitpuplaidersacauseauprèsdeVicky,aulieudesupporterjouraprèsjourlafroideurdeRebecca.

Crétinétaitd’ailleursunbienfaiblemotpourtraduirecequ’ilétaitvraiment.Lesilenceentreeuxduraunlongmoment.–Commentçasepasseavecta…femme?demandafinalementCharlyd’unevoixpluscalme.–Aussibienqueçapeut sepasser avecun iceberg,maugréaBruce,mécontentden’avoirpas

avancéd’unpouceverselle.–Àcepoint?Vousn’avezpasputrouverunterraind’entente?Ellenem’avaitpassembléaussi

froidequeça,lorsqu’elleestvenueaubureaupourtevoir.–Tul’asvue?s’écriaBruce,étonnéquesonamineluiaitjamaisparlédelavenuedesafiancée.Peut-êtreauraient-ilspuparler,éviterlegâchisqu’étaitdevenueleurvie.–Deux jours avant votremariage.Elle est passée aubureau.Tun’étais pas là, et elle n’apas

insisté.Maiselleétaitmanifestementdéçue.–Tuluiasparlé?–Pasvraiment.Nousavonséchangélescivilitésd’usage.J’auraismieuxfaitdeluidireceque

j’avaissurlecœur,aulieude…

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Unprofondsoupirdedéceptions’élevad’uncôtéetdel’autre.–Tout est dema faute. Si elle semontre glaciale, c’est parce que je lui ai dit le fond dema

penséeàParis,avouaBrucequelaculpabilitétaraudait.Pourquois’était-illaisséemporter?Parcequ’ilétaitfouderaged’avoirperdul’amourdesavie,

etqu’ilvoulaitqueRebeccasouffrecommeilsouffrait.–Qu’est-cequetuluiasdit?–Quejelahaïssais,quejen’étaispasdupedesatraîtriseetquenousdivorcerionsdèsquej’en

auraislapossibilité.–Qu’est-cequ’ellearépondu?–Rien,mentit-il.IlnepouvaitpasdireàCharlyqu’elleavaitprétendul’aimer.Unesimplemanœuvrepournepas

seretrouverdémunie.Ilanalysaitfroidementlasituationdepuisdesjours.Iln’avaitaucundoutesurlesintentionsdeRebeccaenacceptantsademande.

–Ellenes’estpasexpliquée?–Àquoibon.Jeconnaisparfaitementsesraisons.Elleseretrouvaitsurlapaille,bannieduclan.

Jenesuismêmepascertainqu’ellepossèdedescompétencesprofessionnelles.Qu’a-t-ellefaitdanslegroupe,àpartobéirauxordresdesonpère?Ellen’étaitqu’unpion,sanspouvoirdedécision.Ellenefaisaitquelereprésenterpourlagalerie.J’étaislepigeonidéalpourluipermettrederebondiroudesedorerlapiluleàmesfrais.Jeluiaifaitcomprendrequ’ellen’obtiendraitriendemoietcertainementpasunepensionalimentaire.

–Vous allez vraiment divorcer ? PapaAberdeen risque de semontrermenaçant, si vous osezoutrepasserlesrèglesduclan.

–Iln’yaplusderèglequ’ilpuissenousimposer.RebeccaacoupélespontsavecsafamilleetsouhaitedivorcerdèsnotreretouràNewYork.Marshallmeharcèledepuistroisjourspourquejelapersuadedel’appeler.Maisjenem’enmêleraipas.Qu’ilssedébrouillententreeux!

–Ettoi?–Moi?Qu’est-cequetuveuxdire?– Une fois le divorce prononcé, qu’est-ce que tu vas faire ? Tourner la page Aberdeen

définitivement,ouenécrireunenouvelle?Le tonparticulierdeCharlydémontraitqu’iln’étaitpasdupe,qu’ilcernait leproblèmemieux

qu’ilnelefaisaitlui-même.LesmisesengardedesonamisurlesparticularitésdesfillesAberdeenétaienttombéesdansl’oreilled’unsourd.SonamourpourVickyl’avaitdéboussoléetledéboussolaitencore.Charlyinterrompitsaréflexionmorose.

– Si tu souhaites reprendre la plume avec Vicky, tu ferais bien de t’activer avant qu’ellen’annoncesesfiançailles.

–Sesfiançailles?Avecqui?–SethHamilton.–Quoi?!Bruce se leva de son fauteuil, éberlué qu’Hamilton sévisse encore, après les révélations que

Rebeccaavaitfaitesàsonpère.CommentMarshallpouvaitautorisercethommeàcourtisersafillechérie,alorsqueSethavait

fomentéceplanmachiavéliquecontreRebeccaetlui?Était-celaraisondesoninsistanceàvouloirparleràsafille?Voulait-ilconnaîtrelavéritésurcequ’ils’étaitpassésurleyacht?

Enquelques secondes, il analysa la situation.Seth jouait sur duvelours du fait de leur départpourlaFrance.Rebeccan’avaitrienrévélédescirconstancesdesonsauvetage,seulelalettrefalsifiéeprouvait la traîtrise de Seth. À moins qu’il n’ait inventé de nouveaux mensonges pour se faireabsoudredesesfautes?

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L’hommesemontraitplusruséqu’ilnel’avaitcru.Ilavaitsujouerdescirconstancespourattirerlasympathiesurlui,sefairepasserpourlefiancébafoué.Etraflerlamise!réalisa-t-ilsubitement.

Le plan était plus élaboré qu’il l’avait imaginé. Compromettre Rebecca et l’écarter lui aussipermettaientdedégagerleterrainpouratteindreVicky.D’unepierredeuxcoups.

– Tu ne t’intéresses plus à la vie new-yorkaise, Bruce ? Les fiançailles ne sont pas encoreannoncéespardécenceoupournepas faire la unede la presse,mais le rapprochementdesdeux«pauvresfiancésbafoués»nelaisseaucundoutesurlafindecettehistoire.

–Vickynepeutpasl’épouser!–Pourquoi?Ilestriche,séduisant,figuredelahautesociété,aduléparlesfoulesdepuisquela

méchanteRebeccal’ahumiliéavecunpauvreindustriel.Ilatoutpourplaire.–Ellenel’aimepas!s’emportaBruce,atterréd’entendredesvéritésfausses.–Iln’estpasquestiond’amour,Bruce,maisd’affaires.Vickyn’apasl’intentiond’êtreledindon

de la farce.Elle, la plus royale desAberdeen, supplantée par la Princesse de glace !Elle doit êtreaffreusementvexéeetcomptesevengerdesasœur.SurtoutsiellepensequeMarshallaforcéRebeccaàt’épouserpour laver l’offenseque tuas infligéeauclan.Tout lemondesaitqueRebeccaavaitunpenchantpourSeth,alorsellevoleàsasœurchériel’amourdesaviepourluirenvoyerlaballe.

–C’eststupide!–C’estféminin.Lesfemmesaimentlemélodrame.L’annoncedevotredivorcen’apasfuité,elle

peut donc supposer que tu vas garder sa grande sœur.Quelle plus belle vengeance, en ce cas, qued’épouser Seth Hamilton ? Elle ne doit certainement pas connaître toutes les péripéties de tonsauvetage.Etjedoutequ’Hamiltonsevanted’avoirentraînéRebeccasurcerafiot.Situnetedécidespasàagir,Vickyrisquedeneplusêtredisponible,sitoutefoistuveuxvraimentlareconquérir.

Brucefermalesyeux,denouvellesquestionsàl’esprit.Unechoseétaitcertaine:SethHamiltonne s’en sortirait pas aussi facilement ! Rebecca n’avouerait jamais son agression, elle était troporgueilleusepourdévoilerlavérité,maisluin’avaitplusaucunscrupule.Hamiltonallaitpayerpourl’avoirpiégé!RéduiresaréputationànéantseraitunejustepunitiondelatraîtrisedontilavaitfaitpreuveenversRebecca.

–Iln’estpasquestionquejelelaissefaire,gronda-t-il.–Qu’est-cequetuvasfaire?Leprovoquerenduel?semoquaCharly.–Non.DétruiresaréputationcommeiladétruitcelledeRebeccaetlamienne.Jedoutequele

pèreHamiltonapprécied’apprendrequesonfilschérin’auraitpashésitéàviolerunefemmepourlaforceràl’épouser.

–Laviolerpourlaforceràl’épouser?QuiteditqueRebeccan’étaitpasconsentante?Ellel’atoutdemême suivide sonpleingré.Qu’elleneveuillepas se retrouver au lit avec lui, c’était sondroit,maisriennetepermetd’affirmerqu’ilavaitdemauvaisesintentions.Lesphotos,OK,cen’étaitpastrèsdélicat,mais…

–Non,Charly.Rebeccavenaitderepoussersademandeenmariage.C’estcequiamislefeuauxpoudres.Iln’avaitpasl’intentiondelaisserfilerlapouleauxœufsd’or.

–Comment lesais-tu?Elle te l’adit?Tunepeux toutdemêmepas lacroire?N’oubliepasqu’ellet’aépousépoursesortird’unmauvaispas.Tul’asdittoi-même,bannieduclan,ellen’avaitplus aucune ressource. À part toi. Le pigeon chevaleresque. Le père Hamilton est moins prudequ’Aberdeen,maisilsefaitundevoirdefairerespecterlamorale.Jenecroispasqu’ilauraitvud’unbon œil les fiançailles de son fils avec une femme prise en flagrant délit d’infidélité. Et il a lesmoyensdelefairecéder.N’imaginepasqueRebeccasoitinnocente,dansceméli-mélo.Elleasutirersonépingledujeu.

–Elleestinnocentesurcepoint.Elleavaitécritàsonpèrepourl’avertirqu’ellevenaitderefuserlademandedeSeth.Crois-moi,laconversationquej’aisurpriseétaitclairecommedel’eauderoche.

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Hamiltonn’avaitpasl’intentiondes’arrêteràunsimplebaiser,ilavaittoutprévu.–Pourquoin’as-turiendit,danscecas?Tuledénonçaispubliquementet l’affaireétaitclose.

AberdeenetHamiltonauraientétouffél’histoire,tapetiteincartadeaveclaPrincessedeglaceseraitvitetombéedansl’oubli.Ettuneseraispasdanscettegalère.

–C’estcequej’auraisdûfaire,mais…–…Tuasvoulu joueraupreuxchevalieretprotéger lapauvrepetite innocente?Saufque la

petite innocente est plus rouée que tu ne l’avais prévu.Méfie-toi pour le divorce. Elle pourrait telaminer.Ilsuffitqu’ellepleuredevantlejuge,prétextelemariageforcé,pourquetuteretrouvesentauleouqu’ellet’extorquelamoitiédetafortune.

–Aucunrisque.Jeluiaifaitsigneruncontratdemariageoùilestspécifiéqu’encasdedivorce,ellenetoucheraitpasuncentimedemapart,quellesquesoientlescirconstancesqu’elleinvoquerait.JemesuisprémunidetoutesnouvellesentourloupesdelafamilleAberdeen.

–Etpourtant,tuesprêtàreplongeraveclasœur.Tuneseraispasunpeumaso?–Vickydécidera.Je…Ils’interrompit,nesachantplusoùilenétait.–Réfléchis avant de faire une nouvelle connerie.Accorde-toi unmoment avant de vouloir te

repasser la corde au cou avec ta belleVicky. Tu devrais l’avertir des circonstances exactes de tonmariage,situveuxqu’elletepardonne.Qu’est-cequetucomptesfairepourcourt-circuiterHamilton?

–Utiliser lesmoyensqu’ilautilisés.Lapresse.DemandeàNickde retrouver lephotographe.Qu’il lui fassemiroiter ce qu’il faut pour lui faire avouer queSeth l’a payépour les photos sur lebateau.UnnouveauscandaledanslasphèreHamilton-Aberdeendevraitfaireréagirlespapas.

–Tuvasêtreéclaboussé!– Quelle importance ? Dans l’affaire, je suis le gentil. Je compte profiter de l’occasion pour

rendre la monnaie de sa pièce à Aberdeen. J’ai été stupide de céder à son chantage. Maintenant,j’attaque.

–EtRebecca?Tuasréfléchiàcequelesremousrisquentdeprovoquer?– Notre divorce n’en sera que plus mélodramatique. Le preux chevalier épouse la pauvre

princessepour luiéviter lahontedudéshonneuret, aprèsavoir rendu justice, il rendsa libertéà labelle.Aberdeenvaadorer!jubilaBruce.

Il avait été l’agneau amené à l’abattoir. Maintenant, il devenait le loup. Son bonheur endépendait.

–Ilvatemassacrer!–Jenecroispasqu’ilensoitencorecapable.Jevais luirendreunserviceenévitantqueSeth

Hamiltonnedeviennesongendre.Imaginelescandale,sil’histoirenesortaitqu’aprèsl’annoncedesfiançailles de Vicky ou après le mariage ? Là, ce serait retentissant, avec des répercussionsdésastreuses sur les deux familles. Dévoiler l’infamie de Seth maintenant va limiter les dégâts.Aberdeennepourrapass’interposerentreVickyetmoi.

–EttucroisqueVickyvaappréciertonpetitscénario?–Rassure-toi.Jeresteraimuetsurcetteaffaire,joueraiprofilbas.Jevaissimplementlancerdes

hameçons.Aberdeenferalui-mêmeletravailpourlyncherSeth.Larumeurestplussournoiseetplusefficacequ’uneaccusationpublique.Faisonsensorteque lephotographe lâchesabombeetvoyonscommentSethvarépondre.JedoutequeVickyapprécied’êtreunenouvellefoisridiculisée.Ellevalelâcher.C’esttoutcequejeveux.Pourlereste…

–EtRebecca?Tulajettesdanslafosseauxlions.Ellevat’envouloiràmort.–Ellem’enveutdéjààmort.Unpeuplusouunpeumoinsneferapasdedifférence.–Tun’aspaspeurdesrépercussions?

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–Dequoidevrais-jeavoirpeur?J’aidéjàaffrontéunetempête.Unesecondedevraitremettreleschosesàplat.TuconnaisNickautantquemoi. Il adoredécouvrir les secretsdesautresetpataugerdanslaboue.UngarscommeSethHamilton,c’estdupainbénipourlui.Etilnelâcherapasl’affaireavecunpot-de-vin.Hamiltonvaserendrecomptequesonargentneleprotègepasdelajustice.

–SansplaintedelapartdeRebecca,l’affairen’irajamaisjusque-là.–Aucuneimportance.LaréputationdeSethvaluicollerauxbasques.Unprocèsàl’issueduquel

ilseraitacquittél’absoudraitauprèsdupublic.Tandisquelà,ledoutevapersisterpendantdesmois,voiredesannées.C’estbienpire!

–Ilpourraitt’attaquerpourcoupsetblessuresafindedétournerl’attention.Tul’assévèrementrosséetilnes’enestpascaché.Sonpetitdiscourslarmoyantàlatéléavecunegrosseecchymoseaumentonresteunepreuve.

–Exactement!Lapreuvequej’aidéfenduRebeccadesonagression.Ilauradumalàcertifierqu’il avait des intentions honnêtes, puisque j’ai dû intervenir d’unemanièremusclée et kidnapperRebecca.Jecroisqu’ilauradumalàdéfendresathèsedufiancébafoué,silephotographeexpliquecommentilnousatrouvésdanslemarais.Àpartnoussuivre,jel’imaginemaltombersurnousparhasard.QuipouvaitlelancerànostroussesàpartSeth?

–C’estunjeudangereux,Bruce,leprévintCharly,manifestementinquietdesadéterminationàriposter.

–Oui.Etnoussommesplusieursà jouer.Maiscette fois,c’estmoiquidécidedes règles.Lesloupsvontsemangerentreeux.AberdeenetHamiltonpèresn’ontaucunintérêtàcequeSethfassedes remous. Ils vont se chargerde lebâillonner et de le circonvenirpourqu’il neprovoquepasdedésastre. Tu connais le pouvoir d’un conseil d’administration autant que moi. S’il faut sacrifierquelqu’un,ilssacrifierontSeth.

–EtilstelaisserontlechamplibrepourmenertapetiteaffaireauprèsdeVicky.–Sielleacceptedemeparler,jelaconvaincraidemabonnefoi.–Rebeccapourrateservirdecaution?–Jen’ytienspas.Elleaétéunevictimeautantquemoi.– Non, toi tu as été le dindon de la farce, mais ta femme n’a jamais été une victime. Il lui

suffisaitdeporterplaintecontreHamiltonettoutauraitétédit.Maiselleseraitencoresouslejougdeson père. Tu étais son billet pour sortie de prison. D’après certains bruits, il semblerait que papaAberdeen veuille lui céder l’Aberdeen Palace. Ta petite colombe s’en sort avec les honneurs et unhôteldeplusieursmillionsdedollars,dontlesrevenusannuelsvontlarendreindépendanteetriche.

–C’estquoi,cettehistoire?–Lastrictevérité.Jenesaispascommentelleyestparvenue,maisilsemblequ’elleaitfaitplier

sonpère.Ellel’apeut-êtremenacéderévéleràlapresselechantagedontilaabusé.Entoutcas,tafemmeestplusrichequetoi.Alors,netelaissepasavoirparsonjoliminois.RebeccaAberdeenestaussirouéequesonpère.Plusmaligne,même,ettoutaussidangereuse.Bon,j’aiuneentrepriseàfairetournermoi,alorsjevaistelaisser…Jetetiensaucourant,dèsqueleshostilitésserontlancées.Soisprudent,Bruce.

–MerciCharly.Bruceraccrocha,songeur.Ainsi,Rebeccaavaitfaitpliersonpère?Parquelmoyen?Laquestionallarejoindrelesautressansqu’ilytrouveuneréponselogique.Unechoseétaitcependantcertaine:cettefois,ilsebattraitpouratteindresonbut.L’interphonesonna.–Oui?–M.Aberdeenautéléphone.Ilinsiste,monsieurWayne,l’informalastandardiste.–Jeprends.

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IlétaittempsqueMarshallluiexpliquepourquoiilinsistaitpourjoindreRebecca.Nel’avait-ilpasofficiellementreniée,uncertainmatin?

Ilvoulaitenavoirlecœurnet.Etparlamêmeoccasion,il lâcheraitquelquesindicespourqueMarshallseprépareàlatempêtequ’ilvenaitdelancersureux.

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Chapitre14

Lajoueposéesurlamain,Brucerêvassait.Celaluiarrivaitdeplusenplussouventdepuisquelquessemaines.Rebeccaavaitacceptéledélai

dequinze jours supplémentairesqu’il avaitproposépouréchapper à la tempêteHamilton.Tempêtequ’ilavaitprovoquéesanssedouterquelesremousseraientaussitumultueux.

Nick avait fait un excellent travail. Enmoins de trois jours, le photographe avouait dans uneinterviewqueSethHamiltonl’avaitpayépourprendredesphotoscompromettantessurleyacht.S’enétaitsuiviuncharivarimédiatiquequ’AberdeenetHamiltonpèresavaienttentédecanaliser.

La première question posée par les journalistes avait mis le feu aux poudres, provoquant unincendieplusspectaculairequeBrucenel’avaitimaginé.

Pourquoi Seth Hamilton voulait-il compromettre publiquement celle qu’il prétendait être safiancée?

Lesspéculationsavaientétébontrainjusqu’aucoupdetonnerre:desdettesdejeu!Sethavaitcontractéd’énormesdettesdejeusansquesonpèredaigneleséponger.Lesusuriers

s’étaient montrés empressés à récupérer leur argent lorsqu’avait transpiré dans le milieu le bruitqu’Hamiltonpèreavaitcoupélesvivresàsonfils.SethavaitalorsfaitvaloirsonprochainmariageavecRebecca,pourfairepatienterlesmalfrats.Lacompromettrepubliquementétaitunepreuvequelemariageétaitàl’ordredujour.

S’en étaient suiviesdes révélationspeu reluisantes.Une jeune femmeavait porté plaintepouragression sexuelle quelquesmois auparavant. Rebecca Aberdeen avait été reléguée au fin fond ducarton, tant l’affaireavaitprisdel’ampleur.Pluspersonnenes’intéressaità lapauvrejeunefemmesacrifiéesurl’auteldelaconvoitisehumaine.SeulSethHamiltonetsonfuturprocèsoccupaientlesmédias.

Rebeccan’avaitmontré aucuneémotion lorsqu’il lui avait tendu le journaloù les faits étaientexposéssanslesfiorituresjournalistiqueshabituelles.

–Peut-êtredevrions-nouslaisserpasserl’orage?avait-ilproposé.–Combiendetemps?s’était-ellecontentéededemandersansunfrémissementsurlevisage.–Quinzejours?Elleavaitalorshochédelatête,s’étaitlevéedetableetavaitdisparu,sansqu’ilpuissedeviner

cequ’ellepensaitouéprouvait. Ilétaitdevenuunobservateurpointudesexpressionsdesa femme.Sanssuccès,malheureusement.

Ilsoupiracommesouventdepuisunequinzainedejours.Iln’arrivaitpasàpercerlacarapacedontelles’entouraitfarouchementetéprouvaitunsentiment

étrangedontilnepouvaitsedéfaire.Sentimentqu’uneaventurenautiqueavaiteffacé,pourlesjeter

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l’uncontrel’autrecommedesennemis.Plusdedeuxmois,àprésent,qu’ilsétaientmariésàlasuited’unquiproquomalheureux.Il reprit son travail,mais renonçavite. Il était incapablede seconcentrerdepuisunesemaine.

Cetteangoissesourde,tapieaufonddelui,lerendaitdeméchantehumeur.Inexplicablement.La disparition systématique de Rebecca toute la journée, sans explication, le perturbait. Des

questionstournaientsoussoncrâne,inlassablement,etluibrouillaientlesidées.Iln’avaitdécouvertsonmanège que la semaine précédente, lors d’un retour impromptupour déjeuner.Lamaison étaitvideàsonarrivéeetRebeccan’étaitréapparuequequatreheuresplustard.

Pourquoiluiavait-ilfaitcroirequ’ilvenaitd’arriver?Iln’ensavaitrienetsonpropremensongel’inquiétait.Àsaquestionnonchalantesurlaraisonde

sonabsence,elleavaitréponduqu’elleétaitalléesepromener,sansmontrerunfrissond’embarras.Cemensongel’avaitperturbétoutelanuit.

Iln’avaitpus’empêcherdemenersapetiteenquête.Interrogéel’airderien,Amandineluiavaitavouéqu’ellenevoyaitplusRebeccadepuisseptsemaines.Lamaisonétaitvideàsonarrivée,videàsondépart.Bruces’inquiétaitdecesabsencesmystérieuses.Pourtenterdepercercemystère,illuienavaitfaitlaremarquedétachée,unsoir,lorsdudîner.ElleavaitprétextédescoursesàToulouse,desbalades.Maissansvoiture,ellenepouvaits’éloigner.

Quefaisait-elleréellement?L’énigme restait entière. Il n’avaitpaspercé le secretde ses escapades journalières.Et il s’en

froissaitsourdement.Pourquoiluimentait-elleaulieudeluiavouerlesraisonsdesesdisparitions?Il se leva, fit le tour de son bureau, lesmains dans les poches. Il devait découvrir ce qu’elle

manigançait.Celalerongeaitetilvoulaitsavoir!Danstroisjours,ilsretournaientàNewYork.Ellen’avaitpascachéqu’ellesouhaitaitqueleur

divorcesoitprononcérapidement.L’explicationplausibleàcetempressementlerendaitgrognon.Ilserefusait à prononcer le mot, mais la sensation que cela provoquait en lui devenait insensée etincompréhensible.

Unamant?Unlégercoupàlaporteluifitleverlenez.Damien,uncollaborateuretami,entradanslegrand

bureauéclairéparlaréverbérationdelaGaronne,nimbéedesoleil.–Ledépartseprépare?fit-ilavecintérêt.–Oui.Danstroisjours.–Rebeccanevapasregretterdepartir?Damiens’assitdanslefauteuilenfacedubureauoùBrucevenaitdeprendreplace.–Non,jenecroispas,soupiraBruce.Rebecca avait hâte de partir, de couper les ponts. Elle avait déjà renvoyé une partie de ses

bagages.Ils’enétaitétonné,maiselleavaitréponduquec’étaitleplussimple.SesbagagesseraientàNewYorkavantelleetl’attendraientauPalace,dontilsavaitqu’elleétaitdésormaislapropriétaire.Information qu’elle lui avait cachéemalgré ses questions sur ce qu’elle ferait, une fois le divorceprononcé.

–Vouspourriez logerchezmoi,àEdison? luiavait-ilproposéavecsollicitude,conscientqueretournerdanssafamilleétaitimpossiblepourelle.

Son refus obstiné de renouer avec eux était à lamesure de ce qu’elle avait enduré. Son pèrel’avaitreniée,samèreetsessœursl’avaientévitéecommeunepestiféréelorsdeleurcourtesemainedefiançailles.Unehypocrisiedontelleavaitétéprofondémentblessée.Ilcomprenaitdoncsondésirdecouperlesliens,maiss’étonnaitdesadéterminationfaroucheàrompreavecsonpassé.Passédontilfaisaitpartie.

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Sansencomprendre laraison, ilétaitchagrinéqu’elle lerayedéfinitivementdesavie. Ilétaitl’artisan de cette situation, mais il s’agaçait de la résolution de Rebecca à l’effacer d’un coup degomme.

–Jen’ytienspas,luiavait-ellerépondu,unefaçondeluifairecomprendrequ’ilétaitindésirabledanssavie.

Comment pouvait-elle montrer autant de froideur, d’indifférence, en dépit des essais derapprochementqu’ilavaittentés?

–Pourquoi?avait-ilinsisté,décidéàl’amadouercommeiltentaitdelefairedepuisdesjours.Elleluiavaitlancéunregardplusfrigorifiantqu’unventdupôleNord.–Jen’ytienspas!avait-ellerépétéd’untondecolèrerentrée.Puis elle l’avait planté au milieu du dîner pour ne plus réapparaître de la soirée. C’était la

premièrefoisqu’elleréagissaitautrementquepardel’indifférence.Etilenavaitétéperturbé.–Ellesembles’êtrehabituéeànoscoutumes,commentaDamien,lesortantdesarétrospective

chagrinedesdernièressemaines.–Pourquoidis-tuça?Rebeccanes’étaitpasacclimatée.Elleneluiavaitjamaisdemandéunevoiture,utilisaitàpeine

lestaxis,n’avaitmontréaucunintérêtpourlarégion,avaitrefusélesvisitesqu’illuiavaitproposées.Oùdisparaissait-elle,depuistoutescessemaines?Avecqui?Laquestionletaraudait.Damienhaussalesépaulesavecnonchalance.–Jel’aicroiséeàlaterrassed’uncafé,hier,surlagrandeplace.Elleavaitunebièreàlamain.Je

n’aipaseuletempsdelasaluer,desamisl’ontrejointe.–«Desamis»?–Hum…Un homme et une jeune femme. Elle leur a fait la bise, comme nous le faisons en

France.Bruce se souvenait l’étonnement que Rebecca avait marqué, au début, lorsque les gens

s’embrassaientaveccettesimplicitéamicale.–Desamisqu’elleadûsefaire,dit-il,undouteàl’esprit.«Unhommeetunejeunefemme»?Elleneluiavaitjamaisparléderelationsqu’elles’étaitfaitesdanslarégion.Elleneluiparlait

jamais de rien !Elle nemontrait aucun intérêt pour ses propres amis.Elle restait sur la défensive,jouaitsonrôled’épouseréservéeenpublic.Parorgueil,ellemontraitunecertaineaffabilité,pourquepersonnenepuissesoupçonnerleursituationdélirante,maisçan’allaitjamaisplusloin.

–Ilm’asembléreconnaîtreJeanGratien,précisaDamien,unemimiqueincertainesurlevisage.–«JeanGratien»?Quiest-ce?Cenomluiévoquaitvaguementquelquechose,maisquoi?–UngaleristedeBordeaux.Célèbrecommeleloupblancdanslaprofession.–Qu’est-cequetuentendsparlà?IlseperdaitparfoisdanslamanièreimagéequelesFrançaisavaientd’exprimeruneidéepardes

motsàmillelieuesdel’idéeprincipale.–C’estundénicheurdejeunestalents.Ilestrespectédanslemilieudel’artet…Damiens’interrompit.Ilparaissaitembarrassé,toutàcoup,deluirapportercequ’ilavaitvula

veille.–Et?insistaBruce.LaretenuedeDamienfitmonterenluiuneboufféed’angoisse.–Oh!tusaiscequec’est…lesragots,sedéfenditalorsDamien,malàl’aisedequelquechose

qu’ilvoulaitluicacher.–Raconte!ordonnaBruce,agacéparl’hésitationdesoncollaborateur.

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Ses doutes étaient-ils fondés ? L’empressement de Rebecca à divorcer avait-il une raisonsentimentale?

–JeanGratienestunhommeàfemmes,unséducteur,dirons-nous.Maistun’asrienàcraindre.Rebeccat’adore.Ellen’ad’yeuxquepour toi.Dèsquetudisparais,elle techercheduregardetsesyeuxbrillentlorsquetuapparais.C’estétonnant,lamanièredontilschangent,passantdecettecouleurterneàcetteluminositéparticulière,déclaraDamien,unsourireattendriauxlèvres.

Brucelefixait,ahuriparl’analysesiloindelavéritéquesonamienjolivait.LapropensiondesFrançaisauromantismeétaitundéfautrécurrentchezsoncollaborateur,maislesmotsletouchaient,soncœurbattaitd’unregaind’espoirinconnu.

Rebecca était-elle tombée sous le charme de ceGratien ? La soudaine chaleur de son bureaul’étouffa. Prendre l’air pour éclaircir ses idées était nécessaire. Il se leva d’un bond, l’espritchambouléd’imaginerleregarddeglacerevivre.

–Jedoisyaller!EtilquittalebureausousleregardmédusédeDamien.Ildevaitremettredel’ordredanssesidées,trouveruneparadeouavoirlecouraged’interroger

Rebeccajusqu’àcequ’elleavoue.Àpeineleseuildel’immeublefranchi,Brucesefigea,perturbéparlaforcequil’avaitpousséà

quittersonbureau.Qu’est-cequ’illuiarrivait,bonsang?Pourquoi les propos deDamien l’avaient-ils rendu furieux et fébrile ? Si fébrile qu’il voulait

rentrerpourdécouvrircequemanigançaitRebeccaouluifaireavouercequ’elleluicachaitdepuisdessemaines.

Ilsoupira,angoisséparlaconfusiondesesidées,puiss’élançaverslaGaronnepours’aérerlatêteetréfléchirposément.

Quoiqu’ilfasse,Rebeccaétaitdetoutessespensées,etils’enénervaitobscurément.Vicky!IlaimaitVicky!C’étaitdumoinscedontilavaitessayédesepersuader,cesdernierstemps,maisl’évidencelui

étreignaitlecœur:ilyavaitbellelurettequeVickyn’avaitplusd’importancepourlui.Le« jevousaime,Bruce»deRebecca,prononcédecettevoixérailléede tendresse,avait fait

soncheminjusqu’àsoncœur.L’échoquelesmotsavaientprovoquécesoir-làl’avaiteffrayéparleurvérité. Il s’était défendu, lui avait jeté au visage sa sentence avec une dureté impitoyable et il enpayaitleprixtouslesjours.

Rebeccanel’aimaitplus,àprésent.Aimait-elleceGratien?C’étaitl’explicationplausibleàtoutessesabsences.Ilgrondadecolère,lecœurétreintd’unerageimpuissante.Ilavaitbrisédesespropresmainsle

bonheurqu’elleluioffrait.Iln’avaitjamaissudécouvrirquielleétait.Depuisunmois,depuisqu’un souriremerveilleuxavait fleuri sur ses lèvresglacées, il l’avait

entraînéeparmisesamis.Pourlavoirrevivre,vibrer.Poursedélecterdesavoixquiperdaitdesafroideuraveclesautres.Pour détecter la moindre palpitation sur son visage, qui s’éclairait d’un sourire fugace, d’un

étonnement,d’unegaietééphémère.Sonrire,alorsqu’ellesemoquaitduchauffeurdesonpère,restaitgravédanssamémoire.

Cejour-là,elleétaitelle-même,ilenétaitconvaincu.C’étaitcettejeunefemme-làqu’ilvoulaitrevoir,maisaveclui,Rebeccas’enfermaitdanssaglacialeindifférence.

Commentpourrait-illaconvaincredesonattachement,aprèslesmotsintransigeantsqu’ilavaiteus?

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«Jevoushais»,luiavait-ilcriépourrésisteraudésirdelaprendredanssesbras,del’embrasser,sonorgueiltroppuissantpourlaisseréclorecequ’ils’avouaitaujourd’hui.

Ilaimaitsafemme!Ils’assitsurunbancpourregarderl’eaudelaGaronnecouleràsespieds,accabléd’avoirtout

gâchéavecautantdestupidité.LavolontéfarouchedeRebeccadedivorcerdèsleurretourluifaisaitpeur.Unautrehomme?Oui.Illesentaitaufonddelui.Elles’étaitéloignéeparcequ’unautreavaitfaitbattresoncœur

aprèsqueluil’aitpiétiné.Ladouleurdanssapoitrineluifitprendreconsciencequ’ilnesupporteraitpasdelaperdre.

Ilallaitsebattre!Il n’avait aucune idée de ce qu’il pouvait faire, mais tenterait quelque chose. Lui dire qu’il

l’aimait?Ellenelecroiraitpas.Pasaprèscequ’ilavaitditàproposdeVicky,decequ’elleétaitpourlui.

***

Latêtepenchéesurl’épaule,ClaraobservaitBrucedepuisunmoment.Ellesourit,ravied’avoirtrouvéceluiqu’ellecherchait.IlressemblaitauportraitqueBeccaavaitvoululuicacher.

Ce visage d’homme pensif était tel que son amie l’avait dessiné, un après-midi de cafard. Ilmanquaitcependantlesourireencoinpourquelecharmevirilsoitaussiparfaitquel’avaitreproduitBecca.Et lesyeux…Rebecca avait un joli coupde crayon,mais elle exprimaitmieux son talent àtraverssesphotos.

Saufquedepuistroisjours,ellenetiraitplusriendesonappareilquedesclichésd’unetristessedésespérante.Elleétaitdéboussolée,passaitpardesaccèsdefrénésiecréatrice,pourtomberensuitedansuneapathiedontilétaitdifficiledelasortir.Etparlerdesonmarin’arrangeaitpasleschoses.AlorsClaraavaitdécidéd’intervenir.

Unteltalentnepouvaitpasêtregâchéàcaused’unesituationdontBeccarefusaitdeparler.Pourquoidivorçaient-ilsaprèsseulementquelquessemainesdemariage?Rebeccaétaitfolleamoureusedesonmari!Touslessignesétaientlà.Lesrêveriesdevantunportraitcrayonnémalgrésoi,lesouffleretenu

dèsquelenomdeBruceétaitprononcé,cettemanièredontsonregardétincelaitparfois,etcesourireéthéré, indécis à exprimer de qui était la seule vérité.Oui, Becca aimaitBruce. Elle l’aimait d’unamourdévorant,au-delàdecequ’elle-mêmepouvaitimaginer.

Jeanavaitacceptédel’aideràrésoudrecetteénigme.SonamiavaitsurtoutrenifléletalentbrutcachésouscettechapedesoumissiondontBeccaavaittantdemalàsedébarrasser.Claras’étaitdoncdonné pour mission d’extorquer à Bruce la raison de leur divorce. Becca était plus muette qu’unmillierdecarpesàcesujet.Laseuleraisonvalablequ’ellevoyaitàcetteaberrationétaitquel’hommedontleregardplongeaitdanslaGaronnen’aimaitpassafemme.Elleleluiferaitavouer,dût-elleletorturer.

Elles’approcha,s’assitsurlebanc,lefixad’unregardinsistantpendantdelonguessecondes.Soninsistancedérangeasonvoisindebanc.Illuijetaunregardsévèred’unairrogue,souhaitant

sûrementlacontraindreàquittersonbanc.Mignon!pensa-t-elle,plusattentiveauxexpressionsdecevisaged’hommeperplexe.Elle luibalançaunsouriremutindontelleconnaissait l’impactsur leshommes,s’amusadele

voirserembrunir,prêtàlâcherlebancpournepasêtreimportuné.–Vousavezdetrèsbeauxyeux,dit-elle.

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LesursautdeBruce,lalueurméduséeduregardnel’arrêtèrentpas.–Vousavezunbeauvisage,maisjecroisqu’elledevraitretravaillervotrementon.Àmoinsqu’il

ne soitmoins autoritaire lorsque vous souriez ? continua-t-elle sans tenir compte de l’exclamationoutréequ’ilavaitpoussée.

–Mademoiselle!–Clara,Bruce,pasmademoiselle…Elleluitenditlamainpourlesortirdesapétrificationsoudaine.Quiétaitcettefolle?lut-elledanssesyeuxperturbés.–Beccaestdouéeendessin,voussavez?Elle s’enchanta de l’effet que ce simple prénom provoqua chez lui. Ses yeux gris, jusque-là

assombris, s’éclairèrent de l’intérieur, les pépites d’argent donnèrent une profondeur nouvelle à cevisageconcentréparl’hébétude.

Sublime!Ilétaitvraimentbeau,lorsqu’ilrayonnaitdecefeusecret.Ettoutçapourunsimpleprénom?Elleétaitjalousequesonamiepossèdel’amourdecethomme.

Quelmalentendulesséparaitpourqu’ilsdivorcent?

***

–VousconnaissezRebecca?s’étonnaBruce.Lamanièredontlajeunefemmel’avaitabordéledéstabilisait,maissamanièrededire«Becca»

étaitlapreuvedeleuramitié.–Oui.C’estunegrandeamie.J’aimeraissavoirpourquoivousvoulezdivorcer?–Jeneveuxpasdivorcer,c’estellequileveut,protesta-t-il.Comment cette inconnue pouvait-elle connaître ce qu’ils cachaient minutieusement à tous ?

Rebeccas’étaitdoncconfiéeàelle?–Pourquoi?–Jen’ensaisrien.–Vousl’aimez?–Oui.–Beaucoup?–Oui.Je…ellefaitpartiedemoi.–Alors,ilnefautpaslalaisserpartir.–Pourquoi?–Ellevousaimeprofondément.–Commentlesavez-vous?–Ellevousdessine.–Ellemedessine?–Oui.Vous.Riennipersonned’autre.Etonnedessinequecequel’onaime.Lesilences’établitaprèscetéchangeping-pong.BruceétaitK-O.Rebeccaledessinait?Jamais

ilnes’étaitdoutéqu’elledessinait.Àvraidire,ilneconnaissaitpasgrand-chosed’elle.Depuisleurarrivée,iln’avaitriendécouvertdecequ’elleétait.Ilsavaitjustequ’ellepouvaitsemontrerglaciale,sansuneonced’attendrissement,pendantdesmois.

–Pourquoiest-ellesifroide?demanda-t-il.L’angoissedeperdreRebeccaluidevenaitintolérable.–Elleseprotège.Jevaisluitirerlesversdunezetjevousdiraiscequej’aiappris.Beccavous

aime,Bruce.Vousméritezd’êtreheureux,touslesdeux.Vousmeplaisezbeaucoupvoussavez…Ellel’enveloppad’unregardappréciateuretilsesentitrougir.

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–Merci,Clara.Celle-cigloussa,manifestementamuséedelevoirembarrasséparsesavances.Elleseleva,lesaluaets’éloigna.Sondépartlelaissaétourdiparlabrièvetédeleurconversation.

Laconclusiondeleurentretienavaitfaitnaîtreunetempêtesoussoncrâne.Rebeccal’aimait?Malgrélesmotsdursqu’illuiavaitdits?Leméprisdontill’avaitcouvert?

Ilsesentaitrevivre.Soncœurbattaitd’uneallégressenouvelle.Ilsebattrait!Rebeccadevraits’expliquer,quitteàlaséquestrer!

***

–J’aivutonmari,lâchaClaradebutenblanc,alorsqu’ellevenaitdelarejoindreàlaterrasseducaféoùelless’étaientdonnérendez-vous.

–Quoi?hoquetaRebecca,abasourdie.–Ilétaitassissurunbanc,surleborddelaGaronne.Ilestencorepluscanonenvrai.–TuasvuBruce?Elleavaitlecœurtoutretournédelesavoirproche.–Oui.Ilétaittoutmalheureux.Ilregardaitlefleuved’undrôled’air.J’aicruqu’ilallaits’yjeter

!–Bruce?–Oui.TonBruce.Ilaunchagrind’amour.Ilenatouslessymptômes.LaraisonduchagrindeBruce,Rebeccalaconnaissait:Vicky.Elleserenfrognasousleregardpersinquisiteurdesonamie.–Crois-moi,Becca.Jem’yconnaisenchagrind’amour.Tonhommeestmalheureux.Rebecca lâchaunpetit rire douloureux.Clara n’imaginait pas à quel point elle voyait juste et

fauxàlafois!–Ildevraitplutôtêtreheureux.Ilvaretrouverl’amourdesavie,gronda-t-elle,furieusequeces

quelquesmotsluiserrentàcepointlecœurdedésespoir.–C’estpourçaquevousdivorcez?Àcaused’uneautrefemme?Rebeccahochalatête,leslarmesauborddespaupières.Quoiqu’ellefasse,ellen’arrivaitpasàchasserBrucedesoncœur.Lederniermoisavaitétépire

quetout.Ill’avaitentraînéedanslecercledesesamis,avaitmontrésonvraivisage,sasimplicitébonenfant, sonhumour, l’amitié franchequ’il accordait sans restriction, sabonnehumeur, soncharme.Elleavaittentéderesterfroide,distante,maisparfoislemasquecraquait.LeregarddeBrucedevenaitalorscommeunferrougesursonvisage.

Vicky,seforça-t-elleàrépétertroisfoiscommeunremèdepouréloignerlemauvaissort.–Oui.Masœur.–Tasœur?s’exclamaClara.Qu’est-cequetuvasfaire,alors?–LaisserlechamplibreàVicky.Ill’aime.–Oh!soufflaClara.

***

Quoiqu’endiseBecca,songeaClara,cetteVickyn’avaitaucunechance.Brucen’aimaitquesafemme,etd’unamourprofond.ElledécidaquesonnouveauprénomseraitCupidonpourlesjoursàvenir.

Ellepossédaittouteslesinformationsnécessairespourjoueravecunarcetdesflèches.

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Le regard deBecca exprimait son désarroi, celui deBruce avaitmontré sa détermination : deparfaitsingrédientspourconcocterunepetitesauceàlamoderomantique!

L’amourpouvaittout,àconditiondeluidonnerunsérieuxcoupdepouce.

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Chapitre15

–MadameWayne!Rebeccarentraitdel’unedeseslonguespromenadesdansleparcenfacedel’hôtel.Ellesefigea

uninstant,puiss’approchaducomptoir,l’airhébété,commesis’entendreappelerainsiétaitunchocpourelle.MaisilnepouvaittoutdemêmeplusluidonnerduMlleRebecca!songeaBenjamin.Elleétaitmariée,àprésent…

–Oui,Benjamin?–M.Wayneaappelé.Ildésirelouerunesuite,l’informa-t-il,avecunriend’embarrasfaceàla

situationquiperduraitdepuisleretourdeRebecca.Ellerefusaitlesappelsdesonmari,s’enfermaitdanssasuite,n’acceptaitdevisitedepersonne,

encoremoinsdesonmari.Etelledisparaissait sansquepersonnenepuisse la joindreouavoiruneidéedel’endroitoùellesecachait.

BruceWayneavaitfait lepieddegrueautéléphonedeuxjoursd’affilée,avantdesedécideràlouerunechambrevacante.Ellen’avaitpasmontréleboutdesonnezpendantlecourtséjourdesonmari.Elle semblait avoir un sixième senspour l’éviter.Sixième sensdont il soupçonnait l’origine.Jimmy,leportier. Iladoraitsapetiteprincesseetétaitprêtà toutpourqu’ellesesentechezelleauPalace.

Ilregardaautourdelui,gonflédefierté.L’AberdeenPalaceétaitdevenulePalace.Uniquementça.Tousseréjouissaientd’avoirRebeccapourpatronne.Pourelle,ilsétaientprêtsàtout.Mêmeàlaprotégerdesonmari.

Il trouvait pourtantWayne sympathique, loin de ce prétentieux d’Hamilton dont la presse sedélectaitdesmisèresjuridiques.Wayneavaittoujoursmontréungrandrespectpourlepersonnel,lessaluaitcordialement,maisdepuisdeuxjoursils’énervait,c’étaitvrai,denepouvoirjoindresafemmefantôme.

Benjamin attendit la décision de la jeune femme, toujours indécise devant le comptoir. Salassitude,sesyeuxembrumésdetristesselechagrinaient.

Pourquoiunedisputeentrejeunesmariésnepouvait-ellepasserésoudreplussimplementqu’enune partie de cache-cache qui les mettait tous dans une situation difficile ? Leur fidélité allait àRebecca,mais ils s’étaient touspassionnéspour la romance relatée par les journaux.Rebecca étaitrayonnante,lasemaineavantsondépart!

Unrayonnementeffacédepuissonretour.

***

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–Dites-luiqu’il…,commençaRebecca.Non.Dites-luiquenoussommescomplets,argua-t-ellepournepassupporterundeuxièmeséjourdesonmariàl’hôtel.

Àpeineunesemainequ’elleavaitposélepiedàl’aéroportetl’enviederepartirlatenaillaitdéjà.Ellelatenaillaitplusfortdejourenjouràcausedel’insistancedeBruceàvouloirlarencontrer.Elleavaitétéclaire,pourtant!

–Transmettez-moilespapiersdudivorceavantlafindelasemaine,luiavait-elledemandé,pourcoupercourtàtoutcequitentaitdeladétournerdesonavenir.

–Peut-êtrepourrions-nousendiscuter?avait-ileuleculotdeproposer.– Certainement pas ! Tout a été dit. Avant la fin de la semaine. Sinon mes avocats s’en

occuperont.–VenezavecmoiàEdison,Rebecca.Nous…–Non.Sivousvoulezmejoindre,jeseraisauPalace.Adieu,Bruce,l’avait-ellesaluéavantde

fuir,leslarmesauxyeux.Pourquoi, durant cette brève conversation, l’avait-il regardée avec ce regard perturbant aux

étoilesd’argent?Les derniers jours de leur cohabitation, il s’était montré prévenant au-delà des convenances.

DepuisqueClaraavaitaffirméqu’ilavaitunchagrind’amour.Elleenavaitpleurétoutelanuit,puisaumatin,elles’étaitreconstituéunmasqued’impassibilitéavecsonorgueilblessé.

Vicky!psalmodiait-elle,pourécarterlafolie.Elle n’était pas entrée dans son jeu, s’était barricadée avec sa rancune pour que les barrières

érigéesnesebrisentpasetelleavec.Ellen’étaitpasdupe,ni idiote.Ilsemontraitcourtoisuniquementpourqu’elleplaidesacause

auprèsde sa sœur !Etdepuis leur retour auxÉtats-Unis, il laharcelait.Tous les jours. Il était alléjusqu’àlouerunechambreàl’hôtelpourlaforceràcéder.Elles’étaitalorstrouvéedansl’obligationdeprendreunechambredansunétablissementconcurrentletempsduséjourdeBruce.Uncomble!

Ellefaisait lasourdeoreille,refusaitdelevoir,deprendresesappels.Toutautantqueceuxdeson père, de samère, de ses sœurs.Vicky était la seule à être honnête et à n’avoir pas tenté de lacontacter.

Toutétaitclairpourelle.Dansdeuxjours,ellerepartaitenFranceetlesécartaittousdesavie.Résolument.

–MadameWayne!laretintBenjamin,alorsqu’ellesedétournaitverslesascenseurs.–Oui?–Unejeunedamevousattenddanslesalonjaune.–«Unejeunedame»?A-t-ellelaissésonnom?–Non,madame.Maisilm’asembléreconnaîtreunaccentfrançais.–MerciBenjamin.Jenesuis làpourpersonnecesoir,prévint-elle,certainequesesconsignes

seraientrespectées.Jimmyétaitlemeilleurespionàsasolde.DèsqueBruceouqu’unmembredelafamillemontrait

leboutdesonnez,illaprévenait.Elleconnaissaitchaquerecoindel’hôtelpoursecacher,letempsdel’alerte.Bruceétaitlepluspersévérantets’agaçaitmanifestementdecejeudecache-cache.

Iln’avaitqu’àappelerVicky!Ilétaitassezgrandpournepasavoirbesoind’unémissaire.Elledoutaitqu’elle soit lebonémissaire en lamatière.Vicky ladétestait.Surtoutdepuis la catastropheSeth. Deux possibilités de mariage avaient échappé à sa sœur par sa faute. Ce n’étaient pas dessésamesadéquats!

Rebeccaentradanslesalonjaune,ets’immobilisaenreconnaissantlatenuebarioléedeClara.Que faisait-elle là ?Elles avaient prévu de se rejoindre à Paris trois jours plus tard, pour des

visitesdegaleriesavecJean.

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–Clara?–Becca!Claraseprécipitadanssesbras.–Ilestàtoi,cethôtel?–Officiellement, oui. Depuis une semaine, répondit Rebecca, en regardant autour d’elle avec

fierté.Il lui ressemblait, ce vieux dinosaure. Discret, sans tapage luxueux, mais avec une élégance

surannée,unedistinctiond’unautretemps.Lesgensquiytravaillaientétaientsafamille.Ilsétaientprévenants,attentifsaumoindredesesdésirs.Leurbonjourouleursalutluiréchauffaientlecœur.

–Ilestàmoiettousceuxquiytravaillentsontunpeumafamille.J’ail’intentiondefaireleursportraitspouruneexpositiondanslegrandhall.Sanseux,lePalacen’estrien.

–Tuveuxleurrendrehommage?C’estsympa,commeidée.Unesalled’expositionpersonnelleavecunpublicsanscesserenouvelé?L’idéepeutsemontrerpayante.

Claraobservaautourd’elle,jaugeantenprofessionnellelepotentield’untelendroit.–Tuasdunez,Becca.Ceseraituntremplinparfait.Tum’exposeras?–C’estnégociable.–OK,pourmoi.Jeteloge,tumeloges.Kif-kifbourricot,s’esclaffa-t-elle.Maintenant,fais-moi

visitertonpalace.Jenesuisjamaisentréedansunhôteldecetteclassedetoutemavie.Peut-êtrequej’ytrouveraidel’inspiration?

–Viens,jevaistemontrermondomaine.Pendantl’heuresuivante,ellesparcoururentl’hôteldelongenlarge,parlesgrandscouloirsdes

étages, les petits escaliers de service, les monte-charge ou les ascenseurs. Clara s’extasiait, riait,montraitcequiavaitun intérêtartistiquepourunephotographe,bousculaitRebeccapar savivacitéfrénétique.

–C’estfabuleux,ici!Situm’invitesàyresterquelquesjours,mêmedansunepetitechambredupersonnel,jecroispouvoirm’occuperdemanièrefructueuse.C’est…royal!

–Nousavonsrendez-vousavecJeandansdeuxjours,Clara.–Jeanpeutattendre.Surtoutsi tuluiprésentesensuiteunesériedephotosprisesici.Ceserait

hyper original, vivant, et çamontrerait unmonde secret que le public ignore. Le public adore lessecrets!

–Non.Jenepeuxpas.Plustard,marmonnaRebecca,l’entraînantdeforceverslesalondethé,surlaterrassedutroisièmeétage.

–Pourquoi?Riennenouspresse.Àmoinsquequelquechosenetefassefuir?demandaClara,unsouriretaquinaucoindeslèvres.

Rebeccalapoussadansuncoindiscretdelacharmantesallevitrée,troubléeparlaquestionsous-jacente.

–Qu’est-cequipourraitmefairefuir?répliqua-t-elleavecunriend’effronterie.Elles’assitàunepetitetable,regardaautourd’elle,respiral’atmosphèredesonhôtel.Sesentir

chezelleapaisaitsondésarroi.–Tonmari,réponditClaradutacautac.

***

LaminechagrinedeRebecca–chagrineetagacée–n’échappapasàClara,maiselle savaitàquois’entenir.

Brucel’avaitappeléeà l’aide l’avant-veille. Il luiavaitoffert lebilletaller-retourenpremièreclasse,l’avaitaccueillieàl’aéroport,avecunetêted’enterrement.

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–Elleneveutpasmeparler,nimevoir,avait-ilditenpréambule,sansunbonsoirouunebisefraternelle.

Ilétaitdéboussolé,malheureux,angoissédeneplussavoircommentabordersafemmefantôme.–EtVicky?Vousl’avezrevue?avait-elledemandé,pourconnaîtrelesdessousdel’affaire.–Non.–Peut-êtredevriez-vouslarencontrer,vérifierquevossentimentspourellesontvraimentmorts,

queseuleBeccacomptepourvous?–Jen’aipasbesoinde la rencontrerpoursavoirceque j’éprouvepourmafemme.Vickym’a

ébloui,sansconteste,maisRebecca,elle,m’aattiré,intrigué.Jen’aipassuvoircequ’elleétaitparcequejemepersuadaisqueVickyétaitlaseulefemmedemavie.Cen’étaitqu’uneillusion.

–Uneillusionquevousétiezprêtàdemanderenmariage!–Avecdesdoutesénormes.Maisj’aiprisdureculvis-à-visd’elle,depuis…Jesaisqueceque

j’éprouvaisn’étaitqu’illusion.Jel’aiparéedetouteslesqualitéspournepasvoirsesdéfauts.Rebeccam’apermisd’évitercequiauraitétéunnaufrage.Mais,jeneveuxpasquemonmariageavecelleensoitun.Jesaisqu’iln’enserapasun,avait-ilrectifié,unefarouchelueurguerrièredansleregard.

Sublime,s’était-elledit,soupirantden’avoirpasd’hommeaussitenaceetamoureuxdanssavie.Elle avait pris le taureau par les cornes et allait pousser Rebecca à admettre que son mari étaitl’hommeleplusimportantdesavie.

***

–Monex-mari,larepritRebeccad’untonfarouche.–Parcequevousavezdivorcé?Rebeccasedétournaverslabaievitréeouverteetlaissasonregarderrersurlaville.Brucen’avaitfaitaucunedémarchepourledivorceetrisquaitmêmedefairetraînerlaprocédure

aussilongtempsquepossible.–Alors?C’estbon?Tuesunefemmelibre?insistaClara.–Non,grommelaRebecca.Elleplongealenezdanslacarte,pournepasmontrersondésarroi.Après sa rencontre avec Bruce, Clara n’avait cessé de la tarabuster, lui dressant la liste des

qualités de « sonmari ». Il était beau, charmant, et son regard lorsqu’il pétillait d’étincelles étaitirrésistible!Elleneluiavaitrienépargné,l’avaitquestionnéeàl’envie,jusqu’àcequ’ellesesauvepourneplusdevoirparlerdeBruce,deVicky,etdetoutcequiladésespérait.

«Affrontelavéritéenface!»luimartelaitClara.Elleenétaitincapable,parcequec’étaittropdouloureux.MêmesiellesavaitqueBrucen’aimait

queVicky,ellen’avaitpuarrachercechiendentqu’étaitsonamourpourlui.«Sonmari»…Quelleironie!–«Non»?Tuveuxdirequevousêtesencoremariés?–Oui.–Une question de délai ? Je sais que chez nous, ça peut prendre desmois.Mais dès que les

papierssontsignés,onpeutconsidérerqueledivorceesteffectif.Vousavezsignélespapiers?Ellesseturentletempsquelaserveusedéposedevantellesthéetpetitsgâteaux.Rebeccaservit

lethé,levisagefermé,impassible,lesyeuxembués.Clararespectasonsilence,lafixantpar-dessussatassedethéfumantavecunpetitairsatisfait

déconcertant.–Alors?Lespapierssontsignés?redemanda-t-elleavecinsistance.–Non.

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–«Non»?Nemedispasquetuneveuxplusdivorcer?–Si,jeleveux.Non ! Tu ne le veux pas ! Tu veux le garder pour toi, l’empêcher de pouvoir aimer Vicky,

murmuralavoixdesaconscience.Elleplongeadanssatasse,perturbéeparcetterévélation.–Vraiment?Onnelediraitpas.–Jeveuxdivorcer!asséna-t-elleaussifermementquepouvaitchevrotersavoix.–Jen’encroisrien.Enréalité,tuneveuxpasluiaccorderledivorcetoutdesuite.Jenevoispas

quelle autre raison tepousserait à partir si vite, si lespapiersne sontpas signés.Moi, si je devaisdivorcer,quejelevoulaisvraiment,jenepartiraispasavantd’avoirlespapiersenpoche.

–Ilnem’arientransmis.– Tu n’as pas d’avocats peut-être ? Avec un bazar pareil – elle désigna la salle d’un geste

circulaire–,nemedispasquetun’aspasunavocatchevronnéquiauraitpulancerlaprocédure.Enréalité,tuesjalouse.

–Non!–Si.Tuestellementjalousedetasœurquetut’emploiesàfairetraînerleschoses.Rienquepour

lesemmerder.Moi,jeferaispareil.Sil’hommequej’aimeavaitleculotd’aimermafrangine,jecroisquejeseraiscapabledupire.L’idéedefaire traîner ledivorce,c’estpasmal…Si tasœurestaussicoincéequetoi,c’estdebonneguerre.

–Jenesuispascoincée!s’offusquaRebecca,rougeduregardsanscomplaisancedeClara.Ellesn’avaientjamaisabordélaquestionintimedumariage,depuisqu’ellesétaientamies.Clara

montraitunelibertéavecleshommesdontelle-mêmesesentaitincapable.Laseulefoisoùelleavaitdérogé à ses principes, tout avait dérapé.Elle s’était retrouvéemariée à un hommequi la haïssait,alorsqu’ellel’aimaitplusquetout.Ledégoûtqu’elleavaitressenti, lorsqueSethl’avaitembrassée,l’avait bouleversée, au point qu’elle aurait capitulé par lassitude. C’était sa punition. Elle l’avaitressenticommetelle.

–Si,tul’es,Princessedeglace!Tucroyaisquetupouvaismelecacher?J’aimetoutconnaîtredemesamies,surtoutcellesquej’apprécie.Internetestunefabuleusesourced’informations.

RebeccasecrispadedécouvrirqueClaras’étaitrenseignéesurelle,sursaviepassée.Ellequivoulaitfairetablerasedupassé,illarattrapait.

Claraposalamainsursamaintremblante.– Jene te jugepas,Becca. Je t’admirede respecter tes convictionspersonnelles,même si ton

pèret’aimposéunrégimededictature.Tueslibredeteschoix,personnenepeutdéciderpourtoi.PasplusquetunepeuxdéciderpourtasœuretBruce.S’ilss’aiment,tunepeuxlespriverd’unepartiedeleuramoursousprétextequetuveuxtevenger.

–Rassure-toi,jenelespriveraiderien!Vickyn’apaslamêmepudeurquemoiàsejeterdanslelitd’unhomme,grognaRebecca,furieusedujugementiniquedeClara.

Puisellefrissonnadesespropresmots.Ellenonplusn’avaiteuaucunepudeuràsejeterdanslelitd’unhomme.Bienluienavaitpris!

–Oh?Tuveuxdirequ’ellenerespectepaslaloimartialeimposéepartonpère?–Vickyn’ajamaisrespectéaucuneloi,commetudis.Ellenefaitquecequ’elleveut.–Attends, jenecomprendsplus, là…PourquoiBruce t’a-t-ilépousée, si tasœuret luiétaient

amants?Çan’aaucunsens!–Ilavouluprotégersonentrepriseàcausedesmenacesdemonpère.Ilmehait.–S’il tedétesteautantque tu ledis,pourquoine t’a-t-ilpasenvoyé lespapiersdudivorceen

recommandé?Dèsvotrearrivée?Moi,j’auraisprévumoncoupdepuisdessemaines!

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– Ilsdoivent êtreprêtsdepuis le jourdenotremariage.Simplement, il veutquelquechosedemoi,réponditRebeccalarageaucœur.

–Quoi?Ilveutprofiterdetoiencoreunpeu?Tuesunebombeaulitetil…

***

Clara s’interrompit, amusée par la rougeur furibonde de son amie. Bon, les conditions dumariage étaient encore pires que ce qu’elle avait imaginé,mais elle se doutait que les deux épouxn’avaient pas consommé lemariage. Elle avait épluché toute la presse sur l’affaire « Princesse deglaceetBatman»,découvert lesconditionsrocambolesquesdeleurunion.Presséparsesquestions,Bruce lui avait presque tout avoué. Presque. Le détail de leur vie intime était resté scellé. Uneincongruitédanssonmondeàelle!

–Non?Elleluiserralamainpours’excuserdelabousculer,puisreprit:–C’estmieux, dans ce cas.Oublie-le, tourne la page et entame toi-même les formalités pour

divorcerauplusvite.Qu’est-cequ’ilveutdetoi,exactement?–QuejeplaidesacauseauprèsdeVicky.Clarafronçalessourcils.CettehypothèsedeRebeccanecorrespondaitpasàcellesqueBruceet

elleavaientfaitesaucoursdelanuit,maisc’étaitlaseulecohérente.Pourquoin’yavaient-ilspaspensé?IlsavaientécartéVickycommequantiténégligeable.Enréalité, laquantiténégligeableétait la

seulebarrièreentreunhommeetunefemmeamoureuxl’undel’autre.–Danscecas,fais-le!

***

–Non!s’insurgeaRebecca,révulséeàl’idéedejeterBrucedanslesbrasdesasœur.Jene…Vicky le rendrait malheureux, elle le savait mieux que quiconque. Elle ne pourrait jamais

apprécier la vie deBruce, samaison de Toulouse, son horreur des fêtes guindées. Il ferait tout cequ’elledésirerait,maisceneseraitjamaisassez.Ellel’étoufferait,lepiétinerait,enferaitunpantin.

–Tuquoi?D’aprèstoi,ill’aime.Laisse-lescourirleurchanceensemble!S’ilseplante,tantpispourlui.Tudisqu’iltedéteste,alorsnefaispasdesentimentalisme.Moi,jeseraisenchantéedevoirundemesexmalassortienménageetmalheureux.Surtouts’ilm’afaitsouffrir.Arrêtedet’accrocheràunrêve.Laisse-lepartir.

–Non…–Si.Ettuvaslefairedèscesoir.Tuappellestafrangine,tulasuppliesdelevoir,tufixestoi-

mêmelerendez-vousettuleslaissessedébrouiller.Ensuite,dèsdemain,tut’occupesdespapiersdudivorce,etnouspartironscommeprévudansdeuxjours.

–Je…–Fais-le,Becca.Commentveux-tuavancer,sinon?Tunevaspastemorfondrepourunhomme

quin’aaucunsentimentpourtoi?Appelletasœur!Elleluitenditsontéléphoned’ungesteautoritairepourneluilaisseraucuneéchappatoire.Rebeccaregardaletéléphoneunlongmoment,indécise.Claraavaitraison.TantpispourBruce

s’il était idiot et ne voyait pas quel dangerVicky représentait pour lui. N’avait-elle pas décidé decouperlespontsavecsonpassé?Ilétaittempspourelledefaireledernierpasverssaliberté.Elleattrapaletéléphone,composalenumérodesasœur,priapourqu’elledécroche.

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–VictoriaAberdeen,roucoulalavoixenchanteressedeVicky.–BonjourVicky,c’estRebecca.–Qu’est-cequetuveux?Lavoixenchanteresses’étaitmuéeencelled’undogueprêtàmordre.–Jet’appellepourt’avertirque…LecoupdepieddeClaralafitgrimacer,lesyeuxpersluiordonnaientdenepassedégonfler.–Pourm’avertirdequoi?Quetuaseuleculotdemevolermonfiancé,pourensuitem’humilier

publiquement?–T’humilier?Enquoiest-cequejet’aihumiliée?–Ennedisant rien àproposdeSeth !Tu l’as fait exprès, c’est ça ?Tu savaisqu’il avait des

dettes.C’estpourçaquetut’esrabattuesurBruce.Etensuite,tujouesàlapauvrepetitevictimepourquepapatedonnelePalace?Tun’esqu’une…

–Nedispasquelquechoseque tupourrais regretter,Vicky. Jevoulais simplement teprévenirqueBrucet’aimetoujours.

–Évidemmentqu’ilm’aime !Tu croyais pouvoir le convaincrede t’aimer, toi ? ricanaVickyméchamment.

Rebecca ferma les yeux pour ne pas lui raccrocher au nez. Clara lui serra la main pourl’encourageràfairecequ’elleredoutait:jeterBrucedansunpiègemortel.

–Non,souffla-t-elle,lecœurserré.Bruceetmoidivorçons,lança-t-ellesansrespirer,pourquesasœurn’entendepassadétresse.

Ledernierpasvenaitd’êtrefranchi.Iln’yavaitplusderetourenarrièrepossible.–Vous…divorcez?Papalesait?–Oui.Etilnedirarien.Notremariagen’étaitqu’une…mascarade.Brucem’aépouséeparceque

papal’yaforcé.Iln’ajamaisvouludemoiet…Elles’arrêtalà,incapabled’avouersahonte.Leriresarcastiqueàl’autreboutdufiléclataàson

oreillecommelapiredesinsultes.–Tuveuxdirequevousn’avezpascouchéensemble?Lajubilationétaitaudibledanssavoixéraillée.Rebecca respira lentement, refusa de céder à son envie de cracher qu’elle avait couché avec

Bruce pour faire taire cette arrogance, pour éteindre le sourire de triomphe qu’elle imaginait sanspeinesurlevisagedesasœur.Maiscesecret-làn’étaitqu’àelle.Ilétaitsahonteetsonparadis.

Sonenferpourlongtemps,réalisa-t-elle,enimaginantVickyetBruceensemble.–Écoute,Vicky.Bruceestquelqu’undeloyaletdedroit.Ilt’aime.Ilseraàl’hôtelcesoir.Suite

impériale, dit-elle d’une traite, avant de raccrocher pour ne pas avoir à subir une humiliationsupplémentaire.

Elletremblaittoute,l’irrémédiableétaitdésormaisenmarche.– Suite impériale ?Ouah, tu leur fais là un beau cadeau d’adieu !Maintenant, occupe-toi de

Bruce,luienjoignitClara,unmerveilleuxsouriredejoieaccrochéauxlèvres.Rebeccaappelalaréceptiontantqu’illuirestaitassezdevolonté.–Benjamin?–Oui,madame?–Avez-vousavertiM.Waynequenousétionscomplets?–Oui,madame.Ilyaunpeuplusd’uneheure.–Rappelez-le et réservez-lui la suite impériale.Champagne et chocolat, précisaRebeccad’un

tonaussineutrequepossible.–Bien,madame.

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Elleleremerciad’untonlas.Ellesesentaitvidéeparl’épisodequeClaralaforçaitàécrire.Ledernier.Toutétaitdit,désormais.Bruceallait retrouverVicky. Ilsallaient faire l’amoursansmêmequeBruce sedouteque son inconnued’unenuit pleurerait toutes les larmesde son corps à l’étagesupérieur.

– C’est la seule solution pour avancer, Becca.Maintenant, va pleurer un bon coup, soûle-toi,jette-leurlessortslesplushorriblesquisoientettirelachasse.Unenouvelleères’ouvredevantBeccaDeen,laphotographedesrecoinsd’hôtel!Jeanvaadorer!

–BeccaDeen?OndiraitpresqueBécassine!–C’estunpeucequetues.UneBécassinedel’amour.Laprochainefois,fais lebonchoix.À

toutmalheurestbon,dit-oncheznous.Lapreuve…Grâceà tonmariage raté, tuvaspouvoirenfinvivreceque tues.Une tellechanceneseprésentequ’une fois.Saisis-laàbras-le-corps.Bon, je telaisse,j’aiunhommeàvoir.

–Unhomme?–Ehoui,machérie.J’aiuneviesexuelleàassumer,moi!Rebecca la regarda s’éloigner, hébétée par son commentaire autant que par la rapidité de son

départ.LeprogrammedeClaraluiconvenait.Pleurer,sesoûleretjeterdessorts!

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Chapitre16

Rebeccaseretournadanssonlit,regardal’heureàl’horlogelumineuse.Minuit.L’heureducrime,ricana-t-elle,enfrappantsonoreillerd’unpoingrageur.Direqu’àl’étageinférieur,VickyetBruce…Ellegrogna,seretournapournepasimaginerlachose.C’estcequetuvoulais,aprèstout,pensa-t-elle,alorsqu’unelarmecoulaitsursajoue.Elle hoqueta pour contenir ses sanglots, ne pas se laisser aller à une énième crise de larmes

depuis deux heures. Elle avait épuisé son imagination avec les pires sorts possibles. Son estomacs’étaitrévulséautroisièmecocktail.Soûlerieavortée.

Unbruitlafigeasoudaindeterreur.Quelqu’unmarchaitdanslesalon!Elle se redressa, affolée. La porte de sa chambre s’ouvrit lentement comme dans un film

d’horreur.Unegrandeombresedécoupadanslalumièretamisée.Rebeccapoussauncri,tenditlamainversl’interrupteur.–Non!N’allumepas!ordonnaunevoixgravefamilière.Ellesepétrifia,lesoufflecourt,lesbrashérissésdechairdepoule.Endeuxenjambées,ilétaitlà.Elleentenditlepeignoirquitombaitsurlesol.Ellepoussauncri

lorsqu’ellelevitsiprès,hoquetad’êtrerepousséedanslelitparuncorpsnu.

***

–Jenesavaispasqu’àl’AberdeenPalace,ongarnissaitleslits,ditBruce.IlpritRebeccadanssesbraspourl’embrasser,commeilenrêvaitdepuisdesjours.Plusencore,

il s’émerveilla de la douceur des lèvres inertes. Il la caressa d’un baiser sensuel, se réjouit de sonhalètementsousseslèvresgourmandes.

–Laprochainefois,jepréfèretetrouvertoidansmonlitplutôtquetasœur!Ilallumalalumièrepourlacontempler.Elleétaitsublime,pétrifiéecommeunestatue,lesyeux

écarquillésdesurpriseetd’incompréhension.Vibrantsdevie.Ilneputs’empêcherderire,embrassasaboucheentrouverteparlasurprise,lesouffleàpeineexhaléentreleslèvresquis’éveillaientsoussonbaisertendre.

–Qu’est-ce que vous faites là ? demanda-t-elle, lorsqu’il la libéra, ses yeux plantés dans sonregardclair.

– Je suis venu te demander l’asile. Ta sœur occupe mon lit, et je n’avais pas l’intention derépondreàsesavances.Iln’yaquetoiquiasledroitdeteglisserdansmonlitpourmefairel’amour,murmura-t-ilavecunsourireespiègle.

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LeteintdorédeRebeccaviraaurougebrique.Ilritsourdement,embrassaseslèvresdouces.–Commentlesais-tu?bafouilla-t-elle,lesoufflecourt.Ilritdanssoncou,inspiraprofondémentlelongdesaveinepalpitante.–Tonparfum,avoua-t-ilavecunsoupirdebonheur.La nuit dans le marais, il avait entrevu la vérité, mais tout était si confus à l’époque que

l’évidenceavaitprisunlongcheminpouréclaterdesavérité.Cesoir,quandilavaittrouvéVickydanssonlit,nueetofferte,ilavaitsu.Etilavaitquittélasuiteimmédiatement.–Vickyapresquelemêmeparfumquetoi,maistoiseulepossèdescettefragranceparticulière.

Jel’aireconnuelelendemain,lorsquejet’aicroiséedanslehall,maistuassibienbrouillélescartes,que cet indice pour retrouver mon inconnue d’une nuit m’a échappé. Jusqu’à ce soir. Tout m’estrevenuenmémoireetsurtoutceparfummystérieuxquejen’aijamaisoublié.

–Commentes-tuentréici?

***

Rebeccagémitdelamainaventureusequ’ilavaitglisséesoussachemisedenuit,delacaressedontellen’avaitrienoublié.

–J’aidûparlementeravecBenjaminpendantplusd’uneheure. Il tevoueuneadmirationsansbornes.Franchement,jesuisjaloux,murmura-t-il,laboucheperduesursagorge,qu’ilavaitdévoilée.

Puisilattrapaleborddesachemisedenuit,lafitglisserpar-dessussatête.Ellelelaissafaire,inerte,leregardindécis,inquiet.

–Jet’aime,moninconnuedel’AberdeenPalace.Tum’asrendufou,Rebecca.Foud’amour.Tonsouvenirnem’apasquittéunseulinstant.Jesuistombéamoureuxd’unfantômequim’aoffertlaplusbellenuitd’amour,pourm’abandonnerensuiteàmondésespoir.J’aimisdutempsàteretrouver,maisdésormais, jenetequitteraiplus.Tuesàmoi,chuchota-t-ilcontresabouchequiserapprochapourl’embrassercommeunaveu.

EllesavouraitlesmotsdeBruce,sesyeuxd’argentbrillantd’unesincéritédontellenepouvaitdouter.Leursmainsseretrouvèrent,s’explorèrentcommelapremièrefois,leursregardssoudés,leurslèvresjointespourlesplusbeauxaveux.Elleretrouvatouteslessensationsquil’avaientmarquéeauferrouge,cettenuit-là.

La bouche ferme de Bruce se fit avide comme la première nuit, exigea son dû si longtempsattendu,alorsqueleurspeauxseretrouvaient,leursmainssedécouvraient.Elles’abandonnaavectoutsonamour,s’offritàsescaressesbrûlantes.

Ilssemouvaientaveclemêmed’abandon,attentifsl’unàl’autre,émerveillésdeseredécouvriraveccetteforceretrouvée,aveccepartagedeleuramour.

Leurscorpssetendirentdelamêmeattenteavantque,d’unmêmecri,ilsnesefracassentd’uneextaseparfaite.Leurssoufflesrestèrentsuspendusdansl’airavantd’exhalerundernierrâledeplaisir.Ilss’abreuvèrentàlamêmesource,leurslèvressoudéessurlesmotsd’amouréternelqueleursyeuxéchangeaient.

– Je vous aime,mademoiselleAberdeen.Voulez-vousm’épouser ?murmuraBruce contre seslèvresoffertesàsacaresse.

Elle se mit à rire d’un rire doux, empli d’allégresse, avant que leurs lèvres ne scellent leuraccord.

–Noussommesencoremariés,monsieurWayne.Pour l’instant,vousavezrefusédesigner lespapiersdudivorce.

Ilselovacontreelle.

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–Vraiment?souffla-t-ilavecunriretriomphant.Elleluicaressalajoue.–Pourquoi?–Parcequejet’aime,Rebecca.–Et…Vicky?Bruceexpiraprofondément,serapprochad’elle,ets’accoudacontreelle.–Vickym’asubjugué,jel’avoue.Maistoiseuleasconquismonamour.Jesuistombéamoureux

delafemmequis’estglisséedansmonlit,cettenuit-là.J’aicruquec’étaitVicky.Jemesuisleurrésurmessentiments.Moninconnuedel’AberdeenPalaceaétélaseuleàm’avoirémujusqu’aufonddel’âme.Mais elle restait une inconnue, un doux rêve, un espoir déçu. Je ne t’ai pas vue, Becca. Etpourtant, je voulais que tu deviennesmon amie. Je voulais te découvrir, te connaître.Mais tu t’estoujourscachéederrièrecesyeux-là,dit-il,luicaressantlespaupières.Lesoiroùjet’aidemandédenepasresteravecHamilton,jet’aivue.Uncourtinstant.Etmoncœuraétéemprisonnédanslaglacedetonregard.Maisj’étaisaveugléparlabeautédetasœur.Alorsquetuesbienplusexceptionnelle.

Les larmes roulèrent sur les joues de Rebecca. Bruce poussa une exclamation sourde, et seslèvrescueillirentseslarmes.

–Nepleurepas,monamour,chuchota-t-ilavectristesse.Ilcaressasesjoueshumides,etlesourirerefleuritsursabouchetremblante.–Pourquoim’aimes-tu?demanda-t-ellepourqu’illarassureencore.Ellenepouvaitcroireàsonrêve,bienqu’illaserrecontreluipourluiprouverqu’elleétaittout

pourlui.–Parcequetuestoi,Rebecca.Personneneteressemble.Souslaglace,c’estunfeudévorantqui

brûle.Etjeveuxm’ybrûlerpourlavieentière.Tonrirem’aenvoûté,tusais.–Monrire?–Oui.Le jouroù tuasplongédans lapiscineavec lechauffeurde tonpère, tu riais.En toute

liberté.Cejour-là,jet’aivue.Mais,toutétaitconfus.Ettoi,Becca,pourquoim’aimes-tu?–Quiteditquejet’aime?minauda-t-elle,lavoixassourdieparlessentimentséclatantsqueles

motsdeBrucedistillaientdanssonâme.Ill’embrassaavecaviditépourlapunirdesaméchanceté.Illafitcapitulerparsescaressesetses

baisers, imposa sonamour,prit cequ’elle lui avouait avecabandon, lablottit contre lui, comme lerappeld’unenuitsombre,dansunmaraislugubre.

–Tonregardmeditquetum’aimes.

***

JamaisBrucen’avaitétésibien,siserein,siheureuxdesentirsachaleur.–Pourquoies-tuvenuedansmachambre,cettenuit-là?demanda-t-il,latêtedeRebeccanichée

aucreuxdesonépaule.Il était curieux de connaître le début de cette étrange histoire qui les mènerait désormais au

paradis.Elleseraidit,maislacaressedanssondoslarassura.Ildevaitsavoir.–LasuiteétaitréservéepourSeth,avoua-t-elled’unevoixvoiléedecontrition.Ilfrémit.Lavoixdesoninconnue!–Seth?– Je l’aimais. Je… je voulais lui prouver mon amour, alors j’ai décidé de… sauter le pas,

murmura-t-elleenrougissant.–«Sauter lepas»?J’aimebeaucoup lamanièredontvoussautez lepas,madameWayne.Tu

savaisquij’étais?

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–Non.Jenel’aisuquelorsquetuasdemandéàvoirVicky,lelendemain.Je…jemesuissentiesi…

Desabouche, ilétouffalahontedeRebecca, luiavouantunefoisdeplus,par lafièvredesonbaiser,toutsonamour.

– Non, Rebecca. Tu as fait un donmerveilleux à un inconnu. Cet inconnu te remercie de ceprésentimmensequiatransformésavie,luiapermisdetrouverl’amourd’unefemmeexceptionnelle.Mepardonneras-tulesparolesquejet’aiditesàParis?

–Elles sont pardonnées depuis longtemps.Tum’as dévoré le cœur, ce soir-là. J’ai cru que jepourraistechasserdemespensées.Tantquetumeméprisais,jepouvaist’envouloir,mebarricader.Maislorsquetum’asànouveauregardéesanshaine,jen’aipueffacercequetuavaisfaitnaîtreenmoi cette nuit-là. Jeme calfeutrais comme je le pouvais,mais tu brisaismes barrières.D’un seulregard. Je t’aime, Bruce. Je t’ai aimé, cette nuit-là, même si je t’ai pris pour un autre. C’est toi,uniquementtoi,quim’asfaitdécouvrirleparadis.C’étaitsipuissant,sifort!

– Si Clara ne m’avait pas dit que tu m’aimais, je t’aurais laissée partir. Elle m’a dit que tum’aimaisetqu’ellenecomprenaitpasquenousdivorcions.Jevenaisdeprendreconsciencequetoiseulecomptais,maisquetunepouvaisplusm’aimer.Ton«Jet’aimeBruce»àParismedévoraitlecœurdepuisdesjours.Maisparcequejet’aimais,jet’auraislaisséepartir.

–Sanstebattre?– J’avais brisé ton amour parmes paroles injustes. Je ne pouvais pas croire que tum’aimais

encore.Etj’étaisjalouxdecethommequitefaisaitdéserterlamaisonpourlerejoindre.Elleseredressa,offusquéequ’ilpuissecroireàsonindignité.–Unhomme?Quelhomme?Ildéfroissad’undoigtsonvisageétonné.–L’hommeavecquituboisdelabièreàlaterrassed’uncafé.–Jean?–Oui.Jean.L’hommeauxmillemaîtresses.–«Mille»?Tantqueça!

***

Rebecca se serra amoureusement contre lui. La pointe de jalousie qu’elle sentait chez luil’amusait,larendaitpleinementheureuse.EllerepensaauxavancesdeJean.Iln’avaitpuladétournerde sonamour,malgré lavolontéqu’ellemettait àétouffer la foliequi lui rongeait lecœur.Riennipersonnenepourraitjamaisladétournerdesonamourdévorant.

–Oui.Tantqueça.Bruceavaitrépondud’unairqu’ilespéraitsansdoutedétaché,etjouaitavecsescheveux,pour

cachersajalousie,peut-être,sadétresseenl’imaginantdanslesbrasd’unautre.–Tuétaisjaloux?demanda-t-elle,enchantéedelesentircrispécontreelle.– Oui. C’était confus, mais de savoir que tu disparaissais de la maison, et que tu rejoignais

probablementunhommem’afaitprendreconsciencequejet’aimais,mafemmechérie.–J’aimequetusoisjaloux,soupira-t-elle,espiègle.–Aurais-jedesraisonsdeledevenir?murmura-t-ilaveclacertitudequ’elleétaitàlui.– Non, monsieur Wayne, vous occupez trop mes pensées, mon cœur et mon âme pour que

quiconquepuisses’immiscerentrenous,chuchota-t-elled’unevoixmutine.–Etjevaismarquertoncorpsauferrougedemesbaisers!Il l’attrapapar lanuquepour laployersur lui, l’embrasseravecuneaviditéqui lesfitgémirà

l’unisson.

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– Il est déjà marqué au fer rouge. Il t’appartient jusqu’à la fin des temps, souffla-t-elle enrépondantavecfougueàsonbaiserenivrant.

–Tum’appartiens,Rebecca,etmoi,jeseraiàtoipourtoujours.À nouveau, le désir les poussa sur de nouveaux chemins, leur découverte plus belle que les

précédentes.L’amourtranscendaitleurcorpsàcorps,lesportaitdansdescontréesdeplaisirintense.Ilss’abandonnèrentaujeusensuelethardid’explorationssansfin.Leursbouchesrépétèrentàl’infinil’amourquilesunissaitd’unefrénésienouvelle,pleinedetendresseetdefougue.

–MoninconnueduPalace,soupiraBruceblotticontresapoitrine.Tuesmonparadissurterre.–Ettoi,monenfer,chuchota-t-elleencaressantsajouerâpeuse.Ilseredressa,unemouedésappointéesursonvisagechiffonné.–Tonenfer?C’estuncompliment,ça?–Non.C’estcequetuétaispourmoi.Est-cequeVickyettoi,vous…Ellesesentitrougirdeposerlaquestionquilatorturait,malgrélesaveuxd’amourdeBruce.–Nousquoi?Ils’amusaitvisiblementdesonembarras.–Tusaistrèsbiencequejeveuxdire!– Je crois, oui…Non, Rebecca. Je n’ai jamais couché avec ta sœur. Elle ne me l’aurait pas

permis.Saufhier soir,quand tuasdécidédeme l’offrirencadeaud’adieu.C’étaitde trèsmauvaisgoût.Tupensaisvraimentquej’allaistomberdanstonpiège?

–Cen’étaitpasunpiège,s’offusqua-t-elle,soulagéequ’ilaitrésistéauxcharmesdesasœur.–Non ?Moi, j’appelle çaunpiègedevouloir faire tomberunhommehonnêtedans les filets

d’unecroqueusedediamants!– Vicky n’est pas une croqueuse de diamants, marmonna-t-elle un rien de fidélité familiale

encoreaccrochéeàl’esprit.–Si.Tasœurn’estintéresséequeparuncompteenbanque.Jesuiscertainquesijeluiavaisdit

quelaBatmancovenaitdefairefaillite,elleauraitfuiàtoutevitesse.–Etàmoi,tuneledispas?–Non.Parcequetuesplusrichequemoi!répondit-il,ensourianteffrontément.Puisilfermasaboucheeffaréeparunbaiserlangoureux.–C’estpourçaquetu…–Non!Maisc’estunebellecerisesurlegâteau.Mêmesanslacerise,jeveuxbienmangerdu

gâteaupourlerestedemesjours.Mêmerassis!–«Rassis»?–Quandtuserasvieille,laide,ridée,grosse,jecontinueraiàtedéguster,promis!–Jenesuispascertainedenepasvouloirdivorcer,gémit-elledevantletableaudéprimantqu’il

faisaitdeleuravenir.Bruce rit deboncœur, la serra contre lui pour lui prouverqu’elle serait toujours laplusbelle

pourlui.– Vicky aussi est riche. Plus que moi, relança-t-elle, sans pouvoir s’empêcher d’espérer

l’entendrediredesméchancetéssursasœur.Ilseredressa,laregardadanslesyeux,unétonnementpétillantdanslesyeuxgris.–Tasœur?Riche?MadameWayne, ilseraitpeut-être tempsderépondreauxappelsdevotre

pèreoudevotremère!–Non.Ilsn’existentplus!–Si. Ils existent toujours et je compte bienquenos enfants tarabustent tonpère pour le faire

tournerenbourrique.Ilt’aime.Jenedispasqu’iln’estpascoupabled’avoirfaitbeaucoupd’erreurs,

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mais il veut s’amender.Nousne le changeronspas, lui et savision rétrogradede lavie,maisnouspourrionstoutdemêmelerendreplustolérant.

–C’estunemule.–Jeconnaisquelqu’undeplusmulequelui!Unchiennefaitpasunchat,affirma-t-il,unsourire

taquinauxlèvres.–Non.Jesuisdésolée,Bruce,maisjen’aijamaiscomptépoureux.Ilsm’onttoujoursconsidérée

commeunequantiténégligeable.IlsnesontfiersquedeVicky,MandyouElisabeth.Moi,jesuislevilainpetitcanard.

–Etlevilainpetitcanarddevientunmerveilleuxcygnequetoutlemondeadmire.Tutetrompessurlafiertéquetesparentspeuventavoirpourtessœurs.EtVickyt’enveutàmort.Évitedelacroiserpendantquelquesmois.

–Ça,jem’endoute.Elledoitmaldigérerquetumepréfèresàelle…Ellesavourasavictoired’unbaiserpossessifetilritdesafougue.–Jenetepréfèrepasàelle.Toi,jet’aime.C’esttotalementdifférent.Tut’esimposéeàmoi,un

pointc’est tout.Aucunepréférencedemapart,unesimpleévidence,murmura-t-ilcontreses lèvrestremblantes.

–Jet’aime.–Jel’espèrebien.Etpourtoninformation,tasœurnetedétestepasàcausedemoi,maisbien

parcequetondépartaprovoqué.–Mondépart?Queldépart?Monpèrem’ajetéedehorssanssommation,mamèrem’arejetée

alorsquej’avaisbesoind’elle,etmessœurssesontréjouiesdemonmalheurcommed’habitude.–Peut-être,maisMarshall apris consciencede ses erreurs lorsque tu esvenue levoir. Ilm’a

aussitôtappelépourm’expliquer,pourlalettre.–Tusavais?–Oui,machérie.Maistuesplusimpénétrablequetouteslesglacesdespôlesréunis.Jevoulais

t’enparler, seulement… impossiblede t’atteindre.Çam’aénervé.Tonpèreapris consciencede tavaleur,detonabnégationetdusoutienquetuasétépourluidepuissixans.Tuluiasouvertlesyeux.Conséquence, depuis deux mois, Vicky n’a plus un seul moyen de subsistance. Il lui a coupé lesvivres.C’estpourcetteraisonqu’elles’estjetéedanslesbrasd’Hamilton.Pourretrouverunpigeonassezriche.C’estaussipourquoielleasautédansmonlit,cesoir.Partafaute.

–Tuveuxdireque…–Tasœurestfauchéecommelesblés.Tonpèreluiamislemarchéenmain.Elletravaille,elle

obtient un salaire,mais plus aucun passe-droit. Plus de dot à 10millions de dollars. Si elle ne setrouvepasunmariricherapidement,ellevadevoirmettrelamainàlapâte.

–Jeconnaisletravailquepapavaluiproposer.Représentationavecsoiréesmondaines,bla-bla-bla…

Brucesemitàrire,effaçad’unbaiserlamouecontrariéesurseslèvresboudeuses.–Erreur,madameWayne!MlleAberdeendoitprouversavaleurentravaillantdansleshôtels.

D’après le bruit qui court, elle pourrait bien commencer comme serveuse au restaurant de l’hôteld’Atlanta dans quelques jours. J’étais sa dernière chance de ne pas finir habillée d’un joli tablierblanc.

–Non?soufflaRebecca,abasourdieparlesnouvellesdontBrucesemblaitcertain.–Si.C’estpourçaquetudoislaisserunechanceàtesparents.–Commentes-tuaucourantdetoutça?–Tonpèrem’appelledepuisdessemainespourquejetesuppliedeluipardonner.J’aitoujours

refusé.J’enaiprofitépourluidirequelquesvéritésbiensonnées.Malgrétout,ilcontinueàm’appeler,etnemegardepasrancunedemafranchise.

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–Tul’asapprivoisé?–«Apprivoisé»?Jedoutequetonpères’apprivoise.L’attendriravecquelquesbonscoupsbien

sentissembleplusefficace.Tuascommencé,j’aicontinué.Maisj’aimebiensesidéesmoralisatrices,dit-ilenlalovantcontrelui.

–Pourquoi?–Parcequej’ailaplusmerveilleusedesfemmes!Etlecadeauquetum’asfaitunecertainenuit

resteraleplusbeauprésentqu’unefemmepeutfaireàunhomme.Mêmesitut’estrompéd’homme,cela a scellénotredestin. Je compte interdire àmes fillesde coucher avecungarçon jusqu’à leursfiançailles.

–Ceseraàellesdechoisir.Etsinousavonsdesgarçons?Tuleurinterdirasdefairel’amouràunefemmeinconnuequiseglissedansleurlit?

–Non.Ilspourraientdécouvrirl’amourvrai.Ilssoupirèrentdumêmebien-êtreheureux,blottisl’uncontrel’autre.–Dis,tucroisqu’onpourraitvivreenFrance?murmura-t-elledansunbâillement.–Tuveux?–Oui.Jecroisquelà-bas,toutseradifférent.–Jeseraiobligédereveniricidetempsentemps.–Moiaussi.J’aiunhôtelàfairetourner.Pourassurernosarrières,sitespetitsjoujouxs’égarent

dansl’espace.Etpuis,jecroisquejevaisinstallerunegaleriepourartistesfauchésdanslehalletlessalonsdel’hôtel.Jean…

–PasdeJean!–C’estungaleristereconnuetilaimemesphotos.–Tesphotosoutoi?Rebeccaseredressaàpeine,posaunbaisersursoncœur.–Mesphotos.–J’aihâtedelesvoir.J’aihâtededécouvrirtoutcequevousavezcachésouslaglacedevotre

froideur,madameWayne.–Jen’aijamaisétéfroide.J’avaispeur,c’esttout,bredouilla-t-elled’unevoixemportéeparle

sommeil.–Jesuislàsituaspeur,monamour.Jeseraitoujourslàpourtoi,murmura-t-ilenembrassantsa

cheveluresoyeuse.Illareconnaissaitenfin,etsoncœurpalpitaitdemilliersd’étincellesdebonheur.–Jet’aimemonamour,murmura-t-elleavantdes’endormir.Brucefermalesyeuxsursonbonheur.– Je t’aime ma femme chérie, chuchota-t-il contre son oreille fine, son souffle apaisé d’être

arrivé à bon port, son paradis semé d’étoiles, de reflet de lune dans la glace parfaite d’un regardbrûlant.

Illaserracontrelui,recouvritleurscorpsdudrap,savouralavievibranted’amourqu’unsimplesouffleapaisésursapoitrineallumaitdanssesveines.

Uneviepleined’amour,defabuleusesdécouvertes.Comme le paradis qu’unemystérieuse inconnue lui avait offert comme un ange descendu sur

terre.Sonange.Safemme.

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ISBN:9782280363198

Tousdroitsréservés,ycomprisledroitdereproductiondetoutoupartiedel’ouvrage,sousquelqueformequecesoit.Celivreestpubliéavecl’autorisationdeHARLEQUINBOOKSS.A.Cetteœuvreestuneœuvredefiction.Lesnomspropres,lespersonnages,leslieux,lesintrigues,sontsoitlefruitdel’imaginationde l’auteur, soit utilisés dans le cadre d’une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, des entreprises, desévénementsoudeslieux,seraitunepurecoïncidence.HARLEQUIN,ainsiqueHetlelogoenformedelosange,appartiennentàHarlequinEnterprisesLimitedouàsesfiliales,etsontutiliséspard’autressouslicence.

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