Poujoulat. Lettres de Saint Augustin. 1858. Volume 3.

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    LETTRESDE

    SAINT AUGUSTINTRADUITES EN FRANAIS

    ET PRCDES D'UNE INTRODUCTION,PAR

    M. POUJOULAT.

    III

    PARISLIBRAIRIE LITURGIQUE-CATHOLIQUE,

    ATELIER DE RELIURE,j, I.ESORT,

    RUE DE GRENEILE-SAIST-GERMAIN, 3.

    1858

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    LETTRESDE SAINT AUGUSTIN.LETTRE CXL ".

    (Anne 412.)

    Un liabitant do Cartliago, nomm Honor, mais dont nous ne connais-sons pas la vie et qnc saint Augustin comptait au nombre de sesamis, avait adress cinq questions au grand voque, le priant de vou-loir bien lui rpondre par crit; voici la rponse de l'vque d'Hipponequi a l'tendue d"un livre; l'examen des cinq questions s'y drouleavec un admirable enchanemeiit; saint Augustin y avait ajout unesixime question sur la grce pour mieux faire comprendre toute1 conomie du cliristianisme, et pour prmunir contre la propagandeplagienne. Il commente dans cette lettre le fameux p aume proph-tique dont Jsus-Christ sur la croix pronona le premier verset. Avantde lire la lettre Honor, on ferait bien de voir ce que nous avonsdit sur le plagianisme dans le xxix" chapitre de V Histoire de saintAugustin. Honor n'tait pas encore chrtien ; saint Augustin avaitbesoin de lui expliquer toutes choses et de revenir souvent sur lesmmes ides et les mmes dtails; voil la raison des longueurs et desrptitions qu'on rencontre parfois dans cette K ttre, mais la lumiren'en jaillit que plus vivement.

    AUGUSTIN A HONOR.Vous m'avez propose cinq questions, mon bien-aim

    frre Honor ; elles vous sont venues l'esprit, soit par(1) Cette lettre porte au si le nom de Livre sur la grce de la nouvelle

    alliance. Saint Augustin en parle danr^ le livre H, chapitre xxvi, de laRevue de ses ouvrages ; il nous apprend qu'-'i cette pof[ue il avait djcommenc ses lutes co!i1re les plngiens.

    m. 1

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    2 AUGUSTIN A HONOR .la lecture, soit par la mditation des saintes Ecritures,et vous les avez en quelque sorte rpandues en ma pr-sence. Pour bien les rsoudre, il ne faudrait pas lesprendre une une comme vous me les adressez, maisles rassembler dans la suite d'un mme discours ; ceserait un travail assez difficile; toutefois je ne pensepas qu'il y ait un moyen plus ais d'en yenir bout,car ces propositions se prteront un mutuel appui, sil'une dpend de l'autre, de faon que toutes s'enclia-nent dans le mme raisonnement; on ne les sparerapas comme si chacune devait prsenter un sens parti-culier, mais on les groupera comme tendant toutes aumme but et se soutenant par une raison commune etune indivisible yrit.Vous m'avez donc demand par crit ce que si-

    gnifient ces paroles du Seigneur : ce Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonn? et cesparoles de l'Aptre : ce Afin qu'enracins et fonds dans la charit vous parveniez comprendre avec tous les saints ce que c'est que la largeur, la lon- gueur, la hauteur et la profondeur (1), et ce quesont les cinq vierges folles et les sages, et les tnbresextrieures et comment on doit comprendre ce passage :c( le Verbe s'est fait chair. Ce sont l vos cinq ques-tions que je ramasse aussi brivement que vous les avezposes. Ajoutons-en une sixime, si vous voulez bien,et voyons principalement ce que c'est que la grce dela nouvelle alliance. Que toutes ces questions se rap-portent celle-ci et que chacune d'elles nous apporteson concours pour la rsoudre, non pas dans le mme

    (1) Aux plK'siens, m, i7.

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    LETTRE CXL. 3ordre que vous les avez poses et que je les ai rappeles,mais que les questions soient l de manire rpondrequand nous les appellerons et remplir chacune sonoffice. Commenons donc.

    Il ^ aune certaine vie de l'homme toute dans les sens,et livre aux joies de la chair ; elle se dfend contre touteincommodit corporelle et poursuit le plaisir. La flicitqu'on y trouve ne dure qu'un tenq)S ; c'est une nces-sit de commencer par cette sorte de vie; on s'y main-tient par la volont. C'est dans cette vie-l qu'est jetl'enfant qui vient de natre ; il en vite les peines, autantqu'il le peut, et en cherche les douceurs; il n'estcapable de rien de plus. Mais, parvenu ^e os'veille en lui la raison, il peut, l'aide de Dieu, choi-sir une autre vie, dont la joie est tout en esprit, dont laflicit est intrieure et ternelle. Il a t donn l'homme une me raisonnable, mais tous les hommesne font pas le mme usage de la raison ; le uns se tour-nent vers les biens de la nature visible et infrieure,les autres vers les biens de la nature invisible et sup-rieure : pour les premiers, il s'agit de jouir du corps etdu temps, pour les seconds, de jouir de Dieu et del'ternit. L'me humaine se trouve ainsi place commedans un milieu, ayant au-dessous d'elle le monde descorps. Cl au-dessus son propre crateur et le crateurdes choses corporelles.

    L'me raisonnable peut donc bien user de la flicittemporelle et corporelle, si elle ne se donne pas lacrature en ngligeant le crateur, mais plutt si ellefait hommage de cette flicit Dieu lui-mme, de quion la tient par une faveur signale de sa bont. Domme que tout ce que Dieu a lait est bon^ depuis la

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    4 AUGUSTIN HONOR.cmitiire raisonnable jusqu'au plus infime des corps,ainsi Fme doue de raison peut faire le bien dans toutesces choses si , fidle aux lois de l'ordre et choisissantavec discernement, elle prfre les grandes choses auxpetites, les spirituelles aux corporelles, les suprieuresaux infrieures, les ternelles aux temporelles : en d-laissant ce qui est en haut et en dsirant ce qui est enbas (et c'est par l qu'elle se corrompt), l'me se jetteet jette le corps mme dans une situation pire, aulieu de s'lever, elle et son corps, un tat meilleurpar un amour rgl. Tontes les substances tant bonnesde leur nature, c'est un acte louable que d'en user selonl'ordre, un acte condamnable que d'en mal user. L'rae,en faisant un mauvais usage des cratures, n'chappe])as au plan du crateur; si elle use mal de ce qui estbon. Dieu use bien, mme de ce qui est mal : l'medevient mauvaise par l'usage pervers de ce qui est bon,et, quant h lui, il demeure bon par un bon usage de cequi est mal. Celui qui sort de l'ordre en tombant dansle pch est remis dans l'ordre sous le poids des peinesqu'il subit.

    C'est pourquoi Dieu, voulant montrer que la flicitterrestre et temporelle est aussi un don parti de samain, et qu'il ne faut esprer de personne que de lui-mme, a cru devoir placer dans les premiers ges sonancienne alliance qui regardait le vieil homme, par ocommence ncessairement cette vie. Mais les livressaints prsentent ces flicits comme des bienfaits deDieu, quoique ces bienfaits appartiennent une vie pas-sagre. Ces dons terrestres taient ouvertement promis etaccords, mais c'est d'une faon cache que toutes ceschoses annonaient par des figures la nouvelle alliance ;

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    LETTRE CXL. 5elle ne se rvlait qu' rinielligence d'un petit nombre(l'lus q.ie la prrce de Dieu avaii vendus dignes de V\m-piiation prophtique. Ces saints qui, selon la conve-nance des temps, taient les dis[)ensateurs de ranciennealliance, appartenaient Falliaiice nouvelle. Lors(prilsgotaient la flicit temporelle, ils comprenaienl qu'ily avait une l'licit prfrable et que celle-l tait vri-table et ternelle; ils jouissaient de Tune dans le mys-tre pour obtenir l'autre comme rcompense. Et si par-fois ils avaient supporter des adversits, c'tait pour lesfaire tourner la gloire de Dieu dont Fclatant secoursles dlivrait : ils rendaient hommage leur divin lib-rateur, dispensateur de tous les biens, non-seulementdes biens ternels, objet de leurs pieuses esprances,mais encore de ces flicits passagres dont on usaitconune de ligures prophtiques.

    Mais, selon les mots de l'Aptre, ce Lorsque est venue)) la plnitude des temps, pour que la grce cachedans l'ancienne alliance se rvlt dans la nouvelle,c( Dieu a envoy son fils form d'une femme (1). Cemot, en hbreu, dsigne toute femme, soit vierge en-core, soit marie. Ecoutez maintenant l'Evangile, alinque vous reconnaissiez quel est ce fds que Dieu a vouluenvoyer et faire natre d'une femme, et quelle est lagrandeur de ce Dieu qui a daign s'abaisser ce pointpour le salut des fidles : a Au commencement tait le Verbe, et le Verbe tait en Dieu, et le Verbe tait)) Dieu : il tait en Dieu ds le commencement. Toute chose a t faite par lui, et rien de ce qui a t fait ne l'a t sans lui. En lui tait la vie, et la vie tait la

    (1) AuxGalates, iv, 4.

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    6 AUGUSTIN A HONOR. lumire des hommes, et la lumire brille dans les t-y) nbres, et les tnbres ne Font pas comprise (1). Ce Dieu, Verbe de Dieu par lequel tout a t fait, est leFils de Dieu; il est immuable et prsent partout; nulendroit ne le renferme ; il ne s'tend pas travers l'es-pace, de faon tre moindre dans un moindre lieu etplus grand dans un lieu plus grand ; mais il est toutentier partout, pas mme absent de l'me de l'impie,quoique l'impie ne le Toie pas. comme la lumire dujour claire mme les yeux de l'aveugle. Il brille doncdans les tnbres dont parle l'Aptre : c( Vous avez t)) autrefois tnlDres, mais maintenant vous tes lumire dans le Seigneur (2) : de pareilles tnbres ne l'ontpas comprise.

    C'est pourquoi le Verbe s'est uni un homme vi-sible aux hommes, afin que, guris par la foi, ils puis-sent voir ce qui auparavant leur tait cach. Mais, depeur que le Christ, visible tous, ne part qu'unhomme et qu'on ne crt pas qu'il tait Dieu, et qu'onne lui attribut qu'une grce et une sagesse levescomme un homme peut en avoir, Un homme fut en-y) voy de Dieu, dont le nom tait Jean ; il vint en t- moignage pour rendre tmoignage de la lumire, afin que tous crussent par lui ; celui-l n'tait pas la lumire, mais il venait rendre tmoignage la lu- mire (3). Car, pour rendre tmoignage celuiqui tait la fois Dieu et homme, il fallait un hommesi grand qu'il a t dit qu'entre ceux qui sont ns desfemmes, personne n'a t plus grand que Jean-Bap-

    (1) Saint Jean, i, 1-5.(2) Aux phsiens, v, 8.(3) Saint Jean, i, 6-8.

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    LETTUF. CAL. 7liste (i) : en rendant ainsi tmoignage un plus grandqiic lui, Jean donnait eoniprendre que celui qui led[)assait n'tait ])as seulement homme, mais Dieu.Jean lui donc une lumire, mais une lumire commecelle dont le Seigneur lui-mme a rendu tmoignageen disant : a Celui-l tait une lampe ardente et lui- sant. C'est dans ce sens que le Seigneur a dit sesdisciples : Vous tes la lumire du monde ; et pourmontrer quelle tait cette lumire, il a ajout : Per- sonne n'allume une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur un chandelier, pour qu'elle claire tous ceux qui sont dans la maison : que votre lu-) mire brille ainsi devant les hommes (2). Le but deces comparaisons, c'est de nous faire comprendre, et, sinous ne le pouvons comprendre encore, de nous fairecroire que l'me raisonnable n'est pas de la nature deDieu, puisque celle-ci est immuable, mais qu'elle peutparticiper sa lumire, car les lampes ont besoin d'treallumes et peuvent s'teindre. Quand l'Evangile dit deJean qu'il n'tait pas lumire, cela doit s'entendrede la lumire qui ne s'allum.e aucun flambeau, maisaux rayons de laquelle participe tout ce qui brille.On lit ensuite : ce II y avait une vraie lumire ; etcomme si nous eussions demand h l'vangliste com-

    ment on pouvait distinguer la vraie lumire de la lu-mire emprunte^ c'est--dire le Christ de Jean, l'Evan-gliste ajoute que cette vraie lumire claire tout homme venant en ce monde. Si tout homme en estclair, Jean l'est donc aussi. Et afin d'tablir davantage

    (1) Saint Matthieu, xi, 11.(2) Saint Matthieu, v, |/i-IG.m 1*

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    8 AUGUSTIN A IlONORK.la divinit du Christ par une dilTrence plus clatante,l'Evangliste dit ce que le Verbe tait dans ce monde, que le monde a t fait par lui, et que le monde ney> Fa pas connu. Il ne s'agit pas ici du monde qui at fait par lui, carie monde, c'est--dire le ciel et la terre,n'a pas la puissance de le connatre, et ce privilge n'estdonn qu' la crature raisonnable; mais cette paroledsigne les infidles qui sont dans le monde.

    Il est venu chez lui, et les siens ne l'ont pas reu. Les intidles qu'on doit entendre ici sont les hommesqui, en tant qu'hommes, appartiennent au Verbe qui lesa crs, ou bien les juifs, de la race desquels il a voulunatre : et tous pourtant ne l'ont pas reu, ce II a donn tous ceux qui l'ont reu le pouvoir de devenir enfants de Dieu : il a donn ce pouvoir ceux qui croient en son nom, qui ne sont pas ns du sang ni de la volont de la chair, ni de la volont de l'homme, mais qui sont ns de Dieu (1). C'est la grce de la nouvellealliance qui a t cache dans l'ancienne et n'a jamaiscess d'tre prophtise et annonce sous le voile desfigures, afin que l'me comprenne son Dieu et qu'ellerenaisse en lui par sa grce. Cette naissance spirituellen'est pas l'uvre du sang, ni de la volont de l'homme,ni de la volont de la chair, mais elle est l'uvre deDieu.

    Elle est aussi appele adoption, car nous tions quelquechose avant de devenir enfants de Dieu, et nous avonsreu le bienfait de sa grce pour devenir ce que nous n'-tions pas : ainsi celui qui est adopt n'tait pas aupara-vant l'enfant de celui qui l'adopte, mais il existait dj

    (1) Saint Joai], h 9-13.

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    LKTTRK (.XL. 9pourtant. Dans cette giiralion do la grce n'est pas com-pris le Fils fpii, tant Dieu, est venu pour devenir Fils deriiounne, et pour nous rendre, nous qui tions enfants deshommes, enfants de Dieu. Il s'est fait ce qu'il n'tait pas,mais cependant il tait quelque autre chose ; cette autrechose tait le Verhe de Dieu, par lequel tout a t fait,et la vraie lumire qui claire tout homme venant en cemonde, et Dieu en Dieu. Nous aussi, par sa grce, noussommes devenus ce que nous n'tions pas, c'est--dire en-fantsdeDieu ; mais cependant nous tions quelque chose,et ce quelque chose tait hien moindre, c'est--direenfants des hommes. Le Verbe est donc descendu pourque nous montions, et, sans quitter sa propre nature, ila particip la ntre, afin que, demeurant dans notrenature, nous participions la sienne. Et cependant iln'en a pas t de lui comme de nous. Car, en prenantnotre nature, le Verbe ternel n'a rien perdu de sesperfections, et nous, en participant la sienne, noussommes devenus meilleurs.

    C'est pourquoi Dieu a envoy son fils form d une femme, form sous la loi (1). Il a reu les sacre-ments de la loi pour qu'il rachett ceux qui taient sous la loi, c'est--dire ceux qui taient devenuscoupables sous la lettre qui tue : ils n'avaient pas ac-compli les prceptes tant que l'esprit ne les avait pas vi-vifis, parce que c'est l'amour de Dieu qui accomplit laloi et que c'est l'Esprit Saint qui a rpandu cet amourdans nos curs. L'Aptre, aprs avoir dit : Pour qu'il rachett ceux qui taient sous la loi, ajoute aussitt :c( Pour que nous reussions l'adoption des enfants. 11

    (1) Aux Galatcs, iv, 4.

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    iO AUGUSTIN A IlONORF.distinguait ainsi ce qui n'est qu'une grce de Dieu de cequi est la nature mme du Fils envoy sur la terre ; ceFils de Dieu ne l'est pas devenu par adoption, mais ilest le Fils toujours engendr, et il a particip la naturedes enfants des hommes pour les faire participer lasienne en les adoptant. Aussi l'vangliste, aprs avoirdit que le Verbe leur a donn le pouvoir de devenir enfants de Dieu, et aprs avoir ajout, de peurqu'on n'entende une naissance charnelle, que le Verbea donn ce pouvoir ceux qui croient en son nom et qui renaissent par la grce spirituelle, non par le sang, ni par la volont de l'homme, ni par la volont de la chair, mais par la volont de Dieu, l'Evang-liste, dis-je, signale le mystre de cette alliance. Commesi, confondus d'tonnement, nous n'eussions pas ossouhaiter un si grand bienfait, il prononce tout coupces mots : a Et le Verbe s'est fait chair et il a habit parmi nous (1), (et ceci est une de vos cinq ques-tions) ; c'est comme si l'Evangliste disait : hommes !ne dsesprez pas de pouvoir devenir enfants de Dieu,parce que le Fils de Dieu lui-mme, c'est--dire le Verbede Dieu, s'est fait chair et a habit parmi nous. A votretour faites-vous esprit et habitez en celui qui s'est iitchair et a habit parmi nous. Dsormais il ne faut plusdsesprer que les hommes, en participant au Verbe,puissent devenir enfants de Dieu, quand le Fils de Dieu,en participant la chair, est devenu fils de l'homme.

    Avec notre nature muable, nous changeons en mieuxen participant au Verbe ; mais le Verbe immuable n'arien perdu par sa participation la chair au moyen

    (l) Saint Jean, i. 14.

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    LKTTKK CLX. | 1d'une Amo raisonnable. C'est une erreur des apollina-ristes (l) d'avoir cru que le Christ-liomnie n'a pas eud'me ou n'a pas eu une Ame raisonnable; Tcrilure,selon son langage accoutum, s'est servi du mot : chairau lieu du mot : homme; elle l'a fait pour mieux montrerl'abaissement du Cbrist, et de peur qu'on ne crt qu'ellecartait le mot de cliair comme quelque cliose d'indigne :lorsque Isae crit que toute cliair verra le salut de Dieu (2), )) il est vident qu'il faut comprendre iciles Ames. Ces mots : a Le Verbe s'est fait cbair nesignifient pas autre cbose, sinon que le Fils de Dieu s'estfait le fils de l'homme. Comme il tait dans la forme de Dieu , selon les paroles de l'Aptre, il n'a pas regard comme un larcin de s'tablir comme gal Dieu j ce n'tait pas une usurpation, et l'on ne pou-vait pas dire qu'il y et larcin de la part du Christ;mais la divinit tant sa propre nature, il tait gal Dieu. Cependant il s'est ananti lui-mme, non pointen perdant la forme divine, mais en prenant la formede serviteur; ce il s'est humili lui-mme, il est devenu) obissant jusqu' la mort, et la mort de la croix (3). Vous voyez comment l'Aptre nous fait voir que c'estle mme qui est Dieu et homme, pour qu'il n'y ait qu'uneseule personne, et qu'au lieu de la Trinit, on ne soittent d'imaginer une personne de plus. Car de mmeque l'union de l'me et du corps ne fait qu'un seulhomme, ainsi le nombre des personnes divines demeure

    (1) Lesapolliiiaristes eurent pour chef de secte Apollinaire, vque deLaodicc, condamn au concile d'Alexandrie en 368, et dans un autreconcile Rome en 373,

    (2) Isae, LU, 10.f3) Aux Philippicns, ii, 6-8.

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    i'2 AUGUSTIN A liONOn.le mme lorsque riiomme s^initau Verbe pourne fairequ'un seul Christ. On lit donc que a le Verbe sY^st fait chair afin que l'on comprenne Funit de cette per-sonne et qu'on ne croie pas que la divinit se soitchange en chair.Le Christ-homme, pour rvler la grce de la nou-

    velle alliance, qui n'appartient pas cette vie, mais lavie ternelle, ne s'est pas montr au monde avec le cor-tge des biens humains. De l l'abaissement, la passion,les fouets, les crachats, les outrages, la croix, les plaieset la mort mme, o le Christ a paru comme vaincu etau pouvoir d'autrui : c'tait pour apprendre aux fidlesce que leur pit devait esprer de celui dont ils seraientdevenus les enfants ; il ne fallait pas qu'en servant Dieuils se proposassent pour but les flicits de la terre,et qu'ils mprisassent leur foi au point de l'estimerdigne d'une telle rcompense : aussi le Dieu tout-puis-sant, par une salutaire disposition de sa puissance, ac-corde-t-il aux impies les biens de ce monde, de peurque les bons ne les recherchent comme quelque chosed'un grand prix. Le psaume lxxii nous montre un honmie([ui se repent d'avoir, par un drglement de cur,servi Dieu pour cette rcompense; cethomme, la vue desimpies combls de ces sortes de biens, avait t troubldans sa pense et s'tait demand si Dieu s'occupait deschoses humaines ; et comme l'autorit des saints qui ap-partiennent Dieu l'empchait de rester dans ce doute, ilentreprit de pntrer un aussi grand secret ; ses labo-rieux efforts n'y parvinrent qu'aprs qu'il fut entr dansle sanctuaire de Dieu et qu'il eut compris la fin deschoses : c'est--dire aprs qu'ayant reu l'Esprit Saintil et appris dsirer ce qui tait prfrable et qu'il

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    eiil (lconvort quollo peine est rserve aux impies,iiinie ceux qui ont brill dans le monde au mi-lieu d'une flicit passagre comme Fherhe. Lisez etmditez attentivement l'explication que je donnai de cepsaume lxxii, la veille de la solennit du bienheureuxCyprien.Le Christ-homme, ([ui est aussi le Christ-Dieu, en

    s'associant misricordieusement ta notre humanit et enprenant une torme de serviteur, nous a appris ce qu'ilfallait mpriser dans cette vie et ce qu'il fallait esprerdans l'autre ; l'heure de sa passion, o semblaientclater la grandeur et le triomphe de ses ennemis, ilprit le langage de notre infirmit, qui allait servir fairecrucifier notre vieil homme pour la destruction du corpsdu pch, et dit : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi)-) m'avez-vous abandonn? Et ceci est une de voscinq questions. Ainsi commence le psaume xxi qui, silongtemps avant, a prophtiquement annonc la passiondu Christ et la manifestation de la grce par laquelledevait s'oprer la dlivrance des fidles.

    Je parcourrai ce psaume prophtique dont le Sei-gneur, suspendu la croix, a prononc le premier ver-set : vous comprendrez ainsi comment on parlait alorsde la grce de la nouvelle alliance cache sous le voilede l'ancienne. Car il est dit du Christ qu'il a pris la formed'un serviteur; c'est dans cette forme qu'il portait notreinfirmit, a II porte nos infirmits, ce sont les parolesd'Isae, et pour nous il est dans les douleurs (1). C'estle langage de notre infirmit, revtue par notre chef,qu'on entend dans ce psaume : c(Mon Dieu, mon Dieu,

    (1) Tsno, MIT, 14.

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    14 AUGUSTIN A nONORK. pourquoi m'avez-vous abandonn? On est aban-donn quand on n'est pas cout dans ce qu'on demande.Lorsque Paul ne fut pas exauc dans sa prire et qu'ilse trouva en quelque sorte dlaiss, il reprsentait cetteinfirmit ; il entendit pourtant le Seigneur lui dire : Ma grce vous suffit, car la vertu s'achve dans la faiblesse. Jsus prit i>our lui-mme ce langage;c'tait le langage de son propre corps, c'est--dire deson glise, qu'il devait faire passer du vieil homme l'homme nouveau; c'tait le langage de son infirmithumaine, qui devaient tre refuss les biens de l'an-cienne alliance, pour nous apprendre souhaiter et esprer les biens de l'alliance nouvelle.

    Parmi ces biens de l'ancienne alliance, appartenantau vieil homme, on considre principalement la durede cette vie ; on la prolonge le plus longtemps qu'onpeut, car on ne peut la prolonger toujours. Tous saventque le jour de la mort arrivera, et cependant tous oupresque tous s'efforcent de reculer ce jour, mme ceuxqui esprent vivre plus heureusement aprs la mort;tant nous sommes sous l'empire de cette douce unionde l'me et du corps ! car jamais personne n'a ha sapropre chair; et c'est pourquoi l'me ne veut pas,mme pour un temps, se sparer de la faiblesse de sachair, quoiqu'elle espre, la fin des sicles, la retrou-ver ternellement sans infirmit. L'homme pieux, sou-mis par Fintelligence la loi de Dieu, mais tranant parla chair les dsirs de pch, auxquels l'Aptre nousdfend d'obir, aspire voir rompre ses liens pour treavec le Christ; il apprhende d'tre spar de sachair; si c'tait possible, il ne voudrait pas en tredpouill, mais en h^e comme revtu par-dessus, afin

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    LKTTRE CLX. 15que ce qui est mortel fut absorb par la vie, c'est--direafin que le corps mme passt, sans la mort, de sontat infirme Timmortalit.Ces paroles par lesquelles on aime les jours hu-mains et on en dsire la dure, sont des paroles depch, et sont trs-loin de ce salut que nous ne poss-dons encore qu'en esprance ; c'est de ce salut qu'il at crit : Nous avons t sauvs en esprance, maisy) l'esprance qui se voit n'est pas l'esprance. C'estpourquoi, dans le mme psaume, aprs que le prophtea dit : ce Mon Dieu, mon Dieu, regardez-moi, pourquoiy) m'avez-vous abandann ? il ajoute aussitt : Les paroles de mes pchs sont loin de mon salut; c'est--dire ces paroles sont de mes pchs et sont loinde mon salut que m'a promis la grce, non pas del'ancienne alliance mais de la nouvelle. On pourraitaussi rtablir de la sorte ces paroles : Mon Dieu, mon Dieu, regardez-moi ; pourquoi m'avez-vous laiss si loin de mon salut? c'est comme si le Psalmistcavait dit : en m'abandonnant, c'est--dire en ne m'exau-ant pas, vous vous tes loign de mon salut, savoirde mon salut de cette vie; il y aurait un autre sensdans c( les paroles de mes pchs ; ce serait celui-ci :ce que j'ai dit ce sont les paroles de mes pchs, parceque ce sont des paroles de dsirs charnels.

    Voil ce que dit le Christ de la personne de soncorps, qui est TEglise; il le dit de l'infirmit de la chairdu pch, qu'il a prise en naissant d'une vierge, maisen n'y laissant que la ressemblance de la chair du p-ch. L'poux dit ces choses de la personne de l'pouse,parce qu'il l'a unie lui. On lit dans Isae : Le Seigneui' m'a attach la couronne comme l'poux

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    G AUGUSTIN A IIONOKK. ci m'a pare comme rponse (1). Ces mots : a II m'a couronn et m'a par sont comme prononcspar une mme bouche, et cependant nous savons cpiele Christ et l'Eglise c'est l'poux et l'pouse. Mais a Ils seront deux dans une mme chair. )> a C'est un grand sacrement, dit l'Aptre, dans le Christ et dans l'E- glise ; ils ne sont donc plus deux, mais ils sont une mme chair. S'ils ont une mme chair, leur voixest aussi la mme. Faiblesse humaine, pourquoi cher-ches-tu ici la Yoix du Verbe par lequel tout a t fait?coute plutt la voix de la chair qui a t faite commetoute chose, car a le Verbe s'est fait et a habit parmi nous, coute plutt la voix de celui qui a guri tesyeux pour les mettre en tat de voir le Dieu qui te res-tait cach : im homme a t envoy pour tre vu, pourtre tu comme une victime, pour tre imit commeun modle, pour tre cru : c'est cette foi qui devaitgurir l'il de l'me et la rendre capable de voir Dieu.Pourquoi donc ddaignons-nous d'couter la voix ducorps parlant par la bouche du chef? En lui souffraitFiiglise quand il souffrait pour l'Eglise, comme il souf-frait lui-mme dans l'Eglise lorsque FEglise souffraitpour lui. De mme qu'en ces paroles : Mon Dieu, etc. vous entendez la voix de l'Eglise souffrant dans leChrist, de mme nous avons entendu la voix du Christsouffrant dans l'Eglise, lorsqu'il a dit : c( Sal, Sa(il, pourquoi me perscutez-vous? Quand nous prions Dieu de nous accorder les biens

    tem})orels et qu'il ne nous coute pas, il nous aban-donne en cela o nous ne sommes pas exaucs; mais il

    (l) LXI, 10.

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    LETTRE CLX. 17ne nous abandonne point pour des biens plus levs etprfrables, et dont il veut nous inspirer rintelligence,le got et le dsir. Le Psalniiste dit : (/. J'ai cri vers vous le jour, vous ne m'exaucerez pas; il ajoute(pTil a cri aussi la nuit sans tre exauc. Mais voyez cesmots qui suivent : Et l'on ne me l'imputera point folie. C'est comme s'il disait : Vous ne m'exau-cerez pas lorsque je crie vers vous pendant le jour,c'est--dire parce que je continue prosprer ; et lors-que je crie vers vous durant la nuit, c'est--dire pourque je retrouve mes flicits perdues ; vous ne per-mettrez pas que cela tourne mon aveuglement ; maisplutt vous m'apprendrez ce que je dois attendre, d-sirer et demander par la grce de la nouvelle alliance.Car moi je crie pour que les biens temporels ne mesoient pas enlevs : Mais vous habitez dans le lieu saint, vous, mon Dieu, la gloire d'Isral (1). )> Je neveux pas que vous abandonniez ma concupiscence, quime porte chercher une flicit charnelle ; mais elleest dans les impurets du vieil homme, et vous, vouscherchez la puret de l'homme nouveau ; vous m'aban-donnez en ne pas coutant ces dsirs, parce que vouscherchez la charit pour y faire votre demeure : or, c'estpar l'Esprit Saint que la charit de Dieu se rpand dansnos curs. Vous habitez donc dans le lieu saint, gloire d'Isral! Vous tes la gloire de ceux qui vousvoient, parce que c'est en vous et non pas en eux qu'ilsse louent. En effet qu'ont-ils qu'ils n'aient reu? Celuiqui se glorifie ne doit se glorifier que dans le Seigneur.

    Telle est la grce de la nouvelle alliance. Car dans

    (I) Psaume XXI. 4.

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    18 AUGUSTIN A HONOR.l'ancienne vous recommandiez, mon Dieu, de ne de-mander et de n'attendre que de vous la flicit mmeterrestre et temporelle, et c'est en vous que nos pres ont espr ; ils ont espr, vous les avez dlivrs. Ils ont cri vers vous, et ils ont t sauvs ; ils ont mis en vous leur esprance et n'ont point t confondus (!) Ces anctres qui vivaient au milieu de leurs ennemis, vousles avez combls de richesses, vous les avez dlivrs, vousleur avez fait remporter des victoires glorieuses; et vousles avez prservs de nombreux dangers. A la place decelui-ci qui allait tre frapp, vous avez substitu unblier ; vous avez arrach celui-l sa pourriture, et vouslui avez rendu le double de ce qu'il avait perdu. L'una t tir par vous, vivant et sans tre touch, du milieude lions affams; d'autres, qui marchaient parmi lesflammes, vous ont adress des chants reconnaissants. Lesjuifs attendaient pour le Christ quelque chose de pareil,afin de reconnatre si vritablement il tait le Fils de Dieu.Il est contre eux dans le livre de la Sagesse : Con- damnons-le la mort la plus infme : car on aura gard ses discours. S'il est le vrai Fils de Dieu, Dieu prendra soin de lui et le dlivrera des mains de ses ennemis. ils ont eu ces penses, dit le livre de la Sagesse, et ils ont err : leur malice les a aveugls (2). Attentifsau temps de l'ancienne alliance et la flicit temporelleque Dieu accorda nos pres pour montrer que cessortes de biens venaient aussi de lui, ils ne virent pasque le temps tait venu o l'on saurait que Dieu, quidonne aux impies les biens terrestres, rserve aux justesles biens ternels par la mdiation du Christ.

    (1) Psaume xxi, 5, 6.(2) Livre de la Sagesse, II, 20, 21,

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    LETTRE CLX. 19Apros que le Psalmiste a dit : Nos pres ont espr

    ) en vous ; ils ont espr et vous les avez dlivrs ; ils ont cri vers vous, et ils ont t sauvs ; ils ont mis en vous leur esprance et n'ont pas t confondus; voyez ce qu'il ajoute : c( Pour moi, je suis un ver, et non pas un homme. 11 semble que ceci ait t dit sim-plement pour recommander l'humilit et pour laisservoir dans le Christ poursuivi quelque chose d'abject etde misrable; mais il faut prendre garde la hauteurdes secrets et la profondeur des mystres enferms dansces prophtiques paroles appliques un si grand Sau-veur. D'aprs une habile interprtation de nos devan-ciers (1), le Christ a voulu tre dsign sous ce nom deveVj parce que le ver est form sans union charnelle,comme le Christ est n d'une vierge. Mais Job, en di-sant que c'est peine si les cratures clestes sont puresdevant Dieu, ajoute : Combien l'homme sera-t-il moins pur, lui qui n'est que pourriture, combien le sera-t-il moins le fils de l'homme qui n'est qu'unyy ver (2) Job emploie ici le mot de pourriture dansle sens de la mortalit, qui est cette ncessit de mourir laquelle le pch a condamn l'homme. Il compare lefils de l'homme au ver n de la pourriture et pourriturelui-mme, comme l'homme n de la mortalit est mor-tel. Mais sans carter ni rprouver ce sens, il en est unautre que Job nous invite chercher dans ces parolesdu psaume ; il ne s'agit pas seulement de dcouvrir lasignification de ces mots : Moi je suis un ver, maisde ces autres mots : ce Et non pas un homme. Selon ce

    (1) Origne, homlie XV sur saint Luc, et saint Ambroise dans soncommentaire sur le psaume xxi.

    (2) Job, XXV, 5, C.

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    20 AUGUSTIN A HONOR.que j'ai cit du livre de Job, c'est comme si le Christavait dit : Mais moi je suis le fils de l'homme et non pasun homme. Ce n'est pas que le Christ ne soit pas homme,lui dont rAptre a dit: Il y a un seul mdiateur entre Dieu et les hommes, c'est Jsus-Christ homme (1) ; car tout fils de l'homme est homme ; mais ce sens serapporte celui qui a t homme sans tre fils del'homme, Adam. Peut-tre aussi que ces mots : Je)) suis un ver et non pas un homme, c'est--dire : Jesuis fils de l'homme et non pas un homme, veulent direceci : Moi je suis le Christ dans lequel tous trouvent lavie, et non pas Adam dans lequel tous trouvent la mort.

    Apprenez donc, hommes, par la grce de la nouvellealliance, dsirer la vie ternelle. Pourquoi demandez-vous comme un si grand bien que le Seigneur vous d-livre de la mort, comme furent dlivrs vos pres, quandDieu faisaitvoir queles flicits de la terre n'ont pas d'autredispensateur que lui? Ces flicits appartiennent au vieilhomme, lequel a commenc avec Adam : a Mais moi je suis un ver et non pas un homme, je suis le Christet non pas Adam. Vous avez t vieux par le vieilhomme, soyez nouveaux par l'homme nouveau : vousavez t hommes par Adam, soyez par le Christ enfantsdes hommes. Ce n'est pas sans raison que le Seigneur,dans l'Evangile, se dit plus souvent fils de l'homme quehomme; ce n'est pas sans raison qu'il est dit dans un autrepsaume : Seigneur, vous sauverez les hommes et les btes ; partout s'est tendue, mon Dieu, l'abondance de votre misricorde (2). Par vous ce salut est com-

    (1) Timothe, n, 5.C2) Psaume xxxv, 7.

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    LETTKE CLX. 21iiiiiii auxhoinmeset aux hctcs. Mais les hommes nouveauxont un autre salut qui les spare des animaux et qui appar-tient l la nouvelle allianec; ils Font entirement; car ilen est parl dans la suite du mme psaume : ce Mais les enfants des hommes espreront l'ombre de vos ailes. Ils s'enivreront de l'abondance de votre maison, et vous les abreuverez du torrent de vos dlices. Car en vous est la source de la vie, et ce sera dans votre lu-)) mire que nous verrons la lumire (1). En disantaprs : ce Mais les fils des hommes, le Psalmiste semblefaire une distinction entre les hommes et les enfants deshonnnes. Dans la flicit de ce salut, qui leur est com-num avec les btes, il a voulu ne les appeler que leshommes afin de montrer qu'ils appartenaient ce pre-nn'er homme par qui ont commenc la vtust et la moi tet qui a t homme sans tre fils de Thomme. Quant ceux qui esprent une autre flicit et les ineffables d-lices de la source de la vie et la lumire de l'ternellolumire, l'Ecriture les appelle de ce nom que le Sei-gneur s'est donn de prfrence : elle appelle enfants deshommes plutt que hommes ces fidles qui sont au Sei-gneur et dans lesquels une telle grce s'est manifeste.Ne croyez pas cependant que cette distinction entre

    les hommes et les enfants des hommes soit une rgleconstante dans nos livres saints; il ne faut le com-prendre ainsi que quand le sens l'indique, ou quand,sans cela, le sens resterait cach.- Dans cet endroit dupsaume xxi, la distinction n'est-elle pas vidente? Leprophte dit : Nos pres ont espr en vous, et vous)^ les avez dlivrs. Ils ont cri vers vous, et ils ont t

    (I) Psaume x\xv, 9, 10.

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    22 AUGUSTIN A HONOR.)) sauvs; ils ont mis en vous leur esprance, et ils n'ont pas t confondus; puis il ajoute : mais moi ; il ne dit pas : et moi; il dit : Mais moi. Que veut-il donc nous faire entendre celui qui sedistingue de la sorte? Mais moi, je suis un ver, dit-il, et non pas un homme ; )) Seigneur, vous voustes comme spar de ceux que vous aviez exaucs etdlivrs ; vous avez marqu le genre de flicit qui ap-partenait Tancienne alliance et qui devait tre le par-tage du vieil homme, lequel a commenc avec Adam :ce Mais moi, je suis un ver; c'est--dire je suis leFils de THomme, et non pas un homme comme Adam,qui ne fut pas Fils de FHomme.

    Aprs on lit : Je suis l'opprobre des hommes et le mpris du peuple. Tous ceux qui me regardaient m'insultaient; l'injure est partie de leurs lvres, ils)) ont hoch la tte. 11 a espr en Dieu, que Dieu le)) dlivre, qu'il le sauve, s'il Faime. w Voil ce que lesjuifs ont dit, non pas seulement de cur, mais debouche ; ils se moquaient du Christ que Dieu ne dh-vrait pas, et ne croyaient pas ce qui devait arriver.Cette dlivrance s'est accomplie, non pas comme sel'imaginaient les juifs, mais de la faon qui convenaitau Fils de THomme, dans lequel devait se manifesterl'esprance de Fternelle vie appartenant la nouvellealliance ; et, voyant que rien ne se faisait, ils insultaientau Christ comme un vaincu, parce qu'ils appartenaient l'ancienne alliance et l'homme en qui tous meu-rent, et non point au Fils de l'Homme en qui tons sontvivifis. Car l'homme s'est donn la mort, lui et auFils de l'Homme; mais le Fils de l'Homme, opprobredes hommes et mpris du peuple jusqu' la mort, a

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    LETIRE CLX. 23donn la vie l'homme en mourant et en ressuseitant .11 a voulu souft'rir cela en prsence de ses ennemis pourqu'ils le regardassent comme abandonn, et par l illaissait clater la grce de la nouvelle alliance qui de-vait nous apprendre chercher une autre flicit :nous l'avons maintenant en esprance, mais plus tardnous l'aurons dans la claire vision. Tant que nous sommes dans le corps, dit FAptre, nous voyageons loin du Seigneur; nous marchons avec la foi et dans la claire vision. C'est donc maintenant l'esprance,alors ce sera la ralit.

    Enfin le Christ n'a pas voulu montrer des tran-gers, mais aux siens, sa rsurrection qui ne devait pastarder longtemps comme la ntre, afin que son exempledevnt le fondement de notre esprance : quand je parled'trangers, je n'ai pas en vue la nature, mais le vice quiest toujours contre la nature*. Le Christ est donc morten prsence des hommes, mais il est ressuscit en pr-sence des enfants des hommes ; parce que la mort appar-tient l'homme et la rsurrection au Fils de l'Homme :comme tous meurent en Adam, tous seront vivifisdans le Christ. Afin d'exciter ses fidles mpriser laflicit temporelle pour celle qui est ternelle, il a subiles perscutions et les cruauts et s'est livr aux mainsde ceux qui se moquaient orgueilleusement de luicomme d'un vaincu. En tirant son corps du tombeau,en le faisant voir et toucher ses disciples, en l'levantau ciel devant eux, il les a difis et leur a donn lapreuve vidente de ce qu'ils devaient attendre et annon-cer. Mais, quant ceux qui lui avaient fait souffrir tantde maux jusqu' la mort et qui se vantaient d'avoirtriomph de sa faiblesse, le Sauveur les a laisss dans

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    24 AUGUSTIN A HONOR.cette opinion, afin que quiconque parmi eux voudraitobtenir le salut ternel, crt au tmoignage des dis-ciples du Christ : les disciple? avaient vu leur matreressuscit, ils annonaient le prodige malgr les con-tradictions des juifs, et, en tmoignage de la vrit, necraignirent pas de souiTrir les mmes tourments quele Christ lui-mme.

    C'est pourquoi Jacques, un dos aptres du Sauveur,exhortant dans son pitre les fidles qui taient encoreretenus en cette vie aprs la passion et la rsurrection duChrist, distinguait l'ancienne et la nouvelle alliance etdisait : Vous avez entendu parler de la patience de Job, et vous avez vu la fm du Seigneur (1). 11 nevoulait pas que la patience des fidles supporter lesmaux du temps ft uniquement inspire par l'espoird'tre traits comme le fut Job. Car Job fut guri desa plaie et de sa pourriture, et Dieu lui rendit le double detout ce qu'il avait perdu : par l aussi fut encouragela foi de la rsurrection. Dieu rendit Job, non pas ledouble de ses enfants, mais autant qu'il en avait perdu,et la signification des nouveau-ns tait la rsurrectionfuture de ceux de ses enfants qu'il avait vu mourir : enjoignant les nouveau-ns ceux que la rsurrectiondevait lui rendre, Job retrouvait le double, mme dansses enfants. Pour nous empcher donc d'aspirer detelles rcompenses au milieu des maux du temps, saintJacques ne dit pas : Vous avez entendu parler de la pa-tience et de la fm de Job, mais : a Vous avez entendu parler de la patience de Job et vous avez vu la fm duSeigneur. C'est comme s'il avait dit : Supportez les

    (1) Sait Jacques, v, 11.

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    LETTRK CLX. 25maux (lu temps comme Job ; mais, pour j>rix de cellepatience, n'esprez pas les biens temporels qui furentrendus Job avec surcrot; esprez plutt les biensternels. Job tait donc de ces pres qui crirent vers leSeigneur et furent sauvs. Quand le Christ dit : Mais moi, il montre assez quel genre de salut il a voululeur accorder ; c'est dans ce genre de salut qu'il a tlui-mme abandonn ; ce n'est pas que nos pres soientdemeurs trangers au salut ternel, mais c'tait l unbien cach qui devait se rvler dans le Christ. Il y avaitdans l'ancienne alliance un voile que le passage auChrist ferait disparatre; l'heure de son crucifiement,le voile du temple se dchira pour figurer ce qu'a ditl'Aptre sur le voile de l'ancienne alliance qui est ty> dans le Christ (1).

    11 y eut parmi ces pres des exemples, rares il est vrai,mais des exemples de patience jusqu' la mort, depuisle sang d'Abel jusqu'au sang de Zacharie; le SeigneurJsus dit de leur sang qu'il sera redemand ceux quiauront persist dans l'iniquit de leurs pres coupablesde ces meurtres; dans la nouvelle alliance il s'est tou-jours rencontr, en grand nombre, des fidles qui ontpossd aussi les biens temporels ; ils prouvent en celala bont et la misricorde de Dieu, observant toutefois cet gard les prescriptions de l'Aptre qui a t le dis-pensateur de la nouvelle alliance : a Ne pas s'enor- gueillir, ne pas mettre sa confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant qui nous donne tout en abondance pour en jouir ; il faut que les riches soient bienfaisants, qu'ils soient riches en bonnes

    (1) IJ. aux Corinthiens, m, 14.

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    26 AUGUSTIN A HONOR.)) uvres, qu'ils donnent aisment, qu'ils fassent part de leurs biens, qu'ils se prparent un trsor solide pour l'avenir, afin d'obtenir la vritable vie (1) : une vie comme celle qui s'est manifeste non-seulementdans l'esprit, mais dans la chair du Christ aprs sa r-surrection, et non pas une vie comme celle que les juifslui arrachrent lorsque, Dieu le laissant en leur pou-voir, le Christ parut abandonn et qu'il s'cria : ce Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonn? Par l le Christ reprsentait ses martyrs ; ils n'auraientpas voulu mourir selon ces paroles adresses Pierre,quand il lui fut annonc par quelle mort il glorifieraitDieu : c(Un autre vous ceindra et vous conduira o vous ne voudrez pas aller, ; cause de cela les martyrssemblaient, pour un temps, abandonns de leur Dieulorsqu'il ne voulait pas leur accorder ce qu'ils deman-daient, et de leur cur partait la plainte du Christ mou-rant; ils avaient aussi au fond de leur me le sentimentde pit qu'exprima le Seigneur aux approches de sapassion, reprsentant les martyrs dans sa divine per-sonne : c( Mais, mon pre ! que votre volont soit faite et non pas la mienne.

    Qui donc , si ce n'est notre chef lui-mme, a dunous apprendre pour quelle vie nous sommes chr-tiens? C'est pourquoi Jsus ne dit pas : Mon Dieu,mon Dieu, vous m'avez abandonn; mais il nous avertitd'en chercher la raison lorsqu'il ajoute : Pourquoi m'avez-vous abandonn? c'est--dire pourquoi? cause de quoi? pour quel motif? Assurment il y avaitquelque motif, et un motif assez grand, pour que No

    (1) I. kTimotlie,vi, 17, 19.

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    LETTRE CLX. 27fut sauv du dluge, Loth du feu du ciel, Isaac du glaivesuspeudu, Joseph des accusations d'une femme et de laprison, Mose des Egyptiens, Raab de la ruine d'uneville, Suzanne de fanx tmoins, Daniel des lions, les troishommes des llammes; il y aeu un motifpour que d'autrespres qui ont cri vers Dieu aient t sauvs, et que Dieun'ait pas dlivr le Christ des mains des juifs et qu'ill'ait laiss jusqu' la mort au pouvoir de ses ennemis.Pourquoi cela ? pourquoi ces desseins de Dieu si ce n'est cause de cette parole du mme psaume : a. Que cela ne me soit pas imput folie, c'est--dire moncorps, mon Eglise, aux moindres de ceux qui m'ap-partiennent. Car il est dit dans l'vangile : a Quand vous l'avez fait pour Fun de mes plus petits, vous lavez fait pour moi (1). Il a t dit : Que cela ne me soit pas imput folie, )) comme il a t dit :(( Vous l'avez fait pour moi, et ces mots du Christ :(( Pourquoi m'avez-vous abandonn ? ont le mmesens que ces autres mots : a Qui vous reoit me reoit, qui vous mprise me mprise. Au lieu donc que cecinous soit imput folie, apprenons que nous ne devonspas tre chrtiens en vue de cette vie o parfois Dieunous abandonne jusqu' la mort aux mains de nos en-nemis, mais en vue de la vie ternelle : voil ce quenous enseigne l'exemple de celui dont le nom est deve-nu le ntre.Ainsi est-il arriv ; et pourtant beaucoup de gensne veulent tre chrtiens que pour jouir de la fli-cit de cette vie, et quand cette flicit leur manque, ilsn'ont plus de foi. Que serait-ce donc si un si grand

    (1) Saint Matthieu, xxv, -40.

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    28 AUGUSTIN A HONOil.exemple ne nous avait t donn dans la personne denotre chef pour nous apprendre mpriser les chosesde la terre en vue des choses du ciel et tenir nos re-gards attachs, non pas sur les choses visibles, mais surles invisibles? Ce qui se voit est temporel, mais ce quine se voit pas est ternel. Le Christ a daign par ce langagereprsenter notre propre misre. Car, en ce qui letouche, comment aurait-il voulu tre dlivr de cetteheure de mort, puisque c'est pour cela qu'il tait venu ?Et comment aurait-il pu parler comme un homme qui arrive le contraire de ce qu'il veut, lui qui per-sonne ne pouvait ter la vie, mais qui avait le pouvoirde la quitter et de la reprendre, comme il l'a dit dansl'Evangile? Certainement c'est nous qui lui tions })r-scnts quand le Christ prononait ces paroles, et le chefparlait pour son corps : il y avait unit de langage l oi^i ily avait parfaite union.

    Faites attention, dans la suite du psaume, cetteprire : ce Parce que vous m'avez tir du sein de ma mre, vous avez t mon esprance depuis que j'ai commenc sucer ses mamelles. Je me suis jet entre vos mains ds mon premier jour; vous tes mon) Dieu depuis que j'ai quitt les en brailles de ma mre (1). C'est comme si le Psalmiste avait dit :Vous m'avez fait passer d'une chose une autre pourque vous soyez mon bien, au lieu des biens terrestres decette mortalit que j'ai prise dans le sein de ma mre,dont j'ai suc les mamelles. Car c'est l l'tat du vieilhomme d'o vous m'avez tir ; et ces biens de la nais-sance charnelle ce sont les biens d'o je me suis d-

    fi) Psaume XXI, 10, 11.

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    LETTRE CL\. 29tourn j)oiir mettre en vons seul mon esprance. VA(( depuis que je suis sorti du sein de ma mre, )^ c'est--dire depuis ([uc j'ai commenc vivre de cette vie,(( je me suis jet entre vos mains, c'est--dire enpassant vous, en me donnant tout vous. C'est pourcela que depuis que j'ai quitt les entrailles de ma mre, c'est--dire depuis que j'ai connu les biens decette mortelle vie que j'ai prise dans le sein maternei,(( vous tes mon Dieu, atin que ce soit vous qui soyezmon bien. Cette manire de parler est comme celle-ci par exemple : De la terre je suis venu habiter le ciel,c'est--dire j'ai pass de l ici : et c'est ainsi que nousavons t transforms en Jsus-Christ, nous qui chan-geons de vie parla grce de la nouvelle alliance, en pas-sant de la vie du vieil homme celle du nouveau. C'estce que le Christ a montr par le mystre de sa passionet de sa rsurrection, en changeant sa chair mortelle encorps immortel ; quant sa vie, il ne l'a pas fait passer un tat nouveau parce qu'elle a toujours t unepieuse vie.

    Il est des commentateurs qui ont rapport notrechef lui-mme ces paroles : a Vous tes mon Dieu de- puis que j'ai t tir du sein de ma mre, parceque le pre est son Dieu en tant qu'il est homme sousla forme d'un serviteur et non pas en tant que le Christest gal au Pre dans la forme de Dieu (1) ; en disant :(( Vous tes mon Dieu depuis que j'ai t tir du sein de ma mre, )> c'est comme si le Sauveur disait :Depuis que j'ai t fait homme, vous tes mon Dieu.Mais que signifient ces mots : Vous m'avez tir des

    (1) Saint Ambroiso, livre I, sur la Foi, rhapitrc vi.

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    30 AUGUSTIN A HONOR. entrailles de ma mre, si on les entend de Jsus nd'une vierge , comme si Dieu ne tirait pas les autreshommes du sein de leur mre, Dieu dont la providencecomprend tout ce qui nat Le Psalmiste a-t-il voulumarquer le miraculeux enfantement d'une vierge, etannoncer que Dieu lui-mme a fait cela pour que per-sonne ne refuse d'y croire ? Qu'est-ce que c'est doncque ce passage? ce Vous tes mon esprance depuis que j'ai commenc sucer les mamelles de ma mre? En appliquant le sens de ces endroits au chef mmede l'Eglise , il semblerait que son esprance en Dieudate du jour o il a suc les mamelles de sa mreet n'a pas commenc auparavant? car il ne faut pasentendre ici une autre esprance que celle d'tre res-suscit d'entre les morts, et tout ceci est dit par rapport l'incarnation. Mais comme la fcondit des mamellesdes femmes se prpare ds le moment de la concep-tion, peut-tre que ces mots : a depuis la mamelle quivalent ceci : Depuis que j'ai pris une chair pourlaquelle j'esprais l'immortalit; de sorte que le Christn'avait rien esprer, lorsqu'il tait dans la forme deDieu, o nul changement en mieux n'est possible ;mais son esprance datait de la premire heure o ilavait pris une chair, laquelle devait passer de la mort l'immortalit.

    Mais ces paroles : Je me suis jet entre vos mains ds le sein de ma mre, j'ignore comment on peutles appUquer notre chef. Est-ce que, mme dans lesein maternel, il n'tait pas ce Dieu dans lequel nousavons la vie, le mouvement et l'tre? est-ce que l'meraisonnable de cet enfant n'aurait commenc espreren Dieu, que depuis sa naissance? Faut-il croire par

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    LETTRE Ct\. 31liasard qu'une me raisoniKible ne lui a t donnet]u'a})rs tre sorti du sein de sa mre, et que cette melui manquait avant qu'il eut vu le jour? et parce qu'elletait unie Dieu, faut-il croire que ce soit selon lachair que ces paroles aient t crites : a Je me suis jet entre vos mains, au sortir du sein de ma mre? c'est comme s'il avait t dit : j'ai reu au sortir dusein de ma mre, l'me qui vous tait unie. Mais quiserait assez tmraire pour soutenir cette opinion, lors-que l'origine de l'me est cache en de telles profondeursque mieux vaut la chercher toujours tant que noussommes dans cette vie, que de jamais prsumer l'avoirtrouve? nous avons dit comment ces paroles pouvaienttre entendues de notre nature transforme en celle duChrist. S'il arrive que quelqu'un ait pu ou puisse dcou-vrir quelque chose de meilleur, nous ne mconnaissonsaucun gnie et nous ne portons envie aucune doctrine.

    Ces mots : (c Pourquoi m'avez-vous abandonn? voyez comme ils s'clairent de ces autres paroles : Ne vous loignez pas de moi, parce que l'affliction est proche ! Comment Dieu a-t-il abandonn le Christ?C'est en le dlaissant dans la flicit de cette vie.Le Christ le prie de ne pas s'loigner et de lui laisserl'esprance de rternelle vie. Mais pourquoi ces mots : Mon affliction est proche ! Car la Passion du Sauveurn'tait pas loigne, et ce psaume prophtique toucheaux souffrances mmes du Rdempteur. C'est dans cepsaume qu'on lit ce qui se retrouve dans l'Evangilemme : (( Ils ont partag entre eux mes vtements, et ils ont tir ma robe au sort (1) ; ce qui arriva tan-

    (4) Saint Matthieu, xxvii, 3S,

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    32 AUGUSTIN A HONOR.dis que le Sauveur tait suspendu h la croix. Pourquoidonc cette affliction qui est proche quand le Sau-veur parle au milieu mme de sa Passion? Ce qu'il fautcomprendre, c'est que quand la chair est dans les dou-leurs et les peines, l'me soutient un grand combatde patience oii elle a besoin de travailler et de prierpour ne pas succomber. Rien n'est plus prs de Fmeque sa chair; aussi tout grand et parfait contempteurde ce monde ne soufTre pas lorsqu'il ne souffre pasdans sa chair. Il a sa raison qui veille, lorsqu'il perddes biens extrieurs et qui sont si loin du cur d'unsage ; il ne se met pas en peine de ce qu'il souffre parcequ'il ne souffre rien. Mais quand il perd les principauxbiens du corps, la sant et la vie, l'affliction menace lesbiens de l'me, par lesquels le sage rgne sur sonpropre corps. Y a-t-il une raison assez forte pour nousprserver de la douleur si on nous dchire ou si on nousbrle le corps? Telle est son union avec l'me quecelle-ci souffre ncessairement quand l'autre souffre.Le grand homme que le dmon avait obtenu de pou-voir tenter, perdit d'abord ses biens extrieurs; ces pre-

    mires preuves le trouvrent impassible ; il disait Le Seigneur l'a donn, le Seigneur l'a t; il a t fait comme il a plu au Seigneur : que le nom du Seigneur soit bni (1) ; le dmon alors demanda detourmenter le saint homme dans sa chair et l'attaquadans ses biens les plus proches, les biens du corps ; encas de dfaite et de dfaillance impie de la part de Job,les biens de son me devaient prir aussi, et c'tait lque voulait en venir le tentateur. Dans cette grande

    (i) Job, I, 2L

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    LEilUE CXL. 33preuve, O rafflictioii touchait aux biens de l'me, Job,malgr le caractre prophtique de beaucoup de sesparoles, tint un langage diffrent de celui qu'il faisaitentendre quand il ne s'agissait que des biens extrieurs :dans ces biens taient compris ses enfants qu'il n'avaitpas perdus, mais qui seulement taient partis avant lui.

    C'est donc l'me du martyr, reprsent par Jsus-hrist, qui crie, lorsque dj elle commence souffrirdans la chair. Elle dit Dieu qui l'abandonne dans laterrestre flicit, mais avec qui elle demeure dans l'es-prance de Fternelle vie : Ne vous loignez pas de moi parce que mon affliction est proche : ce n'estni dans mon champ, ni dans mon or, ni dans montroupeau, ni dans mes maisons et mes murailles, nini dans la perte de mes enfants; c'est dans ma chair, laquelle je suis uni, laquelle je suis li; je ne puis pasne pas sentir ce qu'elle sent; je suis serr d'aussi prsque je puisse l'tre pour que ma patience m'abandonne. Ne vous loignez pas de moi, parce que je n'ai per-ce sonne qui vienne mon secours : ni ami, ni pa-rent, ni louange humaine, ni souvenir d'un plaisirpass, ni rien de ce qui a coutume d'tayer les crou-lantes flicits de la terre, ni mme la vigueur humainequi est en moi; si vous vous loignez, que devientla force de l'homme? L'homme n'est quelque choseque parce que vous vous souvenez de lui.

    ce Des veaux m'ont entour en grand nombre : cela s'entend du bas peuple. Des taureaux gras m'ont attaqu ; cela s'entend des orgueilleux et des riches,chefs du peuple. Ils ont ouvert contre moi leur bouche, criant : rucifiez-le, crucifiez-le. Ilstaient comme un lion ravissant et rugissant : car,

    III. 3

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    34 AUGUSTIN A HONORK.aprs avoir saisi le Christ, ils l'ont entran chez legouverneur, et ils ont rugi en demandant sa mort,a J'ai t rpandu comme de l'eau : j'ai t commeune eau qui a fait ghsser et tomber mes ennemis.c( Tous mes os ont t disperss : que sont-ce queles os sinon les soutiens du corps? Or, le corps duChrist, c'est l'Eglise : et quels sont les soutiens deFEglise, sinon les aptres qui, ailleurs, en sont appelsles colonnes. Les aptres se dispersrent quand onconduisait leur matre la croix, aprs qu'il eut souf-fert et qu'il fut mort. Mon cur s'est fondu comme de la cire au milieu de mes entrailles : il estdifficile de trouver comment ceci peut se rapporter notre chef, qui a t le Sauveur de son propre corps. Ilfaut un bien grand effroi pour que le cur de l'hommese fonde comme de la cire : comment un sentiment pa-reil se serait-il rencontr en celui qui avait le pouvoirde quitter et de reprendre la vie ? Mais le Christ a repr-sent assurment les infirmits des siens, soit de ceuxqui ont peur de la mort, comme Pierre lui-mme quirenia coup sur coup son matre aprs des assurancessi prsomptueuses, soit de ceux qu'une tristesse salutaireaccable, comme ce mme Pierre quand il pleura amre-ment. Car la tristesse fait comme fondre le cur ; etc'est pourquoi on l'appelle Xutt;^ (1) en grec. Le Christ a-t-il voulu nous faire entendre ici quelque chose de mys-trieux et de profond, et nous dsigner sous le nom deson cur ses divines Ecritures? c'est l qu'tait cach cequi s'est rvl, quand par sa passion, il a accompli lesprophties. Son avnement, sa naissance, sa passion, sa

    (1) Aufry] vieiKli'ait-il de /vsiv qui si^nK'rcsoiidre, dtruire?

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    LETTRE CXr. 35rosiirrcction, sa glorifK'ilion sont comme autant dopoints de ses Ecritures qui ont eu leur solution. Qui necomprend ces choses dans les })rophtes, lorsqu'elles sontentres mme dans res[)rit de la multitude charnelle?Peut-tre le Christ la dsii2;ne-t-il par ses entrailles : il luidonne ainsi dans son corps, qui est l'Eglise, la place duventre, cause de la grossiret de ses penchants. Ouhien si ce mot d'entrailles convient davantage aux per-sonnes intrieures, on en conclura que l'intelligence desEcritures appartient surtout ceux qui sont les plus par-faits : le cur du Christ, c'est--dire ses Ecritures, quirenferment ses desseins ternels, se fond comme de lacire au milieu d'eux, dans leurs penses; il se fond ence sens qu'il est ouvert, pntr, dvelopp par la fer-veur de l'esprit.

    (( Ma force s'est afermie (1) comme de la terre cuite au feu. Le vase de terre est affermi par le feu; laforce du corps du Christ n'est pas comme une paille quele feu consume, mais elle s'accrot par la souffrancecomme le vase de terre s'endurcit dans le feu. L'Ecrituredit ailleurs : La fournaise prouve les vases du potier, et l'afiliction prouve les justes (2). a Ma langue s'est attache mon palais. Ce verset du psaumepeut signifier le silence marqu par un autre prophte : Il est demeur sans voix comme l'agneau devant celui qui le tond (3). Mais si nous entendons par la voixdu Christ ceux dont il se sert pour annoncer son Evan-

    (1) Le texte de saint Augustin, ainsi que la Vulgate, porte : cxnriit.Mais le sens de ce mot ne saurait convenir au commentaire que l'vcqued'Hippone nous donne de ce passage* Voir la version des Septante.

    (2) Eccl>., xxYii, G.(3) Isae, LUI, 7.

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    36 AUGUSTIN A HONORK.gile, nous dirons qu'ils s'attachent son palais quand ilsne s'cartent pas de ses prceptes.

    Ce qui suit : Et vous m'avez conduit dans la pous- sire de la mort, )) comment l'appliquer notre chef,dont le corps ressuscit le troisime jour n'est pas tomhen poussire ? Les aptres, dans leur explication de cepassage d'un autre psaume : Vous ne permettrez pas que votre saint soit livr la corruption (1), ont re-connu que le corps du Sauveur, si promptement ressus-cit, n'avait pas t corrompu. Le Christ a dit dans unautre psaume : a A quoi servira l'effusion de mon sang, si je tombe dans la corruption? La poussire chan- tera-t-elle vos louanges et publiera-t-elle votre va- nit (2) ? Le Christ veut dire que si, une fois mort,il tait devenu en poussire comme les autres, et si larsurrection de sa chair avait t diffre jusqu' la findes temps, son sang aurait coul sans profit : sa mortn'aurait servi rien, et la vrit de Dieu qui avait an-nonc sa prompte rsurrection n'aurait pas t annonce.Que veut-il donc dire de lui dans ce passage : Et vous m'avez conduit dans la poussire de la mort? Nousdevons entendre ici son corps qui est l'Eglise : ceux qui,dans le sein de l'Eglise, sont morts ou meurent pour lenom du Christ, ne ressuscitent pas aussitt que lui, maisils sont conduits dans la poussire de la mort en attendantle temps de la rsurrection marqu par l'Evangile : L'heure viendra oii tous ceux qui sont dans les tom- beaux entendront sa voix et se lveront (3). Peut-tre aussi, dans la pense du Christ, la poussire de la

    (i) Psaume xv, 10,(2) l'sainne xxix, 11, 12.(3) Saint Jean, v, 28.

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    LETHIK CXL. 37mort est une tifjcnro ([ui dsigne les juifs cn\-mcines. auxmains desquels il a t livr ; ear il est crit : 11 n'en est>) pas ainsi des impies, non, non, il n'en est pas ainsi ;^> mais ils seront comme la poussire que le vent chasse sur la face de la terre (1).

    Des chiens m'ont environn en grand nombre ; une)) runion de mchants m'a assig. Ceux qu'il a d-signs sous le nom de poussire de la mort, le Christ lesdsigne ici sous la dnomination de chiens nombreuxet de mchants rassembls; il les appelle des chiensparce qu'ils aboient contre ceux qui ne leur font aucunmal et cpi'ils n'ont pas coutume de voir. Mais ce qui suitest comme un rcit mme de l'Evangile ; c'est le cruci-fiement du Sauveur : Ils ont perc mes mains^et mes pieds, ils ont compt tous mes os. Ils m'ont considr et regard. En effet, ses pieds et ses mains ont tpercs de clous, et quand son corps a t tendu sur lacroix, on a en quelque sorte compt ses os. On Ta con-sidr et regard pour savoir ce qui allait lui arriver,pour savoir si Elie viendrait le dlivrer.Le verset qui suit n'a pas besoin d'explication : Ils ont partag entre eux mes vtements, et ont tir ma robe au sort. Les paroles qui viennent aprs sontune prire soit du chef, c'est--dire de l'homme mdia-teur, soit du corps, c'est--dire de l'Eglise, que le Christappelle son unique bien-aime. Mais vous, Seigneur, dit-il, n'loignez pas de moi votre secours. Ceci ap-partient sa propre chair, dont la rsurrection n'a past renvoye des temps lointains comme la rsurrectiondes autres morts. Soyez attentif ma dfense. De

    (1) Psaume i, 4.

    P%^^-

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    38 AUGUSTIN A HONOR.peur que les ennemis ne fassent du mal ; ils croient pou-voir quelque chose parce qu'ils frappent de mort unechair mortelle. Mais les ennemis ne font aucun mal si,avec la grce de Dieu, ceux qu'ils frappent ne flchissentpas et ne consentent point au mal. Ailleurs il a t pro-phtis que c( la terre a t livre aux mains des impies : ce qui s'entend de la chair terrestre.

    (( Dlivrez mon me de la frame (1). La frame estune pe ; le Christ n'a pas pri par un fer semblable,mais par la croix ; ce n'est pas une pe, mais une lancequi a ouvert son cl. La frame dsigne donc ici m-taphoriquement la langue des ennemis, comme il est ditdans un autre psaume : Et leur langue est comme uney) pe tranchante. Comme en ce qui touche sachair, la langue des mchants a triomph, le Christ prieque nul mal ne soit fait l'me : Dlivrez mon me de la frame : si on l'applique notre chef, cetteprire est bien moins une supplication que la prdic-tion figure d'une chose future. Le mot de frame a putre employ cause des perscutions violentes que l'E-glise devait souffrir, car c'est surtout avec la framequ'on a fait mourir les martyrs ; le Christ prie doncpour leurs mes, afin qu'ils ne craignent pas ceux quituent le corps mais ne peuvent tuer l'me, et afin qu'ilsne consentent pas aux choses dfendues. Peut-tre encorei.le Christ appelle du nom de frame la langue des en-nemis, et veut que son me, c'est--dire l'me de soncorps, l'me de ses saints en soit dlivre.

    (1) Quoique, dans notre langue, la irame dsigne partieuliremeutl'arme des anciens Ccrniains, nous ne trouvons pas d'autre mot pourtraduire ici le mot du texte : frame. Le mot pe ne convient point.Frame est une sorte d'pe. Ce n'est pas ce qu'on appelle uoe pe.

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    LETTRE CXL. 39(( Divrez mon uniijiie bien-aime de la fureur du

    >) chien : il ne peut s'agir ici que de l'Eglise. Le Christdsiji^ne le monde sous le nom de chien, parce qu'ilaboie, sans autre raison que Thabitude, contre la vrit laquelle il n'est pas accoutum. Tel est le naturel deschiens qu'ils n'aboient pas contre les gens, bons ou mau-vais, qu'ils ont coutume devoir; mais ils s'irritent contreles personnes qu'ils ne connaissent pas, mme quandelles ne leur font aucun mal. La fureur du chien )> re-prsente la puissance du monde. C'est aussi sous lafigure d'un lion qu'a t reprsent le monde dans sonattaque future contre l'Eglise : Sauvez-moi de la gueule du lion. De l cette parole du livre des Proverbes : Il n'y a pas de diffrence entre les menaces du roi et la colre du lion. Cependant l'aptre Pierre comparele dmon au lion rugissant et cherchant tout autour cequ'il dvorera. Voulant montrer les superbes de cemonde comme les ennemis des humbles chrtiens, ilajoute : Et dlivrez ma faiblesse des cornes des li- cornes. Les licornes reprsentent les orgueilleuxqui dtestent d'tre mls avec le reste des hommes:tout orgueilleux, autant qu'il est en lui, dsire tre seul s'lever.

    Voyez maintenant quel fruit il faut tirer de tout ceci :si le Christ n'a pas t cout mais dlaiss en ce quitouche la flicit de la terre, c'est afin que nous sachionsce que nous devons dsirer par la grce de la nouvellealliance ; ou bien on doit entendre qu'il a t exauc quandil a demand Dieu de ne pas s'loigner de lui : il yaurait ici une contradiction s'il ne fallait pas attacher chacun de ces passages un sens diffrent. Ecoutez doncavec l'attention la plus forte, comprenez avec tout votre

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    40 AUGUSTIN A HONOR.esprit la grande chose que je Yais vous dire aussi bienque je le pourrai, ou plutt autant que me l'inspireracelui qui nous exauce, en Jsus-Christ, en tant qu'ilest homme mdiateur entre Dieu et nous, et avec Jsus-Christ en tant qu'il est Dieu gal Dieu : il est assezy) puissant pour faire, selon les paroles de l'Aptre, au-del de ce que nous demandons et comprenons : voyez dans ce psaume la grce de la nouvelle al-liance ; voyez quel est le fruit de cet abandon, de cettetribulation, de cette prire, quelles insinuations et quellesleons clatantes en dcoulent. Voyez ce qui a t pro-phtis bien avant que l'accomplissement en part sousnos yeux : a Je raconterai votre nom mes frres, dit le Psalmiste, je vous chanterai au milieu de FE- glise (1). Les frres sont ceux dont il est dit dansl'Evangile : Allez, et dites mes frres (2). CetteEglise est celle que le Christ a appele son unique bien-aime, la seule catholique, rpandue sur toute la terre,et qui crot et s'tend jusqu'aux nations les plus loi-gnes : de l ces paroles de l'Evangile : Et cet Evan- gile sera annonc dans le monde entier pour servir de tmoignage toutes les nations, et ensuite la fin viendra.

    (( Je chanterai : c'est ce cantique nouveau dont ilest dit dans un autre psaume : Chantez au Seigneur un cantique nouveau, que toute la terre le lui)) chante (3). Vous avez ici quel cantique doit trechant et au milieu de quelle Eglise. C'est un cantiquenouveau, et l'Eglise qui le chantera c'est toute la terre.

    (1) Psaume xxi, 23.(2) Saint Jean, xx, 17.(3) Psaume xcv, i .

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    LKITUE CXL. 41Le Christ liii-iiuMne chante en nous, comme dit l'A-potrc : (( Est-ce que vous voulez })rouver la puissance du Christ qui parle en moi (1)? Le milieu de l'E-glise s'entend par Tclat et le retentissement, parce que})lus les choses se font ouvertement, plus on dit qu'ellesse font au milieu du monde : le milieu de l'Eglise peuts'entendre aussi des personnes intrieures de l'Eglise,parce que l'intrieur c'est le milieu. Car tout hommequi a des chants sur les lvres ne chante pas ce le can- tique nouveau, mais celui-l seul qui chante commele dit l'Aptre : Chantant et psalmodiant du fond de vos curs la gloire du Seigneur (2). Elleest intrieure cette joie qui fait chanter et retentirles louanges de Dieu ; cette voix de la louange clbrele Dieu qu'il faut aimer pour lui-mme de tout cur,de toute me, de tout esprit : il embrase celui quil'aime par la grce de son Saint-Esprit ; car qu'est-ceque c'est que le cantique nouveau, sinon la louange deDieu?

    La suite du psaume nous le montre avec plus d'vi-dence. Aprs avoir dit : Je raconterai votre nom mes frres, parce que personne n'a jamais vu Dieuet que c'est le Fils unique qui est dans le sein du Prequi nous l'annonce lui-mme, et aprs avoir ajout :(( Je vous chanterai au milieu de l'Eglise, le Christnous fait voir aussitt comment il chante en nous mesure que nous avanons dans la connaissance de cenom qu'il a racont ses frres : vous qui craignez le Seigneur, dit-il, louez-le. Mais qui loue avec

    (1) II. aux Corinthiens, xiii, 3.(2) Aux phsiens, v, 19.

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    42 AUGUSTIN A UONOK.vrit, si ce n'est celui qui aime avec sincrit? C'estdonc comme si le prophte avait dit : Vous qui craignezle Seigneur, aimez-le. ce Le Seigneur a dit l'homme : voil que la pit est la sagesse (1). Or la pit c'estle culte de Dieu, et l'on n'adore Dieu qu'en l'aimant.La souveraine et vraie sagesse est donc dans ce pre-mier prcepte : ce Vous aimerez le Seigneur votre Dieu)) de tout votre cur, et de toute votre me. )) C'estpourquoi la sagesse est l'amour de Dieu ; cet amour n'estrpandu dans nos curs que par le Saint-Esprit qui nousa t donn. Mais la crainte du Seigneur est le com-mencement de la sagesse ; on ne craint plus quandon aime; la parfaite charit chasse la crainte. Lacrainte qui nous est d'abord inspire dtruit l'habitudedes uvres mauvaises et rserve la place l'amour :elle s'en va quand l'amour arrive pour s'tablir enmatre dans le cur de l'homme.

    Donc, c( vous qui craignez le Seigneur, louez-le : adorez Dieu, non pas d'un culte servile, mais d'un cultelibre ; apprenez aimer celui que vous craignez, et vouspourrez louer l'objet de votre saint amour. Les hommesde l'ancienne alliance, craignant Dieu cause de la lettrequi pouvante et qui tue, et n'ayant pas encore l'espritqui vivifie, couraient au temple pour offrir des sacrifices ;le sang qu'ils rpandaient tait une figure de celui parlequel vous avez t rachets, mais ils l'ignoraient lors^qu'ils immolaient des victimes. Maintenant que noussommes dans la grce de la nouvelle alliance, vous qui craignez le Seigneur, louez-le. Lui-mme, dansun autre psaume, annonant d'autres sacrifices la place

    (1) Job, xxviii, ^8, selon les Seplantc.

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    LKMRK CXL. 43de ceux (jui laieiil oO'erts coiiime une figure de Tavenir,il a dit : a Je ne recevrai plus de laueaux de votre main,)) ni de boucs de vos troupeaux. Et pou aprs, afin demontrer le sacrifice de la nouvelle alliance, immolez Dieu, dit-il, u le sacrifice de louante, et rendez vos vux au Trs-Haut. Et la lin du mme psaume :u Le sacrifice de louange me glorifiera ; l est la voie par laquelle je montrerai l'homme mon salut (1). Le salut de Dieu c'est le Christ, que le vieillard Simonreconnut en esprit quand le Sauveur tait encore enfant;il le prit entre ses bras, et dit : u Maintenant, Seigneur,)) vous laisserez mourir en paix votre serviteur, selon votre parole, parce que mes yeux ont vu votre sa- lut (2).

    Donc, c( vous qui craignez le Seigneur, louez-le ;que toute la race de Jacob le glorifie. 11 n'a pas suffiau prophte de dire : la race de Jacob ; il a vouludire a toute la race ; de peur qu'on n'appliqut cesparoles qu' ceux d'entre les juifs qui devaient croire.Car la race de Jacob est la mme que celle d'Abraham ;ce n'est pas seulement aux juifs fidles, mais tous ceuxqui croient en Jsus-Christ que l'Aptre adresse cesmots : Vous tes la race d'Abraham, hritiers selon la promesse (3). L'Aptre nous a fait voir une figurede kl nouvelle alliance dans ce passage de l'Ecriture ;(( C'est Isaac qui sera appel votre fils (4) : non pas parla descendance d'ismal, fils de la servante. L'Aptre,crivant aux Galates, trouve une figure allgorique des

    (1) Psaume xux, 9, 14, 23.(2) Saint Luc, 29, 30.{3} Aux Galates, m, 29.(4) Aux ioroains, ix, 7.

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    44 AUGUSTIN A HONOR.deux alliances dans les deux fils d'Abraham, l'un esclave,l'autre libre, et dans les deux femmes, l'une esclaye,l'autre qui ne l'tait pas. Ce ne sont pas les enfants de la chair, dit-il, qui sont enfants de Dieu ; ce sont les enfants de la promesse qui sont rputs de la race d'Abraham. Caria parole de la promesse est celle-ci : Je viendrai ce temps-l, et Sara aura un tils (1).

    Ce serait trop long d'expliquer en dtail pourquoi lesenfants de la promesse, appartenant Isaac, appar-tiennent la grce del nouvelle alliance. J'en dirai ce-pendant un mot ; vous en retirerez d'autant plus de fruitque vous le mditerez avec plus de pit. Dieu ne pro-met pas tout ce qu'il prdit; car, dans sa prescienceuniverselle, il prdit ce qu'il ne fait pas lui-mme. Ilprdit donc les pchs des hommes ; ce qu'il a pu pr-dire, il ne le fait pas, mais il promet ce qu'il doit fairelui-mme ; le bien s'entend, pas le mal. Car, qui prometle mal? Quant au mal que Dieu rserve aux mchants,ce ne sont pas des pchs, mais des chtiments qui sontpromis ; et toutefois, c'est bien plus une menace qu'unepromesse. Dieu donne et prvoit tout; il prdit les p-chs, il menace des supplices, il promet les bienfaits :les enfants de la promesse sont donc les enfants de lamisricorde. La grce est ce qui se donne gratuitement,non point en considration de notre mrite, mais parpure bont. Nous en rendons grces au Seigneur notreDieu ; c'est le grand mystre du sacrifice de la nouvellealliance; o, quand et comment est-il offert? C'est ceque vous apprendrez lorsque vous serez baptis (2).

    (i) Romains, ix, 8; Gense, xviii, 10.(2) Nous citons le texte de ce passage parce qu'il est une prcieuse et

    vidente dsignation du saint sacrilice de la messe. Quod est magnum

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    LETTRE CXL. 45On lit ensuite : Que toute la race d'Isral le craigne.

    Ce n'est pas un petit mystre que les deux noms de Ja-cob et d'Isral donns un mme homme ; mais toutne peut pas tre dit dans un seul livre; celui-ci est djavanc, et nous n'avons pas touch encore aux troisautres questions : les tnbres extrieures, la largeur,la longueur, la hauteur et la profondeur dont parle l'A-ptre, et les dix vierges de la parabole vanglique. Ceque le prophte a dit plus haut de toute la race de Ja- cob )) est la mme chose que ce qu'il dit de a toute la race d'Isral. Mais pourquoi ci-d(?ssus l'invite-t-on glorifier le Seigneur et ici l'invite-t-on le craindre?La glorification se rapporte la louange ; le Psalmisteavait dit : a Vous qui craignez le Seigneur, louez-le ; je me suis dj longuement arrt sur ce passage. L estl'amour ou la charit de Dieu, qui, dans sa perfection,chasse la crainte. Pourquoi donc ces paroles : c< Que tout Isral le craigne ? Car vous n'avez pas reu, dit l'Aptre, un esprit de servitude qui vous fasse retom- ber dans la crainte (1). Mais le mme Aptre re-commande la crainte l'olivier sauvage ent sur l'oli-vier franc, c'est--dire aux nations qui ont t ajoutes la descendance d'Abraham, dlsaac e* de Jacob pourqu'elles deviennent elles-mmes Isral, c'est--dire pourqu'elles appartiennent la race d'Abraham.

    Cette greffe de l'olivier sauvage , la place desbranches naturelles retranches cause de leur infidleorgueil, le Seigneur l'a aussi prdite dans l'Evangile,

    sacrameutum in sacrificio Novi Testamenti, quod ubi, et quando, et quoniodo ofFeratur, cum fueris baptisatus, invenies. Le sacrementde lEucharislie restait cach aux catchumnes.

    (1, Aux Romains, vin. ]%.

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    4() AUGUSTIN A nOXOKK.l'occasion du centurion qui tait gentil et qui crut enlui : En vrit, je vous le dis, je n'ai pas trouve autant de foi en Isral; )> elle Seigneur ajouta : ce C'est pour- quoi je vous dis qu'il en viendra beaucoup d'Orient et d'Occident, et ils seront assis avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume des cieux : mais les enfants du royaume iront dans les tnbres extrieures ; c'est l qu'il y aura des pleurs et des grincements de dents : le Seigneur fait entendre que l'olivier sauvagesera ent cause de son humilit, car le centurion luiavait dit : Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, mais dites seulement une parole, et mony) serviteur sera guri (1) ; mais les branches naturellesretranches cause de leur orgueil reprsentent ceuxqui, ignorant la justice de Dieu et voulant tablir leurpropre justice, ne se sont pas soumis la justice de Dieu.De ces hommes enfls d'un vain orgueil, il a t ditqu'ils iront dans les tnbres extrieures: se vantantd'tre de la race d'Abraham, ils n'ont pas voulu devenirles enfants d'Abraham pour tre les enfants de la pro-messe. Ils n'ont pas reu la foi de la nouvelle alliance oclate la justice de Dieu et ont voulu tablir leur proprejustice. Ce qui veut dire que, confiants dans leurs m-rites et dans leurs uvres, ils ont ddaign d'tre les en-fants de la promesse, c'est--dire enfants de la grce,enfants de la misricorde : c'est ainsi que celui qui seglorifie, se glorifiera dans le Seigneur ; il croira en ceDieu qui justifie l'impie, c'est--dire qui fait d'un impieun homme pieux ; sa foi lui sera compte pour justice,et en lui s'accomplira, non pas ce que rclamait son

    (1) Saint Matthieu, viii, 8-12.

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    LETTRE CXL. 47niiite, mais ce que la l)Oiit du Seigneur a j)romis.

    L'Apotre, ayant affaire eeux qui, par la grce, taientents sur Tolivier franc, s'exprime ainsi : (c Vous dites :y) Les branches naturelles ont t brises pour que je sois ent leur place. C'est bien ; elles ont t brises cause de leur incrdulit. Pour tous, demeurez ferme par la foi ; gardez-vous de vous lever, mais craignez (1). C'est un bienfait de Dieu, votre mriten'y est pour rien ; l'Aptre le dit ailleurs : C'est par la grce que la foi vous a sauvs ; et ceci estun don de Dieuy) et ne vient pas de vos uvres, de peur que nul ne s'en glorifie. Car nous sommes sortis de ses mains, crs en Jsus-Christ dans les bonnes uvres qu'il a prparcM3S afin que nous y marchions (2). Dans cettemanire de comprendre la grce se trouve la craintedont il est dit : Gardez-vous de vous lever, mais crai- gnez. )> Cette crainte est diffrente de la craintesenile cpie chasse la charit ; l'une c'est la peur de tom-ber dans les supplices rservs par la justice de Dieu,l'autre c'est la peur de perdre la grce de ses dons.

    J'ai dj cit ce que dit l'Aptre aux fidles qui appar-tiennent la nouvelle alliance : Vous n'avez pas reu)) un esprit de servitude qui vous fasse retomber dans la crainte ; mais vous avez reu l'esprit de l'adoption des enfants, dans lequel nous crions : Pre, pre (3) : c'est--dire afin que nous ayons la foi qui opre parl'amour, non point en craignant la peine mais en aimantla justice. Cependant comme l'me ne devient juste quepar la participation quelqu'un de meilleur qui jus-

    (i) Romains, XI, 19, 20.(2) Aux phsiens, ii, 8, 9, 10.(3) Aux Romains, viii, 15.

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    48 AUGUSTIN A HONOR. tifie l'impie (car qu'a-t-elle qu'elle n'ait reu?),elle ne doit pas s'attribuer ce qui est de Dieu et s'en glo-rifier comme si elle ne l'avait pas reu? C'est pour celaqu'il lui a t dit : a Gardez-vous de vous lever, maiscraignez. Et cette crainte est recommande ceux-lmmes qui, vivant de la foi, sont les hritiers de la nou-velle alliance et appels la libert. S'lever, c'ests'enorgueillir ; ce qui rsulte clairement de cet autre pas-sage de l'Aptre : c( N'aspirez pas ce qui est lev, mais consentez ce qui est humble (1). Ces derniersmots indiquent assez que l'Aptre a en vue l'orgueildans les mots prcdents.On ne craint donc plus ds qu'on aime, parce que

    la charit parfaite chasse la crainte ; c'est cette crainteservile que la seule terreur des peines loigne dumal ; elle disparat quand on n'aime pas le pch ,dt-il rester impuni. La crainte mle d'amour, c'estl'apprhension de l'me de perdre la grce mme,par laquelle le pch lui dplat; elle ne veut pasque Dieu l'abandonne , lors mme que nul sup-plice vengeur ne l'attendrait au bout. Cette crainteest chaste ; la charit ne la rejette pas, elle la recherche,car il a t crit : La crainte du Seigneur demeure dans tous les sicles (2). Le Psalmiste ne dirait pasqu'elle demeure s'il n'en connaissait pas une autre quine demeure pas. Et c'est avec raison qu'on a dit qu'elleest chaste ; elle se mle l'amour par lequel l'me s'unit Dieu : Vous avez, dit-elle dans un autre psaume, vous avez perdu quiconque se souille en s'loignant de vous; mais, pour moi, je trouve mon bien m'atta-

    (1) Aux Romains, xii, 16.(2) Psaume xvni, iO.

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    LETTIU: CXL. 49 choi' Dieu (1). )) L'pouse qui porte un cur adul-tre, lors mme que la crainte de son mari l'empche decommettre le mal, d(vient criminelle par la volont,quoiqu'elle ne le soitpointpar le fait. Tels ne sont pas lessentiments de la femme fidle ; elle craint son mari,mais chastement. L'une aurait peur de l'indignation deson mari, Tautre de l'loigncment de son mari offens ; cen'est pas la prsence, c'est l'ahsence de l'poux qui estp-nihle celle qui aime. Que tous ceux de la race d'Isralcraignent Dieu, mais de cette crainte chaste qui demeuredans tous les sicles. Qu'ils craignent celui qu'ils aiment,non point en se laissant aller d'orgueilleux dsirs, maisen pratiquant l'humilit ; qu'ils oprent leur salut aveccrainte et tremblement. Car c'est Dieu qui opre eneux et le vouloir et le faire, selon leur bonne volont.

    Voil la justice de Dieu, voil ce que Dieu donne l'homme, lorsqu'il justifie l'impie. Les juifs superbes,ignorant cette justice et voulant tablir la leur propre,ne se sont pas soumis la justice de Dieu ; c'est cause decet orgueil qu'ils sont rejets, afin que l'humble oli-vier sauvage soit ent leur place. Et ceux-l iront dansles tnbres extrieures, qui forment le sujet d'une de vosquestions, pendant que beaucoup d'lus, venus d'Orientet d'Occident, seront placs dans le royaume des cieuxavec Abraham, Isaac et Jacob. Ils sont ds prsent dansdes tnbres extrieures, o l'on peut esprer qu'ils s'a-menderont ; s'ils ddaignent le retour la vrit, ils irontdans des tnbres plus extrieures o il n'y a plus deplace pour le repentir : Parce que Dieu est la lumire et en lui il n'y a pas de tnbres (2) ; mais il est la

    (I) Psaume lxxii, 27, 28.(:2) Saint Jean, i, 3.

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    50 AUGUSTIN A HONOR.lumire du cur et non pas de nos yeux de chair ; cettelumire n'est pas comme celle qui nous claire yisible-ment, quoiqu'on puisse la voir aussi, mais d'une bien autremanire, d'une manire bien diffrente. Car de quelsmots se servir pour expliquer quelle sorte de lumireest la charit ? Gomment s'en faire une ide avec toutesces choses qui tiennent aux sens? Croirons-nous que lacharit n'est peut-tre pas une lumire? Ecoutez Fa-ptre Jean ; c'est lui qui a dit ce que j'ai cit tout l'heure : ce Parce que Dieu est la lumire, et en lui il n'y a pas de tnbres ; et il a dit encore : ce Dieu est)) charit. Si donc Dieu est la lumire et si Dieu est cha-rit, la charit est certainement cette lumire mme,rpandue dans les curs par le Saint-Esprit qui nous a tdonn. Le mme aptre dit : Celui qui hait son frre)) est encore dans les tnbres (1). Ce sont l les tn-bres dans lesquelles le diable et ses anges ont march or-gueilleusement. La charit n'est pas jalouse et ne s'enflepas ; elle est sans envie parce qu'elle est sans orgueil ;ds que l'orgueil parat, la jalousie le suit, car l'orgueilest le pre de l'envie.Le diable et ses anges, dtourns de la lumire et du

    feu de la charit, et ayant grandement march dans l'or-gueil et l'envie, ont t comme engourdis dans une du-ret de glace. C'est pourquoi ils sont reprsents sousles figures de l'aquilon ; quand le dmon s'tendait surle genre humain, la grce du Sauveur tait prophtisedans le Cantique des Cantiques : Retirez-vous, aqui- Ion, venez, vent du midi, soufflez dans mon jardin, et les parfums couleront (2), Retirez-vous, vous qui

    (1) Saint Jean, ii, ii.(2) Cantiques, iv, G.

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    LETTIU: CXL. 51VOUS tiez prcipits sur le inonde, vous qni le teniezsous votre empire et qui pesiez sur lui ; retirez-vouspour que ceux dont vous opprimiez les mes soient sou-lags de votre poids, ce Et venez, vent du midi ; par lrponse des cantiques invoque l'esprit de grce, (piisouille du cot du midi comme d'un point chaud et lu-mineux, atin que les parfums coulent. De laces mots del'Apotre : ce Nous sommes la bonne odeur du Christ en tout lieu (1). )) Il est dit aussi dans un psaume :c( Faites cesser, Seigneur, notre captivit, comme le vent du midi change en torrent les neiges amonce- les (2) ; le dmon, comme un vent du nord, rete-nait ces mes captives; elles s'taient refroidies dansriniquit et s'taient geles en quelque sorte. L'Evangilenous dit : Parce que l'iniquit abondera, la charit de plusieurs se refroidira. Mais, au souffle du vent dumidi, la glace se fond, les torrents coulent, c'est--direque, les pchs tant remis, les peuples coulent vers leChrist par la charit. Ailleurs encore il est crit: ce Vos pchs se fondront comme la glace en un jour doux et serein (3). La crature raisonnable, ange ou homme, a t ainsi

    faite, qu'elle ne peut pas tre elle-mme son proprebonheur; elle devient heureuse si, dans sa changeantenature, elle se tourne vers le bien qui ne change pas ; sielle s'en loigne, elle est misrable. Son vice, c'est cetloignement ; sa vertu, c'est son effort pour se tournervers ce bien souverain. Notre nature n'est donc pasmauvaise en soi, parce que toute crature raisonnable

    (1) II. aux Corinthiens, il, la.(2) Psaume cxxv, 4.(3) Eccls., 111, 17.

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    52 AUGUSTIN A HONOR. la Ye de Fesprit; mme quand elle est prive de cebien dont la })articipation la rend heureuse, c