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DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la négation en m.égyptien, grec, latin. 1 Positionnement initial de la négation dans la phrase en latin, grec et moyen-égyptien Marie-Ange JULIA (Lycée Henri IV) [email protected] RÉSUMÉ Cet article s’attache à l’examen d’énoncés négatifs sémantiquement proches dans trois langues apparentées et non apparentés, à un stade archaïque de leur histoire, afin de déterminer et de comprendre la position la plus fréquente de la négation « standard » et de la négation « prohibitive ». Il apparaîtra que ces négations, qui présentent en outre des bases phonologiquement comparables, sont le plus souvent, si ce n’est toujours, en position initiale d’énoncé, ce qui entre en conflit avec l’affirmation que la négation i.-e. était préverbale. Nous tenterons de dépasser cette dualité en considérant, non la position de la négation, mais son positionnement et de mettre ce dernier en relation avec un choix énonciatif du locuteur, entre deux modalités de base, l’affirmation et la négation. Mots-Clefs négation, affirmation, position initiale, énonciation SUMMARY The aim of this work is to investigate negative statements in three languages, Greek, Latin and Middle Egyptian, in the archaic stage of each language. The "standard" and "prohibitive" negations are most often or always in the initial position. We attempt to relate their initial positioning in relation to a speaker's enunciative choice between two basic modalities, affirmation and negation. Key-Words negation, affirmation, initial position, enunciation

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    Positionnement initial de la ngation dans la

    phrase en latin, grec et moyen-gyptien

    Marie-Ange JULIA

    (Lyce Henri IV) [email protected]

    RSUM

    Cet article sattache lexamen dnoncs ngatifs smantiquement

    proches dans trois langues apparentes et non apparents, un stade

    archaque de leur histoire, afin de dterminer et de comprendre la position

    la plus frquente de la ngation standard et de la ngation

    prohibitive . Il apparatra que ces ngations, qui prsentent en outre

    des bases phonologiquement comparables, sont le plus souvent, si ce

    nest toujours, en position initiale dnonc, ce qui entre en conflit avec

    laffirmation que la ngation i.-e. tait prverbale. Nous tenterons de

    dpasser cette dualit en considrant, non la position de la ngation, mais

    son positionnement et de mettre ce dernier en relation avec un choix

    nonciatif du locuteur, entre deux modalits de base, laffirmation et la

    ngation.

    Mots-Clefs

    ngation, affirmation, position initiale, nonciation

    SUMMARY

    The aim of this work is to investigate negative statements in three

    languages, Greek, Latin and Middle Egyptian, in the archaic stage of each

    language. The "standard" and "prohibitive" negations are most often or

    always in the initial position. We attempt to relate their initial positioning

    in relation to a speaker's enunciative choice between two basic modalities,

    affirmation and negation.

    Key-Words

    negation, affirmation, initial position, enunciation

    mailto:[email protected]

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    1. INTRODUCTION

    Ds les premiers ouvrages sur la syntaxe indo-europenne, on sest

    attach dterminer la place de la ngation en indo-europen, malgr les attestations historiques fort divergentes de celle-ci selon les langues et

    selon lpoque considre. Pour R. Delbrck (1897 : 521), J. Friedrich (1960 : 145), W. P. Lehmann (1974 : 124) 1 , la ngation i.-e. tait

    communment prverbale (comme fr. nest), mais elle pouvait aussi se placer initialement, dans des contextes emphatiques ou la suite dun

    placement tardif. Dans le mme temps, on sest tonn de la frquence de la position

    initiale de la ngation en sanskrit2, en grec3, en tokharien, jusqu parfois soutenir la tendance gnrale des langues exprimer la ngation dans la

    phrase le plus tt possible4. Pourtant on a rejet cette position initiale comme premire historiquement, sans lexpliquer objectivement5.

    Ltude du positionnement de la ngation, non plus au sein dune seule

    langue, mais dau moins trois langues anciennes peut-elle clairer le dossier ? Afin de rpondre cette question, nous tenterons dabord

    dtablir des frquences de positionnement des diffrentes ngations, dans le but de dterminer la position la plus frquente de chacune dentre

    elles, dans trois textes de trois langues apparentes et non apparentes (latin, grec et moyen-gyptien), un stade archaque de leur attestation ;

    puis de croiser les rsultats afin de proposer un autre angle dapproche, qui peut soutenir le positionnement initial de la ngation comme premier,

    avant que celle-ci subisse ventuellement diffrents dplacements dans lnonc au cours de lhistoire de la langue. Sans jamais oublier la

    structure syntaxique dans laquelle prend place la ngation, nous considrerons avant tout la structuration nonciative dans laquelle sinscrit

    lopration dialogale de ngation.

    1 Lauteur prend pour exemple du placement prverbal archaque de la ngation lat.

    nlo < ne ulo, exemple ambigu car, entre autres chez Plaute, nolo est le plus souvent

    utilis en rponse ou prcde la proposition infinitive ; donc ne- se retrouve en position

    initiale dnonc, outre sa position prverbale.

    2 J. GONDA (1951 : 48) : Souvent na se trouve en tte de la phrase .

    3 A. C. MOORHOUSE (1959 : 69-137).

    4 L. HORN (1989).

    5 La conclusion de A. C. MOORHOUSE (1959 : 90) selon laquelle, en indo-europen, la

    ngation initiale clairement prdominait ( la suite de R. DELBRCK (1897), comme le

    prouve lassociation de la ngation et de la coordination dans lat. neque), mme si le

    grec a innov en privilgiant ensuite la position prverbale, nest pas valide par J. GONDA

    (1963 : 290).

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    2. PRSENTATION DES TROIS BASES NGATIVES

    Par un pur hasard ou une trange concidence, les trois langues anciennes auxquelles nous nous intressons partagent trois bases servant la

    ngation de proposition ou de mot. Nous parlons de base, non de racine , pour viter de supposer un hritage commun des familles de

    langues diffrentes, indo-europenne et chamito-smitique.

    2.1. Attestations en langue

    Les trois bases /n/, /m/ et /u/ sont attestes par le moyen-gyptien, la langue la plus anciennement atteste de toutes celles qui sont prsentes

    dans le tableau ci-dessous. Le grec offre aussi les trois bases, si on inclut le prverbe ngatif ; le latin, la langue la plus rcente des trois

    considres ici, nen a plus quune. Si, pour la ngation de proposition, le grec a /m/ et /u/, comme larmnien, le sanskrit a /n/ et /m/, le tokharien

    A seulement /m/ et le vieil-irlandais et le gotique seulement /n/.

    m.-

    g. gr. lat. arm. skr.

    tokh.

    A hitt.

    v.-

    irl. got.

    /n/ n, nn

    (-/

    ()-)6

    nn, n,

    nec1 et nec2, neque, (-ne ?)

    n m natta

    na, ni

    ni

    /m/ m mi m mar l (?)

    /u/ w / (, , , )

    o

    2.2. Usages en langue

    Les langues i.-e. nont pas utilis chaque base de la mme manire : /n/ sert en latin ou en vieil-irlandais aussi bien la ngation dite non

    marque, neutre ou standard, qu la ngation prohibitive, avec des variantes modales, alors que cette mme base ne sert qu la ngation

    non marque du sanskrit, tandis que le tokharien A pour la mme ngation non marque utilise la base /m/.

    Ngations m.-g.

    gr. lat. arm. skr. tokh.

    A hitt. v.-irl. got.

    standard7 n et nn

    (, , ,

    nn, nec,

    o n m (natta) ni ni

    6 L. H. GRAY (1925 : 119-122) et J. PUHVEL (1953).

    7 On dsigne de diffrentes manires la ngation de phrases dclaratives : standard ,

    non marque, neutre , standard , assertive , dclarative , descriptive ,

    objective ...

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    4

    ) neque

    prohibitive 8 m et w /

    n mi m mar l

    na (+ imp.) ni (+ subj.)

    ni

    3. FRQUENCE DE LA POSITION INITIALE DE LA NGATION

    la suite de lobservation de R. Delbrck partir du sanskrit (1897 : 521), certains chercheurs ont nanmoins admis que la position initiale de

    proposition tait la plus ancienne en indo-europen, et que dans les langues historiques on aurait privilgi lassociation de la ngation avec le

    verbe ; le grec le montrerait avec vidence. Afin de vrifier dune part la frquence de la position initiale de la ngation selon chaque base, et

    dautre part son lien avec le type de discours (par exemple, la ngation est-elle place en position initiale de prfrence dans le discours direct ou

    dans la narration ?), nous avons retenu trois textes, de trois langues diffrentes : la pice de Trence lHeautontimoroumenos, le chant 18 de

    lOdysse o les discours directs abondent et un conte gyptien qui atteste les trois bases, le Conte de Sinouh, lune des plus anciennes

    uvres littraires de lgypte jamais retrouves, considre comme un travail crit en vers et peut-tre jou au thtre. Les trois textes choisis

    partagent donc trois caractristiques :

    - ils sont tous de date archaque dans lhistoire de la langue en question ;

    - il y a en tous une certaine forme doral simul, imitant plus ou moins fidlement loral spontan des locuteurs ;

    - enfin, ils contiennent des noncs trs proches.

    3.1. Statistiques

    nb total

    docc.

    nb. docc. en

    position initiale de

    prop.

    pourcentage

    Latin nn9 105 44

    (corr. 11) 41,9%

    10

    (10,4%)

    8 On dsigne la ngation non standard de diverses manires : prohibitive ,

    marque , subjective , volitive ...

    9 Les non responsifs nont pas t pris en compte.

    10 La faible frquence de la position initiale de non dans le latin archaque de Plaute est

    remarquable si on compare, par exemple, avec le latin du thtre de Snque : la

    position dominante de non est initiale dans toutes ses tragdies (Phdre, 40 occurrences

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    5

    n 36 34 94,4%

    nec 16 11 68,75%

    (100%)

    neque 25 16 64%

    (100%)

    Grec

    (, ) 29 18 62,1%11

    5 3 (corr. 5)

    60% (100%)

    12 9 75%

    moyen-

    gyptien

    n 32 31

    (corr. 32)

    96,9%

    (100%)

    nn 29 25 86,2%

    (100%)

    m 2 2 100%

    w / w 3 0 0%

    Moyenne 63,20%

    On ne peut en outre sarrter la lecture seule de ces statistiques car elles incluent par exemple en latin des propositions deux termes,

    comme non possum, ou des lexies, comme non opus est ou non est opus, dans lesquelles la ngation ne peut tre quen premire position ; si on

    exclut ce type de proposition, la frquence de la position initiale de la ngation standard chute en latin 10,4%. En outre, lat. nec/neque et gr. 12, la position non initiale sexplique par la porte de la ngation sur

    un seul mot et non sur la proposition entire.

    De mme il faut corriger les chiffres du moyen-gyptien : dans le conte, la ngation n/nn se place toujours en position initiale, sauf lorsquelle est

    incidente un mot seul de la proposition (ex. 1) ou quil se produit une prolepse (ex. 2) :

    (1) Sin. B 110, pry pw nn snnw=f

    hros celui-ci NG gal=PR.PS3 Il tait un hros sans gal.

    2) Sin. B 39, t= n ntf m ht=

    de non en position initiale, contre 21 en position non initiale ; Les Troyennes, 40 non

    initiaux contre 19 non initiaux, etc.).

    11 La haute frquence de la position initiale en grec archaque est remarquable en regard

    de la langue classique, dans laquelle la ngation est majoritairement non initiale : par exemple, chez Euripide, (, ()) est initial dans 49 occurrences et non initial dans 70

    occurrences de Mde ; initial dans 51 occurrences et non initial dans 64 occurrences des

    Phniciennes, etc.

    12 Voir J. GONDA (1951 : 17) pour la place initiale de la ngation avec le connecteur, na

    ca (qui, tymologiquement, correspond lat. neque).

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    cur=PR.PS1 NG PR.PS3 dans poitrine=PR.PS1

    mon cur, il ntait plus dans ma poitrine.

    3.2. Correction et analyse des statistiques de la ngation standard

    Au-del des corrections apportes aux pourcentages et indiques entre parenthses dans le tableau, la frquence moyenne de la position initiale,

    toutes langues confondues, toute ngation confondue, de 63,2% est trs haute. Ce pourcentage est dautant plus lev que cette position nest pas

    forcment lie une position prverbale. La position initiale de la ngation standard est donc trs faible en latin mais constante en gyptien et trs

    frquente en grec homrique, ce qui est remarquable si on rappelle que la ngation en prose classique se place plus souvent devant le verbe. Il y a

    deux solutions a priori : soit il se serait bien produit un dplacement syntaxique au cours de lhistoire du grec (et du latin ?), soit ce serait une

    erreur de perspective. Il ne sagirait pas en fait de la position initiale de la ngation, mais de son positionnement initial. Ainsi, dans les noncs du

    (3), la place initiale de la ngation se justifie peut-tre parce quelle est

    incidente au prdicat plac aprs :

    (3) a. Od. 18, 285-287, , , ,

    Fille dIcare, trs sage Pnlope, reois les prsents que chacun des Achens peut vouloir apporter ici, car il nest pas beau de refuser un

    don.

    b. Heaut. 435-436,

    CH. Propter peccatum hoc timet ne tua duritia antiqua illa etiam adaucta sit.

    ME. Non tu illi dixti ut essem ? CH. Non.

    CHRMS-. cause de cette faute il a peur que ta duret ancienne ne soit encore accrue. MNDME.- Toi, tu ne lui as pas dit comment

    jtais ? CHRMS.- Non.

    vs. Heaut. 781-782,

    Non ego dicebam in perpetuom ut illam illi dares, uerum ut simulares. CH. Non meast simulatio.

    Moi je ne te disais pas de la lui donner pour toujours, mais de faire semblant. CHRMS.- La simulation nest pas mon fait.

    c. Sin. B 259, n mdw=k

    NG parler=PR.PS2 ne parleras-tu pas ?

    vs. Sin. B 184,

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    n mdw=k m s n srw

    NG parler=PR.PS2 devant conseil propre notables

    tu nas pas parl devant le conseil des notables. Dans lexemple grec, prend la place initiale de la chane des enclitiques et nie ladjectif qui suit , mais vrai dire, en prose

    classique, la ngation aurait pu se placer devant le verbe tre :

    . Rien nempche de penser que a une

    porte phrastique et signifie Non, il nest pas beau de refuser un don car le locuteur semble se rpondre lui-mme, car Antinoos disait juste

    avant : Pnlope, laisse-nous apporter un cadeau et prends-le. Dans le premier exemple latin, non en quelque sorte constitue galement

    une rponse au ne de la rplique prcdente et quasiment aussi une anticipation sur la rponse de son interlocuteur : Non, tu ne lui as pas

    dit comment jtais ? Non . Il nest donc pas exclu que non se positionne la premire place comme une forme de rponse, qui empche lnonc

    dune autre vrit. Dans la pense du locuteur, la rponse sa question est dj connue, or pour J. Gonda (1951 : 48 et 51), la ngation se

    comprend par rapport une pense de la personne qui nie : Cette

    raction consiste en un sentiment intrieur qui pourrait se traduire par les mots : Il nen est pas ainsi : un refus, une ngation, une

    contradiction, une opposition ; relevons ici le parallle entre lat. non ego initial comme skr. nham initial (J. Gonda, 1951 : 54) .

    En m.-eg., lambigut reste aussi forte : en B 259, il sagit encore dune ngation dans une interrogative, qui est suivie du prospectif, form de

    linfinitif ancien du verbe parler ; mais en B184, nous ne sommes plus dans une interrogative et pourtant le positionnement initial de la ngation

    se maintient. Or ctait galement possible en latin, comme au vers 781. La mtrique joue peut-tre, le balancement non uerum aussi, nanmoins

    la rponse de Chrms non meast simulatio reprend la position initiale de la ngation. Et cette position initiale tonne si on rappelle quen latin

    classique non prcde le verbe dico en fin dnonc :

    (4) Cic. Diu. 9, 28,

    Hic ego de te plura non dicam.

    Ici moi je nen dirai pas plus.

    Bien que Trence dise non ego dicebam, Cicron ego non dicam, il parat peu raisonnable de sarrter des considrations gnriques ou

    stylistiques, surtout si lon ajoute encore au dossier la position initiale de ne avec scio comme en (5) avant luniverbation en nescio.

    (5) Heaut. 222, Ne ille haud scit quam mihi nunc surdo narret fabulam.

    Lui, il ne sait pas comme il me raconte maintenant des sornettes moi qui reste sourd.

    En moyen-gyptien, le problme est plus complexe encore car la langue

    place assez souvent le prdicat nominal ou adverbial en seconde position,

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    aprs lindicateur dnonciation ou la ngation. De fait, la ngation se

    retrouve pr-verbale, mais le verbe est une forme nominale ou adverbiale :

    (6) Sin. B 41, n sdm.tw rn= m r

    NG entendre.PFT.on nom=PR.PS1 dans bouche

    Mon nom ne fut pas entendu dans la bouche.

    ce stade de lanalyse, il nous semble prfrable de renoncer expliquer la position initiale de la ngation par le style ou un dplacement depuis

    une position pr-verbale et de retenir trois lments : - dabord la distinction faire entre la position initiale et le

    positionnement initial, autant quentre le niveau syntaxique et le

    niveau nonciatif, - en second lieu la frquence du positionnement initial des ngations

    en moyen-gyptien et en grec, - en troisime lieu la frquence de ce positionnement dans la parole

    dialogue.

    3.3. Analyse des statistiques de la ngation prohibitive

    Les statistiques du point 3.1. par ailleurs mettaient en exergue la trs

    haute frquence de la position initiale de la ngation prohibitive. Cette position est constante en latin, un peu moins constante en grec. Cest le

    cas aussi de la ngation m de lgyptien, mais non de lenclitique w, toujours plac en seconde position.

    (7) Od. 18, 61-63, , ,

    ,

    tranger, si ton cur et ton me gnreuse tincitent chasser cet homme, ne crains donc aucun des autres Achens, car celui qui te

    frapperait aura combattre contre plusieurs.

    (8) a. Sin. B 259,

    m r r=k sp 2 gr NG faire.IMP contre=PR.PS2 fois 2 se taire.INF

    Ne continue pas te taire contre toi nouveau (= nagis pas contre toi nouveau).

    b. Sin. B 260, sn(=k) n sf

    craindre.IMP=PR.PS2 NG cause de punition

    Ne crains pas de punition !

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    Dans un nonc injonctif tel que ne crains pas , la ngation se place devant le verbe en grec (7), , mais aprs le verbe en moyen-gyptien (8b), sn(=k) .

    On dit souvent que la prohibition porte sur toute la proposition car, au-del de la ngation, il est question dempcher ou dinterdire ce que dit

    lnonc total. Or en franais, comme en (9a), la ngation prohibitive est

    toujours incidente au verbe et peut donc se dplacer dans la proposition avec le verbe, alors quen latin le verbe peut se trouver en dernire

    position, le plus loin possible de la ngation ne, comme en (9b.) :

    (9) a. Flaubert, Correspondance : supplment (1851-1852), p. 135 (L.

    Conard), Dans ta prcipitation venir au-devant de moi, ne fais pas comme

    Mme Jourdan, ne tombe pas dans leau, en sautant par-dessus le bastingage du navire.

    b. Heaut. 30, Ne ille pro se dictum existumet.

    Quil ne simagine pas, lui, que je dise cela pour lui.

    En latin et en grec, la ngation prohibitive a t grammaticalise en conjonction de subordination, et se trouve de fait toujours initiale de

    proposition, comme toutes conjonctions de subordination. En (10a), le premier suivi dun impratif est une simple ngation prohibitive, alors que les deux suivants, rgissant un subjonctif, fonctionnent comme des

    conjonctions de subordination pour que ne pas :

    (10) a. Od. 18, 20-22, , ,

    Mais ne me provoque pas trop par les mains, pour que tu ne me

    mettes pas en colre, pour que, malgr mon grand ge, je ne te souille pas de sang la poitrine et aux lvres.

    b. Heaut. 510-511, concede hinc domum, / ne nos inter nos congruere sentiant.

    Rentre chez toi pour quon ne saperoive pas de notre connivence.

    Est-ce cause du positionnement initial constant de la ngation

    prohibitive du latin quon peut dire ne lacruma comme en (11a) mais non, par exemple, *at ne lacruma Mais ne pleure pas comme en franais en

    (11b) (cette remarque tant valable pour at, mais aussi pour tout autre connecteur) ? Chez Trence, ne nest jamais prcd dun connecteur et,

    dans le reste de lhistoire du latin, cette association dun connecteur et dun impratif avec ne demeure rarissime. Cette caractristique du latin

    nous parat essentielle pour comprendre la position de la ngation tant donn que, dans lnonc positif, avec un mme impratif injonctif, la

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    prsence initiale dun connecteur est possible, comme en (11c), at adpone

    mais pose :

    (11) a. Trence, Heaut. 84-85,

    Ne lacruma, atque istuc, quidquid est fac me ut sciam ; /

    ne retice, ne uerere, crede inquam mihi. Ne pleure pas et quoi que ce soit, fais-le moi connatre ; ne te tais

    pas, ne crains pas, confie-toi moi, te dis-je.

    b. de Caillavet, Monsieur Brotonneau, p. 17 (Le Petite

    Illustration), - Oh ! Mais ne pleure pas, je ten prie, ne pleure pas.

    c. Heaut. 87-88, At istos rastros interea tamen / adpone, ne labora.

    Mais en attendant pose au moins cette pioche ; cesse de peiner (...).

    En franais on peut aussi dire Non, ne pleure pas, alors que le latin

    natteste pas lassociation des deux formes ngatives *non ne avec un impratif ou un subjonctif injonctif, cela tant li au fonctionnement latin

    des noncs rponses ou noncs exclamatifs.

    d. Flaubert, Correspondance : supplment (1851-1852), p. 389

    (L. Conard), Non, ne pleure pas, voque la compagnie des uvres faire.

    Les statistiques ont donc montr quen latin la ngation standard apparat

    rarement en position initiale, tandis que la ngation prohibitive occupe toujours cette position, tel point que rien ne prcde jamais la ngation.

    En grec, cest linverse : la ngation standard est trs souvent en position initiale, tandis que la ngation prohibitive ne lest pas systmatiquement.

    En moyen-gyptien les ngations standard n / nn et prohibitive m sont toujours initiales, tandis que la ngation prohibitive w / occupe la

    position initiale ou seconde. Globalement nanmoins cest le

    positionnement initial qui lemporte, sauf pour le latin non. Peut-tre est-ce une innovation du latin car la position constamment initiale de la vieille

    ngation ne qui a subi deux renforcements morphologiques ne-c13 et ne-que suggre que la position de la ngation devait tre au dpart initiale en

    latin aussi. La pice retenue noffre que des nec/neque coordonnants, prenant place toujours linitiale :

    (12) Heaut. 584, Neque eo nunc dico quod quicquam illum senserim...

    Et je ne dis pas l aujourdhui que je me sois aperu en quelque chose quil

    13 Cf. A. ORLANDINI (2007) pour une distinction trs prcise des deux nec.

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    On pourrait dire que neque est ncessairement cette place cause du -

    que coordonnant de phrase, mais si -que sest adjoint ne avec cette valeur coordonnante, cest que ne tait dj trs probablement en position

    initiale.

    4. Perspectives typologiques du positionnement initial

    de la ngation

    Typologiquement la comparaison des trois langues en question est

    intressante en ce quelle offre trois cas de figure diffrents : une des langues dispose de trois formes de ngation reposant sur trois bases, une

    autre de deux formes de ngation reposant sur deux bases et une dernire langue a deux formes de ngation reposant sur une seule base.

    La langue la plus ancienne atteste une position initiale constante des ngations, sauf pour lune dentre elles.

    4.1. Affirmation vs. ngation

    Pour tenter de comprendre ce positionnement initial de la ngation, nous partirons de lopposition entre laffirmation et la ngation. Ce que L.

    Tesnire (1976 : 217) crit dans sa Syntaxe Structurale 14 doit tre complt par le propos de Cl. Hagge (1982 : 85-86)15, R. Forest (1993

    et 1996)16 et M. Fruyt (2002 : 37-38)17, pour qui il ny a pas de relation univoque entre lnonc positif et lnonc ngatif. Cest une rgle

    gnrale dans les langues indo-europennes que lopration de ngation nentrane pas de modification morphologique du verbe positif. De fait,

    selon R. Forest (1993 : 32), la ngation des langues indo-europennes est fondamentalement une ngation rcusative : elle implique une forte

    14 Toute ngation procde dune affirmation. La chose nie sexprime en effet de la

    mme faon que la chose affirme, avec cette seule diffrence quelle comporte en plus

    le marquant de la ngation. Ltude de la ngation comporte donc essentiellement ltude

    de son marquant .

    15 Lauteur montre que les ngations composes du franais comme ne... plus, ne... pas

    encore nont pas de rigoureux symtriques au positif ; dans beaucoup de langues,

    leurs quivalents sont des structures non directement drivables dnoncs affirmatifs .

    16 R. FOREST (1993 : 7) critique aussi la conception additive , en donnant des

    exemples de langues o les noncs marqus ngativement sont dissymtriques des

    noncs positifs : Une marque ngative, dans une langue donne, ne doit pas tre

    considre comme quelque chose qui sajoute, tout bonnement, un nonc positif dj

    constitu.

    17 Ainsi en logique, la ngation est-elle prsente comme linverseur de la valeur de

    vrit dune proposition pour en assurer du vrai au faux. (). Cette conception de la

    phrase morphologiquement ngative est fonde sur une vision additive de la ngation

    () Nous voudrions soutenir ici lide que la ngation est une modalit en soi et non un

    fait secondaire par rapport laffirmation. .

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    12

    symtrie des noncs ngatifs et des noncs positifs 18. Mais puisque la

    ngation, comme M. Fruyt la affirm et montr, est une modalit en soi, il faut renoncer lide dun lment en plus dans la phrase ngative par

    rapport la phrase affirmative et dfinir la ngation, non plus par rapport

    laffirmation, mais paralllement celle-ci.

    Le ngatif nest pas lenvers exact du positif, mais les noncs suivants tendent tous montrer quun marqueur ngatif sest positionn en dbut

    dnonc pour nier laffirmation (ou la volition) ; cest comme si la ngation initiale marquait lannulation de la validit (ou la prohibition) de

    lnonc qui suit : tu es / marqueur ngatif tu es. On pourrait soutenir que ce nest pas dabord une opposition de sens tu es ou tu nes pas ,

    mais une opposition dans lopration nonciative et dialogique. La ngation initiale constituerait ainsi un signal annulant ce qunonce aprs

    le locuteur ladresse de son interlocuteur, plac en dbut dnonc dans la partie de lnonc que lon appelle la chane des particules , la

    suite de Laroche et de Watkins, et qui structure lnonciation et lnonc. Illustrons cette espce dopposition sur le modle de lexemple pris par

    Aristote, dans ses Catgories, 16 : De mme que dans ces deux

    phrases : il est assis, il nest pas assis, laffirmation est loppos de la ngation, de mme les choses exprimes dans ces deux nonciations sont

    opposes : tre assis, ntre pas assis. . Des noncs similaires dans nos trois corpus le montrent avec vidence :

    (13) a. es / neque es Heaut. 320-321,

    Multimodis iniurius, / Clitipho, es neque ferri potis es. De bien des manires tu es, Clitiphon, dans ton tort et tu nes pas

    possible supporter.

    b. / ...

    Od. 18, 3-4, / , .

    Ntaient lui ni force ni vigueur, mais pour ce qui est de

    lapparence il tait fort grand voir.

    c. ntf pw / n ntf pw

    Sin. B 267-268, d.n m=f ntf pw m mc.t

    PR.PS3 celui-ci en vrit

    Et Sa Majest dit : Ctait rellement lui.

    Sin. B 266-267, d. n=sn ft m=f n ntf pw m mc.t

    NG PR.PS3 celui-ci en vrit Alors ils disent Sa Majest : Ce ntait pas rellement lui.

    18 M. MIESTAMO (2005) propose de nombreux exemples de langues ajoutant un

    marqueur ngatif la phrase affirmative.

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    13

    (14) a. nega / ne nega

    Pl. Poen. 1005, Si est, nega esse ; nolo ego errare hospitem.

    Si cest a, ne dis pas que cest a ; je ne veux pas induire en erreur

    un tranger.

    Trence, Heaut. 564,

    CL. Men ? CH. Hisce oculis, ne nega. CLITIPHON.- Moi ? CHRMS.- De ces yeux-ci, ne le nie pas !

    b. /

    Od. 14, 468, E .

    Puiss-je ainsi tre jeune et avoir une force infaillible.

    Od. 18, 141, T .

    Ainsi, puisse aucun homme jamais absolument ntre injuste.

    c. sn=k / sn=k / nn sn

    Sin. B 212, wm sn=k

    rpter.IMP craindre.IMP=pr.PS2

    Quon dise et redise : crains-le.

    Sin. B 260, sn(=k) n sf

    craindre.IMP-pr.PS2 NG cause de punition

    Ne crains pas de punition !

    Sin. B 279, nn sn=f

    NG craindre=PROSP Il ne craindra pas.

    Ces oppositions sont attendues du fait que les trois langues considres

    font partie des langues ngation standard rcusative , selon le classement de R. Forest (1993), ou symtrique , selon le classement

    de M. Miestamo (2005), cest--dire des langues qui se limitent ladjonction dune marque de ngation la phrase affirmative

    correspondante. Demandons-nous maintenant si cest par rapport cette symtrie que sexplique la position tonique de la ngation, qui peut tre

    initiale mme en tant clitique.

    4.2. De la structuration nonciative la construction syntaxique

    Analyser la ngation comme un marqueur initial orientant ngativement lnonc est dautant plus valable en moyen-gyptien quil existe dans

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    14

    cette langue un marqueur initial orientant positivement lnonc19, w,

    qualifi d indicateur dnonciation par P. Grandet et B. Mathieu (2003 : 45). Selon P. Vernus (1998 : 194), la particule valide lassertion : jw

    pose comme valid par rapport au moment de lnonciation

    laccomplissement de laction de dire . A. Lancri (1994 : 126), pour laquelle iw est une particule dnonciation qui a pour fonction de

    signaler le caractre objectif et avr de ce quelle domine , rappelle que iw et n sexcluent mutuellement . Elle est la premire poser une

    correspondance structurelle entre w et n en moyen-gyptien : On en dduira donc que les deux particules se compltent, et quelles ont un rle

    commun jouer, lune intervenant au niveau de laffirmation, et lautre sur le plan de la ngation .

    (15) Sin. R 8, w nw m sgr

    AFF.ici Rsidence dans silence

    La Rsidence tait dans le silence.

    Comme la prcis A. Lancri (1994 : 135), la ngation est une opration qui se fait toujours en T, cest--dire quelle se construit seulement au

    moment de lnonciation . Lopration se ralise en outre dans une situation dialogique. Si on tente de concevoir, dans une perspective plus

    large que celle de lnonciation, une linguistique du dialogue, la ngation ne pourrait-elle pas tre un indicateur 20 dnonciation, lorigine

    permettant un locuteur de marquer linadquation ou la fausset dun contenu propositionnel ladresse de son interlocuteur21 , de la mme

    manire que le ralise lindicateur lui signalant ladquation ou la vrit de ce mme contenu ? Or cest ainsi quA. Orlandini paraphrase la ngation

    externe , qui correspond la ngation de phrase : It is not so that P

    (2001 : 7), ce nest pas le cas que P ou il nest pas vrai que P (2005 : 144) ; la ngation lextrieur, dans laquelle loprateur de

    ngation a une porte plus grande que tout autre lment de la phrase

    19 T. GIVN (1978 : 69) souligne la symtrie logique entre laffirmation et la ngation. Il

    nest pas exclu quelle le soit aussi formellement dans certaines langues. M. MIESTAMO

    (2005) sattache distinguer les langues ngation standard symtriques

    et asymtriques, les premires tant plus nombreuses. R. FOREST (1993) pense, au

    contraire, quil y a plus de ngations suspensives-rassertives, qui correspondent peu

    prs la classe asymtrique de M. MIESTAMO. L. R. HORN (1989) sintresse davantage

    la dissymtrie pragmatique et fonctionnelle.

    20 Pour Cl. DELMAS (1988 : 61 et 62), la stratgie ngativante se caractrise par une

    certaine sensibilit au statut structural , la ngation tant reprsentatrice de

    lopration de structuration quelle recouvre .

    21 T. GIVN (1979 : 102-103) mettait dj en relation lopration de ngation avec

    llaboration dun nonc dialogique. Voir aussi A. ORLANDINI (2001 : 17) : les actes de

    non-assertion sont des actes qui touchent lassertabilit mme de la phrase enchsse,

    non pour la contredire (...) mais en tant quactes de non-engagement du locuteur .

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    15

    (1991 : 195)22. A. Orlandini montre trs clairement ce qui se passe avec

    la ngation initiale : elle sert marquer une assertion comme ngative.

    Or, dans les langues anciennes, les oprateurs dnonciation taient

    initiaux23. Si la ngation fonctionnait ainsi, comme un signal marquant, ds le dbut de lnonc, une modalit de lnonc24, la position initiale

    constante ou trs frquente de la ngation selon les langues se justifierait davantage. Ce serait une fois grammaticalis en tant que ngation que

    lindicateur gagnerait en autonomie et se dplacerait dans la proposition jusqu pouvoir porter sur un mot prcis. Lassociation frquente en grec

    de la ngation avec la particule nonciative , trs probablement issue du pronom personnel de la 2me p. du sg. au datif, tend valider cette

    conception de la ngation comme indicateur nonciatif ; en (17a) la ngation prcde encore pronom, en (17b) elle est associe

    particule dans la chane des enclitiques :

    (16) a. Od. 18, 215, ,

    Tlmaque, tu nas plus un esprit ni une pense fermes.

    b. Od. 18, 227-228 et 230-234, M ,

    .

    , .

    , .

    Ma mre, dabord je dirai ceci25 : je ne mindigne pas de ce que tu tirrites, mais moi je comprends en mon cur et jai appris toute

    chose. Mais je ne peux pas certes (< toi) comprendre toutes les choses senses car ceux-ci, assis auprs de moi, me troublent de tous

    cts, pensant des choses mauvaises, et je nai pas de dfenseurs. La

    querelle certes (< toi) de ltranger et dIros nest pas survenue par

    22 L. R. HORN (1985 : 121) suppose pour sa part que la paraphrase Il nest pas vrai

    que est trompeuse.

    23 Cf. J. GONDA (1951 : 48) pour la position en tte de phrase de la ngation en sanskrit,

    devant les particules ou autres lments soulignant la cohsion de la phrase.

    24 L. BASSET (1989 : 32) parle de la valeur inverse de la ngation. Nous opposerons

    plus loin les deux stratgies dun nonc, ngatif ou affirmatif.

    25 Il nous semble que, dans la squence en ouverture de rplique, fonctionne

    en quelque sorte comme le marqueur dnonciation iw du moyen-gyptien : un thme

    dmonstratif indiquant que lnonc concide avec le hic et nunc du locuteur et de linterlocuteur. V. Brard, dans la collection des Belles Lettres, ne traduit pas ce , qui

    correspond pour nous au ici , dans lespace de lacte dialogique entre toi et moi .

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    16

    la volont des prtendants, mais cet homme tait suprieur par la

    force.

    Dans un change assez virulent entre Tlmaque et sa mre, tous deux

    en colre, la particule nonciative semble servir tout particulirement la structuration du dialogue, entre les deux locuteurs, entre moi (cf.

    les nombreuses occurrences du pronom de 1re p.) et toi . La squence du vers 230, sous langle dialogique, pourrait ainsi tre glose :

    CONN. pr.PS2.dat. NEG. + prdicat,

    cest dire un connecteur initial qui lie lnonc au prcdent, un pronom-particule incluant linterlocuteur dans lacte dialogique, la ngation

    invalidant lassertion qui suit.

    Une fois cet indicateur grammaticalis comme outil de ngation, de

    prfrence pr-verbal, le grec a pu lassocier avec la ngation prohibitive , qui garde la position initiale ; lordre des lments nonciatifs

    correspond la squence que nous avions observe dans notre thse sur

    les particules chez Homre : de lindicateur le plus nonciatif jusqu loutil le plus syntaxique.

    (17) Iliade 1, 28,

    Crains que le bton et la bandelette du dieu ne te soient pas utiles.

    Si on analyse les chanes particulaires de cette manire, on comprend peut-tre mieux leur frquence en dbut de rplique. Certaines particules

    nonciatives sont, plus prcisment, des positionneurs dialogiques, qui couvrent la porte dialogique et nonciative la plus large jusqu la porte

    syntaxique la plus troite : en (18) la ngation en position initiale indique la fausset de tout lnonc qui suit, le construit au sein dune

    premire proposition, insre dans une relation causale cette premire

    proposition par rapport lexplication apporte par celle-ci, value le degr de crdibilit de lnonc ; le deuxime exemple, dans lequel est

    la place du du premier exemple, peut sinterprter de la mme

    manire :

    (18) Od. 18, 23-24, .

    car je ne crois en rien que tu reviendras une seconde fois dans le

    palais dUlysse fils de Larte.

    (19) Od. 18, 36-37, , , .

    Mes amis, pas encore une telle chose auparavant ne sest trouve,

    cest un divertissement quun dieu a amen dans ce palais.

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    17

    Cette faon de considrer la ngation, au niveau de la structuration nonciative, est dj inscrite dans la pense de J. Gonda qui a tudi la

    position, entre autres, initiale de na en sanskrit (1951 : 63-64) : Mais ici

    il ne sagit pas seulement de la ngation dans la phrase, cest--dire de la tendance placer la ngation en tte de la phrase, il y a aussi un

    sentiment, une pense quivalant pas cela , non , dont celui qui parle a conscience avant quil formule la phrase . Mme si pour lauteur

    la place de la ngation est beaucoup plus dpendante de facteurs stylistiques que de la chronologie des textes, celui-ci se place bien au

    niveau de la construction de lnonc plutt quau niveau de la phrase. En somme, la ngation pourrait tre considre comme le reflet dun

    travail du locuteur au niveau de la structuration des noncs, mettant en vidence le stade plus ou moins labor de la construction. Cest ainsi

    que lon peut, dans une certaine mesure, tablir des degrs plus ou moins grands dintgration de la ngation. (A. Lancri, 1994 : 135).

    Si on admet donc que la ngation structure lensemble de lnonc, dans

    un positionnement initialement dialogique, on explique pourquoi elle peut

    se placer au dbut de lnonc, quand bien mme elle est incidente au verbe rgi par le verbe de parole ou de pense, comme en (20) illustrant

    un phnomne appel dordinaire avancement , monte de la ngation (NEG-raising, NEG-Anhebung)26 :

    (20) a. Od. 18, 132, ,

    car jamais, dit-il, il nprouvera du mal par la suite.

    b. Od. 18, 23-24,

    .

    car je ne crois en rien que tu reviendras / car je crois en quelque

    sorte que tu ne reviendras pas une seconde fois dans le palais dUlysse

    fils de Larte.

    c. Od. 18, 259-260, ,

    Femme, je ne crois pas en effet que les Achens aux belles

    cnmides reviendront tous bien de Troie sans dommage.

    d. Od. 18, 265-266 /

    26 Voir C. BODELOT (2003 : 43-44). P. RAMAT (1988 : 660-661) montre comment les

    diffrences de porte de la ngation dans ce cas-l correspondent des prsuppositions

    diffrentes au niveau pragmatique, surtout avec des verbes comme croire ,

    penser pourvus dun aspect performatif trs accus .

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    18

    Voil, je ne sais pas si un dieu me fera revenir ventuellement ou si

    je serai pris l-bas Troie. En (20a), ne porte pas sur le verbe de parole quil prcde,

    mais sur le verbe de la proposition infinitive . En (20b), la ngation porte sur le verbe de pense plac aprs linfinitif quil rgit

    ou sur linfinitif rgi sans quil soit ais de se prononcer entre lune ou

    lautre solution. Lexemple de (20c) montre un stade plus labor de construction syntaxique avec la ngation qui prcde ; le cotexte et le

    contexte suggrent de faire porter la ngation plutt sur linfinitif (Ulysse

    fait ses adieux Pnlope avant de partir Troie, il ne sait pas sil reviendra vivant : je ne crois pas quils reviendront tous mais pour ce qui

    me concerne ? Oui ou non ? ; il pose explicitement la question juste aprs, en 20d). Cette interprtation de la ngation oblige probablement renoncer laffirmation que je ne dis pas que vient par transfert de je dis que ne pas 27 : si la ngation se positionne

    linitiale, cest dabord pour structurer lopration ngativante de lacte de

    parole du locuteur.

    Lambigut sur la porte de la ngation en grec se retrouve en moyen-gyptien : la ngation y est toujours initiale et lhsitation sur sa porte

    prcise reste forte :

    (21) Sin. B 6-7 et 7, n k(=) spr r hnw pn

    NG songer.INF=PR.PS1 parvenir.INF Rsidence cette n dd=j cn r-s=f

    NG dire=PR.PS1 vivre.INF pour-aprs=PR.PS3 Javais song ne pas parvenir cette Rsidence / Je navais song

    parvenir cette Rsidence () Je (me) disais que je ne survivrais pas aprs lui [la mort du Roi].

    I did not intend to come to this residence. That I didnt think I would

    survive. (Gardiner et Nederhof) La ngation est incidente soit aux infinitifs spr parvenir et cn vivre , soit aux verbes de pense k et de parole dd. Sinouh est un

    compagnon royal qui revient de Libye o il a fait la guerre auprs du fils

    du Roi, lhritier lgitime du trne. Or le Roi est mort entre-temps et il surprend une conversation qui dnonce le complot visant tuer lhritier.

    Dans la crainte du danger venir, Sinouh se cache entre deux buissons et tient ce monologue intrieur avant de prendre la fuite. Il songe donc

    ne pas retourner la Rsidence royale et l il dlibre encore sur ce quil va faire, fuir ou ne pas fuir ; ou bien il ne songe pas retourner la

    Rsidence et sa dcision est dj prise.

    27 L. BASSET (1989 : 35) critique ce transfert syntaxique, propos par J. WACKERNAGEL

    (1926-1928 : II, 262-263) et A. C MOORHOUSE (1959 : 8).

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    19

    Dans les exemples grecs ou gyptiens, que la ngation porte sur le verbe

    de pense rgissant ou sur un lment rgi par ce verbe, il nen demeure pas moins que la porte de la ngation reste propositionnelle 28 . Le

    positionnement de la ngation nimporte pas a priori sur sa porte,

    nanmoins linformation diffre si la ngation est place devant le verbe dexpression ou de volont ; ainsi si lon dplace la ngation de (15a) :

    nolo ego errare hospitem je ne veux pas, moi, induire en erreur ltranger nest pas lquivalent informationnel de

    uolo ego non errare hospitem je veux, moi, ne pas induire en erreur ltranger , ni de

    non ego errare hospitem uolo Il nest pas dans ma pense que je veuille induire en erreur ltranger 29.

    Dans lnonc original, la ngation prcde le verbe (ne-uolo) car linformation principale concerne le fait de ne pas vouloir , par

    opposition au fait de vouloir , comme une rplique ultrieure le confirme lantonymie nolo ego / sic uolo.

    (22) Pl. Poen. 1006-1007, Sic uolo / profecto uera cuncta huic expedirier.

    Cest a que je veux absolument, quon lui balance toute la vrit.

    5. Pistes tymologiques

    Il est possible que notre hypothse faisant de la ngation un positionneur au dpart nonciatif et dialogique trouve une confirmation dans ltymon

    des ngations. Nous ne pouvons ici, faute de place, dvelopper les perspectives tymologiques quouvre une telle interprtation de la

    ngation. Nous en indiquerons seulement les grandes lignes. 5.1. *m

    La ngation prohibitive *m est atteste par de nombreuses langues indo-

    europennes et non indo-europennes. En moyen-gyptien, le m vtitif est form de limpratif (constitu de linfinitif ancien) du verbe auxiliaire

    m cesser de 30 ; m ne fais pas est donc grammaticalis pour exprimer la dfense :

    (23) Sin. B 259,

    28 C. BODELOT la bien montr (2003 : 460) : Quant la porte de la ngation, on peut

    dire que, lorsque la ngation non est lie au verbe, elle stend dordinaire la

    proposition .

    29 En latin archaque non peut tre utilis en association avec uolo mais jamais lun

    devant lautre : Pl. Men. 1084, Non ambos uolo.

    30 R. O. FAULKNER (1962 : 100), A. ERMAN et H. GRAPOW (1921 : 59) et (1926-1963 :

    2:3) ; A. H. GARDINER (1957: 567) ; P. GRANDET et B. MATHIEU (2003 : 280).

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    20

    m r r=k sp 2 gr

    NG faire.IMP contre-PR.PS2 fois 2 se taire.INF Ne continue pas te taire contre toi nouveau (= nagis pas contre

    toi nouveau).

    Gr. pourrait reposer galement sur une forme verbale ayant connu un

    processus de grammaticalisation : un impratif *meh1e cesse dun verbe *meh1, si on admet ltymon de S. P. Beekes (2010 : s.u.) ? On pourrait ainsi gloser le , avec linfinitif en (24), cesse de te

    mler , qui semble garder trace de lorigine verbale du mot :

    (24) Od. 18, 166-168, , ,

    ,

    Et je pourrai dire mon fils une parole qui serait plus avantageuse : cesse de te mler en permanence aux prtendants superbes.

    5.2. *ne

    Le parallle pourrait tre aussi approfondi entre lat. nn et m.-eg. n(n),

    au moins fonctionnellement 31 . De mme quil existe un paradigme affirmatif vs ngatif en m.-eg. w vs n(n) et en grec 32 vs , de

    mme le latin nn a pu fonctionner selon une modalit ngative par opposition une modalit affirmative.

    (25) Od. 16, 194 et 199, ,

    Non, tu nes pas Ulysse, mon pre (). Oui vraiment, cest cela, tu

    tais un vieux couvert de loques.

    Ce paradigme ne serait pas sans quivalent dun point de vue typologique, si lon sappuie sur larticle de Cl. Muller (2008 : 9 et 16) : le gascon

    pyrnen, langue occitane dans laquelle la phrase affirmative est marque presque systmatiquement par un que prverbal, la phrase ngative par

    ne ou non, qui apparat la place de la particule affirmative , ou au basque, dans laquelle la ngation ez a un correspondant affirmatif

    possible, ba . Le problme repose sur lidentification de la racine pronominale lorigine de la ngation *n- et le lien entre la ngation et

    les particules affirmatives *n- telles gr. , , lat. enim) et interrogatives *n- (lat. -ne ?). Ce problme ne remet pas en cause le rle

    de structuration nonciative que nous proposons ici pour la ngation *ne. Le fait que w et n entrent dans une PPN tendrait valider cette

    31 A. BOMBARD (1984 : 298) rapproche la ngation de lgyptien ancien de celle de lindo-

    europen.

    32 Voir F. BADER (1973 : 34).

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

    21

    hypothse. Lexemple suivant lillustre et est dautant plus intressant que

    w introduit la rponse la question que se posait le locuteur, dans une forme dialogique assez rcurrente dans ce conte :

    (26) Sin. B 42-43, n r= n w r st tn

    NG savoir.INF=PR.PS1 INT pr.PS1 dans pays ce w m sr nr

    AFF comme volont dieu Je ne sais pas ce qui ma amen dans ce pays ; ctait comme la

    volont du dieu.

    5.3. *u

    Si on admet lide dun positionnement dialogique ngatif avec *ne, on

    peut tenter de faire de mme avec *u, qui a pu tre lorigine un marqueur de disjonction exclusive. Or on a montr que le rapport

    dopposition exprim par la ngation pouvait sapparenter un rapport dexclusion : pour F. Floricic (2007 : 120) la ngation a pour fonction

    dexclure une partie dun contenu propositionnel ; elle exclut donc la possibilit dune actualisation de ce qui est dit (pensons aussi aux deux

    sens de *n en indo-iranien : le skr. a na ne pas et n ou ).

    Ltymologie de la ngation standard du grec souvent reprise dans les dictionnaires tymologiques nest pas admise de tous33 : ltymon *n h2oiu (k

    u i(d)) compos de la ngation *n, du nom *h2oi-u ternit et

    dun pronom indfini neutre optionnel (W. Cowgill, 1960 : 348, qui situe le dveloppement de , outil ngatif pandialectal, avant la migration des

    Grecs en Grce, vers 1900 av. J.-C., date correspondant la priode du moyen-gyptien), est peu sr et suppose un dveloppement phontique

    inhabituel34; le rapprochement avec larmnien o et lalbanais as35 (F. Kortland, 2003, J. Clakson (1994 : 158)) est discut 36 et labsence

    33 Par exemple, W. P. LEHMANN (1974 :126) et D. M. LANDSMAN (1988 : 15).

    34 Cf. A. MEILLET (1929), W. COWGILL (1960), DELG : s.u., A. Ch. MOORHOUSE (1959 : 15-

    16). Cet tymon suppose la fois la perte de la ngation initiale et un traitement particulier de la labio-vlaire, que natteste pas le sanskrit tel quel (puisque -cid : pur -

    cid souvent , en regard de -() souvent avec un second lment i.-e.

    *kuid- quelque chose ).

    35 J. CLACKSON (1994 : 158 ; 2004 : 155-156) nadmet pas le rapprochement de la

    ngation armnienne et grecque, en dpit de A. MEILLET, W. COWGILL, F. KORTLAND (2003)

    et S. P. BEEKES (2010).

    36 La notice de N. GUILLET dans la CEG 2012 dA. BLANC et Ch. de LAMBERTERIE (2009 :

    317), qui sappuie sur la prsentation de D. PETIT, invite adopter une position moins

    sceptique que P. CHANTRAINE, en acceptant sans rticences la position de W. Cowgill :

    si on part dune ngation double dtente *n... h2y-u pas de (toute) ternit, il

    est ais de rendre compte de lvolution du forclusif *h2y-u vers un sens ngatif, alors que la chose est beaucoup plus difficile pour au contraire . D. PETIT (2005 : 195-

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

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    daccent est tonnante. Or gr. prsente des similitudes phonologiques et syntaxiques avec m.-eg. w (et w si comparable gr. ). Pour le DELL

    et Fr. Bader37, un vieil outil ngatif a pu tre tir de llment pronominal *u38, qui a servi exprimer la disjonction39, allant de la distinction entre

    divers objets lopposition contradictoire 40 et lexclusion dans de

    nombreuses particules . Le grec a pu privilgier cette valeur de la disjonction exclusive pour sa ngation standard, ouvrant sur un monde

    alternatif contrefactuel , pour reprendre les termes dA. Orlandini (2001 : 144) au sujet de aut disjonctif exclusif en latin. Nous ne supposons pas

    demprunts (J. Wackernagel 41 la fait mais cest une solution dsespre daprs P. Chantraine), mais la conservation42 de trs vieux

    outils ngatifs dans des langues diffrentes.

    6. Conclusion

    Il sagit peut-tre l de concidences fortuites, nanmoins plusieurs points de rencontre, nous semble-t-il, entre les trois langues anciennes43 ne sont

    pas dpourvus de force probante, du moins la tche de les dfinir phontiquement, morphologiquement et fonctionnellement mritait dtre

    entreprise. Le systme ici propos rvle une certaine cohrence entre le lien grammatical, le contenu smantique et la mtaopration dialogique

    qui caractrisent chacune des ngations tudies. La ngation a pu tre

    196) crivait : La nature de loutil ngatif peut videmment varier selon les langues (...) : on peut distinguer (...) divers substituts lexicaux (par ex. gr. < *h2oi -u

    ternit ) .

    37 Pour le DELL, une particule privative *ue- serait lorigine du ngatif ; F. BADER

    (1982 : 136) parle de *we qui exprime la privation sous sa forme avocalique : sl. o-v, lat. u-cors, ha-u-d.

    38 En raison de la position seconde de cette racine pronominale, nous suivons plutt J. P. MALLORY-D. Q. ADAMS (1997 : 410) *-u ou , plutt que J. POKORNY (1959 : 72-

    75) *u -, *u o- ou ; A. WALDE- J. B. HOFFMANN (1927-1932 : I, 188-189).

    39 A. ORLANDINI (1996 : 147) a tudi le rapport privilgi entre la ngation et la

    disjonction en latin et montr comment le connecteur disjonctif aut peut aussi replacer la

    conjonction copulative neque dans des contextes ngatifs. Voir aussi A. ORLANDINI

    (2001 : 122), qui pose une quivalence entre aut et neque, neue.

    40 Cf. L. BASSET (1989 : 32) : en grec la ngation , comme nepas en franais, a

    toujours le sens contradictoire . R. FOREST (1993 : 26) a montr aussi comment une

    ngation en position fixe de deuxime mot de lnonc pouvait tre incidente lnonc

    tout entier.

    41 J. WACKERNAGEL (1926-1928 : II, 257) ; DELG, s.u.

    42 Voir M. FRUYT (2008 : 2) pour la description du renouvellement du systme en latin.

    43 Il nest pas exclu de dmontrer ces points de rencontre dans dautres langues

    gographiquement proches.

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    initialement une modalit nonciative part entire, entrant en opposition

    paradigmatique avec laffirmation, au sein mme de la catgorie nonciative de lassertion. La ngation nest donc pas linversion dune

    affirmation ; elle constitue un choix de positionnement nonciatif du

    locuteur, entre deux modalits de base44.

    Nous avons par ailleurs relev la trs haute frquence de la position initiale des ngations dans les deux plus anciennes langues, sans rapport

    squentiel avec le verbe, alors que le latin lie plutt la ngation avec le verbe. Cette observation ouvre peut-tre des perspectives sur lorigine des

    formes de la ngation standard et de la ngation prohibitive. La position de la ngation correspondrait ainsi, non pas des stratgies relevant de la

    logique, de la stylistique ou de la pragmatique, mais plutt un positionnement initial en lien avec lopration du locuteur dans

    llaboration de son nonc dialogique45, visant de la part de ce locuteur marquer ngativement lnonc qui se droule aprs la ngation pour

    celui qui le reoit : pas ceci p ; jexclus p / cesse de p . La ngation, chapeautant tout lnonc, pourrait jouer un rle comparable celui

    rempli par lindicateur dnonciation du moyen-gyptien qui sert valider

    laffirmation nonce : de mme, la ngation indiquerait linterlocuteur quil aura ter toute validit lnonc qui suit. Le moyen-gyptien

    montre comment : la ngation a pu tre dabord un verbe ou remplir une fonction verbale prdicative ; avant de devenir, dans un second temps46,

    un outil autonome, indpendant et lexicalis, marquant ngativement une assertion, puis pouvant se dplacer dans la proposition et donc jouer un

    rle syntaxique en portant plus prcisment sur le constituant de lnonc quelle prcde. De l son antposition par rapport au verbe ( le pivot de

    la phrase , selon lexpression de P. Ramat47), qui se rpand aprs le grec homrique, mais aussi parfois sa postposition au verbe. Ceci ncessiterait

    une tude plus complte, mais il nous semble que le moyen-gyptien et le grec gardent des traces assez vivantes de la structuration dialogique,

    lorigine de la parole, alors que cette mme structuration est dj si bien intgre en latin que les crits conservs tmoignent dune structuration

    plus syntaxique de lnonc, ce qui rendrait compte de la perte de distinction entre les deux particules ngatives de lindo-europen *ne/m

    et la plus grande libert du positionnement de la ngation en latin.

    44 Pour linstant, nous ne posons que deux modalits, mais une troisime modalit est

    possible tant donn que linterrogation, qui se place aussi initialement en latin et en

    grec par exemple, recourt parfois aux mmes lments que la ngation ou laffirmation.

    45 Pour Cl. HAGGE (1982 : 87), la ngation remplit une fonction interlocutive

    importante .

    46 W. P. LEHMANN (1974 : 126) pose comme acquis une volution historique dans le

    placement de la ngation au sein de chaque langue : In time placement was regulated

    by the specific rules in each dialect .

    47 P. RAMAT (1988 : 661).

  • DLL 14. M.A.Julia. Positionnement initial de la ngation en m.gyptien, grec, latin.

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    Pour citer cet article :

    M.-A. Julia, Positionnement initial de la ngation dans la phrase en latin, grec et moyen-gyptien, De Lingua Latina, revue de linguistique latine du Centre

    Alfred Ernout [En ligne], 14 | 2017, mis en ligne Octobre 2017. URL : http://www.paris-sorbonne.fr/rubrique2315, 1-28.

    http://www.paris-sorbonne.fr/rubrique2315