Pour en finir avec les apprentissages en porte-à-faux : le ... · proposée par Jalbert (1997),...

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Caractères 4 2/ 2001 18 Alexia Forget __________________________________________________________________ Pour en finir avec les apprentissages en porte-à-faux: le portfolio? ______________________________ Si la démocratisation de l’enseignement a fait son chemin, il reste encore à démocratiser l’apprentissage: le portfolio peut-il aider à relever ce défi? _______________________________ 'approche par compétences présente des implications pédagogiques de taille. Au niveau de ses intentions il va sans dire que la réforme des socles de compétences (Ministère de la Communauté française, 1999) est séduisante. Une fois que l'on se risque par contre à poser la question du «comment», les silences sont éloquents. Les enseignants manqueraient donc de moyens pour mener à bien cet ambitieux programme. Parce qu'un changement au niveau des intentions pédagogiques devrait, pensons- nous, toujours aller de pair avec une réflexion sur les démarches et les outils nécessaires à sa mise en œuvre, nous proposons un instrument susceptible de favoriser l'intégration, dans les classes, de ces principes novateurs: le portfolio. Si l’on se réfère à la classification proposée par Jalbert (1997), notre outil s’apparente au portfolio de type dossier d’apprentissage sans pour autant en satisfaire toutes les dimensions 1 . Le dossier d'appren- tissage s'intéresse au cheminement de l'élève; il se consulte à l'instar d'un album qui raconte l'histoire d'un enfant qui apprend. Tel que nous l'envisageons, le portfolio servira prioritairement l'engagement de l'élève dans le processus d'apprentissage. Concrètement, il s’agira d’une sélection de travaux accompagnés de réflexions de l’apprenant; le portfolio constituera, en cela, un support au développement chez l’élève d'une capacité d'autoévaluation et de réflexion métacognitive. Une innovation pédagogique ne constitue un atout majeur que si elle profite en priorité aux élèves qui ne réussissent pas à l'école. Les autres, mieux adaptés, feront de toute façon leur chemin, quelles que soient les conditions. En effet, si la démocratisation de 1 En effet, une démarche pédagogique qui ambitionne de rendre visible les progrès des élèves et leurs processus d’apprentissage nécessite un temps qui dépasse celui de cette étude, à savoir trois semaines. L

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Caractères 4 2/ 2001

18Alexia Forget __________________________________________________________________

Pour en finir avec les apprentissages enporte-à-faux!: le portfolio!?

______________________________Si la démocratisation de

l’enseignement a fait son chemin,il reste encore à démocratiserl’apprentissage!: le portfolio

peut-il aider à relever ce défi!?_______________________________

'approche par compétences présentedes implications pédagogiques detaille. Au niveau de ses intentions ilva sans dire que la réforme des socles

de compétences (Ministère de la Communautéfrançaise, 1999) est séduisante. Une fois quel'on se risque par contre à poser la questiondu «!comment!», les silences sont éloquents.Les enseignants manqueraient donc demoyens pour mener à bien cet ambitieuxprogramme.

Parce qu'un changement au niveau desintentions pédagogiques devrait, pensons-nous, toujours aller de pair avec uneréflexion sur les démarches et les outilsnécessaires à sa mise en œuvre, nousproposons un instrument susceptible defavoriser l'intégration, dans les classes, deces principes novateurs!: le portfolio.

Si l’on se réfère à la classificationproposée par Jalbert (1997), notre outils’apparente au portfolio de type dossierd’apprentissage sans pour autant en satisfairetoutes les dimensions1. Le dossier d'appren-tissage s'intéresse au cheminement del'élève!; il se consulte à l'instar d'un albumqui raconte l'histoire d'un enfant qui apprend.Tel que nous l'envisageons, le portfolioservira prioritairement l'engagement del'élève dans le processus d'apprentissage.Concrètement, il s’agira d’une sélection detravaux accompagnés de réflexions del’apprenant!; le portfolio constituera, en cela,un support au développement chez l’élèved'une capacité d'autoévaluation et deréflexion métacognitive.

Une innovation pédagogique ne constitueun atout majeur que si elle profite en prioritéaux élèves qui ne réussissent pas à l'école.Les autres, mieux adaptés, feront de toutefaçon leur chemin, quelles que soient lesconditions. En effet, si la démocratisation de 1 En effet, une démarche pédagogique qui ambitionnede rendre visible les progrès des élèves et leursprocessus d’apprentissage nécessite un temps quidépasse celui de cette étude, à savoir trois semaines.

L

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19l'enseignement a fait école, il reste encore àdémocratiser l'apprentissage!; le portfoliopeut-il aider à relever le défi!? Nous sommesmoins préoccupée ici de chercher àconfirmer la pertinence pédagogique d'un teloutil que de poser des questions d’ordredémocratique et pragmatique!: à quels élèvesprofite le portfolio et quelles sont les conditionsnécessaires pour que cet outil soit au service detous les élèves ?

Pour répondre à ces questions, il nousfaut décrire l'investissement que font les élèves(forts et faibles) de l'outil, les bénéfices qu'ils enretirent, pour ensuite comparer ces données etaboutir à des hypothèses. C'est donc la méthodecomparative qui guidera notre étude!; nousviserons, à travers l'analyse qualitative dedifférents profils d'élèves, à identifier desrelations entre leur niveau initial (et/ou laperception qu’ils en ont) et leur investisse-ment dans le processus.

Options théoriques2

Notre cadre théorique, qui adopte lespostulats socioconstructivistes, reposeégalement sur d'autres courants de recherchetels que l 'évaluat ion formative,l'autoévaluation et la métacognition.

Selon Vygotsky (1985), l’apprentissage(social, externe) précède le développement(individuel, interne). Ce sont ses échangesavec l’adulte qui permettent au noviced’accéder à des opérations mentales élabo-rées qu’il transformera ensuite en processuscognitifs intériorisés. Deux conditions sont àremplir pour que l'apprentissage donne lieuà un développement!:1. les interactions, entre l'expert et l'enfant,

doivent permettre la formation d'une“ zone de développement proche q u eVygotsky (ibid. p.108) définit comme «!ladifférence entre le niveau de résolution deproblèmes sous la direction et avec l'aided'adultes et celui atteint seul!».

2. l'adulte doit pratiquer ce que Bruner(1983) appelle, dans son prolongementdu concept vygotskien de zoneproximale de développement, l’étayage.

Le concept de métacognition quant à luise situe au confluent de différents courantsde recherche, dont notamment la thèsevygotskienne concernant la médiation socialede l'apprentissage. L'interaction sociale serait àl'origine des apprentissages tant conceptuels(savoirs) que de nature «!supérieure!» 2 Nos tentatives de théorisation de l’outil s’inscriventdans le sillage des travaux de Vanhulle (2000).

(métacognitive) tels que l'autorégulation.Ainsi, l'interaction livre non seulement desconnaissances à l'élève, mais aussi lamanière de les construire et de les utiliser.

Notre action s’inscrit également dans uneperspective d’évaluation formative visantdonc la régulation des processus d’enseigne-ment et d’apprentissage via un recueild’informations en cours d’apprentissage.Pour ce faire nous privilégions les régula-tions de type interactif (Allal, 1979) tellesque!:a) le dialogue avec le formateur!: ce dialogueprend place au moment où l’élève estconfronté à un problème. L’enseignantinterfère alors – à chaud – avec ses processusde pensée. Le guidage fourni par l’expertrelève d’une perspective néovygotskienne del’étayage dans laquelle les conduites del’apprenant (tâtonnement, questions,…)influencent le déroulement de l’interaction,commente Allal (1999).b) les échanges entre élèves!;c) l’exploitation d’un matériel régulateur!: ils’agit d'outils d'évaluation qui favorisentchez l'élève une distanciation vis-à-vis de saproduction en l'informant des multiplesexigences de la tâche!; leur but est de créerchez l'élève un réflexe de contrôle afin qu'ildevienne de plus en plus autonome.

Si l'on suit les thèses de base duconstructivisme3, toute régulation ne peutêtre en dernière instance qu'autorégulation,!cequi limite le produit de l'action éducative àl'activation de démarches autorégulatrices.Mais avant de réguler un processus, il fautd'abord être capable de l'évaluer. Enprocédant à une autoévaluation, l'enfantévalue sa propre démarche, ou le produit desa démarche (en se servant éventuellementd'un référentiel externe). Sa conduiteautoévaluative se prolonge, dans le meilleurdes cas, en autorégulation.

Par ailleurs, si les études en pédagogieappréhendent souvent l'élève comme unindividu isolé, Perkins (1995) le considère,lui, comme un système constitué del'individu plus son environnementphysique (livres, ordinateurs, dossiers…) etsocial. Pour cet individu-plus, le siège où estconservée l'information est secondaire parrapport aux possibilités d'accès à cette mêmeinformation. La fonction de m é m o i r ed’apprentissage que nous assignons auportfolio illustre cette perspective. Grâce aux 3 Aucune intervention extérieure n'agit si elle n'est perçue,interprétée, assimilée par un sujet (Perrenoud, 1993, p.41).

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20informations conservées sur ce support, lamémoire de l'apprenant se voit soulagée detoute une série de faits et procéduresauxquels il ne recourt que de façonponctuelle, augmentant par là même sonespace de traitement disponible.

Les traces laissées par l'apprentissage et lapensée sont ainsi distribuées entre l'esprit del'apprenant et ses instruments de travail.Dans une telle perspective, estimer le niveaude développement actuel de l'enfant revientà apprécier tant ce qu'il sait de mémoire quel'exploitation qu'il peut faire de sonenvironnement physique et social. Ainsi leniveau de développement actuel devient ceque l'enfant peut faire sans l'adulte, mais avecles ressources de son environnement, élevantainsi son pouvoir d'action autonome et, parconséquent, sa zone proximale dedéveloppement. Une telle approche permet detirer un profit maximal de la présence del'adulte qui, déchargé de sa fonction detransmetteur, peut consacrer son guidage àdes problèmes de niveau supérieur.

Enfin, nous appréhendons le portfoliocomme un «!micro-outil!» au service del'appropriation de l'instrument sémiotiqueplus général qu'est le langage, convaincueque le niveau de maîtrise du langage atteintpar un individu détermine le degréd'élaboration de sa pensée. En outre, par lesretours réflexifs sur l'action qu'il suscite, leportfolio stimule l'enfant à utiliser la languetel un instrument d'aide à la prise deconscience, au contrôle de ses activités et à laconceptualisation de ses apprentissages.Méthodologie

Notre action (Forget, 2000) prend placedans une classe de 5e et 6e années primaires,comptant 19 élèves, issue d'une école de larégion verviétoise. Parmi la multituded'objets d'apprentissage possibles, nousavons choisi de travailler les capacitésargumentatives4 des enfants, et ce, sur lethème des jeux vidéo.

4 La terminologie relative au type argumentatif ne faitpas l'unanimité des chercheurs. Nous avons opté pourles positions défendues par Schneuwly (1998). Selonl'auteur, les genres – outils psychologiques et sociauxservant à structurer la communication – sont desdiscours qui correspondent à des lois. Ces genres sedéclinent à travers toute une série de types dediscours, oraux ou écrits, si bien que pour défendreune position, je peux développer un discours narratif,argumentatif, informatif ou explicatif. Le genreargumentatif se sert donc de différents types de textespour argumenter, ce qui réduit à néant toute tentativede distinction formelle entre des types de textes.

Une difficulté propre au genreargumentatif tient au fait que les objets del’argumentation sont presque entièrement àreconstruire. L’élève ne dispose pas d’unmodèle d’organisation externe, ni d'un planstructuré!: seules les réflexions desinterlocuteurs guident l’argumentation.

En situation orale, le sujet est soumis àune triple contrainte!: il doit à la fois – etdans un temps limité – justifier sa position ettenir compte des interventions de soninterlocuteur. Cependant, à l’oral, laconstruction d'un discours est facilitée par laprésence d'arguments et de contre-arguments produits par les pairs, chacunpouvant prendre appui sur ce qui vientd'être dit. Par contre, en situation écrite,l'enfant est amené à traiter la dimensiondialogique de l'argumentation à l'intérieurd'une activité d'écriture monologique. Lelocuteur doit donc faire un effort dedécentration pour envisager les argumentsque son destinataire, physiquement absent,pourrait lui opposer. La situation écritesemble présenter plus de problèmes auxélèves que les discours argumentatifs tenusoralement.

Si l'argumentation n’est que rarementl'objet d'enseignements à l'école primaire,certains établissements réservent néanmoinsdes moments pour argumenter à partird'enjeux réels en organisant des conseils declasse. Ces débats peuvent être le creusetd'apprentissages langagiers divers, laplupart du temps régulés en cours deproduction, de manière implicite. Ce moded'apprentissage de la langue (par immer-sion) rejoint celui existant en dehors del'école. Il peut convenir à l'acquisition decomportements peu normés (échangesverbaux et familiers), mais devient insuffi-sant, nuance Weiss (1993, p.16), pour desapprentissages hautement normés commel'argumentation. Ces constats appellent à ladiversification méthodologique!: à côté desapprentissages “par immersion”, il importedonc de mettre en œuvre des «!interventionsconstruites, nécessaires à l'apprentissage decomportements communicatifs complexes!»(Weiss, ibid, p.117).1. Séquence didactique et démarche

portfolioL’appellation «!séquence didactique!» fait

référence à un type précis d’enseignementproposé par Dolz & Schneuwly (1998). Cetenseignement s’apparente à un ensemble depériodes scolaires organisées de manière

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21systématique autour d’une activitélangagière (exposé, débat public,...) etinscrites dans un projet de classe. Notretableau 1, repris du schéma de Dolz &Schneuwly (ibid.p.94), présente la structurede base de la séquence didactique surlaquelle nous avons greffé une démarcheportfolio. A ce propos, notons que laspécificité de cet outil tient au fait que lesobjectifs qui lui sont assignés évoluent au grédes étapes de sa mise en œuvre.

La mise en situation (A) introduit lesélèves dans la séquence!; elle sert à présenterà la classe le projet de communication. Ils'agit pour l'enseignant de présenter auxélèves le projet collectif de production et soncontenu (ici, défendre sa position parrapport aux jeux vidéo lors du conseil declasse). Afin de préparer les élèves aucontenu à traiter nous les avons invités à lireun ouvrage traitant du sujet!: Max est fou dejeux vidéo (Gallimard, 1995). Suite à cela, unediscussion a pu être amorcée.

Lors de la production initiale (B) il s’agitpour les élèves de tenter une premièreréalisation de l’activité langagière visée, avecles moyens dont ils disposent. La productioninitiale de notre séquence est double!: elleconsiste d'une part en la rédaction d'une listed'arguments et d'autre part en sonexploitation lors d'un conseil de classe, cedernier é t a n t le point de départ etd'aboutissement de notre séquencepédagogique, son élément organisateur.

Les ateliers (C) permettent à la fois detraiter différents aspects essentiels du genreet d'aborder plus spécifiquement certainsproblèmes apparus dans la productioninitiale, actualisant par là même laperspective d’évaluation formative. Voici, à

titre indicatif, les objectifs poursuivis danschacun des ateliers!:

Atelier 1Objectifs!:ÿ Se construire une représentation

minimale de ce qu'est l'actiond'argumenter!;

ÿ R e c o n n a î t r e une opinion d'unejustification!;

ÿ Identifier le message général véhiculépar différents textes portant sur un thèmecommun, sur base d'indices repérés dansle texte!;

ÿ Identifier des arguments (positifs etnégatifs) dans des textes qui argumententvia un procédé narrat i f , in f o rmat i f ,argumentatif ou publicitaire!;

ÿ Classer des textes suivant le procédéutilisé par l'auteur pour convaincre lelecteur!;

ÿ Repérer différents procédés utilisés pourargumenter.

Atelier 2Objectifs!:ÿ Reconnaître

- un argument “pour”, un argument“contre” d'un non argument!;

- un argument faible ou fort et lespositionner correctement dans un texte!;

- un argument faisant appel à la raison ouaux émotions.

Atelier 3Objectifs :ÿ Organiser un texte argumentatif

(présentation du problème, prise deposition, chaîne d'arguments, conclusion)!;

ÿ Reconnaître et utiliser des organisateurs(cause – conséquence) à bon escient.

_____________________________

Tableau 1

Projet de classe

Mise ensituation (A)

Atelier - Atelier - Atelier – Atelier (C)

Séquence didactique

Productioninitiale (B)

Productionfinale (D)

Phase 1L’élève inclut tous les documents dans son portfolio

Phase!2Le tri

Phase 3L’entretien

Phase 4Référentiel

Séquencedidactique

Démarcheportfolio

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22Figure 1

! Le film des apprentissages de ……………… : arrêt sur image ;

Aujourd'hui,……………………………………(date) ………………(heure),je décide d'appuyer sur «!pause!» pour expliquer quelque chose qui m'a marqué.

Il s'agit :1) d'un apprentissage nouveau que je trouve particulièrement intéressant!;2) d'une difficulté (………………………………..……) que je suis parvenu à surpasser grâceà……………………..!;3) d'un point qui me pose vraiment problème!;4) de quelque chose que je pense avoir particulièrement bien compris.5) d'autre chose!: ……………………………………….

J'explique!:

…………………………………………………………………………….…

Enfin, l’étape de la production finale (D)constitue l'aboutissement de la séquencedidactique et lui donne rétrospectivementtout son sens. Il s’agit, en réalité, de réaliser ànouveau le projet de communication (conseilde classe) en mettant cette fois-ci en pratiqueles savoirs élaborés et les divers «!outilssémiotiques!» (ibid.p.94) abordés dans lesateliers.

Et qu’en est-il du portfolio!?La phase 1 couvre la mise en situation, la

production initiale, et les ateliers. Durantcette longue phase du processus, les élèvesincluent dans leur portfolio tout documentrelatif à notre intervention. Si le portfolioprend ici l'allure d'une simple “farde derangement”, sa spécificité tient – à ce stade –aux caractéristiques pédagogiques desactivités proposées et des évaluationspratiquées. A ce propos notre approche vise,par différents moyens, à susciter l'engage-ment de l'élève dans ses apprentissages. Nosfiches "arrêts sur apprentissage", parexemple (figure 1), systématisent lequestionnement chez l'élève et l'incitent àjuger ses savoirs. Notons que chacun estlibre d'y livrer ses impressions quand bon luisemble.

Ces fiches sont de nature multi-fonctionnelle. D'une part elles visent à donnerdu sens aux apprentissages en incitant l'élève àse positionner par rapport à ce qu'il fait enclasse. En l'amenant à conceptualiser ce qu'ilapprend ces fiches servent égalementl'engagement de l'élève dans ses apprentis-sages. D'autre part, inviter les enfants àcommuniquer leurs impressions est unefaçon pour l'enseignant de marquer sonrespect vis-à-vis de ses élèves . Ceci, à conditionbien sûr de prendre ces informations enconsidération. En même temps, par

l'autoévaluation qu'ils suscitent, ces arrêts surimage, aident l'élève à mieux connaitreîsesforces, ses difficultés et ses intérêts. Et enfince type d'outil est aussi profitable en matièrede régulation d'enseignement!: il dispense,en effet, une somme précieuse derenseignements à l’enseignant. En voiciquatre illustrations.

1

La quatrième proposition est valorisantepour l’élève puisqu’elle met l’accent sur sesforces en l’invitant à faire part de ce qu’il aparticulièrement bien compris. En reformulantde ses propres mots l’apprentissage réalisé,l’élève renseigne le formateur sur le niveaud’élaboration de ses connaissances. Il estamusant de remarquer qu’en exposant cequ’il croit avoir particulièrement bien comprisl’élève permet en fait simultanément àl’enseignant d’apprécier sa compréhensionet partant, ses capacités métacognitives.Suite à cela, le formateur peut intelligem-ment orienter ses interventions.

Si la plupart des élèves font exclusive-ment référence, dans leurs fiches, à desapprentissages «!matière!», certains, cepen-

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23dant, renvoient aussi à des réflexions d’ordremétacognitif!:

2

3

Il arrive également qu’un élève cocheplusieurs cases, nuançant ainsi ses propos.Dans l’exemple qui suit, ce choix indique unlien entre d’une part la bonne compréhensiond’un apprentissage et, d’autre part, soncaractère particulièrement intéressant, sanstoutefois donner d’indication sur le sens decette relation.

4

L’élève fait part de son intérêt pour laséance des saynètes et mentionne un autreapprentissage – d’ordre affectif – effectué àtravers cette activité. Cette dernièreremarque traduit une capacité à analyser sesactions.

Pierre angulaire du processus, le tri(phase 2) conduit l'élève à réfléchir à ce quechacun des documents colligés dans sa fardereprésente pour lui. Ce moment donnerétrospectivement tout son sens aux activitésorganisées puisqu'il invite l'enfant àconstruire et/ou formaliser une significationpersonnelle à chacun des documents. Cetteétape, essentielle, consiste en un travailindividuel de réflexion intense au coursduquel l'élève est amené à!:ß s'approprier les consignes (présentées sur

la fiche de justification -cf. figure 2)déterminant le type de documents àinsérer dans le portfolio!;

ß analyser un à un ses documents pourleur donner une signification personnelleeu égard à ces consignes!;

ß choisir les documents les plusreprésentatifs et expliquer, pour chacunet par écrit, les raisons de ce choix.

Figure 2Fiche de justification du document intitulé!:!……………………..…………………………..……….……

Ce document (coche la phrase qui le décrit le mieux)!:1. va certainement me servir pour argumenter une prochaine fois (au conseil ou ailleurs) et je ne veux absolument pas

l'oublier!;2. m'aide très fort à comprendre ce que c'est «!argumenter!»!;3. m'aide vraiment à mieux me connaître comme argumentateur!(à l'école ou ailleurs);4. m'aide beaucoup à progresser dans l'argumentation. parce que………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..

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24A ce stade, prend forme le portfolio au

sens d'une collection organisée, sélective etsignificative de travaux accompagnés deréflexions de l'élève. Notons que, sil'élaboration de l'outil est capitale, une foisterminé, ce recueil devrait continuer à existeren tant que mémoire d'apprentissage o uréférentiel personnel au service de l'enfant quiapprend. Certains élèves semblent d’ailleursde cet avis!:

A

B

D’autres «!individus-plus!» envisagent demanière plus concrète l’exploitation futurede leur dossier.

C

D

L’élève suivant fait davantage référence ànotre approche – constructiviste – del’enseignement qu’au portfolio lui-même. Eneffet, faire construire les savoirs par lesélèves en facilite à la fois l’appropriation et lacompréhension.

E

Enfin, certains élèves se réjouissent depouvoir visualiser, grâce au portfolio, lesprogrès qu’ils ont réalisés.

F

Lors de la phase 3, celle de l’entretien, leportfolio devient un outil au cœur des échangesentre l'instituteur et ses élèves, un ensembleorganisé pour faciliter la réflexion de l'élève avecson enseignant, une base pour examiner lesprogrès, les besoins de l'élève. La pratique del'entretien repose sur l'idée selon laquellel’élève a besoin d'être guidé pour évaluer ses

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25comportements, ses méthodes et, parconséquent, pour prendre en charge sesapprentissages. Concrètement il s'agit d'unediscussion sur le contenu du portfolio oùélève et enseignant confrontent leursimpressions. A l'aide de questions ouvertes5,l'adulte stimule la réflexion de l'élève etl'aide à exprimer ce qu'il a en tête, à clarifierses propos, de sorte qu'il prenne consciencede ses stratégies, de ses forces et de sesfaiblesses. Ce dialogue est une occasionofferte à l'élève pour poser des questions àson enseignant, pour lui parler de sesdifficultés, de ses intérêts, mais aussi pourmontrer ce qu'il sait faire et comment ilprocède. Par son écoute attentive,l'enseignant fait sentir à l'élève que ses idées,ses documents, ses choix, ses commentairesécrits… sont dignes d'intérêt.

Suite à l'entretien, l'élève devrait avoirune idée plus précise de ses habiletés, de sesintérêts, de ce qu'il doit faire pour continuerà progresser mais aussi du rôle que peutjouer son portfolio. Le formateur aussi peuten retirer des informations précieuses sur sesélèves, sur leurs besoins, leurs attitudes et,partant, orienter son enseignement enconséquence.

Enfin, en phase 4, lors de la préparationde la production finale6, le portfolio devientpour l'élève un référentiel significatif auquelil recourt de manière libre et autonome poury puiser des informations. L'élève agit alors,au sens de Perkins (1995), en tantqu’individu-plus.2. Instrumentation

Afin de disposer d’un test diagnostic,nous avons élaboré une épreuve écriteportant sur l'argumentation!; elle permet desonder le niveau des élèves et, partant, deguider le choix des cas à observer plusfinement7. Ce questionnaire est constitué dedeux parties!: la première porte sur lesconnaissances déclaratives des élèves enmatière d'argumentation!; la seconde partiedu test vise à sonder les connaissancesprocédurales des élèves.

5 Ex!: comment t'y prends-tu pour écrire un texte, que fais-tu quand tu n'as plus d'idées!?6 Nous pensons ici à la liste d'arguments.7 En outre, nous disposons d’autres sourcesd'informations, informelles. Effectivement, la mise ensituation,!la production initiale!tout comme le conseil declasse!sont très informatifs quant aux capacités desélèves et peuvent donc orienter nos choix. L'institutriceest aussi une précieuse source d'informations par laconnaissance qu'elle a de chacun de ses élèves.

Si le niveau – faible ou avancé – d'unélève risque d'influer sur son engagementdans les tâches scolaires et donc sur sesrésultats (Bloom, 1979), c'est plusprécisément la perception qu'il se fait de sescapacités qui sera déterminante (Bandura,1977, 1982, cité par Bottomley, Henk etMenlick, 1997, p.287), justifiant par là mêmel’élaboration d’un questionnaire d’attitudes.Pour ce faire, nous nous sommes inspirée dela WRITER SELF-PERCEPTION SCALEélaborée par Bottomley, Henk et Menlick(1997). Notre questionnaire vise l'évaluationde ce que nous appelons la perception de soicomme argumentateur8 à travers 12 itemstraitant d'habiletés générales relatives àl'argumentation, chaque item représentantune des trois échelles suivantes ! :performances propres, comparaison sociale,feedback social. A chaque item est attribuéun score unique!: un point dans le cas d'uneréponse positive, -1 dans le cas d'uneréponse négative et 0 pour les hésitations (Jene sais pas). On se reportera au tableau 2.

L'objectif premier de ce questionnaireconsiste à identifier les élèves dont laperception est soit très négative, soitfortement positive, afin de créer des groupescontrastés. Par ailleurs, ce questionnaire estun complément de choix – voire un préalableindispensable – à une démarche «!portfolio!»qui, soucieuse d'appréhender l'enfant dans laglobalité, lie données affectives et cognitives.

Le post-test relatif au questionnaire“matière” visera à s'assurer des progrèsaccomplis par les élèves dans le domaine del'argumentation. Pour ce qui est duquestionnaire d'attitudes, il ne s'agit pas àproprement parler d'un post-test. De fait,nous sommes consciente du fait qu'un travailsur la perception de soi nécessite plus detrois semaines pour générer des résultatsvalides. La deuxième administration de cetest nous intéresse moins pour les résultatsque pour le processus d'autoévaluation danslequel elle engage l’élève en lui demandantde se repositionner. En effet, nous pensonsqu'inviter l'enfant à compléter à nouveau cequestionnaire, c'est lui donner une occasionde sentir qu'il a évolué.

8 Notons que nous avons administré ce questionnaireaprès avoir laissé le temps aux élèves de se construireune représentation correcte et illustrée, de l'acted'argumenter.

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26Tableau 2

Prétest!: perception de soi en tant qu’argumentateur

Je suistout à faitd'accord

Je suisd'accord

Je ne saispas

répondre,j'hésite

Je ne suispas

d'accord

Je ne suispas du tout

d'accord

J J K L L1 . J'argumente mieux que tous les autres élèves de ma

classe2 . En général, quand on me parle d'un sujet je sais

facilement expliquer pourquoi je suis pour ou contre3 . Mes camarades de classe pourraient dire que

j'argumente bien4. Quand je veux convaincre quelqu'un je trouve toujours

de bons arguments

5. Mon institutrice pense que je suis un bon argumentateur6 . En conseil de classe, j'argumente plus souvent que

certains élèves de ma classe7. Dans ma vie, j'arrive à obtenir ce que je veux parce que

j'argumente bien

8. Je trouve souvent plus d'arguments que certains élèves

9. Dans ma famille on trouve que j'argumente bien10. Je ne parviens pas à argumenter, à expliquer pourquoi je

pense quelque chose1 1 . Mes arguments sont plus intéressants que ceux de

certains enfants12. D'autres enfants de la classe pensent que j'argumente

bien3. Échantillon théorique

Nous avons sélectionné nos sujets selondeux variables spécifiques!: 1) Lesperformances scolaires (très bonnes ou trèsfaibles)!; 2) Le score au test d'autoperception (fortou faible). En croisant nos critères nous avonsabouti aux 4 cas de figure suivants!:

Performances - Performances +

Autoperception - Elève 1Elève 2Elève 3

Elève 4Elève 5Elève 6

Autoperception + Elève 7Elève 8

Résultats et interprétation1. pour l’ensemble des élèvesLes sollicitations à l'écriture!: ce qu'ils enfont

Notre dispositif exploite énormément lesupport écriture pour récolter desinformations à la fois nécessaires à sonfonctionnement et à son évaluation (avisd'élèves, …). Certains élèves semblent, aposteriori en tout cas, avoir apprécié pouvoir

communiquer leur avis!; ils ne représententcependant pas la majorité. «!Ils n'aiment pas écrire…!»

En effet, l'idée d'exprimer par écrit sesimpressions d'apprenant éveille certainesréticences chez la plupart des élèves. Al'opposé d'un outil au service de la pensée,l'écriture est appréhendée tel un ennemi àcombattre. On imagine d'ailleurs aisément,dans ce contexte, un enfant demander encours d'exercice si “on doit écrire” plutôt quesi “on peut écrire”… Il n'est pas étonnant queces enfants redoutent l'acte d'écriture si onl'associe simultanément – et paradoxalement– à des exigences immédiates de fond et deforme, au détriment du processus de“construction”. Poursuivre deux objectifs àla fois, contradictoires de surcroît, conduit àl'évidence à l'échec et, de ce fait, engendrechez les élèves des sentiments de frustrationet d'incompétence. Plus que de permettre cepassage par la plume, favorable à l'envol dela pensée, il convient – selon nous –d'encourager les élèves à évoluer à traversleurs «!ratures!» et brouillons.Feuilles distribuées!: affaire classée!?

Très souvent, alors que nous distribuionsdes feuilles aux enfants, celles-cidisparaissaient simultanément. La plupart

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27des élèves de notre classe avaient en effetpour manie d'enfermer chaque documentdans leur portfolio, à l'abri des ventsviolents. Certains gardiens avertis allaientjusqu'à croiser les bras sur leur portfolioimpeccablement disposé au centre du banc,parallèlement aux arêtes du bureau. Ilsemble donc que pour ces élèves au plus vitec'est rangé, au mieux c'est. Plutôt que defaciliter le travail, ce mécanisme d'emballageautomatique parasite le processus d'appren-tissage et limite fortement les possibilités deretour sur des productions antérieures. Unélève, par exemple, n'a pas hésité à sceller depapier collant une farde en plastique abritantun document. Tout ceci nous amène à penserqu'un portfolio d’un autre type que le“dossier d'apprentissage”, tel que le dossierde présentation qui invite l’élève àsélectionner ses meilleurs travaux, auraitsans doute posé moins de difficultésd'adaptation à ces élèves.

Cette manie du rangement se prête àplusieurs interprétations. Nous pourrionsimaginer que par ce comportement les élèvescherchent à réguler l'enseignement en enralentissant la cadence. Par ailleurs, le fait decacher des documents peut également êtreune façon de les nier, de ne pas vouloir enentendre parler. Mais d'un autre côté, n'est-ilpas tout aussi courant d'enterrer ses trésors ?Le tri!: une tâche nouvelle

Malgré le caractère inhabituel desconsignes liées au tri (peu propice à lacomparaison entre élèves), certains enfantsn'ont pu s'empêcher de réduire leur portfolioà une note chiffrée établie sur base dunombre de documents retenus – afin depouvoir mieux comparer leur tri à celui desautres. Cette anecdote n'a en fait riend'étonnant!: elle illustre l'influence ducontexte scolaire sur le comportement desenfants. Baignés, pour la plupart, dansl'évaluation normative depuis leur premièrescopies, ces élèves se sont tout naturellementadaptés à ce que proposait le système.2. Élèves faibles - élèves forts!: ce qui lesséparea) Influence du niveau initial surl'investissement

Premièrement, les élèves fa ibles secaractérisent par une compréhension moinsfine des consignes!; ce constat s'appliqueaussi bien aux consignes de travail qu'auxinstructions spécifiques à la démarcheportfolio (tri, arrêts sur apprentissages,entretien,…). Ensuite, lors des auto-

évaluations, les commentaires des élèvesmoins performants comptent davantage determes vagues, d'explications affectives oud'abstentions que ceux de leurs pairs. Quantaux arrêts sur apprentissage, c'est sans doutece qui sépare le plus nettement nos deuxgroupes. Alors que les plus faibles utilisentexclusivement ces fiches pour communiquerleur appréciation,! les autres exploitentdavantage ce support pour faire référence àdes apprentissages. Ils n'hésitent pas, parexemple, à faire allusion à une difficulté ou àexpliquer comment ils ont surmonté unobstacle. Ces deux énoncés ne sont parcontre jamais utilisés par les plus faibles.Ceci peut sans doute s'expliquer par undouble manque!: d'une part ces élèves nemaitrisent pas suffisamment le langagescolaire pour se référer à des points dematière précis!; d'autre part ils n'exerceraientprobablement pas un contrôle suffisant surleur compréhension (lors des activités) pourlocaliser avec précision les notionsincomprises.

Bien que le tri ait été guidé par desconsignes précises, les choix de certainsélèves semblent avoir été “filtrés”! par uncritère transcendant!: leur compréhensiondes documents. Ce constat s'appliqueparticulièrement à deux élèves faibles quiprofitèrent en quelque sorte du tri pouréloigner d'eux les mauvaises copies!; autrementdit pour se construire une farde sur mesure,adaptée aux dimensions de leur développementa c t u e l . Le fait de rejeter tous lesapprentissages en construction peut sembler,dans une perspective vygotskienne, quelquepeu minimaliste, certes. Cependant une telleattitude nous apprend que ces enfants neconsidèrent pas de manière indifférenciée lesdocuments rassemblés en cours d'expéri-mentation. S'ils manquent de mots pourpointer précisément leurs difficultés ilsdistinguent néanmoins (et c'est heureux) lespièces non comprises des autres. Quant auxforts, ils sélectionnent plutôt les documentsqui leur semblent les plus utiles et intéressants,pouvant leur servir plus tard ou encore où ilsapprennent le plus.

Pour terminer nous dirons que les élèvesfaibles accordent une valeur esthétique àl'outil!: coloriage, protection et beautésemblent faire partie, à leurs yeux, desingrédients d'un portfolio réussi. D'ailleurs,leur table des matières annonce à elle seulela couleur !: les trois élèves dits faibles ontchacun colorié et/ou plastifié celle-ci. Lesautres non.

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28Nous aboutissons finalement à l'hypo-

thèse!générale suivante!: Les élèves faiblesemprunteraient une voie esthético-affectivepour entrer dans le processus!; les autresinvestiraient l'outil de manière pluscognitive. Cette hypothèse fait directementécho à la notion d'intelligences multiples(GARDNER, 1983!; WEBER, 1999, cités parB É L A I R , 1999) puisqu'elle concerne lamanière dont les élèves entrent en contactavec l'apprentissage. Une fois conscient dutype d'entrée privilégiée d'un élève,l'enseignant peut exploiter cette informationet moduler son action en conséquence.

b) Influence de l'autoperception surl'investissement!: une relation!?

Le prétest de perception de soi commeargumentateur laissait penser que trois élèves(4,5 et 6) très compétents avaient uneperception négative de leurs compétencesargumentatives. En réalité, d’autresindicateurs, ultérieurs au prétest, nous ontpoussé à remettre ce fait en question. Enréalité, ces deux facteurs iraient plutôt dansle même sens (compétences positives Ëautoperception positive), réduisant ainsi noscatégories au nombre de deux au lieu detrois (cf. tableau échantillon théorique). Enconséquence, les différences que l’onidentifie entre élèves faibles et forts peuventêtre apparentées à celles qui séparent lesélèves à faible autoperception des autres.

c) A quels élèves profite le portfolio, et enquoi !?

Tout d'abord, nous pouvons dire que lescapacités visées par ce type de démarche(réflexivité, autoévaluation,…) semblent, audépart, plus présentes chez les élèves ditsforts. Nous remarquons en effet un lien étroitentre les performances des élèves et !:

1. leur capacité à réfléchir sur leurfonctionnement cognitif!;

2. les connaissances qu'ils possèdent surce même fonctionnement!;

3. la manière de contrôler ce processus.Il revient donc à l'enseignant d'intervenir

adéquatement afin que les plus faiblesaccèdent eux aussi à la démarche. Il faut eneffet qu'il soit conscient de ces différences dedépart et désireux de diminuer l'écart quisépare les plus performants des plus faibles,tant en ce qui concerne les savoirsproprement dits que la réflexion sur lamanière de se les approprier.

Deux conditions nous paraissenteffectivement essentielles pour que cet outilsoit profitable à tous. La première tient endeux mots!: la différenciation pédagogique.Elle permet d’assister plus particulièrementles enfants moins performants au moyend'un étayage élaboré. Les élèves présentent,en effet, des capacités de réflexion trèsvariées. Si certains d'entre eux développents p o n t a n é m e n t d e s c o m p é t e n c e smétacognitives, d’autres ont manifestementbesoin d'un enseignement pour y parvenir.En second lieu, pour que ce type dedémarche profite aussi aux élèves moinsperformants, il est impératif, selon nous, queles entrainements à l'autoévaluation nefassent jamais l'objet d'une évaluation autreque formative.

En guise de conclusion9!:1. quels bénéfices à l’investissement duportfolio!?1. Lever le mystère qui plane sur l'école

Situé entre l'élève et ses apprentissages, leportfolio joue un rôle de médiateur ettransforme, en tant que tel, la relation del'élève au savoir. Cet instrument invitel'élève à réfléchir sur ses apprentissages aumoyen de l'écriture!: en mettant des mots surce qu'il fait à l'école l'élève élaboresimultanément des significations. Autrementdit, il attribue un sens au langage et auxactivités scolaires, multipliant ainsi sesrepères. Une fois décodé, le contexte scolaireest alors plus propice à l'engagement del'enfant.

2. Réfléchir sur son fonctionnement pourmieux le contrôler

En faisant des apprentissages un objet donton parle , le portfolio en facilitel'appropriation par les élèves. En outre, parles retours réflexifs qu'il suscite il les aide àidentifier leurs lacunes, leurs forces, leursstratégies!; autrement dit à mieux se connaîtreen tant qu'apprenant.

Ces nombreuses prises de conscienceaugmentent chez l'élève le sentiment d'avoir“prise sur les événements” puisqu'il sereprésente à la fois les objectifs et le cheminqui y mène. Il peut, dès lors, attribuer à sesefforts, à ses choix, à ses actions ses réussiteset ses échecs. Identifier la nature de ses 9 Notons que ces conclusions n'ont que le statutd'hypothèses!: mener une étude à plus grande échellepourrait ultérieurement donner signification à certainsindices esquissés dans le présent travail.

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29difficultés, se fixer soi-même des objectifs!:n'est-ce pas là le germe de l'autoformation!?

3. Familiariser et réconcilier l'élève avecl'usage de la langue

Le portfolio familiarise l'enfant avecl'écriture!; il l'incite à utiliser la langue, àchercher des mots adaptés pour exprimer sapensée, soutenu par le guidage del'enseignant. Il montre également aux élèvesun usage différent de l'écrit!; il n'est pasquestion de juger les fautes d'orthographeou de critiquer la syntaxe, l'écriture!sert icid'aide pour formuler ses idées et construireses savoirs. Grâce à l'écrit l'élève peutégalement entamer un dialogue avec lui-même, une autocommunication. Libéré descraintes traditionnelles relatives à l'écriture,l’enfant prendra progressivement davantagede plaisir à écrire. La langue orale est aussiau cœur du processus!;! lors de l'entretien,tout particulièrement, l'élève apprend àparler de ses acquisitions, à se positionner entant qu'apprenant, à formuler des réponsespersonnelles.

4. Soutenir l'attention et la participationL'idée de réaliser un dossier, une farde

personnelle est – en soi – motivante pour lesenfants. Nous avons constaté leurenthousiasme à maintes reprises!; ils étaienttous désireux de faire avancer saconstruction. Un tel investissement ne va passans un engagement certain dans les tâches.C'est pourquoi, nous pouvons dire que leportfolio a soutenu l'attention et laparticipation des élèves durant notreintervention. A ce propos, le caractèrematériel du portfolio représente unecomposante très importante!: il apporte unetonalité concrète au monde souvent abstraitdes idées. Il permet également aux élèves devisualiser d’une part ce qu'ils font à l'écoleet, d’autre part, leur progression.5. Inciter l'enfant à donner un sens à sesdocuments

L'action de trier consiste, de manièregénérale, à répartir des objets selon certainscritères. Qu’il s'agisse de formesgéométriques, de productions écrites,d'aliments,… le tri appelle la formation deconcepts. Si l'on suit Vygotsky (cité parSchneuwly, 1985) la capacité à former desconcepts se développe d'ailleurs au cours del'activité de classification. En effet, pourclasser ses documents (lors du tri) l'enfantdoit se faire une idée de chacune des piècesdont il dispose!; autrement dit il doit donnerun sens à ses productions. Ce moment est

capital, il fait prendre conscience à l'élève durôle de chaque activité et lui permet, parexemple, de découvrir l'utilité de piècestelles que des synthèses.

6. Offrir à l'enfant un moment d'échangeprivilégié

Source d'apprentissages et devalorisation, l'entretien est une étape clé duprocessus, susceptible également de motiverles enfants. En effet, les élèves savent que cequ'ils font, ce qu'ils écrivent, ce qu'ilspensent, intéressent le professeur. Si certainsenseignants sont très présents et très àl'écoute de leurs élèves, de telles interactions– quoique essentielles bien sûr – ne sont pascomparables à 10, voire 15 minutes passéesen tête-à-tête avec l'élève, sans interruption.BLOOM a d'ailleurs insisté maintes fois sur lavaleur du préceptorat.

7. Un recueil d'informations favorable à uneadaptation de l'enseignement

Ce type de démarche offre une quantitéimpressionnante d' informations àl'enseignant. Qu'il s'agisse des réflexions del'élève, de sa sélection, de l'entretien… tousles aspects du processus apportent auformateur un éclairage sur ses élèves, surleurs représentations, leurs difficultés, leursstratégies, leur motivation, leur degré decompréhens ion . Munis de cesrenseignements multiples, l'enseignant peutjudicieusement adapter et individualiser sonenseignement au profit de tous!; autrementdit, il peut pratiquer un étayageindividualisé comme le fait remarquerVanhulle (1999).

2) quelles conditions pour uneintégration du portfolio dans la classe!?a) Du temps

Il serait bénéfique de fournir aux élèvesun temps beaucoup plus long que celui denotre expérimentation pour intégrer tous leséléments inhérents au dispositif.b) De la transparence

En outre, il est nécessaire d'expliciterclairement aux élèves les objectifs de ladémarche en reformulant nos intentions encours de processus afin qu'ils sachent bienvers où ils vont et dans quelles conditions.Nous misons donc sur la transparence, tantau niveau des buts que des attentes et desconditions de réalisation.c) De la cohérence

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30Aussi prometteur soit-il, un tel outil doit

son efficacité à la qualité de son intégrationdans la vie pédagogique de la classe!: unetelle démarche n’aura de sens que si elle faitécho aux autres choix méthodologiques del’enseignant. En effet, notre outil n'existe pasindépendamment des autres pièces dudispositif!; il existe par elles. Nous situons leportfolio à la jonction de différents courants,pédagogiques et didactiques, qui lefaçonnent de leurs influences multiples.Ainsi, les conclusions que nous amenonssont, elles aussi, propres à l'ensemble denotre intervention!; elles ne peuvent doncêtre généralisées à la démarche portfolio seule.

Enfin, nous désirons insister aussi sur laqualité et l'authenticité des renseignementsque la démarche nous a apportés sur lesélèves. Par leur richesse, ces informationspeuvent intelligemment compléter lesévaluations ponctuelles. On peut sedemander désormais dans quelle mesure cetype de processus continu d'évaluation nepourrait pas, progressivement, se substitueraux prises d'informations traditionnelles.

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