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Recueil du Symposium de 2010 de Statistique Canada Statistiques sociales : interaction entre recensements, enquêtes et données administratives Possibilités et défis dans l’utilisation de données administratives sur la justice

pour la recherche longitudinale et de réseau

Peter J. Carrington1

Résumé

Le présent document explore les façons dont les données sur l’administration de la justice du Centre canadien de la statistique juridique (CCSJ) ont été et pourraient être utilisées pour la recherche longitudinale et de réseau sur la délinquance et la criminalité. Certains problèmes liés à ce type de recherche sont également présentés. Ce document est principalement axé sur le Programme de déclaration uniforme de la criminalité fondé sur l’affaire (DUC2), mais tient aussi compte des données de l’Enquête sur les tribunaux de la jeunesse (ETJ) et de l’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA). Même si aucune de ces enquêtes ne comporte d’identificateur unique des personnes, elles ont servi à la recherche longitudinale sur la « carrière criminelle » de délinquants accusés, grâce au couplage des enregistrements sur plusieurs années pour chaque personne accusée et à l’appariement du code Soundex, du sexe et de la date de naissance. Certains résultats sont présentés. La recherche sur les réseaux de délinquants et de criminels nécessiterait le couplage d’affaires à partir d’ensembles de coaccusés qui se recoupent pour différentes affaires. Mots-clés : longitudinale; réseaux; criminel; délinquant; DUC2.

1. Recherche longitudinale sur la criminalité et la délinquance 1.1 Questions de recherche sur la criminalité dans les parcours de vie La criminalité dans les parcours de vie est devenue l’un des principaux paradigmes de l’étude de la criminalité et de la délinquance (Sampson et Laub, 1993; Laub et Sampson, 2003). Il tient compte des paramètres de la carrière criminelle, ou encore de la séquence des actes criminels commis au cours de la vie, ainsi que de leurs causes et de leurs conséquences. Parmi les paramètres clés figurent les suivants :

• l’âge au début et à la fin de la délinquance; • la prévalence cumulative par âge et le taux de délinquance, ainsi que la contribution de chacun au nombre

d’actes criminels selon l’âge; • la fréquence de la délinquance (c.-à-d. le nombre d’actes criminels commis pendant la carrière criminelle). • la spécialisation et la diversité des types d’actes criminels commis; • l’escalade/la désescalade/la stabilité de la gravité de la délinquance; • la codélinquance (c.-à-d. le fait de commettre des actes criminels avec des complices).

1.2 Source des données pour la recherche sur la criminalité dans les parcours de vie Les comportements délinquants et criminels au cours de la vie sont habituellement étudiés à partir d’ensembles de données personnalisés. Les données sont recueillies de façon prospective auprès du même échantillon, au fur et à mesure qu’il avance en âge, et intègrent des données d’interviews et de dossiers administratifs, comme les dossiers de la police ou les dossiers scolaires (Liberman, 2008). Comme il s’agit d’un mode de collecte à forte intensité de main-d’œuvre, les échantillons sont habituellement relativement petits, comprenant de 500 à 2 000 cas. Par ailleurs, les données peuvent être tirées exclusivement de dossiers administratifs. Cette stratégie permet l’utilisation de populations ou d’échantillons beaucoup plus importants et supprime la nécessité d’un suivi prospectif des sujets sur une longue période. Le principal inconvénient est la gamme limitée de variables auxquelles on a accès,

1 Department of Sociology and Legal Studies, University of Waterloo, Waterloo, ON N2L 2B9 pjc@uwaterloo.ca

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particulièrement sur les corrélats de la délinquance. L’auteur a adopté cette stratégie pour étudier les carrières criminelles des jeunes délinquants au Canada, à partir de données de trois enquêtes du Centre canadien de la statistique juridique :

• le Programme de déclaration uniforme de la criminalité fondé sur l’affaire (DUC2); • l’Enquête sur les tribunaux de la jeunesse (ETJ); • l’Enquête sur les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes (ETJCA).

1.3 Certains résultats La figure 1.3-1 est tirée d’un rapport sur la carrière criminelle de jeunes délinquants entre 5 et 17 ans inclusivement, à partir des données sur la criminalité déclarée par la police pour des cohortes nées en 1987 et 1990 tirées de la DUC2 (Carrington, 2007). Elle montre le pourcentage de la cohorte qui a été identifié pour la première fois par la police comme délinquant (c.-à-d. l’âge au début de la délinquance consignée) en fonction de l’âge. Dans le cas des garçons, le début de la délinquance culminait à 15 et 16 ans; la prévalence de la délinquance consignée est plus faible chez les filles, mais le début de la délinquance culmine à 14 et 15 ans. Figure 1.3-1 Début de la délinquance déclarée par la police culminant entre 14 et 16 ans

Source : P. J. Carrington. 2007. L’évolution de la délinquance déclarée par la police chez les jeunes Canadiens nés en 1987 et en 1990, Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 9, Centre canadien de la statistique juridique, produit no 85-561-009 au catalogue de Statistique Canada, Ottawa.

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La figure 1.3-2 fournit des données similaires, mais pour les « carrières devant les tribunaux » (la série de causes portées devant les tribunaux au cours de la vie des délinquants) de 12 à 21 ans inclusivement, à partir des données de l’ETJ et de l’ETJCA. L’âge de début pour les affaires ayant donné lieu à des poursuites devant des tribunaux de la jeunesse ou devant des tribunaux de juridiction criminelle, ainsi que pour les causes ayant donné lieu à un verdict de culpabilité, culminait à 18 ans au moment de l’affaire (Carrington, Matarazzo et de Souza, 2005).

Figure 1.3-2 Début de la carrière devant les tribunaux culminant à 18 ans

Source : P. J. Carrington, A. Matarazzo et P. de Souza. 2007. Les carrières devant les tribunaux d’une cohorte de naissance canadienne, Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 9, Centre canadien de la statistique juridique, produit no 85-561-006 au catalogue de Statistique Canada.

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Figure 1.3-3 Courbe de criminalité selon l’âge : nombre d’actes criminels selon l’âge et le sexe

Source : P. J. Carrington. 2007. L’évolution de la délinquance déclarée par la police chez les jeunes Canadiens nés en 1987 et en 1990, Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice », no 9, Centre canadien de la statistique juridique, produit no 85-561-009 au catalogue de Statistique Canada.

La figure 1.3-3, qui est fondée sur les données de la DUC2, montre le nombre d’actes criminels consignés selon l’âge pour les 5 à 17 ans inclusivement, selon le sexe. Il semble y avoir une augmentation rapide ou un « décollage » du nombre d’actes criminels consignés après l’âge de 11 ans, suivi par une baisse après 15 ans (pour les filles) et 16 ans (pour les garçons). Les criminologues spécialisés dans le parcours de vie se sont demandé si cela était principalement attribuable à :

• une augmentation de la prévalence, c.-à-d. de la proportion de la population qui participe à un acte criminel; ou

• une augmentation du taux de délinquance; ou • ni l’un ni l’autre, mais plutôt le résultat d’une sous-déclaration par la police des actes criminels commis par

les enfants de moins de 12 ans, étant donné qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge de responsabilité criminelle.

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Figure 1.3-4 Prévalence selon l’âge observé et corrigé, garçons, cohortes confondues

Source : Adapté de P. J. Carrington. 2007. « The transition from childhood delinquency to teenage youth crime », Conference on Life Course Transitions of Children and Youth, Atlantic Research Data Centre, Université Dalhousie, Halifax. L’analyse des données de la DUC2 est à l’origine de la première explication. La figure 1.3-4, qui ajuste la courbe spline log(y) = 0,48(x – 5,25) – 3,5 + (x > 11,75)[0,30(x – 11,75) – 0,09(x – 11,75)

2 + 0,00176(x – 11,75)

3 ], montre

que la prévalence selon l’âge de la délinquance consignée chez les garçons augmente de façon exponentielle jusqu’à l’âge de 12 ans, puis davantage que de façon exponentielle de 12 à 15 ans. L’ajout d’un paramètre correspondant à un accroissement par échelon à l’âge de 12 ans, pour la vérification de la troisième hypothèse, n’a pas amélioré l’ajustement de la courbe. La figure 1.3-5 montre que le taux de délinquance augmente beaucoup moins rapidement, ce qui infirme la deuxième explication. La figure 1.3-6 montre l’inégalité de la répartition de la délinquance. Quelques « multirécidivistes » ayant à leur actif cinq infractions consignées ou plus pendant leur adolescence sont à l’origine de presque la moitié de tous les actes criminels consignés imputés à des membres de cette cohorte. Par ailleurs, plus de 60 % des délinquants n’ont qu’une infraction consignée et sont à l’origine du quart seulement des actes criminels consignés. Ce résultat, qui a d’abord été trouvé par Wolfgang et coll. (1972), a motivé l’adoption de politiques de neutralisation sélective et de supervision intensive des multirécidivistes.

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Figure 1.3-5 Comparaison de l’augmentation de la prévalence et du taux de délinquance, les deux sexes, cohortes confondues

Source : Adapté de P. J. Carrington. 2007. « The transition from childhood delinquency to teenage youth crime », Conference on Life Course Transitions of Children and Youth, Atlantic Research Data Centre, Université Dalhousie, Halifax. Figure 1.3-6 Nombre disproportionné d’actes criminels attribuable à quelques multirécidivistes

Source : P. J. Carrington. 2007. L’évolution de la délinquance déclarée par la police chez les jeunes Canadiens nés en 1987 et en 1990, Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 9, Centre canadien de la statistique juridique, produit no 85-561-009 au catalogue de Statistique Canada, Ottawa.

Inégalité de la répartition entre les délinquants de la délinquance consignée

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La figure 1.3-7 montre un sommet dans la codélinquance pendant l’enfance et au début de l’adolescence, et une diminution avec l’âge par la suite. Ce résultat, qui a été reproduit dans les recherches à partir d’autres ensembles de données, laisse place à plusieurs explications différentes :

• des changements liés à l’âge dans le type d’acte criminel commis, des crimes caractérisés par la codélinquance à ceux caractérisés par la délinquance en solo;

• l’attrition sélective des délinquants ayant une tendance à la codélinquance; • le recrutement par rapport à l’expérience; • la « maturation », c.-à-d. la baisse du grégarisme et/ou une augmentation de l’autonomie liée à l’âge.

Figure 1.3-7 Codélinquance selon l’âge du délinquant

Source : Adapté de P. J. Carrington. 2002. « The transition from childhood delinquency to teenage youth crime. Group crime in Canada », Revue canadienne de criminologie, vol. 44, no 3, p. 277-315, Figure 1.

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Figure 1.3-8 Pourcentage d’affaires impliquant des codélinquants, selon l’âge du délinquant et certains types d’infractions

Source : Adapté de P. J. Carrington. 2002. « The transition from childhood delinquency to teenage youth crime. Group crime in Canada », Revue canadienne de criminologie, vol. 44, no 3, p. 277-315, Figure 1. La figure 1.3-8 montre des variations dans la courbe de la codélinquance selon l’âge pour les différents types d’infractions, ce qui laisse supposer que les changements avec l’âge dans les types d’infractions peuvent constituer une partie de l’explication. La figure 1.3-9 montre une relation complexe entre la codélinquance et l’expérience criminelle : la codélinquance diminue avec l’expérience criminelle (la séquence de l’affaire dans la carrière criminelle) pour la grande majorité des délinquants (ceux qui ont à leur actif sept affaires ou moins dans leur carrière), mais est à peu près constante avec l’expérience pour les délinquants très actifs, et augmente avec l’expérience pour les délinquants plus jeunes. Figure 1.3-9 Quatre trajectoires de codélinquance

Source : P. J. Carrington. 2009. « Co-offending and the development of the delinquent career. Criminology », Criminology, vol. 47, no 4, p. 1295-1329.

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2. Recherche de réseau sur la criminalité et la délinquance Quelle est la structure sociale de la codélinquance? Il existe deux points de vue opposés :

• la codélinquance est une manifestation de groupes criminels organisés; • la codélinquance est le résultat d’activités plus ou moins aléatoires de « microgroupes éphémères dont la

composition varie » (LeBlanc et Fréchette, 1989). L’analyse de réseau des modèles longitudinaux de codélinquance pourrait aider à répondre à cette question. Le caractère non aléatoire de la codélinquance irait dans le sens des organisations criminelles, mais le caractère aléatoire, dans le sens contraire. Parmi les exemples du caractère non aléatoire de la structure de réseau figurent les suivants :

• la répétition : tendance pour les groupes de deux, de trois, etc. de codélinquants à être répétés (non transitoire);

• la transitivité (groupement); • le rôle central (tendance pour un ou plusieurs délinquants à être au centre du réseau).

La portée de ce caractère non aléatoire pourrait être estimée au moyen de l’analyse de réseau (Carrington, Scott et Wasserman, 2005). La figure 2-1 montre la structure de réseau pour un ensemble hypothétique de huit délinquants ayant participé à neuf affaires de codélinquance. Les chiffres figurant à côté des lignes correspondent au nombre d’affaires de codélinquance pour chaque paire de délinquants. La répétition est évidente (p. ex. deux affaires de codélinquance de Jill avec Jamie et Jim), de même que la transitivité ou le groupement (codélinquance de Jill avec Jamie et John et codélinquance entre eux) et le rôle central (codélinquance de Jill avec quatre des sept autres délinquants). Même si ces preuves sont fondées sur des apparences et des impressions, il existe des méthodes d’analyse de réseau s’apparentant à la régression qui permettent l’estimation de la force et de la signification statistique de ces tendances. Figure 2-1 Structure de réseau de codélinquance chez huit délinquants hypothétiques

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Bibliographie Carrington, P.J. (2002). Group crime in Canada, Revue canadienne de criminologie, 44, pp. 277-315. Carrington, P.J. (2007). L’évolution de la délinquance déclarée par la police chez les jeunes Canadiens nés en 1987

et en 1990. Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 9. Ottawa : Centre canadien de la statistique juridique, 2005.

Carrington, P.J. (2009). Co-offending and the development of the delinquent career, Criminology, 47, pp. 1295-

1329. Carrington, P.J., Matarazzo, A., et de Souza, P. (2005). Les carrières devant les tribunaux d’une cohorte de

naissance canadienne. Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 6. Ottawa : Centre canadien de la statistique juridique, 2005.

Carrington, P.J. (2007). L’évolution de la délinquance déclarée par la police chez les jeunes Canadiens nés en 1987

et en 1990. Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 9. Ottawa: Centre canadien de la statistique juridique.

Carrington, P.J., Matarazzo, A., et de Souza, P. (2005). Les carrières devant les tribunaux d’une cohorte de

naissance canadienne. Série de documents de recherche sur la criminalité et la justice, no 6. Ottawa: Centre canadien de la statistique juridique.

Carrington, P.J., Scott, J., et Wasserman, S. eds. (2005). Models and Methods in Social Network Analysis, New

York : Cambridge University Press. Laub, J.H., et Sampson, R.J. (2003). Shared Beginnings, Divergent Lives: Delinquent Boys to Age 70, Cambridge,

MA : Harvard University Press. Le Blanc, M., et Fréchette, M. (1989). Male criminal activity from childhood through youth, New York: Springer-

Verlag. Liberman, A. M. (ed.) (2008). The Long View of Crime, New York: Springer. Sampson, R.J., et Laub, J.H. (1993). Crime in the Making : Pathways and Turning Points through Life, Cambridge, MA: Harvard U. Press. Figlio, R.M., et Sellin, T. (1972). Delinquency in a Birth Cohort. Chicago : University of Chicago Press.